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Thaïlande Janvier 2014 Thaïlande La situation est-elle différente cette fois ? Après plusieurs années de stabilité relative, la Thaïlande traverse une nouvelle crise politique depuis le début du mois de novembre. Au cours des dix dernières années, les fondamentaux économiques et financiers ont bien résisté à l’instabilité politique. Ce devrait être encore une fois le cas, mais les troubles politiques viennent aggraver les risques à la baisse sur la croissance. De fait, un environnement extérieur défavorable ajouté aux faiblesses structurelles de l’économie (pénurie d’infrastructures, hausse de la dette des ménages) pèse sur la croissance, entraînant une aggravation des vulnérabilités extérieures. Nous tablons sur une reprise modeste en 2014, avec une croissance du PIB de 3,8%, après 3,0% en 2013. ■ Crise politique Depuis le début du mois de novembre, les tensions politiques se sont amplifiées en Thaïlande, conduisant Yingluck Shinawatra, Premier ministre, à dissoudre le parlement le 9 décembre dernier. La tenue d’élections anticipées est prévue pour le mois de février et Y. Shinawatra a affirmé que le gouvernement resterait en fonctions jusqu’à cette date. Compte tenu du large soutien dont bénéficie le parti du Premier ministre, Pheu Thai, des élections anticipées ne devraient pas modifier la majorité actuelle au parlement. Une partie des manifestants semble donc déterminée à poursuivre leur action jusqu’à la démission du Premier ministre. A cette date, il est encore difficile de dire s’ils parviendront à leurs fins. 1- Balance de base (en % du PIB) ▐IDE ▌Tourisme ▌ Balance courante sauf tourisme ▬ Balance de base 15 10 5 0 -5 -10 L’élément catalyseur du conflit est un projet de loi d’amnistie proposé par le gouvernement, qui aurait permis le retour en Thaïlande de l’ancien Premier ministre exilé Thaksin Shinawatra (frère aîné de l’actuelle chef du gouvernement), renversé en 2006 par un coup d’Etat. Le sénat a rejeté le projet de loi, mais l’hostilité au gouvernement s’est de nouveau renforcée après l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle, selon lequel une proposition de modification de la composition du sénat était anticonstitutionnelle. Les manifestants appellent à la destitution de tous les responsables liés à T. Shinawatra et à la modification du système démocratique afin d’éviter leur retour aux affaires. -15 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 Source : Bank of Thailand situation politique du pays, renforçant les incertitudes sur l’issue du conflit dans les mois à venir. La montée des tensions politiques ne devrait pas conduire à une crise économique. Cependant, les incertitudes politiques ne font qu’aggraver les inquiétudes économiques, d’autant que plusieurs facteurs freinent la croissance du PIB. ■ Une économie en difficulté Ce différend a, par ailleurs, réveillé des divisions structurelles au sein de la société thaïlandaise. Un consensus fragile s’est instauré suite à l’élection de Y. Shinawatra en juillet 2011 entre le gouvernement, emmené par le parti Puea Thai, et l’establishment conservateur, responsable du départ de Thaksin Shinawatra. Mais la lutte pour le pouvoir, qui a déstabilisé la Thaïlande au cours des dix dernières années, est loin d’être terminée. De nombreux problèmes politiques subsistent, dont l’important écart de revenus entre les provinces industrialisées entourant Bangkok et le reste du pays, où vit la majorité de la population. Au cours des dix dernières années, l’instabilité politique n’a pas eu d’impact significatif sur l’activité, et les fondamentaux économiques ont bien résisté aux chocs politiques et externes. La croissance du PIB s’est établie à 3,5% en moyenne de 2006 à 2012. Cependant, si la crise actuelle devait se prolonger, elle aurait un effet plus marqué sur la croissance en 2014 : - Compte tenu de la faiblesse de la demande mondiale, la progression de la demande externe ne permettra pas de compenser un ralentissement prolongé de la demande intérieure, comme en 2006 ou en 2010 ; Autre point important : les manifestants ne forment pas un bloc homogène. Ils sont regroupés dans une sorte de coalition de monarchistes, de religieux conservateurs, de représentants des élites et de membres de la classe moyenne, essentiellement concentrés autour de Bangkok. Ils ne partagent pas particulièrement de vision commune sur la - L’endettement des ménages a progressé, passant de 60% du PIB à la fin 2010 à 80% du PIB en 2013. Rapportée au revenu disponible, la dette des ménages est passée de 90% à 120% sur la même période. Le nécessaire désendettement des ménages pèsera sur la croissance de la consommation ; 26 economic-research.bnpparibas.com Thaïlande Janvier 2014 Cependant, avec l’affaiblissement des fondamentaux économiques et une reprise attendue en deçà de son niveau potentiel, l’effet pourrait être plus marqué cette fois. Comme l’a montré l’épisode de mai 2013, lié à l’annonce par la Fed de la fin progressive de son programme d’assouplissement monétaire (« tapering »), la Thaïlande est désormais plus vulnérable à un retournement brutal du sentiment des investisseurs. En cas de crise politique durable, entraînant d’importantes sorties de capitaux et une chute sévère des recettes du tourisme, la détérioration de la balance de base (solde courant + IDE) ferait peser sur le pays un risque bien plus important qu’auparavant. En 2010, l’excédent de la balance de base représentait environ 7% du PIB (cf. graphique 1) ; nous tablons à présent sur un déficit de 1,5% en 2013. Entre autres conséquences possibles, la volatilité du taux de change pourrait être grandement accrue. - L’économie, qui est désormais plus dépendante du tourisme, pourrait souffrir d’une baisse prolongée des recettes générées par le secteur. Les recettes du tourisme ont représenté 11,5% du PIB en 2012 et plus de 13% depuis le début de 2013, après 8% en moyenne entre 2008 et 2011 ; - Les nécessaires dépenses d’infrastructures pourraient être de nouveau reportées, constituant ainsi un frein important à la croissance à moyen et long terme. Au total, les risques baissiers liés à l’incertitude politique s’ajoutent à la modeste reprise de la croissance du PIB attendue en 2014 (à 3,8%, après 3,0% en 2013). En effet, la croissance a ralenti au T3 2013, +2,7% en g.a., après 2,9% au T2. La consommation privée et l’investissement ont nettement reculé au cours de l’année et les données relatives aux exportations ne montrent qu’une légère accélération sur les dix mois premiers mois de 2013. La médiocre performance économique de la Thaïlande contraste avec celles de la Corée, de la Malaisie et de Singapour, qui ont affiché de meilleurs taux de croissance en g.a. au T3 2013. Pour le moment, les risques financiers restent faibles ; la dette extérieure comme la dette publique se maintiennent à des niveaux peu élevés, à 36% et 45% du PIB respectivement. La dette publique extérieure brute est estimée à moins de 10% du PIB et la dette extérieure privé avoisine 30% du PIB. De plus, malgré leur repli observé depuis le mois d’octobre (USD159 mds en novembre 2013), le niveau des réserves de change reste très confortable, représentant environ 7,5 mois d’importations. En outre, hormis les dépenses d’infrastructures hors budget, la politique budgétaire devrait être plus restrictive, laissant peu de place à des mesures de soutien à la croissance. Sur le plan monétaire, la Banque centrale a abaissé son taux directeur lors de la réunion de novembre, à 2,5%, pour soutenir la croissance. Pour autant, l’économie thaïlandaise semble plus vulnérable qu’au cours des dernières années. Le climat d’incertitude politique qui a marqué la décennie écoulée a empêché l’introduction de réformes structurelles pourtant nécessaires. En conséquence, l’économie est plus exposée à un retournement du sentiment du marché. ■ Des risques financiers faibles, mais une vulnérabilité en hausse De même, les indicateurs financiers ont affiché une bonne tenue ces dernières années. Les épisodes précédents de troubles politiques ne se sont pas soldés par des sorties massives de capitaux, qu’ils soient détenus par des investisseurs nationaux ou étrangers. En particulier, les spreads de crédit souverain ne se sont pas élargis au point de mettre à mal la dynamique de la dette publique. Hélène Drouot [email protected] 2- Réserves de change (millions d’USD) ▬ Réserves en mois d’imports (éch. droite) ▌Réserves de change 200 000 180 000 Synthèse des prévisions 16 14 160 000 2012 2013f 2014f 2015f 12 140 000 PIB réel, v ariation annuelle, % 6,5 3,0 3,8 4,0 Inflation, IPC, v ar. annuelle, % 3,0 2,5 3,0 3,5 120 000 10 100 000 8 80 000 6 Balance courante, % du PIB 0,0 -0,5 -1,0 -0,5 4 Dette ex terne, % du PIB 33,1 37,0 34,0 34,0 2 Réserv es de change, mds USD 171 160 160 160 60 000 40 000 20 000 0 0 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 Solde budgétaire, % du PIB -4,8 -4,0 -3,0 -3,0 Dette des adm. publiques, % du PIB 45,4 47,1 48,3 49,5 Réserv es de change, en mois d'imports 8,0 7,5 7,0 7,0 Taux de change THB/USD (fin d'année) 30,6 31,5 32,5 32,5 f : prévisions BNP Paribas Source : Bank of Thailand 27 economic-research.bnpparibas.com