Discours pour l`Inauguration de la Maison pour la science en Alsace
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Discours pour l`Inauguration de la Maison pour la science en Alsace
Discours pour l’Inauguration de la Maison pour la science en Alsace Yves Bréchet, 14 novembre 2013 Chers amis L’inauguration de la Maison pour la science en Alsace, sous l’égide de la Fondation La main à la pâte dont j’ai l’honneur de présider le conseil scientifique, est pour moi un moment à la fois agréable et solennel. Agréable, car je suis le « parrain » de cette maison, et que j’en ai suivi la mise en place, et que je suis heureux de la voir maintenant sur les rails… L’esprit humain est ainsi fait que les difficultés une fois surmontées deviennent des péripéties que l’on se raconte comme de bons souvenirs… La maison de Strasbourg a devant elle une belle carrière à construire… Et étant moi‐même mi‐Alsacien mi‐Auvergnat, j’ai une vocation toute trouvée à œuvrer au rapprochement entre Strasbourg et Clermont Ferrand ! Solennel, ce moment de réjouissance l’est aussi car il lève un coin de voile sur l’ampleur de la tâche à accomplir comme un défi à relever, comme un défi pour le scientifique, pour le formateur, pour le citoyen. Car cette maison, parmi les toutes premières qui sont lancées par la fondation La main à la pâte de l’Académie des sciences, s’inscrit dans une entreprise de fond, construite dans la durée depuis plus de quinze ans pour réintroduire à l’école primaire, au collège, la science comme une composante essentielle de la culture des enfants et des futurs citoyens. Cette entreprise, initiée par le regretté Georges Charpak et par Yves Quéré et Pierre Lena, comme toute les idées puissantes, est issue d’une idée simple. Pascal l’avait dit il y a fort longtemps : « on ne se convainc pleinement que par les raisons que l’on a trouvées par soi‐même ». Il n’est pas question de gommer la différence entre le maître et l’élève, ni de prétendre renverser le flux du savoir. Mais il est essentiel que les enfants apprennent la science en s’en approprient la démarche, en faisant l’expérience du questionnement, de cet éclair de curiosité devant le phénomène découvert puis patiemment observé, de cette ascèse que constitue une mesure soigneuse, de cette jubilation de retrouver la nature au rendez‐vous du calcul. Issue des sciences de l’observation et de la nature, appliquée tout d’abord dans les classes du primaire, la démarche d’investigation trouve maintenant le chemin du secondaire, s’enrichit de nouvelles sciences, des sciences mathématiques et numériques, des sciences de l’ingénieur. La Fondation est au service des enfants, et au service des professeurs, les maisons seront un lieu où les enseignants pourront recevoir des formations données pour moitié au moins par les praticiens des sciences, chercheurs, ingénieurs. Ils rencontreront la science parce qu’ils rencontreront les scientifiques, ils en sentiront la richesse en la découvrant eux‐ mêmes, et cette passion qu’ils auront rencontrés chez les intervenants, ils la transmettront naturellement aux enfants qui leurs sont confiés. Car c’est cela « La main à la pâte », c’est ce qui doit transpirer dans chaque formation que ces murs vénérables abriteront, non pas seulement une connaissance scientifique et une pratique du raisonnement, mais une chaine enthousiaste pour comprendre et construire. Vous êtes le fer de lance de cette réappropriation des sciences par les générations montantes, vous êtes ceux par qui à nouveau nos enfants auront envie de participer à cette formidable aventure qui conduit à un peu mieux comprendre le monde qui nous entoure , et aussi à le maîtriser autant qu’à le respecter. La passion de comprendre est le plus sûr rempart contre le fanatisme, l’obscurantisme, l’intolérance. Ce ne sont pas seulement des élèves que vous allez former en aidant leurs professeurs, ce sont des citoyens adultes et responsables. Point n’est besoin de pensée magique pour qui a goûté au plaisir de comprendre. La main à la pâte a été dans toute son histoire un lieu de créativité, d’innovation. Cette créativité, nous comptons sur vous pour la conserver, pour l’amplifier. Ce n’est sûrement pas pour ossifier une belle idée dans une institution corsetée d’acronymes barbares que les maisons ont été créées. C’est pour pouvoir construire dans la durée, sous l’égide d’une Académie des sciences qui est à votre service et qui vous protège de son indépendance. Cette académie est là depuis 1666, née sous la protection de Colbert… cela lui donne quelque droit de regarder avec philosophie les trains de réformes qui passent… Les maisons sont des pépinières d’idées qui pourront y croitre avant d’être mises en pleine terre. C’est pour faire naître les nouvelles formations, celles qui renoueront le fil entre les sciences de l’observation et le calcul, celles qui associeront démarche d’investigation et ouverture sur les développements des sciences les plus récents, celles qui offriront des expériences de coin de table aussi bien que celles qui donneront accès à des plateformes technologiques de pointe. Il me prend à rêver de formations des enseignants qui apprendraient, par une démarche d’investigation, la science et non une version compartimentée, caporalisée dirais‐je même que nous devons à un Auguste Comte dont on oublie trop souvent qu’il est mort fou. Ces formations, pensées avec les professeurs des écoles primaires et du collège, seront capables d’assurer ce lien essentiel entre l’enfance où on découvre et l’adolescence où l’on s’affirme. Il y a milles nouvelles voies à explorer, les maisons sont là pour y aider, non pas dans une agitation vibrionnante, mais dans un mouvement de fond, alliant l’investigation et l’information avec la seule règle que l’enseignant ne soit pas passif, pas plus que l’enfant qu’il éduquera à son retour en classe. La semaine dernière, nous inaugurions avec certains confrères et collègues ici présents, la Maison pour la science de vos voisins, à Nancy. Les maisons sont différentes, et cela est bien. Il importe qu’elles se connaissent, qu’elles échangent leurs bonnes pratiques, mais aussi les difficultés rencontrées. Il importe qu’elles partagent cette aventure pour qu’elle leur devienne commune et que progressivement, les académies qui n’ont pas encore de Maison pour la science en inventent une à leur main… Strasbourg, Nancy, Clermont‐ Ferrand, Toulouse, Bordeaux, Orléans, Grenoble, Lille, Rennes… pourquoi voudriez‐vous qu’elles fussent semblables alors qu’elles illustrent la variété de nos régions ? Et pourquoi ne s’enrichiraient elle pas mutuellement de leurs différences quand elles sont portées par une même volonté tenace et calme : redonner le goût des sciences ! Vous, Strasbourg, une grande université, une académie ramassée, une frontière grande ouverte sur nos voisins d’outre Rhin… en montrant le soleil aux enfants, vous pourrez aussi leur apprendre que Hans Bethe qui comprit l’origine de sa clarté était natif de Strasbourg ! Pasteur qui donne son nom à votre prestigieuse université n’est pas seulement cet icône de la troisième république qu’enfant je voyais sur les billets de banque, c’est aussi l’auteur d’expériences admirables décrites dans une langue austère et précise et dont l’enchaînement limpide fait que ce n’est pas seulement le résultat sur la génération spontanée qui nous enchante, mais le fait même d’avoir fait ensemble le chemin de la découverte. Toutes les maisons n’ont pas nécessairement à portée de vélo trois prix Nobels, faites en profiter toute la France ! L’esprit des maisons qui doit nous animer tous est de mutualiser nos expériences. Tout comme on démultiplie l’effort en accompagnant les professeurs dans la démarche scientifique afin qu’eux même accompagnent les enfants, on amplifiera le succès de chaque maison en le partageant avec toutes les autres. La présence de l’Académie des sciences, le conseil scientifique de la fondation, sont précisément là dans cet esprit de mutualisation et de démultiplication. Non pas une cohorte de vieux messieurs déguisés avec des jaquettes à lauriers verts et des bicornes à plume, mais des scientifiques de toutes disciplines avec un enthousiasme intact et communicatif qui sont là pour vous aider de leurs questions, de leurs interrogations, de leur carnet d’adresse parfois, pour que la science se faisant soit celle‐là même que vous pratiquerez dans cette maison, et que vous ramènerez dans vos établissements. Vous êtes au sein de l’université parce que c’est là que vous devez être pour que les chercheurs viennent vers vous, pour que les thésards viennent donner leur passion en témoignage. Le rectorat est intimement associé à cette aventure car il est impératif pour que le succès soit au rendez‐vous, que cette démarche soit portée au sein même de l’éducation nationale. Le développement professionnel des professeurs qui est votre mission est une question difficile, et sa relation avec la formation initiale demande à être affinée. Mais n’est‐ il pas évident que ceux qui ont vocation à instruire ne doivent jamais cesser d’apprendre ? Le défi que vous avez à relever n’est pas mince : conserver la capacité d’innover tout en proposant une offre de développement professionnel structurée, reconnaitre l’effort de se former sans éteindre la curiosité de la découverte. C’est pour relever ce défi que la fondation insiste sur la certification des formations et leur reconnaissance par l’université. C’est pour aider à ce renouvellement que le conseil scientifique est à votre service, vous est ouvert. Je voudrais terminer ces propos par une réflexion qui me tient à cœur, concernant deux nouveautés dans La main à la pâte : s’adresser non plus seulement aux enfants mais aussi aux adolescents, et mettre au menu les sciences de l’ingénieur. Ces deux nouveautés ne sont pas à mes yeux sans lien. Citons encore Pasteur : « il n’y a pas de science pure et de science appliquée, il y a la science et les applications de la science ». Combien est précieuse cette distinction… On a coutume de distinguer des archétypes de scientifiques : Niels Bohr pour qui la compréhension est la motivation dernière, Edison pour qui l’application est la justification de l’effort, et Louis Pasteur qui au long d’une exceptionnelle carrière mêle étroitement la recherche fondamentale et les applications de la recherche sans plaquer une hiérarchisation stérile sur ces deux facettes, ou l’une serait plus noble et l’autre plus utile…Je me surprends parfois à penser qu’on ne lit pas assez Pasteur… « Comprendre pour comprendre » et « Comprendre pour faire », cela commence d’abord par « comprendre ». De la même façon que La main à la pâte a réussi à faire redécouvrir chez l’enfant la propension naturelle à observer, à analyser, à disséquer, il faut que nous réussissions à redonner vie aux objets quotidiens, aux technologies familières, de façon que la propension naturelle de faire, de construire puisse à nouveau s’exprimer. Il faut que l’enfant apprenne à s’étonner de nouveau de ce qu’appuyer sur un interrupteur lui donne de la lumière. J’aime rappeler que le grand Newton, le paradigme du savant abstrait qui veut comprendre l’univers, citait de son enfance sa passion pour réaliser des moulins pour profiter du flux des torrents. Cette réflexion sur les vertus de l’objet technique dans la formation de l’esprit scientifique n’est pas disjointe de la réflexion encore largement à mener, sur la formation des adolescents. Je me suis souvent demandé en vieux célibataire bougon comment avec des enfants aussi intelligents on arrivait à faire des adolescents aussi exaspérants (oubliant sans doute à quel point j’avais dû être épouvantable à cet âge‐là…). L’adolescent s’affirme au monde, il doit trouver un exutoire à l’énergie qui sourd en lui. Il s’affirme en détruisant ou en construisant. L’amener à comprendre pour faire est aussi une façon de l’amener à s’affirmer de manière constructive. J’ai été bien long, j’espère que vous me le pardonnerez. Marcel Achard disait qu’il lui importait assez peu de voir les gens dans l’auditoire regarder leur montre pendant qu’il discourrait, mais qu’il s’inquiétait quand il en voyait certain la porter à l’oreille pour vérifier qu’elle fonctionnait encore ! J’espère ne pas avoir atteint ce stade avec vous. Je vous remercie de votre attention.