livre - Stuart of corsica

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livre - Stuart of corsica
Un Stuart dans la Nation Corse
Desideriu Ramelet-Stuart
N° ISBN : 978-2-9546-2871-4
Copyright Editions Stuart of Corsica © 2013
Preface
La Maison royale Stuart est connue dans toute l’Europe comme
étant la famille qui a fourni les Rois et Reines d’Écosse, et par la suite
d’Angleterre, et ce, depuis le moyen âge jusqu’au début du dix huitième
siècle. En 1603 le Roi Jacques VI d’Écosse, le fils de Marie Stuart, devint
le Roi Jacques 1er d’Angleterre et d’Irlande. Son fils Charles 1er et puis
ses petit fils Charles II et Jacques II régnèrent sur l’Angleterre, l’Écosse et
l’Irlande durant la plus grande partie du dix septième siècle.
En 1688-89, cependant, eu lieu un événement à l’origine du contexte lié à
l’histoire de ce livre. Le Roi Jacques II fut déposé et forcé de partir en exil
par son neveu et gendre, William III d’Orange. Durant les cents années
qui suivirent la société britannique fut divisée entre ceux qui soutenaient
le roi Stuart en exil, Jacques II et puis son fils Jacques III, espérant une
restauration, et ceux qui soutenaient William III et ses successeurs, la
Reine Anne et puis George 1er, George II et George III.
Jacques II et Jacques III furent rejoints dans l’exil par plusieurs
milliers de leurs supporters, qu’on appelait Jacobites. La pluspart d’entre
eux venaient d’Irlande, mais il y en eut beaucoup d’autres qui venaient
aussi bien d’Angleterre que d’Écosse. Il doit être rappelé que le patronyme
Stuart était assez commun en Écosse et en Irlande, il n’est donc pas
surprenant que parmi les Jacobites se trouvaient plusieurs personnes qui
portaient le même nom que la famille royale exilée. Au début, les Jacobites
quittèrent leurs foyers et partirent à l’étranger par loyauté envers leur roi
exilé, mais les années passant, beaucoup d’entre eux finirent par s’établir
sur le continent européen, ce qui facilita pour d’autres une émigration pour
des raisons économiques, dans l’espoir d’un bon accueil et du soutien de
leurs compatriotes.
Manuel Stuart, le sujet de ce livre, en est un bon exemple. Il ne semble pas
avoir été un Jacobite, du moins pas au début, mais quand il décida à l’âge
de dix neuf ans de vivre en Italie, il ne pouvait ignorer qu’au sein des États
italiens se trouvaient déjà beaucoup de personnes d’origine irlandaise ou
écossaise, dont certaines également nommées Stuart.
Dans un premier temps le Roi Jacques III, tout comme son père,
vivait en France, mais au début de l’année 1717 il déplaça la cour Stuart
exilée en Italie et s’établit définitivement dans les états pontificaux. Durant
tout le restant du dix huitième siècle la famille royale Stuart vécu en Italie,
principalement à Rome mais aussi, comme expliqué dans ce livre, dans
le Grand Duché de Toscane. Jacques III Stuart mourut à Rome au début
de l’année 1766, au moment précis où le devenir de la Corse constituait
une problématique européenne majeure. Son fils aîné, le Prince Charles
décéda en 1788, à la veille de la Révolution Française, époque durant
laquelle la Corse avait été définitivement annexée par la France, rendant
ainsi possible la carrière de Napoleon Bonaparte, un Corse de nationalité
française. Le plus jeune fils de Jacques, le Prince Henri, connu comme le
Cardinal Duc d’York, mourut en 1807. Comme aucun des frères n’avait de
progéniture légitime, la Maison Royale Stuart s’éteignit à ce moment là.
Mais parmi les Jacobites exilés et émigrés en Italie se trouvaient
d’autres Stuart. Notamment, John Stuart, un fils du premier Comte de Bute
et jeune demi-frère du 2ème Comte. John Stuart rejoignit la Cour à Rome
en 1726 en tant que gentilhomme servant le Prince Charles, et il fut promu
maggiordomo auprès de Jacques III en 1736. Célibataire, il décéda en 1739
et un monument le concernant peut toujours être vu à l’église Sant’Andrea
degli Scozzese à Rome. Son neveu, le 3ème Comte de Bute, devint le
premier ministre de George III et son petit-neveu Lord Mount Stuart (plus
tard 4ème Comte et 1er Marquis de Bute) jouera un rôle de premier plan
dans les longues négociations concernant le futur de la Corse en 1768-69.
John Stuart n’était pas la seule personne portant ce nom employé auprès
de la cour exilée de Rome. John Roy Stuart d’Ardvorlich en Écosse arriva à
Rome en 1740 et se maria plus tard avec une noble italienne prénommée
Rosa. Il servit en tant que valet de chambre et puis comme maggiordomo
auprès du Prince Charles durant 20 ans, et il fut titré baronet Jacobite
en 1784. John Roy Stuart était toujours en vie en 1788 quand le Prince
Charles lui fit un legs dans son testament, mais la date de sa mort demeure
inconnue. Son fils Carlo devint colonel au service du pape et était toujours
vivant en 1848.
Aucun de ces hommes ne se réclama d’une quelconque parenté
avec Jacques III et ses fils. Mais il y avait aussi un homme qui vivait en Italie
et qui lui prétendit l’être, et il devait certainement être un cousin germain de
Jacques III. Cet homme était Don Giacomo Stuardo, qui était né à Naples en
1669. Le père de Stuardo, connu comme étant Jacques de la Cloche, était
probablement l’aîné des nombreux bâtards de Charles II. Stuardo lui même
était né à titre posthume et ne connu jamais son père, mais sa naissance
fut légitimée, sa mère napolitaine s’étant mariée avec Jacques de la Cloche
peu de temps avant sa mort. Stuardo contacta Jacques III à de nombreuses
reprises entre 1718 et 1744, mais il ne fut jamais admis à la Cour exilée
de Rome. Néanmoins, il fut reconnu comme un petit fils de Charles II par
le Pape Clément XI, par Francesco Pignatelli, le Cardinal Archevêque de
Naples et doyen du Sacré Collège des Cardinaux, et probablement par
Jacques III lui même.
Jacques II, tout comme Charles II, eut lui aussi quelques fils
illégitimes et cela inclut Jacques FitzJames, 1er Duc de Berwick, et
son plus jeune frère Henri FitzJames, Duc d’Albemarle. Le second Duc
de Berwick était dans une position identique à celle de Don Giacomo
Stuardo : un fils légitime d’un fils illégitime d’un Roi d’Angleterre Stuart. En
1737-38, alors que le second Duc de Berwick servait comme ambassadeur
espagnol à Naples, il fit exhumer le corps de Jacques de la Cloche et le fit
ainsi à nouveau enterrer avec tous les honneurs dus à un fils de Charles
II. Hélas, Don Giacomo Stuardo n’est pas connu pour avoir eut le moindre
enfant, en conséquence de quoi il n’y a aucun descendant vivant issu de
cette branche de la famille royale Stuart.
Il y a, cependant, des descendants vivants issus du sujet de ce livre,
Manuel Stuart, qui a fondé la famille connue comme étant les Stuarts de
Corse. Un des arguments de ce livre est que Manuel Stuart était un fils
légitime d’un petit-fils illégitime de Jacques II Stuart, son père ayant pu être
un bâtard d’Henri FitzJames (ou possiblement de Jacques FitzJames, 1er
Duc de Berwick), né en Irlande en 1689 ou 1690 durant la guerre civile qui
opposa Jacques II et William III. Dans quelle mesure Manuel Stuart aurait
pu être informé de ses origines paternelles, cela est impossible à dire, mais
nous savons que son père s’appelait John Stuart et que Manuel fut baptisé
protestant à proximité ou dans Belfast. Pourquoi John Stuart a hérité du
nom Stuart, plutôt que du nom FitzJames ou du nom de sa mère, nous
ne pouvons le savoir, parce que les archives paroissiales irlandaises qui
auraient pu nous aider ont été détruites.
Nous pouvons cependant connaître beaucoup de choses sur la
jeunesse et la carrière de Manuel Stuart, grâce au remarquable travail de
recherche effectué par son descendant, Desideriu Ramelet-Stuart. L’auteur
nous explique comment Manuel Stuart quitta l’Irlande et par suite débarqua
sur les côtes toscanes à l’âge de 19 ans en 1754, comment il se convertit
au Catholicisme , et comment il fut introduit très tôt auprès de Pasquale
de Paoli, le grand leader national Corse. La Corse était en rébellion contre
l’autorité Génoise, et durant le reste de sa vie Manuel Stuart fut impliqué,
directement ou indirectement, dans la lutte corse pour l’indépendance,
d’abord contre Gênes et par la suite contre la France. Basé sur un prudent
travail de recherche effectué à partir de journaux de l’époque et de sources
modernes secondaires, aussi bien qu’à partir de quelques fonds d’Archives
italiens et corses, l’auteur livre un récit fascinant de la question Corse dans
les politiques Européennes depuis le début des années 1730 jusqu’à la
fin des années 1770, au terme desquels la conquête française de l’île
fut fermement établie – du moins jusqu’à ce que la révolution en France
changea la situation une fois de plus. Ce récit lui permet de contextualiser
les activités connues et supposées de Manuel Stuart, qui se rendit en Corse
en 1766 et prit une part active dans la guerre sur l’île jusqu’à 1769, date
de son retour sur l’île d’Elba. Il resta sur la petite île durant cinq années,
période durant laquelle il épousa une veuve italienne et eut un fils appelé
Giovanni. Et puis, comme l’explique l’auteur, en 1774 il retourna vivre de
façon permanente en Corse avec femme et enfant, et depuis, la famille
Stuart de Corse y est demeurée.
L’engagement des Stuarts dans les affaires Corses, cependant,
va au delà de l’extraordinaire et intéressante vie de Manuel Stuart. Nous
pouvons découvrir à la lecture l’implication de Lord Mount Stuart et aussi
du père de ce dernier Lord Bute. Nous pouvons être informés des différents
plans pour créer un Royaume de Corse indépendant qui serait revenu
à Jacques III ou à son fils le Prince Charles, une idée mise en avant en
1731, remise au goût du jour par le Cardinal de Tencin en 1741, reprise par
James Boswell durant l’hiver 1765-1766, période du décès de Jacques III,
et finalement par le Cardinal York en 1769. Cette idée de créer un Royaume
Jacobite en Méditerranée fut en fin de compte bloquée par l’opposition de
George III et, plus particulièrement, par la détermination du gouvernement
français sous le Duc de Choiseul à annexer l’île à la France. Mais durant
un temps cette idée influença aussi bien des partisans à Londres que parmi
les Jacobites en Europe continentale, et en ce sens, l’histoire de Corse
participe aussi de l’histoire de la Dynastie Stuart. Nous sommes redevables
à Desideriu Ramelet-Stuart d’avoir placé Manuel Stuart au coeur de
l’Histoire et de révéler ainsi les origines des Stuarts de Corse.
Edward Corp,
Professeur Emérite,
Université de Toulouse.
EDWARD CORP est un Professeur Emérite d’Histoire Britannique qui enseigne à
l’Université de Toulouse. Il a élaboré le catalogue de deux expositions majeures ;
‘La Cour des Stuarts à Saint-Germain-en-Laye au temps de Louis XIV’ (Château de
Saint-Germain, 1992) et ‘The King over the Water, 1688-1766’ (Scottish National
Portrait Gallery, 2001). Membre de la Royal Historical Society, il a publié des
ouvrages de référence ; The King over the Water: Portraits of the Stuarts in Exile
after 1689 (2001), The Stuart Court in Rome: The Legacy of Exile (2003), A Court
in Exile: the Stuarts in France, 1689-1718 (2004), The Jacobites at Urbino: an
exiled court in transition (2009), The Stuarts in Italy, 1719-1766 : A Royal Court
in Permanent Exile (2011), I Giacobiti a Urbino, 1717-1718: La corte in esilio di
Giacomo III re d’Inghilterra (2013).
Sommaire
Introduction
La Maison Royale Stuart et la Corse ….............................. page 1
Farewell Hibernia …............................................................ page 15
Au service du Royaume des Deux Siciles …...................... page 23
1766 : Un Stuart en Corse ….............................................. page 33
Des renforts britanniques pour l’armée corse......................page 43
Elba, une autre patrie d’adoption ….................................... page 64
1774, l’ultime défaite .......................................................... page 73
La véritable identité de Manuel Stuart …............................ page 80
Conclusion …...................................................................... page 91
Glossaire …......................................................................... page 94
Introduction
En 2010, un premier opus intitulé « Stuart of Corsica : l’origine
dévoilée » se proposait de resituer le contexte dans lequel des Stuarts
étaient arrivés en Corse durant le XVIII ème siècle et comment une famille s’y
était maintenue depuis cette époque. Il ne s’agissait pas à proprement parler
d’un ouvrage scientifique, mais plutôt d’une enquête historique précisant
quelques faits et posant des hypothèses de travail. Du matériel d’archive et
de nombreuses sources identifiées ne pouvaient alors être exploitées, car il
fallait attendre les conclusions de campagne de recherches récentes et voir
si cette première publication allait contribuer à ouvrir quelques portes.
Le présent ouvrage se veut résolument scientifique et s’appuie
sur une méthodologie de recherche universitaire, encadrée par différents
spécialistes, qui ont permis une exploitation rigoureuse de plus de
10 000 pages d’articles de presse collectés à partir d’une douzaine de
journaux européens sur une période allant de l’année 1731 à l’année
1774. L’ensemble de ces données a été confronté à des sources on ne
peut plus classiques, à savoir diverses publications historiques modernes
et contemporaines. Enfin, un projet scientifique initié en 2011 et basé sur
des techniques modernes de généalogie génétique, livre aujourd’hui ses
premières conclusions sur l’ADN des Stuarts de Corse, dont les résultats
semblent confirmer une tradition orale familiale.
Ce livre poursuit plusieurs objectifs et aborde de façon transversale
une histoire familiale, l’histoire de la Corse indépendante et un projet
particulier concernant la Famille Royale Stuart.
Quelques secrets seront révélés, ou du moins définitivement étayés.
A l’issue de la lecture de ce livre, il ne sera plus possible à l’historien
s’intéressant à la période moderne en Corse d’occulter ou de minimiser
le rôle des Stuarts et de leurs partisans dans l’histoire de ce pays, à une
époque durant laquelle la Nation Corse fut connue dans toute l’Europe et
au delà.
On sera aussi en mesure de connaître beaucoup plus intimement
l’ancêtre des Stuarts de Corse, à savoir Emmanuel Stuart, un personnage
très singulier dont l’existence fut assez mouvementée. Celui-ci, pour des
raisons que le lecteur comprendra, signait Manuel. Afin de respecter son
choix personnel, nous le désignerons sous l’identité de Manuel Stuart. La
véritable origine de ce Stuart ne manquera pas de créer la surprise et
d’ouvrir de nouveaux travaux de recherches pour quelques passionnés.
Sur un plan plus personnel, ce livre me permet enfin de tenir une
promesse faite à mon grand père, Dumenicu Stuart, qui a intégralement
financé mes études d’Histoire et qui m’avait accordé sa confiance.
Desideriu Ramelet-Stuart
- Chapitre 1 La Maison Royale Stuart et la Corse.
La Corse est une terre bien connue des Stuarts. C’est la seule île
de Méditerranée où l’on a exécuté un retable pour célébrer la naissance de
Marie Stuart, reine d’Écosse. Ce tableau a été commandé à Florence en
1545 par Sampiero Corso. Ce chef de guerre insulaire, alors provisoirement
établi à Castifau, était revenu d’Angleterre où il avait fait campagne aux
côtés de Matthew Stewart, 13ème comte de Lennox, dont le fils, Lord Henry
Darnley Stuart épousa Marie Stuart le 29 juillet 1565. De cette union
sont issus tous les souverains successifs qui ont formé la dynastie Stuart
régnante sur les trois royaumes d’Écosse, d’Irlande et d’Angleterre.
La Corse, en pleine révolution dès le début du XVIII ème siècle, attirait
la convoitise de nombreuses puissances européennes du fait de sa
position stratégique en Méditerranée. En quoi pouvait-elle intéresser plus
particulièrement la Maison Royale Stuart ?
Pour le comprendre il est nécessaire de revenir sur les causes du
renversement de cette Famille Royale en Angleterre et sur le contexte de
son exil forcé.
Du fait de son catholicisme revendiqué, le dernier souverain Stuart
d’Angleterre, James II, heurta les convictions de nombreux sujets favorables
à la religion d’État : l’Anglicanisme Protestant. Dès son élection au trône
le 23 avril 1685, ce contexte fut favorable à un courant d’hostilité et de
craintes plus ou moins fondées d’une partie de l’opinion publique anglaise.
Ce climat favorisa un contexte de guerre civile, voire de guerre de religion,
surtout lorsque ce Roi catholique fit emprisonner 7 évêques anglicans qui
défiaient son autorité en matière religieuse. Invité à « restaurer la liberté »
par 7 nobles protestants Anglais, Le 5 novembre 1688, le Prince William
d’Orange, neveu et beau-fils de James II Stuart, traversa la Manche depuis
Amsterdam et débarqua avec une armée de 21 000 hommes. L’affrontement
fût de courte durée et le coup d’État réussit. Le 23 décembre 1688 James
II Stuart s’exila en France chez son cousin le Roi Louis XIV.
1
En mars 1689, James II Stuart, fort d’une armée de 10 000 hommes,
débarqua en Irlande du Sud pour reconquérir son trône. Ce fut l’origine
d’une guerre civile qui dura 3 années en Irlande. A ses côtés se trouvaient
ses deux fils naturels ; James FitzJames, 1er Duc de Berwick 1, Maréchal
de Camp et Henry FitzJames, Grand Prieur, colonel d’Infanterie. Parmi les
officiers Irlandais de James II Stuart, il faut mentionner Patrick Sarsfield
2
, qui résista depuis la dernière place forte, Limerick, et qui signa le traité
de paix de Limerick du 3 octobre 1691. Ce sont 14 000 irlandais jacobites
3
qui suivirent James II Stuart en France pour son dernier exil. Après sa
mort en 1701, son fils légitime James III Stuart et son petit-fils, Charles
Edward Stuart, tenteront tous les deux depuis leur Cour exilée à Rome
de reconquérir le trône d’Angleterre. Ils disposeront d’un réseau jacobite
européen présent dans toutes les cours catholiques, qui s’intéressa aussi à
la Corse.
1
2
3
Voir Glossaire, Lettre F, FitzJames Stuart, James, Premier Duc de Berwick
Voir Glossaire, Lettre S, Sarsfield, Patrick , Comte de Lucan
Voir Glossaire, Lettre J, Jacobites
2
3
1731 : Première tentative d’accords secrets directs entre
Nationaux Corses et Jacobites.
Le 23 janvier 1731, James Francis FitzJames Stuart, second
Duc de Berwick 4, fut envoyé par la Cour d’Espagne à Vienne en tant que
Ministre plénipotentiaire auprès de l’Empereur Charles VI.
Ce diplomate, bien que fidèle à la Cour d’Espagne, fut un grand allié de son
cousin James III Stuart en exil à Rome avec lequel il eut une correspondance
régulière. Au prix de terribles conflits de loyauté, il arriva malgré tout à servir
les intérêts de la cause jacobite chaque fois que cela fut compatible avec
ses mandats diplomatiques. Cette attitude était admise par James III Stuart.
Le 27 juin 1731 Berwick se rendra à Florence pour négocier avec le Grand
Duc de Toscane l’installation de régiments espagnols à Livourne et à
Portoferraio sur l’île d’Elbe.5 Le 19 juillet 1731 une convention d’assistance
fut signée à Milan entre l’Empereur Charles VI et la République de Gênes.
Vers la fin du mois de juillet, se trouvent à Florence James Francis FitzJames
Stuart, des jacobites au service de l’empereur en partance pour la Corse,
ainsi qu’un agent jacobite, un certain Baron Théodore de Neuhoff, qui s’était
déjà illustré en Écosse en mission pour les Stuarts.
L’empereur Charles VI envoya en Corse un corps de 3 600 hommes loués
à Gênes et sous le commandement du Baron de Wachtendonck. Le 9
août 1731, les troupes impériales débarquent à Bastia, avec le colonel de
Cavalerie Ulysses Brown, jacobite d’origine irlandaise, accompagné de son
neveu, le colonel d’infanterie Ulysses Maximillian Brown 6.
Les Corses essayèrent de trouver un arrangement avec la République
de Gênes, sous la garantie de l’Empereur. Le 1er octobre 1731, alors que
les troupes impériales et gênoises marchent sur les nationaux corses
positionnés à Vescovato, un ordre express de Vienne vient interrompre leur
marche.7 Il doivent attendre le retour d’un officier allemand qui est allé à Gênes
présenter les propositions des Corses. Dans le même temps le Sergent-Major
« Cicco », un Corse au service de l’empereur à Naples, est mandaté pour
4
5
6
7
Voir Glossaire, Lettre F, FitzJames Stuart, James Francis, Second Duc de Berwick
in Duque de Berwick « Conquista de Nápoles y Sicilia y Relación de Moscovia »,
Imp. Tello,1890, Madrid – p III
Voir Glossaire, Lettre B, Brown, Ulysse Maximillian
Gazette de Berne du 27 octobre 1731
4
mener les négociations à la tête d’une délégation sur l’île, à laquelle participa
le jacobite Ulysses Maximillian Brown. Il y a eu dans la négociation officielle
une négociation secrète suivie d’une rumeur selon laquelle l’île de Corse
allait devenir un royaume pour le chevalier de St George, James III Stuart.8
Prévenu par les Gênois de cet arrangement, George II d’Angleterre interdit
à ses sujets de fournir toute assistance aux troupes ou aux habitants de
Corse.
Ce fut la première fois qu’un tel accord entre les Corses et la Maison
Royale Stuart fut négocié ouvertement entre les parties. Un roi reconnu
par le Vatican et de nombreuses cours, offrait une garantie diplomatique
internationale aux Corses, sans pour autant vouloir remettre en cause
l’esprit démocratique des Consulte. L’intérêt de la Maison Stuart était
ailleurs : il lui fallait jouir de la protection d’une petite puissance souveraine
pouvant servir de base à la reconquête du trône d’Angleterre.
1736 : Théodore de Neuhoff, un agent Jabobite sur le Trone de Corse.
En novembre 1733, George Keith, Comte-Maréchal d’Écosse,
se trouve à la cour de James III Stuart à Rome, il écrit à son frère qu’il
a « proposé d’envoyer le prince Charles en Corse ». 9 Il avait déjà été
signalé à cette cour en juin 1731, avant la proposition de Brown faite aux
Corses. Vers la fin de l’année 1735, la question Corse est discutée en
haut lieu à Rome. Des cardinaux font circuler l’information selon laquelle
« il est sérieusement évoqué qu’un des Princes Stuarts puisse être fait Roi
de Corse, actuellement en révolte contre Gênes » 10.
A Livourne des discussions directes ont lieu entre Corses et
Jacobites. Côté Corse c’est un avocat ajaccien établi dans cette ville,
Sebastiano Costa,11 qui met les jacobites en relation avec les envoyés
insulaires, dont les chanoines Albertini et Orticoni, mais aussi Rivarola.
Côté Jacobites se trouvait, entre autres, le Baron Théodore de Neuhoff 12,
8
9
10
11
12
The Dublin University Magazine, Volume XLIV, James Mc Glashan, 1854, Dublin - p 739
in A. Lang, « Prince Charles Edward Stuart : The Young Chevalier »,
Longmans & Green, London, 1903 – p 32
in A. Shield, « Henry Stuart, Cardinal of York and his times »,
Longmans & Green, London, 1908 – p 33
in R.Luciani « Mémoires de Sébastien Costa (1732-1736) »-Tome 2,
Aix-en-Provence, 1972 – p 11
in G.Cambiagi « Istoria del Regno di Corsica » - Tome 3, Firenze, 1771 – p 32
5
qui promettait de chasser rapidement les Gênois de l’île si on lui donnait
le trône de Corse. Théodore de Neuhoff est certes un aventurier, mais il
n’en demeure pas moins qu’il a rempli plusieurs missions pour le compte
des Premier et Second Ducs de Berwick sur tout le continent européen, il
avait d’ailleurs épousé en 1719 Elisabeth Sarsfield, la belle-fille de James
FitzJames Stuart. De plus, le baron était muni de patentes de l’Empereur
Charles VI et aussi de celles de Rois très catholiques (dont James III
Stuart).13 Les accords de Livourne furent scellés. Il était encore trop tôt
et trop risqué de faire passer directement en Corse un Prince Stuart car
plusieurs incertitudes pesaient ; l’instabilité de la situation en Corse, le
contexte politique européen et aussi la question de savoir si les Corses
étaient réellement disposés à s’accomoder de la tutelle d’un monarque
étranger.
Le 20 mars 1736, le Baron Théodore de Neuhoff, débarqua en Corse. Le 15
avril il fut proclamé Roi des Corses. Ce Roi signa la constitution présentée
par Gaffori et les chefs Corses, et il jura sur l’évangile de lui être fidèle. Le
11 juin 1736, le Roi Théodore de Neuhoff arriva à Castifau et il fut hébergé
et placé sous la protection du député Giacomo Dante Grimaldi d’Esdra.
Le 28 juillet 1736, La Reine Caroline, régente temporaire de Grande-Bretagne
défendit à ses sujets de fournir provisions et assistance aux mécontents
de Corse. En novembre 1736, Neuhoff quitta la Corse pour aller chercher
d’autres secours et confia la régence provisoire du Royaume de Corse
à Giacinto de Paoli, père de Pasquale, futur général de la Nation Corse.
Quels que fussent ses errements par la suite et la triste fin de
Théodore de Neuhoff, qui déçut aussi bien des Corses que les Stuarts, son
court règne aura démontré que les Corses étaient bien disposés à devenir
les sujets d’un monarque etranger, dès lors que leurs lois et coutûmes étaient
respectées par celui-ci. Le projet d’une monarchie parlementaire insulaire
ainsi que l’établissement des Stuarts en Corse devenait soutenable, mais
n’était ce pas l’objectif à atteindre ?
13
Courrier d’Avignon du 4 mai 1736
6
1739 - 1749 : La persistance des liens et des projets
entre Corses et Jacobites
En 1738, Gênes se résolut à faire intervenir la Cour de France pour
garantir ses intérêts en Corse, ce qui coincide, sans relation particulière,
avec la mort du Second Duc de Berwick à Naples, dont James III Stuart
recueillera le fils dans son palais à Rome.14
En 1739, le Marquis de Maillebois mena une guerre rapide et fut victorieux
des nationaux corses. Il autorisa l’éxil de 27 chefs corses vaincus (Giacinto
de Paoli et son fils Pasquale, Giafferi, Castineta, Don Marco Pasqualini,
etc...) sur des navires français à destination de Naples. Quand les nationaux
corses arrivent à Naples, ils côtoient plus de 2 000 Irlandais et quelques
Écossais Jacobites, principalement des militaires et leur familles, installés
à Naples depuis 1734. Ils y étaient venus avec le Second duc de Berwick,
leur ancien brigadier général.
Le 1er Janvier 1741 un régiment d’infanterie, le Royal Corse, sera constitué
dans l’île et passera définitivement en France au mois de septembre, fort
de 739 insulaires.
C’est dans ce contexte qu’intervint en 1741 une médiation française
pour favoriser une solution politique acceptable par les nationaux corses,
elle était initiée par le Cardinal Guerin de Tencin, représentant la Cour
de France à Rome, qui devait sa barette de cardinal à James III Stuart.
Ce Cardinal élabora un plan pour offrir au prince Charles Edward Stuart la
suzeraineté de la Corse, « comme un cadeau de mariage garanti par les
cours d’Espagne et de France ». 15 Ce présent de mariage devait couronner
une union entre Charles Edward Stuart et la Princesse de Massa.
Dans le même temps en Corse, quand Maillebois fut informé de l’agonie
de Monseigneur Mari, évêque d’Aleria reconnu par Gênes, il manda à
Rome son aide de camp, John Vera O’Sullivan, 16 qui prit le prétexe d’aller
rendre hommage à son souverain James III Stuart afin de ne pas éveiller
les soupçons des Gênois. 17
14
15
16
17
in E.Corp, « The Stuarts in Italy, 1719-1766 : (...) », University Press, Cambridge, 2011 - p 255
in Franck Mac Lynn, « Charles Edward Stuart : A tragedy in many acts »,
Taylor & Francis, London, 1988 - p70
Voir Glossaire lettre O, O’Sullivan, John Vera
in M. Friess de Colonna, « L’univers, Histoire et Description de tous les peuples »,
Didot, Paris, 1847 - p 122
7
Cet officier Jacobite délivra au Cardinal de Tencin des instructions secrètes
de Maillebois pour faire nommer deux évêques Corses. Quand les
gênois vinrent présenter leur candidat après la mort de Mari, le Pape leur
fit répondre qu’il s’était déjà engagé envers les Français. Le 9 mai, sur
ordre de Madrid, les 650 corses du régiment Real Corsica du Royaume
des Deux Siciles, dont Giacinto de Paoli, sont envoyés à Porto Longone
pour faciliter un hypothétique retour en Corse. Le 10 juin le Cardinal de
Tencin sacra deux évêques Corses dans l’église St Louis de Rome, ce qui
n’était plus arrivé depuis 250 ans. Malgré cette agitation, le projet n’ira
pas plus loin, et Tencin renonça. James III Stuart fut indécis par rapport
à cette proposition. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette hésitation :
un contexte européen peu favorable dominé par la guerre de succession
d’Autriche, pouvant également induire un climat d’insécurité inévitable en
Corse . L’histoire démontrera par la suite que la prudence de la Maison
Royale Stuart était pleinement justifiée.
Durant l’année 1743, la guerre entre la France et l’Angleterre est
devenue une réalité. Ce conflit est une opportunité pour les Stuarts, et le
projet corse n’est plus la priorité de l’heure. Au mois de décembre Charles
Edward Stuart est nommé régent par son père James III Stuart. Il s’enfuit
des États de l’Église au mois de janvier 1744 déguisé en courrier napolitain
et fonce vers la France, car Louis XV lui a promis une armée pour tenter un
débarquement en Angleterre.
Au mois de février 1744, 16 bataillons sont rassemblés dans la rade de
Dunkerque, dont 493 Corses du Royal Corse qui fut le premier régiment
à embarquer le 6 mars 1744 pour une tentative d’expédition visant
à restaurer les Stuarts sur le trône d’Angleterre. 18 Une tempête mit en
échec cette tentative. L’engagement des Corses aux côtés des jacobites
ne s’arrête pas là. Lors de la célèbre bataille de Fontenoy, le 11 mai 1745,
en reconnaissance de leur fidélité, les Corses sont positionnés avec les
3 régiments Irlandais jacobites de Berwick, Dillon et Bulkeley. Ainsi, les
militaires Corses et Irlandais jacobites vivent une proximité aussi bien dans
l’armée française que dans l’armée du Royaume des Deux Siciles.
18
in R.Stuart , « 1745: a military history of the last Jacobite rising»,
Spellmount, Staplehurst, 2001 – p 8
8
Le 16 avril 1746, la défaite de Culloden en Écosse marqua la fin
de la campagne victorieuse de Charles Edward Stuart, qui après 6 mois de
clandestinité regagna la France.
Le 18 octobre 1748, lors de la signature du traité d’Aix-la-Chapelle, qui
mit fin à 8 années de guerre, Louis XV reconnut George II de Hanovre
comme légitime souverain d’Angleterre et fit emprisonner le 10 décembre
de la même année Charles Edward Stuart, qu’il expulsera de France le
23 décembre. La distribution des cartes n’était plus la même pour la Maison
Royale Stuart et son réseau diplomatique souterrain, qui dut revoir toute sa
stratégie d’alliance européenne.
En 1749, le régiment Real Corsica du Royaume des Deux Siciles
fut dissout. Le sous-lieutenant Pasquale de Paoli intégra le régiment Real
Farnese, en tant que sous-officier de réserve, sous les ordres du Marquis
d’Arezzo et de Zacco qui était marié à Mary Fitzgerald-Brown de Dublin,
petite cousine d’Ulysse Maxillian Brown, devenu entre-temps Maréchal
d’Empire Autrichien.
Pasquale de Paoli ne prendra le service actif que le 17 février 1753 lors de
son affectation à Porto Longone sur l’île d’Elbe19. Le 19 mai, il prit son grade
dans la compagnie de grenadiers du 1er bataillon du régiment Real Farnese
stationné comme le 1er bataillon du régiment de Hainaut dans la citadelle
de Longone pendant la même période.
Paoli se rendit fréquemment à Portoferraio où il visitait de nombreux
partisans de la cause corse, notamment au sein de la garnison toscane,
où résidait alors un illustre jacobite d’origine irlandaise, Edouardo de
Warren, directeur des tortifications et de l’artillerie du Grand Duché de
Toscane qui était rattaché à l’Autriche. 20 Cet irlandais avait fait venir pour
le seconder trois militaires, trois frères issus d’une même famille Stuart.
Nous reviendrons plus tard sur les liens de Pasquale de Paoli et de Stuarts
présents sur l’île d’Elbe.
19
20
in E.Michel, « Pasquale Paoli a Longone » -Lo Scoglio N°18 – Portoferraio, 1988 - p 19
Archivio di Stato di Firenze, Segreteria di Gabinetto, côte 695
9
1754 : Le Vatican intervient pour établir un Prince Stuart en Corse
En janvier 1753, John Vera O’Sullivan réapparaît en Italie et
s’entretient avec le secrétaire particulier de Jacques III Stuart. Cet homme
connaît bien la Corse. Il était déjà intervenu lors de la médiation française de
1741 pour l’établissement de Charles Edward Stuart sur le trône de Corse.
Durant toute l’année 1753, Charles Edward Stuart se déplace en Europe.
Le 29 octobre 1753 sa fille illégitime, Charlotte, naît dans la principauté de
Liège dont le prince-évêque est un Cardinal allemand. Durant cette période
il rencontrera George Keith, « Mylord maréchal » 21 qui était au service du
Roi de Prusse. Peut-être la Corse a-t-elle été à nouveau évoquée ?
En septembre 1754, le Pape Benoît XIV, originaire de Bologne, s’est
directement impliqué pour « faire céder la Corse à un prétendant Stuart
réfugié à Rome contre une somme d’argent versée à Gênes » 22 . Cette
initiative très importante au plan historique, mérite une restitution des faits
aussi précise que possible. Le 14 septembre 1754, le Pape donna une
audience privée dans sa sacrisitie au Chevalier de St George, lequel 2
jours après se retira à Albano. Le 16 suivant ce dernier fit réunir à Albano
quelques partisans et fit venir son fils, le Cardinal d’York, Henry Benedict
Stuart.23
Le 24 septembre, sur ordre du Pape, le commandant des galères Ricci et
le chevalier Caros embarquent à Civita-Vecchia pour Gênes. 24 Dans la
ville de Gênes se trouve l’abbé Lercari, issu d’une illustre famille gênoise
qui donna un gouverneur à la Corse, et pouvant être très utile à ce projet.
Les instructions du Pape lui sont portées par deux capitaines de sa marine,
qui, pour leurs services reçurent un traitement de 90 écus par mois. C’est
donc durant les derniers jours de septembre et la première semaine
d’octobre que les négocations autour de ce projet se sont déroulées à
Gênes. Le 10 octobre la délégation papale quitte Gênes en partance pour
Civita-Vecchia à bord d’une frégate nouvellement armée par le Vatican.25
21
22
23
24
25
Voir Glossaire, Lettre K, Keith, George, Mylord Maréchal
Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de la Corse,
N° 358,360 –Bastia– p18
Gazette de Leyde du 11 octobre 1754
Gazette de France du 19 octobre 1754
Gazette de Leyde du 5 novembre 1754
10
Le 25 octobre on apprend que le Pape a reçu en audience Monseigneur
Lercari, qu’il venait de faire rappeler de Gênes26. Le soir même, après le
compte rendu de Lercari, le Cardinal D’York est aussi reçu par le Pape. Le
28 octobre c’est James III Stuart qui se rend à son tour auprès de Benoît XIV.
La messe fut dite, les négociations avec Gênes pour la cession de la
Corse à la Maison Royale Stuart avaient échoué. Bien sur, Lercari a joué
un rôle dans ces négociations, mais nous ignorons le motif de leur non
aboutissement. Les Gênois ont-ils été intéréssés par cette proposition ?
James III Stuart et ses deux fils, le Cardinal d’York et le Prince Charles
Edward Stuart, étaient-ils sur la même ligne ? Ce fut encore une occasion
manquée.
1765 : James Boswell,
l’initiateur de l’accord entre Pasquale de Paoli et les Stuarts
L’écossais James Boswell, avocat, écrivain, Franc-Maçon et 9 ème
Chatelain d’Auchinleck, a toujours été présenté comme un Anglais, qui,
effectuant son grand tour européen, passa par la Corse et fut enthousiamé
par Pasquale de Paoli et la Nation Corse. Et d’aucun de rajouter qu’il
s’agissait d’un espion Anglais. Cette ficelle un peu grosse perdure jusqu’à
aujourd’hui, et, en fait de ficelle, il s’agît plutôt d’un fil de fer barbelé réalisé
dans le meilleur métal des Hanovres. Il est temps de rétablir la vérité.
Au 12 ème siècle, deux chevaliers normands accompagnèrent David 1er
Roi d’Ecosse dans son pays, il s’agissait de Walter Fitz-Alan et de Lord
de Bosville. L’un fut à l’origine de la famille Stewart / Stuart et l’autre de
la famille Boswell. Ces deux vieilles familles écossaises sont donc liées
depuis très longtemps. James Boswell vint en Corse dans le cadre d’une
mission planifiée, en se gardant bien d’en donner les apparences, en bon
agent au service des Stuarts.
En 1765, c’est à nouveau George Keith, « Mylord Maréchal », qui
s’empare directement pour le compte des Stuarts de la gestion du dossier
Corse. Soutenu par le Roi de Prusse, Frédérick II, l’ancien commandant de
Théodore de Neuhoff, dispose aussi de relais et d’amis au sein même du
corps diplomatique anglais qui compte de très nombreux écossais, dont
26
Gazette de Leyde du 22 novembre 1754
11
David Hume à Paris et John Dick à Livourne. Gouverneur de Neuchâtel,
protecteur de Jean-Jacques Rousseau, il informe ce dernier de ses plans
pour les Stuarts et l’encourage à travailler sur un projet de Constitution pour
la Corse. 27 C’est dans ce contexte que James Boswell en 1765 rencontrera
Rousseau dont il eut une lettre de recommandation pour Paoli. Ensuite,
Boswell connut à Venise Lord Mount Stuart 28, puis il se rendit à la Cour
des Stuarts de Rome. Enfin, il repassa en Toscane avant de partir pour la
Corse. A Florence, il réunira des partisans jacobites et d’anciens militaires
irlandais et écossais disséminés dans divers États italiens. Il leur expliquera
le véritable but de son expédition en Corse : « Touché par les infortunes
du Prince Charles Edward Stuart, je me rends auprès de Paoli pour
prendre le pouls et savoir si lui et ses gens seraient disposés à voir établir
la suzeraineté en Corse de ce Prince de haute naissance ».29 Le Prince
Charles Edward Stuart fut directement interpellé à ce sujet et fit savoir
« Qu’il n’avait pas la moindre connaissance et participation dans ce projet,
qui selon lui, résulterait purement d’une attention, mais non-autorisée, de
quelques uns de ses plus zélés partisans ». En d’autres termes, malgré une
réserve officielle, il s’agit d’une reconnaissance à demi-mots du projet et de
l’officialisation d’une initiative provenant de ses réseaux jacobites.
Avant de partir pour la Corse, James Boswell fut mis en garde par James
Stuart-Keith (petit cousin de Mylord Maréchal), capitaine de la frégate
Montréal de la Royal Navy, qui redoutait les dangers qui l’attendaient en
Corse. Cette mise en garde, James Boswell en tiendra compte, mais il ne
renonça pas pour autant à sa mission au service des Stuarts.
Début octobre 1765, peu de temps avant de s’embarquer, il écrit à
Paoli et il lui donne ce conseil : « Si je péris dans cette expédition, pensez
à votre Écossais Espagnol ». De qui parle-t-il ? L’historien Michel-Vergé
Franceschi soutient qu’il peut s’âgir du 3ème Duc de Berwick qui avait été
élevé durant 2 ans et demi par James III Stuart. Il est vrai qu’il réside à
Valencia ou se trouve également David Boswell, le jeune frère de James.
Il pourraît également s’agîr de Manuel Stuart. Les deux hypothèses sont
parfaitement plausibles pour des raisons que nous verrons plus tard.
Quand James Boswell se présente à Pasquale de Paoli, la presse
27
28
29
M.Vergé-Franceschi, « La Corse et l’Angleterre » - Piazzola, Ajaccio, 2005 – P 175 à 177
Voir Glossaire Lettre M, Lord MOUNT STUART John, 1er Marquis de Bute
Belfast News-Letter du 31 janvier 1766
12
londonienne rapporte le propos qu’il aurait tenu : « Monsieur, j’arrive au
bout de mon voyage, et j’ai dernièrement visité Rome. J’y ai vu les ruines
d’un peuple brave et libre. Je vois maintenant l’élévation d’un autre ». 30
Il s’agit ici d’une subtile comparaison entre le déclin de la Maison d’Écosse
et l’espoir que suscite le Peuple Corse qui lutte pour sa liberté. Pasquale de
Paoli sait que James Boswell est envoyé par Mylord Maréchal, l’un de ses
partisans les plus zélés en Europe. Les négociations pouvaient commencer.
La Gazette de Berne dispose de canaux d’information privilégiés pour
révéler ce qui se trame entre les deux hommes : « il avait à ménager avec
M. Pascal Paoli des affaires de grandes importances, dont on suppose,
qu’il n’a pas manqué d’avoir été bien sérieusement question entre eux ». 31
Pasquale de Paoli souhaite voir son peuple commander librement
sa destinée et répond à Boswell : « Nous pouvons conclure une alliance,
mais nous ne nous soumettrons pas à l’autorité de la plus grande nation
de l’Europe. Ce peuple qui a tant fait pour la liberté se ferait tailler en pièce
jusqu’au dernier de ses représentants plutôt que de laisser annexer la
Corse au territoire d’un autre pays ». 32 Les négociations semblent donc
bien engagées car ce n’est nullement de celà dont il est question ; James
Boswell n’est pas un agent de George III. Par contre l’installation d’un
souverain Stuart qui garantirait l’indépendance d’un Royaume de Corse et
qui se soumettrait à une constitution voulue et administrée par le Peuple
Corse, voilà une véritable alliance politique profitable aux deux parties. Les
intérêts de la Maison Royale Stuart dépassent largement le cadre de la
Corse, qui est considérée comme une opportunité pour sortir de l’isolement.
Dès son retour en Italie, James Boswell provoque une véritable agitation
chez les partisans du Prince Stuart. Paoli ne semble pas hostile à ce projet
d’ailliance. Son ami Andrew Lumisden, secrétaire particulier de Jacques III
Stuart est très enthousiaste, le 12 novembre il écrit à Boswell : « Est ce que
Paoli vous a montré le code Rousseau ? Quel système de gouvernement
cet homme moderne célébré a-t-il fait adopter pour ces braves îliens ? ».33
C’est dans ce contexte que Manuel Stuart rejoindra la Corse. Et c’est un
personnage clé dont il nous faut étudier le passé.
30
31
32
33
London Chronicle du 11 janvier 1766
Gazette de Berne du 22 février 1766
James Boswell, « An Account of Corsica » - Glasgow, 1768 – p 321
D.Ramelet-Stuart, « Stuart of Corsica : l’origine dévoilée » - Bastia, 2010 – p 12
13
14
- Chapitre 2 Farewell Hibernia.
Il est désormais établi que Manuel Stuart était originaire du comté
d’Antrim en Irlande du Nord, dont la capitale est Belfast. Diverses sources
concordantes attestent formellement qu’il y a passé les 15 premières années
de sa vie, c’est à dire un tiers de son existence. Indépendamment de son
ancienne origine écossaise, ce passé irlandais est aussi constitutif de sa
personnalité et de son identité, et mérite que l’on s’y attarde en relatant
divers aspects de sa vie dans la région de Belfast entre 1735 et 1750.
L’évocation du patronyme Stuart renvoie immanquablement au souvenir de
la très catholique Reine d’Écosse Marie Stuart. D’aucun serait tenté de faire
une assimilation logique entre Stuart et Catholicisme, et ce d’autant plus
pour un Stuart résidant en Irlande, ce qui relèverait d’une erreur certaine
d’appréciation.
Il est vrai que tout comme son illustre ancêtre Marie Stuart, James II Stuart
était un grand défenseur de la foi catholique, apostolique et romaine, mais
tel ne fut pas le choix spirituel de tous les Stuarts. L’une des premières
décisions de politique intérieure importante de Jacques II Stuart lors de son
accession au trône d’Angleterre fut de faire décapiter son propre neveu
protestant 34, James Scott, Duc de Monmouth 35, qui avait soulevé une
armée contre lui en 1685.
L’Irlande de tradition catholique, dernier lieu où livra bataille James II Stuart
entre 1689 et 1691, accueillait alors déjà plusieurs générations de colons
écossais sur sa terre. Pour la plupart, ces écossais étaient protestants,
car ils avaient épousé la religion d’État des souverains précédents,
James I Stuart d’Angleterre inclus. Ainsi au XVIII ème siècle il était courant
de trouver des familles Stewart et Stuart protestantes vivant en Ulster.
Le dernier gouverneur catholique de Belfast fut Edward VI de Warren 36 qui
dut quitter la ville en 1690 face aux troupes de William III d’Orange.
34
35
36
in D.Hume, « The History of Great Britain under the House of Stuart »,Vol. II,
Millar, London, 1757 – p 380
Voir Glossaire, Lettre S, Scott James, Duc de Monmouth
Voir Glossaire, Lettre W, Warren, Edward VI, of Swords
15
Dernier élément d’importance, le « Sacramental Test » de 1704 qui obligea
par décret tous les habitants d’Irlande à se conformer à la religion de la
Reine Anne en passant un test d’allégeance auprès de l’Église d’Angleterre.
Tous les catholiques qui ne le firent pas furent exclus de tout emploi public
et militaire à la charge de la Couronne.37
C’est bien dans une famille Stuart protestante de l’Ulster que Manuel Stuart
a grandi, ce qui à l’époque correspondait à la norme dans cette partie de
l’Irlande. Bien que Belfast restera longtemps un centre de controverse
religieuse, la « normalisation » imposée par Londres produisit ses effets.
Si l’on se réfère à l’année 1732, après les répressions successives et la
diminution très nette du clergé catholique, Belfast comptait 4 532 familles
protestantes pour 340 catholiques.38
L’homme qui a élevé Manuel se prénommait John Stuart et a été
recensé dans la baronnie de Toome, district du Comté d’Antrim, situé au
Nord Ouest de Belfast. En dépouillant un document relatif au recensement
des chefs de familles protestants ayant le droit de vote et vivant en
1740 39, on décompte parmi eux 4 John Stuart originaires de notre zone
de recherche. On a pu établir ainsi que c’était dans une paroisse rurale que
John Stuart a grandi, et qu’il s’agit de l’une de ces quatre paroisses ; Ahoghill,
Drummaul, Duneane, Kirkinriola. Il ne sera sans doute jamais possible de
préciser son adresse exacte car les archives de la période concernée pour
ces quatre paroisses ont été détruites par le feu en 1922, lors de l’incendie
des Archives Nationales d’Irlande à Dublin. Tout ce que l’on peut affirmer
avec certitude c’est que John et Manuel Stuart se trouvaient à l’origine dans
une région pauvre dominée par l’agriculture, à une demi-journée de cheval
de Belfast, ville la plus proche.
Et c’est précisément la pauvreté dans les campagnes d’Ulster et l’absence
de perspective de carrière qui poussèrent différentes catégories de
population à se rendre et à s’établir en ville dans un premier temps.
Ce mouvement d’exode rural fut accéléré au cours des années 1739 et
1740 qui connurent un froid intense en Irlande.
37
38
39
in D.J Owen, « History of Belfast » - Baird, Belfast, 1921 – p 78
in D.J Owen, « History of Belfast » - Baird, Belfast, 1921 – p 90
Public Record Office of Northern Ireland - 1740 Protestant Householders Returns
– Côte T808/1528
16
17
Des foules de malheureux fuirent les campagnes dont les sols étaient gelés
et vinrent camper dans les bois avoisinant Belfast. 40 Manuel Stuart âgé
alors de 5 / 6 ans a survécu à cette période très dure, mais sans doute
le statut social de ses proches a été déterminant et l’a préservé de ces
malheurs.
La situation évolua plus favorablement dès 1741 et la vie reprit son
cours normal à Belfast. Au marché de la ville on trouvait principalement
les productions de maraîchages et d’élevages des régions avoisinantes
et les produits de la pêche. La place de la patate dans les étals était
prépondérante. Les produits laitiers étaient les denrées les plus chères.
Dans les années 1740 toutes les deux semaines environ un navire arrivait
de Londres ou de Liverpool avec toutes sortes de matières premières
et d’objets manufacturés pour améliorer l’ordinaire et faire prospérer les
commerces. Les arrivages importants étaient annoncés dans la gazette de
la ville, la Belfast News Letter, publiée deux fois par semaine depuis 1737,
mais aussi dans le Commercial Chronicle, autre gazette spécialisée.
Depuis 1737 les habitants de Belfast avaient donc leur propre
Gazette et une information un peu décalée dans le temps, mais régulière
sur des contrées parfois lointaines. Il est assez singulier de savoir que
durant tout l’été 1739, une foule d’articles relatait directement la situation
politique en Corse, dont la guerre qui opposa les troupes françaises aux
rebelles corses ! Les sources qui alimentent cette gazette sont intéressantes
à plus d’un titre, car elles ne proviennent pas seulement des articles des
journaux londoniens, elles sont aussi tirées de lettres de particuliers écrites
à l’étranger. A cette époque le jeune Manuel Stuart ne pouvait savoir à quel
point le sort de cette île de Méditerranée changerait sa vie à jamais.
Maintenant que nous en savons un peu plus sur le cadre de vie quotidien du
jeune Manuel Stuart, il nous faut partir à la recherche des familles Stewart /
Stuart vivant à Belfast. Il est nécessaire de préciser que dans la majorité des
documents publics il n’y a pas de distinction entre les patronymes Stewart
et Stuart (forme française) et que tous sont nommés Stewart.
Quand on compulse les sources disponibles, on s’aperçoit vite que ce ne
sont pas les Stewart qui manquent en ville, d’ailleurs en 1742 le vicaire
général de Belfast était le Révérend Richard Stewart. Le plus grand épicier
40
in G.Benn, «The History of the Town of Belfast » - MacKay, Belfast, 1823 – p 47
18
et fournisseur de graines de la ville était Alexander Stewart, dont la boutique
The Orange Tree importait des denrées de Hollande et d’Allemagne.
Un tailleur très prisé de la gente féminine était George Stewart, originaire
de Dublin. Le capitaine de vaisseau William Stewart était honorablement
connu. On pourrait décliner à loisir la liste des Stewart bien intégrés à
l’économie et à l’administration de cette ville.
Quand on connaît le futur métier de Manuel Stuart, grand
spécialiste des travaux de forge et des armes légères et lourdes, on ne peut
s’empêcher de vouloir rechercher un Stewart dont le métier serait proche.
Il y en a au moins deux qui travaillent le métal ; il s’agît de James Stewart
qui fabrique des chandeliers et Hadskis Stewart, fondeur et forgeron, qui au
fil du temps mettra en place la principale fonderie et forge de la ville, située
New Street. De nombreuses publicités publiées dans la Belfast News Letter
présenteront sa forge comme une des meilleures d’Angleterre. La tentation
serait alors grande de faire un rapprochement.
Il est légitime de penser que Manuel Stuart ait pu apprendre très jeune son
métier dans une forge de Belfast tenu par un « cousin » Stewart, mais cette
hypothèse ne tient pas quand on connaît le milieu social qu’il fréquentera
devenu adulte, c’est à dire la plupart du temps des notables, des chevaliers
et des riches commerçants. On imagine mal toutes ces personnes au rang
social élevé se donner tant de mal et s’allier à un simple commis de forge
originaire de Belfast. Ce n’est pas crédible et cela ne correspond pas aux
mœurs de l’époque.
Un autre Stewart attire particulièrement l’attention, il s’agît de John Stewart
(ou Stuart). Celui-ci exerçait la fonction de clerc dans les années 1740 41
à la cour du Comte d’Antrim, Alexander MacDonnel, d’origine écossaise.
Le Château de Glenarm, lieu où exerçait John Stewart, ne se situe pas
très loin de la baronnie de Toome. En juin 1750 ce clerc sera nommé
Juge à Belfast42. Nous nous sommes toujours demandé pourquoi Manuel
Stuart possédait des ouvrages de Droit à Castifau ? Il possédait en 1778
une compilation du Code Corse (Lois et règlements français destinés à
la Corse) qui s’est transmis de génération en génération chez les Stuart
41
42
in Belfast News-Letter, 26 juin 1739
in Belfast News-Letter, 20 juillet 1750
19
20
jusqu’en 1941. Pourquoi cet intérêt pour le droit si ce n’est parce que
précisément son père ou tuteur aurait pu l’y intéresser dans sa jeunesse ?
Ce n’est qu’une hypothèse, mais un autre élément ne peut être occulté, la
nomination de ce juge à Belfast en 1750 correspond au départ de Manuel
Stuart. Dès lors toutes les supputations sont permises.
Quelle que soit la date de sa venue, que faisait le jeune Stuart à Belfast ?
Rêvait-il d’évasion à l’instar des milliers d’Irlandais qu’il a vu s’embarquer
depuis Belfast vers le Nouveau Monde ? C’est une option facile à l’époque
pour un jeune homme aventurier. Dès le printemps, quand la météo de
l’Atlantique Nord le permet, les départs pour l’Amérique du Nord reprennent,
et en cette année 1750 on a dénombré 8 départs directs de Belfast pour
New York et Philadelphie. Non, Manuel Stuart avait d’autres projets et n’ira
donc pas créer une nouvelle souche Stuart dans le nouveau monde.
Il évoque sa vie dans une sorte d’agenda autobiographique
qui a été découvert en Italie après 15 années de recherches.43
Les grandes étapes de son périple y sont indiquées en durée annuelle,
ce qui n’aide pas à la précision, mais ce document permet de savoir où il
se trouve avec une marge d’erreur de plus ou moins 3 mois. Fin 1750 ou
au début de l’année 1751, Manuel Stuart quitta définitivement Belfast pour
Londres dans le but de s’engager dans la Royal Navy.
Entre le 15 avril et le 15 novembre 1750, 9 rotations Belfast – Londres ont
été assurées par 4 navires ; The New Drapper, The Industry, The John
and Robert, The Judith. Manuel Stuart était peut-être à bord de l’un de ces
bateaux.
Alors âgé de 15 ou 16 ans Manuel Stuart débuta sa carrière militaire en
qualité d’ Apprentice dans la Royal Navy. Il sera placé sous la responsabilité
d’un Warrant Officer qui le destinera à un poste sur le navire en fonction
des besoins de service et qui tout comme lui ne portait pas d’uniforme. 44
Il semblerait que Manuel Stuart ait été placé sous les ordres d’un canonnier
et d’un armurier. Le rôle de ces officiers était de veiller à ce que tous les
canons du navire soient en état de marche et prêts à servir à tout moment.
Pour mener à bien cette mission chaque homme est utile.
43
44
Archivio della Curia di Massa Marittima – Filze Matrimoniale – Filza Manuel Stuart 04/01/1773
in M. lincoln, « Representing the Royal Navy: British Sea Power, 1750-1815 »,
Ashgate, London, 2002 – p 10
21
Dans un premier temps Manuel Stuart a du commencer par l’entretien et
apprendre à réparer des petites pièces de métal. Pendant 3 années et demi
de navigation sur l’océan Atlantique, il a eu tout le temps de perfectionner
son art et d’observer et servir au maniement des canons. C’est aujourd’hui
la thèse retenue sur l’origine de sa formation dans le domaine de l’artillerie.
Selon ses écrits, il a servi sur un navire qui protégeait les routes
commerciales anglaises et qui longeait les côtes des Amériques et d’Afrique.
Il précise qu’il n’a plus jamais mis un pied à terre pendant cette période, une
façon de dire qu’il n’est plus jamais retourné dans quelque foyer que ce
soit. Entre sa quinzième et dix-huitième année, Manuel Stuart a vu les ports
d’un grand nombre de pays et sans doute a-t-il fait de très nombreuses
rencontres. Sa carrière dans la Royal Navy semblait toute tracée, mais il en
a décidé autrement. Peut-être poursuivait-il en secret d’autres buts et que
la Royal Navy n’était qu’un moyen d’y parvenir.
22
- Chapitre 3 Au service du Royaume des Deux Siciles
Durant le dernier trimestre 1753, ou bien au plus tard au premier
trimestre 1754, le navire sur lequel servait Manuel Stuart évoluait en
Méditerranée. Cette approximation de date n’influe en rien sur le contexte
et la suite des événements concernant sa vie. Durant cette période l’Europe
connaissait une période de paix relative. Alors que le navire anglais fait
escale dans le port de Porto Ercole, Manuel Stuart prend une décision
assez surprenante, il déserte et rejoint la terre ferme ! S’agit-il d’un acte
réfléchit et d’une destination choisie ou d’un geste spontané ? Pour le
savoir il est important de connaître l’endroit ou sa route se sépare de la
Grande Bretagne.
Porto Ercole est l’un des anciens présides espagnols de Toscane
(Orbetello, Porto Ercole, Porto San Stefano, Talamone, Ansedonia et Porto
Longone). Ces présides, principalement des citadelles, constituaient un
État depuis 1557, date de leur conquête militaire par le Roi Philippe II
d’Espagne. En 1737, le Roi Philippe V d’Espagne céda ces territoires à
son fils Don Carlos, ce dernier étant devenu Roi du Royaume des Deux
Siciles (règne de 1735 à 1759). Il convient de préciser que c’est en 1734
que 37 000 soldats espagnols vinrent installer Don Carlos sur le trône
de Naples, soutenu activement dans son action par les Stuarts. Ainsi, au
siège de Gaète de juillet 1734 se trouvaient aux côtés des espagnols le
Prince Charles Edward Stuart et son cousin James Francis FitzJames
Stuart, second Duc de Berwick, commandant les régiments irlandais.45 Ces
présides, à quelques encablures de la Corse, constituaient des verrous
militaires stratégiques. Du reste il ne manquait à cette époque que la Corse
pour que l’Espagne puisse asseoir sa suprématie en Méditerranée.46
Dans ces places fortes se relayaient les régiments du Royaume des Deux
Siciles, dont certains ont eu des affectations plus ou moins longues. Au sein
de ces régiments il était possible de croiser aussi bien des continentaux
italiens, que des corses, des wallons, des suisses, ou des irlandais jacobites.
45
46
In « Archivio Storico per le Province Napoletane », Anno XXVII – Fasc I,
Pierro e Veraldi, 1902, Napoli – P 492
Idem – p 538
23
Malgré l’hostilité du Vatican, les loges maçonniques d’inspiration jacobite
présentes à Rome, dans le Royaume des Deux Siciles et en Sardaigne
jouèrent un rôle de premier plan.47 On le voit bien, ces présides étaient
aussi un lieu stratégique pour les jacobites.
Manuel Stuart a-t-il donc choisi cette destination en connaissance
de cause ? Ceci est possible, mais en tous les cas son objectif principal
était très clair : il voulait se rendre à Rome. Ne parlant pas un mot d’Italien
il se fit malgré tout comprendre et des personnes lui indiquèrent la direction
de Rome. Nous ne pouvons que conjecturer sur cette motivation, qui a été
confirmée par deux témoins à l’époque. Rome est précisément l’endroit
où résidait la famille royale Stuart en exil. Poursuivant cet objectif, Manuel
Stuart quitta Porto Ercole et commença à contourner au sud le Mont
Argentario dominant ce petit port fortifié et qui culmine à 635 mètres.
Après une heure de marche, Manuel Stuart découvre un site
extraordinaire et connu depuis l’antiquité, le port invisible d’Orbetello. Au
centre d’un lac naturel, fermé par deux cordons lagunaires au nord et au
sud, et dissimulé par le Mont Argentario, se trouve la place forte d’Orbetello.
Cette ancienne capitale des présides de Toscane est une ville de garnison
fortifiée entourée d’eau, pratiquement imprenable. Lui a-t-on conseillé
de s’y rendre, a-t-il provisoirement renoncé à son voyage pour Rome en
raison de difficultés pratiques dont il nous fait part ? Quoi qu’il en soit, deux
jours après avoir déserté de la Royal Navy, Manuel Stuart se présenta aux
portes d’Orbetello. N’importe quel voyageur aurait été impressionné par la
structure défensive de cette ville, dont le premier élément visible consistait
en plusieurs canons placés en haut des remparts. Après avoir franchi trois
portes sous les remparts, unique accès de la ville depuis la terre ferme,
Manuel se trouva sur la place d’arme investie par des soldats en uniformes
rouge et blanc, tenue caractéristique du régiment de Hainaut, réorganisé en
1752 48, et alors en garnison dans cette ville.
47
48
Collectif « Encyclopédie de la franc-maçonnerie », Italie, A.M Isastia,
ed. Le Livre de Poche, 2002, Paris
M.d’Alaya, « Napoli Militare », Stamperia del’Eride, 1847, Napoli – p 73
24
25
C’est alors que le jeune Stuart fit la connaissance de Giuseppe
Antonio Fasino, un homme qui demeura son ami durant 20 ans.49 Ce
Piémontais originaire de Torino est un interlocuteur intéressant à plus d’un
titre pour Manuel. Tout d’abord c’est comme lui un homme qui travaille les
métaux et plus particulièrement l’étain, ce qui augura très certainement
d’un profitable échange de savoir-faire entre les deux hommes. Par ailleurs,
originaire du Royaume de Piémont Sardaigne, Fasino a pu se révéler utile
pour expliquer au jeune Stuart les subtilités de la géopolitique des différents
Royaumes et États d’Italie. Peut-être même a-t-il pu l’introduire auprès des
officiers du régiment de Hainaut pour qu’il reprenne du service actif. Pour
un ancien artilleur de la Royal Navy, ce n’est pas le travail qui manquait
à Orbetello compte tenu de l’importance du nombre de pièces d’artillerie.
Manuel Stuart, selon sa propre expression, « se remit soldat ».
C’est donc au service d’un régiment wallon que Manuel Stuart fit ses
premières armes en Italie.(Ce régiment des Deux Siciles ne doit pas être
confondu avec le régiment français de Hainaut reconstitué en 1764).
Ce régiment espagnol passa en Italie sous les ordres du Second Duc
de Berwick en 1734, où il se distingua particulièrement dans les batailles
auxquelles il participa.50 Depuis 1752, il comptabilisait 910 hommes servant
sous les ordres du Marquis de Turbilly. L’effectif du régiment de Hainaut
était réparti en 2 Bataillons. Chaque bataillon se composait alors de douze
compagnies de fusiliers et d’une de grenadiers (chacune de 35 hommes).
Durant les premiers mois d’activité Manuel Stuart ne portait pas d’uniforme,
il était affecté à l’intendance de l’artillerie dont le magasin, les casernements
et la poudrière se trouvaient à proximité de la place d’arme d’Orbetello.
La vie à Orbetello ressemble à celle de n’importe quelle petite
ville de garnison où la plupart des commerces pourvoient aux besoins des
militaires présents. Cependant il y a une spécificité politique et culturelle
à Orbetello, bien que la ville dépende d’un gouverneur militaire et que la
langue administrative soit l’Espagnol, les magistrats civils, eux, se référent
aux règles et coutumes héritées de la ville de Sienne. Les mesures de
49
50
Archivio della Curia di Massa Marittima – Filze Matrimoniale – Filza Manuel Stuart 04/01/1773
Bulletins de l’Académie royale de Belgique, Tome XXVIII,
M.Hayez Imprimeur, 1869, Bruxelles - p 464
26
Naples et de Toscane sont utilisées conjointement sans que cela ne pose
aucun problème. L’empreinte toscane est partout. Ce sont par exemple
des ingénieurs florentins qui ont construit les fortifications pour le compte
de l’Espagne. Par endroit les bases reposent sur des murs d’enceintes
étrusques !
L’intérieur de la ville d’Orbetello est gracieux et l’urbanisation se réduit aux
seuls édifices nécessaires pour le maintien d’une importante garnison.
La ressource principale de la ville est issue de la pêche à l’anguille qui se
pratique la nuit à la chandelle. Seul point négatif pour la vie de Manuel,
les moustiques, une véritable malédiction locale.51 Orbetello reçoit souvent
des nouvelles en provenance des autres présides. Les navires qui accostent
à Porto Ercole ou Porto San Stefano sont autant d’ouvertures sur le monde.
De même le va et vient continu d’unités de régiments entre Orbetello et
Porto Longone sur l’île d’Elbe permet d’avoir des nouvelles de Toscane via
Portoferraio.
Après avoir vécu quelques mois à Orbetello, Manuel Stuart signe
un contrat d’engagement de 4 ans pour le service au sein de la compagnie
de grenadiers du 1 er bataillon du régiment de Hainaut stationné à Porto
Longone. Au moment de cet engagement 455 hommes du régiment se
trouvent à Orbetello et 455 autres à Porto Longone. Qu’est ce qui peut
motiver ce départ pour l’île d’Elbe, dans le préside le plus éloigné du
Royaume des Deux Siciles ? Une simple opportunité de carrière ? Ou bien
Manuel est-il informé de la présence de jacobites stationnés à Portoferraio,
dont Edouardo de Warren, partisan de la Maison Royale Stuart, et qui avait
la confiance du Grand Duc de Toscane. On peut également spéculer sur
son véritable rôle, n’a-t-il pas obéi tout simplement à des ordres ?
Tout est envisageable. Quand il arriva à Porto Longone, Manuel Stuart
abjura de sa foi protestante et se fit baptiser catholique par le chapelain
de son demi-régiment, l’abbé Bartolomeo Carozzi.52 Rien ne l’obligeait à
faire cela, car on trouvait à cette époque des protestants même au sein des
loges militaires jacobites. C’est donc un choix qui fut fait en conscience.
51
n S.Cantore, « Orbetello », effque, 2002, Orbetello – p 131
52 Archivio di Stato di Napoli, Segreteria di Guerra, Fasc. 907
27
28
Deux mois plus tard Manuel sera rejoint dans la même compagnie
par son ami piémontais Fasino. Les grenadiers sont des troupes d’assaut
qui nécessitent certaines aptitudes physiques, déjà éprouvées par Manuel
dans la marine, de plus son savoir faire en matière d’artillerie peut être
apprécié à Porto Longone où l’on compte plus de cent pièces d’Artillerie !
Dans la compagnie de 35 hommes qui partagent le quotidien de Manuel
on a pu identifier deux sous-officiers wallons ; le Lieutenant Sébastien
Darrange et le Sergent François Constantin. 53
La forteresse de Porto Longone est une place hautement
stratégique pour le Royaume des Deux Siciles. Elle permet de « tenir la
bride » aux États de l’Église, au Grand Duché de Toscane, aux États Cités
de Lucca et de Piombino et, bien sûr, à la Corse et à Gênes. C’est pour
cette raison que les unités de deux régiments y stationnent en permanence.
C’est également un excellent port pour abriter les navires en cas de coups
de vent ou de tempêtes. Cette place forte a été améliorée pour supporter
des sièges et plus de la moitié de ses installations se trouvent sous les
bastions. Elles sont creusées à même la roche côté mer. Ainsi les magasins
se trouvent sous les casernements et on y entreposait principalement du
blé, de la farine, du riz, de l’huile et du vinaigre. Les légumes et le vin étaient
plus rares. 54 Paradoxalement, au pied de la forteresse se trouvaient des
vignobles et des petits hameaux clairsemés de sentiers sablonneux. 55
On trouve non loin de Porto Longone la renommée mine de fer de Rio.
Le minerai de fer n’est pas fondu en lingots, faute de bois suffisant dans
les environs, mais vendu à l’état brut aux commissionnaires des Maîtres de
forge toscans et napolitains.
Quand Manuel Stuart s’engage à Porto Longone, s’y trouvent également
des compagnies d’un autre régiment : le Real Farnese. Dans ce régiment
sert une compagnie de grenadiers commandée par le Capitaine Cesare
Lusinchi.56 C’est au contact de ce régiment que Manuel Stuart fait la
connaissance de Corses. Parmi eux, il aperçoit un homme de grande
stature, blond aux yeux bleus qui pourrait passer inaperçu en Écosse.
53
54
55
56
Archivio di Stato di Napoli, Segreteria di Guerra, Fasc. 907
In « Voyage du père labat en Espagne et en Italie », Tome VII, Delespine, 1730, Paris – P 177
In H.swinburne, « Voyage dans les Deux Siciles », Tome I, Didot, 1785, Paris – P21
Archivio di Stato di Napoli, Real Ordini, fasc. 54
29
Ce n’est autre que Pasquale de Paoli, sous-lieutenant dans cette place
depuis bientôt deux ans maintenant. 57 Ce nom qui figurait dans la Gazette
de Belfast en 1739 se retrouve incarné devant lui ! L’espace de quelques
mois, Manuel Stuart sera donc dans la proximité immédiate de Pasquale
de Paoli. Totalement par hasard ou en service commandé, nous ne serons
peut-être jamais en mesure de le savoir. Ces deux hommes servaient dans
la même arme et ont fait des manœuvres ensemble. Il va de soi qu’ils se
sont connus et parlés et qu’il n’a pas pu échapper à Paoli, toujours en quête
de partisans, que ce Stuart s’y connaissait dans le domaine de l’artillerie et
des métiers de forges.
Manuel Stuart est confronté aux mêmes problèmes de précarité chronique
dont Paoli se plaint à son père, à savoir le peu d’empressement du trésorier
Don Juan Vezzani à payer les soldes dues aux militaires qui servent à Porto
Longone. Heureusement les soldats peuvent compter sur la bienveillance
des paysans alentour et de ceux de la commune de Capoliveri en particulier.
C’est à cette occasion que Manuel Stuart se liera d’amitié avec une famille
d’agriculteurs de Capoliveri, les Martorella. Il y a un paradoxe édifiant entre
les qualités militaires des troupes stationnées à Longone et leurs conditions
de vie. L’inspecteur général de l’armée des Deux Siciles dira à propos du
régiment de Hainaut à Longone « En haillons, pauvres, mais contents » 58
Depuis l’été 1754 Pasquale de Paoli prépare son retour en Corse et
entretient une correspondance soutenue avec son père résidant à Naples.
Ce sont les fonds qui lui manquent, mais il cherche également à obtenir des
soutiens diplomatiques auprès de divers interlocuteurs. En septembre 1754,
Il évoque avec son père un échange de courriers avec le Marquis Duarte da
Silva, Consul d’Espagne à Livorno, 59 sans trop de résultats apparemment.
Il lui faudra trouver d’autres soutiens. En avril 1755, quand Pasquale de
Paoli obtient enfin une permission spéciale de son compatriote et supérieur,
le capitaine Cesare Lusinchi, il s’embarque pour la Corse vers son destin
d’homme d’État qui sera internationalement connu et reconnu.
Manuel Stuart restera à Longone où il pourra tout à la fois perfectionner,
57
58
59
In E.Michel, « Pasquale Paoli a Longone » -Lo Scoglio N°18 – Portoferraio, 1988 - p 19
In « Archivio Storico per le Province Napoletane », Anno XXX – Fasc III,
Pierro e Veraldi, 1905, Napoli – P 218
in A.M Graziani, C.Bitossi « Pascal Paoli Correspondance », Volume I,
Piazzola, 2003, Ajaccio – P 74
30
31
des années durant, son art de la guerre et parfaire le travail du fer, tant
pour la réparation d’armes lourdes ou légères. La mine de fer de Rio
produit l’un des meilleurs minerais au monde, très prisé par les Corses,
c’est une aubaine pour un travailleur du métal. Sur une parcelle attenante
au chemin qui mène à cette mine, Manuel Stuart croisera un agriculteur
nommé Antonio Mibelli.60 Il connaissait déjà son cousin, un certain Natale
Mibelli, qui résidait aux abords de la forteresse de Longone. C’est sûrement
durant cette période qu’il fit également la connaissance du Capitaine Filippo
Marzio Mibelli, natif de Portoferraio. En 1757, Manuel Stuart renouera avec
ses origines, lorsqu’il côtoiera à Longone des centaines d’irlandais issus
du régiment du Roi, dont les frères Don Clemente et Don Carlos Stuart.61
Peut-être même a-t-il pu retrouver de lointains cousins irlandais.
Arrivée au terme de son engagement, Manuel Stuart réside encore
une année à Porto Longone. En 1760 il s’établit dans le village fortifié de
Capoliveri et passe alors sous la juridiction de Piombino. Dans ce village,
il entretiendra une longue amitié avec la famille Martorella. Domenico
Martorella précise que tous les dimanches après l’office, Manuel Stuart
venait manger dans sa maison. A capoliveri, il retournera à la vie civile et
exerça à son compte dans les métiers de forges. On peut raisonnablement
penser que c’est à cette époque qu’il a pu se rapprocher de la fonderie Pucci
de Portoferraio. Elle était un des centres méditerranéens pour la production
de canons. Ceci est très plausible, et on verra par la suite pourquoi.
De part son activité, Manuel est en contact permanent avec les garnisons
toscanes et napolitaines présentes sur l’île d’Elbe. Portoferraio est un port
où se croisent des personnages issus de diverves cours européennes, des
chevaliers, des espions, des francs-maçons, des diplomates, en somme tout
le personnel nécessaire pour entretenir les intrigues les plus audacieuses.
Régulièrement, des nouvelles de Corse arrivent par le biais de pêcheurs
corses et de capitaines des navires en provenance de l’île. Au mois de
décembre 1765, une information provenant de Corse vient troubler la
routine de Manuel Stuart : un compatriote, James Boswell, a été reçu par le
Général de Paoli. Mais peut-être Manuel était-il déjà initié…
60
in F.Vigo, « Notizie varie intorno alla industria mineraria dell’isola dell’Elba »,
1866, Livorno – p 88
61
Royal Irish Academy, Marquess Macswiney papers, Box 7-1, Dublin
32
- Chapitre 4 1766 : Un Stuart en Corse.
A l’issue de son voyage en Corse, James Boswell rapporte les
intentions de Paoli. Quand Boswell s’adresse à son ami Lumisden, c’est
à la Maison Royale Stuart qu’il parle. Le temps presse, Jacques III Stuart
est malade depuis 3 ans et il n’admet plus que la visite de son secrétaire
Andrew Lumisden pour traiter des affaires politiques. Le moment est venu
de préparer l’avenir et la succession. Lumisden, Boswell, Hume, Keith et
bien d’autres encore, activent tous les réseaux jacobites pour préparer
l’avenir du Prince Charles Edward Stuart et soutenir la cause corse.
Par le biais de la franc-maçonnerie et du corps diplomatique, une partie
non négligeable de l’appareil d’État britannique est acquise au principe
d’un soutien aux Corses, du moins dans leur lutte contre l’expansionnisme
français en Méditerranée. Mais cette alliance circonstancielle et de façade
entre Jacobites exilés et serviteurs de George III de Hanovre trouvera tôt
ou tard ses limites. L’année 1766 est l’année charnière où vont se mêler les
destins de Stuarts, de Paoli et de différents autres acteurs. Avant de revenir
aux affaires Corses et à Manuel Stuart il est absolument nécessaire de
comprendre ce qui s’est passé à Rome en 1766.
Le 2 janvier 1766, Jacques III Stuart s’éteint à Rome dans sa 78ème année.
Le pape Clément XIII, originaire de Venise, organisera de grandes
cérémonies pour les obsèques du souverain défunt. La cour jacobite romaine
pressa le Prince Charles Edward de revenir à Rome, celui-ci écrit au Pape
pour obtenir du Saint Siège les mêmes traitements et privilèges que son
père. Le saint père lui fit une réponse assez sèche : « Nous ne pourrons
rien faire à ce sujet avant une assemblée générale des cardinaux ».62
Le 18 janvier, le Cardinal d’York, participant à un conclave restreint, tente
de faire reconnaître sans succès le statut de dignité royale pour son frère
Charles Edward. 63
Le 6 février, Charles Edward Stuart se trouve à Rome, et les anciens
serviteurs de Jacques III le supplient « d’Abjurer de sa foi protestante et
de tous ses principes », 64 ce qu’il refusa catégoriquement. Le 16 février,
62 The Freeman’s Journal du 4 février 1766
63
Gaceta de Madrid du 11 février 1766
64
The Freeman’s Journal du 11 mars 1766
33
un proche du Pape, l’archevêque Borromeo, demande à être reçu par
Charles Edward Stuart et lui dit ceci : « Monseigneur, c’est avec le plus
grand regret que sa Sainteté m’a chargé de vous informer, qu’elle ne pourra
vous reconnaître en sa présence comme un fils obéissant et dévoué, ou
comme un ami, tant que vous n’aurez pas renoué avec la religion de vos
ancêtres et avec une soumission filiale au Saint Siège. Il ne pourra, en
conformité avec sa conscience, vous soutenir d’une manière convenable à
votre naissance, ou vous permettre de résider dans n’importe lequel de ses
domaines, à moins que vous n’arriviez à le convaincre que votre religion est
orthodoxe et que les avis sur votre défection sont erronés ». 65
Une congrégation fut réunie en présence du Pape et du Cardinal d’York et
par sept voix contre une le Vatican destitua Charles Edward Stuart de tout
titre royal.66 Cette décision politique fut lourde de conséquences.
Les jacobites reconnurent Charles Edward Stuart sous le titre de
Charles III, mais cela ne changea rien à l’affaire et l’isolement politique
du Prince s’accéléra. Toutes les cours catholiques l’abandonnèrent à son
sort. Le 8 mars 1766, les Cours de Versailles et de Madrid font savoir
officiellement qu’elles ne reconnaissent pas Charles Edward Stuart comme
Roi. Charles Edward Stuart fut même obligé de renvoyer son propre
banquier au motif qu’il refusait d’enregistrer ses écritures sous le nom de
Charles III. 67 Choiseul fut l’un de ceux qui traita avec le plus de mépris le
Prince et diminua de moitié la pension qui était jadis attribuée par la France
à son père. 68 Dans cette descente aux enfers, une puissance respectée en
Europe, le Royaume de Piémont-Sardaigne, dont la cour se trouvait à Turin,
tint étonnamment un autre discours. Le 10 mars de cette année on apprend
que cette puissance « emploie ses bons offices auprès de la République de
Gênes, pour faire accorder dans l’île de Corse au Prince Charles Edouard
Stuart une retraite convenable au rang de ce Prince, et qu’elle pourrait y
réussir si elle n’avait pas quelques différents à vider auparavant avec les
Génois mêmes ». 69
65
66
67
68
69
The Scots Magazine, Mars 1766, p 157
Gazette de Berne du 1er mars 1766
The Freeman’s Journal du 5 avril 1766
Gazette de Berne du 25 juin 1766
Gazette de Cologne du 1er Avril 1766
34
La diplomatie jacobite a visiblement trouvé un partenaire en la personne du
Roi Charles Emmanuel III 70 de Sardaigne, déjà acquis à l’idée d’un avenir
Corse pour le Prince Stuart, avec lequel il est cousin au troisième degré.
Cet intérêt soudain de la Cour de Turin pour les affaires corses ne doit
rien au hasard. Le danger de voir la Corse basculer dans le giron français
bouleverserait l’équilibre des forces en Méditerranée et constituerait une
menace pour toute l’Italie. Sur ce point, la diplomatie turinoise est en phase
avec l’Angleterre. La perspective pour le Roi de Sardaigne de voir s’affirmer
un État indépendant voisin ou encore une Nation autonome intégrée à
son Royaume, avec à sa tête deux alliés en la personne de Pasquale de
Paoli et du Prince Charles Edward Stuart est un projet tout à fait réaliste
et intéressant dans tous les domaines. Dès le mois de janvier 1766 on
pouvait lire dans la seule presse écossaise, comme par hasard, que le
Roi de Sardaigne « Est très heureux de l’évolution des affaires en Corse,
que sa majesté a toujours été le protecteur de ces braves insulaires et que
ses sujets sont animés des mêmes sentiments ». 71 Le propos n’est pas
exagéré, on trouve par exemple, parmi les nobles piémontais, le Comte
Dalmazzo Francesco Vasco, qui envoya à Rousseau son propre projet
de constitution pour la Corse fondée sur un despotisme éclairé. Dans le
même temps des Sardes et des Piémontais adhèrent aux idéaux de Liberté
incarnés par les Corses, et d’aucuns sont prêts à venir se battre aux côtés de
Paoli. Indépendamment de l’action de leur souverain, ce sont les éléments
les plus progressistes et les plus subversifs de ce royaume, qui seront les
partisans les plus acharnés de Paoli en Italie.72
70
71
72
Voir glossaire, lettre C, Charles Emmanuel III, Roi de Piémont-Sardaigne
The Scots Magazine, Février 1766, p 100
in « Rassegna Storica del Risogimento », Anno LIX, Fasc. IV, 1972, Roma – p 533
35
36
En 1766, le gouvernement paoliste sait qu’il pourra désormais
s’appuyer sur des alliés et disposer de nouvelles ressources logistiques,
militaires et financières. En ce début d’année 1766, Paoli pense aux moyens
de renforcer sa puissance militaire notamment en matière d’artillerie et
de marine de guerre. Il dépêche des agents en Europe pour armer des
navires et acheter des canons. Dans la gazette de Berne il est stipulé
que « De toutes parts, à ce qu’on prétend, les corses du Parti Paoliste
mettent en activité leurs agents, amis et autres correspondants, aux fins
de se procurer des pièces de canon pour leur vaisseaux qui n’en sont
point pourvus suffisamment ».73 Dans le même temps à Londres, un agent
de Paoli négocie avec des chantiers navals la construction de 3 frégates
prévues pour être armées avec 20 canons. Il se dit aussi à Livourne que
la flotte corse se compose déjà de 9 chébecs armés, de 7 tartanes et que
14 frégates de fabrication anglaise seront armées pour le printemps 74.
Information ou propagande, témoignent ici d’une réelle volonté de l’effort de
guerre paoliste sur le plan maritime.
Le 17 mars 1766 à Vienne, l’ambassadeur d’Autriche en Espagne,
le Comte Mahony, donne un bal et réunit un nombre considérable d’officiers
et de chevaliers irlandais issus de plusieurs cours, tous jacobites. Parmi
eux, entre autres, Philippe George Brown, fils d’Ulysse Maximilian Brown,
celui qui était en Corse en 1731.75 On y trouve aussi le Comte PhilippeGoswyn de Neny. Officiellement, il s’agit de célébrer la Saint Patrick, mais
dans les faits on évoque les perspectives concernant la Corse et surtout
le sort fait à Charles Edward Stuart. Quelques jours plus tard, le Comte de
Neny se rendra en Corse et sera reçu par Paoli pour tenir des négociations
secrètes. Le 2 avril, l’envoyé du Royaume de Piémont-Sardaigne à Vienne
affirme avoir reçu des dépêches « essentielles par rapport à l’île de Corse
dont le sort semble enfin être fixé ». 76 Les négociations avec Paoli initiées
par Boswell semblent cette fois avoir abouties.
Le 19 avril à Rome, le Cardinal d’York baptise un commerçant juif
anglais établi à Gênes. Le Comte de Neny peut également compter sur
la bienveillance de ses amis de la Loge Saint Jean d’Écosse de Gênes.
73
Gazette de Berne du 22 février 1766
74 The freeman’s Journal du 1er mars 1766
75
The freeman’s Journal du 26 avril 1766
76 Gazette de Cologne du 11 avril 1766
37
Certains diplomates anglais appuient également la démarche, d’autres y
sont opposés. Tous les soutiens utiles aux négociations entre Gênes et le
Roi de Sardaigne sont les bienvenus.
C’est durant cette période que Manuel Stuart quitte Capoliveri pour
la Corse. A-t-il répondu aux sollicitations de Paoli, ayant été contacté par
ses agents ? Où bien a-t-il suivi les ordres du Comte de Neny ?
Le Comte de Neny était Grand Commandeur de l’ordre des chevaliers de
Saint Etienne de Hongrie, ordre dont était aussi membre le Général-Major
Pierre Joseph d’Argoud. Le frère de ce dernier, Joseph d’Argoud, avait été
au service du Royaume des Deux Siciles, Capitaine des grenadiers dans le
1er bataillon du régiment de Hainaut.77 Le monde est décidément très petit
autour de Manuel Stuart. Quelles que soient ses motivations, Manuel Stuart
ne put être que comblé de pouvoir servir à la fois les intérêts de la Maison
Royale Stuart et de se rendre utile à la patrie de Pasquale de Paoli.
En Corse Paoli poursuit l’organisation militaire du Royaume, mais
il reçoit également une livraison particulière fin avril ; « Une couronne et
un trône, avec différents emblèmes de royauté, fabriqués en Hollande ».78
Ces symboles de Royauté sont bien destinés à une personne en particulier,
et force est de constater que les hypothèses ne sont pas nombreuses.
Ce trône est soit pour Paoli soit pour Charles Edward Stuart. La dernière
hypothèse semble de plus en plus crédible.
Différentes sources de Toscane et de Gênes indiquent que des ingénieurs
et officiers étrangers encadrent l’armée paoliste en Corse. Dans le même
temps les émissaires du gouvernement de la Corse continuent à sillonner
les puissances alliées en Europe. En Allemagne, des agents paolistes sont
mentionnés à Hambourg, ils sont chargés d’acheter du bois de construction,
des agrès et différentes fournitures.79 Paoli sait désormais qu’il peut compter
sur les soutiens de nombreux britanniques de toutes nationalités. En juin
1766 il lance un appel explicite et promet « des offres très avantageuses à
tout officier naval britannique acceptant de se mettre à son service ».80
77
78
79
80
in L.P d’Hozier, « Armorial général de la France », Registre V, Firmin Didot, 1764, Paris – p 34
The Freeman’s Journal du 10 mai 1766
Gazette de Cologne du 1er Juillet 1766
The Freeman’s Journal du 8 juillet 1766
38
Au mois de juillet les évènements s’accélèrent ; on évoque également à
Londres la cession de la Corse au Roi de Sardaigne.81 Ce n’est pas tout
à fait ce qui était prévu, mais les Génois ne veulent pas entendre évoquer
une reconnaissance de la souveraineté de la Corse, tandis que le transfert
de souveraineté au Roi de Sardaigne est une option plus honorable. Libre
au Roi de Sardaigne de s’arranger avec les « rebelles corses », ce qui ne
saurait poser la moindre difficulté. Le 31 juillet arrivent à Londres des lettres
privées de Turin ou l’on apprend « Qu’une négociation est en cours pour
céder l’île de Corse au Roi de Sardaigne, mais que ni les insulaires, ni les
Génois n’en font état ». 82 On comprend cette discrétion alors que Gênes
négocie dans un autre but à Versailles…
Le 3 août 1766, un navire quitte Livourne pour le Cap Corse. A
son bord se trouve une délégation britannique qui doit rencontrer Paoli. Elle
est composée notamment de Frederick Augustus Hervey, futur 4ème Comte
de Bristol.83 Son frère ainé avait été ambassadeur d’Angleterre à Turin et
était très bien disposé à l’égard des Corses. Sa mission est d’expliquer les
difficultés rencontrées à Gênes et d’élaborer avec les Corses un accord sur
le long terme. Le 6 août il sera hébergé au couvent de Caccia 84 et fera ainsi
la connaissance à Castifau du Colonel Giacomo Dante Grimaldi d’Esdra. Il
se rendra ensuite à Corté et négociera avec Paoli du 9 au 16 aout.
Un accord a certainement été trouvé. En effet, quelques jours après
« C’est le roi de Sardaigne lui-même qui s’intéresse grandement aux affaires
corses ».85 Le 18 novembre, un traité est sur le point d’être signé entre la
République de Gênes et la Cour de Turin, à laquelle elle céderait tous ses
droits sur la Corse.
On aurait pu à ce moment légitimement penser que la solution sarde était
sur le point d’aboutir, mais la tâche était rendue complexe par les divisions
au sein des appareils d’États britanniques, français et génois.
81
82
83
84
85
Gazette de Berne du 16 août 1766
The Freeman’s Journal du 5 août 1766
in W.S. Childe-Pemberton, « The Life of Frederick Hervey (…) », Volume 1,
Dutton, 1925, London - p 79
in F.Beretti, « Pascal Paoli et l’image de la Corse au dix-huitième siècle : (...) »,
Voltaire Foundation, 1988 – p 89
The Freeman’s Journal du 20 septembre 1766
39
40
En France, Choiseul avait déjà une préférence pour une option :
écraser l’État paoliste et offrir la Corse à son maître Louis XV. C’est l’activité
de l’ambassadeur de Gênes à Versailles, le Marquis de Sorba, qui en est
directement la cause.
Un rappel historique s’impose. En 1762, Jean Louis Favier, diplomate
français et chargé d’affaires, est renvoyé de la Cour de Russie en raison de
son avidité et de ses « pratiques douteuses ». Il rencontre Jean du Barry
qui s’occupe de la vente des fournitures aux troupes françaises partant
en Corse. Du Barry propose à Favier un intéressement sur ses recettes si
celui-ci parvient à convaincre Choiseul d’augmenter les troupes, et donc
les commandes de fournitures. Le diplomate y parvint. C’est alors que
le Marquis de Sorba s’intéresse à cet homme et lui propose la somme
de 51 500 Louis d’or si celui-ci réussit à convaincre Choiseul d’oeuvrer à
pacifier militairement la Corse. En 1763, Favier remet son fameux rapport
à Choiseul, qui sera définitivement convaincu de l’option militaire et de
la faiblesse de la République de Gênes. En 1766, la diplomatie génoise
se retrouve donc prisonnière de ses propres procédés et dispose de peu
de marges de manoeuvres pour oeuvrer sereinement à la solution sarde,
d’autant plus qu’elle doit déjà des sommes d’argent considérables à la
France.
En Corse, Paoli connaît les limites de son activité diplomatique et
de celle de ses alliés, et il prépare la défense du Royaume. Fin novembre
1766, arrive dans le golfe d’Ajaccio un navire allemand qui apporte à Paoli
des barils de poudre, des petites pièces d’artilleries et des armes à feu.86
C’est une opération organisée par Mylord Maréchal, d’autant plus facilitée
par la cour de Berlin qui est de plus en plus favorable aux Corses.
Un nombre croissant d’étrangers viennent proposer leurs services aux
Corses et dans le même temps James Boswell et de nombreux britanniques
prennent fait et cause pour la Nation Corse, allant même jusqu’à faciliter
des contacts et soutiens parfois très éloignés géographiquement. La presse
écossaise affirme que Paoli s’est mis en relation avec des chantiers navals
en Amérique du Nord pour construire des frégates pouvant aligner 10 à
20 canons.87 Des marchands hollandais participent également à l’achat
86
87
The Freeman’s Journal du 2 décembre 1766
The Scots Magazine, décembre 1766, p 661
41
revente de canons et l’on estime qu’à la fin de l’année 1766, l’armée corse
peut aligner 150 pièces d’artillerie de divers calibres, non comprises celles
embarquées sur les Navires. 88 Manuel Stuart ne doit pas manquer d’activité
sur place !
Pendant ce temps les négociations entre Gênes et Turin traînent en
longueur, une dernière tentative est élaborée au mois de décembre.
La République de Gênes tente de contrecarrer les plans français en
proposant de remplacer les troupes françaises en Corse par des troupes
sardes.89 Gênes refuse obstinément de reconnaître la souveraineté du
Royaume de Corse et Paoli, désormais en position de force, en fait un
préalable.
88
Gazetta Toscana, N° 47, janvier 1767
89 The Freeman’s Journal du 27 décembre 1766
42
- Chapitre 5 Des renforts britanniques pour l’armée corse
L’année 1767 doit être clairement perçue comme une période
d’affirmation de la puissance militaire corse, à mettre en relation avec
des soutiens internationaux importants. Nous n’évoquerons pas ici toute
l’actualité historique, et l’affaire des jésuites espagnols notamment, mais
nous bornerons notre étude à quelques opérations militaires et à l’implication
directe d’Écossais, d’Irlandais et d’Anglais dans ces dernières.
Dès le mois de janvier, on peut lire dans différentes gazettes européennes :
« Les succès soutenus des mécontents contre la République de Gênes,
font présumer que Pascal Paoli, leur général, a trouvé de la protection dans
quelque cour étrangère : On en juge surtout par la quantité d’artillerie et de
munitions de guerre et de bouche dont il est fourni ».90 C’est effectivement le cas,
les Rois de Prusse et de Piémont-Sardaigne, même si ce n’est pas officiel,
sont directement impliqués dans l’aide envoyée aux Corses.
Au mois de février, un navire de guerre corse, avec 93 hommes d’équipage,
est présent dans le port sarde de Cagliari.91 Si le pavillon corse n’est pas
traité comme pirate, qui plus est arboré par un navire de guerre, c’est donc
une reconnaissance de fait par le Roi de Piémont-Sardaigne !
L’aide venue d’Angleterre est plus complexe car s’appuyant sur des réseaux
divers et variés. Une chose est certaine, les agents de Paoli sont à pied
d’oeuvre en Angleterre et James Boswell inventera même un personnage,
il signore Romanzo, un soit disant envoyé de Paoli auprès de la cour de
Londres, très certainement pour brouiller les pistes. Le soutien d’anciens
réseaux jacobites et de francs-maçons est une chose, le soutien officiel de
l’Angleterre en est une autre, et ce d’autant plus que le Roi George III lui
même est méfiant vis à vis des Corses.
Le 16 février 1767, 14 embarcations corses transportant 300
soldats et volontaires, quittent le port de Maccinaggio pour entreprendre la
conquête de l’île de la Capraia, place forte génoise située au nord est de la
Corse. Sous le commandement de l’officier corse Achille Murati se trouve
90 Journal politique, Avril 1767, première quinzaine – Livourne 15 mars
91 Gazette de Cologne du 14 avril 1767
43
également une poignée de volontaires britanniques. Le 19 février suivant, les
Corses encerclent le fort San Giorgo dans lequel sont retranchés 80 génois.
A Livourne, l’abbé Andrew Burnaby, qui était venu en Corse avec Hervey,
relaie des informations vers l’Angleterre. C’est ainsi qu’arrive à Salisbury
une lettre du soldat Sam Jones, volontaire au sein de l’armée corse, qui écrit
depuis le camp corse de la Capraia le 10 mars 1767 : « Pascal Paoli parle
un très bon anglais (...) il y a avec moi sur l’île de la Capraia 5 autres anglais
et 2 écossais, mais les corses ne font pas la différence, nous sommes
tous anglais pour eux (...) ».92 A la différence des mercenaires, comme
les déserteurs suisses où allemands, qui se vendent au plus offrant, ces
volontaires sont engagés dans l’armée corse par conviction. Leur idéalisme
en faveur de la liberté pour les Corses sera souvent souligné dans les
journaux britanniques, mêmes si parmi eux une minorité servait d’autres
intérêts beaucoup moins spontanés.
Paoli continua d’œuvrer au renforcement de sa marine de guerre qui se
compose alors de « Soixante-dix navires armés, dont les deux tiers ont
été fournis par des puissances étrangères ». 93 Cette estimation doit
certainement inclure des navires modestes armés d’un ou de deux canons
tout au plus, y compris des petites embarcations. La flotte corse n’est pas
encore en mesure se faire face aux véritables puissances maritimes, même
si elle devient un véritable cauchemar pour la navigation génoise.
Des agents paolistes sont donc toujours présents dans certains ports
européens pour acquérir des frégates, et c’est le cas dans le port anglais
de Bristol, qui fait face à l’Irlande du Sud et d’où est originaire Frederick
Augustus Hervey, devenu entre temps évêque de Cloyne en Irlande.
Un agent paoliste, Giacomo Arnos, originaire de Castifau, sera signalé
dans le port de Bristol, et ce dès le mois d’avril. 94 95 Il finira par faire souche
dans cette ville.96 C’est assez logique, Hervey avait résidé à Castifau et
le colonel Giacomo Dante Grimaldi d’Esdra avait pu à cette occasion lui
désigner un homme de confiance.
Lors du traité de paix signé entre la France et l’Angleterre en 1763, une
clause prévoyait l’interdiction aux sujets britanniques de porter assistance
92 The Scots Magazine, Avril 1767 – p 221
93
The Freeman’s Journal du 21 avril 1767
94
The Freeman’s Journal, du 11 avril 1767 et du 15 septembre 1767
95
Gazette de Cologne du 13 septembre 1767
96
Un Joseph Arnos se maria à Bristol en 1849, un autre Joseph Arnos de Castifau fut le seul
témoin de mariage de Théodore Stuart en Corse en 1909.
44
ou de correspondre avec les « malcontents de Corse » sous peine de crime
de trahison. Cette restriction fut officiellement levée par le gouvernement
britannique.
Le mois de mai 1767 est riche d’événements qui peuvent nous
intéresser au premier plan. Nous savions que Manuel Stuart n’était pas
le seul soldat d’origine écossaise à servir dans l’armée de Paoli, mais le
mouvement semble s’accélérer. Dans le nord de l’Écosse, « Nous apprenons
qu’à Inverness, un certain nombre d’highlanders écossais, qui étaient à
l’étranger au cours de la dernière guerre, se sont récemment engagés à
partir pour la Corse, afin de servir comme soldats au service du Général
Paoli ».97 Toujours sur le registre des alliés fidèles, le Roi de Sardaigne
dépêcha deux envoyés en Corse pour assister à la consulta (Assemblée
Souveraine de la Corse) qui débutera le 28 mai.98 Cette consulta aurait du
élaborer un énième plan d’arrangement avec Gênes, mais une nouvelle
extraordinaire vint interrompre ses travaux : l’île de la Capraia était tombée.
Le 29 mai 1767, après 102 jours de siège et malgré trois tentatives de
débarquement génois et les combats meurtriers qui s’en suivirent,
la garnison génoise du fort San Giorgo s’était rendue et avait signé un acte
de capitulation. Capraia fut annexé au Royaume de Corse et placée sous
la juridiction de ses institutions. Cette première victoire militaire de l’armée
Corse eut un retentissement international. La République de Gênes avait
perdu des centaines de soldats, laissé 91 prisonniers et était maintenant
directement menacée. Dès le 4 juillet suivant, elle se résigna à l’idée de
céder la Corse à la France en chargeant le Marquis de Sorba d’en négocier
les conditions.
Durant le mois de mai toujours, un agent mandaté par le Conseil Suprême
d’État de Corse pour demander le soutien de Londres obtient une réponse
claire du secrétaire d’État britannique : « Si d’aucune puissance prenait
partie pour les Génois contre l’île de Corse, toute assistance et protection
raisonnable lui serait assurée, dans les limites des traités subsistants entre
les différentes cours ».99 Cette position signifie concrètement que Paoli
ne doit pas espérer compter, pour le moment, sur une implication militaire
97
98
99
The Freeman’s Journal du 6 juin 1767
The Scots Magazine, Avril 1767 – p 217
The Freeman’s Journal du 6 juin 1767
45
directe de l’Angleterre. Pendant ce temps, en Corse des britanniques, entre
autres, participent à l’encadrement des troupes paolistes, dans le domaine
de l’artillerie notamment.100
Le 28 juillet 1767, un visiteur anglais, John Symonds, professeur d’histoire
moderne à l’Université de Cambridge et admirateur de Rousseau,
s’embarque à Livourne pour la Corse. Le 31 juillet, il passa la nuit au
couvent de Caccia près de Castifau.101 A l’époque Castifau se trouve sur
un lieu de passage habituel pour aller vers la capitale de Corse, mais on ne
peut occulter le fait que plusieurs irlandais, anglais et écossais aient fait une
halte dans le village des Stuarts de Corse. Symonds aura des discussions
avec Paoli pendant 5 jours et quittera la Corse le 7 août.
Le 6 septembre 1767, un étrange édit du Roi de PiémontSardaigne, contre toute logique, adoucit considérablement les peines
prévues pour les déserteurs ainsi que pour les soldats qui vendraient leurs
armes, chevaux et munitions.102 Les Corses n’en demandaient pas tant,
mais cet encouragement royal sera très utile pour soutenir leur cause.
Vers la mi-octobre un mouvement simultané de troupes s’opère : d’un côté
l’armée corse assiège Bonifacio, et de l’autre côté, les troupes de PiémontSardaigne, sous les ordres de l’officier La Rognette, s’emparent de 7 îles
(Lavezzi, Cavallu, Maddalena, Caprera, Santu Stefanu, Razzoli et Spargi)
qui avaient toujours été occupées par les Bonifaciens, malgré les vives
protestations de ces derniers.103 Paoli fera demander à la cour de Turin la
restitution de deux îles, dont les Lavezzi.
Fin novembre, Paoli positionne un nombre considérable de soldats devant
Calvi, ville qu’il avait déjà fait assiéger au mois d’Août. On dit que ce
corps de troupes est appuyé par « un grand train d’artillerie, ayant à son
service beaucoup d’ingénieurs étrangers ».104 Dont Manuel Stuart ? C’est
bien possible car en cette fin d’année 1767 les Écossais servants dans
l’armée corse sont toujours présents aux avants postes. Ainsi sur l’île de la
Capraia, alors que les Corses travaillent à creuser les fondations de deux
petits fortins, des militaires écossais signalent la découverte de vestiges
100
101
102
103
104
The Freeman’s Journal du 23 juin 1767
in F.Beretti, « Pascal Paoli et l’image de la Corse au dix-huitième siècle : (...) »,
Voltaire Foundation, 1988 – p 89
Gazette de Berne du 17 octobre 1767
Journal politique, Novembre 1767, deuxième quinzaine
Gazette de Cologne du 29 décembre 1767
46
antiques, des pièces d’or et d’argent datant de la période de Tiberius selon
eux. L’arrivée de volontaires en Corse continue : « Les Corses continuent
d’augmenter leur marine et il arrive à cet effet dans l’île de jour en jour des
gens propres à y travailler ».105
L’année 1768 verra la France de Louis XV et la Corse de Paoli
entrer en guerre. Il n’est pas nécessaire de s’attarder sur les diverses
manœuvres diplomatiques du Duc de Choiseul et les trahisons dont fut
victime le gouvernement de la Corse, puisque les intentions réelles de la
cour de Versailles sont parfaitement connues : ce sera une guerre destinée
à anéantir la Nation Corse.
Dans ce conflit, entre autres étrangers au service de Paoli, des écossais
prendront une part active. En ce début d’année, la presse de Frédéric II de
Prusse, un soutien actif des Corses, mentionne que la présence d’officiers
écossais dans l’armée de Paoli est une réalité.106 Qui d’autre que George
Keith, ancien Maréchal héréditaire d’Écosse, gouverneur de Neuchâtel,
correspondant de Paoli, artisan du rapprochement de la maison royale
Stuart et de la Corse, serait mieux placé pour vérifier et laisser diffuser ce
type d’information dans une gazette qu’il peut contrôler ?
Comment fut employé Manuel Stuart en Corse ? Etait-il plus utile en tant que
spécialiste de l’artillerie ou en tant qu’officier de troupes d’assaut paolistes ?
Ou bien était-il instructeur militaire polyvalent ? Etait-il agent de liaison ?
Ou maître de forges à Petralba et/ou à l’Isula Rossa ? Nous ne le saurons
peut-être jamais, mais on peut réfléchir à sa localisation géographique dans
l’île à partir de ses compétences et de ses relations personnelles établies
par la suite. Tout porte à croire que Manuel Stuart ait été dans le sillage du
Colonel Giacomo Dante Grimaldi d’Esdra de Castifau depuis la Balagne
jusque dans le Nebbiu. Il fut d’ailleurs l’allié de plusieurs familles originaires
de Balagne, de Caccia, de Canale et du Nebbiu (Bonavita, Casta, Gaspari,
Grimaldi d’Esdra et Parsi).
Les soutiens de nombreux britanniques sont également sollicités à Londres
même. Le 2 mars au sein de la bourse londonienne, Le sieur Ciardini, un
agent corse, s’est présenté parmi les marchands du Royal Exchange, il
souhaitait établir d’importants contrats commerciaux aussi bien à Londres
105
106
Gazette de Leyde du 1er janvier 1768
Gazette de Cologne du 12 février 1768
47
qu’à Bristol.107 Il est également fait état de la nomination prochaine de Lord
Mount Stuart, comme ambassadeur d’Angleterre à la cour de Turin.108
Comment imaginer une meilleure option pour les Corses. En effet, de 1758
à 1761, l’oncle de Lord Mount Stuart, James Stuart-Mackenzie, occupait
déjà cette fonction à Turin et avait été non seulement, un admirateur de
Paoli, mais aussi un homme particulièrement aimé du Roi de PiémontSardaigne, Charles Emmanuel III.
James Boswell va jouer un rôle central dans l’organisation des soutiens
européens à la cause corse de diverses manières. Il va régulièrement
inonder la presse britannique d’appels au soutien en faveur des Corses
et aussi de fausses nouvelles destinés à tromper ses adversaires. Il va
entretenir une correspondance régulière avec la diaspora jacobite. Enfin, il
va diffuser « An account of Corsica », plaidoyer pro corse, dont les 3 500
exemplaires de la première édition seront épuisés en 6 semaines. James
Boswell n’était pas le seul Écossais actif à Londres : le 22 mars, John Dick,
Consul d’Angleterre à Livourne, se trouvait au Roman Club, ou il rencontra
de nombreux amis, qui mettront en place une souscription publique pour
aider les Corses. 109
Le 8 avril à Londres, « La Nation Corse a adressé plusieurs pétitions au
bureau du commerce et des plantations pour l’ouverture d’un commerce
avec elle et la nomination d’un consul dans son île ».110 Dans le même
temps à Portoferraio, « un éminent fondeur de cette ville a reçu une
commande pour une cinquantaine de cloches d’église de bonne taille,
que le meilleur métal d’Angleterre ne peut offrir »111. L’éminent fondeur de
cette ville est Giuseppe Maria Pucci, qui peut certes produire des cloches,
mais sa spécialité est l’artillerie. Il sera plus tard le témoin de mariage de
Manuel Stuart. De là à penser que ce dernier ait pu jouer un rôle dans cette
transaction…
Alors que les négociations entre la France et Gênes se précisent à Versailles,
Paoli a plus besoin de canons, que de cloches d’église, canons que ne
peut lui fournir officiellement l’Angleterre, quels que soient ses soutiens
importants dans la franc-maçonnerie anglaise (cf. le meilleur métal).
107
The Freeman’s Journal du 8 mars 1768
108
Gazette de Leyde du 19 février 1768
109
In Cole, Baker, McClellan, « The General Correspondance of James Boswell »- vol 2,
Yale University, 1997 - p 48
110
Gazette de Berne du 23 avril 1768
111
The Scots Magazine, avril 1768 – p 215
48
Le 15 mai 1768, l’agitation règne dans les cours européennes, et c’est la
consternation en Corse. Par le traité de Versailles ; Gênes vient de céder
ses droits de souveraineté sur la Corse à la France. Début juin, une lettre
du doge de Gênes adressée au Duc de Choiseul est diffusée à Livourne,
où elle évoque une condition expresse demandée à la France : « La totale
suffocation du Peuple Corse ».112 Entre la Corse souveraine et l’armée
d’invasion française, la guerre sera totale.
Cette situation provoque un fort courant de sympathie au sein
de l’opinion publique britannique, mais les choses sont nettement plus
complexes au sein de son gouvernement. Le Comte de Shelburne, alors
secrétaire d’Etat, est un farouche adversaire de l’expansionnisme français
en Méditerranée et voit en Paoli un allié. Alors que de nombreuses troupes
françaises s’apprêtent à passer en Corse, il somme l’ambassadeur
français, le comte de Châtelet de donner des explications. Ce dernier fait
savoir que les intentions du Roi de France sont d’aider Gênes, leur allié,
contre ses sujets rebelles. Ce à quoi Lord Shelburne répondit fermement
« Nous ne considérons pas les Corses comme des rebelles ».113 Toutefois
cette position de fermeté ne fait pas l’unanimité dans le personnel politique
anglais, très divisé sur l’opportunité d’un soutien militaire direct à Paoli. La
chambre basse est pour, la chambre haute est contre. Lord Shelburne et
d’autres sont pour, le Duc de Grafton114, un Stuart héritier de ceux qui ont
trahi James II Stuart, est résolument contre. Mais chaque camp veut garder
la main sur la gestion de la crise Corse. Dans l’immédiat, chacun enverra
ses agents en Corse pour se poser en véritables interlocuteurs et alliés de
Paoli. Au mois de juin 1768 les navires arborant le pavillon anglais arrivent
fréquemment à l’Isula Rossa ou aux abords des côtes corses. Le 1er juillet
1768 une communication officielle du premier ministre britannique précise
que la cour d’Angleterre respectera les arrangements conclus entre la
France et la République de Gênes « à moins, cependant, que les opérations
des troupes françaises ne fassent naître des incidents qui l’obligerait à s’en
mêler d’une façon ou d’une autre ».115
112
113
114
115
The Freeman’s Journal du 12 juillet 1768
The Oxford Magazine, Volume 1, 1768 – p 38
Voir Glossaire, Lettre G, Grafton, Duc de Grafton
Gazette de Berne du 16 juillet 1768
49
Pendant ce temps en Corse, l’heure est aux préparatifs de guerre.
On érige des murailles, des redoutes, des tours d’observations et l’armée
corse déploie son artillerie principalement en Balagne et dans le Nebbiu.
Pour s’opposer à la légion royale de France qui vient de débarquer à Saint
Florent, 500 volontaires forment une légion étrangère dans l’armée corse
« à leurs dépends ». 116 L’effectif de cette « brigade internationale » de
l’époque est sans doute un peu exagéré, mais la présence de ces volontaires
étrangers, italiens et britanniques pour la plus part, est une réalité.
Les souscriptions publiques commencent à porter leurs fruits en Angleterre,
et début juillet, Paoli reçoit d’un navire anglais des munitions et de l’armement
pour une valeur marchande de 200 000 Livres Sterling.117 Mais une lutte
d’influence féroce s’engage au sein du gouvernement anglais, il n’est plus
question d’envoyer Lord Mount Stuart comme ambassadeur à la cour de
Turin : on y dépêchera Lord Spencer, un proche du Duc de Grafton. Le Roi
de Sardaigne exprime sans réserve aux anglais « qu’il voit avec peine la
Maison des Bourbons s’agrandir dans l’île de Corse »118, mais la position
anglaise officielle est en train d’évoluer et prend une tournure définitive : « La Cour ne prendra ouvertement aucune part aux affaires des Corses,
mais on leur fera parvenir indirectement tout ce qui est nécessaire pour une
vigoureuse défense ». 119 Lord Shelburne décida d’envoyer en Corse Lord
Mount Stuart 120 en qualité d’agent de renseignement, sous le pseudonyme
Murray. Une guerre interne du renseignement britannique débuta et il est
certain que Shelburne n’avait pas la préférence de George III. D’autres réseaux
non officiels demeurent actifs, le 30 juillet 1768, le Comte de Pembroke et le
Capitaine Medows quittent Londres à destination de la Corse, avec une lettre
d’introduction de James Boswell pour rencontrer Paoli. 121
En Corse, les premiers accrochages se sont déjà produits et au mois de
juillet deux événements sont assez révélateurs d’une tension maximale.
Une frégate de guerre française arraisonne un navire anglais dans les eaux
territoriales corses que le Roi de France considère désormais faire partie
de son domaine. Cela provoque un tollé à Londres. Pour les mêmes raisons
116
117
118
119
120
121
Gazette de Leyde du 9 août 1768
Gazette de Cologne du 9 juillet 1768
Gazette de Leyde du 16 août 1768
Gazette de Berne du 30 juillet 1768
Voir Glossaire, Lettre M, Lord MOUNT STUART John, 1er Marquis de Bute
The Gentleman’s Magazine, juillet 1768 – p 348
50
51
une autre frégate française, forte de 30 canons, tente un débarquement de
troupes à Fornali. Elle fut prise sous le feu de 20 canons corses, et y perdit
ses trois mâts et plusieurs marins.122
C’est dans ce contexte que débarquent en Corse deux agents concurrents
du renseignement britannique. D’abord c’est le protégé du duc de Grafton,
le capitaine Dunant, qui est reçu par Paoli. Ensuite c’est Lord Mount Stuart,
l’envoyé de Shelburne, qui lui rend visite avec 12 autres anglais du 3 au 5
août.123 De la poudre et des armes sont remis aux Corses. Pour la cour de
Versailles c’en est trop, et elle « interdit aux anglais l’abord de tous ses ports
de Corse sous peine de saisie et de confiscation ». Certains Britanniques
assimilent cette injonction à une déclaration de guerre.
Divers soutiens se font encore jour avant l’embrasement général
en Corse. Le 6 août le Roi de Piémont-Sardaigne fait savoir à la France
qu’il refuse de lui concéder l’utilisation d’un port pour servir de magasin à
destination des troupes françaises en Corse.124 En Écosse, James Boswell
a levé une souscription publique et il vient d’acheter aux forges Carron
de Falkirk un important train d’artillerie pour Paoli. Il donne le détail de la
livraison qu’il destine aux Corses dans une lettre adressée au révérend
Temple datée du 24 aout, à savoir : 2 canons de 32 pouces, 4 de 24, 4 de
18 et 20 de 9, le tout avec 150 boulets fournis par canon. James Boswell
publie également un discours intégral de Paoli dans la presse écossaise,125
alors que la seconde édition de son « Account of Corsica » est à nouveau
épuisée. Dans le port anglais de Bristol, il est confirmé que 3 vaisseaux
anglais de 20 canons ont été achetés pour le compte des Corses, d’ailleurs
Paoli fait des offres très avantageuses à des officiers navals anglais qui
accepteraient de le servir.126 Enfin, après avoir lu le rapport de 92 pages
de Lord Mount Stuart, qui est revenu à Londres avec un représentant
du gouvernement de la Corse, le secrétaire d’État Shelburne clame une
dernière fois « Qu’il faut fournir une assistance militaire immédiate aux
Corses ».127
122
123
124
125
126
127
The Freeman’s Journal du 27 août 1768
in M.Vergé-Franceschi, « La Corse et l’Angleterre » - Piazzola, Ajaccio, 2005 – P 181
The Freeman’s Journal du 16 août 1768
The Scots Magazine, août 1768 - p 415
The Freeman’s Journal du 27 août 1768
The Monthly Review, Volume 39 – p 155
52
L’ultimatum du commandant des troupes françaises, Chauvelin, intimé aux
Corses le 22 aout 1768, précise que « Tout village qui ne se soumettra
pas sera au pillage ». La guerre est donc confirmée officiellement. Près de
Bastia, de St Florent et de Calvi des combats d’une rare violence débutent
et la résistance des Corses face aux troupes françaises sera acharnée.
Les navires de guerre français arraisonnent systématiquement les navires
marchands à destination de la Corse. Shelburne arrive à convaincre son
gouvernement d’envoyer une escadre anglaise en Méditerranée pour
protéger le commerce anglais et porter assistance aux Corses, dit-on.
L’amirauté anglaise signale deux incidents survenus au large de la Balagne,
déplorant un début d’engagement entre navires de guerres français
et anglais. La situation se tend et le nouvel ambassadeur de France à
Londres, le Comte de Rochefort lance un avertissement : « L’assistance
que paraissent donner quelques particuliers, sujets de la Grande Bretagne,
à ces peuples, en leur fournissant artillerie, munitions et vivres, pourrait
bien faire naître quelque événement, qui embarrassa notre Cour ». 128
L’avertissement est pris très au sérieux par George III, un conseil privé se
réunit à St James pour en discuter. Alors que l’escadre anglaise arrive en
Méditerranée, et que son commandant, le Chef d’escadre Spry, est sur
le point de se laisser convaincre par le Roi de Sardaigne de la nécessité
de porter une assistance concrète aux Corses, de nouvelles instructions
arrivent de Londres. Spry ira bien en Corse pour rencontrer Paoli, mais
il lui signifiera : « qu’il n’aura aucun secours à espérer du gouvernement
britannique ».129
Le 8 octobre 1768, toute l’Europe découvre la capacité militaire de
l’armée corse, et après une série de revers importants, l’armée française
est vaincue à Borgo. Où se trouvaient les Écossais de Paoli pendant les
combats ? Si Manuel Stuart a suivi les hommes de Giacomo Dante Grimaldi
d’Esdra, alors il a participé aux batailles du Nebbiu et surtout, il était présent
dans l’aile ouest de l’armée corse pendant la bataille de Borgo. S’il s’est
occupé de la supervision de l’artillerie corse, il était soit dans le Nebbiu, soit
en Balagne. Mais les deux hypothèses ne sont pas incompatibles. Aucune
archive disponible ne permet de connaître son implication précise dans les
opérations militaires, nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses.
128
129
Gazette de Leyde du 13 septembre 1769
Gazette de Cologne du 11 octobre 1768
53
Alors que Paoli est en position de force sur le terrain, Londres
campe sur sa position. Pire, c’est le Duc de Grafton qui prend le pouvoir et
devient premier ministre de Grande Bretagne le 14 octobre 1768. Toute la
diplomatie de Paoli en direction de l’Angleterre est à revoir. Le 20 octobre
suivant, l’un de ses meilleurs alliés, Lord Shelburne, démissionne de son
poste de Secrétaire d’État. Le projet secret entre Paoli, la cour de Turin et les
jacobites est sérieusement compromis. D’ailleurs à ce propos, un membre
du Conseil Suprême du Royaume de Corse fut interloqué par la présence
d’un trône royal au sein du siège du gouvernement, et il demanda à Paoli
« à qui est-il destiné ? », celui-ci lui répondit embarrassé « c’est pour y
poser une statue de la liberté ».130
Dans ce contexte de revirement politique international, les alliés
écossais, jacobites et franc-maçons britanniques devinrent les principaux
soutiens de Paoli. Au début du mois de novembre, le Marquis de Chauvelin,
après l’échec de sa campagne militaire contre les Corses, est destitué
de son commandement et renvoyé à Paris. Durant cette courte période
d’accalmie, de nombreux britanniques débarquent en Corse. La livraison de
canons de Boswell arrive au port de l’Isula Rossa et avec elle le Capitaine
William Augustus Fawkener, le grand franc-maçon Archibald Menzie of
Culdares et l’ingénieur des forges Carron, Peter Carper Junior.131 Une
visite tardive, entourée de précautions, et très attendue par Paoli, fut celle
du Comte de Pembroke et du Capitaine Medows. Pembroke proposa à
Paoli ses bons services.132 Il lui promit l’arrivée prochaine de deux navires
anglais chargés d’armement et de vivres. Paoli en aura bien besoin, car
les réseaux de Grafton sont déjà à l’oeuvre. De nombreux parlementaires
anglais souhaitent toujours une intervention militaire en Corse, mais le
gouvernement de Grafton s’y oppose.133 La Cour de Turin se plaint de
cette position à l’ambassadeur anglais, dont la réponse sera terrible :
« Vous feriez mieux de vous préoccuper de vos propres affaires à Rome
et de prévenir que votre projet sera brisé (...) Plutôt que de vous sentir
concerné vous-même par un autre Prince et ses sujets, d’autant plus que
les droits de souveraineté de ce peuple ont été cédés ».134 C’est limpide,
130
131
132
133
134
Gazette de Cologne du 15 novembre 1768
in M.Vergé-Franceschi, « La Corse et l’Angleterre » - Piazzola, Ajaccio, 2005 – P 181
Gazette de Berne du 19 novembre 1768
Gazette de Berne du 3 décembre 1768.
The Freeman’s Journal du 27 décembre 1768
54
George III et son favori, le Duc de Grafton, ne laisseront aucune marge de
manoeuvre à Charles Emmanuel III et ses alliés établis à Rome, même au
détriment des Corses.
Au tout début de l’année 1769, Lord Bute135 et son fils Lord Mount Stuart,
se trouvent à Venise ; ils évitent de croiser le corps diplomatique anglais en
Italie. Le 7 janvier, ils sont de retour à Rome 136, en compagnie du Comte
de Pembroke et du Capitaine Medows. D’après le Freeman’s Journal, ils
étaient attendus par 4 autres compatriotes membres de la cour de Charles
III Stuart. 137 Bien que détestés en Angleterre pour leur origine écossaise, les
Stuarts de Bute n’étaient pas Jacobites, mais une telle rencontre n’est pas
inconcevable, surtout si elle avait pour but de coordonner les soutiens en
direction de Pasquale de Paoli. Ce qui est certain, c’est qu’on rassemblera
à cette occasion la somme de 50 000 sequins à destination des Corses.
Alors que ce beau monde coordonne ses plans, un événement imprévu
se produit à Rome : le Pape Clément XIII décède brutalement en sortant
de table. Cette mort soudaine du pape, qui avait destitué la Maison royale
Stuart, donna lieu à quelques spéculations à Rome ; on évoquera même un
empoisonnement.
En Corse, Fawkener et Menzie, férus de sciences militaires,
inspectent les positions défensives corses, prodiguant leurs conseils avisés.
On connaît désormais le nombre exact de britanniques enrôlés dans l’armée
corse. Une lettre envoyée par un officier corse de l’Isula Rossa précise que
« 15 gentilshommes anglais et 27 écossais, fort riches, servent actuellement
dans notre armée en qualité de volontaire ».138 Le 14 février, une bataille
sanglante débute à Teghjime, elle opposera 1500 corses aux troupes
françaises, mais ne permet pas à Paoli de reprendre ‘l’avantage dans le
Nebbiu. La promesse de Pembroke faite à Paoli fut tenue, les deux navires
anglais de secours arrivèrent bien avec leurs marchandises à l’Isula Rossa.
Le premier navire, la frégate de guerre anglaise Eole, commandée par le
Capitaine Pye-Bennet, escortera 2 navires marchands anglais qui livreront
aux Corses « 63 bouvillions, quantité de biscuits, environ 300 caisses de
fusils et de munitions de guerre, quantité de poudre et une bonne somme
135
136
137
138
Voir Glossaire, Lettre B, Lord BUTE, John STUART 3ème Comte de Bute
Gazette de Leyde du 31 janvier 1769
The Freeman’s Journal du 11 février 1769
Gazette de Berne du 15 mars 1769
55
d’argent comptant ».139 Deux semaines plus tard, un second navire de
guerre anglais, le Mont Royal, commandé par le capitaine Cosby, escorta à
l’Isula Rossa le navire l’Aigle Romain, qui « porta à Paoli le subside dont on
a tant parlé ».140 Il doit s’agir ici de plusieurs milliers de Livres Sterlings qui
ont été collectées dans divers clubs patriotiques londoniens.
La Marine de guerre anglaise devait porter assistance aux navires
marchands portant pavillon anglais en Méditerranée comme ailleurs.
La Royal Navy est peu regardante sur la véritable nature des marchandises
transportées, d’autant plus que cela arrange tout le monde, aussi bien le
gouvernement Grafton que les réseaux jacobites. On ne saurait négliger
le rôle important du Consul d’Angleterre à Livourne, John Dick, qui est au
centre de ce dispositif de soutien, bénéficiant d’une neutralité bienveillante
des autorités portuaires toscanes.
Le 15 mars 1769, se tient à Aleria une Consulta décisive, qui
édictera 17 lois pour organiser la défense ultime du Royaume de Corse. Le
même jour arrive dans le port de Livourne un navire de guerre corse avec
un courrier de Paoli pour Rivarola, le Consul de Sardaigne.141
On sait aujourd’hui que ce courrier adressé à la cour de Turin comprenait
un dénombrement précis (32 567) des hommes en âge de combattre,
et la nécessité pour Paoli de trouver 5 000 volontaires supplémentaires
pour résister face aux armées françaises. Le navire corse repartira avec
de nouveaux volontaires britanniques pour le service de ¨Paoli. Il semble
que l’appel aux renforts des Corses ait été entendu puisque durant la
première semaine de mars, plusieurs gazettes européennes rapportent la
même nouvelle ; « On apprend de cette île, qu’il y arrive par la Sardaigne
nombre de soldats, qui se disent déserteurs, et s’enrôlent au service du
gouvernement corse ».142 Ces déserteurs sardes ne risquent pas grandchose du fait des nouvelles lois spécifiques en Piémont-Sardaigne, ce
sont plutôt les balles françaises qui sont le plus à craindre. Le 5 avril 1769,
Noël de Jourda, Comte de Vaux, nouveau commandant des forces
françaises en Corse, débarque à Bastia. Il a pour mission de terminer la
campagne de Corse. Choiseul a autorisé pour cela l’emprunt de 20 millions
de Livres à 10% d’intérêt, une somme colossale pour l’époque.
139 Gazette de Leyde du 10 mars 1769
140
Gazette de Berne du 26 avril 1769
141
Gazette de Cologne du 14 mars 1769
142
Gazette de Leyde du 31 mars 1769
56
Une énième expédition britannique en Corse est mise sur pieds,
elle s’articulera autour de deux petites felouques napolitaines au départ
de Civitavecchia qui emprunteront des itinéraires différents. Le capitaine
Medows, accompagné de Lord Mount Stuart, transportera 12 caisses
en bois cerclées de fer et contenant 50 000 sequins, et il accostera à
Prunete le 12 avril.143 L’autre felouque, transportera Pembroke, le marquis
milanais Fagnani, Frederick de Neuhoff et le peintre romain Rotigliardi,
et ils accosteront dans l’anse de Malfaco, dans le désert des agriate.
Toute la délégation se retrouvera à Murato le 12 avril et assistera à la
Consulta de Sant’Antonio di a Casabianca le 15, celle qui décrétera la
mobilisation générale. Ensuite la délégation se rendra à Corté, où le peintre
Vincenzo Rotigliardi effectua un portrait très réaliste de Paoli, qui est
toujours la propriété des Pembroke de nos jours. Après quoi, Pembroke ira
inspecter les fortifications de l’Isula Rossa où il retrouvera l’Amiral anglais
Smittoy dont la frégate mouille dans le port.144
Le 23 avril, toute la délégation britannique retourna vers la Casinca pour
assister à la revue des troupes corses avant leur dispersion en différents
corps vers la ligne de front. Aussi bien Paoli que les britanniques rapporteront
la présence de nombreux combattants étrangers. Le 24 avril, Pembroke
sera à Bastia et fraîchement reçu par le Comte de Vaux. Il paria avec le
Marquis de Laval 100 louis d’or que les français ne seraient pas à Corté
avant le mois de janvier 1770.145 Le 28 avril, toute la délégation fut ramenée
par le Capitaine Medows à Portoferraio. Le 29 avril, Pasquale de Paoli
prévient le colonel Murati de l’imminence d’une attaque française.
Le 1er mai 1769, dans le nord de la Corse, le Comte de Vaux réparti
14 000 soldats en trois colonnes, dans le but d’ouvrir un front d’est en ouest,
avec pour objectif de marcher vers le sud et d’atteindre la capitale corse,
Corté. Nous n’évoquerons pas ici la seconde campagne de 1769 dans le
détail, ni la célèbre bataille de Ponte Novu. Il paraît plus judicieux de se
concentrer sur les mouvements de troupes placées sous le commandement
du colonel Giacomo Dante Grimaldi d’Esdra, car la probabilité est très forte
que Manuel Stuart ait été sous ses ordres durant les combats survenus au
Col de Tenda.
143
144
145
Gazzetta Toscana N° 17, 1769 – p 65
Gazette de Berne du 17 mai 1769
The Freeman’s Journal du 30 mai 1769
57
Le Colonel Giacomo Dante Grimaldi d’Esdra de Castifau ne doit pas être
confondu avec le Lieutenant Giocante Grimaldi considéré par la suite
comme un traître par les nationaux corses.
Le 4 mai, débute l’offensive générale de l’armée française. Les troupes du
marquis d’Arcambal, qui commande le corps de troupes le plus à l’ouest, se
heurtent une première fois à Tenda aux soldats du Colonel Grimaldi d’Esdra
et sont repoussées par les Corses.146 Les corses se fortifient avec une petite
artillerie sur la Bocca San Giacomo di Tenda. Le 6 mai une nouvelle attaque
française sur Tenda fut à nouveau violemment repoussée par les Corses.147
Le 8 mai, Giacomo Dante Grimaldi d’Esdra se porte à Tenda avec un millier
de soldats, dont une majorité issus de Balagne : l’armée française y fut
repoussée une troisième fois. La plupart des sources européennes de
l’époque confirment qu’en l’espace de 4 jours la résistance des corses a
mis 3 fois en échec les assauts de l’armée française à Tenda. Le 10 mai
1769, un déluge de fer et de feu s’abat sur les troupes corses à Tenda qui
ne sont plus assez nombreuses pour tenir le choc. Petralba tombe et le
Marquis d’Arcambal initie une manœuvre décisive : il scinde ses troupes
en 2, feignant de prendre la direction de Ponte Leccia sur la gauche. Les
corses surpris par la manœuvre divisent leurs maigres forces en deux pour
défendre les positions.148 Le gros des troupes du marquis d’Arcambal fonce
sur la Balagne et prend tous les villages jusqu’à Palasca, et de là, il repasse
à l’est par le Giussani en direction de Caccia. Le 11 mai, le Comte de Vaux
est à Tenda et y fait ériger des fortifications, alors que débute la bataille
de Moltifau qui durera 14 heures. Le 12 mai, la situation de Castifau est la
suivante ; des troupes françaises occupent Moltifau, et d’autres arrivent du
Giussani dans la plaine de Castifau. Encerclé, toutes les communications
avec la Balagne et l’intérieur de l’île étant rompues, Grimaldi d’Esdra réunit
son conseil et décide de la capitulation de Castifau.149
La tradition orale familiale rapporte que Manuel Stuart aurait été blessé et
soigné à Castifau pendant la bataille de Ponte Novu, c’est-à-dire le 8 mai.
Aucun document ne permet de valider ce fait. Quoi qu’il en soit, il existe
toutefois un argument qui peut étayer cette légende. Si cela s’était produit,
si effectivement il servait à Tenda au cours du 3ème assaut français, alors
146
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149
Gazette de Berne du 31 mai 1769
Gazette de Leyde du 13 juin 1769
Gazetta Toscana, N°22, 1769 – p 89
In G.Cambiagi, « Istoria del regno di Corsica », Tome IV, Cambiagi,1772, Livourne - p 203
58
59
Manuel Stuart aurait pu être soigné par le docteur Paolo Giovanni Parsi,
exerçant à Castifau. Quand ce docteur décèdera, le fils de Manuel Stuart,
Giovanni, qui avait refait sa vie en Balagne, retourne à Castifau. En 1805
il épousera la jeune orpheline, Orsola Maria Parsi, fille de ce docteur. Il ne
s’agît pas d’un mariage d’intérêt, Giovanni étant plus riche, mais bien d’un
lien particulier avec la famille du docteur.
Une chose est certaine, Manuel Stuart s’enfuira de la Corse en
même temps que des centaines de paolistes. La logique voudrait qu’il soit
parti de l’Isula Rossa. Le 21 mai, les nationaux corses, encerclés par des
troupes françaises considérables, y tiennent un conseil. Les officiers corses
de Balagne estimèrent « que le parti le plus sage était de se soustraire à
une perte certaine »150 : trois navires quittèrent donc l’Isula Rossa le 24 mai,
emportant plus de 200 personnes au total. 150 paolistes et leurs familles
furent transportés par une frégate anglaise jusqu’au port d’Oneglia en
territoire de Piémont-Sardaigne. Le navire de combat corse la Vengeresse et
une felouque napolitaine feront route jusqu’à Livourne. De là Manuel Stuart
a très bien pu retourner à Portoferraio. Sur la Vengeresse se trouvaient des
officiers corses originaires du Nebbiu, dont le conseiller provincial Giovan’
Andrea Salicetti.151
Une autre hypothèse est possible, Manuel Stuart, a pu suivre la retraite
du « gros » de l’armée corse. Le 21 mai les troupes du comte de Vaux ont
pris Corté sans coups férir, et au sein du siège du gouvernement, certains
officiers français font état de la découverte d’un trône royal déjà évoqué et
richement décoré, pensant que Paoli se destinait à la royauté.152
A Vivario, et plus précisément au pont du Vecchio, eut lieu l’ultime bataille
rangée entre l’armée corse et les troupes françaises, le 4 juin 1769. Les
corses opposèrent une ultime résistance, refoulant le premier assaut
français,153 mais durent battre en retraite au cours de la seconde offensive
dès le lendemain. On signala la présence de deux britanniques à la
bataille du pont du Vecchio.154 Paoli prononça un dernier discours à ses
compagnons d’arme à Petroso le 9 juin 1769, ses troupes se réduisant au
nombre de 537 hommes.
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154
Gazette de Vienne du 14 juin 1769
Gazette de Cologne du 13 juin 1769
Gazette de Cologne du 20 juin 1769
Gazette de Berne du 24 juin 1769
Gazette de Cologne du 27 juin 1769
60
Au même moment à Porto Vecchio, deux navires anglais, le Weymouth et
le Rachel, débarquent 10 grosses pièces d’artillerie pour tenir en respect
les chébecs français et protéger le départ de Paoli.155 Le 13 juin, le Rachel
appareille pour Livourne où Paoli sera hébergé dans la villa du Consul
d’Angleterre John Dick et y retrouvera Pembroke et Rivarola.
Le Weymouth se rendra à Portoferraio avec 334 corses dont Clemente
Paoli et de nombreux officiers. Le 17 juin, 140 corses y débarqueront.156
Le 25 juin, 90 corses arrivent encore à Portoferraio.157 Dans un cas comme
dans l’autre, Manuel Stuart a très bien pu débarquer en même temps que
ses compagnons d’infortune.
Toute l’Europe apprend la soumission de la Corse par les armées françaises,
mais en Grande Bretagne cette nouvelle est très mal accueillie par l’opinion
publique ; « Toute la nation déplore de plus en plus le sort des Corses et
celui de leur chef ».158 Des règlements de compte politiques ne sauraient
tarder à Londres.
A Rome aussi on apprend la défaite de la Nation Corse. Le 24
juin, alors que les frères Paoli se trouvent toujours sous la protection de
John Dick, une discussion importante a lieu au Vatican. Le Cardinal d’York
présente au nouveau pape Clément XIV, son frère, Charles Edward Stuart.
Le pape s’entretient durant trois quarts d’heure avec le prétendant Stuart,
qui exprime en toute clarté ses motivations : « Ce prince est fatigué d’avoir
vécu si longtemps dans l’obscurité et est déterminé désormais à jouer à
nouveau un rôle dans le grand monde (…) Dans le cas ou les français ne
voudraient pas conserver la Corse pour eux-mêmes, ils seraient bien avisés
de faire présent de ce royaume à son altesse ».159 C’est la première fois
depuis 1731, que le projet de son établissement en Corse est directement
abordé par l’intéressé lui-même.
Le 24 juillet, après avoir passé un an sur le continent européen, Lord Bute
rentre en Angleterre. Le même jour, Pasquale de Paoli arrive au port anglais
de Deal à bord du navire Duke of Savoye.160 George III a toutes les raisons
de donner asile à Pasquale de Paoli. D’abord, par sa résistance
155
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160
Gazette de Berne du 28 juin 1769
Gazzetta Toscana, N°25, 1769 – p 102
Gazette van Gend du 27 juillet 1769
Gazette de Cologne du 27 juin 1769
The Freeman’s Journal du 22 juillet 1769
Gazette de Vienne du 12 août 1769
61
62
militaire, il a saigné le trésor royal de France qui n’est pas prête de financer
une nouvelle guerre contre l’Angleterre avant quelques temps ; ensuite, en
perdant la guerre, il a ruiné le projet d’établissement de Charles Edward
Stuart en Corse, et enfin, George III a tout à gagner à accueillir un héros
de la liberté si populaire en Angleterre. Le 27 juillet 1769, Paoli est reçu
à titre privé et en tant que simple gentilhomme par George III, et non en
tant que chef de la Nation Corse en exil. Le fiasco corse provoqua une
guerre de propagande en Angleterre. On se disputera la paternité de l’aide
accordée aux Corses, et une campagne de dénigrement ciblera Lord Mount
Stuart, campagne qui se perpétuera jusqu’à aujourd’hui, même en Corse.
Mais les réseaux de Shelburne, dans l’opposition, répliqueront et mèneront
une offensive politique qui aboutira à la chute du premier Ministre Grafton,
qui paiera le prix de son opposition à une intervention militaire en Corse.
Les mois passèrent, mais l’espoir était toujours de mise chez des
exilés corses. Certains parmi eux se trouvaient à Portoferraio, où Manuel
Stuart reprit attache avec la fonderie Pucci. Les nationaux corses rongent
leurs freins en attendant des jours meilleurs comme l’avait promis Paoli.
Ils ne sont pas les seuls à ruminer. Alors que la cour de Turin mène des
négociations délicates avec la République de Gênes, on fait savoir qu’en
cas de rupture diplomatique entre les deux États : « Le prince Edouard, fils
du feu chevalier St George, servira en qualité de volontaire dans l’armée
piémontaise ».161 On peut aisément comprendre que Charles Edward Stuart
ait quelques griefs personnels contre la République de Gênes, notamment
concernant la question Corse. Certes, l’alliance entre Paoli et des réseaux
proches du Prince Stuart ont vu leur projet réduit à néant par la politique de
Choiseul, mais cela ne signifie pas pour autant que tous les espoirs soient
perdus et que le cousin de Piémont-Sardaigne ne jouera pas le jeu une fois
de plus.
161
Gazette de Cologne du 29 décembre 1769
63
- Chapitre 6 Elba, une autre patrie d’adoption.
Quand Manuel Stuart débarque à Portoferraio, toute l’île d’Elbe
est en ébullition et vit au rythme des nouvelles de la guerre en Corse.
Les réfugiés corses, en escale forcée dans la ville, expliquent les raisons
de leur défaite face à une armée d’invasion surdimensionnée par rapport
au théâtre d’opération. Le Grand Duc de Toscane est présent sur place. 162
Sensible à leurs malheurs, il ne s’oppose pas à l’accueil et au transfert de
ces exilés politiques vers Livourne. De l’autre côté de l’île, à Porto Longone,
ce sont quelques déserteurs ou prisonniers français venus de Corse qui
livrent leurs versions des faits, s’accordant au moins avec les paolistes
présents à Portoferraio sur un fait : la violence des combats qu’ils se sont
livrés. Les soldats de Porto Longone sont certes au service de Naples et
donc des Bourbons qui soutiennent la France, mais il n’en demeure pas
moins que le souvenir de Paoli est vivace. Les amitiés avec des Corses
perdurent, surtout au sein du régiment Real Italiano alors stationné dans
Longone. L’anéantissement des Corses, entre autre problème, attise un
climat séditieux dans la garnison de Longone. Le Grand Duc de Toscane
mentionne lui-même ce fait dans sa correspondance privée.163 Le 29 juin
1769, en discutant avec un capitaine du Real Italiano, le grand Duc rapporte
qu’il y a dans la forteresse de Longone 250 déserteurs affectés aux travaux
forcés.
Nous le savons, des militaires issus de différentes parties de
l’Italie étaient passés en Corse au service de Paoli. Ce dernier avait des
réseaux établis sur l’île d’Elbe et de nombreux partisans à Portoferraio.
Cette donnée est importante, car elle pourrait expliquer la mort subite du
Capitaine Filippo Marzio Mibelli à 40 ans. Ce capitaine, dont nous ignorons
la nature exacte des relations avec Manuel Stuart, a été enterré le 14 juin
1769.164 A la lecture de son testament, parmi ses témoins, se trouvent le très
révéré archiprêtre de Portoferraio ainsi que cinq autres prêtres docteurs en
162
163
164
Archivio di Stato di Firenze, Imperiale e reale corte, côte 2120 – p 47
in P. Leopoldo d’Asburgo Lorena, « Scrive encora il Granduca » -Lo Scoglio N°20 – Portoferraio, 1988 - p 13
Archivio Parrochiale della chiesa Beata Virgina, Sepolture 1761-1796, Portoferraio – p 48
64
théologie. Une telle représentation de l’Église à la lecture de ses dernières
volontés semble indiquer l’appartenance du Capitaine Mibelli à un ordre
de chevalerie militaire chrétien.165 De plus, il effectue un don post-mortem
auprès de l’institution «Seccorso degli poveri di San Martino (Firenze)»,
très vieille institution caritative florentine financée également par tous les
Chevaliers de l’ordre de San Stefano. Si l’officier Mibelli a appartenu à l’ordre
des chevaliers de San Stefano, un ordre très lié à l’histoire de Portoferraio,
on comprendrait mieux la nature des réseaux de Manuel Stuart. Le Comte
de Neny, l’homme de Vienne, était lui aussi membre d’un ordre similaire
en Hongrie. Par ailleurs, Filippo Marzio Mibelli avait un frère prénommé
Domenico, qui résidait à Florence avec son épouse Maria Teresa, fille d’un
banquier hébreu. Cette famille Mibelli était une vieille famille de l’île d’Elbe,
auparavant cliente des Médicis et de laquelle étaient encore issus quelques
personnalités, militaires, hommes d’Église et commerçants.
Dans le même temps, Manuel Stuart reprend ses activités traditionnelles,
du moins celles que nous lui connaissons, dans les métiers de forge et
d’armement. D’une façon où d’une autre il travaille avec le Maître de
forge Giuseppe Maria Pucci et son frère Giacomo. Cette forge détient une
patente du Grand Duc de Toscane et travaille pour le compte du Servizio
di l’Artiglieria di Portoferraio.166 Ces Pucci sont issus d’une ancienne famille
florentine historiquement très proche des Médicis. Cette proximité entre
Manuel Stuart et d’anciennes familles proches des Médicis nous renvoie
directement à des liens plus anciens. Comment ne pas se remémorer ici
la veille alliance qui existait entre Sampiero Corso, les Stewart-Lennox
(qui ont engendré les différentes branches Stuarts) et les Médicis ? Une
telle alliance aurai-t-elle perduré à travers les siècles ?
Au début des années 1770, plusieurs officiers paolistes fréquentent
la ville de Portoferraio. On a ainsi retrouvé un bon de commande établi
auprès de la Mine de Rio per il conto dello santo Regno di Corsica.167 Ce
fait n’est pas surprenant, les paolistes éditaient un journal en Toscane,
lequel provoqua une intervention irritée de la diplomatie française auprès
165
166
167
Archivio di Stato di Firenze, Notarile Moderno, Notario G. Mangani (dal 1759 à1801),
12 - 28 290 - Atto n° 34
Archivio di Stato di Firenze, Segreteria di Guerra 1747-1808, côte 552
Archivio di Stato di Firenze, Carte di l’ufficio rendite di Portoferraio, côte 19
65
du Grand Duc de Toscane. Il faut bien garder à l’esprit que Pasquale de
Paoli avait promis à ses partisans exilés qu’il s’agissait d’un exil temporaire
en attendant des jours meilleurs. Ses plus proches partisans se considèrent
donc comme les représentants légaux du gouvernement de la Corse en
exil et se comportent comme tel. En Corse subsiste une résistance qui
occasionne assez régulièrement des pertes à l’armée d’occupation
française. Nous ne reviendrons pas sur les opérations de guérilla ainsi
que sur l’activité diplomatique paoliste, qui ont été traités dans un ouvrage
précédent.168 Il est certain que Manuel Stuart a pu être utile, ne serait-ce
qu’en fabricant des armes légères ou en honorant d’autres commandes
pour le compte des paolistes. Toutefois, en l’état actuel des connaissances,
la dimension politique de Manuel Stuart durant cette période ne peut être
véritablement précisée.
Pendant ce temps, les partisans de Charles Edward Stuart
s’activent pour faire sortir de l’ombre leur favori. L’objectif est de lui assurer
une descendance en arrangeant un mariage pouvant convenir à son rang.
Durant cette période, Charles Edward Stuart commence à fréquenter la
Toscane, et cherche à acheter une maison à Florence, en vain. La raison
pour laquelle il n’y parvint pas est la pression diplomatique qu’exerçait la
Cour de Londres sur le Grand Duc de Toscane pour l’empêcher de s’établir
sur ce territoire.169 En quoi la venue de Charles Edward Stuart en Toscane
pouvait-elle représenter un danger pour l’Angleterre des Hanovres ? Nous
savons que les projets corses par l’entremise du Roi de Piémont-Sardaigne
étaient parfaitement connus de Londres, mais la Corse ayant été soumise
militairement par la France, ces projets ne constituent plus une menace.
A moins que le renseignement britannique ne fut informé d’un nouveau
revirement français concernant la Maison Stuart ?
Le 24 décembre 1770, le ministre Choiseul, l’ennemi des Corses et des
Stuarts, tombé en disgrâce, est démis de ses fonctions. Dans son dernier
rapport remis à Louis XV il écrira : « Je crois que je puis avancer que la
Corse est plus utile de toutes les manières à la France que ne l’était ou ne
l’avait été le Canada ». C’est un constat en partie valide, mais en dehors de
la Méditerranée, la concurrence entre les puissances maritimes anglaises et
168
169
in D.Ramelet-Stuart, « Stuart of Corsica : L’origine dévoiléee », 2010, Corsica – p 22
in P.Pininski, « Bonnie Prince Charlie, a Life », Amberley Publishing, 2010, stroud - p 80
66
françaises est à son apogée. Versailles, qui ne veut pas rompre la paix avec
Londres, doit malgré tout trouver de nouveaux moyens de déstabilisation
pour contrer l’expansionnisme britannique sur les océans.
En janvier 1771, c’est le Duc d’Aiguillon qui devient le premier personnage
du gouvernement de Louis XV. Celui-ci incarne le triomphe des ennemis de
Choiseul sur le plan de la politique intérieure française. Il décida par la suite
de réactiver la carte Stuart contre les Hanovres et permit aux membres
de la Cour de Charles Edward Stuart de rejoindre Paris pour faciliter les
contacts du Prince avec ses cousins FitzJames en France et Berwick
en Espagne. Charles Edward regagna Paris incognito et obtint quelques
faveurs de Louis XV, notamment des passeports pour ses déplacements.
C’est donc bien grâce à la bienveillance du Duc d’Aiguillon qu’un mariage
fut grandement facilité. Quand Charles retourna en Italie avec son cousin, le
Duc de FitzJames, Louis XV fut informé que le Prince entendait demander
à nouveau sa légitimation par le Vatican en tant que Charles III. Courroucé,
Louis XV coupa toutes les aides financières envisagées pour le projet de
mariage, la tentative d’instrumentalisation française avait échoué.
Début octobre 1771, Charles Edward Stuart et le Duc de
FitzJames passent 4 jours à Pise.170 Ils ont ainsi largement le temps pour
établir d’éventuels contacts avec la diplomatie sarde et paoliste. Si Manuel
Stuart est impliqué plus qu’on ne le pense dans les projets jacobites, il n’y
aucune difficulté pour qu’il soit bien informé des plans à venir, aussi bien à
Portoferraio qu’en terre ferme.
Une proximité de fait entre Paolistes et Jacobites existe simultanément en
Toscane et en Grande Bretagne. Depuis le mois d’août, Pasquale de Paoli
se trouve en Écosse ou il a été hébergé chez les Boswell et dans quelques
autres familles écossaises. 171 Paoli était même attendu en Irlande où de
nombreux nobles désiraient le rencontrer.172
Le 9 octobre 1771 en Espagne, Charles FitzJames Stuart, 4eme Duc de
Berwick, épouse la Princesse Caroline Zu Stolberg-Gedern, issue de la
noblesse prussienne. Dans les sphères jacobites ont admet que la sœur de
cette dernière, Louise, pourrait faire une très bonne épouse pour Charles
170
171
172
in Franck Mac Lynn, « Charles Edward Stuart : A tragedy in many acts »,
Taylor & Francis, London, 1988 – p 495
in G. Birkbeck Hill, « Boswell’s Life of Johnson », London, 1786 - p 437
The Freeman’s Journal du 15 octobre 1771
67
Edward Stuart. Cette union fut finalement célébrée le 28 mars 1772 173 et
elle fut commentée dans toutes les gazettes de l’époque. Le prince Stuart
rencontrera pour la première fois son épouse aux confins du Royaume de
Piémont-Sardaigne, tout un symbole.174 Par la suite, l’aura de la princesse
Louise servit grandement la propagande jacobite dans toute l’Europe.
Nous ignorons s’il a été inspiré par son royal cousin, mais c’est
précisément à ce moment que Manuel Stuart envisage un mariage à
Portoferraio. Il a jeté son dévolu sur la veuve du Capitaine Mibelli, Anna
Maria, née Baroni. Celle-ci est hébergée chez le frère du défunt capitaine,
Pietro Mibelli, un riche commerçant et propriétaire foncier. Cette femme avait
eut trois enfants du défunt capitaine : Francesco, Giuseppe et Margherita.175
Manuel Stuart connaissait depuis 1754 les cousins Antonio et Natale Mibelli
de Longone, mais la branche de Portoferraio issue de cette famille semble
beaucoup mieux établie sur le plan religieux, politique et social. Si Manuel
Stuart a pu être admis à faire la cour à la veuve Mibelli, c’est tout simplement
qu’il fréquentait déjà la famille. Venait-il rendre ses hommages à la famille
d’un ami disparu et se serait-il pris d’affection pour sa veuve ? La question
d’une grande proximité avec le Capitaine Mibelli est à nouveau posée.
Cette puissante famille, dont les réseaux sont solides et anciens en
Toscane, va permettre à Manuel Stuart d’épouser Anna Maria et de devenir
le beau père de ses enfants. Cette union entre les Stuarts de Corse et les
Mibelli de Portoferraio scellera des liens familiaux très forts qui perdureront
jusqu’en 1849. Cette famille toscane ne se serait pas alliée à un simple
forgeron originaire de Belfast, c’est pratiquement inconcevable, car il n’est
pas dans les mœurs de l’époque de régresser au plan social par amour.
On ne peut exclure que les Mibelli de Portoferraio connaissait la véritable
origine familiale de Manuel Stuart.
Le 4 janvier 1773, Manuel Stuart, se rend en compagnie de ses deux témoins
à l’évêché de Massa Marittima. Il doit passer devant une commission pour
confirmer sa condition de Stato libero, c’est-à-dire qu’il doit simplement
prouver qu’il n’est pas déjà marié et qu’aucun empêchement contraire au
173
174
175
in S.MacLean Kybett, « Bonnie Prince Charlie, a biography »,
Unwin Hyman, London, 1988 - p 280
The Hibernian Chronicle du 7 mai 1772
Archivio di Stato di Firenze, Notarile Moderno, Notario G. Mangani ( dal 1759 à1801 ),
12 - 28 290 - Atto n° 34
68
droit canonique ne s’oppose à son union avec Anna Maria Baroni (Veuve
Mibelli).176 Manuel Stuart fait bien plus que cela, et c’est inhabituel dans
ce type de dossier, il raconte les grandes étapes de son périple depuis
Belfast jusqu’à Portoferraio. Et au cas où cela ne suffirait pas, ses deux
témoins, Giuseppe Antonio Fasino et Domenico Martorella, confirment sa
version et ajoutent quelques détails qu’il aurait pu éventuellement oublier.
Ce document est capital, et constitue à ce jour la source la plus précise
concernant l’origine des Stuarts de Corse.
Le 1er février 1773, Manuel Stuart épouse Anna Maria Baroni.177 Son
témoin est le Maître de forge et Maître armurier Giuseppe Maria Pucci, ce
qui atteste de l’importance du lien entre les deux hommes. Le témoin de
la veuve du Capitaine Mibelli est le conseiller municipal Giuseppe Ravioli,
ce qui renforce l’idée d’une famille socialement établie. Fait peu orthodoxe,
Manuel Stuart fit rajouter postérieurement une mention entre deux lignes
sur son acte de mariage, pour indiquer l’adresse ou est conservé son
dossier matrimonial. Ce fait singulier a été révélé en 2012 par Mario Forti,
sacristain de l’église Archiprêtrale de Portoferraio, ayant lui-même des
ancêtres corses issus d’une famille Paoli.
176
177
Archivio della Curia di Massa Marittima – Filze Matrimoniale – Filza Manuel Stuart 04/01/1773
Archivio Parrochiale della chiesa Beata Virgina, matrimoni dal 21/04/1759 al 19/03/1795,
Anno 1773 - Atto n°23
69
Acte de Mariage de Manuel Stuart
Transcription réalisée par Andrea Mandroni,
généalogiste professionnel
23
Adì primo Febbrajo 1773, Lunedì
Emanuelle, figlio di Giovanni Stuart di Belfast in Irlanda, e Maria Anna,
figlia del quondam Giuseppe Baroni di Livorno vedova del fu Marzio Filippo
Mibelli, premesse le prove di stato libero di detto Emanuelle (fatte nella
Curia Ecclesiastica dalla quale ricevuto l’Ordine che in Filza)178 Stuart e
precedute le solite Denunzie inter Missarum solemnia in questa Matrice
Chiesa Arcipretale, in tre domeniche; cioè la prima il dì 17, la seconda il
dì 24, e la terza il dì 31 del Cadente179, e non scoperti alcun impedimento
canonico, osservati i Riti di Santa Madre Chiesa, e le costituzioni del Sagro
Concilio di Trento, ed avuto il loro mutuo consenso, furono per verba de
Praesenti congiunti in Matrimonio da me Cappellano Curato Prete Lorenzo
Rossi Ferandini in questa Matrice Chiesa Arcipretale presenti e testimoni a
tall’effetto rogati, Maestro Giuseppe Maria Pucci, e Giuseppe Ravioli, ambi
di questa madesima città.
Unique signature de Manuel Stuart retrouvée à ce jour,
le 4 janvier 1773 à Massa Marittima
178
179
Mention rajoutée entre deux lignes de cet acte, postérieurement au mariage.
Cadente = du mois précédent.
70
Le 25 mai 1773 nait à Portoferraio Vincenzo Giovanni Sebastianno Stuart,
fils de Manuel. Il est né entouré de ses demi-frères et sœurs Mibelli dans
la maison de Pietro Mibelli située à 30 mètres de l’église archiprêtrale,
c’est-à-dire Stretta della Pescheria (actuellement Via del Vecchio Mercato).
Le 30 mai 1773, il reçoit un baptême catholique dans les bras de son parrain
Niccola Mibelli,180 ce dernier étant le fils de Natale Mibelli de Longone,
une vielle connaissance de Manuel Stuart. Cet enfant sera connu comme
Giovanni Stuart et aura plusieurs identités patronymiques en Corse,
Ostuardi, Astuardi, Stuardi et finalement Stuart. Il est à l’origine de tous les
Stuarts de Corse modernes et contemporains. Comme son père, il laissera
des indices, parfois surprenants, aux générations futures, sous la forme
d’un jeu de pistes.
Alors que Manuel Stuart était à peine marié, un événement important mit à
mal la stabilité de l’aire Méditerranéenne. Le 20 février 1773 était décédé à
Turin l’allié des Corses et des Stuarts, le Roi Charles Emmanuel III. Le fils de
ce dernier, Victor-Amédée Prince de Piémont, lui succéda au trône et fut
confronté aux entreprises des Bourbons. A l’intérieur de son Royaume, les
agents espagnols attisaient des mouvements de rébellion au Sud, tandis
que la France se faisait pressante sur ses frontières au Nord. Versailles
chercha à obtenir le soutien de différents États italiens concernant ses
revendications territoriales sur le Royaume de Piémont-Sardaigne.
Non seulement le Roi de Naples et le Grand Duc de Toscane refusèrent
de suivre les Français, mais de plus ils assurèrent au nouveau Roi
Victor-Amédée III, que le Royaume de Piémont-Sardaigne pouvait compter
sur leurs amitiés et protections respectives.181
Quid du projet concernant la Corse ? En septembre 1771,
7 députés corses avaient négocié un accord très précis avec le Prince
de Piémont, lui garantissant la suzeraineté de l’île en échange d’une
importante protection militaire.182 Le prince étant devenu Roi, il n’avait
pas de raison de remettre en cause cet accord. Aussi paradoxal que cela
puisse paraître, en 1773, l’Angleterre des Hanovres avait elle aussi intérêt à
favoriser l’émergence d’un vaste état tampon en Méditerranée pour contrer
180
181
182
Archivio Parrochiale della chiesa Beata Virgina, battesimi dal 01/10/1755 al 27/03/1781,
Anno 1773 - Atto n°45
The Freeman’s Journal du 25 septembre 1773
The London Magazine, Vol. 40, Octobre 1771 – p 525
71
l’expansionnisme des Bourbons, même si cela pouvait servir dans une
moindre mesure les intérêts de Charles Edward Stuart. Victor Amédée III
travailla très vite à asseoir la neutralité de son royaume et maria sa soeur
Marie Thérèse avec Charles-Phillipe de France, le 16 novembre 1773.
Le renforcement des liens familiaux avec Versailles calma les ardeurs des
Français, tout en permettant à Victor Amédée III de continuer à travailler
avec Londres en vue d’un accord diplomatique en Méditerranée, incluant
la Corse.
Pour Manuel Stuart, la vie de famille à Portoferraio sera de courte
de durée, car bientôt les paolistes et jacobites se rappelleront au bon
souvenir des Mibelli-Stuarts, et ils seront projetés dans l’un des épisodes
les plus sanglants de l’histoire de Corse.
72
- Chapitre 7 1774, l’ultime défaite.
Au début de l’année 1774, à Londres, la diplomatie britannique
de Paoli a trouvé ses limites, et il se retrouve prisonnier de contradictions
difficilement surmontables sur le plan de la politique intérieure anglaise.
Cette situation a été largement explicitée par les professeurs Francis Beretti
et Michel Vergé-Franceschi. En effet, Paoli ne pouvait être tout à la fois
pensionné de George III et demeurer l’ami des fils de la liberté et autres
clubs progressistes, pas plus qu’il ne pouvait être proche de John Wilkes et
conserver de bons rapports avec les Écossais en général.
Heureusement la diplomatie de Piémont Sardaigne compensa en partie
ce déficit et continua d’œuvrer activement à la recherche d’une solution
politique pour la Corse. En Toscane les exilés paolistes prirent l’habitude
de se réunir chez le consul de Sardaigne Rivarola, en étant régulièrement
informés de quelques tractations secrètes dans les cours européennes.
En échange de la souveraineté sur la Corse, le Roi le Piémont Sardaigne
céderait des territoires en dédommagement à la France et à la République
de Gênes. Ces négociations se poursuivront pendant tout le premier
semestre de l’année 1774, au moins.183 Ce Roi aurait laissé l’administration
de la Corse à son demi-frère le Duc de Chablais, Hasbourg de Lorraine
par sa mère, et dont les projets auraient été naturellement facilités par son
cousin le Grand Duc de Toscane.
En Toscane justement, par une dépêche en date du 16 février ;
« On apprend de Porto-Ferraio qu’on a dernièrement enrôlé 114 hommes
pour former la milice que cette place doit entretenir, et qui doit faire une
compagnie de 120 hommes. La nomination des officiers de cette troupe
est réservée au Grand Duc, qui ne tardera pas à désigner ceux qu’il aura
choisis. Les soldats doivent avoir de 16 à 40 ans et être natifs du pays »184.
Dès le 18 février le Grand Duc de Toscane nomme par décret les officiers
de cette compagnie, parmi lesquels, Giuseppe Mibelli.185 C’est bien le beaufils de Manuel Stuart, âgé de 16 ans seulement, qui est nommé au poste
183
184
185
in J.Dodsley, « The Annual Register for the year 1774 », H.Bryer,
Bridewell-Hospital, 1801, London - p 36
Gazette de Nice du 1er Mars 1774
Gazzetta Toscana, anno 1774, N°10 – p35
73
de lieutenant au sein de la compagnie de Portoferraio. C’est donc une
nomination éminemment politique qui souligne l’importance de cette famille.
Giuseppe Mibelli ne prendra pas son poste et manquera à l’appel lors de la
prise d’arme de sa compagnie à Portoferraio.186 Autre fait particulier, pendant
la même semaine un navire pontifical, le Saint Charles, mouille dans le port
de Portoferraio, débarrassé de toute son artillerie, après avoir essuyé une
tempête aux dires de son capitaine.187 Cette succession de bizarreries ne
peut être extraite d’un contexte : celui de la préparation d’un soulèvement
général en Corse. Depuis la Toscane, les paolistes correspondent avec
leurs relais en Corse et commencent déjà à envoyer clandestinement
des hommes sur l’île. Ce soulèvement s’inscrit nécessairement dans un
plan concerté, appuyé par quelques actions bienveillantes du Grand Duc
Toscane, qui, bien que neutre, a aussi intérêt à un rééquilibrage des forces
politiques en Méditerranée.
L’importance de ce qui se trame en Corse est relatée par la République
de Gênes, qui avertit dès le début du mois d’avril 1774, que plus de 2 000
Corses exilés en Toscane sont décidés à retourner dans leur pays afin de
rejoindre les insurgés sur place, dont le nombre est assez considérable.188
C’est sans doute exagéré, mais cette menace est bien réelle et les autorités
françaises connaissent les plans des Corses et redoutent l’arrivée de ces
« révoltés de Livourne ».189 Les gardes-côtes français traquent les navires
sous faux pavillons qui amènent en Corse des combattants, des vivres,
des armes et des munitions. A ce propos, le procès du Capitaine André
Crescioni, qui servait de prête-nom à des capitaines étrangers au service des
rebelles, sera retentissant.190 Ce dernier, un parmi d’autres, a été dénoncé
à l’amirauté. C’est bien vers la mi-avril que de nombreuses embarcations
abordèrent les côtes corses. C’est durant cette période qu’arrivèrent en Corse
Manuel Stuart, sa femme Anna maria, son fils Giovanni, ses deux beau-fils
Francesco et Giuseppe Mibelli, ainsi qu’un neveu Giuseppe Antonio Mibelli.
Durant le mois de mai, un navire inconnu aurait également débarqué pour
186
187
188
189
190
Archivio della biblioteca comunale Fioresana, Lettere, Negozi, etc... 1772-1780,
côte C22, Portoferraio
Gazette de Nice du 8 Mars 1774
Gazette de Nice du 19 avril 1774
in C.Roux, « Les makis de la résitance corse, 1772 -1778 »,
France Empire, 1984, Paris – p 120
Gazette de Berne du 18 juin 1774
74
les rebelles « 8000 fusils et une grande quantité de balles et de poudre »191.
Ce fait est rapporté par diverses gazettes européennes et atteste d’un plan
concerté avec une puissance étrangère pour un soulèvement général en
Corse. Beaucoup de voix à Versailles s’élèvent à propos de ce que coûte le
maintien de l’île dans le giron français. Si la situation devenait incontrôlable,
la solution sarde, qui a déjà l’oreille du Duc d’Aiguillon, pourrait constituer
une réelle alternative diplomatique et une sortie de crise politique en Corse.
Un événement majeur va tout remettre en cause : Le 10 mai
1774, Louis XV meurt. Le comte de Marbeuf est rappelé à Versailles et
laisse le gouvernement par intérim de la Corse au Comte de Narbonne.
Ce dernier, déjà confronté aux premiers affrontements avec les rebelles,
très bien renseigné sur les plans des paolistes, ordonne le désarmement
complet des Corses. Alors que Marbeuf essaye de convaincre Versailles
que la solution en Corse peut être militaire, c’est tout l’intérieur de l’île qui
prend les armes et se soulève durant la dernière semaine de mai 1774.
Les paolistes tentent le tout pour le tout.
Les événements qui se succèdent à la Cour de France ne sont guère
favorables pour les paolistes et leurs alliés. Le 9 juin le Duc d’Aiguillon
présente sa démission et dans la foulée, le 17 juin, Choiseul est de retour et
rend ses hommages à la famille royale. Pendant la valse des ministères, le
ton change à propos de la Corse : « Ceux qui prétendent que la conquête de
la Corse n’est qu’onéreuse à la France, ignorent sans doute combien le Cap
Corse nous est nécessaire pour notre important commerce du levant. Les
Nations étrangères en sentent si bien l’avantage, qu’il y a lieu de présumer
que c’est une puissance jalouse qui fomente les révoltes continuelles des
bandits de cette isle. »192. La Corse sera donc une fois de plus soumise par
le feu, le fer et le sang.
C’est donc dans un contexte de guerre que Manuel Stuart et sa famille sont
arrivés en Corse. Pour Manuel Stuart, c’est un retour parmi ses anciens
compagnons d’arme. Son beau fils, le lieutenant d’infanterie Giuseppe
Mibelli, a également toutes les raisons de se battre aux côtés des résistants
191
192
Gazette de Leyde du 12 juillet 1774
Gazette de Berne du 30 juillet 1774
75
76
corses, si son père, le Capitaine Mibelli, a bien été tué par l’armée française
en 1769. On ne sait pas si Manuel Stuart fut en service commandé pour le
compte du Prince Charles Edward Stuart qui avait l’habitude de se rendre
à Pise. Une chose est certaine, lui et sa famille passèrent leur première
nuit en Balagne à Speloncatu, et ils furent ensuite placés sous la protection
de la famille Grimaldi d’Esdra de Castifau.193 Nous n’évoquerons pas ici le
détail de la nouvelle guerre qui opposa les paolistes à l’armée française
durant les mois de Mai et Juin 1774 et qui se solda par une sanglante et
mémorable répression militaire française. Il est cependant utile de revenir
sur le contexte particulier de la Piève di Caccia, région ou s’établiront les
Stuart / Mibelli, et de revenir sur la chronologie des événements militaires
qui s’y rattachèrent.
Dès le mois de janvier 1774, des escarmouches se produisirent dans
cette microrégion. Un paoliste tua deux soldats et un officier du Provincial
Corse. Les soldats au service de la France le poursuivirent et mirent le feu à
sa maison dans laquelle il périt.194 C’était un dénommé Casta. Le 6 février à
Castifau, une dizaine de paolistes attaquèrent un détachement de la Légion
Corse et tuèrent un officier, le Capitaine Arrighi.195 Certains soldats corses
au service des Français passent alors du côté paoliste, d’autres se réfugient
dans le couvent de Caccia à Castifau. C’est durant la dernière semaine de
mai que Castifau fut libérée. Le 30 mai 1774, après avoir écrasé une troupe
française à Campuloru, Pace Maria Falconetti, à la tête de 500 hommes,
ira s’emparer du couvent de Caccia.196 Ce lieu demeurera durant quelques
jours un centre névralgique de la rébellion.
On peut supposer l’implication des Stuarts / Mibelli dans les combats à partir
de cette période. Le régiment de la Fère, en garnison à Calvi, reçu l’ordre
de rejoindre les autres régiments français qui campaient dans le Rustinu.
Au passage d’un col, ce régiment rencontra un important détachement corse
qui venait de Caccia pour se rendre en Balagne.197 Sous un feu intense, les
paolistes durent battre en retraite. Le 7 juin, 50 grenadiers et 50 chasseurs
de ce régiment tentèrent de reprendre Castifau, ils furent repoussés par
193
194
195
196
197
in D.Ramelet-Stuart, « Stuart of Corsica : L’origine dévoiléee », 2010, Corsica – p 30
Gazette de Nice du 18 févrierl 1774
in C.Roux, « Les makis de la résitance corse, 1772 -1778 »,
France Empire, 1984, Paris – p 96
Gazette de Leyde du 12 juillet 1774
The Hibernian Chronicle du 28 juillet 1774.
77
les paolistes, et on déplora des morts dans les deux camps.198 Il est difficile
d’établir précisément la date de la reprise de Castifau par l’armée française.
Après la pacification et les dévastations dans le Niolu, l’armée française se
dirigea vers Asco et dans la foulée à Castifau, probablement au mois de
juillet. Quelle que fut l’implication de Manuel Stuart dans ces combats à
Caccia, il aura une fois de plus vécu la défaite militaire de ses amis corses,
pour son propre malheur.
La révolte corse fut écrasée par 16 régiments français et de
nombreuses exactions furent commises contre la population corse. Malgré
cette défaite, des foyers de résistances subsistent et les voix diplomatiques
à l’étranger ne semblent pas encore épuisées. Au mois de juillet, un bruit se
répand dans toute l’Europe à propos du transfert de la Corse au Royaume
de Piémont Sardaigne. Le 8 juillet à Turin, « Son altesse le Roi de Sardaigne
ordonne de grands préparatifs pour prendre possession de l’île de Corse
qui lui a été cédée par la France (...) Une flotte de 14 navires de ligne se
prépare actuellement à Cagliari pour embarquer un corps de troupes sous
les ordres du Duc de Chablais, frère de sa majesté, en vue de prendre
possession de l’île »199. Cette nouvelle est confirmée à Vienne, à Berlin, à
Amsterdam et à Londres où on évoque dans la presse « un accord offensif
et défensif entre la Sardaigne et la France et le mariage prochain du Prince
de Piémont et de la Princesse Adélaïde de France ».200 Les négociations
Franco Sardes étaient-elles sur le point de se conclure par un accord ? C’est
ce que semble alors croire le Prince Charles Edward Stuart, qui, rappelons
le, a un intérêt direct à ce que ces négociations aboutissent. Au début du
mois d’Août 1774, il séjourne plus longtemps que d’habitude à Pise avec
son épouse.201 Il y mène un train de vie brillant et fastueux, comme si il
s’apprêtait à régner. Il envisage même de se rendre à Paris pour saluer le
nouveau Roi de France. Fin Août, on peut lire dans la Gazette de Leyde à
propos du roi de Piémont Sardaigne « S’il faut en croire le bruit public, ce
monarque a agréé la possession de la Corse ».202 Et puis vint le mois de
Septembre, et tout s’arrêta net. Que s’est-il passé ?
198
199
200
201
202
in C.Roux, « Les makis de la résitance corse, 1772 -1778 »,
France Empire, 1984, Paris – p 96
The Scots Magazine, August 1774 – p 387
The gentlemen’s Magazine, August 1774 – p 389
Journal Politique, 1ere quinzaine d’Aout 1774 – p 47
Gazette de Leyde du 30 aout 1774
78
Quelles que furent les avancées réelles de la diplomatie sarde avec Louis
XV, il fallait désormais compter avec les ministres de Louis XVI. Il existe un
élément de réponse déterminant : Choiseul employa son influence retrouvée
à faire monter les enchères concernant les échanges de territoires entre le
Piémont Sardaigne et la France, et le premier ministre de la Cour de Turin
n’eut d’autres choix que d’y opposer un refus catégorique.203 On aurait voulu
faire capoter l’accord sur la Corse que l’on ne s’y serait pas pris autrement.
La France venait d’écraser la révolte paoliste et n’entendait plus désormais
céder sa tutelle sur l’île.
1774 marqua une triple défaite politique ; la défaite militaire des
paolistes, l’échec diplomatique du Roi de Piémont Sardaigne et la fin de
tout espoir pour le Prince Charles Edward Stuart de s’assurer un avenir
en Corse. Il ne sera plus question pour lui d’aller saluer le nouveau Roi de
France. A ce contexte politique désastreux pour tous ces protagonistes se
rajouta une situation familiale des plus précaires pour les Stuarts / Mibelli,
coincés dans une île vivant sous le régime de la terreur et de la répression.
Le 20 octobre 1776, les derniers chefs de guerre paolistes encore présents
dans l’île, après un baroud d’honneur contre les troupes françaises,
s’embarquèrent pour la Sardaigne depuis la Cale de Favone. Jusqu’au
dernier moment l’allié sarde aura constitué une planche de salut pour les
paolistes.
203
The Daily Advertiser du 5 octobre 1774.
79
- Chapitre 8 La véritable identité de Manuel Stuart
Manuel Stuart et sa famille ne durent leur survie qu’à l’aide
soutenue et constante des notables paolistes du centre de la Corse et de
la Balagne. Malgré ce réseau de solidarité actif, le premier Stuart de Corse
ne pourra pas survivre plus de 5 ans dans la clandestinité. Il décédera à
l’âge de 45 ans, le 22 novembre 1780 à Petralba, probablement de mort
violente.204 Il est mort dans la maison de Simone Gaspari, dont le cousin,
Andrea Gaspari, faisait partie de la garde personnelle de Paoli en 1768.
La suite nous la connaissons ; son fils unique, Giovanni Stuart, fut élevé par
sa belle-famille Mibelli et hébergé par une famille de notables de Castifau,
les Grimaldi d’Esdra. Bien plus tard, durant l’été 1795, Carlu Felice Grimaldi
d’Esdra, refusa de livrer Giovanni Stuart aux soldats de Gilbert Elliot et à
leurs alliés royalistes. Parce qu’il refusa de dire ou s’était réfugié Giovanni
Stuart, un royaliste lui fendit la tête à coup de hache, le tuant sur place.205
Qu’est ce qui pouvait pousser des notables corses bien établis à se donner
tant de mal, jusqu’au sacrifice ultime, pour protéger cette famille Stuart ?
Manuel Stuart et son rejeton en valaient-il vraiment la peine ? Pourquoi
était-ce si important ?
Ces questions, Théodore Stuart, un descendant direct de Manuel Stuart,
les a abordé dans les années 1890 avec le Consul britannique en Corse,
Sir Arthur Castell-Southwell. Théodore était convaincu d’appartenir au
Clan Royal Stuart et assurait le diplomate anglais qu’il lui manquait des
documents pour pouvoir le prouver. Les années passèrent, et la propre
fille du Consul, Edith Southwell, chercha elle aussi à en savoir plus sur
les Stuarts de Corse. Journaliste, ethnologue et anthropologue, elle avait
exploré la Corse avec Sir Charles Emmanuel Forsyth-Major, membre de
la Société Royale de Londres. Par la suite, elle fut une collaboratrice de
la revue scientifique toscane Archivio Storico di Corsica. En 1930 elle se
rendra à Castifau pour enquêter sur « Des descendants du Clan Royal des
204
205
Archives Départementales de la Haute Corse, Dépôt des communes – côte E 101/5
Témoignage recueilli auprès de Monsieur Ghjaseppu Maria Grimaldi d’Esdra à Speluncatu
le 6 février 2011.
80
Stuarts d’Écosse, branche complètement inconnue en dehors de l’île ».206
Une famille Stuart de Castifau évoquera avec elle une hypothétique
ascendance : « Une Reine qui s’appelait Marie et un Roi qui s’appelait
Jacques ». Même si on peut être troublé par la tradition de cette famille qui
consiste à baptiser une fille Marie et un garçon Jacques à chaque génération,
on ne peut pas s’en remettre à la seule tradition orale pour valider une
telle hypothèse concernant leurs origines. Il faut tenir compte du fait que ce
type d’affirmation est très courant au sein de familles Stuarts et Stewarts
dans le monde entier. De plus, les archives publiques corses, toscanes,
napolitaines et irlandaises ont été méticuleusement dépouillées pendant
des années et le constat est sans appel : aucun document concernant la
filiation ou l’ascendance précise de Manuel Stuart n’a été trouvé à ce jour.
Sauf à découvrir un document inconnu dans quelques fonds d’archives
privées, force est de constater que la recherche archivistique traditionnelle
se trouve aujourd’hui dans une impasse.
De nos jours, quand les recherches classiques, dans les domaines
des sciences historiques et de la généalogie n’aboutissent pas, ne
permettant plus le moindre progrès, le chercheur peut alors recourir à une
autre discipline : la généalogie génétique.
En effet, ce qui ne peut plus être trouvé dans la mémoire écrite peut parfois
être restauré par la mémoire du corps, par l’ADN humain. Il ne s’agît pas
d’opposer ici des disciplines entre elles, mais au contraire de confronter
des résultats dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire. Pour ce faire,
l’historien, quel que soit son niveau de compétence, ne peut s’improviser
généticien et doit nécessairement s’appuyer sur des compétences et une
expertise externe. La première étape était de respecter une méthodologie
concernant le prélèvement d’ADN parmi les descendants actuels de la
famille Stuart de Corse. Cette méthodologie nous a été donnée par William
Hamilton Stewart, administrateur d’un groupe de recherche génétique
sur les Hauts Stewarts d’Écosse.207 En se conformant strictement à ses
conseils avisés, nous avons donc fait prélever de l’ADN chez différents
Stuarts de Corse, des cousins les plus éloignés les uns des autres et issus
de 3 générations différentes. Le concours de Pierre François, de Jacques
206
207
in E. Southwell Colucci, « La pieve di Caccia, gli Stuardi e Sampiero »,
Archivio Storico di Corsica , Anno VII N°3 (Juin 1931)
http://www.familytreedna.com/public/Stuart/
81
et de Henri dans ce programme de recherche a été déterminant. Pendant
un an, l’ADN des Stuarts de Corse a été analysé dans un laboratoire réputé,
encadré par l’Université d’Arizona et propriété de la firme FamilyTreeDNA.
Les premiers résultats ont permis d’établir que les Stuarts de Corse
étaient bien des Stuarts et qu’ils étaient issus d’une branche d’anciens
Stewarts d’Écosse. Cette première donnée n’apportait aucune précision sur
l’origine de Manuel Stuart. Nous avons donc demandé à Belinda Dettmann,
ex-chercheuse et généticienne de l’Université de Sidney en Australie, qui
travaille depuis de nombreuses années sur l’ADN des différentes familles
Stewarts et Stuarts,208 de nous livrer son interprétation scientifique. Ses
conclusions sont surprenantes. Les Stuarts de Corse, comme beaucoup
d’autres Stuarts, ont un lointain ancêtre commun ; John Stewart de Bonkyll,
chef militaire durant la première guerre d’indépendance écossaise, mort à
la bataille de Falkirk le 22 juillet 1298, aux côtés de William Wallace. De cet
ancêtre sont issues différentes lignées, y compris celles des Comtes de
Lennox et de la Famille Royale Stuart moderne.
Mais l’information la plus spectaculaire communiquée par Belinda Dettmann
est la correspondance génétique existant entre le plus vieux Stuart de Corse
testé, Henri Stuart, et un descendant naturel et direct de Charles II Stuart.
Selon elle, ce Stuart référencé sous la désignation ‘ROY3’ partagerait avec
le plus ancien Stuart de Corse testé une signature génétique très proche,
dont les caractéristiques très particulières font dire à la généticienne à
propos des Stuarts de Corse : « Votre lignée pourrait être dérivée de James
I Stuart d’Angleterre, à travers l’un de ses fils connus ; Henry ou Charles
I, ou de l’un de ses petits fils Charles II ou James II, ou via un fils inconnu
de n’importe lequel d’un de ces hommes ». Belinda Dettmann est une
chercheuse respectée qui ne se hasarderait pas à formuler une hypothèse
sans avoir d’éléments probants. Elle a produit un diagramme pour illustrer
son propos qu’elle nous a autorisé à publier.
208
http://www.familytreedna.com/public/Stewart/
82
83
Les conclusions de Belinda Dettmann sont trop importantes pour
ne pas les confronter à une expertise mondialement reconnue dans le
domaine de la généalogie génétique. Nous avons donc demandé à Roberta
Estes de nous donner son opinion. Roberta Estes est une référence, elle
est l’une des porte-parole de la Société Internationale de Généalogie
Génétique (ISOGG), elle dirige la société DNAExplain et réalise 90%
des rapports d’expertise génétique pour le compte de FamilyTreeDNA,
première société d’analyse génétique grand public dans le monde. Selon
Roberta Estes, dont l’autorité en la matière ne saurait être remise en cause,
la correspondance génétique entre ROY3 et Henri Stuart de Corse est
« bien plus que circonstancielle » car elle se combine « à une signature
personnelle incluant des marqueurs rares ». En effet, à une correspondance
de 65 marqueurs sur 67 sur le chromosome Y, se combine chez ces deux
Stuarts un patrimoine ADN spécifique rare, la possession en commun
de deux marqueurs, à savoir pour les initiés : DYS439=13 et CDYb=36.
Dès lors, Roberta Estes confirme que « Roy3 et Henri Stuart ont 100%
de chance d’avoir le même ancêtre commun il y a 12 générations ». Cette
analyse confirme les conclusions de Belinda Dettmann, car si on remonte
douze générations en arrière, c’est bien James 1er Stuart d’Angleterre qui
caractérise l’ancêtre commun.
Cette incroyable découverte doit absolument être validée
scientifiquement avant de pouvoir ouvrir d’autres pistes de recherches
concernant l’origine de Manuel Stuart. Nous sommes donc allés recueillir
un avis universitaire en Écosse, au plus près du sujet étudié. Nous
avons communiqué les résultats d’analyses ADN à Alasdair Macdonald.
Ce professeur d’Université est un des administrateurs de l’ambitieux projet
de recherche scientifique Scottish DNA Project. 209
Chercheur et conférencier, il co-dirige également le département d’étude
généalogique et paléographique de l’Université de Strathclyde à Glasgow.
Après avoir étudié les données scientifiques recueillies et lu les premières
interprétations faites par ses collègues, Alasdair Macdonald a affirmé que
selon lui, ces interprétations lui « paraissaient évidentes ». Les lois précises
de la génétique déterminent des probabilités, voire des certitudes, même si
le risque d’erreur zéro n’existe dans aucune science établie.
209
http://www.scottishdna.net/community.html
84
N’oublions pas que la preuve ADN est recevable devant les tribunaux et
est donc pertinente dans d’autres domaines. La conclusion personnelle
d’Alasdair MacDonnald est limpide : « Vous pouvez dire à votre famille que
vous devez avoir la certitude de descendre directement de Marie Stuart
reine d’Écosse, et vous devez en être fiers ». La science a donc corroboré
la tradition orale des Stuarts de Corse qui descendent bien d’une Reine
appelé Marie et de son fils, un Roi appelé Jacques. Cette découverte hors
normes permet de relancer toutes les spéculations concernant l’origine
de Manuel Stuart, en limitant désormais considérablement le champ de
recherche, au Clan Royal Stuart Moderne. Qu’il s’agisse d’un secret d’État
ou d’une simple erreur de jeunesse, il est désormais possible de formuler
des hypothèses à partir de bases scientifiques objectives.
Manuel Stuart est né en Irlande en 1735 et son père John Stuart
serait né entre 1690 et 1710. Il faut donc étudier en premier lieu la présence
éventuelle de membres de la Famille Royale Stuart en Irlande durant
cette période. Les hypothèses conformes à cette chronologie ne sont pas
nombreuses. Comme nous en avons déjà parlé, c’est bien durant la guerre
Williamite, que James II Stuart et ses deux fils Henry et James FitzJames
étaient en Irlande. A priori, et tous les historiens consultés en conviennent,
il est pratiquement inconcevable que James II Stuart puisse être le grand
père de Manuel Stuart. Il nous faut donc nous intéresser aux déplacements
et à la vie de ses deux fils naturels FitzJames en Irlande.
Dès le début de la guerre civile en Irlande, James FitzJames et son frère
Henry sont engagés dans les combats, ils se trouvent au Nord de l’Ulster,
à Colraine, le 15 avril 1689.210 Pendant plusieurs semaines les deux frères
seront présents en Ulster, précisément d’où est originaire Manuel Stuart.
Une telle concordance de lieu et de chronologie est certes intéressante à
plus d’un titre, encore faudrait-il être certain que l’un ou l’autre des frères
FitzJames ait pu avoir quelques aventures de jeunesse en Irlande. Il faut
donc relever d’éventuelles sources qui pourraient soutenir cette théorie.
Concernant les mœurs du frère cadet, Henry FitzJames, il existe une piste
sérieuse. Si l’on se réfère à la correspondance du Comte d’Avaux avec
Louis XIV, celui-ci est très sévère avec le jeune FitzJames en affirmant
210
in Duc de Berwick, « Mémoires du Duc de Berwick », Tome 1, Moutard, Paris, 1778 – p48
85
« Que les habits de la débauche l’on empêché de monter à cheval durant
tout le printemps ».211 Un autre soutien français de Jacques II Stuart, le
Comte de Lauzun, confirmera par la suite le propos du Comte d’Avaux.
L’hypothèse selon laquelle Henry FitzJames aurait pu engendrer un fils
illégitime en Irlande est donc tout à fait recevable.
C’est moins évident pour James FitzJames, le Duc de Berwick, dont on
connaît le sérieux et la probité. Cependant, un officier irlandais, le colonel
O’Kelly, lui prête également quelques mœurs plus légères durant l’hiver
1690-1691 dans l’ouest de l’Irlande, quand il prit ses quartiers d’hiver dans
le Connaught. Il soutient que « Le Duc de Berwick était plus soucieux de ses
plaisirs de jeunesse que de la conduite des troupes ».212 Bien évidemment,
le Duc de Berwick ne se présente pas sous ce jour dans ses propres
mémoires. Toutefois, un autre historien tempère le propos en précisant que
« Un jeune officier de haut rang peut être excusé de connaître quelques
joies dans une ville connue pour ses jolis minois de bonne compagnie,
tant qu’il ne dîne pas et ne danse pas trop ».213 En d’autres termes, sans
excès, le Duc de Berwick a très bien pu s’adonner discrètement à quelques
plaisirs, ce qui rend crédible un accident de jeunesse et une descendance
illégitime en Irlande.
Enfin, pour clore toutes les pistes, il faut également évoquer l’arrivée en
Irlande d’un fils naturel de Charles II Stuart, Henry FitzRoy, le 1er Duc de
Grafton. Il a débarqué le 24 septembre 1690 à Cork avec des troupes
orangistes et il a été mortellement blessé le 9 octobre. Outre la brièveté de
son séjour, on ne peut sérieusement penser que ce fervent protestant ait pu
se consacrer à autre chose qu’au siège militaire de Cork.
211
212
213
in C.Townshend Wilson, « James II and the Duke of Berwick »,
Henry S. King, London, 1876 – p 217
in C. O’Kelly, « The Jacobite War in Ireland (1688-1691) »,
Sealy-Bryet and Walker, Dublin, 1894 – p 56
in C.Townshend Wilson, « James II and the Duke of Berwick »,
Henry S. King, London, 1876 – p 287
86
Les hypothèses universitaires concernant l’origine des Stuarts
de Corse sont quasi inexistantes, cependant le professeur Michel VergéFranceschi en a formulé une dans les années 2000. D’après lui la piste de
Charles II Stuart, dont un descendant actuel est apparenté génétiquement
aux Stuart de Corse, ne doit pas être négligée. Selon Michel VergéFranceschi les Stuarts de Corse « pourraient être issus d’un certain
Jacques Stuart, fils naturel de Charles II d’Angleterre, et de Marguerite de
Carteret près de Valognes sur la Manche, en face de Jersey. Ce Jacques
Stuart apparaît à Rome le 11 avril 1668 comme novice au collège jésuite
de Saint-André-du-Quirinal, juste à côté du couvent où les soeurs Fonseca
entretiendraient ultérieurement des liens étroits avec Neuhoff, qui eut des
rapports privilégiés avec Lord Carteret. En novembre 1668, ce Jacques
Stuart s’installa à Naples sous le nom de prince Giacoppo Stuardo ».214
Les « Stuarts Napolitains » sont une source de grande controverse chez les
historiens qui ont traité le sujet, et la véritable identité de ce prince Giacoppo
Stuardo est parfois sujette à caution.215 Pour autant, il existe un argument
qui plaide en faveur de cette hypothèse. En effet, nous ignorons toujours
les raisons qui ont poussé Manuel Stuart à déserter de la Royal Navy pour
se rendre à Rome et servir 5 années dans l’armée de Naples. Du point de
vue de cette hypothèse on comprendrait mieux un retour aux sources pour
Manuel. En suivant cette piste, ce Jacques Stuart napolitain, aurait eut un
petit-fils qui serait né en Irlande. C’est une théorie audacieuse qu’aucune
source écrite ne permet d’étayer actuellement et pour laquelle la recherche
d’ADN éventuel pour comparaison est pratiquement impossible.
Existe-il d’autres éléments qui confirment l’origine irlandaise des
Stuarts de Corses ? Il nous faut relater ici une histoire très singulière.
Durant la période du royaume Anglo-Corse, Sir henry Tucker Montresor
fut commandant des troupes britanniques de la place de Calvi, ses troupes
étant constituées par des compagnies irlandaises du Royal Irish Regiment.
Il fut affecté en 1795 au régiment Royal Anglo-Corse, crée par le Général
Charles Stuart. Par la suite, les éventuels parents irlandais de Manuel Stuart
ont donc été informés que ce dernier avait une descendance en Corse.
214
215
in M.Vergé-Franceschi, « Paoli : un Corse des lumière »,
Fayard, Paris, 2005 – p 504 / Note 36
in A.F Steuart, « English Historical Review », N° 18,
Longmans Green & Co, London, 1903 - p 470
87
En avril 1814, après la défaite de Napoléon 1er, le Lieutenant Général
Montresor est appelé par des notables corses pour prendre le
commandement militaire de la Corse dans l’attente du règlement de la
question du statut de l’île (Possession de Louis XVIII ou de George III ?).216
Celui-ci débarque à Bastia avec des troupes anglo-siciliennes. C’est alors
qu’un irlandais, George O’More, se rend directement à Castifau chez les
Stuarts. Non seulement ce cousin irlandais est accueillit par les Stuarts mais
de plus, il s’installe au village. Le 28 février 1817, il épousera une jeune
femme originaire de Moltifau, Lucia Deodati.217 Ce cousin est né en 1781 à
Abbeylex en Irlande. Cette origine nous renvoie à la belle famille O’More de
Patrick Sarsfield, dont des dizaines de membres étaient aux côtés du Duc
de Berwick durant l’année 1691, que ce soit dans le Connaught où durant
le siège de Limerick. Pour comprendre l’importance de cette information il
est nécessaire de se représenter clairement un réseau de relation familiale
et politique dans l’orbite de Jacques II stuart.
Quand on constate la nature et la persistance de certains réseaux
familiaux depuis l’Irlande (cf. illustration suivante), on ne peut qu’être
interpellé.
On pourrait démultiplier à loisir les boucles relationnelles dans
ce réseau. Que dire par exemple du 10ème Comte de Pembroke venu en
Corse en 1769 ? Ce dernier, partage avec Patrick Sarsfield, des ancêtres
Irlandais FitzWilliam, partisans des Stuarts.
Il semblerait que c’est toujours le même réseau qui s’active en Corse.
Mais pour revenir aux Stuarts de Corse, la venue de ce cousin O’More
d’Abbeyleix dans un village perdu dans les montagnes corses est lourde
de significations. En effet, c’est à nouveau l’environnement immédiat de
James FitzJames, 1er Duc de Berwick, qui est clairement désigné. En 1691,
pendant plusieurs semaines, James FitzJames fut l’hôte de la femme de
Patrick Sarsfield, Honora de Burgh. Il résida dans le château de Portumna
aux confins du Connaught. Patrick Sarsfield y était entouré de sa garde
rapprochée, à savoir 7 officiers du Clan O’More d’Abbeyleix, ainsi que
de leurs familles. D’ailleurs ces 7 officiers jacobites suivirent les milliers
d’Irlandais qui allèrent se mettre au service de la France en 1692. Il est
impossible de ne pas faire ici un rapprochement.
216
217
in J.Philippart, « The Royal Military Calendar »,Vol 1,
Valpy, Tooke’s Court & Chancery, London, 1815 – p 279
Archives Départementales de la Haute Corse, Etat Civil – Côte 2E 2/97-2
Découverte communiquée par Jean Raphael Cervoni
88
89
Tous les éléments sont réunis pour pouvoir spéculer sur une charmante
rencontre qui aurait pu survenir dans le château de Portumna, entre James
FitzJames et une jeune femme issue du Clan O’More d’Abbeyleix.
Cette rencontre aurait pu déboucher sur une aventure passagère et la
naissance d’un enfant naturel, ce qui expliquerait de façon cohérente le
lien génétique des Stuarts de Corse avec Jacques I Stuart d’Angleterre et
le lien de parenté avec les O’More d’Abbeyleix. C’est donc aujourd’hui une
hypothèse crédible concernant l’origine de John Stuart, de son fils Manuel
Stuart et de tous les Stuarts de Corse qui ont suivis.
90
Conclusion
Qui aurait pu prédire à Manuel Stuart que plus de deux siècles
après sa mort il sortirait de l’oubli et commencerait à livrer une partie de
ses secrets ? L’entreprise fut hardie et la patience aura été le ciment de
toutes les mémoires qu’il a fallu réunir pour arriver à revisiter une existence
lointaine. Mais cette quête en valait la peine car le destin individuel d’un
Stuart dans la Nation Corse aura permis de découvrir les dimensions
multiples de ses choix et de ses engagements.
Il importe peu de connaître aujourd’hui dans le détail le degré d’implication et
le niveau de responsabilité de Manuel Stuart, mais sa trajectoire individuelle
relève d’un véritable roman. Citoyen du Monde qu’il a parcouru sur les mers,
cet artisan du métal et de la guerre s’est engagé dans la résistance aux
oppressions. Ce «Stuardo-Paoliste» symbolise par sa présence en Corse
la réalité d’un véritable système d’alliance entre les partisans des Stuarts et
les citoyens de la République Paoline, les uns voulant retrouver leur liberté
et les autres voulant la conserver. L’impossibilité pour ses descendants de
retrouver la mémoire ne devait rien au hasard, après avoir survécu aux
tentatives d’anéantissement, l’oppression politique et la peur ont distillé le
venin de l’oubli et le culte du secret. La question des origines en était même
devenue un sujet tabou pour certains.
Et pourtant... En dépit d’un contexte défavorable cette famille, dont la
présence à Castifau était un mystère, a su transmettre de générations en
générations un fragment de mémoire, le souvenir d’un lointain lien avec
la famille royale Stuart. Souvent respectés par les initiés ou moqués
par les ignorants, les Stuarts de Corse ne faisaient que restituer une
conviction intime. Aujourd’hui les outils scientifiques modernes confortent
définitivement cette identité ; oui, les Stuarts de Corses sont bien issus du
Clan Royal Stuart.
Doit-on pour autant en conclure une parenté précise et ranger
l’histoire des Stuarts de Corse dans une bibliothèque ? Certainement pas et
ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord la parenté avec un Stuart moderne
issu de la famille royale reste à préciser. Sur ce point les évolutions rapides
de la généalogie génétique pourront nous permettre de progresser assez
rapidement.
91
Les conclusions de deux experts en analyse génétique ne souffrent pourtant
d’aucune ambiguïté. Pour Alasdair Mac Donnald, les Stuarts de Corses sont
directement descendants de Marie Stuart, reine d’Écosse, ce qui semble
faire l’unanimité auprès des généticiens consultés. Belinda Dettmann, nous
confiait encore récemment que son hypothèse était que concernant l’ancêtre
direct des Stuarts de Corse «Le Duc de Berwick semble être le meilleur
candidat, avec des preuves fragiles, naturellement, mais nous n’avons pas
beaucoup d’autres possibilités». Seules des analyses complémentaires, à
l’aide d’outils plus performants, permettront de tenter de préciser dans un
futur proche si oui ou non les Stuarts de Corse sont une branche cadette
issue d’une lignée FitzJames Stuart.
Même si la précision de la génération de parentèle avec le Clan Royal
Stuart de Manuel Stuart reste encore à établir, il n’en demeure pas moins
que la dimension historique et patrimoniale de cet homme ne peut plus être
ignorée. Comme le souligne fort justement le professeur Edward Corp, son
héritage relève tout à la fois de l’histoire de la dynastie Stuart et de celle
du Peuple Corse. A ce titre, sa dépouille pourrait faire l’objet d’une étude
scientifique plus poussée et d’une nouvelle inhumation ayant un caractère
patrimoniale et plus digne que son enterrement discret et précipité de 1780.
Cela pourrait passer par un rapprochement de l’Université de Corse et de
quelques universitaires écossais. L’avenir dira si cette initiative rencontrera
quelques soutiens. En attendant les recherches se poursuivront car Manuel
Stuart et son fils Giovanni ont sans nul doute encore des révélations à faire.
Desideriu Ramelet Stuart
92
Postface
93
Glossaire
B
BROWN Ulysse Maximillian, Maréchal d’Empire (1705-1757) Ulysse Maximilliam Brown est issue d’une ancienne et honorable famille
originaire de Camas dans le comté de Limerick en Irlande. Son père Ulysse
et son cousin George, Jacobites convaincus, ont quitté l’Irlande en 1691
pour suivre James II Stuart en exil. Son cousin George s’étant mis au
service de la cour d’Autriche, Ulysse Maximillian Brown fit de même par la
suite. Après sa naissance en Suisse, il retourne en Irlande en Octobre 1705
pour être instruit et éduqué. Adolescent, il revient en Autriche et est présent
au siège de Belgrade en 1717
De retour de Corse, ou il servait en tant que Colonel d’Infanterie, il sera
nommé en 1732 chambellan de l’Empereur d’Autriche. En 1734 il s’illustrera
particulièrement dans la campagne d’Italie. Devenu Maréchal d’Empire
et commandant en chef de l’armée autrichienne, en 1756, il s’empare de
Gênes et il repousse Frédéric II de Prusse qui avait envahi la Bohême, puis,
joignant ses troupes à celles du roi de Sardaigne, il conquiert le comté de
Nice et entre en Provence, mais doit ensuite se retirer.
Il fut mortellement blessé au mois de juin 1757 durant la Bataille de Prague.
Lord BUTE, John STUART 3ème Comte de Bute (1713-1792)
John Stuart, noble écossais issu du Clan Royal Stuart, fut ministre d’État
et Premier ministre de Grande-Bretagne de 1762 à 1763. Sa famille, les
Stuart de Bute, était propriétaire de l’île de Bute.
Il fut membre du Parlement à 24 ans. Il ne prit aucune part au soulèvement
Jacobite de 1745 et se réfugia à Londres, à Westminster. Ayant plu au
prince et à la princesse de Galles par l’élégance de ses manières, il fut
placé auprès de leur fils (futur George III), héritier de la couronne, sur lequel
il acquit le plus grand ascendant. À l’avènement de ce prince (1760), il
devint alors premier ministre.
94
Bien qu’impopulaire en Angleterre, il termina la guerre que la GrandeBretagne faisait depuis plusieurs années à la France, et conclut la paix
en 1763. Las des attaques incessantes de l’opposition, il abandonna
brusquement les affaires, lorsqu’il était encore au faîte du pouvoir, et se
retira dans sa terre de Lutton (Berkshire), où il se consacra à la botanique.
Son plus grand détracteur fut le journaliste John Wilkes. Son principal
opposant politique était un autre Stuart, le 3ème Duc de Grafton, Augustus
Henry FitzRoy. De l’été 1768 à l’été 1769 il séjourna sur le continent
européen, période durant laquelle on lui prête quelques intrigues politiques,
en Italie notamment.
En 1780 il devint le président de la Société des Antiquités d’Écosse.
C
Charles Emmanuel III, Roi de Piémont-Sardaigne (1701-1773) Né à Turin avec le titre de Prince de Savoie, il était le fils du Roi Victor Amédée
II de Savoie et de sa femme Anne Marie d’Orléans. Après l’abdication de
son père pour raisons médicales, Charles Emmanuel devint Roi en 1730.
Au printemps 1731, Victor Amédée sortit de sa convalescence, remonta
sur le trône de Piémont Sardaigne en accusant son fils d’incompétence.
Charles Emmanuel III fit arrêter et emprisonner son père, conservant ainsi
son titre royal.
Durant la guerre de succession d’Autriche (1740-1748), il s’engagea
militairement, avec succès, aux côtés de Marie Thérèse d’Autriche. Il fut un
allié des Nationaux corses durant cette période.
Il refusa de participer à la Guerre de sept ans (1756-1763) pour se concentrer
sur d’importantes réformes pour son Royaume. Il restaura les universités
de Sassari et de Cagliari en Sardaigne et améliora considérablement son
armée sur le modèle prussien. Même si ce monarque est souvent dépeint
comme un despote éclairé, de nombreux Sardes n’acceptèrent jamais
la domination de la Maison de Savoie, ce qui provoqua des épisodes de
révolte.
95
F
FitzJames STUART James, 1er Duc de Berwick (1670-1734) James FitzJames est le fils naturel du Roi James II Stuart et d’Arabella
Churchill. Très tôt initié aux arts de la guerre, Il prend après la révolution de
1688 une part très active à toutes les tentatives qui sont faites pour replacer
son père sur le trône. Après la guerre Willamite en Irlande (1689-1692), il se
réfugia en France et se fit naturaliser français. Il devint Maréchal de France
en 1706 et est considéré par ses contemporains comme un brillant officier
militaire. Il s’illustra notamment dans la guerre de succession d’Espagne
(1701-1714).
En 1733, il reçut le commandement de l’armée du Rhin, lors de la Guerre
de Succession de Pologne (1733-1738). Il trouva la mort en inspectant
une tranchée, la tête emportée par un boulet de canon lors du siège de
Philippsbourg.
FitzJames STUART James Francis, 2 eme Duc de Berwick
(1696-1738) James Francis FitzJames est le fils du 1er Duc de Berwick et d’une noble
irlandaise, Lady Honora de Burgh. En 1716 il épousa la fille d’un Grand
d’Espagne, Catalina Ventura, fille de Pedro Manuel Colon de Portugal. Il
devint à cette occasion second Duc de Liria et Xerica, et Duc-Consort de
Veragua. De 1717 à 1719 il combattra en Italie en tant que colonel des
régiments irlandais d’Espagne. Il fut promu brigadier général des armées
d’Espagne en 1724.
Puis il entama une importante carrière diplomatique au service de l’Espagne
en Russie et en Autriche, de 1726 à 1733. Il conserva des rapports politiques
et personnels étroits avec son cousin Jacques III Stuart exilé à Rome. Il fut
ensuite nommé ambassadeur à Naples, où il mourut de maladie en juin
1738, dans des circonstance non élucidées.
96
J
JACOBITES
Le « jacobitisme » historique était un mouvement politique né en 1688
lorsque le roi Jacques II d’Angleterre et d’Irlande et VII d’Écosse (16331701) fut détrôné par un coup d’État. Le terme Jacobite se réfère au
latin « Jacobus », prénom du Roi légitime destitué. Ce mouvement était
composé de ceux qui soutenaient la dynastie des Stuarts et considéraient
comme usurpateurs tous les rois et les reines britanniques ayant régné
pendant cette période. Soutenu par les monarchies catholiques françaises
et espagnoles, il était surtout implanté en Irlande et dans les Highlands
d’Écosse qui furent le théâtre de plusieurs révoltes entre 1689 et 1746.
Près de 25 000 soldats jacobites se sont réfugiés en France, Espagne,
Naples, Rome, Autriche, Prusse et même Russie. Le mouvement Jacobite
périclita quand mourut en 1807 le dernier prétendant Stuart à Rome ; le
Cardinal d’York. Ce dernier était reconnu par les Jacobites en tant que
Henri IX d’Angleterre et d’Irlande et Ier d’Écosse.
Après la mort du cardinal Stuart, le titre de prétendant aux trônes britanniques
est passé à des cousins éloignés, descendants d’une autre sœur de Jacques
II et VII, la princesse Henriette Anne Stuart, duchesse d’Orléans. D’après
son testament, qu’il signe « Henry R », ses prétentions à la couronne
britannique passent à son plus proche parent, Charles-Emmanuel IV, roi de
Sardaigne, un catholique. Le représentant aîné actuel de la Maison de Stuart
est François de Wittelsbach, duc de Bavière, reconnu comme prétendant
légitime par la plupart des Jacobites contemporains. Parmis eux, beaucoup
ne reconnaissent pas la légitimité actuelle d’Elisabeth II, qu’ils assimilent à
« la princesse Philippe de Schleswig-Holstein-Sonderbourg-Glücksbourg ».
Giovanni Stuart possédait en Corse un couteau-épée Navaja de type
Romano, décoré de médaillons à l’éfigie de Charles-Emmanuel IV, preuve
indiscutable de ses sympathies jacobites.
97
K
KEITH George, Mylord Marischal, 10ème Comte Maréchal d’Écosse
(1693-1778)
George Keith fut un officier écossais, Il était surnommé Milord Maréchal car
le titre de comte-maréchal d’Écosse était héréditaire dans sa famille, en
tant que chefs du clan Keith.
Il refusa après la mort de la reine Anne Stuart en 1715, de reconnaître pour
roi George Ier, et voulut faire proclamer Roi Jacques III Stuart. Il s’expatria
après la fuite de ce prince et fut condamné à mort par le Parlement anglais.
Il alla prendre du service à l’étranger, et finit par se fixer en Prusse, où il
devint l’ami de Frédéric II. Il fut nommé ambassadeur de Prusse en France
de 1751 à 1754 puis gouverneur de la principauté de Neuchâtel entre 1754
et 1768. Il était également ambassadeur de Prusse en Espagne de 1759 à
1761. Il fut le protecteur de Jean-Jacques Rousseau et un supporter zélé
du général corse Pasquale de Paoli.
Pilier du mouvement Jacobite, Il s’impliqua activement pour soutenir divers
projets de James III Stuart et de son fils Charles Edward Stuart.
M
Lord MOUNT STUART John, 1er Marquis de Bute (1744-1814)
Il était le fils aîné de Lord BUTE, 3ème Comte de Bute et de Mary Worthley
Montagu. En 1757 à l’Université d’Oxford, il a eut comme tuteur le philosophe
écossais Adam Ferguson, « le père de la sociologie moderne ». En juillet
1765, alors qu’il effectue son Grand Tour en Europe, il se lie d’amitié avec
James Boswell qu’il rencontre en Italie. En 1766 il est recruté par les services
secrets britanniques et rentre également au parlement britannique comme
député de la province de Cornwall (il conservera ce mandat jusqu’en 1776).
Durant l’été 1768 Il mène une mission de renseignement officielle en Corse
et rencontre Paoli. Il vota au parlement (minorité de 84 votes) le principe
d’une intervention militaire anglaise en Corse. En mars 1769 il reviendra en
Corse à titre privé et rencontrera Paoli à nouveau.
98
En 1775 il essaya sans succès de faire passer une loi au parlement
concernant la création d’une milice écossaise.
Le 14 juin 1794 il prend le titre de Vicomte Mountjoy de l’île de Wight,
précisément à l’endroit où Sampiero Corso débarqua 250 ans plus tôt avec
500 corses pour aider Mathieu Stewart, 4eme Comte de Lennox. La même
année il fut titré 1er Marquis de Bute. Au même moment, son frère cadet, le
général Charles Stuart, jouera un rôle actif en Corse, aux côtés de Paoli.
O
O’SULLIVAN John Vera (1700- ????)
Né à Cappanacush Castle au sud de l’Irlande, sa famille descend d’un
ancien Roi du Munster, Olioll Olum. il se rendit au séminaire à Rome en
1715. Il retournera dans le Munster, à la mort de ses parents. Rejoignant
par la suite l’Irish Brigade en France, il devint le secrétaire et tuteur du fils
du Marquis de Maillebois.
En 1739, il sert activement en Corse et est décrit comme un expert en
guérilla et contre-guérilla. Il évoluera du grade de capitaine à celui de
colonel.
Maillebois le chargea d’une mission secrète auprès de James III Stuart,
concernant la Corse.
En 1744, il rejoint la cour du Prince Charles Edward Stuart, qui le nomme «
adjudant général » de sa garde royale. Le 16 juillet 1745, il part de France
vers l’Écosse aux côtés du Prince Stuart. Le 16 septembre 1745, à la tête
de 900 Highlanders, O’Sullivan reprit Edinburgh. Nommé quartier-maître
général à Culloden, il organisa le plan de bataille contre l’avis d’autres
Jacobites. Après la défaite de Culloden, John Vera O’Sullivan protégea
durant cinq mois la fuite de Bonnie Prince Charlie en Écosse et il organisa
son évacuation vers la France le 1er octobre 1746.
En 1747, James III Stuart, pour tous les services rendus, l’érigea au titre de
« Knight and baronnet of Wales ». Il épousera une compatriote Irlandaise,
Louise Fitzgerald, en 1749 à Paris.
En 1760, le prince Charles Edward Stuart prit ses distances avec O’Sullivan,
qui nourrissait quelques ambitions en France.
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S
SARSFIELD Patrick, Comte de Lucan (1660-1693)
Patrick Sarsfield est né à Lucan, près de Dublin et est issu d’une famille
de la petite noblesse irlandaise, étant le fils de Patrick Sarsfield, squire of
Lucan, et d’Anne O’Moore. Il est donc le petit-fils de Rory O’Moore, le chef
de la rébellion irlandaise de 1641, à l’origine de l’invasion de l’Irlande par
les troupes de Cromwell (qui fit décapiter Charles Ier Stuart en 1649).
Quand Jacques II Stuart est renversé et s’exile en France en 1688, il est
suivi par Patrick Sarsfield, qui revient avec lui en Irlande l’année suivante.
Débarquant à Kinsale, il prend Sligo puis l’ensemble du Connaught. Il est
promu commandant de cavalerie, puis général de division. Compte tenu de
ses exploits militaires et de ses faits d’armes personnels il sera titré Comte
de Lucan en janvier 1690 par Jacques II Stuart. Après la défaite de la Boyne
et le départ de Jacques II pour la France, Sarsfield reste en Irlande pour
participer à la défense de Limerick. Au cours du second siège de cette ville
par les troupes orangistes, il capitula et signa le traité de Limerick, le 13
octobre 1691. Il s’exila avec 2 600 combattants irlandais en France ou il
fut nommé capitaine de la Brigade Irlandaise. Il fut tué au combat quelques
mois après en Belgique.
SCOTT James (1649-1685) James Crofts ou James Fitzroy, qui prit le nom de James Scott après son
mariage, fut le 1er duc de Monmouth et le 1er duc de Buccleuch. Il est un
fils illégitime de Charles II d’Angleterre et de sa maîtresse, Lucy Walter.
Jacques II Stuart prétendra qu’il n’était pas le fils de son frère.
A partir de 1665 il participera à plusieurs conflits aux Pays Bas, sa patrie de
naissance. Populaire auprès des anglais parce que protestant, et, quoique
bâtard, il est pressenti pour succéder à son père. Se déclarant prétendant
au trône à la mort de Charles II en 1685, il chercha à chasser du pouvoir
son oncle Jacques II Stuart. Il dirigea une insurrection qui fut écrasée par
les troupes loyalistes. Il fut exécuté le 15 juillet 1685 après l’échec de cette
« Rébellion de Monmouth ».
100
W
WARREN Edward VI (1666 – 1733)
Edward Warren, of Swords, issue d’une vieille et honorable famille irlandaise,
était capitaine du régiment d’infanterie de Dublin au moment de l’accession
au trône de James II Stuart. Officier Jacobite pendant la guerre d’Irlande
(1689-1692) il leva à ses frais une compagnie pour défendre Belfast, ville
dont il était gouverneur. En 1690 il fut fait prisonnier à la bataille de Cavan
et transféré en Écosse, dont il s’évada pour revenir combattre en Irlande.
Après la capitulation de la dernière place forte Jacobite en Irlande (Siège
de Limerick ,1692) il passa en France.
En 1699 il se mit au service de la Cour de Vienne en tant que premier
lieutenant d’artillerie des Gardes de Lorraine et par la suite Directeur des
Poudres et Salpêtres. Peu de temps après sa mort à Florence, son fils
homonyme Edward fut nommé directeur des fortifications et de l’artillerie
du Grand Duc de Toscane et l’un de ses autre fils Henry Hyacinthe major
d’homme du Grand Duc de Toscane.
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Remerciements,
aux parents Stuart :
Marie, Soléa, Jacques d’Annecy, Henri, Alain, Pierre-François, Laurianne,
Jacques et Alain de Cuers, Denis et Pierrot.
aux ‘cousins’ Stewart / Stuart :
George V Stewart, Charles G MacLeod-Stuart, William Hamilton Stewart,
aux membres de la Stewart Society :
Muriel Walker, R. A. Gordon Stuart Esq, Jenn Scott.
aux universitaires et spécialistes :
Edward Corp, Andrea Mandroni, Belinda Dettmann, Gloria Peria,
Michel Vergé-Franceschi, Jacques Denis, Alasdair Mac donnald,
Gianluca Camerini, Roberta Estes, Ciro La Rosa, Imma Ascione.
aux alliés, amis et contributeurs :
Dumenicu Parsi, Ghjaseppu Maria Grimaldi d’Esdra, Magali Maurin-Gantier,
Marie-Jo Gianinelli, Anna Laura Cristofari, Elisabeth pardon,
Agata Verzelli, Pierre Mottard, Alessandro Farina, Laurent Quevilly,
Mario Forti, Seamus O’More, Jean-Raphaël Cervoni
Remerciement spécial à :
Lady Jennifer, Marquise de Bute
Frédérique Albertini
Un Stuart dans la Nation Corse
- Edition Electronique Desideriu Ramelet-Stuart
N° ISBN : 978-2-9546-2871-4
Dépôt légal : Décembre 2013
Copyright Editions Stuart of Corsica © 2013
www.stuart-corsica.com
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