Treizeraisons demangermoinsdeviande
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Treizeraisons demangermoinsdeviande
• 3,70 EUROS. PREMIÈRE ÉDITION NO10513 SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 S_2015_x 25/02/15 15:06 Page1 WWW.LIBERATION.FR NEXT_MAR TION LIBÉRA , AVEC 7 MARS SAMEDI AVEC CE JOURNAL «NEXT» SPÉCIAL MODE pop-cultu re / mod e / lifes tyle / idée s / récit s gnard, inge grofard / star du o pop / portfoli s erra, mercedee et pas triste/ patronn phie pic, anne-so café forte de : je veux r déjeuneer, ag ss it nette me + réc avec an tal pelletier par chan Extrait de la série «Sweat Meet», de Jasmin Schuller. PHOTO JASMIN SCHULLER WEEKEND SPÉCIAL MODE NO 69 ration.fr next.libe R IQUE SU ET MUS SIGN, ODE, DE MA, M BERATION.FR NÉ CI .LI DE NEXT ET PLUS Treize raisons de manger moins de viande Steak ou encore? Conditions d’élevage et d’abattage, impact climatique, risques sanitaires, surconsommation… Ne serait-il pas temps d’être un peu moins carnivore? PAGES 29 IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCEAllemagne 3,40 €, Andorre 3,40 €, Autriche 3,90 €, Belgique 4,00 €, Canada 6,20 $, Danemark 36 Kr, DOM 3,50 €, Espagne 3,40 €, EtatsUnis 6,00 $, Finlande 3,80 €, GrandeBretagne 3,80 £, Grèce 3,80 €, Irlande 3,50 €, Israël 27 ILS, Italie 3,40 €, Luxembourg 4,00 €, Maroc 30 Dh, Norvège 36 Kr, PaysBas 3,40 €, Portugal (cont.) 3,60 €, Slovénie 3,80 €, Suède 34 Kr, Suisse 6,00 FS, TOM 560 CFP, Tunisie 4,90 DT, Zone CFA 2 900 CFA. 2 • EVENEMENT LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 Des animaux élevés en batterie, boostés aux antibiotiques et abattus à la chaîne, des élevages polluants et de plus en plus centralisés, des nitrates qui dévastent ce qui reste de planète… Stop à la boucherie? Treize raisons de lâcher le steak barbare Par ISABELLE HANNE et CHRISTIAN LOSSON L'ESSENTIEL A u cours de sa vie, un Français consomme en moyenne 7 bovins, 33 cochons, 9 chèvres et moutons, 1 300 volailles et 60 lapins, selon le service de la statistique et de la prospective du ministère de l’Agriculture. Soit un peu plus de 1 400 animaux d’élevage auxquels il faut ajouter 1 tonne d’animaux marins. Une frénésie de viandards qui a accéléré l’industrialisation de la production de steaks, jambons et autres magrets. Un seul exemple : en France, 95% des porcs sont élevés dans des systèmes intensifs. Chaque année, 25 mil- LE CONTEXTE Un rapport publié fin février dénonce la surproduction et la surconsommation de viande dans le monde. L'ENJEU Les consommateurs doivent désormais apprendre à manger mieux et différemment afin de préverser leur santé et la biodiversité. POURLAPRODUCTIOND’UNKILO Terres nécessaires Quantité d'eau nécessaire Emissions de gaz à effet de serre En m2 En litres En kg équivalent CO SOJA RIZ m2 m2 VOLAILLE m2 BLÉ m2 BŒUF 2 m PORC m2 Note : Ces chiffres proviennent de sources différentes et ont parfois été calculés avec des méthodes différentes. Sources : Life Cycle Assessment of Cultured Meat Production, l'Atlas de la viande, Unesco-IHE, FAO lions de porcs charcutiers sont abattus. Et 70% des 50 milliards de poulets tués dans le monde tous les ans sont élevés dans une stratégie industrielle. De plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer l’insoutenabilité d’une telle politique alimentaire, à l’image d’un rapport publié fin février par la Fondation Heinrich-Böll et les Amis de la Terre. Cet «Atlas de la viande» dénonce «la production et la surconsommation de viande industrielle qui saccagent la planète». «Notre alimentation n’est plus une affaire privée, dit ainsi Christian Berdot, des Amis de la Terre. Nos choix alimentaires sont aussi des choix politiques qui ont des impacts sur la vie de nombreuses personnes dans le monde, ainsi que sur l’environnement, la biodiversité et les climats.» Voici treize raisons pour manger moins, mieux ou plus du tout de viande. Parce que la demande devient folle Quelque 299 milliards de kilos de viande sont ingérés chaque année dans le monde, quatre fois plus qu’en 1960. Selon la FAO (l’organisation des Nations unies pour l’alimentation), avec 9 milliards d’habitants en 2050, la production mondiale de viande, toutes espèces confondues, pourrait atteindre les 450 milliards de kilos. Le besoin en protéines des populations dans les pays développés est pour plus de la moitié (56%) satisfait par des produits carnés, contre 18% dans les pays en développement. Certes la demande baisse dans les pays riches : elle a chuté de 9% aux Etats-Unis entre 2007 et 2012. Les scandales alimentaires, l’impact sur l’environnement et la question du bien-être animal renforçant les inquiétudes et la prise de conscience des consommateurs. Mais les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ont vu leur consommation de viande augmenter, entre 2003 et 2012, de 6,3% par an. Une croissance annuelle supplémentaire de 2,5% est prévue entre 2013 et 2022. Parce qu’on produit la viande comme des voitures Les diktats économiques sont à l’origine du renforcement de la concentration de l’industrie mondiale de la viande. A savoir une meilleure productivité, mais aussi la concentration du pouvoir du marché entre les mains de quelquesuns, au détriment des petits exploitants. Le mouvement vient de loin. Chicago était, au début du XXe siècle, le berceau de l’industrie de l’abattage. «Avec l’utilisation de lignes de production sur rails, tuer une vache, l’éviscérer et la découper ne prenait que quinze minutes», rappelle le rapport de la Fondation HeinrichBöll. C’est ce système, capable d’abattre 12 millions d’animaux par an, qui inspira Henry Ford pour le montage de ses voitures. Aujourd’hui, le brésilien JBS est le leader mondial des abattoirs: ses capacités lui permettent d’abattre 85 000 têtes de bétail, 70 000 porcs et 12 millions de volaille quotidiennement. Parce que l’élevage est de plus en plus intensif Environ 1,3 milliard de personnes dans le monde vivent de l’élevage. La plupart dans les pays du Sud, menacés par l’intensification et l’industrialisation de l’élevage. Le nombre d’agriculteurs dans le monde développé ne cesse, lui, de baisser alors que celui des animaux augmente. Ils approvisionnent des supermarchés éloignés plutôt que de nourrir le marché local. La production d’animaux d’élevage dans le monde en développement emprunte la même voie. Entre 1992 et 2009, le nombre d’éleveurs de porcs aux Etats-Unis a diminué de 70%, tandis que la population porcine n’a pas bougé. Durant la même période, le nombre de porcs vendus par une ferme est passé de 945 à 8 400 par an. Et le poids d’un animal à l’abattage, qui était de 67 kilos dans • LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 3 ÉDITORIAL Par DAVID CARZON Gloutonnerie Sweat Meet, de Jasmin Schuller. PHOTO JASMIN SCHULLER les années 70, est désormais d’environ 100 kilos. Parce que le business lamine les petits La production de volaille est le secteur de l’industrie de l’élevage mondialisée dont la croissance et l’évolution sont les plus rapides. En 2020, sa production mondiale atteindra 124 millions de ton- nes. Une hausse de 25% en dix ans seulement, tirée par l’Asie. Les marchés et les installations de transformation sont de plus en plus contrôlés par quelques très grandes entreprises, qui multiplient le recours aux antibiotiques pour empêcher la propagation de maladies et accélérer artificiellement la croissance de la volaille. Ces tendances affecteront en particulier les familles des pays du Sud qui élèvent quelques poulets dans leur arrière-cour. Et qui se voient concurrencées par l’importation de morceaux de poulets congelés vendus jusqu’à 60% moins chers que les leurs. Parce que ça accélère le réchauffement L’élevage industriel produit des gaz à effet de serre tout au long de la chaîne de fabrication, de la di- Suite page 4 Coralie Schaub en dit plus sur Libé Radio www.liberation.fr RADIO Autant le dire d’emblée, cet édito ne peut pas être objectif car nous sommes nombreux à Libération à aimer la viande. Et même les abats, c’est dire. Comme bon nombre de nos contemporains viandards, nous préférons oublier qu’il faut tuer pour qu’une entrecôte ou un foie de veau finisse dans notre assiette. Alors, pour ceux qui voudraient continuer d’avoir les crocs du boucher sans se salir le tablier, il faut regarder son assiette en face. Ne pas changer nos habitudes alimentaires ? C’est entretenir la frénésie de production de viande au seul profit d’une gloutonnerie égoïste. On ne peut en effet rester insensible aux conséquences de cette surconsommation sur la planète, aux conditions d’abattage des bêtes, ou au fait que les deux tiers des terres agricoles servent à nourrir des animaux qui vont finir à l’abattoir. Il n’y a guère d’autre solution que de manger mieux et de privilégier les filières de qualité, bref de changer collectivement nos habitudes alimentaires. Au risque de contribuer à un système de viande de classe où les riches auraient le droit de monter au filet, et où les pauvres se contenteraient d’une bouillie sans goût. Après avoir parcouru tous les arguments en faveur d’une consommation raisonnée, n’oubliez pas de lire le dernier papier (page 9) de ce dossier saignant. Il nous explique par le menu comment réconcilier les partisans inflexibles de la barbaque et les frénétiques défenseurs du gratin de tofu. Car, malgré tout, nous sommes prêts à faire des concessions pour garder ce petit goût qui nous est chair. 4 • LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 EVENEMENT gestion au défrichage de forêts. Si l’on intègre l’azote des engrais, le gaz carbonique lié à la production de nourriture et au transport, le méthane des pets et des rots de vache ou la fermentation des déjections animales, l’élevage représente 18% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit plus que le secteur Suite de la page 3 Pour faire un hamburger, 3,5m2 de terres agricoles sont nécessaires. PHOTO THOMAS LOUAPRE.DIVERGENCE mondial des transports. Et il produit 37% du méthane et 65% du protoxyde d’azote, deux gaz plus puissants que le dioxyde de carbone. «Le potentiel de réchauffement climatique du méthane et du protoxyde d’azote est respectivement 25 fois et 298 fois plus puissant que le dioxyde de carbone», estime le Giec. Une étude de l’Institut argentin pour la technologie agricole a montré qu’une vache produisait en moyenne entre 250 et 300 litres de méthane par jour, de quoi faire fonctionner un frigo… Voilà pourquoi Paul McCartney a pu dire avant le sommet climatique de Copenhague, en 2009 : «Less meat = less heat», moins de viande, moins de réchauffement. Parce que ça revient à manger la forêt Sur la planète, 70% des terres agricoles sont destinées à nourrir les animaux. Chaque année, c’est une surface équivalente à celle de la Belgique qui est déboisée pour laisser place à des cultures. Le deuxième cheptel bovin et la plus grande forêt tropicale au monde se rencontrent dans la région amazonienne du Brésil. Fin 2012, le nombre de bovins (211300000) y était supérieur à celui de la population brésilienne (201 millions d’habitants). Le parcage de ces animaux nécessite d’énormes surfaces de terre : plus de 172 millions d’hectares, soit 70% des terres agricoles du Brésil. Et 62,2% des terres déboisées deviennent des pâturages pour le bétail. Entre 1975 et 2006, le volume des terres de pâturage a augmenté de 518%. Heureusement, le gouvernement a élargi les zones protégées et renforcé les contrôles de déboisement, ce qui a fait chuter la surface moyenne annuelle de déforestation, autour de 20 000 km2 par an. Parce que la viande est gourmande en eau Un kilo de bœuf nécessite 15 500 litres d’eau. Un kilo de porc, 4900 litres. Un poulet, 4 000 litres. Avec la même quantité d’eau pour un kilo de bœuf, on pourrait produire 12 kilos de blé ou 118 de carottes. Pour faire un hamburger, 3,5 m2 de terres agricoles sont nécessaires. Si l’agriculture consomme 70% de l’eau douce disponible, un tiers est consacré à l’élevage d’animaux ! L’Institut international de l’eau de Stockholm mettait en garde dès 2012 : «Il n’y aura pas suffisamment d’eau disponible sur nos terres agricoles pour produire de la nourriture pour une population qui devrait atteindre 9 milliards d’habitants en 2050 si nous suivons les tendances alimentaires actuelles dans les pays occidentaux.» Une seule solution, selon l’Institut: réduire notre apport en protéines d’origine animales de 20% aujourd’hui à 5% d’ici à 2050. Ou mieux, à défaut de devenir végétarien (dix fois moins gourmand en eau) : diminuer par deux sa consommation de viande, ce qui revient à utiliser cinq fois moins d’eau. Parce que ça tue les poissons Les nitrates présents dans les eaux souterraines sont cancérigènes. Ils peuvent produire des «zones mortes» dans les eaux côtières. «Par manque d’oxygène, près de 20000km2 de mer autour des embouchures du Mississippi se sont transformés en “zone morte” dans laquelle crevettes et poissons ne peuvent survivre», rappelle «l’Atlas de la viande». Peter Thomas, biologiste marin américain, affirme que dans le monde, environ 250 000 km2 d’eaux côtières souffrent d’une grave carence saisonnière en oxygène. Les fermes d’élevage de porc et de volailles polluent la mer de Chine méridionale avec de l’azote. La mer Baltique, la mer Noire, la mer d’Irlande, la côte espagnole et l’Adriatique ont toutes des «zones mortes». La production industrielle de bétail n’endom- LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 mage pas que la mer, mais aussi la terre. Le lisier et le fumier des zones de production d’animaux d’élevage sont souvent, et sans discernement, déversés sur les sol. Les nitrates dans les eaux ne contaminent pas uniquement les plages, mais aussi l’eau potable. Transformés en nitrosamines (un dangereux composé chimique), ils sont susceptibles d’être à l’origine de cancers de l’œsophage et de l’estomac. La surfertilisation menace l’habitat d’à peu près toutes les espèces en voie de disparition répertoriées sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature. EVENEMENT «Les bêtes sont encore vivantes au moment où on les tronçonne» Selon l’Organisation mondiale de la santé, la surconsommation de viande, et surtout de viande transformée (plats préparés, charcuterie), a des conséquences sur la prévalence de certaines maladies chroniques chez l’homme, comme l’obésité, le diabète de type 2, les maladies cardio-vasculaires, le cancer colorectal… Une étude de l’université d’Oxford publiée en janvier 2013 et qui porte sur 45 000 volontaires l’assure : le végétarisme réduirait de 32% le risque de maladies cardiovasculaires. Les guerres commerciales pèsent aussi sur le consommateur, notamment via l’usage controversé d’additifs dans la nourriture et les fourrages. C’est le cas de la ractopamine, additif alimentaire introduit aux Etats-Unis pour augmenter la production de viandes porcine et bovine. L’utilisation de ce produit est interdite dans 160 pays, y compris dans l’Union européenne. Sans parler de l’apparition et la propagation de souches virales comme le H5N1 ou le H7N9, favorisées par l’élevage intensif. Ou des antibiotiques administrés aux animaux, qui augmentent le phénomène d’autorésistance des bactéries transmissibles à l’homme… par les animaux. L’UFC-Que choisir a ainsi révélé, il y a un an, que 26 échantillons de poulets et de dindes sur 100 vendus dans le commerce sont porteurs de bactéries E.coli majoritairement résistantes aux antibiotiques. Meat Minotaur. PHOTO JOHANNA PARKIN.GETTY a journaliste Anne de Loisy avait enquêté en 2012 sur les abattoirs pour l’émission Envoyé spécial. Elle en a tiré Bon appétit! Quand l’industrie de la viande nous mène en barquette (1), un livre très documenté paru fin février sur la filière de la barbaque, des éleveurs à nos assiettes. Est-ce difficile d’enquêter sur la filière de la viande? C’est très compliqué parce que c’est hyper opaque. Les industriels refusent les interviews et interdisent les tournages dans les abattoirs. Le problème de la viande, c’est que c’est une industrie qui est dirigée par trois personnes : les groupes Bigard, Terrena, et SVA Jean Rozé. Du coup, rien ne sort. Comment avez-vous eu accès aux abattoirs? J’ai d’abord demandé les autorisations officielles, qui m’ont été refusées. J’ai fini par y avoir accès grâce à des intermédiaires, notamment l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA). Je suis entrée avec le directeur, qui m’a présentée comme l’une de ses assistantes. L DR Depuis 2002, seuls la viande de bœuf et les produits à base de bœuf doivent porter mention de leur origine, à la suite de la crise de la vache folle. A partir d’avril, l’origine des viandes de porc, de mouton, de chèvre et la volaille devront également être indiquées, mais pas dans les produits transformés. Le 11 février 2015, les députés européens ont voté massivement en faveur d’une résolution exigeant plus de traçabilité pour les produits préparés à base de viande. Pour le Parlement européen, les consommateurs devraient savoir d’où vient la viande utilisée afin de confectionner lasagnes, nuggets et autres saucisses. Reste que, selon l’ONG Foodwatch, «une meilleure indication de l’origine serait une bonne nouvelle pour les consommateurs, et un pas vers plus de transparence. Mais c’est loin Suite page 6 5 Anne de Loisy, journaliste, est l’auteure d’une enquête sur la filière de la viande: Parce que ça nuit à la santé Parce qu’on ne sait pas toujours d’où vient la viande • Lors de votre enquête, qu’est-ce qui vous a le plus choquée? Je ne me rendais pas compte à quel point l’industrialisation de la viande était en marche. A tous les niveaux. Les élevages de 40000 volailles, de milliers de cochons, de centaines de bovins… On est loin des images de vaches dans les prés qu’on vend au consommateur. Mais le plus impressionnant, c’est l’industrialisation de l’abattage. Faire passer un animal de vie à trépas, c’est forcément un peu gore. Mais l’industrialisation de cette étape-là est extrêmement violente: les bêtes sont abattues à une telle cadence qu’elles sont encore vivantes au moment où on les tronçonne. En plus, ce sont des conditions extrêmement compliquées pour les ouvriers des abattoirs, qui travaillent dans le froid, le sang, les odeurs… D’où vient la viande que l’on trouve dans nos assiettes? Dans la restauration collective, 70% des bovins et 87% de la volaille sont importés. Alors qu’on a des éleveurs qui crèvent de faim, et que la profession compte entre un et deux suicides par jour. Quand les gens chargés de nourrir une société se suicident à tour de bras, c’est qu’il y a un souci quelque part! Le paradoxe, c’est que nos belles races à viande sont exportées et qu’on récupère des vaches laitières moins chères, de mauvaise qualité. C’est toute l’aberration du système: les industriels nous expliquent qu’on a une viande bas de gamme parce que le consommateur veut une viande bon marché, alors que les prix ont augmenté de 40% entre 1995 et 2010 pour le consommateur, mais n’ont pas changé pour l’éleveur. Ces deux bouts de la chaîne sont les grands perdants. Vous expliquez qu’il n’y a pas assez de vétérinaires dans les abattoirs… Les grands abattoirs ont choisi l’autocontrôle. Ça ne fonctionne pas, parce qu’ils se retrouvent juges et parties. Les bouchers disent qu’ils ont de plus en plus de carcasses qui arrivent avec des abcès. Eux les enlèvent, mais après, tout ce qui part en industriel… C’est parfois mixé ! On n’arrivera pas à améliorer le système tant qu’on ne mettra pas plus de vétérinaires pour contrôler les différentes étapes de l’abattage. Qu’est-ce que l’abattage rituel? C’est un abattage, halal ou casher, fait par des personnes habilitées. Pour les juifs, ce sont des chokhet, pour les musulmans, ce sont des personnes qui possèdent une carte de sacrificateur, remise par trois mosquées en France. Dans les deux cas, ils tranchent complètement la gorge, et sont obligés de couper tous les canaux, dont l’œsophage et la trachée. Abattage rituel ne signifie pas qu’il est forcément sans étourdissement préalable. De plus en plus de musulmans considèrent qu’un abattage avec étourdissement est halal si la bête est tournée vers La Mecque et si le nom d’Allah est prononcé par le sacrificateur. Pourquoi certains abattoirs généralisent-ils l’abattage rituel? Plutôt que de nettoyer la chaîne entre chaque type d’abattage, et donc stopper la production, les industriels préfèrent tout faire en rituel, en se disant que les consommateurs n’ont pas besoin de savoir. Parvenez-vous encore à manger de la viande? Oui, mais j’en mange moins, et de meilleure qualité. Et en circuit plus direct, ce qui permet de savoir comment les bêtes ont été élevées et abattues, tout en faisant mieux vivre les éleveurs. Le circuit court, c’est ce qui peut nous sauver, et sauver la filière. Vous dédicacez ce livre «aux femmes et aux hommes qui travaillent dans la filière viande pour satisfaire nos pulsions carnivores». Les coupables, c’est nous? Manger de la viande n’est pas un problème en soi. Mais si les gens prennent conscience de la réalité, ils seront peut-être moins enclins à jeter la vieille tranche de jambon au fond du frigo. Le plus problématique, c’est la viande transformée, qui contient énormément de conservateurs, d’additifs, d’antibiotiques. C’est complètement aberrant dans un pays qui vante partout sa gastronomie et qui nous sert des produits qu’on n’a vraiment pas envie de manger. Mais, au final, c’est quand même le consommateur qui achète. Son pouvoir d’achat, c’est un bulletin de vote. Recueilli par ISABELLE HANNE (1) Presses de la Cité, 468pp., 19,50€. 6 • LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 EVENEMENT d’être suffisant. La mention de l’origine ne saurait empêcher une nouvelle crise telle que celle des lasagnes au cheval.» Elle assure que pour «dissuader les fraudeurs, il est indispensable d’imposer des obligations de contrôle aux fabricants, et tenir les distributeurs responsables de leurs propres marques». Suite de la page 5 Parce que l’élevage est bestial Les porcelets sont retirés de leur mère vers 3 ou 4 semaines, quand l’âge naturel de sevrage se situe vers 3 ou 4 mois. On leur meule les dents, on leur coupe la queue, on castre les mâles. De plus en plus d’associations, comme CIWF (Compassion in World Farming), militent pour le bien-être des animaux de la ferme et pour l’arrêt de mutilations comme le dégriffage des pattes de poules, l’écornage des veaux, l’épointage (le raccourcissement) des becs… Des conditions d’élevage qui empirent avec la concentration des bêtes. En France, l’élevage intensif sur le mode des feed-lots (parcs d’engraissement) américains a été introduit durant les années 60 pour industrialiser la production de viande et rendre son prix accessible à tous. Aujourd’hui, 83% des 800 millions de poulets hexagonaux sont élevés sans jamais voir la lumière du jour. Et 95% des 25 millions de cochons sont élevés sur caillebotis, en bâtiment, selon les statistiques du ministère de l’Agriculture. Parce que les conditions de travail sont trop dures Kit de survie, de Thomas Mailaender. PHOTO THOMAS MAILAENDER Avec l’augmentation des prix imposée par les abattoirs et la grande distribu- tion, la précarité des éleveurs augmente d’année en année. Chaque jour, au moins un éleveur se suicide. Ce n’est guère mieux à l’autre bout de la chaîne: «Le hall d’abattage est un univers oppressant et glacial, raconte la journaliste Anne de Loisy, qui a visité plusieurs abattoirs ces dernières années, (lire son interview page 5) dans Bon appétit !, le livre qu’elle vient de publier. Le sol est recouvert de sang et de matières fécales, les murs aussi.» Manutentions délicates, notamment au moment des saignées, dans des lieux à l’hygiène parfois douteuse : selon l’Institut national de recherche et de sécurité, la filière viande est deux à trois fois plus exposée aux risques d’accidents du travail que la moyenne nationale. Les employés souffrent également de nombreux troubles musculosquelettiques. Poids des charges, répétition des gestes, vibration des machines : il faut saigner, démembrer les bêtes et débiter les carcasses à la chaîne. Une vache par minute, dans certains abattoirs. Parce qu’il est possible de manger autrement On peut être végétarien par religion (un quart des Indiens ne mangent pas de viande) ou par philosophie, comme Hésiode, Platon, Ovide, Apollonius de Tyane Leonard de Vinci, Benjamin Franklin, Jacques Derrida ou Claude Lévi-Strauss. Moby, Al Gore, Mike Tyson ou Joaquin Phoenix s’y sont mis. Sinon, on peut aussi s’orienter vers des régimes «flexitariens» : moins de viande mais de meilleure qualité et plus riche en protéines végétale. La viande n’est d’ailleurs pas l’aliment qui fournit le plus de protéines: le soja en contient deux fois plus. • A la poursuite d’un vieux rêve de SF, plusieurs chercheurs tentent de créer une viande de toutes pièces. Carne in vitro: l’avenir incarné? crutons l’avenir de la barbaque dans une boule de cristal. Oublions le clonage : c’est déjà au menu. Les Etats-Unis ou l’Argentine produisent à gogo des produits issus de bêtes dupliquées. Et, faute de traçabilité, il y a de fortes chances pour que les Européens en aient déjà avalé à leur insu. Oublions aussi les animaux génétiquement modifiés: c’est peut-être pour bientôt. Il ne manque au saumon à croissance rapide de la société AquaBounty que le feu vert des autorités américaines pour finir dans les plats. «Enviropig», le cochon canadien qui pollue moins, attend aussi son heure. «Frankenburger». Non, l’étape d’après, le véritable avenir de la viande, ce serait de la cultiver. De la créer in vitro, en laboratoire. L’idée n’est pas neuve. En 1932, Winston Churchill écrivait: «Dans cinquante ans, nous échapperons à l’absurdité d’élever un poulet entier afin de manger le pectoral ou l’aile, en cultivant ces pièces séparément.» Raté niveau timing. Dans son Ravage de 1943, René Barjavel se projetait plus loin. Imaginant ainsi la production carnée en 2052 : «Elever, chérir les bêtes pour les livrer ensuite au couteau du boucher, c’étaient bien là des mœurs dignes des barbares du XXe siècle. Le “bétail” n’existait plus. La viande était “cultivée” sous la direction de chimistes […]. Le produit de cette fabrication S était une viande parfaite, tendre sans tendons, ni peaux ni graisse, et d’une grande variété de goûts.» Depuis une poignée d’années, quelques labos disent avoir concrétisé ce «rêve» – ou ce cauchemar, c’est selon. Aussitôt surnommé «Frankenburger», le premier hamburger à base de cellules musculaires prélevées par biopsie sur une vache a été cuisiné et dégusté en grande pompe le 5 août 2013 à Londres. Mark Post, un scientifique de l’université de Maastricht, a mis six semaines à le concocter, moyennant 250 000 euros pour 142 grammes. La chose était constituée de 20 000 minuscules tran- le même type de mixture. Pour son patron, András Forgács (aussi papa d’une imprimante 3D capable de créer du tissu musculaire, il n’estime pas ce procédé rentable pour la viande), cultiver des cellules pour faire des «chips de steack» n’est pas plus fou que cultiver des lactobacilles pour le yaourt ou de la levure pour la bière. Une équipe de l’université de Tel-Aviv, en Israël, tente, elle, de fabriquer de la poitrine de poulet en labo. Bioréacteurs. Bien-être animal, protection de l’environnement et lutte contre la faim, voilà les motivations affichées par ces chercheurs soutenus par l’association de défense des animaux Peta, mais aussi par de riches mécènes fascinés par le Verdict de deux téméraires cobayes: (le cofondateur «Goût assez intense», «même texture» transhumanisme de Google Sergey Brin a financé le et profil «proche de la viande» malgré projet de Mark Post; celui de Payun «manque de gras». Pal, Peter Thiel, appuie celui de Forgács). «Les cellules d’une seule ches de «viande», «nourries» au sérum de vache pourraient produire 175 millions de hamveau fœtal ou de cheval. Chapelure, sel, pou- burgers. L’élevage traditionnel nécessiterait dre d’œuf, jus de betterave et safran avaient 440 000 vaches», avance Post. En 2011, une été ajoutés pour donner un peu de tenue et de étude de l’université d’Oxford estimait que couleur. Verdict des deux téméraires cobayes: concentrer la production de viande dans des «Goût assez intense», «même texture» et profil bioréacteurs réduirait de 96% les émissions «proche de la viande» malgré un «manque de de gaz à effet de serre (GES) dus à l’élevage, gras». Née fin 2011, la start-up new-yorkaise libérerait 99% des terres consacrées à ceModern Meadow («prairie moderne») mijote lui-ci et économiserait 96% d’eau. Mais elle est très contestée. «Les calculs ont été faits alors qu’on ignore les procédés qui seraient retenus pour une production à grande échelle», note Jean-François Hocquette, de l’Institut national de la recherche agronomique. Pour lui, la viande in vitro ne présentera qu’un «intérêt modéré» pour réduire GES et pollutions par les nitrates, un «intérêt limité» pour l’utilisation d’énergie fossile et «probablement une absence d’intérêt» pour l’eau. En revanche, le chercheur craint «la création d’autres problèmes environnementaux, par exemple le rejet dans la nature de molécules issues des milieux de culture». D’ailleurs, cette viande dopée aux hormones et arrosée d’antibiotiques et de fongicides n’en est pas vraiment, «c’est un amas de fibres musculaires, il manque le reste: nerfs, vaisseaux sanguins, collagène…» Même si ses artisans promettent la vente d’une carne in vitro «délicieuse» dans dix à vingt ans, Hocquette pense qu’il faudra «plusieurs dizaines d’années de mise au point». Surtout, des solutions infiniment moins chères sont déjà là : chasse au gaspi alimentaire, alternatives à l’élevage intensif, rééquilibrage de notre alimentation. Il existe plus de 1700 espèces d’insectes comestibles. Pas plus atroce que le Frankenburger, après tout. CORALIE SCHAUB 8 • LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 EVENEMENT Défiant les lois de la cité, Pythagore fut l’un des premiers à arrêter la viande. La philo et ses veggies pirates e nom même d’animal ouvre une curieuse bifurcation: est-il un être animé, qui se déplace, contrairement aux plantes, ou un être qui a, ou non, une âme, anima? Le premier parcours est tracé depuis toujours : Aristote disait déjà que, comme l’herbe est faite pour l’animal, l’animal est fait pour l’homme, qui peut donc en utiliser la mobilité, la docilité ou la force pour s’aider dans son travail, et Descartes, on le sait, fera des bêtes des machines automatiques. Le second parcours est plus compliqué, et fera tourner la philosophie autour de deux questions: l’animal parle-t-il, pense-t-il? –avant que Jeremy Bentham (1749-1832) n’établisse une coupure épistémologique décisive, en avançant que l’essentiel est de savoir s’ils peuvent souffrir. Mais dès l’Antiquité la croyance en la métempsychose (la transmigration de l’âme d’un corps à un autre corps, y compris animal) s’est accompagnée de l’interdit moral d’en consommer la chair. Abstinence très minoritaire cependant, dans la mesure où, dans la cité grecque, religiosité, culte, pratiques sacrificielles, consommation des chairs immolées et vie publique étaient étroitement liés: voir de la cruauté dans les sacrifices d’animaux et refuser de manger la viande, s’était se mettre «hors communauté» et s’exposer à l’ostracisme. Pythagore de Samos n’a pas craint, au VIe siècle avant J.-C., de s’opposer aux lois de la cité : il est le premier et plus connu des végétariens, «secte honnie par la foule», comme l’écrira Sénèque, et moquée. Le néo-platonicien Jamblique rapporte cependant que certains pythagoriciens ne pratiquaient qu’une abstinence partielle, consommant du pain, des olives, des fèves, du fromage ou de l’orge, mais aussi la chair de certains animaux qu’il était légitime de sacrifier – à l’exclusion du bœuf qui travaillait et du mouton qui fournissait lait et laine. Pythagore aura des héritiers célèbres: Platon peut-être, Epicure sans doute, que les préjugés ont toujours fait imaginer se bâfrant de victuailles. Ou Lucrèce, Ovide, Sénèque lui-même, Porphyre et Plutarque qui, dans De esu carnium, fustige les carnivores: «Si vous vous obstinez à soutenir que la nature vous a faits pour manger la chair des animaux, égorgez-les donc vous-mêmes, de vos propres mains, sans vous servir de coutelas, de massue ou de hache. Faites comme les loups, les ours et les lions, qui tuent les animaux dont ils se nourrissent. Mordez, déchirez à belles dents ce bœuf, ce pourceau, cet agneau ou ce lièvre; mettez-les en pièces, et comme ces bêtes féroces, dévorez-les tout vivants.» On ne peut pas dire cependant que la question végétarienne ait constitué un fil rouge de l’histoire de la philosophie, laquelle s’est orientée plutôt, progressivement, vers la question du respect de la vie animale, des devoirs des hommes envers eux, voire des droits des animaux. Mais nombre de philosophes ou savants furent végétariens (le terme vegetarian apparaît en 1842, dans la revue The Helthian) : de Diogène le Cynique à Cicéron, Saint Augustin, Montaigne, Giordano Bruno, Léonard de Vinci, Erasme, Thomas More, Pascal, Newton, Leibniz, Rousseau, Voltaire, Darwin, Schopenhauer, Emerson, Bertrand Russell, Einstein, Carl Jung, Lévi-Strauss ou Derrida sans doute. Nietzsche le fut en sa jeunesse, quand il fréquentait Richard et Cosima Wagner. Mais, souffrant de troubles digestifs, il se nourrit de lait et de viande rouge –mets, disait-il, qui convient aux passionnés. Sa mère et ses sœurs le fournissaient en jambons et saucisses, qu’il adorait. L ROBERT MAGGIORI Extrait de la série «Fleur viande», exposée au festival Circulation(s) au CentQuatre. PHOTO ULYSSE ET DARCOE LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 EVENEMENT • 9 Graine ou bidoche, pas besoin de trancher tant qu’on choisit de bons produits. Mangez bien, mangez billot anger poules, veaux, vaches, cochons n’est pas une fatalité. S’en priver non plus. Pourtant, le débat demeure toujours aussi clivant, voire saignant au pays de l’entrecôte marchand de vin, du veau marengo et de la poule au pot. La faute à qui ? A nous tous, défenseurs de la bavette à l’échalote comme disciples du tofu qui n’avons pas compris qu’entre le tout et le rien, il peut y avoir une place, certes ténue et fragile, pour le persillé de l’entrecôte, la rusticité nutritive du légume sec et l’éclat gustatif d’une tomate toute chaude du soleil de juillet. Pourtant, on continue de s’étriper à coups de revue dédiée à la côte de bœuf, de starisation du loucherbem d’un côté, de célébration de la spiruline (micro-algue riche en protéines) et de dénonciation de l’élevage industriel et carcéral, de l’autre. Il est d’ailleurs remarquable de constater que cette guérilla de la bectance a tout d’une guéguerre de proximité puisque les deux camps fréquentent souvent les mêmes rues, les uns empruntant le trottoir de droite pour faire la queue devant un restaurant de hamburgers, les autres campant devant leur plateau indien végétarien. Mais pourquoi diable se regardent-ils en chiens de faïence alors qu’ils pourraient faire compromis commun pour soulager la planète ? Godiveau du jeudi. Il n’y a sans doute pas une seule réponse mais autant de raisons que d’yeux (les bulles de graisse) dans le bouillon du pot-au-feu. D’abord, notre dépendance à la bidoche n’a rien d’une toquade. Elle vient de loin, autant dire un siècle pour les accrocs aux nuggets et aux poissons carrés. Après les années de vache maigre de la Seconde Guerre mondiale, les Français ont plongé dans les Trente Glorieuses et la bavette avec les encouragements des chevillards et la bénédiction des pouvoirs publics. C’était foie de veau le mardi, cervelle pour les petits le mercredi, godiveaux le jeudi, la parenthèse du poisson le vendredi, hampe le samedi, rôti de bœuf ou poulet le dimanche dont les restes étaient accommodés le lundi. Entre 1950 et 1990, la consommation de viande est passée de 44 kilos à 91 kilos par an et par habitant. En comparaison, les légumes secs («la viande du pauvre», car riche en protéines) ont reculé de 7,3 kilos par an et par habitant en 1920 à 1,4 kilo en 1985. Pas facile, donc, de s’affranchir de cette dictature de la viande quand, dans l’inconscient collectif, elle reste encore pour beaucoup aussi requinquante pour l’humain que le plan Marshall pour les victimes de guerre. A l’autre bout de la table de nos attitudes alimentaires, la quête du sans viande a longtemps été perçue comme un chemin de croix. Il faut dire que les premiers pas d’une gastronomie sans côte de bœuf, ni longe de porc ne respiraient pas forcément la gourmandise alors qu’aujourd’hui, on peut se régaler de graines, de protéines végétaliens et de légumes frais dans des recettes M qui fleurent bon les épices et les aromates. Qu’importe cette évolution, la ligne Maginot demeure entre les viandards et les végétariens et les végétaliens. Sachet plastique. Alors, plutôt que de l’affronter de plein fouet, nous aurions tout intérêt à la contourner, nous autres mangeurs, car le changement doit venir de nos assiettes. D’abord en renonçant à cette absurdité, à cette hérésie qu’est l’habitude de bâfrer de la viande à tous les repas. Car trop de viande tue la viande. Prenez une minute, ouvrez votre réfrigérateur. Non mais vous l’aimez vraiment la tranche de jambon qui stagne dans son sachet de plastique? Sans parler de ce bout de barbaque sous cellophane qui rétrécira à la cuisson dans la poêle et que vous noierez sous une louche de sauce barbecue pour lui donner le goût de… la sauce barbecue. Oubliez ces rogatons et inspirez-vous plutôt de légumes de saison pour imaginer un repas. Et n’oubliez pas que, dans beaucoup de cuisines traditionnelles du monde qui font la part belle aux racines, aux graines, aux plantes, la viande est utilisée avec parcimonie car c’est la richesse de ses sucs et non la quantité qui donne du goût au plat. Forcément, ça demande un peu plus de boulot aux fourneaux, mais c’est meilleur pour nos papilles, nos artères et la planète. Tout comme on ne peut qu’aller vers le mieux en se détournant – plutôt beaucoup qu’un peu – de la voie, certes rapide mais ô combien néfaste – de tous les fast-foods et autres enseignes de snacking qui ont construit leur offre sur le sacro-saint steak haché et le poulet en seau. Vous verrez qu’après ces deux pas de côté, le rognon de veau en cocotte ou le poulet de Bresse du dimanche n’en seront que meilleurs. JACKY DURAND 10 • MONDE LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 «Libération» s’est rendu dans cette ville du Kurdistan syrien, où les combattants des Unités de protection du peuple, bien coordonnés avec la coalition, ont repoussé les jihadistes. Par LUC MATHIEU Envoyé spécial à Tal Brak et Kameshli (Kurdistan syrien) M ême morts, les jihadistes de l’Etat islamique (EI) stupéfient Hajar. Il ne peut s’empêcher de regarder les photos de leurs cadavres sur son téléphone mobile. Il les a er prises le 1 mars, après la bataille de Tal Brak, un village du Kurdistan syrien perdu au milieu des champs de coton et de houblon. Les clichés défilent ; il s’attarde sur l’un, zoome sur un autre, revient en arrière. «Celui-là, c’est un Turc qui s’était accroché un Coran autour du cou. Et les deux, là, c’étaient des Pakistanais. Ils REPORTAGE étaient habillés tout en noir, même leurs sousvêtements étaient noirs.» Il ne s’en rend pas compte mais il s’est mis à crier. «Oui, je suis furieux. Même leurs cadavres me dégoûtent.» Hajar est un combattant kurde de 39 ans, râblé et nerveux. Dans son autre vie, avant la guerre, il réparait des vélos à Kameshli, principale ville kurde du canton de Djézireh, aux frontières de la Turquie et de l’Irak. Il y a deux ans, lorsque les jihadistes se sont emparés de villages de sa région, il s’est porté volontaire au sein des Unités de protection du peuple (YPG), une émanation du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) turc. Depuis la mi-février, il participe à l’offensive lancée par les Kurdes contre l’Etat islamique dans le canton. FLAQUE. Le 28 février, il était de l’assaut sur Tal Brak. Les jihadistes occupaient la bourgade depuis un an. Ils avaient accroché leurs pancartes sur des poteaux électriques de la petite place centrale. Elles y sont toujours : «Nous nous battons en Syrie et en Irak, mais nos regards sont tournés vers l’Andalousie»; «Un califat pour Dieu vaut mieux qu’une démocratie pour l’Occident». Le terre-plein servait aux décapitations ; les jihadistes veillaient à laisser les corps pourrir trois jours avant de les évacuer. Les habitants n’avaient pas le droit de quitter le village, même pour travailler. Les hommes qui laissaient leur Les combattants kurdes à Tal Hamis, ville reprise à l’Etat islamique quelques jours avant Tal Brak. PHOTO RODI SAID. REUTERS ATalBrak,leshommes del’EIont«fuicomme dessouris» femme sortir sans niqab étaient punis de quatre jours de prison. Les enfants n’allaient plus à l’école. L’ordre de l’Etat islamique paraissait aussi solide que sauvage : il s’est écroulé en moins de quarante-huit heures. «On dit toujours que les combattants de Daech [acronyme arabe de l’EI, ndlr] sont redoutables. Mais ici, ils ont fui comme des souris», dit Rojine, une commandante aussi petite que musclée. Les combats se lisent sur les murs des maisons. Il y a l’école au toit écroulé, qui servait de quartier général à l’Etat islamique, bombardée au début de l’assaut par un char kurde. Puis, à moins de 100 mètres, les échoppes aux rideaux de fer arrachés, où les jihadistes s’étaient embusqués. «On a perdu un homme ici et plusieurs ont été blessés. Mais on a continué à avancer», raconte Rojine. L’assaut final s’est déroulé dans une autre école, à la sortie du village. Ses murs sont creusés d’impacts de balles et brûlés par les explosions. Une flaque de sang sèche au milieu du couloir du rez-de-chaussée. «Ça, c’est le sang de Daech», dit la commandante. Les Kurdes n’ont pas encore pénétré dans l’école, persuadés qu’elle est minée. Le long du mur d’enceinte, il y a un camion piégé. «On les a entendus sur nos radios. Le kamikaze hurlait: “Je n’arrive pas à me faire exploser, ça ne marche pas! Je fais quoi? Je fais quoi?” L’un des chefs lui a finalement dit de se sauver», raconte Rojine. Au total, trente jihadistes de l’EI ont été tués les 27 et 28 février à Tal Brak. Un combattant du YPG est mort, dix autres ont été blessés. Un bilan comme une revan- LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 Les jihadistes avaient annoncé qu’ils s’en empareraient en quelques jours. Mais ils ont eu beau envoyer renforts et armes lourdes, ils se sont empalés sur la ville, perdant plus de 1000 hommes, principalement lors des frappes aériennes filmées en direct par les médias internationaux. A la déroute militaire s’était ajouté le revers de propagande. «Depuis le succès de Kobané, nous sommes en coordination directe avec la coalition. Nous pouvons lui demander nous-mêmes des frappes, alors qu’avant, nous ne savions même pas où elle bombarderait», explique Redur Xelil. Le porte-parole pousse une table basse pour déplier par terre une carte plastifiée de 2 mètres de long sur autant de large. Il trace du doigt une ligne d’est en ouest, qui relie les monts Sinjar, en Irak, à ceux d’Abd al-Aziz, en Syrie. «Notre objectif est de conquérir le nord de cette ligne, c’est notre territoire. Nous n’irons pas de l’autre côté», affirme-t-il. Les combattants du YPG ne s’aventureront pas en terre sunnite, ils ne tenteront pas d’aller jusqu’à Raqqa, le fief de l’Etat islamique. La guerre, pour les Kurdes, est avant tout une question d’autonomie territoriale. LONGUEVUE. A Tal Brak, devant une ferme aux murs de torchis qui fait office d’avantposte, le commandant Hajar sait que la bataille sera longue. Il pointe la plaine, devenue floue sous les rafales de vent et de pluie. Les jihadistes sont à quelques kilomètres, il ne sait pas exactement combien, mais ils sont là. Ils tirent parfois des obus de mortier. Dès qu’ils le pourront, dès qu’ils auront ramené de nouvelles armes, ils lanceront une contreattaque. «Le problème avec eux, c’est qu’hormis pour les échanges de prisonniers, il n’y a aucune table où l’on pourrait s’asseoir pour négocier, affirme Hajar. Lorsqu’Al-Qaeda et Ahrar al-Sham [un groupe salafiste syrien, ndlr] étaient implantés dans la région, on pouvait discuter. Avec Daech, c’est impossible: ils refusent de comprendre que l’on défend notre terre. Ils veulent juste faire couler le sang.» Dans l’immédiat, le commandant kurde est moins inquiet des mouvements jihadistes que de ceux de l’armée du régime de Bachar al-Assad. Elle aussi est toute proche, à moins de 2 kilomètres. Les militaires ont installé un barrage le long de la route qui mène à Alche. L’hiver dernier, les Kurdes avaient déjà Hasakah, la grande ville de la région, contrôtenté de reprendre la bourgade et ses lée en partie par le gouvernement. Un jeune hameaux. Mais l’offensive avait viré à la Kurde observe les soldats avec une longuedéroute. Trente-cinq de leurs combattants vue aux pieds vacillants. La veille, cinq véhiavaient été faits prisonniers avant d’être cules de l’armée gouvernementale ont tenté décapités. une incursion, arrivant jusqu’à l’avant-poste. Hajar en est encore furieux. «Le régime n’a PROPAGANDE. A Kameshli, dans son bureau rien fait contre Daech en un an, il les a laissés encombré de canapés et de tables basses, Re- s’installer ici avec leurs tanks et leurs armes, dur Xelil, porte-parole du YPG, dit ne pas sans bouger. Et maintenant que nous avons vouloir plastronner. Mais il ne peut s’empê- combattu et que nos martyrs les ont repoussés, il veut tout récupérer. Il rêve: on se battra contre lui «Le régime [syrien] n’a rien fait contre Daech. comme contre Daech, qu’il Maintenant que nos martyrs les ont repoussés, le sache.» il veut tout récupérer. Il rêve: on se battra L’incident de la veille n’a contre lui comme contre Daech, qu’il le sache.» pas provoqué d’affrontements armés. Comme Hajar un combattant kurde souvent, il s’est réglé par cher de sourire. «Nous n’avons pas encore ga- des coups de téléphone entre responsables gné contre Daech, loin de là. Ils ont énormément des deux camps : les Kurdes ont menacé de d’armes et de partisans. Mais sans vouloir être lancer une offensive, le régime a rappelé ses arrogant, il faut reconnaître que les Kurdes blindés. Mais Hajar reste méfiant. Avec ses sont les seuls à les repousser ces dernières se- hommes, il a bâti un barrage de terre de maines.» Quelques jours avant de s’emparer 2 mètres de haut en travers de la route, juste de Tal Brak, les «camarades», selon l’expres- en face de la ferme. La protection est dérisoire sion consacrée du parti, avaient reconquis Tal contre un tank mais elle pourrait ralentir des Hamis, à une vingtaine de kilomètres. pick-up. Deux jeunes combattants se sont Ces succès, ils le reconnaissent, doivent assis en haut du talus. Ils regardent vers leur beaucoup à la coalition et à ses bombarde- ville natale d’Al-Hasakah, où ils ne peuvent ments. Le porte-parole du YPG évoque «un retourner sans risquer la prison. Ils entonnent effet Kobané», en référence à la bataille de cet doucement une chanson traditionnelle syautomne pour le contrôle de l’enclave kurde. rienne. Elle parle de paix et d’unité. • MONDE • 11 Le vice-ministre irakien des Antiquités réagit aux attaques contre les sites culturels: «Je crains que le pire soit à venir» A près s’être attaqué la semaine dernière au musée de Mossoul, en Irak, l’Etat islamique (EI, ou Daech) est entré jeudi avec des bulldozers dans la cité antique de Nimrod, une action qualifiée de «crime de guerre» par l’Unesco. Qaïm Hussein Rachid, viceministre irakien chargé des Antiquités, craint que ce ne soit qu’un début. Le grand musée de Bagdad, pillé en 2003, puis fermé, vient de rouvrir… Sa réouverture, programmée pour avril, était prévue depuis longtemps, mais le gouvernement voulait inviter des représentants des pays qui nous ont aidés à sauver notre patrimoine. Le Premier ministre a avancé sa réouverture en réponse à ce qui s’est passé à Mossoul. Il a été le premier visiteur. Combien de pièces ont été retrouvées? 15000 pièces ont été volées et 4300 retrouvées. Les Etats-Unis en ont récupéré 1400, la Jordanie 1800, la Syrie (avant la guerre) 700, la France 23, l’Espagne 22. Manque-t-il des pièces uniques? Elles ont toutes été retrouvées. La tête de femme sumérienne a notamment été découverte en 2005 par des soldats américains, enterrée dans la banlieue de Bagdad. Un coup de chance : ils pensaient avoir affaire à des terroristes, mais c’étaient des trafiquants d’antiquités. Ce qui s’est passé à Mossoul la semaine dernière est-il plus grave? Beaucoup plus grave! Quand un musée est pillé, on a l’espoir de retrouver les pièces. Or, depuis le mois de juillet, Daech ne vole pas seulement les antiquités, il les détruit. Ils ont dynamité des mosquées, des églises, des tombeaux… Comme celui de Nabi Younès, le prophète Jonas? Oui, et c’est d’autant plus grave qu’il était construit sur une colline historique, sous laquelle se trouvait enfoui un grand palais assyrien. Avec l’explosion, elle s’est effondrée, et tout ce qui était dessous a été endommagé. Et ce qui s’est passé dans la ville est autrement plus grave qu’au musée, où il y avait beaucoup de copies: ils ont détruit les grands taureaux ailés qui gardaient la porte d’Assur et une fresque inestimable construite à l’époque d’Assurbanipal Vous parlez des églises? Pas toutes. Il en reste quelques-unes. Sur 28 sites religieux de première importance, seule la moitié n’a pas été détruite. Et Daech a ramassé 15 000 manuscrits dans plusieurs églises et monastères pour en brûler une partie sur une place publique de Mossoul et faire commerce de l’autre. Une version très ancienne de l’Ancien Testament, volée au couvent de Deir Meti, proche de Mossoul, est arrivée en Israël. Hormis l’Irak, existe-t-il des filières pour exporter ces antiquités? Des fouilles illégales, je ne vais pas dire qu’en Irak, cela n’existait pas avant. Mais elles étaient dans le Sud. A présent, Daech a mis en place des bandes mafieuses pour les exporter. Avec la complicité de certains Etats comme la Turquie, par exemple? En tant que citoyen, je suis d’accord avec vous, mais en tant que ministre, je ne peux rien dire, si ce n’est qu’il y a des Etats complices. Que craignez-vous à présent? Je crains que le pire soit à venir. On sait qu’ils ont piégé les murailles de l’ancienne ville assyrienne d’Assur. Si tous ces crimes restent sans réponse, ils vont faire encore pire. Or la réaction de la communauté internationale est timide. Et les opérations militaires de la coalition sont très faibles. Malheureusement, je crains que nous nous préparions à des nouvelles encore plus catastrophiques. Recueilli à Bagdad par JEAN-PIERRE PERRIN REPÈRE Tal Brak TURQUIE Kobané Alep Kameshli 50 km Tal Hamis Mossoul Monts Abd al-Aziz Idlib Hama Homs LIBAN Raqqa SYRIE Hassaké Monts Nimrod Erbil Sinjar Tikrit Abou Kamal Damas Kirkouk Hit Ramadi Samara Fallouja Zones contrôlées Villes contrôlées par Daech par les Kurdes par les rebelles syriens par les forces gouvernementales syriennes ou irakiennes IRAN Baqouba Bagdad Najaf IRAK ARABIE SOUDITE Principaux combats 12 • LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 MONDE plutôt que de laisser ce boulot à une Maison Blanche qui a fait savoir, de façon informelle, qu’elle n’était pas au courant de ses pratiques. Hillary Clinton consulte ses mails sur son téléphone dans un avion militaire en direction de Tripoli (Libye), en octobre 2011. PHOTO KEVIN LAMARQUE. AP «Emailgate»:HillaryClinton priéededéballersoncourrier L’ancienne chef de la diplomatie, qui envoyait ses mails sans utiliser le système sécurisé du gouvernement, les rend publics pour éviter le scandale. Par MICHEL HENRY D’ du moment que l’on a gardé trace de tous les mails. Mais, quid de ses communications dites «sensibles», susceptibles d’être piratées? accord, il y a des choses plus graves. Par exemple, l’acteur Harrison Ford, 72 ans, s’est RÈGLES. L’affaire, révélée lundi, par crashé jeudi avec son petit avion sur le New York Times, a pris de court un golf près de Los Angeles, sans celle qui dirigea le département trop de dommages. C’est un crash, d’Etat (Affaires étrangères) de 2009 a priori aussi anodin, à 2013. Hésitant à réagir, qu’Hillary Clinton subit deRÉCIT Clinton a fini par tweeter, puis lundi, alors qu’elle esmercredi soir : «Je veux que père décoller vers la présidentielle les gens voient mes courriels. J’ai de 2016. La raison? Pour ses mails, demandé au département d’Etat de lorsqu’elle était chef de la diploma- les publier. Ils m’ont dit qu’ils allaient tie, elle n’utilisait pas le système les examiner pour les publier au plus sécurisé du gouvernement, mais vite.» Histoire de démontrer que la une messagerie privée, hébergée sécurité n’a pas été menacée, et de sur un serveur privé. Elle pourrait dénier ce vieux penchant clintoainsi avoir violé les règles, même si nien pour le secret, avec le sentiun porte-parole a assuré que «l’es- ment d’être au-dessus des lois. prit et la lettre» en étaient respectés, Hélas pour elle, il y a 55 000 cour- REPÈRES «D’après ce que j’ai vu jusqu’à maintenant, je pense que tout ça n’est qu’une façon d’attaquer Hillary Clinton. Un point c’est tout.» Elijah Cummmings élu démocrate riels à lire. Son successeur John Kerry a indiqué, jeudi, que cela se ferait «aussi vite que possible», mais cela pourrait prendre des mois. Pire: selon le Washington Post (WP) de jeudi, le département d’Etat enquête pour savoir si Hillary Clinton jeudi, d’un câble du département d’Etat de 2011, recommandant d’éviter son mail perso pour des communications de travail. Et selon le WP, un inspecteur général affirmait dans un rapport en 2012 que l’usage par un ambassadeur de mail privé pour son travail constituait une violaSi plus de 50000 mails ont été tion des règles – une donnés, une obligation légale, les des raisons pour la dérépublicains soulignent qu’il n’y a mission forcée de aucune garantie que tous y figurent. l’ambassadeur au Kenya Scott Gration. a violé les règles, qui restent assez Ce début de polémique tombe mal floues. Utiliser un mail perso n’est pour Clinton: favorite de son camp pas forcément répréhensible, mais pour la présidentielle de novemil s’agit de déterminer si certains bre 2016, elle devrait annoncer sa courriels auraient dû passer par le candidature à l’investiture démosystème sécurisé gouvernemental. crate au printemps. Certains lui Comment Clinton, 67 ans, pouvait- suggèrent désormais de le faire au elle l’ignorer? Fox News a fait état, plus vite, afin de contre-attaquer, 250000 C’est le nombre de mails écrits lorsqu’il était gouverneur de Floride que Jeb Bush, probable candidat à la primaire républi caine pour la présidentielle, a récemment rendu public. «Le public américain a le droit de savoir si une de ses plus hautes responsables a violé la loi fédérale.» John Philippe conseiller de la commission nationale républicaine ARCHIVAGE. Le camp républicain, lui, s’est jeté sur l’«emailgate» pour dénoncer une «absence de transparence» et un «problème d’éthique». L’affaire est apparue à la faveur de l’enquête dirigée par les républicains au Congrès sur l’attaque contre la mission diplomatique américaine de Benghazi (Libye), le 11 septembre 2012, qui avait fait quatre morts américains, dont l’ambassadeur Chris Stevens: sollicité, le département d’Etat n’a pas pu produire les mails de sa patronne qui conversait uniquement sur son réseau privé. Clinton a fini par accepter la publication de ses mails. Tous? Pas sûr. Si plus de 50000 ont été donnés, en décembre, à la demande du département d’Etat pour archivage, une obligation légale, les républicains soulignent qu’il n’y a aucune garantie que tous y figurent. Le porte-parole de la commission d’enquête, le républicain Jamal Ware, s’est ému que Clinton soit «la seule personne qui détermine quels documents le peuple américain est en droit de voir». Les républicains, qui ne se satisferont pas d’un seul tweet en guise de réponse, vont exploiter ce filon. «Qui est prêt pour 20 mois d’#emailghazi ?», demandait le site Politico.com, mercredi. «Les Clinton ont survécu à de bien pires tempêtes médiatiques», y écrit un peu vicieusement le journaliste Jack Shafer, ce qui lui permet d’énumérer ces scandales –dont le héros est avant tout son mari Bill. Certes, reconnaît Shafer, il faudra trouver des «surprises valables» dans les mails d’Hillary Clinton pour que la polémique prenne corps. Mais en attendant, «les chiens de la presse ne peuvent résister à l’envie de mordre dans sa chair dès qu’ils sentent le fumet» d’un possible scandale. Les Clinton eux-mêmes alimentent la cheminée : ils ont été épinglés voici quelques jours car leur fondation a accepté des dons de gouvernements étrangers. Les républicains se sont empressés de lier les deux affaires : «Hillary Clinton doit livrer le reste de ses mails et expliquer aux Américains pourquoi elle utilisait exclusivement une adresse privée lorsqu’elle était secrétaire d’Etat, au moment même où la fondation Clinton acceptait des dons de gouvernements étrangers qui faisaient du lobbying auprès du département d’Etat», a déclaré le président du parti, Reince Priebus. Hillary Clinton devra donc apprendre à piloter par gros temps. Peut-être avec Harrison Ford, luimême ami des démocrates. • • SUR LIBÉ.FR A lire: Vingt ans de scandales autour des Clinton, tels le sui cide suspect de leur ami Vince Foster (1993), les affaires de mœurs (Flowers, Lewinsky)… LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 MONDEXPRESSO Par RAGIP DURAN Ankara honnit «Charlie» a justice turque a interdit l’accès à 49 sites internet, dont celui de Charlie Hebdo, pour «insultes contre les valeurs religieuses et sacrées qui peuvent perturber la paix sociale». Dans son arrêt du 27 février, un tribunal de Gölbasi (district d’Ankara) a ainsi interdit certaines pages de Wikipédia, de Facebook et de Twitter. Les pages de deux sites locaux qui avaient publié les versions en turc du premier numéro de Charlie Hebdo post-attentat du 7 janvier ont été également interdites. Tout comme le site de la nouvelle Association de l’athéisme. L Me Rodrigue Dadjé un des avocats de l’expremière dame de Côted’Ivoire Simone Gbagbo, jugée à Abidjan pour son rôle dans la sanglante crise post électorale de 20102011 30000 Le violeur présumé a été extrait par la foule de la prison centrale de Dimapur jeudi. PHOTO AP EnInde,lafoulelynche unvioleurprésumé XÉNOPHOBIE L’homme, victime des tensions autour Le tribunal était saisi d’une plainte déposée par la TIB, l’Autorité turque des télécommunications, organe du sujet, a été pris pour un immigré bangladais. L’HISTOIRE LE BRITISH BULL DOG VICTIME DE CONCURRENCE DÉLOYALE La GrandeBretagne nous a donné Dickens, Churchill et le Crufts, ce concours annuel réservé aux chiens de race qui se déroule à Birmingham. Mais voilà: le Crufts est assiégé par le braque de Weimar, l’épa gneul breton et le basset artésien. Cette invasion canine continentale le menace. A tel point que certains propriétaires britanniques aboient à la concurrence déloyale. 22000 chiens sont invités à la foire pour s’affronter lors de multiples concours de beauté où le caniche permanenté donne sa plus belle mesure. Or 2987 chiens viennent de l’étranger. La France, elle, déferle avec 377 toutous. Tout serait bon, selon la presse sérieuse, pour faire perdre son flegme au chien britannique: chienne en chaleur lancée dans le con cours, chewinggum dans le poil du lévrier et soupe aux croûtons avec laxatif. Le patriotisme canin britanni que étant déjà fort affecté par la victoire, en 2014, de Colin, un spitz nain de Pologne, une victoire du griffon vendéen plongerait les organisateurs dans une stupeur animale. 13 VU DE TURQUIE «Il s’agit du procès du néocolonialisme, de l’ingérence dans les pays africains de la France qui installe qui elle veut à la tête de nos pays.» C’est le nombre de car touches de fusil d’assaut trouvées par les forces de l’ordre tunisiennes, ven dredi, à Ben Guerdane, ville frontalière de Libye, à 120 kilomètres de Djerba. Dans cette cache: des kalachnikovs, 30 roquettes, 20 grenades et des lance roquettes. Ben Guerdane est un haut lieu de trafics, notamment en carburant et produits manufacturés. • epuis deux jours, la tension montait à Dimapur, ville de 200 000 habitants dans le nord-est de l’Inde et capitale économique de l’Etat du Nagaland, après la publication dans un journal local, le Morung Express, du nom et de la photo d’un homme de 35 ans, accusé de viol par sa voisine, étudiante de 25 ans. Depuis la mort d’une autre jeune fille, violée par six hommes dans un bus à New Delhi en 2012, le pays se déchire sur le sujet des agressions sexuelles. Un des accusés du crime de Delhi explique dans un documentaire à la BBC que la victime, Jyoti Singh, «aurait dû se laisser faire» et qu’«une femme décente ne traîne pas dehors après 21 heures». L’interview a fait scandale et sa diffusion a été interdite. A Dimapur, la vindicte a pris une tournure xénophobe. Notamment grâce à l’organisation locale Naga Women Hoho, qui déclarait au Morung Express que «si les Nagas ne s’attaquaient pas à la menace constituée par l’afflux d’infiltrés bangladais, les crimes contre nos femmes et nos filles par ces gens ne feraient qu’augmenter». Calvaire. Les Nagas, une ethnie chrétienne, constituent plus de 80% des habitants de ce petit Etat situé aux confins de l’Inde, entre le Bangladesh et la Birmanie. Très rapidement, la rumeur a couru que Syed Farid Khan D Syed Farid Khan. Ce vendeur de voitures d’occasion a alors été battu, traîné nu et ensanDimapur BHOUTAN glanté sur des kilomètres, NEP ASSAM son calvaire filmé par des diI N D E NAGALAND zaines de personnes, avant BANGL qu’il ne succombe à ses blesMYANMAR INDE sures. Son corps a ensuite été Dacca BIRMANIE 200 km tiré derrière une moto jusqu’à une place où il a été était un immigré clandestin pendu. La police est enfin inbangladais, et non un Indien tervenue pour disperser les musulman. Simple supputa- manifestants, tuant par baltion: sa véritable nationalité les un homme de 25 ans. n’était pas connue vendredi. Couvrefeu. Vendredi, les Mercredi, plusieurs milliers réactions se sont multipliées de personnes, selon le Hin- dans le pays. Une activiste dustan Times, ont encerclé le féministe assurait que «les commissariat de Dimapur, gens en ont assez des viols, car où le prévenu était retenu. le gouvernement ne répond pas Une délégation d’organisa- à temps». Le leader du Parti tions locales, emmenée par du congrès nationaliste, allié du BJP au pouL’homme a été battu, traîné nu voir, a formellement consur des kilomètres et son damné le calvaire filmé par des dizaines lynchage : «Ce de personnes, avant qu’il ne n’est pas correct. Si chacun succombe à ses blessures. fait la loi luila Fédération étudiante naga, même, ce sera l’anarchie.» a réclamé qu’il leur soit livré. Dans la soirée, les chefs de la Parallèlement, elles ont de- police ont été suspendus, et mandé au conseil municipal le couvre-feu maintenu. Le d’annuler les licences com- gouverneur du Nagaland a merciales de musulmans de demandé que les médias ne langue bengali. Après l’échec reprennent pas les images du de pourparlers, des magasins lynchage «pour ne pas attiser tenus par des musulmans ont les tensions». été saccagés et incendiés. Pendant ce temps, à 1300kiEt jeudi, c’est une foule de lomètres de là, un autre plus de 10000 personnes qui homme était lynché par la a attaqué la prison centrale, foule lors d’un festival hinoù l’accusé avait été trans- dou à Varanasi, après avoir féré. La police, dépassée, a été accusé d’agression par un laissé les manifestants ins- groupe de jeunes filles. pecter les cellules et en sortir LAURENCE DEFRANOUX officiel de régulation de l’ensemble des communications électroniques. Elle s’est basée sur l’article 216 du code pénal turc, qui prévoit des sanctions contre «ceux qui provoquent la population à l’animosité et à la haine par des blasphèmes». L’écrivain d’origine arménienne Sevan Nisanyan et le pianiste Fazil Say ont notamment été condamnés en vertu de cet article. Selon les statistiques de la société Engelli Web, 67 683 sites étaient interdits d’accès en Turquie mardi. En 2014, la TIB a censuré en tout 22 645 sites sans attendre de décision judiciaire. La justice turque a, elle, produit 3094 arrêts visant l’interdiction de 16 600 sites l’année dernière. • LES GENS CHINE LA PILOTE UKRAINIENNE, PRISONNIÈRE EN RUSSIE, S’ALIMENTE À NOUVEAU A bout de force, la pilote militaire ukrainienne Nadia Savtchenko, en grève de la faim depuis quatrevingtqua tre jours pour protester contre sa détention en Russie, a décidé de mettre fin à son action. Selon son avocat, Mark Feïguine, la jeune femme de 33 ans souffrait de «fortes baisses de tension, de convulsions», et était «sur le point de s’évanouir». Capturée par des séparatistes prorusses et détenue en Russie depuis juin, Nadia Savtchenko, qui avait rallié un bataillon de volontaires, est accusée d’être responsable de la mort de deux journa listes russes dans l’est de l’Ukraine. Devenue un symbole de la lutte du pays contre l’intervention russe, la jeune femme a été élue députée au Parlement ukrainien sur la liste conduite par l’exPremière ministre Ioulia Timo chenko, en octobre. Alors que Kiev la considère comme une prisonnière de guerre, Moscou l’a exclue des accords d’échange de prisonniers conclus lors des négociations de Minsk, en février. Le président, Petro Porochenko, a, sans succès, demandé à Vladimir Poutine de libérer la jeune femme pour des raisons médicales. PHOTO REUTERS L’HISTOIRE UN CAÏD URUGUAYEN DE 12 ANS ET SES DRÔLES DE SCHTROUMPFS Il a 12 ans et son groupe s’appelle Los Pitufos («les Schtroumpfs»), mais il ne s’agit ni de rock ni de hiphop. Avec ses complices, âgés de 11 à 16 ans, il terrorise le quartier d’Ituzaingó, à Montevideo. La spécialité des Pitu fos: encercler une voiture, briser les vitres et rançonner les occupants. Les camions de livraison sont aussi une cible privilégiée. Le chef, dont l’identité n’est pas divul guée, n’a jamais été scolarisé. Pour cette raison (ainsi que pour vols), sa mère a été incarcérée. Le père a été tué par balles. Le quotidien uruguayen El País évoque (sans les montrer) des photos sur Facebook où l’enfant boit de l’alcool, fume et pointe une arme à feu sur un bébé. Aucune mesure judiciaire n’a été prise, pour le moment, contre Los Pitufos. 14 • FRANCE LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 L’opération d’évacuation de la «zone à défendre» de Sivens a été ordonnée vendredi par le ministère de l’Intérieur juste après le vote du conseil général. ASivens,leszadistesexpulsés, lesquestionsévacuées Le vote par le conseil général du Tarn d’un projet très flou de barrage plus petit ne rassure pas les opposants, qui ont été délogés du site «sans incident». Par JEANMANUEL ESCARNOT Envoyé spécial à Albi et SYLVAIN MOUILLARD Photo ISABELLE RIMBERT L la préfecture du Tarn et les 200 agriculteurs probarrage, déterminés à obtenir le départ des «peluts» (les «chevelus» en occitan), si nécessaire par la force. a «zone à défendre» (ZAD) de Sivens, où le jeune mili- «MESSE». C’est le vote du conseil tant écologiste Rémi Fraisse général du Tarn, à majorité sociaa été tué le 26 octobre, a été liste, qui a donné le top départ à vidée de ses derniers occupants. En l’évacuation. L’assemblée s’est prodépit du climat très tendu qui ré- noncée pour l’abandon du projet de gnait sur place depuis une semaine, barrage initial et la construction l’opération d’évacuation med’une retenue de taille plus née par les forces de l’ordre RÉCIT modeste. Seule condition : vendredi s’est déroulée «sans «l’expulsion sans délai» des incident majeur», selon l’Intérieur. zadistes. Dans l’hémicycle albiSur place, les zadistes n’étaient plus geois, il n’y a pas eu de débat. «La qu’une cinquantaine. «On ne va pas messe était déjà dite avant», souffle Paul Salvador (divers droite). Sous le regard «Ce projet n’est rien d’autre des agriculteurs préqu’un projet initial bis quand on sents, le «réflexe tarconnaît la puissance des lobbys nais» a rassemblé la agricoles et de la FNSEA.» droite, la gauche et le centre. Voix roSerge Entraygues (PCF) l’un des trois élus à avoir voté contre cailleuse et mine grave, Jean-Louis résister, car ils sont dix fois plus nom- Henry (PS) n’a pas hésité à compabreux que nous et dix fois plus éner- rer la situation «au conflit israélovés», racontait l’un d’eux au télé- palestinien». «Sortir d’une crise imphone. «Ils», ce sont les centaines pose de savoir trouver des comprode gendarmes et CRS mobilisés par mis», dit-il, pointant «les idéolo- gues de salon ne sachant rien des réalités des agriculteurs locaux». Effets de manche, tutoiement de certains de ses collègues: Jacques Valax, député PS du Tarn, l’a joué tribun: «Nos terres ont besoin d’eau. Nos exploitants sont pauvres, sur des exploitations modestes, 30 à 35 hectares de taille moyenne. Ils sont respectueux de l’environnement, ils pratiquent une agriculture raisonnée. Cette retenue s’intégrera pleinement REPÈRES «Comme je l’avais promis, dès la décision prise […], il y a évacuation. Ni gagnants ni perdants, juste.» Ségolène Royal vendredi sur Twitter Les forces de l’ordre ont rempli leur mission avec «professionnalisme et rete nue». C’est la conclusion d’un rapport d’enquête administra tive commandé par le ministre de l’Intérieur après la mort de Rémi Fraisse, tué par l’explo sion d’une grenade offensive lancée par un gendarme. 43 voix contre 3 c’est le vote du conseil général du Tarn ven dredi pour l’abandon du pro jet initial et la construction d’une retenue plus modeste. Projet de barrage de Sivens TARN-ETGARONNE Tesco u net Forêt de Sivens Tescou TARN 5 km et parfaitement dans le paysage […] Quand Cécile Duflot – une erreur de casting du précédent gouvernement –, a parlé d’agriculture intensive, c’est n’importe quoi.» Pas un mot sur la mort de Rémi Fraisse. «J’ai confiance en Manuel Valls. C’est quelqu’un qui s’engage. L’ordre républicain sera rétabli. Il fera le nécessaire», a-t-il poursuivi. Les élus du conseil général, s’ils ont accepté de «redimensionner le projet initial», sont restés flous sur l’alternative choisie. Les experts mandatés par la ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal, recommandaient d’ériger une nouvelle retenue, aux capacités réduites (750 000 m3 contre 1,5 million à l’origine), à 330 mètres en amont. Cette localisation semble faire débat. «Nous verrons où ce redimensionnement se positionnera, a expliqué Thierry Carcenac, le président socialiste du Tarn. Des compléments d’études permettront de le déterminer.» Son collègue Didier Houlès, vice-président, temporise : «C’est vrai que cette rédaction garde un flou, mais on entre dans la phase projet. On va travailler sur une nouvelle déclaration d’intérêt général. Les travaux ne pourront pas commencer avant deux ans.» Valax est plus direct: «Il n’y a aucune raison de reculer cette digue. Les experts l’ont proposé pour faire plaisir à Mme Royal, mais ça ne rime à rien.» Il dénonce la «gentry intellectuelle parisienne» qui a «mal interprété ce dossier». Maryline Lherm (divers droite), l’une des élus les plus favorables au barrage, ne s’embarrasse pas plus de diplomatie : «Une fois le site évacué, c’est la solution qui ira vite qui sera adoptée.» LARMES. Le communiste Serge Entraygues, un des trois élus à avoir voté contre, ne se fait pas d’illusions : «Ce projet n’est rien d’autre qu’un projet initial bis quand on connaît la puissance des lobbys agricoles et de la FNSEA.» A la sortie de l’assemblée, Jacques Pagès (divers gauche) a les larmes aux yeux face à la poignée de militants écologistes venus assister au vote: «Ces élus sont hors société. Je me sens bien plus proche de ceux qui sont allés planter des fleurs sur le site où est mort Rémi Fraisse.» Il se dit «contre cette résolution qui reste dans le vague tout en acceptant que l’on fasse la même chose au même endroit». Même dépit chez Christian Conrad, porteparole du Collectif de sauvegarde de la zone humide du Testet: «Nous ne sommes pas satisfaits du tout. Ségolène Royal nous avait assuré qu’il n’y aurait aucune structure là où est mort Rémi Fraisse. Aujourd’hui, le flou est trop important. Thierry Carcenac passe outre les contestations depuis des années, il est tout à fait capable de faire redémarrer les travaux au printemps, d’autant qu’une grosse partie de la déforestation et du terrassement a été réalisée.» A la buvette du conseil général, les élus se félicitent. Par téléphone, ils communiquent à leurs troupes le résultat. L’un d’eux souffle : «Il n’y a plus qu’à attendre que ça passe et on construira une retenue d’eau au même endroit avec un mur un peu moins haut.» • LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 FRANCEXPRESSO • 15 «Je pense qu’aujourd’hui, j’ai ma chance.» DROIT DE SUITE Alain Juppé candidat à la primaire UMP dans le Bondy Blog café diffusé dimanche à 12 heures sur France Ô et 13 heures sur LCP Mélenchon et le «sang-froid» de Poutine Par LILIAN ALEMAGNA LES MUSULMANS MULTIPLIÉS PAR LA CALCULETTE DE CHRISTOPHE BOUDOT (FN) Effet collatéral de la pro gression du FN: de plus en plus de nouvelles têtes apparaissent dans les rangs du parti. Alourdissant la charge de travail de l’équipe de «Désintox». Ainsi de Christophe Bou dot, responsable de la fédération FN du Rhône, et auteur d’une intervention remarquée lors d’une convention frontiste, le 28 février à Paris. L’homme a multiplié les chiffres et les anecdotes… au prix de plusieurs approximations, voire de pures et simples inven tions. Exemple: une étude qu’aurait réalisée le groupe Casino pour implanter ses rayons halal, et qui dénom brerait entre 12 et 14 mil lions de musulmans en France. Renseignement pris, l’étude n’a jamais existé. Le chiffre de 14 mil lions correspond au nombre de musulmans en Europe, contre 3 à 6 mil lions en France. PHOTO AFP • éjà, le 5 mars 2014, Jean-Luc Mélenchon s’attirait les critiques de certains médias pour ses propos dissonants sur l’invasion de la Crimée par des forces militaires prorusses, plantant sur son blog «un panneau de signalisation pour les Mickey de la sphère médiatique. Allons-y: je ne soutiens pas Poutine». Le 4 mars 2015, l’opposant à Vladimir Poutine, Boris Nemtsov, a été assassiné à Moscou : «La première victime politique de cet assassinat est Vladimir Poutine», écrit-il sur ce blog. D LES GENS SUR LIBÉ.FR Retrouvez la désintox du discours de Christophe Boudot dans son intégralité. Comité interministériel à la citoyenneté et à l’égalité, vendredi, à Matignon. SÉBASTIEN CALVET Apartheid:Vallss’essaie auxsoixantepromesses BANLIEUES Sans surprise, le Premier ministre a annoncé des mesures pour lutter contre la ségragation. a meilleure défense, c’est l’attaque. Avant de lister ses «60 mesures pour la citoyenneté et l’égalité» –un ensemble hétéroclite de dispositifs sur le logement, la laïcité ou l’école– Manuel Valls a remis d’équerre les détracteurs de son emportement contre «l’apartheid territorial, social et ethnique». Ce «mot choc a fait couler beaucoup d’encre mais il a été utile. Il a permis de traduire une réalité, ce sentiment de relégation dont souffrent beaucoup de nos concitoyens. Pour eux, la République est devenue une illusion sur fond de difficultés économiques et de chômage de masse». Et tant pis si, pour ne pas remettre une pièce dans la machine politico-médiatique, l’Elysée parle de «séparatisme territorial». Discrimination. Subrepticement (en répondant aux journalistes, pas dans son L discours), Valls s’est aussi démarqué de François Hollande sur les statistiques ethniques. «La France aime bien les débats qui ne servent à rien», avait tranché le chef de l’Etat début février. Le Premier ministre, lui, s’est dit «prêt à avancer sur toute réflexion qui reste dans un cadre constitutionnel». «Il faut d’avantage d’outils, il faudra de toute façon avancer», a expliqué Valls, qui a remis sur la table la question de la discrimination positive, honnie dans l’entourage présidentiel. Sans évoquer les quotas, il entend diversifier le recrutement dans la fonction publique et rendre les concours «plus ouverts» afin que l’Etat soit «exemplaire». Pour arriver à 60 mesures, le gouvernement a empilé des injonctions telles que «gagner la bataille des idées sur Internet» ou l’idée d’un «grand débat national» avant l’été «pour que les habitants des quartiers s’emparent davantage de leur destin». Recyclage. Plus concrètement, un grand plan pour la mixité sociale dans le logement a été annoncé (Libération de vendredi) ainsi qu’une réforme de la carte scolaire et un coup d’accélérateur pour la scolarisation des moins de 3 ans. Pour l’addition, on recycle aussi beaucoup : un milliard d’euros des fonds de la rénovation urbaine déjà annoncée en décembre va être débloqué plus rapidement et 100 millions vont être versés aux associations, soit le niveau d’avant l’ère Sarkozy. Pour Valls, «la réponse à l’attente des Français, à l’exigence du 11 janvier, c’est un plan d’ensemble, c’est au fond un véritable projet de société qui ne peut pas se résumer à quelques millions d’euros». A Le principal suspect innocenté «à 95%» tion d’Annecy en charge de l’affaire, l’homme «n’est pas impliqué dans le quadruple meurtre» – les victimes étant trois membres de la famille britannique Al-Hilli ainsi qu’un cycliste présent par hasard. «L’homme au casque» faisait depuis figure de suspect numéro 1. Retrouvé grâce à la vidéosurveillance et à la détection de son téléphone Difficile d’être crédible lorsque, dans le même post, on se pose en défenseur de Poutine avant de s’enthousiasmer sur l’«auto-organisation» en «assemblée représentative» des «signataires» de son Mouvement pour la VIe République. Difficile aussi de construire l’«alternative» avec une «autre gauche» déçue et des écologistes en rupture lorsqu’on récupère l’étiquette médiatique, comme Marine Le Pen, de «soutien à Poutine». Camarade de Mélenchon au sein du Front de gauche, Clémentine Autain rappelle sur Liberation.fr cet autre «panneau de signalisation» : «Le président russe et son entourage préfèrent la violence à la démocratie. Ils ont noué des liens étroits avec les réseaux d’extrême droite en Europe.» • 1424 euros, c’est le budget permettant à une personne seule de vivre «décemment» en logement social dans une ville moyenne. Soit plus que le Smic. Le chiffre a été calculé par l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclu sion sociale. Il grimpe à 3284 euros pour un couple avec deux enfants. Selon l’étude, 40% des familles mono parentales n’ont pas les moyens de vivre «décemment». L’HISTOIRE LAURE BRETTON RETOUR SUR LES AVANCÉES DE L’ENQUÊTE DE LA TUERIE DE CHEVALINE C’était la piste principale dans l’affaire de la tuerie de Chevaline. Et elle s’est complètement effondrée, a révélé France Info vendredi. Le motard aperçu à proximité des lieux du drame, le 5 septembre 2012, a été identifié et entendu le mois dernier par les enquêteurs de Chambéry, en Haute-Savoie. Mais selon les premières conclusions des juges d’instruc- Dans un post où l’ex-candidat à la présidentielle dénonce le «déchaînement de […] propagande antirusse» et accuse le Monde de «pieusement recopi[er], sans nuance ni recul, la notice de l’ambassade des Etats-Unis», Mélenchon en arrive à qualifier Nemtsov de «voyou politique ordinaire de la période la plus sombre du toujours titubant Boris Eltsine» avant une défense en règle du président russe. L’eurodéputé dénonce l’arrivée «en Ukraine de 600 hommes de la 173e brigade aéroportée des Etats-Unis» et assure que pour éviter la «guerre», «tout repose donc à présent sur le sang-froid de Vladimir Poutine et des dirigeants russes». Drôle de soutien pour un grand pourfendeur de «l’oligarchie» en Europe et d’une Ve République «autoritaire» que de voler au secours d’un président russe qui muselle les médias et a fait voter des lois contre la «propagande» homosexuelle… portable sur place, le motard, originaire de Lyon, était en fait au mauvais endroit au mauvais moment. Il a expliqué être venu à Chevaline pour faire du parapente, la zone étant effectivement réputée pour ses «spots» de vol libre. Il est désormais «exclu de la liste des suspects à 95%», a expliqué une source proche de l’enquête à France Info. GUÉRINI, LE BIENFAITEUR DES CAMPAGNES, EN CAMPAGNE JeanNoël Guérini ou l’art de faire campagne le carnet de chèques à la main. Comme le rapporte Politis, l’actuel président du conseil général des BouchesduRhône, exPS désormais à la tête de sa Force du 13, toujours en délicatesse avec la justice, était samedi dernier à Paradou (1600 âmes) où il a signé pour 11 millions d’euros de dépenses afin de «rénover la voirie, d’agrandir l’école maternelle et de réhabiliter l’hôtel de ville, mais aussi l’église et les équipements socioculturels et sportifs». Avant de faire de même à SaintMartindeCrau (12000 habitants), Velaux (8700 habitants) et Gignacla Nerthe (9000 habitants), le tout alors que le premier tour des élections départementales se tiendra le 22 mars. Au total, Guérini aura signé pour 49 millions d’euros d’engagements en une seule journée. 16 • LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 FRANCE JacquesMyard, ungueulardchez«Bachar» Très critiqué pour avoir rencontré le président AlAssad en Syrie, le député UMP assume des positions tranchées et revendique la «liberté du député». Par LAURE EQUY Photo BRUNO CHAROY A u départ, il a rechigné à nous rencontrer. Mais Jacques Myard ne résiste jamais longtemps à une invitation médiatique. Cinq minutes après avoir raccroché, il a surgi d’un bond, salle des Quatre-Colonnes, où journalistes et députés ont l’habitude de se croiser à l’Assemblée nationale. «Moi, je discute avec tout le monde, lance-t-il. J’ai parlé à Bachar, je peux bien parler à Libé!» Le député UMP des Yvelines est l’un des quatre parlementaires à s’être rendus à Damas les 24 et 25 février. PROFIL Une déroutante équipée à l’égard de laquelle l’Elysée, Matignon, le Quai d’Orsay, l’Assemblée et le PS ont pris toutes les distances possibles. Le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a mis cinq jours à reconnaître qu’il était au courant du déplacement syrien mais l’avait «tout à fait désapprouvé». François Hollande et Manuel Valls ont tous deux condamné la «faute» du quatuor. Pas question d’enclencher le début d’une amorce d’inflexion de la ligne officielle. Depuis 2012, Paris a coupé les ponts avec Damas, et les voyageurs n’étaient en rien porteurs d’un «message officiel». Jacques Myard, lui, n’est ni président du groupe d’amitié France- Jacques Myard, à l’Assemblée nationale, le 4 mars. Syrie, comme le socialiste Gérard Bapt à l’Assemblée et l’UMP JeanPierre Vial au Sénat, ni aux manettes d’un groupe, comme François Zocchetto, patron des sénateurs UDI et quatrième membre de l’expédition syrienne. Mais il est celui qu’on a le plus entendu. Depuis la Syrie, il a pris tous les appels, enchaîné les interviews. Il a répondu à Libération alors qu’il s’apprêtait à passer au Liban. Plutôt content du raffut que son périple suscitait à Paris : «On nous dit qu’il ne faut pas parler avec le diable. Moi, je trouve que le diable dit des choses intelligentes.» BOULETTE. De retour de Damas, le député a publié un long communiqué livrant son programme en dé- tail et racontant s’être entretenu avec Ignace IV Hazim d’Antioche… patriarche orthodoxe décédé en 2012, qu’il a confondu avec un autre. Après coup, Jacques Myard s’amuse de sa boulette: «J’ai compris après, en regardant sur Internet. LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 Moi, je ressuscite les morts !» Seul socialiste du voyage, Gérard Bapt a moins ri. Il s’était fixé «deux lignes rouges» : ne pas rencontrer Bachar al-Assad – les trois autres ont échangé une heure avec le dictateur syrien– et ne pas s’exprimer sur la politique de la France à l’étranger. Ligne rouge que Myard a allègrement «piétinée». Bapt s’en étrangle : «Il était sur toutes les ondes. Même les sénateurs, qui étaient de droite comme lui, l’ont engueulé.» Les deux ne sont pas près de partir en vacances ensemble. de 1986 à 1988, a glissé : «Myard, vous êtes un diplomate inquiétant…» Maire de Maisons-Laffitte depuis 1989, député depuis 1993, Myard cultive avec coquetterie son personnage de grande gueule politiquement incorrecte. «Je suis atterré par le suivisme des cons de moutons de Panurge. Moi, j’ai un centre de gravité très près du sol, on ne peut pas me déstabiliser», plastronne-t-il du haut de son petit mètre soixante. Adepte de vannes misogynes et d’humour sous la ceinture, réac assumé qui se régalait des «apéros saucisson-pinard» PRAGMATIQUE. Mais quand Bapt de la Droite populaire, son courant lui a proposé le voyage, il y a plu- à l’UMP, il pratique l’outrance sur sieurs semaines, Myard a foncé. les sujets qui s’y prêtent le moins. Juste le temps de consulter son Il dérape régulièrement, sur l’hoagenda et de demander à son fils de mosexualité notamment. garder son chien. Il débourse Ce gaulliste souverainiste peste 1600 euros pour le séjour et l’avion, contre une UMP qui vire «centriste pas freiné par un quelconque cas de mou» et combat l’euro et tout ce conscience. «Avec une diplomatie de que Bruxelles produit de directives la morale, on ne parle plus à per- et de traités. «Je pense qu’un jour, il sonne», théorise l’élu par ailleurs fera une proposition de loi pour rendre très prorusse sur le dossier ukrai- le mot “Europe” inconstitutionnel», nien. De là à renouer avec le «bou- sourit Nicole Ameline (UMP), sa cher» syrien accroché au pouvoir, collègue de la commission des après quatre ans d’une guerre civile affaires étrangères, qui lui trouve qui a fait 200000 morts… Lui se dé- «des analyses souvent justes et beaufend d’être «l’avocat de Bachar» : coup de postures». «C’est une «Je n’excuse pas les massacres et je grande gueule attachante», ajoute Philippe Gosselin (UMP). A l’AsLa culture de la négociation feutrée semblée, on évoet les formules infroissables que «un omnidu diplomate ne semblent pas coller présent», «un avec son goût de la provoc et bosseur», «un moine-soldat». son talent pour les punchlines. «Sans lui, on dis que le régime a utilisé les armes s’emmerderait singulièrement», loue chimiques.» Plus mesuré qu’il l’est le socialiste François Loncle. «Il fait d’habitude, il admet que Damas est tout pour qu’on ne l’oublie pas. Ça va «un régime autoritaire», qu’il a jusqu’à ses cravates, il a des cravates commis «des fautes» depuis la ré- à chier!» chambre un député UMP. volution en 2011. «Je leur ai dit : “Vous avez mal réagi.”» Mais pour «PIED NICKELÉ». A gauche, ils sont enrayer la progression de l’Etat is- nombreux à juger qu’avec sa virée lamique, il se veut pragmatique et syrienne, «Myard s’est fait sa pub». pas regardant: «Fabius et son prédé- Une socialiste s’inquiète même : cesseur Juppé nous ont dit qu’Al-As- «Il est membre de la délégation parlesad allait tomber vite. Et il est tou- mentaire sur le renseignement et il se jours là.» Lui revendique l’utilité de balade en Syrie.» Beaucoup l’ont la diplomatie parlementaire et traité de «pied nickelé» et accusé de vante la «liberté du député qui n’a «servir la propagande de Bachar alpas à prendre ses ordres de l’exécu- Assad». Lui emplafonne «des jaloux tif». Et si l’initiative tourne à la di- et des crétins de troisième zone». plomatie parallèle polluant la poli- Jacques Myard se paie aussi Nicolas tique du Quai d’Orsay? «Il ne pense Sarkozy qui les a taxés de «guguspas, le Quai ! Fabius dit des conne- ses». Il rappelle au conférencier ries», coupe-t-il. globe-trotter qu’avant de se moJacques Myard, 67 ans, a connu la quer, «mieux vaut avoir ses ardoises maison. Ancien élève de l’Institut propres». Il doit d’ailleurs voir le de hautes études internationales de président de l’UMP. Myard a Genève, il est entré au ministère adressé un rapport «à qui de droit» des Affaires étrangères en 1973. et va «rendre compte par écrit» de Avant de partir en poste en Algérie, son entrevue avec Al-Assad à Holau Nigeria et en Allemagne de 1977 lande. à 1980. «Quinze ans plus tard, j’ai Si Gérard Bapt a dû s’expliquer récupéré ma fiche Stasi. Ils m’avaient auprès des responsables PS, Jacques qualifié de “dangereux, hostile, sub- Myard a été soutenu mardi en réuversif” : j’étais fier !» La culture de nion de groupe UMP, sans que ses la négociation feutrée et les formu- camarades n’approuvent tous les infroissables du diplomate ne l’équipée. «J’ai été très applaudi», semblent pas coller avec son goût «j’ai été ovationné»… Myard l’a réde la provoc et son talent pour les pété quatre fois. On peut à la fois punchlines. Un jour, Michel courir après l’odeur du soufre et la Aurillac, ministre de la Coopération reconnaissance. • FRANCE • 17 Le voyage à Damas des quatre parlementaires pourrait mettre fin à cette association de députés. France-Syrie, groupe d’amitié incertain L e groupe d’amitié «rétrogradé» ? Après l’expédition de deux sénateurs et de deux députés à Damas, l’Assemblée nationale pourrait suspendre les activités de son groupe France-Syrie ou le remanier en groupe d’études. Seul à ne pas avoir vu Bachar al-Assad, le président du groupe d’amitié, Gérard Bapt, plaide pour cette deuxième option. «Ce serait plus intelligent pour nous permettre de continuer à entretenir des contacts et à recevoir des gens», estime le socialiste, convoqué cette semaine successivement par le patron du groupe PS, Bruno Le Roux, le premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, et le président de l’Assemblée, Claude Bartolone, pour s’expliquer sur son périple syrien. Diplomatie. Les groupes d’amitié ont vocation à «tisser un réseau de liens personnels entre les parlementaires français et leurs homologues étrangers», mais aussi d’autres responsables politiques, économiques, acteurs sociaux et membres de la société civile du pays concerné. A quelques exceptions près (Suisse, Québec), le groupe, pour être agréé, doit s’intéresser à un pays qui a un Parlement, est membre de l’ONU et avec lequel Paris entretient des liens diplomatiques. Ce qui n’est plus le cas avec Damas depuis le printemps 2012, quand la France a fermé son ambassade sur place puis a renvoyé l’ambassadrice de Syrie. Pour les pays qui ne remplissent pas ces trois conditions, la délégation chargée des activités internationales de l’Assemblée peut créer un «groupe d’études à vocation internationale» (Corée du Nord, Kosovo, Libye, Palestine, Taiwan, Vatican). Une quinzaine de missions à l’étranger sont en général organisées chaque année par les groupes d’amitié avec le feu vert de l’Assemblée. Sommeil. Tout en assurant que «nous restons très proches du peuple syrien», Bruno Le Roux suggérait mardi la mise en sommeil du groupe d’amitié avec la Syrie. «Pour qu’il n’y ait pas de confusion et pour montrer que nous ne reconnaissons pas le régime» d’Al-Assad, a argumenté le chef des députés PS. François Fillon, s’il a soutenu les quatre parlementaires et même confié qu’il les aurait suivis s’il en avait eu l’occasion, a lui aussi estimé que maintenir un groupe d’amitié «avec un pays avec lequel on n’entretient plus de relations diplomatiques ne paraît pas indispensable». «On continue ! Le groupe est très utile, pas question de le saborder», s’énerve l’UMP Jacques Myard. Pour un autre des 27 membres du groupe, «au PS, ils se sont aperçus que punir Bapt ne serait pas glorieux, ils ont trouvé l’idée de la suspension comme tour de passe-passe». Cambadélis avait d’abord laissé planer la menace de sanctions contre le député PS. Après l’avoir vu, le numéro 1 socialiste lui a finalement «proposé de rencontrer la haute autorité [du parti] de manière à vérifier que l’éthique a bien été respectée». Aucune sanction ne peut être envisagée du côté de l’Assemblée, rien n’empêchant un député de voyager à l’étranger. D’autant que le quatuor a tout payé de sa poche. C’est le bureau de l’Assemblée qui devra trancher le sort du groupe d’amitié France-Syrie. Après avoir consulté la commission des affaires étrangères, précise la vice-présidente de l’Assemblée, la socialiste Laurence Dumont. L.Eq. REPÈRES «Il s’agit d’une rencontre entre des parlementaires français qui n’ont été mandatés que par eux-mêmes avec un dictateur qui est à l’origine d’une des plus graves guerres civiles de ces dernières années.» François Hollande jeudi, depuis Manille, aux Philippines «On est dans la morale par le petit bout de la lorgnette. On ne va pas couper le monde en deux, les gentils et les méchants. […] Si on raisonne comme ça, on aura le droit d’aller en Allemagne, en Espagne, en Italie, en Angleterre, et puis après c’est tout!» Christian Jacob le chef de file des députés UMP, mardi, après la réunion hebdomadaire du groupe 168 C’est le nombre de groupes d’amitié et de groupes d’études à vocation internatio nale que compte l’Assemblée nationale. Ils doivent se soumettre à certaines conditions pour être agréés. Au Palais du Luxembourg, les sénateurs en ont créé 79. «Nul parlementaire ne peut, de son propre chef, rétablir des relations diplomatiques avec un dictateur qui a gazé son peuple. Ceci, alors que la France a rompu les relations diplomatiques et fermé son ambassade à Damas. [...] Ni sur la forme, ni sur le fond, cette initiative n’est légitime.» JeanChristophe Cambadélis le premier secrétaire du Parti socialiste 18 • FRANCEXPRESSO RETOUR SUR LES TIRS EN MARGE DE LA VISITE DE VALLS A La Castellane: huit arrestations VOUSÊTESABONNÉ? Chaque semaine, participez au tirage au sort pour bénéficier de nombreux privilèges et invitations. L’intervention de la police dans la cité Castellane, à Marseille, après des tirs survenus en marge d’une visite de Manuel Valls dans la ville le 9 février a «évité un affrontement» entre deux bandes lourdement armées. Vendredi, le procureur de la République Brice Robin et des responsables policiers ont décrit deux bandes rivales, équipées d’armes de guerre, luttant pour le contrôle d’un point de revente de stupéfiants très rémunérateur. Selon les enquêteurs, une des équipes – vêtue de noir – était en partie composée de Kosovars «recrutés en Allemagne» par les chefs d’un «point stup» voisin pour conquérir celui dit «de la tour K», détenu par les hommes en treillis. L’enquête a abouti à l’arrestation de «huit individus», dont plusieurs Kosovars et parmi eux, une femme de 18 ans. LIGNESDEFAILLESAUTHÉÂTREDU ROND-POINT D’après le roman de Nancy Huston mise en scène Catherine Marnas Sur scène, une table, des motifs au sol. Les acteurs plongent dans un chef-d’œuvre homérique qui s’ouvre comme une comédie et se prolonge en une forêt de mystères que l’enquête élucide. 10x2 places à gagner pour le mercredi 18 mars à 19h THÉÂTRE ESPRITDEGROUPEÀLAVILLETTE Avec L’Esprit de groupe, La Villette propose un rendezvous combinant des spectacles de danse, de théâtre et des performances inspirés par les notions de groupe et de communauté et/ou conçus pour eux. 17 - 28 mars PE L’ESPRIT DE GROU ThéâTre / danse / performance tivE ExpériEncE collEc iquE pour unE #EspritdeGroupe lavillette.com • événEmEnt artist Claude Guéant, à Paris en 2012. PHOTO VINCENT NGUYEN. RIVA PRESS 5x2 invitations pour le spectacle « The Record » le mardi 24 mars SPECTACLE BANDEDEFILLESENDVD Marieme vit ses 16 ans comme une succession d’interdits. La censure du quartier, la loi des garçons, l’impasse de l’école. Sa rencontre avec trois filles affranchies change tout. Elles dansent, elles se battent, elles parlent fort, elles rient de tout. Marieme devient Vic et entre dans la bande, pour vivre sa jeunesse. DVD BADENBADENLEURNOUVELALBUM ! 10 albums à gagner. Pour en profiter, rendez-vous sur : www.liberation.fr/club/ JUSTICE L’ex-ministre de l’Intérieur a été entendu vendredi sur la campagne de Sarkozy en 2007. t de trois. Vendredi, Claude Guéant a de nouveau été placé en garde à vue. Cette fois encore à propos de ces deux foutues peintures flamandes d’un Néerlandais du XVIIe siècle, Andries van Eertvelt, dont l’ancien deus ex machina de Nicolas Sarkozy à l’Elysée peine à justifier la revente – pour 500 000 euros, alors que la cote du peintre plafonne à 170000 pour un seul tableau chez Sotheby’s – à un obscur avocat malaisien. Donation. Signe du soupçon de la justice pénale, cette troisième garde à vue de Guéant a été diligentée par le juge d’instruction Serge Tournaire, en charge de l’enquête sur un possible financement de la campagne présidentielle de Sarkozy au printemps 2007, aux bons soins du colonel Kadhafi. Ce magistrat tourne en rond sur une supposée donation E 10 DVDs à gagner Deux ans après Coline, Baden Baden annonce un nouveau disque entièrement écrit en français. Sur cet album mariant idéalement la langue d’Alain Souchon avec les sonorités rêveuses de Grandaddy, le coup de foudre est immédiat, plongeant l’auditeur dans un disque à la fois plus homogène et plus compact, au charme insidieux, à l’addiction vénéneuse. Lestoilesternies deClaudeGuéant ALBUM de 50 millions de dollars du dictateur libyen – attestée par plusieurs témoins mais jamais validée par des traces bancaires ou financières. Mais il ne lui est pas interdit de continuer à creuser le sillon. Claude Guéant a lui-même fourni des verges pour se faire battre. Justifiant dans un premier temps quelques curiosités sur ses comptes bancaires personnels par des «primes de cabinet» du ministère de l’Intérieur, du temps où il y officiait sous l’égide de Nicolas Sarkozy. Mais outre le fait que les fonds secrets du gouvernement – autrefois attribués à la bonne franquette– ont été abolis depuis belle lurette, les «frais d’enquête et de surveillance» de l’Intérieur sont théoriquement réservés aux espions ou enquêteurs, pas aux ronds de cuir de leur ministre de tutelle. Ce volet-là avait valu à Claude Guéant une première garde à vue fin 2013, pour avoir justifié des achats électroménagers au nom de ces fumeuses «primes de cabinet». Sur ce point, le parquet doit prochainement le renvoyer en correctionnelle ou lui accorder un non-lieu. Chien de garde. Son autre garde à vue, en mai 2014 dans le dossier Tapie, n’a pas eu de conséquence à ce jour. Surveillant comme le lait sur le feu l’arbitrage opposant l’homme d’affaires et l’Etat français à propos de l’affaire Adidas, Guéant n’aurait joué qu’au chien de garde. Dans l’affaire libyenne, un mail précédant un rendez-vous entre Kadhafi et Sarkozy résume parfaitement son rôle: «La visite préparatoire doit revêtir un caractère secret. Il serait préférable que CG se déplace seul et sans fanfare.» R.L. ECONOMIE LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 • 19 Le dispositif de paiement par téléphone sans contact, destiné aux utilisateurs d’iPhone, est au cœur d’une vaste fraude informatique. Par PIERRE ALONSO et AMAELLE GUITON L a fraude aux cartes bancaires se transforme, mais ne disparaît pas. Dernier exemple en date : Apple Pay, le système de paiement électronique créé par la marque à la pomme, se retrouve au cœur d’une vaste fraude révélée par le Guardian en début de semaine et confirmée jeudi par le Wall Street Journal. Lancé aux Etats-Unis en octobre dernier, le système permet aux utilisateurs des derniers iPhone de payer directement dans certains magasins avec leur téléphone grâce à la technologie du paiement sans contact, ou NFC pour near field communication, la «communication en champ proche». La montre connectée, qui devrait être présentée lundi, l’embarquera aussi. Problème : Apple Pay peut également être utilisé avec des données bancaires volées. A Albuquerque (NouveauMexique), le 20 janvier. PHOTO ALBUQUERQUE JOURNAL. REA LesystèmeApplePayvictime dechoixpourlesescrocs la veille chez Lyra Network, un opérateur français qui sécurise les flux bancaires, Laurent Penou confirme que le système de paiement d’Apple est assez sûr: «Ce n’est pas QU’ESTIL ARRIVÉ À APPLE PAY ? le numéro de la carte bancaire qui est Fin février, Cherian Abraham, un transmis au moment de la transaction expert des moyens de paiement, si- mais un identifiant spécifique, un gnale que les fraudeurs “token”.» En prime, recourent de plus en DÉCRYPTAGE l’utilisateur doit valider plus à Apple Pay. Abrala transaction, soit en ham connaît bien le sujet : il tra- tapant un code, soit en scannant vaille pour un sous-traitant de son empreinte digitale. Le proGoogle sur un projet similaire, et blème s’est posé en amont, et c’est concurrent… D’après le Wall Street plutôt du côté des banques qu’il Journal, les coordonnées bancaires faut regarder. utilisées par les escrocs auraient été Pour fonctionner, Apple Pay doit subtilisées lors des piratages infor- être associé à une carte bancaire. matiques massifs qui ont frappé, Au moment de cet «enrôlement», l’année dernière, des chaînes com- Apple transmet à la banque les inmerciales américaines, dont Target formations relatives à la carte, ainsi et Home Depot. que d’autres concernant l’utilisaPour ne rien arranger, la technique tion du téléphone (le nom de l’apa été utilisée, pour l’essentiel, afin pareil, les localisations courantes, de faire des emplettes dans les pro- les habitudes de consommation sur pres magasins de la firme califor- iTunes…). Si tout paraît cohérent, la nienne, lesquels vendent des pro- banque émet un feu vert, et l’utiliduits en moyenne plus chers que sateur peut payer avec son téléd’autres lieux qui acceptent les phone. Si elle a un doute, la banque transactions par Apple Pay. Donc vérifie son identité auprès du proplus intéressants pour des receleurs. priétaire. Sauf que cette étape est loin d’être infaillible. ESTCE LA FAUTE D’APPLE ? En cas de doute, certaines banques La sécurité d’Apple Pay n’est ici pas se contentent de demander les quadirectement en cause. En charge de tre derniers chiffres du numéro de REPÈRES 80% des achats frauduleux via l’Apple Pay ont été enregistrés dans des Apple Store. Apple n’est pas le seul à investir l’eldorado du paie ment par mobile. Google a lancé son système, Wal lett, en 2011. PayPal, géant des transactions en ligne, vient d’acheter la startup Paydiant qui a conçu une plateforme dédiée pour les commerçants. 5 milliards de dollars, (4,6 milliards d’euros) c’est le montant que pourraient atteindre les paiements mobiles aux EtatsUnis en 2015. sécurité sociale – le genre d’information que des piratages massifs de données personnelles permettent précisément de récupérer. Au final, les fraudeurs réussissent à fabriquer un vrai faux moyen de paiement immédiat. La firme à la pomme aurait-elle pu, de son propre chef, limiter les risques? «Elle aurait sans doute pu mettre en place des moyens d’authentification plus forts, juge Laurent Penou, mais activer des contrôles intrusifs se fait forcément au détriment du confort de l’utilisateur. Or leur but, c’est d’être leader sur ce marché.» D’autant que l’entreprise de Cupertino touche 0,15% du montant des transactions réalisées via Apple Pay… LE PAIEMENT SANS CONTACT, UNE FAUSSE BONNE IDÉE ? Même si le cas d’Apple Pay démontre que la sûreté globale de la filière de paiement laisse encore à désirer aux Etats-Unis, le paiement mobile sans contact s’en sort bien, du moins jusqu’ici. La plupart des applications génèrent des identifiants spécifiques et prévoient une validation de la transaction par l’utilisateur. Mais pour le paiement sans contact par carte bancaire, c’est une autre histoire. Dès 2012, le chercheur en sécurité français Re- naud Lifchitz avait montré qu’à l’aide d’un lecteur spécifique installé sur une clé USB ou un smartphone, il était possible de récupérer, dans un rayon de 15 mètres, un certain nombre d’informations transitant «en clair» entre une carte bancaire NFC et un terminal de paiement sans contact : le nom du porteur, le numéro et la date d’expiration de la carte, et même les dernières transactions effectuées. La Cnil, gendarme de la vie privée en France, s’en est suffisamment inquiétée pour que les banques corrigent le tir. Mais le paiement sans contact par carte bancaire ne nécessite toujours aucune authentification de la part de l’utilisateur, et le numéro de la carte circule encore en clair au moment de la transaction. Autrement dit, la possibilité de fraude existe, notamment via les sites de e-commerce hors Europe qui, d’après un expert, sont loin d’opérer des vérifications systématiques. Les Etats-Unis ont pour l’instant choisi de s’attaquer à la fraude par un autre angle : en remplaçant les vieilles cartes à bande magnétique par des cartes à puce. Déjà fait depuis vingt-trois ans en France, le pays où elle a été inventée. • 20 • LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 ECONOMIE Xiaomi,croqueurd’iPhone Le chinois, troisième fabricant mondial de smartphones présent uniquement en Asie, vise désormais les marchés occidentaux. Un succès fortement inspiré des produits et méthodes d’Apple. Xiaomi s’appuie sur tout un réseau de fans. Mi-décembre, le patron du concurrent Meizu, Li Nan, comparait leur dévotion à un mouvement religieux. «Ils sont très organisés, ils aiment Xiaomi, c’est une forme d’idolâtrie», déclarait-il au New York Times. Des employés et fans de Xiaomi lors de la présentation du smartphone Mi Note, le 15 janvier à Pékin. PHOTO JASON LEE. REUTERS Par CHARLES VALLY Correspondant à Pékin Xiaomi doit cette ascension fulgurante à son incroyable percée sur le grand marché chinois: la marque y est le nouveau dragon est désormais numéro 1 du smartde la planète mobile. phone, devant le coréen Samsung Ses téléphones ne sont et ses concurrents locaux (Huawei, pas encore vendus en ZTE…), avec une part de marché de Europe et aux Etats-Unis, mais ils 12,5% en 2014, contre 5,3% s’arrachent en Chine et dans le en 2013, selon l’institut de recherreste de l’Asie. Et on ne parlait que che IDC. En 2015, les consommade lui dans les allées du teurs chinois devraient Mobile World Congress ENQUÊTE acheter 500 millions de qui se tenait cette sesmartphones, soit trois maine à Barcelone. Normal: fondé fois le marché américain. Xiaomi en juin 2010, le fabricant chinois entend en écouler 100 millions, et Xiaomi est devenu en moins de ne compte pas en rester là : «Dans cinq ans le troisième mondial, der- les cinq à dix prochaines années, nous rière Samsung et Apple, avec serons numéro 1 mondial», a récem61,1 millions d’appareils vendus ment déclaré Lei Jun. en 2014, contre 7,2 millions en 2012. Son chiffre d’affaires a CHEMISE BLEUE. La recette de doublé en un an, atteignant Xiaomi est simple : un design très 12 milliards de dollars (11 milliards soigné et une ressemblance troublante avec l’iPhone, en version low-cost «Cette stratégie consistant – un peu plus d’un à défier Apple en s’y référant tiers du prix des sans relâche est brillante.» iPhone. L’entreprise réduit également les Bill Bishop responsable du site Sinocism coûts de distribution d’euros). L’entreprise, basée à Pé- en canalisant les ventes sur son site kin, est passée de 14 associés à internet, mi.com. La référence à la 5 000 employés en trois ans. Dans marque à la pomme est pleinement le même laps de temps, son fonda- assumée. Lors de la présentation du teur, Lei Jun, devenu multimilliar- dernier modèle Mi Note, concurdaire, est entré dans le top 10 des rent direct de l’iPhone 6 Plus, Lei Chinois les plus riches. Jun déclarait : «Mi Note est plus C’ court, plus fin et plus léger que l’iPhone 6.» Le patron de Xiaomi portait cette fois une chemise bleue, contrairement à ses apparitions précédentes dans la tenue noire préférée de Steve Jobs. «Cette stratégie consistant à défier Apple en s’y référant sans relâche, comme le fait Lei Jun, est brillante, remarque Bill Bishop, auteur du blog Sinocism. La presse technologique mord à l’hameçon et titre régulièrement sur les défis lancés à Apple, alors que les deux entreprises ne s’adressent assurément pas à la même clientèle.» Xiaomi vise les jeunes branchés. La marque est surreprésentée à raison de 22% dans la tranche d’âge des 25-35 ans, et de 21% chez les 18-24 ans. Elle est, en revanche, sous-représentée, à raison de 21%, chez les 35-54 ans, selon une étude du cabinet Flurry. Pour occuper en permanence le devant de la scène, REPÈRES «Ce que fait Xiaomi, c’est du vol, pas de la flatterie. Je pense que c’est du vol et que c’est fainéant.» Jonathan Ive designer d’Apple, le 14 octobre au sujet du Mi4, copie lowcost de l’iPhone 5S 11 milliards d’euros, c’est le chiffre d’affaires de Xiaomi en 2014. La société dirigée par Lei Jun, installée à Pékin, comptait en juin 5000 employés. 7,5 milliards d’euros, c’est la for tune personnelle de Lei Jun, 45 ans. En moins de cinq ans, il est devenu le 10e homme le plus riche de Chine selon le magazine Hurun. w 6 juin 2010 fondation de Xiaomi par huit partenaires. w Août 2011 sortie du premier smartphone, le Mi1. w Août 2012 lancement du Mi2. w 2014 début de l’internationalisation. w Févriermars 2014 lance ment de Redmi et Mi3. w Janvier MiNote, MiNotePro. MASCOTTE. Mais les ambitions de Xiaomi ne s’arrêtent pas au smartphone. «Ce n’est que quand il commence à utiliser l’appareil que le client commence à produire de la valeur», assure Lin Bin, cofondateur de Xiaomi et ancien cadre chez Google. L’entreprise développe en effet tout un «écosystème» : des téléviseurs, des routeurs, des purificateurs d’air et des appareils à mesurer la pression artérielle, le tout relié à MIUI, un système d’exploitation Android adapté par Xiaomi et installé sur tous les téléphones de la marque. Avec sa mascotte très locale – un lapin coiffé d’une chapka de garde rouge arborant l’étoile de Mao–, Xiaomi a déjà relevé son premier gros défi : la conquête du public chinois. Il s’agit maintenant de partir à l’assaut du reste du monde. Mais le nouveau géant doit encore prouver qu’il peut s’imposer au-delà de la Grande Muraille. La priorité est aux pays émergents à forte population : l’Inde, l’Indonésie, le Brésil et la Russie. Les Etats-Unis et l’Europe occidentale ne sont pas au programme pour le moment. Les soucis de propriété intellectuelle avec des smartphones «iPhone like» ne sont pas étrangers à cette décision d’éviter, pour l’heure, ces marchés. D’autant que Xiaomi s’inspire aussi d’autres fabricants occidentaux. En Inde, les opérations du chinois ont été brièvement bloquées, en décembre, en raison d’une plainte pour violation de brevet du suédois Ericsson. En 2013, Xiaomi a recruté Hugo Barra, ancien responsable du développement d’Android chez Google, afin d’accélérer son internationalisation. Car en dépit des déclarations fracassantes de son fondateur, rien n’est encore gagné pour Xiaomi. La recette de son succès apparaît difficilement transposable en Occident. Hors de Chine, ses appareils sont de jolis smartphones bon marché, ni plus ni moins. Mais le «grand timonier» Lei Jun ne doute de rien. Et lève de l’argent à tour de bras sur les marchés. Il vient de réunir 1,1 milliard de dollars auprès des investisseurs, ce qui a porté la valorisation de son groupe à 45 milliards de dollars. De là à atteindre les 735 milliards d’Apple, c’est une longue marche qui attend Xiaomi. • LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 ECONOMIEXPRESSO RETOUR SUR LES ABATTOIRS PLACÉS EN REDRESSEMENT JUDICIAIRE • A Les salariés d’AIM veulent toujours y croire +0,02 % / 4 964,35 PTS Des centaines d’employés des abattoirs normands AIM, qui comptent 590 salariés, ont manifesté vendredi devant le tribunal de commerce de Coutances (Manche). Ce dernier, qui devait se prononcer sur l’avenir de l’entreprise placée en redressement judiciaire depuis le 6 janvier, a finalement renvoyé au 19 mars l’examen des offres de reprise. CARREFOUR LAFARGE SOLVAY Les manifestants (300 selon la police, de 350 à 400 selon la CGT) se sont rassemblés derrière une banderole proclamant «Nous voulons travailler», aux sons de casserole et de trompettes, en scandant «des millions pour le cochon, pas pour le patron». Des élus, notamment le sénateur (UMP) Philippe Bas et le vice-président (EE-LV) du conseil régional François Dufour, étaient pré- Les 3 plus basses UNIBAIL-RODAMCO ESSILOR INTL. VALEO 17 944,92 -1,05 % 4 942,72 -0,80 % 6 911,80 -0,71 % 18 971,00 +1,17 % Par NATHALIE VERSIEUX Grosse tuile pour un boss de la Deutsche Bank e nouveau patron de la Deutsche Bank risque la prison. Jürgen Fitschen, un des deux présidents de la plus grande banque allemande, est accusé d’avoir fourni un faux témoignage lors d’un procès portant sur la faillite du groupe audiovisuel Kirch. Il sera jugé fin avril et risque entre six mois et dix ans de prison ferme. L L’HISTOIRE L’Allemagne a sacrifié vendredi à la journée des droits de la femme par un texte qui impose des quotas dans les conseils de surveillance des grandes entreprises. Le Bundestag l’a adopté à une large majorité, les conservateurs, d’abord réticents, signant finalement la loi. Les Verts ont boudé un texte de «quota light». Les conseils de surveillance de 108 entreprises qui ont la particularité d’être cotées et d’obéir aux principes de la cogestion devront compter au moins 30% de femmes à partir de 2016. Faute de quoi les sièges resteront vides. Pour le ministre de la Justice, Heiko Maas, il s’agit de «la plus importante contribution à l’égalité des sexes depuis l’introduction du droit de vote pour les femmes» en 1918. Une étude du syndicat IG Metall, qui montre que pour 78% de personnes interrogées les femmes sont toujours défavorisées en ce qui concerne la rémunération ou les postes à responsabilités, relativise un peu l’assertion. Les 3 plus fortes VU DE BERLIN de réduction des émis sions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, c’est l’objectif auquel l’Union européenne s’est engagée en vue de la conférence de Paris de décem bre 2015. L’offre de l’UE, responsable de 9% des émissions mondiales, a été envoyée aux Nations unies. Les pays doivent annoncer leur engagement avant le 31 mars. ÉGALITÉ DES SEXES : BERLIN MET LES QUOTAS EN BOÎTES 4 000 311 544€ +50,89% sents en signe de soutien aux salariés, venus principalement du site de Sainte-Cécile (Manche), où se trouve le siège d’AIM qui emploie quelque 350 salariés. Les manifestants espéraient qu’un repreneur de dernière minute pour le site de Sainte-Cécile. Pour l’heure, seul l’abattoir d’Antrain (Ille-et-Vilaine), qui emploie 179 personnes, a fait l’objet d’offres. 40% 21 A la foire à l’emploi de Moline, dans l’Iowa, en février. PHOTO QAUD CITY. REA Etats-Unis,Europe: retourverslacroissance PIB Les prévisions de la BCE sont encourageantes. Le chômage américain est au plus bas depuis sept ans. es bonnes nouvelles s’enchaînent pour les économies européenne et américaine. Jeudi, la Banque centrale européenne (BCE) annonçait une accélération de la croissance de notre côté de l’Atlantique en relevant sa perspective de progression du PIB à 1,5% en 2015 et 1,9% en 2016, contre 1% et 1,5% précédemment. Et, pour sa première estimation pour l’année 2017, la BCE parie sur 2,1%. «Il y a toujours des risques pour l’économie européenne, mais ils ont diminué», saluait son président, Mario Draghi, tandis que François Hollande juge que «la reprise est là», même si elle est «fragile». La prudence reste de mise. Il faut dire qu’à côté de l’économie américaine, l’Europe fait encore pâle figure. La publication, vendredi, du toujours très at- L tendu chiffre de l’emploi aux Etats-Unis a clairement confirmé ce décalage. Le taux de chômage s’est établi outreAtlantique à 5,5% en février contre 5,7% il y a un mois, soit son plus bas niveau depuis près de sept ans. Sur un an, il a reculé de 1,2% avec 1,7 million d’emplois créés. La première économie mondiale, qui tire plus que jamais la reprise actuelle, s’approche de son taux de chômage «naturel», estimé entre 5,2 et 5,5% par la Réserve fédérale. Il s’améliore aussi dans la zone euro, à 11,2% en janvier, soit son meilleur résultat depuis avril 2012. Mais la différence reste colossale. Cette robustesse de la reprise américaine, conjuguée au démarrage, lundi, du plan de rachat massif de dettes publiques par la BCE, fait les affaires de Mario Draghi et de sa politique d’une reprise de l’inflation et d’un euro faible. Celui-ci vient de plonger à son plus bas niveau depuis 2003, passant sous la barre de 1,10 dollar. Et il continuait sa dégringolade vendredi face à un billet vert porté par l’emploi américain. De quoi doper les exportations européennes. Les marchés, eux, parient maintenant sur un relèvement anticipé des taux d’intérêt outre-Atlantique qui sera le signe que les EtatsUnis sont bel et bien sortis de la crise. A l’inverse de l’Europe, où ils vont rester durablement très bas afin de réanimer une croissance encore anémiée. «Nul ne sait jusqu’où ira ce mouvement, analyse le directeur de la recherche économique de Natixis, Philippe Waechter, mais l’enchaînement actuel est clairement favorable pour l’Europe.» Son conseil : achetez des dollars maintenant ! CHRISTOPHE ALIX L’affaire Kirch débute par la faillite, en 2002, de l’empire de Leo Kirch. Ce personnage sulfureux, ami intime de l’ancien chancelier Helmut Kohl, avait bâti un consortium des plus opaques à base de télévision payante et de vente de droits de diffusion d’événements sportifs, notamment les très lucratifs football et Formule 1. Leo Kirch, décédé en 2011, était convaincu qu’une interview à la chaîne Bloomberg de l’ancien patron de la Deutsche Bank (un des créanciers du groupe audiovisuel) était à l’origine de sa chute : Rolf Breuer y avait émis des doutes sur la solvabilité du groupe. En février 2014, la Deutsche Bank annonce qu’elle va payer un milliard d’euros, intérêts compris, aux héritiers de Leo Kirch pour clore un feuilleton juridique lui faisant de l’ombre. Mais l’affaire n’est pas finie. Ce sont cinq dirigeants, actuels ou anciens, de l’établissement qui vont se retrouver fin avril devant un tribunal de Munich : Rolf Breuer ; le Suisse Josef Ackermann, qui lui a succédé à la tête de la banque; Clemens Börsig, ancien chef du conseil de surveillance ; Tessen von Heydebreck, autre membre du directoire; et l’actuel patron, Jürgen Fitschen. Tous sont accusés d’avoir livré de faux témoignages lors du procèsfleuve qui a duré plus de dix ans. Jürgen Fitschen aurait omis de corriger certaines déclarations «manifestement fausses» des autres accusés, afin «de ne pas torpiller» leur défense. «Ça devient sérieux», écrit Der Spiegel, qui annonce déjà «un des procès les plus spectaculaires de l’histoire judiciaire allemande». «La question d’un départ de monsieur Fitschen est maintenant sur la table», estime de son côté le quotidien conservateur Die Welt. D’autant que la direction bicéphale du groupe est de plus en plus critiquée. L’Indien Anshu Jain codirige depuis 2012 la Deutsche Bank avec Jürgen Fitschen, censé garantir l’identité allemande de l’établissement. Le choix d’un président non européen pour l’institution de Francfort avait provoqué un vif débat. La justice allemande, longtemps accusée d’être trop laxiste avec le monde des affaires, a durci le ton ces derniers mois avec des condamnations spectaculaires, comme celle de l’ancien patron de Karstadt-Quelle. • «Les grandes entreprises doivent s’engager. Certaines préfèrent payer une d’amende car elles n’ont pas le [nombre] d’alternants nécessaire plutôt que de les embaucher.» François Rebsamen ministre du Travail, sur l’apprentissage 22 • SPORTS LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 C’est pour cette raison qu’en 2012 4500 anciens joueurs ont lancé une plainte collective contre la NFL, qu’ils accusent d’avoir dissimulé les risques des commotions cérébrales sur leur santé. Pour éviter un procès, la Ligue a accepté l’été dernier de verser 675 millions de dollars de dédommagements. A la demande de la juge fédérale en charge du dossier, les deux parties devraient très prochainement trouver un accord autour d’un milliard de assurez-vous que mon cerveau soit remis à la banque du cerveau de la NFL.» Les neurologues de l’université de Boston confirmeront que Duerson, 51 ans, était atteint d’ETC. POPULAIRE. D’après les estimations de la NFL, 6 000 des 20 000 footballeurs retraités risquent de développer une forme d’Alzheimer ou de démence modérée. L’accord sur le point d’être conclu, étalé sur soixante-cinq ans, prévoit une indemnisation plus imporLa NFL a dénombré officiellement pour les victi111 commotions cérébrales en 2014, tante mes diagnostiquées contre 148 en 2013. Le chiffre réel plus jeunes. Il prévoit est probablement plus élevé. aussi un dédommagement pouvant aller dollars. Le prix de la poursuite d’un jusqu’à 4 millions de dollars pour spectacle «brutal par définition», les familles d’anciens joueurs décécomme l’écrivait en 2011 Sean dés et qui souffraient d’ETC. Gregory, journaliste sportif au Si l’accord a été approuvé par l’imTime. «Chaque action, décrivait-il, mense majorité des plaignants, il se clôt par un carambolage synchro- n’en reste pas moins très critiqué. nisé impliquant plusieurs véhicules.» Beaucoup le jugent insuffisant, au regard des 10 milliards de dollars de SUICIDES. La saison dernière, la revenus annuels réalisés par la NFL, NFL a dénombré officiellement la ligue sportive la plus populaire 111 commotions cérébrales, contre aux Etats-Unis. D’autres déplorent 148 en 2013. Le chiffre réel est pro- le fait que certains symptômes bablement plus élevé car, – dépression, troubles de l’huaujourd’hui encore, certains athlè- meur– ne soient pas pris en charge. tes rechignent à signaler d’éven- Enfin, aucune indemnisation ne tuels symptômes, de peur d’être sera versée aux familles des joueurs mis sur la touche. Après des années décédés après 2015, puis diagnostide déni, le risque de dommages cé- qués avec une forme d’ETC. Cette rébraux chez les joueurs de football dernière mesure a été prise pour ne américain est pourtant clairement pas encourager d’anciens athlètes identifié. à se suicider .• L’université de Boston et le département américain des anciens combattants travaillent depuis longtemps sur le sujet. Ils examiREPÈRES nent en particulier, après leur mort, les cerveaux d’anciens joueurs de football qui ont évolué à LE SPORT, C’EST LA tous les échelons (professionnel, SANTÉ : VRAIMENT ? semi-professionnel, à l’université ou au lycée). Leur dernière enw En Italie. Une cinquantaine quête, en septembre, a révélé que de footballeurs ayant joué près de 80% des joueurs examinés dans le Calcio depuis les – 101 sur 128 - étaient atteints années 1980 sont morts de la Le système supposé amortir les chocs dans les casques de protection. PHOTO BRIAN SNYDER. REUTERS d’encéphalopathie traumatique maladie de Charcot (une chronique (ETC), une dégénéresmaladie neurodégénérative). cence cérébrale grave. Le pourcenDopage, pesticides utilisés Par FRÉDÉRIC AUTRAN tage est encore plus élevé chez les pour traiter les pelouses? Correspondant à New York anciens professionnels de la NFL : Malgré une longue enquête 76 des 79 examinés présentaient judiciaire, on ignore toujours émence précoce. Après des signes d’ETC, maladie qui les causes de cette six heures de tests psy- ne peut être diagnostiquée que «épidémie». chologiques, venus com- post-mortem. w En Afrique du Sud. La sclé pléter un scanner céré- L’ETC n’est pas la seule maladie à rose latérale amyotrophique, bral effectué en décembre, le frapper les anciens joueurs. Selon la (autre nom de la maladie de diagnostic est tombé récemment revue Neurology, ces derniers sont Charcot) a tué l’ancien Spring pour Matt Blair, ancien joueur pro- 4 fois plus touchés par la maladie bok Tinus Linee. Joost van fessionnel de football amérid’Alzheimer que la der Westhuizen, numéro 9 des cain. A l’annonce de la nouchampions du monde 1995 en RÉCIT moyenne. Et d’après l’univelle, l’homme de 64 ans au versité de Caroline du Nord, est atteint. Son excoéquipier physique toujours athlétique les anciens de la NFL ont 19 fois plus André Venter est atteint d’une – 1,88 mètre pour 107 kilos – a de risques d’être atteints par la mamaladie rare de la moelle épi fondu en larmes dans le cabinet de ladie de Charcot, une dégénéresnière. Egalement champion du son neurologue. L’histoire, relatée cence des neurones. monde, Ruben Kruger est par le quotidien Star Tribune, n’a Plus encore que ces études médicadécédé en 2010 d’un cancer rien d’exceptionnel. Comme Blair, les, c’est la multiplication de suiciau cerveau. ancienne vedette des Minnesota Vi- des d’anciens joueurs qui a contrikings dans les années 70 et 80, des bué à mettre ce sujet sur le devant milliers de retraités de la Ligue pro- de la scène médiatique. En fé«Je voulais être fessionnelle de football américain vrier 2011, l’ancienne star des Chicapable de jouer (NFL) souffrent. Ils ressentent dans cago Bears et des New York Giants, avec mes enfants.» leur chair – et bien souvent dans Dave Duerson, se tue d’une balle Sydney Rice expliquant l’an leur cerveau – les séquelles d’une dans le cœur dans sa maison de dernier pourquoi il prenait carrière faite de plaquages et de Miami. Sur une feuille de papier, sa chocs frontaux à pleine vitesse. dernière volonté : « S’il vous plaît, sa retraite à 27 ans FootUS: D lesvies quivalaient unmilliard Afin d’indemniser les joueurs atteints de maladies dégénératives du cerveau, la Ligue de football américain va signer un accord financier record. LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 SPORTS • 23 L’HISTOIRE NABIL FEKIR AURAIT CHOISI L’ALGÉRIE Le sélectionneur de l’Algérie, Christian Gourcuff, a dévoilé une liste de 30 joueurs convoqués pour les matchs ami caux face au Qatar (26 mars) et Oman (30 mars). Dans cette liste, le Lyonnais et international espoirs Nabil Fekir, qui balance entre les Bleus et les Fennecs. Selon l’Equipe, le jeune attaquant aurait tranché en faveur de l’Algérie, malgré ses récentes opérations de communication visant à pousser le sélectionneur tricolore, Didier Deschamps, à le retenir le 19 mars pour affronter le Brésil (26 mars) et le Danemark (29 mars). Gourcuff a aussi retenu Rachid Ghezzal (22 ans), Lyonnais et éligible comme Fekir à la sélection algérienne. La 28e journée de Ligue 1. Vendredi: ToulouseMarseille (résultat non parvenu). Samedi, 17 heures: PSG Lens; 20 heures: BastiaNice, Evian TGMonaco, CaenBordeaux, ReimsNantes, RennesMetz. Dimanche 14 heures: SaintEtienneLorient; 17 heures: GuingampLille; 21 heures: MontpellierLyon. TEENNIS GILLES SIMON L’EMPORTE ENFIN EN COUPE DAVIS C’est un signe indien qu’a vaincu vendredi le Français Gilles Simon, vainqueur de l’Allemand JanLennard Struff vendredi au terme d’un match épique (76 [4], 26, 67, [1] 62, 108) en ouverture du premier tour de Coupe Davis à Francfort: battu huit fois sur neuf dans l’épreuve lors des matchs décisifs, le Niçois revient de loin. Philipp Kohlschreiber et Gaël Monfils s’affrontaient ensuite avec le deuxième point en jeu (résultat non parvenu) avant le double de samedi, Julien Benneteau et Nicolas Mahut étant partants côté tricolore. PHOTO AFP Matchsdefoottruqués: lajusticeconvoqueensérie DÉCRYPTAGE 104 personnes soupçonnées d’avoir œuvré lors de rencontres supposées arrangées en 2014 devront s’expliquer mi-mars. l va y avoir du monde devant la commission de la discipline de la Ligue professionnelle de football (LFP) les 16 et 17 mars, pour les auditions concernant l’affaire des matchs présumés truqués de Ligue 2 – à commencer par le Caen-Nîmes (1-1) du 13 mai 2014 : mercredi, le Canard enchaîné a révélé que pas moins de 104 personnes, «dont une palanquée de mis en examen», devront s’expliquer. I Qui porte plainte contre qui ? Deux procédures sont en cours. La première est d’ordre disciplinaire lancée par la Ligue –la justice sportive, en quelque sorte – pour faire la part du diable: quels matchs concernés, avec qui, dans quelle mesure. Est venue s’y ajouter une instruction pénale où la LFP s’est portée partie civile. Selon l’Equipe, la LFP statuera dans le cadre de la première procédure juste après les auditions des 16 et 17 mars. Pour l’heure, la Ligue a établi un «rapport d’instruction» d’une cin- quantaine de pages pouvant servir de base aux auditions et aux éventuelles sanctions, document qui, selon le Canard, est inspiré des auditions réalisées dans le cadre de la procédure pénale – la Ligue y a accès en tant que partie civile. De quels éléments de preuves dispose la Ligue pro ? La conversation téléphonique entre les présidents caennais (Jean-François Fortin) et nîmois (Jean-Marc Conrad) en préalable à la rencontre entre les deux équipes, accablante, est connue depuis novembre. L’élément nouveau, c’est « l’expertise » menée par la LFP et dont l’Equipe a publié les conclusions in extenso jeudi. La chute : «Les carences volontaires significatives du niveau du jeu [lors de Caen-Nîmes, ndlr] soulignent bien, en première mi-temps, la volonté de laisser l’équipe menée revenir au score puis, en deuxième mi-temps, de préserver le score de parité acquis en première mi-temps.» Ce point de vue est fondé, selon le rapport, sur «un ensemble d’éléments scientifiques». Dans les faits, il s’agit d’une analyse vidéo menée par une entreprise qui se fait fort de mettre en lumière la malignité derrière telle initiative ou geste d’un joueur, ce qui revient à distinguer la maladresse du sabotage. Cette entreprise s’était fait fort de résoudre le même type d’équation dans le cadre de l’enquête portant sur le match de handball présumé truqué entre Cesson et Montpellier en mai 2012. Difficile de prévoir quel crédit la LFP ou la justice pénale accordera à ce type d’étude. On sait que les instances internationales du foot sont pour le moins sceptiques sur le fait que l’on puisse distinguer la part de volonté dans les errances d’un joueur; ces mêmes instances étant pourtant sensibles à une problématique (matchs truqués par des parieurs) dont elles craignent qu’elle puisse tuer leur sport à terme. Pour ces instances, faute de disposer d’aveux des joueurs ou de flux financiers suspect, la preuve est difficile. Dans le cas de Caen-Nîmes, l’hypothèse de la corruption par des bouteilles de vin livrées ce soir-là a vécu : elles valaient 3 euros pièce. 3 Le nombre de Francais sur le podium du 60 mètres haies des championnats d’Europe d’athlétisme en salle à Prague. Pascal MartinotLagarde (7”49) s’est imposé devant Dimitri Bascou (7”50) et Wilhem Belocian (7”52). «PML», 23 ans, triple médaillé aux championnats du monde et d’Europe en salle, 3e sur 110 m haies aux cham pionnats d’Europe 2014, signe sa première grande victoire. «Si nous nous maintenons en Top 14 à la fin de la saison, le club continuera à améliorer ses structures, le budget et l’équipe. Si on descend, cela mettra un coup de frein mais ne remettra pas en cause le projet.» Yann Roubert président de Lyon, avantdernier du Top 14 avant un match dramatique à Castres (dernier) samedi. LE DUEL Vers quelles sanctions ? Nul besoin de preuves pour établir la corruption : l’intention de corruption suffit. Et cette intention semble établie dans le cas de l’exprésident nîmois, Jean-Marc Conrad, et de l’ex-propriétaire du club, Serge Kasparian, le premier agissant pour le compte du second, propriétaire d’un cercle de jeu – ce qui a sensibilisé les enquêteurs à l’hypothèse d’un circuit de blanchiment. Le président de Caen, Fortin, a parlé au téléphone avec Conrad d’«un nul qui arrange tout le monde» : il n’est pas au mieux, tout comme l’intermédiaire Michel Moulin. Pour le reste, on serait étonné d’assister à une grande lessive, sauf à s’exposer à des contre-attaques juridiques en série. GRÉGORY SCHNEIDER BOUHANNI ET DÉMARE, LES DEUX SURDOUÉS ENNEMIS AU PARISNICE Sevrés de victoires en 2015, Nacer Bouhanni et Arnaud Démare, anciens équipiers chez la FDJ, vont pouvoir s’expliquer sur les routes de ParisNice. Les trois premiè res étapes de la course, qui démarre dimanche, devraient offrir un terrain favorable aux sprinteurs. Bouhanni (24 ans) sera l’atout numéro 1 de l’équipe Cofidis, qu’il a rejoint cette année pour avoir les coudées franches. Il a emmené avec lui plusieurs exéquipiers (Soupe, Rollin, Chainel). Sa collaboration avec la FDJ s’était terminée sur une mauvaise note, Bouhanni reprochant à son employeur de l’avoir laissé «mariner» pendant un an. Lequel, avait décidé de ne plus l’aligner sur la moindre épreuve. La cohabitation avec Démare (23 ans) semblait difficile: vainqueur de trois étapes sur le Giro, Bouhanni avait difficilement encaissé sa nonsélection pour le Tour de France, où on lui avait préféré son coéquipier (et rival). Les deux hommes sont considérés comme des grands talents en devenir de leur discipline. PHOTOS AP ET REUTERS • LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 IDÉES GRAND FORMAT IDÉES 24 L’historien spécialiste du Moyen-Orient Pierre-Jean Luizard décrypte les mécanismes utilisés par le groupe jihadiste pour instaurer un nouveau califat, notamment en jouant avec les peurs occidentales. LE PIÈGE DAECH, L’ÉTAT ISLAMIQUE OU LE RETOUR DE L’HISTOIRE de PIERREJEAN LUIZARD éd. La Découverte, 186pp., 13,50€. Recueilli par CATHERINE CALVET et JEANPIERRE PERRIN Dessin YANN LEGENDRE C hercheur au CNRS, historien spécialiste du Moyen-Orient, auteur de plusieurs ouvrages sur l’Irak, Pierre-Jean Luizard vient de publier un essai sur l’Etat islamique, le Piège Daech, dans lequel il cherche à décrire le fonctionnement du «premier Etat salafiste à se revendiquer comme tel». Il en souligne la dimension historique, absolument nécessaire pour le comprendre, et les pièges qu’il tend aux pays occidentaux. Peut-on dire qu’il y a des théoriciens derrière la stratégie de l’Etat islamique? Ce dont on est sûr, c’est qu’ils ont tout pensé dans le registre de la provocation, de façon à élargir les fractures et à provoquer des réactions en chaîne. Les atteintes à des groupes ou des minorités dont on sait qu’elles ne peuvent que révulser les opinions occidentales ont un caractère systématique indéniable. Sachant que nos gouvernements sont très sensibles aux émotions populaires, rien n’a été oublié: l’Etat islamique [EI, également appelé Daech, ndlr] attaque les minorités religieuses, réduit en esclavage des femmes et des enfants, commet des massacres de masse, des décapitations médiatisées… Il a une bonne connaissance de nos pires phobies et de la façon dont nos sociétés fonctionnent. Des Occidentaux professionnels des médias opèrent d’ailleurs dans leurs rangs. Dernières provocations en date : la destruction de statues assyriennes au musée de Mossoul et l’enlèvement de 220 chrétiens assyriens en Syrie et l’anéantissement du site antique de Nimrod. Avant cela, il y a eu la décapitation des coptes égyptiens en Libye, qui vise clairement à pousser la France et l’Italie à intervenir en Libye. Le piège est parfait: pousser à une réaction militaire dans l’urgence qui nous ferait apparaître comme les héritiers du colonialisme. J’espère que nos dirigeants auront la sagesse de réfléchir avant une telle aventure. Si nous tombons dans ce piège, l’EI n’aura aucun mal à rallier tous les groupes jihadistes libyens, comme cela s’est produit en Irak. Il réussira à les fédérer et, une fois de plus, il aura l’image de celui qui a porté le fer contre les anciennes puissances coloniales. Ces dernières sont donc vues comme des «croisés»? C’est ainsi que nous sommes présentés dans les médias de l’EI. Nous ne pouvons donc plus nous permettre d’interventions militaires sans projet politique à la clé. C’est suicidaire. Et quel projet politique peut-on imaginer pour la Libye, un Etat déjà en train de se disloquer ? Nous ressortirions vaincus d’une telle expédition. Nous devons absolument anticiper la fin de certains Etats. A-t-on déjà vu un quasi-inconnu, Abou Bakr al-Baghdadi, se proclamer calife depuis le minbar d’une mosquée? Il y a dans l’histoire de l’islam, tant chiite que sunnite, une succession de mouvements messianiques, millénaristes, la plupart au Moyen Age. Ils n’ont pas eu de suite. La grande différence avec l’EI, c’est qu’il prospère là où les Etats s’effondrent. Que ce soit en Libye ou en Irak, nous ne devons pas nous faire d’illusions, ces Etats ne ressusciteront pas. Ce n’est «Là où Daech prospère, les Etats ne ressusciteront pas» LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 pas seulement une question de régime politique, car ils ont été le siège privilégié de régimes autoritaires, qui n’ont pas su ouvrir au plus grand nombre des processus de citoyenneté et de vivre ensemble. Ces Etats n’ont été le théâtre que de jeux entre différentes minorités, en Irak, en Syrie ou au Liban. Les puissances mandataires avaient d’abord affiché un tropisme puissant envers les minorités, puis le système a perduré même après la fin des mandats. Les printemps arabes sont le dernier épisode de ces déliquescences étatiques avec l’émergence de différentes sociétés civiles. La délégitimisation des Etats en place n’a fait que s’accentuer. A l’exception notable de l’Egypte, où une majorité de la société a fait corps avec son Etat. L’Irak est-il aussi menacé? Aucune diplomatie n’annonce sa mort. Et pourtant trois Etats se font déjà face : celui des chiites, celui de l’EI et celui des Kur- des. De même en Syrie : il y a les territoires de Bachar al-Assad, ceux du Front al-Nusra et ceux de l’EI. Pour en revenir à l’échec des Etats, au-delà des minorités, il y a le jeu constant des asabiyya, c’est-à-dire des groupes claniques, tribaux ou régionaux qui ont réussi à confisquer la citoyenneté, même si ces groupes ont masqué leurs stratégies par des discours nationalistes arabes. Pourquoi les revendications sunnites, en Irak et en Syrie, ont-elles pris des formes si radicales et violentes? Les sunnites ont toujours eu le pouvoir à Bagdad, des dynasties abbasides aux baasistes en passant par les Ottomans. Après avoir GRAND FORMAT IDÉES • 25 monopolisé le pouvoir pendant des siècles, L’Etat islamique ne fonctionne donc pas que il leur est difficile de devenir de simples ci- par la terreur? toyens au mieux ou, au pire, ce qui est le cas, Non, sinon on ne comprendrait pas qu’une d’appartenir à une communauté minoritaire ville de 2 millions d’habitants comme Mossoul et sans aucun pouvoir. Les sunnites furent ne se soit pas vidée entièrement à l’arrivée des d’abord tétanisés par la disparition de Sad- jihadistes ni comment quelques milliers d’endam Hussein. Sa chute fut aussi celle de l’Etat tre eux peuvent contrôler une agglomération irakien. Plus d’armée, plus d’administra- si importante. L’EI investit aussi des lieux emtion… Donc les Américains se sont adressés blématiques, les palais des «corrompus». Les aux exclus de l’ancien système, les chiites et vidéos sont mises sur YouTube. Il y a un cerles Kurdes. Les sunnites ont pourtant tenté tain mimétisme avec les printemps arabes: on un moment de jouer le jeu. Ils ont participé se souvient du siège des palais de Ben Ali par aux conseils de réveil [milices tribales créées les manifestants tunisiens. Depuis juin 2014, par l’armée américaine pour lutter contre Al- il y a eu très peu de résistance ou de dissiQaeda en Irak, ndlr] et ont abandonné leur dence. On peut même parler d’adhésion boycott initial des élections. Ils ont ensuite d’une partie de la population. participé à des mouvements de protestation Le refus de certains Occidentaux d’appeler pacifique, en occultant le côté confessionnel Daech «Etat islamique» n’est-il pas de l’ordre de la mobilisation avec les mots d’ordre des du déni? printemps arabes –contre la corruption et L’EI veut instaurer un nouvel Etat, qui prétend l’autoritarisme–, mais la seule réponse du être un Etat de droit, même si les principes et pouvoir chiite a été d’une extrême vio- les règles qui le fondent nous semblent aberlence : artillerie lourde et barils de TNT rants. Refuser de le reconnaître est contrelargués par hélicoptères sur la foule. productif comme peut l’être toute forme de Et les baasistes sunnites ont rejoint diabolisation. Les réduire à des barbares ne l’Etat islamique… résoudra rien. La barbarie semble d’ailleurs Une majorité d’Arabes sunnites la chose la mieux partagée au Moyen-Orient, d’Irak a d’abord manifesté sa passivité «L’Etat islamique attaque les minorités face à l’EI, avant de religieuses, réduit en esclavage rechercher de façon de plus en plus mas- des femmes et des enfants… sive sa protection Il a une bonne connaissance de nos pires face aux exactions phobies et de la façon dont nos sociétés des forces de sécuoccidentales fonctionnent.» rité irakiennes alors que tout espoir d’intégra- quand on voit comment se conduisent les mition dans le système politique lices chiites dans les zones reprises à l’Etat isen place semblait perdu. Les lamique, ou comment Bachar al-Assad bombaasistes, notamment les ex- barde allègrement des banlieues entières de officiers de l’armée de Saddam Damas. La seule différence réside dans la méparmi eux, avaient déjà fait le diatisation. Pour l’Etat islamique, cette barpas. Entre islamistes et baasis- barie est un outil de propagande, les autres la tes, les sources d’inspiration se pratiquent à huis clos. Il y a donc bien un Etat, mélangent. Par exemple, Al- avec un calife, un pouvoir judiciaire repréKhansa, la brigade féminine senté par des tribunaux islamiques, une fiscachargée de la police des mœurs de lité. Les impôts sont collectés en fonction de l’EI, fait référence à la poétesse de règles qui se veulent inspirées de la charia, on l’époque antéislamique qui s’était ne peut donc pas les réduire à un simple racconvertie à l’islam, dont les cinq fils ket… Il n’y a pas de pouvoir législatif puisque sont morts à la bataille d’Al-Qadisiya la charia fait office de loi. Par exemple, les [en 636] contre les Perses polythéistes. chrétiens ne sont pas traités comme les yéziC’était déjà une référence de Saddam Hus- dis (1). Les chrétiens, considérés comme des sein contre l’Iran. Aujourd’hui, ces milices «gens du livre», doivent s’acquitter d’un imAl-Khansa sont constituées de jeunes Euro- pôt ou se convertir. Les yézidis sont traités péennes, dont la plupart ne parlent pas comme des hérétiques, voire des apostats de arabe. C’est toute la perversité de l’EI de faire l’islam, et ne méritent, pour l’EI, que la mort imposer les lois islamiques aux femmes par ou l’esclavage. Si on ne prend pas en compte des Occidentales. cette forme de «légalité» revendiquée, même A quoi ressemble une grande ville gérée si elle est contraire à tous nos principes, on ne par l’Etat islamique? comprendra pas comment des populations Grande différence entre l’EI et Al-Qaeda : entières se sont ralliées à l’EI. l’EI n’impose pas un pouvoir venu de l’exté- Et maintenant? rieur mais s’appuie sur des relais locaux. Le Nous, Européens, allons être en première livéritable laboratoire de ces villes conquises gne et je ne pense pas que nous puissions resest Fallouja, la première à tomber [en jan- ter simples spectateurs. Surtout que l’EI a bevier 2014]. La base sociale et politique est soin, pour se maintenir, de notre hostilité. Les constituée par les notables locaux qui frontières au Moyen-Orient sont remises en continuent de représenter les différents cause en même temps que les Etats. Le Hezclans et quartiers. Le marché est le sui- bollah va combattre en Irak, les Turcs laissent vant : les acteurs locaux ne doivent passer les peshmergas kurdes, les salafistes utiliser que le drapeau de l’EI et se libanais vont combattre en Syrie… La dégénéconformer à la charia. L’EI n’intervient rescence confessionnelle des printemps araqu’en cas de corruption ou de rébellion. bes a montré que ces Etats, qui s’enfoncent Les recettes pétrolières sont publiées pour dans le chaos, n’étaient pas réformables. • manifester la rupture avec le régime précé- (1) Communauté kurdophone d’Irak pratiquant dent. Et les produits de première nécessité une religion monothéiste enrichie notamment sont de nouveau abordables. par des apports coraniques et bibliques. • 26 LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 IDÉES CHRONIQUES EXPERTISES EN TOUS GENRES REGARDER VOIR Par MATHIEU LINDON Par CLÉMENT GHYS Torture ninja La pauvreté, quel coût? C ette image est parue jeudi dans les pages «Grand Angle» de Libération. Son auteur est Immo Klink, photographe allemand de 43 ans installé à Londres. Elle accompagnait un long reportage de la correspondante du journal au Royaume-Uni, Sonia Delesalle-Stolper, à l’ICSR. Soit l’International Centre for the Study of Radicalisation and Political Violence, une structure hébergée par le King’s College et depuis laquelle, via Internet, une poignée de chercheurs communiquent avec des jihadistes, effectuent une enquête afin de comprendre comment certains peuvent abandonner leur vie en Europe ou ailleurs et partir en Syrie ou en Irak commettre des massacres. L’ambition du lieu est extraordinaire. On s’attend au bureau de M dans un James Bond. Mais en fait, non. Immo Klink, qui a réalisé ce reportage en février, confie : «Je ne savais pas du tout à quoi m’attendre. Et je me suis retrouvé dans une salle sombre, remplie de profs, dans une ambiance pas du tout spectaculaire. Mais ce qu’il s’y passe est impressionnant : ils discutent avec des terroristes, ils les rencontrent via des écrans, parlent avec eux toute la journée.» D’où cette photographie qui est l’image d’une image. Au premier plan, il y a la matérialité de l’outil de travail des chercheurs (un MacBook Pro) qui se prolonge avec la barre d’applications (le «dock» d’Apple) où l’on voit un mail «non lu», et le logiciel iTunes ouvert. Le plan est cadré comme une photo volée à l’iPhone, tel un mémo visuel. Et puis il y a l’autre image, saisissante: ce personnage qui croise deux terrifiants sabres, le visage cagoulé face à l’objectif. Il s’agit là d’une capture d’écran, screenshot en anglais, tirée d’un dialogue via Skype ou un autre logiciel de conversation. «Objectif», «capture», «shot» («coup» en français)… le langage de la photographie se macule de violence. A propos des drones militaires, on a beaucoup parlé de ces «pilotes» qui, depuis une cabine du Texas, explosent des immeubles au Pakistan avec la dextérité d’un gamer. Les chercheurs de l’ICSR sont dans une situation différente, scientifique et non meurtrière. Mais ils se retrouvent, eux aussi, via un ordi, en connexion avec des zones interdites, les espaces fantômes habités par l’Etat islamique. Ces lieux brouillent les images, en produisent des atroces, de décapitations ou de tortures. Surtout, et c’est là leur terrifiante force de frappe, elles perturbent notre appréhension. Comme ces vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux, transmises par des sites agrégateurs de contenus avides de clics, dont on ne sait que faire. L’horreur est évidemment réelle, IMMO KLINK P rofesseur(e)s Toc et Zoc, vous êtes les spécialistes mondiaux de toute situation. Que nous décryptez-vous cette semaine ? Pr Zoc : La guerre contre la pauvreté, très bien, encore faut-il avoir les moyens. Car c’est une guerre de riches, ce sont eux en première ligne. Pour les vieux, il y a la retraite de Gstaad comme il y a eu la retraite de Russie. Mais est-il raisonnable d’appauvrir le riche plutôt que d’enrichir le pauvre ? Au lieu d’un épouvantail, le riche devrait être un modèle pour le pauvre. Pr Toc : Quelles sont nos unités d’élite à engager dans cette guerre ? Les riches, combien de divisions ? La guerre contre la pauvreté n’est pas comme celle contre le terrorisme, menée contre les terroristes. Elle devrait avoir comme alliés les pauvres eux-mêmes, tandis que les riches n’aspirent qu’à la paix. Pr Zoc : Ce qui réunit les pauvres et les riches, c’est la solidarité. Mais c’est aussi ce qui les divise, car il y a une solidarité des riches et une des pauvres. Reconnaissons que, si les riches ne sont pas toujours solidaires des pauvres, les pauvres ne le sont pas non plus des riches. Pr Toc : C’est de bonne guerre. Pr Zoc : La paupérisation des masses, c’est comme le réchauffement climatique. On se dit bien qu’il faudrait faire quelque chose, mais quoi, quand et qui ? Pr Toc : Pour les SDF, le réchauffement climatique n’est pas la pire chose du monde. Pr Zoc : Je vous en prie, c’est d’un goût. Pr Toc : Les riches ne demanderaient pas mieux que les pauvres soient plus riches, à dépenser dans leurs magasins, s’empiffrer dans leurs restaurants, devenir des clients sérieux, quoi. Pr Zoc : Non seulement les riches sont de plus en plus riches mais de plus en plus nombreux. On dirait un cercle vertueux, la richesse. Pr Toc : Mais les pauvres aussi sont de plus en plus nombreux et de plus en plus pauvres, c’est un cercle vicieux. Pr Zoc : Il y a deux sortes de riches : ceux qui, de leur limousine avec chauffeur, voient un mendiant sur le trottoir et ça leur gâche le festin ; et ceux qui, face à la même vision, se disent «quand même, c’est cool». Comme il y aurait une magie dans l’héritage des grandes fortunes, il semblerait y avoir une malédiction dans le destin des malheureux. Pr Toc : C’est commode de penser comme ça, de faire confiance au loto de la vie. Pour manifester son engagement dans cette guerre contre la pauvreté, chaque riche devrait devoir adopter un pauvre. Après tout, la chambre d’ami n’est pas toujours occupée. Pr Zoc : Les riches sont de bonne volonté, mais ils ont tendance à penser que la guerre contre la pauvreté, ça devrait être en premier l’affaire des pauvres. Charité bien ordonnée. Pr Toc : Il y a un indécrottable fond de pacifisme chez les riches. Ils sont prêts à signer l’armistice avant les grands et meurtriers combats de la guerre contre la pauvreté. Pr Zoc : La différence entre le libéralisme et le socialisme, c’est que, dans le premier cas, les pauvres sont bon marché et que, dans le second, ils coûtent cher. Enfin, dans l’idéal du libéralisme et du socialisme. • les images semblent «vraies», documentaires, mais il y a toujours une mise en scène. C’est l’hallucinant paradoxe de cette photographie d’Immo Klink: elle montre une réalité, tout en évoquant une iconographie toute fictionnelle. Avec ses sabres aiguisés et sa tenue noire, ce garçon ressemble à un ninja. Il prend la pose, le corps gainé. On l’entend presque hurler «banzaï!». Cette image est- 26 • GRAND ANGLE LIBÉRATION JEUDI 5 MARS 2015 • LIBÉRATION JEUDI 5 MARS 2015 Jihadistes, vous avez un message 27 Joseph Carter, chercheur de l’ICSR, au King’s College, à Londres, le 9 février. Ces spécialistes dialoguent notamment grâce à Facebook avec les jihadistes partis à la guerre. Grâce aux réseaux sociaux, des chercheurs du King’s College, à Londres, communiquent avec les combattants partis en Syrie ou en Irak et collectent des informations sur chacun d’entre eux. Par SONIA DELESALLESTOLPER Correspondante à Londres Photos IMMO KLINK tionale syrienne occupe une place de choix. Sur les étagères, les livres sont plutôt monomaniaques: Comprendre les attentats-suicides, Armes de destruction massive, Au cœur d’Alls parlent à l’oreille des jihadistes. En- Qaeda… Au milieu, un petit bouquin rouge gagent sur le Net des discussions par- attire l’œil, A Most Wanted Man, de John fois surréalistes avec ces hommes dé- Le Carré. Peut-être pour souligner le lien terminés qui ont tout quitté, laissant ténu entre fiction et réalité. derrière eux familles et amis, et qui, Dans ces bureaux anonymes, la réalité, bruentre les mots, sont menaçants, voire tale, est pourtant là. Sur les écrans des chereffrayants. Certains sont presque cheurs, sur leur rétine, les images se fixent, drôles et d’autres encore totalement condensé des pires atrocités commises ces perdus. Jour après jour, et parfois même la derniers mois par des hommes se réclamant nuit, ces quatre universitaires londoniens de de l’Etat islamique (EI), du Front al-Nusra… l’ICSR (International Centre L’ICSR est né en 2008 d’une for the Study of Radicalisaidée simple. «Comment detion and Political Violence) et vient-on un terroriste? Que se ROYAUMEleurs huit assistants de repasse-t-il avant qu’ils enfilent UNI cherche, des étudiants, clasune veste bourrée d’explosifs Mer sent, recoupent les informaet partent se faire sauter? exdu tions recueillies sur les plique le professeur Peter IRL Londres Nord réseaux sociaux. Age, nom Neumann, cofondateur et ou pseudonyme, origines directeur du centre. On a ethnique, géographique, 200 km voulu combiner la rigueur et la converti ou pas, milieu sométhodologie précise de la recial, éducation, famille, organisation terro- cherche académique à des problématiques pratiriste à laquelle ils sont affiliés, tout est soi- ques.» Premier du genre, ce dernier a fait des gneusement consigné. émules dans le monde. Et le succès des re«Certains utilisent cinq à six pseudonymes, his- cherches du centre est tel qu’il est sollicité toire de pouvoir ouvrir des comptes différents», par les médias, les conférences internationaconstate Marie, l’une des assistantes de re- les, les gouvernements. Dans quelques jours, cherche. Leurs fichiers répertorient Neumann participera au sommet de la Mai674 combattants, dont 84 femmes. Une cen- son Blanche sur «Comment contrer la viotaine sont britanniques, environ 80 français, lence extrémiste». presque autant de Belges et une grosse trentaine d’Autrichiens, un Néo-Zélandais et une «Ça commence par un “salut!”» soixantaine d’Américains ou de Cana- Il y a deux ans, Shiraz Maher, chercheur asdiens (1). Certains ont disparu, probablement socié, constate que les hommes partis en Symorts ou mis en veille pendant un temps. rie continuent à alimenter leurs comptes sur D’autres, une cinquantaine, parlent, échan- les réseaux sociaux: «C’est totalement unique, gent par Facebook, Twitter, WhatsApp, Ins- parce que jamais, dans aucun conflit précédent, tagram ou Tumblr. Depuis les champs déchi- on n’avait accès à ce type d’informations. Là, rés de la Syrie, ils choisissent d’y partager on peut non seulement suivre les combattants, leurs expériences, leurs photos et, parfois, mais également communiquer avec eux.» Et leurs pensées. c’est lui qui s’y colle : «La plupart du temps, C’est au bout des couloirs alambiqués de la ça commence par un “hi! [«salut», ndlr]” sur prestigieuse université londonienne de Twitter, une demande pour les “suivre”.» La King’s College que l’on trouve les locaux de majorité ne répond pas. Une poignée entame l’ICSR. En ce mois de février, les murs blancs un dialogue. Et souvent bascule sur une messont baignés de lumière grise. Derrière un sagerie du type Qik, WhatsApp ou SureSpot, bureau, un grand drapeau de la Coalition na- dont les messages sont codés. Shiraz Maher un membre de l’EI qui «nous expliquait qu’il voulait rentrer, avec trente autres combattants, parce qu’ils avaient perdu leurs illusions, mais se sentaient coincés. D’autant que, nous ont-ils dit, “si nous rentrons, nous irons en prison pour trente ans”». L’histoire a été relayée par le Times. Et le professeur Neumann en a profité pour appeler le gouvernement à affiner son programme de déradicalisation. I «On en a fini avec toi, espèce d’apostat!» gleterre, a rejoint le parti islamiste, né d’une scission des Frères musulmans, qui prône l’installation d’un califat et se prétend non violent. Forcément, l’empathie est réelle avec les jihadistes. «J’ai parfois l’impression de me voir il y a dix ans!» explique-t-il. Sauf que lui n’a jamais franchi la ligne rouge et consacre aujourd’hui sa vie à comprendre comment et pourquoi un jeune bascule. se balade partout avec un smartphone qui ne sert qu’à cela. Parfois, les premières réponses sont très agressives : «Pourquoi tu veux me suivre, t’es qui?» «Pourquoi tu voudrais suivre un terroriste ?» Il faut alors instaurer la confiance. «Je commence par leur dire que je préfère parler de combattants étrangers, je leur explique ce qu’on fait», raconte Maher. Parce que la règle absolue, la condition essentielle de leur travail est l’honnêteté. «Toutes nos recherches sont soumises au comité éthique de l’université. Il n’y a ni mensonges, ni tricheries, ni fausses identités», confirme Peter Neumann. Ils sont avant tout des chercheurs, pas des hackers ni des génies de l’informatique, et certainement pas des informateurs. «Notre indépendance est la clé de ce que nous faisons», ajoute Shiraz Maher. Evidemment, les services de renseignement sont fascinés par le travail de l’ICSR : «Nous ne refusons pas de leur parler, mais nous ne partageons jamais nos données, on perdrait toute crédibilité.» Les jihadistes savent donc qu’ils échangent avec Shiraz Maher, chercheur universitaire, musulman et membre il y a dix ans de Hizb ut-Tahrir. Pendant quatre années, Maher, jeune étudiant à Leeds, dans le nord de l’An- «Regardez, on a même des crêpes et du Nutella!» Les conversations ne sont jamais linéaires. Certains se fâchent, disparaissent à jamais. D’autres reviennent. «La confiance se construit jour après jour, j’envoie des messages neutres, pour les fêtes religieuses, l’Aïd, le ramadan.» Parfois, la conversation s’interrompt car le jihadiste a quitté «la base» pour le front. Ou parce qu’il a été tué. «Lorsqu’on apprend la mort de l’un d’entre eux, on se dit que c’est dommage, ils sont souvent si jeunes et stupides.» Joseph Carter, chercheur à l’ICSR, scrute tous les réseaux sociaux, recoupe les données, recherche qui pourrait fournir des informations sur qui. Il se penche sur chaque photo, chaque vidéo pour déterminer les lieux, le contexte. «Avant, c’était facile, il y avait tellement de trucs disponibles sur les réseaux sociaux que c’en était incroyable, raconte-t-il. Maintenant, c’est plus difficile. D’une part parce qu’ils se méfient plus, d’autre part parce que Facebook et Twitter réagissent plus vite, ferment ou bloquent des comptes, du coup, nous, on doit être encore plus rapide dès qu’on repère quelqu’un.» «Les jihadistes communiquent avec nous en partie parce que nous parlons aux médias», explique Shiraz Maher. Ils ne le font pas dans le cadre de la formidable machine médiatique de l’EI, mais «à titre personnel, ce qu’ils disent n’est pas “scripté”». Sur Facebook, ceux qui postent des images tentent de montrer qu’ils sont bien traités. Joseph Carter raconte en souriant qu’un Français publiait des photos de nourriture, forcément, et expliquait : «Regardez, on a même des crêpes et du Nutella !» Parfois, les contacts sont surprenants. En septembre, Shiraz Maher a été contacté par Libération du jeudi 5 mars. Ces presque deux années de dialogue avec des jihadistes ont appris aux chercheurs qu’il n’existait pas de profil type, qu’un jeune –la majorité a entre 17 et 24 ans – ne partait jamais pour les mêmes raisons que son voisin, que leurs origines sociales étaient très variées, de même que leur éducation. Certains sont très intelligents, viennent de milieux confortables, d’autres sont issus d’une vraie pauvreté. Un Canadien était même décrit comme un «gros fêtard». «Il y a une soussection des membres de l’EI qui sont des idéalistes, un peu comme à l’époque les marxistes, avec l’idée que la fin, leur fin, justifie tous les moyens. Ceux-là sont hermétiques à toute déra- «Je suis en plein dialogue bizarre avec un type, on échange des paroles de chansons, on compare Justin Bieber et One Direction.» Shiraz Maher chercheur à l’ICSR dicalisation, analyse Nick, un assistant de recherche. Et puis il y a les moins extrêmes, des types un peu largués qui se retrouvent dans un cercle de violence qui va bien au-delà de l’objectif initial. Ce sont la plupart de ceux avec qui on communique.» Devant son ordinateur, Shiraz Maher rigole: «Je suis en plein dialogue bizarre avec un type, on échange des paroles de chansons, on compare Justin Bieber et One Direction. C’est franchement curieux. Mais ça montre aussi que derrière tout ça, il y a beaucoup de gamins normaux, pris dans un engrenage infernal.» Dès qu’un jihadiste manifeste ainsi son désir de communiquer, Maher se «rend disponible». Les échanges sont parfois rudes: «Certains m’insultent, mais je me défends.» Parfois, le dialogue est rompu brutalement : «On en a fini avec toi, espèce d’apostat !» Il est très clair sur son rôle, qui n’est «certainement pas de leur dire de rentrer. Ces types ont pris leur décision». Certains lui proposent de venir sur place «pour voir». Ils y sont allés, voir. En avril, Peter Neumann, Shiraz Maher et Joseph Carter se sont rendus sur le terrain, à la frontière turco-syrienne. A la rencontre des passeurs et de ces hommes en partance. Ils prévoient d’y retourner. «Des types qui n’ont pas grandchose à perdre» Au début de la vague de départs, il y a deux ans, il s’agissait en majorité de «missionnaires» allant défendre leurs «frères» en Syrie. Il y avait aussi les martyrs. Ceux qui partaient en espérant mourir vite pour rejoindre le paradis. «Et puis, il y a eu les aventuriers, déjà impliqués dans la petite délinquance, gangs, drogues, des types pas particulièrement intelligents, pas particulièrement religieux, qui n’ont pas grand-chose à perdre.» Dans les conversations, en général, les jihadistes évitent de parler de leur famille: «Ils n’ont pas envie qu’elle soit harcelée par la presse.» Pour Neumann, ces proches sont au cœur de la déradicalisation. «Parce que 99% des familles ne sont pas au courant quand leur enfant s’enfuit en Syrie, et aucune ne souhaite qu’il soit tué», expliquet-il. Lui et Shiraz Maher en sont convaincus: l’une des clés pour freiner ces départs réside dans la sensibilisation, l’éducation et l’aide aux familles. Parce que, encore une fois, chaque cas est unique: «On ne peut pas traiter le type qui est confiné dans la campagne syrienne à nettoyer des armes de la même manière que celui qui décapite des otages en public.» • (1) Sans oublier des Scandinaves, des Allemands, des Néerlandais, et même un Kosovar et un habitant du Kazakhstan. elle une capture d’écran du jeu vidéo Call of Duty ou d’un film japonais jouissif de violence ? Non, elle est la «capture» éphémère d’un assassin. Le décor –une chaise de balcon blanche en plastoc, une table en Formica, un matelas gonflable– ne donne aucun indice. Un zoom à l’infini sur la photographie ne nous apprendrait rien sur l’identité du garçon. On devine qu’il a la peau noire, et puis c’est tout. Son regard est intense. Il est probablement jeune, a sans doute, enfant, regardé les Tortues ninja en avalant son chocolat chaud. Ici, il se met en scène dans sa perte délirante, qu’il voit comme un salut religieux. Ce sinistre ninja kid est l’acteur d’un film, dont il n’est pas le scénariste, et qui le happe. Immo Klink : «Faire cette série m’a appris qu’il y a des mondes entiers dont on ignore tout. Des bulles qui se forment et enferment des êtres. Certains vivent dans une bulle Louis Vuitton, d’autres dans une bulle Daech.» • LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 CHRONIQUES IDÉES ÉCRITURES LA CITÉ DES LIVRES Par CHRISTINE ANGOT Par LAURENT JOFFRIN Ça sert à rien d’écrire des chroniques Mitterrand, l’histoire enfin M arine Le Pen va être présidente de la République, très bien. Les Français en ont envie, on n’y peut rien, très bien. Le président du Crif luimême la trouve irréprochable. C’est parfait. Son entourage, ses fréquentations, est la seule chose qui le gêne, très bien. Il ne pourrait pas voter pour le FN mais pour elle pas de problème, il y a un distinguo, très bien. Les Juifs se font tuer et la presse parle d’islamophobie, très bien aussi. Marine Le Pen dit que son parti offre aux Juifs la meilleure protection possible, parfait. Mais qu’on ne nous demande plus d’écrire des chroniques, etc.! Il y a quelque chose à dire ? Ça sert à quelque chose ? Il y a quelque chose à ajouter à ça ? Il faut commenter ? Pourquoi ? Il faut écrire ? Il faut réagir? Pour quoi faire? En admettant que ça intéresse des gens, ce qu’on a à dire on le dit comment de toute façon ? Il faut dire quelque chose ? Admettons ! Comment? Une petite bande en Alsace décide d’aller vandaliser le cimetière juif de leur village, tout le monde s’empresse de dire qu’ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient, c’est parfait. Pardonnez-leur mon Dieu ils ne savent pas ce qu’ils font. Les jihadistes son père. Pas la peine. On va pas exiger qu’elle dise c’est un salopard. Elle est pas responsable de son père, si votre père viole votre sœur vous êtes pas obligé de la croire, vous pouvez croire votre père, vous pouvez tout à fait vous payer ce luxe. Elle est pas non plus responsable de ses électeurs. D’accord elle les chauffe un peu en meeting en leur faisant siffler tout ce qui est intello en le taxant de bobo. Mais bon. Elle fait siffler les journalistes, B.H. Lévy, Ch. Taubira et les électeurs répondent en chorus: «la crasse». Mais elle est pas responsable. OK! Ils disent ça, oui. J’ai assisté à un meeting, c’était ça. Et elle les chauffait à mort. Je l’avais écrit, je l’avais raconté. Ça ne sert à rien d’écrire des chroniques, d’ailleurs je vais arrêter. En ce moment, il y a une seule chose de bien : chacun montre son vrai visage. Celui-ci comprend les terroristes, celui-là comprend le vote Front national, tel autre propose qu’on boycotte Israël, que les artistes refusent d’y donner des concerts. Mais on voit les vrais visages au moins, c’est ça qui est bien. Même dans un journal de gauche, les fréquentations deviennent mauvaises. Il y a toujours un encadré ou un bout de colonne qui se pose la question du deux poids deux meAllonz’enfants nulle part. On va élire par exemple. A chaque Marine Le Pen. On va pas lui demander sures fois que j’ai écrit dans un jourde se désolidariser du discours de son nal, je l’ai regretté. La plupart père. Pas la peine. des chroniques, je les regrette. Elles me paraissent ridicules ont des excuses parce qu’ils viennent de quand le temps est passé. J’avais écrit la milieux socialement difficiles ? OK. Par- honte que j’éprouvais quand Ch. Taubira fait. Il y a pas de passé? Il y a pas d’avenir? a été comparée, je ne sais plus où mais en Il n’y a que des conditions sociales ? Des France, à un singe mangeant une banane, quartiers, des salaires, des indemnités de je le ferais plus aujourd’hui. J’y croirais chômage? C’est tout ce qu’il y a? Les hu- plus. Et on m’accuserait de ne pas commains ça se résume à ça ? Rien d’autre ? prendre l’exaspération des gens, leurs déIl y a pas de pensée ? Il y a pas de liberté ? bordements. Il y a pas d’espoir alors… Il y a pas d’hu- Le coup de grâce, ç’a été Mossoul. La desmanité… C’est ça ? Il y a que des ca- truction des statues par des gens qui s’en ses alors… On n’a pas le droit de demander estiment donc propriétaires. Il n’y a même aux musulmans de se désolidariser des ac- plus de vieilles pierres. Il n’y a plus que des tes terroristes des islamistes? C’est une in- images de mecs, mais il faut pas dire qu’ils sulte? Pourquoi? On ne peut pas s’expri- sont barbus, de mecs avec des haches qui mer sur l’acte d’un membre de sa famille? tapent sur des statues. Et quand la matière Quand il fait des horreurs on n’a pas le de- résiste, avec des marteaux-piqueurs. Les voir, au contraire, de s’en désolidariser, de nazis eux-mêmes s’étaient retenu de dédire que soi on ne pense pas comme lui ? truire Paris. Même écrire ça, ça m’épuise, OK! OK OK OK. Pas de problème. Chacun ça me démoralise. Je ne sais pas comment vit sa vie. On demande rien à personne. fait Laurent Joffrin pour écrire des éditos On laisse tomber. D’ailleurs on va arrêter tous les matins. Et comment ont fait tous d’écrire. On va arrêter d’y croire. On va ceux qui à longueur d’articles se sont dearrêter de défiler dans les rues à quatre mandé si DSK pouvait ignorer que les femmillions en chantant la Marseillaise, ça ne mes du Carlton étaient des prostituées. sert absolument à rien. Il y a un lien social Bien sûr qu’il pouvait. Qui regarde qui ? entre nous? On a un lien? Ou tout ça, c’est Qui écoute qui ? • fini. Rideau. Allonz’enfants nulle part. On Cette chronique est assurée en alternance va élire Marine Le Pen. On va pas lui de- par Olivier Adam, Christine Angot, mander de se désolidariser du discours de Thomas Clerc et Marie Darrieussecq. L e temps est l’ennemi du journaliste, qui court toujours contre la montre. Il est l’ami de l’historien, qui rend sa copie quand elle est prête et non à l’heure contrainte du bouclage. C’est le grand atout de Michel Winock, qui raconte François Mitterrand avec le recul nécessaire, quand ses prédécesseurs de la presse, Giesbert, Lacouture, Péan ou Benhamou, ont agi à chaud, dans la fièvre de l’enquête, pour explorer des chemins inconnus que l’historien peut ensuite cartographier et arpenter tout à loisir, en ajoutant à sa documentation les archives qui s’ouvrent après coup, ou bien les livres de souvenirs qui s’accumulent, ceux d’Attali, de Glavany ou de Védrine, précieux dans leur subjectivité, ou encore les excellents souvenirs de Michèle Cotta, chroniqueuse inépuisable de la Ve République. • 27 déjà trempé, passe progressivement du bon côté à partir de 1942, pour devenir pendant l’année qui précède la Libération un résistant intrépide pourchassé par la Gestapo et la milice, organisateur efficace d’un réseau clandestin. Les ennemis de Mitterrand ont daubé sans fin sur sa francisque, décoration vichyste par excellence. Ils ont souvent oublié de dire que le jeune Mitterrand se retrouve en août 1944 dans le gouvernement provisoire du Général avec rang de ministre, recommandé par Alexandre Parodi, et qu’il a descendu les Champs-Elysées, adoubé par les gaullistes et les résistants, au cinquième rang du grand défilé de la victoire. Drôle de collabo… De la même manière, on l’a cloué au mur d’infamie pour son action de ministre pendant la guerre d’Algérie. C’est un fait, comme l’a montré Benjamin Certains tableaux en clair-obscur se Stora, qu’il a prêté la main à la répression la plus cruelle, voient mieux de loin que de près. La biographie de Winock, érudite et fluide, comme ministre de l’Intérieur ou comme garde des met à distance le prince de l’ambiguïté Sceaux. Mais choisissant de pour mieux cerner son personnage. gouverner, il a constamment prêché au sein du pouvoir Certains tableaux en clair-obscur se voient pour les solutions de compromis, chermieux de loin que de près. La biographie chant à sortir par étapes de la sale guerre. de Winock, érudite et fluide, met à dis- Ambigu comme toujours, il n’eut pas la tance le prince de l’ambiguïté pour mieux clarté d’un Savary ou d’un Mendès. Il fut cerner son personnage. On y lira l’histoire en même temps l’adversaire des ultras et très française d’un jeune homme de pro- des factieux. vince à Paris, passé au fil des décennies Reste l’affaire de l’Observatoire, qui faillit d’une droite très affirmée à un socialisme interrompre sa carrière dans le ridicule et tranchant, d’une inclination très nationa- le déshonneur. Mitterrand en perte de viliste à l’alliance stratégique avec le Parti tesse a menti à l’opinion et à ses amis, pascommuniste, pour finir en grand prêtre de sant pour un martyr alors qu’il s’était la gauche réaliste, rallié au marché et à prêté à la comédie d’un attentat truqué. l’Europe du libre-échange. Winock balise Mais le piège monté par l’extrême droite ce parcours ondoyant avec sûreté et préci- était diabolique, et c’est aussi sa naïveté sion, décelant les constantes d’un person- dans le machiavélisme qui a failli perdre nage aux mille replis et aux revirements le futur président. L’épreuve qui le conduitissés d’habileté et de cynisme. Barrésien sit au bord du suicide fut sa punition. Les ambitieux, jeune maréchaliste apprenant moralistes verront dans cette affaire la vie parmi les prisonniers de guerre, l’œuvre piteuse d’un manœuvrier sans résistant de droite, républicain de centre principes. La vie de Mitterrand est autregauche, ministre permanent sous la IVe, ment plus riche. Winock la montre pour apportant à la gauche sa science de la ce qu’elle est : la course d’obstacles d’un manœuvre et son sens inné de l’âme fran- politique jusqu’au bout des ongles, miçaise pour la conduire au pouvoir en 1981 aventurier, mi-homme d’Etat. • et devenir le successeur le plus célébré du général de Gaulle, lui qui avait critiqué sans relâche le régime mis en place en 1958. Au passage, c’est une des grandes qualités du livre, Winock fait justice de trois procès intentés au président socialiste. On a traité Mitterrand de collabo. Appuyé sur le livre de Péan, et sur bien d’autres sources, WiFRANÇOIS nock montre comment cet auxiliaire suMITTERRAND de balterne du régime de Vichy, jeune évadé, MICHEL WINOCK fort d’une grande culture et d’un caractère Gallimard, 25 € 28 • IDÉES IMAGES LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 IMAGES IDÉES • 29 PLACE TIANANMEN, ÉPREUVE IRRÉFUTABLE Tandis que le président, Xi Jinping, les hauts représentants du Parti com muniste chinois et les milliardaires se réunissaient cette semaine à Pékin (Libération du 6 mars), le souvenir de Tiananmen plane sur le Web via un livre du photographe Xu Yong. Distribué par tout sauf en Chine par la maison d’édi tion New Century Press de Hongkong, l’ouvrage présente 64 négatifs, imprimés sur fond blanc (comme des photogra phies), pris le 4 juin 1989, lors de l’occu pation de la place Tiananmen. Plus d’un quart de siècle plus tard, Xu Yong, connu pour ses photographies des hutongs du vieux Pékin, a choisi de les scanner. Pourquoi? Engagée à plus d’un titre, sa démarche vise avant tout à lut ter contre l’amnésie autour de la répres sion qui s’installe aujourd’hui autour de lui –plusieurs de ses amis artistes ont été récemment emprisonnés. Pour cela, le photographe vante le négatif: pre mière image avant le développement, il est une preuve irréfutable car inalté rable, comparée aux images numériques d’aujourd’hui. Equipezvous d’un appa reil électronique muni de la fonction «inversion des couleurs», prenez le négatif en photo, mettezvous dans la peau d’un homme ou d’une femme chi noise, adrénaline, vous comprenez à la fois le regard de Xu Yong et l’interdit autour de cet acte. LAURE TROUSSIÈRE Cicontre, Négatives de Xu Yong, place Tiananmen, le 4 juin 1989. Cidessus, le tirage d’origine. PHOTO XU YONG 30 • LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 IDÉES CHRONIQUES À CONTRESENS Par MARCELA IACUB «American Sniper», héros solitaire I l y a quelques semaines, les critiques se sont déchaînées contre le film American Sniper de Clint Eastwood, l’accusant, notamment, de faire l’apologie de la guerre en Irak. La colère a été si vive qu’on a oublié de signaler, avant toute chose, qu’il s’agit d’un véritable navet sans la moindre qualité artistique. Mais il souligne une question cruciale. Le parcours du héros d’American Sniper montre un changement significatif dans la manière dont les individus s’embarquent dans des processus de violence collective –qu’elle soit le fait d’un Etat ou d’une organisation terroriste. Loin d’y être contraints, comme aux temps des armées nationales, ils y adhèrent à partir de raisonnements et de justifications qui leur sont propres. Alors qu’il est enfant, le père du futur sniper l’invite à se comporter comme un chien de berger défendant les brebis des prédateurs. Il voit ensuite, à la télévision, l’agression des ambassades américaines et l’explosion faramineuse du 11 Septembre. Dès lors, il est déterminé à s’embarquer volontairement dans la guerre, devenant le soldat le plus meurtrier de l’histoire de l’armée américaine. Ce récit cinématographique absorbe le seul point de vue du soldat, comme si la guerre était devenue une aventure purement personnelle. Cela explique qu’il n’y ait, dans ce film, aucune discussion sur la légitimité de la guerre en Irak sous l’angle du droit international. Pour le sniper, cette question n’a, en vérité, pas la moindre importance. A ses yeux, le bien-fondé de son engagement viendrait plutôt du destin octroyé par son père, et par la médiatisation de la lutte contre le terrorisme. Ainsi, la guerre n’est plus le récit patriotique d’une nation, avec son contingent de soldats contraints à leur propre sacrifice. Au contraire, elle décrit le mouvement personnel d’individus qui se prennent pour des héros, et accourent pour protéger une patrie en danger. Comme si chaque soldat de la Seconde Guerre mondiale avait été un De Gaulle ou un Jean Moulin. En mettant en avant les particularités individuelles de soldats issus de la démocratie, on comprend aussi les engagements de leurs ennemis. Et notamment, l’importance que prend la religion dans le terrorisme. Si l’islam radical semble être un archaïsme, voire un retour aux siècles d’ombre, il permet –précisément parce qu’il est une religion– d’interpeller, de façon individuelle, chacun de ses fidèles. Les soldats partent en croisade pour défendre leur Dieu blessé, vitupéré, menacé, moqué, sans que rien ni personne ne les oblige à le faire : ils ont été apostrophés personnellement par les gémissements célestes. Loin d’être des pions ou des pièces interchangeables, ils se sentent élevés au rang de héros, au même titre que le sniper du film de Clint Eastwood. Paradoxalement, l’islam radical permet d’exalter, au plus haut point, l’indivi- L'AIR DU RIEN Par AUDE PICAULT dualisme, cette valeur occidentale qu’il dénigre par ailleurs. Voici, certainement, l’une des principales raisons de son succès dans le monde démocratique – car tout en l’attaquant, il épouse l’une de ses valeurs fondamentales. Comme si au fond, les terroristes, loin d’être en dehors du système, l’avaient justement trop bien intégré. American Sniper nous permet de comprendre l’avènement dans les sociétés occidentales d’un nouveau visage du culte de l’individu – celui qui se réalise par le meurtre «héroïque». Mais aussi d’appréhender les étranges fiançailles d’une religion censée nier l’individu, avec l’exaltation d’un narcissisme forcené, signe suprême de la modernité. C’est peut-être cette alliance qui rend les terroristes islamistes aussi répugnants. Car loin de tenir à la cause ridicule pour laquelle ils disent combattre, on devine très bien qu’ils se battent pour eux-mêmes, pour rendre hommage à un Dieu qui fonctionne uniquement comme un faire-valoir de leur pathétique nécessité d’être. • LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 CHRONIQUES IDÉES PHILOSOPHIQUES SOCIÉTÉS Par MICHAËL FOESSEL Par FRÉDÉRIQUE AÏTTOUATI Les communautés dynamiques La nature de l’art C’ est bien connu, la République française ne reconnaît aucune communauté. Officiellement, elle est peuplée de citoyens sans appartenances spirituelles ou religieuses. Toutes ces attaches sont suspectées de faire écran à l’intérêt général. Le citoyen peut avoir des préférences, certes, mais il lui est demandé de renoncer à ses allégeances communautaires à chaque fois qu’il s’exprime dans l’espace public. D’où le caractère paradoxal de l’injonction faite ces temps-ci aux musulmans. On leur demande de s’exprimer en tant que tels, c’est-à-dire au nom d’une communauté à laquelle on ne reconnaît pourtant aucune légitimité politique. L’Etat attend des communautés religieuses qu’elles s’organisent, mais seulement pour démontrer que rien ne les distingue puisque leur «commun» doit se résumer aux valeurs de la République. En 1795, le marquis de Sade demandait aux Français «encore un effort si vous voulez être républicains !» C’est le non-dit des appels lancés aux musulmans dont on estime qu’ils n’auront fait la preuve pulsion fait tenir les choses ensemble. Dans l’univers, les corps matériels sont unis par l’action réciproque qu’ils exercent les uns sur les autres. C’est la première surprise : on s’attendait à ce que la communauté désigne une entité close alors qu’elle repose en fait sur des mouvements. En réfléchissant sur les lois de la nature, Kant relève l’ambiguïté du mot «communauté» (Gemeinschaft). On le comprend comme communio (possession commune, communauté de possession) alors qu’il faudrait y voir d’abord un commercium (influence réciproque entre des corps et société). Pour une fois, le commerce n’est pas réductible à sa signification marchande puisqu’il désigne l’ensemble des relations qui précèdent les identités. Là où l’on imagine des unités stables et permanentes, il faut apprendre à voir des mouvements qui s’équilibrent de manière précaire. Ce détour par la physique est politiquement instructif. Une communauté de choses apparaît toujours simultanée: comme les mouvements se neutralisent, on a l’impression que rien ne se passe. De la même manière, on croit que des hommes forment une communauté Chaque fois que l’on assigne des parce qu’ils pensent la même individus à une communauté rigide, chose au même instant. Contre on ignore toute la dynamique qui fait cette illusion, Kant nous raptenir les hommes ensemble. pelle que derrière toutes les apparences de communions, de leur citoyenneté qu’après avoir con- on trouve un commerce, c’est-à-dire de damné officiellement un terrorisme l’échange, des transactions et du conflit. auquel ils ne prennent aucune part. En Pour en rester aux communautés religieul’espèce, l’«effort pour être républicain» ses, la foi n’est pas un ensemble défini de devrait plutôt s’adresser aux autorités dogmes qui fait tenir des hommes ensempubliques qui demandent à des individus ble. Il est tout bonnement impossible que de parler au nom d’une communauté des individus croient en permanence dont elles proclament partout l’inexis- exactement la même chose. La foi comtence juridique. munautaire est plutôt ce qui résulte proviAvant d’exiger quoi que ce soit d’une soirement des interactions très concrècommunauté, il faudrait se demander ce tes qui se jouent dans les mouvements de que l’on entend par ce mot. Le plus sou- la société. vent, on l’aborde comme une réalité Chaque fois que l’on assigne des individus exclusivement humaine : une commu- à une communauté rigide, on ignore nauté désigne une multiplicité d’individus toute la dynamique qui fait tenir les homréunis par des croyances ou des pratiques mes ensemble. C’est pourtant sur cette semblables. C’est une vision tronquée du dynamique qu’il faudrait compter, plutôt phénomène, car elle donne aux idées le que sur la communion abstraite autour pouvoir d’unifier le désir des hommes : des valeurs de la République. Avant de «nous» voulons la même chose car demander aux musulmans de «bouger», «nous» pensons à l’identique. Mais que l’on prenne la peine de valoriser il n’y a aucune raison de réduire, ainsi, le les mouvements qui sont à l’œuvre dans terme de communauté aux hommes et à cette communauté comme dans toutes leurs croyances. Les objets physiques, qui les autres. • ne partagent pourtant aucune idée entre eux, forment aussi des communautés. Il Michaël Fœssel est professeur de philosophie suffit pour cela qu’ils interagissent dans à l’Ecole polytechnique. l’espace et que les actions des uns soient Cette chronique est assurée en alternance égales aux réactions des autres. L’égalité par Sandra Laugier, Michaël Fœssel, entre la force d’attraction et la force de ré- Paul Preciado et Frédéric Worms. A pprochez-vous : derrière la vitre, c’est tout un univers qu’on découvre. Un réseau infini de points et de fils enchevêtrés, tissés, reliés les uns aux autres jusqu’à composer un système, un cosmos. Plus haut, un second réseau rejoint le premier, s’y mêle, le complique et le prolonge : un autre univers, avec ses propres règles de composition, sa structure singulière. Nous sommes au Palais de Tokyo, au cœur d’une salle plongée dans le noir d’où surgissent les toiles d’araignée magnifiquement mises en scène par Tomás Saraceno. Depuis des années, l’artiste argentin, installé à Berlin, que l’on connaît surtout pour ses installations monumentales, élève dans le sous-sol de son studio des araignées qui créent pour lui, avec lui, des toiles enchevêtrées comme autant d’univers minuscules. Qui est le créateur ? L’araignée qui a tissé cette toile, l’entomologiste qui l’a étudiée, l’artiste qui l’a placée dans un cube de verre, puis dans un centre d’art? L’exposition «le Bord des mondes» interroge les lignes de partage entre les pratiques de l’art, de la recherche, de l’invention et de la technique. Dans la logique d’un décloisonnement entre les disciplines, l’exposition donne à voir un monde de l’art en expansion, capable d’intégrer des pratiques autres, d’abord jugées illégitimes, non artistiques. Quel est, par exemple, le statut des saisissantes «créatures de plage» que Theo Jansen étudie et fabrique à partir de tiges de bambou et de serre-câbles, graciles insectes géants qui courent sur le sable, propulsés par le vent ? Les inventions de Jansen sont des machines animaux plutôt que des animaux machines, douées non seulement de mouvement, mais de grâce. Même déplacement du geste artistique chez Bridget Polk, dont les sculptures sont des pierres brutes superposées, simplement et vertigineusement posées en équilibre l’une sur l’autre selon un point de contact de quelques millimètres, ou chez Carlos Espinosa, inventeur de «l’attrape-nuages», nasse diaphane destinée à piéger la brume pour la transporter là où manque l’eau. De la cartographie à l’entomologie, du design à la robotique, «le Bord des mondes» explore des manières de tisser les savoirs et les représentations, la «nature» et la «culture», à la façon des cabinets de curiosités de la Renaissance, d’ailleurs présents au cœur de l’exposition. Des machines qui dansent dans le vent, des araignées artistes, des pierres qui tiennent en équilibre sur leurs pointes : toutes œuvres qui font peu de cas des catégories • 31 et des hiérarchies, et nous invitent à retrouver le lien, la ligne, c’est-à-dire, le geste qui relie l’art, la technologie et la science, ces activités qu’on a voulu à toute force séparer, et qui, quoi qu’on fasse, s’attirent et se mêlent, comme les toiles de Saraceno. Il est significatif qu’au même moment s’ouvre, à Lyon, un musée consacré à des domaines qu’on avait pris l’habitude de séparer: histoire naturelle, histoire des techniques, ethnographie. Au musée des Confluences, ce n’est pas le monde de l’art qui s’ouvre au monde des techniques et des merveilles de la nature, c’est le monde des sciences et des techniques qui s’associe à l’archéologie et à l’ethnologie pour comprendre l’histoire longue, et mêlée, de la Terre et des civilisations. Le mouvement est, en quelque sorte, symétrique. Malgré la différence des projets, la référence au cabinet de curiosités est une constante, comme si l’on cherchait dans l’histoire un précédent à ce besoin d’associer les créations de la nature et de l’homme, comme si les siècles qui avaient instauré leur séparation n’avaient été qu’une parenthèse. A quelles conditions les objets deviennent-ils visibles, dans une culture donnée, comme artefacts scientifiques ou artistiques? L’ancienne question de la distinction entre art et science est posée à nouveaux frais, déplacée par l’urgence d’une situation où les objets de la nature semblent aussi vulnérables que les objets de la culture. Les artistes chercheurs et les musées qui leur font une place apportent une première réponse, et démontrent que cette séparation ne tient plus. L’anthropologue britannique Tim Ingold (1), lui aussi amateur d’araignées et de fils, en offre, peut-être, une seconde : «La vie est un composite tissé avec les innombrables fils que produisent des êtres de toutes sortes, humains et non humains, se déployant ainsi à travers cet entrelacs de relations dans lesquelles ils sont pris.» Car «la relation n’est pas entre une chose et une autre –entre l’organisme “ici” et l’environnement “là-bas”. Il s’agit d’un traçage le long duquel la vie est vécue. Chaque traçage constitue un fil dans un tissu de trajectoires qui trament ensemble la texture du monde vivant». • (1) «Une brève histoire des lignes» par Tim Ingold (2007), trad. Sophie Renaud, Paris, Zones sensibles, 2011. Frédérique AïtTouati est metteure en scène et chercheure au CNRS. Cette chronique est assurée en alternance par Cyril Lemieux, Frédérique AïtTouati, Julie Pagis et Nathalie Heinich. • CULTURE GRAND FORMAT CULTURE 32 LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 Cadavre d’oiseau, étiqueté «décor d’intérieur», Indonésie. Saisi par les douanes à Miami, Floride. Oxalis tuberosa, Pérou. Taryn Simon Pour cause d’inventaire La photographe américaine expose au Jeu de paume, à Paris, ses séries minutieusement collectées et recomposées, comme autant de fragments des Etats-Unis d’aujourd’hui. LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 GRAND FORMAT CULTURE Sacs à main Louis Vuitton. Photos extraites de la série «Contraband» (2010). PHOTOS TARYN SIMON Par CLÉMENT GHYS et BRIGITTE OLLIER T aryn Simon propose une expérience singulière au Jeu de paume, où la photographie est là mais absente et, d’une certaine façon, hors d’elle-même, c’està-dire loin de ses repères et de ses rituels. A travers les séries présentées, de sa première, «The Innocents» (2002), à sa dernière, «The Picture Collection» (2013), cette artiste américaine, née à New York en 1975, offre un champ de réflexion d’une rare intensité. Ici, il n’est pas question du duo, devenu banal, image + légende, mais d’une construction extrêmement précise, voire maniaque, où tout s’emboîte comme dans un puzzle raffiné. Le texte n’ac- au titre générique de cette exposition, qui devrait faire les délices des linguistes de plusieurs générations, «Vues arrière, nébuleuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure». Espaces lambda Tout paraît pensé au plus juste, aucune place pour le hasard, ou la surprise, Taryn Simon est une artiste à l’œuvre, comme on dirait d’un paysan au champ, d’un architecte face à une maquette, d’un chirurgien contemplant un corps endormi avant le premier geste. D’une beauté préraphaélite, détendue, Taryn Simon lance l’une de ses phrases-étincelles: «Je ne travaille pas à la vitesse du monde, si rapide. Je suis lente et, parfois, il me faut quatre ans d’engagement pour conclure une série, par exemple, “A Living Man Declared Dead and Other Chapters” (1). Ce n’est pas drôle, c’est dur. Je n’ai pas de plaisir à faire mon travail, je ne suis pas obsédée par l’idée d’être l’auteure «Je commence tout projet par l’écrit, des choses…» avec un texte qui met en route un travail Alors, que voit-on d’archives, de recherches. C’est un long sur les murs du Jeu processus. La photographie vient toujours de paume? Des portraits d’anonymes en dernier. Comme un point final.» en grand format, Taryn Simon hommes et femmes aux visages abîmés compagne pas le visuel qui, lui, n’illus- et aux yeux tristes qui posent dans des tre jamais le texte. C’est dans cet entre- espaces lambda, «The Innocents». Ces deux, entre mots et photographies, que quidams ont été victimes d’erreurs jus’impose la réflexion de Simon. Son diciaires, et condamnés à de lourdes corpus, exposé ici dans cinq salles, se peines avant d’être innocentés. Simon tient à l’équilibre, sans garde-fou appa- les a immortalisés sur les lieux d’un rent. Mais ça a l’air très stable. En écho crime (violent), dont ils n’étaient pas La photographe américaine Taryn Simon, à Paris, le 3 mars. PHOTO YANN RABANIER • 33 34 • LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 CULTURE GRAND FORMAT TARYN SIMON, POUR CAUSE D’INVENTAIRE coupables. Ailleurs, avec la série «Contraband», les murs se couvrent de cadres blancs où apparaissent des objets saisis par le service fédéral des douanes et de la protection des frontières des Etats-Unis, à l’aéroport JFK de New York. Il y a des cadavres d’animaux, des armes, des poupées russes, une multitude d’objets de contrefaçon, des escargots, des médicaments, des sculptures en bois, des cigarettes, et des tas de trucs plus ou moins bizarres, parfois à l’aspect dégoûtant… En tout, cette série, qui n’aurait pas déplu à certains surréalistes toqués des inventaires, comprend 1 075 photographies, réalisées en quatre jours, in situ. Couche de givre A chaque fois, quelle que soit l’œuvre, ainsi de «Birds of the West Indies» (2), c’est comme si Taryn Simon déposait une couche de givre sur des objets vivants, dramatiques ou anodins. Elle met en scène des ensembles, comme s’ils se conjuguaient naturellement. «Obsessionnelle» confessée, elle ne peut s’empêcher d’inventorier ce pour quoi elle a manifesté son intérêt, dans l’idée, consciente, d’épuiser sa quête impossible. «Je m’attache au rêve, à cette illusion folle de créer quelque chose qui serait ordonné et qui ferait autorité. Comme un cabaret de curiosités #14 14 b all aliens ! 11 > 13 MARS 2015 HALORY GOERGER ARTISTE ASSOCIÉ CRÉATION CORPS DIPLOMATIQUE LES PETITES CELLULES CHAUDES CRÉATION & TOURNÉE FRANÇAISES HIPPOLYTE HENTGEN & JOHN JOHN JOANA HADJITHOMAS & KHALIL JOREIGE MEHDI-GEORGES LAHLOU KITSOU DUBOIS KAPWANI KIWANGA SARAH BERTHIAUME FRÉDÉRIC FERRER AMÉLIE POIRIER VIVIANA MOIN SAMUEL BUCKMAN SELENIAN SEBASTIAN DICENAIRE www.lephenix.fr © Hippolyte Hentgen iSHOW livre.» Taryn Simon, profil d’écrivain et chevelure très Virginia Woolf, est une vraie Américaine, urbaine et champêtre, comme l’attestent sa robe bohemian chic et ses belles manières. Comment travaille-t-elle, concrètement? Elle dévore les journaux «de manière compulsive», parcourt Internet, lit énormément : «Je commence tout projet par l’écrit, avec un texte qui met en route un travail d’archives, de recherches. C’est un long processus. Ce point de départ est toujours assez académique, proche d’un travail universitaire, qui partirait dans toutes les directions: la science, l’esthétique, les mathématiques, l’analyse du langage, etc. Et la photographie vient toujours en dernier. Comme un point final.» Ses séries sont donc le fruit d’un long processus invisible de négociations, de demandes d’accès et de reproduction, d’analyses d’experts. Comme «An American Index of the Hidden and Unfamiliar» (2007), une plongée dans les abîmes des Etats-Unis. Soit le bassin de refroidissement de la centrale nucléaire de Hanford (Etat de Washington) ; une couverture de Playboy en braille ; un couloir du siège de la CIA tapissé d’œuvres d’art à tendance exotique; et même un coin de l’Institut de cryogénie, où attendent 74 patients humains et 44 animaux domestiques déclarés morts, et tous complètement surgelés. Taryn Simon a demandé l’accès à ces lieux inaccessibles, qu’elle a obtenu après d’interminables tractations – la seule forteresse qui a refusé d’ouvrir ses coulisses est… Disney, l’entreprise la plus célèbre au monde. «Ce qui m’intéresse, c’est autant de pénétrer dans la forteresse que de comprendre ses marges, ses alentours, ses barrières.» Elle ne masque pas les difficultés, mais ne s’en sert pas; elle n’en profite pas car elle n’est pas abonnée au pathos. Paniques financières, extrait de la série «The Picture Collection» (2013). PHOTO TARYN SIMON Infiltrations C’est sans doute là l’aspect le plus contemporain de l’Américaine : elle s’immerge dans des institutions, s’y infiltre «sans jamais voler d’images. Je suis très claire dès le départ, je fixe les règles qui sont ou non acceptées». Sous sa politesse et sa délicatesse, Taryn Simon est redoutable d’efficacité. D’où sa réputation d’exigence qui en fait une figure de proue du monde de l’art, avec une aura de star. Elle vient régulièrement à Paris («une ville qui me fait penser») et vit à New York, où elle a grandi. Elle cite un père et un grand-père amoureux de la photographie, deux figures capitales qui l’ont guidée vers le grain de l’image. «J’ai toujours pris des photos. Par exemple, des feuilles d’arbres, en gros plan, comme des herbiers, tendance Eliot Porter. Depuis ma petite enfance, je veux avoir une trace, une évidence, un marqueur.» Après le lycée, elle part faire un cursus d’environnemental studies à l’uni- Le site nucléaire de Hanford (à gauche) et le siège de la CIA. Série «An American Index of LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 GRAND FORMAT CULTURE versité Brown (Rhode Island), persuadée d’avoir un avenir lié à la nature. En première année, tous les étudiants rêvent d’être choisis, via un tirage au sort, pour un cours de photographie, donné dans une école à côté. Bingo, elle est sélectionnée et devient accro : «Je passais mon temps à faire des projets, des séries, des idées de livres, avec déjà la même approche qu’aujourd’hui, à penser l’ensemble avant d’appuyer sur le déclencheur.» «Moteur de recherche» the Hidden and Unfamiliar» (2007). PHOTOS TARYN SIMON Taryn Simon n’a rien d’un avatar de l’artiste romantique qui noie ses chagrins d’amour dans sa chambre noire. Si elle fait ses classes, comme tant d’autres, en étant assistante de photographes, «pour payer les factures et apprendre à manipuler les lumières», c’est auprès de professionnels, pas forcément des vedettes, plutôt des artisans, comme ce type qui fabriquait des catalogues de vêtements pour enfants. Elle collabore aussi avec des journaux et des magazines, et, grâce à une bourse de la Fondation Guggenheim, elle se lance avec sa première série, la fameuse «The Innocents», laquelle sera aussi exposée aux Rencontres d’Arles en 2010. Onze ans après, elle concrétise «The Picture Collection», l’une de ses œuvres les plus fabuleuses, intelligemment accrochée au Jeu de paume. Il est question d’un scénario imaginaire autour des archives de la Picture Collection, la plus grande bibliothèque iconographique au monde, fondée en 1915, et riche de 1,29 million de tirages, cartes postales, affiches et images découpées. Sur les murs du musée parisien s’amoncellent les images, rangées par thème: «police us» avec des dizaines de clichés de flics américains, «swimming pools» et des bassins chlorés et bleutés, «bâtiments et villes à l’abandon», «vues de derrière» avec quelques visions de fesses –Taryn Simon n’est pas une comique, mais avec elle, de temps à autre, on frise l’humour noir. «Cet ensemble me fascine, j’y ai passé ma jeunesse. C’est comme un écho de mon propre travail. “The Picture Collection” est un moteur de recherches qui préfigurait Internet.» Même en allant chercher des cartons jaunis du New York du début du siècle passé, Taryn Simon ne fait qu’interroger le statut de l’image. Elle redécoupe, refragmente et recompose ses propres visions, sans oublier les sources multiples de la culture américaine hégémonique. Son travail est sous-tendu par une forme d’angoisse vis-à-vis de l’image : «Une photographie a plusieurs réalités, et peut être utilisée de manière tellement atroce. La malléabilité des photos, voilà ce qui est terrifiant. A l’image des horreurs commises par l’Etat islamique, on a des photos qui reproduisent des schémas de narration hollywoodiens, mais • qui ne nous donnent aucune appréhension de la réalité. Qu’est-ce qu’une image peut faire ? Je me pose cette question en permanence. Et c’est l’écrit, plus que l’image, qui répond et nous sauve…» En plus de la photographie et de ses installations conceptuelles, Taryn Simon peint et dessine. Des «choses personnelles», qu’elle réalise chez elle, et surtout qu’elle ne montrera «jamais». Aveu d’une femme moins froide qu’il n’y paraît. Mais surtout affirmation d’une professionnelle qui sait, à tout instant, exactement où elle en est. Et ce qu’elle ne veut pas. • (1) Egalement présenté à Cherbourg, au Point du jour, jusqu’au 31 mai. (2) A voir à la galerie Almine Rech jusqu’au 14 mars. Rens.: 0145837190. VUES ARRIÈRE, NÉBULEUSE STELLAIRE ET LE BUREAU DE LA PROPAGANDE EXTÉRIEURE deTARYN SIMON au Jeu de paume, 75008, jusqu’au 17 mai. Rens.: www.jeudepaume.org Le magnifique portrait d’une jeunesse française Libération magnétique Télérama Fulgurant les Inrockuptibles UN FILM DE CELINE SCIAMMA S Entrez dans la bande ! D I S P O N I B L E E N D VD E T B LU RAY 35 36 • LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 CULTURE Le duo français I Could Never Be a Dancer a déjà réalisé plusieurs chorégraphies. Cicontre: pour le film d’ouverture de la conférence TED, à Doha, en 2012. A droite, de haut en bas: pour la pub One Million Man, de Paco Rabanne; pour le magazine Jalouse, Laura Love habillée par Dior; pour une pub de cosmétiques siglés Chanel. PHOTOS DR Par ÈVE BEAUVALLET TENDANCE Après avoir été longtemps D tenus à l’écart, les chorégraphes sont désormais sollicités par la mode, la publicité et les clips. Des créations originales qui répondent à l’engouement du public pour la discipline. u krump, du pole dance, du voguing ou du ballet dans la vidéo virale l’Abécédaire de la danse, produite par la marque Diesel. De la danse griffée «auteur» dans le spot de présentation de la nouvelle collection Issey Miyake (chorégraphié par Carlotta Sagna). De la danse «concept» chez Hermès, de la danse toujours chez Chanel, H&M, Vuitton, Uniqlo, Lacoste, et de la danse encore dans une poignée de clips élégants récemment signés pour les groupes Jungle ou Glass Animals… Longtemps rangé dans le tiroir de l’élitisme poussiéreux ou du kitsch tendance ringard, l’art chorégraphique semble s’être réinventé en produit d’appel séduisant pour le milieu du clip, de la mode et des marques. Avec un léger relooking de la forme adoptée par ses incursions mainstream : moins de vernis commercial façon Kamel Ouali, plus de tentatives underground, plus de diversité aussi, avec du classique, du hip-hop, mais aussi des street dances encore marginales (la roller dance dans le clip The Heat du groupe Jungle), et des embardées plus inattendues tirant modestement vers le conceptuel. «ÉLÉGANCE». Cette visibilité est bienvenue mais elle était loin d’être acquise : «Encore récemment, le monde de la pub et celui de la danse se regardaient très peu, rappelle Carine Charaire, du tandem I Could Never Be a Dancer, qui signe la chorégraphie de la nouvelle campagne Air France. Les marques avaient La danse prend ses marques une image très datée et stéréotypée de la danse. Et le postulat de base, pour les chorégraphes les plus intéressants, était couflé et Polaroid ou Blanca Li pour Perrier– mais la présence de la danse dans le champ visuel populaire restait marginale. Désormais, on re«Quand nous diffusons un considère ces pofilm qui explore la danse, sitions : «Dans nous constatons que le trafic l’usage qu’en font augmente, ainsi que la les marques, la danse est fidélité de notre public.» aujourd’hui assiClaudia Donaldson du site Nowness milée à de l’expériqu’il s’agissait forcément d’un mentation et à de la liberté, produit amoindri.» Bien sûr, alors qu’elle était toujours utiil y eut quelques collabora- lisée comme un signe de traditions notables –entre autres, tion, d’élégance et d’acadéGeorge Balanchine avec Van misme, constate Rémi Cleef & Arpels (le ballet est Babinet, fondateur et présihistoriquement vu comme dent de l’agence de publicité plus vendeur), Philippe De- BETC. La pub suit un engoue- ment populaire, plus profond, plus général pour la danse. Je ne sais pas d’où il vient, mais il fait du bien.» TRANSFUGES. On a quelques pistes à lui soumettre. D’une part, en l’espace de trois ans, plusieurs événements ont prouvé aux marques qu’une danse exigeante pouvait rencontrer un succès populaire. Citons ceux, en salles, des docus la Danse, le ballet de l’Opéra de Paris, de Frederick Wiseman (2009) et les Rêves dansants, d’Anne Linsel et Rainer Hoffman (2010) sur le travail de Pina Bausch. Mais aussi de Pina, de Wim Wenders (2011), sur la même chorégraphe, et de Black Swan, de Darren Aronofsky (2010), qui starisa Benjamin Millepied avant sa prestation pour la pub d’Air France l’Envol (2011), pensée et réalisée par Angelin Preljocaj. Une campagne au carton planétaire qui reste emblématique d’un dialogue réussi entre danse et pub : «D’un seul coup, la danse n’était plus envisagée comme fioriture mais comme contenu et discours à part entière, vante Rémi Babinet, directeur artistique de l’opération. Il s’agissait d’un moment de poésie, détaché des codes traditionnels de la pub, qui portait les valeurs de la compagnie mais sur un mode abstrait.» Autre facteur du décloisonnement: l’énergie d’un petit nombre de chorégraphes, curieux de faire le trait d’union entre démarche artistique de qualité et royaume mainstream. Sur ce terrain quasi désert, I Could Never Be a Dancer apparaît en figure incontournable. Ce tandem chorégraphique au nom canular, formé en 2000 par les chorégraphes Carine Charaire et Olivier Casamayou, occupe même une place à part sur le marché international: si certains chorégraphes collaborent occasionnellement avec des marques (il s’agit souvent d’un coup unique), ces transfuges de la danse institutionnelle (ils ont été interprètes chez Marco Berrettini ou Jérôme Bel) en ont fait le cœur de leur activité. Ainsi, ils importent des danseurs d’horizons bariolés dans les clips de MGMT, les défilés d’Olympia Le-Tan ou les campagnes de Chloé, Kenzo ou Nina Ricci. Intro- LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 CULTURE duire du concept dans la pop culture (et inversement), créer des ponts imaginaires entre le magasin Colette et la cour d’honneur du palais des Papes, entre Beyoncé et Jérôme Bel… Il y a encore quelques années, assurent-ils, leur projet était considéré comme une compromission quasi faustienne par la doxa chorégraphique: «Nous sommes aujourd’hui contactés par des danseurs de grandes compagnies, comme celles d’Angelin Preljocaj, du DV8 Physical Theatre ou de William Forsythe, parce qu’ils constatent qu’on peut faire de la qualité. Il y a dix ans, c’était inimaginable !» VISIBILITÉ. Entre-temps, un acteur de poids a aussi fait son entrée en piste: Internet, un royaume où fleurit de jour en jour un patrimoine chorégraphique mondialement accessible, allant des vidéos de concours de twerk aux films d’Anne Teresa De Keersmaeker. Autant de «contenus» à fort pouvoir de viralité, et les directeurs artistiques ne s’y sont pas trompés : quoi de mieux, en effet, qu’un art muet, donc sans frontières, pour doper le storytelling des marques? «Nous sommes arrivés sur le marché au moment où les marques ont basculé vers le “brand content” [un type de communication qui désigne des contenus créatifs ou éditoriaux produits par des marques afin de valoriser leur image, ndlr]. Nous n’aurions pas pu expérimenter autant sans ce virage», commente Olivier Casamayou de I Could Never Be A Dancer. Le brand content favorise en effet les expériences web plus inventives –parce que moins coûteuses –, un des exemples symptomatiques serait la campagne web surdécalée Je suis un cheval, d’Hermès. «Le Web correspond bien à la danse aussi, parce qu’elle compte moins de stars grand public, avance Rémi Babinet. C’est un milieu où les stars restent moins chères que celles de la musique. Quand il y a stars, d’ailleurs, puisqu’on accepte davantage la nouveauté et l’anonymat dans la danse que dans la musique.» Ainsi, depuis quelques années, ces stars en question ont trouvé, avec les nouvelles plateformes numériques, un espace de création particulièrement accueillant et une garantie de visibilité accrue. Les chaînes de vidéos mon- tantes, consacrées à l’art, aux tendances et à la culture haut de gamme – comme The Creators Project, créée en 2009 par la marque Intel et le magazine new-yorkais Vice, ou Nowness, la plateforme créative de LVMH – multiplient en effet les collaborations : partenariat avec l’Opéra de Paris et le Royal Ballet de Londres (pour Nowness), production de vidéos buzzy comme le clip de Hozier, Take Me to Church, réalisé par David LaChapelle, avec la star du ballet ukrainien, Sergei Polunin. «Notre public s’intéresse énormément à la danse, explique Claudia Donaldson, rédactrice en chef de Nowness. A chaque fois que nous diffusons un film qui explore d’une manière ou d’une autre la culture de la danse, que ce soit sous forme de clip musical, de profil d’un chorégraphe connu ou d’un film de mode, nous constatons que le trafic augmente, ainsi que la fidélité de notre public. Par exemple Haut Vol, un film chorégraphié par Benjamin Millepied, figure parmi les trois vidéos les plus vues en janvier.» De quoi attiser la curiosité du grand public et, qui sait, contribuer au renouvellement des salles de spectacles? Pourquoi pas, mais apparaît une limite à cette • 37 idylle, d’ordre esthétique : «Même s’il existe des possibilités d’expérimentations, la danse que l’on trouve sur ces plateformes, tous styles confondus, reste très démonstrative, efficace – facile, quelque part», constate Dimitri Chamblas, danseur et producteur avec Same, sa société, à l’origine de plusieurs films de danse, dont une série récente de courts métrages chorégraphiques, Mutant Stage, réalisée pour la Fondation des Galeries Lafayette, mais également des projets avec Benjamin Millepied, Lil Buck ou Boris Charmatz. «Entendons-nous : je travaille avec ces vitrines, je trouve vraiment réjouissant de voir un tel déferlement de la danse sur le Web, poursuit le chorégraphe. Après, ça reste souvent du divertissement, il est évident qu’on ne verra jamais un Jérôme Bel ou un Boris Charmatz partir sur ce genre de projet !» De son côté, le duo de I Could Never Be a Dancer admet qu’il y a encore du chemin à parcourir pour faire passer une plus grande prise de risque esthétique. Après sa création pour Air France, Angelin Preljocaj n’a quant à lui pas reconduit l’expérience avec d’autres marques, faute de propositions convaincantes. • 38 • LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 CULTURE GUIDE DANS LA POCHE «Yvonne, Pétronille et Antoinette Le Bigre sont nées dans cette maison et mortes dans cette maison. Nées dans cette maison, cela fait si longtemps que l’on est bien obligés de les croire sur parole.» Eric Chevillard les Absences du capitaine Cook (Minuit «double»). «Tu sais que Jared espère que tu te débattras afin qu’il puisse te terrasser, genoux pointus refermés, triomphants, contre ta cage thoracique, longs doigts t’enserrant le cou en manière de plaisanterie.» SCÈNE Mélanie Leray signe au Théâtre de la Ville une version très féministe Joyce Carol Oates Premier Amour (Philippe Rey «fugues»). de la comédie de Shakespeare, avec Laetitia Dosch en superbe pimbêche. Stephen Greenblatt Quattrocento («Libres Champs» Flammarion). La Commune centre dramatique national TARTUFFE FE OU MPOS-R L’I T E U de Molière DU 10 AU 29 MARS 2015 Aubervilliers 2 rue Édouard Poisson 93 300 Aubervilliers + 33 (0)1 48 33 16 16 lacommune-aubervilliers.fr Mº Aubervilliers–Pantin Quatre Chemins «La Mégère apprivoisée», marrie et femme ans la maisonnée du sieur Baptista à Padoue, deux filles bonnes à marier attendent que l’on décide de leur sort : Bianca, aussi voluptueuse que sotte (Clara Ponsot, vue dans Bye Bye Blondie de Virginie Despentes), et son aînée, la fière Catherine (Laetitia Dosch, égérie échevelée de la Bataille de Solférino de Justine Triet), à qui l’idée ne sied guère. Le bal des prétendants appâtés par le gain fera l’objet de cette comédie rare à la scène, l’une des premières écrites par Shakespeare, en 1594. C’est un portrait d’insurgée et un état des lieux sinistre de la condition féminine que signe au Théâtre de la Ville Mélanie Leray, ancienne du Théâtre national de Bretagne. Un parti pris porté sur scène par l’entremise d’un dispositif vidéo qui retransmet sur grand écran un contrechamp au texte souvent crassement misogyne. Difficile de ne pas D LES CHOIX EXPOS «Le parchemin le plus fin était le vélin, nommé ainsi parce que fabriqué à partir de peau de veau. Le meilleur, le vélin utérin, provenait de la peau du veau mort-né.» mis en scène par Benoît Lambert Laetitia Dosch en Catherine, mégère qui ne se laisse pas apprivoiser. PHOTO CHRISTIAN BERTHELOT grincer des dents lorsque Petruchio, promis à Catherine déclare à son sujet: «Elle est mon bien, ma possession.» La brochette de gentilshommes qui plastronnent au plateau trouve écho dans un décor de casino clinquant dont la vulgarité rappelle la scénographie, décriée, conçue par Dan Jemmett pour son Hamlet en 2013, à la ComédieFrançaise. L’intelligence de la distribution tient tout entière dans le rôle-titre attribué à la gouailleuse Laetitia Dosch qui fait de sa «Cath», «diable en jupons», une superbe pimbêche. «Il s’agit de montrer qu’en réalité, la Mégère apprivoisée n’est pas une pièce comique», commente la comédienne, mais, au contraire, un texte, traduit dans sa nouvelle version par Delphine Lemonnier-Texier, qui ferait entendre «une réflexion de Shakespeare sur la misogynie». Annoncé par la salle parisienne comme une transpo- David Bowie Is Philharmonie de Paris, 221, avenue JeanJaurès, Paris XIXe. Jusqu’au 31 mai. Rens.: www.philharmoniedeparis.fr Après avoir cartonné à Londres, la grande expo sur le dieu blond aux yeux bicolores se transporte à la Philharmonie de Paris avec parcours sonores sur les traces du créateur de Heroes et Ashes to Ashes. Il faut penser à réserver parce que la jauge est contingentée vu que ça se visite sous casque. sition à l’époque du MLF, le propos est en tout cas raccord avec la Journée internationale de la femme, dimanche. Mélanie Leray s’est sans doute heurtée à la difficulté à monter ce spectacle contre son texte, pour mieux légitimer la colère de Catherine. Si cette lecture parfois forcée, qui pâtit de maladresses au plateau, n’est pas toujours à la hauteur de l’intention, il nous reste en mémoire cette sentence délicieuse, glissée entre deux intermèdes chantés par Ludmilla Dabo: «Si j’étais un homme, je leur mangerais le cœur sur la place du marché.» CLÉMENTINE GALLOT LA MÉGÈRE APPRIVOISÉE de WILLIAM SHAKESPEARE M.s. Mélanie Leray, avec Laetitia Dosch, Clara Ponsot, au Théâtre de la Ville, Paris Ier, jusqu’au 20 mars. Rens.: www.theatredelavilleparis.com Etel Adnan Galerie Lelong, 13, rue de Téhéran, Paris VIIIe. Jusqu’au 28 mars. Tél.: 0145631319. Pour la première fois, les œuvres de l’écrivain et peintre libanaise Etel Adnan, née en 1925, sont exposées à Paris. Des petits tableaux, telles des pages de livres, mais aux horizons très vastes et aux couleurs acidulées, inspirés notamment par la Californie où elle a vécu. «Une respiration. Le grand large», affirme Jean Frémon, cofondateur de la galerie Lelong, dans le catalogue. LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 Chevelu Comme la plupart des jeunes gens respectables qui portent encore le poil long en France, Emile Sornin, qui se fait appeler Forever Pavot lorsqu’il n’œuvre pas comme clippeur, aime les Zombies et la musique utilitaire seventies, Morricone et les psychédélismes exotiques, Jean Claude Vannier et les chœurs d’onomatopées en voix de tête. Tout cela s’entend et s’imbrique à merveille sur son beau premier album tissé de délicates toccatas pop, paru fin 2014, mais dont la sortie sera enfin dûment fêtée ce mercredi 11 mars, au Point Ephémère, à Paris. J.G. Nocturnes C’est à Los Angeles que le rocker français HBurns (alias Renaud Brustlein) a enregistré son cinquième disque, Night Moves. Chez le chanteur drômois aux influences americana (Elliott Smith, Will Oldham), cela donne une Californie en noir et blanc et des palmiers balayés par le vent, à l’image de la très belle photographie sur la pochette. Du refrain obsédant de Wolves, à l’entame délicate et martelée de In the Wee Hours, ce disque élégant diffuse une atmosphère idéalement brumeuse et mélancolique. Forever Pavot Rhapsode (Born Bad) HBurns. Night Moves (Vietnam/Because) Johanna Luyssen Balancé Fondé à Paris en 2007, le power trio franco américain, The Kandinsky Effect composé du saxophoniste Warren Walker, du bassiste Gaël Petrina et du batteur Caleb Dolister, continue d’emmener le jazz sur des chemins urbains, balisés par l’electronica, le rock et des sons expérimentaux. Avec les qualités d’équilibre entre electro et acoustique des deux précédents albums, Somnambulist avance en toute cohésion sur son fil entre métriques musclées et fluides chromatiques. Tournée en France en avril. D.Q. The Kandinsky Effect Somnambulist (Cuneiform/ Orkhêstra) Road trip Parmi les dizaines de mixtapes –gratuites– qui paraissent chaque semaine aux EtatsUnis, sort régulièrement une des plus belles pièces rap du moment. Avec son deuxième volume de Black Hystori Project–déjà écouté plus de 100000 fois en deux semaines–, Cyhi The Prynce confirme la tendance. Alternant les morceaux aux basses survitaminées (Master P et Weak People), et plus aériens (Forever, One Woman Man, What We Have…), le rappeur de Géorgie livre ici onze pistes sans accroc. D.Do. Spring breaker Le premier album de Louis Rogé dit Brodinski, membre de la scène electro française versant grosse dance, roule d’énormes patins au rap américain. L’action se situe entre le drill de Chicago, le trap d’Atlanta et le chopped and screwed de Houston. Brodinski, 28 ans, est capable de vous faire sortir les yeux de leur orbite –dans le bon et le mauvais sens– en un seul et même morceau. Disque de spring breakers, Brava part dans toutes les directions, mais qui écoute encore un album du début à la fin par les temps qui courent? Cyhi The Prynce Black Hystori Project 2: N.A.A.C.P M.Ott. L’autre Van Dam «Quand je ne comprends pas un rôle, je ne le joue pas», dit José Van Dam dans une interview de ce coffret Autograph qui sort pour les 75 ans du baryton basse. Cette anthologie de 10 CD découpe la carrière du maître en trois parties: les thèmes (Don Quichotte, diables, rôles de père), ses grandes interprétations d’airs d’opéra et les mélodies françaises (3 CD où sa diction et sa justesse illuminent SaintSaëns ou Berlioz). Van Dam avait compris beaucoup de choses, et le plaisir est grand de l’écouter se raconter dans un CD bonus et de saisir d’une plage l’autre l’étendue de son talent. G.Ti. Brodinski Brava (Bromance Records) José Van Dam Autograph (Erato) DOCUMENTAIRE Anne-Laure Chamboissier et Philippe Franck dressent un portrait fouillé du pionnier de la poésie sonore, disparu en novembre. Bernard Heidsieck, un poète dans le feu de l’action ernard Heidsieck, c’est la poésie qui se réveille un matin et s’aperçoit qu’elle a changé de dimension, c’est-à-dire de médium. Avec des outils de fortune – un magnétophone, des ciseaux et des collants –, ce pionnier, dès 1955, de la poésie sonore, pléonasme auquel il préférera bientôt le terme de «poésie action», bouleverse tout à la fois son mode de transmission et la matière même de son écriture. C’est tout le mérite de ce documentaire, réalisé par Anne-Laure Chamboissier et Philippe Franck, de montrer comment – pour absorber autant de voix, autant de présences, pour ouvrir à ce point la poésie aux bruits du quotidien, aux biopsies sociales d’une époque, à l’espace de la scène, aux arts plastiques, au cinéma, à la musique électronique – cette œuvre progresse avec une infinie liberté, mais aussi une extrême rigueur. B POÉSIE ACTION: VARIATIONS SUR BERNARD HEIDSIECK de A.L. CHAMBOISSIER et P. FRANCK a.p.r.e.s éditions et Cnap, 20€. Ce à travers des archives des performances de Heidsieck, des entretiens avec lui et d’autres figures majeures de ce courant (de John Giorno à Jean-Pierre Bobillot en passant par Anne-James Chaton) qui viennent éclairer ses influences – réflexions que prolonge un recueil de textes critiques. Que l’on ne cesse de s’étonner de la modernité de ce poète disparu en novembre est le signe indéniable de sa fécondité. D’autant que l’un de ses plus notables héritiers, Olivier Cadiot – présent aussi dans ce documentaire –, a récemment fait part de son désir de prolonger ce chemin en revenant au livre pour l’augmenter de tout ce qui, pour exister, a dû lui échapper. Et nous n’en sommes sans doute, disait Bernard Heidsieck avec une modestie à peine feinte, qu’au Moyen Age… LOUISE DE CRISNAY • 39 «CHAPPIE», CRISE DE MAUX DROÏDES Par GUILLAUME TION Le passé c’est tellement mieux que le voyage dans le temps devient la thématique en vogue de ce début 2015. Après Bis et Projet Almanac, ce cher Bob l’éponge (carrée) remet le couvert dans son Héros sort de l’eau, revenant en arrière de quelques scènes pour retrouver le voleur de la recette du pâté de crabe dans un amour de l’absurde qui fait plaisir à voir. Chappie aussi est absurde, mais c’est plutôt moche. Et le troisième film du Sud-Africain Neill Blomkamp contient également son voyage dans le temps: du fétichisme armé façon Cameron, un thème louchant sur Robocop, des méchants au grand cœur (les rappeurs de Die Antwoord) fagotés comme dans Surf Nazis Must Die, une Sigourney Weaver en froide Working Girl… 1987, ça fait plaisir de te revoir à l’écran ! Dans un Johannesburg livré aux bandits, les robots flics font la loi. Leur inventeur parvient à humaniser l’un d’eux, qui devient un droïde armé avec l’intelligence d’un bébé: Chappie. La question de son éducation est cruciale. Concrètement, nous voyons un robot faire du coloriage, parler comme une caillera ou jouer à la poupée. Rigolo deux minutes – même si ce gag est étiré sur 60 fois cette longueur. Sony, qui produit le film, place outrageusement ses PS4, coulant par là la contre-culture zef vantée par Die Antwoord. Et le réalisateur nous apprend que notre futur est technoïde: l’injection de conscience dans la machine, voilà l’avenir. Quant à la violence, même si femelle, c’est mal. Avant Alien 5 – confirmé et toujours avec Sigourney–, Neill Blomkamp use d’une cyberparabole pour montrer qu’il n’est pas très fan des humains, voire du monde. Une fois de plus. • «Chappie» de Neill Blomkamp, avec Sharlto Copley, Dev Patel, Hugh Jackman… 2 heures. THÉÂTRE DE ST-QUENTINEN-YVELINES Scène nationale 12 ET 13 MARS 2015 UN ÉTÉ À OSAGE COUNTY TRACY LETTS / DOMINIQUE PITOISET 01 30 96 99 00 www.theatresqy.org © Cosimo Mirco Magliocca Licence n°3-1035913 ALBUMS DE FAMILLE LE FILM DU DIMANCHE GUIDE CULTURE 40 • LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 ANNONCES REPERTOIRE ABONNEZ-VOUS [email protected] Contact: Tél: 01 40 10 51 66 à l’offre INTÉGRALE A VOtre SerVICe COURS ET LEÇONS COurS de YOgA Métro Odéon 75006 Le mercredi Au choix 12h15 ou 18h45 Chaque jour le quotidien, livré chez vous avant 7h30 par porteur spécial* du lundi au vendredi disquaire sérieux achète disques vinyles 33t/45t. 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Signature obligatoire : Carte bancaire N° Expire le Cryptogramme mois année Date AP1501 les 3 derniers chiffres au dos de votre carte bancaire Règlement par chèque. Je paye en une seule fois par chèque de 300€ pour un an d’abonnement (au lieu de 611,10€, prix au numéro). Vous pouvez aussi vous abonner très simplement sur : Porcelaines, jades, ivoires, bronzes, tableaux, estampes... DIVERS RÉPERTOIRE 24h/24 et 7j/7 2 Nom Expertise gratuite Art Asiatique Contact : 06 28 34 15 11 [email protected] le «quotidien magazine» 56 pages d’information, de réflexion, de découverte et de plaisir. 25 ANTIQUITÉS/BROCANTES Cours d'essai gratuit Chaque samedi € CArNet de déCOrAtION http://abo.liberation.fr * Tarif garanti la première année d’abonnement. **Cette offre est valable jusqu’au 31/12/2015 exclusivement pour un nouvel abonnement en France métropolitaine. La livraison du quotidien est assurée par porteur avant 7h30 dans plus de 500 villes, les autres communes sont livrées par voie postale. Les informations recueillies sont destinées au service de votre abonnement et, le cas échéant, à certaines publications partenaires. Si vous ne souhaitez pas recevoir de propositions de ces publications cochez cette case . Sur le Berlin Paris du mercredi 5. Il était 10h45 au décollage. J'étais à la place 23C et vous étiez juste derrière moi. Vous lisiez un gros livre sur le capitalisme dans la rangée 24 et moi je regardais les ailes au fond des nuages. Un sourire plus tard en nous croisant et l'amer regret de ne pas vous avoir suivi. 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House-sitter, La petite dernière, En quarantaine. Série. 3h00. 50 mn inside. Magazine. 20h50. Le plus grand cabaret du monde. Divertissement présenté par Patrick Sébastien. 23h05. On n’est pas couché. Magazine présenté par Laurent Ruquier. Avec José Bové, Francoise Hardy, Fanny Cottençon & Jean-Luc Moreau,Louane, Jean Teule 0h45. Histoire courtes 20h50. Meurtres à l’Ile d’Yeu. Téléfilm de François Guérin. Avec Anne Richard, Bernard Yerlès. 22h25. Météo. 22h30. Soir 3. 22h55. Berthe Morisot. Téléfilm de Caroline Champetier. Avec Marine Delterme, Alice Butaud. 0h30. Les carnets de Julie. 20h55. 300 : la naissance d’un empire. Film d’aventures américain de Noam Murro, 102mn, 2014. Avec Sullivan Stapleton, Eva Green. 22h30. Jour de rugby. Magazine présenté par Isabelle Ithurburu. 23h10. Jour de foot. Magazine. 0h05. Le journal du hard. Magazine. 20h55. Un bonheur n’arrive jamais seul. Comédie française de James Huth, 110mn, 2011. Avec Gad Elmaleh, Sophie Marceau. 23h05. Esprits criminels. Série américaine : Amnésie, En cercle fermé, Le caméléon, Femmes en danger. Avec Shemar Moore. 20h50. Potiche. Comédie française de François Ozon, 100mn, 2009. Avec Catherine Deneuve, Fabrice Luchini. 22h30. Faites entrer l’accusé. L’inconnu du puits. Magazine. 0h10. Histoires courtes : six courts autour des violences faites aux femmes. 20h50. Les enquêtes de Morse. Téléfilm britannique : À l’infini Avec Shaun Evans, Roger Allam. 22h20. Les enquêtes de Morse. Le fantôme de l’opéra. Téléfilm. 23h50. Météo. 23h55. Soir 3. 0h20. Larmes d’amour. Film. 1h55. Don Giovanni. 21h00. Football : Montpellier / Lyon. 28e journée de Ligue 1. Sport. 22h55. Canal football club - le débrief. Sport. 23h15. L’équipe du dimanche. Magazine présenté par Messaoud Benterki. 0h05. Le journal des jeux vidéo. Magazine. 0h35. Dark touch. ARTE M6 FRANCE 4 FRANCE 5 ARTE M6 FRANCE 4 FRANCE 5 20h50. Léonard de Vinci. Dans la tête d’un génie. Documentaire. 22h20. Riot Grrrl. Quand les filles ont pris le pouvoir. Documentaire. 23h15. Tracks. Magazine. 23h55. Borgen. 3 épisodes. Série. 3h55. 360°-Géo. 20h55. NCIS : Los Angeles. Série américaine : Tapis, Piège de cristal, Big Brother, Callen, G, Avis de recherche. Avec Chris O'Donnell, Daniela Ruah. 1h10. Sons of anarchy. Le mal par le mal. Série. 2h00. Météo. 2h10. M6 Music. 20h50. Fort Boyard. Jeu présenté par Olivier Minne. 22h30. Dinotasia. Documentaire. 23h55. Monte le son, le mag. Magazine. 0h20. Monte le son, les sessions. Spectacle. 0h30. Monte le son, le live Les Inrocks 2014 - Ibeyi. Spectacle. 20h35. Échappées belles. Namibie : la route de l’eau qui fume... Documentaire. 22h10. Planète insolite. L’Allemagne. Documentaire. 23h00. À vous de voir. Documentaire. 23h30. Omo circus. Documentaire. 0h20. Les momies perdues de Papouasie. Documentaire. 20h50. Les femmes du bus 678. Drame égyptien de Mohamed Diab, 100mn, 2010. Avec Nelly Karim, Bassem Samra. 22h30. Rwanda, la vie après - Paroles de mères. Documentaire. 23h45. Femmes afghanes, la prison à visage découvert. Documentaire. 20h55. Capital. Immobilier : acheter, renégocier son prêt, est-ce le bon moment ? Magazine présenté par François-Xavier Ménage. 23h00. Enquête exclusive. Val Thorens : un hiver d’enfer au paradis de la glisse. Magazine. 0h25. Enquête exclusive. 20h50. Le seigneur des anneaux : le retour du roi. Film fantastique américain de Peter Jackson, 195mn, 2003. Avec Elijah Wood, Orlando Bloom. 23h55. À la poursuite de la lance sacrée. Téléfilm de Florian Baxmeyer. Avec Kai Wiesinger. 1h50. Cold case : Affaires classées. 20h40. Jus, yaourts, biscuits, où sont passés les fruits ? Documentaire. 21h30. Pizza industrielle : cherchez les ingrédients ! Documentaire. 22h20. Sorella, une enfant dans la Shoah. Documentaire. 23h20. La grande librairie. 0h20. Planète des hommes. PARIS 1ERE TMC W9 GULLI PARIS 1ERE TMC W9 GULLI 20h45. Holiday on Ice 2015. Spectacle présenté par Corinne Tong-Chai, 150mn. 23h15. Holiday on Ice. Spectacle présenté par Corinne Tong-Chai, 95mn. 0h50. Paris dernière. Magazine présenté par François Simon. 1h50. Programmes de nuit. 20h50. Les experts : Manhattan. Série américaine : Cadeau empoisonné, La danse du poisson, Le flic de Miami, Le repas des fauves. Avec Gary Sinise. 0h10. 90’ Enquêtes. Dans le secret des opérations commando de la gendarmerie. Magazine. 2h45. Programmes de nuit. 20h50. Les Simpson. Échange de mots croisés, Burns est piqué, Lisa, la reine du drame, La plus belle du quartier, Le malheur est dans le prêt. Jeunesse. 22h50. Les Simpson. 4 épisodes. Jeunesse. 0h45. Programmes de nuit. 20h45. Barbie et la magie des perles. Téléfilm d’animation d’Ezekiel Norton 22h00. Barbie et le palais de diamant. Téléfilm d’animation, 80mn. 23h20. Total wipe out made in USA 2 épisodes. Divertissement. 1h00. Corneil et Bernie 2 épisodes. Jeunesse. 20h40. 39-45 : le monde en guerre. Une nouvelle Allemagne : 1933-1939, Sur fond de guerre : Septembre 1939 Mai 1940, La chute de la france : Mai - Juin 1940. Documentaire. 23h35. Détective très privé. Téléfilm. 1h00. Zemmour et Naulleau. 20h50. New York section criminelle. Série américaine : Tout pour elle, Un tueur assassiné, Prédictions à vendre. Avec Vincent D'Onofrio, Kathryn Erbe. 23h25. Le bêtisier. Le grand bêtisier de l’hiver. Divertissement. 1h15. Programmes de nuit. 20h50. FBI : duo très spécial. Série américaine : La preuve par le sang, De père en fils, L’énigme et la clé. Avec Matthew Bomer. 23h05. FBI : duo très spécial. Arnaque à tiroirs, Nos ancêtres les espions. Série. 1h00. Programmes de nuit. 20h45. Laurel and Hardy talkie shorts. Drôles de locataires, Les rois de la gaffe, Aidons-nous !, Les bricoleurs, Le bateau hanté, Les deux policiers. Série. 23h10. Les Parent. Métro boulot sandwich, Conseil de famille, Ados mobile, Bonne conduite. Série. NRJ12 D8 NT1 D17 NRJ12 D8 NT1 D17 20h50. Crimes hors série - Spécial millionnaires. Documentaire présenté par Jean-Marc Morandini. 22h45. Crimes Hors série - Spéciale police scientifique. Documentaire présenté par Jean-Marc Morandini. 0h45. La maison du bluff 5. 20h50. Père et maire. Téléfilm français : Les liens du cœur. Avec Christian Rauth, Daniel Rialet. 22h40. Père et maire. Téléfilm français : Amélie. Avec Christian Rauth, Daniel Rialet. 0h20. Programmes de nuit. 20h50. Chroniques criminelles. Affaire Francis Heaulme : sur les routes du crime / La disparue du lac. Magazine présenté par Magali Lunel. 22h40. Chroniques criminelles. 2 épisodes. Magazine. 3h30. Programmes de nuit. 20h50. Adam recherche Eve. Télé-réalité présenté par Caroline Ithurbide. 21h50. Projet fashion. Télé-réalité présenté par Hapsatou Sy, 120mn. 23h50. Programmes de nuit. 20h50. SOS ma famille a besoin d’aide Best of. Magazine. 22h10. SOS ma famille a besoin d’aide. SOS de Boris, Natasha et Philippe. Magazine. 23h45. SOS ma famille a besoin d’aide. SOS de Laurence et Nausicaa. Magazine. 20h50. Du vent dans mes mollets. Comédie française de Carine Tardieu, 89mn, 2012. Avec Agnès Jaoui. 22h25. La neuvième porte. Thriller français de Roman Polanski, 133mn, 1999. Avec Johnny Depp. 0h45. Langue de bois s’abstenir. 20h50. Green lantern. Film fantastique américain de Martin Campbell, 114mn, 2011. Avec Ryan Reynolds. 22h50. Confessions intimes. Magazine présenté par Christophe Beaugrand. 0h40. Confessions intimes. Magazine. 2h50. Programmes de nuit. 20h50. Chicago Fire. Série américaine : Hommages, L’honneur de l’homme, Promotions. Avec Jesse Spencer, Taylor Kinney. 23h20. L’appel du désir. Téléfilm. 1h05. Programmes de nuit. HD1 6 TER CHÉRIE 25 NUMÉRO 23 HD1 6 TER CHÉRIE 25 NUMÉRO 23 20h50. Section de recherches. Série française : Baby-sitter, Forêt noire, Pour le meilleur et pour le pire, Chute libre. Avec Xavier Deluc, Virginie Caliari. 0h55. R.I.S. police scientifique. People. Série. 20h50. Le convoi de l’extrême : l’hiver de tous les dangers. Blizzard, vous avez dit blizzard ?, Ambiance glaciale. Documentaire. 22h30. Storage wars : enchères surprises. Le grand jeu, Les poupées russes. Documentaire. 23h45. Storage wars : enchères surprises. 20h50. City on fire. Téléfilm de Rex Piano. Avec Jamie Luner, Barbara Niven. 22h25. Un président en ligne de mire. Téléfilm d’Armand Mastroianni. Avec Chad Hayes, Carey Hayes. 0h00. Bus 152 en péril. Téléfilm. 1h35. Programmes de nuit. 20h45. Dossiers surnaturels. 5 novembre 1990 : la mystérieuse nuit des OVNI. Documentaire. 22h20. Phénomène paranormal. Visiteurs indésirables, Les habitants cachés de l’hôpital, Cernés par les loups. Série. 1h00. Face off. 20h50. Il était une fois dans l’Ouest. Western italoaméricain de Sergio Leone, 175mn, 1969. Avec Henry Fonda. 23h40. Looking for Eric. Comédie francobritannique de Ken Loach, 119mn, 2008. Avec Éric Cantona. 1h50. La femme qui flottait. 20h50. La planète des singes. Film de science-fiction américain de Tim Burton, 120mn, 2001. Avec Mark Wahlberg, Tim Roth. 22h50. Dead or alive. Grizzly affamé, Puma sans merci, Attention requin, Épouvantable hippopotame. Documentaire. 20h50. Tootsie. Comédie dramatique américaine de Sydney Pollack, 116mn, 1982. Avec Dustin Hoffman, Jessica Lange. 23h00. Le bal des casse-pieds. Comédie française de Yves Robert, 95mn, 1991. Avec Yves Robert, Jean Rochefort. 0h40. Programmes de nuit. 20h45. Mother and child. Drame américain de Rodrigo Garcia, 125mn, 2008. Avec Naomi Watts, Annette Bening. 22h55. Hangar 1 : les dossiers OVNI. La technologie extraterrestre, Les menaces venues du ciel. Série. • NEXT GRAND FORMAT NEXT 42 Jeanne Lanvin (à g.) lors d’un essayage avec un mannequin, vers 1940. PHOTO PATRIMOINE LANVIN LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 GRAND FORMAT NEXT • 43 Jeanne Lanvin artisane du raffinement Avec une centaine de modèles, le Palais Galliera, à Paris, rend hommage à la créatrice qui habilla les élégantes parisiennes de début du XXe siècle jusqu’en 1946. Une exposition magnifique et habitée. Par CLÉMENT GHYS Q ue c’est beau ! Ça paraît idiot, résumé comme ça, mais c’est l’effet que produit l’exposition «Jeanne Lanvin» au Palais Galliera. On marche dans les galeries du musée de la Mode de la Ville de Paris, et on fait des détours. On s’arrête sur un détail, une broderie, un merveilleux manteau en lamé or aux manches arrondies, des robes-bijoux surchargées de broderies argentées, des ensembles du soir en taffetas sombre et couvert de paillettes dorées, on revient ailleurs sur un manteau emprunté à un cardinal. Déambuler dans l’exposition «Jeanne Lanvin», c’est accepter de se perdre, s’autoriser une flânerie qui ne serait pas géographique ou citadine, mais esthétique. Pourquoi Jeanne Lanvin? Parce qu’elle avait été un peu oubliée. Son nom de famille, certainement pas, la marque existant bien évidemment toujours, maison Le logo Lanvin d’après une photo de Madame Lanvin avec sa fille, dessiné par Paul Iribe en 1923. PATRIMOINE LANVIN indépendante propriété de la femme d’affaires chinoise Shaw-Lan Wang. Tous les six mois, les collections féminines dessinées par Alber Elbaz (l’homme est créé par Lucas Ossendrijver) sont parmi les moments importants des fashion weeks. Mais Jeanne, elle, a été un peu esquivée. Olivier Saillard, directeur du Palais Galliera: «Il y a Madeleine Vionnet la virtuose, Madame Grès la technicienne, Elsa Schiaparelli l’artiste, Coco Chanel la médiatique. Mais Jeanne Lanvin, on ne sait plus trop où la ranger. Et c’est ça qui fait sa beauté.» cines de la mode actuelle, la promesse d’un style («lifestyle», disent certains). Jeanne Lanvin a dessiné des lignes femme, homme, enfants, décorations, sport avant tout le monde. Il y eut un parfum, le fameux Arpège, avec son flacon rond noir et or, marqué d’un logo : une femme se penche vers une enfant, toutes deux vêtues de noir. Il ne s’agit pas ici d’une élucubration de l’illustrateur Paul Iribe qui le dessina en 1923, ni même d’une fiction. Il s’inspire alors d’une photographie de Jeanne Lanvin et de sa fille, prise en 1907 dans un bal costumé. Clientes richissimes Deux tiers des robes-œuvres exposées viennent du fonds de Galliera, le tiers restant des archives de la marque, qui est partenaire. Elbaz est directeur artistique de l’exposition, Olivier Saillard s’est chargé du commissariat général et Sophie Grossiord de la direction scientifique. Elbaz n’a pas voulu que ses propres robes soient ici exposées, pour ne pas «vampiriser» le travail de Jeanne. Il n’est pas question de miroir ou de dialogue entre les époques, mais de pur hommage. La centaine de modèles présentés sont tous datés entre le début du XXe siècle et 1946, année de la mort de la créatrice née en 1867. Soit le demi-siècle au cours duquel elle était aux manettes de sa maison, qui eut jusqu’à 1000 employés, d’innombrables ateliers, de coupes ou de broderies. Oui, c’est de la mode «ancienne», qui a atteint son heure de gloire dans les années 20 et 30, vêtu les clientes de la couture, de richissimes Sud-Américaines à Yvonne Printemps, avec tout ce qu’il y peut y avoir de suranné dans quelques silhouettes (et encore, si peu). Mais parler de Lanvin période Jeanne, c’est découvrir qu’il y avait là les ra- Histoire familiale complexe Alcmène, ensemble du soir en crêpe de soie rose et broderies de cristaux Swarovski. PHOTO KATERINA JEBB. COLL. PALAIS GALLIERA La mode Lanvin est une névrose, indissociable de sa relation avec l’adorée Marguerite, qu’elle avait eue avec son époux Emile di Pie t ro . Je a n ne était une modiste, qui couvrait les têtes des élégantes parisiennes. Au début du siècle, elle se met à dessiner des robes pour enfants, mais surtout pour la sienne, née en 1897. La haute société adore ces tenues petites mais luxueuses, ces ensembles pour gamines élégantes. Et c’est ainsi que Jeanne se met à créer pour les adultes, ouvre sa maison de couture en 1909. Les collections seront marquées par la présence de Marguerite, esthétiquement mais aussi médiatiquement: la jeune femme est le portemanteau de la griffe, fait briller les tenues maternelles dans le Paris de la haute. Toute cette splendeur qui s’expose au Palais Galliera est le versant positif d’une histoire familiale hautement complexe. Marguerite, pianiste, deviendra comtesse de Polignac, changera de nom pour se faire appeler «Marie-Blanche», et toute sa vie sera happée par l’extraordinaire amour de sa mère. Elle aurait été droguée, et ne survivra à Jeanne que d’une dizaine 44 • NEXT GRAND FORMAT JEANNE LANVIN ARTISANE DU RAFFINEMENT d’années. La créatrice de mode était moins mondaine que beaucoup d’autres, n’était pas une «excentrique» au sens propre. Mais il y a dans son parcours une forte ambiguïté, d’autant plus mystérieuse que les écrits à son sujet sont rares. Légèrement, Olivier Saillard précise qu’au «musée des Arts décos, on voit sa salle de bains. Ses toilettes étaient recouvertes de peau de panthère, ce qui dénote un caractère peu courant». La conservatrice du musée détaille pour «Libération» comment ce modèle de robe incarne l’essence de ce qui fait la maison Lanvin. Les dessous de la «Marjolaine» Du vert absinthe, du doré Parler de la mode d’hier, c’est évoquer celle d’aujourd’hui. Il y a évidemment ces silhouettes, comme la robe Marjolaine [lire ci-contre], dont on peut trouver des reliquats dans le costume aujourd’hui. Mais ce que nous enseigne cette exposition Lanvin (la première du genre), c’est que l’élégance et la signature d’une créatrice peuvent ne pas se fixer uniquement sur un objet précis, une silhouette définie, une couleur. Chez Jeanne Lanvin, il y a du noir, des teintes de bleu, du vert absinthe, du doré, des coupes longues, courtes, des jupes sobres et des pulls aux motifs graphiques, des robes, avec ou sans manches, des franges ou des traînes, des paillettes ou des ensembles unis. Les inspirations sont multiples, mais se cachent toutes derrière l’autorité du travail. Jeanne Lanvin, ici ressuscitée, est l’artisane du raffinement. Saillard : «Tout le monde pense que la haute couture, “ça doit se voir”. Tout ce travail, ça doit briller, être mis en avant. Eh bien non, Lanvin nous montre que l’excellence s’atteint dans la précision, la discrétion.» L’écueil des expositions de mode est de paraître vides, inhabitées. Ici, il est évité. Ces mannequins figés ne sont pas vivants, mais pas morts non plus. Ils sont engourdis. Et on ne peut que divaguer à ce que ces silhouettes s’animent la nuit, quand les visiteurs ne sont plus là, et qu’elles se baladent dans le musée, dans une incroyable fête mondaine, à causer entre elles, comme les fantômes d’une élégance évanouie. • JEANNE LANVIN Du 8 mars au 23 août, Palais Galliera, musée de la Mode, 10, avenue Pierre1erdeSerbie, Paris XVIe. Robe Colombine, taffetas de soie, velours et perles, 19241925. PHOTO KATERINA JEBBCOLL. PALAIS GALLIERA LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 es papillons de taffetas de soie épinglés sur un miroir, se reflétant dans un autre. «On a des gants ?» demande Sophie Grossiord, conservatrice au palais Galliera et directrice scientifique de l’exposition «Jeanne Lanvin» au musée de la Mode. Pas question de toucher à main nue ces princesses endormies, quasi séculaires. On parle là d’œuvres d’art de mademoiselle Lanvin, en l’occurrence du petit groupe des robes de style aux noms chantants: la Colombine, splendeur maîtrisée d’équilibre et de couleur, la Raquel Meller, du nom de l’actrice, noire, sobre, presque en colère, et la Marjolaine, celle qui va être étudiée à la loupe avec la spécialiste, pour en extraire la substantifique moelle, la Lanvinerie divine, l’essence même de ce qui fait la maison. «Costaudes». Etonnement du visiteur d’abord, qui a bêtement dans la rétine ces formes ultragéométriques de manteaux en taffetas noir, de soieries à franges, de silhouettes graciles et de tissus près du corps : la robe de style, choisie par la commissaire pour dévoiler un pan de D deux appellations, comme “la vérité” et “le mensonge”, qui ne diffèrent que par un détail de broderie», analyse Sophie Grossiord. Marjolaine, à l’été 1921, est une frêle silRobe Marjolaine, houette, un 36 sans doute : «C’est là une taffetas de soie robe de jeune fille. N’oubliez pas que les femchangeant bronze, mes de cette époque étaient plutôt costaudes, reps jaune, dentelle un bon 42 et plus, comme en témoignent les mécanique argentée, photos : la silhouette gracile des années 20, été 1921. PHOTO PHOTO c’est un dessin. Elles étaient rondes et corseKATERINA JEBB COLL. tées dix ans avant, comment voulez vous PALAIS GALLIERA changer de silhouette à ce point ?» sourit la commissaire. Jupe en corolle, taille resserrée, pas de corset évidemment mais des bandes Velpeau qui maintiennent (et compriment) la poitrine, des petites agrafes qui ferment le côté et des raffinements qui signent ce qui porte là, parfaitement, le nom de haute couture: «Regardez ces détails de découpe en dents sur le col, ce travail de précision, qui signe la maison Lanvin. On appelle ça des cocottes, ces petites dentelures savamment repliées à l’encolure, aux emmanchures, et au bas de la robe», s’enthousiasme la commissaire. C’est la patte de la créatrice. Il faut ajouter la cocarde, présente également sur la Marjolaine, un petit miracle de couture, surpiqûres invisibles, superpositions de taffetas replié et de dentelle métallique, seul «décor» de la robe, porté à la taille: «Le décor se concentre toujours sur certaines zones, buste, taille ou jupe, explique Sophie Grossiord. On est dans la sobriété. On retrouve là l’influence du Japon, un décor circulaire, qui est un leitmotiv chez Lanvin. Le nœud, aussi, qui symbolise la relation à sa fille, ou les rubans en croisé, comme un cache-cœur.» l’art de la maison, est un modèle en taffetas «Virtuosité». La retenue prévaut aussi côté bronze et reps jaune à jupe bouffante, LA chromie: ici un bronze faussement timide, jupe Lanvin, de tradition historisante, réfé- dont on devine les irisés à chaque frou-frou rence au XVIIIe siècle et au Second Empire, de la belle. La Marjolaine date d’avant les avec panier et crinoline –ici appelés «cer- ateliers couleurs de la grande Jeanne, clettes»–, en crin, d’une envergure de plus ouverts en 1923 à Nanterre: «On ne sait pas de trois mètres. «On dit robes de style comme d’où provient le taffetas, mais en tout cas, on on dirait meubles de style, en référence au voit dans le catalogue que la robe était aussi passé, elles ont pour nom la Du Barry, Ma- proposée dans un vert absinthe plus soutenu. Les clientes pouvaient évidemment choisir la couleur, mais «On retrouve l’influence du Japon on n’a plus ses carnets et le nœud aussi qui symbolise la relation hélas, de commandes», soupire la à sa fille.» commissaire. Les autres robes présentées dans l’exposiSophie Grossiord conservatrice au palais Galliera tion sont en voie de mise en dame de Lamballe», explique l’historienne. place, qui dans son petit sarcophage miroir, Mais revenons à cette Marjolaine, dont on qui sur un mannequin. Mais une chose est ne sait pas à qui elle a appartenu, ni pour- sûre, cette Marjolaine raconte à elle seule ce quoi «Jeanne Lanvin l’a appelée comme ça. qui fait la grandeur de la maison du 22, rue Il y a plusieurs centaines de pièces par collec- du Faubourg-Saint-Honoré. «La coupe, la tion dans les catalogues, et chacune porte le virtuosité des surpiqûres, de la broderie, des nom de quelqu’un de connu : Yvonne Prin- entrecroisements, la précision de la couleur», temps, Marguerite, évidemment, nommée résume Sophie Grossiord. Et toujours l’incomme sa fille bien-aimée, ou encore la croyable modernité des modèles. Walkyrie-Brunehilde. Souvent, elles ont EMMANUÈLE PEYRET LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 STYLES NEXT • Venin et sorcelleries PRÊTÀPORTER FEMME AUTOMNEHIVER Les défilés vus par le photographe Paul Rousteau. DIOR ÉLÉGANCE REPTILIENNE «Je voulais une collection qui traite de nature et de féminité d’une façon différente, loin du jardin et des fleurs», écrit Raf Simons dans la note du défilé Dior. Depuis son arrivée dans la maison de l’illustre Christian, le Belge a compris que, pour vivifier l’esprit des femmes végétales et des silhouettes hors du temps, il fallait prendre le contre-pied. Soit une allure vénéneuse déclinée avec des énormes manteaux de renard de couleurs pâles (lilas ou vert d’eau), une large chemise rose couverte d’une robe-harnais très SM, des tailleurs-pantacourts en tweed sombre. Les filles ne sont pas des fleurs mièvres mais carnivores, envahissantes. Partout, des jeux de brillance, sur les bottes en vinyle, les robes ou tops en sorte de résille plastifiée. Tout luit magnifiquement mais est contré par des vestes et manteaux masculins, sobres et aux épaules tombantes. Ces filles, sous leurs atours modernes et portables, cachaient une seconde nature, hybride et dangereuse. Les reptiliens, ces créatures de légende urbaine, n’existent pas ? Si, chez Dior. C.Gh. Au défilé Dior. Au défilé Rick Owens. RICK OWENS BRUT GRANDIOSE Le carton d’invitation, un rectangle de velours marron bordé de longs poils, se prêtait à l’hypothèse : fallait-il s’attendre à des femmes à barbe ? Ou à touffe sous les bras ? Ou à buisson pubien apparent ? C’est que l’Américain Rick Owens est un sacré pistolet, au look d’Apache, aux groupies «dark» comme cet Asiatique aux oreilles reliées par une chaîne à vélo (on ne vous décrit pas l’état des lobes…) qui accompagnait un sosie de Marilyn Manson. Et puis, Owens a fait défiler en janvier des hommes dont on aperçut parfois les quéquettes... Mais non, l’affaire s’est avérée «sage». Les poils de l’invitation se retrouvaient sur une robe-manteau d’une vestale tribale. Elle avait un côté Néandertal, quand d’autres étaient glamour, façon Owens. Du grandiose mais brut, certainement pas mignon malgré les dorures : païen. Les étoffes, somptueux cuirs et laines, s’enroulent, se superposent, ceignent une silhouette hiératique. Le maquillage-masque aux échos de Fantôme de l’opéra ajoute au sortilège. S. Cha. 45 46 • LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 NEXT FOOD L’Ecole internationale de boulangerie à SaintMartin, dans la vallée du Jabron. A la ferme d’Etienne Mabille, qui produit 8 à 10 tonnes de petit épeautre bio par an. BARBUE Relancée par des agriculteurs de Haute-Provence, cette céréale à coque qui a failli disparaître fait le bonheur des intolérants au gluten comme des gourmets, et se révèle même être un bon matériau isolant. ITALIE Valence DRÔME Mévouillon VAUCLUSE Gap Par MICHEL HENRY Envoyé spécial à Mévouillon et à NoyerssurJabron Photos ÉRIC FRANCESCHI L a grande histoire du petit épeautre de Haute-Provence doit beaucoup à un homme barbu, comme la céréale qu’il cultive après l’avoir tirée de l’oubli. Etienne Mabille la récolte, la bichonne, la décortique, puis utilise sa bale (l’écorce) pour chauffer sa ferme, avant d’en répandre les cendres dans ses champs comme engrais. Ajoutez qu’il a collé, sur les murs d’une pièce de sa ferme, des plaques d’isolation expérimentales fabriquées avec ces bales pressées: à ce stade, si ce n’est pas de l’amour, c’est de la rage. Il a une bonne bouille, ce Mabille, mais est-il maboule? Non, il est juste curieux. Avec sa mine de chien truf- fier, ce qu’il aime, c’est chercher. Mabille, 57 ans, exerce son flair à Mévouillon (Drôme), dans les Baronnies provençales, un coin où pousse la lavande et où volent les parapentes, et d’où la vue est aussi magnifique que la lumière. Que demande le peuple? Rien. Enfin si : que l’homme aux yeux rieurs nous conte une histoire. La voici. Il était une fois le petit épeautre, «une des plus anciennes céréales consom- L’agriculteur Etienne Mabille, chez lui. mées par l’homme, puisqu’on la connaissait il y a douze mille ans dans le Croissant fertile» (Irak, Iran, Turquie…). Très résistant dans les climats semi-arides, le Triticum monococcum (soit «un grain par coque»), plante rustique, se présente aujourd’hui encore «tel qu’il était il y a dix mille ans», pas croisé ni hybridé. VÊTUE. Il n’a rien à voir avec le grand épeautre (Triticum spelta), qui se rapproche plus d’un blé, ce que le petit n’est pas, lui qui s’est justement fait supplanter, après l’époque romaine, par cette céréale plus panifiable et aux rendements meilleurs. Graminée dite vêtue, le petit épeautre doit aussi subir un décorticage délicat, ce qui le handicape par rapport au blé. Il a subsisté néanmoins dans les zones de montagne, dont le blé n’aime ni le climat rude ni les terres pauvres. C’est le cas de la Haute-Provence où, Noyerssur-Jabron Digne-les-Bains ALPESDE-HAUTEPROVENCE Petit épeautre, le bon grain délivré Avignon HAUTESALPES 30 km en 1986, Mabille s’installe sur les terres natales de sa femme, Irène. A ce moment, les agriculteurs le cultivent toujours, pour l’ajouter à leur soupe, quelques moulins à meule de pierre assurant encore l’indispensable décorticage. «Ça restait une tradition, mais c’était confidentiel et ça a failli disparaître.» Mabille s’y est mis. «Au début, on était quelques-uns à se redistribuer les semences, on passait pour des hurluberlus.» Il produit d’abord 300 kilos par an. Aujourd’hui, il atteint 8 à 10 tonnes, signe du succès pour ce produit bio «assez fabuleux» en raison de ses qualités nutritionnelles, «puisqu’il procure tous les acides aminés nécessaires à l’homme». Très riche en fibres, donc digeste, avec deux fois plus de lipides que le blé, le petit épeautre a un gluten peu actif et peut convenir à certains intolérants (mais pas aux allergiques). LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 FOOD NEXT • 47 QUELLE MOUSSE L’A PIQUÉ ? Par JACKY DURAND La Belle Dalle au bois dormant l faut bien l’avouer : la bière n’est pas le genre de breuvage qu’on laisse vieillir dans l’obscurité de notre cave cagibi. Déjà que les vendanges les plus précieuses y font rarement de vieux os, il y a encore moins de place pour les quilles houblonnées. Alors l’autre soir qu’on hésitait entre un clos Petra Rossa rouge (AOC Calvi) et un savigny-lèsbeaune premier cru, on a exhumé une Belle Dalle brassée par Christophe Noyon à la Brasserie des 2 Caps à Tardinghen (Pas-de-Calais). Passé la surprise, on a débarrassé notre trésor des poussières du soussol parisien pour y découvrir une date aussi inattendue qu’extravagante dans notre humble connaissance de la bière: été 2006. Soit presque neuf ans en arrière, autant dire un siècle, pas mal de fûts et quelques centaines de canettes au pays de la binouze et de la bière pression. Un pain 100% petit épeautre réalisé à l’école de Thomas TeffriChambelland près de NoyerssurJabron. En 1997, Mabille a monté un syndicat avec 10 producteurs ; ils sont aujourd’hui 62. «Les surfaces cultivées augmentent de 15% par an, mais on n’arrive pas à suivre la demande.» Avec des machines récupérées, il a créé un atelier de décorticage qui sort 150 tonnes par an. Son fils Denis est de la partie. «On reste artisans et cela demeure un produit de niche», dit-il, mais une filière s’est créée. Cultivé à 400 mètres d’altitude minimum, uniquement avec des semences fermières, le petit épeautre de Haute-Provence (PEHP) bénéficie d’une IGP (indication géographique protégée) qui s’étend sur quatre départements (Drôme, Vaucluse, Hautes-Alpes, Alpes-de-Haute-Pro- Reste un souci: «On n’est pas loin de jeter 50% du produit. Ça fait quelques années que je me casse la tête.» Car l’épeautre, c’est aussi de la bale. Après avoir utilisé cette écorce pour rembourrer coussins et matelas, Mabille s’est branché avec l’Ecole des mines d’Alès (Gard) pour imaginer un isolant destiné au bâtiment : le produit est «en phase finale de fabrication» (1). C’est dans l’assiette que le petit épeautre se défend le mieux, sous forme de risotto, taboulé ou pâtes, en flocons ou en farine. Il remplace le riz et on fabrique même de la bière avec, mais il a ses défauts : il coûte environ 3 euros les 500 grammes, et il lui faut 45 minutes de cuisson – cela va plus vite sous forme de boul«On a l’impression de croquer gour (10 minutes). quelque chose qui va éclater en Et, à ce stade, on bouche, avec un goût toasté, brioché, constatera ceci : un peu torréfié. C’est un produit avec c’est panifié qu’il est magnifié. lequel on peut vraiment s’amuser.» Pour s’en rendre JeanChristophe Rizet chef de La Truffière, à Paris compte, quittant Mabille à travers la vence). Il s’en cultive aussi en vallée du Jabron, on gagne le hameau Bretagne et dans le Sud-Ouest, mais, de Saint-Martin, au-dessus de «de par l’effet du terroir et du climat, Noyers-sur-Jabron (Alpes-de-Hauon a une qualité que d’autres régions te-Provence). Thomas Teffri-Chamn’ont pas forcément», assure le belland (1), ancien prof de sciences et producteur. vie de la terre, a basé ici son Ecole internationale de boulangerie (2): une PANIFIÉ. Néanmoins, pour la culti- sorte de chalet, à 800 m d’altitude, ver, il faut s’accrocher. La céréale face à la montagne de Lure, où il rince les terres qui la nourrissent : forme en trois mois et demi à la bou«Elle pousse sur des sols très pauvres langerie au levain et en bio des staqui, ensuite, sont encore plus pauvres.» giaires en reconversion professionIl ne faut en faire qu’un an sur trois, nelle (ne vous pressez pas, c’est et Etienne Mabille cultive en rotation complet pour 2015). des pois chiches et des lentilles sur Ici aussi pousse du petit épeautre, car ses 50 hectares. Les rendements sont Teffri-Chambelland, 39 ans, en culfaibles – une tonne l’hectare –, pas tive sur ses 25 hectares morcelés: «Il suffisants pour faire vivre son est hyperadapté aux terres ici, avec une homme –et encore moins sa femme, super qualité. En plus, il est un peu Irène, qui élève en complément barbu, donc pas trop mangé par les 60 brebis et sert aussi une tarte aux sangliers.» Après écrasement du fruits du tonnerre. grain au moulin Pichard, à Malijai (Alpes-de-Haute-Provence), qui fait autorité dans les farines bio, le boulanger prépare un pain «très aromatique, très goûteux», un peu jaune, 100% petit épeautre. «Il fait une pâte souple, on la travaille le moins possible, on n’y met presque pas les mains.» Après cuisson en moule, «sinon elle s’affaisse», le résultat est excellent : «On n’a pas besoin de faire un grand discours.» «SENTINELLE DU GOÛT». A 700 km de là, on retrouve le petit épeautre sur de grandes tables parisiennes, comme La Truffière (une étoile au Michelin), qui propose un «cochon de lait confit, chou de Pontoise, petit épeautre crémeux, jus monté aux baies de genièvre». Ou un risotto à la truffe noire, car la céréale «se marie très bien au côté terreux de la truffe», explique son chef, Jean-Christophe Rizet. Il l’a connue par l’association Slow Food, qui a choisi le PEHP comme «sentinelle du goût» pour la sauvegarde de la biodiversité alimentaire. Rizet apprécie son petit grain: «On a l’impression de croquer quelque chose qui va éclater en bouche, avec un goût toasté, brioché, un peu torréfié. C’est un produit avec lequel on peut vraiment s’amuser, et ça se travaille très facilement.» Son conseil : faire suer des oignons, de l’ail et de la sarriette, ajouter le petit épeautre, du vin blanc, mouiller au bouillon de volaille et cuire tout doucement. Bonne tambouille. • Recettes et points de vente sur www.petitepeautre.com (1) Chez Archibale, à Montguers (Drôme). Rens.: www.archibaleisolation.com (2) Thomas TeffriChambelland est associé dans deux boulangeries: la boulangerie Chambelland (pains sans gluten), 14, rue Ternaux, Paris XIe ; et la Fabrique à pain, 4, rue PierredeCoubertin, à AixenProvence (13). (3) http://ecoleinternationalede boulangerie.fr DR I Avec mille précautions, on a remonté cette relique d’un reportage sur la côte d’Opale. Noyon nous avait conté l’histoire de la ferme de Belle Dalle, où il était né et avait grandi avant de suivre des études d’ingénieur agricole. Dans une autre vie, il avait travaillé pour une firme américaine, avant de faire un troisième cycle de brasserie à l’université de Louvain-laNeuve, en Belgique. La 2 Caps, sa première bière, est née dans l’ancienne étable de la ferme en 2003. Il nous avait décrit aussi l’élaboration de cette Belle Dalle que l’on est en train de lorgner et qui est brassée avec l’orge poussée sur les terres des Noyon. Cultivée dans le cadre d’un assolement triennal, cette orge de printemps qui pousse sur des limons argilo-sableux et sous un climat maritime permet d’élaborer trois millésimes : le Jardin de Belle Dalle, le Chemin de Wissant et le Bois de Belle Dalle, entre nos mains. Bière blonde (à 8 degrés), ni filtrée ni pasteurisée, la Belle Dalle est affinée en cuves par une garde à basse température. Sa prise de mousse est réalisée en bouteille par une seconde fermentation. On ouvre notre trésor avec la minutie d’un démineur sur un pschitt prometteur. La robe est cuivrée, légèrement trouble avec de fines bulles. Au nez, on note des parfums de fruits cuits. En bouche, la bière révèle des arômes de caramel et une note de réglisse s’installe dans la longueur. On prolonge ce régal avec des lichettes d’un joli fromage à pâte pressée cuite des Hautes-Alpes déniché au Salon de l’agriculture. L’oubli a du bon. • Ferme de la Belle Dalle, à Tardinghen (62). Rens.: 0321105653 et www.2caps.fr COUP DE CŒUR LES PETITES TOUCHES ATOUTS Il suffit d’un rien pour rendre les mariés plus beaux dans l’assiette: du cumin sur les carottes, un anchois sur le steak, un voile de vergeoise sur la tarte aux reinettes clochards. C’est d’ailleurs le propre de la cuisine maison d’illuminer avec trois fois rien l’ordinaire de la cambuse. Anne de la Forest a eu la bonne idée de consacrer un livre à ces «petites touches qui changent tout». Ainsi, son «beurre au parmesan» rendra glamour le brocoli qui accompagnera le filet de poulet requinqué par une «chapelure aux graines de fenouil». Les accrocs de la bintje oseront le «beurre aux algues» sur la purée et les zestes de citron vert sur les frites. Et le «chutney aux pommes» donnera des couleurs au brie de Meaux. J.D. «La Petite Touche qui change tout! pour sublimer les produits du quotidien», d’Anne de la Forest, Tana éditions, 108 pp., 16,95 €. • LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 NEXT VOYAGES Richelieu, cité cardinale VAL DE LOIRE La ville idéale pensée par l’éminence grise du roi Louis XIII a perdu son château mais conserve sa superbe, tout en symétrie. Par SIBYLLE VINCENDON Envoyée spéciale à Richelieu (IndreetLoire) Photos MARC CHAUMEIL N e pas se tromper de chemin. Il faut entrer dans Richelieu (Indre-etLoire) de face, par l’une de ses portes monumentales. Traverser deux places carrées aux proportions parfaites. Emprunter la rue principale d’une solennité absolue. On lève les yeux vers les façades austères des vingt-huit hôtels particuliers qui la bordent et on finit par se dire : «Mince…» Richelieu, voulu en 1631 par le cardinal éponyme et dessiné, selon ses directives, par l’architecte du Palais-Royal, Jacques Le- la ville au mépris du système hydraulique exceptionnel qui avait été conçu pour l’ensemble. MÉLANCOLIE. Est-ce l’absence du château qui rend aujourd’hui le destin touristique de Richelieu moins évident que celui de ses voisins? Peut-on attirer du monde quand on ne possède pas l’une de ces grosses meringues à tourelles qui ponctuent le Val de Loire ? Peut-on séduire quand tous les bâtiments, quoique protégés, ne sont pas restaurés et ripolinés, quand on voit parfois des carreaux cassés, des enduits qui craquellent, des boiseries usées ? Peut-on plaire dans cet entredeux ? Et pourquoi pas… L’endroit porte suffisamment de beauté et de mélancolie pour valoir le détour. Il porte surtout une histoire. Et quelle histoire… On la découvre à l’Espace Richelieu, ouvert depuis 2010 dans l’un de ces hôtels particuliers qui font la majesté de la ville. L’histoire est celle d’Armand Jean du Plessis, cardinal de Richelieu, un type qui a une réputation époumercier, est impressionnant. Les murs vantable depuis qu’Alexandre Dumas en a fait d’enceinte sont toujours là avec leurs douves le méchant dans les Trois Mousquetaires. et leurs entrées somptueuses, fait assez rare Chargé de l’accueil de l’espace, Olivier note en France. La géométrie rectangulaire de la que les visiteurs lui disent souvent : «Richeville est parfaite. Son parc est superbe. lieu, je ne l’aime pas du tout.» Il leur répond Mais voilà: le château qui couronnait le tout, qu’après la visite, ils vont changer d’avis. Ce lui, n’est plus là. Un marqui n’est pas faux. chand de biens du XIXe sièD’accord, le cardinal était un SARTHE LOIRcle, nommé Alexandre politique sans scrupules, avec ETTours CHER Boutron et pas vraiment les ambitions classiques de considéré comme un bienl’époque: asseoir son pouvoir, faiteur de la commune, l’a faire la guerre. Il avait aussi, Richelieu INDREET-LOIRE démonté à partir de 1805 et autre classique banal, le projet vendu pierre par pierre. d’agrandir et d’embellir la INDRE Non sans avoir d’abord grosse maison de ses ancêtres. 25 km VIENNE coupé l’adduction d’eau de Mais l’histoire devient moins MAINEET-LOIRE 48 LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 VOYAGES NEXT • 49 A Richelieu en février. A gauche, l’église NotreDame sur la place du Marché (explace Cardinale). Cicontre, le dôme, unique vestige du château qui fut démonté à partir de 1805 et vendu pierre par pierre par un marchand de biens. Au centre et en bas, le parc du château. courante quand le puissant prévoit d’adjoindre au château et à son parc rien moins qu’une ville. Une cité dite «idéale» de surcroît, tracée église dont la façade est copiée sur les proportions de Santa Maria Novella à Florence. Dans la pensée du cardinal, Richelieu devait être un manifeste d’affirmation du catholicisme. A Peut-on attirer les touristes quand on est l’intérieur de l’édifice, on une ville qui ne possède pas l’une de ces découvre à droite en engrosses meringues à tourelles qui ponctuent trant une invraisemblable le Val de Loire? Et pourquoi pas… photo de sainte Thérèse de Lisieux déguisée en selon une géométrie parfaite et où tout fait Jeanne d’Arc au cachot pour un spectacle du sens. En particulier ce choix hallucinant : la Carmel, enchaînée sur la paille, cheveux lâcréation de deux places symétriques, la place chés, plutôt troublante. Sans rapport avec Royale et la place Cardinale. Là où, d’ordinaire, le roi caracole en statue équestre au milieu d’une seule et unique centralité, les deux puissants ont chacun la leur, sur un pied d’égalité. Inédit. Ce n’est pas la seule chose curieuse. Non seulement Louis XIII a autorisé Richelieu à créer sa ville, mais le souverain lui accorde qu’elle soit dispensée d’impôts. Voilà qui doit aider artisans et foires à s’y installer. Pour le haut du panier, Richelieu a sa méthode: il offre les terrains de la grande rue à ses obligés (membres du Conseil, ministres) avec contrainte pour eux de bâtir les hôtels particuliers, dans les règles d’architecture de Lemercier. Deux ans après la mort du cardinal, la plupart de ces hôtels sont revendus par leurs propriétaires au quart de leur prix. COLLECTIONNEUR. Dans le Richelieu d’aujourd’hui, la place Cardinale est devenue la place du Marché. Un réaménagement récent plutôt réussi a dégagé les façades et restitué la qualité de ce grand espace vide autour d’une fontaine. Sur un côté, une halle magnifique, en poutres de châtaignier parfaitement restaurée. En symétrie, en face, une Portrait du cardinal de Richelieu par Philippe de Champaigne exposé au musée Richelieu. notre histoire, mais très surprenant. A l’autre bout de la ville, la place Royale, rebaptisée place des Religieuses, n’a pas encore été réaménagée et se caractérise pour le moment par un méchant carrefour avec feu tricolore. Le pauvre Louis XIII peine décidément à être en majesté à Richelieu. Celui qui a eu toutes les visions, c’est l’autre. Aujourd’hui, on dirait du cardinal qu’il était un investisseur avisé, qui finira d’ailleurs plus riche que le roi. Egalement un collectionneur éclairé qui va accumuler l’une des plus belles collections d’art et de sculpture de son temps pour garnir son château. Mais tout cela, à Richelieu, il faut l’imaginer. L’édifice a été victime de l’affreux Boutron. Et la collection a, comme souvent dans ces cas-là, été éparpillée la première, sachant que la Révolution n’a pas non plus aidé à garder le trésor intact. RECONSTITUTION. On peut voir aujourd’hui au premier étage de la mairie, qui abrite un petit musée, une reconstitution de l’immense galerie des Batailles que contenait le château, avec six des vingt toiles qui la constituaient. Dans l’Espace Richelieu est projetée une reconstitution en 3D de cette demeure, réalisée sur la base de l’inventaire incroyablement précis de chaque pièce, dressé par l’intendant de l’époque. Mais le château n’est plus là. Alors, un petit matin gelé, on arpente le parc, le long de ses canaux d’où s’exhale une brume qui flotte dans les rayons du soleil bas. On tente d’imaginer comment le palais se posait dans ces perspectives si belles. Les ombres sont longues dans la lumière montante. Peut-être est-ce cette splendeur absente qui, finalement, rend Richelieu si poignant. • PRATIQUE ROYAL AU COIN DU FEU Y aller Par l’A10 sortie Sainte-Maure-de-Touraine. Ou par le train, gare de Chinon. Y séjourner L’hôtel du Puits doré est le seul à l’intérieur de l’enceinte de Richelieu. 24, place du Marché. A partir de 60 euros. www.lepuitsdore.fr Y manger Au Fossé Saint-Ange. Pensez à réserver. Environ 35 euros. Porte de Châtellerault. Tél.: 02 47 95 38 82 A l’auberge Le Cardinal. 3, rue des écluses. Tél.: 02 47 58 18 57. Menus de 15 à 37 euros. Y prendre le thé La Fleur de lys fait salon de thé et antiquaire à la fois. Atmosphère feu de bois et beaux meubles délicieuse. 22, Grande Rue. Tél.: 02 47 58 28 80. A voir L’Espace Richelieu. 28, GrandeRue. Rens. : 02 47 98 48 70. Le musée Richelieu, dans la mairie. 1, place du Marché. Tél.: 02 47 58 10 13. A lire Richelieu, histoire d’une cité idéale (16312011), de Marie-Pierre Terrien (Presses universitaires de Rennes). Les Trois Mousquetaires, de Dumas. • GRAND ANGLE GRAND ANGLE 50 LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 Fukushima, Pour la série «Revenir sur nos pas», les photographes Carlos Ayesta et Guillaume Bression ont convaincu des résidents évacués après la catastrophe nucléaire japonaise de 2011 de redécouvrir leur ancien cadre de vie. Par CHRISTIAN LOSSON Photos CARLOS AYESTA et GUILLAUME BRESSION D es hommes et des lieux figés dans le temps. Des visages illuminés, des endroits contaminés. Des zones, jaunes ou rouges, inhabitables pendant des années, peut-être des décennies. C’est une autre couleur, plus noire, de celle qui nimbe une horreur silencieuse, un chaos en suspens, qu’ont voulu immortaliser Carlos Ayesta et Guillaume Bression. Un aller simple dans cette no-go zone japonaise depuis que le 11 mars 2011, un tsunami a tué plus de 20000 personnes tandis qu’un accident nucléaire tétanisait le pays tout entier et déplaçait 110000 âmes. Un aller simple que les deux photographes ont pourtant vécu comme autant d’allers-retours pour comprendre, mettre en lumière, porter un regard autre sur un drame qui n’en finit plus de fracasser la société japonaise. LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 GRAND ANGLE • 51 visions habitées Midori Ito dans un supermarché abandonné de la zone interdite, où les produits sont restés figés depuis la catastrophe. Pendant des mois, ils ont cherché des habitants d’accord pour revenir sur des lieux à la charge émotionnelle explosive. Des lieux hantés et des lieux encore «habités». Des lieux oubliés et inoubliables. «Nous voulions absolument que les personnes présentes dans les photos soient des habitants de la région de Fukushima touchée par l’accident nucléaire, qu’ils aient une histoire à raconter, un lien avec le drame.» Pas question de prendre de simples modèles. Et risquer de polluer le travail de photographie documentaire. Les villes se dégradent, les toitures cèdent Ils cherchent donc, longuement, interrogent, questionnent. Mais ce désir de présence se heurte à une logique d’absence. De reconstruction, parfois personnelle. Ailleurs, surtout ailleurs. Les deux photographes se fracassent à une réalité: les habitants ont souvent quitté la région de Fukushima. Ils habitent parfois à plusieurs centaines de kilomètres de là. «Ils n’ont pas forcement donné leurs nouvelles coordonnées aux mairies. Ou les édiles ne souhaitent pas nous les communiquer…» Ils se déchirent au sein des familles entre celles et ceux partisans d’un retour –souvent des vieux– ou d’un non-retour – plutôt des femmes. Dans certains coins, moins de 20% des habitants souhaitent revenir. Et les villes se dégradent, les toitures cèdent, l’eau s’infiltre. «Dans plusieurs villes en bordure de la zone, comme Tamura ou Naraha, les autorités fixaient déjà des dates de retour possible, mais dans les villes telles que 5 km Namie Tamura Fukushima Daichi Futaba Okuma Tomioka Naraha JAPON Tokyo 52 • LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 GRAND ANGLE FUKUSHIMA, VISIONS HABITÉES Futaba, Okuma, Tomioka ou Namie, plus proches de la centrale, on avait du mal à imaginer une quelconque réinstallation des habitants. Nous avons voulu souligner ce choc violent perçu par les habitants à leur retour.» «Revenir sur nos pas» est tiré d’un travail plus vaste entamé dès l’été 2011. Une première série («Clair obscur») où, via une lumière artificielle, les photographes signifiaient «l’absence et le vide» d’une zone interdite, de villes abandonnées. Une deuxième série («Mauvais Rêve») où il s’agissait de «montrer ce qui ne se voit pas, ce qui ne se sent pas» ; s’employer, par la mise en scène – film plastique, bulle –, à tenter de révéler «l’invisible» : les résidents autour de Fukushima devaient montrer euxmêmes la frontière entre «ce qui était contaminé» et ce qui ne l’était pas. «La fiction révélait alors le réel, et non l’inverse», disent-ils. Elle s’en approchait. avait laissés ouverts…» Ou encore cet imprimeur, qui leur confie : «Au début, je ne pouvais même pas rester une heure ici. Désormais, le fait de dire qu’on va revenir permet de garder le moral, de rester en vie.» Ou enfin cette famille éplorée avec son enfant, dans un gymnase, qui redécouvrent aux côtés des photographes les lieux trois ans après, «comme si nous nous transformions en guide de la région auprès d’anciens habitants»… Un fil ténu compliqué à tenir, auprès d’habitants à fleur de peau. Sans parler des autorisations nécessaires pour gagner ces lieux plus ou moins chargés de césium. Herbes folles et plantes grimpantes Au départ, les deux photographes avaient commencé leur travail en s’affranchissant de ces contraintes. Ils ont été arrêtés. «Le système japonais est fait de telle manière qu’on a mis plus d’un an à comprendre comment obtenir des autorisations, comment trouver la bonne personne… Tout le monde se renvoyait la balle pour ne pas prendre la responsabilité de nous en donner. C’était infernal.» Il leur a fallu aussi obtenir des autorisations pour les «L’étrange et la banalité» personnes voyageant avec eux. «Dans Pour y parvenir, Carlos Ayesta et les zones comme Futaba, les habitants Guillaume Bression demandent à ont le droit de revenir un certain nombre d’anciens habitants –parfois les pro- de fois par an seulement… Et il fallait priétaires des lieux – de revenir dans donc leur demander de griller un ticket leur commerce ou leur école, de pous- pour nous !» ser les portes de ces endroits autrefois Après cette série qui leur a demandé si balisés. «L’étrange et la banalité se trois à quatre semaines de prises mêlent alors dans nos photographies.» de vue et des mois de préparation et qu’ils cosignent («Le pre«Au début, je ne pouvais même pas mier qui a une idée de photo charge de la faire et rester une heure. Désormais, le fait se l’autre l’assiste et inversede dire qu’on va revenir permet de ment»), Carlos Ayesta garder le moral, de rester en vie.» et Guillaume Bression ont poursuivi leur quête Un ancien habitant de la région contaminée gramscienne autour d’un La série «Revenir sur nos pas» a été monde qui se meurt, d’un autre qui réalisée ainsi. «C’est parfois la per- tarde à (re)naître. sonne qui nous a amenés au lieu, mais, Une quatrième série, «Nature», monsouvent, c’est le lieu d’abord qui a attiré tre comment herbes folles et plantes notre attention», racontent Carlos grimpantes mangent toute présence Ayesta et Guillaume Bression. humaine et recouvrent maisons, voiA l’image, il peut s’agir, par exemple, tures, traces d’une partie d’une civilidu propriétaire d’un restaurant ou sation qui a joué avec l’atome. «Une d’un magasin ou d’un simple client du nature qui efface progressivement les tracoin. «Nous partions du principe que ces de l’homme.» Des hommes qui s’efn’importe qui, dans la vraie vie, pouvait facent. Avoir tenté de montrer des hualler faire ses courses dans un super- mains dans un décor qui ne l’est plus, marché ou s’arrêter sur le bord de la ou des fantômes dans un décor pas si route manger dans un restaurant.» fantomatique que ça: c’est tout le méLeurs images captent ainsi une hor- rite et la force de ce travail d’archiviste loge qui a littéralement fixé l’heure du qui sera exposé à Tokyo en 2016 (1). tremblement de terre (14 h 46), mais Etrangement, cette région-là de ne racontent pas l’odeur de putréfac- Fukushima post-tsunami nucléaire tion de la nourriture laissée à l’aban- évoque une autre mise entre parenthèdon. Il leur reste aussi quelques frus- ses, un autre drame ayant frappé une trations, ces lieux repérés, ces endroits grande puissance renvoyée à son imfascinants et/ou bouleversants qu’ils puissance. Celui qui, en 2005, a transn’auront pas pu fixer, faute d’accord formé, et vidé de ses habitants, pour des propriétaires. Il leur reste enfin un temps plus court, La Nouvelle-Ordes témoignages, troublants, comme léans post-ouragan Katrina, autre cette coiffeuse de Tomioka: «A chaque «lieu apocalypse» intimement vécu et fois que nous revenons, je remarque que décrit dans ces colonnes. Où l’humain quelque chose a changé. Une fois, c’était n’est plus qu’un pointillé. • le réfrigérateur qui avait été déplacé, une (1) Et en partie visible aussi autre les rideaux fermés alors qu’on les sur www.fukushimanogozone.com A Namie, une des villes abandonnées. En haut, Katsuyuki Yashima dans son atelier de sidérurgie, qu’il ne compte pas réouvrir. En bas, Chiaki Watanabe dans une librairie. Cicontre, Hidemisa et Michiko Otaki dans leur ancien salon de coiffure, à Tomioka. Cidessous, de gauche à droite, Noboru Eda dans un magasin de musique à Namie, Yasuhi Ishizuka dans un pachinko (salle de jeu) de Tomioka, et Rieko Matsumoto dans une laverie à Namie. LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 GRAND ANGLE • 53 LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 PORTRAIT OSUNAARASHI Dénonçant les égorgements de Daech, ce sumo égyptien est le premier sportif musulman à lutter parmi l’élite japonaise. Mou baraque Par ARNAUD VAULERIN Photo JÉRÉMIE SOUTEYRAT L a mise en garde de son entourage était très claire: pas question de parler de politique et de religion. On n’a pas eu besoin de braver l’interdit, Osunaarashi l’a brisé de lui-même. Après la décapitation de deux ressortissants japonais par les égorgeurs de l’Etat islamique, le lutteur égyptien de sumo a voulu évoquer la «folie des tueurs qui n’ont rien à voir avec l’islam». En quelques phrases, il dit son «incompréhension», sa «tristesse» pour le peuple japonais et aussi «pour ce qui s’est passé en France». C’est simple et sincère. Comme une évidence qu’il croit bon de formuler, l’adresse est livrée sans artifices, dans le dénuement boisé de son écurie glacée, à Tokyo. Campé sur un tatami doré, le lutteur de confession musulmane prend les devants, peutêtre pour anticiper les questions auxquelles il a appris à parer. Et vite, on ne parle plus que de lui, de cette «pression pesante» d’être à lui seul «l’incarnation du Proche-Orient, du monde arabo-musulman», un «pont entre deux cultures» qui sont, en fait, deux planètes. Dans son splendide isolement insulaire, le Japon est à mille lieues du bouillonnant carrefour méditerranéen de l’Egyptien Osunaarashi. Distance et méconnaissance. Le jeune Cairote de 23 ans a eu le temps de s’en rendre compte depuis trois ans et demi qu’il vit dans l’archipel. On voudrait le voir comme un ambassadeur d’Allah sans savoir que cet Africain affable s’est tatamisé au point d’avoir intégré dans son panthéon mystique des signes et des rites sumos qui feraient bondir les ayatollahs de la tradition. Entre insinuations et appréhensions, il a eu droit à tous les coups de sonde sur l’islam, le Coran, la consommation d’alcool et de porc, la signification des cinq prières par jour, le jihadisme. Mépris et amalgames («musulmans, tous terroristes») ont fusé depuis janvier, une profonde lassitude s’est installée. Il va jusqu’à parler de «survie» et de «lourde responsabilité». Mais c’est d’abord sa singularité qui surexpose ce pudique colosse poilu à fossettes. Dans l’univers du sumo où les Japonais s’acoquinent avec les Mongols, les Russes et les Européens de l’Est et où le shintoïsme fraye, sans vergogne, avec le bouddhisme et l’orthodoxie, Osunaarashi fait figure d’extraterrestre. Avec ses 189 cm et 155 kilos, il est le seul musulman, le premier rikishi («lutteur») arabe issu d’un pays d’Afrique à intégrer la division makuuchi, l’élite des sumos. Cette étrangeté ne s’est jamais émoussée, car elle est au cœur de sa drôle d’histoire. Il a 14 ans quand, dans la salle de mus- culation, où il lève de la fonte depuis trois ans, il voit un type enchaîner des exercices sur une jambe, le buste à l’équerre, le corps en équilibre. Ce dernier se livre au shiko, ce mouvement dans le combat sumo qui consiste à frapper le sol avec les pieds pour chasser les esprits. Issu d’une «famille pieuse et soudée», Osunaarashi s’appelle alors Abdelrahman Shalan et vit en banlieue du Caire. Le lutteur amateur suggère à l’adolescent armoire à glace de se lancer dans le sumo. «Mais, je trouvais ça laid et ridicule. Entre copains, on se moquait de ce sport d’éléphants.» Il finit par accepter «pour s’amuser» et, plein d’une superbe orientale, prévient avant de combattre: «Je vais tuer tous vos lutteurs.» Il affronte sept rikishi EN 6 DATES et sept fois il se fait «botter le cul». L’habileté, plus que la Février 1992 Naissance puissance, est le gage de la de Abdelrahman Shalan victoire. Avec ses 120 kilos, au Caire. 2006 Découvre l’orgueilleux en prend pour le sumo. Août 2011 Devient son grade face à des gabarits Osunaarashi et premier voyage au Japon. de 65 kilos. Le soir même, il Mars 2012 Intègre l’écurie est vissé sur sa chaise devant Otake à Tokyo. Juillet 2013 son ordinateur pour se ren- Accède à la division seigner. C’est l’odeur de sa makuuchi, l’élite des sumos. transpiration qui lui fait réa- A partir du 8 mars liser, le lendemain matin, Participe au tournoi qu’il a passé toute la nuit sur d’Osaka. Internet. Il est converti. Il rejoint le club amateur, apprend à «montrer [ses] fesses», chose inconcevable dans sa culture. Remporte des victoires, puis des championnats en Estonie, Bulgarie. Les études de gestion et comptabilité à l’université du Caire attendront. Car tout reste à faire pour réaliser son rêve, «aller au Japon et devenir yokozuna», le rang le plus élevé dans la hiérarchie des sumos. C’est plein de candeur adolescente, mais nul doute que la détermination égotiste est déjà là. Abdelrahman Shalan sacrifie le confort de la vie en famille qu’il chérit et répudie sa petite amie qui se mariera avec un autre. Il devient Osunaarashi, la «grande tempête de sable». C’est ainsi qu’il signe sa lettre de motivation envoyée aux écuries de sumo qui acceptent des étrangers. Une seule répond, c’est un refus. «Pour moi, c’était un signe d’espoir.» Il saute dans un avion en août 2011, sans parler un seul mot de japonais, persuadé que «Bruce Lee est un grand acteur japonais». Il frappe à la porte de l’écurie Otake. «C’est un passionné qui m’est apparu, tellement plus passionné que les Japonais, se souvient Otake Tadahiro, le directeur de l’écurie. Je lui ai proposé de faire un entraînement. Il était impressionnant, puissant et modeste. Il en voulait.» Ce jour-là, blessé, épuisé et mal entraîné, Osunaarashi perd ses 20 combats. «Tu as l’air fatigué», lui demande l’entraîneur après chaque défaite. La réponse ne varie pas: «Non, ça va, on continue.» Osunaarashi gagne son ticket pour un essai d’un mois. «On a vu arriver un grand gamin avec seulement 4000 yens en poche [30 euros] et un tout petit sac de sport en guise de valise, raconte Ayumi Sato, la secrétaire de l’écurie. L’hiver arrivait et il n’avait quasiment pas de vêtements.» Cette nouvelle vie a beau être le «début du rêve» pour Osunaarashi, elle est loin d’être rose. Etre rikishi peut se résumer à une longue épreuve, un «enfer» selon l’Egyptien. Pendant, un mois, tous les jours, il est le préposé à l’épluchage des légumes et au nettoyage des toilettes, du dohyo (la «salle de lutte») et de la vaisselle. Tadahiro: «Je voulais savoir s’il était vraiment sérieux. Il s’est plié à tout.» Osunaarashi s’est initié aux rites quotidiens d’une vie collective quasi monacale faite d’obligations, d’entraînements, de repas pantagruéliques (sans porc pour lui), de siestes et de rares moments d’une infinie solitude devant un écran d’iPad à regarder des dramas égyptiens. «Je ne lui laisse pas le temps de sortir pour aller voir des copines», confie Tadahiro en autoritaire qui se marre peu. Ça tombe bien. Tout entier dédié à l’accomplissement de son rêve, Osunaarashi n’aime «pas beaucoup les temps libres, ces moments ennuyeux à boire des cafés avec les autres». Il préfère «skyper» avec les amis ou la famille au Caire. Il est un athlète qui a grandi trop vite, et trop loin de siens. «Il ne se confie pas beaucoup, seulement pour dire qu’il a besoin des câlins de sa maman», témoigne sa mère poule d’adoption, Ayumi Sato. Les moments d’abattement ne manquent pas. Souvent, «à 2-3 heures du matin», il s’assoit sur le bord du lit, ouvre son sac, prêt à partir. «Mais est-ce que je vais tout arrêter avant la fin, alors que mon rêve est devant mes yeux?» Jusqu’à présent, Osunaarashi s’est toujours recouché pour mieux se projeter. • JEUX_03:LIBE09 06/03/15 16:34 Page1 LIBÉRATION SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 Libération est une publication du Groupe PMP Directeur général Pierre Fraidenraich Directrice Marketing et Développement Valérie bruschini Cogérants Laurent Joffrin François Moulias Directeur opérationnel Pierre Fraidenraich Directeur de la publication et de la rédaction Laurent Joffrin Directeur en charge des Editions Johan Hufnagel Libération www.liberation.fr 11, rue béranger 75154 Paris cedex 03 tél. : 01 42 76 17 89 Edité par la SarL Libération SarL au capital de 15 560 250 €. 11, rue béranger, 75003 Paris rCS Paris : 382.028.199 Durée : 50 ans à compter du 3 juin 1991. associés: Sa investissements Presse au capital de 18 098 355 € et Presse Media Participations SaS au capital de 2 532 €. 6 Directeurs artistiques alain blaise Martin Le Chevallier abonnEMEntS [email protected] abonnements.liberation.fr tarif abonnement 1 an France métropolitaine : 391€. 9 3 7 2 G 3 1 6 7 N 2 7 4 6 8 2 4 1 4 1 9 SUDOKU Caen Paris Strasbourg Brest Orléans Dijon Nantes 0,6 m/10º E U N S I Limoges 0,3 m/9º Lyon R A I Bordeaux E G 9 9 L’APRÈS-MIDI Temps anticyclonique avec un soleil dominant sur tout le pays. Le ciel est toutefois voilé dans les régions septentrionales, sans grande conséquence sur le ressenti agréable. 0,3 m/8º La responsabilité du journal ne saurait être engagée en cas de non-restitution de documents . Pour joindre un journaliste par mail : initiale du pré[email protected] U L R LE MATIN L'anticyclone se positionne sur l'Allemagne et dans ces conditions, c'est un temps sec et ensoleillé qui domine sur tout le pays avec un ciel à peine voilé dans les régions de la moitié nord. imprimé en France Membre de oJD-Diffusion Contrôle. CPPP:1115C80064. iSSn0335-1793. I 8 2 E E SAMEDI Lille N R 55 0,3 m/9º PubLiCité Directeur général de Libération Médias 8 4 amaury médias 25, avenue Michelet 93405 Saint-ouen Cedex tél.01 40 10 53 04 [email protected] Petites annonces.Carnet. MOT CARRÉ I L A 4 6 E 4 N A 3 A L 0,3 m/12º Toulouse Nice Montpellier Marseille R S N Ajaccio 0,6 m/12º MOT CARRÉ 6 7 5 2 1 4 8 3 9 I T C N A O R 2 3 9 5 8 6 7 1 4 F A O R I T N C E 4 1 8 7 3 9 2 5 6 R E N O A C I T F 3 8 6 9 2 7 5 4 1 E F T C R O I A 5 9 7 8 4 1 6 2 3 A O I T E F R N C 1 4 2 6 5 3 9 8 7 C N R I O A E F T 9 5 4 3 7 2 1 6 8 T C A N R O F E I 7 2 3 1 6 8 4 9 5 N R E F C I T A O 8 6 1 4 9 5 3 7 2 O I F A T E C R N E F N 0,3 m/13° Cordages. Mesdames, messieurs, responsables des lieux de culte de toutes religions en France, signez en faveur de la liberté d’expression. A p p ro u vez c et te p ro c l a m ati o n s u r w w w.r sf.o rg Proclamation sur la liberté d’expression LE PLURALISME AU SERVICE DE NOS LIBERTÉS FRANCE 1/14 1/17 5/14 -1/17 1/16 5/16 -3/13 FRANCE MIN/MAX Ce sont les conditions du respect du pacte républicain et des droits de tous dans une société démocratique pluraliste et tolérante. 5/13 1/13 9/26 4/13 3/12 1/19 -16/-2 LUNDI Avec la présence de l'anticyclone sur l'Europe de l'ouest et centrale, c'est un temps sec et ensoleillé qui domine. La douceur est omniprésente l'après-midi. 0,1 m/8º 0,3 m/9º Lille 0,1 m/9º Lille 0,3 m/9º Caen Caen Paris Paris Strasbourg Brest Strasbourg Brest Orléans Orléans Dijon Nantes Dijon Nantes 0,3 m/9º Certains peuvent se sentir offensés ou blessés par la critique de leurs croyances, notamment sous la forme satirique. Mais la liberté d’information et d’expression, celle des journalistes comme des citoyens, ne saurait être contrainte ou limitée par les convictions ou les sensibilités des uns ou des autres. MIN/MAX Alger Bruxelles Jérusalem Londres Berlin Madrid New York DIMANCHE Elle ne reconnaît ni ne condamne le sacrilège ou le blasphème. Chacun est libre d’exprimer et de diffuser des critiques, même irrévérencieuses, envers tout système de pensée politique, philosophique ou religieux. La liberté de conscience, qui est celle de croire, de pratiquer une religion, ou de ne pas croire, est aussi garantie par la Convention européenne des droits de l’homme et la Constitution. Elle doit naturellement s’appliquer sans discrimination. SÉLECTION 0/14 1/15 1/21 5/16 1/20 3/16 6/14 Dijon Lyon Bordeaux Ajaccio Toulouse Montpellier Marseille Temps calme avec un ciel limpide ou un soleil à peine voilé. Les nuages se font un peu plus nombreux en Bretagne, en marge des perturbations britanniques. La liberté d’expression est garantie par la Déclaration des droits de N o J Q OOG G V F W E K V Q [ G P F G S W K C H Ƃ T OG S W G p N C N K D T G E Q OOW P K E C V K Q P des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de N o J Q OOG | V Q W V E K V Q [ G P R G W V F Q P E R C T N G T Å E T K T G K OR T K OG T N K D T G OG P V U C W H à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ”. La loi française sanctionne l’injure, la diffamation et la provocation à la haine raciale, à la discrimination ou à la violence envers des personnes ou des groupes de personnes, mais non la critique des idées, des symboles et des représentations. MIN/MAX Lille Caen Brest Nantes Paris Nice Strasbourg 0,1 m/9º Lyon Lyon Bordeaux Bordeaux IP 04 91 27 01 16 1 iMPrESSion Midi-print(Gallargues), PoP(LaCourneuve) Service commercial [email protected] 4 3 Directeur administratif et financier Chloé nicolas rédacteurs en chef Christophe boulard (tech.) 3 5 Jean-Michel Lopes tél. : 01 44 78 30 18 Libération Medias. 11, rue béranger, 75003 Paris. tél. : 01 44 78 30 67 Directrice Marketing et Développement Valérie bruschini, SUDOKU FACILE 7 Matthieu Ecoiffier (pol.) 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