Motricité digestive du nouveau né à terme et prématuré :haut et bas

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Motricité digestive du nouveau né à terme et prématuré :haut et bas
Motricité digestive du nouveau né à terme et prématuré :haut et bas (II).
M. Scaillon, HUDERF, BRUXELLES
INTRODUCTION. Le tube digestif (TD) a parmi ses fonctions celle de propulser des matières au bon niveau,
au bon moment et sous la bonne forme, qu'il s'agisse d'ingestion ou d'élimination. Il est pourvu d'un système
neuromusculaire dont la composition et le fonctionnement différent selon les secteurs concernés. On observe
que la maturation des fonctions motrices suit une chronologie propre à chaque niveau du TD. A la naissance
toute zone encore immature compromettra donc le succès d'une alimentation orale voire entérale. Certaines
stimulations accélèrent les processus naturels de maturation neuronale et neuroendocrinienne, d'autres
comme le stress, l'inflammation, la diète, la colonisation microbienne peuvent modifier l'expression de
neurotransmetteurs ou de récepteurs.
MATURATION DE LA MOTRICITE DIGESTIVE APRES LA NAISSANCE .
a. Déglutition. La déglutition comporte 4 phases distinctes: la phase orale préparatoire (préhension buccale,
formation du bolus), orale, pharyngée et œsophagienne. Fait nouveau à la naissance, la déglutition nécessite la
coordination des mouvements de la succion-déglutition et de la respiration. Ceci nécessite une maturation des
nerfs crâniens innervant au niveau des muscles de la face, la langue, le pharynx, insuffisante avant S32-34 (1).
Les prématurés de moins de S34 présentent fréquemment de la fatigue et de fausses voies car, s'ils prennent
bien le mamelon en bouche, leur succion n'est pas puissante et la pression laryngée ainsi que la relaxation
concordante du sphincter supérieur de l’œsophage ne sont pas optimales (1,2). A l'apparition des succions
nutritives (S34-35), les déglutitions se déclenchent après 7 succions (au rythme d'1/sec) et, à terme, après 30
succions (2/sec). On observe que, au fil de ses premiers repas, l'enfant né à terme améliore encore ses
performances à condition d’être régulièrement et sereinement stimulé. Selon le degré de prématurité, les
performances sont donc différentes à la naissance et leur évolution est d'autant moins rapide que l'âge PC et le
poids de naissance pour l'âge sont bas. Des stimulations des joues, lèvres, langue et palais, appliquées à des
prématurés nés à S29, non encore alimentés, permettent d'espérer une alimentation orale plus précoce de 3 à
5 jours (3, 4, 5). Elles sont possibles par manipulations au doigt ou par l'usage de tétines spéciales qui
provoquent passivement des mouvements mimant les séquences de déglutition non nutritive. La métanalyse
sur ce sujet datant de 2005 ne trouvait pas d'études suffisamment probantes dans la littérature (6). Si l'exercice
de la succion non nutritive en rapport avec les infusions de repas peut renforcer le réflexe conditionné de
succion, il influencerait également la production de peptides digestifs (ex: gastrine augmentée, somatostatine
diminuée) favorisant temps de transit gastrointestinal et donc la tolérance à l'alimentation et la prise de poids
(7).
b. Motricité oesophagienne. La miniaturisation des sondes permettant à la fois de nourrir et d’explorer par
manométrie et plus récemment par impédancemétrie, autorise l’étude de la motricité de l'œsophage et de ces
sphincters. Si à S32 un péristaltisme secondaire est provoqué par la distension locale, il faut attendre S33 à S36
pour qu'il soit stimulé par l’acide. La réaction de clairance d'un reflux gastrique n'est donc pas d'emblée
optimale. Chez la majorité des prématurés de S30 à S35, le premier segment moteur, correspondant à la zone
musculaire striée, et troisième segment correspondant à la musculature lisse distale, ne sont pas matures.
Après une déglutition, cette chaîne péristaltique n'est complète que dans 26% +/- 6% chez ces prématurés vs
55% +/- 9% chez les enfants à terme (8). La motricité œsophagienne devient aussi plus efficace, même au delà
de terme, par l’augmentation de la vitesse de propagation et de la pression intrabolus. Des manométries
stationnaires perfusées ont démontré une bonne maturité du SIO chez le prématuré de < S34, il se relaxe
adéquatement lors des séquences péristaltiques ou lors de relaxations inappropriées, cette zone de plus haute
pression est certes présente mais a un tonus de base post prandial un peu faible surtout en phase post
prandiale ( 20.5 +/- 1.7 mm Hg avant et 13.7 +/- 1.3 mm Hg après repas (P < 0.0005) (9)
c. Motricité gastroduodénale. L'efficacité de la motricité du TD est, théoriquement, facile à étudier par une de
ses conséquences: la vidange gastrique (VG). Le mécanisme de la VG gastrique des liquides met en jeu le
fundus qui joue un rôle important par sa compliance et par son effet "pressoir". Le pylore et le duodénum
présentent une activité tonique et forment une unité fonctionnelle orchestrée par des messages neuronaux et
hormonaux. Il est donc plus juste de parler de motricité gastro-duodénale. La VG est médiocre avant S28 et
s'améliore ensuite avec la démonstration d'une coordination correcte des activités motrices entre l'antre, le
pylore et le duodénum (10). A la naissance le fundus est peu compliant mais, au cours des premiers jours de vie
de nouveaux nés à terme, la relaxation réceptive de l'estomac s'améliore, permettant un meilleur remplissage
gastrique(11). Chez le prématuré de moins de S33, le premier repas donné à débit lent ou en bolus, ne
provoque pas de réponse hormonale. La poursuite de cette alimentation entérale va provoquer, en 3 semaines,
une augmentation des sécrétions d'hormones digestives qui participent à la stimulation de la motricité. Ceci
n'est pas observé en cas d'alimentation parentérale exclusive. Certains prônent l'administration de colostrum
dès la naissance, elle aurait, sur la motricité, une influence favorable supérieure à celle obtenue par une
administration tardive (12). Les études sont nombreuses mais difficilement comparables car les groupes sont
peu homogènes et relativement modestes: le type de lait, l'osmolarité et la densité calorique de la formule, le
volume (alimentation non nutritive" d'emprunte"" ou volumes progressivement augmentés selon la tolérance)
et le débit, le rythme d'administration, l'âge PC et post natal ainsi que l'état général en particulier neurologique
et respiratoire de l'enfant, les traitements, la position lors du repas et en phase post prandiale sont autant de
variables confondantes ou de sujets d'études différents. Chez des enfants nés à S32-35 (de 1.9kg environ), le
mode d'administration de 20 ml/kg de lait en 2h, permet une meilleure motricité gastrique (vidange plus rapide
et complète, réponse motrice duodénale sur un mode plus mature) que l'administration du même volume en
15 min. Durant l'administration en 2h, seulement 25 % du volume total seront vidangés, cependant les
réactions motrices duodénales seront plus efficaces ensuite, en effet, 20 minutes après la fin de
l'administration du repas, le duodénum montre une activité motrice de type postprandiale alors qu' après un
bolus il reste inerte, reprenant ensuite son activité de jeun. Il y aurait un "frein" physiologique particulier à cet
âge, protecteur de l'immaturité motrice du duodénum. Si les réponses hormonales sont identiques dans ces
deux modes d'administration, elles ne sont pas observées en cas d'administration continue (13). L'effet de
procinétiques s'est montré favorable dans certaines études menées avant 2011 : la dompéridone (0.3 mg/kg)
chez des prématurés de S30 (14) et l'erythromycine (10mg/kg/j en 3x) chez des prématurés de plus de S32 (15).
L’acide amoxyclavulinique (16) ainsi que le massage excitant le vague (17), auraient un effet favorable sur la
motricité digestive.
d. Motricité grêle. Si, grâce aux sondes, on peut pallier aux insuffisances motrices en amont du jéjunum, il est
par contre difficile d'administrer les aliments dans un intestin dont la motricité est encore insuffisante. Les
performances de sécrétion et absorption sont, elles, rapidement matures, performants pour les régimes
adaptés aux nourrissons. Normalement, à maturité, l'intestin est animé de manière cyclique et automatique,
de complexes moteurs migrants interdigestifs (CMMI) composés de 3 séquences motrices successives: phase I
de repos, phase II de contractions locales non propagées, phase III de contractions puissantes et bien rythmées
selon le rythme de dépolarisation des myocytes soit 12 /min au niveau jéjunal et 9/min au niveau iléal. Dans la
littérature "complexe moteur migrant (CMM)" indique parfois uniquement cette phase III. Le repas rompt ce
CMMI pour le remplacer par une activité moins organisée avec des contractions plus fréquentes et plus
puissantes en même temps que le taux sanguin de motiline augmente. Le prématuré présente une motricité le
plus souvent très immature avant S36. Une étude sur 12 enfants nés à S28-42 observe successivement: à S30
des activités stochastiques, à S31 des salves de contractions au rythme de 11/min durant de 1 à 20 min et
espacées de 4 à 35 min dont 50% sont propagées aboralement. A S35 apparaissent des contractions en phases
d’aspect cyclique gagnant progressivement en durée, fréquence, puissance et succès de la transmission aborale
(18). A terme, les 3 phases sont bien présentes mais le cycle se répète à un rythme plus rapide que chez
l'adulte (18 à 45 min vs 120 min). Il existe bien entendu des écarts à cette moyenne et plus cette motricité de
jeun est immature, moins l'enfant sera tolérant à l'alimentation. Par ailleurs, le repas ne provoque pas de
modification de la motricité au début de la vie de 50 % des prématurés. Il ne provoque pas non plus
d’augmentation du taux de motiline pourtant pareil au taux de base de l’adulte à jeun. Motricité et pic de
motiline apparaitront progressivement avec la répétition des repas.
e. Motricité colique et rectoanale. A maturité, on observe plusieurs types de contractions dans le colon,
certaines non propagées malaxent (type I et II), d'autres stimulent le transit et la défécation, elles sont rares
mais très puissantes et propagées, ce sont les" contractions propagées de haute amplitude" (type III ou HAPCs
en anglais). Elles sont souvent déclenchées par les repas mais augmentent de fréquences dans certaines
circonstances. Le nouveau né présente une activité motrice colique supérieure à celle de l'enfant et de l'adulte
avec un réflexe gastro-colique très puissant. Le colon est peu étudié chez le prématuré. Chez le grand
prématuré de moins de 1kg, les premières selles sont émises après l'âge médian de 3 jours et 10 % d'entre eux
n'ont pas de selles avant J10-12. Par contre, le nourrisson à terme émet une selle méconiale dans les premières
24h. Un retard ou un étalement de son émission sont hautement suspects. Le tonus anal et le réflexe rectoanal
inhibiteur (RRAI) sont normaux chez 80 % des prématurés nés à plus de S28. Des examinateurs expérimentés et
finement équipés ont objectivé un RRAI chez 100% des enfants nés à S36-40. La défécation est réflexe, la
distension du rectum provoque la relaxation du sphincter anal interne et un réflexe de Valsalva. Le réflexe
rectoanal excitateur qui concerne le sphincter anal externe est acquis bien plus tard dans la vie au moment de
la myélinisation des fibres nerveuses lombo-sacrées.
La normalisation de la vidange colique est déterminante pour la tolérance d'une alimentation totalement
entérale chez l'enfant très immature (19), cependant l'usage de manipulations anales ou de lavement ne
semble pas accélérer le processus (20).
f. Recommandations. Il faut savoir que certaines drogues administrées aux prématurés peuvent altérer leur
motricité digestive (morphiniques, mydriatiques ...). Les revues de la littérature ne permettent pas de
recommander une attitude précise quant à l'introduction de l'alimentation chez les prématurés de très petit
poids: alimentation trophique, alimentation progressive, retardée ? (21, 22, 23). Le spectre de l'entérocolite
nécrosante est toujours menaçant.
IMPLICATION EN SITUATIONS PATHOLOGIQUES et ouvertures thérapeutiques
A l’heure actuelle, la découverte de la zone faisant frein, organique ou fonctionnel, permet d'envisager des
stratégies thérapeutiques nuancées, souvent chirurgicales, grâce à des stomies d'administration ou de
décharge et grâce aux techniques d’alimentation assistée. Les avancées en recherche fondamentale
permettent d’envisager des solutions nouvelles. En effet, des déficits d'expression de gènes, de production
d'ARNm ou de peptides dans les divers systèmes de propagation, fixation, différenciation, prolifération des
différentes cellules progénitrices, sont retrouvés dans bon nombre d'anomalies anatomiques ou fonctionnelles
du TD. On en démontre l’implication dans divers modèles animaux expérimentaux mais aussi en pathologie
humaine. Parmi celles-ci, essentiellement les diverses variantes de la maladie de Hirschsprung, l'achalasie
œsophagienne, les pseudobstructions intestinales chroniques et leurs association à des syndromes: les MEN2A
et B, les syndromes de Bardel-Bileld, Goldberg-Shprintzen, d'Haddad, d'hypoventilation centrale, de CornéliaDelange, de Mowat-Wilson, de Smith-Lemli-Opitz, de Pithopkins.... Des situations particulières dans lesquelles
l'organogénèse est anormale comme par exemple les atrésies de l'œsophage, les malrotations intestinales, les
hernies diaphragmatiques et les déficits de fermeture de la paroi abdominale s'accompagnent elles aussi de
troubles moteurs parfois désastreux. Des anomalies des CIC ont été observées dans des pathologies de la
petite enfance comme la sténose du pylore, lors de dysfonctions post-traumatiques ou post-infectieuses (24).
Ces notions nouvelles nous permettent non seulement de comprendre l'origine de déficits mais ouvrent la
porte à de nouveaux espoirs thérapeutiques. D' autres pistes très passionnantes sont celle des "messagers" et
de leurs récepteurs et celle des cellules souches prélevées au niveau du SNE. Ces cellules pourraient avoir des
effets curatifs sur les troubles moteurs digestifs et, sortant du domaine des pathologies digestives, elles
pourraient même être utilisées afin de traiter des troubles neurologiques centraux (25).
CONCLUSION. La maturation de l'efficacité de la motricité digestive est complexe et lente, elle n'est pas
achevée complètement au terme de la gestation et encore moins, bien entendu, chez le grand prématuré. Or,
pour survivre naturellement, l'organisme devrait pouvoir abandonner le mode d'alimentation parentéral
fœtale et assumer dès la naissance, une alimentation orale. La motricité digestive peut être troublée à tous les
niveaux par des maladies congénitales qu'il faudra alors diagnostiquer ou être perturbée par des circonstances
chirurgicales ou médicales liées à la morbidité périnatale. Grâce à l'évolution des connaissances et aux progrès
des techniques d'alimentation assistée, il est actuellement possible de pallier à ces défauts pour toujours ou
pour un moment, de laisser du temps au temps et même de stimuler une maturation plus rapide. Même si
certains, à juste titre, soulignent que ces efforts ont un effet bénéfique sur la durée et donc le coût du séjour
hospitalier, nous savons également qu’il y a un autre enjeu:
La possibilité, pour le nouveau né, de se nourrir suffisamment et simplement et celle, pour sa famille, de
l’alimenter correctement et sereinement sont importants pour la qualité de l'accordage et l'espoir d'une
évolution optimale de la santé globale de l'enfant.