Partie 4
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Partie 4
Table ronde animée par Élisabeth Nonnon Avant les journées d’étude, les participants à la table ronde avaient reçu un questionnaire préalable destiné à cadrer leur intervention. Pour la bonne compréhension des travaux, l’éditeur donne ci-dessous le texte du questionnaire. Questionnaire remis aux participants 1) L’aide à l’invention dans la classe : – Quelles sont, selon vous, les caractéristiques des dispositifs mis en œuvre en classe dans votre discipline pour susciter l’invention chez les élèves ? discipline ? 2) Quelles compétences développer chez les enseignants pour aider à l’invention ? – Qu’est-ce que cela suppose chez les enseignants et chez les intervenants comme compétences professionnelles : l pour préparer : comme manière de concevoir et préparer ses séquences, rassembler sa documentation, choisir ses supports ? l pour accompagner : comment socialiser et gérer la diversité des productions et les différences entre élèves ? l comment articuler les connaissances à acquérir et les démarches d’invention individuelles ? l pour évaluer les apprentissages : comment évaluer des productions divergentes ? l pour collaborer dans la durée avec des partenaires extérieurs à l’école ? – Y a-t-il des connexions entre une pratique personnelle d’invention de l’enseignant et les formes d’invention qu’il propose à ses élèves ? Lesquelles ? Sont-elles nécessaires ? Sur quels points cette pratique personnelle peut-elle jouer un rôle ? 3) Quelles compétences de formateurs et quels modes de formation ? – Comment former à une évaluation de productions divergentes, à des programmations non linéaires, à la confection de lanceurs et de situations-problèmes, au soutien des démarches individuelles, etc. ? Quels modes de formation ? – Les réticences des enseignants à ces formes de travail, en classe et dans les formations. Comment les analyser ? Quels problèmes cela pose-t-il à la formation ? Écrire en stage pour (se) former Jeanne-Antide Huynh, IUFM Paris, revue Le Français aujourd’hui L es pratiques et analyses antérieures, si elles ne peuvent tenir lieu de un contexte nouveau. Quelques pratiques récentes en formation continue, dans le cadre des nouveaux enseignements-apprentissages de l’écriture, fondent également le propos de Jeanne-Antide Huynh. La question de la formation à l’écriture d’invention se pose depuis peu avec les nouveaux programmes du lycée, mais peut-on parler, à ce sujet, de radicale nouveauté dans le domaine de la formation des enseignants ? Des stages d’écriture étaient proposés dans le cadre des MAFPEN, avec des objectifs variés et des succès divers alors que l’écriture d’invention n’était pas au programme, et que la formation pour le second degré accordait une place nettement plus importante à la didactique de la lecture qu’à celle de l’écriture. Dans les années quatre-vingt, quelques articles 1 ont rendu compte des interactions entre la formation des enseignants et une pratique personnelle de l’écriture, essentiellement sous forme d’ateliers d’écriture, et surtout de l’intérêt qu’elles suscitaient. Dans mon propos, je partirai de l’importance, voire de la nécessité pour les enseignants de faire en stage l’expérience de l’écriture pour former les élèves à sur les pratiques d’écriture personnelle s’inscrit dans le cadre plus général de la formation à la didactique de l’écriture et de la formation professionnelle des enseignants de français. En effet, ces démarches de formation continue en écriture peuvent être transposées, totalement ou en partie, en formation initiale où beaucoup reste à faire, en ce domaine. Par ailleurs, le choix de l’écriture d’invention me conduit à situer mon propos dans le cadre du lycée, sans l’y enfermer strictement. Il s’agit peu hâtives que l’on voit poindre – écriture d’invention au collège – et surtout de littérature n’est pas sans conséquences sur les conceptions et pratiques de l’écriture. 1. Voir notes p. 129. 120 Écriture et invention Nouveauté et déplacements L’écriture d’invention peut être considérée comme une résurgence du courant lié aux ateliers d’écriture, qui n’a cessé d’alimenter, à la marge, les pratiques de classe, depuis une vingtaine d’années, au gré des choix et des goûts personnels l’écriture d’invention comme une nouveauté dans le champ des activités d’écriture scolaire au lycée. Par là même, je mets entre parenthèses l’hypothèse qu’elle puisse être un avatar des exercices rhétoriques du début du siècle ou des rédactions et autres activités d’expression qui ont suivi. Cette nouveauté se traduit dans la formation des enseignants de lycée à l’écriture. On peut signaler quelques déplacements essentiels : – Déplacement dans le contexte de formation : avec la réforme, il devrait y avoir généralisation de pratiques globalement considérées jusqu’à maintenant comme innovantes et relativement marginales. La mise en situation d’écriture personnelle en stage ne devrait plus seulement concerner les « militants » de l’écriture ou les amateurs d’écriture pour soi et les élèves, mais tous les enseignants, ce qui change la donne. – Déplacement dans les représentations de l’écriture, largement partagées par les enseignants de français au lycée : de l’écriture littéraire, solitaire, intime, ou non. Ce déplacement est d’autant plus important et déstabilisant que la littérature et l’écriture littéraire sont au cœur des enseignements du lycée dont – Déplacement dans les pratiques d’ateliers d’écriture qui servent de référence aux stages d’écriture : un dispositif d’écriture semblable mais des enjeux et des Ce déplacement ne doit pas se faire au détriment de l’expérience personnelle de l’écriture qui demeure primordiale et qui fonde l’approche didactique. Une pratique personnelle de l’écriture : fausse piste ou unique solution ? Proposer une pratique personnelle de l’écriture dans le but de former des élèves ne va pas de soi. Tout d’abord, de manière générale, poser la pratique personnelle comme condition nécessaire pour réussir dans la mise en place de pratiques d’apprentissage à destination d’autrui est discutable. Ainsi, les enseignants de français peuvent estimer que la pratique de l’écriture ne relève pas de leur avertis des problèmes qu’elles posent. Ensuite, les peurs, à la mesure de la prise de risque, nourrissent les résistances à ces mises en situation d’engagement personnel Écrire en stage pour (se) former 121 dans l’activité. Bien que légitimes et à respecter, ce sont des obstacles qu’il faut travailler à dépasser pour construire de nouvelles compétences qui pourraient constituer une dimension importante de la professionnalité des enseignants de français. Dans les stages d’écriture, les enseignants attestent généralement que la pratiques d’enseignement de l’écriture. L’activité d’écriture vécue est comprise « de l’intérieur » et de là se transmet mieux, ou avec moins d’ a priori, de normes établies. La nécessité professionnelle d’une formation à l’écriture d’invention qui passe par la pratique personnelle se fonde sur au moins une bonne raison : l’écriture d’invention est absente de la formation initiale, universitaire et même lycéenne des enseignants, contrairement aux exercices de la dissertation et du commentaire. Les enseignants continuent de pratiquer ces formes scolaires d’écriture dans la cadre professionnel lors des corrigés de devoirs qu’ils font ou adaptent, si l’on veut bien admettre que leurs activités d’écriture ne se limitent pas à l’annotation des copies. Rien de tel pour l’écriture d’invention, sauf cas particulier de l’enseignant Elisabeth Bing qui évoquait, il y a des années, la responsabilité des enseignants en la matière : « Il semblerait qu’il s’agit presque ici d’une question d’éthique. Faire écrire sans écrire soi-même revient un peu à envoyer des gens qui ne savent pas nager à l’eau, sans être capable d’aller les rechercher2. » Le propos peut apparaître Faire l’expérience d’un dispositif d’atelier d’écriture Cette expérience est essentielle pour éprouver le fonctionnement de l’écriture, pour questionner l’écriture tout en la pratiquant. L’écriture partagée Le stage d’écriture tel que je le conçois et le pratique se fonde sur un dispositif fréquemment mis en œuvre dans les ateliers d’écriture 3. Ce dispositif est centré sur l’écriture à partir de consignes (en atelier d’écriture, on parle plutôt de « contraintes », de « déclencheurs », de « propositions ») et sur l’écriture partagée. Les écrits produits plaisirs rencontrés, stratégies adoptées...), les participants interviennent également, suite à la lecture, faisant état de leur réception de l’écrit produit, échangeant à partir de leur propre expérience d’écriture. Des lectures extérieures peuvent être proposées, pour lancer l’écriture ou pour prolonger les discussions. Il peut y avoir alternance d’écriture individuelle et d’écriture à plusieurs. Ce dispositif, fondé sur le partage de l’écriture, ne se conçoit pas sans précautions, de règles qui permettent l’engagement du sujet en le préservant : liberté d’écrire ou de lire, accueil de toute écriture, écoute, aucune remarque critique sans empathie... 122 Écriture et invention La dimension collective de l’écriture provoque le plus souvent des moments de plaisir indéniables, des moments de mise en valeur de soi qui motivent et aident donne des pistes pour aménager les manières de faire habituelles. Se connaître dans ses démarches d’écriture Ce dispositif permet de faire une double expérience : l’expérience de l’exploration de sa propre écriture et l’expérience de la dimension pragmatique de l’écriture qui sont essentielles dans la perspective des apprentissages pour les élèves. La découverte de sa propre écriture s’opère dans la pratique de l’écriture et rédactionnels, les raisons de la réussite ou de l’échec, les opérations de correction ou de réécriture peuvent être considérés. Les discours tenus sur « son » écriture par les autres participants favorisent également l’exploration de ce qui constitue sa manière d’écrire, de réagir à une consigne. La découverte de sa propre écriture se fait également à partir des autres écrits produits qui fonctionnent comme autant de miroirs de sa propre écriture quand il s’avère que d’autres choix étaient possibles, que des options non envisagées ont été prises. La diversité des démarches et des productions, dans un même cadre de réalisation, surprend et questionne des dispositif est qu’il conduit nécessairement à mettre en perspective et en cause ses représentations. En effet, la socialisation des écrits, les temps de lecture, les espaces de discussions permettent de faire l’expérience de l’altérité des écritures et de mesurer à quel point chacun se rapporte à son propre système d’écriture, adapte sa théorie de l’écriture à l’expérience qu’il en a ou qu’il en fait, et en conséquence interprète les écrits des autres au regard de son ensemble de références. Le stage de penser l’écriture juxtaposés et qui s’ignorent le plus souvent dans la pratique professionnelle. Une clé du fonctionnement de l’écriture : la mise en scène énonciative Le dispositif d’atelier, qui fait pratiquer l’écriture dans un groupe où elle se communique immédiatement, favorise l’expérience de la dimension pragmatique de l’écriture et de la nécessaire construction de l’autre, cible constitutive de l’écriture. La subjectivité qui s’énonce dans l’écrit produit se construit dans l’interaction avec le groupe qui va être le récepteur de l’écrit. En effet, les destinataires concrets de l’écrit sont présents (même s’il y a d’autres destinataires virtuels liés à la consigne) et donc jouent un rôle – plus ou moins consciemment pour le scripteur – dans l’élaboration de la visée de l’écrit et souvent dans le choix du registre. Écrire dans et pour un public de pairs donne la possibilité de mesurer immédiatement les effets (désirés ou subis) de son écriture, amène à se positionner, à faire des choix d’écriture qui participent de l’identité que l’on veut donner à saisir à un Écrire en stage pour (se) former 123 auditoire que l’on se construit. Le stage d’écriture est un lieu privilégié pour mettre en scène l’énonciation, dans les écrits et dans leur communication. Cette expérience est essentielle dans la perspective des apprentissages des élèves. En effet, l’écriture d’invention met au premier plan la prise en compte ou la construction d’une situation d’énonciation, suppose que l’expression de la subjectivité se coule et s’épanouisse dans le cadre de cette énonciation. Les formes d’écriture scolaire (qui ne se pratiquent qu’à l’école, dans une communication fermée élève-professeur) ne sollicitent pas aussi nettement l’apprentissage d’un énonciateur construit, un « je » ou un « il » qui participe du « moi » sans s’y aliéner , en interaction avec un destinataire précis (« Vous êtes un poète, vous écrivez à votre éditeur ... »). Des mises en situation d’écriture en classe, similaires à celles du stage d’écriture peuvent contribuer à l’apprentissage des savoir-faire essentiels de l’écriture. De l’atelier d’écriture au stage d’écriture Ce dispositif d’atelier d’écriture « subit » quelques adaptations pour satisfaire aux exigences de formation professionnelle des enseignants. Les préoccupations didactiques y sont centrales, les approches théoriques incontournables. De ce fait les équilibres sont délicats à tenir car l’expérience personnelle de l’écriture qui demeure primordiale et qui fonde l’approche didactique doit être préservée. Les principales transformations concernent le choix des activités d’écriture, proches de celles qui pourraient être proposées aux élèves, dans le cadre des programmes sur plusieurs plans. Tout d’abord, les savoirs théoriques aident à creuser ses intuitions, à formuler des hypothèses, à mettre des mots sur le vécu, le ressenti, à formaliser l’expérience, à construire des problématiques. Au plan didactique, sont abordés explicitement les théories de référence, les questions de transposition didactique, le transfert du stage à la classe. Toutefois, là aussi, il est fondamental de vécu de l’écriture. Les références aux auteurs, à la littérature, par le biais de lectures, ou de souvenirs, contribuent également à construire un étayage théorique qui ne soit ni coupé, ni vidé de sa substance, ce qui est essentiel pour des professeurs de lycée, fortement attachés à la dimension littéraire de l’enseignement. En formation, la notion de réécriture et la question de l’évaluation sont également plus centrales que dans les ateliers d’écriture, en général, et davantage considérées dans l’optique de l’enseignement-apprentissage. De manière générale, la mise à distance critique et théorique ne doit obérer ni les démarches pragmatiques ni les prises de risque ni l’esprit ludique, qui caractérisent les ateliers d’écriture. Autant de composantes à ne Du stage d’écriture à la classe Il n’y a pas de correspondance stricte entre l’écriture en formation et l’écriture en classe. Mais, certaines dimensions du dispositif et des démarches induites sont transférables aux apprentissages et à l’accompagnement de l’écriture des élèves. 124 Écriture et invention base d’expérience avec leurs élèves, pour l’essentiel, l’esprit dans lequel l’écriture est pratiquée, les propositions d’écriture, les temps d’écriture collective, en classe, associés aux temps de lecture des productions et surtout l’espace ménagé à la l’écriture. Ces choix déplacent les habitudes ou les rituels bien installés, écriture à la maison, solitaire, communiquée généralement dans un huis clos professeur-élève, commentée dans un échange à sens unique où l’élève lit les annotations de la copie... Il apparaît qu’il est moins important de dresser les élèves à des savoir-faire mécaniques que d’offrir un espace à l’exercice de la pensée sur l’écriture et les écrits, espace interactif qui permet l’autoformation et la formation mutuelle, et qui manque trop souvent aux élèves pour se construire de réelles compétences d’écriture. La dialectique permanente qui doit s’instaurer entre l’activité d’écriture, les échanges la classe. Mais il est incontestable que dans le quotidien de la classe, les obstacles (nombre des élèves, fragmentation des horaires...) sont sérieux, voire rédhibitoires pour les enseignants qui se lancent dans la mise en place de telles pratiques. Faire l’expérience de différentes postures dans l’écriture Faire l’expérience personnelle de l’écriture en situation de formation permet de construire un rapport à l’écriture, actif et critique, qui ne sépare pas l’activité dimension, une affaire de posture, de rapport à l’écriture plutôt que de compétences particulières à acquérir dans les savoir-faire de l’écriture. Les situations d’écriture proposées donnent la possibilité d’explorer une grande diversité de postures d’écriture. Certaines consignes d’écriture sollicitent davantage telle ou telle posture mais, dans l’ensemble, elles sont toutes convoquées : – Posture de la personne, du sujet scripteur, avec une mise en jeu et une mise en scène des affects, des sentiments, du vécu dans le discours produit. L’histoire personnelle avec l’écriture trouve souvent à s’exprimer ici également. L’enseignant fait l’expérience des différentes strates autobiographiques inscrites dans toute écriture. Cette posture fait souvent prendre conscience de la tendance à généraliser ou à attribuer à autrui ses propres procédures d’écriture et ses conceptions personnelles du travail de l’écriture. – Posture de l’écrivain, avec son savoir-faire littéraire, artistique ou artisanal. C’est la posture légitimée de celui qui non seulement s’autorise à écrire, mais aussi s’octroie le pouvoir d’écrire, et le revendique. – Postures de lecteur : l lecteur potentiel visé, construit dans l’écriture, lecteur de soi-même qui, au fabriqué, Écrire en stage pour (se) former l l 125 lecteur littéraire également, au regard averti qui fait de nombreux détours par la « bibliothèque » pour guider sa production, pour l’interpréter dans le jeu de l’intertexte, lecteur des autres participants au stage, cherchant à repérer ce qui plaît, les potentialités des écrits, apprenant à lire autrement... Ces postures d’écriture interfèrent avec les postures de l’enseignant, différentes, du fait de l’implication personnelle, de celles en surplomb ou en marge qui caractérisent la conduite des apprentissages dans la classe : – Posture du théoricien du texte, des discours et de l’écriture : l’enseignant de français, dans cette situation d’écriture, convoque naturellement les théories qui lui sont familières, qu’il enseigne et auxquelles il s’est référé plus ou moins consciemment pour écrire (par exemple, la narratologie, la théorie du discours argumentatif, les théories énonciatives...) mais il les met doublement à l’épreuve de l’écriture qui s’en joue souvent et des approches autres qui s’expriment dans l’atelier. Il fait l’expérience des écarts entre théorie et production, il réexamine la théorie dans le concret de la réalisation. – Posture du didacticien, ou de l’enseignant de production écrite qui se pose dans ces situations d’écriture la question des élèves (mais moins sous l’angle de l’enseignement que sous l’angle des problèmes d’écriture que rencontrent les élèves, des aides à leur apporter, des détours à imaginer pour les faire réussir dans l’écriture). Cette posture fait également aborder la question de l’invention de propositions d’écriture pertinentes. – Posture de l’évaluateur qui accorde un prix, une valeur, à telle ou telle forme d’écriture, en sous-estime d’autres, qui assume une part de subjectivité tout en objectivant ce qui peut l’être (respect de la consigne, critères formels...). Cette posture en situation d’écriture conduit généralement à problématiser l’évaluation, à discuter les faciles et fausses évidences des démarches et critères d’évaluation : il n’est pas rare, en effet, de préférer la production singulière et divergente d’un participant à des productions irréprochables du point de vue de la consigne d’écriture. – Posture de l’élève confronté à une consigne d’écriture. C’est une posture qui scolaire. En stage d’écriture, l’enseignant fait l’expérience renouvelée de situations dans lesquelles il met fréquemment les élèves, et de toutes les contraintes qui s’y attachent : nature et respect de la consigne, écriture « sur commande », marge de liberté ou de transgression autorisée... L ’activité de production écrite avec consigne, quasiment naturalisée en situation de classe, perd dans la pratique d’écriture en stage son caractère d’évidence et se transforme en problèmes à résoudre. Cette expérience de la variation des places occupées dans l’activité d’écriture élèves si l’on se place dans la perspective des apprentissages. Ces différentes 126 Écriture et invention sous cet angle de la posture à prendre ou à tenir : quelle place occupe l’élève dans l’écriture, n’occupe-t-il pas, ne s’autorise-t-il pas à occuper, ne peut-il occuper qu’imparfaitement ou dans l’inconfort et l’insécurité, en situation d’apprentissage ? de l’enseignant : quelles postures sont inhibées dans les pratiques traditionnelles d’écriture scolaire ? Quelles postures sont à encourager ? Quelles consignes peuvent en favoriser la prise de conscience ? Faire l’expérience de l’écriture d’invention L’expérience de l’écriture d’invention passe essentiellement par les consignes d’écriture. Elles ont la particularité de pouvoir être proches voire analogues à celles qui pourraient être proposées à des élèves. En effet, les compétences scripturales des élèves de lycée – hormis en matière de langue – ne sont pas globalement très éloignées de celles des professeurs (toutes choses égales par ailleurs, évidemment) ce qui n’est pas le cas pour le collège ou l’école primaire. Seules les conditions de et son déroulement resserré dans le temps. Les consignes sont de nature à permettre, 4 les dimensions essentielles de l’écriture d’invention, du moins celles qui apparaissent comme telles, actuellement, à l’échelle de la courte expérience que nous en avons, depuis la mise en place de la réforme. L’écriture d’invention se constitue, dans le cadre des nouveaux programmes, autour de problématiques centrales concernant les genres et les registres, les discours et leurs combinaisons, la mise en scène énonciative et la priorité accordée à l’argumentation. Je ne développerai pas avec précision 5, mais je me contenterai de souligner quelques faits saillants 6. L’écriture d’invention est nettement caractérisée par les genres privilégiant l’argumentation, et le choix de registres appropriés à communiquer une vision du mises en chantier, des propositions nouvelles en stage d’écriture, comme le dialogue argumentatif (théâtral ou romanesque) selon un registre ironique ou tragique, le monologue délibératif, la lettre polémique... L’invention ne se limite pas à la recherche des idées ou du contenu (l’inventio), elle est sollicitée dans chacune des dimensions de l’écriture, et en particulier dans la forme des genres. D’une manière générale, les genres permettent une approche guidée et structurée de l’écriture, les codes qui les constituent, respectés ou transgressés, donnent des repères pour l’écriture comme pour l’évaluation. Par ailleurs, travailler du point de vue des pôles de l’argumentation (démontrer, convaincre, persuader) permet de décliner des écrits Écrire en stage pour (se) former 127 et progressives par l’écriture des notions de genre, discours et registre et d’imaginer des consignes qui prennent en écharpe les étapes de la production écrite. Comment faire écrire, par exemple, l’éloge ou le blâme de la savonnette, en construisant des apprentissages et donc en ne se contentant pas d’énoncer une consigne (comme le font de nombreux manuels) ? La production visée doit mettre en œuvre un réel travail d’écriture : description, objective et/ou subjective de l’objet, réécriture du procéder par étapes, ou par angles d’attaque successifs. Mais d’autres stratégies sont possibles. argumentative. C’est le risque si l’on ne considère, pour la formation des enseignants, que les écrits d’invention du baccalauréat. Or, l’écriture d’invention dans les programmes ne se limite pas aux écrits argumentatifs, le narratif est central en de nouvelles, souvent pratiquée par le passé dans des ateliers d’écriture, se prête bien aux expériences d’écriture collective, de nombreuses démarches ont déjà été expérimentées. L’écriture des genres poétiques, dans la tradition, dès l’origine, des ateliers d’écriture est également formatrice. Il est fondamental de ne pas s’enfermer dans le « tout argumentatif », de ne pas cliver les approches génériques. Certains genres, comme la fable par exemple, ressortissent à l’argumentation indirecte où le récit est central. Par ailleurs, les contenus thématiques varient selon les genres, et dans la perspective des élèves c’est une dimension importante : l’investissement personnel de chacun nécessite des entrées variées, des pistes d’écriture multiples. Et en dehors de ces considérations purement scolaires, comment concevoir une formation à l’écriture qui ne prenne en compte que certains pans de la production écrite, à l’exclusion d’autres, quand, de surcroît, l’écriture contemporaine se caractérise souvent par le mélange des genres ? Il y a fort à parier que c’est sur ces apprentissages des discours, genres et registres séparés et combinés que reposent les réelles possibilités d’invention dans l’écriture, invention procédant de choix conscients et pertinents parmi de multiples ressources, évitant ainsi l’écueil des exercices rhétoriques convenus, vides de sens et de soi. La mise en scène énonciative est également une dimension essentielle de l’écriture elle fait inventer des rôles dans l’écriture (par exemple, un poète qui écrit à son éditeur) qui se superposent à ceux qui sont mis en œuvre dans la situation scolaire d’écriture (copie de l’élève à l’enseignant). Ces places occupées sont constitutives de l’écriture d’invention qui offre ainsi au scripteur des occasions de se construire et de se démultiplier dans l’écriture à travers la pluralité des subjectivités à imaginer et à faire exister verbalement. 128 Écriture et invention Le travail de la langue, outre la question de la correction, est également fondamental. Les procédés stylistiques propres à certains genres et discours sont ne fait guère de doute. L’enseignant a-t-il d’autre choix que celui de produire lui-même un écrit d’invention, assumé comme tel ? Et dans cette hypothèse, le passage par une pratique personnelle de l’écriture d’invention en stage n’est-il pas indispensable ? L’écriture comme espace de paradoxes et champ de tensions Faire l’expérience de l’écriture d’invention en stage, c’est aussi rencontrer, dans un contexte particulier, des problématiques d’écriture plus générales comme celles de la liberté et de la contrainte, de l’originalité et du stéréotype, de l’acceptation de la norme et de son refus, du littéraire et du non-littéraire. Quelques remarques seulement à ce propos. La notion d’invention, dans le contexte de l’écriture au lycée et dans le contexte plus général des nouveaux programmes, est encore une notion à construire et donc une notion accueillante et paradoxale. L’écriture d’invention est tantôt restreinte à l’inventio, tantôt assimilée à la créativité et à l’originalité de l’expression, tantôt accusée de modernité factice, tantôt enfermée dans les exercices rhétoriques du passé, vidés de sens... Ces représentations sont exprimées et questionnées pendant le stage. Pourquoi n’y terme, à travers les pratiques des enseignants et des élèves ? Par ailleurs, l’écriture d’invention rend incontournable la question des stéréotypes de genre, de langue... et fait interroger les marques de l’originalité dans l’écriture. C’est une question centrale, déjà explorée, mais peu exploitée, qui (re)trouve, dans ce cadre, son plein intérêt 7. Les stéréotypies à l’œuvre dans l’écriture alimentent les débats concernant l’évaluation, en positif (règles du genre, personnages emblématiques et motifs constitutifs...), comme en négatif (scènes et personnages convenus, clichés langagiers). théorique, fait rencontrer les contraintes de codes, l’histoire des formes, l’histoire littéraire mais aussi le débat sur le littéraire. Pourquoi parle-t-on de genre littéraire ? Qu’est-ce qu’un genre non littéraire ? Quand un genre paralittéraire devient-il littéraire ? L’écriture des genres de la presse, de l’épistolaire, par exemple, permet des discussions et des analyses qui font rencontrer ces questions et ouvrent des possibles d’écriture : littéraire, non littéraire, aux frontières... Cette mise en perspective de l’écriture littéraire est fondamentale dans la visée des apprentissages des élèves. La langue se trouve, elle aussi, au carrefour d’interrogations multiples. La correction de la langue est requise mais dans quelles limites ? Que faire de la volontaire de l’auteur ? Le travail de l’expression, la recherche au plus juste de sa Écrire en stage pour (se) former 129 manière de dire le monde relève-t-elle du littéraire, du style, ou bien « simplement » la question de savoir si l’on reconnaît la possibilité de faire l’expérience du littéraire hors de son milieu d’origine et d’exercice, à travers des écrits sollicités par une conception habituelle de la création littéraire. Faire l’expérience de l’écriture d’invention en stage permet d’aborder par la construire en objets didactiques, en contenus et en situations de formation pour les élèves qui sont l’enjeu principal de la formation professionnelle des enseignants en matière d’écriture. Toutefois, la situation institutionnelle actuelle de la formation continue ne laisse pas présager un accompagnement qui tire le meilleur parti des potentialités de la réforme en français et qui aide à saisir l’occasion d’une véritable mutation dans les pratiques d’écriture au lycée. 1. J-A. H et M. Le B , “Les Ateliers d’écriture font tache d’encre”, in “Le Français aujourd’hui”, no 64, décembre 1983. C. G -D in “De l’usage d’ateliers d’écriture en formation d’enseignants de français”, in Pratiques, no 61, mars 1989. 2. É. B Le Français aujourd’hui, no 64, décembre 1983. 3. Il en existe de nombreuses formes, dans la lignée des ateliers fondateurs de Élisabeth B , Claudette O -Boyer, R , l’Oulipo... mais ils ont en commun, en général, ce dispositif de base. 4. Quand le plan de formation le permet, trois jours de stage et deux jours de retour après “expérimentation” ou mise en œuvre dans la classe. 5. Voir J-A. H , “L’Invention dans l’argumentation au lycée”, in Le Français aujourd’hui, no 127, septembre 1999. 6. En choisissant de ne pas aborder ici la question complexe de la formation à l’évaluation de , “Réécrire des nouvelles d’élèves pour se former à l’évaluation de l’écriture d’invention”, in Le Français aujourd’hui, no 36, janvier 2002. 7. J-A. H ., “Lorsque leurs regards se croisèrent... Stéréotypes, écritures, lectures au second cycle”, in Le Français aujourd’hui, no 93, mars 1991. J-A. H , “Les Enjeux des ateliers d’écriture dans les pratiques et la formation des enseignants”, in Premières rencontres nationales des ateliers d’écriture (interventions et actes), Aix-en-Provence, février 1993 et Paris, Retz, 1994. “Nous écrivons, vous écrivez...”, in Le Français aujourd’hui, no 64, décembre 1983. “...Ils (ou Elles) écrivent”, in Le Français aujourd’hui, no 65, mars 1984. “Concevoir, écrire”, in Le Français aujourd’hui, no 93, mars 1991. “Écritures créatives”, in Le Français aujourd’hui, no 127, septembre 1999. Éducation musicale et invention Marie-France Leclercq, IUFM Nord – Pas-de-Calais L Compléments aux programmes et instructions du 15 mai 1985 comprennent deux chapitres dont voici les titres : « 1. La progressivité des apprentissages dans chacun des domaines de l’éducation musicale » et « 2. L’improvisation, l’expression et la création ». Cette présence forte est le résultat de recherches sur « la pédagogie d’éveil dans les activités esthétiques » menées à l’Institut national de recherches pédagogiques (INRP) par Angélique Fulin et un groupe de musiciens, interprètes, compositeurs, pédagogues, proches de l’INA-GRM (Institut national de l’audiovisuel, groupe de recherches musicales) dont le père fondateur et nourricier est Pierre Schaeffer). De nombreux écrits ou documents, destinés aux enseignants de l’école primaire, accompagnent cette mouvance : la pédagogie d’éveil, titre du premier numéro de la revue de l’INA-GRM parue en 1976, L’Enfant, la musique et l’école d’Angélique Fulin (1977), Le Geste musical de Claire Renard (1982), L’Enfant du sonore au musical d’Élisabeth Dumaurier (1982), La Musique est un jeu d’enfant de François Delalande (1984), et surtout l’émission radiophonique L’Oreille en Colimaçon. présence des activités créatives à l’école. Mais la présentation en deux chapitres distincts, séparant la « progressivité des apprentissages » de « l’improvisation, l’expression et la création » marquerait-elle L’Éducation artistique à l’école est distribué dans toutes les écoles en 1993. Il concerne les arts plastiques, le théâtre et la musique. La partie consacrée à la musique propose une démarche articulant très fortement l’activité d’écoute à celle de production qui, d’imitative, doit devenir inventive. La plupart des œuvres-références sont choisies dans la musique contemporaine. Est-ce pour cette raison que trop souvent le document dort au fond des armoires ? La musique contemporaine produit généralement un effet de répulsion sur un public adulte familier du répertoire de variétés ou des « grandes œuvres », fondé sur le système tonal. Les privant des repères auditifs familiers, elle étonne, angoisse, déplaît. Pourtant, elle offre un champ d’investigation plus vaste et plus facile à « préhender » : l’élargissement de la notion de timbre, théorisée par le Traité des objets musicaux monde sonore de notre environnement familier. Si l’adulte a les oreilles et l’esprit révulsés, le jeune enfant, lui, jubile à découvrir les Bocalises (Denis Dufour 1977) ou Les Variations pour une porte et un soupir (Pierre Henry, 1962). Il s’empresse 132 Écriture et invention d’imiter puis suit son imagination créative. Mais seuls quelques aventureux ont pu le constater. Les pratiques créatives sont restées marginales, parce que singulières et mystérieuses, aux yeux même des musiciens... Dans les Nouveaux Programmes de l’école primaire, le mot « invention » navigue en eaux communes : l’invention serait-elle désormais associée à la progression des cycle I : « écoute, production imitative, reprises, transformations, invention », pour le cycle II : « interactions entre écouter, produire, inventer au centre de toutes les démarches » et pour le cycle III : « développer l’aptitude à l’expression, le goût de la création en jumelant trois types d’activités : la pratique créative, la rencontre avec les œuvres, l’acquisition des savoirs ». L’invention semble donc avoir une présence diffuse et représenter une des activités essentielles de l’éducation musicale, au même titre que l’interprétation et l’écoute. Espérons que cette présence latente ne sera pas mise en berne par le nouveau mot-phare « chorale », véhicule d’un cliché où l’invention n’a guère de place. Un parcours d’invention Quelle est la place de l’invention dans la formation des professeurs des écoles ? La réponse proposée dans les lignes qui suivent fait référence à une pratique et n’engage que des convictions personnelles. L’invention est le choix d’un axe fort dans la formation des professeurs des écoles, public adulte généralement non musicien, pour trois raisons essentielles. La première est qu’elle permet d’évacuer le cliché de la musique réservée à une de ses propres capacités musicales. Les professeurs stagiaires arrivant à l’IUFM montrent souvent un intérêt pour la musique : ils la consomment abondamment mais ne la pratiquent pas. Un sondage sur les raisons de cette « non-pratique » révèle, une fois évacuées les raisons de manque de temps, un désir impuissant devant début d’année, ne pas savoir chanter et l’expriment dans toutes les nuances possibles, doute intérieur (« je ne sais pas si je sais... »). La première tâche du formateur est d’apprivoiser, de calmer les angoisses et de restaurer l’image de soi, tout cela en musique, cela va de soi. L’apprentissage et l’interprétation collective d’une chanson sont un bon moyen, mais seul un jeu vocal occultant la restitution précise des les bruissements d’une feuille de papier ne demande aucun apprentissage et pourtant développe, si l’on entre dans le jeu, l’écoute de soi, des autres, donc une attitude musicienne. La deuxième est que l’invention constitue un moyen d’apprentissage, dans le cadre de la formation, qui s’avère transposable à l’école. L’exploration propre aux Éducation musicale et invention 133 langage musical. Produire des sons à partir de tout et de rien, les analyser – en comparant leur durée, leur intensité, leur hauteur , leur timbre – organiser leur déroulement selon une consigne imposée ou que l’on se donne à soi-même, c’est le meilleur itinéraire pour acquérir la maîtrise des paramètres du son et de la forme musicale. L’acte musical repose sur l’interaction du « faire » et de « l’entendre ». Au plaisir du « faire » se greffe une saine curiosité pour la musique des autres, la production de ses comparses mais aussi les œuvres des « vrais » compositeurs. La troisième est précisément cette place privilégiée pour approcher et entrer dans l’œuvre musicale. Et par là, c’est un moyen de culture, transposable lui aussi, où le « mieux entendre, mieux comprendre » permet l’émotion esthétique. L’énergie de l’action renforce l’intensité de l’écoute. Les oreilles, l’esprit et le cœur s’ouvrent au répertoire contemporain dans un cheminement complice. Le stagiaire en formation vit donc un parcours d’invention qui constitue, en tout ou partie, sa propre éducation musicale. L’intention, la matière sonore, la structure Formation professionnelle oblige, à ce parcours d’invention s’ajoute un parcours parallèle de nature didactique et pédagogique, balisé de questions : comment mener un cheminement dans l’invention ? comment évaluer sa production et celle des élèves ? comment repérer l’artistique de ce qui ne l’est pas ? Une idée essentielle préside ce deuxième parcours : l’invention d’un objet artistique musical conjugue en cohérence l’intention, la matière sonore, la structure. L’intention s’apparente à l’idée créatrice à l’origine de toute œuvre. Comme dans le monde artistique, elle procède d’inspirations multiples qui pourraient être classées en trois rubriques. L’intention de nature descriptive aura pour mission d’évoquer un paysage, un événement, de suivre une narration. Du Moyen Âge profane à l’époque contemporaine, en passant par les musiques de tradition orale du monde entier, les exemples abondent : ne citons que Les Quatre Saisons de Vivaldi ou les airs de shakuhashi nature. Tout l’art consiste à y transcender le réalisme concret. L’intention de nature expressive traduira une atmosphère, un état d’âme, un sentiment. La plupart des « poèmes symphoniques » romantiques s’y rattachent (Les Préludes de Liszt), mais aussi les madrigaux de Monteverdi, de Gesualdo, le « fado » de Lisbonne... et d’une manière générale la musique vocale si le compositeur pense sa musique en adéquation avec le sens du texte poétique. L’intention de nature cognitive est riche de multiples déclinaisons. La première est de jouer sur un des paramètres du son (hauteur, durée, intensité, timbre). Une autre utilise le processus de transformation d’un état à un autre (aller du ponctuel 134 Écriture et invention vers le cassant...) retrouvant en miroir certaines œuvres de Gérard Grisey (Vortex Temporum III), Yannis Xénakis (Pithoprakta), Bernard Parmegiani (Dedans/dehors), Dix préludes pour violoncelle). Une autre encore développera le principe de variation dont procède par exemple la Cinquième Symphonie de Beethoven : un motif (très simple de préférence) sera conjugué dans des timbres, des hauteurs, des durées différents. L’intention peut aussi être le choix d’une architecture ordonnant le déroulement sonore selon des symétries, des récurrences... La matière sonore ou source sonore est l’élément concret sur lequel on agit pour produire du son. Le résultat de cette action est le timbre musical. Or, l’élargissement de la notion de timbre dans la musique contemporaine a ouvert le dans des mains virtuoses, devenir source de plaisir musical. Rappelons les bocaux de verre de Denis Dufour et le grincement de porte de Pierre Henry. La matière gestes qu’il suscite, la virtuosité acquise donneront leurs marques aux processus de variations. Son choix peut être subjectivement lié aux ressources opportunes de l’entourage ou procéder de principes objectifs articulés à l’intention. Une matière sonore rigoureusement monotimbrique utilise un seul matériau (bois, papier) ou un seul instrument et un seul mode de vibration sur celui-ci. Une matière sonore multitimbrique résulte de gestes multiples agissant sur un matériau unique, ou de la juxtaposition de plusieurs matériaux ou d’instruments différents. Une musique monotimbrique vit par la richesse des variations de durée (toujours possibles à produire), d’intensité (vite lassantes), de hauteur (quand c’est possible). Une musique multitimbrique peut habiller un motif unique de couleurs différentes ou jouer sur la mouvance des masses sonores selon les principes de la Klangfarbenmelodie, musique de timbres. La structure peut procéder du contraste, du processus de transformation, de variation, de narration... Elle peut s’inscrire dans une forme musicale simple tels le rondo ou la forme ABA. Elle peut être de nature monodique où les événements sonores se succèdent un à la fois, ou polyphonique avec des événements simultanés. Une relation très étroite peut la lier à l’intention ou à la matière sonore (dont le choix rejoint l’intention...). Dans tous les cas, elle doit donner à l’auditeur comme à argumentée par tous les acteurs engagés dans cette pratique créative. L’enregistrement des productions, leur écoute critique collective, permet d’évaluer la cohérence entre les trois éléments cités, de décider ensemble des remédiations à apporter, des enrichissements possibles. Comment faire ? La production sonore collective se réalise à travers la mise en œuvre d’une consigne qui, si elle est pertinente, engendre cette cohérence. Le premier questionnement collectif est donc : « la consigne a-t-elle été respectée ? » Les réponses font émerger les réussites et les manques, amènent l’ajustement dans la formulation des consignes et permettent de continuer l’aventure toujours risquée et périlleuse mais par là passionnante. Cette cohérence constitue précisément la référence du groupe. Mais est-elle garante d’une qualité artistique ? Éducation musicale et invention 135 La production garde-t-elle une valeur en dehors du cercle des praticiens ? Son mérite essentiel est, certes, de donner le plaisir irremplaçable du « faire » ensemble. Procure-t-elle aussi une (petite) émotion esthétique ? À ce point du travail et de la présence d’un artiste, musicien, compositeur, enrichit et éclaire l’invention de tous. Là s’ouvre un nouveau chapitre autour de la fréquentation des œuvres et du travail en partenariat avec un artiste, mais cela est matière à une autre étude... Voilà donc tracé le cadre d’une pratique de formation axée sur l’invention. Pour conjurer l’angoisse de l’inconnu, il faut s’efforcer de baliser le parcours de repères solides mais néanmoins porteurs de liberté. Sont-ils transposables dans d’autres champs ? La réponse ne peut venir que de ceux qui en font l’expérience. Il est clair que cette pratique ne vise pas la composition d’une œuvre avec des étudiants ou des enfants, mais permet d’entrer dans un processus d’invention lié à l’éducation musicale, menant à l’équilibre nécessaire entre « interpréter », « écouter », « créer », comme le présentent les Nouveaux programmes de l’école primaire. Invention et mémoire professionnel en arts plastiques Eddie Panier, université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis, UFR d’arts plastiques P disciplines, toutes ont une préoccupation en commun : la place de l’invention dans le dispositif de formation des enseignants et des élèves. Pour tenter de lever des confusions qui pourraient apparaître derrière ce terme d’« invention », je me permettrai de faire un détour par la place que prend l’invention en arts plastiques. Je tracerai ensuite succinctement le cursus universitaire des enseignants d’arts plastiques. Cela nous donnera des éléments de comparaison entre ce que l’enseignant propose aux élèves dans un cours en collège ou au lycée et ce plus générale sur les dispositifs d’enseignement en arts plastiques. Invention et singularité Celui qui enseigne dans un collège a peut-être eu la curiosité d’observer un cours d’arts plastiques. Son collègue de « dessin » a sans doute déjà organisé une exposition de travaux d’élèves dans le hall, ou au CDI, à l’occasion de la rencontre entre les enseignants et les parents. Le regroupement des réalisations d’une même classe prend alors la forme d’une réunion hétéroclite d’objets, de bricolages ou de dessins. Même si cette expérience peut laisser dubitatif (le goût et les couleurs...), nous pouvons admettre que ce que les élèves font en arts plastiques est montrable et que la question du modèle à atteindre – la réponse juste, sans faute – ne semble pas avoir de sens dans notre discipline. Cette visibilité n’engage que partiellement une lisibilité, et la variété des réponses peut cacher une forte cohérence du propos. « bien marché » tient justement au fait que chaque élève a réalisé quelque chose de différent de son voisin. Copier sur celui-ci est d’ailleurs mal vu : non pas parce que ce n’est pas bien de tricher pour avoir la solution, mais parce que chacun peut en proposer une différente. Sans développer davantage, il faudrait en effet évoquer les l’invention rejoint la singularité, et que cela passe nécessairement par la fabrication, le faire, une pratique. 138 Écriture et invention La pratique personnelle, fondatrice d’une démarche singulière La pratique est actuellement le point nodal de notre discipline. C’est un mot riche et ambigu. Et il évoque chez les stagiaires des situations vécues lorsqu’ils étaient étudiants : « tu en es où de ta pratique ? » ou plus actuelles, lorsqu’ils enseignent « est-ce que tu pratiques encore, est-ce que tu as encore une pratique ? ». Ces questions rejoignent celles de nos collègues des autres disciplines en « salle des professeurs » lorsqu’ils nous demandent simplement si nous dessinons encore, ou s’il est possible de voir ce que nous faisons personnellement. À chacun d’entre nous de réagir comme bon lui semble. Mais il est courant de croire en effet que le collègue d’arts plastiques s’exprime par son art, tout comme le professeur de français écrit, ou l’enseignant de mathématiques « mathématise » lorsqu’il est seul. Effectivement, le cursus des étudiants en arts plastiques est double : à la fois théorique, dans le regroupement de ce qui est appelé « sciences de l’art » et pratique, et selon les universités, il s’agit de démarche personnelle ou de pratique « articulée au champ contemporain ». Par-delà le fait que nous ayons appris à dessiner durant nos études (ce qui n’est nombres imaginaires ou la grammaire générative), les enseignants d’arts plastiques ont été des étudiants « fabricateurs ». Ils ont connu des situations d’évaluation, certains ont même eu la chance de travailler en atelier. Cela reste un chantier à entreprendre, mais comme toute discipline universitaire, le cursus construit des comportements des futurs enseignants. Qu’il n’y ait pas d’équivoque : il y a en effet des similarités entre ce que nous avons connu en tant qu’étudiant et ce que nous entreprenons en tant qu’enseignant. Mais il y a également beaucoup de différences, sur lesquelles je ne m’étendrai pas, et qui portent, me semble-t-il, essentiellement sur la méthodologie. Retenons simplement qu’au terme de sa formation initiale, un stagiaire d’arts plastiques a connu des situations où la pratique personnelle est fondatrice d’une démarche singulière, et qu’il est habitué à fabriquer. Ouvrir un espace conceptuel de nature artistique C’est ici que pourrait s’installer une confusion dans ce que nous comprenons du terme d’invention. Disons simplement que lorsque l’enseignant d’histoire se préoccupe de la vérité (ce qui s’est réellement passé), ou lorsque l’enseignant de français travaille sur la tension entre la règle et l’invention, le professeur d’arts plastiques s’inquiète du passage du non-sens au sens. Durant nos études en effet, nous avons sans cesse été confrontés à cette question, dans une pratique qui précède la verbalisation. Nous avons été habitués à être face à une altérité qui n’offre pas de faire de nos élèves des artistes en herbe, mais d’ouvrir avec eux un « espace conceptuel de nature artistique ». circulant dans les réseaux de formation. Soucieux de construire une discipline d’enseignement, et non plus simplement une discipline d’éveil, nous nous sommes Invention et mémoire professionnel 139 approprié des éléments de didactique et de pédagogie. « Transposition », « triangle didactique », « situation-problème » sont des expressions usitées dans la formation initiale et continue, et employées dans nos programmes. Et nous rejoignons les préoccupations de tous ceux qui travaillent avec des méthodes actives, en cherchant à mobiliser chez les élèves toutes les ressources susceptibles de les mettre en situation d’apprentissage. Toutefois, lorsque nous utilisons ces outils évoqués plus haut, nous sommes tracassés par la place que prend dans ces dispositifs la pratique de l’élève. La transposition, nous le savons, interroge la perte et la transformation du savoir savant dans le champ de l’enseignement. Le triangle didactique nous informe de la nécessaire trilogie de tout dispositif opérant. Mais l’un et l’autre relèguent l’élève fabricateur au second plan. Le savoir est notionnel, abstrait, et les situationsproblèmes sont souvent circonscrites à la question de la motivation et du point d’appui. Longtemps j’ai retenu cette citation de Meirieu : « le sujet est orienté par la tâche, le formateur par l’obstacle » sans me rendre compte qu’elle pouvait laisser entendre, si l’on n’y prend garde, que le savoir est toujours abstrait et que « la tâche à accomplir » est un mode d’apprentissage, dont le produit est souvent délaissé (on ne garde pas un exercice de mathématiques résolu ; on garde un bon devoir surveillé dont l’appréciation est encourageante et motivante). Les poubelles de nos classes sont journellement remplies de brouillons, copies, devoirs, et rares sont les élèves qui gardent des années leurs beaux cahiers. Certes, pas plus qu’ailleurs, les élèves ne conservent les réalisations ratées en arts plastiques. Mais ils ont tendance toutefois à projeter dans leurs réalisations un petit plus. Ce n’est pas nécessairement le gage d’un apprentissage réussi ; mais le signe distinctif d’un affect. Ce n’est pas une « chose » comme peut l’être ce que certains élèves réalisent à l’occasion de la fête des mères mais plutôt un objet, une réalisation d’eux-mêmes et en dehors d’eux 1. La forme ici importe peu : cela peut être une chorégraphie, un mime, une image, un poème, un geste, une installation, un petit bricolage... 1. Voir notes p. 141. 140 Écriture et invention Une démarche exploratoire plutôt qu’une résolution de problème d’admettre que de même que l’on pense toujours à quelque chose, on invente toujours quelque chose. L’inventivité n’est pas une capacité détachée, absolue. L’invention ne naît pas ex nihilo. Mais elle n’arrive jamais par le simple exercice. Dans le dispositif didactique de la situation-problème, la tâche à accomplir s’inféode à l’obstacle à franchir. Il ne s’agit certainement pas de remettre en cause la légitimité de cette situation. Et l’on pourrait rétorquer que les stratégies d’apprentissage en terme d’inventivité pour certains élèves, voire même de pensée divergente. Dans les En arts plastiques, son usage montre une variation importante des réponses, sans entraîner pour autant une forte inventivité. Mais dans la volonté de favoriser l’émergence de productions inventives, elle a ses limites. Les programmes d’arts plastiques emploient l’expression de « démarche exploratoire », dans une tentative de décrire de manière rationnelle une dynamique d’exploration et d’expérimentation. Dans ce registre, l’enseignant formalise une proposition à partir d’une question 2. Ce terme ne renvoie pas à la forme de la proposition, mais au champ du savoir. Cette situation d’apprentissage est relativement complexe. Elle consiste à placer l’élève dans une situation de questionnement sur une technique, une expression ou une métaphore, un paradigme, une relation au monde. Le terme d’exploration est préférable à celui de résolution, dans la mesure où le travail de l’élève contient une dimension hypothétique et pragmatique. Une grande partie du travail de l’enseignant est de construire les conditions nécessaires à une pratique effective des élèves. L’idéal étant que par le schéma, la manipulation, l’esquisse, ils amorcent leur réalisation 3 l’invention. L’évaluation, au carrefour entre la poiétique et la praxis Nous pouvons considérer que chaque réalisation d’élève n’est pas la résolution d’un problème, mais un petit ajout au monde. Et que l’ensemble de la production d’une classe représente un certain nombre de pistes possibles pour construire, dans une diversité espérée, une évaluation formative. Ce moment est primordial. C’est un carrefour entre la poiétique et la praxis, entre la réalisation de chacun et la élèves. C’est là que la relation aux œuvres se construit à travers les réalisations des élèves. Certains aspects n’ont pas été développés, comme la nécessité de créer un cadre rassurant, de construire une évaluation pertinente. Les enseignants d’arts plastiques, rappelons-le, souffrent d’un complexe assez répandu dans les disciplines Invention et mémoire professionnel 141 marginalisées. Et ce qui fait leur faiblesse institutionnelle (une heure par semaine, toutes les classes d’un collège « moyen » pour un seul enseignant) leur offre une relative liberté d’expérimentation. Peu soumis à la pression de la réussite fortement médiatisée, ils sont toutefois engagés sur les mêmes questions de motivation des élèves que l’ensemble de leurs collègues. Or, la possibilité de permettre des situations d’invention, d’expérimentation, de jeu avec les règles académiques de la langue et de l’image, offre une opportunité supplémentaire de moments d’apprentissage en collège et en lycée. avec quelque objet ou idée, en raison de la nécessité de cet objet ou idée, pour que le moi continue à s’exprimer”, John Dewey, in Intérêt et l’éducation de la volonté repris par G. Deledalle. 2. Je me permettrai ici de prendre pour exemple l’importance du support dans une réalisation. Nous savons tous que les élèves assignent très souvent à la feuille une valeur neutre. Il est pourtant e siècle, dans le champ des arts plastiques, comme dans celui de la littérature, le blanc de la feuille n’est plus synonyme de vide (“la vacuité de la feuille que seule la blancheur défend” – Mallarmé ; voir également la préface du poète pour Un coup de dés jamais n’abolira le hasard). Cela entraîne, pour ce qui nous concerne, nous, plasticiens dans notre champ de références, un paradigme fondant une partie de la modernité. Dans le registre de la situation-problème, cela pourrait donner un exercice portant sur l’usage de la couleur propre au support, fondé sur la notion de frontalité (faire travailler sur papier noir, travailler avec des valeurs colorées proches de celle du support, restreindre la palette des couleurs...). Dans une “situation propositionnelle”, latitude est laissée par exemple au choix du support, à ses dimensions, à ses qualités (de la surface à peindre à la surface peinte...). 3. L’appréhension ou la crainte de se tromper, de ne pas savoir dessiner, de ne pas avoir d’idée sont des comportements récurrents qui s’accroissent dans les situations d’invention. Une dynamique d’invention pour le professeur Françoise Savine, IA-IPR lettres, académie de Lille D toujours se situer en deçà, au-delà ou à côté de l’écriture. En est-il de même pour l’invention ? « Enseigner et apprendre à écrire », s’interroger sur les « conduites d’écriture », est-ce s’interroger sur l’invention, les écrits et l’écriture de l’élève, ou/et l’invention ? Associer écriture et invention, c’est choisir de considérer l’élève comme sujet qui se construit dans l’écriture, donc dans l’invention, ou plutôt dans une certaine le professeur qui le fait écrire, lui propose des lectures, qui conçoit pour lui des projets, des situations, des consignes d’écriture, qui évalue ses écrits... Quelle est exactement la position du professeur, pédagogue, didacticien, spécialiste de sa discipline ? Il met en œuvre les programmes, donc l’évolution des Il est aussi celui qui débat du bien-fondé de telle ou telle évolution des écrits scolaires, le lecteur expert, celui qui a la maîtrise des écrits scolaires, celui qui invite un écrivain dans sa classe, mène un atelier d’écriture, écrit parfois lui-même, mais hors de la classe. Diversité des situations d’écriture et des écrits Le professeur qui cherche à mettre ses élèves dans un mouvement d’invention peut s’appuyer sur les recherches et les pratiques en matière de didactique de l’écrit. Il s’applique alors à concevoir des situations d’écriture, des types d’écrits variés, à partir du programme, de sa progression annuelle, de son projet de séquence. paragraphe ou écriture longue) mais aussi les destinataires, les fonctions du langage, les genres, les registres, la visée..., il permet alors à ses élèves de construire par la pratique, par l’exercice rhétorique, l’appropriation et la mise en œuvre de la la langue et sur l’usage des discours dans la communication humaine. Les multiples réinvestissements des compétences et des savoirs assurent sa progression dans la 144 Écriture et invention cadre, le professeur suit le travail d’écriture, le mouvement organisé de l’invention de ses élèves. Pourtant, il n’est pas pris par cette dynamique, il sait quel texte il attend, il a déterminé ses critères d’évaluation, il appréciera la conformité et non l’écart. Certains des débats autour de l’écriture d’invention au lycée, les applications les plus mécanistes de la didactique de l’écrit au collège ont montré que ces pratiques n’entraînent pas, à tout coup, chez tous les élèves, une dynamique d’invention, qu’elles prennent le risque d’un enfermement dans une application mécaniste de schémas posés d’avance. Si, en revanche, on s’intéresse à la dynamique même de l’écriture de chaque élève comme activité d’invention, dans et par le langage, d’une pensée, et donc d’un sujet qui écrit, pense et ainsi se pose, on est saisi par une sorte de vertige, bien connu par des professeurs de lettres (en aide individualisée, par exemple). Les critères se brouillent, une copie qui semblait claire se révèle vide, une autre qui irritait par sa confusion et ses « fautes » témoigne d’une pensée en action ; les consignes, défaut, trouvent parfois leurs limites. L’écriture, qu’on croyait facilitée par divers plus complexe et aussi plus riche d’enjeux. Le professeur n’a alors d’autre choix que d’inventer en permanence, ou presque ! Cette conception de l’écriture (donc de l’élève comme sujet) et de ce qui se travaille et se partage dans un cours de français, conduit à une invention toujours renouvelée. Il s’agit d’abord d’inventer des situations, des formes d’écriture extrêmement variées, et souvent peu canoniques, qui mettent l’élève en mouvement. Je veux parler de ce mouvement à la fois centrifuge et centripète par lequel on approche de soi une notion, une œuvre, une problématique qui décentre celui qui la considère et par là-même le construit. Cette invention place le professeur dans un mouvement semblable, son surplomb s’accompagne d’une attention extrême à la pensée, à l’écriture en invention. Cette dynamique le conduit à s’interroger sur son rôle, à changer de regard et de place, pour instaurer ou modestement « inventer » une pratique vivante de la langue et de la littérature. Mettre l’élève en invention, en mouvement Inviter l’élève à s’intéresser non plus à la réalisation d’un écrit, mais au mouvement de son écriture en cours, c’est déjà lui faire prendre conscience d’un autre rapport à l’invention comme mouvement de la pensée dans la langue par lequel il établit progressivement un lien avec une question, des notions, une situation, l’écriture est donc d’abord mouvement du sujet qui lui permet de se confronter à l’autre, au monde, aux savoirs, et dans ce jeu de confrontations, de déplacements, de Cette expérience met également en mouvement ses représentations de l’écriture et de l’écrit. Le plus souvent les élèves conçoivent l’écriture à la fois comme un exercice scolaire et la réalisation d’un don, d’une capacité mystérieuse d’invention. Une dynamique d’invention 145 Dans les deux cas, écriture et écrit coïncident dans un premier jet proclamé « état au mieux corriger, en l’état, pour l’orthographe et plus rarement pour la syntaxe. Ainsi, quand l’écriture ne constitue pas un obstacle trop fort, le texte sort-il « tout formé et tout armé » du stylo, et s’il ne « vient pas », c’est parce qu’« on n’a pas d’idée », et dans ce cas, il est impossible d’écrire puisque écrire ce n’est pas encore chercher. Déplacer l’attention des écrits produits ou à produire au les représentations des élèves en matière d’écriture et donc d’invention. La confrontation des états successifs d’une écriture, le retour sur les notes, les fragments divers, sur les écrits scolaires successifs, permettent également à l’élève, en mesurant sa progression, de se construire comme sujet en suivant les mouvements de sa pensée, l’élaboration progressive de son rapport au savoir. Cette dynamique d’invention dans et par l’écriture est à la fois une expérience individuelle, solitaire, du sujet écrivant, et une expérience collective puisqu’elle déplace dans et pour la classe les représentations. Ce mouvement déplace n’est plus orientée seulement par le respect d’une norme, d’un modèle pour la classe, elle s’intéresse à la multiplicité des possibles, à la singularité des différentes amorces que les élèves ont pu trouver pour entrer dans l’écriture. L’écart peut alors prendre De la même manière, les consignes explicites ou implicites se déplacent, l’entrée à raconter, à exposer, à défendre », elle autorise le passage par le stéréotype, elle intègre les annotations, le recours à la liste, à l’énumération, intégrant les clichés, arguments ou situations. Comme un échauffement du sujet et de la pensée, il s’agit d’une série d’essais et de tâtonnements dont les micromouvements désordonnés accompagnent et constituent l’invention. Dans cette perspective, la confusion, le blocage dans l’écriture ne sont plus le signe d’une faillite de l’« inspiration » ou d’une « inaptitude à l’écrit », un moment de honte et de malaise qu’il faudrait cacher, effacer d’un trait de gomme ou nier par l’abandon, mais un nœud, un lieu à observer avec le professeur, peut-être à commenter ensemble, pour cerner ce qui advient, le mouvement nouveau, et encore confus, de l’écriture. De la même manière, l’inachèvement, s’il conduit à des réécritures, peut être accepté comme principe de travail. Il n’est pas question naturellement ici des réécritures du brouillon traditionnel conçues comme travail de « dispositio » à partir d’une forme, d’un texte complet qu’il s’agirait seulement d’organiser puis de « polir ». Cette invention est un mouvement sur la page, un mouvement du sujet qui pense et ainsi se construit, un mouvement de la pensée qui conduit à circuler dans un système de références complexe, hétérogène, qui dépasse le cadre scolaire. Tout ce qui, dans le cadre scolaire, avait été rangé, mis dans l’ombre comme « déplacé, ne pouvant servir à rien, éclat dérivant d’une expérience du monde morcelée », se trouve convoqué : les savoirs hétéroclites de l’expérience comme les savoirs et les savoir-faire scolaires, qu’ils soient génériques, rhétoriques, culturels... Ces « tours 146 Écriture et invention d’horizon successifs » dans les différents champs du savoir d’un individu, sont l’expérience même de la dynamique d’invention qui s’instaure dans un véritable accompagnement de l’écriture. La classe n’est plus le lieu où l’on se contente de rendre des devoirs, de « remplir » des copies, d’appliquer des consignes ou de manifester des savoir-faire, mais un lieu dans lequel on cherche et on fabrique, on s’essaye à la fois seul et ensemble. Le tableau, la confrontation de différents états de l’écriture permettent fréquemment de mettre en évidence ce mouvement qui a permis de passer du désordre, du discontinu (remarques hétérogènes, directions successives, références diverses, questions, ratures...) à un texte construit. Nous n’aborderons pas ici les lectures croisées avant réécriture, pour développer l’écriture comme mouvement d’invention. Ce qui nous intéresse à présent dans cette dynamique que le professeur instaure, met en œuvre pour l’élève, c’est qu’elle emporte en quelque sorte celui-là même qui l’a posée, prescrite, que le professeur lui-même se trouve pris dans un mouvement d’invention. Le professeur est mis, se met lui-même en mouvement On ne peut, en effet, considérer l’élève comme sujet en mouvement dans son écriture sans se mettre soi-même en mouvement. L’invention qui est en jeu ici ne tient pas à l’élaboration de consignes ou de situations d’écriture innovantes, variées. Considérer l’élève comme sujet en mouvement dans son écriture, conduit le professeur à se mettre lui-même en mouvement. Ce mouvement est d’abord un mouvement physique. Pour suivre l’élève dans son écriture, le professeur est amené à changer de place, à s’asseoir à ses côtés proximité comme le statut du texte observé, une écriture en cours et aucun écrit, peuvent déstabiliser. Les professeurs qui ont expérimenté l’aide individualisée en français au lycée ont souvent noté cet étrange déplacement qui conduit à changer de statut, à n’être plus en permanence dans le surplomb disciplinaire, dans la maîtrise didactique, à parfois ne plus pouvoir, ne plus savoir évaluer. face à un travail, un fragment dont l’analyse ne va pas de soi. On mesure mieux dans cette proximité, dans cet accompagnement du mouvement même de l’écriture, les obstacles qu’elle peut rencontrer. On découvre alors parfois que ses propres propositions, que les solutions préconisées créent des blocages. Ainsi l’extrême proximité du sujet abordé, des références convoquées, se révèle-t-elle souvent aussi inhibante que l’étrangeté ou l’éloignement extrême. Un guidage excessif, une préparation minutieuse, qui balise l’intégralité du travail, multiplient les contraintes Une dynamique d’invention 147 l’attention la plus extrême à ce qui est en jeu, à ce qui se noue, se pose, se déplace, se cherche, dans l’écriture de l’élève, qui retrouve alors, pour le professeur lecteur, la complexité que l’habitude, le surplomb didactique, le simple cadre scolaire lui font souvent oublier, jusqu’à ce qu’il ait lui-même à écrire... des fulgurances que l’élève ne parvient pas à développer, à organiser, et qui dans la syntaxe fautive. Dynamique d’invention et enseignement en cours de français Cette expérience conduit à étendre la dynamique d’invention à ses propres pratiques, à la mise en œuvre de l’écriture en classe. Si les petits rituels d’élèves – préparation minutieuse de la copie, décors divers, petits dessins – sont souvent interprétés comme des pratiques régressives, ils peuvent participer à l’entrée dans gribouillage apparemment incongru. L’intérêt porté aux écritures extra-scolaires des élèves serait du même ordre. Fleurettes et petits cœurs, lieu singulier pour une écriture particulière, ne sont que les manifestations diverses d’une évidence toute bête et donc facilement oubliée : on écrit dans un certain état, avec son corps, avec des outils dont la matière n’est pas indifférente. Cet « état » exige d’abord et avant tout du temps, du temps parfois pour se calmer, se concentrer, se lancer... que l’on considère le cadre de la séance ou celui des dispositifs, projets particuliers qui permettraient d’instaurer un temps long, continu, plus propice à l’invention que le temps habituellement morcelé de l’école. il faut aussi inventer des situations, des propositions d’écriture qui permettent à l’élève, à chacun des élèves, de se mettre en mouvement. Pour cela, il est nécessaire de varier les démarches, les exemples, les références, mais aussi de prendre en compte la diversité des formes de pensée. conçus comme des confrontations au complexe, et non comme une décomposition rhétorique classique, qui conserve souvent à l’école la force de l’évidence et de la tradition. Les différents états de l’écriture ne constituent donc plus des paragraphes de sa révision, dans leur concomitance. L’invention, dans la conception de situations d’écriture ou d’écrits, conduit que les modes, les critères d’évaluation varient selon le statut des écrits. Il semble 148 Écriture et invention mesure la progression annuelle des productions écrites proposées aux élèves d’une classe peut-elle intégrer, dans l’évaluation, la dynamique de l’écriture, apprécier et prendre en compte la pensée en cours de construction dans l’écriture, la dynamique les hiérarchiser. Dans ce cadre, la clarté de l’organisation, la maîtrise de la langue ne seront pas privilégiées par rapport à la construction d’un sujet, d’une position pour penser. De la même manière la référence à des savoirs scolaires ne sera pas survalorisée par rapport aux savoirs de l’expérience. On appréciera plutôt leur intrication, la création de liens, de ponts entre références scolaires et extrascolaires, entre maîtrise de la langue et construction du sujet dans l’écriture. son travail en aval en l’obligeant à reconsidérer certaines pratiques d’évaluation, ce mouvement vaut aussi, et certainement de manière plus durable et radicale, en amont, dans la conception, la construction de la séance, de la séquence, du projet en général. Le professeur est ainsi amené à confronter la construction de sa progression, de ses projets, à la question de l’invention telle qu’elle se pose dans l’écriture, c’est-à-dire du sens, de la mise en mouvement du sujet. Les textes, les œuvres, les questions qu’il décide d’aborder ne sont plus choisis seulement parce « qu’ils sont au programme », « qu’ils sont faciles à lire ou à traiter », « qu’ils permettent d’aborder tel ou tel point », mais parce que leur singularité et les jeux d’échos, de contrepoint qu’ils trouveront dans la progression annuelle créent, pour l’élève, ce mouvement, cette tension et nourrissent, structurent, accompagnent, dans leur complexité propre, le processus complexe de la construction du sujet dans l’écriture et d’une véritable maîtrise de l’écrit. classe pour l’écrit, vaut également pour la littérature comme professeur-lecteur. La dynamique d’invention lui permet de voir autrement ce qui, par effet de loupe ou sclérose d’une doxa d’écriture d’un genre. Ce principe de dynamique, de mise en tension conduit à proposer – dans la gamme de variation de genres, de registres, de périodes envisagée par les programmes – des formes différentes par l’ampleur de leur projet, la conception volontairement fragmentaire ou systémique de l’œuvre, des langues, des écritures, des visions du monde différentes. Ce principe vaut pour la construction des savoirs et des références comme pour les compétences à acquérir et les postures à occuper. Sur ce point encore, la convergence entre lecture et écriture est totale : le professeur qui « invente » cherche à multiplier les expériences et les postures, il fait circuler son élève entre différentes formes de représentation, le confronte à la narration ou à la description, mais aussi au commentaire et au discours métalinguistique, Une dynamique d’invention 149 à l’abstraction comme à la pensée symbolique. Dans ce cadre, le travail sur les brouillons, les différentes versions, la découverte de l’intertextualité prennent tout leur sens. Une dynamique d’ouverture de la classe Cette dynamique d’invention est une dynamique d’ouverture de la classe, du ouvre le champ des pratiques, des postures, des activités possibles. D’autres voix, d’autres références contribueront à l’invention, celles de l’auteur dans le cadre d’un partenariat culturel, ou, plus simplement, celle du professeur – non plus comme enseignant mais comme lecteur, spectateur ou acteur curieux de l’art contemporain – les voix de ceux qui s’essaient à l’écriture, qui s’essaient en écrivant. Le partenariat culturel, l’invention dans l’écriture de création classe, de décrire quelques interventions ou situations d’écriture, mais de continuer et de l’invention en classe – à la manière dont la rencontre, le partenariat avec professeur en matière d’écriture. On ne retiendra donc qu’un aspect particulièrement susceptible de créer et d’entretenir la dynamique en question. évidence pragmatique de « l’écriture créative » est le ferment le plus évident du mouvement. La prégnance du faire ne va cependant pas de soi en cours de français. la plume sans regard ni travail. Pourtant, cette impression d’être immédiatement dans le faire, c’est-à-dire en train d’écrire, peut constituer pour les élèves et les professeurs une expérience enrichissante. des médiations propres à toute représentation, on pourrait dire qu’elle tient à fois à une posture de celui qui écrit et de celui ou ceux qui le liront. Pour celui qui écrit comme pour son lecteur, il n’y a pas de modèle préétabli, on ne sait pas où l’on va, même s’il y a un projet, un cadre d’écriture. Pour éclairer ce point, on peut prendre et une proposition, une situation d’écriture. Le sujet renvoie à un modèle scolaire, à la grammaire d’un genre. Il appelle des réinvestissements précis, des réponses ou des démarches attendues et scolairement évaluables. Ainsi le « sujet » d’écriture scolaire donne-t-il à l’élève l’impression de devoir toujours repousser le faire pour mieux réelles ou prétendues du professeur. Dans cette représentation qui correspond à une pratique assez fréquente, l’engagement, l’entrée dans l’écriture ne sont pas 150 Écriture et invention même comme acte sensible et intellectuel d’expérience de soi, de construction de sa pensée n’est pas perçu comme central et fondateur. Il ne s’agit pas simplement de varier les écrits, c’est déjà souvent le cas dans la classe, il ne s’agit pas non plus, et peut être encore moins, de proscrire les devoirs, les exercices canoniques et les sujets qui les accompagnent, mais de permettre à tous les élèves de collège et de lycée, de construire par la pratique de l’écriture, par et dans l’expérience de l’écriture, leur pensée, leur rapport à l’écriture, leur maîtrise de l’écrit et des écrits notamment scolaires. la copie, conçues comme inventio et sorties toutes armées d’un « heureux cerveau ». Faire, écrire, parler avec des écrivains de leur travail, délivre progressivement de l’illusion de l’inspiration, d’un monde d’idées qui surgirait en toute virtualité et avant tout langage, d’un pouvoir du « don » ou de la culture à mobiliser, seuls, les références et à organiser, pour l’écriture, une pensée déjà construite. Cette prise construit effectivement en écrivant, si l’intention ou le projet sont renvoyés à leur inanité virtuelle, si l’acte d’écrire seul produit, fait exister, on peut « se lancer », écrire, réécrire. On pourrait objecter ici que ce travail de réécriture, souvent proposé, ne rencontre pas en classe, loin s’en faut, d’échos très enthousiastes. Dans le travail de création de l’artiste, en l’occurrence de l’écrivain, la reprise, le travail d’élaboration s’inscrivent dans l’écriture, alors que dans le cadre scolaire, l’élève ne l’associe souvent qu’à une succession d’écrits. L’expérience de l’écriture comme élan dynamique, comme matière à éprouver et à construire permet d’appréhender l’écriture comme un acte et un état. Un état qui conduit à varier les postures, à être dedans et dehors, à écrire et à lire, un acte dans lequel s’associent écriture et écrit, production et « produit » parce que cet état, cet acte sont mouvement et non plus succession d’étapes dont la juxtaposition assurerait techniquement la réalisation. l’écrivain, l’expérience de l’écriture créative, c’est aussi pour l’élève et le professeur la découverte, l’expérience, le rappel de la complexité de l’écriture, et en particulier de l’impossibilité de la réduire, de la morceler ou de la résoudre dans une progression Une porosité assumée par le professeur entre le cadre et les activités scolaires et la sphère sociale, privée La dynamique d’invention qui se déploie quand on prête véritablement attention à l’écriture, qu’il s’agisse de celle de l’élève ou de l’œuvre, de l’écrivain qu’on lit, peut créer, pour le professeur de français, toute une série de liens. Qu’on ait choisi de les dissocier ou que la distinction se soit installée sans qu’on y prenne garde, il est fréquent qu’écriture et littérature correspondent à des références, à des Une dynamique d’invention 151 hors de l’école. Certes, il y a les programmes, les œuvres du patrimoine que les élèves doivent découvrir, le professeur a quelque avance comme lecteur expert sur ses élèves, sa vie excède heureusement et largement le cadre de l’école, mais cela l’écriture. Deux points de contact semblent particulièrement intéressants : le rapport à l’écriture et la question de la littérature contemporaine. L’attention portée à l’écriture comme mouvement complexe d’invention dans la langue peut conduire le professeur à revoir des démarches d’une didactique de l’écrit qui lui semblaient pertinentes pour les élèves et qu’il n’aurait jamais songé à s’appliquer à lui-même. Plus simplement encore, cette dynamique peut le pousser à se confronter lui-même à l’écriture, au lieu de se « contenter » de faire écrire les autres. Se mettre soi-même à l’épreuve de l’écriture, c’est notamment avoir la possibilité d’accompagner différemment ses ce mouvement et construire, inventer des parcours, des situations, des échauffements, nourries par ses lectures personnelles, sa fréquentation de la littérature notamment contemporaine. Ce mouvement d’ouverture dont je tente ici d’éclairer quelques effets, conséquences possibles, conduit alors à s’interroger sur le champ de la littérature que l’on enseigne à l’école, sur l’image, les conceptions, les représentations de l’écriture, donc de la littérature, que l’on choisit de faire découvrir et étudier en classe. Il ne s’agit pas ici, par un renversement aussi réducteur que les conceptions les plus étroitement patrimoniales de la littérature scolaire, de donner une place prédominante à la littérature contemporaine par principe. L’intérêt, tout d’abord, est de faire lire des œuvres, des textes dont la substance, le principe, l’esthétique mêmes sont liés à ce mouvement de l’écriture, au processus d’invention, de création dans la langue, de la langue. Ce choix permet également au professeur de sortir du surplomb sans surprise d’un discours scolaire déjà bien rodé sur une œuvre trop bien connue, de revoir, d’interroger les représentations de l’invention, de la création littéraire, de l’écriture, qui sont à l’œuvre de manière explicite ou implicite dans ses cours, dans les textes qu’il propose comme dans ses pratiques pédagogiques et didactiques. tout se passe dans le mouvement de l’écriture, dans la confrontation des écritures, de leurs mouvements internes, de leurs tensions, de leurs évolutions... Une dynamique de tension à développer dans la classe Le mouvement de l’écriture crée, pour l’élève et le professeur, une dynamique d’invention, parce qu’il est complexe, fondé sur la concomitance des processus et des tensions et non sur la succession. Cette dynamique du vivant, de l’écriture comme expérience physique et intellectuelle, comme mouvement et comme production, peut 152 Écriture et invention se développer dans la classe si le professeur, lui aussi, conçoit son travail comme la mise en œuvre d’une dynamique de tensions qu’il fait jouer dans le cours et qu’il propose à ses élèves. Cette dynamique le conduira notamment à confronter les textes, dans leur « singularité », à leur réseau d’intertextualité comme aux systèmes être mise en évidence par l’observation des différents états d’un texte, l’étude des brouillons, des réécritures, comme dans le déroulement d’une progression annuelle dont les constellations mettent en écho et en tension des écritures, des codes, des modèles, des esthétiques, des visions du monde... différents. Ce jeu de tensions ne saurait se limiter pour les élèves à la lecture, il doit structurer leur pratique de l’écriture et leurs écrits. Pour cela, il convient de varier non seulement les types artistiques, culturelles), donc les postures, les intervenants, et plus simplement mais de manière tout aussi essentielle, le normé et le non-normé, le fragment et le texte complet, la production conforme à un modèle scolaire et la recherche d’écriture... qui est souvent exhibée lorsqu’il est question d’écriture et d’invention, l’opposition pense vraiment l’écriture comme un travail de construction du sujet, de sa pensée, Écriture, invention, représentation Patrick Souchon, délégation académique à l’action culturelle, Versailles « L’invention, plus qu’une découverte, moins qu’une création » André Comte-Sponville L oin d’opposer écriture créative et écriture d’invention, il s’agit d’inscrire l’élève ainsi que dans des formations adaptées aux nouveaux programmes des lycées et aux dispositifs mis en place dans le cadre du plan pour l’éducation artistique et l’action culturelle : classes à projet artistique et culturel (PAC), formations à dominante arts et culture 1. Dès lors qu’on se libère quelque peu de l’exécution simple du modèle, que l’on s’éloigne de la prose industrielle, du « tout fait en série 2 », écrire a fondamentalement à faire avec l’invention. Aperçue de façon concrète, l’écriture est de l’ordre du faire. Mais « qu’est-ce que l’art met pour ainsi dire à nu ; en ce sens l’invention n’appartient pas en propre à l’art, mais au faire humain », écrit Catherine Perret. Mais alors, qu’est-ce que l’art met à nu ? L’écart opéré par l’art, poursuit l’auteur, « tient dans la distinction entre ce qui est fabriqué, et ce qui demande d’être découvert, entre ce qui est reproduit (en série) et ce qui étant déjà là, doit cependant se représenter pour pouvoir être inventé » ; l’invention tenant tout particulièrement à « ce sur quoi l’on bute comme sur une trouvaille ». Il en va ainsi du travail effectué par l’élève dans le cadre d’un atelier artistique, et de l’écriture elle-même pour laquelle : – La langue est toujours déjà là, on ne part jamais de rien –ce que laisse entendre le terme de création – l’élève n’est pas une surface vierge sur laquelle viendrait s’écrire les tables de la loi mais un être de langage désirant l’être, autrement dit, « pour écrire, il faut déjà écrire 3 ». – Quelque chose se re-présente, il y a de la représentation, ce qui suppose projection et mise à distance du subjectif ou de ce que Henri Michaux désigne par « l’en dedans-en dehors 4 ». Et cela, d’une part, en suivant le processus même de l’écriture qui réalise et rationalise le monde, et, d’autre part, selon les diverses modalités de travail en atelier – on dira par exemple que la multiplication des lecteurs et des lectures successives objectivise le texte – la matière textuelle accédant peu à peu au statut d’objet... 1. Voir notes p. 158. 154 Écriture et invention – Le plan de la pratique articulant reprises et déplacements doit nécessairement laisser venir ou monter ce qui apparaît sous les traits de l’inattendu, condition de l’émergence de l’artistique dans la pratique. Les exercices d’écriture d’invention proposés dans le cadre de l’épreuve anticipée de français associent également reprise de structures, déplacement de points de vue et variations à partir d’un modèle donné de façon plus ou moins explicite. Selon le degré d’écart souhaité du modèle au résultat, la liberté consentie vis-à-vis de l’inattendu, on peut dire que l’invention est au programme. Toutefois un écart trop faible entre les deux risque d’occulter ce qu’écrire et lire engagent et actualisent de la vie du sujet, de sa pensée et de son rapport au monde. En particulier lorsque les exercices proposés dans ce cadre précis consistent à démonter puis remonter des modèles rhétoriques à options, faisant de l’élève un simple exécutant. On peut alors imaginer l’avantage qu’il y aurait à inaugurer en amont ou parallèlement, dans le cadre d’une classe à projet artistique et culturel5 ou de toute autre démarche ou dispositif favorisant l’ouverture et la créativité, des chemins d’écriture en prise sur les motivations et travaux de l’élève, et non sur des modèles littéraires ou des structures textuelles par trop extérieures à lui. Car de même que « la pensée ne se dissocie pas du langage qu’elle invente pour se penser 6, de même la structure d’un texte n’est pas extérieure à la matière d’où elle émerge ou provient ». Car ce que la pratique artistique engage, elle l’engage en s’écartant du texte érigé en modèle (s’il existe) pour faire de lui, non un but, mais un moyen, une source ou un tremplin pour l’écriture de chacun ; elle l’engage en proposant des perspectives de recherche qui vont permettre à l’élève d’occuper une posture d’auteur conçue comme instance de régulation et d’objectivation ; elle l’engage en vue d’une réalisation singulière à partir de laquelle l’élève pourra, grâce à l’enseignant et à l’écrivain partenaire, établir des liens avec des œuvres, domaine de référence qui favorisera la contextualisation littéraire et culturelle du travail en cours. Une manière d’être et de penser le monde Il nous faut tenir et penser ensemble les termes de la contradiction : l’invention est au programme, l’invention n’est pas programmable, elle est non seulement dépendante du labor et de l’opus, mais des aléas de la vie. Mais alors quels liens instaurer ou restaurer entre vie, langue et littérature ? Sur quels fondements bâtir pour refonder ce rapport ? « La vie ne vit pas, elle ne devient vivante qu’une fois représentée 7 », écrivait Adorno. Comment la modernité pourrait-elle alors nous permettre de dépasser les représentations archaïques concernant l’écriture trop souvent marquée par deux types d’excès ? J’en veux pour preuve, du côté de la réception et de l’analyse des textes, les termes techniques dont abusent parfois certains enseignants donnant alors Écriture, invention, représentation 155 l’impression qu’ils inculquent aux élèves des compétences de « télégraphes dressés à saisir et à transmettre instantanément les messages reçus 8 », ou, du côté de la production d’écrits, les débordements affectifs que d’aucuns imaginent dès lors que l’on s’adonne à l’écriture sans que celle-ci soit d’abord cadrée et surdéterminée par des objectifs d’apprentissage essentiellement techniques. Comme si l’écriture ne pouvait être abordée sans qu’aussitôt on en détermine penser 9, une manière d’être et de penser le monde. Le contemporain met en présence et d’une certaine manière sous tension des thèses qui peuvent être appréhendées de façons contradictoires et coexistent pourtant dans les divers champs des sciences humaines : la fonction représentative du langage et de l’écriture d’une part, avec la distance critique qu’elle induit, de l’arbitraire du signe à Wittgenstein (car, nous le savons bien, le mot n’est pas la chose, la rose est absente de tout bouquet, je est un autre...), et, d’autre part, l’idée d’une langue constitutive du sujet, d’une langue que j’aurais globalement dans la peau par le jeu qui s’instaure entre le sémiotique 10 façon Julia Kristeva et l’entrée dans le symbolique. Cette dualité, cette tension ou contradiction positive, l’école a du mal à la comprendre, au sens originel du terme : écrire est à la fois un mode de représentation du monde et une modalité de l’actualisation et de l’invention de soi dans le mouvement du faire. « Trouver en faisant » En tant que mode de représentation du monde, l’écriture créative peut s’inscrire dans le prolongement de la mimésis aristotélicienne pour laquelle « il n’est guère question ici d’invention spontanée et encore moins d’expression de soi 11 ». En tant qu’elle actualise 12 quelque chose de soi-même sur le plan de la pratique, ou qu’elle pratique artistique invite l’écriture à courir le risque de l’invention qui requiert « la venue de ce qui se représente et ce sur quoi l’on bute comme sur une trouvaille 13 ». Dans le même ordre d’idée, le « Trouver en faisant » du peintre Eugène Delacroix 14 traduit l’importance accordée, à l’aube de la modernité, à la démarche et à l’expérience concrète du faire artistique. Cette conception de l’œuvre issue de la pratique, conception résolument moderne, Ce qu’en disait Gaétan Picon dans L’Usage de la lecture 15 me semble à bien des égards éclairant : « Il y a une conscience moderne de l’art qui, confrontée à la conscience qui la précède, nous suggère qu’un art de création vient d’être substitué à un art d’expression. Avant l’art moderne, l’œuvre semble l’expression d’une expérience antérieure [...] l’œuvre dit ce qui a été conçu ou vu ; si bien que de l’expérience à l’œuvre, il n’y a que le passage à une technique d’exécution. Pour l’art 156 Écriture et invention moderne, l’œuvre n’est pas expression mais création : elle donne à voir ce qui n’a En mettant la langue à l’œuvre, en re-saisissant l’écriture, du geste créateur à l’esquisse d’objet et de l’objet aux formes littéraires reconnues, la pratique artistique déplace les représentations de la littérature à l’école parfois trop souvent considérée comme une littérature d’idées conçue a priori par l’auteur, puis exécutée ensuite, selon un plan pré-établi. La pratique artistique interroge non seulement le statut de aussi le statut du texte en devenir, matière première d’où émerge la ou les structure(s) rapport au symbolique, articule le sujet de la rationalité et de la conscience critique au sujet de la phénoménologie et de l’inconscient. Tout cela sans doute parce qu’aujourd’hui, on ne peut plus fonder la rationalité sur l’exclusion de ce qui la conditionne en partie : le sémiotique tel que l’entend Julia Kristeva, ou ce que désigne parfois comme « fait de langue » le langage non normé de l’élève aux prises avec la norme syntaxique. En effet, l’invention est le résultat des « ratés de la programmation, elle surgit dans rigoureuse ni de la prétendue spontanéité créatrice 16 », mais se développe selon les modalités propres à la représentation et aux postures du sujet durant le travail. Quelles sont alors ces modalités ? On peut les rapprocher des catégories de la mimésis qui, selon Aristote, et « contrairement à la traduction reçue, n’est pas une imitation, mais l’essence du faire humain ». « La mimésis est un acte dont Catherine Perret. L’écriture, un art de la représentation Dans la perspective ainsi tracée, l’écriture d’invention, créative, personnelle, à vocation artistique, est un art de la représentation – comme le plan pour l’éducation artistique et l’action culturelle le souligne – supporté par la fonction auteur, médiatisé l’élève à occuper différentes postures, celle de l’auteur qu’il peut être lorsque rendu, et celle du lecteur qu’il devient à la lecture des réalisations de ses camarades. Grâce à l’atelier qui favorise l’interactivité, le re-travail du texte en vue de sa transmissibilité en tant qu’objet esthétique, le développement de l’esprit critique (notamment grâce à la mise en place toujours possible, au niveau de l’établissement, de comités de lecture locaux associant les professionnels de la lecture publique), l’écriture devient alors occasion d’humanité et d’humilité en conjuguant émotions maîtrisées parce que librement consenties, savoirs et savoir-faire. Écriture, invention, représentation 157 Un déplacement de la formation, de la maternelle à l’université Une fois l’élève sensibilisé à ces démarches et postures de recherche personnelle repères et les références culturelles désignés en appui de son travail, il est clair qu’il sera mieux à même d’apprécier à leur juste valeur des activités scripturaires encore feront acquérir l’aisance et la mobilité de pensée nécessaires pour qui sait qu’entrer ainsi dans le jeu de l’écriture est une façon de progresser dans la connaissance des modes de représentation du monde, des registres de l’expression et des procédés littéraires. La technique est toujours nécessaire, mais toujours seconde et non comprendre les enjeux rhétoriques et stylistiques. Ce qui déplace la formation d’un seul tenant et cela d’un bout à l’autre de la d’enjeux nouveaux pour l’enseignement de la littérature appréhendée en tant qu’art de faire et en tant que pratique artistique pouvant faire appel à d’autres arts, notamment dans le domaine du théâtre-expression dramatique, du cinéma, de la musique et des arts plastiques. Il conviendrait donc de mettre en place des formations partenariales conduites a priori théoriques qu’elles induisent ; enjeux liés à l’écriture créative, de ce que l’invention engage et actualise de la vie du sujet et des modes de représentation du monde et en particulier du monde contemporain ; – d’engager un travail de recherche sur l’articulation entre pratiques artistiques et enseignement de la littérature, entre écriture créative et exercices normés préparant l’élève à l’épreuve anticipée de français, exercices terminaux qui par les programmes et les documents d’accompagnement ; – de créer des ponts et des passerelles entre l’écriture et d’autres formes d’art, notamment dans le domaine du théâtre, du cinéma et des arts plastiques. Ces formations pourront trouver leur place dans le cadre des options à dominante arts et culture ou dans le cadre des stages relevant de la formation continue. 158 Écriture et invention 1. À l’image des propositions théâtrales, ces notes sont des “propositions de travail” et se Catherine P , Les Porteurs d’ombre, mimésis et modernité, Paris, Belin, 2002, sur celui de Julia K , La Révolution du langage poétique, Paris, Seuil coll. Points, 1974, et sur le travail de Jean R , Paris, Corti, 1982. 2. Catherine P , Les Porteurs d’ombre, mimésis et modernité, Paris, Belin, 2002. 3. Aphorisme de Maurice B cité par François B dans Tous les mots sont adultes – Méthode pour l’atelier d’écriture, Paris, Fayard 2000. 4. Selon Catherine P , Henri M désignerait ainsi un espace de subjectivation intermédiaire qui excède le moi et l’univers de la conscience : “l’extension du moi aux dimensions du dehors, l’inscription dans le moi de ce dehors” – ce que j’opposerais à une conception de l’intime centrée sur l’individu isolé, clos, insulaire ; ce plan de subjectivation intermédiaire étant notamment ce sur quoi s’exerce la fonction auteur. 5. Nouveau dispositif partenarial mis en place dans le cadre du Plan pour l’éducation artistique et l’action culturelle. 6. Jean R , Paris, Corti 1982, page VI. 7. A cité par Catherine P dans “Les Porteurs d’ombre, Mimésis et modernité”, Paris, Belin 2002. 8. Valère N “Brûler les livres”, in La Langue à l’œuvre, Presse du réel-Maison des écrivains, 2000. 9. Voir le texte de Leslie K , Une forme particulière de pensée, La langue à l’œuvre. 10. Le sémiotique est à la fois l’inscription sur le corps de l’enfant de marques distinctives liées aux pulsions durant la phase préverbale, et le rythme interne au langage que M évoque lorsqu’il parle du “mystère dans les lettres” comme d’un espace sous-jacent à l’écrit, profondément rythmique et musical – Julia K , La Révolution du langage poétique, Paris, Seuil, coll. Points, p. 17 à 100. 11. Catherine P , op. cit. 12. Actualisé par le signe : “il s’agit de faire signe du mouvement, du devenir, de cette pure energeia qu’est cette vie”, ibid., p. 254. 13. Catherine P , op. cit. 14. Extrait du journal d’Eugène D , cité par Jean R dans , Paris, Corti 1982. 15. Ibid., page VII. 16. Catherine P , op. cit. Le débat Jeanne-Antide Huyn, IUFM Paris, Marie-France Leclercq, IUFM Nord – Pas-de-Calais Eddie Panier, UFR arts plastiques Françoise Savine, IA-IPR lettres, académie de Lille Patrick Souchon, rectorat de Versailles Élisabeth Nonnon, IUFM Nord – Pas-de-Calais A élèves, et les objectifs de formation professionnelle, des experts de diverses disciplines, ayant tous une pratique de formateur d’enseignants dans le domaine de l’invention, mais appartenant à des disciplines ou des contextes institutionnels où les parcours de formation, les histoires disciplinaires, le statut de l’invention ne sont pas forcément les mêmes, confrontent leurs approches 1. É. N : Le simple fait de confronter les disciplines ouvre des perspectives et suscite des interrogations, en nous invitant à relativiser nos évidences. Sans aborder la dimension institutionnelle (voir quand les questions ont surgi et sous quelles questions se posent à trois niveaux. Le premier serait celui de l’invention dans la classe : quelles sont les caractéristiques de dispositifs qui aideraient les élèves à l’invention, en classe, dans les conditions ordinaires du travail scolaire ? Ce sujet soulève beaucoup de problèmes : le temps dont on dispose, le matériel et les références, le matériau de l’invention, et tout ce qui concerne la programmation. Le deuxième niveau, central dans nos échanges, est celui des compétences à développer, ou à exploiter chez les enseignants, pour qu’ils puissent aider les élèves à l’invention : il y a des compétences générales (en termes de regard, de rapport à l’erreur), il y en a aussi d’autres, plus techniques, à construire, par exemple, pour apprendre à préparer, accompagner, évaluer sa classe. 1. Voir notes p. 175. 160 Écriture et invention Le dernier domaine serait celui des compétences de formateur, pour la formation d’enseignants. Comment, en formation initiale et continue, aider des enseignants à aider leurs élèves à l’invention, avec la question de savoir si les situations de formation doivent être homogènes à celles qu’on propose aux élèves. Autrement dit, faut-il forcément mettre les enseignants en formation à l’écriture pour qu’ils puissent Qu’est-ce qu’aider des élèves à l’invention dans la classe ? É. N : Sur ce premier point, ce qui est compliqué, me semble-t-il, ce n’est pas, ou pas seulement, d’aider des jeunes à l’invention mais de le faire dans les conditions de la classe, avec les objectifs de la classe, donc de trouver les dispositifs qui puissent aider à l’invention en contexte scolaire, en tenant compte d’une double tension : aider à la dimension personnelle, installer des apprentissages qui soient collectifs et constituent une culture commune. d’invention qui tiennent dans une heure, intégrent le fait qu’au bout de cinquantecinq minutes, il y aura la sonnerie. De plus l’enseignant construit sur une année, du moins sur un cycle. On sait faire des exercices de sensibilisation, on sait créer des moments extraordinaires pour l’écriture. Comment construire ce qu’on pourrait appeler une progression, même si l’on ne prend pas « progression » au sens linéaire ? Et comment répartir sur l’année scolaire le temps de la pratique et le temps de l’analyse ? : Sur la question du temps, je n’ai pas de réponse. On peut quand même se dire que les mises en situation d’écriture sont de plusieurs natures, et qu’il est plus facile de créer des moments extraordinaires que de travailler au long cours. Mais travailler se mettre dans des situations de rentabilité (produire vite, proposer des notes) et le temps devient un véritable problème parce qu’ils envisagent ces questions d’un point de vue professionnel. Écrire est chronophage, on le sait, mais il me semble que aux élèves, aux parents d’élèves, à la communauté scolaire : c’est bien aussi comme cela que les questions se posent. Nous avons pourtant derrière nous, sur le plan didactique, les projets d’écriture longue, où nous avons travaillé sur un ou deux mois à l’écriture de nouvelles, par exemple : ce sont encore des référents intéressants, on peut se reporter à cette manière de gérer l’écriture. Le cadre de la séquence et des enchaînements de séquences permet aussi de prévoir une programmation davantage en termes de complémentarité qu’en termes de progrès-progression. Il y a à faire travailler les élèves sur tous les types de discours, à ne pas se focaliser seulement sur à les promener de l’un à l’autre. On peut penser qu’avec les nouveaux programmes, Le débat 161 on aura de plus en plus des élèves compétents, qui entreront plus vite dans les stratégies que nous mettons en place : on peut faire ce pari. La question du temps, temps de concentration différents, des entrées dans l’écriture et des rituels d’entrée dans l’écriture différents. Pour le moment, on utilise l’aide individualisée, des travaux en petits groupes, où le temps est moins compté. Sur cette question, à l’intérieur des plages de deux heures, il reste encore à construire le temps de réelle. Rien n’empêche un professeur de faire écrire pendant trois semaines autour d’un même objet d’écriture. Ce sont des discours qu’on a à tenir à la communauté scolaire et aux élèves. : Je vais faire deux remarques concernant les arts plastiques. D’abord, lorsque le ministre Léotard a fait passer le texte sur les ateliers de pratique artistique, en juillet-août 1985, il me semble, il y avait, à la rentrée dans l’académie, plus de quatre-vingts demandes d’enseignants : il y a une attente de pouvoir disposer d’un temps beaucoup plus long qu’une heure par semaine, et les ateliers de pratique artistique permettent d’avoir trois heures par semaine. Les enseignants d’arts situations d’enseignement en une heure par semaine, pour vingt-cinq à trente élèves à solliciter. Ensuite, c’est ma seconde remarque, l’école est le dernier lieu sans doute où l’on peut perdre son temps, et nous avons énormément de chance, parce que lors de l’évaluation sommative au collège, les arts plastiques ne valent rien : même un une grande liberté parce que nous jouons un rôle marginal. Pour les stagiaires, nous d’apprendre quelque chose et de pouvoir être évalués mais de faire entrer le plus d’ordre didactique et pédagogique : il faut trouver des exercices, des déclencheurs, des situations d’incitation, cela demande une certaine rapidité de compréhension du problème posé. Ensuite chacun fait un peu à sa manière et en fonction des élèves qu’il a en face de lui. Certains travaux seront terminés en une heure, d’autres s’élaborent en cinq semaines. Les parents qui ont des enfants au collège ont peut-être déjà été encombrés chez eux par des « machins », des travaux en arts plastiques : les élèves motivés prennent sur leur temps personnel pour mener à bien ces réalisations. Trois petites choses sur le temps. La première : pour le professeur de français qui n’a peut-être pas l’impression qu’on peut perdre du temps en cours, je dirais qu’on peut tordre le cou à un certain nombre d’introductions inutiles. Le deuxième 162 Écriture et invention point, ce serait que l’usage du temps n’est le même ni à toutes les heures ni à tous les moments d’une séquence, à tous les moments d’une année. C’est fondamental, à mon avis, de prendre un temps, peut-être énorme, pour créer le lien entre l’élève et le texte, l’œuvre, la problématique d’une séquence. Et après, on peut aller plus travailler sur des formes d’écriture inachevées, des brouillons, des fragments, ne pas aller chaque fois jusqu’à la forme aboutie. Je crois à des choses légères, incomplètes, rapides, multiples, qui sont aussi des formes d’écriture et qui permettent d’inventer parfois vite, même si l’on peut se lancer dans des projets longs et plus construits. : Derrière la question du temps, je pensais aussi à celle de la programmation. On est tenté de l’éliminer, si on la prend au sens d’une progression linéaire, où tout est écrit d’avance. Mais la question de l’organisation dans le temps d’un apprentissage de l’invention est incontournable. Si on la pose simplement comme l’ont fait longtemps les écrits disponibles sur les jeux poétiques ou même les ateliers, on risque de retrouver ce qui a été la dérive des types de textes, c’est-à-dire les tiroirs successifs en relation d’accumulation, et de proposer un supermarché de situations dont chacune est intéressante, où l’on étudie tour à tour la charge sémantique des mots, le rythme, etc. Sur quelles bases pourrait-on dire qu’il y a un progrès, ou qu’une situation-problème d’invention est plus complexe qu’une autre ? : Je vais rebondir sur la proposition concernant la progression dans l’année. En collège un seul enseignant d’arts plastiques a souvent dix-huit ou vingt classes : lorsqu’il accueille les enfants en sixième, il les retrouve en troisième, et généralement il les suit d’année en année. Nous assistons au passage de l’enfant à l’adolescent. Pour le collège, nous pouvons récupérer notre travail sur la progression, d’autant que nous avons un outillage depuis quelques années, qui est une progression non plus linéaire Certaines questions sont récurrentes de la sixième à la troisième, on s’en aperçoit, et cette récurrence s’appuie sur l’évolution de la maturité de l’élève. Le problème ne se présente plus de la même manière mais on y revient : dans le programme de troisième on évoque projet, autonomie, démarches : des objectifs extrêmement ambitieux, qui reposent sur cette particularité de suivre un enfant pendant quatre ans. : Sur les dispositifs propres à l’action culturelle, il est clair que ce sont des dispositifs où l’on peut prendre son temps et même le perdre, pourquoi pas, en travaillant sur l’écriture : les classes à projet artistique et culturel qui permettent à un enseignant de travailler avec un partenaire extérieur, une quinzaine d’heures Le débat 163 (sept séances de deux heures) ou les ateliers artistiques qui se déroulent, hors du temps de la classe, avec des élèves volontaires issus de tous les niveaux d’enseignement, là aussi en partenariat. : Mais cela pose aussi le problème pour l’enseignant de gérer deux durées, une durée luxueuse et épisodique, celle des ateliers ou de l’événement culturel dans la vie de la classe, et le reste du temps, celui du travail scolaire, qui relève d’une autre temporalité. : On n’est pas obligé de vivre le temps d’une manière aussi tranchée. L’activité d’une classe de pratique artistique doit être préparée en amont et déboucher sur des exercices plus normés, dans une progression du non-normé au normé, avec des cadres de plus en plus contraignants. Au départ, pour avoir vraiment une entrée dans l’écriture qui corresponde à une visée de pratique artistique, il faut une mise à l’écart des modèles, une démarche où progressivement le modèle vient comme support pour contextualiser la pratique. On part du travail de l’élève pour avoir une matière à partir de laquelle on va construire en articulant des savoirs et des compétences. Ce serait terrible de vivre cette classe artistique de manière schizophrénique, un temps où l’on est entièrement libre et un temps où l’on fait des exercices normés. Un bon projet, c’est un projet préparé et qui permet des réinvestissements pendant toute l’année sur des pratiques d’écriture. : Il serait intéressant de dégager ce qu’on peut appeler « situation-problème » et de voir comment un paramètre, comme ceux qui ont été dégagés, par exemple, pour l’invention musicale, peut être sujet à approfondissement, comment on peut concevoir, autour d’un des paramètres de l’invention, des activités qui ne soient pas : Concernant la progression entre collège et lycée, l’écriture d’invention va poser problème parce qu’elle se pratique aussi au collège. On a eu tendance jusqu’à maintenant à dire qu’au collège on développe des habiletés, des savoir-faire, plutôt du côté artisanal (c’est peut-être réducteur, on fait aussi beaucoup de choses qui ne sont pas de l’ordre des savoir-faire), et qu’au lycée, il faut se préoccuper de l’écriture littéraire. Nous avons à travailler sur ces questions. Au collège par exemple on écrit une scène de théâtre : qu’est-ce qui va faire le plus de l’écriture de cette scène au lycée ? Qu’est-ce qui va faire la différence entre les habiletés qu’on a pu mettre en place au collège, parce qu’on a travaillé sur le dialogue théâtral, et celles qu’on va demander au lycée quand on propose le même exercice ? Un des pôles forts, c’est 164 Écriture et invention je mets en œuvre : est-ce que je fais le choix de cette écriture-là par rapport à une autre, contrairement à une autre ? Cette question me paraît de taille. : En musique, tout se passe dans le temps, il faut être en action dans le temps. Forcément, l’activité en musique ne peut être que réduite, parce que pour être vraiment dans le temps en activité musicale, il faut être extrêmement concentré, vraiment dans le temps en activité musicale, il faut être extrêmement concentré, présent et impliqué dans son action : on ne peut pas le faire pendant des heures, à moins d’être un interprète de classe internationale. Donc ce sera par petits moments, mais au fur et à mesure, les progrès concernent, je pense, la discipline (on devient meilleur, on sait mieux), mais ils sont aussi de nature transversale : progressivement on saura s’impliquer de manière plus rapide, se concentrer de plus en plus longtemps, et cela permettra de gagner du temps. : Ma deuxième question concernant l’invention dans la classe touche à la matière, l’enseignant et références données aux élèves). Ce n’est pas un hasard, je crois, si Marie-France Leclercq a montré le rôle qu’ont joué des groupes de musique contemporaine, et comment des problématiques mi-théoriques, mi-didactiques sur l’invention se sont développées à partir de la musique contemporaine. On peut penser que la musique contemporaine – mais ce serait sans doute la même chose en arts plastiques – a permis de dégager un certain nombre de paramètres qui pouvaient être transposés à un travail d’invention avec des élèves. Eddie Panier a aussi parlé de la modernité. Ce qui m’a posé question par rapport à notre discipline et à sa dimension patrimoniale, c’est la référence aux formes du quotidien, en arts plastiques ou en musique. Nous avons évoqué, par exemple, des grincements de portes. Bien sûr, dans ce cas, c’est légitimé par Pierre Henry. Quelles références est-on capable d’introduire dans sa classe, références nobles (Pierre Henry) ou références moins nobles mais qui sont légitimées par Pierre Henry (les vrais grincements de porte) ? En arts plastiques, il peut y avoir l’équivalent, par exemple avec Duchamp. Il est peut-être moins facile de construire des situations d’invention pour des élèves à partir de Beethoven ou de Musset. Et donc comment se construit le musée imaginaire, de quelle nature est-il, dans quel rapport est-il avec les textes patrimoniaux ? : construire un musée imaginaire tout en respectant les textes du programme. Revenons sur la modernité. Nous avons un certain nombre de théories qui « travaillent » l’idée de modernité. Il y en a au moins trois qui fondent notre discipline au e siècle : la Le débat 165 première, c’est la recherche de l’autonomie, c’est-à-dire de ce qui est propre aux arts plastiques, qui a mené l’art du e siècle en direction de l’abstraction. La deuxième serait le réalisme qui traverse tout l’art du xxe siècle. Et il y a une théorie assez plaisante (parce qu’elle contamine de l’intérieur la première), selon laquelle l’art entretiendrait toujours une relation un peu ambiguë avec les cultures marginales : toutes les situations d’invention d’avant-garde au e siècle auraient été celles qui ont le mieux entretenu les relations avec la marginalité. Donc nous préférons partir de cette ambiguïté-là, parce qu’on y retrouve un paradigme intéressant, celui de l’articulation entre une culture noble, une culture d’enseignants, et une culture d’élèves. Non pas que les élèves relèvent de la marginalité, mais nous souhaitons déjà y trouver quelque chose de constitué : un élève qui vient chez nous a déjà une idée sur la culture, l’art, a déjà à son actif des réalisations qu’il prétend être belles. Et dans ce paradigme de l’articulation entre une culture noble, savante, et la marginalité, on va effectivement puiser les relations entre le quotidien (des éléments qui évoqueraient chez les élèves une immédiateté) et quelque chose d’un possibles. Il y en a un autre, évident, qui lui est consécutif : qu’est-ce qu’une pratique chez un élève, à partir du moment où elle s’inscrit dans une situation de cours ? Le travail de l’élève va avoir la même ambiguïté que les écrits en cours de français. Nous allons trouver quelque chose d’intéressant dans la maladresse, qui ne respecte revenir sur quelque chose pour l’approfondir ? Peut-il exister une typologie de relation avec ce que j’appelle le « champ référentiel » ? : Il me semble que nous pourrions tout à fait adopter la notion de musée imaginaire : imaginaire, dans lequel nos connaissances et nos références se construisent, est quelque chose d’extrêmement hétéroclite, toujours hétéroclite, quel que soit l’état sophistiqué de la construction de nos savoirs de lecteurs et scripteurs experts. Le fait de revenir sur ce point, de l’exhiber de temps en temps aux élèves et d’en discuter avec eux, c’est aussi leur permettre ou leur ouvrir la voie pour fédérer et utiliser des références dont ils pensent qu’elles ne peuvent pas s’accorder ou dont ils pensent que nous leur interdisons de tenter de les assembler dans des formes un peu étranges ; et pourtant, c’est comme cela qu’ils pensent et c’est comme cela que nous pensons. Nous ne le montrons pas dans les situations extrêmement lissées de cours, où nous nous tenons toujours dans le surplomb. Quand nous venons, tout est prêt et tout le désordre est en amont. Nous demandons à l’élève d’exhiber son désordre au milieu de tout le monde dans la classe, alors que nous, nous avons tout ordonné. Je crois qu’un des enjeux de l’écriture créative, c’est peut-être cela, ce moment où il y a un partage sur ce désordre-là, qui est celui de notre musée imaginaire. 166 Écriture et invention : Avec la question du musée imaginaire, nous touchons à quelque chose qui le champ des références et la matière de l’invention dans le cadre d’une modernité même transgressive. On le fera toujours dans la mesure où c’est légitimé, où il y a référence à Pierre Henry ou Duchamp, ou des artistes plus modernes. Le risque de l’écriture d’invention et de ses champs de référence, est sans doute de se heurter au un sens qui dépasse la rhétorique, il risque d’arriver dans la classe des références culturelles qui sont celles des élèves, qui ne sont même pas légitimées par une approche artistique, même transgressive et moderne. Et il y a un grand danger, je pense en particulier à l’école primaire, qui serait de développer de façon exclusive ce que nous appelons entre nous « l’imaginaire Gallimard », ou que l’École des Loisirs devienne pour les petits l’univers englobant de toute la parole. Cela relève de la question des cultures illégitimes et de la place qu’elles ont dans ces dispositifs d’invention. : Je voulais dire, à propos du musée imaginaire, quelques mots sur ce qui peut être en relation avec lui, la bibliothèque subjective d’un écrivain. On peut solliciter un auteur, non seulement sur sa pratique de l’écriture mais aussi sur sa manière de lire le patrimoine, et c’est important, puisque notre souci est de rendre contemporaine la lecture du patrimoine, d’avoir la lecture d’un auteur contemporain. François Bon parlant de Rabelais, c’est passionnant, cela actualise la dimension contemporaine de tels auteurs. Le partenariat conjugue la confrontation de cette bibliothèque subjective et de la bibliothèque de l’école. : À propos de bonne et mauvaise culture, je sais que des collègues de musique s’intéressent actuellement à des logiciels de technologie et travaillent sur la façon d’utiliser ces logiciels dans les collèges pour en faire des choses intéressantes et artistiques, par le biais de l’informatique musicale. Quelles compétences développer en formation pour préparer des enseignants à aider les élèves à l’invention ? : Le second domaine de questionnement est celui des compétences qui seraient à développer ou à exploiter chez l’enseignant pour cette aide à l’invention de ses élèves. Je poserai d’abord la question des connexions entre une pratique personnelle de l’enseignant et les formes d’invention qu’il propose en classe : y en a-t-il ? Le débat 167 lesquelles ? sont-elles nécessaires ? On déplore qu’en lettres, par exemple, la facile de savoir sur quels points exacts on attend un apport de la pratique personnelle dans l’intervention professionnelle de l’enseignant. Mais en même temps, quand cette pratique existe, qu’elle a été sollicitée depuis longtemps, ce peut être un obstacle que la formation doit aider à dépasser. Sur quels points précis une pratique personnelle d’invention de l’enseignant peut-elle apparaître comme nécessaire pour fonder sa pratique professionnelle ? comment peut-elle être un obstacle ? : Nous avons, me semble-t-il, des référents intéressants. Ainsi, par exemple en lettres, les romanciers professeurs qui nous permettent d’éclairer ce que donnent, dans un certain nombre de classes, des pratiques personnelles. Pennac, Piccouly sont des enseignants et en même temps des écrivains, médiatisés, et qui sont souvent dans des démarches très mimétiques vis-à-vis de leurs élèves. Il est vrai qu’on peut interroger cette double dimension : il y a toujours un risque d’effet Pygmalion dans cette pratique personnelle, en tout cas en lettres. C’est pour cela que j’insistais sur la pratique personnelle de l’écriture en atelier d’écriture, et encore, si l’on n’est pas face à des passionnés ou à des militants de l’écriture, de l’atelier d’écriture à visée didactique. Je crois que ce n’est pas du tout la même chose de faire l’expérience de l’écriture en atelier que d’écrire chez soi des nouvelles : là on est dans la sphère du privé, alors que la sphère de l’atelier d’écriture est celle du professionnel. On y confronte des façons d’écrire et le privé y intervient, mais avec de multiples garde-fous. La sphère d’écriture du privé doit rester privée. Par contre dans une soi-même, avec des collègues – parce qu’on est aussi entre collègues, ce qui, entre nous, n’est pas une mince affaire. On est du même milieu, on a les mêmes référents culturels. Et cela aussi peut poser problème. Par exemple, on peut interroger, dans la pratique d’ateliers d’écriture des professeurs de français, le peu de références à la modernité. Il y a des carcans d’écriture e, peu de voyages du côté de l’écriture de la modernité. : Nous avons constaté, c’est vrai, qu’une pratique personnelle peut conduire à un mettre en place des formations qui posent la question de l’entrée dans la littérature, et de se porter garant de la diversité des esthétiques. Le surinvestissement sur une pratique, une manière d’être et une manière de faire est sclérosant. Pour dépasser cet enfermement, il faut constituer des parcours de formation qui permettent aux enseignants de rencontrer diverses esthétiques. Et dans la formation, c’est très compliqué. J’ai vu récemment le poids de l’organisation nécessaire pour un stage à la bibliothèque nationale de France, où intervenaient différents auteurs. Cela faut veiller à ce respect de la pluralité. 168 Écriture et invention M-F. Leclercq : Encore une fois le cas particulier de la musique. Le cliché et l’observation des pratiques des musiciens montrent que ce sont des auditeurs, des interprètes, parfois des compositeurs. Si le musicien est compositeur, c’est quelqu’un qui est à sortir pour faire travailler une classe. Mais pour les musiciens, je crois, il est indispensable qu’ils aient une pratique créative de l’improvisation, de l’invention, parce que justement il y a cette contrainte très forte de l’interprétation note à note, précise, ou bien de l’auditeur qui repère exactement. La pédagogie du modèle est très contraignante en musique. Pour oser se lancer dans une pratique créative avec des élèves, il faut, à mon avis, l’avoir expérimentée soi-même, sans aller forcément jusqu’à être compositeur. Je dirais que cela procède en fait d’un certain aspect de la personnalité : il faut être ouvert, souple, prêt à ne pas s’angoisser si l’on sort du sentier. Il ne faut pas avoir peur des chemins buissonniers. Un participant : Nous touchons là à la question d’une pratique personnelle d’écriture d’invention. Il y aurait peut-être aussi une façon indirecte de l’aborder. N’y aurait-t-il pas une conception de la formation où l’on essaie de construire des enseignants inventifs professionnellement ? – ce qui est à la fois moins violent, et plus violent. Comment réagissez-vous à cette idée, sachant qu’elle ne permet pas d’aborder directement l’écriture d’invention mais seulement de favoriser une construction professionnelle d’invention ? : Je vais d’abord revenir sur ce problème sous-jacent qu’est le modèle. En fait nous, nous avons dans notre histoire la rupture avec les académies, qui date du e siècle (c’est-à-dire les académies où un artiste reconnu enseignait à des étudiants qui ensuite étaient formés dans la même école). Deuxième révolution, celle de la débouché sur la création de départements d’arts plastiques, qui est une particularité extrêmement ambigu, pour la formation des étudiants, puisque nous avons à la fois les beaux-arts censés former des artistes et les facultés censées former des enseignants. Or la pratique personnelle de l’enseignant est devenue un tabou dans la classe, à partir du moment où il y a eu plusieurs catégories d’étudiants. Le tabou a été instauré par l’institution vis-à-vis de ceux qui venaient des beaux-arts, en leur disant « Soyez moins artistes, soyez plus enseignants ». : Que devient cette mise à distance de sa propre pratique dans la formation ? Le débat 169 Actuellement dans la formation, il est concevable, grâce à un outillage universitaire en licence et en maîtrise, d’avoir une pratique personnelle sans que cette pratique personnelle fasse effet modèle dans les cours. Et pour ce faire, il faut mettre en œuvre un véritable travail d’écriture, la maîtrise d’arts plastiques notamment, qui est un travail un peu schizophrénique d’écriture sur sa propre pratique. Et cette mise à distance, on la retrouve aussi dans le mémoire professionnel. Je pratique, je ne peux pas être modèle mais par contre, ce que je peux dire de ma pratique de plasticien et d’enseignant peut être la base d’une discussion et d’une confrontation. Nous travaillons sur ces enjeux-là, sachant que les étudiants d’arts plastiques ont connu des situations d’invention où ils ont été évalués, où ils ont été plutôt gênés de travailler en public et auraient préféré travailler seuls chez eux. Il y a des reproductions de l’ordre de l’intime qui nous paraissent assez favorables. : Comment favorisez-vous les pratiques d’invention en formation ? : qu’ils soient prêts à prendre des risques, il ne faut pas oublier qu’en tant que formateurs, nous partons du même postulat. Nous avons neuf mois pour former des pas pourquoi ils prendraient le risque d’inventer. C’est le premier principe, et cela demande au formateur une aptitude à organiser des séances de travail où ont lieu des confrontations de situations-problèmes inventives, et où il doit lui-même évaluer l’invention des stagiaires. On doit donner soi-même pour recevoir. Il est impossible que le formateur ne donne pas ses cours, que ces cours ne soient pas testés, qu’ils n’aient pas pu échouer, pour bien comprendre à quel point la part de travail personnel et l’histoire que l’on construit avec ses élèves sont déterminantes. C’est un deuxième principe de la formation d’enseignants en arts plastiques : on leur apprend qu’ils créent une histoire avec leurs élèves et que cette histoire a lieu dans un espace particulier, qui est celui de la salle d’arts plastiques, que ce qui s’y déroule ne peut pas se retrouver tel quel dans la formation. : Comment alors travailler sur des situation d’invention en classe qui sont absentes en formation ? : On travaille sur les écarts que chacun vit. Cela fait appel à la qualité d’évoquer des parce qu’à la limite nous pouvons apporter des travaux de nos élèves, tous nos 170 Écriture et invention travaux, y compris les plus mauvais, et montrer comment on peut en faire une évaluation, mais tout en disant que ce qui est là n’est pas simplement là mais suppose toute une construction. Pour mettre l’élève en mouvement, il faut pouvoir rebâtir ce qui a été vivant dans la production. Et le dernier élément, le mémoire professionnel, est aussi un lieu d’invention, où sont relatées des situations d’invention des élèves. Et nous sommes poussés à relire ces travaux pour tenter de rebâtir une histoire, entre le professionnel et le didactique, où sont évoquées des situations d’enseignement, et où malgré tout, il y a des germes de la question de l’invention qui apparaît. : La question du métalangage et de l’écriture sur sa propre écriture, nous l’avons enseignants à écrire sur les déplacements dans leur propre pratique, parce que nous impressionnistes, et pour dépasser ce point, nous manquons vraiment de pratique théorisée, d’accompagnement. : Nous avons des approches soit très impressionnistes, soit très normatives, en fait. Par exemple à l’université, des unités de formation prennent la forme d’une écriture de nouvelles, accompagnée d’une sorte de journal d’écriture et de bilan, sur lesquels porte la validation, avec les enjeux que l’on devine. Comment éviter de ne pas, ici aussi, mimer ce que le professeur attend, et par exemple, reproduire en écho sa conception de l’écriture ? Expliquer par exemple qu’on est passé d’une conception référentielle, représentative de l’écriture, centrée sur les choses à dire, à une de l’animateur peut faire que le méta soit en fait aussi conformiste que n’importe quel exercice, surtout s’il y a un enjeu évaluatif. Il faut avoir la théorie qui permette d’accepter que des participants revendiquent des conceptions très différentes de l’écriture, que quelqu’un a le droit de rejeter une approche à la Ricardou, par exemple. Nous en arrivons à des compétences qui sont à la fois celles de l’enseignant et celles du formateur, puisque nous discutons ici, à un double niveau, de l’évaluation. accompagner dans leur mouvement, et en même temps on évalue, on attribue des valeurs ou on les dénie. Cela pose la question de la norme, celle du professeur et celle du formateur. : La question de la norme est vraiment importante en formation. Elle l’est également avec les élèves, car ils ont aussi des normes qui ne sont pas forcément les Le débat 171 nôtres, ils savent défendre des choix d’écriture qu’ils ont faits, et c’est tant mieux. pratiquons à notre insu. Il y a des normes qu’on met en œuvre de façon tout à fait consciente et qu’on assume, et il y a celles qui se mettent en œuvre sans qu’on en ait conscience. Pour ce faire, dans un stage de formation continue pour des professeurs de lycée à Paris, j’ai proposé la réécriture de nouvelles d’élèves de seconde, que j’ai choisies à dessein. C’était notamment une nouvelle qui s’appelait « Disponible pour deux », très roman-photo, lyrique, une nouvelle d’élève de seconde, qui posait un vrai dilemme. Ce qui était intéressant, c’était de montrer à quel point il pouvait y avoir des réactions violentes vis-à-vis des stéréotypes qui sont ceux des élèves. Des enseignants ont refusé catégoriquement de réécrire cette nouvelle (heureusement points qu’ils ont réécrits. Parce que justement, je ne suis pas passée par le déclaratif, les critères d’évaluation (le « j’aime ou j’aime pas » ou « je ne suis pas d’accord »), pouvait nous rendre des services évidents pour analyser des rapports de cultures qui sont aussi des rapports de classes, et pas seulement des rapports entre référents nous pouvons mettre en place avec l’écriture d’invention. Il faut faire très attention, parce que si l’on se dit que cette écriture-là va permettre au sujet de réinvestir un peu l’écriture en classe, si en même temps on a effectivement des pratiques de refus, à notre insu, de la culture des élèves (parce que cela ne se joue pas de façon consciente), à mon avis, cette écriture d’invention va perdre tout son sens, parce qu’elle ne sera plus un mode d’expression de l’élève avec ce qu’il est, sa culture, ses repères. En formation d’enseignants, nous avons vraiment à travailler sur les normes que nous mettons en œuvre, qui ne sont pas seulement nos normes linguistiques ou culturelles, mais effectivement aussi nos normes d’écriture, nos théories d’écriture – et quand on est professeur de français, Dieu sait qu’on en a, des théories ! Il ne faudra pas seulement s’occuper des critères – on peut objectiver – mais voir aussi ce que, à la lecture, nous mettons aussi en œuvre par rapport à la lecture d’invention. : Pour conclure sur les objectifs et les modalités de la formation, on peut rappeler la différence importante entre la culture ou les modes de formation des ateliers d’écriture qui regroupaient des militants de l’écriture et des volontaires et ceux qui relèvent d’une généralisation et concernent des publics non volontaires. Au département de lettres, nous avons choisi une solution prudente : les ateliers d’écriture, qui sont d’introduction récente, fonctionnent sur la base du volontariat l’intégration, de la visibilité et de la légitimité : il va falloir sans doute faire autrement. Quelles questions cela pose-t-il à la formation ? 172 Écriture et invention : À l’IUFM de Châteauroux, il y a eu des ateliers comme ceux-là, mais obligatoires, et je suis intervenue dans des ateliers théâtre. Le comédien avec lequel je travaillais a été extrêmement déstabilisé parce que certains étudiants ont refusé de jouer le jeu, même après de multiples négociations. Le cloisonnement et le statut de cet atelier leur posaient problème : les étudiants percevaient ce module comme un apprentissages didactiques. Dans ce cas, si l’on rend le module obligatoire, on risque de rencontrer des refus. On peut alors se demander comment faire en sorte que cette dimension d’invention innerve l’ensemble de la formation. : Il y aurait alors un autre chantier à envisager : faire en sorte que le modèle de l’atelier d’écriture (ses formes de mise en activité, d’accompagnement, de socialisation des productions) échappe à son ghetto, et ne soit pas seulement ludique du langage, mais soit transposé et élargi à différents types d’écriture, y Un participant : Nous ne sommes pas complètement démunis sur cette question, dans la mesure où, en tant que formateurs, nous avons toujours été dans des situations où l’on met les gens au travail, où l’on rencontre des résistances et où, on le sait, en fonction de la constitution du groupe et du degré de travail en commun, il faut mettre en place des procédures de protection des personnes, d’anonymat, de possibilité d’implication à géométrie variable. N’y aurait-il pas des principes que nous mettons déjà en œuvre, que nous pourrions transposer sur cette question-là ? : Il y en a mais on court de grands risques, il ne faut pas non plus le nier. Il n’y a pas d’homologie, je crois, entre l’atelier d’écriture d’enseignants et les activités d’écriture en classe, ne serait-ce que pour une raison d’effectifs, et pour beaucoup d’autres raisons. Mais on peut garder certains principes, et en particulier un principe de base, selon lequel on a quelquefois le droit de ne pas écrire, ou le droit d’écrire et de ne pas lire, ou de faire dire le texte par un autre. Mais ce droit fait aussi peur, parce Et quand, au bout de plusieurs séances de modules, un élève vous dit : « je n’écris pas », cela devient une interrogation de la relation de l’élève à l’écriture. Et, il faut le Le débat 173 beaucoup du sien, et dans ces cas-là, on peut être sur des malentendus qui rendent impossible l’écriture d’invention. À ce moment-là, il vaut mieux arrêter et faire autre chose, une bonne dictée par exemple. Un participant : Je voulais reprendre un certain nombre d’expressions : « les chemins buissonniers », « former les enseignants à des prises de risque », et repartir sur l’idée que la meilleure façon de stériliser une innovation, c’est de la généraliser. On est dans des tensions : d’un côté on dit « innovez, innovez », et d’un autre côté « il faut généraliser, que tout le monde en fasse autant ». Donc former, c’est aussi former à vivre des situations paradoxales et à les gérer. Ce n’est pas seulement former à inventer, mais aider les stagiaires en formation à entrer dans un métier où l’on rencontre beaucoup d’injonctions paradoxales. On peut ne pas avoir peur des chemins buissonniers quand on a soi-même un peu de sécurité. Quand l’institution va-t-elle : Nous parlions de ce moment de généralisation où personne n’est content, ni ceux qui innovent et qui sont déjà en aval ni ceux qui sont en amont et rechignent à se lancer. Les effets d’urgence que nous avons connus en lycée, les retards de publication des programmes, créent des angoisses, des fantasmes, et durcissent forcément la lecture des instructions. Sur des choses aussi simples que celles-là, je mais qui ont un enjeu fondamental : combien de temps se donne-t-on pour concevoir des programmes, sachant que les lobbies divers joueront leur jeu de marchandage. Cela veut dire qu’il faudrait aussi intégrer ce temps dans le temps de conception des programmes, et aussi organiser des consultations qui ne soient pas des alibis, ou improvisées dans l’urgence, prévoir des formations pendant et après la conception de programmes. La réception des programmes, et la marge de liberté disponible (qu’on peut avoir tout en respectant le cadre) se poseraient d’une toute autre façon. Un participant : Je veux rebondir sur le mot « angoisse » qui a été prononcé. Je pense que tous ces nouveaux programmes délégitiment forcément la culture des enseignants, ceux qui ont été formés il y a vingt ans, et même nos jeunes collègues qui arrivent, à qui l’on dit : « ce que vous avez appris, ce n’est pas exactement ce qu’on attend de vous ». En formation, nous avons à gérer cette angoisse très forte et nous sommes dans une tension entre cette souffrance de se dire « tout ce à quoi j’ai été formé, ce n’est pas cela qu’on attend de moi » et cette demande de modèles, de certitudes. C’est la 174 Écriture et invention : Peut-être pourrait-on inventer une épreuve de recrutement d’enseignants sur les compétences à prendre des risques et à gérer les injonctions paradoxales, je crois qu’on aurait beaucoup avancé ! : C’est un peu ce que nous essayons de faire dans les mémoires, mais après recrutement. Nous nous efforçons de transposer certaines démarches du type ateliers d’écriture sur des sujets différents de ceux habituels des ateliers d’écriture, en mettant ces démarches à l’œuvre à propos de l’expérience professionnelle et intellectuelle. Il y a des pistes à trouver pour éviter de conforter l’image d’une écriture cantonnée dans les sphères de l’expérience privée et subjective (ce qui peut rendre problématique la socialisation des écrits) et pour expliciter sa dimension cognitive, et donc sa rentabilité, en quelque sorte, en formation, y compris dans des situations plus académiques comme l’épreuve de synthèse ou le mémoire. C’est pour ne pas s’exposer à des refus. : Je crois que les enseignants de français sont des experts pour lire des textes littéraires, et il y a beaucoup de transferts entre les méthodes qu’on met en œuvre pour lire des textes littéraires et celles qu’on utilise pour écrire des textes. Il y a là tout un pan de nos formations qu’on pourra récupérer et des passerelles à établir avec les autres disciplines. C’est une des pistes. L’autre piste est de savoir quel traces d’appropriation des savoirs littéraires ? Par exemple, j’ai utilisé en formation un corpus de lettres que des élèves avaient écrites à Baudelaire, et il y avait des différences entre des lettres qui relevaient d’une écriture de mondanité, et celles d’élèves qui s’étaient approprié tout le travail effectué avec l’enseignant sur Les Fleurs du Mal. et savoirs scolaires. Mais il ne faut pas non plus que les savoirs stérilisent les démarches d’invention. : La question du transfert est loin d’être évidente, à plusieurs niveaux. Des enseignants qui savent repérer des effets ou des événements d’écriture dans des textes d’écrivains ne les repèrent pas forcément quand ils interviennent dans des textes d’élèves, du moins quand l’exercice n’est pas strictement applicatif. Il est chez Maupassant ou Céline : c’est une compétence à installer. Ce qui n’est pas simple non plus, on l’observe dans l’écriture du mémoire, c’est de reconnaître des notions (sur lesquelles on fait des cours en s’appuyant sur Maupassant ou Le débat 175 Flaubert, comme la temporalité ou le point de vue), quand elles sont concrètement en jeu lorsqu’on écrit soi-même un texte un peu complexe, même théorique, comme professeurs de français comme des objets d’enseignement et de description de textes terminés, et d’en faire des outils pour la génération de son propre texte. De surcroît dans ce cas, elles se présentent souvent de manière non canonique, dans toute leur complexité. Savoir décontextualiser ces notions qu’on enseigne aux élèves, se rendre compte que c‘est cela qui est en jeu dans des écrits non légitimes d’élèves, et dans des écrits non littéraires qu’on écrit soi-même, cela suppose une compétence assez subtile. Ce peut être aussi une piste en formation. Un participant : La compétence de « lecteur des écrits d’élèves » est certainement une compétence importante à développer. Je voulais juste citer une anecdote qui m’avait frappé au moment où le fait s’est produit. Nous réalisions un recueil de récits avec des élèves de cinquième. Une élève avait élaboré un récit où un bébé qui allait venir au monde de la discussion sur le choix des textes à retenir, je pose la question : « Êtes-vous d’accord pour publier le texte de Nathalie, êtes-vous sûrs qu’il va être bien reçu ? » Et les élèves disent : « Mais Monsieur, Nathalie notre copine, ce n’est pas la Nathalie qui écrit, ce n’est pas pareil, on le publie. » Le recueil est donc publié, et trois collègues de français viennent me voir à la salle des professeurs en disant : « Nathalie quand même, elle a des problèmes, est-ce qu’elle est suivie ? » Autrement dit, ils faisaient une confusion entre auteur et narrateur ; la feraient-ils de la même manière sur des textes produits par des auteurs légitimes ? C’est l’une des résistances que l’on rencontre : la lecture de textes d’élèves interroge notre représentation des enfants, de ce dont ils sont capables. Yves Reuter disait qu’ « on les voit comme des manques sur pattes ». Et si certains parfois étaient plus avancés ? disaient des choses dérangeantes ? La capacité à lire les textes produits par les élèves, à imaginer qu’un certain nombre de choses sont possibles en partant de là, n’est pas donnée nécessairement, elle est à travailler aussi. Un participant : Il m’est arrivé de présenter un petit musée imaginaire sur la mort, qui a suscité des réactions du type « Est-ce qu’un enfant peut être auteur ? » On lui donne, dans un certain cadre très particulier, le droit d’être auteur, même s’il n’en a pas la légitimité. C’est une sorte de contrat. Et si l’on fait une exposition de travaux, par exemple dans le couloir de l’établissement scolaire, tout d’un coup on est hors de ce cadre qui a été mis en place de façon ouverte, transparente avec les élèves, et d’autres personnes leur ôtent cette autorisation d’être auteurs, alors qu’elle était établie avec eux dans ce contexte-là. Mais cette ambiguïté-là, nous avons à l’anticiper ; notre parole est liée. 1. Ces interventions ont eu lieu dans le cadre d’une table ronde organisée lors des journées d’étude des 16 et 17 avril 2002 au centre IUFM d’Arras. Pour préparer la table ronde proprement dite et les communications des différents intervenants (pour lesquelles nous renvoyons aux textes qui suivent), un questionnaire a été remis aux participants. Table des matières Avant-Propos (Jean-François I ) 5 Partie 1 : Écriture et invention : mises en perspectives 7 (Yves R ) Écriture d’invention et nouveaux programmes des lycées (André P ) 9 Partie 2 : Dispositifs d’enseignement et de formation Adapter une proposition d’atelier d’écriture littéraire dans des formations d’adultes à l’écriture fonctionnelle (Rozenn G et Véronique P ) L’écriture en jeu dans l’exploration de la langue : quels dispositifs ? (Fabienne G -C ) Des chemins de traverse : propositions à « faire » (Patricia B et Bruno R ) Vers une typologie des pratiques au collège et au lycée (Marie-Michèle C et Bertrand D ) Produire des écrits littéraires à l’école élémentaire (Danielle D -M ) De l’innovation dans les classes aux pratiques de formation (Denis F , Élisabeth V , Jean-François I ) L’écriture d’invention au collège et au lycée : questions à la formation et à la recherche (Bertrand D ) La fabrication d’album comme outil de formation des professeurs d’école (Monique B ) Partie 3 : Former les enseignants pour aider à inventer : que nous apprennent les autres disciplines ? Écrire en stage pour(se) former à l’écriture d’invention : les enjeux d’une expérience ( eanne-Antide H ) 19 33 35 39 59 71 77 85 97 111 115 119 178 Écriture et invention Étude musicale et invention (Marie-France L ) Invention et mémoire professionnel en arts plastiques (Eddie P ) Une dynamique d’invention pour le professeur (Françoise S ) Écriture, invention, représentation (Patrick S ) Le débat 131 137 143 153 159