don juan... en toute liberté
Transcription
don juan... en toute liberté
DON JUAN... EN TOUTE LIBERTÉ Fantaisie à deux mains écrite par Francois Bigotte Stéphanie Rivière A Nanard, le fidèle complice A Claude, la première lectrice Rozenn... Stéphane... et les autres. Une troupe amateur en mal de comédie, quarante comédiens en manque de facéties : voilà qui a suffi pour relever le pari. Nos remerciements à tous ceux qui, depuis 11 années, ont animé les PETITS TRÉTEAUX : vous les éclairagistes, vous à la sono. Merci à ceux qui sont devant, comédiens et actrices, et à vous aussi, les maquilleuses en coulisses. Merci enfin à celles qui sont derrière, les couturières. Pour terminer, toute notre gratitude aux spectateurs d'aujourd'hui et de demain, sans lesquels le théâtre serait orphelin. Stéphanie et François. Au lecteur, "Le rire est la musique de l'âme", dit-on. Musiciens amateurs, notre seule ambition Est ici de vous divertir. Alors soyez indulgents, laissez-vous sourire Pour notre plaisir. La pièce "DON JUAN... en toute liberté" a été jouée pour la première fois (et la dernière ?) en public le 28 mai 1993 à la Maison du Peuple de SAINT-NAZAIRE, avec dans les rôles : KIERZKOWSKI Jean-François JÉROT Cécilia BARDEAU Jérémy LALOÉ Renaud AUFRAY Sébastien LALOÉ Marie BAUMAL Roxane LANDREAU Edwige BLANCHARD Sonia LE BOHEC Estelle BORDAIS Diane LE CADRE Solenn BOUVET Laëtitia LE PAPE Françoise BOYER Christelle LOYER Estelle BUSCHINI Sébastien MAHÉ Kristell CASSAGNE Marie MARION Xavier CHATELLIER Bruno MARKARIAN Caroline CHÉRAUD Grégory MOYON Florence DECORMEILLE Kristell NOVELLI Anne-Sophie ÉLAN Virginie PENANHOAT Aurélie GARÇON Sophie PÉRON Véronique GEFFROY Élodie PIQUET Julie GEORGET Isabelle PROVOST Elisabeth GIRARD Rozenn SIMON Véronique GUÉRIN Sophie TASSIN Sophie GUÉRIN Patrice THOMAS Valérie GUIGNARD Nathalie TIRET Stéphane GUYOVIC Anna-Maud VERGER Céline HERBLIN Cédric VIOLEAU Magali et Pierre-Emmanuel LES PERSONNAGES DON JURAN SGAGNEQUERELLE MARION : père de Don Juran HÉLOÏSE : sa mère UNE ACCOUCHEUSE UNE SUIVANTE FÉE NOMÉNAL FÉE RALGAND FÉE LICIE FÉE BEAUCAROSSE ABBÉ CASSINE FRÉRE JEAN DE L'ENTONNOIR MAÎTRE CASANOVA LÉONTINE PHILOMÈNE ARIEN MARGOT ÉMILLAUX FLORE DE JOUVENCE BACON ANGÈLE SARAH MOLLO ÉLODIE DACTIQUE FLORENTINE AMANDINE CLÉMENTINE MARIE FRANCINE CHARLOTTE LÉONARD CISSISME : psy DONA INES LA MÉGÈRE BLANCHEFLEUR : femme de DJ MARIETTE MATHÉTINE MAÎTRE BERGER BÉRANGÈRE SCARLETT MÉLANIE TROIS DOCTEURS GARCIA BERNARDO DON DIÉGO FRANCK STEIN BRACUDA UNE GUEÏSHA PERETTE MARIE CHARLOTTE ANTOINETTE FRANÇOUAIS ESMÉRALDA Comédiens ambulants : BONIFACE : directeur de la troupe LOUISETTE : sa fille MARTIN CAPUCINE PIERROT MARIE ANGE PHILOMÈNE Les auteurs laissent entière liberté pour la mise en scène à ceux qui auraient la gentillesse de la jouer en d'autres temps, en d'autres lieux. TABLE DES MATIÈRES Cliquer sur la scène désirée pour y accéder Tréteaux ambulants(1) 1 . Juju Tréteaux ambulants(2) 2 . Héloïse et l'abbé cassine 3 . Le professeur 4 . Sgagnequerelle Tréteaux ambulants(3) 5 . Blanchefleur Tréteaux ambulants(4) 6 . Poquelin n'est pas loin 7 . Les trois frères 8 . Les deux vampires du soleil levant Tréteaux ambulants(5) 9 . Les paysannes 10 . Les belles dévotes associées Tréteaux ambulants(6) 11 . La taverne de marie Tréteaux ambulants(7) 12 . Bérangère 13 . Le psychanalyste 14 . Sérénade à la Cyrano 14 . Sérénade à la Cyrano Tréteaux ambulants(8) 16 . Don juran fait le Jacques 17 . Les médecins 18 . Esméralda 19 . Don Juran amoureux Tréteaux ambulants(9) 20 . "Mission impossible" LES TRETEAUX AMBULANTS (1) Les scènes des "Tréteaux" se jouent aussi bien sur une place de village que lors d'un campement en campagne. : Ah ! Çà, ma fille, en voilà des façons ! Il me va falloir t'apprendre la politesse. Et je finirai bien par avoir raison, dussé-je employer la rudesse de quelques coups de bâton sur tes glorieuses fesses ! (BONIFACE oblige LOUISETTE à se mettre à genoux devant lui.) LOUISETTE : Crois-tu que je me laisserai piétiner sans aucune façon riposter ? (Elle lui marche sur le pied.) BONIFACE : Ah ! Çà, en voilà-t-y d'une petite garce ! Est-ce ainsi que l'on agit avec son père ? Je vais te faire passer l'envie de faire des farces... Quelques bonnes raclées sur le derrière... LOUISETTE : Encore faudrait-il que tu m'attrapes ! Quand on a le ventre comme une barrique, à force de festins et d'agapes, on a plus les jambes aussi élastiques... BONIFACE : N'empêche que j'ai pas perdu ma force de frappe ! LOUISETTE : C'est bien le seul moyen de pression que tu puisses encore exercer ! Mais laisse donc tes points en suspension ; et pour une fois, laisse-moi m'expliquer ! BONIFACE : Depuis quand une péronnelle s'autorise-t-elle un parler aussi haut ? LOUISETTE : Depuis que les pères se prennent pour Rambo et jouent les hommes exceptionnels ! BONIFACE : N'empêche qu'il est hors de question que je revois l'ombre d'un garçon à rôder autour de tes jupons. Tu as bien mieux à faire qu'à embarrasser ton esprit de je ne sais quelles folies qui ne sont pas de ton âge ! LOUISETTE : A quel âge c'est-y-donc qu'tu t'es intéressé au batifolage ? Je te rappelle que t'as trente-cinq ans et moi, dix-huit ! L'opération, elle se fait bien vite ! BONIFACE : Tu es d'une insolence ! Il la gifle ; LOUISETTE lui attrape la main et le mord. Cris d'effroi de la part de BONIFACE qui tord le bras de LOUISETTE. Arrivée de Grand MARTIN qui prend à partie BONIFACE. MARTIN : Or çà ! Je ne permettrais jamais que sur une fille on se laissât aller à de telles actions ! N'avez-vous pas le cerveau plus gros qu'une bille pour vous autoriser de telles exactions ? (Il va pour le frapper.) LOUISETTE : Quel est ce grand nigaud qui interrompt, sans qu'on lui ait rien demandé, notre scène de ménage ? Monsieur veut jouer les zorros de passage et peut-être profiter de l'occasion pour faire le joli coeur ! MARTIN : Co... co... comment... Vous... Il... Je... Et... ! LOUISETTE : Et en plus, il est tellement couillon, qu'il va lui falloir un quart d'heure pour expliquer son intervention ! MARTIN : Était-ce un mimi un mimi un... mirage ? Il semblait vous agresser ; et je le voulais rosser pour sa brutalité d'un autre âge ! BONIFACE : Et s'il lui fait plaisir et qu'elle prenne grande jouissance à être battue, giflée, tapée ou cognée, en quoi cela vous est-il de quelque importance ? LOUISETTE : Vous agissez en intrus et avec une certaine outrecuidance ! Vous étiez peut-être de bonne foi ; mais jamais, personne ne touchera à mon petit papa ! BONIFACE : C'est bien ma fille ; tape là ! MARTIN : Je n'ai pourtant pas bu plus que de raison... mais j'avoue ne pas bien cerner la situation ! Les deux acteurs se présentent : BONIFACE... et... LOUISETTE ... pour vous servir ! LOUISETTE : Nous sommes artistes amateurs ; sur les chemins de France et d'ailleurs, la troupe des Petits Tréteaux bringuebale de çi, de là, son chapiteau. BONIFACE : Et nous étions en train de répéter. BONIFACE LOUISETTE : Une improvisation. BONIFACE : C'est l'exercice indispensable avant toute représentation. LOUISETTE : Une sorte de respiration, un défoulement. BONIFACE : Si le coeur vous en dit... venez voir notre campement. MARTIN : Les gens du théâtre ont mauvaise réputation : alcooliques, fainéants, d'une moralité ô ! combien discutable, leur fréquentation est bien peu recommandable. BONIFACE : DON JUAN aujourd'hui, demain Saint François... LOUISETTE : Courtisane, catin ou bien fille de roi... notre coeur est riche d'aimer tous les gens à la fois. Chez nous, point de méchanceté ou de jalousie, et nous faisons honneur au plus grand comme au plus petit ! Au même moment, à la même époque, pas loin de l'endroit où se déroulait cette scène, une maman se demandait bien ce qu'il adviendrait dans le futur de son enfant, son garçon, car il s'agissait d'un garçon. Retour table des matières 1 . JUJU Naissance de JUJU . La salle d' un château médieval : textures médiévales, tapisseries médievales, meubles médievaux, chiens de chasse médievaux, armure médievale. Un silence médieval... un cri dans le silence. VOIX OFF : Il y a bien longtemps, au pays JURAN, naquît un jeune garçon à qui d'Utopie, dans le château du comte de DON la nature avait donné le pouvoir de la séduction. UNE FEMME : C'est un garçon ! C'est un garçon ! etc. LE PÈRE : Je suis béni des dieux ! Il sera l'honneur et la gloire de ma maison ! Une accoucheuse passe avec une marmite d'eau chaude et des linges. L'ACCOUCHEUSE : j'peux vous dire qu'il est mignonnement potelé ! Et pis, pour un garçon, c'est un garçon ! y'a pas à hésiter sur le sexe ! On ne voit que lui maintenant, y'a pu qu'à l'éduquer ! Une femme apporte l'enfant emmailloté - un baigneur, bien évidemment. PLUSIEURS FEMMES : - Oh, qu'il est mignon ! Il est adorable ! Il est tout trognon, trognon ! Cette bouche incomparable ! Je te plumerais les yeux. Et les yeux ? Et les yeux ! Et le nez ? Et le nez ! Et le ventre ? Et le ventre ! Et le...s... ? C'est le plus grand, c'est le plus beau, c'est le plus chouette ! UNE SERVANTE : Chut ! Qu'est-ce donc que l'on entend ? Ecoutez cette musique étrange ! NANOU : Il nous faut faire silence. C'est pour toi mon doux ange, de grandes dames viennent en toute magnificence ! UNE SERVANTE : Que dites-vous là ? NANOU : Ayant appris qu'un enfant nous était né, sur son berceau elles viennent se pencher. PÈRE : Mais qui ? C'est toujours le père le dernier informé ! J'aimerais pour une fois être mis dans la confidence ! MÈRE : Point n'est besoin de vous fâcher, ni de vous expliquer : car voici qu'arrivent les fées. Les fées apparaissent : moment de stupeur. SERVANTE : Mais les fées n'existent que dans les contes ! FÉE NOMÉNAL : C'est tout du moins ce que l'on raconte ! NANOU : FÉE NOMÉNAL, quel bonheur de vous voir ! Depuis plus de neuf mois j'attendais l'heureux événement qui nous amènerait à vous recevoir. FÉE NOMÉNAL : Je viens sans tarder admirer DON JURAN junior, et par les pouvoirs qui me sont conférés, lui faire don d'un trésor : de beauté glaciale, point tu n'auras ; car ton charme suffira et les femmes qui ton chemin croiseront, toutes, en pâmoison, tomberont. TOUS : Oh ! : Je vous présente la bonne FÉE RALGANT. Comme il serait bon de se voir plus souvent ! FÉE RALGAND : Moi, FÉE RALGAND, à toi DON JURAN, je promets un esprit vif et pétillant comme le champagne... Grâce à lui, tu enivreras tes compagnes ; face à tant de verve et de répartie, elles ne pourront que t'aimer à la folie ! FÉE LICIE : Et moi, FÉE LICIE... TOUS : FÉE LICIE aussi ! FÉE LICIE : L'esprit point ne suffit si l'éloquence ne vient à l'appui. La parole te sera donc facile, et tu manieras le verbe avec excellence. Toute femme, en t'écoutant deviendra docile. LE PÈRE : Merci, merci bonnes fées ! Grâce à vous mon fils partout sera fêté ! Musique sombre, éclairs, cris d'effroi. LE PÈRE : Que sont ces éléments déchaînés qui viennent troubler ce moment de douce félicité ? La FÉE BEAUCARROSSE apparaît. FÉE LICIE : BEAUCARROSSE ! Je n'en crois pas mes yeux ! Je te croyais à mille lieues ! Tu manigances encore quelque chose d'atroce ! BEAUCARROSSE : Non point, mes très chères cousines. Je viens à ce petit être faire une comptine. FÉE NOMÉNAL : Non ! De tes pouvoirs maléfiques point tu n'useras contre ce petit être que tout le monde chérit déjà ! FÉE RALGAND : Sors de cette pièce sans tarder, car contre toi, nous saurons le protéger ! BEAUCARROSSE : Mais qui vous dit que je ne viens pas ici en amie ? Comment désirer faire du mal à un être si petit ? Simplement, moi aussi, son futur je veux lui annoncer, car une nouvelle étoile est née. Oui, dans la société tu brilleras. Autour des femmes tu papillonneras et derrière toi des coeurs brisés tu laisseras. Ton charme, ton esprit, ton éloquence, on aimera ; oui, je te le prédis, de la vie tu profiteras... Mais un jour tu t'en repentiras ! Moment d'effroi. FÉE RALGAND : Tais-toi, sors d'ici avant que je ne te transforme en scarabée vinaigré, espèce de guenon mal embouchée ! GROSSEBOSSE : FÉE RALGAND toi qui te noies toujours dans un verre d'eau, ton effervescence ne me fait ni froid, ni chaud ! - Cher ange ! il te faudra apprendre la dure réalité de ton temps, et surtout comprendre les femmes de maintenant ! - Ne me raccompagnez pas ! Je connais la maison. LA MÈRE : Oh ! Tout cela est d'un si mauvais augure ! (S'évanouissant.) Si sombre apparaît maintenant le futur ! LE PÈRE : Fées, bonnes fées ! Je vous en conjure, ne pouvez-vous prendre quelques mesures pour chasser ce noir destin qui paraît être le sien ? FÉE LICIE : Calmez-vous, cher monsieur ! Ces propos ne sont pas à prendre au sérieux ; ils ne sont que jalousie de la part d'une sorcière aigrie. Votre fils sera heureux, les dés en sont jetés, croyez sur parole à un conte de fées ! NANOU Retour table des matières LES TRETEAUX AMBULANTS (2) : Quand donc allez-vous arrêter de cancaner ? Vous m'empêchez de me concentrer ! Dieux, que les bavardages des femmes sont futiles ! N'avez-vous rien à faire de plus utile ? LOUISETTE : Il semble, en ce moment, mon pauvre père, qu'un rien vous agace et vous déses père ! BONIFACE : C'est que je suis en train de travailler! Comment veux-tu que me vienne l'inspiration, si vous êtes toujours en train de jacasser ? Jamais je n'aurai écrit le texte de la prochaine représentation ! CAPUCINE : Je pense qu'il serait temps que vous songeassiez à vous remarier ! MARGOT : Vivre seul n'est pas bon ! Votre esprit s'aigrit et nous en supportons les conséquences. BONIFACE : Entouré comme je le suis en permanence d'une basse-cour de jouvencelles, la solitude n'est pas mon lot. Il faudrait être un peu ballot pour m'encombrer d'une femme nouvelle. MARGOT : Monsieur joue les misogynes. CAPUCINE : La compagnie des femmes le chagrine. LOUISETTE : Peut-être est-il un tantinet timide ? CAPUCINE : Nous pourrions jouer les entremetteuses ! BONIFACE : Filles insolentes et tapageuses, je n'ai que faire de vos propos perfides ; et la première qui ouvre son caquet s'en repentira à tout jamais. J'ai passé l'âge de minauder. MARGOT : Il est vrai que la quarantaine passée... LOUISETTE : On n'a plus autant de vigueur... CAPUCINE : Le corps est un peu encrassé... MARGOT : Comme qui dirait, y'a plus d'essence dans le moteur ! BONIFACE : Je suis suffisamment entouré de jeunes femelles pour ne pas m'encombrer davantage. A entendre vos inepties habituelles, il me prend des idées de meurtre sauvage. CAPUCINE -MARGOT-LOUISETTE (à genoux): Oh ! Non ! Nous promettons d'être sages. BONIFACE : Ah ! Quand même, il ne sera pas dit que l'homme ne fasse pas la loi chez lui. J'aime vous voir ainsi, soumises et dévouées, prêtes à satisfaire mes moindres volontés. Il suffit d'élever un peu la voix, les chattes se terrent et restent coi ! MARGOT : Espèce de bachibouzouk invertébré ! LOUISETTE : Résidu de macho à bon marché ! CAPUCINE : Article de brocante en pièces détachées. Vous n'êtes même plus côté en bourse ! BONIFACE : Mais ma parole, c'est un défi ! Figurez-vous que j'aurai encore assez d'ardeur pour en remontrer à n'importe qui. A côté de moi, DON JURAN n'est qu'un escroc de comédie ! LOUISETTE : On dit pourtant que déjà, tout petit... BONIFACE Retour table des matières 2 . HELOÏSE ET L'ABBE CASSINE : Très chère Madame, c'est toujours un honneur inestimable que la présence dans nos murs d'une dame respectable. Tout le monde reconnaît votre honnêteté et louange vos actes de charité. HÉLOÏSE : J'apprécie en toute humilité ces paroles flatteuses. De la bouche d'un autre, j'en serais toute honteuse ; mais nos liens de parenté, fussent-ils éloignés, autorisent ces accents de sincérité. Voilà malheureusement bien longtemps que je n'ai eu l'occasion de revoir notre mutuelle cousine. En avez-vous quelque nouvelle, M. l'ABBÉCASSINE ? ABBÉ CASSINE : Par cette saison, les routes sont impraticables. Quant au courrier, le fonctionnement en est inacceptable. La Bretagne est une région bien arriérée. Les indigènes y vivent encore sans eau, sans électricité ! HÉLOÏSE : Vous m'avez fait mander ; quelqu'événement d'importance ? ABBÉ CASSINE : Inutile de vous inquiéter ! Cet entretien n'aura aucune incidence sur les rapports que nous entretenons. HÉLOÏSE : Auriez-vous besoin de donation ? ABBÉ CASSINE : Non point ! Là n'est pas la question. HÉLOÏSE : Je connais, à juste raison, les difficultés financières de votre établissement. S'il vous faut une aide supplémentaire, une réunion tupperware s'organise facilement ! ABBÉ CASSINE : Ce n'est pas le sujet qu'avec vous j'aimerais aborder. Je connais votre générosité et votre dévouement ; mais c'est de votre fils que je voudrais vous entretenir. HÉLOÏSE : Mon Dieu ! Lui serait-il arrivé un accident ? Ou peut-être pire ? ABBÉ CASSINE : Non ! Non ! HÉLOÏSE : Aurait-il commis des actes de vandalisme ? ABBÉ CASSINE : Vous vous trompez. HÉLOÏSE : Ou alors l'inscription de graffitis sur les murs de Saint-Louis ? ABBÉ CASSINE : Non ! Votre fils, DON JURAN, fait preuve d'un certain individualisme. HÉLOÏSE : Mon Dieu ! Le pauvre ! Il a du mal à quitter le cocon familial ! Lui si choyé, si "coucouné" dans la demeure parentale ne s'intègre pas au groupe de ses camarades ? ABBÉ CASSINE : Je crois que vous ne percevez pas tout à fait la situation. Il ne vit pas du tout en solitaire. Et de la part des gens de sa classe, il n'est l'objet d'aucune brimade. HÉLOÏSE : Ah ! Vous rassurez le coeur d'une mère toujours prête à s'émouvoir. JUJU est tellement fragile et son sens de l'honneur extrême en fait une victime du devoir ! Sont-ce alors ses résultats scolaires qui vous alarmeraient ? ABBÉ CASSINE : Les notes qui me sont parvenues auront tout pour vous plaire. Le français est sa matière de prédilection ; premier en cours de rhétorique. Son professeur, M. le Charmant, est d'ailleurs un des meilleurs de sa génération. Et il est bon dans toutes les disciplines sans exception ! HÉLOÏSE : Mais alors, je ne vois pas vraiment ce qui vous tracasse tellement ! ABBÉ CASSINE : Disons qu'il s'autorise certaines libertés que la moralité de notre établissement ne peut en aucune façon tolérer ! HÉLOÏSE : Voulez-vous dire par là qu'il s'autorise des absences non justifiées ? En aucune manière son père, ni moi, ne justifierons ce manque de régularité. Il va avoir intérêt à se méfier ! ABBÉ CASSINE : Rien à dire sur la ponctualité ! Le problème est, plus précisément, tout au contraire, son assiduité. HÉLOÏSE : Ah ! Me voilà rassuré ! ABBÉ CASSINE : Son assiduité auprès de la gent féminine. C'est encore un enfant, mais oh combien précoce ! HÉLOÏSE : Jésus, Marie, Joseph ! Je pressens quelque chose d'atroce ! ABBÉ CASSINE : Rien de tragique encore, mais ses façons, à n'en point douter, laissent présager une crise d'adolescence légèrement en avance par rapport à la normalité. HÉLOÏSE : Mon fils serait-il un surdoué ? ABBÉ CASSINE : En quelque sorte. Mais les prédispositions dont il fait preuve et l'énergie qu'il dispense pour les mettre en oeuvre doivent être canalisées. Il ne faudrait pas sauter trop vite les étapes qui le mèneront à la maturité. HÉLOÏSE : Votre discours est bien celui d'un jésuite ! Soyez, je vous prie, un peu plus explicite ! ABBÉ CASSINE : Depuis peu, la mixité dans notre école a été instaurée. Cela ne fut pas sans drame et sans moult pourparlers ! HÉLOÏSE : Et en quoi cette innovation aurait-elle des répercussions dans le domaine de l'éducation ? ABBÉ CASSINE : Et bien pour parler franc, il faut bien avouer que votre enfant s'autorise des gestes surprenants. Mais je préfère que frère JÉRÉMIE qui s'est occupé de lui jusqu'ici vous mette au courant des événements. FRÈREJEAN DEL'ENTONNOIR : Madame, je n'irai pas par quatre chemins pour vous parler de votre gamin : l'autre jour, et c'est un exemple pour vous éclaircir, je l'ai surpris à soulever les cotillons de je ne sais plus quelle jeune fille, pour en admirer dentelles et jupons. HÉLOÏSE : Peut-être n'était-ce qu'un jeu de garçon ? Un amusement, un pari ; pour tout dire une broutille ? FRÈRE JEAN DE L'ENTONNOIR : Vous êtes comme toutes les mères, prête à pardonner le moindre écart, la moindre peccadille ! HÉLOÏSE : Vous vous trompez ! Mais il est des jeux innocents ! Ne connaissez-vous point la marelle, les concours de billes ? J'ai peur que votre imagination ne s'emporte et ne voit le mal où il n'est pas. FRÈRE JEANDE L'ENTONNOIR : Un sursaut de pudeur m'a fait porter les yeux ailleurs ; mais ces investigations, je dirai même ces explorations, ont dû aller jusqu'au caleçon ! HÉLOÏSE : M. L'abbé, vous fantasmez ! FRÈRE JEANDEL'ENTONNOIR : On a retrouvé dans son bureau nombre de petites culottes, et lingeries fines. Et même si les filles sont un peu tête de linottes, elles oublient rarement leurs sous-vêtements. Lorsqu'elles deviennent un peu plus coquines, les choses se passent autrement. Mais à leur âge... ! HÉLOÏSE : Mais mon fils n'a que dix ans ! FRÈREJEAN DEL'ENTONNOIR : Justement, je crains le surmenage ! Non qu'il faille extrapoler sur ces jeux d'un autre âge et s'inquiéter outre mesure. ABBÉ CASSINE : Mais certaines mamans dans la discrétion du parloir réclament des sanctions exemplaires. Je ne peux bien sûr l'exclure, mais je ne puis, non plus, me taire. HÉLOÏSE : Merci, mon père, merci mon frère de m'avoir parlé aussi délicatement de ce genre d'affaire. Je crains qu'en cette matière, il ne tienne de son père ! Il ne faut pas trop lui en vouloir ! Vu son jeune âge, nous avions laissé de côté la sexuelle éducation. Mais ses excentricités nous obligent à plus de circonspection ! ABBÉ CASSINE : Je vous sais gré de votre compréhension. FRÈRE JEAN DE L'ENTONNOIR : Soyez cependant assez ferme. Le châtiment corporel a parfois des effets providentiels. Quelques coups de cravache sur l'épiderme activent la circulation. Il faut mâter notre corps, toujours en proie à de terribles tentations. HÉLOÏSE : Le corps a ses raisons que la raison ne connaît pas. ABBÉ CASSINE : Et La Transcendance, dans ses desseins cachés, conduira peut-être votre garçon sur une voix inespérée. ABBÉ CASSINE : La femme, éternelle provocatrice, sait de nos démons, jouer avec délice ; mais par essence toujours imparfaite, elle nous mène de victoire en défaite. La femme est un obstacle qu'il nous faut mieux contourner plutôt que de nous y casser le nez ! HÉLOÏSE : J'ai craint métaphore plus osée ! L'image ainsi développée semblait un peu cavalière ! Mais vous maniez la langue avec dextérité. J'espère que vous me pardonnerez, mais la misogynie des abbés est assez coutumière. De façon générale, il faut bien dire que l'homme trouve toujours des excuses à son manque de maturité. Et si la femme exerce sur lui un tel pouvoir de séduction, c'est qu'il se trouve démuni de toutes ces perfections, qui font notre intégrité ! FRÈREJEANDE L'ENTONNOIR : Comment ne pas sourire et ne pas applaudir à votre humour, tout en charmes déliés. ABBÉ CASSINE : Voilà une élégante façon de terminer une discussion bien mal commencée ! Je plains les époques où l'on aura perdu l'art de marivauder ! FRÈRE JEAN DE L'ENTONNOIR Retour table des matières 3 . LE PROFESSEUR Même décor que pour le tableau 2 : HÉLOÏSE et l' ABBÉ CASSINE. Maître CASANOVA : D'abord, sachez que le sexe féminin, qui de la côte d'Adam fut extirpé, par sa nature même, est donc handicapé ; et il garde toujours le sentiment lointain d'être en état d'infériorité. A ce complexe premier et originel s'ajoute l'état de dépendance que, fille, matrone ou péronnelle subit dès sa plus tendre enfance. Ayons toujours en tête ces quelques évidences, si de la fable nous ne voulons être la risée. JUJU : Par ma foi, je retiendrai cette leçon. C'est le B A BA de mon éducation. CASANOVA : Le premier travail consiste donc à l'apprivoiser. La beauté est un atout supplémentaire, mais l'essentiel est le beau parler. Point de langage rudimentaire. Ce qui compte, c'est l'éloquence. Aussi, nous allons faire quelque exercice en guise d'expérience. Pour tester vos capacités : une femme vous charme, elle est cantatrice, qu'allez-vous lui raconter ? JUJU : Votre voix est enchanteresse. CASANOVA : C'est un peu court. JUJU : Votre voix est enchanteresse et a la rondeur de vos fesses. CASANOVA : C'est un peu vulgaire. JUJU : Votre voix enchanteresse me plonge dans la détresse. CASANOVA : C'est d'un tragique élémentaire. JUJU : Ton chant est celui d'un rossignol prisonnier dans sa cage ; veux-tu qu'avec toi je m'envole ? Je t'offre ma solitude en partage. CASANOVA : Plus bucolique qu'érotique, mais très sincère. Voilà le secret : l'accent de la sincérité qui fera les donzelles se pâmer. Leur ignorance extrême leur fait tout accroire. D'une naïveté parfaite, elles constituent le meilleur auditoire. JUJU : Il va donc falloir tant de précautions avant que de pouvoir passer à l'action ? CASANOVA : Les femmes aiment, et c'est pure futilité, qu'on les flatte et les complimente sans cesse. Pour elles, les mots sont des caresses ou encore de petits sucres qu'elles adorent grignoter. JUJU : En cela, semblable aux animaux, elles sont donc prêtes à toutes les bassesses ; et même à faire le beau, assises sur leurs petites fesses, pour s'entendre dire un bon mot ou une quelconque délicatesse ? CASANOVA : Et oui, il en est ainsi. Pour leur petit coeur qui tressaute au moindre émoi, la rhétorique et la stylistique sont les deux mamelles de la séduction. Le reste, tu n'as plus qu'à l'apprendre sur le tas. Et la meilleure école du polisson, c'est encore celle du buisson. HÉLOÏSE (sa mère) : Mon cher maître, vous ici, et je ne le savais pas ! Tous mes remerciements de le vouloir bien guider dans ses premiers pas. Maître CASANOVA : Certes, Madame, certes, et je ne doute pas de voir en votre fils un sujet brillant à l'avenir prometteur ! HÉLOÏSE : Il est vrai que ses résultats scolaires ont toujours été des meilleurs. Pas un sujet, pas une matière qu'il n'ait travaillé avec application, corroborant en cela de l'ABBÉ CASSINE les prédictions. Sept ans déjà, sept depuis cette conversation... mais, c'est oublié ! Je suis ravie de voir mon fils enclin à la courtoisie et suivre votre enseignement avec assiduité. Car je veux que tu te conduisis en homme courtois ! JUJU : Oui, mère. HÉLOÏSE : Un fils dont on peut être fière, oui, vraiment ! Sans vouloir, comme toutes les mères, les mérites de son enfant vanter ; en toute objectivité, on doit reconnaître qu'il est charmant. Avez-vous déjà vu un homme ayant aussi belle allure ? Nous avons veillé qu'à tous les sports son corps fut rompu. Il fallait qu'à un esprit subtil s'associât un physique aussi habile. : Je crois que vous pouvez être satisfaite du résultat ; et que, même, de vos espérances, il va au-delà. HÉLOÏSE : JUJU n'est pas parfait... pas tout à fait, mais nous sommes toute générosité pour nos enfants et nous gommons leurs petits défauts avec indulgence. Il ne lui manque plus que les belles manières ; mais, je ne doute pas qu'entre vos mains, il ne devienne en cela un expert. CASANOVA : Vous pouvez compter sur ma diligence... HÉLOÏSE : Quand vous aurez fini, j'aimerais te présenter une cousine éloignée. Dans notre pays, nouvellement arrivée, elle ne connaît pour ainsi dire personne. En pension chez les soeurs "Blanche Pastille ", donc d'une éducation parfaite, elle m'a été recommandée par la soeur couturière, Pascaline, auprès de qui elle passe ses journées, brodant dentelles et repassant chemisiers. J'aimerais que tu la voies et lui tiennes compagnie honnête. Elle est un peu désorientée et très discrète. Je compte sur ton amabilité pour que son séjour soit le plus agréable possible. Et puis, de cette occasion, saches profiter. CASANOVA : Nous avions juste fini. Permettez que je prenne congé. Mes conseils, par ce jeune ami, seront, je crois, bien écoutés. HÉLOÏSE : Monsieur, je vous présente Mlle LÉONTINE. C'est encore une enfant. Je vous la confie pour un moment. Elle a bon coeur et belle mine : soyez son prince charmant. (Elle sort.) Entrée de LÉONTINE . Révérence à DON JURAN. Elle laisse tomber son mouchoir. Elle se penche ; DON JURAN fait de même. Ils remontent tous les deux. Elle laisse retomber le mouchoir. DON JURAN (en aparté ) : Puisque l'on m'a dit "Ose", Osons ! (Il lui prend la main.) Quel agréable parfum de fleurs à peine écloses. Vous me voyez bienheureux, Mademoiselle de vous accueillir en cette demeure. LÉONTINE : Je ne suis pas habituée à tant de grandeurs ! DON JURAN : Vous vous y ferez, car une perle rare a toujours besoin d'un bel écrin ! (En aparté.) Un peu facile celle-là ! Il faudra que je fasse mieux la prochaine fois ! LÉONTINE : Monsieur, je ne crois pas... DON JURAN : Ne soyez pas intimidée. Je ne veux que vous parler. LÉONTINE : Vraiment, ne me jugez pas impolie, mais... jamais... auparavant... je ne me suis trouvé... seul... avec... un garçon ! DON JURAN : N'y en a-t-il point dans l'établissement que vous fréquentez ? LÉONTINE : Que non ! La mère supérieure ne saurait le tolérer ! DON JURAN : Cela me laisse songeur, un établissement de filles seulement composé ! Quel rêve de pouvoir y poser le pied le premier ! Et voir défiler des centaines de visages féminins et tout autant de jupons coquins ! Tout cela sans aucune sorte de compétition... J'en ai des frissons !... Mais je m'éloigne du sujet, je crois, de notre conversation. Étiez-vous incollable en version latine ? Ou votre penchant vous conduisait-il plutôt vers des matières plus scientifiques ? LÉONTINE : Je n'entends pas grand-chose à tous ces termes techniques. Mes parents n'étaient pas très argentés ; et c'est par pure charité qu'à "Blanche Pastille" l'on m'a acceptée. Aux travaux d'aiguilles, je me suis toujours bien appliquée, en pensant un jour en faire mon métier. DON JURAN : D'aussi belles mains, si fines, ne sont pas nées pour travailler ! N'avezvous donc jamais pensé à vous marier ? D'une bonne épouse, vous avez pourtant toutes les qualités : jolie, douce et docile, sachant s'occuper d'une maison. Il serait surprenant qu'un jour, quelqu'un ne saisisse pas l'occasion ! LÉONTINE : Mais, je ne veux point me marier... à moins d'aimer ! DON JURAN : Et de qui pensez-vous tomber amoureuse ? LÉONTINE : D'un gentilhomme qui saura me rendre heureuse... quelqu'un comme vous... peut-être ? DON JURAN : Dans ce cas, puis-je me permettre ? (Il l'embrasse.) CASANOVA : LÉONTINE laissa retomber son mouchoir, JUJU le reramassa ; elle lui prit innocemment la main. DON JURAN : Mon Dieu ! Mes genoux tremblent, des gouttes perlent à mon front ! Pourquoi cette excitation ? Elle en est la cause, il me semble ! VOIX OFF : Les choses ne pouvaient en être autrement. Car tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement fait pour la meilleure fin ! Le jeune homme baisa innocemment la main de la jeune demoiselle avec une vivacité, une sensibilité toute particulière. Leurs genoux tremblèrent, leurs yeux s'enflammèrent, leurs mains s'égarèrent, leurs bouches se rencontrèrent. Le papa arriva et voyant cette cause et cet effet... PAPA : Sacrebleu ! Je n'en crois pas mes yeux ! Mon propre fils ! Dans ma propre maison ! Sous mon propre toit ! Dans mon propre salon ! Avec sa propre cousine ! DON JURAN : Pour le moment, dans de sales draps ! Mon père ce que vous avez surpris n'était qu'un vertueux baiser, comme celui donné par un frère à sa soeur tendrement aimée. PAPA : Soeur ? Frère ? Et qui t'apprit donc de telles manières ? DON JURAN : Sans doute une donnée héréditaire du côté de mon père ! PAPA : Voilà une attitude que je ne saurais tolérer ! Et tu vas sur-le-champ t'excuser auprès de cette jeune fille que tu as effrayée ! DON JURAN : Elle n'a pas eu l'air effarouché que je la baise ! PAPA : Tu oses à ton père t'affronter ! A ton aise ! Quelle jeunesse que celle d'aujourd'hui ! Aucune morale, aucune valeur, aucun respect !... Tu te conduis comme un valet ! DON JURAN : Mais mon père, nous sommes au XVIII° siècle ! PAPA : Nous serions au XX° que la colère m'étoufferait tout autant ! Qu'advient-il donc des parents qui laissent leurs enfants se dépraver ainsi ? DON JURAN : Mon père, une telle étroitesse d'esprit... PAPA : Étroit d'esprit, moi ? Moi qui soutiens toute nouvelle invention ! Et qui vient d'un demi-écu, mes gens augmenter ! Jusqu'ici, j'ai tout supporté. Mais les rumeurs qui circulent à ton égard se sont heurtées aux portes du château, et trop, c'est trop ! Tu n'apportes que honte et déshonneur sur ta famille. Tu n'es qu'une chiffe molle, une guenille, uniquement occupé à son propre plaisir et qui se soucie comme d'une guigne de ceux qui l'entourent ! DON JURAN : Mon père, puisque cela est votre plaisir et que vous le dites avec tant d'humeur, je ne puis qu'obéir ! Et si DON JURAN fait du libertinage son unique préoccupation, la cause en sera à tout jamais la parentale éducation. PAPA : Insolent, qui plus est ! Attends, tu vas voir, je vais te donner une leçon que tu n'es pas près d'oublier... (le chasse à coups de pied) VOIX OFF : LÉONTINE s'évanouit. Et tout fut consterné dans le plus beau et le plus agréable des châteaux possibles ! VOIX OFF Retour table des matières 4 . SAGNEQUERELLE Suite au renvoi du château à grands coups de pied dans le derrière : une place de village. (une actrice sur scène qui raconte) : Pendant ce temps là, à quelques lieues de l'endroit où se déroulait cette altercation, un gentil valet en quête de situation, ressortait de l'agence pour l'emploi, d'où on l'avait éconduit pour la énième fois. VOIX OFF Sur la place, quelques bohémiennes disaient la bonne aventure aux villageois. Arrivée de JUJU . : Oh ! la la ! Mon bon seigneur ! Quelle prestance et quelle allure ! ! ! Laissez moi voir les lignes de votre main afin que je vous prédise votre destin. JUJU : Laissez-moi passer mon chemin. Je ne suis point d'humeur à la plaisanterie. De chez mon père, viens d'être chassé à grands coups de pied. Le destin a des manières qui me font mal au derrière. DISEUSE : A voir votre beau maintien et votre haute stature, un avenir bienheureux vous semble promis. JUJU : Je me demande si l'avenir appartient à ceux qui se font rosser le bas du dos. Je ne suis pas un homme susceptible, mais je suis un homme délicat, et avoir les deux fesses aussi molles que deux abricots me paraît de mauvaise augure pour la suite de l'aventure. Pendant ce temps, le coffre de JUJU est volé par des complices des bohémiennes. SGAGNEQUERELLE (intervenant) : Monseigneur... Monseigneur... DISEUSE : Au hit parade de la renommée, vous serez le premier. Mais la bonne étoile sous laquelle vous êtes né vous conduira peut-être où vous ne le pensez pas. SGAGNEQUERELLE : Monseigneur... Monseigneur... DISEUSE : En voilà d'une fine main faites pour les trop pleins, les déliés, les courbes avenantes et les courbures descendantes ! Mais je vois là une ligne qui se fourvoie et qui ne sait plus se diriger, ni à quel saint (sein) se vouer ! SGAGNEQUERELLE : Monseigneur... Monseigneur... JUJU : Ne vois-tu pas qu'il n'est point l'heure de perturber par tes excentricités les promesses de ma destinée. Va jouer plus loin, manant ! SGAGNEQUERELLE : Rien ne sert de... JUJU : Or ça ! Je n'en supporterai pas davantage ! Veux-tu me rendre fou de rage ? Que je te tire les cheveux ? Que je t'écrase le nez ? Que je te bleuisse les yeux ? SGAGNEQUERELLE : La ire est mauvaise conseillère. Mais je m'abaisse devant la colère. Je suis un pleutre, un lâche et un chenapan. Mais votre bagage, pendant ce temps là, s'est fait la valoche, et en guise de remerciements, je ne reçois que des taloches. Je suis venu, j'ai vu, et j'en ai plein le... JUJU : Tut tut ! ! ! Pas de mots grivois, je te prie ! Nous ne sommes plus que toi et moi. Quel est ton nom ? Et que fais-tu ? SGAGNEQUERELLE : Je me nomme SGAGNEQUERELLE, au chômage depuis un mois, sur les pavés je bas la semelle, ne sachant que faire de mes dix doigts. JUJU : Et d'où te provient ta subsistance ? SGAGNEQUERELLE : Voilà mon angoisse en permanence ! Plus d'allocation, plus de R M I ; aux plus pauvres, rien n'est jamais permis ! JUJU : Quelle bonne aubaine tu as de me rencontrer ! Et comme le hasard fait bien les choses ! Avec moi, tu vas convoler. Tous deux, nous verrons l'avenir en rose ! SGAGNEQUERELLE : Je ne suis pas celui que vous croyez, et la rose, elle est bien fanée. DISEUSE : Tu es un grand benêt ! Mais tu as de l'humour. Et humour rime avec amour. Mais ne te mêles pas de politique ! Voilà un sujet qui n'a rien de comique ! Par chance, on ne te demande pas ta voix pour approuver des lois auxquelles tu serais complètement hermétique. SGAGNEQUERELLE : Et où allons-nous, mon cher maître ? JUJU : Moi même, je ne le sais pas. Mais en chemin, nous rencontrerons bien quelque morceau de choix, quelque friandise exquise, ou quelque robe de soie. Des filles, flatter la bêtise, et oeillet par oeillet dégrafer la chemise, voilà un divertissement digne de moi ! Tu seras le spectateur muet de tous mes exploits. JUJU Retour table des matières LES TRETEAUX AMBULANTS (3) MARTIN :Monsieur... je ne sais... mais il faut... Ah ! Que c'est difficile... Comment arriver... Voilà !... Et bien... BONIFACE : Mets le starter si tu as des difficultés à t'exprimer ! MARTIN :Je suis trop ému... Les mots dans mon coeur sont comprimés. BONIFACE : Respire et jette-toi à l'eau. Me parler n'est tout de même pas un problème ! MARTIN :Et bien sachez, monsieur, que je vous aime ! BONIFACE : Ai-je bien entendu les propos ? Si oui, je crois que je vais me fâcher ! MARTIN :Non, ma langue a fourché. C'est de votre fille que je suis amouraché. BONIFACE : Évite, je te prie, ce genre de confusion ; ce n'est pas à moi qu'il te faut faire ta déclaration. MARTIN :Mais, d'amour transi, je n'ose l'aborder... BONIFACE : Tu ne voudrais tout de même pas que je me fasse le traducteur des sentiments secrets qui bouleversent ton coeur ? MARTIN :Oh ! Si, je vous en prie ! Soyez mon professeur ! BONIFACE : Je n'ai aucune pédagogie en matière de séduction. Fie toi à ton flair ! Fonce, appuie sur le champignon ! MARTIN :Vous me donnez l'autorisation:je peux passer à l'attaque ? BONIFACE : Ma fille est un vrai bastion, et tu auras usé toutes tes munitions avant que de son coeur la porte ne craque ! MARTIN : Ça m'étonnerait, ma passion, c'est de la dynamique ! BONIFACE : Moi qui croyais que la bêtise avait des limites, il a du péter pas mal de boulons pour être aussi couillon. Retour table des matières 5 . BLANCHEFLEUR. Décor : une ruelle de village - des passants. DON JURAN : Mademoiselle, puis-je vous demander un renseignement, s'il vous plaît ? Je tourne en rond depuis un moment, le sens de l'orientation me fait défaut. BLANCHEFLEUR : Monsieur ! Passez votre chemin au plus tôt ! DON JURAN : N'ayez crainte ! Je suis un homme comme il faut ! BLANCHEFLEUR : Il est vrai que vous m'avez l'air d'un homme élégant ; et vos manières ne sont pas celles d'un manant. DON JURAN : Vous-même ne ressemblez point à celles que de coutume, l'on voit arpenter le bitume. Il se fait tard : c'est déjà le soir ! L'on pourrait se méprendre et croire que vous faites le trottoir ! BLANCHEFLEUR : Vos paroles me laissent tout ébaubie ! J'ignore le sens de ce que vous avez dit. DON JURAN : Heureusement pour vous, ma chère enfant ! Vous êtes innocence et pureté. Vous ne devriez pas déambuler sans être accompagné. Cela ne me semble pas très prudent. BLANCHEFLEUR : Ma mère est gravement souffrante, et je courrais chez l'apothicaire quérir un lot d'herbes astringentes. C'est un remède sans effet secondaire, uniquement composé à base de plantes. DON JURAN : Et qui plus est, vous êtes la fille rêvée, sacrifiant sa jeunesse au chevet d'une mère alitée. Ah ! Que ne suis-je à sa place pour que de moi vous vous occupiez ? BLANCHEFLEUR : Pardonnez mon impolitesse, mais c'est que le temps me presse ! DON JURAN : Qu'à cela ne tienne ! Mon valet se chargera de la peine ! BLANCHEFLEUR : Je suis confuse et bien embarrassée ! DON JURAN : Ne soyez pas dans la gêne ! Il va courir chercher vos petites graines, et moi je vais vous raccompagner. BLANCHEFLEUR : Il est vraiment rare de rencontrer, surtout à cette heure-ci, un jeune homme tel que vous, aussi bien mis ! DON JURAN : Je suis le bon samaritain, toujours soucieux du corps de mon prochain ; et je ne voudrais pas que vous fassiez quelque fâcheuse rencontre : la ville est bien mal famée. Si un individu patibulaire se montre, je saurais vous protéger. BLANCHEFLEUR : Avec vous je me sens en toute sécurité ! DON JURAN : Mais vous allez prendre froid ! Veuillez endosser cet habit. (Il en profite pour la caresser.) BLANCHEFLEUR : Mais, c'est doux ! DON JURAN : Lavé avec Mir laine ! Un produit qui fait tout ! BLANCHEFLEUR : Je vous remercie grandement de votre galanterie ! DON JURAN : Serrez-vous contre moi, ma chaleur vous réchauffera. BLANCHEFLEUR : Je ne sais si je dois : si une voisine me voit, Dieu sait ce qu'elle échafaudera ! DON JURAN : De médisance et de bassesse, il ne faut point vous occuper. Ce ne sont souvent que ragots de vieille fille frustrée qui contemple pieusement leurs petites fesses en mal d'être interpellées ! BLANCHEFLEUR : Il faut cependant respecter certaines convenances. Il est des choses qui ne sont autorisées, en toute pleine licence, que lorsque l'on est marié ! DON JURAN : Et c'est toi, toi qui prononces le mot, le mot magique qui me fait rêver ! BLANCHEFLEUR : Je ne comprends pas ! DON JURAN : Toi ! Toi et moi ! BLANCHEFLEUR : Dans le même pyjama ! : Oh ! Ma douce colombe ! Ma fleur inédite ! Il a fallu ce hasard, cette heure tardive, cette rencontre fortuite, ta maman à l'agonie pour que nous voilà réunis ! BLANCHEFLEUR : Mais maman n'est pas morte ! DON JURAN : Non ! Mais c'est notre amour qui vit ? BLANCHEFLEUR : Qui vous dit qu'ainsi je réagis ? DON JURAN : Il ne peut en être autrement, je le vois à tes joues toutes rougies ! BLANCHEFLEUR : Mes joues rougeoient? DON JURAN : Comme il se doit ! Et ton regard est amoureux ! BLANCHEFLEUR : De toi ? DON JURAN : C'est inscrit dans l'encre de tes yeux ! BLANCHEFLEUR : Je ne sais pas écrire ! DON JURAN : Mais ta bouche peut me le dire ? BLANCHEFLEUR : Et quoi ? DON JURAN : Que tu n'aimeras que moi ! BLANCHEFLEUR : Et comment ? DON JURAN : Cela s'apprend. BLANCHEFLEUR : Je suis bien naïve ? DON JURAN : Mais pas du tout craintive ! BLANCHEFLEUR : J'ai peur, je crois ! DON JURAN : C'est toujours comme ça la première fois ! BLANCHEFLEUR : Et après, on s'habitue ? DON JURAN : On est toujours aussi assidu ! BLANCHEFLEUR : Tu m'apprendras ? DON JURAN : Autant de fois que tu voudras ! BLANCHEFLEUR : Mais, au moins, serez - vous fidèle ? DON JURAN : Comment peux-tu en douter ? BLANCHEFLEUR : Tu es mon chevalier providentiel ! DON JURAN : Et toi, un pigeon tout trouvé ! BLANCHEFLEUR : Je ne suis pourtant pas très belle ! DON JURAN : Crois en un connaisseur, j'en ai vu de plus vilaines ! BLANCHEFLEUR : Je ne suis même pas maquillée ! DON JURAN : Mais le teint le plus beau est le teint naturel ! BLANCHEFLEUR : Mes gestes sont gauches ; et mes paroles à sortir ont de la peine ! DON JURAN : Je me ferai un plaisir de t'éduquer. BLANCHEFLEUR : Mais auparavant, il faudra à mes frères demander ma main. DON JURAN : Inutile de perdre du temps : j'irai dès demain ! SGAGNEQUERELLE : Voilà les infusions que vous m'avez demandées : poudre de fleurs écrasées, racines de pissenlits prémâchés, et concoctions de feuilles d'ortie prédigérées... BLANCHEFLEUR : Grands mercis ! C'est maman qui va être contente ! Et puis je suis sûre que de nous savoir bientôt unis, elle n'en sera que plus vite guérie ! SGAGNEQUERELLE : Mon maître ne va pas me dire... DON JURAN : Si, je vais te le dire ! SGAGNEQUERELLE : Je vous savais rapide, mais votre célérité à prendre une telle décision me laisse tout pantois ! BLANCHEFLEUR : Je m'éclipse discrètement. Bien le merci encore une fois ! SGAGNEQUERELLE : Mon maître enchaîné par les liens du mariage ? DON JURAN : Moi, la corde au cou ! ! ! Mais tu es fou : je testais simplement le bon fonctionnement de ma mécanique verbale : en cet art, je ne me pardonnerais aucun dérapage ! SGAGNEQUERELLE : Il est malade ! Complètement malade ! DON JURAN : La séduction est avant tout une affaire de logique, un jeu cérébral ; tout est affaire de tactique. DON JURAN : Vous êtes bien un scientifique : sans émotivité aucune, rien qu'une carcasse métallique ! Il est vraiment malade ! DON JURAN : Cette jeune fille facile m'offre un plaisir enfantin : celui de jauger de ma capacité ; l'observation et l'analyse psychologique sont les armes essentielles à mon action conquérante et rebelle. SGAGNEQUERELLE : Et bien, moi, je ne suis pas celui que vous croyez ! DON JURAN : Pourtant, tu as l'insigne honneur, à ma fréquentation, de pouvoir parfaire ton éducation. SGAGNEQUERELLE : L'éducation sexuelle est une affaire individuelle. Je n'ai point besoin de tous ces beaux discours pour faire l'amour ! DON JURAN : Voilà à quoi tu t'abaisses ! Quelle grossièreté ! Quelle absence de finesse ! Qui veut faire l'amour fait d'abord la guerre : c'est le premier commandement de la charte de DON JURAN ! SGAGNEQUERELLE : Misère ! Misère ! Quand je disais qu'il était atteint ! Je crois qu'il faudrait vous mettre en quarantaine pour éviter l'épidémie ! A vous tout seul, vous êtes un bouillon de culture malsain, plus dangereux que toute une armée de fantassins ennemis ! Mais pourquoi est-ce que je reste à votre service ? DON JURAN : Sans doute prends-tu un certain délice dans la manifestation de mes vices ! L'homme est ainsi fait que toujours il se complaît dans le spectacle des sévices dont il n'est pas l'objet ! C'est une chance encore quand il ne trouve pas quelque critique à formuler, après une représentation publique, où il s'est bien défoulé ! SGAGNEQUERELLE : De toute façon, vous avez toujours le dernier mot ; et je suis bien assez sot de vouloir m'essayer à tenter d'essayer de vous persuader ! SGAGNEQUERELLE Retour table des matières LES TRETEAUX AMBULANTS (4) : Ma pauvre chérie, si tu savais comme j'ai le trac ! J'ai les genoux qui s'entrechoquent et les dents qui claquent. MARGOT : C'est pourtant pas la première fois qu'on va jouer devant un parterre populaire ? CAPUCINE : Non. Mais j'ai peur que le spectacle soit foutu en l'air ! Pourquoi ton père a-t-il donné le rôle de DOM JURAN à ce grand chenapan tout dégingandé ? LOUISETTE : Tu n'as qu'à lui demander. Il m'est cependant avis qu'il a du charmeur la belle figure et du séducteur la plaisante envergure . MARGOT : On dit que l'amour rend aveugle . Chez toi, c'est la cécité totale. LOUISETTE : Pas le moins du monde ! Certes, il, a un beau physique ; mais il a pas le mental. CAPUCINE (se moquant) : Il a pas le mental, il a pas le mental, c'est pas le problème ! LOUISETTE : C'est où qu'il est le problème ? CAPUCINE : Quand, en jouant, tu es obligé de lui parler à deux doigts de la bouche, son haleine, elle sent pas l'eau minérale. MARGOT : Cigarettes et bière pression, je te dis pas l'infection ! Et puis il est tout moite. Tout ça pour te dire qu'il a pas la peau adéquate Il est tant imbibé que son corps est spongieux . LOUISETTE : Ben au moins, lui, il est pas prétentieux ! S'il y en a une qui veut me laisser sa place...Moi, je lui trouve une certaine classe ! PIERROT (arrivant) : C'est de moi que l'on vante ainsi l'allure ! Je suis, il est vrai irrésistible ! Mais il n'y a pas que la devanture. Mon coeur fond à la vue de vos charmes indescriptibles. CAPUCINE : Il n'y a pas que le coeur qui fond. PIERROT : Qu'a donc cette CAPUCETTE ? L'aurais-je heurté de quelque façon ? CAPUCINE et MARGOT s'en vont. LOUISETTE : Laisse-la mariner dans son aigreur. Viens, je vais te faire réciter ton rôle par coeur. (Elle l'embrasse.) Dis, c'est vrai que tu es un peu collant... PIERROT : Si je suis ainsi en nage, la cause en est la ribambelle de toutes ces belles, source de mon surmenage. Cependant tu es la plus divine représentante de cette flore féminine et je te veux rendre hommage LOUISETTE : Toi, tu es vraiment le plus beau cabot de la troupe des Petits Tréteaux. Tu es vraiment trop ! PIERROT : Bourreau des coeurs est mon surnom. Je veux m'en faire un nom. CAPUCINE Retour table des matières 6. POQUELIN N'EST PAS LOIN Décor : la scène représente une place de village, avec sur la droite, une taverne ; sur la gauche une esplanade de verdure. Tout au long de ce premier acte, nombre de mouvements doivent avoir lieu sur scène. Marchands ambulants, commères, et du monde plein la taverne. (personnage plein de truculence ; style Commedia D'el Arte) : Ne vitesvous point mon maître ? Un homme on ne peut plus inquiétant ! Moi qui vous parle, SGAGNEQUERELLE, je vis à ses crochets depuis bien longtemps ; et quand je dis à ses crochets... la métaphore est osée, car de délicatesse ou d'argent, j'en suis pour mes fesses ; et d'écu, n'en vois point la couleur. MARIETTE (jeune femme aguichante, elle étend son linge) : Et pourquoi donc ne point chercher compagnie plus honnête ? SGAGNEQUERELLE : Ma chère MARIETTE, pour franc parler, j'ai les fouettes. (Il mange des grappes de raisins et en donne quelques grains à MARIETTE.) C'est un homme diablement intelligent. Fin politique, expert en matière de condition féminine : fleur bleue, minettes, Marie-Charlotte, plombières, avocates ou médecins, tout est bon pour ce chenapan. En un mot, un vrai baroudeur des coeurs, un vrai mercenaire de la chair. MARIETTE (elle rit) : En voilà-t-y d'un coureur qui doit être doublement offusqué et scandalisé d'une loi qui dernièrement fut votée et dorénavant punit expressément toute agression sexuelle. (Elle montre du doigt, comme pour le gronder, SGAGNEQUERELLE.) SGAGNEQUERELLE : Mais à cette loi, il n'est point rebelle. C'est un filou de la plus belle espèce. Il se réjouit pleinement de ce nouvel amendement. Cette contrainte supplémentaire, il s'en tape le derrière : car jamais au lit ne fut pris en flagrant délit. MARIETTE : Comment donc cela se fit ? (Vient s'asseoir à côté de SGAGNEQUERELLE , coquine.) SGAGNEQUERELLE : Ne le vites-vous point ? Il a un nez... le sens du flair développé, aussi bien pour trousser jupons (il en profite), que pour esquiver les situations inconfortables. Quand je pense que le nez protubérant, j'en prends Freud à témoin, est le symbole d'une sensualité débordante... DON JURAN (par derrière, les surprenant) : Sacrebleu ! Saperlipopette ! Quelles sont ces sornettes que tu déblatères ? SGAGNEQUERELLE : Monsieur, je... (Il joue le peureux au maximum.) DON JURAN : Vous... SGAGNEQUERELLE : Je... DON JURAN : Vous ? SGAGNEQUERELLE : Je louangeais auprès de MARIETTE votre appendice facial. DON JURAN (très grandiloquent) : Nez étiré et cossu vaut mieux que nez écrasé ou tordu. Comme Pantagruel sa braguette, c'est l'orientateur fiable, (séduisant MARIETTE), le radar sans défaut qui s'anime et frissonne à la moindre alerte. Hypersensible roquette, renifleuse de toutes mes conquêtes, un vrai cap Canaveral en quelque sorte. Au moindre OFNI, il vibre et palpite... MARIETTE : OFNI ? DON JURAN : Objet féminin non identifié... Maintenant, ma belle (il la cajole au maximum), il te faut vite t'évanouir, car avec mon valet je dois m'entretenir. MARIETTE (ramasse son panier à linge) : Prenez garde de prendre froid : votre excroissance nébuleuse n'y résisterait pas. Partant de là, plus de petits poissons au bout de l'hameçon. SGAGNEQUERELLE : Tu mériterais, perfide péronnelle, que je te fasse passer l'envie de plaisanter. De nos jours, les filles sont d'une insolence qui me désarme. SGAGNEQUERELLE, trouves-nous gîte pour la nuit. Pendant ce temps je m'en vais flairer les environs et voir s'il n'y a quelque mignon minois, jeune fille esseulée en attente d'un chevalier prêt à sacrifier à ses atours. (Va sortir, très macho.) BLANCHEFLEUR (sa femme ; personnage tragique par excellence : cf. Phèdre. Peut être joué avec l'accent italien ou espagnol) : Ah ! Je te vois, je rougis, je pâlis à ta vue, un trouble s'élève dans mon âme éperdue. Ingrat qui t'enfuis après m'avoir tout juste épousée, sans même la première nuit m'avoir osé touchée. Dans ma poitrine, le sang se coagule. J'enrage, j'explose, ma passion fait des bulles. De ta bouche, j'attends l'explication, sans détour donne-moi tes raisons. DON JURAN (très tendre) : Ma douce Amie... BLANCHEFLEUR : Je ne suis pas ta douce amie. DON JURAN : Ma tendre Amie... BLANCHEFLEUR : Je ne suis pas ta tendre amie. DON JURAN : Ma belle amie... BLANCHEFLEUR : Je ne suis pas ta belle amie. Douce, tendre et belle, certes, je le suis. Mais là n'est pas la question. DON JURAN : Il m'est venu au coeur... BLANCHEFLEUR : Au coeur ! ! ! Handicapé comme vous l'êtes, vous n'éprouvez jamais la moindre affection. Votre coeur ? Mais où se trouve-t-il ? S'il était jugé pour cause de trahison, la sentence serait ajournée pour cause de défection. DON JURAN : A vous voir, me gagne l'émotion... BLANCHEFLEUR : Non, non, non et non. DON JURAN : Non plus ! Bon alors, disons que j'ai la sensation... BLANCHEFLEUR : Mais, même la sensation, vous en manquez. Tout au moins est-elle d'ordre esthétique. Car je n'y vis jamais vraiment rien d'érotique. Vous êtes un chevalier à l'armure de pacotille qui fait se pâmer les jolies filles. Voilà ce qui vous tient lieu et place de sex appeal ; mais je me demande même si vous avez les piles. DON JURAN : Vu le courant que prennent les événements, je préfère changer de secteur (Il s'esquive.) BLANCHEFLEUR : Plutôt que de m'éclairer, vous préférez disjoncter. DON JURAN Pendant ce temps, sur la place du village, la troupe des Tréteaux ambulants s'est installée : représentation de DON JUAN de Molière. : Monsieur, que faites-vous donc là avec CHARLOTTE ? Est-ce que vous lui parlez d'amour aussi ? DON JUAN : Non, au contraire, c'est elle qui me témoignait une envie d'être ma femme, et je lui répondais que j'étais engagé à vous. CHARLOTTE : Qu'est-ce que c'est donc que vous veut MATHURINE ? DON JUAN : Elle est jalouse de me voir vous parler, et voudrait bien que je l'épousasse ; mais je lui dis que c'est vous que je veux. MATHURINE : Quoi ? CHARLOTTE... DON JUAN : Tout ce que vous lui direz sera inutile ; elle s'est mis cela dans la tête. CHARLOTTE : Quement donc ! MATHURINE... DON JUAN : C'est en vain que vous lui parlerez ; vous ne lui ôterez point cette fantaisie. MATHURINE : Est-ce que... ? DON JUAN : Il n'y a pas moyen de lui faire entendre raison. CHARLOTTE : Je voudrais... MATHURINE DON JUAN : Elle est obstinée comme tous les diables. MATHURINE : Vramant... DON JUAN : Ne lui dites rien, c'est une folle. CHARLOTTE : Je pense... DON JUAN : Laissez-la là, c'est une extravagante. MATHURINE : Non, non : il faut que je lui parle. CHARLOTTE : Je veux voir un peu ses raisons. MATHURINE : Quoi ?... DON JUAN : Je gage qu'elle va vous dire que je lui ai promis de l'épouser. CHARLOTTE : Je... DON JUAN : Gageons qu'elle vous soutiendra que je lui ai donné parole de la prendre pour femme. MATHURINE : Holà ! CHARLOTTE, çà n'est pas bien de courir sur le marché des autres. CHARLOTTE : Çà n'est pas honnête, MATHURINE, d'être jalouse que monsieur me parle. MATHURINE : C'est moi que monsieur a vie la première. CHARLOTTE : S'il vous a vue la première, il m'a vue la seconde et m'a promis de m'épouser. DON JUAN : Eh bien ! Que vous ai-je dit ? MATHURINE : Je vous baise les mains, c'est moi, et non pas vous, qu'il a promis d'épouser. DON JUAN : N'ai-je pas deviné ? CHARLOTTE : A d'autres, je vous prie ; c'est moi, vous dis-je. MATHURINE : Vous vous moquez des gens ; c'est moi, encore un coup. CHARLOTTE : Le vlà qui est pour le dire, si je n'ai pas raison. MATHURINE : Le vlà qui est pour me démentir, si je ne dis pas vrai. CHARLOTTE : Est-ce, monsieur, que vous lui avez promis de l'épouser ? DON JUAN : Vous vous raillez de moi. MATHURINE : Est-il vrai, monsieur, que vous lui avez donné parole d'être son mari ? DON JUAN : Pouvez-vous avoir cette pensée ? CHARLOTTE : Vous voyez qu'al de soutient. DON JUAN : Laissez-la faire. MATHURINE : Vous êtes témoin comme al l'assure. DON JUAN : Laissez-la dire. CHARLOTTE : Non, non, il faut savoir la vérité. MATHURINE : Il est question de juger ça. CHARLOTTE : Oui, je veux que monsieur vous montre votre bec jaune. MATHURINE : Oui, CHARLOTTE, je veux que monsieur vous rende un peu camuse. CHARLOTTE : Monsieur, videz la querelle, s'il vous plaît. MATHURINE : Mettez-nous d'accord, monsieur. CHARLOTTE : Vous allez voie. MATHURINE : Vous allez voir vous-même. CHARLOTTE : Dites. MATHURINE : Parlez. DON JUAN : Que voulez-vous que je dise ? Vous soutenez également toutes deux que je vous ai promis de vous prendre pour femmes. Est-ce que chacune de vous ne sait pas ce qui en est, sans qu'il soit nécessaire que je m'explique davantage ? Pourquoi m'obliger là-dessus à des redites ? Celle à qui j'ai promis effectivement n'a-t-elle pas en elle-même de quoi se moquer des discours de l'autre, et doit-elle se mettre en peine, pourvu que j'accomplisse ma promesse ? Tous les discours n'avancent point les choses ; il faut faire et non pas dire, et les effets décident mieux que les paroles? Aussi n'est-ce rien que par là que je vous veux mettre d'accord, et l'on verra, quand je me marierai, laquelle les deux a mon cœur. (Bas, à MATHURINE) Laissez-lui croire ce qu'elle voudra. (Bas, à CHARLOTTE) Laissez-la se flatter dans son imagination.(Bas, à MATHURINE) Je vous adore.(Bas, à CHARLOTTE) Je suis tout à vous. (Bas, à MATHURINE) Tous les visages sont laids auprès du vôtre.(Bas, à CHARLOTTE) On ne peut plus souffrir les autres quand on vous a vue. J'ai un petit ordre à donner ; je viens vous retrouver dans un quart d'heure. CHARLOTTE : Je suis celle qu'il aime, au moins. MATHURINE : C'est moi qu'il épousera. SGANARELLE : Ah ! Pauvres filles que vous êtes, j'ai pitié de votre innocence, et je ne puis souffrir de vous voir courir à votre malheur. Croyez-moi l'une et l'autre : ne vous amusez point à tous les contes qu'on vous fait, et demeurez dans votre village. DON JUAN : Je voudrais bien savoir pourquoi SGANARELLE ne me suit pas. SGANARELLE : Mon maître est un fourbe ; il n'a dessein que de vous abuser, et en a bien abusé d'autres ; c'est l'épouseur du genre humain, et ...(il aperçoit DON JUAN) Cela est faux ; et quiconque vous dira cela, vous lui devez dire qu'il en a menti. Mon maître n'est point l'épouseur du genre humain, il n'est point fourbe, il n'a pas dessein de vous tromper, et n'en a point abusé d'autres. Ah ! Tenez, le voilà ; demandez-le plutôt à lui-même. DON JUAN : Oui. SGANARELLE : Monsieur, comme le monde est plein de médisants, je vais au-devant des choses ; et je leur disais que, si quelqu'un leur venait dire su mal de vous, elles se gardassent bien de le croire, et ne manquassent pas de lui dire qu'il en aurait menti. DON JUAN : SGANARELLE . SGANARELLE : Oui, monsieur est homme d'honneur, je le garantis tel. DON JUAN : Hon ! SGANARELLE : Ce sont des impertinents. Applaudissements, rires, etc... : Voilà mon SGAGNEQUERELLE de valet plein d'aplomb, aux prises avec une jolie fille. Écoute-moi bien. Être comédien, voilà le métier que j'aurais aimé exercé. Quelle différence entre un acteur et un séducteur ? Aucune : l'un le fait pour la gloire, l'autre pour la lune. Mais chez tous les deux, aucun espoir d'y faire fortune. Dans ce monde de rendement et de marchandage, la comédie est le luxe suprême : agir en toute gratuité et jouer simplement pour qu'on nous aime. SGAGNEQUERELLE : Si mon maître se met à philosopher, il me va falloir penser à me recycler. Car la profondeur de vos réflexions génère chez moi un afflux de transpiration. Et je ne comprends goutte à vos affirmations. C'est bien simple, je suis tout en nage. DON JURAN : Rien de surprenant, tu n'es pas en âge de concevoir la portée de mes allégations. Contente-toi de porter mes bagages et laisse-moi l'avantage de l'érudition. SGAGNEQUERELLE : Certes j'ai la compréhension un peu limitée, mais ce n'est pas une raison pour me ridiculiser. Pendant l'entretien DON JUAN - BLANCHEFLEUR,, SGAGNEQUERELLE a rencontré MATHÉTINE à la taverne. SGAGNEQUERELLE est assis à une table, une demoiselle sur ses genoux. DON JURAN : Veux-tu que je t'aide à rentrer ton vin, MATHÉTINE ? Je me sens d'humeur à batifoler. MATHÉTINE (jeune femme heureuse, la patronne de la taverne) : Tiens, voilà Sgagnougnou ! Il y a bien longtemps que nous ne t'avions vu traîner dans les parages. SGAGNEQUERELLE : S'il n'en était tenu qu'à moi, il y a bien des mois que je serais revenu. Mais mon maître est une vraie girouette ; et chaque minette lui fait tourner la tête. Plaisant DON JURAN que femme manie et à tous sens. Son coeur a ses raisons que la raison ne connaît point. MATHÉTINE : Cet homme doit être bien fou de courir à hue et à dia comme il le fait. Mais plus fou encore celui qui le suit sans récompense aucune. SGAGNEQUERELLE : Encore suis-je bienheureux quand je profite de quelques miettes en guise de collation. Je fonds alors comme le chocolat sur la brioche. MAÎTRE BERGER (le mari de la fille qu'il câline) : Que disais-tu, sacripant ? SGAGNEQUERELLE : Que le pain était frais et bien nigaud celui qui ne saisit pas l'occasion. MAÎTRE BERGER : Désaisis- toi de l'occasion, et bas les pattes. Le pain, comme tu dis, que voici est ma mie. SGAGNEQUERELLE (les mains levées) : Pardonnez cette impertinence, mais lorsque le maître est tenu d'absence, il n'est point de bon aloi de laisser sa femme sans défense. Comme le dit mon mien maître, " Qui va à la chasse, perd sa place " Et Dieu sait (signe de croix), le diable aussi, s'il est expert dans l'art du braconnage. Qui que soit la victime, quelque soit son âge, il passe ses jours et ses nuits, (ses nuits surtout) à l'affût sur le terrain d'autrui. MAÎTRE BERGER : J'ai dis bas les pattes, manant ! Je ne supporterai pas davantage ton outrecuidance. Je vais te donner quelques bons coups de bâton pour t'apprendre la galanterie. Viens ici, fripon. SGAGNEQUERELLE : Je voulais simplement vous prévenir du danger... Non, pas le bâton du berger ! MAÎTRE BERGER : Le bâton du berger, y'a pas d'heure pour en tâter ! Te tairas-tu, à la fin ? Si ton libertin est aussi insatiable que tu le dis, mène-le au château de BRACUDA. Là il trouvera un vaste choix.. (effroi dans l'assistance.) SGAGNEQUERELLE : Qu'est-ce ? Ne serait-ce pas l'adresse d'une matrimoniale agence ? FILLE 1 : C'est un lieu d'horreur et de décadence. SGAGNEQUERELLE : Mais encore ? FILLE 2 : Là-dessus je préfère garder le silence. SGAGNEQUERELLE : Parle, toi ! FILLE 3 : Jamais personne d'un tel endroit n'est revenu. SGAGNEQUERELLE : Pourrais-je en savoir au moins la direction ? FILLE 1 : Vous suivez le chemin Cisive, ensuite vous prenez l'artère qui monte à Laorte, vous tournez le premier coup à droite le second à gauche, et avec un peu de veine, vous parvenez au château. Tout le monde sort petit à petit de la scène. SGAGNEQUERELLE : Bon sang de bonsoir ! Les voilà tous partis ! SGAGNEQUERELLE Retour table des matières 7 . LES TROIS FRERES Dans la clairière d'une forêt, les trois frères de BLANCHEFLEUR surprennent DON JURAN. Leurs noms : GARCIA, BERNARDO et DIÉGO . DON JURAN : Halte là ! Qui va là? GARCIA : C'est moi, GARCIA ! DON JURAN : Vous vouliez jouer à me faire peur ? DIÉGO : Nous sommes les frères de notre soeur ! DON JURAN : Curieuse famille où les liens de parenté sont si étroits. Est-elle jolie au moins ? DIÉGO : En beauté, elle nous surpasse tous les trois ! BERNARDO : Elle est aussi jolie que l'est ma fine lame ! DON JURAN : Alors, elle ne doit pas manquer de piquant ! DIÉGO : C'est une belle et grande dame ! GARCIA : La noblesse est l'apanage de son rang ! DON JURAN : Je ne voudrais pas vous offusquez, mais nous n'avons pas été présentés ! GARCIA : Nous prendrais-tu par hasard pour des idiots ? Ne reconnais-tu pas BERNARDO et DON DIÉGO ? DON JURAN : Nous rencontrâmes-nous déjà ? Non, vraiment, je ne vois pas ! BERNARDO : Monsieur joue les amnésiques ! DIÉGO : Nous avons d'excellents moyens mnémotechniques pour que vous recouvriez la mémoire ! DON JURAN : Inutile de vous mettre dans une humeur si noire. Je voulais simplement savoir si vous n'étiez pas des intrigants voulant me soutirer de l'argent. GARCIA : Ne dis plus un mot, cesse ton bavardage ! DIÉGO : A notre soeur, BLANCHEFLEUR, tu fis le plus grand outrage ! BERNARDO : Nous avons grande ire, nous sommes en rage ! DON JURAN : Mon Dieu ! Vous parlez en vers ! Les trois : En vers et contre toi ! DON JURAN : Et moi, seul contre trois ! DIÉGO : Comment vas-tu expliquer le revers que tu infligeas à notre soeur? DON JURAN : Vous êtes donc quatre ! Savez-vous qu'au quatrième enfant vous avez droit à des réductions? GARCIA : Ce n'est pas une raison pour avoir accompli un tel forfait ! DIÉGO : Nous attendons tes explications ! BERNARDO : Pour un tel méfait, tu mériterais d'être pendu sur l'heure ! DON JURAN : Je l'ai déjà, la corde au cou ! DIÉGO : BLANCHEFLEUR, en te prenant pour époux, a mal jugé de ta nature ! DON JURAN : Je trouve quand même que vous êtes un petit peu dur ! BERNARDO : C'est un amant qu'elle a voulu, une réduction lui a déchu ! GARCIA : Et pour un homme polygame, vous êtes un produit bas de gamme ! DIÉGO : Vous ne satisfâtes point au devoir conjugal, êtes-vous tout à fait normal ? DON JURAN : Vous mettez le doigt sur un sujet tabou que de coutume l'on n'aborde pas. BERNARDO : Vous esquivez le débat ! DON JURAN : Le propos est un peu bas ! Mais Je suis vierge de toute infirmité en matière de sexualité ! GARCIA : Et notre soeur, de son côté, n'est point coupable de frigidité. DIÉGO : Alors, pourquoi le mariage ne fut-il point consommé ? DON JURAN : Il est des mets délicats, qui trop vite avalés, ne se dégustent pas ! : Cependant certains condiments ne se réchauffent pas, et la vengeance est un plat qui se mange froid ! DIÉGO : Mettez-vous à table et parlez ! DON JURAN : Je me connais assez pour savoir que je ne suis pas destiné à mener une vie de reclus. Et j'ai désiré son salut. Plutôt qu'une séparation post-pronuptiale, ne faut-il pas mieux, au plus tôt, couper le cordon ombilical ? BERNARDO : Mais vous avez signé : monsieur le maire en est témoin ; et notre brave curé a béni l'anneau qui vous a joint ! DON JURAN : Pour votre soeur, c'est en quelque sorte une répétition en vue d'une prochaine union. Je lui ai rendu le service tout à fait gratuitement. C'était un exercice, un examen blanc, avant l'épreuve véritable que sera le mariage. Prévenezla seulement qu'il n'y aura pas d'oral de rattrapage ! Ce n'est même pas un redoublement ! GARCIA : Je vois en vous un nouveau pédagogue qui deviendra dans quelques années fort en vogue ; et pourquoi ne pas créer des modules d'approfondissement pour les postulants : "initiation à l'amour pour les futurs amants" ! DON JURAN : L'idée n'est pas bête ; elle fera peut-être recette ! DIÉGO : Vous êtes un précurseur qui assimile les femmes à des moteurs. Bientôt l'on prônera le mariage à l'essai. BERNARDO : Mais la femme n'est pas un objet, un produit de grande consommation ; vous feriez des affaires dans le commerce de la récupération ! GARCIA : Notre soeur tirera une leçon de cette triste expérience. Et il est heureux qu'avec vous elle ne partage point son existence ! BERNARDO : D'un si cruel affront, nous garderons la cicatrice ; mais plus jamais nous ne supporterons de telles ruses, de tels artifices ! DIÉGO : Nous ne vous saluons pas, monsieur le tricheur. DON JURAN : J'ai passé un bien mauvais quart d'heure. Mais ces gens par trop traditionalistes ne comprennent pas l'aspect novateur de mon entreprise moderniste. Ils se condamnent à l'immobilisme, alors que l'amour est synonyme de dynamisme. SGAGNEQUERELLE (arrivant) : L'ennui naquit un jour de l'uniformité, dit le proverbe. Mais avec vous, il n'y a point à s'inquiéter ! Le bonheur se vit dans l'infidélité. Pourtant chaque femme à toute autre est ressemblante, et je ne vois pas ce qui à chaque fois vous tente ! DON JURAN : C'est, mon pauvre SGAGNEQUERELLE, que tu es bien ignorant ! Le bonheur réside dans la poursuite, et non dans la réussite ! En amour, tu es encore un débutant ! SGAGNEQUERELLE : Je ne suis peut-être qu'un apprenant, mais mon coeur à moi ne ment pas. Et il faut avoir une certaine perversion intellectuelle pour s'adonner à de tels abus et tromper ainsi les jouvencelles ! DON JURAN : Ce n'est qu'un jeu sans grave conséquence ! SGAGNEQUERELLE : Parce que vous vivez dans l'insouciance, et d'une manière égoïste ! DON JURAN : Qui t'empêche d'en faire autant ? Je suis un avant-gardiste ! SGAGNEQUERELLE : Sous prétexte de nouveauté, vous vous pardonnez vos excentricités ! Mais viendra un moment où l'amour aura le dernier mot. DON JURAN : Le dernier mot de l'hymen, n'est-ce pas amen ? SGAGNEQUERELLE : Vous avez tort de vous gausser ! DON JURAN : Et pourquoi notre vie sur terre ne serait-elle pas un paradis ? SGAGNEQUERELLE : Du paradis terrestre, à la porte, nous fûmes mis ! DON JURAN : Certes, mais il demeure quelques vestiges qui peuvent encore nous donner le vertige ! La femme n'est-elle pas un fort joli fruit ? Pourquoi d'y toucher serait-ce interdit ? SGAGNEQUERELLE : A force d'y toucher, on finit par les gâter ! GARCIA DON JURAN : Mais SGAGNEQUERELLE l'âge avançant, le fruit, de toute façon, s'affadit ! : Déjà, autrefois, le fruit de la connaissance fut cause de notre calvaire ; et aujourd'hui les folies de vos sens nous mèneront en enfer ! A force d'être tout feu tout flamme, il arrive que l'on se damne ! Retour table des matières 8 . LES DEUX VAMPIRES DU SOLEIL LEVANT Décor : tout y est permis dans l'horreur, le fantastique ou l'épouvante. : Brrrr ! ! ! Quel endroit sinistre ! Si ceux qui l'habitent sont aussi tristes, voilà une entrevue qui se montre sous ses pires auspices ! Que vous a-t-il fallu ici vous précipiter, sans même plus de précision demander ! On dit que nul n'est jamais de cet endroit revenu. Aussi ne me plaît-il pas de demander l'hospitalité au comte BRACUDA ! DON JURAN : Ne te fies donc pas à de méchants ragots. Cet homme n'est pas un monstre ! Loin s'en faut ! D'ailleurs ce sont ses compagnons que nous venons voir, afin de profiter de leur savoir. SGAGNEQUERELLE : Savoir qui ressemble plus à de la sorcellerie, si vous voulez mon avis ! DON JURAN : Je t'aurais cru plus ouvert d'esprit. La science est un monde de merveilles insoupçonnées. Assurément, c'est faire preuve d'intelligence de s'y intéresser. SGAGNEQUERELLE : Si le résultat est à la hauteur de la réputation, vos désirs seront comblés. On vous remettra, c'est sûr, un produit fini, bien empaqueté, ayant même un label de qualité. Mais moi, que me servira-t-on? Les restes, de toute façon ! Si vous me pardonnez la comparaison, à vous le Saint-Emilion, à moi la cuvée du patron. DON JURAN : Comment oses-tu comparer une femme à du vin ? SGAGNEQUERELLE : Mais le vin n'a-t-il pas du corps, une robe, de la cuisse enfin ! DON JURAN : Oui, mais à l'inverse de celui-ci, ce n'est pas en les laissant dans l'oubli qu'elles se bonifient. Je vais d'abord passer commande. Si le rapport qualité-prix est convenable, alors nous pourrons envisager de t'en avoir une semblable ! Arrêtons là cette discussion et sonne donc le gong ! SGAGNEQUERELLE : Il est volumineux ! DON JURAN : C'est un king gong. VOIX : Qui va là? DON JURAN : DON JURAN, comte de... Votre maître, le comte Bracuda serait-il dans les parages ? Si oui, nous aimerions lui présenter nos hommages. VOIX : le comte du château absent pour le moment... vous vouloir entrer et patienter ? DON JURAN : Grand plaisir sera le nôtre ! Peut-être y a-t-il quelqu'un d'autre que nous pourrions rencontrer ? On m'a dit beaucoup de biens de deux hommes dont la réputation s'est propagée de campagne en campagne. Leur nom est, je crois, FRANCK and STEIN. Voix : Entrez Monseigneur. Soyez bienvenu dans notre demeure. Ils entrent. FRANCK : Sayonara ! Comte DON JURAN ! Soyez bienvenue dans notre demeure ! Moi, être FRANCK Mamoto. DON JURAN : Savonnette froide, honorable menthalo (Salut.) FRANCK : Mamoto ! (Salut.) DON JURAN : Tomato ! Savonnette froide ! (Salut.) Voici mon valet, SGAGNEQUERELLE. SGAGNEQUERELLE (bouillie incompréhensible ; salut.) FRANCK : Suivre moi s'il vous plaît au salon où frère à moi se repose entre deux inventions. Comte, à mon frère vous j'introduis. STEIN, comte DON JURAN est ici et son valet, catalogue Quelle ! STEIN (salut) : Sayonara honorable comte être plaisir pour moi enfin vous rencontrer. DON JURAN (salut) : Savonnette froide, honorable STEIN Yamamoto. SGAGNEQUERELLE STEIN (salut) : Mamoto ! SGAGNEQUERELLE : Mamoto ! Qui c'est qui a cassé ? DON JURAN : Silence ! Nous sommes chez des gens de qualité ! SGAGNEQUERELLE : Si on ne peut plus plaisanter ! Qu'est ce que cela? STEIN : C'est Olga ! Ma p'tite bonne femme, mon ratata, ma gueïsha : elle va nous servir le thé. : Beau brin de fille. Je me demande si elle est aussi à la disposition des invités. Assurément, la science fait des merveilles que j'étais loin d'imaginer. FRANCK : Pardonnez à ma curiosité mais quoi ici peut vous amener ? Nous, deux savants isolés sommes très honorés ! Imaginer jeu de scène, debout-assis-salut-remerciement. DON JURAN ne sait plus où il en est. DON JURAN : A dire vrai, mes chers amis, c'est dans un but précis que mes pas m'ont conduit jusqu'ici. Voilà... Comment m'exprimer afin de vous faire comprendre, le but de l'aventure que je vais entreprendre. Il m'est venu aux oreilles, en toute confidence, je peux vous l'assurer, qu'un produit à nul autre pareil, dans ce château, vous fabriquiez. Or j'erre depuis des années de village en village. Je m'attends à un miracle à chaque image. Mais, hélas ! Ma quête demeure insatisfaite. STEIN : Comment nous pouvoir vous aider ? DON JURAN : En me fournissant la femme parfaite ! FRANCK : Il est vrai nous avoir ici quelques modèles mais un peu usagés. Par une occasion seriez-vous intéressé ? DON JURAN : Que non ! J'en ai déjà tellement essayée ! Une femme sur mesure, j'aimerais que vous me réalisiez. STEIN : Cela ne paraît pas compliqué. Mais avant l'exécution, un portrait-robot, il faut dresser !. FRANCK, va me chercher mon nitendo. Nous sommes à la pointe de l'électronique en ce qui concerne la création artistique : 36-15 : code bionique. Il revient avec son ordinateur. DON JURAN (impressionné) : Quel est cet objet ? FRANCK : Un simple appareil qui fonctionne à l'électricité ! DON JURAN : A l'élec... ! On a beau dire ce qui nous plaît, les nippons sont toujours à la pointe du progrès. La poule dans son nid pond des oeufs, les jaunes dans leur vie font des jeux ! STEIN : Et à présent, le défilé ! SGAGNEQUERELLE : Le défilé ? Monseigneur, je ne voudrais pas vous paraître rabatjoie, mais cela ne me plaît guère. DON JURAN : Mais tais-toi donc ! Quel défilé, mon cher ? FRANCK : Un défilé de chair... Hi ! hi ! hi ! hi ! hi ! Parmi les modèles proposés, il vous faudra en même temps m'indiquer les morceaux de votre choix. En fin d'opération, une fiche sortira. Ce sera votre femme parfaite, que l'honorable STEIN vous érigera. DON JURAN : Le procédé, quoique déconcertant, est astucieux ; car, en y réfléchissant, quoi de mieux que de prendre le meilleur de chacune afin d'en faire un tout sans lacunes. STEIN : Par le visage, nous commençons. Filles défilant devant lui, comme défilé de mode. DON JURAN : Pas celui-là : il est par trop rond. Celui-ci me plaît assez, ne serait-ce le nez ! STEIN : Nous pouvons le raccourcir à votre gré ! DON JURAN : Dans ce cas, j'opte pour ce visage, bien que, et c'est dommage, la couleur des yeux n'est pas ce qui me sied le mieux. SGAGNEQUERELLE FRANCK : Pas de problème, quelle couleur, vous aime ? DON JURAN : Bleu, oui, j'aime les yeux bleus comme la mer qui abreuve le coeur, comme un oasis au milieu du désert. STEIN : Moi, noter, donc, les yeux bleus. Et maintenant les cheveux ? DON JURAN : Des cheveux blonds et légers comme le blé. Cette coupe là me plaît assez. SGAGNEQUERELLE : Monsieur, vous vous abaissez ! Ne dirait-on pas que vous faites votre marché? DON JURAN : Retourne donc t'amuser et laisse moi à mes affaires ! Voyons maintenant ce que, pour le corps, vous pouvez faire. FRANCK : Vous êtes libre de choisir. Nous, faire selon votre bon plaisir. DON JURAN : Je crois que par les longs bras du numéro 5, je vais me laisser séduire. FRANCK : Honorable DON JURAN a tout à fait raison. Le n° 5 de chez Charnel a grande réputation. DON JURAN : Pour les bras, il fallait vigueur et douceur tout en même temps ; mais la partie la plus coquine, celle qui subjugue et fascine, la corbeille de fruits défendus, doit par sa parfaite retenue, me convenir tout autant. STEIN : Vous pouvoir toucher, honorable DON JURAN ! DON JURAN : Mes sens exacerbés risqueraient de s'attarder sur l'objet de mes désirs. Je ne veux point m'agiter, de peur de m'en servir ! Quel est ce modèle aux formes si sensuelles ? FRANCK : Coeur brisé : assurément un modèle de qualité, dont le nom si charmant se marie si bien avec DON JURAN ! DON JURAN : Fort bien ! Quant à la taille, l'élégance et la souplesse de celle-ci me ravient. STEIN : Bravo, bien répondu. Cet ensemble réalisé par Dimitri Organi, mieux connu sous le nom de DIOR est un véritable trésor. DON JURAN : Les jambes méritent sévère sélection. Le choix se doit faire avec circonspection : longues et galbées de préférence, avec un rien d'impertinence... FRANCK : Si une suggestion je peux me permettre : deux modèles répondent à votre requête : Voici DIM et voilà WEILL, l'une et l'autre de pures merveilles ! DON JURAN : Je ne sais, j'hésite. Il ne faut point que je m'emballe ; ce serait un scandale que d'aller trop vite. Pourquoi pas DIM ? Le nom a une résonance plus intime. WEILL me semble délicat, et il ne faut pas que cette femme me file entre les doigts. STEIN : Nous avons mis la touche finale au portrait idéal. Je ne tarderais pas à revenir avec l'objet de vos désirs. Il sort. DON JURAN : Par ma foi, voilà une aventure peu ordinaire. Je brûle d'impatience de voir le résultat en os et en chair. SGAGNEQUERELLE : Tout cela est bien beau ! Mais moi, j'ai l'impression de faire tapisserie. DON JURAN : Et ta chérie ? SGAGNEQUERELLE : Parlez-m'en ! Elle ne desserre pas les dents ! Je suis pourtant la voix de mon maître, mais avec elle, je suis à crans ! Aux produits orientaux, décidément, je me sens allergique. DON JURAN : Nous allons y remédier de façon énergique. Honorable FRANCK : mon valet ici présent, ébloui par la qualité du service, voudrait lui aussi profiter de vos offices. Mais, par le temps, nous sommes pressés ; n'auriez-vous pas un catalogue qu'il puisse consulter ? FRANCK : Si fait, Honorable DON JURAN. Nous pouvons votre valet satisfaire sans aucun doute ! SGAGNEQUERELLE : La Redoute, quel drôle de nom ! : C'est que nous sommes redoutables pour la livraison. Vous passez votre commande et moins de 48 heures après, est satisfaite votre demande. SGAGNEQUERELLE : J'en suis tout esbaudi ! FRANCK : Mais c'est le bonheur des messieurs que nous faisons ici ! Nous sommes spécialisés dans la confection féminine. De nos ateliers ne sort aucune beauté anonyme. (STEIN revient avec une momie.) STEIN : Honorable DON JURAN, voilà, suivant vos indications une de nos plus nobles réalisations. DON JURAN : Enfin, le moment si espéré où dans mes bras je vais pouvoir serrer l'image matérialisée de mon idéal tant rêvé ! FRANCK : Pardonnez DON JURAN, un petit détail en suspens ! Réglez-vous en écus bien sonnants, ou à crédit en quatre versements ? DON JURAN : Comptant, comptant. SGAGNEQUERELLE, règle donc ces gens ! DON JURAN commence à défaire la momie. DON JURAN : L'ovale du visage est parfait. Le nez, la couleur des yeux, tout me plaît ! Quant aux cheveux, ils sont doux comme la soie ; une couleur Émergence, cela va de soi !... Un corps aux proportions parfaites, enfin toutes mes envies satisfaites !... Depuis que je suis né, je rêve de ce jour. Et voilà qu'enfin à cette dame, je vais pouvoir parler d'amour ! Quelle merveille ! Mon ami, vous me rendez la vie ! FRANCK : Vous, désirer une garantie ? DON JURAN : Quelle garantie ? Ce que je vois me suffit ! STEIN : En cas de défection, pendant un an, nous nous chargeons de toutes les réparations. DON JURAN : De garantie, je n'ai nul besoin. Je n'ai qu'à prendre sa main pour savoir que dans un an, elle sera à elle-même pareille : la pure incarnation de la beauté. Mais dis-moi, mignonne, es-tu trop impressionnée pour quelques mots prononcer ? LA FILLE (air bête, accent japonais) : Moi, très heureuse de voir vous... vous avoir si beaux atours ! DON JURAN : Pardieu, ne me dites pas... N'est-elle pas capable de faire une phrase et de s'exprimer dans un châtié langage ? FRANCK : Cela, pas compris dans le contrat, honorable DON JURAN. SGAGNEQUERELLE : "Si votre ramage ressemble à votre plumage"... a dit un poète. En ce qui la concerne, son esprit ne risque pas de faire des ravages, mon cher maître. DON JURAN : Voilà qui est navrant ! Je ne puis accepter ce produit, si beau soit-il ; il me faut un minimum d'esprit ! Sinon, comment la charmer de mes réparties ? Ne pouvez-vous point faire quelques modifications ? STEIN : La réponse est non. DON JURAN : Alors, recommençons ! FRANCK : Cela est impossible, honorable DON JURAN. Un seul produit par client, voilà le règlement. DON JURAN : Tout ceci est d'une inqualifiable tromperie ! Et votre publicité, un attrape-nigaud ! Que pourrais-je faire d'une fille incapable d'aligner deux mots ? SGAGNEQUERELLE : Ma foi, si vous êtes en rupture d'idées, je veux bien me sacrifier et vous remplacer ! DON JURAN : Cesse de fanfaronner ! Pour un certain produit j'ai payé, et j'entends être satisfait. Satisfait ou remboursé ! Mais j'y pense, et la garantie ? STEIN : Vous, ne pas l'avoir pris ! Hi ! Hi ! Hi ! DON JURAN : En voilà assez ! J'ai été trompé et j'exige qu'on me rende mon argent sur-le-champ ! Bruit, Tonnerre. Arrivée de BRACUDA. DON JURAN : Qui va là ? BRACUDA : Comte DON JURAN, vous désiriez, m'a-t-on dit, vos respects me présenter. Me voilà donc, seigneur de cette demeure, BRACUDA, la femme sans morale et sans FRANCK honneur. Si ce n'est la manière dont nous opérons, il me paraît que dans le même domaine nous sévissons. DON JURAN : Pardon ? BRACUDA : Vous avez raison, un petit détail nous différencie. Bien que tous les deux, nous fassions moisson de corps, votre expérience se limite à un contact purement épidermique. Toute ma force et ma suprématie naissent de mes nocturnes transports. Sans honte et sans remords, mes effusions sont un peu plus vampiriques. DON JURAN : Monsieur ! Qu'osez-vous nous comparer ? Entre nous, de points communs il ne peut exister ! BRACUDA : Votre cerveau lent laisse votre mémoire s'éparpiller à tout vent ! Bourreau des coeurs, tel est votre surnom. Bourreau des corps est ma réputation ! Moi au moins, devant la réalité je ne tente pas de me défiler ; et les coeurs que je laisse derrière moi n'ont plus de raison de s'affoler. Mais arrêtons là la comparaison ; En suspens, vous avez laissé, je crois, une question. DON JURAN : Une question ? Je dois perdre la raison. A quoi faites-vous allusion ? BRACUDA : Un léger différent concernant la livraison. Vous avez, je crois, parlé de malfaçon ? DON JURAN : Permettez-moi de vous expliquer : Sur la qualité du produit, j'ai été trompé ; et j'entends être remboursé comme dans tout bon "STEIN MARCHÉ " ! BRACUDA : Vous semblez méconnaître les lois du marché. Ce contrat vous ne pouvez résilier. DON JURAN : Mais je n'ai rien signé. BRACUDA : Qui plus est ! Mes amis à votre bonne foi ont porté créance, à la parole d'un gentilhomme l'on fait toujours confiance. Pour une vulgaire affaire d'argent, songeriez-vous à renier votre sang ? DON JURAN : Monsieur ! Je vous interdis ! Toujours de mes dettes, je me suis acquitté jusqu'ici et entend le faire jusqu'à la fin de ma vie. C'est me faire un affront, c'est me faire un outrage que de tenir un tel langage ! SGAGNEQUERELLE : Mon maître, il n'est peut-être pas très prudent de vous échauffer le sang ! Votre langue un peu incisive risque d'avoir des conséquences décisives ; et je ne voudrais pas que ce monsieur ait une dent contre moi. Ses dents n'ont rien de dents de sagesse ; je les qualifierais plutôt de dents d'ogresse ! Demandez l'addition et au plus vite partons ! DON JURAN : Non, il n'en est point question. Madame porte atteinte à mon honneur, elle doit m'en rendre raison ! SGAGNEQUERELLE : Monsieur, ce n'est point l'heure. Ce sont ceux qui en parlent le moins qui en ont le plus. Et puis l'incident est vraiment minus. Je vous conseille de ne point jeter le gant à ce croque-mitaine. DON JURAN : Or ça ! Ce ne sont point ses allures hautaines qui en font un être supérieur ! SGAGNEQUERELLE : Supérieur... n'est pas le bon mot. Différent, plutôt ! Elle ne lui déplairait pas de vous ajouter à son tableau. Son râtelier aux canines acérées valent à tout coup votre épée ! D'ailleurs la nuit descend, c'est le moment où il se fait les dents ! DON JURAN : Ventre saint Georges ! Vas-tu fermer ton caquet, tu n'es qu'un pleutre paltoquet ! SGAGNEQUERELLE : C'est trop fort, vous m'accusez de trop parler, et en duel vous le voulez provoquer. Vous êtes d'une inconscience tragique ! Ne pouvez-vous faire taire votre orgueil tyrannique ? Oh ! Quelle horreur... DON JURAN : Quel est ce cri de frayeur ? SGAGNEQUERELLE : Je le crois par votre chair appâté ! DON JURAN : Vas-tu t'expliquer, âne bâté ! SGAGNEQUERELLE : Des verres vides prêts pour le cocktail que ce monsieur veut élaborer. Regardez ces coupelles d'un seau de glace accompagnées. Quand je vous disais qu'il était givré ! Il y a même les cacahuètes apéritives et des biscuits salés, tout un assortiment. Du repas de ce soir nous ne serons point les convives, mais le vital aliment ! Il est temps de déguerpir avant que ce monsieur nous aspire. DON JURAN : Tu regardes trop la télévision. Ne laisses pas aller ainsi ton imagination ! Un peu de sang froid, je te prie ! SGAGNEQUERELLE : Ah ! Ah ! Ah ! Bien bonne est la plaisanterie ! Mais c'est de sang chaud dont il s'agit ! Et le vôtre est bleu, le goût n'en sera que plus voluptueux ! Renoncez à tout et filons d'ici avant que cette affaire de prêt à porter ne se transforme en boucherie. BRACUDA : Alors, mon ami, avez-vous réfléchi ? Mais... c'est étrange... je ne l'avais pas remarqué au premier abord... DON JURAN : Et quoi donc ? BRACUDA : Votre visage avenant a un magnifique cou pour support. Quant à ce corps si puissant, il doit bien contenir 50 litres de sang ! En vous faisant congeler, j'aurai du sang coagulé pour passer l'hiver. Ne pensâtes-vous jamais finir dans un verre ? L'année 1709 me paraît un bon cru : sur l'étiquette, j'inscrirai "château neuf du libertin" ; à moins que je vous mette en fût, comme l'on fait du très bon vin ? DON JURAN : Non... je... (Il recule.) BRACUDA : Quel dommage que vous n'ayez pas été plus sage ! Enfin, vous êtes un bon cépage ! Voyez où votre convoitise des femmes vous conduit, à vous mettre à ma merci ! Et à domicile qui plus est ! On n'arrête pas le progrès ! On vient d'ailleurs de me livrer un nouveau dentier ; l'autre était usager... (Fond sur DON JURAN qui l'évite.) SGAGNEQUERELLE : Vous voyez que j'avais raison ; vite, filons ! BRACUDA : Alarm ! ! ! Jamais ils ne nous échapperont ! Poursuite avec les japonais qui se saluent quand ils se rencontrent. DON JURAN : La sortie, par ici ! SGAGNEQUERELLE : Je jure, je jure sur ce que j'ai de plus cher... DON JURAN : Ne me parles jamais plus de chair ! Rien qu'à l'entendre, ce mot me donne la chair de poule ! Quand je pense que de mon sang, j'ai failli être vidé... et tout cela pour une poupée ! SGAGNEQUERELLE : Tout cela était votre idée ! Une femme parfaite ! Comme si cela existait ! Cela se saurait, depuis le temps ! Croyezmoi : rien ne vaut le naturel ! DON JURAN : Tu as raison, mon vieux SGAGNEQUERELLE ! Laissons là toute la technologie, qui dans les affaires de coeur ne peut servir, et suivons tout simplement notre désir. Je prône un retour à l'écologie. Retour table des matières LES TRETEAUX AMBULANTS (5) MARTIN : LOUISETTE, il faut que je te dise quelque chose. LOUISETTE : Je t'écoute, SGROGNEUGNEU . MARTIN : Tu peux me regarder quand je te cause, s'il te plaît. LOUISETTE : Voilà ! Voilà ! SGROGNEUGNEU ! MARTIN : Arrête de m'appeler ainsi ! Je me nomme MARTIN ! Et ce que j'ai à te dire n'est pas facile. LOUISETTE : Écoute, si je peux t'être utile ? MARTIN : Non ! Non ! Et puis regarde moi pas, ça m'intimide ! LOUISETTE : Dis, faudrait savoir ! Sur mon front, il n'y a pas écrit sens giratoire ! C'est de naissance que tu es stupide ou c'est venu plus tard ? MARTIN : S'il te plaît, arrête de te moquer ! Je ne dis jamais rien, mais j'entends bien les rires et les sobriquets dans mon dos. Même que j'en ai souvent le coeur un peu gros ! LOUISETTE : Faut pas te fâcher ! MARTIN : Je ne me fâche pas, mais il y a des fois où j'ai envie de tout lâcher. LOUISETTE : Tout ça n'est pas bien méchant ! MARTIN : Mais ce n'est pas non plus bien honnête que d'aller toujours rabâchant que je suis vraiment bête ! LOUISETTE : Cesse de te turlupiner pour ces quolibets dont tu serais le premier à te moquer si tu n'en étais l'objet ! MARTIN : Mais, le problème est que, justement, j'en suis la victime ! LOUISETTE : Ce ne sont que propos bien infimes dont il n'y a pas à tirer de conséquences. MARTIN : C'est peut-être ce que tu penses, mais l'idée ne me semble pas forcément partagée ! MARGOT (arrive et interrompt brutalement la conversation) : Pardonnez mon impertinence, je ne voudrais déranger le couple d'amoureux . Silence. MARGOT : J'arrive au moment le plus intense du drame où SGROGNEUGNEU va déclarer sa flamme ! Silence. MARGOT : Entre les deux amants le silence s'est installé. Qui le premier des deux va parler ? ... C'est le point de non-retour, SGROGNEUGNEU va avouer son amour... LOUISETTE (en furie) : Les amoureux t'emmerdent et te prient de quitter ces lieux. MARGOT reste sidérée puis s'en va, ahurie. LOUISETTE : Que voulais-tu me dire, MARTIN ? MARTIN est sorti sans bruit. Retour table des matières 9 . LES PAYSANNES Trois paysannes jeunes et jolies, au patois très marqué, rentrent en scène en plaisantant. accompagnée de MARIE-CHARLOTTE et d'ANTOINETTE, ayant mis sur sa tête un pot au lait bien posé sur un coussinet, prétendait arriver sans encombre à la ville. Elles avaient mis ce jour-là pour être plus agiles cotillons simples et souliers plats. PERETTE, PERETTE : As-tu vu l'père FRANÇOUAIS ! Quel nique douille ! MARIE-CHARLOTTE : Ben dame ! Dans la famille sont ben tous ANTOINETTE : Au lieu d'jacasser, faudrait qu'on's'grouille, si identiques ! on veut pas r'cevouair quelques coups de trique. Et avec la chaleur qui fait, y risque de tourner, le lait ! MARIE-CHARLOTTE : T'inquète donc pas Capucette. On n'a encore le drouai de respirer. PERETTE : Quand j'pense au FRANÇOUAIS qui s'est mis dans la tête de voulouair m'épouser ! MARIE-CHARLOTTE : Remarque ! C't 'encore un bieau gars ! Un peu rustre et un peu nigaud, mais pour c'qui est de la gaudriole, y doit avouair le sang assez chaud ! PERETTE : Sois pas jalouse. L'père m'a pas encore promise. Et pis, tant que l'aînée, Julienne, est s'ra pas mariée, c'est pas d'main qu'on m'verra à l'église. ANTOINETTE : Moi, l'gars que j'aimera, y s'ra tout de douceur et gentillesse. Y m'contra fleurette. Et pis si l'est ben gentil j'deviendrai sa maîtresse. Sinon, c'est moi qui't dit que j'en voudrai pas ! MARIE-CHARLOTTE : Faut qu'j'vous dise quèque chose. C'te nuit j'ai rêvé à un bieau chevalier ! Qu'est ce qu'il était bieau ! Te peux pas savouair ! Il avait des rubans partout. Et y cocotait bon, un parfum genre "saveur du souair". On n'étiont à rêvasser, y m'a serré très fort dans ses bras. Moi, j'étais comme sidéré, et au moment le plus palpitant celui qu'il allait pour m'baiser, c'est la mère qu'est v'nu m'secouer pour m'occuper du poulailler. C'te manque de veine ! ANTOINETTE : T'as pas pris rendez-vous pour la nuit prochaine ? PERETTE : Toute façon, à part quand c'est dans notre imagination, faut ben dire c'qui est, y'a pas grand chose dans la région. Et pis, un homme, c'est un homme : y sont tous identiques. Y r'cherchent avant tout l'plaisir physique. Parfois, intérieurement, quand j'me cause à moi-même, j'me dis qu'c'est des vrais animaux. MARIE-CHARLOTTE : N'empêche que mon chevalier à moi, y l'était bien bieau ! ANTOINETTE : P'têt que cette nuit y l'aura envie de changer de lit ! DON JURAN : Excusez cette interruption momentanée, indépendante de ma volonté ! Mais n'auriez-vous point vu passer un homme basse qualité qui me tient lieu de valet ? PERETTE (pâmée) : Et ben dites donc, vous on peut dire que vous êtes vachement mignon ! C'est pas tous les jours qu'on a l'occasion d'rencontrer un monsieur aussi bien accoutré, même les jours de marché ! MARIE-CHARLOTTE : Pince moi là, Capucine. J'en crois pas mes mirettes ! L'est encore bien plus bieau qu'dans mon rêve. Non, mais t'a vu la tête ! C'est pas possible qu'un pareil homme y puisse exister ! ANTOINETTE : Vise un peu les gaudasses ! Pour sûr que c't'homme y doit avoir la bourse pleine aux as! Moi j'aurai ça aux pieds, c'ta peine si j'oserai marche, d'peur d'les abîmer. DON JURAN : Ma question, je réitère : ne vites-vous point mon compagnon ? MARIE-CHARLOTTE : Nenni ! Comme vous, est-y aussi mignon ? Si oui, on s'le s'rait bien cajolé. : Le temps me presse, et c'est bien dommage. J'aurais aimé vous rendre hommage afin de profiter de vos caresses. Pour une, je me serais accordé un moment, mais vous êtes trois. Il m'en faudrait davantage. PERETTE : Vous pourriez p'têt choisir celle qui vous ferait le plus plaisir ? ANTOINETTE : Sûr que toutes les trois, on n'est pas trop vilaines. Allez, dites ce qui en chacune de nous est le plus intéressant, qui vous donne comme qui dirait des frissons. DON JURAN : Le choix est assez délicat et je ne voudrais vous faire de peine ! MARIE-CHARLOTTE : Pour ça, y a pas à vous en faire ! Où y'a d'la gêne y a pas de plaisir ! ANTOINETTE : Et pis pour une fois qu'on peut s'faire complimenter par un homme de vot' qualité! DON JURAN : Mes narines palpitent à l'effluve qui montent de votre corsage. Lourd et capiteux, ne serait-ce point "transpiration sauvage" ? A moins que la saveur poivrée ne me fasse penser à " nocturne ravage". PERETTE : Oh ! ben vous alors ! Ce gars il est plus fort qu'on'lcroit ! (Le lait tombe.) Même que mon lait il est tout renversé ! J'va m'faire enguirlander. Voilà-t-y pas un grand malheur pour une fois qu'ça faisait chaud au coeur ! (Elle se met à pleurer.) DON JURAN : Cette détresse vraiment m'apitoie. Je vais faire quelque chose pour toi : essuie ces larmes ; je te donne en écus le double de ce qu'il t'aurait rapporté. Tu vois, je succombe à ton charme. Fais-moi plaisir : cesse de te lamenter. PERETTE : D'une si noble action comment vous remercier ? DON JURAN : Votre sourire pour me ravir, me voilà récompenser ! PERETTE : Pour sûr, vous ne profitez même pas de l'occasion. Mais j'aurai mauvaise grâce à ne pas vous donner satisfaction ! Simplement, autorisez-moi un baiser en toute amitié. MARIE-CHARLOTTE : La vie est trop courte pour s'ennuyer triste ! ANTOINETTE : Allez, hop ! Vite, en piste. DON JURAN la prend dans ses bras. Arrivée de FRANÇOUAIS : Qui te rend si hardi de troubler mon ménage ? J'explose, je trépigne et j'enrage ! Quelles sont ces façons de mécréant ? Quant à toi j'va t'faire passer l'envie d'aller manger dans l'assiette d'autrui ! DON JURAN : La colère est mauvaise conseillère. Je vais tout vous expliquer. Alors que je mandais mon chemin à cette aimable bergère, (aparté : je ne vais pas lui dire la vérité), par je ne sais quelle aberration, une abeille la piqua au-dessus du menton, juste à la lisière de sa lèvre vermeille. FRANÇOUAIS : Faudrait p'têt pas m'prendre pour un couillon ! DON JURAN : Non point ! Mais la chose en est ainsi. Mon action n'avait pour seule ambition que d'extraire le dard afin d'éviter une quelconque infection. FRANÇOUAIS : J'avais plutôt l'impression bizarre qu'vous étiez en train d'la bécoter. J'me mets pas facilement en pétard, mais y'a des fois faut quand même pas en profiter. DON JURAN : Votre passion vous aura sans doute emporté ! Faites taire ces vilaines calomnies ! FRANÇOUAIS : N'empêche que j'vous ai bien vu la baiser ! MARIE-CHARLOTTE : Te fâche pas, FRANÇOUAIS, ct'homme, il est de bonne famille. ANTOINETTE : Y'a pas de quoi t'emporter ! DON JURAN : Embrassons-nous ! FRANÇOUAIS : La fille lui suffit pas. V'la't'y pas qui voudrait m'pelotter ! Ah ! Ça, j'en supporterai pas davantage ! Monsieur est de haute naissance ; alors y s'permettrait n'importe quelle inconvenance ! Chu p'têt qu'un paisan mais j'ai les deux pieds par terre et c'que j'ai vu, j'l'ai vu ! Alors tout noble que vous avez l'air, j'vais vous foutre mon pied au... DON JURAN : Oh la ! Mon bon maître, voilà des heures que je suis à vos trousses. L'inquiétude commençait à me gagner. FRANÇOUAIS : Qui c'est c'grand dadais qui vient nous troubler ? SGAGNEQUERELLE : Étiez-vous en mauvaise posture ? Voulez vous que je lui casse la figure ? DON JURAN : Non un simple quiproquo. SGAGNEQUERELLE : Bonjour quiproquo. Mon nom est SAGNEQUERELLE. T'as l'air d'un rigolo ! Oh ! Je vois que mon maître abandonne le commerce de détail pour travailler à plus grande échelle ! FRANÇOUAIS : Et que fait ton maître ? SGAGNEQUERELLE : Comme qui dirait, c'est un spécialiste du travail manuel. Alors forcément, il entretient beaucoup de relations. FRANÇOUAIS : Plus précisément ? SGAGNEQUERELLE : Il prospecte sur le terrain. Il fait des études comparatives. A sa manière, c'est un statisticien. FRANÇOUAIS : Jamais entendu parler de ce genre d'activité ! T'es en train d'menturlupiner! SGAGNEQUERELLE : Il s'agit d'une profession aux multiples débouchés. Mais il y a parfois des risques à vouloir s'y essayer ! FRANÇOUAIS : J'comprends rien à vot' baratin ! MARIE-CHARLOTTE : L'heure avance, il faudrait nous hâter ! ANTOINETTE : Au plaisir de vous revoir ; nous vous souhaitons bien le bonsoir . PERETTE : Je suis bien aise de vous avoir rencontré. Puisse le hasard faire à nouveau nos chemins se croiser ! FRANÇOUAIS : Le plus tard possible, sinon ça risque de mal tourner ! SGAGNEQUERELLE Retour table des matières 10 . LES BELLES DEVOTES ASSOCIEES Un salon sobre. Le reste contraste avec le décor austère. 1 2 3 4 5 6 - PHILOMÈNE MARGOT ÉMILILLAUX FLORE DE JOUVENCE BACON ANGÈLE SARAH MOLLO ELODIE DACTIQUE Réunion des dévotes : elles attendent DON JURAN. 1 : Alors, quelles nouvelles ? 3 : Le petit chat est mort ! 5 : Ne jouez pas les écervelées, ma chérie ! Je suis déjà assez offusquée que vous assistiez aux pièces de Molière ! Il fait fi de la moralité et ses pièces sont par trop légères. Relisez "les Pensées", au lieu d'occuper votre temps par de vains divertissements. 6 : Un peu de sérieux, mesdemoiselles ! Si je vous ai aujourd'hui rassemblées, la raison en est d'importance. 2 : Nous avons hâte de savoir la teneur de vos propos. 4 : Margot ! N'interrompez donc pas ! Vous perturbez ma concentration. 6 : Nous allons avoir une visite inattendue qui devrait vous intéresser. 1 : Mais qui ? 3 : Qui donc ? Parlez ! 4 : Je suis dans un état d'excitation ! 4 : Mais calmez-vous Margot ; un peu de raison ! Calmez vos pulsions ! 6 : Et bien, il s'agit de... 1-5 : Oui !!! 6 : Il s'agit d'une célébrité... 1-5 : Oui ! 1 - Un homme ? 2-5 : Chut ! Silence ! 1 : Je suis toute émoustillée ! 2-5 : Mais taisez-vous Philomène ! 6 : Il va venir un homme... 1-5 : Ah !!! 1 : Je vous en prie, laissez parler Élodie ! 6 : Je vous réserve la surprise, je ne voudrais point vous voir trop agitées. Nous sommes bien vu par les gens d'Église et sa visite ne doit pas être ébruitée. Notre réputation nous interdit toute parole, tout acte et toute fréquentation que la licence désavoue. Mais nous sommes entre nous, l'essentiel est de ne point faire de publicité. 1 : Bien que femmes volubiles, 4 : Nous savons très bien nous taire, 5 : Et puis, ce sera bien utile, 2 : Quand nous irons au presbytère, 3 : Pour nous confesser auprès de M. le curé. 5 : Nous aurons au moins quelques pécadilles 2 : A pouvoir lui raconter ! 3 : Car, puisque nous sommes entre filles, 4 : Il faut bien l'avouer, 1 : Après l'examen de conscience, 5 : Nous sommes parfois turlupinées. 3 : Nos péchés n'ont pas assez de consistance. 3 : Pour une fois, cela vaudra le coup de s'être déplacé !!! 6 : Un peu de sérieux, je vous en supplie ! On dirait une bande d'adolescentes. Vous n'avez plus quinze ans ! Ce n'est pas parce que je vous ai appris la venue imminente du Sieur... DON JURAN... 1-5 : Don JURAN...Oh la la !!! Arrivée de DON JURAN. 2 : Qu'entends-je ? Qu'ouïs-je ? (Elle tombe dans les pommes ; DON JURAN la reçoit dans ses bras.) DON JURAN : Je ne me savais tout de même pas aussi irrésistible ! Mais voici une belle vendange : le fruit est mûr à point et tout à fait comestible. La chair en est ferme, et le parfum, celui d'un ange. 5 : Quel compliment bien tourné ! (Même jeu.) DON JURAN : C'est fou comme je suis gâté ! Encore un morceau de choix qui dans mes bras s'échoua en toute liberté. 3 : DON JURAN ! ( À genoux, criant .) DON JURAN : C'est l'appel de la sirène qui me charme tout autant. Tu seras ma reine, je serai ton capitan. 4 : Des sels... des sels... j'ai mes vapeurs... DON JURAN : Je suis là. Je suis là. N'aie pas peur ! Pour toute perte de connaissance, je suis le parfait docteur, crois-en mon expérience ! 1 : Mon coeur a des palpitations. Je me sens encore plus hystérique qu'à la toute dernière prestation publique de Patrick !!! DON JURAN : Oublie ton chanteur. Il s'est cassé la voix ! Je serai ton enchanteur. Tu n'écouteras plus que moi. 6 : J'ai lu Platon, la République ; Descartes, les Méditations.Mais rien de comparable en herméneutique à votre langage d'exception ! DON JURAN : Je sais... Je sais... Aux âmes bien nées, le beau parler n'attend pas le nombre des années ! Déjà tout petit, dans mon berceau, je faisais de fort jolis petits rôts. Retour table des matières LES TRETEAUX AMBULANTS (6) : Ho ! Là ! Ma fille, tu me fais peur ! Toute pâle ! Ressentirais-tu quelques douleurs ? LOUISETTE : Non ! BONIFACE : Ah ! Je vois, tu es fatigué. Il est vrai que la tournée est exténuante ! LOUISETTE : Non ! BONIFACE : Bien, bien, bien...Une dispute, une mésentente ? LOUISETTE : Non ! BONIFACE : Oh ! Je vois, une fille comme toi, si coquette, rêve sans doute de faire quelques emplettes ? LOUISETTE : Non ! BONIFACE : Alors, il ne reste qu'une solution : ton coeur est en tire-bouchon, car tu es amoureuse ! Dis-moi le nom de ce garçon qui te rend si malheureuse ? LOUISETTE : MARTIN ! BONIFACE : Oh ! Non ! LOUISETTE : Mais si ! BONIFACE : Oh ! Non ! Pas lui ! LOUISETTE : Mais je ne l'aime pas. Et cet abruti n'arrête pas de tourner autour de moi comme un satellite. BONIFACE : S'il n'a pas encore commencé la mise en orbite, on peut toujours dévier la trajectoire. LOUISETTE : Alors, fais-le bien vite avant que mes lance-missiles ne le transforment en passoire. Et d'abord, pourquoi lui as-tu donné l'autorisation de tenter mon ascension ? BONIFACE : Moi ? LOUISETTE : Il me l'a dit ! BONIFACE : C'est n'importe quoi ! LOUISETTE : Mon coeur et mon corps m'appartiennent. Il n'est pas encore né celui qui me prendra pour sienne. BONIFACE : Méfie-toi de devenir vieille fille avant qu'il n'apprenne à jouer aux billes ! Il est des sommets si difficile d'ascension qu'ils restent vierge de toute expédition. LOUISETTE : Tu pourras néanmoins dire à cette greluche que je ne suis ni un jouet, ni un ours en peluche. BONIFACE : Ce serait-il aventuré à quelques gestes déplacés ? LOUISETTE : Penses-tu ? Ce grand dadais est tellement niais qu'il lui faudra bien neuf mois avant d'oser m'embrasser. Et encore, comme il est novice, il lui faudra du temps pour comprendre la notice ! Voilà pourquoi j'ai pas envie de m'en embarrasser ! BONIFACE : Je savais les filles émancipées, mais au point de vouloir tout régimenter, il y a une marge ! Il serait tant que je la reprenne en mains avant qu'un autre de la chose se charge ! BONIFACE Retour table des matières 11. LA TAVERNE DE MARIE TAVERNE : DON JURAN assis. Grand fauteuil. Ballet autour de lui : filles à ses genoux. : Vous servirais-je encore de ce nectar divin issu tout droit d'un grand château qui a pour nom "Père Julien" ? CLÉMENTINE : Mon seigneur est-il satisfait ? Désire-t-il quelqu'autre miche de pain pour accompagner ce délicieux civet de lapin comme toujours, préparé avec amour ? AMANDINE : Ou sa seigneurie désire-t-elle goûter aux fromages, qui de nos régions, font la réputation ? Un peu de camembert de Normandie, de la fourme d'Ambert ou du reblochon fait maison ou du gruyère ? A moins que vous ne préfériez un morceau de roquefort ou une part de chamois d'or ? DON JURAN : Du pain, du vin, du boursin !!! TOUTES : And the world can fall ! DON JURAN : Mes sens sont doublement réjouis. Mon palais fut sensible à toutes ses choses exquises, et mes yeux amoureux ont glissé avec gourmandise sur vos visages de princesses et vos maintiens de marquises ! FRANCINE : Mon maître, vous voilà donc pleinement satisfait de tous ces mets qui vous ont été servis ? DON JURAN : Du contraire, j'eus été fort marri ! Tant exquise fut la sauce des anguilles que frissonnent encore mes gustatives papilles ! Quant à ton gibier parfaitement cuisiné, il contenterait le plus fin des gourmets. A flot a coulé la boisson ; mais tu sais que je n'en abuse jamais plus que de raison. Je parlerai à qui de droit pour qu'enfin l'on vous octroie une étoile supplémentaire sur le guide du parfait libertaire. Tout était donc parfait, ma brave Marie. Et je ne doute pas qu'un jour lointain, de tes recettes réputées, on ne fasse la publicité : " la cuisine de Marie" ; sans compter que les hôtes sont d'un commerce agréable, et qu'il me plaira revenir m'asseoir à cette table. Pendant ce temps - là, les filles ont parlé entre elles. AMANDINE : Partout l'on vante votre éloquence avec admiration, votre brio dans l'art si difficile de la diction. Ne voudriez-vous pas pour notre plaisir, un petit poème maintenant nous dire ? TOUTES : Oh oui ! Un petit poème, s'il vous plaît ! DON JURAN : Ma foi, je ne sais... TOUTES : Oh DON JURAN, s'il vous plaît ! DON JURAN : Fort bien, puisque vous insistez, voilà de quoi vous contenter : "Tirelipinpon sur le chiwawa Tirelipinpon un coup en l'air un coup en bas Tirelipinpon avec la tête avec les bras Touches mes castagnettes Et je toucherais tes ananas". Tout le monde tire triste mine durant la tirade de DON JURAN. SGAGNEQUERELLE : Moi aussi, je pourrais dire un petit poème. DON JURAN : Oh ! Non ! SGAGNEQUERELLE : Un tout petit... TOUTES : Si, si, si ! FLORENTINE " Sous ton regard d'enfant Miroir trop émouvant S'abritent les désirs Des espoirs à venir Silhouette mystérieuse Arrogante et gracieuse Tu as peur et tu oses Toute métamorphose Secrète et transparente Timide et insolente Tu feins la séduction Par la provocation Réservée et câline Sérieuse ou bien coquine Tu protèges ton coeur De l'amour par pudeur. AMANDINE : C'était merveilleux ! FRANCINE : J'en ai les larmes aux yeux ! FLORENTINE : Quitte à vous paraître romantique, facilement je m'émeus à l'audition d'une telle musique ! CLÉMENTINE : Je crois que je pourrais perdre la tête, et mon corps de même si personne ne m'arrête! DON JURAN : Voyons ! Voyons ! Ce n'est pas l'heure, ni le lieu de vous laisser aller. Remettons à plus tard ces émouvantes manifestations, si vous le permettez. Qui a dit que le silence était d'or. D'être bien en verve, voilà le seul effort qui me permet d'obtenir, ma foi, bien des réconforts !... Mon petit poème à moi a provoqué un petit creux que je comblerais bien par un dessert plantureux. FRANCINE : Oh DON JURAN laisse-moi te l'apporter ! CLÉMENTINE : Non, non, cet honneur me revient. Toi, tu as déjà servi le pain. AMANDINE : Fi donc ! Moi seule amènerais son dessert à DON JURAN, car moi seule connaîs les goûts de cet homme gourmand ! FLORENTINE : Vous trompez toutes ! Car c'est moi qu'il choisira. DON JURAN, ne nous laisse plus dans le doute. Choisis celle qui te servira ! DON JURAN : Bien difficile me semble le choix. De même qu'entre plusieurs pâtisseries on hésite, je ne peux pas prendre cette décision au plus vite. Il me faut un temps de réflexion pour décider de celle qui se chargera de cette mission. TOUTES : Moi, moi, moi, moi, moi, moi, .... DON JURAN : Peut-être choisirais-je FLORENTINE... Encore qu'elle ne soit qu'une gamine... Ou encore AMANDINE. Je ne sais... Pourquoi pas FRANCINE, dont les blanches mains manient si bien la farine ?... Ou alors CLÉMENTINE ? Dont le doux parfum parfume les savarins. Voilà un choix difficile... Mais toi, jolie fille, dont le son de la voix n'est pas encore parvenu jusqu'à moi, n'aimerais-tu pas m'apporter un dessert de ton choix ? CHARLOTTE (qui n'a pas participé et a regardé tout cela avec dédain) : Moi, monseigneur ! Vous me confiez cet honneur ? (Ironie.) DON JURAN : Oui, car, comme en amour, je suis friand de nouveauté ; et des mains exquises comme les tiennes sont promesses de qualité ! : Fort bien! Par quoi puis-je vous tenter ? Seriez-vous alléché par une tarte de ma confection dont moi seule ai le secret ? DON JURAN : Fais m'en donc la surprise, s'il te plaît. Elle revient : gâteau et crème chantilly. CHARLOTTE: Voilà qui devrait vous satisfaire, je crois ! Laissez moi d'abord vous faire l'inventaire de ce met de choix : un gâteau aussi fondant que le coeur des femmes qui en vous écoutant perdent leur âme. A l'intérieur, l'acidité de fruits en harmonie avec la teneur de votre esprit. Et puis, pour couronner le tout, une onctueuse crème, légère comme le vent, aussi inconsistante que les paroles dont vous usez tout le temps et qui n'ont de saveur qu'au moment où on les entend ! DON JURAN interloqué. CHARLOTTE : Ne soyez pas pressé ! Avant de le goûter, ne voulez-vous point son doux parfum humer ? DON JURAN se penche et reçoit le gâteau en pleine figure. Cris d'effroi des filles qui se précipitent pour l'essuyer. DON JURAN : Quelle est cette plaisanterie au goût plus que douteux ! Pourquoi, sacrebleu ! Pourquoi cette colère ? Ai-je donc si mal agi pour mériter un tel revers ? CHARLOTTE : Vous avez le toupet d'en mander la raison ! Ce que vous avez fait ? Mais regardez-les ! Vos doucereuses paroles et vos caresses affectueuses abusent les femmes. En toute confiance elles se laissent charmer. Elles abandonnent leur innocence au moindre sourire que vous daignez leur accorder ! Imposteur qui sous le couvert de l'honnêteté jouit impunément de la candeur que vous pervertissez ! Êtes-vous seulement capable, une seule fois de vous attacher vraiment ? DON JURAN : Oui, à toute femme exclusivement ! CHARLOTTE : A toutes !!! La formule est talentueuse ment paradoxale ! DON JURAN : Quoi de plus normal ! Chaque femme est dépositaire d'un des secrets de la féminité. Tels ces preux chevaliers en quête de la vérité, je veux déchiffrer l'énigme du charme inhérent à l'âme féminine. Vous me semblez fort malencontreusement confondre "fidélité" et "exclusivité". Qu'y a-t-il de condamnable à vouloir être charitable ? CHARLOTTE : Vous maniez fort bien la rhétorique ! Et votre esprit s'accommode aisément de ce genre de gymnastique ! Mais vous ne savez pas la simplicité. Pour vous l'amour est un jeu aux règles très compliqué ! Mais c'est que sans aucun doute, le verbe "aimer", vous n'avez jamais appris à conjuguer ! Elle sort, la tête haute, tandis que les autres s'empressent pour essuyer Don JURAN. DON JURAN : Certes, j'ai perdu une bataille, mais je n'ai pas perdu la guerre ! Il faut que de ce pas j'aille à nouveau à l'assaut. Et ce n'est pas cette pucelle qui m'empêchera de me remettre en selle ! CHARLOTTE Retour table des matières LES TRETEAUX AMBULANTS (7) LOUISETTE : Papa ? BONIFACE : Oui ! LOUISETTE : Il faut que je te parle. BONIFACE : Oui. LOUISETTE : Et bien voilà ! BONIFACE : Oui. LOUISETTE : Je suis enceinte ! BONIFACE : Oui. LOUISETTE : C'est tout ce que cela te fait ? BONIFACE : Ah ! Oui ! Comment est-ce arrivé ? LOUISETTE : Écoute, tu as de ces questions ! BONIFACE : Alors, la graine a levé ? LOUISETTE : Oui, la cigogne a déposé son baluchon ! BONIFACE : Et la cigogne, c'est...Martin ! LOUISETTE : Plutôt que du nom du géniteur, ne pourrais-tu te soucier de mon destin ? BONIFACE : C'est vrai, il faut lui trouver un prénom à ce garçon ! LOUISETTE : D'hypothéquer sur son sexe n'est point l'heure ! Et avant que de penser au père ou à l'enfant, tu pourrais t'inquiéter pour la mère ! BONIFACE : Vois-tu, j'ai toujours pensé que, dans ce genre d'affaire, l'enfant est le premier concerné...puisqu'il est le nouveau-né ! Quant au père, tu avoueras qu'il est souvent le premier surpris et le dernier informé ! Mais la femme, elle, doit être responsable de ses actes et savoir les assumer. LOUISETTE : "Sois belle et tais-toi", voilà toutevotre philosophie ! Nous voir marcher en canard, avoir la figure toute bouffie, ne plus savoir comment nous allonger dans un plumar, et sentir à n'en plus finir les coups de pieds du jeune premier, tout celà est le dernier de vos soucis ! BONIFACE : Dis moi, pour une fille qui vient d'être fécondée, tu n'as rien d'une femme inféodée à la suprématie masculine, même paternelle ! LOUISETTE : Je t'ai menti . Fausse était la nouvelle ! BONIFACE : Alors il n'y aura pas de figure poupine sur laquelle je pourrais me pencher ! Et je ne serais pas grandpapa ! LOUISETTE : Non ! BONIFACE : Mais pourquoi cette invention ? LOUISETTE : Je suis en manque d'affection et j'avais envie que tu penses à moi ! BONIFACE : Mais pourquoi cet émoi ? Ecoute, tu sais combien je t'aime et toute la tendresse que j'ai pour ma LOUISETTE. LOUISETTE : Seulement, rarement, tu me la manifestes ! De pages d'écriture en projets de spectacles futurs ; de répétitions en représentations, il n'est guère de moments où nous soyons seuls, tous les deux, un instant. BONIFACE : J'avais déjà deviné la teneur de tes propos, je les savais par coeur, mot à mot. Tu as raison, petite fille : on court après des mirages, des lambeaux de bonheur, on grapille d'éphémères plaisirs, on s'enivre de paroles volages... On joue à faire semblant. Pourtant la vie est là, dans la peau d'une main, au fond d'un regard, au creux d'un coeur d'enfant. Mais pour s'en apercevoir, il faut être déjà un peu vieux ; et alors, il est trop tard ! LOUISETTE : Mais mon père, vous n'ètes pas vieux ! Je vous prie de m'excuser pour cette trop facile tristesse. Je vous assure que je vais déjà beaucoup mieux. BONIFACE : C'est ainsi que j'aime te voir. Tu as raison, on s'abandonne aisément aux idées noires ; mais le bonheur, il faut le gagner sans cesse, sans être jamais sûr de l'avoir... Allez, remues un peu tes fesses ! Il nous faut penser au spectacle de ce soir... (Il regarde son ventre.) Une dernière chose : excuse mon indélicatesse, mais je crois que cela commence à se voir ! Retour table des matières 12 . BERANGERE Dans un parc, un bois, un bosquet... un lieu de rencontre. : C'est une vision vraiment charmante qu'une dame en si bel équipage ! A n'en point douter, vous êtes l'incarnation de la féminité. BERANGERE : Vos paroles quelque peu grandiloquentes, d'un libertin sont souvent l'apanage. Faites fi de ces longues digressions. Soyez à la hauteur de votre lignage ! DON JURAN : J'avoue à un tel discours ne pas être habitué. L'éloquence aurait-elle à vos yeux perdu toute grâce ? Et la reconnaissance de vos qualités vous laisse-t-elle de glace ? BERANGERE : Pour une femme libérée, les flagorneries sont un outrage. Vous voulez m'amuser avec votre bavardage ! Mais ces temps sont révolus, nous vivons un autre âge où l'égalité des sexes est enfin reconnu. DON JURAN : Ces idées révolutionnaires ne laissent rien présager de bon ! On verra bientôt les pauvres pères, non seulement s'abaisser aux travaux du ménage, mais encore à leurs enfants donner le biberon ! BERANGERE : Pour une fois vous serez peut-être utile ! De là partant, on vous sera enfin reconnaissant de ne pas vous perdre en ces choses futiles dont vous vous targuez tout le temps. DON JURAN : Mais chaque sexe n'a-t-il point par nature un rôle où il doit se cantonner ? BERANGERE : Voilà un discours oh combien ressassé ! La femme aux épluchures et l'homme à se reposer ou à papillonner ! Et dans quelle juridiction vites-vous jamais écrit de pareilles aberrations ? DON JURAN : Il est des lois non écrites qui ont plus de force que vos sottes affirmations. Et tout ce que vous me dites sonne à mes oreilles comme pure élucubration ! BERANGERE : C'est votre réponse qui sonne creux ! En cela même, elle est déjà un aveu de votre infériorité, je dirais même de votre impuissance, si me l'autorisait la décence ! DON JURAN : Vous allez même jusqu'à l'insolence ! Vous savez bien qu'en duel je ne peux vous provoquer. Votre faiblesse légendaire est manifeste dès qu'il s'agit de vous mesurer physiquement. Et c'est là que le bas blesse : le vice de votre raisonnement ! BERANGERE : L'occasion ne m'a pas encore été donnée de mettre en pratique les leçons reçues depuis dix années d'un maître asiatique, 6° dam de karaté. DON JURAN : Vous bluffez ! Mais je suis beau joueur et je tiens le pari que cette branche de belle épaisseur, vous ne pouvez briser sans aide extérieure. BERANGERE : C'est un jeu d'enfant que vous me proposez là. N'auriez-vous pas défi quelque peu mieux choisi pour que vous soyez enfin conscient de ma suprématie ? DON JURAN : Vous essayez de biaiser. Je vous mets le dos au mur et vous voilà à parlementer. Pourquoi une expérience plus dure, alors que ma proposition suffirait à tester d'évidente façon la véracité de vos allégations ? BERANGERE : Nombreux sont ceux de votre sexe à toujours quémander quelque preuve. Pourtant les évidences vous vexent, vous repoussez toute idée neuve. A vos yeux, qu'une femme puisse vous égaler semble tenir de la monstruosité ! La force serait votre apanage. Fort bien ! Je ne discuterais pas davantage et je vais vous faire la démonstration par a plus b de la fausseté d'un tel langage. (D'un coup, d'un seul, elle brise la branche.) DON JURAN : J'en conviens ! Pour un coup de maître, c'en est un ! Sans aucunement vouloir avec vous poursuivre la polémique, permettez-moi seulement de rester DON JURAN sceptique. Ne faites-vous pas figure d'exception ? Les femmes se prêtent rarement à de telles exhibitions ! BERANGERE : De votre côté, n'êtes-vous pas dans votre genre une sorte de curiosité ? Un éternel séducteur sans domicile fixe ! Apparemment aussi courageux pour traquer le gibier amoureux que pour vous engager sans peur dans n'importe quelle rixe. DON JURAN : Un jugement aussi bien fondé tient-il de l'observation ou repose-t-il sur votre féminine intuition ? BERANGERE : Il suffit d'une réflexion infime pour mettre à nu les raisons qui vous animent. Votre inconstance manifeste n'est pas signe d'élection. Chaque belle vous fuirait comme la peste s'il fallait avec vous vivre en union. DON JURAN : L'hypothèse est amusante, mais la réalité bien différente. BERANGERE : Péremptoirement vous affirmez votre personnalité en prétendant avoir à votre actif je ne sais combien de trophées, et encore plus de victimes en puissance. Vous dites apprivoiser même les coeurs les plus rétifs et des âmes charmer jusqu'à l'innocence. DON JURAN : Vous vous prêtez là à une véritable dissection de l'éthique libertine. Le scalpel est acéré et la lame bien fine. BERANGERE : Attendez, si j'arrêtais ici, l'analyse serait superficielle. Vous vous mentez à vous-même DON JURAN ! Ce ne sont pas les femmes que vous cherchez, véritablement, c'est vous que vous fuyez ! DON JURAN : Vous commencez à vous occuper de psychologie : je crains l'hémorragie. Mais inutile peut-être de se faire du mauvais sang. BERANGERE : Votre humour est un peu moins corrosif, cependant ! Vous voulez faire accroire que l'idéal du libertin est la conquête insatiable des femmes. Mais la raison vitale d'un tel dessein est la pauvreté incommensurable de votre âme. DON JURAN : Jusqu'où ne vont pas vos interprétations ! Il y transparaît quelque vanité. Je suppute même un zeste de présomption ! BERANGERE : Telle la pieuvre ou la sangsue, vous vivez aux dépends d'autrui, vous vous nourrissez d'illusions que vous entretenez, incapable que vous l'êtes de voir au miroir le reflet de votre médiocrité ! DON JURAN (jouant la comédie) : Je souffre ! Vous m'avez blessé au coeur ! Regardez maintenant dans quel état j'erre ! Ne voulez-vous pas être ma soeur ? La soeur BÉRANGÈRE ? La soeur infirmière ? Sinon je crains la crise cardiaque : je me sens tout à coup tout patraque ! BERANGERE : Vous êtes habile dans l'art de la comédie ! Mais je reste insensible à votre "one man show" ! Tant sont cousues de fils blancs toutes vos facéties, histrion ridicule ! Indécrottable macho ! DON JURAN : Des femmes comme vous je n'en ai pas connu moult ! Vous êtes une femme Barbara Gould ! Elle s'en va. DON JURAN : Pourvu que dans les siècles à venir, ce genre de minettes ne se mettent point à proliférer. Car comment pourrions-nous soutenir l'assaut de ces mutants pestiférés ? J'ai pourtant un QI tout à fait honorable ; mais foi de Don Juran, j'ai bien été incapable d'avoir du répondant. J'ai perdu tous mes moyens. Heureusement, personne n'en fut témoin ! SGAGNEQUERELLE : Sauf le public, mais comme il ne comprend jamais rien, inutile de tourner la chose au tragique ! Ne vous mettez pas martel en tête, je connais un psychanalyste fort honnête qui vous fera une thérapeutique. Retour table des matières 13 . LE PSYCHANALYSTE Un cabinet de consultation. : SGAGNEQUERELLE, regarde autour de toi ! Ne suis-je pas le point de mire, celui que tout le monde aime et admire ? Sur moi, les regards se posent avec émoi ! SGAGNEQUERELLE : Fi donc, Monsieur ! Ces gens vaquent ce soir à leurs affaires. Ce peuple bigarré va former le plus joli parterre qui soit et applaudir de leurs dix doigts une parodie de Molière. Peu leur importe que le célèbre DON JURAN, d'orgueil blessé et le coeur malmené, ait soudain décidé de se faire psychanalyser. Voici le cabinet. J'avais téléphoné pour prendre rendez-vous. Je vous laisse en tête à tête avec le grand Manitou. DON JURAN : L'entreprise ne me tente guère. Le diable emporte cette BÉRANGÈRE qui me pousse à aller raconter l'histoire de mes actes manqués. LÉONARD CISSISME : Conte DONJURAN, je présume ? DON JURAN : C'est bien le nom qu'il assume ! LÉONARD CISSISME : Pourquoi entre vous et lui tant de distance? DON JURAN : De vos propos, je ne saisis pas le sens. LÉONARD CISSISME : Vous parlez de vous à la personne troisième. Existerait-il entre vous et vous un quelconque dilemme ? DON JURAN : Il y a parfois entre DON JURAN et moi quelques désaccords implicites sur l'image qu'il projette. D'amour, point il ne suscite, de lui se détournent les têtes. LÉONARD CISSISME : Voilà un cas intéressant de dédoublement de la personnalité ! Votre ego est atomisé entre l'être et le paraître. La coexistence entre un moi manifeste et un je intériorisé créé une relation conflictuelle générant chez vous une angoisse d'ordre existentielle. Des facteurs extérieurs et convergents ont dû provoquer une scission affective ; tant est que le moindre agent, opérant par accident, réanime l'émoi originel et trouble votre conscience qui fonctionne de manière alternative ! DON JURAN : Grands Dieux, que sont ces sons ainsi saucissonnés dont le sens échappe à mon intelligible faculté ? LÉONARD CISSISME : L'âme humaine est une énigme, obscurs sont les moteurs qui l'animent. Par là même, mes mots sibyllins à ouïr captent le secret de votre agir. J'ai pour habitude d'observer mes patients avant d'aller plus avant. Par ici, je vous prie ; veuillez vous allonger sur ce divan. Je serais en quelque sorte un autre vous-même qui vous écoutera : mon nom est assez évocateur de mon professionnalisme : Léonard Cissisme. DON JURAN : Fort bien, fort bien! L'ami, qui votre talent et mérite m'a vantés, m'a assuré que, comme par enchantement, l'homme souffrant qui apparaît aujourd'hui devant vous, s'en repartirait, heureux, comme le DON JURAN qu'il était. LÉONARD CISSISME : "Enchantement" est un terme par trop magique ; la cure que nous amorçons est de nature clinique. Tout homme est par nature un sujet de névrose, et c'est en lui que se trouve la cause. Ma science est à votre disposition afin que tous deux nous trouvions une solution à l'état de mélancolie que vous subissez, et dont la plus évidente manifestation est votre état de prostration... DON JURAN : M'autorisez-vous une question avant la première audition? LÉONARD CISSISME : Oui, mais ce sera la seule. Je vous aurai prévenu. Mon cabinet est un véritable confessionnal et c'est à vous de vous mettre à nu ! DON JURAN : Pour un confessionnal, le divan me semble anachronique ; une chaise ou un fauteuil ne seraient-ils pas plus pratique ? LÉONARD CISSISME : Primo, la position allongée est une position de relaxation et facilite par là même la concentration. Secundo, le divan n'est-il pas le siège de DON JURAN toutes nos facéties. Tertio, il est le lieu le plus propice à ces secrets d'alcôve auxquels l'on s'abandonne avec délices. Lové auprès d'une belle dame, on ose lui dire que l'on succombe à son charme. Et lorsqu'enfin la journée touche à sa fin, le divan protège nos ébats et nos câlins. DON JURAN : A vous écouter, je me surprends à penser que le divan est tout un symbole et que c'est sur lui que nos amours s'immolent. LÉONARD CISSISME : C'est véritablement le confident de nos délires! DON JURAN : Et c'est un matelas "Epéda multi soupirs", du ressort à n'en plus finir ! LÉONARD CISSISME : A présent, racontez-moi votre histoire et tentons de cerner la source de vos déboires. Commençons par... le commencement ! DON JURAN : Et jusqu'où dois-je aller plus avant ? LÉONARD CISSISME : Lorsque vous étiez encore petit enfant. DON JURAN : Même bébé ? LÉONARD CISSISME : Rien de prohibé ! Il ne serait pas surprenant que là résidât la raison de votre état ! DON JURAN : Soit ! Mais pour si loin remonter, je ne puis dire que ce que l'on m'a raconté. Je suis né sous les meilleurs auspices puisque trois fées sur mon berceau se sont penchées, et sans aucune fausse malice, m'ont fait don de trois qualités : l'éloquence, l'esprit et la beauté. J'avoue par le destin avoir été comblé. LÉONARD CISSISME : Êtes-vous sûre que ce soit là toute la vérité ? Une pièce du puzzle ne vous aurait-elle pas échappée ? DON JURAN : Je ne vois pas laquelle. Je fus né pour séduire les belles et depuis, sans relâche, je m'attelle à la tâche. Au début tout fût facile tant les femmes à mon charme étaient dociles. A l'école, déjà, l' ABBÉ CASSINE pour mes exploits se turlupine : réussite donc sur le plan intellectuel et pour des succès un peu plus... manuels! LÉONARD CISSISME : A votre mère étiez-vous très attaché ? DON JURAN : Comme tout fils, je ne manquais ni une fête ni un anniversaire. Mais de là à supposer que j'en étais amouraché... LÉONARD CISSISME : Mais lorsque vous étiez encore pubère n'étiez vous point trop chouchouté ? DON JURAN : Dans ses bras, je me reposais beaucoup, il est vrai. Je crois que très heureuse elle en était. LÉONARD CISSISME : Une mère porteuse et qui s'y complaît. Voilà l'explication, évidemment! La racine de vos refoulements : l'enfant devenu homme recherche dans la femme parfaite l'idéal maternel. Le cordon ombilical coupé, sa soif de tendresse reste insatisfaite. DON JURAN : Je peux vous certifier que tel n'est pas mon cas. Maman n'avait rien de ses beautés de catalogues, toutes identiques et parfaitement analogues, mannequins aseptisés qui reproduisent indéfiniment en un long défilé le prototype artificiel d'une poupée sans rien dans la cervelle ! Petite et grasse, dans l'allure aucune audace. L'antithèse absolue de celles sur lesquelles je jette mon dévolu. LÉONARD CISSISME : Le point de vue physique n'était pas l'objet de mon propos. Ce sont les vertus morales, l'absence de défauts de votre mère sur lesquels il faudrait nous pencher plutôt. DON JURAN : Connaissez-vous donc ma mère ? LÉONARD CISSISME : Non point. Mais l'archétype féminin est le modèle ancestral sur lequel nous projetons la femme idéale... Cette conception, d'ailleurs, n'a rien d'inédite. DON JURAN : Naturellement, puisque vous le dites ! LÉONARD CISSISME : Le complexe d'Oedipe n'est donc point encore dépassé : le surmoi occulte le ça de votre moi. DON JURAN : Le complexe de...? LÉONARD CISSISME : D'Oedipe. De sa mère il devint amoureux avant que de se crever les yeux. DON JURAN : De vos propos je demeure tout ahuri ! Amoureux de ma mère, point ne suis. Je me suis d'ailleurs toujours demandé pourquoi papa l'avait épousée... LÉONARD CISSISME : Fort intéressant que ce commentaire. Vous n'aimez donc pas votre mère, vous la haïssez ! DON JURAN : Mais ma parole, je suis tombé sur un déséquilibré qui veut d'abord que de ma mère je sois l'amant, et qui ensuite, à force de palabrer, va me prouver que c'est une passion meurtrière dont je ne suis que l'instrument. Allo maman Dolto, comment tu l'as fait, il est pas beau! Et puis arrêtez de parler de ma mère, sinon je pique une colère ! LÉONARD CISSISME : Votre cerveau est un labyrinthe aux multiples dédales où, sans les secours de la psychanalyse vous perdez les pédales. Mais si vous séduisez les femmes et les faites fondre en larmes, c'est pour mieux ensuite les laisser choir. Cependant l'hécatombe de ces belles dames montre le désespoir d'un homme qui par sa mère fut frustré, et qui à tout le sexe faible veut le faire payer ! DON JURAN : Que non ! Vous n'avez rien compris à ce qui m'amène ici : mon problème n'est pas de promettre aux femmes merveilles et monts, puis de les quitter sans autre façon, mais il est, qu'à présent, elles ne répondent plus comme avant à mes pouvoirs de séduction ! LÉONARD CISSISME : Ah ! Votre libido n'exerce plus de pouvoir attractif. Donc impossibilité d'un transfert affectif ! DON JURAN : Les mots me manquent pour décrire ce que je vis. Il semble que je n'entende plus rien aux femmes d'aujourd'hui. LÉONARD CISSISME : Ne pouvez-vous m'illustrer cette situation d'anxiété pour m'y sensibiliser ? DON JURAN : Les exemples abondent. Il n'y a pas deux jours, me promenant sur les bords de Loire, j'aperçus un objet à la peau blanc ivoire ; je m'approchai pour d'un peu plus près voir : une jeune fille se baignait dans le courant de l'onde pure ; je survins, attiré par l'amour de la nature. " Qui te rend si hardi de troubler ainsi mes sens", lui dis-je en toute pleine décence. "Sire, répondit-elle, que votre Majesté ne se mette pas en état d'excitation, j'accomplis simplement mes matinales ablutions ; et je ne veux en aucune façon vous troubler". Dieu sait qu'avec cette naïade, je me serais bien noyé ! " Tu me troubles, répondis-je perturbé ; et tu cherches à m'électriser". "Voilà bien grande bêtise", me dit-elle, en retournant se baigner. Comme un benêt, je restais sur la plage, ignorant tout des rudiments de la nage. LÉONARD CISSISME : Qui trop étreint mal en brasse, et le plus malin boit la tasse. DON JURAN : Tenez, encore hier, une silhouette singulière attira mon regard un peu désabusé. Avec elle, de mes mots, je voulus ruser. Elle me scruta, et d'une habileté diabolique, répondit du tac au tac à mon ping-pong linguistique. A la balle aux mots, pour la première fois, je me suis cassé les dents. LÉONARD CISSISME : Cette femme a-t-elle éprouvé pour DON JURAN une quelconque répulsion physique ? DON JURAN : Non point ! Sa réaction typiquement féminine était de nature plus épileptique. L'éloquence, dont je me targue d'être un des plus notables représentants, mon nom n'est-il pas DON JURAN, lui apparaissait comme un outrage. Les mots dont je fais pourtant si bel usage semblaient glisser sur son âme, sans l'émouvoir. Elle alla même jusqu'à vouloir, c'est un comble, en duel me provoquer. Les femmes d'aujourd'hui renonceraient-elles à leur féminité, balayant par là-même des principes qui faisaient force de loi ? Si tel est le cas, que nous reste-t-il, à nous les hommes ? Quel rôle nous échoit ? Et que vont devenir tous les séducteurs qui, comme moi, faisaient feu de tout bois, si le bois ne se résout plus à s'enflammer ? LÉONARD CISSISME : Voyons, il est intéressant de noter, tout d'abord, que votre cas, vous avez fort bien su analyser. Maintenant, pour ce qui est de vos interrogations... DON JURAN : Et bien quelles réponses y trouvez-vous donc ? : Tout bien pesé, il semble bien que ce soit l'essence même des femmes qui... DON JURAN : J'en étais certain, je suis parfaitement sain... de corps et d'esprit. Les femmes, seules, sont responsables de cet imbroglio. LÉONARD CISSISME : Certes, les femmes ont beaucoup de défauts, mais... DON JURAN : Quoi ? Vous, un homme, vous ne serez point de mon côté ? LÉONARD CISSISME : Ne voyez point en moi un égal, mais un praticien diplômé qui doit faire fi de toute considération sexiste afin d'équilibrer en chacun de nous les pulsions antagonistes. Or donc, si à l'impassibilité des femmes vous vous heurtez, il faut en vous trouver la solution à la difficulté que vous avez de vous adapter à ce monde nouveau. DON JURAN : Nouveau ? Je ne vois rien de nouveau. Depuis la guerre du feu, nous avons deux jambes, nous avons deux yeux. Et mon ancêtre cromagnon, s'il n'avait pas inventé la poudre, connaissait déjà les multiples façons dont avec les femmes il faut en découdre. La manière de faire des enfants est identique depuis l'aube des temps, heureusement ! LÉONARD CISSISME : Mais en vain chercheriez-vous des signes de rébellion ! Les femmes ont de plus subtiles dispositions. Pour nous amener à leur fin, qui est de reconnaître leur égalité, elles se contentent, sous des dehors de soumission, de saper et transgresser l'autorité que sur elles nous avions. Quoique nous puissions penser, elles nous mènent souvent par le bout du nez, avec subtilité et raffinement... DON JURAN : Mais si à ce nouvel ordre je ne peux m'opposer, quelle solution allez-vous me proposer ? LÉONARD CISSISME : Hélas, je ne crois pas aux miracles ; essayez plutôt de contourner l'obstacle ! A l'impossible, nul n'est tenu ! DON JURAN : Ce serait un comble que DON JURAN abandonne et ne jette plus son dévolu sur personne. Mais pourquoi plaindre la femme, puisqu'elle est consentante ? Depuis qu'elle se prétend libérée, elle n'a jamais autant travaillé. Cette féminine évolution, loin d'être preuve d'une amélioration me semble, tout au contraire, signe d'une évidente régression... Foi de libertin, il doit bien exister un pays lointain où la femme est encore innocente et n'est point contaminée par ces idées de notre société, dite "civilisée". LÉONARD CISSISME : Le monde est vaste. Cet esprit de révolte fébrile qui sévit en notre pays a probablement épargné quelque contrée éloignée. DON JURAN : Devrais-je donc chercher le repos dans l'exil ? Et sacrifier tout ce à quoi je tiens ? LÉONARD CISSISME : Non point ! Laissez l'exotisme venir à vous ; aux belles étrangères, intéressez-vous ! Aujourd'hui les échanges culturels sont multiples au sein même notre belle ville. Penchez-vous sur d'autres cultures et, grâce à cette ouverture de... l'esprit, vous retrouverez l'entrain qui vous manque tant et la passion infinie qui vous caractérise tant. DON JURAN : Monsieur, je ne sais comment vous remercier de ces conseils éclairés ; une inquiétude cependant : si ce plan devait échouer et que je vienne à rechuter... LÉONARD CISSISME : Aux grands maux, les grands remèdes ! Si le Bon Dieu n'y peut rien, adresse-toi à ses saints. Si Allah est en dérangement, téléphone à Hamed. DON JURAN : Le numéro où je peux joindre le monsieur ? LÉONARD CISSISME : "Madame", conviendrait beaucoup mieux. DON JURAN : Quoi ! Une femme psychologue ! N'y a-t-il donc plus rien de sacré, que même la science en leurs mains soit tombée ! LÉONARD CISSISME : C'est, il est vrai, très contrariant ; mais Sophie Flavier bénéficie d'une clientèle dont le chiffre va croissant ; et l'audimat qui va grimpant est la preuve du nombre d'auditeurs fidèles. Mais avant qu'à une femme aller vous LÉONARD CISSISME confier, mettez en pratique la thérapeutique conseillée et les choses ne pourront que mieux aller. DON JURAN : Par le poids de la tâche à accomplir, je me sens soudain écrasé. LÉONARD CISSISME : Rendez-vous plus léger en vous soulageant de quelques écus, digne récompense pour ces conseils impromptus, mais dont un jour, vous me remercierez. Au fait je fais appeler, ou vous rentrez "cha pied" ? Retour table des matières 14 . SERENADE A LA CYRANO Au cours d'un bal, DON JURAN rencontre DOÑA IÑES. DOÑA IÑES chante en espagnol. : Écoute cette voix ; quel murmure enchanteur, plus troublant que le bruit d'un ruisseau. SGAGNEQUERELLE : Il se fait tard. Je suis fourbu, et m'est avis que je ne serais point à la hauteur s'il me fallait répondre avec ardeur aux désirs de quelque coquette. DON JURAN : Mais il n'en est point question. Tu serais capable de te mettre en situation fâcheuse. Épargne : moi ces soucis-là ; je t'interdis de courir la gueuse ! SGAGNEQUERELLE : De ce pas, je m'en vais faire ripaille, avant que de m'allonger sur quelque coin de paille où je pourrais dormir. DON JURAN : Moi, je m'en vais fleureter doucement, butiner la fleur nouvelle, voir mûrir le désir dans ses yeux, et délicatement cueillir l'adorable jouvencelle... Il va vers DOÑA IÑES qui chante. DON JURAN : La lune est belle, et votre charme dans la nuit fait vibrer le coeur de l'inconnu que je suis. DOÑA IÑÈS : Este languaje me es desconocido. DON JURAN : Pardon, quel est ce langage ? DOÑA IÑÈS : Español. DON JURAN : Je ne comprends rien à ce galimatias. SGAGNEQUERELLE ? SGAGNEQUERELLE : Oui, oui oui, quoi donc encore ? DON JURAN : De tes services, j'ai besoin, car me voilà dans l'embarras ! Je te nomme secrétaire, mes propos tu lui traduiras, car cette dame ne les comprend pas. SGAGNEQUERELLE : Et en quel langage devrais-je m'exprimer ? DOÑA IÑÈS : Español ! DON JURAN : Comprends-tu ? SGAGNEQUERELLE : Oui, Da ! D'espagnol, il me reste quelques arrières, immigré durant la dernière guerre. C'est d'Espagne que je suis originaire. DON JURAN : Alors, traduis mes propos. SGAGNEQUERELLE : Il faudra me payer en écus supplémentaires. DON JURAN : Rusé, tu n'en as pas l'air, mais tu as le sens des affaires ! Accordé ! Mais souviens-toi : les écus, c'est bien ; en abuser, ça craint. SGAGNEQUERELLE : Avec vous, pas de souci ; mon déficit approche celui du budget de l'état. Que dois-je traduire ? DON JURAN : Qu'au son de sa voix, mon sang ne fait qu'un tour et que mon coeur en chavire ! SGAGNEQUERELLE : Al sono dé ta vocé, son sagno, y fi ouné cerclo ; é il al coeur tout t'chaviré. DOÑA IÑÈS (DOÑA IÑÈS ne comprend rien) : Es un piropo ? DON JURAN : Que dis -t-elle ? SGAGNEQUERELLE : Elle est ravie ! DON JURAN : Dis -lui qu'elle est la plus belle ! SGAGNEQUERELLE : Esta bellissimo ! DON JURAN : Et très charmante ! SGAGNEQUERELLE : Charmentissimo ! DON JURAN : Adorable ! SGAGNEQUERELLE : Adorabilissimo ! DON JURAN : Je lui offre ma vie. SGAGNEQUERELLE : Il dona sa vie in cado ! DOÑA IÑÈS : Pero que hace tu amo ? SGAGNEQUERELLE (aparté) : Coup de peau, j'ai compris ! Esté oune conquistador ! DON JURAN DON JURAN : Qu'entends-je ? Qu'ouïs-je ? N'y aurait-il pas malentendu créateur de litige ? DOÑA IÑÈS : Descubrio alguna tiera desconocida ? SGAGNEQUERELLE : Des terres connues, des terres inconnues, des lacs salés, des forêts vierges, des déserts de glace. Il n'est guère de terrain où il ne soit passé. Et tel Attila, partout où DON JURAN passe, les maris se tracassent ! DON JURAN : Je crois que tu ne dis plus le texte ! Je ne vais pas te payer en écus bien sonnants, mais en coups de pied au cul... Insolent ! ! ! DON JURAN tire les cheveux de SGAGNEQUERELLE qui tombe à genoux. DON JURAN le couvre de coups de pieds bien sentis. DON JURAN : Señora, excusez ce valet indélicat qui vous a offensé ! Par mon sang, il faudra te repentir ! DOÑA IÑÈS et ses suivantes s'en vont. SGAGNEQUERELLE : L'échec est déjà suffisamment cuisant ! Ne pourrions-nous pas convenir d'un autre rendez-vous où vous pourriez vous entretenir à son corps défendant. DON JURAN : Le jeu de mots est fendant ; laisse-moi rire ! SGAGNEQUERELLE : Et où je ne serais présent que pour vous soutenir ? DON JURAN : Je te laisse une dernière chance. Trouve où se situent ses dépendances et nous irons, lorsque la nuit avance, lui chanter la sérénade sous son balcon !... Tableau qui fait suite à ce premier tableau. SGAGNEQUERELLE : Mais pourquoi tant de hâte, mon bon maître ? Pourquoi cette allure ? (SGAGNEQUERELLE se frotte souvent les fesses, celles-ci souffrant encore des coups reçus.) A courir ainsi derrière vous, je crache mes poumons, et j'ai encore les fesses en marmelade ! MUSICIENS : Et nous ne serons point en mesure de bien vous donner la mesure ni de lui chanter l'aubade ! DON JURAN : L'amour me donne des ailes. Je ne me sentirais heureux que près d'elle. SGAGNEQUERELLE : Ce n'est pas une raison pour appuyer sur le champignon ! DON JURAN : Tant mes paroles vont la surprendre, que je vois déjà son regard s'illuminer ! SGAGNEQUERELLE : Encore faudra-t-il vous comprendre ? Et pour ce qui est du regard... ! ! ! La nuit est si noire ! DON JURAN : Cesse de jouer les rabat-joie ! Tiens, regarde, voici une étoile ; n'est-ce pas un signe de bon aloi ? SGAGNEQUERELLE : Une étoile, mais une étoile filante, c'est un mauvais présage ! DON JURAN : La peste soit du jour où il a fallu que je t'engage ! Au moins es-tu sûr que par ici se trouve sa demeure ?... Ou je lui parle ce soir, ou je meurs ! SGAGNEQUERELLE : Fiez-vous à votre valet ; il a de bons renseignements. Mais avant ce grand événement, me permettez-vous une question ? DON JURAN : Certes, certes, je t'écoute. Mais dépêchons ! SGAGNEQUERELLE : Un problème me chagrine, cette dame au demeurant très mutine, à notre belle langue, vous le savez, est fermé. Car de l'autre côté des Pyrénées... (ironique) c'est l'espagnol qui est parlé ! DON JURAN : Mais le langage de l'amour est universel, mon pauvre SGAGNEQUERELLE. Du reste, l'ouvrage que tu t'es procuré est la solution toute trouvée. Ainsi tu t'es racheté de la vilainie que l'autre jour tu me fis. SGAGNEQUERELLE : Français-espagnol : le mot et l'idée ; ou comment convaincre une andalouse de devenir votre épouse. Ainsi vous allez pouvoir traduire l'indicible. Tous vos mots ainsi transcrits toucheront la cible d'un coeur jusque-là indompté. DON JURAN : Tous les mots, certes non ! Mais l'essentiel à n'en pas douter ! De la flamme dans le ton et du feu dans les yeux : je mets l'incendie à sa raison. En vérité l'idiome importe peu. Mais pour parler d'amour, je ne suis pas sans recours. Tu es là pour me seconder au mieux. SGAGNEQUERELLE : Moi, et comment, Grands Dieux ! Je ne veux point une nouvelle fois subir votre courroux ! Mes fesses se souviennent encore des nombreux coups que, dans votre détresse, vous leur avez infligés. Vous avez pris pour un punching- ball ce qui me tient lieu de trou de... DON JURAN : Ne sois pas vulgaire, même en matière de derrière ! Je ne te demande pas d'inventer. Dans cet ouvrage il te suffira de piocher... une traduction appropriée. SGAGNEQUERELLE : Une... ? Attention : nous y voici ! DON JURAN : La fenêtre est fermée et les rideaux tirés. Serait-elle déjà endormie? Telle la Belle au Bois dormant elle n'attend plus que son prince charmant. Allez, jouez troubadours, jouez ! Et que votre musique s'élève jusqu'à elle comme un parfum d'amour. Chanson : Ti Amor (italien.) La fenêtre s'ouvre : DOÑA IÑÈS apparaît sur le balcon. DOÑA IÑÈS : Que es esto ? Que Pasa? De donde viene esta musica ? DON JURAN : DOÑA IÑÈS CONCEPTION Y ASUMPCION ANGELES DE JÉSUS !... SGAGNEQUERELLE : Quel bon début ! Quel feu d'artifice ! Je suis un peu novice. Mais à mon idée, il y a une "jota" que vous avez oubliée. DON JURAN : Que me parles-tu de roter ? Devant une jolie femme me faudra-t-il toujours te gourmander. Reste dans l'ombre et contente-toi de traduire ce que je n'aurais su dire. SGAGNEQUERELLE : Fort bien ! Je vois que je vous encombre ! Je suis l'intrus, le malaimé, le malotru, le mal au trou, le malmené ! DOÑA IÑÈS : Quien habla ? Quien esta aqui? DON JURAN : Qu'est-ce qu'elle dit ? SGAGNEQUERELLE : Elle demande qui est là. DON JURAN : Don Juran, chère DOÑA, DON JURAN qui, hanté par l'image de votre beauté, ses hommages est venu vous présenter. SGAGNEQUERELLE : Je doute qu'elle ait compris ! DON JURAN : Chut ! Écoute : elle reste coi ! Le charme de ma voix l'a déjà conquise. Et je m'attends à une réplique exquise. DOÑA IÑÈS : DON JURAN ? No me acuerdo de haber le encontrado a usted. Es usted un amigo del marques de Thunder ten tronck ? DON JURAN : Si, si. Chez le marquis, nous nous sommes rencontrés. Rencontramos en el marques. Alors, vous ne m'avez pas oublié ? Chère, chère DOÑA IÑÈS ! DOÑA IÑÈS : Perdon ? Que dices ? DON JURAN : Un mot pour chère. Vite triple idiot ! Il me faut battre le fer quand il est chaud ! SGAGNEQUERELLE : Quérida... me semble la traduction... DON JURAN : Corrida ! Corrida... De mi corazon. DOÑA IÑÈS : Corrida ? Donde esta la corrida ? SGAGNEQUERELLE : Non, pas "corrida" ! Quérida ! DON JURAN : Ah ! Ça, fais-tu exprès de me tourner en ridicule ? N'es-tu point capable de traduire, ne serait-ce qu'une virgule ?... Quérida Dona. Vous êtes bella comme une étoile. SGAGNEQUERELLE : Una estrella ! ! DON JURAN : Quoi? SGAGNEQUERELLE : Ne faites pas attention ! Continuez à votre façon ! DON JURAN : DOÑA IÑÈS CONCEPTION , mi corazon bat si fuerte quand je vois usted. Vous êtes una maravilla, una purra maravilla ! DOÑA IÑÈS : Quien es este ombre? : Oh ! Oui, continuez de parler. Votre voix à nulle autre pareille, résonne comme un chant à mes oreilles. Dans la lumière blafarde, je ne peux que vous deviner, mais je sens que mes propos sont suffisamment hard pour pouvoir vous embrasser ! SGAGNEQUERELLE : Quel beau discours ! Dommage qu'il ne soit payé de retour. Mon Maître, je crois qu'en vain vous vous mettez en frais, car cette dame ne comprend pas le français. DON JURAN : Je suis sûr qu'elle me comprend et m'en vais te le prouver sur-lechamp. DOÑA IÑÈS CONCEPTION ! Mi amor ! DOÑA IÑÈS : Si, Signor ? DON JURAN : Elle ne peut déjà plus échapper à l'appel de ma voix. DOÑA IÑÈS , puis-je monter vous voir afin qu'à mon amour il vous soit donné de croire ! DOÑA CONCEPTION , si je t'aima ! SGAGNEQUERELLE : Ti amo ! Non ! Non ! Te quiero ! DON JURAN : Alors, il faudrait savoir ! SGAGNEQUERELLE : Essayez te quiero : je crois que c'est le bon mot. DON JURAN : DOÑA IÑÈS , te quiero, te quiero mucho, mucho, mucho ! DOÑA IÑÈS : Que dice ? Me parece que esta usted loco ! DON JURAN : Tu vois que je fais bien d'abattre mes atouts. SGAGNEQUERELLE : Oh ! Pour ça oui, elle vient de dire que vous étiez fou, fou d'elle à n'en point douter ; mais ce n'est guère là le sens qu'elle y a prêté ! DON JURAN : Tais-toi ! Ignorant ! Tu n'entends rien au sens de ses paroles. Il me semble, à moi, que je deviens doué pour l'espagnol. DOÑA IÑÈS , pardonnez l'audace de mes propos ; mais de vous savoir si près, me rend comme vous dites, un peu loco ! Votre parfum porté par la brise m'enveloppe, m'enivre et me grise. Le reflet lunaire qui vous auréole, les étoiles qui dans vos yeux scintillent en corolles et le vent qui dans vos cheveux s'affole... Je suis l'enfant amoureux de sa baby doll ! Soyez mon jouet, ma poupée corolle, ma princesse Barbie ; tout à la fois ma Juliette et mon Ophélie ! Je serais Tristan et Roméo, tous les amoureux réunis... Tenez ! Et pourquoi pas Tarzan trouvant Jane en plein coeur de l'Amazonie ! En un mot, pour vous, je serais Johny, l'idole au coeur brisé ; ou bien Patrick, le charmeur à la voix cassée ! Si tu veux, je deviendrai roi, tu seras ma reine, je serai l'océan, tu seras ma sirène ! Je serai la cruche, tu seras ma fontaine... M'entendez-vous ? Sacrebleu, elle est partie ! ! ! Elle est partie ! ! ! SGAGNEQUERELLE : Pour une cruche, vous m'en avez tout l'air ! DON JURAN (les yeux levés vers le balcon) : Oh ! Fontaine, je ne boirais pas de ton eau ! SGAGNEQUERELLE : Le fabuliste s'est bien mis le doigt dans l'oeil ! Et vous, vous avez le bec dans l'eau. En voulant piéger trop beau trophée, on apprend à philosopher ! Puisse cette aventure vous faire devenir plus sage ! Vous êtes comme le corbeau honteux et confus, jurant, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus ! DON JURAN : Sur ce sujet, plus un mot, silence ! Et ne t'avise jamais de me faire souvenir de cette aventure. Car alors il t'en cuirait, je t'assure. Fini de courtiser de fières étrangères. Je retourne à mes bergères. On a beau nous dire que l'Europe il faut construire, encore faudrait-il en donner le mode d'emploi pour y parvenir ! Quant à moi, il n'y en a plus qu'une qui me plaise... et naturellement... c'est la française ! Mais la seule, l'unique, la super, c'est celle de Saint-Nazaire ! DON JURAN Retour table des matières 15 . LA MEGERE Même décor. : Mais qu'est-ce donc que tout ce raffut? N'est-il plus possible aux honnêtes gens de dormir la nuit? DON JURAN : Si j'ai fait du bruit, je ne m'en suis point aperçu. Quant aux honnêtes gens, comment pourrais-je leur avoir nui ? Il n'y a pas d'heure pour pouvoir plaire. Retournez donc retrouver votre partenaire. MÉGÈRE : Quelle audace ! Je devine sous votre cuirasse un homme aux moeurs légères. Sachez, monsieur, que, en aucune manière, nous ne pouvons nous autoriser à passer la nuit à batifoler, car demain, il nous faut aller travailler ! DON JURAN : Et quand donc prenez-vous le loisir de vous amuser ? Il sera bien temps, quand vous aurez cinquante ans de vous morfondre de remords et de vous attrister d'une jeunesse perdue et qui jamais ne revient plus ! MÉGÈRE : Voilà bien les paroles d'un homme plein d'écus ! Mais, étant donné le déficit de la sécu, la retraite dans le bec ne nous tombera pas toute cuite ; et ce ne sont pas gentilshommes de votre sorte, qui la paresse habite, sur qui l'on pourra compter. DON JURAN : Votre amant ne saurait-il satisfaire le devoir conjugal pour que vous vous abaissiez à des soucis purement financiers ? Vous oubliez sans doute le principal : l'essentiel n'est-il pas d'aimer ? MÉGÈRE : Monsieur, vous vous oubliez ! Comment osez-vous tenir de tels propos à une femme de mon âge et de ma vertu, ici, à minuit, et en pleine rue ? DON JURAN : Et en chemise de nuit, par surcroît ! MÉGÈRE : Qu'imaginez-vous donc ? Que j'allais descendre à peine vêtue? DON JURAN : Moi, vous imaginez nue ? J'aurais peur, je crois ! MÉGÈRE : Mufle ! Goujat ! Il va vous en cuire, et ici même. Attendez que mon mari... Léon ? Léon ? DON JURAN se précipite et la bâillonne. DON JURAN : Votre mari de descendre aura la flemme. Déjà de vous avoir épousé, il doit être bien fatigué ! Heureusement, sans doute, fites-vous sa connaissance dans le noir ; car autrement, pour vous caser, il n'y eut point d'espoir ! Par chance, l'amour se fait la nuit, sinon, il se fut enfui ! MÉGÈRE : Qui vous permet de tels propos grossiers ? Mon mari, il est vrai, n'est plus tout frais ; mais il est un temps où tous les hommes me poursuivaient en courant. DON JURAN : N'allez pas me dire que même DON JURAN... MÉGÈRE : Si, justement, je vais le dire ! Je le clame haut et fort : DON JURAN, un jour, fût un amant extraordinaire ! DON JURAN : Cela ne se peut ! SGAGNEQUERELLE, vérifie un peu dans le livre des records si tu vois le nom de ce corps. SGAGNEQUERELLE : Je n'ai pas la liste alphabétique, et vu le délabrement de la personne en question, je deviendrai paraplégique avant de mettre la main sur son nom. MÉGÈRE : S'il vous faut une preuve, laissez-moi vous la donner : DON JURAN, après m'avoir courtisée s'en est allé une certaine HÉLOïSE épouser. DON JURAN : Papa ! Cela ne se peut ! MÉGÈRE : Papa ! Seriez-vous donc...? DON JURAN : Son rejeton ! Oui madame, pour vous servir. MÉGÈRE : Justement, dans un de mes délires... DON JURAN : M'imaginez-vous amoureux ? MÉGÈRE : Toujours ! DON JURAN : Qui en est l'instigatrice ? MÉGÈRE : De l'amour, j'aime être l'institutrice ! Et si ce que l'on dit de vous est vrai, votre père en tous les domaines, vous surpassez ! DON JURAN : Mais je ne suis plus un écolier ! MÉGÈRE : Alors, devenez maître ! DON JURAN : Pour vous donner des cours particuliers ? MÉGÈRE : A tous vos jeux, je suis prête ! DON JURAN : Veuillez préciser votre pensée. SGAGNEQUERELLE : Mon maître, attention, vous allez vous fourvoyer ! MÉGÈRE : Seriez-vous innocent au point de ne pas comprendre ce que je veux vous faire entendre ? Que faites-vous demain, entre cinq et sept ? DON JURAN : La question n'est pas bête. Cependant, sur mon carnet sont sans doute inscrits tous les rendez-vous de l'après-midi. SGAGNEQUERELLE, vérifie, je te prie. SGAGNEQUERELLE : Non, je ne vois rien d'écrit ! MÉGÈRE : Tout s'arrange pour le mieux. Mon mari, à cette heure regagne son cercle de jeu. Nous aurons tout le temps de nous connaître plus à fond. DON JURAN : Pourquoi tant de précipitation ? Le plaisir est éphémère, trop vite consommé. Il faut un peu plus de modération si l'on veut savoir le déguster. MÉGÈRE : Mais plus on avance en âge, plus ces préceptes sont hors d'usage ! On délaisse la quantité pour mieux se concentrer sur la qualité. DON JURAN : Mais, pour vous, la date limite ne serait-elle pas dépassée ? Le produit est peut-être avarié ? MÉGÈRE : Pour le savoir, ne vaudrait-il pas mieux y goûter ? DON JURAN : Faut-il l'agiter avant de s'en servir ? MÉGÈRE : Attention, je pétille, vous pourriez être éclaboussé. DON JURAN : Quelqu'un a sans doute oublié de remettre le bouchon vous semblez quelque peu éventé. SGAGNEQUERELLE : Si par des effets de rhétorique, vous voulez échapper à la pratique, l'affaire me paraît mal engagée : car la dame semble bien accrochée. MÉGÈRE : D'ailleurs, après nombre de repas bien arrosés, l'eau plate a des vertus digestives inégalées ! DON JURAN : Léon ? Léon ? Descend. J'ai la même à la maison... MÉGÈRE Noir. Retour table des matières LES TRETEAUX AMBULANTS (8) LOUISETTE : Papa, il y a là quelqu'un qui désirerait un entretien. BONIFACE : Est-elle jolie au moins ? LOUISETTE : Tu n'auras qu'à juger sur le tas, tu verras bien ! BONIFACE : Mais ce n'est pas un cageot, un boudin ! LOUISETTE : Papa ! Rengaine ta panoplie de termes éculés. Le physique n'est pas un critère suffisant pour juger. BONIFACE : Oui, mais c'est celui qu'on voit le premier. Et je ne vois pas pourquoi les filles passeraient tant de temps à s'enjoliver, si ce n'était pour plaire ! Allez, fais la rentrer. MARIE ANGE : Bonjour. BONIFACE (à sa fille) : Tu peux disposer, tu peux disposer ! MARIE ANGE : Je suis d'une impardonnable impolitesse, je vous prie de m'excuser. BONIFACE : Point du tout, point du tout ; que puis-je faire pour vous ? MARIE ANGE : J'apprécie de vos propos la délicatesse. Je suis orpheline et sans personne pour s'occuper de moi. BONIFACE : Mais voilà qui est parfait ! MARIE ANGE : Pardon, s'il vous-plaît ? BONIFACE : Je pensais aux méfaits dont vous pourriez être l'objet. Et je m'appitoie sur le sort qui vous échoit ! MARIE ANGE : Vous êtes trop gentil ! BONIFACE : C'est ce que tout le monde dit . MARIE ANGE : N'auriez-vous point un quelconque emploi, même temporaire, même pour un mois ? Je sais tout faire. BONIFACE : La chose est envisageable ; pour débuter, un rôle secondaire ferait-il l'affaire ? MARIE ANGE : Je ne sais si je saurais jouer la comédie. BONIFACE : Il suffira d'écouter ce que je vous dis, d'être naturelle, et de jouer avec passion. MARIE ANGE : Je vous serais toute obéissance et satisferait vos désirs à la moindre occasion. Je sens que je peux vous faire confiance. BONIFACE : N'exagérons pas... tout dépend des circonstances ! MARIE ANGE : Je crois que vous êtes un homme honnête et il n'y a aucune raison que je m'inquiète. BONIFACE : Vous avez raison, j'ai toujours été trop bête pour tirer profit de la situation. Mais il ne faut pas pousser trop loin le bouchon, je serai tenté de pécher. MARIE ANGE : Je ne suis qu'un tout petit poisson... BONIFACE : Qui deviendra grand pourvu que Dieu lui prête vie : alors, le lâcher en attendant, je crois que c'est folie ! Retour table des matières 16 . DON JURAN FAIT LE JACQUES BERANGERE : Tenez, ma chère Scarlett, cette missive vous est adressée. SCARLETT : : Qui peut donc bien m'envoyer ce courrier ? Dans la région je ne connais personne. MÉLANIE : Mais à votre charme, déjà l'on s'abandonne. Les compliments foisonnent. Le fait que vous veniez de l'autre côté de l'océan, de ce nouveau continent... BÉRANGÈRE : A fait de chacune de vos apparitions un événement ; et nombreux sont les messieurs prêts à vous faire de doux yeux, espérant vous voir bientôt à leur genoux. SCARLETT : BÉRANGÈRE ! Ma chère, par ce marivaudage, vous me savez fort peu intéressée, car je partage en tout point votre avis sur de tels séducteurs invétérés. BÉRANGÈRE : Je sais et m'en réjouis. SCARLETT : Arrêtons-là ce bavardage, et découvrons sans plus tarder l'auteur de ce texte si bien enrubanné. SCARLETT : On dirait un poème... MÉLANIE : C'en est un. Et même, devinez : le signataire n'est autre que... le célèbre DON JURAN ; on le dit si parfait ! BÉRANGÈRE : Je vous en prie ! De ce mufle, je ne veux plus rien savoir ; et j'ose croire qu'à ses mots doux, vous refuserez de succomber, et lui riverez son clou ! SCARLETT : Certes ! Certes ! Mais la lecture d'une lettre que je devine pédante ne peut être qu'amusante. Allez, ma chère Mélanie, veuillez nous régaler des vers du plus célèbre séducteur de France ! MÉLANIE : Quelques lignes vous sont d'abord adressées. SCARLETT : Lisez en toute confiance ! MÉLANIE : Ma chère Scarlett, votre souvenir occupe mon esprit jour et nuit. Vous avoir vue quelques minutes m'a suffi pour savoir qu'à vous je m'attacherais volontiers, si l'occasion m'en était donnée. Votre amie, hélas, vous a sûrement mis en garde contre moi. Et je n'ai trouvé qu'un poème pour espérer provoquer en vous quelqu'émoi. SCARLETT : Voyons voir cela ! MÉLANIE : Ne me quitte pas. SCARLETT : Drôle de façon de commencer ! Comment peut-on quitter quelqu'un avec qui on n'a jamais été ? MÉLANIE : Il faut oublier, tout peut s'oublier. BÉRANGÈRE : Pour moi, c'est déjà fait ! Que ce monsieur se rassure ! MÉLANIE : Peut-être se réfère-t-il à son écriture ? SCARLETT : N'auriez-vous pas commencé ce poème par la fin ? Ne manquerait-il pas une strophe, un vers enfin ? MÉLANIE : Tout peut... qui s'enfuit déjà. BÉRANGÈRE : Ah ! ça, il se targue d'être un beau parleur, mais rien ne va plus lorsqu'il devient rimailleur. SCARLETT : Qui s'enfuit déjà ? Serait-ce une interrogation? MÉLANIE : Qui s'enfuit déjà ? Ou d'un nouveau style la manifestation ? Oublier le temps des malentendus. SCARLETT : Voilà décidément un verbe qui lui tient à coeur. On peut, sans se méprendre, en déduire que de maintes dames il a déjà provoqué la rancoeur. MÉLANIE : Et le temps perdu à savoir comment... BÉRANGÈRE : Il n'est pourtant pas homme à perdre son temps ! SCARLETT : Ou à tergiverser sur le pourquoi du comment. MÉLANIE : Oublier ses heures qui tuaient parfois à coups de pourquoi le coeur du bonheur... : Les images de ce cher DON JURAN manquent un peu de saveur, tant il est vrai que le temps nous tue un peu plus chaque jour, et même à chaque heure. MÉLANIE : Ne me quitte pas... SCARLETT : Je me demande si c'est un effet de rhétorique... MÉLANIE : Ou simplement sa plume qui s'est soudain enrayée. (Rire.) BÉRANGÈRE : Par manque de pratique... SCARLETT : Voyons le 2° couplet. MÉLANIE : Moi je t'offrirai... SCARLETT : Ah ! Le voilà qui devient enfin intéressant ! Serrons la chose de plus près ! MÉLANIE : Des perles de pluie venues de pays où il ne pleut pas... SCARLETT : D'un illogisme sans borne, et hypocrite, comme tous les hommes ! MÉLANIE : Leurs cadeaux sont si extraordinaires, qu'on ne peut les trouver... SCARLETT : Heureuse manière de tout présent ainsi nous priver ! MÉLANIE : Je ferai un domaine où l'amour sera roi, où tu seras reine... SCARLETT : Mais la monarchie est passée de mode, mon cher ami ! Même cette vieille Albion en fait désormais fi ! Regardez Charles et Diana. Que ne donneraient-ils pas pour vivre comme vous et moi ? MÉLANIE : Ne me quitte pas... SCARLETT : Tiens, ce doit être une sorte de refrain. Un quelconque développement ayant cherché en vain, il a choisi de se répéter. BÉRANGÈRE : Il n'est, hélas, pas le seul à utiliser le procédé ! MÉLANIE : Je t'inventerais des mots, des mots insensés que tu comprendras... SCARLETT : Que l'on puisse faire espérer comprendre quelque chose qui n'a pas de sens, est assurément de tout homme l'essence ! MÉLANIE : Les femmes, elles, savent utiliser un langage clair... BÉRANGÈRE : Sans fioritures, symbole de notre droiture... MÉLANIE : Je te raconterais l'histoire de ce roi mort de n'avoir pu te rencontrer... SCARLETT : Pure invention ! Basse flatterie ! Si un homme, surtout un roi, était mort pour moi, j'aurais été, il me semble, la première avertie. MÉLANIE : Ne me quitte pas ! BÉRANGÈRE : Décidément, cela tourne à l'obsession ! SCARLETT : A moins que ce ne soit la réaliste vision d'un homme lucide qui se rend compte qu'on peut avoir envie de le quitter avant même de l'avoir rencontré. MÉLANIE : On a vu souvent rejaillir le feu de l'ancien volcan qu'on croyait trop vieux... SCARLETT : Le paysage s'élargit, car ne nous préoccupons pas ici de géographie... MÉLANIE : Mais en fait d'explosions volcaniques... BÉRANGÈRE : Les actions de DON JURAN me semblent bien platoniques ! MÉLANIE : Et quand vient le soir, pour qu'un ciel flamboie, le rouge et le noir ne s'épousent-il pas ? SCARLETT : Aurais-je des visions ? Des hallucinations ? Ou le célèbre DON JURAN , séducteur d'internationale réputation, aurait-il osé... le mot... épouser ? Mais je ne suis pas une oie blanche, BLANCHEFLEUR et ses congénères ont disparu depuis longtemps. MÉLANIE : Ne me quitte pas... BÉRANGÈRE : Je me demande pourquoi cet homme, entre deux refrains, prend la peine d'écrire un poème ? L'idée maîtresse étant exprimée en quelques mots, je ne vois pas la peine d'en rajouter à gogo ! MÉLANIE : Je ne vais plus pleurer, je ne vais plus parler... SCARLETT : Quel dommage ce serait, car votre éloquence, votre esprit ne sont-ils pas vos atouts les plus percutants? MÉLANIE : Un DON JURAN muet serait comme un pain sans levain, in champagne sans bulle... SCARLETT BÉRANGÈRE : Il devient insipide, pour ne pas dire ridicule... MÉLANIE : Laisse moi devenir l'ombre de ton ombre... BÉRANGÈRE : Permettez-moi de me gausser à l'image d'une telle vision ! SCARLETT : Sans vouloir être désagréable, il me paraît, étant donné notre différence de stature, hautement improbable que nous puissions nous confondre dans la nature ! SCARLETT (lui arrache le poème) : Quant à l'ombre de ma main, elle a d'autres chats à fouetter ! BÉRANGÈRE (qui prend le poème) : En ce qui concerne l'ombre de ton chien, inutile d'en parler, car vous n'en avez point ! SCARLETT : Pauvre DON JURAN, écrire un poème à une parfaite inconnue, quelle idée saugrenue ! On y fait des impairs, qui ne peuvent se racheter, même par des vers ! MÉLANIE : Il ne faudrait pas oublier les quatre vers qui ce délicieux poème parachèvent : Ne me quitte pas... SCARLETT : Je sens que je deviens chèvre ! BÉRANGÈRE : S'il est vrai que la répétition est la base de tout apprentissage, il me semble qu'ici on insiste un peu trop sur le message ! SCARLETT : Les hommes tiennent de forts jolis propos. Quel dommage que leurs actes ne soient pas à la hauteur de leurs mots ! Car si l'on veut être romantique, il faut en connaître la pratique, sous peine de se voir dissiper l'enchantement, comme autant en emporte le vent... Retour table des matières 17 . LES MEDECINS La scène se SGAGNEQUERELLE DOCTEUR DOCTEUR DOCTEUR DOCTEUR DOCTEUR déroule dans et DON JURAN. le A : Dolor ! B : Dolorans ! C : Dolorentes ! A : Ne parlez-pas ! B : A votre visage blême, cabinet du DOCTEUR BRASSEFLOUZ. Entrent je devine déjà un état d'asthénie, compliqué d'une septicémie purulente. DOCTEUR C : Nous commencerons par vous conseiller une crème, un onguent réputé pour les soins de la peau. DOCTEUR B : "Nirvana-crème" connu pour ses effets aphrodisiaques. SGAGNEQUERELLE : Il y a erreur sur la personne. (Il court pour s'échapper.) DOCTEUR A : Ce produit miraculeux, à base de plantes a été conçu par les laboratoires "Waldec Rocher" et est depuis peu conseillé par Rika Sacask qui a participé aux derniers entretiens de Beauchat. (Il montre un gros livre impossible à soulever.) DOCTEUR B : Asseyez-vous : là ! SGAGNEQUERELLE (qui s'assoit à contre coeur) : J'ai la frousse, les pétoches, les boules, les glandes qui s'entrechoquent ! DOCTEUR C : Un état d'excitation proche de la déréliction ! DOCTEUR B : Pauvre homme ! DOCTEUR A : Faites-moi voir vos pieds ! (SGAGNEQUERELLE obéit, le médecin lui chatouille les pieds avec une grande plume.) DOCTEUR C : Ca vous chatouille ou ça vous gratouille ? DON JURAN : Dussé- je vous paraître tout à fait novice, je ne vois pas l'intérêt d'un tel supplice ! DOCTEUR B : Il s'agit d'un thérapeutique révolutionnaire. DOCTEUR C : L'homme est ainsi fait que, par nature, sa position étant d'ordinaire debout. DOCTEUR A : Tous les microbes bacillaires se réfugient au bout de l'assise plantaire. DOCTEUR B : D'où cette théorie, déjà connue des médecins arabes et grecs, nouvellement remis au goût du jour par M. Warech, spécialiste des alguigoéléments : "comment soigner par les plantes du pied ? " DON JURAN : La science m'étonnera toujours. SGAGNEQUERELLE : Je voudrais juste... DOCTEUR C : Silence ! DOCTEUR B : Restez coi ! DOCTEUR A : Quelques boutons purulents, signe d'un excès d'aliment. DOCTEUR B : La digestion subit des embarras gastriques. DOCTEUR C : Il suffira de quelques antalgiques. SGAGNEQUERELLE (crie) : Je ne suis pas malade ! DOCTEUR B : C'est toujours la réaction du patient avant le diagnostique. DOCTEUR A : Allongez-vous sur le lit pour un examen clinique. DON JURAN : M. le médecin, mon valet est très sain et bien portant. De moi, je n'en dirais pas autant ! DOCTEUR B : Hm ! Hm ! Il se passe parfois des phénomènes d'osmose qui font se transfuser sur le partenaire le surplus d'overdose lié à l'évaporation de l'air. DON JURAN : Devant ces propos énigmatiques, ma foi, je demeure sceptique ! Autant en matière de séduction, il faut travestir l'expression, et avec les mots, jouer de façon poétique. Mais nullement lors d'une consultation. DOCTEUR A B C : Ah ! DON JURAN : Pour les libertins, les mots sont des moyens de parvenir à leur fin. Mais chez vous autres, médecins, l'abus de termes techniques cache mal l'impuissance de vos thérapeutiques. Sans compter que ce charabia... DOCTEUR B : Monsieur, je ne permettrais pas ! DOCTEUR C : Je n'autoriserais pas ! DOCTEUR A : Je ne tolérerais pas ! DOCTEUR B : L'ossature corporelle est tant complexe que la causalité des endémies laisse parfois perplexe. DOCTEUR C : Et je me prévaux d'avoir guéri toutes sortes de maladies. Interné aux hôpitaux de la capitale, j'ai pratiqué nombre de dissections. DOCTEUR B : Expert en lavement de la partie abdominale, je sais aussi très bien lire dans les sécrétions. DOCTEUR A : Comment sont vos selles ? DON JURAN : Pardon ? DOCTEUR C : La couleur et la saveur de vos excrétions ? DON JURAN : C'est à moi que vous posez la question ? DOCTEUR A : La matière fécale a-t-elle une consistance normale ? DON JURAN : Mon regard ne s'attarde point sur ce qui fait l'objet de vos soins. DOCTEUR B : Les constipations et les coliques sont à l'origine de maux chroniques. La substance organique, ainsi élaborée, par les synthèses chimiques est l'aboutissement d'une chaîne de production mécanique. Le produit final fait l'objet de tous nos soins et doit être contrôlé à tous les stades de sa fabrication artisanale. DOCTEUR A : Quelle est la couleur de votre urine ? DON JURAN : Rose bonbon, acidulé clémentine. DOCTEUR C : Un surplus d'albumine ! DOCTEUR A : Trop de sucs ! DOCTEUR B : Trop de graisse ! DOCTEUR C : Il vous faut un régime express ! DON JURAN : Généralement, un médecin ne cherche pas la rapidité. Il prolonge à l'infini l'état du malade, allant même parfois jusqu'à l'aggraver ; tant que la bourse du client subit une cure de régime amaigrissant. Mais avec tout cela, je ne connais toujours pas la raison de mon état, cette fatigue prononcée et cette incapacité à me faire de nouvelles relations. Je suis comme dans un état de prostration. DOCTEUR A : Regardez-moi ! DOCTEUR C : Votre oeil vitreux est mal dépoli. DOCTEUR B : Cela peut être à l'origine de vos revers de contact ? La sagesse populaire ne dit-elle pas "bon pied, bon oeil" ? DON JURAN : Quel serait votre conseil ? DOCTEUR A : Ouvrez la bouche ? DOCTEUR C : De façon un peu plus béante... DOCTEUR A : Langue pâteuse et haleine sulfureuse ! Signe précurseur d'une cirrhose grimpante. DOCTEUR B : Il me faut vous faire subir une saignée de façon urgente. DON JURAN : Est-ce aussi grave que vous semblez le suggérer ? N'aurais-je pas, tout du moins attraper une quelconque M.S.T.? SGAGNEQUERELLE : traduction pour les non initiés : maladie sexuellement transmissible. A éviter, si possible ! Pendant ce temps, le docteur est allé chercher les instruments. Gros sachet de sang et un seau pour récupérer le sang : saignée de façon comique évidemment : le seau déborde. DON JURAN : Mon coeur va-t-il supporter un tel traitement ? Regardez : le sang fait des bulles. Il se coagule ! : Ne vous faites pas de bile ! (Il prend le sang à la louche.) Je vous ai purgé. Ce liquide, porteur de germes débiles, pouvait provoquer quelques caillots putrides qui vous auraient infecté. DON JURAN : Il me faudrait un remontant. SGAGNEQUERELLE : Whisky ? Porto ? Martini ? DOCTEUR B : Buvez. Buvez... beaucoup d'eau. L'alcool, bien sûr, est prohibé. DOCTEUR C : Je vais vous donner une potion de ma confection, c'est une huile de foie de tortue de mer : lent en est l'effet, et le goût un peu amer ; mais le résultat est garanti. DON JURAN (qui boit) : C'est un tord-boyaux à vous faire rendre la vie ! DOCTEUR A : Quelques conseils : d'abord, ne consommez que des produits allégés. DOCTEUR C : Pour vivre sain, il vous faut aussi des produits naturels. DOCTEUR B : Et puis, respirez, c'est l'essentiel. DOCTEUR C : Et n'oubliez pas que le tabac est l'ennemi : des lieux publics, il est désormais interdit. Vous pouvez vous droguer, vous bécoter, dire quelques mots orduriers, mais fumer est un péché capital dans notre société libérale. DON JURAN : Sans vice, la vie ne vaut plus un clou. A quel supplice ne me préparezvous ? DOCTEUR A : Enfin un dernier avis : puis-je m'autoriser à vous conseiller de changer de lit ? SGAGNEQUERELLE : Je crois la recommandation superflue, voire inutile. Mon maître encore vert n'a rien de sénile ! DON JURAN : Veuillez me notifier cette médicamentation par écrit. Elle me servira de passe-droit et de sauf conduit. DOCTEUR C : Votre colonne vertébrale est dans un état critique. Les osselets dans tous les sens se trimbalent. DOCTEUR B : Je me demande quelle gymnastique a provoqué ce terrible carambolage ! Prenez un matelas sur lattes ! DOCTEUR A : Ah ! Non, à ressorts ! DOCTEUR B : Mais qu'importe vraiment les pénates ! DOCTEUR A : Un matelas gonflé à l'eau ? DOCTEUR B : Une planche dure remettrait debout un mort ! DOCTEUR C : Je pense cependant... SGAGNEQUERELLE : Si mon maître n'était pas si volage ! Nous n'arrêtons pas de battre la campagne. Du matin jusqu'au soir, nous chevauchons par monts et par vaux sur de vieilles carnes dont on ne voudrait pas à l'abattoir. DON JURAN : Arrête de ressasser sempiternellement les mêmes histoires. Messieurs les thérapeutes, je renie tout ce que j'ai dit. Vous n'êtes point charlatans ! Et je m'en vais sur-le-champ suivre l'ordonnance que vous m'avez prescrite. SGAGNEQUERELLE : Nous voilà dans de beaux draps ! Maintenant que la chose est inscrite, elle fera force de loi ! DOCTEUR C Retour table des matières 18 . ESMERALDA ESMÉRALDA marchant vers l'église ; sur son chemin, un bouquet de fleurs. : Des fleurs, et des roses, qui plus est ; la Providence les aura mises sur mon chemin ; c'est comme un clin d'oeil du destin : un bouquet de parfums frais ! J'ignore qui me rend ainsi hommage ; mais je serais curieuse de connaître le nom du personnage ! DON JURAN (sortant de l'ombre) : Moi ! DON JURAN, j'ai déposé ces fleurs sur votre passage, humblement, en espérant que vous acceptiez ce présent. ESMÉRALDA : Mais, Monseigneur, je ne saurais... DON JURAN : Nous ne nous connaissons point, il est vrai. Du moins n'avons-nous jamais été présenté. Mais souvenez-vous : nos regards n'ont cessé de se croiser. Immanquablement, la fatalité a tissé cette toile, dont nous ne saurions nous échapper. Peut-être sommes-nous créés l'un pour l'autre ? Le hasard a parfois des intentions cachées : nos multiples rencontres ne sont point fortuites, à n'en pas douter ! Permettez que de l'amour, je me fasse l'apôtre. ESMÉRALDA : Il me semble, en effet, que votre silhouette ne m'est pas inconnue. Peut-être, vous ai-je aperçu au détour d'une quelconque rue, mais laquelle ? DON JURAN : Êtes-vous tant cruelle ? Pour vous la tendresse n'est-elle qu'un jeu ? N'êtes-vous pas un tant soit peu sensible, alors que je suis amoureux ? ESMÉRALDA : Cher DON JURAN, même si votre visage je ne savais imaginer, il faut bien dire que votre réputation vous a précédé. Vous parliez de jeu, me semble-t-il ? Celui de DON JURAN amoureux est très subtil, à ce qu'on dit ! Et nombre de femmes au coeur tendre ne s'y sont-elles pas laissé prendre ? Vos paroles enveloppantes ont caressé leur coeur. Et vos gestes tendres leur ont semblé promesses de bonheur... Mais qu'advint-il vraiment ? DON JURAN vint, DON JURAN séduisit, et DON JURAN s'enfuit ! Est-ce donc là le respect dû aux dames ? DON JURAN : Ma conduite a nombre de femmes offensées. C'est vrai, je l'avoue. Il me faut le confesser. Mais les sentiments que j'éprouvais en ce temps n'étaient rien, comparé à ce que je ressens à présent. Des femmes, j'en ai eu, autant que j'en ai couru : certes ! Mais auprès d'aucune mon coeur n'a suffisamment vibré pour que je puisse m'engager. Il n'y avait que les gestes ; mais jamais, jamais mon coeur ne m'a dit "reste" ! J'ai toujours conjugué le verbe "aimer" au présent ; de femme-fleur en fleur fanée, j'ai égrené mon temps attendant désespérément l'heure où je trouverais enfin l'âme soeur. ESMÉRALDA : Et bien, monsieur, je suis désolée. Je ne suis pas la soeur tant convoitée, la fleur rare que vous recherchez. DON JURAN : Attendez ! Ne me laisserez-vous point m'expliquer ? Regardez : à genoux, je vous en prie ! Écoutez ce qu'à aucune autre je n'ai jamais dit. ESMÉRALDA : Votre attitude me désarme ! Je le vois bien : vous usez de votre charme ; mais bien que d'un très jeune âge... DON JURAN : Je vous promets d'être sage... ESMÉRALDA... Oserais-je une question ? Suis-je encore capable de séduction ? Répondez sans détour, sans moquerie ni menterie ! ESMÉRALDA : Loin de moi toute hypocrisie ! Vous le savez bien. Tout, dans votre allure me ravit ; si ce n'est que vous êtes un libertin ! DON JURAN : Alors, vous pourriez m'aimer ? Puis-je oser quelqu'espérance ? ESMÉRALDA : C'est un mot que vous osez prononcer alors que vous en ignorez jusqu'au sens ! DON JURAN : Hélas ! Je n'en découvre que les maux. Pardonnez mon impertinence ! Mais je vous en supplie ! Accordez-moi votre confiance : oubliez tous les ragots, toutes les médisances ; DON JURAN est mort, il veut refaire sa vie. ESMÉRALDA : De qui vous moquez-vous ainsi ? Innocente, certes je le suis ! Mais de vos ruses habituelles, je ne serai pas la victime nouvelle. "Oyez, oyez, braves gens : énième chapitre de la saga de DON JURAN : DON JURAN reconverti, d'amour transi se consume". Arrêtez la plaisanterie, ne soyez pas ridicule ! DON JURAN : Mon coeur ne songe guère à plaisanter, car il est lui-même en grand danger... Je suis amoureux, ou plutôt, j'aime... Car être amoureux, c'est s'échauffer à n'importe quel feu, et encore n'est-ce souvent que feu de paille ; mais aimer, aimer c'est brûler son coeur pour deux ; oui, je vous aime, écoutez ce cri qui sort de mes entrailles. Et s'il vous faut des actes à défaut de paroles, ordonnez, je suis l'esclave ; et vous êtes l'idole ! ESMÉRALDA : Vos propos ont l'accent de la sincérité ; mais je ne sais si je dois vous écouter. DON JURAN : ESMÉRALDA, ma douce amie, ne doutez pas. L'amour que j'ai tant bafoué me fait de douces représailles. Sans cesse votre visage me poursuit : j'en rêve le jour, j'en rêve la nuit. Sans cesse votre présence m'assaille ; de repos trouver, je ne puis. Cet état de langueur extrême tant combattu est l'ultime preuve que je vous aime ! N'en doutez plus ! ESMÉRALDA : De quelle admiration ne suis-je pas l'objet ? DON JURAN : Aurez-vous la cruauté d'une réaction de rejet ? Devant vous, j'ai mis mon âme à nu. Ne vous drapez pas du manteau de la vertu ! Je ne suis à vos pieds que pour mieux me jeter à votre cou. ESMÉRALDA : Relevez-vous, monsieur, car jamais, ni l'un ni l'autre ne seront à vous. DON JURAN : Vous aurais-je offensée d'une quelconque manière ? Et l'aveu d'une flamme aussi sincère vous a-t-elle offusquée ? Étranges créatures que les femmes ! Vous me reprochiez à l'instant mes ruses et subterfuges ! A présent que me voilà sincère et franc, loin de moi vous cherchez refuge ! Pour une fois, je suis bien maladroit et ne sais en aucune façon trouver les mots qui vous toucheront. Je vous en conjure : dites ce que vous voulez que je fasse, afin que mon amour, auprès de vous, trouve enfin grâce ! ESMÉRALDA : Quoique vous tentiez, vous serez dans l'impasse ! DON JURAN : Il doit bien exister un moyen, sinon de vous séduire, du moins de vous apitoyer. Je pourrais aller à l'église... me confesser... Ou bien, mes poches sont pleines d'écus, voulez-vous que je les distribue aux pauvres sans aucun attribut ? Vous restez insensible ! Et bien, les dés sont jetés ! Christophe Colomb a bien dû laisser un continent, un océan, un pays ou une île inaccessible. Non ! Mieux encore : tels ces pèlerins qui vont à pied sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle, moi aussi, je suivrai la route qui mène au ciel. Je m'infligerai privations et mortifications pour qu'à mon retour, purifié de mes péchés mortels, je puisse vous entendre me dire que vous me fûtes fidèle ! ESMÉRALDA : Le conquérant se veut faire mendiant. Mais même... DON JURAN : Voulez-vous donc me pousser au désespoir ? Que sur quelque champ de bataille j'aille chercher honneur et gloire, afin que sur mon épitaphe l'on écrive : " Ci-gît Don Juran pour que l'amour vive " ! ! ! ESMÉRALDA : Monsieur ! De votre mort, je ne veux être la cause. De grâce ! Mais dans mon coeur, pour deux, il n'y a pas de place ! DON JURAN : Comment ? Vous aimez ? Mais qui ? Plus que moi a-t-il de l'esprit ? Du charme, de l'éloquence ? De la prestance ? Existe-t-il vraiment un autre homme comparable à Don Juran ? ESMÉRALDA : Le charme physique semble bien chimérique. Il est des beautés intérieures, ce sont celles du coeur ! Et l'homme auprès de qui je m'engage est à l'opposé de votre image. De l'enfance, il a toute l'innocence ; du bonheur au fond des yeux et de la tendresse en permanence. Dans son regard, point de mépris, mais de l'indulgence ; dans ses paroles, point de tromperies, mais de l'espérance. Il n'a ni ESMÉRALDA prétention, ni ambition mais humilité et charité. Je vous le dis sans rancoeur, voilà l'homme selon mon coeur. DON JURAN : Une seule rencontre, un seul entretien a parfois plus de conséquences qu'une multitude d'événements sans aucune importance ! La transcendance, dans ses desseins inavoués, sait toujours nous rappeler que le bonheur se vit toujours caché ; caché aux yeux de ceux qui n'ont pas l'intelligence de le savoir regarder. L'éclat transparent de ta félicité est invisible. Sans doute, pour cela, ta simplicité est-elle invincible ! Retour table des matières 19 . DON JURAN AMOUREUX : Don Juran toujours aussi las, ne mangeant plus, ne dormant plus, ne courtisant plus, était méconnaissable. De jour en jour il devenait de plus en plus déprimé et SGAGNEQUERELLE ne savait plus à quel saint se vouer. Leur odyssée si bien commencée s'achevait en déroute. C'était la bérézina, il n'y avait plus de doute. Il fallait un miracle pour arrêter la débâcle. SGAGNEQUERELLE se décida à parler. SGAGNEQUERELLE : Don Juran, vous n'êtes plus le même ! JUJU : J'aime. SGAGNEQUERELLE : Vous ? Vous osez ? JUJU : J'aime Esméralda. SGAGNEQUERELLE : La plaisanterie est trop grosse ; permettez que je me gausse ! JUJU : Tu peux rire de moi. J'aime. Ne crois pas qu'au moment que je l'aime, innocent à mes yeux, je m'approuve moi-même. Elle a trop de vertu et je suis si dépravé. Son éclat dans ma nuit restera toujours gravé. SGAGNEQUERELLE : Don Juran infidèle ! J'aurai tout entendu ! JUJU : Aurais-tu quelques défauts d'audition ou quelques lacunes au niveau de la compréhension ? Je te dis que je l'aime. SGAGNEQUERELLE : Mon ouïe fonctionne à merveille et, bien que vous me serinassiez sans cesse que je n'ai pas le cerveau plus gros qu'une groseille, je ne suis pas si niais que vous le pensez ! Et je réfléchis quelques fois. Vous êtes infidèle à votre label, garantie de votre instabilité. Don Juran amoureux ! Mais jusqu'où va votre déloyauté ! Et pourquoi ce brusque revirement ? Cette métamorphose soudaine ? Ce curieux changement ? JUJU : Je dis des mots, toujours des mots, toujours les mêmes. Et cela ne m'amuse plus vraiment. SGAGNEQUERELLE : Mais les femmes sont toujours belles ? JUJU : Et bien, justement ! Je ne suis pas si dépravé que tu puisses l'imaginer. Mes combats, s'ils furent dignes d'un conquérant, m'ont toujours laissé au coeur une inguérissable cicatrice. Mes trophées ne furent jamais qu'artifice, car jamais aucune dame, je n'ai déshonorée vraiment. Je suis la projection, oh combien fantasmatique, des désirs inavoués de l'éternel masculin. Mais j'abandonne. Je m'avoue vaincu. Je rentre dans les coulisses. Bas les masques ! SGAGNEQUERELLE : Et dans les coulisses de quel théâtre voulez-vous vous retirer ? JUJU : Dans un monastère inconnu où l'on ne me verra plus. SGAGNEQUERELLE : Et moi ? JUJU : Quoi ? Toi ? SGAGNEQUERELLE : Ben Moi ! JUJU : Moi, quoi ? SGAGNEQUERELLE : J'existe, moi ! JUJU : Moi aussi. SGAGNEQUERELLE : Vous me laissez orphelin ? JUJU : Entouré de 300 000 000 de visages féminins ! ! ! SGAGNEQUERELLE : Trois cent millions de petits minois, et moi et moi et moi ! Tout seul dans mon petit lit de plumes d'oie ! (Violente réaction soudaine.) Tans pis ! J'écrirai vos mémoires et les publierai in extenso. C'est bien le diable si ça ne rapporte gros... VOIX OFF Retour table des matières LES TRETEAUX AMBULANTS (9) : Monsieur, pourquoi mettre en scène DON JURAN ? C'est un être immoral, un débauché et un intriguant infâme ! BONIFACE : Immoral, ma chère PHILOMENE , cela est évident ! Mais débauché, c'est méjuger de ce collectionneur de dames ! Vois- tu, tout le plaisir de l'amour est dans le... commencement. L'amour comme tout ce qui vit meurt aussitôt conçu, et si notre héros s'adonne à cette quête éperdue, c'est pour préserver le moment suprême, le premier instant, celui où l'on aime. PHILOMENE : C'est là un DON JURAN revu et corrigé que vous me proposez, qui ne semble pas correspondre à la réalité. BONIFACE : La réalité est une, mais elle a mille facettes. Et elle me sied, à moi, cette image d'un esthète, d'un amoureux qui ne veut pas mourir et qui s'efforce d'éterniser un désir. PHILOMENE : La silhouette ainsi esquissée redore le blason d'un homme sans coeur et qui n'est que raison. Pour l'année à venir, pourquoi de ce nouveau DON JURAN ne pas écrire l'histoire ? Nous pourrions l'inscrire à notre répertoire ? BONIFACE : Un homme par trop sentimental ferait se vider la salle ! L'itinéraire ainsi tracé aurait quelque chose de pathétique. Or, plus encore que des larmes, ce sont des rires que réclame le public. PHILOMENE Retour table des matières 20 . "MISSION IMPOSSSIBLE" Deux moines en conversation. ABBE CASSINE : Mon cher enfant !... Qui l'eût prédit? DON JURAN : Certes, pas vous ! Monsieur l'abbé Cassine ! Je me remémore encore vos mines assassines, lorsque le jupon d'une belle fille vous me surpreniez à soulever. ABBE CASSINE : Il me faut souvenir que tu étais en avance sur ton âge pour ce genre de jeux.. Tu étais si peu sage auprès de ces demoiselles que tes frasques, dans nombre de foyers, on se rappelle. DON JURAN : Il est incroyable de penser combien ces plaisanteries bien enfantines ont pu déchaîner les passions et me construire une réputation ! Mais sans vouloir paraître nostalgique, mes années de scolarité furent une saison on ne peut plus idyllique ! ABBE CASSINE : Du moins, pour toi. Car ta pauvre mère... bien des fois... Au fait, comment se porte-t-elle ? DON JURAN : Malheureusement, je n'ai guère de nouvelles. Elle se remet difficilement de mon état actuel. Noir : Héloïse et l'abbé. HÉLOÏSE (pleurant) : JUJU , mon petit JUJU au monastère ! Cela se peut-il ? Supporter une vie si austère ! ABBE CASSINE : Calmez-vous, ma fille. A l'exil, il ne s'est point condamné. Quant à moi, je maintiens que cette décision arrêtée est la seule honorable, pour un homme dont le passé n'est fait que de... passades ! HÉLOÏSE : Mais il va avoir si froid, pieds nus, les orteils à grelotter, dans ses sandales ! ABBE CASSINE : Reprenez-vous, que diable ! Pardon, mon Dieu ! (il se signe.) Mais vous parlez d'un homme de grande maturité qui vient, enfin de retrouver la raison. Notre-Seigneur l'a appelé. Votre fils s'est enfin attaché ! Il ne faut en aucune manière se mettre au travers de sa vocation. HÉLOÏSE : Mon fils, JUJU , devenu moine ! Etes-vous sûr, au moins, que dans ce monastère, il n'y a pas l'ombre d'une femme ? Noir. : L'annonce de cette transformation a dû être un choc, je le conçois. Mais moi, je n'ai jamais douté qu'un homme différent sommeillait au fond de toi. DON JURAN : J'ai eu le sommeil bien lourd pendant des années, vous avouerez ! ABBE CASSINE : Les voix du Seigneur sont impénétrables ! Voila la brebis égarée qui rentre enfin à l'étable. Mais, en toute confidence, la vie de ce monastère ne te paraît-elle point trop austère ? Toi qui aimais tant le bon vin et la bonne chère... DON JURAN : Vrai connaisseur en gastronomie, des meilleures tables, je fus l'hôte et l'ami. J'ai dans ma tête l'image inoubliable du festin de Dame Marie. ABBE CASSINE Noir : filles : tavernes : paysannes au marché. FILLE 1 : Savez-vous la nouvelle ? FILLE 2 : Non, laquelle ? FILLE 3 : Raconte vite ! FILLE 1 : J'en reste toute bouleversifiée depuis qu'on me l'a dites. PAYSANNE 1 : Qué cé donc la nouvelle qui vous barbouille à ce point ? Ca s'rait-y une catastrophe qui vous rendrait tout chagrin ? : Rien que d'y penser, j'ai envie de chialer ! Tant triste est la nouvelle qu'il faut que je vous apprenne. FILLE 2 : Mais quoi, parle à la fin ! De quel grand malheur es-tu la messagère ? FILLE 3 : Serions-nous d'un licenciement, les victimes premières ? FILLE 1 : Si ce n'était que cela ! Vrai, avant même de vous l'annoncer, j'ai la gorge toute nouée. On m'a dit que Don Juran, Notre Don Juran était... était... FILLE 2 : Décédé ? FILLE 3 : Marié ? PAYSANNE 2 : De la prostate a-t-il été opéré ? FILLE 1 : Non ! Pris de remords, à ce qu'on dit, il est entré en... religion ! TOUTES : En religion ??? FILLE 2 : Pour de bon ? FILLE 1 : Il a décidé de vivre en reclus, au monastère du Bon Salut ! FILLE 3 : Un homme si charmant ! PAYSANNE 1 : Si galant ! PAYSANNE 2 : Si prévenant ! FILLE 1 : Si bien mis ! FILLE 2 : Doté d'un si bel esprit ! FILLE 3 : Adieux galanteries et bons mots ! FILLE 2 : Il est sûr qu'un homme comme lui, on n'en reverra pas de si tôt ! PAYSANNE 1 : Le monastère "Bon Salut", c'est-y pas çui-là où des fromages sont fabriqués ? FILLE 1 : Qu'en sais-tu ? De toute façon, nous n'allons pas y donner l'assaut ! FILLE 2 : Ah ! Quelle déception ! Nous abandonner ainsi à nos trousseaux ! FILLE 3 : Nous laisser mourir d'ennui pour vivre sa vie ! PAYSANNE 2 : En somme, la pensé qu'à lui ! FILLE 1 : Rien qu'un beau parleur ! FILLE 3 : Un leurre ! FILLE 2 : Un menteur ! PAYSANNE 1 : C'est un j'm'en foutiste ! PAYSANNE 2 : Un égoïste ! V'la c'qu'il était ! PAYSANNE 1 : Ben vrai ! Égoïste ! FILLE 1 : Égoïste ! FILLE 2 : Égoïste ! FILLE 3 : Égoïste ! D'autres filles apparaissent à plusieurs endroits et reprennent "Égoïste" ! FILLE 1 Noir. : Ces temps sont bien révolus ; mais j'aurais mauvaise grâce à me plaindre, ayant moi-même choisi de m'y contraindre. ABBE CASSINE : A ce propos, me permets-tu une interrogation ? Ne crois pas que la profondeur de ta foi je veuille mettre en question. Mais il m'est venu à idée que... peut-être Dieu seul n'était pas responsable de ta présence en ces lieux. Que, peutêtre, au lieu de vouloir expier tes péchés, que peut-être, tu cherchais à te cacher au mieux. DON JURAN : Et de qui, je vous prie? ABBE CASSINE : D'un jaloux de mari, ou d'un frère duquel la soeur tu aurais ravi ? DON JURAN : Monsieur l'abbé, vous m'insultez ! Une fois déjà, je me suis retrouvé dans cet embarras et c'est en chevalier que je me suis comporté ! Mon honneur n'est nullement entaché. Et, c'est justement pour le préserver que je suis ici. Voyezvous, il m'est venu à l'esprit qu'un homme ne pouvait passer sa vie à batifoler. A de plus hautes réalisations il est destiné. A quoi bon nous avoir doté d'un esprit, si nous ne savons l'utiliser ? La conversation des femmes est par trop futile et leur DON JURAN fréquentation bien stérile. A de plus saintes destinées je veux maintenant m'attacher, et c'est dans le calme que je veux méditer. Noir. SCARLETT (à BERANGERE) : Savez-vous, ma chère, JURAN serait entré au monastère jusqu'à la fin de ce qui se dit ? Que le conte DON sa vie ! Voilà bien les mâles ! Un simple défi, même tout petit, bien normal en somme ! Et ils ne trouvent leur salut que dans la fuite ! Si difficile leur est d'accepter la supériorité des femmes qu'ils préfèrent la face se voiler, afin leur honneur préserver ! Car, sous des apparences de soudaine piété et d'observance des rites, gageons que c'est bien la peur qui anime le plus grand des séducteurs ! BERANGERE : Quel dommage, cher DON JURAN, que votre esprit pourtant si vif n'ait pas compris que les femmes ne cherchaient point à vous évincer, mais simplement à être traitées avec un peu plus d'équité. Noir. : Je suis heureux de vous voir en de telles dispositions d'esprit. Je m'étais imaginé, à tort, j'en conviens, qu'une femme avait bouleversé votre vie et que le repos de l'âme vous cherchiez ici. DON JURAN : D'où vous vient cette impertinence ? Mon valet vous aurait-il fait quelque confidence ? ABBE CASSINE: Non point ! Ne vous avisez pas de le gronder. Mais mon rôle n'est-il point de, par la confession, l'âme humaine soulager ? DON JURAN : Hélas ! Face au mal qui me ronge, vos prières ne peuvent être d'aucun secours. ABBE CASSINE : Seriez-vous malade ? DON JURAN : Malade, oui ! J'en ai bien peur, mais malade d'amour ! ABBE CASSINE : Il frappe toujours où on s'y attend le moins le coeur des hommes de sept à soixante dix-sept ans : elle court, elle court, la maladie d'amour... DON JURAN : Monsieur l'abbé, c'est bien chien chié chanté ! Je devrais m'engager dans une chorale, voilà qui me remonterait le moral ! Ah ! Que n'ai-je mon fidèle valet Sgagnequerelle ! ABBE CASSINE Noir. : Depuis que mon maître est devenu moine, j'erre sur la chaussée comme un vieux morceau de couenne. Et personne pour me ramasser ! Je suis comme un caniche perdu sans collier. Sans compter que je n'ai rien à me mettre sous le râtelier ! Bien sûr, je pourrais écrire les mémoires de Don Juran ! J'ai assez de carburant pour écrire la saga de ce gars. Mais, même en imagination, ce serait éreintant de revivre les "one man show" de cet homme au sang chaud ! Et puis, des romans à l'eau de rose, on en a une overdose ! C'est incroyable le nombre de bouquins de la collection Arlequin ! Alors, "les Mille et une nuits" de Don Juran, ça ferait plus rêver les jeunes filles ! Elles, il leur faut le prince charmant qui vient réveiller la belle au bois dormant avec sa B M W décapotable, son ordinateur portable, son look impeccable et son compte en banque inépuisable... Si ! Si ! Lisez les annonces matrimoniales dans le Cormoran ! (Il lit.) Tiens ! Proposition d'emploi : " Recherche homme de confiance : courageux, raffiné, discret, ayant le sens des responsabilités (mon portrait tout craché) Doit converser en espagnol avec aisance, (pour ça, j'ai été à bonne école) afin d'accompagner des pèlerins en direction des "Lieux Saints". Je vais, sans plus attendre me présenter à cet emploi, en espérant que les références de mon ancien maître, nul ne me demandera ! SGAGNEQUERELLE Noir. : Mais mon Dieu, bien sûr ! J'ai la solution toute trouvée : il vous faut une nouvelle aventure. DON JURAN : Ah oui ! Et laquelle ? ABBE CASSINE : Un pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle ! DON JURAN : Moi, en pénitent ? ABBE CASSINE : Ce serait excellent ! DON JURAN : Seul sur les routes ? ABBE CASSINE : Vous êtes, sans aucun doute, habitué aux longs voyages. Mais nombreux sont ceux qui, de nos jours, participent à ce genre de pèlerinage ! Ce sera votre mission de les accompagner et au salut de leur âme à veiller ! DON JURAN : Et à quel public faut-il que ce pèlerinage l'on propose ? ABBE CASSINE : La liste est déjà close ! DON JURAN : Déjà ! Mais... ABBE CASSINE : Il a suffi d'inscrire votre nom en tant qu'accompagnateur pour que les inscriptions soient faites dans l'heure ! Voici la liste des curistes. Et que Dieu vous assiste ! Il me faut me presser : j'ai nombre de fidèles à confesser ! DON JURAN : Voyons les noms des participants : MARIETTE DUMANS, MATHÉTINE DELAIT, FILAMÈNE ARIEN... Ces noms me semblent vaguement familiers. ÉLODIE DACTIQUE, FLORENTINE, CLÉMENTINE, FRANCINE... Je rêve, j'ai des hallucinations ! BLANCHEFLEUR ! Elle ici ! Ne me dites pas que ses frères aussi ! Non ! Des femmes, seulement des femmes ! ABBE CASSINE Noir. LES DÉVOTES. DÉVOTE 1 : J'ai failli oublier ma trousse de maquillage. C'eût été bien dommage ! Pour plaire à Dieu, en somme, il faut d'abord plaire aux hommes ! DÉVOTE 1 : Comme longue sera l'excursion, j'ai fait provision de quelques cookies en guise de friandise ! DÉVOTE 3 : Pauvre enfant ! Vous engrossez à vue de nez ! Plutôt que de soucis gastronomiques, inquiétez-vous des problèmes philosophiques ! DÉVOTE 4 : Comme dans ces pays la chaleur est infinie, j'espère que vous n'oubliâtes point vos bikinis ! DÉVOTE 5 : Vous faites preuve de pruderie, ma pauvre Élodie ! Au jardin d'Éden, le paradis perdu, Adam et Eve vivaient nus ! DÉVOTE 6 : Oui, mais eux, ils étaient bien foutus ! Et puis je ne saurais supporter les regards concupiscents. DÉVOTE 4 : Sur un corps finissant, les regards sont plutôt fuyants ! DÉVOTE 6 : C'est la ménopause qui vous rend si aigrie, ma pauvre chérie ! Toutes commencent à se crêper le chignon. Noir. DON JURAN : Dieu ne saurait m'infliger un tel MOLO ! SGAGNEQUERELLE : Monseigneur, Monseigneur ! DON JURAN : Toi ! SGAGNEQUERELLE : Moi ! DON JURAN : Non ? SGAGNEQUERELLE : Si ! DON JURAN: Non ? SGAGNEQUERELLE : Si ! DON JURAN : Oh ! SGAGNEQUERELLE : Vous ! DON JURAN : Moi ! DON JURAN et SGAGNEQUERELLE : Nous ! supplice ! MARGOT EMILLAUX, SARAH Pourriez-vous me dire... SGAGNEQUERELLE : C'est un cauchemar ! Un mirage ! DON JURAN : Que fais-tu dans les parages ? SGAGNEQUERELLE : Je vais accompagner un pèlerinage... DON JURAN : A Saint Jacques de Compostelle ? SGAGNEQUERELLE : Vous saviez la nouvelle ? Ne me dites pas que vous aussi DON JURAN : Mais si, je vais te le dire ! SGAGNEQUERELLE : Vous pouvez me le dire ? DON JURAN : Oui, je peux te le dire ! SGAGNEQUERELLE : Il peut me le dire ! Ah ! Non, je refuse : on ne ? va pas recommencer l'histoire ! On va finir par lasser l'auditoire ! DON JURAN : Mais nous n'avons pas le choix ! Les personnages ne sont que des pions sous la plume de leurs créateurs. Et, même si c'est maladroit, tous les auteurs, dénués de scrupules comme ils le sont, souvent exploitent le même filon. Et vu le succès de cette pièce première, il nous prépare de futures épopées incendiaires dont, j'espère, tu seras le héros. Crois-moi : toi et moi avons été unis pour la vie, souvent pour le meilleur, parfois pour le pire, mais toujours pour le rire ! Sur un écran : annonce du prochain spectacle, accompagnée de photos... "LE RETOUR DE DON JURAN ou SGAGNEQUERELLE SE REBELLE" "Aux portes du désert, la caravane est attaquée par... les brigands du désert, avec à leur tête le vizir Halie, allo Allah ! ", etc... EPILOGUE Ainsi s'achève l'histoire du noble DON JURAN, séducteur à la ville aussi bien qu'à l'écran : homme aux talents multiples, à la parfaite rhétorique. Il crut pouvoir se jouer à l'infini des tendres coeurs que lui présenta la vie. Hélas ! Pour lui, les auteurs de cette fantaisie ne furent pas de cet avis ; et après maints et maints déboires, ils sauvèrent la morale de cette histoire. Vient toujours le moment où les feux de la rampe s'éteignent et où la réalité reprend le pas sur la mise en scène. Mais la question reste tout de même posée : qui d'entre vous, Mesdames, Mesdemoiselles, par tant de marivaudage ne se seraient pas laissé charmer ? Qui d'entre vous, Messieurs, le rôle de DON JURAN n'a jamais rêvé d'incarner ? Voilà tout le bonheur pour un acteur : celui d'être un autre un moment, même un instant, mais de le vivre intensément ! Celui de goûter à la saveur des mots d'un autre temps ! Celui de se laisser réjouir par l'art de la fantaisie, celui de la comédie ! Voilà le plaisir qu'ont pris ce soir les Petits Tréteaux en vous présentant les facéties du Sieur DON JURAN en ces quelques tableaux : -La naissance -L'abbé Cassine... etc... FIN Retour table des matières