Treizeraisons demangermoinsdeviande

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Treizeraisons demangermoinsdeviande
• 3,70 EUROS. PREMIÈRE ÉDITION NO10513
SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
S_2015_x
25/02/15
15:06 Page1
WWW.LIBERATION.FR
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SAMEDI
AVEC CE JOURNAL «NEXT» SPÉCIAL MODE
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avec an tal pelletier
par chan
Extrait de la série «Sweat Meet», de Jasmin Schuller. PHOTO JASMIN SCHULLER
WEEK­END
SPÉCIAL
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ET PLUS
Treize raisons
de manger moins de viande
Steak ou encore?
Conditions d’élevage et d’abattage, impact climatique,
risques sanitaires, surconsommation… Ne serait-il pas temps
d’être un peu moins carnivore? PAGES 2­9
IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCEAllemagne 3,40 €, Andorre 3,40 €, Autriche 3,90 €, Belgique 4,00 €, Canada 6,20 $, Danemark 36 Kr, DOM 3,50 €, Espagne 3,40 €, Etats­Unis 6,00 $, Finlande 3,80 €, Grande­Bretagne 3,80 £, Grèce
3,80 €, Irlande 3,50 €, Israël 27 ILS, Italie 3,40 €, Luxembourg 4,00 €, Maroc 30 Dh, Norvège 36 Kr, Pays­Bas 3,40 €, Portugal (cont.) 3,60 €, Slovénie 3,80 €, Suède 34 Kr, Suisse 6,00 FS, TOM 560 CFP, Tunisie 4,90 DT, Zone CFA 2 900 CFA.
2
•
EVENEMENT
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
Des animaux élevés en batterie, boostés aux antibiotiques et abattus
à la chaîne, des élevages polluants et de plus en plus centralisés,
des nitrates qui dévastent ce qui reste de planète… Stop à la boucherie?
Treize raisons de lâcher
le steak barbare
Par ISABELLE HANNE
et CHRISTIAN LOSSON
L'ESSENTIEL
A
u cours de sa vie, un Français
consomme en moyenne
7 bovins, 33 cochons, 9 chèvres et moutons, 1 300 volailles et 60 lapins, selon le service de la
statistique et de la prospective du ministère de l’Agriculture. Soit un peu
plus de 1 400 animaux d’élevage auxquels il faut ajouter 1 tonne d’animaux
marins. Une frénésie de viandards qui
a accéléré l’industrialisation de la production de steaks, jambons et autres
magrets. Un seul exemple : en France,
95% des porcs sont élevés dans des systèmes intensifs. Chaque année, 25 mil-
LE CONTEXTE
Un rapport publié fin février
dénonce la surproduction
et la surconsommation
de viande dans le monde.
L'ENJEU
Les consommateurs
doivent désormais
apprendre à manger mieux
et différemment afin
de préverser leur santé
et la biodiversité.
POURLAPRODUCTIOND’UNKILO
Terres
nécessaires
Quantité d'eau
nécessaire
Emissions de gaz
à effet de serre
En m2
En litres
En kg équivalent CO
SOJA
RIZ
m2
m2
VOLAILLE
m2
BLÉ
m2
BŒUF
2
m
PORC
m2
Note : Ces chiffres proviennent de sources différentes et ont parfois été calculés avec des méthodes différentes.
Sources : Life Cycle Assessment of Cultured Meat Production, l'Atlas de la viande, Unesco-IHE, FAO
lions de porcs charcutiers sont abattus.
Et 70% des 50 milliards de poulets tués
dans le monde tous les ans sont élevés
dans une stratégie industrielle. De plus
en plus de voix s’élèvent pour dénoncer
l’insoutenabilité d’une telle politique
alimentaire, à l’image d’un rapport publié fin février par la Fondation Heinrich-Böll et les Amis de la Terre. Cet
«Atlas de la viande» dénonce «la production et la surconsommation de viande
industrielle qui saccagent la planète».
«Notre alimentation n’est plus une affaire
privée, dit ainsi Christian Berdot, des
Amis de la Terre. Nos choix alimentaires
sont aussi des choix politiques qui ont des
impacts sur la vie de nombreuses personnes dans le monde, ainsi que sur l’environnement, la biodiversité et les climats.» Voici treize raisons pour manger
moins, mieux ou plus du tout de viande.
Parce que la demande
devient folle
Quelque 299 milliards de kilos de
viande sont ingérés chaque année dans
le monde, quatre fois plus qu’en 1960.
Selon la FAO (l’organisation des Nations
unies pour l’alimentation), avec 9 milliards d’habitants en 2050, la production mondiale de viande, toutes espèces
confondues, pourrait atteindre les
450 milliards de kilos. Le besoin en protéines des populations dans les pays développés est pour plus de la moitié
(56%) satisfait par des produits carnés,
contre 18% dans les pays en développement. Certes la demande baisse dans les
pays riches : elle a chuté de 9% aux
Etats-Unis entre 2007 et 2012. Les scandales alimentaires, l’impact sur l’environnement et la question du bien-être
animal renforçant les inquiétudes et la
prise de conscience des consommateurs. Mais les Brics (Brésil, Russie,
Inde, Chine et Afrique du Sud) ont vu
leur consommation de viande augmenter, entre 2003 et 2012, de 6,3% par an.
Une croissance annuelle supplémentaire
de 2,5% est prévue entre 2013 et 2022.
Parce qu’on produit
la viande comme
des voitures
Les diktats économiques sont à l’origine
du renforcement de la concentration de
l’industrie mondiale de la viande. A savoir une meilleure productivité, mais
aussi la concentration du pouvoir du
marché entre les mains de quelquesuns, au détriment des petits exploitants.
Le mouvement vient de loin. Chicago
était, au début du XXe siècle, le berceau
de l’industrie de l’abattage. «Avec l’utilisation de lignes de production sur rails,
tuer une vache, l’éviscérer et la découper
ne prenait que quinze minutes», rappelle
le rapport de la Fondation HeinrichBöll. C’est ce système, capable d’abattre
12 millions d’animaux par an, qui inspira Henry Ford pour le montage de ses
voitures. Aujourd’hui, le brésilien JBS
est le leader mondial des abattoirs: ses
capacités lui permettent d’abattre
85 000 têtes de bétail, 70 000 porcs et
12 millions de volaille quotidiennement.
Parce que l’élevage est
de plus en plus intensif
Environ 1,3 milliard de personnes dans
le monde vivent de l’élevage. La plupart
dans les pays du Sud, menacés par l’intensification et l’industrialisation de
l’élevage. Le nombre d’agriculteurs
dans le monde développé ne cesse, lui,
de baisser alors que celui des animaux
augmente. Ils approvisionnent des supermarchés éloignés plutôt que de
nourrir le marché local. La production
d’animaux d’élevage dans le monde en
développement emprunte la même
voie. Entre 1992 et 2009, le nombre
d’éleveurs de porcs aux Etats-Unis a
diminué de 70%, tandis que la population porcine n’a pas bougé. Durant la
même période, le nombre de porcs
vendus par une ferme est passé de 945
à 8 400 par an. Et le poids d’un animal
à l’abattage, qui était de 67 kilos dans
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LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
3
ÉDITORIAL
Par DAVID CARZON
Gloutonnerie
Sweat Meet,
de Jasmin Schuller.
PHOTO JASMIN SCHULLER
les années 70, est désormais d’environ
100 kilos.
Parce que le business
lamine les petits
La production de volaille est le secteur
de l’industrie de l’élevage mondialisée
dont la croissance et l’évolution sont les
plus rapides. En 2020, sa production
mondiale atteindra 124 millions de ton-
nes. Une hausse de 25% en dix ans seulement, tirée par l’Asie. Les marchés et
les installations de transformation sont
de plus en plus contrôlés par quelques
très grandes entreprises, qui multiplient
le recours aux antibiotiques pour empêcher la propagation de maladies et accélérer artificiellement la croissance de
la volaille. Ces tendances affecteront en
particulier les familles des pays du Sud
qui élèvent quelques poulets dans leur
arrière-cour. Et qui se voient concurrencées par l’importation de morceaux
de poulets congelés vendus jusqu’à
60% moins chers que les leurs.
Parce que ça accélère
le réchauffement
L’élevage industriel produit des gaz à
effet de serre tout au long de la chaîne
de fabrication, de la di- Suite page 4
Coralie Schaub en dit
plus sur Libé Radio
www.liberation.fr
RADIO
Autant le dire d’emblée,
cet édito ne peut pas être
objectif car nous sommes
nombreux à Libération
à aimer la viande. Et même
les abats, c’est dire.
Comme bon nombre
de nos contemporains
viandards, nous préférons
oublier qu’il faut tuer
pour qu’une entrecôte
ou un foie de veau finisse
dans notre assiette. Alors,
pour ceux qui voudraient
continuer d’avoir les crocs
du boucher sans se salir
le tablier, il faut regarder
son assiette en face. Ne
pas changer nos habitudes
alimentaires ?
C’est entretenir la frénésie
de production de viande
au seul profit d’une
gloutonnerie égoïste.
On ne peut en effet rester
insensible aux
conséquences de cette
surconsommation sur la
planète, aux conditions
d’abattage des bêtes, ou au
fait que les deux tiers des
terres agricoles servent
à nourrir des animaux
qui vont finir à l’abattoir.
Il n’y a guère d’autre
solution que de manger
mieux et de privilégier
les filières de qualité, bref
de changer collectivement
nos habitudes
alimentaires. Au risque de
contribuer à un système
de viande de classe où les
riches auraient le droit
de monter au filet, et où les
pauvres se contenteraient
d’une bouillie sans goût.
Après avoir parcouru tous
les arguments en faveur
d’une consommation
raisonnée, n’oubliez pas
de lire le dernier papier
(page 9) de ce dossier
saignant. Il nous explique
par le menu comment
réconcilier les partisans
inflexibles de la barbaque
et les frénétiques
défenseurs du gratin de
tofu. Car, malgré tout,
nous sommes prêts à faire
des concessions pour
garder ce petit goût qui
nous est chair.
4
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LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
EVENEMENT
gestion au défrichage de forêts. Si l’on intègre l’azote
des engrais, le gaz carbonique lié à la
production de nourriture et au transport, le méthane des pets et des rots de
vache ou la fermentation des déjections animales, l’élevage représente
18% des émissions mondiales de gaz à
effet de serre, soit plus que le secteur
Suite de la page 3
Pour faire
un hamburger,
3,5m2 de terres
agricoles sont
nécessaires.
PHOTO THOMAS
LOUAPRE.DIVERGENCE
mondial des transports. Et il produit
37% du méthane et 65% du protoxyde
d’azote, deux gaz plus puissants que le
dioxyde de carbone. «Le potentiel de réchauffement climatique du méthane et du
protoxyde d’azote est respectivement
25 fois et 298 fois plus puissant que le
dioxyde de carbone», estime le Giec.
Une étude de l’Institut argentin pour
la technologie agricole a montré
qu’une vache produisait en moyenne
entre 250 et 300 litres de méthane par
jour, de quoi faire fonctionner un
frigo… Voilà pourquoi Paul McCartney
a pu dire avant le sommet climatique
de Copenhague, en 2009 : «Less
meat = less heat», moins de viande,
moins de réchauffement.
Parce que ça revient
à manger la forêt
Sur la planète, 70% des terres agricoles
sont destinées à nourrir les animaux.
Chaque année, c’est une surface équivalente à celle de la Belgique qui est déboisée pour laisser place à des cultures.
Le deuxième cheptel bovin et la plus
grande forêt tropicale au monde se rencontrent dans la région amazonienne du
Brésil. Fin 2012, le nombre de bovins
(211300000) y était supérieur à celui de
la population brésilienne (201 millions
d’habitants).
Le parcage de ces animaux nécessite
d’énormes surfaces de terre : plus de
172 millions d’hectares, soit 70% des
terres agricoles du Brésil. Et 62,2% des
terres déboisées deviennent des pâturages pour le bétail. Entre 1975 et 2006, le
volume des terres de pâturage a augmenté de 518%. Heureusement, le gouvernement a élargi les zones protégées
et renforcé les contrôles de déboisement, ce qui a fait chuter la surface
moyenne annuelle de déforestation,
autour de 20 000 km2 par an.
Parce que la viande
est gourmande
en eau
Un kilo de bœuf nécessite 15 500 litres
d’eau. Un kilo de porc, 4900 litres. Un
poulet, 4 000 litres. Avec la même
quantité d’eau pour un kilo de bœuf, on
pourrait produire 12 kilos de blé ou
118 de carottes. Pour faire un hamburger, 3,5 m2 de terres agricoles sont nécessaires. Si l’agriculture consomme
70% de l’eau douce disponible, un tiers
est consacré à l’élevage d’animaux !
L’Institut international de l’eau de Stockholm mettait en garde dès 2012 :
«Il n’y aura pas suffisamment d’eau disponible sur nos terres agricoles pour produire de la nourriture pour une population
qui devrait atteindre 9 milliards d’habitants en 2050 si nous suivons les tendances alimentaires actuelles dans les pays
occidentaux.»
Une seule solution, selon l’Institut: réduire notre apport en protéines d’origine animales de 20% aujourd’hui à 5%
d’ici à 2050. Ou mieux, à défaut de devenir végétarien (dix fois moins gourmand en eau) : diminuer par deux sa
consommation de viande, ce qui revient
à utiliser cinq fois moins d’eau.
Parce que ça tue
les poissons
Les nitrates présents dans les eaux souterraines sont cancérigènes. Ils peuvent
produire des «zones mortes» dans les
eaux côtières. «Par manque d’oxygène,
près de 20000km2 de mer autour des embouchures du Mississippi se sont transformés en “zone morte” dans laquelle crevettes et poissons ne peuvent survivre»,
rappelle «l’Atlas de la viande». Peter
Thomas, biologiste marin américain,
affirme que dans le monde, environ
250 000 km2 d’eaux côtières souffrent
d’une grave carence saisonnière en
oxygène. Les fermes d’élevage de porc
et de volailles polluent la mer de Chine
méridionale avec de l’azote. La mer
Baltique, la mer Noire, la mer d’Irlande,
la côte espagnole et l’Adriatique ont
toutes des «zones mortes». La production industrielle de bétail n’endom-
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
mage pas que la mer, mais aussi la terre.
Le lisier et le fumier des zones de production d’animaux d’élevage sont souvent, et sans discernement, déversés
sur les sol. Les nitrates dans les eaux ne
contaminent pas uniquement les plages, mais aussi l’eau potable. Transformés en nitrosamines (un dangereux
composé chimique), ils sont susceptibles d’être à l’origine de cancers de
l’œsophage et de l’estomac. La surfertilisation menace l’habitat d’à peu près
toutes les espèces en voie de disparition
répertoriées sur la liste rouge de l’Union
internationale pour la conservation de
la nature.
EVENEMENT
«Les bêtes sont encore vivantes
au moment où on les tronçonne»
Selon l’Organisation mondiale de la
santé, la surconsommation de viande,
et surtout de viande transformée (plats
préparés, charcuterie), a des conséquences sur la prévalence de certaines
maladies chroniques chez l’homme,
comme l’obésité, le diabète de type 2,
les maladies cardio-vasculaires, le
cancer colorectal… Une étude de l’université d’Oxford publiée en janvier 2013 et qui porte sur 45 000 volontaires l’assure : le végétarisme
réduirait de 32% le risque de maladies
cardiovasculaires.
Les guerres commerciales pèsent aussi
sur le consommateur, notamment via
l’usage controversé d’additifs dans la
nourriture et les fourrages. C’est le cas
de la ractopamine, additif alimentaire
introduit aux Etats-Unis pour augmenter la production de viandes porcine et
bovine. L’utilisation de ce produit est
interdite dans 160 pays, y compris dans
l’Union européenne. Sans parler de
l’apparition et la propagation de souches virales comme le H5N1 ou
le H7N9, favorisées par l’élevage intensif. Ou des antibiotiques administrés
aux animaux, qui augmentent le phénomène d’autorésistance des bactéries
transmissibles à l’homme… par les animaux. L’UFC-Que choisir a ainsi révélé,
il y a un an, que 26 échantillons de
poulets et de dindes sur 100 vendus
dans le commerce sont porteurs de
bactéries E.coli majoritairement résistantes aux antibiotiques.
Meat Minotaur.
PHOTO JOHANNA
PARKIN.GETTY
a journaliste Anne de Loisy avait enquêté en 2012 sur les abattoirs pour
l’émission Envoyé spécial. Elle en a tiré
Bon appétit! Quand l’industrie de la viande nous
mène en barquette (1), un livre très documenté
paru fin février sur la filière de la barbaque,
des éleveurs à nos assiettes.
Est-ce difficile d’enquêter sur la filière de la viande?
C’est très compliqué parce que
c’est hyper opaque. Les industriels
refusent les interviews et interdisent les tournages dans les abattoirs. Le problème de la viande,
c’est que c’est une industrie qui
est dirigée par trois personnes :
les groupes Bigard, Terrena, et SVA Jean Rozé.
Du coup, rien ne sort.
Comment avez-vous eu accès aux abattoirs?
J’ai d’abord demandé les autorisations officielles, qui m’ont été refusées. J’ai fini par y
avoir accès grâce à des intermédiaires, notamment l’Œuvre d’assistance aux bêtes
d’abattoirs (OABA). Je suis entrée avec le directeur, qui m’a présentée comme l’une de
ses assistantes.
L
DR
Depuis 2002, seuls la viande de bœuf et
les produits à base de bœuf doivent
porter mention de leur origine, à la
suite de la crise de la vache folle. A partir d’avril, l’origine des viandes de
porc, de mouton, de chèvre et la volaille
devront également être indiquées, mais
pas dans les produits transformés.
Le 11 février 2015, les députés européens ont voté massivement en faveur
d’une résolution exigeant plus de traçabilité pour les produits préparés à base
de viande. Pour le Parlement européen,
les consommateurs devraient savoir
d’où vient la viande utilisée afin de
confectionner lasagnes, nuggets et
autres saucisses.
Reste que, selon l’ONG Foodwatch,
«une meilleure indication de l’origine serait une bonne nouvelle pour les consommateurs, et un pas vers plus de transparence. Mais c’est loin Suite page 6
5
Anne de Loisy, journaliste, est l’auteure d’une enquête sur la filière de la viande:
Parce que ça nuit
à la santé
Parce qu’on
ne sait pas toujours
d’où vient la viande
•
Lors de votre enquête, qu’est-ce qui vous a le
plus choquée?
Je ne me rendais pas compte à quel point l’industrialisation de la viande était en marche.
A tous les niveaux. Les élevages de 40000 volailles, de milliers de cochons, de centaines
de bovins… On est loin des images de vaches
dans les prés qu’on vend au consommateur. Mais le plus impressionnant, c’est l’industrialisation
de l’abattage. Faire passer un animal de vie à trépas, c’est forcément
un peu gore. Mais l’industrialisation de cette étape-là est extrêmement violente: les bêtes sont abattues à une telle cadence qu’elles
sont encore vivantes au moment où on les
tronçonne. En plus, ce sont des conditions extrêmement compliquées pour les ouvriers des
abattoirs, qui travaillent dans le froid, le sang,
les odeurs…
D’où vient la viande que l’on trouve dans nos
assiettes?
Dans la restauration collective, 70% des bovins et 87% de la volaille sont importés. Alors
qu’on a des éleveurs qui crèvent de faim, et
que la profession compte entre un et deux suicides par jour. Quand les gens chargés de
nourrir une société se suicident à tour de bras,
c’est qu’il y a un souci quelque part! Le paradoxe, c’est que nos belles races à viande sont
exportées et qu’on récupère des vaches laitières moins chères, de mauvaise qualité.
C’est toute l’aberration du système: les industriels nous expliquent qu’on a une viande bas
de gamme parce que le consommateur veut
une viande bon marché, alors que les prix ont
augmenté de 40% entre 1995 et 2010 pour le
consommateur, mais n’ont pas changé pour
l’éleveur. Ces deux bouts de la chaîne sont les
grands perdants.
Vous expliquez qu’il n’y a pas assez de vétérinaires dans les abattoirs…
Les grands abattoirs ont choisi l’autocontrôle.
Ça ne fonctionne pas, parce qu’ils se retrouvent juges et parties. Les bouchers disent
qu’ils ont de plus en plus de carcasses qui arrivent avec des abcès. Eux les enlèvent, mais
après, tout ce qui part en industriel… C’est
parfois mixé ! On n’arrivera pas à améliorer
le système tant qu’on ne mettra pas plus de
vétérinaires pour contrôler les différentes
étapes de l’abattage.
Qu’est-ce que l’abattage rituel?
C’est un abattage, halal ou casher, fait par des
personnes habilitées. Pour les juifs, ce sont
des chokhet, pour les musulmans, ce sont des
personnes qui possèdent une carte de sacrificateur, remise par trois mosquées en France.
Dans les deux cas, ils tranchent complètement la gorge, et sont obligés de couper tous
les canaux, dont l’œsophage et la trachée.
Abattage rituel ne signifie pas qu’il est forcément sans étourdissement préalable. De plus
en plus de musulmans considèrent qu’un
abattage avec étourdissement est halal si la
bête est tournée vers La Mecque et si le nom
d’Allah est prononcé par le sacrificateur.
Pourquoi certains abattoirs généralisent-ils
l’abattage rituel?
Plutôt que de nettoyer la chaîne entre chaque
type d’abattage, et donc stopper la production, les industriels préfèrent tout faire en
rituel, en se disant que les consommateurs
n’ont pas besoin de savoir.
Parvenez-vous encore à manger de la viande?
Oui, mais j’en mange moins, et de meilleure
qualité. Et en circuit plus direct, ce qui permet
de savoir comment les bêtes ont été élevées
et abattues, tout en faisant mieux vivre les
éleveurs. Le circuit court, c’est ce qui peut
nous sauver, et sauver la filière.
Vous dédicacez ce livre «aux femmes et aux
hommes qui travaillent dans la filière viande
pour satisfaire nos pulsions carnivores». Les
coupables, c’est nous?
Manger de la viande n’est pas un problème en
soi. Mais si les gens prennent conscience de
la réalité, ils seront peut-être moins enclins
à jeter la vieille tranche de jambon au fond du
frigo. Le plus problématique, c’est la viande
transformée, qui contient énormément de
conservateurs, d’additifs, d’antibiotiques.
C’est complètement aberrant dans un pays
qui vante partout sa gastronomie et qui nous
sert des produits qu’on n’a vraiment pas envie
de manger. Mais, au final, c’est quand même
le consommateur qui achète. Son pouvoir
d’achat, c’est un bulletin de vote.
Recueilli par ISABELLE HANNE
(1) Presses de la Cité, 468pp., 19,50€.
6
•
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
EVENEMENT
d’être suffisant.
La mention de l’origine ne saurait empêcher une nouvelle crise telle que celle
des lasagnes au cheval.» Elle assure
que pour «dissuader les fraudeurs, il est
indispensable d’imposer des obligations
de contrôle aux fabricants, et tenir les distributeurs responsables de leurs propres
marques».
Suite de la page 5
Parce que l’élevage
est bestial
Les porcelets sont retirés de leur mère
vers 3 ou 4 semaines, quand l’âge naturel de sevrage se situe vers 3 ou 4 mois.
On leur meule les dents, on leur coupe
la queue, on castre les mâles. De plus en
plus d’associations, comme CIWF
(Compassion in World Farming), militent pour le bien-être des animaux de
la ferme et pour l’arrêt de mutilations
comme le dégriffage des pattes de poules, l’écornage des veaux, l’épointage
(le raccourcissement) des becs… Des
conditions d’élevage qui empirent avec
la concentration des bêtes.
En France, l’élevage intensif sur le
mode des feed-lots (parcs d’engraissement) américains a été introduit durant
les années 60 pour industrialiser la production de viande et rendre son prix
accessible à tous. Aujourd’hui, 83% des
800 millions de poulets hexagonaux
sont élevés sans jamais voir la lumière
du jour. Et 95% des 25 millions de cochons sont élevés sur caillebotis, en bâtiment, selon les statistiques du ministère de l’Agriculture.
Parce que les conditions
de travail sont trop dures
Kit de survie, de Thomas Mailaender. PHOTO THOMAS MAILAENDER
Avec l’augmentation des prix imposée
par les abattoirs et la grande distribu-
tion, la précarité des éleveurs augmente
d’année en année. Chaque jour, au
moins un éleveur se suicide. Ce n’est
guère mieux à l’autre bout de la chaîne:
«Le hall d’abattage est un univers oppressant et glacial, raconte la journaliste
Anne de Loisy, qui a visité plusieurs
abattoirs ces dernières années, (lire son
interview page 5) dans Bon appétit !, le
livre qu’elle vient de publier. Le sol est
recouvert de sang et de matières fécales,
les murs aussi.» Manutentions délicates,
notamment au moment des saignées,
dans des lieux à l’hygiène parfois douteuse : selon l’Institut national de recherche et de sécurité, la filière viande
est deux à trois fois plus exposée aux
risques d’accidents du travail que la
moyenne nationale. Les employés souffrent également de nombreux troubles
musculosquelettiques. Poids des charges, répétition des gestes, vibration des
machines : il faut saigner, démembrer
les bêtes et débiter les carcasses à la
chaîne. Une vache par minute, dans
certains abattoirs.
Parce qu’il est possible
de manger autrement
On peut être végétarien par religion (un
quart des Indiens ne mangent pas de
viande) ou par philosophie, comme Hésiode, Platon, Ovide, Apollonius de
Tyane Leonard de Vinci, Benjamin
Franklin, Jacques Derrida ou Claude Lévi-Strauss. Moby, Al Gore, Mike Tyson
ou Joaquin Phoenix s’y sont mis.
Sinon, on peut aussi s’orienter vers des
régimes «flexitariens» : moins de
viande mais de meilleure qualité et plus
riche en protéines végétale. La viande
n’est d’ailleurs pas l’aliment qui fournit
le plus de protéines: le soja en contient
deux fois plus. •
A la poursuite d’un vieux rêve de SF, plusieurs chercheurs tentent de créer une viande de toutes pièces.
Carne in vitro: l’avenir incarné?
crutons l’avenir de la barbaque dans une
boule de cristal. Oublions le clonage :
c’est déjà au menu. Les Etats-Unis ou
l’Argentine produisent à gogo des produits
issus de bêtes dupliquées. Et, faute de traçabilité, il y a de fortes chances pour que les
Européens en aient déjà avalé à leur insu.
Oublions aussi les animaux génétiquement
modifiés: c’est peut-être pour bientôt. Il ne
manque au saumon à croissance rapide de la
société AquaBounty que le feu vert des autorités américaines pour finir dans les plats.
«Enviropig», le cochon canadien qui pollue
moins, attend aussi son heure.
«Frankenburger». Non, l’étape d’après, le
véritable avenir de la viande, ce serait de la
cultiver. De la créer in vitro, en laboratoire.
L’idée n’est pas neuve. En 1932, Winston
Churchill écrivait: «Dans cinquante ans, nous
échapperons à l’absurdité d’élever un poulet
entier afin de manger le pectoral ou l’aile, en
cultivant ces pièces séparément.» Raté niveau
timing. Dans son Ravage de 1943, René Barjavel se projetait plus loin. Imaginant ainsi la
production carnée en 2052 : «Elever, chérir
les bêtes pour les livrer ensuite au couteau du
boucher, c’étaient bien là des mœurs dignes des
barbares du XXe siècle. Le “bétail” n’existait
plus. La viande était “cultivée” sous la direction
de chimistes […]. Le produit de cette fabrication
S
était une viande parfaite, tendre sans tendons,
ni peaux ni graisse, et d’une grande variété de
goûts.» Depuis une poignée d’années, quelques labos disent avoir concrétisé ce «rêve»
– ou ce cauchemar, c’est selon.
Aussitôt surnommé «Frankenburger», le premier hamburger à base de cellules musculaires prélevées par biopsie sur une vache a
été cuisiné et dégusté en grande pompe le
5 août 2013 à Londres. Mark Post, un scientifique de l’université de Maastricht, a mis
six semaines à le concocter, moyennant
250 000 euros pour 142 grammes. La chose
était constituée de 20 000 minuscules tran-
le même type de mixture. Pour son patron,
András Forgács (aussi papa d’une imprimante 3D capable de créer du tissu musculaire, il n’estime pas ce procédé rentable pour
la viande), cultiver des cellules pour faire des
«chips de steack» n’est pas plus fou que cultiver des lactobacilles pour le yaourt ou de la
levure pour la bière. Une équipe de l’université de Tel-Aviv, en Israël, tente, elle, de fabriquer de la poitrine de poulet en labo.
Bioréacteurs. Bien-être animal, protection
de l’environnement et lutte contre la faim,
voilà les motivations affichées par ces chercheurs soutenus par l’association de défense
des animaux Peta, mais aussi par
de riches mécènes fascinés par le
Verdict de deux téméraires cobayes:
(le cofondateur
«Goût assez intense», «même texture» transhumanisme
de Google Sergey Brin a financé le
et profil «proche de la viande» malgré
projet de Mark Post; celui de Payun «manque de gras».
Pal, Peter Thiel, appuie celui de
Forgács). «Les cellules d’une seule
ches de «viande», «nourries» au sérum de vache pourraient produire 175 millions de hamveau fœtal ou de cheval. Chapelure, sel, pou- burgers. L’élevage traditionnel nécessiterait
dre d’œuf, jus de betterave et safran avaient 440 000 vaches», avance Post. En 2011, une
été ajoutés pour donner un peu de tenue et de étude de l’université d’Oxford estimait que
couleur. Verdict des deux téméraires cobayes: concentrer la production de viande dans des
«Goût assez intense», «même texture» et profil bioréacteurs réduirait de 96% les émissions
«proche de la viande» malgré un «manque de de gaz à effet de serre (GES) dus à l’élevage,
gras». Née fin 2011, la start-up new-yorkaise libérerait 99% des terres consacrées à ceModern Meadow («prairie moderne») mijote lui-ci et économiserait 96% d’eau.
Mais elle est très contestée. «Les calculs ont
été faits alors qu’on ignore les procédés qui seraient retenus pour une production à grande
échelle», note Jean-François Hocquette, de
l’Institut national de la recherche agronomique. Pour lui, la viande in vitro ne présentera
qu’un «intérêt modéré» pour réduire GES et
pollutions par les nitrates, un «intérêt limité»
pour l’utilisation d’énergie fossile et «probablement une absence d’intérêt» pour l’eau. En
revanche, le chercheur craint «la création
d’autres problèmes environnementaux, par
exemple le rejet dans la nature de molécules issues des milieux de culture». D’ailleurs, cette
viande dopée aux hormones et arrosée
d’antibiotiques et de fongicides n’en est pas
vraiment, «c’est un amas de fibres musculaires, il manque le reste: nerfs, vaisseaux sanguins, collagène…»
Même si ses artisans promettent la vente
d’une carne in vitro «délicieuse» dans dix à
vingt ans, Hocquette pense qu’il faudra «plusieurs dizaines d’années de mise au point».
Surtout, des solutions infiniment moins
chères sont déjà là : chasse au gaspi alimentaire, alternatives à l’élevage intensif, rééquilibrage de notre alimentation. Il existe plus
de 1700 espèces d’insectes comestibles. Pas
plus atroce que le Frankenburger, après tout.
CORALIE SCHAUB
8
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LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
EVENEMENT
Défiant les lois de la cité,
Pythagore fut l’un des
premiers à arrêter la viande.
La philo et ses
veggies pirates
e nom même d’animal ouvre une curieuse bifurcation: est-il un être animé, qui se déplace,
contrairement aux plantes, ou un être qui a,
ou non, une âme, anima? Le premier parcours est
tracé depuis toujours : Aristote disait déjà que,
comme l’herbe est faite pour l’animal, l’animal est
fait pour l’homme, qui peut donc en utiliser la mobilité, la docilité ou la force pour s’aider dans son
travail, et Descartes, on le sait, fera des bêtes des
machines automatiques. Le second parcours est
plus compliqué, et fera tourner la philosophie
autour de deux questions: l’animal parle-t-il, pense-t-il? –avant que Jeremy Bentham (1749-1832)
n’établisse une coupure épistémologique décisive,
en avançant que l’essentiel est de savoir s’ils peuvent souffrir. Mais dès l’Antiquité la croyance en
la métempsychose (la transmigration de l’âme d’un
corps à un autre corps, y compris animal) s’est accompagnée de l’interdit moral d’en consommer la
chair. Abstinence très minoritaire cependant, dans
la mesure où, dans la cité grecque, religiosité, culte,
pratiques sacrificielles, consommation des chairs
immolées et vie publique étaient étroitement liés:
voir de la cruauté dans les sacrifices d’animaux et
refuser de manger la viande, s’était se mettre «hors
communauté» et s’exposer à l’ostracisme. Pythagore de Samos n’a pas craint, au VIe siècle
avant J.-C., de s’opposer aux lois de la cité : il est
le premier et plus connu des végétariens, «secte
honnie par la foule», comme l’écrira Sénèque, et
moquée. Le néo-platonicien Jamblique rapporte
cependant que certains pythagoriciens ne pratiquaient qu’une abstinence partielle, consommant
du pain, des olives, des fèves, du fromage ou de
l’orge, mais aussi la chair de certains animaux qu’il
était légitime de sacrifier – à l’exclusion du bœuf
qui travaillait et du mouton qui fournissait lait et
laine. Pythagore aura des héritiers célèbres: Platon
peut-être, Epicure sans doute, que les préjugés ont
toujours fait imaginer se bâfrant de victuailles. Ou
Lucrèce, Ovide, Sénèque lui-même, Porphyre et
Plutarque qui, dans De esu carnium, fustige les carnivores: «Si vous vous obstinez à soutenir que la nature vous a faits pour manger la chair des animaux,
égorgez-les donc vous-mêmes, de vos propres mains,
sans vous servir de coutelas, de massue ou de hache.
Faites comme les loups, les ours et les lions, qui tuent
les animaux dont ils se nourrissent. Mordez, déchirez
à belles dents ce bœuf, ce pourceau, cet agneau ou ce
lièvre; mettez-les en pièces, et comme ces bêtes féroces, dévorez-les tout vivants.»
On ne peut pas dire cependant que la question végétarienne ait constitué un fil rouge de l’histoire
de la philosophie, laquelle s’est orientée plutôt,
progressivement, vers la question du respect de la
vie animale, des devoirs des hommes envers eux,
voire des droits des animaux. Mais nombre de philosophes ou savants furent végétariens (le terme
vegetarian apparaît en 1842, dans la revue The Helthian) : de Diogène le Cynique à Cicéron, Saint
Augustin, Montaigne, Giordano Bruno, Léonard
de Vinci, Erasme, Thomas More, Pascal, Newton,
Leibniz, Rousseau, Voltaire, Darwin, Schopenhauer, Emerson, Bertrand Russell, Einstein, Carl
Jung, Lévi-Strauss ou Derrida sans doute. Nietzsche le fut en sa jeunesse, quand il fréquentait Richard et Cosima Wagner. Mais, souffrant de troubles digestifs, il se nourrit de lait et de viande rouge
–mets, disait-il, qui convient aux passionnés. Sa
mère et ses sœurs le fournissaient en jambons et
saucisses, qu’il adorait.
L
ROBERT MAGGIORI
Extrait
de la série
«Fleur viande»,
exposée au festival
Circulation(s)
au CentQuatre.
PHOTO ULYSSE ET
DARCOE
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
EVENEMENT
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9
Graine ou bidoche, pas besoin de trancher tant qu’on choisit de bons produits.
Mangez bien, mangez billot
anger poules, veaux, vaches,
cochons n’est pas une fatalité.
S’en priver non plus. Pourtant,
le débat demeure toujours aussi clivant,
voire saignant au pays de l’entrecôte
marchand de vin, du veau marengo et
de la poule au pot. La faute à qui ?
A nous tous, défenseurs de la bavette à
l’échalote comme disciples du tofu qui
n’avons pas compris qu’entre le tout et
le rien, il peut y avoir une place, certes
ténue et fragile, pour le persillé de l’entrecôte, la rusticité nutritive du légume
sec et l’éclat gustatif d’une tomate toute
chaude du soleil de juillet.
Pourtant, on continue de s’étriper à
coups de revue dédiée à la côte de bœuf,
de starisation du loucherbem d’un côté,
de célébration de la spiruline (micro-algue riche en protéines) et de dénonciation de l’élevage industriel et carcéral,
de l’autre. Il est d’ailleurs remarquable
de constater que cette guérilla de la
bectance a tout d’une guéguerre de
proximité puisque les deux camps fréquentent souvent les mêmes rues, les
uns empruntant le trottoir de droite
pour faire la queue devant un restaurant
de hamburgers, les autres campant devant leur plateau indien végétarien.
Mais pourquoi diable se regardent-ils en
chiens de faïence alors qu’ils pourraient
faire compromis commun pour soulager la planète ?
Godiveau du jeudi. Il n’y a sans doute
pas une seule réponse mais autant de
raisons que d’yeux (les bulles de
graisse) dans le bouillon du pot-au-feu.
D’abord, notre dépendance à la bidoche
n’a rien d’une toquade. Elle vient de
loin, autant dire un siècle pour les accrocs aux nuggets et aux poissons carrés. Après les années de vache maigre
de la Seconde Guerre mondiale, les
Français ont plongé dans les Trente Glorieuses et la bavette avec les encouragements des chevillards et la bénédiction
des pouvoirs publics. C’était foie de
veau le mardi, cervelle pour les petits le
mercredi, godiveaux le jeudi, la parenthèse du poisson le vendredi, hampe le
samedi, rôti de bœuf ou poulet le dimanche dont les restes étaient accommodés le lundi.
Entre 1950 et 1990, la consommation de
viande est passée de 44 kilos à 91 kilos
par an et par habitant. En comparaison,
les légumes secs («la viande du pauvre», car riche en protéines) ont reculé
de 7,3 kilos par an et par habitant
en 1920 à 1,4 kilo en 1985.
Pas facile, donc, de s’affranchir de
cette dictature de la viande quand,
dans l’inconscient collectif, elle reste
encore pour beaucoup aussi requinquante pour l’humain que le plan
Marshall pour les victimes de guerre.
A l’autre bout de la table de nos attitudes alimentaires, la quête du sans
viande a longtemps été perçue comme
un chemin de croix. Il faut dire que les
premiers pas d’une gastronomie sans
côte de bœuf, ni longe de porc ne respiraient pas forcément la gourmandise
alors qu’aujourd’hui, on peut se régaler de graines, de protéines végétaliens
et de légumes frais dans des recettes
M
qui fleurent bon les épices et les aromates. Qu’importe cette évolution,
la ligne Maginot demeure entre les
viandards et les végétariens et les
végétaliens.
Sachet plastique. Alors, plutôt que de
l’affronter de plein fouet, nous aurions
tout intérêt à la contourner, nous
autres mangeurs, car le changement
doit venir de nos assiettes. D’abord en
renonçant à cette absurdité, à cette hérésie qu’est l’habitude de bâfrer de la
viande à tous les repas. Car trop de
viande tue la viande. Prenez une minute, ouvrez votre réfrigérateur. Non
mais vous l’aimez vraiment la tranche
de jambon qui stagne dans son sachet
de plastique? Sans parler de ce bout de
barbaque sous cellophane qui rétrécira
à la cuisson dans la poêle et que vous
noierez sous une louche de sauce barbecue pour lui donner le goût de… la
sauce barbecue. Oubliez ces rogatons
et inspirez-vous plutôt de légumes de
saison pour imaginer un repas. Et
n’oubliez pas que, dans beaucoup de
cuisines traditionnelles du monde qui
font la part belle aux racines, aux graines, aux plantes, la viande est utilisée
avec parcimonie car c’est la richesse de
ses sucs et non la quantité qui donne
du goût au plat.
Forcément, ça demande un peu plus de
boulot aux fourneaux, mais c’est
meilleur pour nos papilles, nos artères
et la planète. Tout comme on ne peut
qu’aller vers le mieux en se détournant
– plutôt beaucoup qu’un peu – de la
voie, certes rapide mais ô combien néfaste – de tous les fast-foods et autres
enseignes de snacking qui ont construit
leur offre sur le sacro-saint steak haché
et le poulet en seau.
Vous verrez qu’après ces deux pas de
côté, le rognon de veau en cocotte ou le
poulet de Bresse du dimanche n’en seront que meilleurs.
JACKY DURAND
10
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MONDE
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
«Libération» s’est
rendu dans cette
ville du Kurdistan
syrien, où
les combattants
des Unités de
protection du
peuple, bien
coordonnés avec
la coalition,
ont repoussé
les jihadistes.
Par LUC MATHIEU Envoyé spécial
à Tal Brak et Kameshli (Kurdistan syrien)
M
ême morts, les jihadistes de
l’Etat islamique (EI) stupéfient
Hajar. Il ne peut s’empêcher de
regarder les photos de leurs
cadavres sur son téléphone mobile. Il les a
er
prises le 1 mars, après la bataille de Tal Brak,
un village du Kurdistan syrien perdu au
milieu des champs de coton et de houblon.
Les clichés défilent ; il s’attarde sur l’un,
zoome sur un autre, revient en arrière.
«Celui-là, c’est un Turc qui s’était accroché un
Coran autour du cou. Et les deux, là, c’étaient
des Pakistanais. Ils
REPORTAGE étaient habillés tout en
noir, même leurs sousvêtements étaient noirs.» Il ne s’en rend pas
compte mais il s’est mis à crier. «Oui, je suis
furieux. Même leurs cadavres me dégoûtent.»
Hajar est un combattant kurde de 39 ans,
râblé et nerveux. Dans son autre vie, avant
la guerre, il réparait des vélos à Kameshli,
principale ville kurde du canton de Djézireh,
aux frontières de la Turquie et de l’Irak. Il y
a deux ans, lorsque les jihadistes se sont emparés de villages de sa région, il s’est porté
volontaire au sein des Unités de protection
du peuple (YPG), une émanation du Parti des
travailleurs du Kurdistan (PKK) turc. Depuis
la mi-février, il participe à l’offensive lancée
par les Kurdes contre l’Etat islamique dans
le canton.
FLAQUE. Le 28 février, il était de l’assaut sur
Tal Brak. Les jihadistes occupaient la bourgade depuis un an. Ils avaient accroché leurs
pancartes sur des poteaux électriques de la
petite place centrale. Elles y sont toujours :
«Nous nous battons en Syrie et en Irak, mais
nos regards sont tournés vers l’Andalousie»;
«Un califat pour Dieu vaut mieux qu’une démocratie pour l’Occident». Le terre-plein
servait aux décapitations ; les jihadistes
veillaient à laisser les corps pourrir trois jours
avant de les évacuer. Les habitants n’avaient
pas le droit de quitter le village, même pour
travailler. Les hommes qui laissaient leur
Les combattants kurdes à Tal Hamis, ville reprise à l’Etat islamique quelques jours avant Tal Brak. PHOTO RODI SAID. REUTERS
ATalBrak,leshommes
del’EIont«fuicomme
dessouris»
femme sortir sans niqab étaient punis de
quatre jours de prison. Les enfants n’allaient
plus à l’école. L’ordre de l’Etat islamique
paraissait aussi solide que sauvage : il s’est
écroulé en moins de quarante-huit heures.
«On dit toujours que les combattants de Daech
[acronyme arabe de l’EI, ndlr] sont redoutables. Mais ici, ils ont fui comme des souris»,
dit Rojine, une commandante aussi petite
que musclée.
Les combats se lisent sur les murs des maisons. Il y a l’école au toit écroulé, qui servait
de quartier général à l’Etat islamique, bombardée au début de l’assaut par un char
kurde. Puis, à moins de 100 mètres, les
échoppes aux rideaux de fer arrachés, où les
jihadistes s’étaient embusqués. «On a perdu
un homme ici et plusieurs ont été blessés. Mais
on a continué à avancer», raconte Rojine.
L’assaut final s’est déroulé dans une autre
école, à la sortie du village. Ses murs sont
creusés d’impacts de balles et brûlés par les
explosions. Une flaque de sang sèche au milieu du couloir du rez-de-chaussée. «Ça,
c’est le sang de Daech», dit la commandante.
Les Kurdes n’ont pas encore pénétré dans
l’école, persuadés qu’elle est minée. Le long
du mur d’enceinte, il y a un camion piégé.
«On les a entendus sur nos radios. Le kamikaze
hurlait: “Je n’arrive pas à me faire exploser, ça
ne marche pas! Je fais quoi? Je fais quoi?” L’un
des chefs lui a finalement dit de se sauver»,
raconte Rojine. Au total, trente jihadistes de
l’EI ont été tués les 27 et 28 février à Tal Brak.
Un combattant du YPG est mort, dix autres
ont été blessés. Un bilan comme une revan-
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
Les jihadistes avaient annoncé qu’ils s’en
empareraient en quelques jours. Mais ils ont
eu beau envoyer renforts et armes lourdes, ils
se sont empalés sur la ville, perdant plus de
1000 hommes, principalement lors des frappes aériennes filmées en direct par les médias
internationaux. A la déroute militaire s’était
ajouté le revers de propagande. «Depuis le
succès de Kobané, nous sommes en coordination
directe avec la coalition. Nous pouvons lui
demander nous-mêmes des frappes, alors
qu’avant, nous ne savions même pas où elle
bombarderait», explique Redur Xelil.
Le porte-parole pousse une table basse pour
déplier par terre une carte plastifiée de 2 mètres de long sur autant de large. Il trace du
doigt une ligne d’est en ouest, qui relie les
monts Sinjar, en Irak, à ceux d’Abd al-Aziz,
en Syrie. «Notre objectif est de conquérir le
nord de cette ligne, c’est notre territoire. Nous
n’irons pas de l’autre côté», affirme-t-il. Les
combattants du YPG ne s’aventureront pas
en terre sunnite, ils ne tenteront pas d’aller
jusqu’à Raqqa, le fief de l’Etat islamique. La
guerre, pour les Kurdes, est avant tout une
question d’autonomie territoriale.
LONGUE­VUE. A Tal Brak, devant une ferme
aux murs de torchis qui fait office d’avantposte, le commandant Hajar sait que la bataille sera longue. Il pointe la plaine, devenue
floue sous les rafales de vent et de pluie. Les
jihadistes sont à quelques kilomètres, il ne
sait pas exactement combien, mais ils sont
là. Ils tirent parfois des obus de mortier. Dès
qu’ils le pourront, dès qu’ils auront ramené
de nouvelles armes, ils lanceront une contreattaque. «Le problème avec eux, c’est qu’hormis pour les échanges de prisonniers, il n’y a
aucune table où l’on pourrait s’asseoir pour
négocier, affirme Hajar. Lorsqu’Al-Qaeda et
Ahrar al-Sham [un groupe salafiste syrien,
ndlr] étaient implantés dans la région, on
pouvait discuter. Avec Daech, c’est impossible:
ils refusent de comprendre que l’on défend notre
terre. Ils veulent juste faire couler le sang.»
Dans l’immédiat, le commandant kurde est
moins inquiet des mouvements jihadistes que
de ceux de l’armée du régime de Bachar
al-Assad. Elle aussi est toute proche, à moins
de 2 kilomètres. Les militaires ont installé
un barrage le long de la route qui mène à Alche. L’hiver dernier, les Kurdes avaient déjà Hasakah, la grande ville de la région, contrôtenté de reprendre la bourgade et ses lée en partie par le gouvernement. Un jeune
hameaux. Mais l’offensive avait viré à la Kurde observe les soldats avec une longuedéroute. Trente-cinq de leurs combattants vue aux pieds vacillants. La veille, cinq véhiavaient été faits prisonniers avant d’être cules de l’armée gouvernementale ont tenté
décapités.
une incursion, arrivant jusqu’à l’avant-poste.
Hajar en est encore furieux. «Le régime n’a
PROPAGANDE. A Kameshli, dans son bureau rien fait contre Daech en un an, il les a laissés
encombré de canapés et de tables basses, Re- s’installer ici avec leurs tanks et leurs armes,
dur Xelil, porte-parole du YPG, dit ne pas sans bouger. Et maintenant que nous avons
vouloir plastronner. Mais il ne peut s’empê- combattu et que nos martyrs les ont repoussés,
il veut tout récupérer. Il
rêve: on se battra contre lui
«Le régime [syrien] n’a rien fait contre Daech.
comme contre Daech, qu’il
Maintenant que nos martyrs les ont repoussés,
le sache.»
il veut tout récupérer. Il rêve: on se battra
L’incident de la veille n’a
contre lui comme contre Daech, qu’il le sache.» pas provoqué d’affrontements armés. Comme
Hajar un combattant kurde
souvent, il s’est réglé par
cher de sourire. «Nous n’avons pas encore ga- des coups de téléphone entre responsables
gné contre Daech, loin de là. Ils ont énormément des deux camps : les Kurdes ont menacé de
d’armes et de partisans. Mais sans vouloir être lancer une offensive, le régime a rappelé ses
arrogant, il faut reconnaître que les Kurdes blindés. Mais Hajar reste méfiant. Avec ses
sont les seuls à les repousser ces dernières se- hommes, il a bâti un barrage de terre de
maines.» Quelques jours avant de s’emparer 2 mètres de haut en travers de la route, juste
de Tal Brak, les «camarades», selon l’expres- en face de la ferme. La protection est dérisoire
sion consacrée du parti, avaient reconquis Tal contre un tank mais elle pourrait ralentir des
Hamis, à une vingtaine de kilomètres.
pick-up. Deux jeunes combattants se sont
Ces succès, ils le reconnaissent, doivent assis en haut du talus. Ils regardent vers leur
beaucoup à la coalition et à ses bombarde- ville natale d’Al-Hasakah, où ils ne peuvent
ments. Le porte-parole du YPG évoque «un retourner sans risquer la prison. Ils entonnent
effet Kobané», en référence à la bataille de cet doucement une chanson traditionnelle syautomne pour le contrôle de l’enclave kurde. rienne. Elle parle de paix et d’unité. •
MONDE
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Le vice-ministre irakien des Antiquités
réagit aux attaques contre les sites culturels:
«Je crains que
le pire soit à venir»
A
près s’être attaqué la semaine
dernière au musée de Mossoul,
en Irak, l’Etat islamique (EI, ou
Daech) est entré jeudi avec des bulldozers dans la cité antique de Nimrod, une
action qualifiée de «crime de guerre» par
l’Unesco. Qaïm Hussein Rachid, viceministre irakien chargé des Antiquités,
craint que ce ne soit qu’un début.
Le grand musée de Bagdad, pillé en 2003,
puis fermé, vient de rouvrir…
Sa réouverture, programmée pour avril,
était prévue depuis longtemps, mais le
gouvernement voulait inviter des représentants des pays qui nous ont aidés à
sauver notre patrimoine. Le Premier ministre a avancé sa réouverture en réponse à ce qui s’est passé à Mossoul. Il
a été le premier visiteur.
Combien de pièces ont été retrouvées?
15000 pièces ont été volées et 4300 retrouvées. Les Etats-Unis en ont
récupéré 1400, la Jordanie 1800, la Syrie
(avant la guerre) 700, la France 23,
l’Espagne 22.
Manque-t-il des pièces uniques?
Elles ont toutes été retrouvées. La tête de
femme sumérienne a notamment été
découverte en 2005 par des soldats américains, enterrée dans la banlieue de
Bagdad. Un coup de chance : ils pensaient avoir affaire à des terroristes, mais
c’étaient des trafiquants d’antiquités.
Ce qui s’est passé à Mossoul la semaine
dernière est-il plus grave?
Beaucoup plus grave! Quand un musée
est pillé, on a l’espoir de retrouver les
pièces. Or, depuis le mois de juillet,
Daech ne vole pas seulement les antiquités, il les détruit. Ils ont dynamité des
mosquées, des églises, des tombeaux…
Comme celui de Nabi Younès, le prophète
Jonas?
Oui, et c’est d’autant plus grave qu’il
était construit sur une colline historique,
sous laquelle se trouvait enfoui un grand
palais assyrien. Avec l’explosion, elle
s’est effondrée, et tout ce qui était dessous a été endommagé. Et ce qui s’est
passé dans la ville est autrement plus
grave qu’au musée, où il y avait beaucoup de copies: ils ont détruit les grands
taureaux ailés qui gardaient la porte
d’Assur et une fresque inestimable construite à l’époque d’Assurbanipal
Vous parlez des églises?
Pas toutes. Il en reste quelques-unes. Sur
28 sites religieux de première importance, seule la moitié n’a pas été détruite. Et Daech a ramassé 15 000 manuscrits dans plusieurs églises et
monastères pour en brûler une partie sur
une place publique de Mossoul et faire
commerce de l’autre. Une version très
ancienne de l’Ancien Testament, volée
au couvent de Deir Meti, proche de Mossoul, est arrivée en Israël.
Hormis l’Irak, existe-t-il des filières pour
exporter ces antiquités?
Des fouilles illégales, je ne vais pas dire
qu’en Irak, cela n’existait pas avant.
Mais elles étaient dans le Sud. A présent,
Daech a mis en place des bandes mafieuses pour les exporter.
Avec la complicité de certains Etats
comme la Turquie, par exemple?
En tant que citoyen, je suis d’accord avec
vous, mais en tant que ministre, je ne
peux rien dire, si ce n’est qu’il y a des
Etats complices.
Que craignez-vous à présent?
Je crains que le pire soit à venir. On sait
qu’ils ont piégé les murailles de l’ancienne ville assyrienne d’Assur. Si tous
ces crimes restent sans réponse, ils vont
faire encore pire. Or la réaction de
la communauté internationale est timide. Et les opérations militaires de
la coalition sont très faibles. Malheureusement, je crains que nous nous préparions à des nouvelles encore plus catastrophiques.
Recueilli à Bagdad par
JEAN-PIERRE PERRIN
REPÈRE
Tal Brak
TURQUIE
Kobané
Alep
Kameshli
50 km
Tal Hamis
Mossoul
Monts Abd al-Aziz
Idlib
Hama
Homs
LIBAN
Raqqa
SYRIE
Hassaké Monts Nimrod
Erbil
Sinjar
Tikrit
Abou
Kamal
Damas
Kirkouk
Hit
Ramadi
Samara
Fallouja
Zones contrôlées
Villes contrôlées
par Daech
par les Kurdes
par les rebelles syriens
par les forces gouvernementales
syriennes ou irakiennes
IRAN
Baqouba
Bagdad
Najaf
IRAK
ARABIE
SOUDITE
Principaux combats
12
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LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
MONDE
plutôt que de laisser ce boulot à une
Maison Blanche qui a fait savoir, de
façon informelle, qu’elle n’était pas
au courant de ses pratiques.
Hillary Clinton consulte ses mails sur son téléphone dans un avion militaire en direction de Tripoli (Libye), en octobre 2011. PHOTO KEVIN LAMARQUE. AP
«Emailgate»:HillaryClinton
priéededéballersoncourrier
L’ancienne chef de la diplomatie, qui envoyait ses mails sans utiliser le
système sécurisé du gouvernement, les rend publics pour éviter le scandale.
Par MICHEL HENRY
D’
du moment que l’on a gardé trace
de tous les mails. Mais, quid de ses
communications dites «sensibles»,
susceptibles d’être piratées?
accord, il y a des choses
plus graves. Par exemple, l’acteur Harrison
Ford, 72 ans, s’est RÈGLES. L’affaire, révélée lundi, par
crashé jeudi avec son petit avion sur le New York Times, a pris de court
un golf près de Los Angeles, sans celle qui dirigea le département
trop de dommages. C’est un crash, d’Etat (Affaires étrangères) de 2009
a priori aussi anodin,
à 2013. Hésitant à réagir,
qu’Hillary Clinton subit deRÉCIT Clinton a fini par tweeter,
puis lundi, alors qu’elle esmercredi soir : «Je veux que
père décoller vers la présidentielle les gens voient mes courriels. J’ai
de 2016. La raison? Pour ses mails, demandé au département d’Etat de
lorsqu’elle était chef de la diploma- les publier. Ils m’ont dit qu’ils allaient
tie, elle n’utilisait pas le système les examiner pour les publier au plus
sécurisé du gouvernement, mais vite.» Histoire de démontrer que la
une messagerie privée, hébergée sécurité n’a pas été menacée, et de
sur un serveur privé. Elle pourrait dénier ce vieux penchant clintoainsi avoir violé les règles, même si nien pour le secret, avec le sentiun porte-parole a assuré que «l’es- ment d’être au-dessus des lois.
prit et la lettre» en étaient respectés, Hélas pour elle, il y a 55 000 cour-
REPÈRES
«D’après ce que j’ai vu
jusqu’à maintenant,
je pense que tout ça n’est
qu’une façon d’attaquer
Hillary Clinton. Un point
c’est tout.»
Elijah Cummmings élu démocrate
riels à lire. Son successeur John
Kerry a indiqué, jeudi, que cela se
ferait «aussi vite que possible», mais
cela pourrait prendre des mois.
Pire: selon le Washington Post (WP)
de jeudi, le département d’Etat enquête pour savoir si Hillary Clinton
jeudi, d’un câble du département
d’Etat de 2011, recommandant
d’éviter son mail perso pour des
communications de travail. Et selon le WP, un inspecteur général affirmait dans un rapport en 2012 que
l’usage par un ambassadeur de mail
privé pour son travail
constituait une violaSi plus de 50000 mails ont été
tion des règles – une
donnés, une obligation légale, les
des raisons pour la dérépublicains soulignent qu’il n’y a
mission forcée de
aucune garantie que tous y figurent. l’ambassadeur au Kenya Scott Gration.
a violé les règles, qui restent assez Ce début de polémique tombe mal
floues. Utiliser un mail perso n’est pour Clinton: favorite de son camp
pas forcément répréhensible, mais pour la présidentielle de novemil s’agit de déterminer si certains bre 2016, elle devrait annoncer sa
courriels auraient dû passer par le candidature à l’investiture démosystème sécurisé gouvernemental. crate au printemps. Certains lui
Comment Clinton, 67 ans, pouvait- suggèrent désormais de le faire au
elle l’ignorer? Fox News a fait état, plus vite, afin de contre-attaquer,
250000
C’est le nombre de mails écrits
lorsqu’il était gouverneur de
Floride que Jeb Bush, probable
candidat à la primaire républi­
caine pour la présidentielle, a
récemment rendu public.
«Le public américain
a le droit de savoir si une
de ses plus hautes
responsables a violé
la loi fédérale.»
John Philippe conseiller de la
commission nationale républicaine
ARCHIVAGE. Le camp républicain,
lui, s’est jeté sur l’«emailgate» pour
dénoncer une «absence de transparence» et un «problème d’éthique».
L’affaire est apparue à la faveur de
l’enquête dirigée par les républicains au Congrès sur l’attaque contre la mission diplomatique américaine de Benghazi (Libye), le
11 septembre 2012, qui avait fait
quatre morts américains, dont
l’ambassadeur Chris Stevens: sollicité, le département d’Etat n’a pas
pu produire les mails de sa patronne
qui conversait uniquement sur son
réseau privé. Clinton a fini par accepter la publication de ses mails.
Tous? Pas sûr. Si plus de 50000 ont
été donnés, en décembre, à la demande du département d’Etat pour
archivage, une obligation légale, les
républicains soulignent qu’il n’y a
aucune garantie que tous y figurent. Le porte-parole de la commission d’enquête, le républicain
Jamal Ware, s’est ému que Clinton
soit «la seule personne qui détermine
quels documents le peuple américain
est en droit de voir».
Les républicains, qui ne se satisferont pas d’un seul tweet en guise de
réponse, vont exploiter ce filon.
«Qui est prêt pour 20 mois d’#emailghazi ?», demandait le site Politico.com, mercredi. «Les Clinton
ont survécu à de bien pires tempêtes
médiatiques», y écrit un peu vicieusement le journaliste Jack Shafer,
ce qui lui permet d’énumérer ces
scandales –dont le héros est avant
tout son mari Bill. Certes, reconnaît
Shafer, il faudra trouver des «surprises valables» dans les mails
d’Hillary Clinton pour que la polémique prenne corps. Mais en attendant, «les chiens de la presse ne peuvent résister à l’envie de mordre dans
sa chair dès qu’ils sentent le fumet»
d’un possible scandale.
Les Clinton eux-mêmes alimentent
la cheminée : ils ont été épinglés
voici quelques jours car leur fondation a accepté des dons de gouvernements étrangers. Les républicains
se sont empressés de lier les deux
affaires : «Hillary Clinton doit livrer
le reste de ses mails et expliquer aux
Américains pourquoi elle utilisait exclusivement une adresse privée lorsqu’elle était secrétaire d’Etat, au moment même où la fondation Clinton
acceptait des dons de gouvernements
étrangers qui faisaient du lobbying
auprès du département d’Etat», a déclaré le président du parti, Reince
Priebus. Hillary Clinton devra donc
apprendre à piloter par gros temps.
Peut-être avec Harrison Ford, luimême ami des démocrates. •
•
SUR LIBÉ.FR
A lire: Vingt ans de scandales
autour des Clinton, tels le sui­
cide suspect de leur ami Vince
Foster (1993), les affaires de
mœurs (Flowers, Lewinsky)…
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
MONDEXPRESSO
Par RAGIP DURAN
Ankara honnit «Charlie»
a justice turque a interdit l’accès à 49 sites
internet, dont celui de
Charlie Hebdo, pour «insultes
contre les valeurs religieuses et
sacrées qui peuvent perturber
la paix sociale». Dans son
arrêt du 27 février, un tribunal de Gölbasi (district d’Ankara) a ainsi interdit certaines pages de Wikipédia, de
Facebook et de Twitter. Les
pages de deux sites locaux
qui avaient publié les
versions en turc du premier
numéro de Charlie Hebdo
post-attentat du 7 janvier
ont été également interdites.
Tout comme le site de la
nouvelle Association de
l’athéisme.
L
Me Rodrigue Dadjé un des
avocats de l’ex­première
dame de Côte­d’Ivoire
Simone Gbagbo, jugée à
Abidjan pour son rôle dans
la sanglante crise post­
électorale de 2010­2011
30000
Le violeur présumé a été extrait par la foule de la prison centrale de Dimapur jeudi. PHOTO AP
EnInde,lafoulelynche
unvioleurprésumé
XÉNOPHOBIE L’homme, victime des tensions autour
Le tribunal était saisi
d’une plainte déposée par la
TIB, l’Autorité turque des
télécommunications, organe
du sujet, a été pris pour un immigré bangladais.
L’HISTOIRE
LE BRITISH BULL­
DOG VICTIME DE
CONCURRENCE
DÉLOYALE
La Grande­Bretagne nous
a donné Dickens, Churchill
et le Crufts, ce concours
annuel réservé aux chiens
de race qui se déroule
à Birmingham. Mais voilà:
le Crufts est assiégé par
le braque de Weimar, l’épa­
gneul breton et le basset
artésien. Cette invasion
canine continentale le
menace. A tel point que
certains propriétaires
britanniques aboient
à la concurrence déloyale.
22000 chiens sont invités
à la foire pour s’affronter
lors de multiples concours
de beauté où le caniche
permanenté donne sa plus
belle mesure. Or
2987 chiens viennent de
l’étranger. La France, elle,
déferle avec 377 toutous.
Tout serait bon, selon la
presse sérieuse, pour faire
perdre son flegme au chien
britannique: chienne en
chaleur lancée dans le con­
cours, chewing­gum dans le
poil du lévrier et soupe aux
croûtons avec laxatif. Le
patriotisme canin britanni­
que étant déjà fort affecté
par la victoire, en 2014,
de Colin, un spitz nain de
Pologne, une victoire du
griffon vendéen plongerait
les organisateurs dans
une stupeur animale.
13
VU DE TURQUIE
«Il s’agit du procès
du néocolonialisme,
de l’ingérence dans
les pays africains de
la France qui installe
qui elle veut à la tête
de nos pays.»
C’est le nombre de car­
touches de fusil d’assaut
trouvées par les forces de
l’ordre tunisiennes, ven­
dredi, à Ben Guerdane,
ville frontalière de Libye,
à 120 kilomètres de Djerba.
Dans cette cache: des
kalachnikovs, 30 roquettes,
20 grenades et des lance­
roquettes. Ben Guerdane
est un haut lieu de trafics,
notamment en carburant
et produits manufacturés.
•
epuis deux jours, la
tension montait à
Dimapur, ville de
200 000 habitants dans le
nord-est de l’Inde et capitale
économique de l’Etat du Nagaland, après la publication
dans un journal local, le Morung Express, du nom et de la
photo d’un homme de
35 ans, accusé de viol par sa
voisine, étudiante de 25 ans.
Depuis la mort d’une autre
jeune fille, violée par six
hommes dans un bus à New
Delhi en 2012, le pays se déchire sur le sujet des agressions sexuelles. Un des accusés du crime de Delhi
explique dans un documentaire à la BBC que la victime,
Jyoti Singh, «aurait dû se
laisser faire» et qu’«une
femme décente ne traîne pas
dehors après 21 heures». L’interview a fait scandale et sa
diffusion a été interdite.
A Dimapur, la vindicte a pris
une tournure xénophobe.
Notamment grâce à l’organisation locale Naga Women
Hoho, qui déclarait au Morung Express que «si les Nagas ne s’attaquaient pas à la
menace constituée par l’afflux
d’infiltrés bangladais, les crimes contre nos femmes et nos
filles par ces gens ne feraient
qu’augmenter».
Calvaire. Les Nagas, une
ethnie chrétienne, constituent plus de 80% des habitants de ce petit Etat situé
aux confins de l’Inde, entre
le Bangladesh et la Birmanie.
Très rapidement, la rumeur a
couru que Syed Farid Khan
D
Syed Farid Khan. Ce vendeur
de voitures d’occasion a alors
été battu, traîné nu et ensanDimapur
BHOUTAN
glanté sur des kilomètres,
NEP
ASSAM
son calvaire filmé par des diI N D E NAGALAND
zaines de personnes, avant
BANGL
qu’il ne succombe à ses blesMYANMAR
INDE
sures. Son corps a ensuite été
Dacca
BIRMANIE
200 km
tiré derrière une moto jusqu’à une place où il a été
était un immigré clandestin pendu. La police est enfin inbangladais, et non un Indien tervenue pour disperser les
musulman. Simple supputa- manifestants, tuant par baltion: sa véritable nationalité les un homme de 25 ans.
n’était pas connue vendredi. Couvre­feu. Vendredi, les
Mercredi, plusieurs milliers réactions se sont multipliées
de personnes, selon le Hin- dans le pays. Une activiste
dustan Times, ont encerclé le féministe assurait que «les
commissariat de Dimapur, gens en ont assez des viols, car
où le prévenu était retenu. le gouvernement ne répond pas
Une délégation d’organisa- à temps». Le leader du Parti
tions locales, emmenée par du congrès nationaliste, allié
du BJP au pouL’homme a été battu, traîné nu voir, a formellement consur des kilomètres et son
damné
le
calvaire filmé par des dizaines lynchage : «Ce
de personnes, avant qu’il ne
n’est pas correct. Si chacun
succombe à ses blessures.
fait la loi luila Fédération étudiante naga, même, ce sera l’anarchie.»
a réclamé qu’il leur soit livré. Dans la soirée, les chefs de la
Parallèlement, elles ont de- police ont été suspendus, et
mandé au conseil municipal le couvre-feu maintenu. Le
d’annuler les licences com- gouverneur du Nagaland a
merciales de musulmans de demandé que les médias ne
langue bengali. Après l’échec reprennent pas les images du
de pourparlers, des magasins lynchage «pour ne pas attiser
tenus par des musulmans ont les tensions».
été saccagés et incendiés.
Pendant ce temps, à 1300kiEt jeudi, c’est une foule de lomètres de là, un autre
plus de 10000 personnes qui homme était lynché par la
a attaqué la prison centrale, foule lors d’un festival hinoù l’accusé avait été trans- dou à Varanasi, après avoir
féré. La police, dépassée, a été accusé d’agression par un
laissé les manifestants ins- groupe de jeunes filles.
pecter les cellules et en sortir
LAURENCE DEFRANOUX
officiel de régulation de
l’ensemble des communications électroniques. Elle s’est
basée sur l’article 216 du
code pénal turc, qui prévoit
des sanctions contre «ceux
qui provoquent la population à
l’animosité et à la haine par
des blasphèmes». L’écrivain
d’origine arménienne Sevan
Nisanyan et le pianiste Fazil
Say ont notamment été
condamnés en vertu de cet
article.
Selon les statistiques de la
société Engelli Web,
67 683 sites étaient interdits
d’accès en Turquie mardi.
En 2014, la TIB a censuré en
tout 22 645 sites sans attendre de décision judiciaire. La
justice turque a, elle, produit
3094 arrêts visant l’interdiction de 16 600 sites l’année
dernière. •
LES GENS
CHINE
LA PILOTE UKRAINIENNE,
PRISONNIÈRE EN RUSSIE,
S’ALIMENTE À NOUVEAU
A bout de force, la pilote militaire ukrainienne Nadia
Savtchenko, en grève de la faim depuis quatre­vingt­qua­
tre jours pour protester contre sa détention en Russie,
a décidé de mettre fin à son action. Selon son avocat,
Mark Feïguine, la jeune femme de 33 ans souffrait de
«fortes baisses de tension, de convulsions», et était «sur
le point de s’évanouir». Capturée par des séparatistes
prorusses et détenue en Russie depuis juin, Nadia
Savtchenko, qui avait rallié un bataillon de volontaires, est
accusée d’être responsable de la mort de deux journa­
listes russes dans l’est de l’Ukraine. Devenue un symbole
de la lutte du pays contre l’intervention russe, la jeune
femme a été élue députée au Parlement ukrainien sur
la liste conduite par l’ex­Première ministre Ioulia Timo­
chenko, en octobre. Alors que Kiev la considère comme
une prisonnière de guerre, Moscou l’a exclue des accords
d’échange de prisonniers conclus lors des négociations
de Minsk, en février. Le président, Petro Porochenko, a,
sans succès, demandé à Vladimir Poutine de libérer la
jeune femme pour des raisons médicales. PHOTO REUTERS
L’HISTOIRE
UN CAÏD URUGUAYEN DE 12 ANS
ET SES DRÔLES DE SCHTROUMPFS
Il a 12 ans et son groupe s’appelle Los Pitufos («les
Schtroumpfs»), mais il ne s’agit ni de rock ni de hip­hop.
Avec ses complices, âgés de 11 à 16 ans, il terrorise le
quartier d’Ituzaingó, à Montevideo. La spécialité des Pitu­
fos: encercler une voiture, briser les vitres et rançonner
les occupants. Les camions de livraison sont aussi une
cible privilégiée. Le chef, dont l’identité n’est pas divul­
guée, n’a jamais été scolarisé. Pour cette raison (ainsi que
pour vols), sa mère a été incarcérée. Le père a été tué
par balles. Le quotidien uruguayen El País évoque (sans
les montrer) des photos sur Facebook où l’enfant boit de
l’alcool, fume et pointe une arme à feu sur un bébé.
Aucune mesure judiciaire n’a été prise, pour le moment,
contre Los Pitufos.
14
•
FRANCE
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
L’opération d’évacuation de la «zone à défendre» de Sivens a été ordonnée vendredi par le ministère de l’Intérieur juste après le vote du conseil général.
ASivens,leszadistesexpulsés,
lesquestionsévacuées
Le vote par le conseil général du Tarn d’un projet très flou de barrage plus
petit ne rassure pas les opposants, qui ont été délogés du site «sans incident».
Par JEAN­MANUEL ESCARNOT
Envoyé spécial à Albi
et SYLVAIN MOUILLARD
Photo ISABELLE RIMBERT
L
la préfecture du Tarn et les
200 agriculteurs probarrage, déterminés à obtenir le départ des «peluts» (les «chevelus» en occitan),
si nécessaire par la force.
a «zone à défendre» (ZAD)
de Sivens, où le jeune mili- «MESSE». C’est le vote du conseil
tant écologiste Rémi Fraisse général du Tarn, à majorité sociaa été tué le 26 octobre, a été liste, qui a donné le top départ à
vidée de ses derniers occupants. En l’évacuation. L’assemblée s’est prodépit du climat très tendu qui ré- noncée pour l’abandon du projet de
gnait sur place depuis une semaine, barrage initial et la construction
l’opération d’évacuation med’une retenue de taille plus
née par les forces de l’ordre
RÉCIT modeste. Seule condition :
vendredi s’est déroulée «sans
«l’expulsion sans délai» des
incident majeur», selon l’Intérieur. zadistes. Dans l’hémicycle albiSur place, les zadistes n’étaient plus geois, il n’y a pas eu de débat. «La
qu’une cinquantaine. «On ne va pas messe était déjà dite avant», souffle
Paul Salvador (divers
droite). Sous le regard
«Ce projet n’est rien d’autre
des agriculteurs préqu’un projet initial bis quand on
sents, le «réflexe tarconnaît la puissance des lobbys
nais» a rassemblé la
agricoles et de la FNSEA.»
droite, la gauche et le
centre. Voix roSerge Entraygues (PCF) l’un des trois élus à
avoir voté contre
cailleuse et mine
grave, Jean-Louis
résister, car ils sont dix fois plus nom- Henry (PS) n’a pas hésité à compabreux que nous et dix fois plus éner- rer la situation «au conflit israélovés», racontait l’un d’eux au télé- palestinien». «Sortir d’une crise imphone. «Ils», ce sont les centaines pose de savoir trouver des comprode gendarmes et CRS mobilisés par mis», dit-il, pointant «les idéolo-
gues de salon ne sachant rien des
réalités des agriculteurs locaux». Effets de manche, tutoiement de certains de ses collègues: Jacques Valax, député PS du Tarn, l’a joué
tribun: «Nos terres ont besoin d’eau.
Nos exploitants sont pauvres, sur des
exploitations modestes, 30 à 35 hectares de taille moyenne. Ils sont respectueux de l’environnement, ils pratiquent une agriculture raisonnée.
Cette retenue s’intégrera pleinement
REPÈRES
«Comme je l’avais
promis, dès la décision
prise […], il y a
évacuation. Ni
gagnants ni perdants,
juste.»
Ségolène Royal vendredi
sur Twitter
Les forces de l’ordre ont
rempli leur mission avec
«professionnalisme et rete­
nue». C’est la conclusion d’un
rapport d’enquête administra­
tive commandé par le ministre
de l’Intérieur après la mort de
Rémi Fraisse, tué par l’explo­
sion d’une grenade offensive
lancée par un gendarme.
43
voix contre 3 c’est le vote du
conseil général du Tarn ven­
dredi pour l’abandon du pro­
jet initial et la construction
d’une retenue plus modeste.
Projet de
barrage
de Sivens
TARN-ETGARONNE
Tesco u net
Forêt
de Sivens
Tescou
TARN
5 km
et parfaitement dans le paysage […]
Quand Cécile Duflot – une erreur de
casting du précédent gouvernement –, a parlé d’agriculture intensive, c’est n’importe quoi.» Pas un
mot sur la mort de Rémi Fraisse.
«J’ai confiance en Manuel Valls.
C’est quelqu’un qui s’engage. L’ordre
républicain sera rétabli. Il fera le nécessaire», a-t-il poursuivi.
Les élus du conseil général, s’ils ont
accepté de «redimensionner le projet
initial», sont restés flous sur l’alternative choisie. Les experts mandatés par la ministre de l’Ecologie,
Ségolène Royal, recommandaient
d’ériger une nouvelle retenue, aux
capacités réduites (750 000 m3
contre 1,5 million à l’origine),
à 330 mètres en amont. Cette localisation semble faire débat. «Nous
verrons où ce redimensionnement se
positionnera, a expliqué Thierry
Carcenac, le président socialiste du
Tarn. Des compléments d’études permettront de le déterminer.» Son collègue Didier Houlès, vice-président, temporise : «C’est vrai que
cette rédaction garde un flou, mais on
entre dans la phase projet. On va travailler sur une nouvelle déclaration
d’intérêt général. Les travaux ne
pourront pas commencer avant
deux ans.» Valax est plus direct: «Il
n’y a aucune raison de reculer cette
digue. Les experts l’ont proposé pour
faire plaisir à Mme Royal, mais ça ne
rime à rien.» Il dénonce la «gentry
intellectuelle parisienne» qui a «mal
interprété ce dossier». Maryline
Lherm (divers droite), l’une des élus
les plus favorables au barrage, ne
s’embarrasse pas plus de diplomatie : «Une fois le site évacué, c’est la
solution qui ira vite qui sera adoptée.»
LARMES. Le communiste Serge Entraygues, un des trois élus à avoir
voté contre, ne se fait pas d’illusions : «Ce projet n’est rien d’autre
qu’un projet initial bis quand on connaît la puissance des lobbys agricoles
et de la FNSEA.» A la sortie de l’assemblée, Jacques Pagès (divers gauche) a les larmes aux yeux face à la
poignée de militants écologistes venus assister au vote: «Ces élus sont
hors société. Je me sens bien plus proche de ceux qui sont allés planter des
fleurs sur le site où est mort Rémi
Fraisse.» Il se dit «contre cette résolution qui reste dans le vague tout en
acceptant que l’on fasse la même
chose au même endroit». Même dépit chez Christian Conrad, porteparole du Collectif de sauvegarde de
la zone humide du Testet: «Nous ne
sommes pas satisfaits du tout. Ségolène Royal nous avait assuré qu’il n’y
aurait aucune structure là où est mort
Rémi Fraisse. Aujourd’hui, le flou est
trop important. Thierry Carcenac
passe outre les contestations depuis
des années, il est tout à fait capable de
faire redémarrer les travaux au printemps, d’autant qu’une grosse partie
de la déforestation et du terrassement
a été réalisée.» A la buvette du conseil général, les élus se félicitent.
Par téléphone, ils communiquent à
leurs troupes le résultat. L’un d’eux
souffle : «Il n’y a plus qu’à attendre
que ça passe et on construira une retenue d’eau au même endroit avec un
mur un peu moins haut.» •
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
FRANCEXPRESSO
•
15
«Je pense
qu’aujourd’hui,
j’ai ma chance.»
DROIT DE SUITE
Alain Juppé candidat à la
primaire UMP dans le Bondy
Blog café diffusé dimanche
à 12 heures sur France Ô
et 13 heures sur LCP
Mélenchon et le
«sang-froid» de Poutine
Par LILIAN ALEMAGNA
LES MUSULMANS
MULTIPLIÉS PAR
LA CALCULETTE
DE CHRISTOPHE
BOUDOT (FN)
Effet collatéral de la pro­
gression du FN: de plus en
plus de nouvelles têtes
apparaissent dans les rangs
du parti. Alourdissant la
charge de travail de
l’équipe de «Désintox».
Ainsi de Christophe Bou­
dot, responsable de la
fédération FN du Rhône, et
auteur d’une intervention
remarquée lors d’une
convention frontiste,
le 28 février à Paris.
L’homme a multiplié les
chiffres et les anecdotes…
au prix de plusieurs
approximations, voire de
pures et simples inven­
tions. Exemple: une étude
qu’aurait réalisée le groupe
Casino pour implanter ses
rayons halal, et qui dénom­
brerait entre 12 et 14 mil­
lions de musulmans en
France. Renseignement
pris, l’étude n’a jamais
existé. Le chiffre de 14 mil­
lions correspond au
nombre de musulmans en
Europe, contre 3 à 6 mil­
lions en France. PHOTO AFP
•
éjà, le 5 mars 2014,
Jean-Luc Mélenchon
s’attirait les critiques
de certains médias pour ses
propos dissonants sur l’invasion de la Crimée par des
forces militaires prorusses,
plantant sur son blog «un
panneau de signalisation pour
les Mickey de la sphère médiatique. Allons-y: je ne soutiens
pas Poutine». Le 4 mars 2015,
l’opposant à Vladimir Poutine, Boris Nemtsov, a été assassiné à Moscou : «La première victime politique de cet
assassinat est Vladimir Poutine», écrit-il sur ce blog.
D
LES GENS
SUR LIBÉ.FR
Retrouvez la désintox
du discours
de Christophe Boudot
dans son intégralité.
Comité interministériel à la citoyenneté et à l’égalité, vendredi, à Matignon. SÉBASTIEN CALVET
Apartheid:Vallss’essaie
auxsoixantepromesses
BANLIEUES Sans surprise, le Premier ministre a
annoncé des mesures pour lutter contre la ségragation.
a meilleure défense,
c’est l’attaque. Avant
de lister ses «60 mesures pour la citoyenneté et
l’égalité» –un ensemble hétéroclite de dispositifs sur le
logement, la laïcité ou
l’école– Manuel Valls a remis
d’équerre les détracteurs de
son emportement contre
«l’apartheid territorial, social
et ethnique». Ce «mot choc a
fait couler beaucoup d’encre
mais il a été utile. Il a permis de
traduire une réalité, ce sentiment de relégation dont souffrent beaucoup de nos concitoyens. Pour eux, la République
est devenue une illusion sur
fond de difficultés économiques
et de chômage de masse». Et
tant pis si, pour ne pas remettre une pièce dans la machine politico-médiatique,
l’Elysée parle de «séparatisme territorial».
Discrimination. Subrepticement (en répondant aux
journalistes, pas dans son
L
discours), Valls s’est aussi
démarqué de François Hollande sur les statistiques ethniques. «La France aime bien
les débats qui ne servent à
rien», avait tranché le chef
de l’Etat début février. Le
Premier ministre, lui, s’est
dit «prêt à avancer sur toute
réflexion qui reste dans un
cadre constitutionnel». «Il
faut d’avantage d’outils, il
faudra de toute façon avancer», a expliqué Valls, qui a
remis sur la table la question
de la discrimination positive,
honnie dans l’entourage présidentiel. Sans évoquer les
quotas, il entend diversifier
le recrutement dans la fonction publique et rendre les
concours «plus ouverts» afin
que l’Etat soit «exemplaire».
Pour arriver à 60 mesures, le
gouvernement a empilé des
injonctions telles que «gagner la bataille des idées sur
Internet» ou l’idée d’un
«grand débat national» avant
l’été «pour que les habitants
des quartiers s’emparent davantage de leur destin».
Recyclage. Plus concrètement, un grand plan pour la
mixité sociale dans le logement a été annoncé (Libération de vendredi) ainsi
qu’une réforme de la carte
scolaire et un coup d’accélérateur pour la scolarisation
des moins de 3 ans. Pour
l’addition, on recycle aussi
beaucoup : un milliard
d’euros des fonds de la rénovation urbaine déjà annoncée en décembre va être débloqué plus rapidement et
100 millions vont être versés
aux associations, soit le niveau d’avant l’ère Sarkozy.
Pour Valls, «la réponse à l’attente des Français, à l’exigence du 11 janvier, c’est un
plan d’ensemble, c’est au fond
un véritable projet de société
qui ne peut pas se résumer à
quelques millions d’euros».
A Le principal suspect innocenté «à 95%»
tion d’Annecy en charge de l’affaire,
l’homme «n’est pas impliqué dans le
quadruple meurtre» – les victimes
étant trois membres de la famille britannique Al-Hilli ainsi qu’un cycliste
présent par hasard. «L’homme au
casque» faisait depuis figure de suspect numéro 1.
Retrouvé grâce à la vidéosurveillance
et à la détection de son téléphone
Difficile d’être crédible lorsque, dans le même post, on
se pose en défenseur de Poutine avant de s’enthousiasmer sur l’«auto-organisation» en «assemblée
représentative» des «signataires» de son Mouvement pour
la VIe République. Difficile
aussi de construire l’«alternative» avec une «autre gauche» déçue et des écologistes
en rupture lorsqu’on récupère l’étiquette médiatique,
comme Marine Le Pen, de
«soutien à Poutine». Camarade de Mélenchon au sein
du Front de gauche, Clémentine Autain rappelle sur Liberation.fr cet autre «panneau
de signalisation» : «Le président russe et son entourage
préfèrent la violence à la démocratie. Ils ont noué des liens
étroits avec les réseaux d’extrême droite en Europe.» •
1424
euros, c’est le budget permettant à une personne seule
de vivre «décemment» en logement social dans une ville
moyenne. Soit plus que le Smic. Le chiffre a été calculé
par l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclu­
sion sociale. Il grimpe à 3284 euros pour un couple avec
deux enfants. Selon l’étude, 40% des familles mono­
parentales n’ont pas les moyens de vivre «décemment».
L’HISTOIRE
LAURE BRETTON
RETOUR SUR LES AVANCÉES DE L’ENQUÊTE DE LA TUERIE DE CHEVALINE
C’était la piste principale dans l’affaire de la tuerie de Chevaline. Et elle
s’est complètement effondrée, a révélé France Info vendredi. Le motard
aperçu à proximité des lieux du
drame, le 5 septembre 2012, a été
identifié et entendu le mois dernier
par les enquêteurs de Chambéry, en
Haute-Savoie. Mais selon les premières conclusions des juges d’instruc-
Dans un post où l’ex-candidat à la présidentielle dénonce le «déchaînement de
[…] propagande antirusse» et
accuse le Monde de «pieusement recopi[er], sans nuance
ni recul, la notice de l’ambassade des Etats-Unis», Mélenchon en arrive à qualifier
Nemtsov de «voyou politique
ordinaire de la période la plus
sombre du toujours titubant
Boris Eltsine» avant une défense en règle du président
russe. L’eurodéputé dénonce
l’arrivée «en Ukraine de
600 hommes de la 173e brigade
aéroportée des Etats-Unis» et
assure que pour éviter la
«guerre», «tout repose donc à
présent sur le sang-froid de
Vladimir Poutine et des dirigeants russes». Drôle de soutien pour un grand pourfendeur de «l’oligarchie» en
Europe et d’une Ve République «autoritaire» que de voler au secours d’un président
russe qui muselle les médias
et a fait voter des lois contre
la «propagande» homosexuelle…
portable sur place, le motard, originaire de Lyon, était en fait au mauvais
endroit au mauvais moment. Il a expliqué être venu à Chevaline pour
faire du parapente, la zone étant effectivement réputée pour ses «spots»
de vol libre. Il est désormais «exclu de
la liste des suspects à 95%», a expliqué
une source proche de l’enquête à
France Info.
GUÉRINI, LE BIENFAITEUR
DES CAMPAGNES, EN CAMPAGNE
Jean­Noël Guérini ou l’art de faire campagne le carnet de
chèques à la main. Comme le rapporte Politis, l’actuel
président du conseil général des Bouches­du­Rhône,
ex­PS désormais à la tête de sa Force du 13, toujours en
délicatesse avec la justice, était samedi dernier à Paradou
(1600 âmes) où il a signé pour 11 millions d’euros de
dépenses afin de «rénover la voirie, d’agrandir l’école
maternelle et de réhabiliter l’hôtel de ville, mais aussi
l’église et les équipements socioculturels et sportifs».
Avant de faire de même à Saint­Martin­de­Crau
(12000 habitants), Velaux (8700 habitants) et Gignac­la­
Nerthe (9000 habitants), le tout alors que le premier
tour des élections départementales se tiendra le 22 mars.
Au total, Guérini aura signé pour 49 millions d’euros
d’engagements en une seule journée.
16
•
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
FRANCE
JacquesMyard,
ungueulardchez«Bachar»
Très critiqué
pour avoir
rencontré le
président AlAssad en Syrie,
le député UMP
assume
des positions
tranchées
et revendique
la «liberté
du député».
Par LAURE EQUY
Photo BRUNO CHAROY
A
u départ, il a rechigné
à nous rencontrer. Mais
Jacques Myard ne résiste
jamais longtemps à une
invitation médiatique. Cinq minutes après avoir raccroché, il a surgi
d’un bond, salle des Quatre-Colonnes, où journalistes et députés ont
l’habitude de se croiser à l’Assemblée nationale. «Moi, je discute avec
tout le monde, lance-t-il. J’ai parlé
à Bachar, je peux bien parler
à Libé!» Le député UMP des Yvelines est l’un des quatre parlementaires à s’être rendus à Damas
les 24 et 25 février.
PROFIL Une déroutante
équipée à l’égard de
laquelle l’Elysée, Matignon, le
Quai d’Orsay, l’Assemblée et le PS
ont pris toutes les distances possibles. Le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a mis cinq
jours à reconnaître qu’il était au
courant du déplacement syrien
mais l’avait «tout à fait désapprouvé». François Hollande et Manuel Valls ont tous deux condamné
la «faute» du quatuor.
Pas question d’enclencher le début
d’une amorce d’inflexion de la ligne officielle. Depuis 2012, Paris a
coupé les ponts avec Damas, et les
voyageurs n’étaient en rien porteurs d’un «message officiel».
Jacques Myard, lui, n’est ni président du groupe d’amitié France-
Jacques Myard, à l’Assemblée nationale, le 4 mars.
Syrie, comme le socialiste Gérard
Bapt à l’Assemblée et l’UMP JeanPierre Vial au Sénat, ni aux manettes d’un groupe, comme François
Zocchetto, patron des sénateurs UDI et quatrième membre de
l’expédition syrienne. Mais il est
celui qu’on a le plus entendu. Depuis la Syrie, il a pris tous les appels, enchaîné les interviews. Il a
répondu à Libération alors qu’il
s’apprêtait à passer au Liban. Plutôt
content du raffut que son périple
suscitait à Paris : «On nous dit qu’il
ne faut pas parler avec le diable. Moi,
je trouve que le diable dit des choses
intelligentes.»
BOULETTE. De retour de Damas, le
député a publié un long communiqué livrant son programme en dé-
tail et racontant s’être entretenu
avec Ignace IV Hazim d’Antioche…
patriarche orthodoxe décédé
en 2012, qu’il a confondu avec un
autre. Après coup, Jacques Myard
s’amuse de sa boulette: «J’ai compris après, en regardant sur Internet.
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
Moi, je ressuscite les morts !»
Seul socialiste du voyage, Gérard
Bapt a moins ri. Il s’était fixé «deux
lignes rouges» : ne pas rencontrer
Bachar al-Assad – les trois autres
ont échangé une heure avec le dictateur syrien– et ne pas s’exprimer
sur la politique de la France à
l’étranger. Ligne rouge que Myard
a allègrement «piétinée». Bapt s’en
étrangle : «Il était sur toutes les ondes. Même les sénateurs, qui étaient
de droite comme lui, l’ont engueulé.»
Les deux ne sont pas près de partir
en vacances ensemble.
de 1986 à 1988, a glissé : «Myard,
vous êtes un diplomate inquiétant…»
Maire de Maisons-Laffitte depuis 1989, député depuis 1993,
Myard cultive avec coquetterie son
personnage de grande gueule politiquement incorrecte. «Je suis atterré par le suivisme des cons de
moutons de Panurge. Moi, j’ai un
centre de gravité très près du sol, on
ne peut pas me déstabiliser», plastronne-t-il du haut de son petit
mètre soixante. Adepte de vannes
misogynes et d’humour sous la
ceinture, réac assumé qui se régalait des «apéros saucisson-pinard»
PRAGMATIQUE. Mais quand Bapt de la Droite populaire, son courant
lui a proposé le voyage, il y a plu- à l’UMP, il pratique l’outrance sur
sieurs semaines, Myard a foncé. les sujets qui s’y prêtent le moins.
Juste le temps de consulter son Il dérape régulièrement, sur l’hoagenda et de demander à son fils de mosexualité notamment.
garder son chien. Il débourse Ce gaulliste souverainiste peste
1600 euros pour le séjour et l’avion, contre une UMP qui vire «centriste
pas freiné par un quelconque cas de mou» et combat l’euro et tout ce
conscience. «Avec une diplomatie de que Bruxelles produit de directives
la morale, on ne parle plus à per- et de traités. «Je pense qu’un jour, il
sonne», théorise l’élu par ailleurs fera une proposition de loi pour rendre
très prorusse sur le dossier ukrai- le mot “Europe” inconstitutionnel»,
nien. De là à renouer avec le «bou- sourit Nicole Ameline (UMP), sa
cher» syrien accroché au pouvoir, collègue de la commission des
après quatre ans d’une guerre civile affaires étrangères, qui lui trouve
qui a fait 200000 morts… Lui se dé- «des analyses souvent justes et beaufend d’être «l’avocat de Bachar» : coup de postures». «C’est une
«Je n’excuse pas les massacres et je grande gueule attachante», ajoute
Philippe Gosselin
(UMP). A l’AsLa culture de la négociation feutrée
semblée, on évoet les formules infroissables
que «un omnidu diplomate ne semblent pas coller
présent», «un
avec son goût de la provoc et
bosseur», «un
moine-soldat».
son talent pour les punchlines.
«Sans lui, on
dis que le régime a utilisé les armes s’emmerderait singulièrement», loue
chimiques.» Plus mesuré qu’il l’est le socialiste François Loncle. «Il fait
d’habitude, il admet que Damas est tout pour qu’on ne l’oublie pas. Ça va
«un régime autoritaire», qu’il a jusqu’à ses cravates, il a des cravates
commis «des fautes» depuis la ré- à chier!» chambre un député UMP.
volution en 2011. «Je leur ai dit :
“Vous avez mal réagi.”» Mais pour «PIED NICKELÉ». A gauche, ils sont
enrayer la progression de l’Etat is- nombreux à juger qu’avec sa virée
lamique, il se veut pragmatique et syrienne, «Myard s’est fait sa pub».
pas regardant: «Fabius et son prédé- Une socialiste s’inquiète même :
cesseur Juppé nous ont dit qu’Al-As- «Il est membre de la délégation parlesad allait tomber vite. Et il est tou- mentaire sur le renseignement et il se
jours là.» Lui revendique l’utilité de balade en Syrie.» Beaucoup l’ont
la diplomatie parlementaire et traité de «pied nickelé» et accusé de
vante la «liberté du député qui n’a «servir la propagande de Bachar alpas à prendre ses ordres de l’exécu- Assad». Lui emplafonne «des jaloux
tif». Et si l’initiative tourne à la di- et des crétins de troisième zone».
plomatie parallèle polluant la poli- Jacques Myard se paie aussi Nicolas
tique du Quai d’Orsay? «Il ne pense Sarkozy qui les a taxés de «guguspas, le Quai ! Fabius dit des conne- ses». Il rappelle au conférencier
ries», coupe-t-il.
globe-trotter qu’avant de se moJacques Myard, 67 ans, a connu la quer, «mieux vaut avoir ses ardoises
maison. Ancien élève de l’Institut propres». Il doit d’ailleurs voir le
de hautes études internationales de président de l’UMP. Myard a
Genève, il est entré au ministère adressé un rapport «à qui de droit»
des Affaires étrangères en 1973. et va «rendre compte par écrit» de
Avant de partir en poste en Algérie, son entrevue avec Al-Assad à Holau Nigeria et en Allemagne de 1977 lande.
à 1980. «Quinze ans plus tard, j’ai Si Gérard Bapt a dû s’expliquer
récupéré ma fiche Stasi. Ils m’avaient auprès des responsables PS, Jacques
qualifié de “dangereux, hostile, sub- Myard a été soutenu mardi en réuversif” : j’étais fier !» La culture de nion de groupe UMP, sans que ses
la négociation feutrée et les formu- camarades n’approuvent tous
les infroissables du diplomate ne l’équipée. «J’ai été très applaudi»,
semblent pas coller avec son goût «j’ai été ovationné»… Myard l’a réde la provoc et son talent pour les pété quatre fois. On peut à la fois
punchlines. Un jour, Michel courir après l’odeur du soufre et la
Aurillac, ministre de la Coopération reconnaissance. •
FRANCE
•
17
Le voyage à Damas des quatre parlementaires pourrait
mettre fin à cette association de députés.
France-Syrie, groupe
d’amitié incertain
L
e groupe d’amitié «rétrogradé» ? Après
l’expédition de deux sénateurs et de deux
députés à Damas, l’Assemblée nationale
pourrait suspendre les activités de son groupe
France-Syrie ou le remanier en groupe d’études.
Seul à ne pas avoir vu Bachar al-Assad, le président du groupe d’amitié, Gérard Bapt, plaide pour
cette deuxième option. «Ce serait plus intelligent
pour nous permettre de continuer à entretenir des
contacts et à recevoir des gens», estime le socialiste, convoqué cette semaine successivement par
le patron du groupe PS, Bruno Le Roux, le premier
secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, et le président de l’Assemblée, Claude Bartolone, pour
s’expliquer sur son périple syrien.
Diplomatie. Les groupes d’amitié ont vocation
à «tisser un réseau de liens personnels entre les parlementaires français et leurs homologues étrangers»,
mais aussi d’autres responsables politiques, économiques, acteurs sociaux et membres de la société civile du pays concerné. A quelques exceptions près (Suisse, Québec), le groupe, pour être
agréé, doit s’intéresser à un pays qui a un Parlement, est membre de l’ONU et avec lequel Paris
entretient des liens diplomatiques. Ce qui n’est
plus le cas avec Damas depuis le printemps 2012,
quand la France a fermé son ambassade sur place
puis a renvoyé l’ambassadrice de Syrie. Pour les
pays qui ne remplissent pas ces trois conditions,
la délégation chargée des activités internationales
de l’Assemblée peut créer un «groupe d’études
à vocation internationale» (Corée du Nord, Kosovo, Libye, Palestine, Taiwan, Vatican). Une
quinzaine de missions à l’étranger sont en général
organisées chaque année par les groupes d’amitié
avec le feu vert de l’Assemblée.
Sommeil. Tout en assurant que «nous restons très
proches du peuple syrien», Bruno Le Roux suggérait
mardi la mise en sommeil du groupe d’amitié avec
la Syrie. «Pour qu’il n’y ait pas de confusion et pour
montrer que nous ne reconnaissons pas le régime»
d’Al-Assad, a argumenté le chef des députés PS.
François Fillon, s’il a soutenu les quatre parlementaires et même confié qu’il les aurait suivis
s’il en avait eu l’occasion, a lui aussi estimé que
maintenir un groupe d’amitié «avec un pays avec
lequel on n’entretient plus de relations diplomatiques
ne paraît pas indispensable». «On continue ! Le
groupe est très utile, pas question de le saborder»,
s’énerve l’UMP Jacques Myard.
Pour un autre des 27 membres du groupe, «au PS,
ils se sont aperçus que punir Bapt ne serait pas glorieux, ils ont trouvé l’idée de la suspension comme
tour de passe-passe». Cambadélis avait d’abord
laissé planer la menace de sanctions contre le député PS. Après l’avoir vu, le numéro 1 socialiste
lui a finalement «proposé de rencontrer la haute
autorité [du parti] de manière à vérifier que l’éthique
a bien été respectée». Aucune sanction ne peut être
envisagée du côté de l’Assemblée, rien n’empêchant un député de voyager à l’étranger. D’autant
que le quatuor a tout payé de sa poche.
C’est le bureau de l’Assemblée qui devra trancher
le sort du groupe d’amitié France-Syrie. Après
avoir consulté la commission des affaires étrangères, précise la vice-présidente de l’Assemblée, la
socialiste Laurence Dumont.
L.Eq.
REPÈRES
«Il s’agit d’une rencontre entre
des parlementaires français
qui n’ont été mandatés
que par eux-mêmes avec
un dictateur qui est à l’origine
d’une des plus graves guerres
civiles de ces dernières années.»
François Hollande jeudi, depuis Manille,
aux Philippines
«On est dans la morale par le
petit bout de la lorgnette. On ne
va pas couper le monde en deux,
les gentils et les méchants. […]
Si on raisonne comme ça, on aura
le droit d’aller en Allemagne, en
Espagne, en Italie, en Angleterre,
et puis après c’est tout!»
Christian Jacob le chef de file des
députés UMP, mardi, après la réunion
hebdomadaire du groupe
168
C’est le nombre de groupes d’amitié et
de groupes d’études à vocation internatio­
nale que compte l’Assemblée nationale.
Ils doivent se soumettre à certaines conditions
pour être agréés. Au Palais du Luxembourg,
les sénateurs en ont créé 79.
«Nul parlementaire ne peut,
de son propre chef, rétablir des
relations diplomatiques avec un
dictateur qui a gazé son peuple.
Ceci, alors que la France a rompu
les relations diplomatiques et
fermé son ambassade à Damas. [...]
Ni sur la forme, ni sur le fond, cette
initiative n’est légitime.»
Jean­Christophe Cambadélis le premier
secrétaire du Parti socialiste
18
•
FRANCEXPRESSO
RETOUR SUR LES TIRS EN MARGE DE LA VISITE DE VALLS
A La Castellane: huit arrestations
VOUSÊTESABONNÉ?
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L’intervention de la police dans la cité
Castellane, à Marseille, après des tirs survenus en marge d’une visite de Manuel
Valls dans la ville le 9 février a «évité un
affrontement» entre deux bandes lourdement armées. Vendredi, le procureur de
la République Brice Robin et des responsables policiers ont décrit deux bandes rivales, équipées d’armes de guerre, luttant
pour le contrôle d’un point de revente de
stupéfiants très rémunérateur. Selon les
enquêteurs, une des équipes – vêtue de
noir – était en partie composée de Kosovars «recrutés en Allemagne» par les chefs
d’un «point stup» voisin pour conquérir
celui dit «de la tour K», détenu par les
hommes en treillis. L’enquête a abouti à
l’arrestation de «huit individus», dont plusieurs Kosovars et parmi eux, une femme
de 18 ans.
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D’après le roman de Nancy Huston mise en scène
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Claude Guéant, à Paris en 2012. PHOTO VINCENT NGUYEN. RIVA PRESS
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le mardi 24 mars
SPECTACLE
BANDEDEFILLESENDVD
Marieme vit ses 16 ans comme une succession d’interdits.
La censure du quartier, la loi des garçons, l’impasse de
l’école. Sa rencontre avec trois filles affranchies change
tout. Elles dansent, elles se battent, elles parlent fort, elles
rient de tout. Marieme devient Vic et entre dans la bande,
pour vivre sa jeunesse.
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JUSTICE L’ex-ministre de l’Intérieur a été entendu
vendredi sur la campagne de Sarkozy en 2007.
t de trois. Vendredi,
Claude Guéant a de
nouveau été placé en
garde à vue. Cette fois encore
à propos de ces deux foutues
peintures flamandes d’un
Néerlandais du XVIIe siècle,
Andries van Eertvelt, dont
l’ancien deus ex machina de
Nicolas Sarkozy à l’Elysée
peine à justifier la revente
– pour 500 000 euros, alors
que la cote du peintre plafonne à 170000 pour un seul
tableau chez Sotheby’s – à
un obscur avocat malaisien.
Donation. Signe du soupçon
de la justice pénale, cette
troisième garde à vue de
Guéant a été diligentée par le
juge d’instruction Serge
Tournaire, en charge de l’enquête sur un possible financement de la campagne présidentielle de Sarkozy au
printemps 2007, aux bons
soins du colonel Kadhafi. Ce
magistrat tourne en rond sur
une supposée donation
E
10 DVDs à gagner
Deux ans après Coline, Baden Baden annonce un nouveau disque entièrement écrit en français. Sur cet album mariant idéalement la langue d’Alain Souchon
avec les sonorités rêveuses de Grandaddy, le coup de
foudre est immédiat, plongeant l’auditeur dans un
disque à la fois plus homogène et plus compact, au
charme insidieux, à l’addiction vénéneuse.
Lestoilesternies
deClaudeGuéant
ALBUM
de 50 millions de dollars du
dictateur libyen – attestée
par plusieurs témoins mais
jamais validée par des traces
bancaires ou financières.
Mais il ne lui est pas interdit
de continuer à creuser
le sillon.
Claude Guéant a lui-même
fourni des verges pour se
faire battre. Justifiant dans
un premier temps quelques
curiosités sur ses comptes
bancaires personnels par des
«primes de cabinet» du ministère de l’Intérieur, du
temps où il y officiait sous
l’égide de Nicolas Sarkozy.
Mais outre le fait que les
fonds secrets du gouvernement – autrefois attribués à
la bonne franquette– ont été
abolis depuis belle lurette,
les «frais d’enquête et de
surveillance» de l’Intérieur
sont théoriquement réservés
aux espions ou enquêteurs,
pas aux ronds de cuir de leur
ministre de tutelle.
Ce volet-là avait valu à
Claude Guéant une première
garde à vue fin 2013, pour
avoir justifié des achats électroménagers au nom de ces
fumeuses «primes de cabinet». Sur ce point, le parquet
doit prochainement le renvoyer en correctionnelle ou
lui accorder un non-lieu.
Chien de garde. Son autre
garde à vue, en mai 2014
dans le dossier Tapie, n’a pas
eu de conséquence à ce jour.
Surveillant comme le lait sur
le feu l’arbitrage opposant
l’homme d’affaires et l’Etat
français à propos de l’affaire
Adidas, Guéant n’aurait joué
qu’au chien de garde. Dans
l’affaire libyenne, un mail
précédant un rendez-vous
entre Kadhafi et Sarkozy résume parfaitement son rôle:
«La visite préparatoire doit revêtir un caractère secret. Il serait préférable que CG se déplace seul et sans fanfare.»
R.L.
ECONOMIE
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
•
19
Le dispositif
de paiement par
téléphone sans
contact, destiné
aux utilisateurs
d’iPhone, est au
cœur d’une
vaste fraude
informatique.
Par PIERRE ALONSO
et AMAELLE GUITON
L
a fraude aux cartes bancaires se transforme, mais ne
disparaît pas. Dernier
exemple en date : Apple
Pay, le système de paiement électronique créé par la marque à la
pomme, se retrouve au cœur d’une
vaste fraude révélée par le Guardian
en début de semaine et confirmée
jeudi par le Wall Street Journal.
Lancé aux Etats-Unis en octobre
dernier, le système permet aux utilisateurs des derniers iPhone de
payer directement dans certains
magasins avec leur téléphone grâce
à la technologie du paiement sans
contact, ou NFC pour near field
communication, la «communication
en champ proche». La montre connectée, qui devrait être présentée
lundi, l’embarquera aussi. Problème : Apple Pay peut également
être utilisé avec des données bancaires volées.
A Albuquerque (Nouveau­Mexique), le 20 janvier. PHOTO ALBUQUERQUE JOURNAL. REA
LesystèmeApplePayvictime
dechoixpourlesescrocs
la veille chez Lyra Network, un
opérateur français qui sécurise les
flux bancaires, Laurent Penou confirme que le système de paiement
d’Apple est assez sûr: «Ce n’est pas
QU’EST­IL ARRIVÉ À APPLE PAY ?
le numéro de la carte bancaire qui est
Fin février, Cherian Abraham, un transmis au moment de la transaction
expert des moyens de paiement, si- mais un identifiant spécifique, un
gnale que les fraudeurs
“token”.» En prime,
recourent de plus en
DÉCRYPTAGE l’utilisateur doit valider
plus à Apple Pay. Abrala transaction, soit en
ham connaît bien le sujet : il tra- tapant un code, soit en scannant
vaille pour un sous-traitant de son empreinte digitale. Le proGoogle sur un projet similaire, et blème s’est posé en amont, et c’est
concurrent… D’après le Wall Street plutôt du côté des banques qu’il
Journal, les coordonnées bancaires faut regarder.
utilisées par les escrocs auraient été Pour fonctionner, Apple Pay doit
subtilisées lors des piratages infor- être associé à une carte bancaire.
matiques massifs qui ont frappé, Au moment de cet «enrôlement»,
l’année dernière, des chaînes com- Apple transmet à la banque les inmerciales américaines, dont Target formations relatives à la carte, ainsi
et Home Depot.
que d’autres concernant l’utilisaPour ne rien arranger, la technique tion du téléphone (le nom de l’apa été utilisée, pour l’essentiel, afin pareil, les localisations courantes,
de faire des emplettes dans les pro- les habitudes de consommation sur
pres magasins de la firme califor- iTunes…). Si tout paraît cohérent, la
nienne, lesquels vendent des pro- banque émet un feu vert, et l’utiliduits en moyenne plus chers que sateur peut payer avec son téléd’autres lieux qui acceptent les phone. Si elle a un doute, la banque
transactions par Apple Pay. Donc vérifie son identité auprès du proplus intéressants pour des receleurs. priétaire. Sauf que cette étape est
loin d’être infaillible.
EST­CE LA FAUTE D’APPLE ?
En cas de doute, certaines banques
La sécurité d’Apple Pay n’est ici pas se contentent de demander les quadirectement en cause. En charge de tre derniers chiffres du numéro de
REPÈRES
80%
des achats frauduleux
via l’Apple Pay ont été
enregistrés dans des
Apple Store.
Apple n’est pas le seul à
investir l’eldorado du paie­
ment par mobile. Google
a lancé son système, Wal­
lett, en 2011. PayPal, géant
des transactions en ligne,
vient d’acheter la start­up
Paydiant qui a conçu une
plateforme dédiée pour
les commerçants.
5
milliards de dollars,
(4,6 milliards d’euros) c’est
le montant que pourraient
atteindre les paiements
mobiles aux Etats­Unis
en 2015.
sécurité sociale – le genre d’information que des piratages massifs de
données personnelles permettent
précisément de récupérer. Au final,
les fraudeurs réussissent à fabriquer
un vrai faux moyen de paiement
immédiat. La firme à la pomme
aurait-elle pu, de son propre chef,
limiter les risques? «Elle aurait sans
doute pu mettre en place des moyens
d’authentification plus forts, juge
Laurent Penou, mais activer des
contrôles intrusifs se fait forcément au
détriment du confort de l’utilisateur.
Or leur but, c’est d’être leader sur ce
marché.» D’autant que l’entreprise
de Cupertino touche 0,15% du
montant des transactions réalisées
via Apple Pay…
LE PAIEMENT SANS CONTACT, UNE
FAUSSE BONNE IDÉE ?
Même si le cas d’Apple Pay démontre que la sûreté globale de la filière
de paiement laisse encore à désirer
aux Etats-Unis, le paiement mobile
sans contact s’en sort bien, du
moins jusqu’ici. La plupart des applications génèrent des identifiants
spécifiques et prévoient une validation de la transaction par l’utilisateur. Mais pour le paiement sans
contact par carte bancaire, c’est
une autre histoire. Dès 2012, le
chercheur en sécurité français Re-
naud Lifchitz avait montré qu’à
l’aide d’un lecteur spécifique installé sur une clé USB ou un smartphone, il était possible de récupérer, dans un rayon de 15 mètres, un
certain nombre d’informations
transitant «en clair» entre une
carte bancaire NFC et un terminal
de paiement sans contact : le nom
du porteur, le numéro et la date
d’expiration de la carte, et même
les dernières transactions effectuées.
La Cnil, gendarme de la vie privée
en France, s’en est suffisamment
inquiétée pour que les banques
corrigent le tir. Mais le paiement
sans contact par carte bancaire ne
nécessite toujours aucune authentification de la part de l’utilisateur,
et le numéro de la carte circule encore en clair au moment de la transaction. Autrement dit, la possibilité de fraude existe, notamment
via les sites de e-commerce hors
Europe qui, d’après un expert, sont
loin d’opérer des vérifications systématiques.
Les Etats-Unis ont pour l’instant
choisi de s’attaquer à la fraude par
un autre angle : en remplaçant les
vieilles cartes à bande magnétique
par des cartes à puce. Déjà fait depuis vingt-trois ans en France, le
pays où elle a été inventée. •
20
•
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
ECONOMIE
Xiaomi,croqueurd’iPhone
Le chinois, troisième fabricant mondial de smartphones présent uniquement en Asie, vise désormais
les marchés occidentaux. Un succès fortement inspiré des produits et méthodes d’Apple.
Xiaomi s’appuie sur tout un réseau
de fans. Mi-décembre, le patron du
concurrent Meizu, Li Nan, comparait leur dévotion à un mouvement
religieux. «Ils sont très organisés, ils
aiment Xiaomi, c’est une forme
d’idolâtrie», déclarait-il au New
York Times.
Des employés et fans de Xiaomi lors de la présentation du smartphone Mi Note, le 15 janvier à Pékin. PHOTO JASON LEE. REUTERS
Par CHARLES VALLY
Correspondant à Pékin
Xiaomi doit cette ascension fulgurante à son incroyable percée sur le
grand marché chinois: la marque y
est le nouveau dragon est désormais numéro 1 du smartde la planète mobile. phone, devant le coréen Samsung
Ses téléphones ne sont et ses concurrents locaux (Huawei,
pas encore vendus en ZTE…), avec une part de marché de
Europe et aux Etats-Unis, mais ils 12,5% en 2014, contre 5,3%
s’arrachent en Chine et dans le en 2013, selon l’institut de recherreste de l’Asie. Et on ne parlait que che IDC. En 2015, les consommade lui dans les allées du
teurs chinois devraient
Mobile World Congress
ENQUÊTE acheter 500 millions de
qui se tenait cette sesmartphones, soit trois
maine à Barcelone. Normal: fondé fois le marché américain. Xiaomi
en juin 2010, le fabricant chinois entend en écouler 100 millions, et
Xiaomi est devenu en moins de ne compte pas en rester là : «Dans
cinq ans le troisième mondial, der- les cinq à dix prochaines années, nous
rière Samsung et Apple, avec serons numéro 1 mondial», a récem61,1 millions d’appareils vendus ment déclaré Lei Jun.
en 2014, contre 7,2 millions
en 2012. Son chiffre d’affaires a CHEMISE BLEUE. La recette de
doublé en un an, atteignant Xiaomi est simple : un design très
12 milliards de dollars (11 milliards soigné et une ressemblance troublante avec l’iPhone,
en version low-cost
«Cette stratégie consistant
– un peu plus d’un
à défier Apple en s’y référant
tiers du prix des
sans relâche est brillante.»
iPhone. L’entreprise
réduit également les
Bill Bishop responsable du site Sinocism
coûts de distribution
d’euros). L’entreprise, basée à Pé- en canalisant les ventes sur son site
kin, est passée de 14 associés à internet, mi.com. La référence à la
5 000 employés en trois ans. Dans marque à la pomme est pleinement
le même laps de temps, son fonda- assumée. Lors de la présentation du
teur, Lei Jun, devenu multimilliar- dernier modèle Mi Note, concurdaire, est entré dans le top 10 des rent direct de l’iPhone 6 Plus, Lei
Chinois les plus riches.
Jun déclarait : «Mi Note est plus
C’
court, plus fin et plus léger que
l’iPhone 6.» Le patron de Xiaomi
portait cette fois une chemise
bleue, contrairement à ses apparitions précédentes dans la tenue
noire préférée de Steve Jobs. «Cette
stratégie consistant à défier Apple en
s’y référant sans relâche, comme le
fait Lei Jun, est brillante, remarque
Bill Bishop, auteur du blog Sinocism. La presse technologique mord
à l’hameçon et titre régulièrement sur
les défis lancés à Apple, alors que les
deux entreprises ne s’adressent assurément pas à la même clientèle.»
Xiaomi vise les jeunes branchés. La
marque est surreprésentée à raison
de 22% dans la tranche d’âge des
25-35 ans, et de 21% chez les
18-24 ans. Elle est, en revanche,
sous-représentée, à raison de 21%,
chez les 35-54 ans, selon une étude
du cabinet Flurry. Pour occuper en
permanence le devant de la scène,
REPÈRES
«Ce que fait Xiaomi,
c’est du vol, pas de
la flatterie. Je pense
que c’est du vol et que
c’est fainéant.»
Jonathan Ive designer d’Apple,
le 14 octobre au sujet du Mi4,
copie low­cost de l’iPhone 5S
11
milliards d’euros, c’est
le chiffre d’affaires de
Xiaomi en 2014. La société
dirigée par Lei Jun, installée à
Pékin, comptait en juin
5000 employés.
7,5
milliards d’euros, c’est la for­
tune personnelle de Lei Jun,
45 ans. En moins de cinq ans,
il est devenu le 10e homme
le plus riche de Chine selon
le magazine Hurun.
w 6 juin 2010 fondation de
Xiaomi par huit partenaires.
w Août 2011 sortie du premier
smartphone, le Mi1.
w Août 2012 lancement du Mi2.
w 2014 début de
l’internationalisation.
w Février­mars 2014 lance­
ment de Redmi et Mi3.
w Janvier MiNote, MiNotePro.
MASCOTTE. Mais les ambitions de
Xiaomi ne s’arrêtent pas au smartphone. «Ce n’est que quand il commence à utiliser l’appareil que le
client commence à produire de la valeur», assure Lin Bin, cofondateur
de Xiaomi et ancien cadre chez
Google. L’entreprise développe en
effet tout un «écosystème» : des
téléviseurs, des routeurs, des purificateurs d’air et des appareils à
mesurer la pression artérielle, le
tout relié à MIUI, un système d’exploitation Android adapté par
Xiaomi et installé sur tous les téléphones de la marque. Avec sa mascotte très locale – un lapin coiffé
d’une chapka de garde rouge arborant l’étoile de Mao–, Xiaomi a déjà
relevé son premier gros défi : la
conquête du public chinois. Il s’agit
maintenant de partir à l’assaut du
reste du monde. Mais le nouveau
géant doit encore prouver qu’il
peut s’imposer au-delà de la
Grande Muraille.
La priorité est aux pays émergents
à forte population : l’Inde, l’Indonésie, le Brésil et la Russie. Les
Etats-Unis et l’Europe occidentale
ne sont pas au programme pour le
moment. Les soucis de propriété
intellectuelle avec des smartphones
«iPhone like» ne sont pas étrangers à cette décision d’éviter, pour
l’heure, ces marchés. D’autant que
Xiaomi s’inspire aussi d’autres
fabricants occidentaux. En Inde, les
opérations du chinois ont été
brièvement bloquées, en décembre,
en raison d’une plainte pour
violation de brevet du suédois
Ericsson. En 2013, Xiaomi a recruté
Hugo Barra, ancien responsable du
développement d’Android chez
Google, afin d’accélérer son internationalisation.
Car en dépit des déclarations fracassantes de son fondateur, rien
n’est encore gagné pour Xiaomi. La
recette de son succès apparaît difficilement transposable en Occident.
Hors de Chine, ses appareils sont de
jolis smartphones bon marché, ni
plus ni moins. Mais le «grand timonier» Lei Jun ne doute de rien. Et
lève de l’argent à tour de bras sur
les marchés. Il vient de réunir
1,1 milliard de dollars auprès des
investisseurs, ce qui a porté la valorisation de son groupe à 45 milliards de dollars. De là à atteindre
les 735 milliards d’Apple, c’est une
longue marche qui attend
Xiaomi. •
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
ECONOMIEXPRESSO
RETOUR SUR LES ABATTOIRS PLACÉS EN REDRESSEMENT JUDICIAIRE
•
A Les salariés d’AIM veulent toujours y croire
+0,02 % / 4 964,35 PTS
Des centaines d’employés des abattoirs normands AIM, qui comptent
590 salariés, ont manifesté vendredi
devant le tribunal de commerce de
Coutances (Manche). Ce dernier, qui
devait se prononcer sur l’avenir de
l’entreprise placée en redressement
judiciaire depuis le 6 janvier, a finalement renvoyé au 19 mars l’examen
des offres de reprise.
CARREFOUR
LAFARGE
SOLVAY
Les manifestants (300 selon la police,
de 350 à 400 selon la CGT) se sont rassemblés derrière une banderole proclamant «Nous voulons travailler», aux
sons de casserole et de trompettes, en
scandant «des millions pour le cochon,
pas pour le patron». Des élus, notamment le sénateur (UMP) Philippe Bas
et le vice-président (EE-LV) du conseil
régional François Dufour, étaient pré-
Les 3 plus basses
UNIBAIL-RODAMCO
ESSILOR INTL.
VALEO
17 944,92 -1,05 %
4 942,72 -0,80 %
6 911,80 -0,71 %
18 971,00 +1,17 %
Par NATHALIE VERSIEUX
Grosse tuile pour un boss
de la Deutsche Bank
e nouveau patron de la
Deutsche Bank risque
la prison. Jürgen Fitschen, un des deux présidents
de la plus grande banque allemande, est accusé d’avoir
fourni un faux témoignage
lors d’un procès portant sur
la faillite du groupe audiovisuel Kirch. Il sera jugé fin
avril et risque entre six mois
et dix ans de prison ferme.
L
L’HISTOIRE
L’Allemagne a sacrifié
vendredi à la journée des
droits de la femme par
un texte qui impose des
quotas dans les conseils de
surveillance des grandes
entreprises. Le Bundestag
l’a adopté à une large
majorité, les conservateurs,
d’abord réticents, signant
finalement la loi. Les Verts
ont boudé un texte
de «quota light». Les
conseils de surveillance
de 108 entreprises qui ont
la particularité d’être
cotées et d’obéir aux
principes de la cogestion
devront compter au moins
30% de femmes à partir
de 2016. Faute de quoi
les sièges resteront vides.
Pour le ministre de la
Justice, Heiko Maas,
il s’agit de «la plus
importante contribution à
l’égalité des sexes depuis
l’introduction du droit
de vote pour les femmes»
en 1918. Une étude du
syndicat IG Metall, qui
montre que pour 78% de
personnes interrogées les
femmes sont toujours
défavorisées en ce qui
concerne la rémunération
ou les postes à
responsabilités, relativise
un peu l’assertion.
Les 3 plus fortes
VU DE BERLIN
de réduction des émis­
sions de gaz à effet de
serre d’ici à 2030, c’est
l’objectif auquel l’Union
européenne s’est engagée
en vue de la conférence
de Paris de décem­
bre 2015. L’offre de l’UE,
responsable de 9% des
émissions mondiales, a été
envoyée aux Nations unies.
Les pays doivent annoncer
leur engagement avant
le 31 mars.
ÉGALITÉ DES
SEXES : BERLIN
MET LES QUOTAS
EN BOÎTES
4 000 311 544€ +50,89%
sents en signe de soutien aux salariés,
venus principalement du site de
Sainte-Cécile (Manche), où se trouve
le siège d’AIM qui emploie quelque
350 salariés. Les manifestants espéraient qu’un repreneur de dernière
minute pour le site de Sainte-Cécile.
Pour l’heure, seul l’abattoir d’Antrain
(Ille-et-Vilaine), qui emploie 179 personnes, a fait l’objet d’offres.
40%
21
A la foire à l’emploi de Moline, dans l’Iowa, en février. PHOTO QAUD CITY. REA
Etats-Unis,Europe:
retourverslacroissance
PIB Les prévisions de la BCE sont encourageantes. Le
chômage américain est au plus bas depuis sept ans.
es bonnes nouvelles
s’enchaînent pour les
économies européenne
et américaine. Jeudi, la Banque centrale européenne
(BCE) annonçait une accélération de la croissance de
notre côté de l’Atlantique en
relevant sa perspective de
progression du PIB à 1,5%
en 2015 et 1,9% en 2016,
contre 1% et 1,5% précédemment. Et, pour sa première estimation pour l’année 2017, la BCE parie
sur 2,1%. «Il y a toujours des
risques pour l’économie européenne, mais ils ont diminué»,
saluait son président, Mario
Draghi, tandis que François
Hollande juge que «la reprise
est là», même si elle est
«fragile». La prudence reste
de mise.
Il faut dire qu’à côté de
l’économie américaine,
l’Europe fait encore pâle
figure. La publication, vendredi, du toujours très at-
L
tendu chiffre de l’emploi aux
Etats-Unis a clairement confirmé ce décalage. Le taux de
chômage s’est établi outreAtlantique à 5,5% en février
contre 5,7% il y a un mois,
soit son plus bas niveau depuis près de sept ans. Sur un
an, il a reculé de 1,2% avec
1,7 million d’emplois créés.
La première économie mondiale, qui tire plus que jamais
la reprise actuelle, s’approche de son taux de chômage
«naturel», estimé entre 5,2
et 5,5% par la Réserve fédérale. Il s’améliore aussi dans
la zone euro, à 11,2% en janvier, soit son meilleur résultat depuis avril 2012. Mais la
différence reste colossale.
Cette robustesse de la reprise
américaine, conjuguée au
démarrage, lundi, du plan de
rachat massif de dettes publiques par la BCE, fait les affaires de Mario Draghi et de
sa politique d’une reprise
de l’inflation et d’un euro
faible. Celui-ci vient de
plonger à son plus bas niveau
depuis 2003, passant sous la
barre de 1,10 dollar. Et il
continuait sa dégringolade
vendredi face à un billet vert
porté par l’emploi américain. De quoi doper les exportations européennes.
Les marchés, eux, parient
maintenant sur un relèvement anticipé des taux d’intérêt outre-Atlantique qui
sera le signe que les EtatsUnis sont bel et bien sortis de
la crise. A l’inverse de l’Europe, où ils vont rester durablement très bas afin de réanimer une croissance encore
anémiée. «Nul ne sait jusqu’où ira ce mouvement, analyse le directeur de la recherche économique de Natixis,
Philippe Waechter, mais
l’enchaînement actuel est clairement favorable pour l’Europe.» Son conseil : achetez
des dollars maintenant !
CHRISTOPHE ALIX
L’affaire Kirch débute par la
faillite, en 2002, de l’empire
de Leo Kirch. Ce personnage
sulfureux, ami intime de
l’ancien chancelier Helmut
Kohl, avait bâti un consortium des plus opaques à base
de télévision payante et de
vente de droits de diffusion
d’événements sportifs, notamment les très lucratifs
football et Formule 1. Leo
Kirch, décédé en 2011, était
convaincu qu’une interview
à la chaîne Bloomberg de
l’ancien patron de la Deutsche Bank (un des créanciers
du groupe audiovisuel) était
à l’origine de sa chute : Rolf
Breuer y avait émis des
doutes sur la solvabilité du
groupe. En février 2014, la
Deutsche Bank annonce
qu’elle va payer un milliard
d’euros, intérêts compris,
aux héritiers de Leo Kirch
pour clore un feuilleton juridique lui faisant de l’ombre.
Mais l’affaire n’est pas finie.
Ce sont cinq dirigeants, actuels ou anciens, de l’établissement qui vont se retrouver
fin avril devant un tribunal
de Munich : Rolf Breuer ; le
Suisse Josef Ackermann, qui
lui a succédé à la tête de la
banque; Clemens Börsig, ancien chef du conseil de surveillance ; Tessen von Heydebreck, autre membre du
directoire; et l’actuel patron,
Jürgen Fitschen. Tous sont
accusés d’avoir livré de faux
témoignages lors du procèsfleuve qui a duré plus de
dix ans. Jürgen Fitschen
aurait omis de corriger certaines déclarations «manifestement fausses» des autres
accusés, afin «de ne pas torpiller» leur défense.
«Ça devient sérieux», écrit
Der Spiegel, qui annonce déjà
«un des procès les plus spectaculaires de l’histoire judiciaire allemande». «La question d’un départ de monsieur
Fitschen est maintenant sur la
table», estime de son côté
le quotidien conservateur
Die Welt. D’autant que la direction bicéphale du groupe
est de plus en plus critiquée.
L’Indien Anshu Jain codirige
depuis 2012 la Deutsche
Bank avec Jürgen Fitschen,
censé garantir l’identité allemande de l’établissement. Le
choix d’un président non
européen pour l’institution
de Francfort avait provoqué
un vif débat.
La justice allemande, longtemps accusée d’être trop
laxiste avec le monde des
affaires, a durci le ton ces
derniers mois avec des condamnations spectaculaires,
comme celle de l’ancien patron de Karstadt-Quelle. •
«Les grandes entreprises doivent s’engager.
Certaines préfèrent payer une d’amende
car elles n’ont pas le [nombre] d’alternants
nécessaire plutôt que de les embaucher.»
François Rebsamen ministre du Travail, sur l’apprentissage
22
•
SPORTS
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
C’est pour cette raison qu’en 2012
4500 anciens joueurs ont lancé une
plainte collective contre la NFL,
qu’ils accusent d’avoir dissimulé
les risques des commotions cérébrales sur leur santé. Pour éviter un
procès, la Ligue a accepté l’été dernier de verser 675 millions de dollars de dédommagements. A la demande de la juge fédérale en charge
du dossier, les deux parties devraient très prochainement trouver
un accord autour d’un milliard de
assurez-vous que mon cerveau soit
remis à la banque du cerveau de la
NFL.» Les neurologues de l’université de Boston confirmeront que
Duerson, 51 ans, était atteint d’ETC.
POPULAIRE. D’après les estimations de la NFL, 6 000 des
20 000 footballeurs retraités risquent de développer une forme
d’Alzheimer ou de démence modérée. L’accord sur le point d’être
conclu, étalé sur soixante-cinq ans,
prévoit une indemnisation plus imporLa NFL a dénombré officiellement
pour les victi111 commotions cérébrales en 2014, tante
mes diagnostiquées
contre 148 en 2013. Le chiffre réel
plus jeunes. Il prévoit
est probablement plus élevé.
aussi un dédommagement pouvant aller
dollars. Le prix de la poursuite d’un jusqu’à 4 millions de dollars pour
spectacle «brutal par définition», les familles d’anciens joueurs décécomme l’écrivait en 2011 Sean dés et qui souffraient d’ETC.
Gregory, journaliste sportif au Si l’accord a été approuvé par l’imTime. «Chaque action, décrivait-il, mense majorité des plaignants, il
se clôt par un carambolage synchro- n’en reste pas moins très critiqué.
nisé impliquant plusieurs véhicules.» Beaucoup le jugent insuffisant, au
regard des 10 milliards de dollars de
SUICIDES. La saison dernière, la revenus annuels réalisés par la NFL,
NFL a dénombré officiellement la ligue sportive la plus populaire
111 commotions cérébrales, contre aux Etats-Unis. D’autres déplorent
148 en 2013. Le chiffre réel est pro- le fait que certains symptômes
bablement plus élevé car, – dépression, troubles de l’huaujourd’hui encore, certains athlè- meur– ne soient pas pris en charge.
tes rechignent à signaler d’éven- Enfin, aucune indemnisation ne
tuels symptômes, de peur d’être sera versée aux familles des joueurs
mis sur la touche. Après des années décédés après 2015, puis diagnostide déni, le risque de dommages cé- qués avec une forme d’ETC. Cette
rébraux chez les joueurs de football dernière mesure a été prise pour ne
américain est pourtant clairement pas encourager d’anciens athlètes
identifié.
à se suicider .•
L’université de Boston et le département américain des anciens
combattants travaillent depuis
longtemps sur le sujet. Ils examiREPÈRES
nent en particulier, après leur
mort, les cerveaux d’anciens
joueurs de football qui ont évolué à
LE SPORT, C’EST LA
tous les échelons (professionnel,
SANTÉ : VRAIMENT ?
semi-professionnel, à l’université
ou au lycée). Leur dernière enw En Italie. Une cinquantaine
quête, en septembre, a révélé que
de footballeurs ayant joué
près de 80% des joueurs examinés
dans le Calcio depuis les
– 101 sur 128 - étaient atteints
années 1980 sont morts de la
Le système supposé amortir les chocs dans les casques de protection. PHOTO BRIAN SNYDER. REUTERS
d’encéphalopathie traumatique
maladie de Charcot (une
chronique (ETC), une dégénéresmaladie neurodégénérative).
cence cérébrale grave. Le pourcenDopage, pesticides utilisés
Par FRÉDÉRIC AUTRAN
tage est encore plus élevé chez les
pour traiter les pelouses?
Correspondant à New York
anciens professionnels de la NFL :
Malgré une longue enquête
76 des 79 examinés présentaient
judiciaire, on ignore toujours
émence précoce. Après des signes d’ETC, maladie qui
les causes de cette
six heures de tests psy- ne peut être diagnostiquée que
«épidémie».
chologiques, venus com- post-mortem.
w En Afrique du Sud. La sclé­
pléter un scanner céré- L’ETC n’est pas la seule maladie à
rose latérale amyotrophique,
bral effectué en décembre, le frapper les anciens joueurs. Selon la
(autre nom de la maladie de
diagnostic est tombé récemment revue Neurology, ces derniers sont
Charcot) a tué l’ancien Spring­
pour Matt Blair, ancien joueur pro- 4 fois plus touchés par la maladie
bok Tinus Linee. Joost van
fessionnel de football amérid’Alzheimer que la
der Westhuizen, numéro 9 des
cain. A l’annonce de la nouchampions du monde 1995 en
RÉCIT moyenne. Et d’après l’univelle, l’homme de 64 ans au
versité de Caroline du Nord,
est atteint. Son ex­coéquipier
physique toujours athlétique les anciens de la NFL ont 19 fois plus
André Venter est atteint d’une
– 1,88 mètre pour 107 kilos – a de risques d’être atteints par la mamaladie rare de la moelle épi­
fondu en larmes dans le cabinet de ladie de Charcot, une dégénéresnière. Egalement champion du
son neurologue. L’histoire, relatée cence des neurones.
monde, Ruben Kruger est
par le quotidien Star Tribune, n’a Plus encore que ces études médicadécédé en 2010 d’un cancer
rien d’exceptionnel. Comme Blair, les, c’est la multiplication de suiciau cerveau.
ancienne vedette des Minnesota Vi- des d’anciens joueurs qui a contrikings dans les années 70 et 80, des bué à mettre ce sujet sur le devant
milliers de retraités de la Ligue pro- de la scène médiatique. En fé«Je voulais être
fessionnelle de football américain vrier 2011, l’ancienne star des Chicapable de jouer
(NFL) souffrent. Ils ressentent dans cago Bears et des New York Giants,
avec mes enfants.»
leur chair – et bien souvent dans Dave Duerson, se tue d’une balle
Sydney Rice expliquant l’an
leur cerveau – les séquelles d’une dans le cœur dans sa maison de
dernier pourquoi il prenait
carrière faite de plaquages et de Miami. Sur une feuille de papier, sa
chocs frontaux à pleine vitesse.
dernière volonté : « S’il vous plaît,
sa retraite à 27 ans
FootUS: D
lesvies
quivalaient
unmilliard
Afin d’indemniser les joueurs atteints
de maladies dégénératives du cerveau,
la Ligue de football américain
va signer un accord financier record.
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
SPORTS
•
23
L’HISTOIRE
NABIL FEKIR AURAIT CHOISI
L’ALGÉRIE
Le sélectionneur de l’Algérie, Christian Gourcuff, a dévoilé
une liste de 30 joueurs convoqués pour les matchs ami­
caux face au Qatar (26 mars) et Oman (30 mars). Dans
cette liste, le Lyonnais et international espoirs Nabil Fekir,
qui balance entre les Bleus et les Fennecs. Selon l’Equipe,
le jeune attaquant aurait tranché en faveur de l’Algérie,
malgré ses récentes opérations de communication visant
à pousser le sélectionneur tricolore, Didier Deschamps, à
le retenir le 19 mars pour affronter le Brésil (26 mars)
et le Danemark (29 mars). Gourcuff a aussi retenu Rachid
Ghezzal (22 ans), Lyonnais et éligible comme Fekir à la
sélection algérienne.
La 28e journée de Ligue 1.
Vendredi: Toulouse­Marseille (résultat non parvenu).
Samedi, 17 heures: PSG­ Lens; 20 heures: Bastia­Nice,
Evian TG­Monaco, Caen­Bordeaux, Reims­Nantes, Rennes­Metz.
Dimanche 14 heures: Saint­Etienne­Lorient;
17 heures: Guingamp­Lille; 21 heures: Montpellier­Lyon.
TEENNIS GILLES SIMON L’EMPORTE ENFIN EN COUPE DAVIS
C’est un signe indien qu’a vaincu vendredi le Français
Gilles Simon, vainqueur de l’Allemand Jan­Lennard Struff
vendredi au terme d’un match épique (7­6 [4], 2­6, 6­7, [1]
6­2, 10­8) en ouverture du premier tour de Coupe Davis
à Francfort: battu huit fois sur neuf dans l’épreuve lors
des matchs décisifs, le Niçois revient de loin.
Philipp Kohlschreiber et Gaël Monfils s’affrontaient
ensuite avec le deuxième point en jeu (résultat non
parvenu) avant le double de samedi, Julien Benneteau
et Nicolas Mahut étant partants côté tricolore. PHOTO AFP
Matchsdefoottruqués:
lajusticeconvoqueensérie
DÉCRYPTAGE 104 personnes soupçonnées d’avoir œuvré lors de
rencontres supposées arrangées en 2014 devront s’expliquer mi-mars.
l va y avoir du monde devant la commission de la
discipline de la Ligue professionnelle de football (LFP)
les 16 et 17 mars, pour les
auditions concernant l’affaire des matchs présumés
truqués de Ligue 2 – à commencer par le Caen-Nîmes
(1-1) du 13 mai 2014 : mercredi, le Canard enchaîné a
révélé que pas moins de
104 personnes, «dont une palanquée de mis en examen»,
devront s’expliquer.
I
Qui porte plainte
contre qui ?
Deux procédures sont en
cours. La première est d’ordre disciplinaire lancée par la
Ligue –la justice sportive, en
quelque sorte – pour faire la
part du diable: quels matchs
concernés, avec qui, dans
quelle mesure. Est venue s’y
ajouter une instruction pénale où la LFP s’est portée
partie civile. Selon l’Equipe,
la LFP statuera dans le cadre
de la première procédure
juste après les auditions des
16 et 17 mars. Pour l’heure, la
Ligue a établi un «rapport
d’instruction» d’une cin-
quantaine de pages pouvant
servir de base aux auditions
et aux éventuelles sanctions,
document qui, selon le
Canard, est inspiré des auditions réalisées dans le cadre
de la procédure pénale – la
Ligue y a accès en tant que
partie civile.
De quels éléments
de preuves dispose
la Ligue pro ?
La conversation téléphonique entre les présidents
caennais (Jean-François
Fortin) et nîmois (Jean-Marc
Conrad) en préalable à la
rencontre entre les deux
équipes, accablante, est connue depuis novembre. L’élément nouveau, c’est « l’expertise » menée par la LFP et
dont l’Equipe a publié les
conclusions in extenso jeudi.
La chute : «Les carences volontaires significatives du niveau du jeu [lors de Caen-Nîmes, ndlr] soulignent bien, en
première mi-temps, la volonté
de laisser l’équipe menée revenir au score puis, en deuxième
mi-temps, de préserver le
score de parité acquis en première mi-temps.» Ce point de
vue est fondé, selon le rapport, sur «un ensemble d’éléments scientifiques». Dans les
faits, il s’agit d’une analyse
vidéo menée par une entreprise qui se fait fort de mettre en lumière la malignité
derrière telle initiative ou
geste d’un joueur, ce qui revient à distinguer la maladresse du sabotage.
Cette entreprise s’était fait
fort de résoudre le même
type d’équation dans le cadre de l’enquête portant sur
le match de handball présumé truqué entre Cesson et
Montpellier en mai 2012.
Difficile de prévoir quel crédit la LFP ou la justice pénale
accordera à ce type d’étude.
On sait que les instances internationales du foot sont
pour le moins sceptiques sur
le fait que l’on puisse distinguer la part de volonté dans
les errances d’un joueur; ces
mêmes instances étant
pourtant sensibles à une problématique (matchs truqués
par des parieurs) dont elles
craignent qu’elle puisse tuer
leur sport à terme. Pour ces
instances, faute de disposer
d’aveux des joueurs ou de
flux financiers suspect, la
preuve est difficile. Dans le
cas de Caen-Nîmes, l’hypothèse de la corruption par
des bouteilles de vin livrées
ce soir-là a vécu : elles valaient 3 euros pièce.
3
Le nombre de Francais sur le podium du 60 mètres
haies des championnats d’Europe d’athlétisme en salle
à Prague. Pascal Martinot­Lagarde (7”49) s’est imposé
devant Dimitri Bascou (7”50) et Wilhem Belocian (7”52).
«PML», 23 ans, triple médaillé aux championnats du
monde et d’Europe en salle, 3e sur 110 m haies aux cham­
pionnats d’Europe 2014, signe sa première grande victoire.
«Si nous nous maintenons en Top 14 à la fin
de la saison, le club continuera à améliorer
ses structures, le budget et l’équipe. Si on
descend, cela mettra un coup de frein mais
ne remettra pas en cause le projet.»
Yann Roubert président de Lyon, avant­dernier du Top 14
avant un match dramatique à Castres (dernier) samedi.
LE DUEL
Vers quelles sanctions ?
Nul besoin de preuves pour
établir la corruption : l’intention de corruption suffit.
Et cette intention semble
établie dans le cas de l’exprésident nîmois, Jean-Marc
Conrad, et de l’ex-propriétaire du club, Serge Kasparian, le premier agissant
pour le compte du second,
propriétaire d’un cercle de
jeu – ce qui a sensibilisé les
enquêteurs à l’hypothèse
d’un circuit de blanchiment.
Le président de Caen, Fortin,
a parlé au téléphone avec
Conrad d’«un nul qui arrange
tout le monde» : il n’est pas
au mieux, tout comme l’intermédiaire Michel Moulin.
Pour le reste, on serait
étonné d’assister à une
grande lessive, sauf à s’exposer à des contre-attaques juridiques en série.
GRÉGORY SCHNEIDER
BOUHANNI ET DÉMARE, LES DEUX
SURDOUÉS ENNEMIS AU PARIS­NICE
Sevrés de victoires en 2015, Nacer Bouhanni et Arnaud
Démare, anciens équipiers chez la FDJ, vont pouvoir
s’expliquer sur les routes de Paris­Nice. Les trois premiè­
res étapes de la course, qui démarre dimanche, devraient
offrir un terrain favorable aux sprinteurs. Bouhanni
(24 ans) sera l’atout numéro 1 de l’équipe Cofidis, qu’il
a rejoint cette année pour avoir les coudées franches. Il
a emmené avec lui plusieurs ex­équipiers (Soupe, Rollin,
Chainel). Sa collaboration avec la FDJ s’était terminée
sur une mauvaise note, Bouhanni reprochant à son
employeur de l’avoir laissé «mariner» pendant un an.
Lequel, avait décidé de ne plus l’aligner sur la moindre
épreuve. La cohabitation avec Démare (23 ans) semblait
difficile: vainqueur de trois étapes sur le Giro, Bouhanni
avait difficilement encaissé sa non­sélection pour le Tour
de France, où on lui avait préféré son coéquipier (et rival).
Les deux hommes sont considérés comme des grands
talents en devenir de leur discipline. PHOTOS AP ET REUTERS
•
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
IDÉES GRAND FORMAT
IDÉES
24
L’historien spécialiste
du Moyen-Orient
Pierre-Jean Luizard
décrypte les
mécanismes utilisés
par le groupe
jihadiste pour
instaurer un nouveau
califat, notamment
en jouant avec les
peurs occidentales.
LE PIÈGE DAECH,
L’ÉTAT ISLAMIQUE
OU LE RETOUR
DE L’HISTOIRE
de PIERRE­JEAN
LUIZARD
éd. La Découverte,
186pp., 13,50€.
Recueilli par CATHERINE CALVET
et JEAN­PIERRE PERRIN
Dessin YANN LEGENDRE
C
hercheur au CNRS, historien spécialiste du
Moyen-Orient, auteur
de plusieurs ouvrages
sur l’Irak, Pierre-Jean
Luizard vient de
publier un essai sur
l’Etat islamique, le
Piège Daech, dans lequel il cherche à décrire
le fonctionnement du «premier Etat salafiste
à se revendiquer comme tel». Il en souligne la
dimension historique, absolument nécessaire
pour le comprendre, et les pièges qu’il tend
aux pays occidentaux.
Peut-on dire qu’il y a des théoriciens derrière
la stratégie de l’Etat islamique?
Ce dont on est sûr, c’est qu’ils ont tout pensé
dans le registre de la provocation, de façon
à élargir les fractures et à provoquer des
réactions en chaîne. Les atteintes à des groupes ou des minorités dont on sait qu’elles ne
peuvent que révulser les opinions occidentales ont un caractère systématique indéniable.
Sachant que nos gouvernements sont très
sensibles aux émotions populaires, rien n’a
été oublié: l’Etat islamique [EI, également appelé Daech, ndlr] attaque les minorités religieuses, réduit en esclavage des femmes et
des enfants, commet des massacres de
masse, des décapitations médiatisées… Il a
une bonne connaissance de nos pires phobies
et de la façon dont nos sociétés fonctionnent.
Des Occidentaux professionnels des médias
opèrent d’ailleurs dans leurs rangs. Dernières provocations en date : la destruction de
statues assyriennes au musée de Mossoul et
l’enlèvement de 220 chrétiens assyriens en
Syrie et l’anéantissement du site antique de
Nimrod. Avant cela, il y a eu la décapitation
des coptes égyptiens en Libye, qui vise clairement à pousser la France et l’Italie à intervenir en Libye. Le piège est parfait: pousser
à une réaction militaire dans l’urgence qui
nous ferait apparaître comme les héritiers du
colonialisme. J’espère que nos dirigeants
auront la sagesse de réfléchir avant une telle
aventure. Si nous tombons dans ce piège, l’EI
n’aura aucun mal à rallier tous les groupes
jihadistes libyens, comme cela s’est produit
en Irak. Il réussira à les fédérer et, une fois de
plus, il aura l’image de celui qui a porté le fer
contre les anciennes puissances coloniales.
Ces dernières sont donc vues comme des
«croisés»?
C’est ainsi que nous sommes présentés dans
les médias de l’EI. Nous ne pouvons donc plus
nous permettre d’interventions militaires
sans projet politique à la clé. C’est suicidaire.
Et quel projet politique peut-on imaginer
pour la Libye, un Etat déjà en train de se disloquer ? Nous ressortirions vaincus d’une
telle expédition. Nous devons absolument
anticiper la fin de certains Etats.
A-t-on déjà vu un quasi-inconnu, Abou Bakr
al-Baghdadi, se proclamer calife depuis le
minbar d’une mosquée?
Il y a dans l’histoire de l’islam, tant chiite que
sunnite, une succession de mouvements messianiques, millénaristes, la plupart au Moyen
Age. Ils n’ont pas eu de suite. La grande différence avec l’EI, c’est qu’il prospère là où les
Etats s’effondrent. Que ce soit en Libye ou en
Irak, nous ne devons pas nous faire d’illusions, ces Etats ne ressusciteront pas. Ce n’est
«Là où Daech
prospère,
les Etats ne
ressusciteront pas»
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
pas seulement une question de régime politique, car ils ont été le siège privilégié de régimes autoritaires, qui n’ont pas su ouvrir au
plus grand nombre des processus de citoyenneté et de vivre ensemble. Ces Etats n’ont été
le théâtre que de jeux entre différentes minorités, en Irak, en Syrie ou au Liban. Les puissances mandataires avaient d’abord affiché
un tropisme puissant envers les minorités,
puis le système a perduré même après la fin
des mandats. Les printemps arabes sont le
dernier épisode de ces déliquescences étatiques avec l’émergence de différentes sociétés
civiles. La délégitimisation des Etats en place
n’a fait que s’accentuer. A l’exception notable
de l’Egypte, où une majorité de la société a fait corps avec son Etat.
L’Irak est-il aussi menacé?
Aucune diplomatie
n’annonce sa mort.
Et pourtant trois
Etats se font
déjà face : celui des chiites, celui de
l’EI et celui
des Kur-
des. De même en Syrie : il y a les territoires
de Bachar al-Assad, ceux du Front al-Nusra
et ceux de l’EI. Pour en revenir à l’échec des
Etats, au-delà des minorités, il y a le jeu
constant des asabiyya, c’est-à-dire des groupes claniques, tribaux ou régionaux qui ont
réussi à confisquer la citoyenneté, même si
ces groupes ont masqué leurs stratégies par
des discours nationalistes arabes.
Pourquoi les revendications sunnites, en Irak
et en Syrie, ont-elles pris des formes si radicales et violentes?
Les sunnites ont toujours eu le pouvoir à
Bagdad, des dynasties abbasides aux baasistes en passant par les Ottomans. Après avoir
GRAND FORMAT IDÉES
•
25
monopolisé le pouvoir pendant des siècles, L’Etat islamique ne fonctionne donc pas que
il leur est difficile de devenir de simples ci- par la terreur?
toyens au mieux ou, au pire, ce qui est le cas, Non, sinon on ne comprendrait pas qu’une
d’appartenir à une communauté minoritaire ville de 2 millions d’habitants comme Mossoul
et sans aucun pouvoir. Les sunnites furent ne se soit pas vidée entièrement à l’arrivée des
d’abord tétanisés par la disparition de Sad- jihadistes ni comment quelques milliers d’endam Hussein. Sa chute fut aussi celle de l’Etat tre eux peuvent contrôler une agglomération
irakien. Plus d’armée, plus d’administra- si importante. L’EI investit aussi des lieux emtion… Donc les Américains se sont adressés blématiques, les palais des «corrompus». Les
aux exclus de l’ancien système, les chiites et vidéos sont mises sur YouTube. Il y a un cerles Kurdes. Les sunnites ont pourtant tenté tain mimétisme avec les printemps arabes: on
un moment de jouer le jeu. Ils ont participé se souvient du siège des palais de Ben Ali par
aux conseils de réveil [milices tribales créées les manifestants tunisiens. Depuis juin 2014,
par l’armée américaine pour lutter contre Al- il y a eu très peu de résistance ou de dissiQaeda en Irak, ndlr] et ont abandonné leur dence. On peut même parler d’adhésion
boycott initial des élections. Ils ont ensuite d’une partie de la population.
participé à des mouvements de protestation Le refus de certains Occidentaux d’appeler
pacifique, en occultant le côté confessionnel Daech «Etat islamique» n’est-il pas de l’ordre
de la mobilisation avec les mots d’ordre des du déni?
printemps arabes –contre la corruption et L’EI veut instaurer un nouvel Etat, qui prétend
l’autoritarisme–, mais la seule réponse du être un Etat de droit, même si les principes et
pouvoir chiite a été d’une extrême vio- les règles qui le fondent nous semblent aberlence : artillerie lourde et barils de TNT rants. Refuser de le reconnaître est contrelargués par hélicoptères sur la foule. productif comme peut l’être toute forme de
Et les baasistes sunnites ont rejoint diabolisation. Les réduire à des barbares ne
l’Etat islamique…
résoudra rien. La barbarie semble d’ailleurs
Une majorité d’Arabes sunnites la chose la mieux partagée au Moyen-Orient,
d’Irak a d’abord manifesté sa passivité «L’Etat islamique attaque les minorités
face à l’EI, avant de
religieuses, réduit en esclavage
rechercher de façon
de plus en plus mas- des femmes et des enfants…
sive sa protection Il a une bonne connaissance de nos pires
face aux exactions phobies et de la façon dont nos sociétés
des forces de sécuoccidentales fonctionnent.»
rité irakiennes
alors que tout espoir d’intégra- quand on voit comment se conduisent les mition dans le système politique lices chiites dans les zones reprises à l’Etat isen place semblait perdu. Les lamique, ou comment Bachar al-Assad bombaasistes, notamment les ex- barde allègrement des banlieues entières de
officiers de l’armée de Saddam Damas. La seule différence réside dans la méparmi eux, avaient déjà fait le diatisation. Pour l’Etat islamique, cette barpas. Entre islamistes et baasis- barie est un outil de propagande, les autres la
tes, les sources d’inspiration se pratiquent à huis clos. Il y a donc bien un Etat,
mélangent. Par exemple, Al- avec un calife, un pouvoir judiciaire repréKhansa, la brigade féminine senté par des tribunaux islamiques, une fiscachargée de la police des mœurs de lité. Les impôts sont collectés en fonction de
l’EI, fait référence à la poétesse de règles qui se veulent inspirées de la charia, on
l’époque antéislamique qui s’était ne peut donc pas les réduire à un simple racconvertie à l’islam, dont les cinq fils ket… Il n’y a pas de pouvoir législatif puisque
sont morts à la bataille d’Al-Qadisiya la charia fait office de loi. Par exemple, les
[en 636] contre les Perses polythéistes. chrétiens ne sont pas traités comme les yéziC’était déjà une référence de Saddam Hus- dis (1). Les chrétiens, considérés comme des
sein contre l’Iran. Aujourd’hui, ces milices «gens du livre», doivent s’acquitter d’un imAl-Khansa sont constituées de jeunes Euro- pôt ou se convertir. Les yézidis sont traités
péennes, dont la plupart ne parlent pas comme des hérétiques, voire des apostats de
arabe. C’est toute la perversité de l’EI de faire l’islam, et ne méritent, pour l’EI, que la mort
imposer les lois islamiques aux femmes par ou l’esclavage. Si on ne prend pas en compte
des Occidentales.
cette forme de «légalité» revendiquée, même
A quoi ressemble une grande ville gérée si elle est contraire à tous nos principes, on ne
par l’Etat islamique?
comprendra pas comment des populations
Grande différence entre l’EI et Al-Qaeda : entières se sont ralliées à l’EI.
l’EI n’impose pas un pouvoir venu de l’exté- Et maintenant?
rieur mais s’appuie sur des relais locaux. Le Nous, Européens, allons être en première livéritable laboratoire de ces villes conquises gne et je ne pense pas que nous puissions resest Fallouja, la première à tomber [en jan- ter simples spectateurs. Surtout que l’EI a bevier 2014]. La base sociale et politique est soin, pour se maintenir, de notre hostilité. Les
constituée par les notables locaux qui frontières au Moyen-Orient sont remises en
continuent de représenter les différents cause en même temps que les Etats. Le Hezclans et quartiers. Le marché est le sui- bollah va combattre en Irak, les Turcs laissent
vant : les acteurs locaux ne doivent passer les peshmergas kurdes, les salafistes
utiliser que le drapeau de l’EI et se libanais vont combattre en Syrie… La dégénéconformer à la charia. L’EI n’intervient rescence confessionnelle des printemps araqu’en cas de corruption ou de rébellion. bes a montré que ces Etats, qui s’enfoncent
Les recettes pétrolières sont publiées pour dans le chaos, n’étaient pas réformables. •
manifester la rupture avec le régime précé- (1) Communauté kurdophone d’Irak pratiquant
dent. Et les produits de première nécessité une religion monothéiste enrichie notamment
sont de nouveau abordables.
par des apports coraniques et bibliques.
•
26
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
IDÉES CHRONIQUES
EXPERTISES EN TOUS GENRES
REGARDER VOIR
Par MATHIEU LINDON
Par CLÉMENT GHYS
Torture ninja
La pauvreté,
quel coût?
C
ette image est parue jeudi
dans les pages «Grand Angle» de Libération. Son auteur
est Immo Klink, photographe
allemand de 43 ans installé à Londres.
Elle accompagnait un long reportage de
la correspondante du journal au Royaume-Uni, Sonia Delesalle-Stolper, à
l’ICSR. Soit l’International Centre for
the Study of Radicalisation and Political
Violence, une structure hébergée par le
King’s College et depuis laquelle, via
Internet, une poignée de chercheurs
communiquent avec des jihadistes, effectuent une enquête afin de comprendre comment certains peuvent abandonner leur vie en Europe ou ailleurs et
partir en Syrie ou en Irak commettre
des massacres.
L’ambition du lieu est extraordinaire.
On s’attend au bureau de M dans un
James Bond. Mais en fait, non. Immo
Klink, qui a réalisé ce reportage en février, confie : «Je ne savais pas du tout
à quoi m’attendre. Et je me suis retrouvé
dans une salle sombre, remplie de profs,
dans une ambiance pas du tout spectaculaire. Mais ce qu’il s’y passe est impressionnant : ils discutent avec des terroristes, ils les rencontrent via des écrans,
parlent avec eux toute la journée.» D’où
cette photographie qui est l’image
d’une image. Au premier plan, il y a la
matérialité de l’outil de travail des
chercheurs (un MacBook Pro) qui se
prolonge avec la barre d’applications (le
«dock» d’Apple) où l’on voit un mail
«non lu», et le logiciel iTunes ouvert.
Le plan est cadré comme une photo volée à l’iPhone, tel un mémo visuel. Et
puis il y a l’autre image, saisissante: ce
personnage qui croise deux terrifiants
sabres, le visage cagoulé face à l’objectif. Il s’agit là d’une capture d’écran,
screenshot en anglais, tirée d’un dialogue via Skype ou un autre logiciel de
conversation. «Objectif», «capture»,
«shot» («coup» en français)… le langage de la photographie se macule de
violence.
A propos des drones militaires, on a
beaucoup parlé de ces «pilotes» qui,
depuis une cabine du Texas, explosent
des immeubles au Pakistan avec la dextérité d’un gamer. Les chercheurs de
l’ICSR sont dans une situation différente, scientifique et non meurtrière.
Mais ils se retrouvent, eux aussi, via un
ordi, en connexion avec des zones
interdites, les espaces fantômes habités
par l’Etat islamique. Ces lieux brouillent
les images, en produisent des atroces,
de décapitations ou de tortures.
Surtout, et c’est là leur terrifiante force
de frappe, elles perturbent notre appréhension. Comme ces vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux, transmises
par des sites agrégateurs de contenus
avides de clics, dont on ne sait que faire.
L’horreur est évidemment réelle,
IMMO KLINK
P
rofesseur(e)s Toc et Zoc, vous êtes
les spécialistes mondiaux de toute
situation. Que nous décryptez-vous
cette semaine ?
Pr Zoc : La guerre contre la pauvreté, très bien,
encore faut-il avoir les moyens. Car c’est une
guerre de riches, ce sont eux en première ligne.
Pour les vieux, il y a la retraite de Gstaad
comme il y a eu la retraite de Russie. Mais est-il
raisonnable d’appauvrir le riche plutôt que
d’enrichir le pauvre ? Au lieu d’un épouvantail,
le riche devrait être un modèle pour le pauvre.
Pr Toc : Quelles sont nos unités d’élite à engager
dans cette guerre ? Les riches, combien de
divisions ? La guerre contre la pauvreté n’est
pas comme celle contre le terrorisme, menée
contre les terroristes. Elle devrait avoir comme
alliés les pauvres eux-mêmes, tandis que les
riches n’aspirent qu’à la paix.
Pr Zoc : Ce qui réunit les pauvres et les riches,
c’est la solidarité. Mais c’est aussi ce qui les
divise, car il y a une solidarité des riches et une
des pauvres. Reconnaissons que, si les riches
ne sont pas toujours solidaires des pauvres,
les pauvres ne le sont pas non plus des riches.
Pr Toc : C’est de bonne guerre.
Pr Zoc : La paupérisation des masses, c’est
comme le réchauffement climatique. On se dit
bien qu’il faudrait faire quelque chose, mais
quoi, quand et qui ?
Pr Toc : Pour les SDF, le réchauffement
climatique n’est pas la pire chose du monde.
Pr Zoc : Je vous en prie, c’est d’un goût.
Pr Toc : Les riches ne demanderaient pas mieux
que les pauvres soient plus riches, à dépenser
dans leurs magasins, s’empiffrer dans leurs
restaurants, devenir des clients sérieux, quoi.
Pr Zoc : Non seulement les riches sont de plus
en plus riches mais de plus en plus nombreux.
On dirait un cercle vertueux, la richesse.
Pr Toc : Mais les pauvres aussi sont de plus en
plus nombreux et de plus en plus pauvres,
c’est un cercle vicieux.
Pr Zoc : Il y a deux sortes de riches : ceux qui,
de leur limousine avec chauffeur, voient un
mendiant sur le trottoir et ça leur gâche le
festin ; et ceux qui, face à la même vision, se
disent «quand même, c’est cool». Comme il y
aurait une magie dans l’héritage des grandes
fortunes, il semblerait y avoir une malédiction
dans le destin des malheureux.
Pr Toc : C’est commode de penser comme ça,
de faire confiance au loto de la vie. Pour
manifester son engagement dans cette guerre
contre la pauvreté, chaque riche devrait devoir
adopter un pauvre. Après tout, la chambre
d’ami n’est pas toujours occupée.
Pr Zoc : Les riches sont de bonne volonté,
mais ils ont tendance à penser que la guerre
contre la pauvreté, ça devrait être en premier
l’affaire des pauvres. Charité bien ordonnée.
Pr Toc : Il y a un indécrottable fond de
pacifisme chez les riches. Ils sont prêts à signer
l’armistice avant les grands et meurtriers
combats de la guerre contre la pauvreté.
Pr Zoc : La différence entre le libéralisme et
le socialisme, c’est que, dans le premier cas,
les pauvres sont bon marché et que, dans le
second, ils coûtent cher. Enfin, dans l’idéal
du libéralisme et du socialisme. •
les images semblent «vraies», documentaires, mais il y a toujours une
mise en scène.
C’est l’hallucinant paradoxe de cette
photographie d’Immo Klink: elle montre une réalité, tout en évoquant une
iconographie toute fictionnelle. Avec
ses sabres aiguisés et sa tenue noire, ce
garçon ressemble à un ninja. Il prend la
pose, le corps gainé. On l’entend presque hurler «banzaï!». Cette image est-
26
•
GRAND ANGLE
LIBÉRATION JEUDI 5 MARS 2015
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LIBÉRATION JEUDI 5 MARS 2015
Jihadistes, vous
avez un message
27
Joseph Carter,
chercheur
de l’ICSR,
au King’s College,
à Londres,
le 9 février.
Ces spécialistes
dialoguent
notamment grâce
à Facebook
avec les jihadistes
partis à la guerre.
Grâce aux réseaux sociaux, des chercheurs
du King’s College, à Londres,
communiquent avec les combattants
partis en Syrie ou en Irak et collectent
des informations sur chacun d’entre eux.
Par SONIA DELESALLE­STOLPER
Correspondante à Londres
Photos IMMO KLINK
tionale syrienne occupe une place de choix.
Sur les étagères, les livres sont plutôt monomaniaques: Comprendre les attentats-suicides,
Armes de destruction massive, Au cœur d’Alls parlent à l’oreille des jihadistes. En- Qaeda… Au milieu, un petit bouquin rouge
gagent sur le Net des discussions par- attire l’œil, A Most Wanted Man, de John
fois surréalistes avec ces hommes dé- Le Carré. Peut-être pour souligner le lien
terminés qui ont tout quitté, laissant ténu entre fiction et réalité.
derrière eux familles et amis, et qui, Dans ces bureaux anonymes, la réalité, bruentre les mots, sont menaçants, voire tale, est pourtant là. Sur les écrans des chereffrayants. Certains sont presque cheurs, sur leur rétine, les images se fixent,
drôles et d’autres encore totalement condensé des pires atrocités commises ces
perdus. Jour après jour, et parfois même la derniers mois par des hommes se réclamant
nuit, ces quatre universitaires londoniens de de l’Etat islamique (EI), du Front al-Nusra…
l’ICSR (International Centre
L’ICSR est né en 2008 d’une
for the Study of Radicalisaidée simple. «Comment detion and Political Violence) et
vient-on un terroriste? Que se
ROYAUMEleurs huit assistants de repasse-t-il avant qu’ils enfilent
UNI
cherche, des étudiants, clasune veste bourrée d’explosifs
Mer
sent, recoupent les informaet partent se faire sauter? exdu
tions recueillies sur les
plique le professeur Peter
IRL Londres Nord
réseaux sociaux. Age, nom
Neumann, cofondateur et
ou pseudonyme, origines
directeur du centre. On a
ethnique, géographique, 200 km
voulu combiner la rigueur et la
converti ou pas, milieu sométhodologie précise de la recial, éducation, famille, organisation terro- cherche académique à des problématiques pratiriste à laquelle ils sont affiliés, tout est soi- ques.» Premier du genre, ce dernier a fait des
gneusement consigné.
émules dans le monde. Et le succès des re«Certains utilisent cinq à six pseudonymes, his- cherches du centre est tel qu’il est sollicité
toire de pouvoir ouvrir des comptes différents», par les médias, les conférences internationaconstate Marie, l’une des assistantes de re- les, les gouvernements. Dans quelques jours,
cherche. Leurs fichiers répertorient Neumann participera au sommet de la Mai674 combattants, dont 84 femmes. Une cen- son Blanche sur «Comment contrer la viotaine sont britanniques, environ 80 français, lence extrémiste».
presque autant de Belges et une grosse trentaine d’Autrichiens, un Néo-Zélandais et une «Ça commence par un “salut!”»
soixantaine d’Américains ou de Cana- Il y a deux ans, Shiraz Maher, chercheur asdiens (1). Certains ont disparu, probablement socié, constate que les hommes partis en Symorts ou mis en veille pendant un temps. rie continuent à alimenter leurs comptes sur
D’autres, une cinquantaine, parlent, échan- les réseaux sociaux: «C’est totalement unique,
gent par Facebook, Twitter, WhatsApp, Ins- parce que jamais, dans aucun conflit précédent,
tagram ou Tumblr. Depuis les champs déchi- on n’avait accès à ce type d’informations. Là,
rés de la Syrie, ils choisissent d’y partager on peut non seulement suivre les combattants,
leurs expériences, leurs photos et, parfois, mais également communiquer avec eux.» Et
leurs pensées.
c’est lui qui s’y colle : «La plupart du temps,
C’est au bout des couloirs alambiqués de la ça commence par un “hi! [«salut», ndlr]” sur
prestigieuse université londonienne de Twitter, une demande pour les “suivre”.» La
King’s College que l’on trouve les locaux de majorité ne répond pas. Une poignée entame
l’ICSR. En ce mois de février, les murs blancs un dialogue. Et souvent bascule sur une messont baignés de lumière grise. Derrière un sagerie du type Qik, WhatsApp ou SureSpot,
bureau, un grand drapeau de la Coalition na- dont les messages sont codés. Shiraz Maher
un membre de l’EI qui «nous expliquait qu’il
voulait rentrer, avec trente autres combattants,
parce qu’ils avaient perdu leurs illusions, mais
se sentaient coincés. D’autant que, nous ont-ils
dit, “si nous rentrons, nous irons en prison pour
trente ans”». L’histoire a été relayée par le
Times. Et le professeur Neumann en a profité
pour appeler le gouvernement à affiner son
programme de déradicalisation.
I
«On en a fini avec toi,
espèce d’apostat!»
gleterre, a rejoint le parti islamiste, né d’une
scission des Frères musulmans, qui prône
l’installation d’un califat et se prétend non
violent. Forcément, l’empathie est réelle avec
les jihadistes. «J’ai parfois l’impression de me
voir il y a dix ans!» explique-t-il. Sauf que lui
n’a jamais franchi la ligne rouge et consacre
aujourd’hui sa vie à comprendre comment
et pourquoi un jeune bascule.
se balade partout avec un smartphone qui ne
sert qu’à cela. Parfois, les premières réponses
sont très agressives : «Pourquoi tu veux me
suivre, t’es qui?» «Pourquoi tu voudrais suivre
un terroriste ?» Il faut alors instaurer la confiance. «Je commence par leur dire que je préfère parler de combattants étrangers, je leur explique ce qu’on fait», raconte Maher.
Parce que la règle absolue, la condition essentielle de leur travail est l’honnêteté.
«Toutes nos recherches sont soumises au comité éthique de l’université. Il n’y a ni mensonges, ni tricheries, ni fausses identités», confirme Peter Neumann. Ils sont avant tout des
chercheurs, pas des hackers ni des génies de
l’informatique, et certainement pas des informateurs. «Notre indépendance est la clé de
ce que nous faisons», ajoute Shiraz Maher.
Evidemment, les services de renseignement
sont fascinés par le travail de l’ICSR : «Nous
ne refusons pas de leur parler, mais nous ne
partageons jamais nos données, on perdrait
toute crédibilité.»
Les jihadistes savent donc qu’ils échangent
avec Shiraz Maher, chercheur universitaire,
musulman et membre il y a dix ans de Hizb
ut-Tahrir. Pendant quatre années, Maher,
jeune étudiant à Leeds, dans le nord de l’An-
«Regardez, on a même
des crêpes et du Nutella!»
Les conversations ne sont jamais linéaires.
Certains se fâchent, disparaissent à jamais.
D’autres reviennent. «La confiance se construit jour après jour, j’envoie des messages neutres, pour les fêtes religieuses, l’Aïd, le ramadan.» Parfois, la conversation s’interrompt
car le jihadiste a quitté «la base» pour le
front. Ou parce qu’il a été tué. «Lorsqu’on
apprend la mort de l’un d’entre eux, on se dit
que c’est dommage, ils sont souvent si jeunes
et stupides.» Joseph Carter, chercheur à
l’ICSR, scrute tous les réseaux sociaux, recoupe les données, recherche qui pourrait
fournir des informations sur qui. Il se penche
sur chaque photo, chaque vidéo pour déterminer les lieux, le contexte. «Avant, c’était
facile, il y avait tellement de trucs disponibles
sur les réseaux sociaux que c’en était incroyable, raconte-t-il. Maintenant, c’est plus difficile. D’une part parce qu’ils se méfient plus,
d’autre part parce que Facebook et Twitter réagissent plus vite, ferment ou bloquent des comptes, du coup, nous, on doit être encore plus rapide dès qu’on repère quelqu’un.»
«Les jihadistes communiquent avec nous en
partie parce que nous parlons aux médias»,
explique Shiraz Maher. Ils ne le font pas dans
le cadre de la formidable machine médiatique de l’EI, mais «à titre personnel, ce qu’ils
disent n’est pas “scripté”». Sur Facebook,
ceux qui postent des images tentent de montrer qu’ils sont bien traités. Joseph Carter raconte en souriant qu’un Français publiait des
photos de nourriture, forcément, et expliquait : «Regardez, on a même des crêpes et
du Nutella !»
Parfois, les contacts sont surprenants. En
septembre, Shiraz Maher a été contacté par
Libération du jeudi 5 mars.
Ces presque deux années de dialogue avec
des jihadistes ont appris aux chercheurs qu’il
n’existait pas de profil type, qu’un jeune –la
majorité a entre 17 et 24 ans – ne partait jamais pour les mêmes raisons que son voisin,
que leurs origines sociales étaient très variées, de même que leur éducation. Certains
sont très intelligents, viennent de milieux
confortables, d’autres sont issus d’une vraie
pauvreté. Un Canadien était même décrit
comme un «gros fêtard». «Il y a une soussection des membres de l’EI qui sont des idéalistes, un peu comme à l’époque les marxistes,
avec l’idée que la fin, leur fin, justifie tous les
moyens. Ceux-là sont hermétiques à toute déra-
«Je suis en plein dialogue bizarre
avec un type, on échange des
paroles de chansons, on compare
Justin Bieber et One Direction.»
Shiraz Maher chercheur à l’ICSR
dicalisation, analyse Nick, un assistant de recherche. Et puis il y a les moins extrêmes, des
types un peu largués qui se retrouvent dans un
cercle de violence qui va bien au-delà de l’objectif initial. Ce sont la plupart de ceux avec qui on
communique.»
Devant son ordinateur, Shiraz Maher rigole:
«Je suis en plein dialogue bizarre avec un type,
on échange des paroles de chansons, on compare Justin Bieber et One Direction. C’est franchement curieux. Mais ça montre aussi que derrière tout ça, il y a beaucoup de gamins
normaux, pris dans un engrenage infernal.»
Dès qu’un jihadiste manifeste ainsi son désir
de communiquer, Maher se «rend disponible». Les échanges sont parfois rudes: «Certains m’insultent, mais je me défends.» Parfois,
le dialogue est rompu brutalement : «On en
a fini avec toi, espèce d’apostat !»
Il est très clair sur son rôle, qui n’est «certainement pas de leur dire de rentrer. Ces types ont
pris leur décision». Certains lui proposent de
venir sur place «pour voir». Ils y sont allés,
voir. En avril, Peter Neumann, Shiraz Maher
et Joseph Carter se sont rendus sur le terrain,
à la frontière turco-syrienne. A la rencontre
des passeurs et de ces hommes en partance.
Ils prévoient d’y retourner.
«Des types qui n’ont pas
grand­chose à perdre»
Au début de la vague de départs, il y a deux
ans, il s’agissait en majorité de «missionnaires» allant défendre leurs «frères» en Syrie.
Il y avait aussi les martyrs. Ceux qui partaient en espérant mourir vite pour rejoindre
le paradis.
«Et puis, il y a eu les aventuriers, déjà impliqués
dans la petite délinquance, gangs, drogues, des
types pas particulièrement intelligents, pas particulièrement religieux, qui n’ont pas
grand-chose à perdre.» Dans les conversations, en général, les jihadistes évitent de parler de leur famille: «Ils n’ont
pas envie qu’elle soit harcelée par la
presse.» Pour Neumann, ces proches
sont au cœur de la déradicalisation.
«Parce que 99% des familles ne sont pas
au courant quand leur enfant s’enfuit en Syrie,
et aucune ne souhaite qu’il soit tué», expliquet-il. Lui et Shiraz Maher en sont convaincus:
l’une des clés pour freiner ces départs réside
dans la sensibilisation, l’éducation et l’aide
aux familles. Parce que, encore une fois, chaque cas est unique: «On ne peut pas traiter le
type qui est confiné dans la campagne syrienne
à nettoyer des armes de la même manière que
celui qui décapite des otages en public.» •
(1) Sans oublier des Scandinaves, des Allemands,
des Néerlandais, et même un Kosovar et un
habitant du Kazakhstan.
elle une capture d’écran du jeu vidéo
Call of Duty ou d’un film japonais jouissif de violence ? Non, elle est la «capture» éphémère d’un assassin. Le décor
–une chaise de balcon blanche en plastoc, une table en Formica, un matelas
gonflable– ne donne aucun indice. Un
zoom à l’infini sur la photographie ne
nous apprendrait rien sur l’identité du
garçon. On devine qu’il a la peau noire,
et puis c’est tout. Son regard est intense. Il est probablement jeune, a sans
doute, enfant, regardé les Tortues ninja
en avalant son chocolat chaud. Ici, il se
met en scène dans sa perte délirante,
qu’il voit comme un salut religieux. Ce
sinistre ninja kid est l’acteur d’un film,
dont il n’est pas le scénariste, et qui le
happe. Immo Klink : «Faire cette série
m’a appris qu’il y a des mondes entiers
dont on ignore tout. Des bulles qui se forment et enferment des êtres. Certains vivent dans une bulle Louis Vuitton, d’autres
dans une bulle Daech.» •
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
CHRONIQUES IDÉES
ÉCRITURES
LA CITÉ DES LIVRES
Par CHRISTINE ANGOT
Par LAURENT JOFFRIN
Ça sert à rien d’écrire
des chroniques
Mitterrand,
l’histoire enfin
M
arine Le Pen va être
présidente de la République, très bien.
Les Français en ont
envie, on n’y peut rien, très
bien. Le président du Crif luimême la trouve irréprochable.
C’est parfait. Son entourage, ses
fréquentations, est la seule
chose qui le gêne, très bien. Il ne
pourrait pas voter pour le FN
mais pour elle pas de problème, il y a un
distinguo, très bien. Les Juifs se font tuer
et la presse parle d’islamophobie, très bien
aussi. Marine Le Pen dit que son parti offre
aux Juifs la meilleure protection possible,
parfait. Mais qu’on ne nous demande plus
d’écrire des chroniques, etc.! Il y a quelque
chose à dire ? Ça sert à quelque chose ?
Il y a quelque chose à ajouter à ça ? Il faut
commenter ? Pourquoi ? Il faut écrire ? Il
faut réagir? Pour quoi faire? En admettant
que ça intéresse des gens, ce qu’on a à dire
on le dit comment de toute façon ? Il faut
dire quelque chose ? Admettons ! Comment? Une petite bande en Alsace décide
d’aller vandaliser le cimetière juif de leur
village, tout le monde s’empresse de dire
qu’ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient,
c’est parfait. Pardonnez-leur mon Dieu ils
ne savent pas ce qu’ils font. Les jihadistes
son père. Pas la peine. On va
pas exiger qu’elle dise c’est un
salopard. Elle est pas responsable de son père, si votre père
viole votre sœur vous êtes pas
obligé de la croire, vous pouvez
croire votre père, vous pouvez
tout à fait vous payer ce luxe.
Elle est pas non plus responsable de ses électeurs. D’accord
elle les chauffe un peu en meeting en leur faisant siffler tout ce qui est intello en le taxant de bobo. Mais bon. Elle
fait siffler les journalistes, B.H. Lévy,
Ch. Taubira et les électeurs répondent en
chorus: «la crasse». Mais elle est pas responsable. OK! Ils disent ça, oui. J’ai assisté
à un meeting, c’était ça. Et elle les chauffait à mort. Je l’avais écrit, je l’avais raconté. Ça ne sert à rien d’écrire des chroniques, d’ailleurs je vais arrêter. En ce
moment, il y a une seule chose de bien :
chacun montre son vrai visage. Celui-ci
comprend les terroristes, celui-là comprend le vote Front national, tel autre propose qu’on boycotte Israël, que les artistes
refusent d’y donner des concerts. Mais on
voit les vrais visages au moins, c’est ça qui
est bien. Même dans un journal de gauche,
les fréquentations deviennent mauvaises.
Il y a toujours un encadré ou un bout de
colonne qui se pose la question du deux poids deux meAllonz’enfants nulle part. On va élire
par exemple. A chaque
Marine Le Pen. On va pas lui demander sures
fois que j’ai écrit dans un jourde se désolidariser du discours de son
nal, je l’ai regretté. La plupart
père. Pas la peine.
des chroniques, je les regrette.
Elles me paraissent ridicules
ont des excuses parce qu’ils viennent de quand le temps est passé. J’avais écrit la
milieux socialement difficiles ? OK. Par- honte que j’éprouvais quand Ch. Taubira
fait. Il y a pas de passé? Il y a pas d’avenir? a été comparée, je ne sais plus où mais en
Il n’y a que des conditions sociales ? Des France, à un singe mangeant une banane,
quartiers, des salaires, des indemnités de je le ferais plus aujourd’hui. J’y croirais
chômage? C’est tout ce qu’il y a? Les hu- plus. Et on m’accuserait de ne pas commains ça se résume à ça ? Rien d’autre ? prendre l’exaspération des gens, leurs déIl y a pas de pensée ? Il y a pas de liberté ? bordements.
Il y a pas d’espoir alors… Il y a pas d’hu- Le coup de grâce, ç’a été Mossoul. La desmanité… C’est ça ? Il y a que des ca- truction des statues par des gens qui s’en
ses alors… On n’a pas le droit de demander estiment donc propriétaires. Il n’y a même
aux musulmans de se désolidariser des ac- plus de vieilles pierres. Il n’y a plus que des
tes terroristes des islamistes? C’est une in- images de mecs, mais il faut pas dire qu’ils
sulte? Pourquoi? On ne peut pas s’expri- sont barbus, de mecs avec des haches qui
mer sur l’acte d’un membre de sa famille? tapent sur des statues. Et quand la matière
Quand il fait des horreurs on n’a pas le de- résiste, avec des marteaux-piqueurs. Les
voir, au contraire, de s’en désolidariser, de nazis eux-mêmes s’étaient retenu de dédire que soi on ne pense pas comme lui ? truire Paris. Même écrire ça, ça m’épuise,
OK! OK OK OK. Pas de problème. Chacun ça me démoralise. Je ne sais pas comment
vit sa vie. On demande rien à personne. fait Laurent Joffrin pour écrire des éditos
On laisse tomber. D’ailleurs on va arrêter tous les matins. Et comment ont fait tous
d’écrire. On va arrêter d’y croire. On va ceux qui à longueur d’articles se sont dearrêter de défiler dans les rues à quatre mandé si DSK pouvait ignorer que les femmillions en chantant la Marseillaise, ça ne mes du Carlton étaient des prostituées.
sert absolument à rien. Il y a un lien social Bien sûr qu’il pouvait. Qui regarde qui ?
entre nous? On a un lien? Ou tout ça, c’est Qui écoute qui ? •
fini. Rideau. Allonz’enfants nulle part. On Cette chronique est assurée en alternance
va élire Marine Le Pen. On va pas lui de- par Olivier Adam, Christine Angot,
mander de se désolidariser du discours de Thomas Clerc et Marie Darrieussecq.
L
e temps est l’ennemi du
journaliste, qui court
toujours contre la montre. Il est l’ami de l’historien, qui rend sa copie quand
elle est prête et non à l’heure
contrainte du bouclage. C’est le
grand atout de Michel Winock,
qui raconte François Mitterrand
avec le recul nécessaire, quand
ses prédécesseurs de la presse,
Giesbert, Lacouture, Péan ou Benhamou,
ont agi à chaud, dans la fièvre de l’enquête, pour explorer des chemins inconnus que l’historien peut ensuite cartographier et arpenter tout à loisir, en
ajoutant à sa documentation les archives
qui s’ouvrent après coup, ou bien les livres
de souvenirs qui s’accumulent, ceux d’Attali, de Glavany ou de Védrine, précieux
dans leur subjectivité, ou encore les excellents souvenirs de Michèle Cotta, chroniqueuse inépuisable de la Ve République.
•
27
déjà trempé, passe progressivement du bon côté à partir
de 1942, pour devenir pendant
l’année qui précède la Libération un résistant intrépide
pourchassé par la Gestapo et la
milice, organisateur efficace
d’un réseau clandestin. Les ennemis de Mitterrand ont daubé
sans fin sur sa francisque, décoration vichyste par excellence. Ils ont souvent oublié de dire que le
jeune Mitterrand se retrouve en août 1944
dans le gouvernement provisoire du Général avec rang de ministre, recommandé
par Alexandre Parodi, et qu’il a descendu
les Champs-Elysées, adoubé par les gaullistes et les résistants, au cinquième rang
du grand défilé de la victoire. Drôle de collabo…
De la même manière, on l’a cloué au mur
d’infamie pour son action de ministre
pendant la guerre d’Algérie. C’est un fait,
comme l’a montré Benjamin
Certains tableaux en clair-obscur se
Stora, qu’il a prêté la main à
la répression la plus cruelle,
voient mieux de loin que de près. La
biographie de Winock, érudite et fluide, comme ministre de l’Intérieur ou comme garde des
met à distance le prince de l’ambiguïté
Sceaux. Mais choisissant de
pour mieux cerner son personnage.
gouverner, il a constamment
prêché au sein du pouvoir
Certains tableaux en clair-obscur se voient pour les solutions de compromis, chermieux de loin que de près. La biographie chant à sortir par étapes de la sale guerre.
de Winock, érudite et fluide, met à dis- Ambigu comme toujours, il n’eut pas la
tance le prince de l’ambiguïté pour mieux clarté d’un Savary ou d’un Mendès. Il fut
cerner son personnage. On y lira l’histoire en même temps l’adversaire des ultras et
très française d’un jeune homme de pro- des factieux.
vince à Paris, passé au fil des décennies Reste l’affaire de l’Observatoire, qui faillit
d’une droite très affirmée à un socialisme interrompre sa carrière dans le ridicule et
tranchant, d’une inclination très nationa- le déshonneur. Mitterrand en perte de viliste à l’alliance stratégique avec le Parti tesse a menti à l’opinion et à ses amis, pascommuniste, pour finir en grand prêtre de sant pour un martyr alors qu’il s’était
la gauche réaliste, rallié au marché et à prêté à la comédie d’un attentat truqué.
l’Europe du libre-échange. Winock balise Mais le piège monté par l’extrême droite
ce parcours ondoyant avec sûreté et préci- était diabolique, et c’est aussi sa naïveté
sion, décelant les constantes d’un person- dans le machiavélisme qui a failli perdre
nage aux mille replis et aux revirements le futur président. L’épreuve qui le conduitissés d’habileté et de cynisme. Barrésien sit au bord du suicide fut sa punition. Les
ambitieux, jeune maréchaliste apprenant moralistes verront dans cette affaire
la vie parmi les prisonniers de guerre, l’œuvre piteuse d’un manœuvrier sans
résistant de droite, républicain de centre principes. La vie de Mitterrand est autregauche, ministre permanent sous la IVe, ment plus riche. Winock la montre pour
apportant à la gauche sa science de la ce qu’elle est : la course d’obstacles d’un
manœuvre et son sens inné de l’âme fran- politique jusqu’au bout des ongles, miçaise pour la conduire au pouvoir en 1981 aventurier, mi-homme d’Etat. •
et devenir le successeur le plus célébré du
général de Gaulle, lui qui avait critiqué
sans relâche le régime mis en place
en 1958.
Au passage, c’est une des grandes qualités
du livre, Winock fait justice de trois procès
intentés au président socialiste. On a traité
Mitterrand de collabo. Appuyé sur le livre
de Péan, et sur bien d’autres sources, WiFRANÇOIS
nock montre comment cet auxiliaire suMITTERRAND de
balterne du régime de Vichy, jeune évadé,
MICHEL WINOCK
fort d’une grande culture et d’un caractère
Gallimard, 25 €
28
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IDÉES IMAGES
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
IMAGES IDÉES
•
29
PLACE TIANANMEN,
ÉPREUVE IRRÉFUTABLE
Tandis que le président, Xi Jinping,
les hauts représentants du Parti com­
muniste chinois et les milliardaires se
réunissaient cette semaine à Pékin
(Libération du 6 mars), le souvenir de
Tiananmen plane sur le Web via un livre
du photographe Xu Yong. Distribué par­
tout sauf en Chine par la maison d’édi­
tion New Century Press de Hongkong,
l’ouvrage présente 64 négatifs, imprimés
sur fond blanc (comme des photogra­
phies), pris le 4 juin 1989, lors de l’occu­
pation de la place Tiananmen. Plus d’un
quart de siècle plus tard, Xu Yong,
connu pour ses photographies des
hutongs du vieux Pékin, a choisi de les
scanner. Pourquoi? Engagée à plus d’un
titre, sa démarche vise avant tout à lut­
ter contre l’amnésie autour de la répres­
sion qui s’installe aujourd’hui autour de
lui –plusieurs de ses amis artistes ont
été récemment emprisonnés. Pour cela,
le photographe vante le négatif: pre­
mière image avant le développement, il
est une preuve irréfutable car inalté­
rable, comparée aux images numériques
d’aujourd’hui. Equipez­vous d’un appa­
reil électronique muni de la fonction
«inversion des couleurs», prenez le
négatif en photo, mettez­vous dans la
peau d’un homme ou d’une femme chi­
noise, adrénaline, vous comprenez à la
fois le regard de Xu Yong et l’interdit
autour de cet acte.
LAURE TROUSSIÈRE
Ci­contre, Négatives
de Xu Yong, place Tiananmen,
le 4 juin 1989.
Ci­dessus, le tirage d’origine.
PHOTO XU YONG
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LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
IDÉES CHRONIQUES
À CONTRESENS
Par MARCELA IACUB
«American Sniper», héros solitaire
I
l y a quelques semaines, les critiques se sont
déchaînées contre le film American Sniper
de Clint Eastwood, l’accusant, notamment,
de faire l’apologie de la guerre en Irak.
La colère a été si vive qu’on a oublié de signaler, avant toute chose, qu’il s’agit d’un véritable navet sans la moindre qualité artistique.
Mais il souligne une question cruciale. Le
parcours du héros d’American Sniper montre
un changement significatif dans la manière
dont les individus s’embarquent dans des
processus de violence collective –qu’elle soit
le fait d’un Etat ou d’une organisation terroriste. Loin d’y être contraints, comme aux
temps des armées nationales, ils y adhèrent
à partir de raisonnements et de justifications
qui leur sont propres.
Alors qu’il est enfant, le père du futur sniper
l’invite à se comporter comme un chien de
berger défendant les brebis des prédateurs.
Il voit ensuite, à la télévision, l’agression des
ambassades américaines et l’explosion faramineuse du 11 Septembre. Dès lors, il est
déterminé à s’embarquer volontairement
dans la guerre, devenant le soldat
le plus meurtrier de l’histoire de
l’armée américaine.
Ce récit cinématographique
absorbe le seul point de vue du soldat, comme si la guerre était devenue une aventure purement personnelle. Cela explique qu’il n’y
ait, dans ce film, aucune discussion sur la légitimité de la guerre
en Irak sous l’angle du droit international. Pour le sniper, cette question n’a,
en vérité, pas la moindre importance. A ses
yeux, le bien-fondé de son engagement
viendrait plutôt du destin octroyé par son
père, et par la médiatisation de la lutte contre
le terrorisme. Ainsi, la guerre n’est plus le
récit patriotique d’une nation, avec son
contingent de soldats contraints à leur propre
sacrifice. Au contraire, elle décrit le mouvement personnel d’individus qui se prennent
pour des héros, et accourent pour protéger
une patrie en danger. Comme si chaque soldat
de la Seconde Guerre mondiale avait été un
De Gaulle ou un Jean Moulin.
En mettant en avant les particularités individuelles de soldats
issus de la démocratie, on comprend aussi les engagements de
leurs ennemis. Et notamment,
l’importance que prend la religion
dans le terrorisme. Si l’islam radical semble être un archaïsme,
voire un retour aux siècles d’ombre, il permet –précisément parce
qu’il est une religion– d’interpeller, de façon
individuelle, chacun de ses fidèles.
Les soldats partent en croisade pour défendre
leur Dieu blessé, vitupéré, menacé, moqué,
sans que rien ni personne ne les oblige à le
faire : ils ont été apostrophés personnellement par les gémissements célestes. Loin
d’être des pions ou des pièces interchangeables, ils se sentent élevés au rang de héros,
au même titre que le sniper du film de Clint
Eastwood.
Paradoxalement, l’islam radical permet
d’exalter, au plus haut point, l’indivi-
L'AIR DU RIEN
Par AUDE PICAULT
dualisme, cette valeur occidentale qu’il
dénigre par ailleurs. Voici, certainement,
l’une des principales raisons de son succès
dans le monde démocratique – car tout en
l’attaquant, il épouse l’une de ses valeurs fondamentales. Comme si au fond, les terroristes, loin d’être en dehors du système,
l’avaient justement trop bien intégré.
American Sniper nous permet de comprendre
l’avènement dans les sociétés occidentales
d’un nouveau visage du culte de l’individu
– celui qui se réalise par le meurtre «héroïque». Mais aussi d’appréhender les étranges
fiançailles d’une religion censée nier l’individu, avec l’exaltation d’un narcissisme forcené, signe suprême de la modernité. C’est
peut-être cette alliance qui rend les terroristes islamistes aussi répugnants. Car loin de
tenir à la cause ridicule pour laquelle ils disent combattre, on devine très bien qu’ils se
battent pour eux-mêmes, pour rendre hommage à un Dieu qui fonctionne uniquement
comme un faire-valoir de leur pathétique
nécessité d’être. •
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
CHRONIQUES IDÉES
PHILOSOPHIQUES
SOCIÉTÉS
Par MICHAËL FOESSEL
Par FRÉDÉRIQUE AÏT­TOUATI
Les communautés
dynamiques
La nature
de l’art
C’
est bien connu, la
République française ne reconnaît
aucune communauté. Officiellement, elle est
peuplée de citoyens sans appartenances spirituelles ou religieuses. Toutes ces attaches
sont suspectées de faire écran à
l’intérêt général. Le citoyen
peut avoir des préférences, certes, mais il lui est demandé de
renoncer à ses allégeances communautaires à chaque fois qu’il s’exprime dans l’espace public. D’où le caractère paradoxal
de l’injonction faite ces temps-ci aux musulmans. On leur demande de s’exprimer
en tant que tels, c’est-à-dire au nom d’une
communauté à laquelle on ne reconnaît
pourtant aucune légitimité politique.
L’Etat attend des communautés religieuses
qu’elles s’organisent, mais seulement pour
démontrer que rien ne les distingue puisque leur «commun» doit se résumer aux
valeurs de la République.
En 1795, le marquis de Sade demandait
aux Français «encore un effort si vous voulez être républicains !» C’est le non-dit
des appels lancés aux musulmans dont
on estime qu’ils n’auront fait la preuve
pulsion fait tenir les choses ensemble. Dans l’univers, les
corps matériels sont unis par
l’action réciproque qu’ils exercent les uns sur les autres.
C’est la première surprise : on
s’attendait à ce que la communauté désigne une entité close
alors qu’elle repose en fait sur
des mouvements. En réfléchissant sur les lois de la nature,
Kant relève l’ambiguïté du mot
«communauté» (Gemeinschaft). On le
comprend comme communio (possession
commune, communauté de possession)
alors qu’il faudrait y voir d’abord un commercium (influence réciproque entre des
corps et société). Pour une fois, le commerce n’est pas réductible à sa signification marchande puisqu’il désigne l’ensemble des relations qui précèdent les
identités. Là où l’on imagine des unités
stables et permanentes, il faut apprendre
à voir des mouvements qui s’équilibrent
de manière précaire.
Ce détour par la physique est politiquement instructif. Une communauté de choses apparaît toujours simultanée: comme
les mouvements se neutralisent, on a l’impression que rien ne se passe. De la même
manière, on croit que des hommes forment une communauté
Chaque fois que l’on assigne des
parce qu’ils pensent la même
individus à une communauté rigide,
chose au même instant. Contre
on ignore toute la dynamique qui fait
cette illusion, Kant nous raptenir les hommes ensemble.
pelle que derrière toutes les
apparences de communions,
de leur citoyenneté qu’après avoir con- on trouve un commerce, c’est-à-dire de
damné officiellement un terrorisme l’échange, des transactions et du conflit.
auquel ils ne prennent aucune part. En Pour en rester aux communautés religieul’espèce, l’«effort pour être républicain» ses, la foi n’est pas un ensemble défini de
devrait plutôt s’adresser aux autorités dogmes qui fait tenir des hommes ensempubliques qui demandent à des individus ble. Il est tout bonnement impossible que
de parler au nom d’une communauté des individus croient en permanence
dont elles proclament partout l’inexis- exactement la même chose. La foi comtence juridique.
munautaire est plutôt ce qui résulte proviAvant d’exiger quoi que ce soit d’une soirement des interactions très concrècommunauté, il faudrait se demander ce tes qui se jouent dans les mouvements de
que l’on entend par ce mot. Le plus sou- la société.
vent, on l’aborde comme une réalité Chaque fois que l’on assigne des individus
exclusivement humaine : une commu- à une communauté rigide, on ignore
nauté désigne une multiplicité d’individus toute la dynamique qui fait tenir les homréunis par des croyances ou des pratiques mes ensemble. C’est pourtant sur cette
semblables. C’est une vision tronquée du dynamique qu’il faudrait compter, plutôt
phénomène, car elle donne aux idées le que sur la communion abstraite autour
pouvoir d’unifier le désir des hommes : des valeurs de la République. Avant de
«nous» voulons la même chose car demander aux musulmans de «bouger»,
«nous» pensons à l’identique. Mais que l’on prenne la peine de valoriser
il n’y a aucune raison de réduire, ainsi, le les mouvements qui sont à l’œuvre dans
terme de communauté aux hommes et à cette communauté comme dans toutes
leurs croyances. Les objets physiques, qui les autres. •
ne partagent pourtant aucune idée entre
eux, forment aussi des communautés. Il Michaël Fœssel est professeur de philosophie
suffit pour cela qu’ils interagissent dans à l’Ecole polytechnique.
l’espace et que les actions des uns soient Cette chronique est assurée en alternance
égales aux réactions des autres. L’égalité par Sandra Laugier, Michaël Fœssel,
entre la force d’attraction et la force de ré- Paul Preciado et Frédéric Worms.
A
pprochez-vous : derrière la vitre, c’est tout
un univers qu’on découvre. Un réseau
infini de points et de fils enchevêtrés, tissés, reliés les uns
aux autres jusqu’à composer
un système, un cosmos. Plus
haut, un second réseau rejoint
le premier, s’y mêle, le complique et le prolonge : un autre
univers, avec ses propres règles
de composition, sa structure singulière.
Nous sommes au Palais de Tokyo, au cœur
d’une salle plongée dans le noir d’où surgissent les toiles d’araignée magnifiquement mises en scène par Tomás Saraceno.
Depuis des années, l’artiste argentin,
installé à Berlin, que l’on connaît surtout
pour ses installations monumentales,
élève dans le sous-sol de son studio des
araignées qui créent pour lui, avec lui, des
toiles enchevêtrées comme autant d’univers minuscules.
Qui est le créateur ? L’araignée qui a tissé
cette toile, l’entomologiste qui l’a étudiée,
l’artiste qui l’a placée dans un cube de
verre, puis dans un centre d’art? L’exposition «le Bord des mondes» interroge les
lignes de partage entre les pratiques de
l’art, de la recherche, de l’invention et de
la technique. Dans la logique d’un décloisonnement entre les disciplines, l’exposition donne à voir un monde de l’art en
expansion, capable d’intégrer des pratiques autres, d’abord jugées illégitimes,
non artistiques.
Quel est, par exemple, le statut des saisissantes «créatures de plage» que Theo Jansen étudie et fabrique à partir de tiges de
bambou et de serre-câbles, graciles insectes géants qui courent sur le sable, propulsés par le vent ? Les inventions de
Jansen sont des machines animaux plutôt
que des animaux machines, douées non
seulement de mouvement, mais de grâce.
Même déplacement du geste artistique
chez Bridget Polk, dont les sculptures
sont des pierres brutes superposées, simplement et vertigineusement posées en
équilibre l’une sur l’autre selon un point
de contact de quelques millimètres,
ou chez Carlos Espinosa, inventeur de
«l’attrape-nuages», nasse diaphane destinée à piéger la brume pour la transporter
là où manque l’eau.
De la cartographie à l’entomologie, du
design à la robotique, «le Bord des mondes» explore des manières de tisser les
savoirs et les représentations, la «nature»
et la «culture», à la façon des cabinets de
curiosités de la Renaissance, d’ailleurs
présents au cœur de l’exposition. Des
machines qui dansent dans le vent, des
araignées artistes, des pierres qui tiennent
en équilibre sur leurs pointes : toutes
œuvres qui font peu de cas des catégories
•
31
et des hiérarchies, et nous invitent à retrouver le lien, la ligne,
c’est-à-dire, le geste qui relie
l’art, la technologie et la
science, ces activités qu’on a
voulu à toute force séparer, et
qui, quoi qu’on fasse, s’attirent
et se mêlent, comme les toiles
de Saraceno.
Il est significatif qu’au même
moment s’ouvre, à Lyon, un
musée consacré à des domaines
qu’on avait pris l’habitude de séparer: histoire naturelle, histoire des techniques,
ethnographie. Au musée des Confluences,
ce n’est pas le monde de l’art qui s’ouvre
au monde des techniques et des merveilles
de la nature, c’est le monde des sciences
et des techniques qui s’associe à l’archéologie et à l’ethnologie pour comprendre
l’histoire longue, et mêlée, de la Terre et
des civilisations. Le mouvement est, en
quelque sorte, symétrique. Malgré la différence des projets, la référence au cabinet
de curiosités est une constante, comme si
l’on cherchait dans l’histoire un précédent
à ce besoin d’associer les créations de
la nature et de l’homme, comme si les siècles qui avaient instauré leur séparation
n’avaient été qu’une parenthèse.
A quelles conditions les objets deviennent-ils visibles, dans une culture donnée,
comme artefacts scientifiques ou artistiques? L’ancienne question de la distinction entre art et science est posée à nouveaux frais, déplacée par l’urgence d’une
situation où les objets de la nature semblent aussi vulnérables que les objets de la
culture. Les artistes chercheurs et les musées qui leur font une place apportent une
première réponse, et démontrent que cette
séparation ne tient plus.
L’anthropologue britannique Tim Ingold (1), lui aussi amateur d’araignées et
de fils, en offre, peut-être, une seconde :
«La vie est un composite tissé avec les
innombrables fils que produisent des êtres
de toutes sortes, humains et non humains,
se déployant ainsi à travers cet entrelacs de
relations dans lesquelles ils sont pris.»
Car «la relation n’est pas entre une chose et
une autre –entre l’organisme “ici” et l’environnement “là-bas”. Il s’agit d’un traçage
le long duquel la vie est vécue. Chaque traçage constitue un fil dans un tissu de trajectoires qui trament ensemble la texture du
monde vivant». •
(1) «Une brève histoire des lignes»
par Tim Ingold (2007),
trad. Sophie Renaud, Paris,
Zones sensibles, 2011.
Frédérique Aït­Touati est metteure en scène
et chercheure au CNRS.
Cette chronique est assurée en alternance
par Cyril Lemieux, Frédérique AïtTouati,
Julie Pagis et Nathalie Heinich.
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CULTURE GRAND FORMAT
CULTURE
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LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
Cadavre d’oiseau, étiqueté «décor d’intérieur», Indonésie. Saisi par les douanes à Miami, Floride.
Oxalis tuberosa, Pérou.
Taryn Simon
Pour cause
d’inventaire
La photographe américaine expose
au Jeu de paume, à Paris, ses séries
minutieusement collectées
et recomposées, comme autant de
fragments des Etats-Unis d’aujourd’hui.
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
GRAND FORMAT CULTURE
Sacs à main Louis Vuitton. Photos extraites de la série «Contraband» (2010). PHOTOS TARYN SIMON
Par CLÉMENT GHYS
et BRIGITTE OLLIER
T
aryn Simon propose
une expérience singulière au Jeu de
paume, où la photographie est là mais
absente et, d’une
certaine façon, hors
d’elle-même, c’està-dire loin de ses repères et de ses rituels. A travers les séries présentées, de
sa première, «The Innocents» (2002),
à sa dernière, «The Picture Collection»
(2013), cette artiste américaine, née
à New York en 1975, offre un champ de
réflexion d’une rare intensité. Ici, il
n’est pas question du duo, devenu banal, image + légende, mais d’une construction extrêmement précise, voire
maniaque, où tout s’emboîte comme
dans un puzzle raffiné. Le texte n’ac-
au titre générique de cette exposition,
qui devrait faire les délices des linguistes de plusieurs générations, «Vues arrière, nébuleuse stellaire et le bureau de
la propagande extérieure».
Espaces lambda
Tout paraît pensé au plus juste, aucune
place pour le hasard, ou la surprise, Taryn Simon est une artiste à l’œuvre,
comme on dirait d’un paysan au champ,
d’un architecte face à une maquette,
d’un chirurgien contemplant un corps
endormi avant le premier geste. D’une
beauté préraphaélite, détendue, Taryn
Simon lance l’une de ses phrases-étincelles: «Je ne travaille pas à la vitesse du
monde, si rapide. Je suis lente et, parfois,
il me faut quatre ans d’engagement pour
conclure une série, par exemple, “A Living
Man Declared Dead and Other Chapters” (1). Ce n’est pas drôle, c’est dur. Je
n’ai pas de plaisir à faire mon travail, je ne
suis pas obsédée par
l’idée d’être l’auteure
«Je commence tout projet par l’écrit,
des choses…»
avec un texte qui met en route un travail
Alors, que voit-on
d’archives, de recherches. C’est un long
sur les murs du Jeu
processus. La photographie vient toujours de paume? Des portraits d’anonymes
en dernier. Comme un point final.»
en grand format,
Taryn Simon
hommes et femmes
aux visages abîmés
compagne pas le visuel qui, lui, n’illus- et aux yeux tristes qui posent dans des
tre jamais le texte. C’est dans cet entre- espaces lambda, «The Innocents». Ces
deux, entre mots et photographies, que quidams ont été victimes d’erreurs jus’impose la réflexion de Simon. Son diciaires, et condamnés à de lourdes
corpus, exposé ici dans cinq salles, se peines avant d’être innocentés. Simon
tient à l’équilibre, sans garde-fou appa- les a immortalisés sur les lieux d’un
rent. Mais ça a l’air très stable. En écho crime (violent), dont ils n’étaient pas
La photographe américaine Taryn Simon, à Paris, le 3 mars. PHOTO YANN RABANIER
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LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
CULTURE GRAND FORMAT
TARYN SIMON,
POUR CAUSE D’INVENTAIRE
coupables. Ailleurs, avec la série «Contraband», les murs se couvrent de cadres blancs où apparaissent des objets
saisis par le service fédéral des douanes
et de la protection des frontières des
Etats-Unis, à l’aéroport JFK de
New York. Il y a des cadavres d’animaux, des armes, des poupées russes,
une multitude d’objets de contrefaçon,
des escargots, des médicaments, des
sculptures en bois, des cigarettes, et des
tas de trucs plus ou moins bizarres, parfois à l’aspect dégoûtant… En tout, cette
série, qui n’aurait pas déplu à certains
surréalistes toqués des inventaires,
comprend 1 075 photographies, réalisées en quatre jours, in situ.
Couche de givre
A chaque fois, quelle que soit l’œuvre,
ainsi de «Birds of the West Indies» (2),
c’est comme si Taryn Simon déposait
une couche de givre sur des objets vivants, dramatiques ou anodins. Elle met
en scène des ensembles, comme s’ils se
conjuguaient
naturellement.
«Obsessionnelle» confessée, elle ne peut
s’empêcher d’inventorier ce pour quoi
elle a manifesté son intérêt, dans l’idée,
consciente, d’épuiser sa quête impossible. «Je m’attache au rêve, à cette illusion
folle de créer quelque chose qui serait
ordonné et qui ferait autorité. Comme un
cabaret de
curiosités #14
14
b all aliens !
11 > 13
MARS 2015
HALORY GOERGER
ARTISTE ASSOCIÉ CRÉATION
CORPS DIPLOMATIQUE
LES PETITES
CELLULES CHAUDES
CRÉATION & TOURNÉE FRANÇAISES
HIPPOLYTE HENTGEN & JOHN JOHN
JOANA HADJITHOMAS & KHALIL JOREIGE
MEHDI-GEORGES LAHLOU
KITSOU DUBOIS
KAPWANI KIWANGA
SARAH BERTHIAUME
FRÉDÉRIC FERRER
AMÉLIE POIRIER
VIVIANA MOIN
SAMUEL BUCKMAN
SELENIAN
SEBASTIAN DICENAIRE
www.lephenix.fr
© Hippolyte Hentgen
iSHOW
livre.» Taryn Simon, profil d’écrivain et
chevelure très Virginia Woolf, est une
vraie Américaine, urbaine et champêtre, comme l’attestent sa robe bohemian
chic et ses belles manières. Comment
travaille-t-elle, concrètement? Elle dévore les journaux «de manière compulsive», parcourt Internet, lit énormément : «Je commence tout projet par
l’écrit, avec un texte qui met en route un
travail d’archives, de recherches. C’est un
long processus. Ce point de départ est toujours assez académique, proche d’un travail universitaire, qui partirait dans toutes
les directions: la science, l’esthétique, les
mathématiques, l’analyse du langage, etc.
Et la photographie vient toujours en dernier. Comme un point final.»
Ses séries sont donc le fruit d’un long
processus invisible de négociations, de
demandes d’accès et de reproduction,
d’analyses d’experts. Comme «An
American Index of the Hidden and Unfamiliar» (2007), une plongée dans les
abîmes des Etats-Unis. Soit le bassin de
refroidissement de la centrale nucléaire
de Hanford (Etat de Washington) ; une
couverture de Playboy en braille ; un
couloir du siège de la CIA tapissé
d’œuvres d’art à tendance exotique; et
même un coin de l’Institut de cryogénie, où attendent 74 patients humains
et 44 animaux domestiques déclarés
morts, et tous complètement surgelés.
Taryn Simon a demandé l’accès à ces
lieux inaccessibles, qu’elle a obtenu
après d’interminables tractations – la
seule forteresse qui a refusé d’ouvrir ses
coulisses est… Disney, l’entreprise la
plus célèbre au monde. «Ce qui m’intéresse, c’est autant de pénétrer dans la forteresse que de comprendre ses marges, ses
alentours, ses barrières.» Elle ne masque
pas les difficultés, mais ne s’en sert pas;
elle n’en profite pas car elle n’est pas
abonnée au pathos.
Paniques financières, extrait de la série «The Picture Collection» (2013). PHOTO TARYN SIMON
Infiltrations
C’est sans doute là l’aspect le plus contemporain de l’Américaine : elle s’immerge dans des institutions, s’y infiltre
«sans jamais voler d’images. Je suis très
claire dès le départ, je fixe les règles qui
sont ou non acceptées». Sous sa politesse
et sa délicatesse, Taryn Simon est redoutable d’efficacité. D’où sa réputation
d’exigence qui en fait une figure de
proue du monde de l’art, avec une aura
de star.
Elle vient régulièrement à Paris («une
ville qui me fait penser») et vit à
New York, où elle a grandi. Elle cite un
père et un grand-père amoureux de la
photographie, deux figures capitales qui
l’ont guidée vers le grain de l’image.
«J’ai toujours pris des photos. Par exemple, des feuilles d’arbres, en gros plan,
comme des herbiers, tendance Eliot Porter.
Depuis ma petite enfance, je veux avoir
une trace, une évidence, un marqueur.»
Après le lycée, elle part faire un cursus
d’environnemental studies à l’uni-
Le site nucléaire de Hanford (à gauche) et le siège de la CIA. Série «An American Index of
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
GRAND FORMAT CULTURE
versité Brown (Rhode Island), persuadée d’avoir un avenir lié à la nature.
En première année, tous les étudiants
rêvent d’être choisis, via un tirage au
sort, pour un cours de photographie,
donné dans une école à côté. Bingo,
elle est sélectionnée et devient accro :
«Je passais mon temps à faire des projets,
des séries, des idées de livres, avec déjà
la même approche qu’aujourd’hui, à penser l’ensemble avant d’appuyer sur le déclencheur.»
«Moteur de recherche»
the Hidden and Unfamiliar» (2007). PHOTOS TARYN SIMON
Taryn Simon n’a rien d’un avatar de
l’artiste romantique qui noie ses chagrins d’amour dans sa chambre noire.
Si elle fait ses classes, comme tant
d’autres, en étant assistante de photographes, «pour payer les factures et apprendre à manipuler les lumières», c’est
auprès de professionnels, pas forcément des vedettes, plutôt des artisans,
comme ce type qui fabriquait des catalogues de vêtements pour enfants. Elle
collabore aussi avec des journaux et
des magazines, et, grâce à une bourse
de la Fondation Guggenheim, elle se
lance avec sa première série, la fameuse «The Innocents», laquelle sera
aussi exposée aux Rencontres d’Arles
en 2010. Onze ans après, elle concrétise «The Picture Collection», l’une de
ses œuvres les plus fabuleuses, intelligemment accrochée au Jeu de paume.
Il est question d’un scénario imaginaire autour des archives de la Picture
Collection, la plus grande bibliothèque
iconographique au monde, fondée
en 1915, et riche de 1,29 million de tirages, cartes postales, affiches et images
découpées.
Sur les murs du musée parisien s’amoncellent les images, rangées par thème:
«police us» avec des dizaines de clichés
de flics américains, «swimming pools»
et des bassins chlorés et bleutés, «bâtiments et villes à l’abandon», «vues de
derrière» avec quelques visions de fesses –Taryn Simon n’est pas une comique, mais avec elle, de temps à autre, on
frise l’humour noir. «Cet ensemble me
fascine, j’y ai passé ma jeunesse. C’est
comme un écho de mon propre travail.
“The Picture Collection” est un moteur de
recherches qui préfigurait Internet.»
Même en allant chercher des cartons
jaunis du New York du début du siècle
passé, Taryn Simon ne fait qu’interroger le statut de l’image. Elle redécoupe,
refragmente et recompose ses propres
visions, sans oublier les sources multiples de la culture américaine hégémonique. Son travail est sous-tendu par
une forme d’angoisse vis-à-vis de
l’image : «Une photographie a plusieurs
réalités, et peut être utilisée de manière
tellement atroce. La malléabilité des photos, voilà ce qui est terrifiant. A l’image
des horreurs commises par l’Etat islamique, on a des photos qui reproduisent des
schémas de narration hollywoodiens, mais
•
qui ne nous donnent aucune appréhension
de la réalité. Qu’est-ce qu’une image peut
faire ? Je me pose cette question en permanence. Et c’est l’écrit, plus que
l’image, qui répond et nous sauve…»
En plus de la photographie et de ses
installations conceptuelles, Taryn Simon peint et dessine. Des «choses personnelles», qu’elle réalise chez elle, et
surtout qu’elle ne montrera «jamais».
Aveu d’une femme moins froide qu’il
n’y paraît. Mais surtout affirmation
d’une professionnelle qui sait, à tout
instant, exactement où elle en est. Et ce
qu’elle ne veut pas. •
(1) Egalement présenté à Cherbourg,
au Point du jour, jusqu’au 31 mai.
(2) A voir à la galerie Almine Rech
jusqu’au 14 mars. Rens.: 0145837190.
VUES ARRIÈRE, NÉBULEUSE
STELLAIRE ET LE BUREAU
DE LA PROPAGANDE
EXTÉRIEURE deTARYN SIMON
au Jeu de paume, 75008, jusqu’au 17 mai.
Rens.: www.jeudepaume.org
Le magnifique portrait
d’une jeunesse française
Libération
magnétique Télérama
Fulgurant les Inrockuptibles
UN FILM DE CELINE
SCIAMMA
S
Entrez dans la bande !
D I S P O N I B L E E N D VD E T B LU RAY
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LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
CULTURE
Le duo français
I Could Never Be
a Dancer a déjà
réalisé plusieurs
chorégraphies.
Ci­contre:
pour le film
d’ouverture de la
conférence TED,
à Doha, en 2012.
A droite,
de haut en bas:
pour la pub One
Million Man, de Paco
Rabanne; pour le
magazine Jalouse,
Laura Love habillée
par Dior; pour une
pub de cosmétiques
siglés Chanel.
PHOTOS DR
Par ÈVE BEAUVALLET
TENDANCE Après avoir été longtemps
D
tenus à l’écart, les chorégraphes sont
désormais sollicités par la mode, la
publicité et les clips. Des créations
originales qui répondent à l’engouement
du public pour la discipline.
u krump, du pole
dance, du voguing
ou du ballet dans la
vidéo virale l’Abécédaire de la danse, produite
par la marque Diesel. De la
danse griffée «auteur» dans
le spot de présentation de la
nouvelle collection Issey
Miyake (chorégraphié par
Carlotta Sagna). De la danse
«concept» chez Hermès, de
la danse toujours chez Chanel, H&M, Vuitton, Uniqlo,
Lacoste, et de la danse encore dans une poignée de
clips élégants récemment signés pour les groupes Jungle
ou Glass Animals… Longtemps rangé dans le tiroir de
l’élitisme poussiéreux ou du
kitsch tendance ringard,
l’art chorégraphique semble
s’être réinventé en produit
d’appel séduisant pour le
milieu du clip, de la mode et
des marques. Avec un léger
relooking de la forme adoptée par ses incursions mainstream : moins de vernis
commercial façon Kamel
Ouali, plus de tentatives underground, plus de diversité
aussi, avec du classique, du
hip-hop, mais aussi des
street dances encore marginales (la roller dance dans le
clip The Heat du groupe Jungle), et des embardées plus
inattendues tirant modestement vers le conceptuel.
«ÉLÉGANCE». Cette visibilité
est bienvenue mais elle était
loin d’être acquise : «Encore
récemment, le monde de la pub
et celui de la danse se regardaient très peu, rappelle Carine Charaire, du tandem I
Could Never Be a Dancer, qui
signe la chorégraphie de la
nouvelle campagne Air
France. Les marques avaient
La danse
prend ses
marques
une image très datée et stéréotypée de la danse. Et le postulat de base, pour les chorégraphes les plus intéressants, était
couflé et Polaroid ou Blanca
Li pour Perrier– mais la présence de la danse dans le
champ visuel populaire restait marginale.
Désormais, on re«Quand nous diffusons un
considère ces pofilm qui explore la danse,
sitions : «Dans
nous constatons que le trafic l’usage qu’en font
augmente, ainsi que la
les marques, la
danse
est
fidélité de notre public.»
aujourd’hui assiClaudia Donaldson du site Nowness
milée à de l’expériqu’il s’agissait forcément d’un mentation et à de la liberté,
produit amoindri.» Bien sûr, alors qu’elle était toujours utiil y eut quelques collabora- lisée comme un signe de traditions notables –entre autres, tion, d’élégance et d’acadéGeorge Balanchine avec Van misme, constate Rémi
Cleef & Arpels (le ballet est Babinet, fondateur et présihistoriquement vu comme dent de l’agence de publicité
plus vendeur), Philippe De- BETC. La pub suit un engoue-
ment populaire, plus profond,
plus général pour la danse. Je
ne sais pas d’où il vient, mais
il fait du bien.»
TRANSFUGES. On a quelques
pistes à lui soumettre. D’une
part, en l’espace de trois ans,
plusieurs événements ont
prouvé aux marques qu’une
danse exigeante pouvait rencontrer un succès populaire.
Citons ceux, en salles, des
docus la Danse, le ballet de
l’Opéra de Paris, de Frederick
Wiseman (2009) et les Rêves
dansants, d’Anne Linsel et
Rainer Hoffman (2010) sur le
travail de Pina Bausch. Mais
aussi de Pina, de Wim Wenders (2011), sur la même
chorégraphe, et de Black
Swan, de Darren Aronofsky (2010), qui starisa
Benjamin Millepied avant sa
prestation pour la pub d’Air
France l’Envol (2011), pensée
et réalisée par Angelin
Preljocaj. Une campagne au
carton planétaire qui reste
emblématique d’un dialogue
réussi entre danse et pub :
«D’un seul coup, la danse
n’était plus envisagée comme
fioriture mais comme contenu
et discours à part entière,
vante Rémi Babinet, directeur artistique de l’opération. Il s’agissait d’un moment de poésie, détaché des
codes traditionnels de la pub,
qui portait les valeurs de la
compagnie mais sur un mode
abstrait.»
Autre facteur du décloisonnement: l’énergie d’un petit
nombre de chorégraphes,
curieux de faire le trait
d’union entre démarche artistique de qualité et
royaume mainstream. Sur ce
terrain quasi désert, I Could
Never Be a Dancer apparaît
en figure incontournable. Ce
tandem chorégraphique au
nom canular, formé en 2000
par les chorégraphes Carine
Charaire et Olivier Casamayou, occupe même une
place à part sur le marché international: si certains chorégraphes collaborent occasionnellement avec des
marques (il s’agit souvent
d’un coup unique), ces
transfuges de la danse institutionnelle (ils ont été interprètes chez Marco Berrettini
ou Jérôme Bel) en ont fait le
cœur de leur activité. Ainsi,
ils importent des danseurs
d’horizons bariolés dans les
clips de MGMT, les défilés
d’Olympia Le-Tan ou les
campagnes de Chloé, Kenzo
ou Nina Ricci. Intro-
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
CULTURE
duire du concept dans
la pop culture (et inversement), créer des ponts imaginaires entre le magasin Colette et la cour d’honneur du
palais des Papes, entre
Beyoncé et Jérôme Bel… Il y
a encore quelques années,
assurent-ils, leur projet était
considéré comme une compromission quasi faustienne
par la doxa chorégraphique:
«Nous sommes aujourd’hui
contactés par des danseurs de
grandes compagnies, comme
celles d’Angelin Preljocaj, du
DV8 Physical Theatre ou de
William Forsythe, parce qu’ils
constatent qu’on peut faire de
la qualité. Il y a dix ans, c’était
inimaginable !»
VISIBILITÉ. Entre-temps, un
acteur de poids a aussi fait
son entrée en piste: Internet,
un royaume où fleurit de jour
en jour un patrimoine chorégraphique mondialement accessible, allant des vidéos de
concours de twerk aux films
d’Anne Teresa De Keersmaeker. Autant de «contenus» à
fort pouvoir de viralité, et les
directeurs artistiques ne s’y
sont pas trompés : quoi de
mieux, en effet, qu’un art
muet, donc sans frontières,
pour doper le storytelling
des marques? «Nous sommes
arrivés sur le marché au moment où les marques ont basculé vers le “brand content”
[un type de communication
qui désigne des contenus
créatifs ou éditoriaux produits par des marques afin de
valoriser leur image, ndlr].
Nous n’aurions pas pu expérimenter autant sans ce virage», commente Olivier
Casamayou de I Could Never
Be A Dancer. Le brand
content favorise en effet les
expériences web plus inventives –parce que moins coûteuses –, un des exemples
symptomatiques serait la
campagne web surdécalée Je
suis un cheval, d’Hermès. «Le
Web correspond bien à la
danse aussi, parce qu’elle
compte moins de stars grand
public, avance Rémi Babinet.
C’est un milieu où les stars
restent moins chères que celles
de la musique. Quand il y a
stars, d’ailleurs, puisqu’on
accepte davantage la nouveauté et l’anonymat dans la
danse que dans la musique.»
Ainsi, depuis quelques années, ces stars en question
ont trouvé, avec les nouvelles
plateformes numériques, un
espace de création particulièrement accueillant et une
garantie de visibilité accrue.
Les chaînes de vidéos mon-
tantes, consacrées à l’art,
aux tendances et à la culture
haut de gamme – comme
The Creators Project, créée
en 2009 par la marque Intel
et le magazine new-yorkais
Vice, ou Nowness, la plateforme créative de LVMH –
multiplient en effet les collaborations : partenariat avec
l’Opéra de Paris et le Royal
Ballet de Londres (pour
Nowness), production de vidéos buzzy comme le clip de
Hozier, Take Me to Church,
réalisé par David LaChapelle,
avec la star du ballet ukrainien, Sergei Polunin. «Notre
public s’intéresse énormément
à la danse, explique Claudia
Donaldson, rédactrice en
chef de Nowness. A chaque
fois que nous diffusons un film
qui explore d’une manière ou
d’une autre la culture de la
danse, que ce soit sous forme
de clip musical, de profil d’un
chorégraphe connu ou d’un
film de mode, nous constatons
que le trafic augmente, ainsi
que la fidélité de notre public.
Par exemple Haut Vol, un film
chorégraphié par Benjamin
Millepied, figure parmi les
trois vidéos les plus vues en
janvier.»
De quoi attiser la curiosité du
grand public et, qui sait,
contribuer au renouvellement des salles de spectacles? Pourquoi pas, mais apparaît une limite à cette
•
37
idylle, d’ordre esthétique :
«Même s’il existe des possibilités d’expérimentations, la
danse que l’on trouve sur ces
plateformes, tous styles confondus, reste très démonstrative, efficace – facile, quelque
part», constate Dimitri
Chamblas, danseur et producteur avec Same, sa société, à l’origine de plusieurs
films de danse, dont une série récente de courts métrages chorégraphiques, Mutant
Stage, réalisée pour la Fondation des Galeries Lafayette, mais également des
projets avec Benjamin Millepied, Lil Buck ou Boris Charmatz. «Entendons-nous : je
travaille avec ces vitrines, je
trouve vraiment réjouissant de
voir un tel déferlement de la
danse sur le Web, poursuit le
chorégraphe. Après, ça reste
souvent du divertissement, il
est évident qu’on ne verra
jamais un Jérôme Bel ou un
Boris Charmatz partir sur ce
genre de projet !»
De son côté, le duo de
I Could Never Be a Dancer
admet qu’il y a encore du
chemin à parcourir pour
faire passer une plus grande
prise de risque esthétique.
Après sa création pour Air
France, Angelin Preljocaj n’a
quant à lui pas reconduit
l’expérience avec d’autres
marques, faute de propositions convaincantes. •
38
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LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
CULTURE GUIDE
DANS LA POCHE
«Yvonne, Pétronille
et Antoinette
Le Bigre sont nées
dans cette maison
et mortes dans cette
maison. Nées dans
cette maison, cela
fait si longtemps
que l’on est bien
obligés de les croire sur parole.»
Eric Chevillard les Absences du capitaine Cook
(Minuit «double»).
«Tu sais que Jared
espère que tu te
débattras afin qu’il
puisse te terrasser,
genoux pointus
refermés,
triomphants, contre
ta cage thoracique,
longs doigts
t’enserrant le cou en manière
de plaisanterie.»
SCÈNE Mélanie Leray signe au Théâtre de la Ville une version très féministe
Joyce Carol Oates Premier Amour
(Philippe Rey «fugues»).
de la comédie de Shakespeare, avec Laetitia Dosch en superbe pimbêche.
Stephen Greenblatt Quattrocento
(«Libres Champs» Flammarion).
La Commune
centre dramatique
national
TARTUFFE
FE
OU MPOS-R
L’I T E U
de
Molière
DU 10 AU
29 MARS
2015
Aubervilliers
2 rue Édouard Poisson
93 300 Aubervilliers
+ 33 (0)1 48 33 16 16
lacommune-aubervilliers.fr
Mº Aubervilliers–Pantin
Quatre Chemins
«La Mégère apprivoisée»,
marrie et femme
ans la maisonnée du sieur Baptista à Padoue, deux filles bonnes
à marier attendent que l’on décide de leur sort : Bianca, aussi voluptueuse que sotte (Clara Ponsot, vue
dans Bye Bye Blondie de Virginie Despentes), et son aînée, la fière Catherine
(Laetitia Dosch, égérie échevelée de la
Bataille de Solférino de Justine Triet), à
qui l’idée ne sied guère. Le bal des prétendants appâtés par le gain fera l’objet
de cette comédie rare à la scène, l’une
des premières écrites par Shakespeare,
en 1594.
C’est un portrait d’insurgée et un état
des lieux sinistre de la condition féminine que signe au Théâtre de la Ville
Mélanie Leray, ancienne du Théâtre national de Bretagne. Un parti pris porté
sur scène par l’entremise d’un dispositif vidéo qui retransmet sur grand écran
un contrechamp au texte souvent crassement misogyne. Difficile de ne pas
D
LES CHOIX EXPOS
«Le parchemin le
plus fin était le vélin,
nommé ainsi parce
que fabriqué à partir
de peau de veau.
Le meilleur, le vélin
utérin, provenait
de la peau du veau
mort-né.»
mis en scène
par Benoît Lambert
Laetitia Dosch en Catherine, mégère qui ne se laisse pas apprivoiser. PHOTO CHRISTIAN BERTHELOT
grincer des dents lorsque Petruchio,
promis à Catherine déclare à son sujet:
«Elle est mon bien, ma possession.»
La brochette de gentilshommes qui
plastronnent au plateau trouve écho
dans un décor de casino clinquant dont
la vulgarité rappelle la scénographie,
décriée, conçue par Dan Jemmett pour
son Hamlet en 2013, à la ComédieFrançaise.
L’intelligence de la distribution tient
tout entière dans le rôle-titre attribué
à la gouailleuse Laetitia Dosch qui fait
de sa «Cath», «diable en jupons», une
superbe pimbêche. «Il s’agit de montrer
qu’en réalité, la Mégère apprivoisée n’est
pas une pièce comique», commente la
comédienne, mais, au contraire, un
texte, traduit dans sa nouvelle version
par Delphine Lemonnier-Texier, qui ferait entendre «une réflexion de Shakespeare sur la misogynie». Annoncé par
la salle parisienne comme une transpo-
David Bowie Is
Philharmonie de Paris, 221, avenue Jean­Jaurès,
Paris XIXe. Jusqu’au 31 mai.
Rens.: www.philharmoniedeparis.fr
Après avoir cartonné à Londres, la grande expo
sur le dieu blond aux yeux bicolores se transporte
à la Philharmonie de Paris avec parcours sonores
sur les traces du créateur de Heroes et Ashes to
Ashes. Il faut penser à réserver parce que la jauge
est contingentée vu que ça se visite sous casque.
sition à l’époque du MLF, le propos est
en tout cas raccord avec la Journée internationale de la femme, dimanche.
Mélanie Leray s’est sans doute heurtée
à la difficulté à monter ce spectacle
contre son texte, pour mieux légitimer
la colère de Catherine. Si cette lecture
parfois forcée, qui pâtit de maladresses
au plateau, n’est pas toujours à la hauteur de l’intention, il nous reste en mémoire cette sentence délicieuse, glissée
entre deux intermèdes chantés par
Ludmilla Dabo: «Si j’étais un homme, je
leur mangerais le cœur sur la place du
marché.»
CLÉMENTINE GALLOT
LA MÉGÈRE APPRIVOISÉE
de WILLIAM SHAKESPEARE
M.s. Mélanie Leray, avec Laetitia Dosch,
Clara Ponsot, au Théâtre de la Ville, Paris Ier,
jusqu’au 20 mars.
Rens.: www.theatredelaville­paris.com
Etel Adnan
Galerie Lelong, 13, rue de Téhéran, Paris VIIIe.
Jusqu’au 28 mars. Tél.: 0145631319.
Pour la première fois, les œuvres de l’écrivain et peintre
libanaise Etel Adnan, née en 1925, sont exposées à
Paris. Des petits tableaux, telles des pages de livres,
mais aux horizons très vastes et aux couleurs acidulées,
inspirés notamment par la Californie où elle a vécu.
«Une respiration. Le grand large», affirme Jean Frémon,
cofondateur de la galerie Lelong, dans le catalogue.
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
Chevelu
Comme la plupart
des jeunes gens
respectables qui
portent encore
le poil long
en France,
Emile Sornin, qui
se fait appeler
Forever Pavot
lorsqu’il n’œuvre
pas comme
clippeur, aime les
Zombies et la
musique utilitaire
seventies,
Morricone et les
psychédélismes
exotiques, Jean­
Claude Vannier
et les chœurs
d’onomatopées
en voix de tête.
Tout cela s’entend
et s’imbrique
à merveille sur
son beau premier
album tissé de
délicates toccatas
pop, paru fin 2014,
mais dont la sortie
sera enfin dûment
fêtée ce mercredi
11 mars, au Point
Ephémère,
à Paris. J.G.
Nocturnes
C’est à Los
Angeles que le
rocker français
H­Burns (alias
Renaud Brustlein)
a enregistré son
cinquième disque,
Night Moves.
Chez le chanteur
drômois aux
influences
americana
(Elliott Smith,
Will Oldham), cela
donne une
Californie en
noir et blanc et
des palmiers
balayés par le
vent, à l’image de
la très belle
photographie sur
la pochette. Du
refrain obsédant
de Wolves, à
l’entame délicate
et martelée de
In the Wee Hours,
ce disque élégant
diffuse une
atmosphère
idéalement
brumeuse et
mélancolique.
Forever Pavot
Rhapsode
(Born Bad)
H­Burns.
Night Moves
(Vietnam/Because)
Johanna Luyssen
Balancé
Fondé à Paris
en 2007, le power
trio franco­
américain, The
Kandinsky Effect
composé du
saxophoniste
Warren Walker,
du bassiste Gaël
Petrina et du
batteur Caleb
Dolister, continue
d’emmener le jazz
sur des chemins
urbains, balisés
par l’electronica,
le rock et des sons
expérimentaux.
Avec les qualités
d’équilibre entre
electro et
acoustique des
deux précédents
albums,
Somnambulist
avance en toute
cohésion sur son
fil entre métriques
musclées et
fluides
chromatiques.
Tournée en France
en avril. D.Q.
The Kandinsky
Effect
Somnambulist
(Cuneiform/
Orkhêstra)
Road trip
Parmi les dizaines
de mixtapes
–gratuites– qui
paraissent chaque
semaine aux
Etats­Unis, sort
régulièrement
une des plus
belles pièces rap
du moment. Avec
son deuxième
volume de Black
Hystori
Project–déjà
écouté plus
de 100000 fois
en deux
semaines–,
Cyhi The Prynce
confirme
la tendance.
Alternant
les morceaux
aux basses
survitaminées
(Master P et
Weak People),
et plus aériens
(Forever, One
Woman Man,
What We Have…),
le rappeur
de Géorgie livre
ici onze pistes
sans accroc. D.Do.
Spring breaker
Le premier album
de Louis Rogé
dit Brodinski,
membre de la
scène electro
française versant
grosse dance,
roule d’énormes
patins au rap
américain.
L’action se situe
entre le drill
de Chicago,
le trap d’Atlanta
et le chopped
and screwed
de Houston.
Brodinski, 28 ans,
est capable de
vous faire sortir
les yeux de
leur orbite
–dans le bon et
le mauvais sens–
en un seul et
même morceau.
Disque de spring
breakers, Brava
part dans toutes
les directions,
mais qui écoute
encore un album
du début à la
fin par les temps
qui courent?
Cyhi The Prynce
Black Hystori
Project 2: N.A.A.C.P
M.Ott.
L’autre Van Dam
«Quand je ne
comprends pas un
rôle, je ne le joue
pas», dit José
Van Dam dans une
interview de ce
coffret Autograph
qui sort pour les
75 ans du baryton­
basse. Cette
anthologie de
10 CD découpe la
carrière du maître
en trois parties:
les thèmes
(Don Quichotte,
diables, rôles de
père), ses grandes
interprétations
d’airs d’opéra
et les mélodies
françaises (3 CD
où sa diction et sa
justesse illuminent
Saint­Saëns ou
Berlioz). Van Dam
avait compris
beaucoup de
choses, et le plaisir
est grand de
l’écouter se
raconter dans un
CD bonus et de
saisir d’une plage
l’autre l’étendue
de son talent. G.Ti.
Brodinski Brava
(Bromance Records)
José Van Dam
Autograph (Erato)
DOCUMENTAIRE Anne-Laure Chamboissier et Philippe Franck dressent
un portrait fouillé du pionnier de la poésie sonore, disparu en novembre.
Bernard Heidsieck,
un poète dans le feu de l’action
ernard Heidsieck, c’est la poésie qui se
réveille un matin et s’aperçoit qu’elle a
changé de dimension, c’est-à-dire de
médium. Avec des outils de fortune – un magnétophone, des ciseaux et des collants –,
ce pionnier, dès 1955, de la poésie sonore,
pléonasme auquel il préférera bientôt le terme de
«poésie action», bouleverse tout à la fois son
mode de transmission et la matière même de
son écriture.
C’est tout le mérite de ce documentaire, réalisé
par Anne-Laure Chamboissier et Philippe Franck,
de montrer comment – pour absorber autant de
voix, autant de présences, pour ouvrir à ce point
la poésie aux bruits du quotidien, aux biopsies
sociales d’une époque, à l’espace de la scène, aux
arts plastiques, au cinéma, à la musique
électronique – cette œuvre progresse avec une
infinie liberté, mais aussi une extrême rigueur.
B
POÉSIE ACTION:
VARIATIONS
SUR BERNARD
HEIDSIECK
de A.­L.
CHAMBOISSIER
et P. FRANCK
a.p.r.e.s éditions
et Cnap, 20€.
Ce à travers des archives des performances de
Heidsieck, des entretiens avec lui et d’autres
figures majeures de ce courant (de John Giorno
à Jean-Pierre Bobillot en passant par Anne-James
Chaton) qui viennent éclairer ses influences
– réflexions que prolonge un recueil de textes
critiques.
Que l’on ne cesse de s’étonner de la modernité de
ce poète disparu en novembre est le signe
indéniable de sa fécondité. D’autant que l’un de
ses plus notables héritiers, Olivier Cadiot
– présent aussi dans ce documentaire –, a
récemment fait part de son désir de prolonger ce
chemin en revenant au livre pour l’augmenter de
tout ce qui, pour exister, a dû lui échapper.
Et nous n’en sommes sans doute, disait Bernard
Heidsieck avec une modestie à peine feinte, qu’au
Moyen Age…
LOUISE DE CRISNAY
•
39
«CHAPPIE», CRISE
DE MAUX DROÏDES
Par GUILLAUME TION
Le passé c’est tellement mieux que le voyage
dans le temps devient la thématique en vogue
de ce début 2015. Après Bis et Projet Almanac,
ce cher Bob l’éponge (carrée) remet le couvert
dans son Héros sort de l’eau, revenant en
arrière de quelques scènes pour retrouver le
voleur de la recette du pâté de crabe dans un
amour de l’absurde qui fait plaisir à voir.
Chappie aussi est absurde, mais c’est plutôt
moche.
Et le troisième film du Sud-Africain Neill
Blomkamp contient également son voyage
dans le temps: du fétichisme armé façon Cameron, un thème louchant sur Robocop, des
méchants au grand cœur (les rappeurs de Die
Antwoord) fagotés comme dans Surf Nazis
Must Die, une Sigourney Weaver en froide
Working Girl… 1987, ça fait plaisir de te revoir
à l’écran ! Dans un Johannesburg livré aux
bandits, les robots flics font la loi. Leur inventeur parvient à humaniser l’un d’eux, qui devient un droïde armé avec l’intelligence d’un
bébé: Chappie. La question de son éducation
est cruciale.
Concrètement, nous voyons un robot faire du
coloriage, parler comme une caillera ou jouer
à la poupée. Rigolo deux minutes – même si
ce gag est étiré sur 60 fois cette longueur.
Sony, qui produit le film, place outrageusement ses PS4, coulant par là la contre-culture
zef vantée par Die Antwoord. Et le réalisateur
nous apprend que notre futur est technoïde:
l’injection de conscience dans la machine,
voilà l’avenir. Quant à la violence, même si
femelle, c’est mal. Avant Alien 5 – confirmé
et toujours avec Sigourney–, Neill Blomkamp
use d’une cyberparabole pour montrer qu’il
n’est pas très fan des humains, voire du
monde. Une fois de plus. •
«Chappie» de Neill Blomkamp, avec Sharlto
Copley, Dev Patel, Hugh Jackman… 2 heures.
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40
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Sur le Berlin Paris du mercredi
5. Il était 10h45 au décollage.
J'étais à la place 23C et vous
étiez juste derrière moi. Vous
lisiez un gros livre sur le
capitalisme dans la rangée 24
et moi je regardais les ailes au
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LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
A LA TELE SAMEDI
ECRANS&MEDIAS
DIMANCHE
•
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TF1
FRANCE 2
FRANCE 3
CANAL +
TF1
FRANCE 2
FRANCE 3
CANAL +
20h55. The voice.
La plus belle voix.
Divertissement
présenté par Nikos
Aliagas, Karine Ferri.
23h20. The voice.
La suite.
Divertissement.
0h25. Dr House.
House-sitter,
La petite dernière,
En quarantaine.
Série.
3h00. 50 mn inside.
Magazine.
20h50. Le plus grand
cabaret du monde.
Divertissement
présenté par
Patrick Sébastien.
23h05. On n’est pas
couché.
Magazine présenté par
Laurent Ruquier.
Avec José Bové,
Francoise Hardy, Fanny
Cottençon & Jean-Luc
Moreau,Louane, Jean
Teule
0h45. Histoire courtes
20h50. Meurtres
à l’Ile d’Yeu.
Téléfilm de François
Guérin.
Avec Anne Richard,
Bernard Yerlès.
22h25. Météo.
22h30. Soir 3.
22h55. Berthe Morisot.
Téléfilm de Caroline
Champetier.
Avec Marine Delterme,
Alice Butaud.
0h30. Les carnets
de Julie.
20h55. 300 : la
naissance d’un empire.
Film d’aventures
américain de Noam
Murro, 102mn, 2014.
Avec Sullivan
Stapleton, Eva Green.
22h30. Jour de rugby.
Magazine présenté par
Isabelle Ithurburu.
23h10. Jour de foot.
Magazine.
0h05. Le journal
du hard.
Magazine.
20h55. Un bonheur
n’arrive jamais seul.
Comédie française
de James Huth, 110mn,
2011.
Avec Gad Elmaleh,
Sophie Marceau.
23h05. Esprits
criminels.
Série américaine :
Amnésie,
En cercle fermé,
Le caméléon,
Femmes en danger.
Avec Shemar Moore.
20h50. Potiche.
Comédie française de
François Ozon, 100mn,
2009.
Avec Catherine
Deneuve,
Fabrice Luchini.
22h30. Faites entrer
l’accusé.
L’inconnu du puits.
Magazine.
0h10. Histoires courtes :
six courts autour des
violences faites aux
femmes.
20h50. Les enquêtes
de Morse.
Téléfilm britannique :
À l’infini
Avec Shaun Evans,
Roger Allam.
22h20. Les enquêtes
de Morse.
Le fantôme de l’opéra.
Téléfilm.
23h50. Météo.
23h55. Soir 3.
0h20. Larmes d’amour.
Film.
1h55. Don Giovanni.
21h00. Football :
Montpellier / Lyon.
28e journée de Ligue 1.
Sport.
22h55. Canal football
club - le débrief.
Sport.
23h15. L’équipe
du dimanche.
Magazine présenté par
Messaoud Benterki.
0h05. Le journal des
jeux vidéo.
Magazine.
0h35. Dark touch.
ARTE
M6
FRANCE 4
FRANCE 5
ARTE
M6
FRANCE 4
FRANCE 5
20h50. Léonard
de Vinci.
Dans la tête d’un génie.
Documentaire.
22h20.
Riot Grrrl.
Quand les filles ont pris
le pouvoir.
Documentaire.
23h15. Tracks.
Magazine.
23h55. Borgen.
3 épisodes.
Série.
3h55. 360°-Géo.
20h55. NCIS :
Los Angeles.
Série américaine :
Tapis,
Piège de cristal,
Big Brother,
Callen, G,
Avis de recherche.
Avec Chris O'Donnell,
Daniela Ruah.
1h10. Sons of anarchy.
Le mal par le mal.
Série.
2h00. Météo.
2h10. M6 Music.
20h50. Fort Boyard.
Jeu présenté par
Olivier Minne.
22h30. Dinotasia.
Documentaire.
23h55. Monte le son,
le mag.
Magazine.
0h20. Monte le son,
les sessions.
Spectacle.
0h30. Monte le son,
le live
Les Inrocks 2014 - Ibeyi.
Spectacle.
20h35. Échappées
belles.
Namibie : la route de
l’eau qui fume...
Documentaire.
22h10. Planète insolite.
L’Allemagne.
Documentaire.
23h00. À vous de voir.
Documentaire.
23h30. Omo circus.
Documentaire.
0h20. Les momies
perdues de Papouasie.
Documentaire.
20h50. Les femmes
du bus 678.
Drame égyptien de
Mohamed Diab, 100mn,
2010.
Avec Nelly Karim,
Bassem Samra.
22h30. Rwanda, la vie
après - Paroles de
mères.
Documentaire.
23h45. Femmes
afghanes, la prison
à visage découvert.
Documentaire.
20h55. Capital.
Immobilier : acheter,
renégocier son prêt,
est-ce le bon moment ?
Magazine présenté par
François-Xavier
Ménage.
23h00. Enquête
exclusive.
Val Thorens : un hiver
d’enfer au paradis de la
glisse.
Magazine.
0h25. Enquête
exclusive.
20h50. Le seigneur
des anneaux :
le retour du roi.
Film fantastique
américain de Peter
Jackson, 195mn, 2003.
Avec Elijah Wood,
Orlando Bloom.
23h55. À la poursuite
de la lance sacrée.
Téléfilm de Florian
Baxmeyer.
Avec Kai Wiesinger.
1h50. Cold case :
Affaires classées.
20h40. Jus, yaourts,
biscuits, où sont
passés les fruits ?
Documentaire.
21h30. Pizza
industrielle : cherchez
les ingrédients !
Documentaire.
22h20. Sorella, une
enfant dans la Shoah.
Documentaire.
23h20. La grande
librairie.
0h20. Planète
des hommes.
PARIS 1ERE
TMC
W9
GULLI
PARIS 1ERE
TMC
W9
GULLI
20h45. Holiday on Ice
2015.
Spectacle présenté par
Corinne Tong-Chai,
150mn.
23h15. Holiday on Ice.
Spectacle présenté par
Corinne Tong-Chai,
95mn.
0h50. Paris dernière.
Magazine présenté par
François Simon.
1h50.
Programmes
de nuit.
20h50. Les experts :
Manhattan.
Série américaine :
Cadeau empoisonné,
La danse du poisson,
Le flic de Miami,
Le repas des fauves.
Avec Gary Sinise.
0h10. 90’ Enquêtes.
Dans le secret des
opérations commando
de la gendarmerie.
Magazine.
2h45. Programmes
de nuit.
20h50. Les Simpson.
Échange de mots
croisés,
Burns est piqué,
Lisa, la reine du drame,
La plus belle du
quartier,
Le malheur est dans le
prêt.
Jeunesse.
22h50. Les Simpson.
4 épisodes.
Jeunesse.
0h45. Programmes
de nuit.
20h45. Barbie et la
magie des perles.
Téléfilm d’animation
d’Ezekiel Norton
22h00. Barbie et le
palais de diamant.
Téléfilm d’animation,
80mn.
23h20. Total wipe out
made in USA
2 épisodes.
Divertissement.
1h00. Corneil et Bernie
2 épisodes.
Jeunesse.
20h40. 39-45 :
le monde en guerre.
Une nouvelle
Allemagne : 1933-1939,
Sur fond de guerre :
Septembre 1939 Mai 1940,
La chute de la france :
Mai - Juin 1940.
Documentaire.
23h35. Détective
très privé.
Téléfilm.
1h00. Zemmour et
Naulleau.
20h50. New York
section criminelle.
Série américaine :
Tout pour elle,
Un tueur assassiné,
Prédictions à vendre.
Avec Vincent
D'Onofrio,
Kathryn Erbe.
23h25. Le bêtisier.
Le grand bêtisier de
l’hiver.
Divertissement.
1h15. Programmes
de nuit.
20h50. FBI :
duo très spécial.
Série américaine :
La preuve par le sang,
De père en fils,
L’énigme et la clé.
Avec Matthew Bomer.
23h05. FBI :
duo très spécial.
Arnaque à tiroirs,
Nos ancêtres les
espions.
Série.
1h00. Programmes
de nuit.
20h45. Laurel and
Hardy talkie shorts.
Drôles de locataires,
Les rois de la gaffe,
Aidons-nous !,
Les bricoleurs,
Le bateau hanté,
Les deux policiers.
Série.
23h10. Les Parent.
Métro boulot sandwich,
Conseil de famille,
Ados mobile,
Bonne conduite.
Série.
NRJ12
D8
NT1
D17
NRJ12
D8
NT1
D17
20h50. Crimes hors
série - Spécial
millionnaires.
Documentaire
présenté par
Jean-Marc Morandini.
22h45. Crimes Hors
série - Spéciale police
scientifique.
Documentaire
présenté par
Jean-Marc Morandini.
0h45. La maison
du bluff 5.
20h50. Père et maire.
Téléfilm français :
Les liens du cœur.
Avec Christian Rauth,
Daniel Rialet.
22h40.
Père et maire.
Téléfilm français :
Amélie.
Avec Christian Rauth,
Daniel Rialet.
0h20.
Programmes
de nuit.
20h50. Chroniques
criminelles.
Affaire Francis
Heaulme : sur les routes
du crime / La disparue
du lac.
Magazine présenté par
Magali Lunel.
22h40. Chroniques
criminelles.
2 épisodes.
Magazine.
3h30. Programmes
de nuit.
20h50.
Adam recherche Eve.
Télé-réalité
présenté par
Caroline Ithurbide.
21h50.
Projet fashion.
Télé-réalité présenté
par Hapsatou Sy,
120mn.
23h50.
Programmes
de nuit.
20h50. SOS ma famille
a besoin d’aide Best of.
Magazine.
22h10. SOS ma famille
a besoin d’aide.
SOS de Boris, Natasha
et Philippe.
Magazine.
23h45. SOS ma famille
a besoin d’aide.
SOS de Laurence et
Nausicaa.
Magazine.
20h50. Du vent dans
mes mollets.
Comédie française de
Carine Tardieu, 89mn,
2012.
Avec Agnès Jaoui.
22h25. La neuvième
porte.
Thriller français de
Roman Polanski, 133mn,
1999.
Avec Johnny Depp.
0h45. Langue de bois
s’abstenir.
20h50. Green lantern.
Film fantastique
américain de Martin
Campbell, 114mn, 2011.
Avec Ryan Reynolds.
22h50. Confessions
intimes.
Magazine présenté par
Christophe Beaugrand.
0h40. Confessions
intimes.
Magazine.
2h50. Programmes
de nuit.
20h50.
Chicago Fire.
Série américaine :
Hommages,
L’honneur de l’homme,
Promotions.
Avec Jesse Spencer,
Taylor Kinney.
23h20.
L’appel du désir.
Téléfilm.
1h05.
Programmes
de nuit.
HD1
6 TER
CHÉRIE 25
NUMÉRO 23
HD1
6 TER
CHÉRIE 25
NUMÉRO 23
20h50. Section
de recherches.
Série française :
Baby-sitter,
Forêt noire,
Pour le meilleur et pour
le pire,
Chute libre.
Avec Xavier Deluc,
Virginie Caliari.
0h55. R.I.S. police
scientifique.
People.
Série.
20h50. Le convoi
de l’extrême : l’hiver
de tous les dangers.
Blizzard, vous avez dit
blizzard ?,
Ambiance glaciale.
Documentaire.
22h30. Storage wars :
enchères surprises.
Le grand jeu,
Les poupées russes.
Documentaire.
23h45. Storage wars :
enchères surprises.
20h50. City on fire.
Téléfilm de Rex Piano.
Avec Jamie Luner,
Barbara Niven.
22h25. Un président en
ligne de mire.
Téléfilm d’Armand
Mastroianni.
Avec Chad Hayes,
Carey Hayes.
0h00. Bus 152 en péril.
Téléfilm.
1h35. Programmes
de nuit.
20h45. Dossiers
surnaturels.
5 novembre 1990 :
la mystérieuse nuit
des OVNI.
Documentaire.
22h20. Phénomène
paranormal.
Visiteurs indésirables,
Les habitants cachés de
l’hôpital,
Cernés par les loups.
Série.
1h00. Face off.
20h50. Il était une fois
dans l’Ouest.
Western italoaméricain de Sergio
Leone, 175mn, 1969.
Avec Henry Fonda.
23h40. Looking
for Eric.
Comédie francobritannique de Ken
Loach, 119mn, 2008.
Avec Éric Cantona.
1h50. La femme
qui flottait.
20h50. La planète
des singes.
Film de science-fiction
américain de Tim
Burton, 120mn, 2001.
Avec Mark Wahlberg,
Tim Roth.
22h50. Dead or alive.
Grizzly affamé,
Puma sans merci,
Attention requin,
Épouvantable
hippopotame.
Documentaire.
20h50. Tootsie.
Comédie dramatique
américaine de Sydney
Pollack, 116mn, 1982.
Avec Dustin Hoffman,
Jessica Lange.
23h00. Le bal
des casse-pieds.
Comédie française de
Yves Robert, 95mn, 1991.
Avec Yves Robert, Jean
Rochefort.
0h40. Programmes
de nuit.
20h45. Mother and
child.
Drame américain de
Rodrigo Garcia, 125mn,
2008.
Avec Naomi Watts,
Annette Bening.
22h55. Hangar 1 :
les dossiers OVNI.
La technologie
extraterrestre,
Les menaces venues du
ciel.
Série.
•
NEXT GRAND FORMAT
NEXT
42
Jeanne Lanvin
(à g.) lors d’un
essayage avec
un mannequin,
vers 1940. PHOTO
PATRIMOINE LANVIN
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
GRAND FORMAT NEXT
•
43
Jeanne Lanvin
artisane du raffinement
Avec une centaine de modèles, le Palais Galliera, à Paris, rend hommage à la
créatrice qui habilla les élégantes parisiennes de début du XXe siècle jusqu’en 1946.
Une exposition magnifique et habitée.
Par CLÉMENT GHYS
Q
ue c’est beau !
Ça paraît idiot,
résumé comme
ça, mais c’est
l’effet que produit l’exposition «Jeanne
Lanvin» au Palais Galliera. On marche dans les galeries du musée de la Mode de la Ville de
Paris, et on fait des détours. On s’arrête
sur un détail, une broderie, un merveilleux manteau en lamé or aux manches arrondies, des robes-bijoux surchargées de broderies argentées, des
ensembles du soir en taffetas sombre et
couvert de paillettes dorées, on revient
ailleurs sur un manteau emprunté à un
cardinal. Déambuler dans l’exposition
«Jeanne Lanvin», c’est accepter de se
perdre, s’autoriser une flânerie qui ne
serait pas géographique ou citadine,
mais esthétique.
Pourquoi Jeanne Lanvin? Parce qu’elle
avait été un peu oubliée. Son nom de famille, certainement pas, la marque existant bien évidemment toujours, maison
Le logo Lanvin d’après une photo de
Madame Lanvin avec sa fille, dessiné
par Paul Iribe en 1923. PATRIMOINE LANVIN
indépendante propriété de la femme
d’affaires chinoise Shaw-Lan Wang.
Tous les six mois, les collections féminines dessinées par Alber Elbaz (l’homme
est créé par Lucas Ossendrijver) sont
parmi les moments importants des
fashion weeks. Mais Jeanne, elle, a été
un peu esquivée. Olivier Saillard, directeur du Palais Galliera: «Il y a Madeleine
Vionnet la virtuose, Madame Grès la technicienne, Elsa Schiaparelli l’artiste, Coco
Chanel la médiatique. Mais Jeanne Lanvin,
on ne sait plus trop où la ranger. Et c’est
ça qui fait sa beauté.»
cines de la mode actuelle, la promesse
d’un style («lifestyle», disent certains).
Jeanne Lanvin a dessiné des lignes
femme, homme, enfants, décorations,
sport avant tout le monde. Il y eut un
parfum, le fameux Arpège, avec son
flacon rond noir et or, marqué d’un
logo : une femme se penche vers une
enfant, toutes deux vêtues de noir. Il ne
s’agit pas ici d’une élucubration de l’illustrateur Paul Iribe qui le dessina
en 1923, ni même d’une fiction. Il s’inspire alors d’une photographie de Jeanne
Lanvin et de sa fille, prise en 1907 dans
un bal costumé.
Clientes richissimes
Deux tiers des robes-œuvres
exposées viennent du
fonds de Galliera, le
tiers restant des
archives de la
marque,
qui est
partenaire. Elbaz
est directeur
artistique de
l’exposition, Olivier Saillard s’est
chargé du
commissariat général et Sophie Grossiord de la direction scientifique. Elbaz
n’a pas voulu que ses propres robes
soient ici exposées, pour ne pas «vampiriser» le travail de Jeanne. Il n’est pas
question de miroir ou de dialogue entre
les époques, mais de pur hommage. La
centaine de modèles présentés sont tous
datés entre le début du XXe siècle
et 1946, année de la mort de la créatrice
née en 1867. Soit le demi-siècle au cours
duquel elle était aux manettes de sa
maison, qui eut jusqu’à 1000 employés,
d’innombrables ateliers, de coupes ou
de broderies.
Oui, c’est de la mode «ancienne», qui
a atteint son heure de gloire dans les
années 20 et 30, vêtu les clientes de la
couture, de richissimes Sud-Américaines à Yvonne Printemps, avec tout ce
qu’il y peut y avoir de suranné dans
quelques silhouettes (et encore, si peu).
Mais parler de Lanvin période Jeanne,
c’est découvrir qu’il y avait là les ra-
Histoire familiale
complexe
Alcmène, ensemble du soir en crêpe
de soie rose et broderies de cristaux Swarovski.
PHOTO KATERINA JEBB. COLL. PALAIS GALLIERA
La mode Lanvin est une névrose, indissociable de sa
relation avec l’adorée Marguerite,
qu’elle avait
eue avec son
époux Emile di
Pie t ro . Je a n ne
était une modiste,
qui couvrait les têtes
des élégantes parisiennes. Au début du
siècle, elle se met à dessiner des robes
pour enfants, mais surtout pour la
sienne, née en 1897. La haute société
adore ces tenues petites mais luxueuses,
ces ensembles pour gamines élégantes.
Et c’est ainsi que Jeanne se met à créer
pour les adultes, ouvre sa maison de
couture en 1909. Les collections seront
marquées par la présence de Marguerite,
esthétiquement mais aussi médiatiquement: la jeune femme est le portemanteau de la griffe, fait briller les tenues
maternelles dans le Paris de la haute.
Toute cette splendeur qui s’expose au
Palais Galliera est le versant positif
d’une histoire familiale hautement
complexe.
Marguerite, pianiste, deviendra comtesse de Polignac, changera de nom
pour se faire appeler «Marie-Blanche»,
et toute sa vie sera happée par l’extraordinaire amour de sa mère. Elle
aurait été droguée, et ne survivra à Jeanne que d’une dizaine
44
•
NEXT GRAND FORMAT
JEANNE LANVIN
ARTISANE DU
RAFFINEMENT
d’années. La créatrice de mode
était moins mondaine que
beaucoup d’autres, n’était pas
une «excentrique» au sens propre. Mais
il y a dans son parcours une forte ambiguïté, d’autant plus mystérieuse que les
écrits à son sujet sont rares. Légèrement, Olivier Saillard précise qu’au
«musée des Arts décos, on voit sa salle de
bains. Ses toilettes étaient recouvertes de
peau de panthère, ce qui dénote un caractère peu courant».
La conservatrice du musée détaille pour «Libération» comment ce modèle
de robe incarne l’essence de ce qui fait la maison Lanvin.
Les dessous
de la «Marjolaine»
Du vert absinthe, du doré
Parler de la mode d’hier, c’est évoquer
celle d’aujourd’hui. Il y a évidemment
ces silhouettes, comme la robe Marjolaine [lire ci-contre], dont on peut trouver des reliquats dans le costume
aujourd’hui. Mais ce que nous enseigne
cette exposition Lanvin (la première du
genre), c’est que l’élégance et la signature d’une créatrice peuvent ne pas se
fixer uniquement sur un objet précis,
une silhouette définie, une couleur.
Chez Jeanne Lanvin, il y a du noir, des
teintes de bleu, du vert absinthe, du
doré, des coupes longues, courtes, des
jupes sobres et des pulls aux motifs graphiques, des robes, avec ou sans manches, des franges ou des traînes, des
paillettes ou des ensembles unis.
Les inspirations sont multiples, mais se
cachent toutes derrière l’autorité du
travail. Jeanne Lanvin, ici ressuscitée,
est l’artisane du raffinement. Saillard :
«Tout le monde pense que la haute couture, “ça doit se voir”. Tout ce travail, ça
doit briller, être mis en avant. Eh bien non,
Lanvin nous montre que l’excellence s’atteint dans la précision, la discrétion.»
L’écueil des expositions de mode est de
paraître vides, inhabitées. Ici, il est
évité. Ces mannequins figés ne sont pas
vivants, mais pas morts non plus. Ils
sont engourdis. Et on ne peut que divaguer à ce que ces silhouettes s’animent
la nuit, quand les visiteurs ne sont plus
là, et qu’elles se baladent dans le musée, dans une incroyable fête mondaine,
à causer entre elles, comme les fantômes d’une élégance évanouie. •
JEANNE LANVIN Du 8 mars au 23 août,
Palais Galliera, musée de la Mode,
10, avenue Pierre­1er­de­Serbie, Paris XVIe.
Robe Colombine,
taffetas de soie,
velours et perles,
1924­1925.
PHOTO KATERINA
JEBBCOLL. PALAIS
GALLIERA
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
es papillons de taffetas de soie épinglés sur un miroir, se reflétant dans
un autre. «On a des gants ?» demande Sophie Grossiord, conservatrice au
palais Galliera et directrice scientifique de
l’exposition «Jeanne Lanvin» au musée de
la Mode. Pas question de toucher à main
nue ces princesses endormies, quasi
séculaires. On parle là d’œuvres d’art de
mademoiselle Lanvin, en l’occurrence du
petit groupe des robes de style aux noms
chantants: la Colombine, splendeur maîtrisée d’équilibre et de couleur, la Raquel Meller, du nom de l’actrice, noire, sobre, presque en colère, et la Marjolaine, celle qui va
être étudiée à la loupe avec la spécialiste,
pour en extraire la substantifique moelle,
la Lanvinerie divine, l’essence même de ce
qui fait la maison.
«Costaudes». Etonnement du visiteur
d’abord, qui a bêtement dans la rétine ces
formes ultragéométriques de manteaux
en taffetas noir, de soieries à franges,
de silhouettes graciles et de tissus
près du corps : la robe de style, choisie
par la commissaire pour dévoiler un pan de
D
deux appellations, comme “la vérité” et “le
mensonge”, qui ne diffèrent que par un détail
de broderie», analyse Sophie Grossiord.
Marjolaine, à l’été 1921, est une frêle silRobe Marjolaine,
houette, un 36 sans doute : «C’est là une
taffetas de soie
robe de jeune fille. N’oubliez pas que les femchangeant bronze,
mes de cette époque étaient plutôt costaudes,
reps jaune, dentelle
un bon 42 et plus, comme en témoignent les
mécanique argentée,
photos : la silhouette gracile des années 20,
été 1921. PHOTO PHOTO
c’est un dessin. Elles étaient rondes et corseKATERINA JEBB COLL.
tées dix ans avant, comment voulez vous
PALAIS GALLIERA
changer de silhouette à ce point ?» sourit la
commissaire.
Jupe en corolle, taille resserrée, pas de corset évidemment mais des bandes Velpeau
qui maintiennent (et compriment) la poitrine, des petites agrafes qui ferment le côté
et des raffinements qui signent ce qui porte
là, parfaitement, le nom de haute couture:
«Regardez ces détails de découpe en dents sur
le col, ce travail de précision, qui signe la maison Lanvin. On appelle ça des cocottes, ces
petites dentelures savamment repliées à l’encolure, aux emmanchures, et au bas de la
robe», s’enthousiasme la commissaire.
C’est la patte de la créatrice. Il faut ajouter
la cocarde, présente également sur la
Marjolaine, un petit miracle de couture,
surpiqûres invisibles, superpositions de
taffetas replié et de dentelle métallique, seul «décor» de la robe, porté à
la taille: «Le décor se concentre toujours
sur certaines zones, buste, taille ou jupe, explique Sophie Grossiord. On est dans la sobriété. On retrouve là l’influence du Japon, un
décor circulaire, qui est un leitmotiv chez Lanvin. Le nœud, aussi, qui symbolise la relation
à sa fille, ou les rubans en croisé, comme un
cache-cœur.»
l’art de la maison, est un modèle en taffetas «Virtuosité». La retenue prévaut aussi côté
bronze et reps jaune à jupe bouffante, LA chromie: ici un bronze faussement timide,
jupe Lanvin, de tradition historisante, réfé- dont on devine les irisés à chaque frou-frou
rence au XVIIIe siècle et au Second Empire, de la belle. La Marjolaine date d’avant les
avec panier et crinoline –ici appelés «cer- ateliers couleurs de la grande Jeanne,
clettes»–, en crin, d’une envergure de plus ouverts en 1923 à Nanterre: «On ne sait pas
de trois mètres. «On dit robes de style comme d’où provient le taffetas, mais en tout cas, on
on dirait meubles de style, en référence au voit dans le catalogue que la robe était aussi
passé, elles ont pour nom la Du Barry, Ma- proposée dans un vert absinthe plus soutenu.
Les clientes pouvaient évidemment choisir la couleur, mais
«On retrouve l’influence du Japon
on n’a plus ses carnets
et le nœud aussi qui symbolise la relation hélas,
de commandes», soupire la
à sa fille.»
commissaire. Les autres robes présentées dans l’exposiSophie Grossiord conservatrice au palais Galliera
tion sont en voie de mise en
dame de Lamballe», explique l’historienne. place, qui dans son petit sarcophage miroir,
Mais revenons à cette Marjolaine, dont on qui sur un mannequin. Mais une chose est
ne sait pas à qui elle a appartenu, ni pour- sûre, cette Marjolaine raconte à elle seule ce
quoi «Jeanne Lanvin l’a appelée comme ça. qui fait la grandeur de la maison du 22, rue
Il y a plusieurs centaines de pièces par collec- du Faubourg-Saint-Honoré. «La coupe, la
tion dans les catalogues, et chacune porte le virtuosité des surpiqûres, de la broderie, des
nom de quelqu’un de connu : Yvonne Prin- entrecroisements, la précision de la couleur»,
temps, Marguerite, évidemment, nommée résume Sophie Grossiord. Et toujours l’incomme sa fille bien-aimée, ou encore la croyable modernité des modèles.
Walkyrie-Brunehilde. Souvent, elles ont
EMMANUÈLE PEYRET
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
STYLES NEXT
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Venin et sorcelleries
PRÊT­À­PORTER FEMME
AUTOMNE­HIVER
Les défilés vus
par le photographe
Paul Rousteau.
DIOR ÉLÉGANCE REPTILIENNE
«Je voulais une collection qui traite de
nature et de féminité d’une façon
différente, loin du jardin et des fleurs»,
écrit Raf Simons dans la note du défilé
Dior. Depuis son arrivée dans la maison
de l’illustre Christian, le Belge a
compris que, pour vivifier l’esprit des
femmes végétales et des silhouettes
hors du temps, il fallait prendre le
contre-pied. Soit une allure vénéneuse
déclinée avec des énormes manteaux
de renard de couleurs pâles (lilas ou vert
d’eau), une large chemise rose couverte
d’une robe-harnais très SM, des
tailleurs-pantacourts en tweed sombre.
Les filles ne sont pas des fleurs mièvres
mais carnivores, envahissantes.
Partout, des jeux de brillance, sur
les bottes en vinyle, les robes ou tops
en sorte de résille plastifiée. Tout luit
magnifiquement mais est contré par des
vestes et manteaux masculins, sobres et
aux épaules tombantes. Ces filles, sous
leurs atours modernes et portables,
cachaient une seconde nature, hybride
et dangereuse. Les reptiliens, ces
créatures de légende urbaine, n’existent
pas ? Si, chez Dior. C.Gh.
Au défilé Dior.
Au défilé Rick Owens.
RICK OWENS BRUT GRANDIOSE
Le carton d’invitation, un rectangle
de velours marron bordé de longs poils,
se prêtait à l’hypothèse : fallait-il
s’attendre à des femmes à barbe ? Ou à
touffe sous les bras ? Ou à buisson
pubien apparent ? C’est que l’Américain
Rick Owens est un sacré pistolet, au
look d’Apache, aux groupies «dark»
comme cet Asiatique aux oreilles reliées
par une chaîne à vélo (on ne vous décrit
pas l’état des lobes…) qui accompagnait
un sosie de Marilyn Manson. Et puis,
Owens a fait défiler en janvier des
hommes dont on aperçut parfois les
quéquettes... Mais non, l’affaire s’est
avérée «sage». Les poils de l’invitation
se retrouvaient sur une robe-manteau
d’une vestale tribale. Elle avait un côté
Néandertal, quand d’autres étaient
glamour, façon Owens. Du grandiose
mais brut, certainement pas mignon
malgré les dorures : païen. Les étoffes,
somptueux cuirs et laines, s’enroulent,
se superposent, ceignent une silhouette
hiératique. Le maquillage-masque aux
échos de Fantôme de l’opéra ajoute au
sortilège. S. Cha.
45
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LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
NEXT FOOD
L’Ecole internationale de boulangerie à Saint­Martin, dans la vallée du Jabron.
A la ferme d’Etienne Mabille, qui produit 8 à 10 tonnes de petit épeautre bio par an.
BARBUE Relancée par des agriculteurs de Haute-Provence,
cette céréale à coque qui a failli disparaître fait le bonheur
des intolérants au gluten comme des gourmets, et se révèle
même être un bon matériau isolant.
ITALIE
Valence
DRÔME
Mévouillon
VAUCLUSE
Gap
Par MICHEL HENRY
Envoyé spécial à Mévouillon
et à Noyers­sur­Jabron
Photos ÉRIC FRANCESCHI
L
a grande histoire du petit
épeautre de Haute-Provence
doit beaucoup à un homme
barbu, comme la céréale
qu’il cultive après l’avoir tirée de
l’oubli. Etienne Mabille la récolte, la
bichonne, la décortique, puis utilise
sa bale (l’écorce) pour chauffer sa
ferme, avant d’en répandre les cendres dans ses champs comme engrais. Ajoutez qu’il a collé, sur les
murs d’une pièce de sa ferme, des
plaques d’isolation expérimentales
fabriquées avec ces bales pressées: à
ce stade, si ce n’est pas de l’amour,
c’est de la rage.
Il a une bonne bouille, ce Mabille,
mais est-il maboule? Non, il est juste
curieux. Avec sa mine de chien truf-
fier, ce qu’il aime, c’est chercher.
Mabille, 57 ans, exerce son flair à Mévouillon (Drôme), dans les Baronnies
provençales, un coin où pousse la lavande et où volent les parapentes, et
d’où la vue est aussi magnifique que
la lumière. Que demande le peuple?
Rien. Enfin si : que l’homme aux
yeux rieurs nous conte une histoire.
La voici.
Il était une fois le petit épeautre, «une
des plus anciennes céréales consom-
L’agriculteur Etienne Mabille, chez lui.
mées par l’homme, puisqu’on la connaissait il y a douze mille ans dans le
Croissant fertile» (Irak, Iran, Turquie…). Très résistant dans les climats
semi-arides, le Triticum monococcum
(soit «un grain par coque»), plante
rustique, se présente aujourd’hui encore «tel qu’il était il y a dix mille ans»,
pas croisé ni hybridé.
VÊTUE. Il n’a rien à voir avec le grand
épeautre (Triticum spelta), qui se rapproche plus d’un blé, ce que le petit
n’est pas, lui qui s’est justement fait
supplanter, après l’époque romaine,
par cette céréale plus panifiable et
aux rendements meilleurs. Graminée
dite vêtue, le petit épeautre doit aussi
subir un décorticage délicat, ce qui
le handicape par rapport au blé. Il a
subsisté néanmoins dans les zones de
montagne, dont le blé n’aime ni le
climat rude ni les terres pauvres.
C’est le cas de la Haute-Provence où,
Noyerssur-Jabron
Digne-les-Bains
ALPESDE-HAUTEPROVENCE
Petit épeautre,
le bon grain délivré
Avignon
HAUTESALPES
30 km
en 1986, Mabille s’installe sur les terres natales de sa femme, Irène. A ce
moment, les agriculteurs le cultivent
toujours, pour l’ajouter à leur soupe,
quelques moulins à meule de pierre
assurant encore l’indispensable décorticage. «Ça restait une tradition,
mais c’était confidentiel et ça a failli
disparaître.»
Mabille s’y est mis. «Au début, on
était quelques-uns à se redistribuer les
semences, on passait pour des hurluberlus.» Il produit d’abord 300 kilos
par an. Aujourd’hui, il atteint 8 à
10 tonnes, signe du succès pour ce
produit bio «assez fabuleux» en raison de ses qualités nutritionnelles,
«puisqu’il procure tous les acides aminés nécessaires à l’homme». Très riche
en fibres, donc digeste, avec deux
fois plus de lipides que le blé, le petit
épeautre a un gluten peu actif et peut
convenir à certains intolérants (mais
pas aux allergiques).
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
FOOD NEXT
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QUELLE MOUSSE L’A PIQUÉ ?
Par JACKY DURAND
La Belle Dalle
au bois dormant
l faut bien l’avouer : la
bière n’est pas le genre de
breuvage qu’on laisse
vieillir dans l’obscurité de
notre cave cagibi. Déjà que
les vendanges les plus précieuses y font rarement de
vieux os, il y a encore moins
de place pour les quilles houblonnées. Alors l’autre soir
qu’on hésitait entre un clos
Petra Rossa rouge (AOC
Calvi) et un savigny-lèsbeaune premier cru, on a
exhumé une Belle Dalle
brassée par Christophe
Noyon à la Brasserie des
2 Caps à Tardinghen
(Pas-de-Calais). Passé la
surprise, on a débarrassé notre trésor des
poussières du soussol parisien pour y
découvrir une date
aussi inattendue
qu’extravagante dans
notre humble connaissance de la bière:
été 2006. Soit presque neuf ans en arrière, autant dire un
siècle, pas mal de fûts
et quelques centaines
de canettes au pays de la binouze et de la bière pression.
Un pain 100% petit épeautre réalisé à l’école de Thomas Teffri­Chambelland près de Noyers­sur­Jabron.
En 1997, Mabille a monté un syndicat
avec 10 producteurs ; ils sont
aujourd’hui 62. «Les surfaces cultivées augmentent de 15% par an, mais
on n’arrive pas à suivre la demande.»
Avec des machines récupérées, il a
créé un atelier de décorticage qui
sort 150 tonnes par an. Son fils Denis
est de la partie. «On reste artisans et
cela demeure un produit de niche»,
dit-il, mais une filière s’est créée.
Cultivé à 400 mètres d’altitude minimum, uniquement avec des semences fermières, le petit épeautre de
Haute-Provence (PEHP) bénéficie
d’une IGP (indication géographique
protégée) qui s’étend sur quatre
départements (Drôme, Vaucluse,
Hautes-Alpes, Alpes-de-Haute-Pro-
Reste un souci: «On n’est pas loin de
jeter 50% du produit. Ça fait quelques
années que je me casse la tête.» Car
l’épeautre, c’est aussi de la bale.
Après avoir utilisé cette écorce pour
rembourrer coussins et matelas,
Mabille s’est branché avec l’Ecole des
mines d’Alès (Gard) pour imaginer
un isolant destiné au bâtiment : le
produit est «en phase finale de fabrication» (1).
C’est dans l’assiette que le petit
épeautre se défend le mieux, sous
forme de risotto, taboulé ou pâtes, en
flocons ou en farine. Il remplace le
riz et on fabrique même de la bière
avec, mais il a ses défauts : il coûte
environ 3 euros les 500 grammes, et
il lui faut 45 minutes de cuisson
– cela va plus vite
sous forme de boul«On a l’impression de croquer
gour (10 minutes).
quelque chose qui va éclater en
Et, à ce stade, on
bouche, avec un goût toasté, brioché, constatera ceci :
un peu torréfié. C’est un produit avec c’est panifié qu’il est
magnifié.
lequel on peut vraiment s’amuser.»
Pour s’en rendre
Jean­Christophe Rizet chef de La Truffière, à Paris
compte, quittant
Mabille à travers la
vence). Il s’en cultive aussi en vallée du Jabron, on gagne le hameau
Bretagne et dans le Sud-Ouest, mais, de Saint-Martin, au-dessus de
«de par l’effet du terroir et du climat, Noyers-sur-Jabron (Alpes-de-Hauon a une qualité que d’autres régions te-Provence). Thomas Teffri-Chamn’ont pas forcément», assure le belland (1), ancien prof de sciences et
producteur.
vie de la terre, a basé ici son Ecole internationale de boulangerie (2): une
PANIFIÉ. Néanmoins, pour la culti- sorte de chalet, à 800 m d’altitude,
ver, il faut s’accrocher. La céréale face à la montagne de Lure, où il
rince les terres qui la nourrissent : forme en trois mois et demi à la bou«Elle pousse sur des sols très pauvres langerie au levain et en bio des staqui, ensuite, sont encore plus pauvres.» giaires en reconversion professionIl ne faut en faire qu’un an sur trois, nelle (ne vous pressez pas, c’est
et Etienne Mabille cultive en rotation complet pour 2015).
des pois chiches et des lentilles sur Ici aussi pousse du petit épeautre, car
ses 50 hectares. Les rendements sont Teffri-Chambelland, 39 ans, en culfaibles – une tonne l’hectare –, pas tive sur ses 25 hectares morcelés: «Il
suffisants pour faire vivre son est hyperadapté aux terres ici, avec une
homme –et encore moins sa femme, super qualité. En plus, il est un peu
Irène, qui élève en complément barbu, donc pas trop mangé par les
60 brebis et sert aussi une tarte aux sangliers.» Après écrasement du
fruits du tonnerre.
grain au moulin Pichard, à Malijai
(Alpes-de-Haute-Provence), qui fait
autorité dans les farines bio, le boulanger prépare un pain «très aromatique, très goûteux», un peu jaune,
100% petit épeautre. «Il fait une pâte
souple, on la travaille le moins possible,
on n’y met presque pas les mains.»
Après cuisson en moule, «sinon elle
s’affaisse», le résultat est excellent :
«On n’a pas besoin de faire un grand
discours.»
«SENTINELLE DU GOÛT». A 700 km
de là, on retrouve le petit épeautre
sur de grandes tables parisiennes,
comme La Truffière (une étoile au
Michelin), qui propose un «cochon de
lait confit, chou de Pontoise, petit
épeautre crémeux, jus monté aux baies
de genièvre». Ou un risotto à la truffe
noire, car la céréale «se marie très
bien au côté terreux de la truffe», explique son chef, Jean-Christophe Rizet. Il l’a connue par l’association
Slow Food, qui a choisi le PEHP
comme «sentinelle du goût» pour la
sauvegarde de la biodiversité alimentaire. Rizet apprécie son petit grain:
«On a l’impression de croquer quelque
chose qui va éclater en bouche, avec un
goût toasté, brioché, un peu torréfié.
C’est un produit avec lequel on peut
vraiment s’amuser, et ça se travaille
très facilement.» Son conseil : faire
suer des oignons, de l’ail et de la sarriette, ajouter le petit épeautre, du
vin blanc, mouiller au bouillon de
volaille et cuire tout doucement.
Bonne tambouille. •
Recettes et points de vente
sur www.petitepeautre.com
(1) Chez Archibale, à Montguers (Drôme).
Rens.: www.archibale­isolation.com
(2) Thomas Teffri­Chambelland est
associé dans deux boulangeries:
la boulangerie Chambelland
(pains sans gluten), 14, rue Ternaux,
Paris XIe ; et la Fabrique à pain,
4, rue Pierre­de­Coubertin,
à Aix­en­Provence (13).
(3) http://ecoleinternationalede
boulangerie.fr
DR
I
Avec mille précautions, on a
remonté cette relique d’un
reportage sur la côte
d’Opale. Noyon nous avait
conté l’histoire de la ferme
de Belle Dalle, où il était né et
avait grandi avant de suivre
des études d’ingénieur agricole. Dans une autre vie, il
avait travaillé pour une firme
américaine, avant de faire un
troisième cycle de brasserie
à l’université de Louvain-laNeuve, en Belgique. La
2 Caps, sa première bière, est
née dans l’ancienne étable
de la ferme en 2003. Il nous
avait décrit aussi l’élaboration de cette Belle Dalle que
l’on est en train de lorgner et
qui est brassée avec l’orge
poussée sur les terres des
Noyon. Cultivée dans le cadre d’un assolement triennal, cette orge de printemps
qui pousse sur des limons
argilo-sableux et sous un
climat maritime permet
d’élaborer trois millésimes : le Jardin de Belle
Dalle, le Chemin de Wissant et le Bois de Belle
Dalle, entre nos mains.
Bière blonde (à
8 degrés), ni filtrée
ni pasteurisée, la
Belle Dalle est affinée en cuves par une
garde à basse température. Sa prise de
mousse est réalisée
en bouteille par une
seconde fermentation. On ouvre notre
trésor avec la minutie d’un démineur sur
un pschitt prometteur. La
robe est cuivrée, légèrement
trouble avec de fines bulles.
Au nez, on note des parfums
de fruits cuits. En bouche, la
bière révèle des arômes de
caramel et une note de réglisse s’installe dans la longueur. On prolonge ce régal
avec des lichettes d’un joli
fromage à pâte pressée cuite
des Hautes-Alpes déniché au
Salon de l’agriculture.
L’oubli a du bon. •
Ferme de la Belle Dalle,
à Tardinghen (62). Rens.:
0321105653 et www.2caps.fr
COUP DE CŒUR
LES PETITES TOUCHES ATOUTS
Il suffit d’un rien pour rendre les
mariés plus beaux dans l’assiette:
du cumin sur les carottes, un anchois
sur le steak, un voile de vergeoise sur
la tarte aux reinettes clochards.
C’est d’ailleurs le propre de la cuisine
maison d’illuminer avec trois fois rien
l’ordinaire de la cambuse. Anne de
la Forest a eu la bonne idée de
consacrer un livre à ces «petites touches qui changent
tout». Ainsi, son «beurre au parmesan» rendra glamour
le brocoli qui accompagnera le filet de poulet requinqué
par une «chapelure aux graines de fenouil». Les accrocs
de la bintje oseront le «beurre aux algues» sur la purée et
les zestes de citron vert sur les frites. Et le «chutney aux
pommes» donnera des couleurs au brie de Meaux. J.D.
«La Petite Touche qui change tout! pour sublimer les produits
du quotidien», d’Anne de la Forest, Tana éditions, 108 pp., 16,95 €.
•
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
NEXT VOYAGES
Richelieu,
cité cardinale
VAL DE LOIRE La ville idéale pensée par l’éminence
grise du roi Louis XIII a perdu son château mais
conserve sa superbe, tout en symétrie.
Par SIBYLLE VINCENDON
Envoyée spéciale à Richelieu (Indre­et­Loire)
Photos MARC CHAUMEIL
N
e pas se tromper de chemin. Il faut
entrer dans Richelieu (Indre-etLoire) de face, par l’une de ses portes monumentales. Traverser deux
places carrées aux proportions parfaites. Emprunter la rue principale d’une solennité absolue. On lève les yeux vers les façades austères
des vingt-huit hôtels particuliers qui la bordent et on finit par se dire : «Mince…»
Richelieu, voulu en 1631 par le cardinal
éponyme et dessiné, selon ses directives, par
l’architecte du Palais-Royal, Jacques Le-
la ville au mépris du système hydraulique
exceptionnel qui avait été conçu pour
l’ensemble.
MÉLANCOLIE. Est-ce l’absence du château
qui rend aujourd’hui le destin touristique de
Richelieu moins évident que celui de ses voisins? Peut-on attirer du monde quand on ne
possède pas l’une de ces grosses meringues
à tourelles qui ponctuent le Val de Loire ?
Peut-on séduire quand tous les bâtiments,
quoique protégés, ne sont pas restaurés et ripolinés, quand on voit parfois des carreaux
cassés, des enduits qui craquellent, des boiseries usées ? Peut-on plaire dans cet entredeux ? Et pourquoi pas…
L’endroit porte suffisamment de beauté et de
mélancolie pour valoir le détour. Il porte surtout une histoire. Et quelle histoire… On la découvre à l’Espace Richelieu, ouvert depuis 2010 dans l’un de ces hôtels particuliers
qui font la majesté de la ville. L’histoire est
celle d’Armand Jean du Plessis, cardinal de
Richelieu, un type qui a une réputation époumercier, est impressionnant. Les murs vantable depuis qu’Alexandre Dumas en a fait
d’enceinte sont toujours là avec leurs douves le méchant dans les Trois Mousquetaires.
et leurs entrées somptueuses, fait assez rare Chargé de l’accueil de l’espace, Olivier note
en France. La géométrie rectangulaire de la que les visiteurs lui disent souvent : «Richeville est parfaite. Son parc est superbe.
lieu, je ne l’aime pas du tout.» Il leur répond
Mais voilà: le château qui couronnait le tout, qu’après la visite, ils vont changer d’avis. Ce
lui, n’est plus là. Un marqui n’est pas faux.
chand de biens du XIXe sièD’accord, le cardinal était un
SARTHE
LOIRcle, nommé Alexandre
politique sans scrupules, avec
ETTours
CHER
Boutron et pas vraiment
les ambitions classiques de
considéré comme un bienl’époque: asseoir son pouvoir,
faiteur de la commune, l’a
faire la guerre. Il avait aussi,
Richelieu INDREET-LOIRE
démonté à partir de 1805 et
autre classique banal, le projet
vendu pierre par pierre.
d’agrandir et d’embellir la
INDRE
Non sans avoir d’abord
grosse maison de ses ancêtres.
25
km
VIENNE
coupé l’adduction d’eau de
Mais l’histoire devient moins
MAINEET-LOIRE
48
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
VOYAGES NEXT
•
49
A Richelieu
en février.
A gauche, l’église
Notre­Dame
sur la place du
Marché (ex­place
Cardinale).
Ci­contre,
le dôme, unique
vestige du
château qui fut
démonté à partir
de 1805 et vendu
pierre par pierre
par un marchand
de biens.
Au centre
et en bas,
le parc
du château.
courante quand le puissant prévoit d’adjoindre
au château et à son parc rien moins qu’une
ville. Une cité dite «idéale» de surcroît, tracée
église dont la façade est copiée sur les proportions de Santa Maria Novella à Florence.
Dans la pensée du cardinal, Richelieu devait
être un manifeste d’affirmation du catholicisme. A
Peut-on attirer les touristes quand on est
l’intérieur de l’édifice, on
une ville qui ne possède pas l’une de ces
découvre à droite en engrosses meringues à tourelles qui ponctuent
trant une invraisemblable
le Val de Loire? Et pourquoi pas…
photo de sainte Thérèse
de Lisieux déguisée en
selon une géométrie parfaite et où tout fait Jeanne d’Arc au cachot pour un spectacle du
sens. En particulier ce choix hallucinant : la Carmel, enchaînée sur la paille, cheveux lâcréation de deux places symétriques, la place chés, plutôt troublante. Sans rapport avec
Royale et la place Cardinale. Là où, d’ordinaire, le roi caracole en statue équestre au milieu d’une seule et unique centralité, les deux
puissants ont chacun la leur, sur un pied
d’égalité. Inédit.
Ce n’est pas la seule chose curieuse. Non seulement Louis XIII a autorisé Richelieu à créer
sa ville, mais le souverain lui accorde qu’elle
soit dispensée d’impôts. Voilà qui doit aider
artisans et foires à s’y installer. Pour le haut
du panier, Richelieu a sa méthode: il offre les
terrains de la grande rue à ses obligés (membres du Conseil, ministres) avec contrainte
pour eux de bâtir les hôtels particuliers, dans
les règles d’architecture de Lemercier.
Deux ans après la mort du cardinal, la plupart
de ces hôtels sont revendus par leurs propriétaires au quart de leur prix.
COLLECTIONNEUR. Dans le Richelieu
d’aujourd’hui, la place Cardinale est devenue
la place du Marché. Un réaménagement récent plutôt réussi a dégagé les façades et restitué la qualité de ce grand espace vide autour
d’une fontaine. Sur un côté, une halle magnifique, en poutres de châtaignier parfaitement restaurée. En symétrie, en face, une
Portrait du cardinal de Richelieu par Philippe
de Champaigne exposé au musée Richelieu.
notre histoire, mais très surprenant.
A l’autre bout de la ville, la place Royale, rebaptisée place des Religieuses, n’a pas encore
été réaménagée et se caractérise pour le moment par un méchant carrefour avec feu tricolore. Le pauvre Louis XIII peine décidément à être en majesté à Richelieu. Celui qui
a eu toutes les visions, c’est l’autre.
Aujourd’hui, on dirait du cardinal qu’il était
un investisseur avisé, qui finira d’ailleurs
plus riche que le roi. Egalement un collectionneur éclairé qui va accumuler l’une des
plus belles collections d’art et de sculpture
de son temps pour garnir son château.
Mais tout cela, à Richelieu, il faut l’imaginer.
L’édifice a été victime de l’affreux Boutron.
Et la collection a, comme souvent dans ces
cas-là, été éparpillée la première, sachant que
la Révolution n’a pas non plus aidé à garder
le trésor intact.
RECONSTITUTION. On peut voir aujourd’hui
au premier étage de la mairie, qui abrite un
petit musée, une reconstitution de l’immense
galerie des Batailles que contenait le château,
avec six des vingt toiles qui la constituaient.
Dans l’Espace Richelieu est projetée une
reconstitution en 3D de cette demeure, réalisée sur la base de l’inventaire incroyablement
précis de chaque pièce, dressé par l’intendant
de l’époque.
Mais le château n’est plus là. Alors, un petit
matin gelé, on arpente le parc, le long de ses
canaux d’où s’exhale une brume qui flotte
dans les rayons du soleil bas. On tente d’imaginer comment le palais se posait dans ces
perspectives si belles. Les ombres sont longues dans la lumière montante. Peut-être
est-ce cette splendeur absente qui, finalement, rend Richelieu si poignant. •
PRATIQUE
ROYAL AU COIN DU FEU
Y aller
Par l’A10 sortie Sainte-Maure-de-Touraine. Ou par le train, gare de Chinon.
Y séjourner
L’hôtel du Puits doré est le seul à l’intérieur de l’enceinte de Richelieu.
24, place du Marché. A partir de 60 euros.
www.lepuitsdore.fr
Y manger
Au Fossé Saint-Ange. Pensez à réserver.
Environ 35 euros. Porte de Châtellerault.
Tél.: 02 47 95 38 82
A l’auberge Le Cardinal.
3, rue des écluses. Tél.: 02 47 58 18 57.
Menus de 15 à 37 euros.
Y prendre le thé
La Fleur de lys fait salon de thé et antiquaire à la fois. Atmosphère feu de bois
et beaux meubles délicieuse.
22, Grande Rue. Tél.: 02 47 58 28 80.
A voir
L’Espace Richelieu.
28, Grande­Rue. Rens. : 02 47 98 48 70.
Le musée Richelieu, dans la mairie.
1, place du Marché. Tél.: 02 47 58 10 13.
A lire
Richelieu, histoire d’une cité idéale (16312011), de Marie-Pierre Terrien (Presses
universitaires de Rennes).
Les Trois Mousquetaires, de Dumas.
•
GRAND ANGLE
GRAND ANGLE
50
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
Fukushima,
Pour la série
«Revenir
sur nos pas»,
les photographes
Carlos Ayesta
et Guillaume
Bression
ont convaincu
des résidents
évacués après
la catastrophe
nucléaire
japonaise de 2011
de redécouvrir
leur ancien
cadre de vie.
Par CHRISTIAN LOSSON
Photos CARLOS AYESTA
et GUILLAUME BRESSION
D
es hommes et des
lieux figés dans le
temps. Des visages illuminés, des
endroits contaminés. Des zones,
jaunes ou rouges,
inhabitables pendant des années, peut-être des décennies. C’est une autre couleur, plus
noire, de celle qui nimbe une horreur
silencieuse, un chaos en suspens,
qu’ont voulu immortaliser Carlos
Ayesta et Guillaume Bression. Un aller
simple dans cette no-go zone japonaise depuis que le 11 mars 2011, un
tsunami a tué plus de 20000 personnes tandis qu’un accident nucléaire
tétanisait le pays tout entier et déplaçait 110000 âmes. Un aller simple que
les deux photographes ont pourtant
vécu comme autant d’allers-retours
pour comprendre, mettre en lumière,
porter un regard autre sur un drame
qui n’en finit plus de fracasser la société japonaise.
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
GRAND ANGLE
•
51
visions habitées
Midori Ito dans un
supermarché abandonné
de la zone interdite, où les
produits sont restés figés
depuis la catastrophe.
Pendant des mois, ils ont cherché des
habitants d’accord pour revenir sur
des lieux à la charge émotionnelle explosive. Des lieux hantés et des lieux
encore «habités». Des lieux oubliés et
inoubliables. «Nous voulions absolument que les personnes présentes dans
les photos soient des habitants de la région de Fukushima touchée par l’accident nucléaire, qu’ils aient une histoire
à raconter, un lien avec le drame.» Pas
question de prendre de simples modèles. Et risquer de polluer le travail de
photographie documentaire.
Les villes se dégradent,
les toitures cèdent
Ils cherchent donc, longuement, interrogent, questionnent. Mais ce désir
de présence se heurte à une logique
d’absence. De reconstruction, parfois
personnelle. Ailleurs, surtout ailleurs.
Les deux photographes se fracassent
à une réalité: les habitants ont souvent
quitté la région de Fukushima. Ils habitent parfois à plusieurs centaines de
kilomètres de là. «Ils n’ont pas forcement donné leurs nouvelles coordonnées
aux mairies. Ou les édiles ne souhaitent
pas nous les communiquer…» Ils se déchirent au sein des familles entre celles et ceux partisans d’un retour
–souvent des vieux– ou d’un non-retour – plutôt des femmes. Dans certains coins, moins de 20% des habitants souhaitent revenir. Et les villes
se dégradent, les toitures cèdent, l’eau
s’infiltre. «Dans plusieurs villes en bordure de la zone, comme Tamura ou Naraha, les autorités fixaient déjà
des dates de retour possible,
mais dans les villes telles que
5 km
Namie
Tamura
Fukushima
Daichi
Futaba
Okuma
Tomioka
Naraha
JAPON
Tokyo
52
•
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
GRAND ANGLE
FUKUSHIMA,
VISIONS HABITÉES
Futaba, Okuma, Tomioka ou
Namie, plus proches de la centrale, on avait du mal à imaginer une quelconque réinstallation des
habitants. Nous avons voulu souligner ce
choc violent perçu par les habitants à
leur retour.»
«Revenir sur nos pas» est tiré d’un
travail plus vaste entamé dès
l’été 2011. Une première série («Clair
obscur») où, via une lumière artificielle, les photographes signifiaient
«l’absence et le vide» d’une zone interdite, de villes abandonnées. Une
deuxième série («Mauvais Rêve») où
il s’agissait de «montrer ce qui ne se
voit pas, ce qui ne se sent pas» ; s’employer, par la mise en scène – film
plastique, bulle –, à tenter de révéler
«l’invisible» : les résidents autour
de Fukushima devaient montrer euxmêmes la frontière entre «ce qui était
contaminé» et ce qui ne l’était pas.
«La fiction révélait alors le réel, et
non l’inverse», disent-ils. Elle s’en approchait.
avait laissés ouverts…» Ou encore cet
imprimeur, qui leur confie : «Au
début, je ne pouvais même pas rester une
heure ici. Désormais, le fait de dire qu’on
va revenir permet de garder le moral, de
rester en vie.» Ou enfin cette famille
éplorée avec son enfant, dans un
gymnase, qui redécouvrent aux côtés
des photographes les lieux trois ans
après, «comme si nous nous
transformions en guide de la région
auprès d’anciens habitants»… Un fil
ténu compliqué à tenir, auprès
d’habitants à fleur de peau. Sans parler des autorisations nécessaires pour
gagner ces lieux plus ou moins chargés
de césium.
Herbes folles
et plantes grimpantes
Au départ, les deux photographes
avaient commencé leur travail en
s’affranchissant de ces contraintes. Ils
ont été arrêtés. «Le système japonais
est fait de telle manière qu’on a mis plus
d’un an à comprendre comment obtenir
des autorisations, comment trouver la
bonne personne… Tout le monde se renvoyait la balle pour ne pas prendre la
responsabilité de nous en donner.
C’était infernal.» Il leur a fallu aussi
obtenir des autorisations pour les
«L’étrange et la banalité» personnes voyageant avec eux. «Dans
Pour y parvenir, Carlos Ayesta et les zones comme Futaba, les habitants
Guillaume Bression demandent à ont le droit de revenir un certain nombre
d’anciens habitants –parfois les pro- de fois par an seulement… Et il fallait
priétaires des lieux – de revenir dans donc leur demander de griller un ticket
leur commerce ou leur école, de pous- pour nous !»
ser les portes de ces endroits autrefois Après cette série qui leur a demandé
si balisés. «L’étrange et la banalité se trois à quatre semaines de prises
mêlent alors dans nos photographies.» de vue et des mois de préparation et
qu’ils cosignent («Le pre«Au début, je ne pouvais même pas mier qui a une idée de photo
charge de la faire et
rester une heure. Désormais, le fait se
l’autre l’assiste et inversede dire qu’on va revenir permet de
ment»), Carlos Ayesta
garder le moral, de rester en vie.»
et Guillaume Bression
ont poursuivi leur quête
Un ancien habitant de la région contaminée
gramscienne autour d’un
La série «Revenir sur nos pas» a été monde qui se meurt, d’un autre qui
réalisée ainsi. «C’est parfois la per- tarde à (re)naître.
sonne qui nous a amenés au lieu, mais, Une quatrième série, «Nature», monsouvent, c’est le lieu d’abord qui a attiré tre comment herbes folles et plantes
notre attention», racontent Carlos grimpantes mangent toute présence
Ayesta et Guillaume Bression.
humaine et recouvrent maisons, voiA l’image, il peut s’agir, par exemple, tures, traces d’une partie d’une civilidu propriétaire d’un restaurant ou sation qui a joué avec l’atome. «Une
d’un magasin ou d’un simple client du nature qui efface progressivement les tracoin. «Nous partions du principe que ces de l’homme.» Des hommes qui s’efn’importe qui, dans la vraie vie, pouvait facent. Avoir tenté de montrer des hualler faire ses courses dans un super- mains dans un décor qui ne l’est plus,
marché ou s’arrêter sur le bord de la ou des fantômes dans un décor pas si
route manger dans un restaurant.» fantomatique que ça: c’est tout le méLeurs images captent ainsi une hor- rite et la force de ce travail d’archiviste
loge qui a littéralement fixé l’heure du qui sera exposé à Tokyo en 2016 (1).
tremblement de terre (14 h 46), mais Etrangement, cette région-là de
ne racontent pas l’odeur de putréfac- Fukushima post-tsunami nucléaire
tion de la nourriture laissée à l’aban- évoque une autre mise entre parenthèdon. Il leur reste aussi quelques frus- ses, un autre drame ayant frappé une
trations, ces lieux repérés, ces endroits grande puissance renvoyée à son imfascinants et/ou bouleversants qu’ils puissance. Celui qui, en 2005, a transn’auront pas pu fixer, faute d’accord formé, et vidé de ses habitants, pour
des propriétaires. Il leur reste enfin un temps plus court, La Nouvelle-Ordes témoignages, troublants, comme léans post-ouragan Katrina, autre
cette coiffeuse de Tomioka: «A chaque «lieu apocalypse» intimement vécu et
fois que nous revenons, je remarque que décrit dans ces colonnes. Où l’humain
quelque chose a changé. Une fois, c’était n’est plus qu’un pointillé. •
le réfrigérateur qui avait été déplacé, une (1) Et en partie visible aussi
autre les rideaux fermés alors qu’on les sur www.fukushima­nogozone.com
A Namie, une des villes
abandonnées.
En haut, Katsuyuki
Yashima dans son atelier
de sidérurgie, qu’il ne
compte pas réouvrir.
En bas, Chiaki Watanabe
dans une librairie.
Ci­contre, Hidemisa et Michiko
Otaki dans leur ancien salon
de coiffure, à Tomioka.
Ci­dessous, de gauche à droite,
Noboru Eda dans un magasin
de musique à Namie, Yasuhi Ishizuka
dans un pachinko (salle de jeu)
de Tomioka, et Rieko Matsumoto
dans une laverie à Namie.
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
GRAND ANGLE
•
53
LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
PORTRAIT OSUNAARASHI
Dénonçant les
égorgements
de Daech,
ce sumo
égyptien est
le premier
sportif
musulman
à lutter
parmi l’élite
japonaise.
Mou baraque
Par ARNAUD VAULERIN
Photo JÉRÉMIE SOUTEYRAT
L
a mise en garde de son entourage était très claire: pas
question de parler de politique et de religion. On n’a
pas eu besoin de braver l’interdit, Osunaarashi l’a
brisé de lui-même. Après la décapitation de deux ressortissants japonais par les égorgeurs de l’Etat islamique, le
lutteur égyptien de sumo a voulu évoquer la «folie des tueurs
qui n’ont rien à voir avec l’islam». En quelques phrases, il dit
son «incompréhension», sa «tristesse» pour le peuple japonais
et aussi «pour ce qui s’est passé en France». C’est simple et
sincère. Comme une évidence qu’il croit bon de formuler,
l’adresse est livrée sans artifices, dans le dénuement boisé
de son écurie glacée, à Tokyo. Campé sur un tatami doré,
le lutteur de confession musulmane prend les devants, peutêtre pour anticiper les questions auxquelles il a appris à parer.
Et vite, on ne parle plus que de lui, de cette «pression pesante»
d’être à lui seul «l’incarnation du Proche-Orient, du monde
arabo-musulman», un «pont entre deux cultures» qui sont,
en fait, deux planètes.
Dans son splendide isolement insulaire, le Japon est à mille
lieues du bouillonnant carrefour méditerranéen de l’Egyptien
Osunaarashi. Distance et méconnaissance. Le jeune Cairote
de 23 ans a eu le temps de s’en rendre compte depuis trois ans
et demi qu’il vit dans l’archipel. On voudrait le voir comme
un ambassadeur d’Allah sans savoir que cet Africain affable
s’est tatamisé au point d’avoir intégré dans son panthéon
mystique des signes et des rites sumos qui feraient bondir les
ayatollahs de la tradition. Entre insinuations et appréhensions, il a eu droit à tous les coups de sonde sur l’islam, le
Coran, la consommation d’alcool et de porc, la signification
des cinq prières par jour, le jihadisme. Mépris et amalgames
(«musulmans, tous terroristes») ont fusé depuis janvier, une
profonde lassitude s’est installée. Il va jusqu’à parler de «survie» et de «lourde responsabilité». Mais c’est d’abord sa singularité qui surexpose ce pudique colosse poilu à fossettes. Dans
l’univers du sumo où les Japonais s’acoquinent avec les Mongols, les Russes et les Européens de l’Est et où le shintoïsme
fraye, sans vergogne, avec le bouddhisme et l’orthodoxie,
Osunaarashi fait figure d’extraterrestre. Avec ses 189 cm et
155 kilos, il est le seul musulman, le premier rikishi («lutteur») arabe issu d’un pays d’Afrique à intégrer la division
makuuchi, l’élite des sumos.
Cette étrangeté ne s’est jamais émoussée, car elle est au cœur
de sa drôle d’histoire. Il a 14 ans quand, dans la salle de mus-
culation, où il lève de la fonte depuis trois ans, il voit un type
enchaîner des exercices sur une jambe, le buste à l’équerre,
le corps en équilibre. Ce dernier se livre au shiko, ce mouvement dans le combat sumo qui consiste à frapper le sol avec
les pieds pour chasser les esprits. Issu d’une «famille pieuse
et soudée», Osunaarashi s’appelle alors Abdelrahman Shalan
et vit en banlieue du Caire. Le lutteur amateur suggère à l’adolescent armoire à glace de se lancer dans le sumo. «Mais, je
trouvais ça laid et ridicule. Entre copains, on se moquait de ce
sport d’éléphants.» Il finit par accepter «pour s’amuser» et,
plein d’une superbe orientale, prévient avant de combattre:
«Je vais tuer tous vos lutteurs.» Il affronte sept rikishi EN 6 DATES
et sept fois il se fait «botter le
cul». L’habileté, plus que la Février 1992 Naissance
puissance, est le gage de la de Abdelrahman Shalan
victoire. Avec ses 120 kilos, au Caire. 2006 Découvre
l’orgueilleux en prend pour le sumo. Août 2011 Devient
son grade face à des gabarits Osunaarashi et premier
voyage au Japon.
de 65 kilos. Le soir même, il
Mars 2012 Intègre l’écurie
est vissé sur sa chaise devant Otake à Tokyo. Juillet 2013
son ordinateur pour se ren- Accède à la division
seigner. C’est l’odeur de sa makuuchi, l’élite des sumos.
transpiration qui lui fait réa- A partir du 8 mars
liser, le lendemain matin, Participe au tournoi
qu’il a passé toute la nuit sur d’Osaka.
Internet. Il est converti. Il rejoint le club amateur, apprend à «montrer [ses] fesses», chose
inconcevable dans sa culture. Remporte des victoires, puis
des championnats en Estonie, Bulgarie. Les études de gestion
et comptabilité à l’université du Caire attendront. Car tout
reste à faire pour réaliser son rêve, «aller au Japon et devenir
yokozuna», le rang le plus élevé dans la hiérarchie des sumos.
C’est plein de candeur adolescente, mais nul doute que la détermination égotiste est déjà là. Abdelrahman Shalan sacrifie
le confort de la vie en famille qu’il chérit et répudie sa petite
amie qui se mariera avec un autre. Il devient Osunaarashi, la
«grande tempête de sable». C’est ainsi qu’il signe sa lettre de
motivation envoyée aux écuries de sumo qui acceptent des
étrangers. Une seule répond, c’est un refus. «Pour moi, c’était
un signe d’espoir.»
Il saute dans un avion en août 2011, sans parler un seul mot
de japonais, persuadé que «Bruce Lee est un grand acteur japonais». Il frappe à la porte de l’écurie Otake. «C’est un passionné qui m’est apparu, tellement plus passionné que les Japonais, se souvient Otake Tadahiro, le directeur de l’écurie. Je
lui ai proposé de faire un entraînement. Il était impressionnant,
puissant et modeste. Il en voulait.» Ce jour-là, blessé, épuisé
et mal entraîné, Osunaarashi perd ses 20 combats. «Tu as l’air
fatigué», lui demande l’entraîneur après chaque défaite. La
réponse ne varie pas: «Non, ça va, on continue.» Osunaarashi
gagne son ticket pour un essai d’un mois. «On a vu arriver un
grand gamin avec seulement 4000 yens en poche [30 euros] et
un tout petit sac de sport en guise de valise, raconte Ayumi Sato,
la secrétaire de l’écurie. L’hiver arrivait et il n’avait quasiment
pas de vêtements.» Cette nouvelle vie a beau être le «début du
rêve» pour Osunaarashi, elle est loin d’être rose. Etre rikishi
peut se résumer à une longue épreuve, un «enfer» selon
l’Egyptien. Pendant, un mois, tous les jours, il est le préposé
à l’épluchage des légumes et au nettoyage des toilettes, du
dohyo (la «salle de lutte») et de la vaisselle. Tadahiro: «Je voulais savoir s’il était vraiment sérieux. Il s’est plié à tout.»
Osunaarashi s’est initié aux rites quotidiens d’une vie collective quasi monacale faite d’obligations, d’entraînements, de
repas pantagruéliques (sans porc pour lui), de siestes et de
rares moments d’une infinie solitude devant un écran d’iPad
à regarder des dramas égyptiens. «Je ne lui laisse pas le temps
de sortir pour aller voir des copines», confie Tadahiro en autoritaire qui se marre peu. Ça tombe bien. Tout entier dédié à l’accomplissement de son rêve, Osunaarashi n’aime «pas beaucoup les temps libres, ces moments ennuyeux à boire des cafés
avec les autres». Il préfère «skyper» avec les amis ou la famille
au Caire. Il est un athlète qui a grandi trop vite, et trop loin
de siens. «Il ne se confie pas beaucoup, seulement pour dire qu’il
a besoin des câlins de sa maman», témoigne sa mère poule
d’adoption, Ayumi Sato. Les moments d’abattement ne manquent pas. Souvent, «à 2-3 heures du matin», il s’assoit sur
le bord du lit, ouvre son sac, prêt à partir. «Mais est-ce que
je vais tout arrêter avant la fin, alors que mon rêve est devant mes
yeux?» Jusqu’à présent, Osunaarashi s’est toujours recouché
pour mieux se projeter. •
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LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015
Libération est une
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L’APRÈS-MIDI Temps anticyclonique avec
un soleil dominant sur tout le pays. Le ciel
est toutefois voilé dans les régions
septentrionales, sans grande conséquence sur le ressenti agréable.
0,3 m/8º
La responsabilité du journal
ne saurait être engagée en
cas de non-restitution de
documents .
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par mail : initiale du
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LE MATIN L'anticyclone se positionne sur
l'Allemagne et dans ces conditions, c'est un
temps sec et ensoleillé qui domine sur tout
le pays avec un ciel à peine voilé dans les
régions de la moitié nord.
imprimé en France
Membre de oJD-Diffusion
Contrôle. CPPP:1115C80064.
iSSn0335-1793.
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25, avenue Michelet
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Cordages.
Mesdames, messieurs,
responsables des lieux de culte
de toutes religions en France,
signez en faveur de la liberté
d’expression.
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Proclamation sur la liberté d’expression
LE PLURALISME AU SERVICE DE NOS LIBERTÉS
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Ce sont les conditions du respect du pacte républicain et des
droits de tous dans une société démocratique pluraliste et
tolérante.
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LUNDI Avec la présence de l'anticyclone sur
l'Europe de l'ouest et centrale, c'est un
temps sec et ensoleillé qui domine. La
douceur est omniprésente l'après-midi.
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Certains peuvent se sentir offensés ou blessés par la critique
de leurs croyances, notamment sous la forme satirique. Mais la
liberté d’information et d’expression, celle des journalistes comme
des citoyens, ne saurait être contrainte ou limitée par les convictions ou
les sensibilités des uns ou des autres.
MIN/MAX
Alger
Bruxelles
Jérusalem
Londres
Berlin
Madrid
New York
DIMANCHE Elle ne reconnaît ni ne condamne le sacrilège ou le blasphème. Chacun
est libre d’exprimer et de diffuser des critiques, même irrévérencieuses,
envers tout système de pensée politique, philosophique ou religieux.
La liberté de conscience, qui est celle de croire, de pratiquer une religion,
ou de ne pas croire, est aussi garantie par la Convention européenne
des droits de l’homme et la Constitution. Elle doit naturellement
s’appliquer sans discrimination.
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Temps calme avec un ciel limpide ou un
soleil à peine voilé. Les nuages se font un
peu plus nombreux en Bretagne, en
marge des perturbations britanniques.
La liberté d’expression est garantie par la Déclaration des droits de
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des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de
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à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ”.
La loi française sanctionne l’injure, la diffamation et la provocation à la
haine raciale, à la discrimination ou à la violence envers des personnes
ou des groupes de personnes, mais non la critique des idées, des
symboles et des représentations.
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CET TE PROCL AMATION ES T UNE INITIATIVE DE REPORTERS SANS FRONTIÈRES (RSF).
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