CHRONIQUE DES ARTS PLASTIQUES DE LA COMMUNAUTÉ
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CHRONIQUE DES ARTS PLASTIQUES DE LA COMMUNAUTÉ
1er TRIMESTRE 2009 CHRONIQUE DES ARTS PLASTIQUES DE LA COMMUNAUTÉ FRANÇAISE DE BELGIQUE 32 Louise Herlemont. De la transparence à l’émergence des choses 43 Mediacité (Liège) 44 Out of Wiels 33 Harun Farocki. Clinique 34 Anne Penders. Au creux du monde 36 Jacques André. Un art consommé 37 Michael Dans. Superapocalyptisticexpialidocius 38 Sylvie Macias Diaz. Simulacres et archétypes 40 Anne Denis. Les images naturelles EDITIONS 46 Bela éditions Originaux multiples 47 D&A Lab La fausse rencontre entre l’art et le design AGENDAS ETC 48 41 Pieter Vermeersch. Le monochrome comme dispositif 42 Frédéric Lefever. L’homme ou la mesure de l’éternel transitoire M 42 / 1 4 ÉDITO Régulièrement, les figures phares apparentées au cinéma expérimental – faute d’un meilleur vocable – sont conviées à exposer leurs pièces filmiques et leurs dispositifs en des lieux habituellement dévolus à l’art contemporain. Car aujourd’hui, approcher le cinéma expérimental non en tant que genre, ce qu’il n’a jamais réellement constitué, mais au travers de la radicalité de ses œuvres singulières conduit à (ré)évaluer son infiltration toujours croissante au sein de pratiques visuelles qui lui sont contemporaines. Le dossier que cette livraison lui consacre revient sur l’apport d’œuvres fondamentales à l’évolution d’un cinéma – non commercial, s’entend – en ses formes les plus actuelles de même que retrace les lignes de faîte d’une production audio-visuelle belge marquée par la radicalité, hors des clivages conventionnels entre cinéma et vidéo, film d’art et film sur l’art, cinéma expérimental et documentaire créatif. Enfin, dans une perspective réflexive, il propose à l’analyse un questionnement sur les enjeux de ce recours privilégié par nombre d’artistes à la reprise d’images et/ ou de sons extraits d’œuvres préexistantes qu’est le found footage, sur l’influence du cinéma expérimental sur notre lecture des dispositifs artistiques contemporains et sur le redéploiement nécessaire de la fiction dans les dispositifs en circuit fermé comme mode d’émancipation de l’outil techniciste et idéologique. ÉDITRICE RESPONSABLE CONSEIL DE RÉDACTION Christine Guillaume Directrice générale de la Culture Marcel Berlanger Laurent Busine Patrice Dartevelle Chantal Dassonville Pierre-Jean Foulon Ariane Fradcourt Christine Guillaume Ludovic Recchia Daniel Vander Gucht Fabienne Verstraeten Ministère de la Communauté française, 44, Boulevard Léopold II, 1080 Bruxelles RÉDACTRICE EN CHEF Christine Jamart SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Pascale Viscardy GRAPHISME Designlab < Christine Jamart > Rédactrice en chef > l’art même n’est pas responsable des manuscrits et documents non sollicités. Les textes publiés n’engagent que leur auteur. La Communauté française / Direction générale de la Culture, a pour vocation de soutenir la littérature, la musique, le théâtre, le cinéma, le patrimoine culturel et les arts plastiques, la danse, l’éducation permanente des jeunes et des adultes. Elle favorise toutes formes d’activités de création, d’expression et de diffusion de la culture à Bruxelles et en Wallonie. La Communauté française est le premier partenaire de tous les artistes et de tous les publics. Elle affirme l’identité culturelle des belges francophones. ONT COLLABORÉ Muriel Andrin Raymond Balau Sandra Caltagirone Timothée Chaillou Laurent Courtens Emmanuel d’Autreppe Alain Delaunois Wivine de Traux Eric Dumont Renaud Huberlant Denis Laurent Christian Lebrat Daphné Le Sergent Bernard Marcelis Olivier Mignon Maria Palacios Cruz Tristan Trémeau M 42 / 2 l’ex-activiste lui-même ? C’est là sans doute que la démarche de Jacques André prend tout son sens, quand bien même ce dénouement serait accidentel. La compilation de signaux culturels, révélateurs d’une volonté de “changer la vie et de transformer le monde” (Do it ! est sous-titré Scénarios de la révolution), puis leur exposition, en piles, sous vitrine, sur présentoir ou groupés aux cimaises, ouvre une réflexion sur la marchandisation des utopies. Mister lust Miss I want more Mister do it Courtesy Galerie Catherine Bastide UN ART CONSOMMM MÉ Lust for life est le titre d’un album mythique d’Iggy Pop (1977), dont la plage générique conduit une rythmique furieuse et obsessionnelle, ultime chant du cygne d’une jeunesse encore portée par le souffle libérateur des sixties, mais déjà désabusée. C’est aussi le titre choisi par JACQUES ANDRÉ pour sa prochaine exposition à la galerie Catherine Bastide. L’allusion au “lézard” est tout à fait volontaire et s’inscrit dans la continuité d’une démarche travaillée, depuis la fin des années 1990, par les mécanismes de citation et de répétition. Si les propositions retenues pour l’occasion ne sont, à ce stade, pas arrêtées, il est cependant acquis que trois séries d’achats à répétition occuperont une place de choix : Do it !, I want more et Neu !. C’est donc à partir de ces collectes monomaniaques que nous tenterons d’éclairer l’activité de Jacques André, un artiste chômeur qui, de son propre aveu, “ne sait rien faire, sauf consommer”1. JACQUES ANDRÉ LUST FOR LIFE GALERIE CATHERINE BASTIDE 62 CHAUSSÉE DE FOREST, B-1060 BRUXELLES T +32 (0) 2 646 29 71 WWW.CATHERINEBASTIDE.COM JUSQU’AU 14.03.09 Jacques André Shopping addict De fait, Jacques André achète. Beaucoup et souvent. Quoi ? Des livres, des disques, des DVD… De qui ? C’est égal. Le choix est impulsif, dicté par le hasard des sollicitations. Mais il se trouve que la plupart des objets collectés sont des “marqueurs culturels” d’une époque, celle qui a vu naître l’artiste (1969), entre la floraison de 68 et l’émergence de la postmodernité. Plusieurs acquisitions demeurent ponctuelles, d’autres donnent lieu à des compilations systématiques. C’est le cas des marqueurs les plus lourds, best-sellers ou hits incontournables : Do it ! de Jerry Rubin, bible hippie publiée en 1970 ; Neu ! (1972), premier album du groupe allemand homonyme, flambeau du “Kautrock” (rock choucroute), ou I want more (1976), titre qui fit le succès du groupe Can. Fortement connotés, ces produits de la culture de masse s’affi chent sous l’enseigne de slogans. Slogans émancipateurs, vitalistes, riches d’espoirs et d’attentes. Mais slogans tellement actuels, tellement adaptés à l’idéologie du marché, comme prêts à l’emploi pour la pub, le marketing, le capitalisme débridé. N’est-ce d’ailleurs pas Nike qui reprit à son compte l’appel de Jerry Rubin ? Et n’est-ce pas aux faîtes de Wall Street que ce mot d’ordre a propulsé IntraMuros Spéculateur Do it !, Neu !, I want more : ces incantations sont les “mots d’ordre du jour”, indique Jacques André2. Elles ont muté en oukases consuméristes, fanions de l’individualisme forcené et du culte de l’entreprise. Ces slogans ont donc été “récupérés”, pervertis. À moins que leur concision virginale les eût d’emblée exposés à l’ambiguïté. Ou encore étaient-ils l’expression d’une nécessité intrinsèque au capitalisme, à l’étroit dans le carcan de l’État, des vieilles institutions, des partis, de la pensée construite et rationnelle. Il fallait dès lors des formules vives et tranchantes pour lâcher la bride au Capital, aiguillonner la société entière vers le seuil de déréglementation qu’il avait atteint. C’est la thèse défendue par Régis Debray pour qui “il y a une h harmonie naturelle, mais non préétablie, entre les r rébellions individualistes de Mai (68 bien sûr) et les b besoins politiques et économiques du grand capital lisme libéral”. “Congruence historique”, précise-t-il, qui “se joue dans le dos des acteurs”3. Qu’il s’agisse d’une perversion de la “libération des désirs” initiée dans les sixties, ou d’un prolongement historique atrophié, reste que Jacques André entend demeurer un consommateur lambda soumis à ses pulsions d’achat. “Do it !, indique-t-il, est un p produit qui me contrôle”4. Une emprise qui donne lieu à des “achats à répétition”, voire à des “tentatives d’épuisement”, puis de “reconstitution des stocks” : l'acquéreur essaie de se procurer tous les exemplaires d’un article disponible sur le marché d’occasion. Cette lubie raréfie le produit et augmente sa valeur. Spéculation en somme : la procédure revient à réifier les mécanismes de fluctuations des prix à l’œuvre au niveau de la finance mondiale, et plus singulièrement du marché de l’art. Ici comme ailleurs, les échanges, la circulation, la rétention et l’accumulation des titres suffisent à augmenter leur valeur. Aussi vains et abscons que ces leviers puissent paraître. L’affaire se corse encore lorsque Jacques André affecte un budget d’exposition à l’achat d’une œuvre d’un autre artiste 5. De manière encore plus nette, voici le marché renvoyé à ses propres impasses et à la circularité des références mises en jeu. < Laurent Courtens > 1 Entretien, 23.12.08 2 Entretien, 23.12.08 3 Régis Debray, Mai 68, une contre-révolution réussie. Modeste contribution aux discours et cérémonies officielles du dixième anniversaire, Maspero, 1978. Réédition, Mille et une nuits, 2008, p. 79. 4 Entretien, 23.12.08 5 Ce fut le cas chez Catherine Bastide en 2002, et à l’exposition Ici et maintenant, à Tour & Taxis, en 2001 M 42 / 36