Faut-il Interdire le Khat? L`impact sur le Développement

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Faut-il Interdire le Khat? L`impact sur le Développement
C entre de la Pauvreté
INTERNATIONAL
Août, 2008
Faut-il Interdire le Khat?
L’impact sur le Développement
par Degol Hailu, Centre International de la Pauvreté
Le commerce mondial du khat est controversé. Les Etats-Unis et la plupart des pays européens l’ont
interdit, l’assimilant à une substance psychotrope. Et, pourtant, sa culture contribue de manière significative aux
revenus des agriculteurs d’Afrique orientale.1 Bien que les pouvoirs publics de la région dénoncent sa consommation,
les Etats bénéficient néanmoins de l’afflux de devises étrangères et des revenus fiscaux qu’elle génère. Comment
résoudre une telle contradiction?
Entre 1990 et 2004, en Ethiopie, plus de 413 millions de dollars ont été perçus, issus de l’exportation de 86 625
tonnes de khat. Représentant près de 15% des exportations en valeur, le commerce de khat est devenu la deuxième
source de devises étrangères. Les deux tiers de la production de khat qui sont, pour une grande part exportées,
proviennent d’Ethiopie orientale, comme le montre le tableau ci-dessous. Entre 1980 et 2002, l’Etat a récolté 10,7
milliards de birr grâce à l’imposition du commerce de khat, au niveau national et international.
Pourquoi les paysans éthiopiens cultivent-ils du khat? Un examen de l’histoire récente fournit une explication. Au
début des années 1990, le gouvernement a lancé sa stratégie d’industrialisation fondée sur le développement
agricole (ADLI). Cette stratégie a été conçue pour accroître la productivité agricole du pays. Elle s’est appuyée
notamment sur la construction de routes dans les zones rurales, sur la mise à disposition d’engrais, sur l’octroi de
crédits, sur l’utilisation de semences améliorées et sur une meilleure gestion de l’eau. L’ADLI a entraîné l’utilisation
accrue d’engrais et de pesticides ainsi que l’augmentation de près de 50% de la surface cultivée.
La production des principales cultures est passée de 64 à 85 millions de kilogrammes après l’application de l’ADLI.
Cependant, ces dernières années, les prix agricoles ont fortement diminué. Cette chute est liée à plusieurs facteurs,
comme la lenteur de l’urbanisation, le petit nombre d’activités de transformation et la faiblesse des exportations.
L’évolution du marché a été néfaste pour le secteur agricole. En effet, les coûts de production ont augmenté plus
rapidement que les prix de vente. Par conséquent, alors que la valeur ajoutée de chaque travailleur agricole (endehors du khat) était de 310 birr dans les années 1980, elle est passée à 266 birr entre 1990/91 et 2002/03.
Les bénéfices générés par le café ont diminué de 2,1 milliards de birr en 1999 à 1,9 milliards de birr en 2004. Le prix
à la livre a notamment chuté de 123,4 à 26,9 dollars entre 1995 et 2002. Les revenus issus de la culture de légumes
secs et de céréales ont également baissé, tandis que les prix des fruits et légumes sont restés bas (cf. tableau). Les
agriculteurs s’étaient endettés pendant les années où les prix étaient élevés; aujourd’hui, ils doivent lutter pour
rembourser leurs dettes, alors que les prix du marché se sont effondrés.
Pour répondre à leurs difficultés, les agriculteurs ont accru leur production de khat. Cette plante présente de
nombreux avantages. Non seulement elle résiste à un grand nombre de maladies affectant généralement les
cultures, mais elle est aussi capable de pousser sur des terres à faibles rendements. Enfin, elle ne requiert qu’un
entretien limité et peut produire jusqu’à quatre récoltes par an. Le rendement net du khat par hectare est en
conséquence souvent plus élevé que celui du café. Alors que les cultures de khat ne représentent que 13% du total
des terres cultivées, elles contribuent à hauteur de 30-50% aux revenus globaux des agriculteurs chaque année.
Les agriculteurs éthiopiens se sont adaptés à la demande croissante de khat. Sa consommation traverse aujourd’hui
les âges, les sexes, les religions, les catégories sociales et les frontières géographiques. La consommation de masse
est en croissance à Djibouti, au Kenya et en Somalie, pays voisins de l’Ethiopie, mais aussi dans des pays plus
lointains, comme le Yémen et l’Ouganda. Les membres des diasporas éthiopiennes, somaliennes et yéménites
continuent en outre de consommer du khat en Europe et en Amérique du Nord, où ils tendent à s’installer. Le khat
est ainsi devenu l’une des principales sources de revenus en devises étrangères.
Nombre 40
Part des Bénéfices liés aux Exportations Agricoles en Ethiopie Orientale entre 1987 et 2004
80
70
Khat
Percentages
60
50
40
30
Café
20
10
– - *- – Légumes secs et céréales
4
3
20
03
/0
2
20
02
/0
1
20
01
/0
0
00
20
99
19
/0
9
♦
/0
8
19
98
/9
7
19
97
/9
6
19
96
/9
5
19
95
/9
4
19
94
/9
3
19
93
/9
2
19
92
/9
1
19
91
/9
0
19
90
/9
9
/9
19
89
/8
88
19
19
87
/8
8
0
Fruits et légumes
Source: Anderson et al. 2007.
Pourtant, les détracteurs du khat sont encore peu nombreux à en reconnaître l’importance pour les économies
d’Afrique orientale. L’Organe international de contrôle des stupéfiants mène actuellement une campagne visant à
l’interdire. De son côté, l’Organisation mondiale de la santé n’a pas encore trouvé de raison valable pour en
restreindre la distribution et la consommation.
Tant que les effets de la consommation de khat sur la santé humaine ne sont pas prouvés, il existe une alternative
plus réaliste à sa stricte interdiction. Il s’agirait d’établir un système, permettant d’en réglementer la production, la
distribution et la consommation. Un tel système permettrait de tenir compte de la contribution essentielle du khat
aux revenus des agriculteurs éthiopiens. Il impliquerait également que l’on délivre des licences aux distributeurs
de khat, permettant ainsi de mettre une limite d’âge à sa consommation et d’établir un système de contrôle de la
qualité du produit.
L’interdiction pure et simple du khat risquerait d’entraîner le tarissement d’une source de revenus importante pour
de nombreux agriculteurs et distributeurs. Elle plongerait probablement un grand nombre d’entre eux dans
l’illégalité, voire la pauvreté. Criminaliser ceux qui ont besoin des bénéfices générés par le khat pour survivre n’est
pas une réponse acceptable. C’est pourquoi le débat sur le khat doit être intégré dans une perspective de
développement plutôt qu’être envisagé sous l’angle de l’illégalité.
Référence:
1. Anderson (David), Beckerleg (Susan), Hailu (Degol) et Klein (Axel), The Khat Controversy, Stimulating the Debate on Drugs
(Oxford, Berg Publishers, 2007).
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