les pauvres en esprit
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les pauvres en esprit
Carrefour biblique 2012-2013 LES BÉATITUDES 2 — LES PAUVRES EN ESPRIT Vérité centrale Cette première Béatitude contient en elle et sous-tend toutes les autres. Il est donc d'autant plus important de bien la comprendre et d'éviter tout contresens. Le "pauvre" est une personne adulte et responsable, qui assume sa situation, à l'image de Jésus lui-même. Quelle pauvreté ? Tout d'abord, il faut souligner que l'expression "pauvres en esprit" ne désigne pas les simples d'esprit ou les malades mentaux, même si l'Evangile s'adresse aussi à eux. Cette pauvreté n'est pas à prendre dans le sens matériel uniquement, ni comme étant purement spirituelle ; elle concerne tout l'être. Dans le langage de la Bible, il s'agit surtout d'une relation de dépendance à l'égard des autres ; le "pauvre" est donc celui qui ne peut se suffire à lui-même, qui a besoin des autres pour vivre, qui a besoin de l'Esprit de Dieu pour avancer. Le contraire de "pauvre" n'est pas seulement "riche", mais aussi "puissant" et "orgueilleux". Dans l'Ancien Testament L'idée que la richesse est le signe de la bénédiction du Seigneur est présente dans la première partie de la Bible (*). Toutefois, elle est tempérée par la présentation des dangers qu'elle comporte : oubli de Dieu et des autres, autosatisfaction, orgueil et suffisance (*). La pauvreté, quant à elle, est considérée avec bienveillance et quelques égards ; le pauvre est protégé par des lois sociales (*) qui concernent aussi l'orphelin, la veuve et l'étranger, donc tous les "petits" de la société. D'autres textes, notamment dans les Psaumes (*), rapprochent pauvreté et humilité (note : dans certaines traductions, "humble" est rendu par "malheureux"). (*) Lévitique 26/3-11, Ezéchiel 16/49-50, Deutéronome 24/14-15 & 17-22, Psaumes 12/6, 37/14, 72/4 & 12. Dans le Nouveau Testament Dans les évangiles, Jésus reprend à son compte la double perspective, à la fois économique et spirituelle, qu'il hérite de l'Ancien Testament. La situation de dépendance à l'égard des autres et vis-à-vis de Dieu qui est celle de la pauvreté invite au courage et à la confiance, à une attitude digne et humble (*). L'Eglise a voulu, dès le départ, lutter contre ce clivage riches/pauvres et s'est élevée contre la domination des premiers sur les seconds. La collecte organisée pour les chrétiens pauvres de Jérusalem est un exemple concret d'entraide (*), signe d'un nouveau style de vie au sein de la communauté chrétienne (*). (*) Matthieu 18/1-4, 2 Corinthiens 8/13-15, Jacques 2/2-7. Jésus, le vrai pauvre Jésus a assumé totalement sa situation d'homme "pauvre", humble et dépendant. Cette pauvreté matérielle se traduit, entre autres, par le fait de ne pas avoir de domicile fixe (*). Certes, la communauté des premiers disciples avait un "trésorier", Judas, mais jamais les évangiles ne nous rapportent une question de Jésus, du type "Combien avons-nous en caisse ?", qui traduirait un souci matériel de sa part. D'autre part, Jésus se déclare "doux et humble de cœur", prétention confirmée par toute son attitude. Il est venu pour servir et non pour être servi, pour servir et non pour dominer (*). Bien plus, il a renoncé à tous les "avantages acquis" qu'il avait auprès de Dieu, pour se faire pauvre avec les pauvres et partager notre condition humaine (*). (*) Matthieu 8/20, 11/29, 20/28, Philippiens 2/5-8. Malheur à vous, riches ! L'évangile selon Luc nous rapporte non seulement cette béatitude, mais aussi une malédiction prononcée par Jésus : "Malheur à vous, les riches, car vous avez votre consolation" (*). Le mot "riches" correspond ici à tous ceux qui mettent une confiance absolue dans les biens matériels et qui croient qu'avec cela, ils peuvent tout faire et tout obtenir. La richesse matérielle et la confiance dans ces richesses entrent en concurrence avec Dieu et excluent Dieu, puisqu'on ne peut servir deux maîtres (*). Les riches ont "déjà eu leur bonheur" (traduction F.C.) ; ils n'ont pas grand-chose à espérer, puisque leur horizon se limite à cet univers matériel (*). (*) Luc 6/24, Matthieu 6/24, Marc 10/21-22. Pauvres en Esprit Il est possible de comprendre également cette béatitude de la façon suivante : "Heureux les pauvres quant à l'Esprit" ; donc, heureux ceux qui ont conscience de leur pauvreté sur le plan spirituel et qui deviennent des "mendiants de l'Esprit", qui réclament le Saint-Esprit à leur Père (*). (*) Luc 11/9-13. Le Royaume est à eux Le verbe est au présent, alors que nous aurions tendance à le mettre au futur. En fait, le Royaume de Dieu est déjà là (*), de façon cachée, par la présence des disciples de Jésus au milieu du monde et de la société ; mais ce Royaume n'est pas encore pleinement manifesté et ne le sera qu'au moment où le Christ reviendra pour régner. (*) Luc 17/20-21. Remarque finale La pauvreté dont parle Jésus est avant tout un état d'esprit, une attitude devant Dieu : mettre notre confiance en lui uniquement, et non dans nos capacités personnelles (physiques, morales, financières,...). THÈMES DE RÉFLEXION 1. Si nous avons tout ce qu'il nous faut et même plus, sommes-nous concernés par cette béatitude, ou bien par "Malheur à vous, les riches !" ? 2. Si le confort matériel ne fait pas et n'est pas le bonheur, comment peut-on caractériser le bonheur ? En quoi consiste-t-il ? 3. Analyser les répercussions d'une société d'abondance et de consommation, sur le plan de la santé, de l'équilibre psychologique et moral,... 4. Devenir pauvre et humble devant Dieu, cela est-il possible avec nos richesses, sans elles ou malgré elles ? POUR MÉDITER ET PRIER Heureux, toi qui comprends que tout vient de ton Dieu, Que toi seul tu n'es rien, Que toi seul tu n'as rien. Tu n'as besoin de rien puisque tout t'est donné, surtout ce salut qui te préoccupe, Que tu n'as pas à acheter, Que tu n'as pas à mériter. Heureux ceux qui donnent, Ceux qui se donnent, Ceux qui pardonnent, Qui mettent leur nécessaire dans la corbeille Et leur amour-propre au panier. (...) Heureux ceux qui, perdus, méprisés, oubliés, Voient déjà le Royaume en leur humilité. Monique SCHNEIDER. Qui sont les pauvres, les doux, les petits ? Jésus fait allusion aux humbles. A ceux qui accueillent Dieu dans leur vie. Le même mot hébreu peut se traduire par « pauvre », « doux » et « petit ». Les exégètes nous invitent à détacher ce vocable du contexte social qui nous est familier, pour lui prêter le sens théologique qui convient. Et tout prend une autre dimension. Par exemple, un doux de tempérament ne l’est pas forcément selon Dieu. En revanche, un homme de caractère plutôt violent peut être doux selon l’Evangile. Jésus offre de nouvelles perspectives. D’où l’emploi du temps futur : « Ils hériteront de la terre », la terre signifiant le Royaume et, pour le chrétien, la personne même de Jésus. Le bonheur n’est pas achevé. Mais dès à présent, ils peuvent prendre le chemin du bonheur. Gilles BECQUET, bibliste, auteur de Comment Dieu parle aux hommes, Cerf, 1981. Texte : Genre : Auteur : Source : Matthieu 5/1-12 Prédication Robert SOMERVILLE Méditations radiodiffusées, FPF, 29.01.1978. Est-il possible de rester indifférent devant les béatitudes ? Heureux !… Heureux !… En entendant répéter ce mot que chacun voudrait pouvoir prononcer sur lui-même et sur les siens, comment ne pas être touché et troublé ? Jésus, ici, fait écho à l’immense aspiration de bonheur qui se trouve au fond de nos cœurs. "Qui nous fera voir le bonheur ?", demandent les hommes de tous les temps. Jésus entend cette question : on ne peut pas rester indifférent à sa réponse. Je conçois qu’on puisse s’en irriter ou même s’en indigner. Car les béatitudes nous déconcertent, nous prennent à contre-pied. Le bonheur que proclame Jésus est tellement contraire à ce que nous croyons, à ce que nous vivons, tellement invraisemblable, qu’on peut se demander s’il ne se moque pas de nous ! Heureux les pauvres, heureux ceux qui pleurent ou ceux qui sont persécutés ! C’est le monde à l’envers ! Mais n’est-ce pas justement à cela que Jésus nous appelle ? A un renversement de notre monde, de notre façon de penser et d’agir — pour qu’apparaisse un monde nouveau, un homme nouveau, un peuple nouveau. Un renversement nécessaire parce que notre soif de bonheur est toujours déçue, toujours frustrée dans un monde dur, trompeur, injuste. Il y a un autre chemin, un autre espoir, une autre vie que celle que nous cherchons dans la puissance et la possession, sans jamais la trouver. Oui, il a y un autre espoir, parce que le Royaume de Dieu s’est approché de nous. "Le peuple qui marchait dans les ténèbres voit une grande lumière" : cette parole que cite Matthieu en rapportant le début du ministère de Jésus nous donne le sens des béatitudes. Elles sont une page de l’Evangile. C’est parce que Jésus est venu remplir les mains des pauvres, consoler ceux qui pleurent, guérir ceux dont la vie est brisée, répondre à notre soif de justice et de paix, transfigurer nos échecs, nos frustrations, nos lassitudes, que nous pouvons croire à ce bonheur. S’il ne changeait pas notre tristesse en joie, quel sens cela aurait-il de déclarer heureux ceux qui pleurent ? Mais Jésus est venu nous faire passer des ténèbres à son admirable lumière. Heureux ceux qui ont reçu en plein visage les premiers rayons de cette aurore ! Ils sont sortis de la nuit. Il est bon que la prédication de Jésus commence par les béatitudes. C’est bien d’une Bonne Nouvelle qu’il s’agit, et non pas d’une morale ou d’une philosophie. Une des grandes tragédies de l’histoire de l’Eglise, c’est que les hommes en sont venus à voir dans la foi chrétienne essentiellement une morale, un appel à l’effort, sinon à la tristesse et à l’ennui. Or, c’est la joie que Jésus vient nous annoncer ! La foi chrétienne est avant tout une ouverture à la joie ! Une joie qui n’est pas simplement une promesse pour un avenir plus ou moins lointain, une compensation pour les malheurs du moment, mais une réalité présente aujourd’hui dans ma vie, dans votre vie, dès lors qu’elle s’ouvre à la joie de Dieu. Aujourd’hui, vous pouvez goûter que le Seigneur est bon. Aujourd’hui, sa lumière peut se lever sur votre vie. Une joie qui n’est pas une récompense de nos efforts, ni l’aboutissement d’un long travail, mais un don, une grâce offerte à tous. Comment se fait-il alors que tant de chrétiens, tant de ceux qui ont entendu les béatitudes des centaines de fois soient si tristes, paraissent si fatigués, si usés, si tendus ? Le bonheur dont parle Jésus n’est-il donc qu’une fiction ? Certes non ! Mais pour qu’il devienne une réalité, il faut que nous entendions tout le message de l’Evangile. Une bonne nouvelle : "Le Royaume de Dieu s’est approché". Mais aussi un appel : "Convertissez-vous !". Les béatitudes font écho à ces deux aspects de l’Evangile. L’homme des béatitudes, celui que Jésus déclare heureux, c’est l’homme qui a entendu l’appel à la conversion, qui accepte de changer de mentalité et de vie. En entendant ces paroles de Jésus, nous découvrons à quel point notre mentalité a besoin d’être changée pour que nous soyons capables de recevoir la joie du Royaume. Heureux les pauvres… La première béatitude résume toutes les autres. "Les pauvres en esprit" ou "les pauvres de cœur", précise Matthieu. On traduit aussi "ceux qui ont l’esprit de pauvreté". Ce sont ceux qui se savent pauvres et qui par conséquent ne sont pas satisfaits. Car il n’y a pas pire obstacle à la conversion, donc à la joie, que la satiété, le contentement de soi. Si je suis satisfait, je n’ai plus rien à attendre. Mes richesses me suffisent ; elles sont ma joie, ma sécurité. Ne sommes-nous pas tous tentés de nous construire un petit bonheur bien à nous, de nous y installer, de nous en satisfaire, en ne songeant qu’à le protéger, le renforcer ? Nous n’attendons rien que de nous-mêmes, de notre pouvoir d’achat, de notre influence, de nos mérites. Nous ne voulons rien devoir à personne. Pourvu que nous puissions assurer notre confort, la consommation des biens matériels, notre prestige aussi et notre bonne conscience. Ce bonheur-là nous suffira. Nous n’avons pas besoin d’autre chose. Comment alors pourrons-nous entendre la Bonne Nouvelle de la grâce de Dieu ? Le pauvre, lui, n’est pas satisfait. Il est conscient de sa faiblesse, de son dénuement, de tout ce qui lui manque. Il renonce à trouver son salut en lui-même. Aussi est-il prêt à accueillir le don de Dieu. Il est assez humble pour mettre sa confiance en Dieu et vivre de la grâce. Il est un homme de prière. Mais s’il se sait démuni, l’homme des béatitudes n’est pas résigné. Il ne s’enferme pas dans son malheur, il ne renonce pas à l’espoir. Il attend, il espère autre chose. Il est tendu vers une délivrance. Il est encore capable de pleurer sur sa misère et sur le malheur du monde, au lieu de se protéger, de s’endurcir, d’en prendre son parti. Il a faim et soif de justice. Il refuse de s’habituer au péché et à l’injustice, de s’en accommoder pour ne pas être dérangé. Il n’a pas honte d’implorer le pardon de Dieu, car sans ce pardon, il est condamné à rester seul, séparé de Dieu. Il lutte pour la justice, mais il sait que la force et la violence ne peuvent en assurer la victoire. Aussi est-il de ces doux qui ont consenti au plus dur des sacrifices : le renoncement à l’orgueil de la force, à la volonté de dominer, de s’imposer, de passer avant les autres, en les écrasant s’il le faut. La douceur de l’humilité fait de lui un artisan de la paix, qui ne recherche pas seulement la victoire, mais la réconciliation, qui préfère souffrir que d’infliger la souffrance, à l’image de Jésus, le pacificateur crucifié qui donne sa vie pour ses amis. Les persécutés, ceux qui osent rendre témoignage à la vérité, même si cela leur coûte, suivent leur Maître jusqu’à la croix. Aussi auront-ils part à sa résurrection. "Si le grain de blé ne meurt, dit Jésus, il reste seul. Mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit". Où trouve-t-on ce fruit aujourd’hui ? Lequel de nous oserait se reconnaître dans cet homme que dessinent les béatitudes ? Seul Jésus sans doute l’a été pleinement. Mais il l’a été pour tracer un chemin, afin que nous suivions ses traces. Il l’a été pour créer un peuple nouveau, libéré par lui du culte de la puissance et de la richesse, libéré de l’inquiétude qui nous pousse à nous barricader dans nos sécurités et à préférer la lâcheté à la souffrance, libéré pour la douceur, pour la pureté, pour la miséricorde, pour la justice, pour la paix, pour tout ce qui manque à nos bonheurs humains et que Dieu seul peut nous donner, parce qu’il nous aime. Si nous avons reconnu cet amour, manifesté en Jésus-Christ, nous pouvons croire les béatitudes et les entendre avec joie. Beaucoup disent : "Qui nous fera voir le bonheur ?". Fais lever sur nous la lumière de ta face, Seigneur. Amen. Eglise sur le Mont des Béatitudes ADOLFO PEREZ ESQUIVEL : « Ma voix, à cause d'eux » Ce sont les mots qu'il a prononcés à Oslo, quand on lui a remis le prix Nobel de la Paix 1981. C'est en compagnie de mes frères les plus pauvres que je marche, en compagnie de ceux qui sont pourchassés, de ceux qui ont faim et soif de justice, de ceux qui sont victimes de l'oppression, de ceux qu'angoisse la perspective de la guerre, de ceux qui subissent l'agression de la violence ou sont privés de leurs droits les plus élémentaires. C'est à cause d'eux que je suis ici, aujourd'hui. Ma voix voudrait avoir la force de la voix des humbles. La voix qui dénonce l'injustice et proclame l'espérance en Dieu et en l'humanité, car cette espérance est celle de l'homme qui aspire à vivre dans la communion avec tous ses frères, fils de Dieu. Je vous parle en ayant sous les yeux le souvenir vivant du visage de mes frères : le visage des travailleurs, ouvriers et paysans, qui sont réduits à des niveaux de vie sous-humains et dont les droits syndicaux sont limités ; le visage des enfants qui souffrent de dénutrition, des jeunes qui sont frustrés de leurs espérances, des marginalisés des villes ; le visage des Indiens de chez nous, des mères qui cherchent leurs fils disparus, des disparus — dont nombre d'enfants —, de milliers d'exilés, et des peuples qui réclament la liberté et la justice pour tous. Malgré tant de douleurs, cependant, je vis dans l'espérance, car j'ai le sentiment que l'Amérique latine est un continent qui s'est mis debout : on peut en différer sa libération, on ne pourra pas l'empêcher. Nous vivons dans l'espérance, parce que nous croyons, comme saint Paul, que l'amour ne meurt jamais. En invoquant la force du Christ, notre Seigneur, je tiens à partager avec vous, avec mon peuple et avec le monde, les enseignements du Sermon sur la montagne : Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux. « Les Béatitudes, peut-on encore y croire ? », Panorama aujourd’hui, n° 158, mars 1982, p. 39. LES PAUVRES EN ESPRIT « Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux ! ». Le royaume appartient à ceux qui se savent pauvres au plus profond de leur personne. Comment vivre cette pauvreté lorsqu’on est dans un pays riche comme le nôtre ? En cultivant la gratitude et la générosité afin de nous appauvrir intérieurement. Dans l’Evangile, Jésus n’a pas pris le moindre morceau de pain sans rendre grâce et sans le partager avec ceux qui l’entourent. Antoine NOUIS, Réforme, n° 3343, 12.11.2009, p. 11 (extrait). LA PAUVRETÉ BIBLIQUE Dans l'Ancien Testament c'est finalement l'homme qui n'a pas de vraie liberté. Pour vivre il dépend des autres. Son avenir, sinon son présent, sont aux mains des autres. Il n'a aucune sécurité personnelle. Encore moins une indépendance. C'est pourquoi les mots seront si nombreux, mais expriment souvent une attitude par rapport aux autres : courbé, recroquevillé (ce qui rejoint le grec : blotti dans un coin pour mendier). C'est pourquoi le terme peut signifier « opprimé », humilié (courbé par la main d'un autre), et malgré Luc, le mot « pauvre » n'est pas tant à opposer à « riche » qu'à « puissant », « violent », « oppresseur ». Autrement dit, « pauvreté » ou « richesse » ne sont pas d'abord des états, et encore moins des « états d'âme », mais ils sont définis comme des relations. Le pauvre est celui qui ne peut vivre sans le bon vouloir du riche. Le riche est celui qui a pouvoir sur le pauvre. La pauvreté est relation de dépendance. La richesse est relation de puissance. Il ne faut pas noircir le tableau d'autant que la richesse a parfois (pour la liberté qu'elle donnait) été considérée comme une faveur divine. Cependant on n'oubliera ni Amos, ni Esaïe, ni Michée, ni même Jérémie. Par ailleurs, il est certain que cet état de fait a amené les pauvres à comprendre qu'ils n'avaient qu'une sécurité : le Seigneur, dont ils ont cru de toutes leurs forces qu'il était l'ami des pauvres et le protecteur des opprimés. Dans le temple ils n'oublient pas leur pauvreté ni leur humiliation, mais ils viennent dire leur confiance en et à Celui qui doit mettre fin à l'injustice. Alphonse MAILLOT, « Les Béatitudes », étude 2, Le Christianisme au XX° siècle, 11.09.1978, p. 3. L'ESPÉRANCE DES PAUVRES « Au cœur de leur détresse socio-économique et en attendant que soient proclamées les béatitudes évangéliques, les pauvres de l'Ancien Testament ont connu une espérance qu'expriment, chacun à leur façon, « la Loi, les Prophètes et les autres Ecrits ». De ce point de vue, la Loi, c'est le droit des pauvres ; les Prophètes sont la voix des pauvres et les autres Ecrits disent la joie des pauvres. Parce qu'ils ont un droit, une voix et une joie, les pauvres de l'Ancien Testament peuvent, comme Abraham, « espérer contre toute espérance » (Romains 4/18). En lisant ces textes de l'Ancien Testament, le monde où nous vivons apparaît en filigrane. « Des conclusions concrètes s'imposent. Si notre société laisse les pauvres sans droit, elle n'est qu'une société sans loi parce qu'alors rien ne vise à rétablir l'équilibre social. Si notre société laisse les pauvres sans voix, elle n'est qu'une société sans prophètes parce qu'alors personne ne cherche à éveiller les consciences endormies. Si notre société laisse les pauvres sans joie, elle n'est qu'une société incapable d'écrire un nouveau chapitre de sa propre histoire parce que rien ne tourne son regard vers un avenir meilleur. En assurant aux pauvres leur droit, leur voix et leur joie, une société vit vraiment « la Loi, les Prophètes et les autres Ecrits ». J. MARTUCCI, Cri de Dieu - espoir des pauvres, Ed. Poulines, 1977, p. 33 & 65.