Thaïlande : Difficile transition démocratique
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Thaïlande : Difficile transition démocratique
Thaïlande Difficile transition démocratique Plus d’un an après leur arrivée au pouvoir, les militaires n’ont pas proposé de solution durable aux tensions politiques ni aux problèmes économiques qui se sont accrus au cours des dix dernières années. La crise politique est loin d’être résolue. Sur le plan économique, la reprise sera modérée, soutenue par les mesures de soutien à la demande interne et les recettes liées au tourisme. Près de dix ans d’instabilité politique ont amoindri l’attractivité du pays, ralentissant les entrées d’Investissements Directs et pesant sur la croissance potentielle. Les solides fondamentaux macroéconomiques laissent néanmoins une petite marge de manœuvre aux autorités pour mettre en place les réformes annoncées et pallier les faiblesses structurelles du pays. ■ Un an après le coup d’Etat Après plus de six mois de crise politique, les militaires ont pris le pouvoir en Thaïlande lors du coup d’état du 22 mai 2014. De nouveau, ce coup d’état a sanctionné l’échec des tentatives réconciliation nationale menées par le précédent gouvernement et remis l’armée sur le devant de la scène politique. Le chef de l’armée, le général Prayuth Chan-Ocha, nommé premier ministre par le Roi en août 2014, a formé un gouvernement, composé d’un tiers de militaires. Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement a fait de la croissance économique et la « réconciliation nationale » ses deux priorités, engagement renouvelé consécutivement aux attentats de Bangkok en août 2015. Il a également annoncé qu’aucune élection ne serait programmée tant que ces deux objectifs ne seraient pas atteints. Initialement prévues pour la fin 2015, les élections ont finalement été repoussées (au mieux) à l’automne 2016. Avant leur tenue, le gouvernement souhaite également soumettre au référendum une nouvelle version de la Constitution. Le gouvernement entend ainsi empêcher tout retour au pouvoir des « pro-Thaksin (Shinawatra) ». Les militaires cherchent également à établir un cadre constitutionnel favorisant la continuité du système actuel, dans lequel la monarchie, le corps administratif et l’armée maintiennent leur « droit de veto » informel. Pour ce faire, l’objectif est de renforcer l’adhésion nationale à l’institution monarchique, afin de justifier, au nom du lien organique entre le roi et la bureaucratie civile et militaire, l’autonomie de cette dernière vis-à-vis des gouvernements élus. Enfin, en liaison directe avec l’objectif précédent, les militaires cherchent à préparer aux mieux la succession monarchique. Finalement, en dépit de l’engagement initial du gouvernement, il est peu probable que la crise politique et sociale soit résolue de manière durable. Le risque de nouveaux épisodes d’instabilité reste élevé. La lutte pour le pouvoir au sein de la classe dirigeante, les inégalités sociales et les convergences d’intérêts économiques perdurent, plus d’un an après l’arrivée au pouvoir des militaires. A terme, l’élaboration d’un nouveau mode de régulation de la vie politique sera essentielle pour permettre de mettre un terme à l’instabilité politique récurrente. ■ Rebond modéré de la croissance En 2014, la conjonction de l’intensification de la crise politique et du ralentissement de la demande mondiale a fortement pénalisé la croissance thaïlandaise. Après avoir atteint 2,8% en 2013, la croissance du PIB a ralenti à 0,9% en 2014. economic-research.bnpparibas.com 1- Synthèse des prévisions 2013 2014 2015f 2016f PIB réel, v ariation annuelle, % 2,8 0,9 2,5 Inflation, IPC, v ar. annuelle, % 2,2 1,9 -0,5 3,5 1,5 Solde budgétaire, % du PIB -2,7 -2,5 -3,3 -3,4 Dette des adm. publiques, % du PIB 29,3 30,0 32,5 33,7 Balance courante, % du PIB -0,9 3,3 7,0 7,0 Dette ex terne, % du PIB 36,7 37,7 37,9 37,3 Réserv es de change, mds USD 160 142 155 155 Réserv es de change, en mois d'imports 7,8 8,0 8,5 8,5 Taux de change THB/USD (fin d'année) 32,7 32,9 36,2 36,5 f : prévisions : BNP Paribas 2- Ralentissement de la croissance Contribution à la croissance et variation en g.a. █ Consommation █ Investissement █ Exportations nettes ▬ PIB (%, g.a.) – – – moyenne 2000-2008 - - - moyenne 2009-2014 20 15 10 5 0 -5 -10 -15 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 Sources : Comptes nationaux La stabilisation de la situation politique et les mesures mises en place par le nouveau gouvernement visant à soutenir la demande interne et à rétablir la confiance des investisseurs ont permis un rebond modéré de l’activité au premier semestre 2015. Le PIB a progressé de 2% en glissement annuel (g.a.) au T1 et de 3,1% au T2. Les perspectives pour les trimestres à venir restent modestes, l’économie étant contrainte par ses faiblesses structurelles. La dépense publique devrait continuer à soutenir la demande interne. La contribution du commerce extérieur à la croissance, quant à elle, sera due à de faibles niveaux d’importations plutôt qu’à une franche reprise des exportations. Au total, le PIB devrait progresser de 2,5% en 2015 et 3,5% en 2016 et les risques à la baisse se sont amplifiés. D’un point de vue interne, l’endettement des ménages représente à Thaïlande Octobre 2015 13 présent 80% du PIB. Près de dix ans d’instabilité politique ont dégradé le climat des affaires et empêché les investissements nécessaires en infrastructures et recherche et développement (R&D). D’un point de vue externe, le degré d’ouverture de l’économie (les importations et exportations de biens et services représentent plus de 130% du PIB) l’expose aux effets du ralentissement chinois et aux prix des matières premières, même si le pays n’est pas le plus exposé. ■ Mais les risques restent limités à court terme La contraction des importations et la progression continue des recettes de tourisme ont permis une progression de l’excédent courant. Ce dernier atteignait 6% du PIB au T2, en hausse pour le cinquième trimestre consécutif. Malgré l’absence de vraie reprise des exportations, on s’attend à une hausse significative de l’excédent courant en 2015 à 7% du PIB (après 3,4% en 2014). Parallèlement, les entrées nettes d’IDE devraient être soutenues par les nouveaux projets gouvernementaux, si ceux-ci sont effectivement réalisés. A situation politique et sociale inchangée, les flux d’investissement de portefeuille seront probablement liés aux décisions de politique monétaire américaine. Mais comme lors des épisodes précédents, la période d’instabilité financière de l’été 2015 ne s’est pas soldée par des sorties massives de capitaux. Les primes de risque sur les obligations souveraines ne se sont pas élargies au point de mettre à mal la dynamique de la dette publique. Enfin, les réserves de change ont diminué. Elles restent toutefois très confortables et atteignaient près de USD 150 mds en août 2015, couvrant plus de huit mois d’importations. Pour le moment, les risques financiers restent faibles. La dette extérieure comme la dette publique se maintiennent à des niveaux modérés, soit 38% et 32,5% du PIB respectivement. ■ Vulnérabilité en hausse Pourtant, les turbulences financières induites par la matérialisation du ralentissement chinois et la perspective de resserrement de la politique américaine ont pesé sur l’évolution du taux de change, alors que celui-ci était resté relativement stable au moment de l’intensification de la crise politique. Depuis le début de l’année, la monnaie s’est dépréciée de 8%, illustrant la fragilité accrue du pays face à une crise de confiance des investisseurs. A court-moyen terme, la Thaïlande apparaît pourtant relativement moins exposée au ralentissement chinois que d’autres pays d’Asie. Du point de vue des échanges extérieurs, principal canal de transmission, les secteurs les plus susceptibles d’être impactés (exportations de minerais, métaux, combustibles, produits chimiques) représentent 56% du total des exportations à destination de la Chine, mais moins de 4% du PIB. En ajoutant les machines et matériels de transports, secteur susceptible d’être touché dans un deuxième temps, l’exposition s’élève à 6% du PIB. A titre de comparaison, celles-ci représentent plus de 8% du PIB à Taiwan et en Corée par exemple (plus de 70% des exportations vers la Chine) et 15% du PIB à Singapour (90% du total des exportations vers la Chine). Par ailleurs, les indicateurs de valeur ajoutée incorporée dans les exportations conjoints à l’OCDE et à l’OMC, illustrent également que, d’une part, l’exposition à la Chine, en termes de valeur ajoutée, est moins significative en Thaïlande que pour economic-research.bnpparibas.com 3- Valeur ajoutée incorporée dans les exportations En % du PIB, par destination (2011) █ Chine █ G3 █ ASEAN 30 25 20 15 10 5 0 TW MY Sources : ONU-OCDE KO TH PH ID IN d’autres pays d’Asie, et d’autre part que la prépondérance de la demande en provenance des pays du G3 est toujours vérifiée (EtatsUnis, Europe, Japon). A plus longue échéance, l’érosion de la compétitivité-prix de la Chine devrait profiter aux autres pays d’Asie. Ainsi, alors que les pays bénéficiant d’avantages comparatifs en termes de coûts augmenteront leur attractivité (Mongolie, Bengladesh, Vietnam dans une moindre mesure), les avantages hors-prix (qualité des infrastructures, qualification de la main d’œuvre, climat des affaires) permettront de distinguer les pays pour lesquels le différentiel de salaire avec la Chine est le plus faible. Or, ils ne sont pas spécialement en faveur de la Thaïlande. En simplifiant, on peut mesurer l’attractivité d’un pays à l’aide des flux d’IDE qui lui sont destinés. De ce point de vue, près de dix années d’instabilité politique ont amoindri l’attractivité du pays. Le manque d’infrastructures compétitives, s’il n’est pas rapidement comblé, pèsera sur les entrées d’IDE et, par la suite, sur la solidité de l’économie et sur sa croissance potentielle. Mesurés en pourcentage du PIB, les IDE à destination de la Thaïlande ont déjà diminué. Ils représentaient 2,6% en moyenne entre 2010 et 2014, contre 3,5% en moyenne entre 2005 et 2009. En Malaisie, ils représentaient 3,7% du PIB entre 2010 et 2014, 3% entre 2005 et 2009. A terme, les pays voisins, le Vietnam surtout, mais aussi le Cambodge, le Laos, la Birmanie, compte tenu de leur développement rapide, pourraient capter les IDE initialement destinés à la Thaïlande. Ainsi, au-delà des préoccupations conjoncturelles, le gouvernement a défini un ensemble d’objectifs ambitieux destinés à restaurer la compétitivité et l’attractivité de l’économie thaïlandaise. Le programme reprend les projets de modernisation des infrastructures plusieurs fois repoussés, ainsi que l’engagement de poursuivre l’assainissement des finances publiques et de réformer les entreprises publiques. La mise en place de ces réformes structurelles sera essentielle pour permettre au pays de conserver son attractivité au sein de l’Asie. Hélène Drouot [email protected] Thaïlande Octobre 2015 14