format PDF - Secteur Pastoral de Palaiseau
Transcription
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« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » On a un peu vite fait de faire de cette parole trop souvent citée à l’emportepièce de Jésus un fondement de notre séparation contemporaine entre pouvoirs civil et religieux voire de notre sacrosainte laïcité. Alors que le contexte dit clairement que le propos de Jésus n’était pas vraiment de cet ordre. Cet échange avec les pharisiens et les partisans d’Hérode, les frères ennemis du judaïsme de l’époque coalisés un commun désir de perdre Jésus, s’inscrit dans la longue controverse qui, à peine quatre chapitres plus loin, aboutira à la Passion. On le comprend très clairement grâce aux assauts d’obséquieuse flatterie que souligne à dessein l’évangéliste avant que s’engage le dialogue proprement dit « Maître, lui disent-ils, nous le savons, tu es toujours vrai et tu enseignes le vrai chemin de Dieu; tu ne te laisses influencer par personne car tu ne fais pas de différence entre les gens. » « Est-il permis, oui ou non de payer l’impôt à l’empereur » Le piège est tendu et il est redoutable : Si Jésus répond par la négative, on pourra le dénoncer au pouvoir romain comme favorisant la sédition, ce qui est tout sauf anodin dans un contexte de fermentation politico-religieuse aussi explosif que celui de l’époque. Ce sera d’ailleurs une des accusations portées contre Jésus dans le procès devant Pilate, le gouverneur romain, dans la Passion telle que la relate saint Luc. Si Jésus répond positivement, lui qui s’est dévoilé comme le Messie, il se discrédite absolument puisque le Messie, dans la représentation du temps, devait s’asseoir sur le trône de David et donc obligatoirement renverser la domination romaine sur la terre d’Israël dont l’impôt était le symbole. La réponse de Jésus fuse, tranchante : « Hypocrites ! » Doublement hypocrites même puisqu’évidemment cette question est un piège destiné à perdre Jésus, mais aussi parce que cette question n’en est plus une pour ceux qui la posent et qui avaient réglé le problème depuis longtemps en se servant de la monnaie romaine pour tous les usages profanes et même en payant l’impôt à César. Alors le très habile « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » est beaucoup plus qu’une façon brillante qu’aurait eue Jésus de se sortir d’un faux pas potentiellement très dangereux. Jésus ne se prête jamais à un concours de rhétorique, pas plus là que lorsque dans l’épisode de la femme adultère il s’en sort par le fameux et là aussi très habile : « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre. » La Parole de Jésus est toujours parole de révélation, parole de vérité : révélation de ce qu’il y a dans le cœur de l’homme et révélation de ce que Dieu attend de l’homme. Rendez à César ce qui est à César, on peut l’interpréter d’au moins deux manières : César, comme Cyrus, un autre prince païen dont nous parle Isaïe dans la première lecture, César est le dépositaire de l’autorité et, ce sera la thèse constante de Paul, toute autorité provient ultimement de Dieu, et Dieu peut même se servir d’un prince païen pour faire avancer sa cause ; c’est clairement ce qui s’est passé sous Cyrus, le grand conquérant perse, qui a été l’instrument choisi par Dieu pour permettre le retour des exilés de Babylone à Jérusalem et la restauration du Temple. Peut-être n’est-ce pas le cas ici mais il y a une autorité qui doit s’exercer, et dans la conjoncture qui est celle de l’échange, elle est sans contestation possible détenue par l’empereur de Rome, c’est un fait que Jésus souligne et que ses interlocuteurs intègrent aussi dans leur pratique quotidienne. Mais Jésus ajoute aussitôt : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.» Et l’on pourrait presque forcer le trait en paraphrasant : « Rendez à César seulement ce qui est à César mais rendez à Dieu tout ce qui est à Dieu. » Que César exige le paiement de l’impôt, ce n’est en aucun cas contestable, c’est dans la nature même des choses que le prince lève l’impôt, en échange de l’ordre qu’il assure. Mais que César exige ce qui est dû à Dieu, là est la ligne jaune absolue, infranchissable. A l’époque de Jésus le César de Rome était Tibère et quand Matthieu a écrit son Evangile, de très nombreux disciples avaient préféré mourir que rendre à César un culte qui n’est dû qu’à Dieu, qui est dû à Dieu. L’impôt oui, le culte non. Combien de nos Césars contemporains exigent une soumission intégrale, combien de régimes exigent une vénération de leurs peuples et là alors, la conscience croyante, la très vieille mise en garde juive contre l’idolâtrie ressurgit, absolue, massive. Il faut dire non, au risque même de sa vie. C’est ce qu’ont fait et continuent à faire les cohortes de martyrs, de Rome à la Perse, du Paris révolutionnaire à la Chine maoïste, du Mexique des Cristeros aux grands totalitarismes de l’Europe moderne. Ces textes enfin nous disent aussi autre chose : Dieu nous devance toujours, Dieu nous surprend toujours, Dieu nous attend toujours là où on ne l’attend pas, les voies du Seigneur sont déroutantes, parce que précisément elles sont des voies de Dieu et non des voies humaines : Dieu, notre Dieu est celui qui a choisi un prince païen, le grand Cyrus, pour permettre à son peuple de jouer son rôle historique d’étendard dressé contre toutes les idolâtries, contre tous les paganismes. Dans la seconde lecture, la magnifique salutation de Paul aux Thessaloniciens, encore des païens..., Paul s’émerveille de ce que les privilèges de l’Alliance soient passés aux païens qui ont accueilli avec joie la prédication refusée par la plupart des juifs qui étaient pourtant depuis si longtemps préparés par les prophètes à l’accueillir ; dans l’Evangile enfin, Jésus nous invite à ne pas nous laisser détourner de notre vocation propre : qui est rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c’est-à-dire de rendre toutes grâces à Dieu, car tout vient de lui. L’Evangile ne met pas César et Dieu sur le même plan, vivre selon notre vocation ultime, ce n’est pas vivre pour César même si nous devons nous acquitter honnêtement, loyalement de ce qu’exige de nous notre condition sociale, citoyenne, mais nous sommes faits pour vivre « Ad majorem Dei gloriam, pour la plus grande gloire de Dieu » comme aimait à dire Ignace de Loyola. Il voulait dire ainsi que toutes nos actions, tous nos choix, tous nos discernements devaient être posés selon cet ultime et unique clef : contribuent-ils, oui ou non, à manifester autour de nous la gloire de Dieu ? Car une fois encore nous sommes faits, nous sommes créés pour rendre grâces et manifester la gloire de Dieu par toute notre vie. Le reste, sans être secondaire, est absolument second. Amen !