Extrait du livre - Editions Ellipses
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■ QUELQUES REPÈRES POUR SITUER JACQUES LE FATALISTE DANS LA VIE ET L’ŒUVRE DE DIDEROT 1713 Naissance à Langres de Denis DIDEROT. 1715 Publication de Gil Blas de Santillane, roman picaresque de LESAGE. 1722 Naissance de son jeune frère Pierre, le futur chanoine avec qui le philosophe sera si souvent en conflit sur la religion. 1731 Publication des Mémoires d’un homme de qualité de l’abbé Prévost, d’où est extrait Manon Lescaut. 1742 Rencontre avec J.-J. ROUSSEAU au Café de la Régence. 1743 Mariage avec Angélique Champion. 1745 Rencontre avec D’Alembert et débuts de l’Encyclopédie, prévue pour être une simple traduction de la Cyclopaedia de l’anglais Chambers. 1748 Publication des Bijoux indiscrets, conte érotique, et de Zadig ou la Destinée de VOLTAIRE. 1749 Publication de la Lettre sur les aveugles, qui vaudra à Diderot un séjour en prison – Rencontre avec Grimm. 1753 Naissance de sa fille Marie-Angélique et publication d’un essai « De l’interprétation de la nature ». 1755 Rencontre avec Sophie Volland, avec qui Diderot entretiendra une longue correspondance. Rousseau écrit le Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes. 6 _____________________ Jacques le Fataliste _____________________ 1758 Brouille avec Rousseau et rédaction d’un Essai sur la poésie dramatique. 1759 Rédaction des premiers Salons, analyses de tableaux exposés par l’Académie royale de peinture, pour la Correspondance littéraire de Grimm et publication du Candide ou l’Optimisme de VOLTAIRE. 1760 Rédaction de La Religieuse (publiée seulement en 1796). 1762 Rédaction du Neveu de Rameau et de l’Éloge de Richardson. 1765 Lecture de Vie et opinions de Tristram Shandy, de Laurence STERNE. Rédaction de la première version de Jacques le Fataliste. Acquisition de la bibliothèque de Diderot avec tous ses manuscrits par Catherine II de Russie. 1767 Voltaire publie L’Ingénu. 1769 Rédaction du Rêve de D’Alembert (publié seulement en 1782). 1770 Rédaction des Deux amis de Bourbonne, de l’Entretien d’un père avec ses enfants, et d’Est-il bon, est-il méchant ?, un drame bourgeois qui ne sera publié qu’en 1834. 1772 Essai sur les femmes – Ceci n’est pas un conte. Rédaction du Supplément au Voyage de Bougainville, publié seulement en 1798. 1773 – 1774 Voyages à Saint-Pétersbourg, auprès de Catherine II. 1778 – 1780 Publication de Jacques le Fataliste en quinze livraisons mensuelles dans la Correspondance littéraire. 1784 Mort de Diderot, quelques mois après celle de Sophie VOLLAND. 1796 Publication posthume de Jacques le Fataliste. 40 QUESTIONS 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 Où en est Diderot au moment de la rédaction de Jacques le Fataliste ? Qui raconte quoi dans Jacques le Fataliste ? Quelle progression le texte suit-il ? Pourquoi Diderot choisit-il de commencer par des questions ? Quels sont les premiers personnages rencontrés par Jacques et son maître ? Quelle image du narrateur se dégage de ce début ? Quelle est, selon Jacques, l’origine de ses amours ? Quelle vision des médecins Diderot nous donne-t-il ici ? Quel objet très précieux à ses yeux le maître de Jacques perd-il ? À qui appartient le cheval racheté par Jacques ? Comment le personnage de Gousse trouve-t-il place dans le récit ? Qui est « l’homme qui raclait de la basse » ? Quel étrange équipage Jacques et son maître rencontrent-ils sur leur chemin ? Qu’arrive-t-il au Père Ange ? Quelle relation étonnante le capitaine de Jacques entretient-il avec son meilleur ami ? Qui est Nicole ? Qu’entend-on en arrière-plan du récit dans l’auberge du Grand Cerf ? Quel duo étonnant retarde le début du récit de l’hôtesse ? Quel stratagème la marquise de La Pommeraye met-elle en œuvre pour tester les sentiments de son mari ? Qui est Mlle Duquênoi ? Par quel truchement le marquis des Arcis confie-t-il ses sentiments à Mademoiselle d’Aisnon ? 8 _____________________ Jacques le Fataliste _____________________ 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 Comment le marquis des Arcis réagit-il à l’annonce de la supercherie dont il a été l’objet ? Quel est le sens de l’épisode de Madame de la Pommeraye ? Quelle est la portée de la dispute entre Jacques et son maître ? Qui est Denise ? Qu’est-ce que la fable de la gaine et du coutelet ? Quelle particularité narrative l’histoire du camarade du capitaine revêt-elle ? Comment fait-on connaissance du père Hudson, présenté comme le pendant masculin de Mme de la Pommeraye ? Pourquoi Jacques fait-il commencer le récit de son dépucelage à son baptême ? Qui sont dame Suzon et dame Marguerite ? Qu’est-ce qui conduit le maître à entreprendre l’histoire de ses propres amours ? Qui est Agathe ? Qui est le chevalier de Saint-Ouin ? Que représente l’emplâtre de Desglands ? Quel objet marque la fin des amours de Jacques ? Quel objet symbolique Jacques porte-t-il toujours avec lui ? Comment le récit principal s’achève-t-il ? Que devient l’auteur dans la fin du texte ? Quelle œuvre Diderot avoue-t-il avoir « plagié » dans la fin du texte ? Quelle forme particulière l’épilogue prend-il ? 40 RÉPONSES 1 OÙ EN EST DIDEROT AU MOMENT OÙ IL ÉCRIT JACQUES LE FATALISTE ? Il vient d’en finir avec l’entreprise de l’Encyclopédie qui l’a occupé depuis plus de quinze ans, et travaille à une série de contes, dont le Supplément au Voyage de Bougainville, lorsque la lecture d’un roman de Laurence Sterne lui inspire la première version de Jacques. Depuis plusieurs années déjà, Diderot réfléchit sur le théâtre et écrit lui-même des « drames bourgeois », forme à laquelle il donne ses lettres de noblesse. Ces pièces d’un genre nouveau trouvent place à ses yeux entre la tragédie et la comédie : le drame se présente comme le pendant dans la vie quotidienne des tragédies classiques qui, elles, mettaient en scène des rois et des héros selon les principes de la Poétique d’Aristote. Alliant la théorie et la pratique, il publie en 1757 Le Fils naturel et, la même année, les Entretiens sur le Fils naturel, en attendant d’autres textes à venir. Depuis 1759, il publie aussi pour la Correspondance littéraire des critiques de tableaux, à l’occasion des salons bisannuels de l’Académie royale de peinture et de sculpture : on y trouve trace de son enthousiasme pour la peinture très expressive de Jean-Baptiste GREUZE, ou la peinture des ruines d’Hubert ROBERT, pleine d’une sensibilité qui annonce le romantisme. De cette passion pour la peinture, Jacques se fera l’écho, notamment dans les grandes scènes pathétiques ou les tableaux de la vie quotidienne. Lecteur passionné des romans de Richardson, Diderot lit Pamela ou Clarisse Harlowe auxquels il fait allusion dans Jacques. Il s’interroge par ailleurs dans Ceci n’est pas un conte ou Deux amis de Bourbonne sur le rapport du roman au réel, et l’on peut dire avec Jacques SMIETANSKI, auteur d’un essai sur Le Réalisme dans Jacques 10 ___________________ Jacques le Fataliste _____________________ le Fataliste que, dans le sillage des romans de Marivaux, Diderot « invente » le réalisme près de cinquante ans avant que ne se développe le courant qui porte ce nom. Au croisement de toutes ces préoccupations, Jacques le Fataliste est sans doute aussi le reflet des doutes que traverse Diderot dans ces années 1760. Car, pour être amateur de peinture, de théâtre ou de contes, Diderot est aussi un philosophe engagé, depuis sa Lettre sur les aveugles, dans une réflexion métaphysique. Jacques lui fournit donc l’occasion de « mettre en roman » les grandes questions philosophiques dans lesquelles il se trouve engagé. Sur les questions de la liberté et de la morale, il est en effet pris dans une sorte de conflit entre son credo matérialiste et son humanisme personnel qui le pousse à croire en l’homme comme source de progrès. Sa correspondance traduit ce combat intérieur dans lequel il se débat : « J’enrage, écrit-il, d’être empêtré d’un diable de philosophie que mon esprit ne peut s’empêcher d’approuver ni mon cœur de démentir. » Son roman aura le mérite d’exposer les éléments du problème, à défaut de les résoudre entièrement. 2 QUI RACONTE QUOI DANS JACQUES LE FATALISTE ? Polyphonique à plus d’un titre, le texte est réparti entre cinq instances narratives qui passent tour à tour du statut de personnage à celui de narrateur : Jacques, son maître, l’hôtesse de l’auberge du Grand Cerf, et le marquis des Arcis prennent ainsi le relais de l’auteur pour une part du récit. Fidèle à la forme qu’il a déjà choisie pour ses ouvrages philosophiques, Le Rêve de d’Alembert ou la Lettre sur les aveugles, par exemple, ou dans ses contes, comme le Supplément au Voyage de Bougainville composé à peu près dans la même période, Diderot opte une nouvelle fois pour une ligne générale qui est celle d’un dialogue où les personnages sont à tour de rôle narrateur ou auditeur. Mais ici, un narrateur principal accompagne le lecteur tout au long du texte, lui prêtant même à son tour la parole, dialoguant directement avec lui dans ce que l’on peut considérer comme un premier niveau de narration. Le cadre général du récit, qui est celui du voyage de Jacques et son maître, est ainsi pris en charge par une _________________________ 40 réponses ______________________ 11 voix qui se présente, dans les trois quarts du texte au moins, comme celle de l’auteur. C’est lui qui, du début à la fin, nous raconte les événements vécus et les propos échangés par Jacques et son maître. Refusant la facilité du rôle habituellement tenu par le romancier, il commente, juge, s’indigne de l’attitude de son « lecteur », qui manifeste souvent une grande naïveté et une certaine forme d’exigence que l’auteur récuse. Au cours de leur voyage, Jacques, le valet fataliste, est invité par son maître à lui raconter pour le distraire l’histoire de ses amours, de la blessure dont il fait le point de départ de toute son aventure jusqu’à la scène d’amour entre Jacques et Denise. Ce sera l’objet de l’essentiel des propos de celui-ci dans toute la première partie, jusqu’à l’arrivée à l’auberge du Grand Cerf. Là, l’hôtesse qui les accueille se charge de les faire patienter en leur racontant l’histoire de l’un des autres voyageurs bloqué là, comme eux, jusqu’au retour de conditions climatiques plus favorables au voyage : cet homme est le marquis des Arcis, héros malheureux de l’histoire de Madame de la Pommeraye, épisode traduit par Schiller dès 1776 et publié de façon séparée sous le titre : Une vengeance de femme. Au départ de l’auberge, l’homme et son secrétaire font route avec Jacques et son maître. La discussion s’engage sur le passé de cet étrange jeune homme, qui fait l’objet des supputations des deux hommes. C’est alors au tour du marquis de prendre la parole pour raconter l’histoire de Richard, son « secrétaire », et du père Hudson. La dernière partie du texte voit la conversation se partager, au gré des humeurs des deux protagonistes, entre la fin du récit des amours de Jacques et celles de son maître lui-même, qui vient au secours du valet philosophe régulièrement empêché de parler par « un violent mal de gorge ». Cinq voix différentes, et bien davantage de récits encore, chacun des narrateurs d’un moment multipliant digressions et récits supplémentaires : on voit combien il est aisé de se perdre dans le labyrinthe des quelque vingt histoires, mettant en scène une soixantaine de personnages, racontées de façon plus ou moins développée, sans parler des multiples commentaires et discussions qui accompagnent chacune d’elles. On mesure l’intérêt de bien 12 ___________________ Jacques le Fataliste _____________________ prendre en compte la voix narrative pour tenter d’y voir clair dans ce foisonnement de récits. 3 QUELLE PROGRESSION LE TEXTE SUIT-IL ? Derrière l’apparent désordre, sciemment créé par Diderot et renforcé par les ajouts nombreux entre le texte de 1763 et la version de 1796, il est possible de suivre dans l’œuvre une chronologie qui s’appuie sur une division en huit journées. Si l’on prend pour fil conducteur le voyage de Jacques et son maître, le récit se déroule selon une progression relativement simple : on peut distinguer dans le texte huit journées consécutives, couvrant chacune un nombre de pages extrêmement variable, selon l’importance des récits qu’on y trouve. La première journée, saisie « en cours de route » par le lecteur, s’achève dès la page 45, soit au bout de deux pages seulement, et la tombée du jour contraint les deux personnages à passer la nuit « au milieu des champs ». La seconde journée est occupée par le début du récit des amours de Jacques, ponctué par la rencontre avec le médecin et sa compagne, et s’achève dans « la plus misérable des auberges » (p. 51), où « on leur apport[e] de l’eau de mare, du pain noir et du vin tourné ». La troisième journée, qui débute par la fuite de Jacques et son maître, permet d’entendre la suite des aventures de Jacques chez les paysans et, interrompue par un orage, s’achève à la page 67 « dans un château immense au frontispice duquel il était écrit : je n’appartiens à personne et j’appartiens à tout le monde. » À l’intérieur, se trouvent « une vingtaine de vauriens qui s’étaient emparés des plus somptueux appartements où ils se trouvaient presque toujours à l’étroit ». La quatrième journée est marquée par l’épisode du cheval récalcitrant, la blessure à la tête de Jacques, et se termine dans la chambre d’une auberge beaucoup plus sympathique que la précédente, où Jacques est veillé et soigné par son maître, et où il lui est possible d’acheter un nouveau cheval (p. 117). La cinquième journée conduit les deux voyageurs jusqu’à l’auberge du Grand Cerf, où une hôtesse tout à fait accorte leur