Jacques le Fataliste de Diderot - Aix
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Jacques le Fataliste de Diderot - Aix
Jacques le Fataliste de Diderot Cette séance sur la satire de l’Église dans Jacques le Fataliste de Diderot a été réalisée par Madame Françoise ALRAN, agrégée de Lettres Modernes, pour ses élèves de Terminale L du Lycée Victor Hugo de Carpentras, dans le cadre d’un travail plus général sur la critique sociale La satire de l’Église Références dans l’édition Folio classiques Problématique : Quels sont les moyens et la portée de la satire de l’Église dans Jacques le Fataliste ? En amont: Préparation donnée sur la même question concernant Candide étudié en Ière, le relevé de termes dépréciatifs dans le passage pp183-84, les griefs faits à l’Église dans cet épisode ainsi que celui du père Hudson et Richard et celui de Frère Jean et du père Ange. Objectif de la séance : familiarisation avec les passages-clé où seront repérés griefs et procédés de satire Introduction : Dans Candide, paru 14 ans avant la composition de Jacques, on reproche à l’Eglise son intolérance, la corruption, les mœurs dissolues et les vocations forcées, la défense des privilèges (chap 1, 6, 24 et 30 notamment). Diderot retient surtout la satire des mœurs même si l’on voit passer un abbé antiphilosophes (pp162-66) pour qui « Voltaire est l’Antéchrist ». I - Les prêtres séculiers : Le confesseur de la d’Aisnon pp 183-84 : lecture préparée par un élève A partir du relevé du vocabulaire dépréciatif identification des griefs : vénalité, trahison des valeurs familiales, de la vertu, intrigue, pratique de la casuistique. Un portrait en actes qui manie l’oxymore " scélératesse de l’homme de Dieu ", rappelle Tartuffe (" difficultés hypocrites, intrigue malhonnête, il travailla à, lui insinuait que, lui parlait de ses charmes (…) lestement ") et annonce l’abbé Faujas de La conquête de Plassans de Zola. Le prototype du Jésuite caricaturé. Le vicaire bègue p 257 lecture préparée par un élève La tentation libidineuse est traitée par la farce : " du mécanique plaqué sur du vivant ". Le vicaire est promené par deux fois au bout d’une fourche qui évoque le diable ! Conclusion : Anticléricalisme de bon aloi qui n’épargne ni la ville ni la campagne. " Je n’aime pas les prêtres " dit le maître. Page 1 II - Les prêtres du clergé régulier : L’histoire de Frère Jean et du père Ange " Les moines sont implacables " dit Jacques qui raconte l’histoire p 77. Elle concerne les Carmes déchaux (c.à.d. qui ont les pieds nus dans les sandales), ordre mendiant. * Frère Jean, le frère de Jacques, incarne la paillardise. Le texte joue du sous-entendu grivois pp76, 80-81(concernant les enfants naturels de Jean) et peut-être sur les références bibliques (frère de Jacques comme dans les Evangiles !) humour iconoclaste en ce cas. Les moines se vengent de son ambition en le reléguant à des tâches subalternes. * Le " jeune père " Ange Son succès est lié à sa beauté ( p. 77 comique de répétition) et suscite la jalousie des autres confesseurs, " ces vieux moines " qui le font passer pour fou . " Ce pauvre père Ange dont la tête parut se déranger " s’enfuit avec Jean (notons le jeu de mots et l’anagramme des prénoms) pour ne pas être interné abusivement. Ils périront à Lisbonne (cf. Voltaire). " Jacques. Mais pourquoi est-ce qu’ils sont si méchants ? Le maître. Je crois que c’est parce qu’ils sont moines… "p81 L’histoire de Richard et du Père Hudson . Elle est racontée par le marquis des Arcis. *Richard, jeune homme de 17 ans, s’engage chez les Prémontrés par dégoût du monde. Son père lui demande d’observer un an avant de se décider à prononcer ses vœux, ce qui n’est ni le cas du Frère Giroflée de Voltaire, ni de Diderot lui-même. *Le père Hudson, abbé de l’ordre pp220-221 double portrait en contrepoint, portrait-charge qui rappelle La Bruyère : duplicité, débauche, rouerie. Soupçonné, il joue une scène de dévotion digne de Tartuffe (p 222), puis pour déjouer le complot janséniste contre lui il organise un " flag " dans lequel il piège Richard et l’autre jeune moine venus enquêter sur lui, les fait arrêter puis se paie le luxe de les faire relaxer. On n’est pas loin ici du roman type Les liaisons dangereuses , on pense par exemple à l’épisode de Prévan ." Quelques mois après il fut pourvu d’une riche abbaye ". Collusion clergé police aristocratie. Fin mitigée sur le plan de la morale : certes le père Hudson n’est pas puni, mais la vocation de Richard est enrayée. Conclusion : Les épisodes antimonastiques sont soignés. Ils nous disent que les hommes de foi et de morale doivent aller partout sauf dans un monastère mais relatif optimisme : on en sort, l’antidote au pouvoir de l’église ce sont ses mauvais serviteurs. III - Analyse et interprétation : La critique du clergé séculier tient moins de place que celle du clergé régulier qui, comportant deux histoires racontées par deux narrateurs différents, fait un effet de vrai. Le clergé séculier état le destin de Diderot : il en est passé très près avec l’éducation chez les Jésuites (qui ont forgé son goût du Grec, du Latin et peut-être du théâtre mais pratiquaient les châtiments corporels !), la tonsure à 12 ans, la possibilité de succéder à un oncle chanoine, les études de théologie à la Sorbonne qui pouvaient lui ouvrir un bénéfice ecclésiastique. Sensible, sa correspondance l’atteste, aux cérémonies religieuses, peut-être Diderot a-t-il trouvé ce clergé trop prosaïque. Son frère Didier Pierre est devenu un prêtre austère et intolérant. Page 2 Le clergé régulier est marqué pour Diderot par la tragédie de sa sœur Angélique, entrée chez les Ursulines où elle est morte à 18 ans en 1738, rendue folle par la claustration et la méchanceté des sœurs. Diderot l’a visitée une fois et en a été profondément marqué. Déjà dans ses Pensées philosophiques en 1746 ("Quelles voix ! Quels cris ! Quels gémissements Qui a renfermé dans ces cachots tous ces cadavres plaintifs ! " cité dans la biographie de Diderot par Raymond Trousson, chez Tallandier, p 40) puis dans La religieuse en 1782, il fera entendre sa voix. Le marquis des Arcis propose une analyse qui est sans doute celle de Diderot p 219 : l’entrée dans les ordres est le fruit d’une confusion au moment des troubles de l’adolescence, " un genre de vie contraire au vœu de la nature " . Ce préambule à l’histoire de Richard en fait une sorte d’apologue. Conclusion : Portée de la satire : satire des mœurs d’individus dont la répétition vaut généralisation. Récit partisan qui dénonce surtout l’hypocrisie, la duplicité. Spécificité antimonastique. Moyens : portrait-charge (termes dépréciatifs, contrepoint, caricature) , épisode de roman d’aventures, farce, jeux de mots et sous entendus. Le ton reste très léger. Prolongements : En aval : Réinvestissement demandé : établir un plan type bac sur la question initialement posée Outre la biographie citée, on peut lire : • A.G Raymond La genèse de Jacques le fataliste et • F. Pruner L’unité secrète de Jacques le fataliste, • voir le film de R. Bresson Les dames du bois de Boulogne à partir duquel j’ai proposé le T.D ci-dessous Travail dirigé : Les dames du bois de Boulogne de Robert Bresson, film de 1945 adaptant l'épisode de Madame de La Pommeraye et du Marquis des Arcis Présentation du film d’après le Dictionnaire du cinéma, éd. Larousse • Maria Casarès: Hélène (Madame de La Pommeraye) • Elina Labourdette : Agnès (Mlle d'Aisnon). Le cinéaste en est ici à son deuxième film. Artiste solitaire, inclassable, perfectionniste, pour qui il y a " deux sortes de films: ceux qui emploient les moyens du théâtre (acteurs, mise en scène, etc.) et se servent de la caméra afin de reproduire; ceux qui emploient les moyens du cinématographe et se servent de la caméra afin de "créer" . Le dialogue, littéraire, est de Jean Cocteau, les images dramatisées par les éclairages savants de Philippe Agostini. On trouve dans ce film !a thématique, fondamentale chez Bresson, chrétien janséniste, de la Page 3 rédemption : la grâce permet à certains êtres d' exception de trouver le rachat de leurs fautes. Connu pour être très exigeant avec ses acteurs, Bresson, aux dires de M. Casarès, leur faisait ici " boire fine sur fine pour venir bout de (leurs) nerfs ". Dans les films suivants, le réalisateur choisit ses acteurs parmi des non professionnels qu'il malmène jusqu’à obtenir d’eux la voix blanche et le ton monocorde qui sont sa marque de fabrique. Il adapte des écrivains tels que Dostoïevski, Tolstoï, Bernanos. D'autres films de Bresson 1962: Le procès de Jeanne d'Arc, 1966 : Au hasard Balthazar Questions: • Repérez ce qui disparaît ou change notablement dans la situation des personnages, les rapports entre eux. • En quoi notre regard sur Madame de La Pommeraye, sur Hélène, s’en trouve-t-il modifié? Page 4