Paedagogica Historica Déguisements, invisibilité et disqualification

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Paedagogica Historica Déguisements, invisibilité et disqualification
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Paedagogica Historica
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Déguisements, invisibilité et disqualification des gardes d'enfants en Suisse
Romande aujourd'hui
Véronique Pache Hubera
a
Department of Social Sciences, University of Fribourg, 1700 Fribourg, Switzerland
Online publication date: 13 December 2010
To cite this Article Huber, Véronique Pache(2010) 'Déguisements, invisibilité et disqualification des gardes d'enfants en
Suisse Romande aujourd'hui', Paedagogica Historica, 46: 6, 819 — 832
To link to this Article: DOI: 10.1080/00309230.2010.526349
URL: http://dx.doi.org/10.1080/00309230.2010.526349
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Paedagogica Historica
Vol. 46, No. 6, December 2010, 819–832
Déguisements, invisibilité et disqualification des gardes d’enfants en
Suisse Romande aujourd’hui
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Véronique Pache Huber*
Department of Social Sciences, University of Fribourg, Boulevard de Pérolles 90, 1700
Fribourg, Switzerland
Paedagogica
10.1080/00309230.2010.526349
CPDH_A_526349.sgm
0030-9230
Original
Taylor
602010
46
VeroniquePache
[email protected]
000002010
&
and
Article
Francis
(print)/1477-674X
Francis
Historica
Huber
(online)
Various factors oblige today’s parents to entrust their children to a child-care
worker (CCW), providing services in the domestic sphere, either at the child’s
parental house or at the day-care worker’s (DCW’s) own home. Taking this into
account, this paper examines job offers and applications for DCWs published in a
regional Swiss newspaper as well as other job offers and applications published on
a website called bestnounou.ch. The parents often tend to use a variety of terms,
which do not point to the child-caring or rearing activity itself, but rather
emphasise sociological characteristics of the CCW (age, gender, civil status),
requesting, for example, a “lady”, a “grandmother”, a “student”. Thereby, the
parents present the child-care work as: (1) a secondary and temporary activity in
relation to another major stable activity (motherhood, apprenticeship, retirement);
and (2) an activity that does not require professional skills but inborn aptitudes.
Moreover, employers use as synonyms distinctive terms, which refer to various
categories of CCW and domestic workers, whose schedules of conditions and
salaries are regulated and differ. The parents’ inclination to use terms designating
the most precarious and underpaid CCW underscores the importance of child-care
in the domestic sphere. It leads also to a public image of child-care workers as
being a fragmented, unstable, little qualified and economically inconsistent
workforce, in contrast to the stable and structural need for their specific services,
allowing parents to face their familial and professional responsibilities.
Keywords: childcare; family childcare; babysitting; domestic workers; job
advertisement; Switzerland
Introduction
Cet article analyse les termes que les parents emploient couramment en Suisse
Romande pour se référer aux personnes non apparentées qui s’occupent de leurs
enfants dans la sphère domestique. Pour désigner ces dernières, nous recourrons à
l’abréviation CCW, tirée du terme anglais child-care worker.1 Pour mettre en perspective l’engagement des gardes d’enfants avec l’usage de noms utilisés pour les
désigner, nous rappellerons tout d’abord les raisons qui poussent les parents à confier
leurs enfants à des tiers non apparentés. Nous établirons ensuite le répertoire des
termes se référant à différentes catégories de CCW. Puis, nous mettrons en évidence
la manière dont les parents utilisent ces termes. Finalement, nous analyserons les
caractéristiques qui sont attribuées à l’activité de CCW et qui légitiment leur bas
*Email: [email protected]
1
Etant donné la thématique de cet article et de l’ouvrage en général, le terme CCW se réfère
dans le présent texte uniquement aux CCW travaillant dans la sphère domestique.
ISSN 0030-9230 print/ISSN 1477-674X online
© 2010 Stichting Paedagogica Historica
DOI: 10.1080/00309230.2010.526349
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salaire. Comme nous chercherons à le montrer, le choix des termes utilisés pour
désigner les CCW n’est pas aléatoire, mais reflète une reconnaissance ou un déni de
leurs compétences professionnelles.
Pour établir le répertoire et l’usage des termes couramment utilisés, nous avons
consulté régulièrement les offres d’emplois parues entre mars 2009 et juin 2009
dans un quotidien suisse romand, 24 heures, et consulté un site Internet intitulé bestnounou.ch, d’où proviennent les témoignages figurant dans les pages suivantes.2
Tout en se focalisant sur les annonces, l’analyse se fonde sur une pré-enquête qui
permet de mettre en perspective les informations de ce site Internet. Cette préenquête a été réalisée avec différents acteurs directement impliqués dans la garde
des enfants. Les entretiens, qui éclairent le point de vue des parents et des CCW,
ont été menés en Suisse romande avec: les responsables des services d’accueil
familial des villes de Lausanne, Genève, Morges et Renens; la directrice d’une
agence de placement de personnel spécialisé dans la garde d’enfants; une dizaine de
CCW, qui ont évoqué leur expérience professionnelle ainsi que celle de leurs
connaissances travaillant dans le même domaine; des entretiens téléphoniques avec
une trentaine de femmes ayant répondu à une annonce demandant une personne
disposant d’un permis, d’expérience et de références et disposée à s’occuper d’un
bébé.
La nécessité structurelle de la garde des enfants dans la sphère domestique
La demande pour des CCW permet aux membres de différentes catégories socioprofessionnelles d’articuler leurs responsabilités professionnelles et familiales. Parmi les
personnes à la recherche de CCW travaillant dans la sphère domestique, on compte en
effet: les parents actifs dans certains domaines professionnels (vente, hôtellerie et
santé), dont les horaires de travail ne correspondent pas à ceux des structures d’accueil
collectif; les parents occupant des positions de cadres et contraints, à ce titre, d’assister
à des réunions le soir ou le week-end, en dehors de l’horaire des garderies.3 On
compte aussi: les parents d’un enfant constamment malade lorsqu’il fréquente une
structure d’accueil collectif; les parents qui estiment que les enfants doivent recevoir
un suivi individuel, dans le cadre domestique; les parents qui ne souhaitent pas, pour
2Le site bestnounou.ch offre une plate-forme pour les parents et les CCW où ils peuvent
placer leurs annonces. Ces dernières concernent avant tout la Suisse Romande et, plus
particulièrement, les cantons de Genève, Vaud, Valais, Neuchâtel, Fribourg et Berne. La date
de rédaction de l’annonce est uniquement indiquée lorsque la recherche est effectuée par
catégorie particulière, par canton et ville ou village spécifiques. En juillet 2009, le site
affichait globalement, en intégrant des annonces anciennes datant de 2007, 537 annonces
placées par des baby-sitters, 501 par des “mamans de jour” et 60 par des jeunes filles au pair à
la recherche d’un emploi. Le même mois, ce site indiquait 300 familles à la recherche d’une
baby-sitter, 1162 à la recherche d’une “maman de jour” et 272 d’une jeune fille au pair. La
faible proportion des jeunes filles au pair ayant placé une annonce sur le site bestnounou.ch
n’est pas surprenante, car les jeunes filles au pair recourent à des sites consultés en principe à
l’étranger, dans une région linguistique où elles souhaitent effectuer un séjour. En revanche,
les baby-sitters et les “mamans de jour” souhaitent travailler le plus près possible de leur
domicile, voire même à leur domicile et ont ainsi intérêt à placer leur annonce dans un site
consulté par les gens de la région.
3Raffaella Sarti rapporte ainsi dans sa contribution au présent volume que 22.2 des enfants
sont confiés à des gardes d’enfants, si leur mère occupe une position de manager, est une
femme d’affaires ou une indépendante.
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diverses raisons, confier la garde de leur enfant à un membre de la famille, du moins
à un pourcentage élevé.
La garde dans la sphère domestique est en outre favorisée par différents facteurs,
spécifiques à la société helvétique, parmi lesquels il convient de mentionner: l’insuffisance du nombre de places disponibles dans les structures collectives; l’inadéquation des horaires proposés aux parents, à qui l’on offre initialement les jours ou
moments de la journée les moins sollicités (les après-midi, le mercredi), mais ne
correspondant pas à leurs besoins;4 l’indisponibilité des proches parents, en particulier des grands-parents qui ne peuvent ou ne veulent pas s’occuper régulièrement de
leurs petits-enfants; une politique migratoire favorisant l’orientation des migrant(e)s
vers l’économie domestique; une politique familiale ne prévoyant pas de congé de
maternité/de parentalité adéquat; un nombre insuffisant de jours de congé destinés à
la prise en charge d’enfants malades.
D’une façon générale, on constate que les parents rencontrent des difficultés particulières pour organiser la garde de leurs enfants pendant les deux premières années,
surtout pour un aîné. Cet état de fait se reflète dans les périodes d’engagement des
CCW recrutées par le biais d’une agence de placement spécialisée. Leur contrat dure
en principe deux ans et s’étend à quatre ans en cas de naissance d’un nouvel enfant
survenue pendant les deux premières années. La délégation d’enfants en bas âge à des
CCW est également attestée par les offres d’emploi qui sont placées par des parents à
la recherche d’une CCW susceptible de s’occuper d’un bébé de quelques mois, au
terme du congé de maternité.
Une fois que les enfants ont deux ans, les parents recourent d’une façon croissante aux structures d’accueil collectives pour différentes raisons.5 Lorsque des
parents placent leur enfant dans une crèche, ils ne renoncent pas pour autant –
comme cela a été relevé diversement (Sarti, ce volume) et confirmé dans notre préenquête – à engager, en parallèle, des CCW. Bien au contraire, ils cumulent
différents dispositifs de garde, en réaménageant leur configuration en fonction de
différents facteurs: les possibilités d’accueil existantes, leurs impératifs professionnels (changement d’emploi, du taux d’activité, du lieu de travail, de l’horaire) et les
besoins de leurs enfants.6
4Les horaires les plus sollicités coïncident avec ceux des mères, qui sont nombreuses en
Suisse à travailler à temps partiel.
5Parmi les facteurs, on peut mentionner les suivants: (1) Les parents obtiennent non
seulement une place dans une garderie, mais aussi un horaire de prise en charge conforme à
leurs besoins spécifiques. (2) Le système immunitaire de l’enfant se renforce avec la
croissance, si bien que les parents sont dispensés de s’organiser fréquemment pour le garder
ou le faire garder en cas de maladie. (3) Les parents estiment par ailleurs que les structures
d’accueil collectif offrent un contexte d’apprentissage favorable à la socialisation de l’enfant
et à son apprentissage des règles de bienséance. (4) Une fois qu’un enfant a acquis davantage
d’autonomie à partir de deux ans, ses parents estiment qu’il nécessite moins un suivi
individuel dispensé par une personne familière et le jugent apte à évoluer dans un groupe plus
large, encadré par un team changeant d’éducateurs/trices.
6Rolf Iten et al., Combien de crèches et de familles de jour faut-il en Suisse? Version abrégée
de l’étude “Offre d’accueil extrafamilial en Suisse: potentiels de demande actuels et futurs”
(Zürich, 2005). Sur 600 familles interrogées, 63% recouraient à un seul mode de garde, 29%
ont combiné deux formes et 8% ont combiné trois formes ou plus.
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Des activités professionnelles différenciées
Parmi les personnes qui gardent des enfants à domicile, on rencontre plusieurs catégories d’individus, qui se distinguent par leur âge, leur état civil, leur horaire, leur lieu
de travail, leur lieu de résidence, leurs expériences et qualifications professionnelles,
la durée de leurs relations professionnelles et l’étendue de la prise en charge des
enfants. Il est utile de passer brièvement en revue les catégories de CCW les plus
courantes pour comprendre, dans la suite du texte, la pratique largement répandue
d’utiliser comme des synonymes des termes en principe différenciés. Les définitions
figurant ci-dessous ont été élaborées en consultant différentes sources: sites de
conseils aux parents, sites de placement de CCW, services de “maman de jour”, entretiens avec des CCW, contrats-type de travail.
La garde au domicile des parents
Différentes catégories de gardes d’enfants sont regroupées sous le terme générique de
nounou. Cette expression, qui résulte du redoublement enfantin de la première syllabe
de nourrice, est couramment employé par les parents, les sites Internet et les agences
de placement, mais aussi par certaines gardes d’enfants lorsqu’elles évoquent leur
activité. De par sa familiarité, ce terme souligne la nature informelle et affectueuse des
relations établies entre l’enfant et la personne qui s’occupe de lui. Il rappelle en outre
le statut subalterne de la garde d’enfant et ainsi l’absence de concurrence avec les
parents, potentiellement jaloux de la relation privilégiée qui peut se développer entre
l’enfant et la femme à laquelle il est confié.
Au terme non spécifique de “nounou” s’en ajoutent d’autres, plus spécifiques, à
savoir ceux de baby-sitter, de jeune fille au pair et parfois de “maman de jour”.
La baby-sitter est, en principe, une adolescente ou une jeune adulte, qui propose
ses services le soir, le week-end et pendant les vacances, c’est-à-dire en dehors des
horaires de travail ordinaires. Elle garde les enfants pendant quelques heures d’affilée
seulement en l’absence des parents, lorsque ceux-ci sont occupés par une activité
récréative ou des obligations sociales plutôt que par leurs obligations professionnelles.
Cette prise en charge, limitée et occasionnelle, se borne à un travail de “gardiennage”,
sans finalité éducative. Typiquement, elle consiste à coucher les enfants, voire à les
surveiller pendant leur sommeil si les parents eux-mêmes les ont mis au lit.
Les baby-sitters, dont les offres émanent la plupart du temps d’écolières et
d’étudiantes, se conforment plus ou moins aux tarifs recommandés par la Croix-Rouge
suisse, qui propose une formation spécifique de baby-sitter. Celles qui sont majeures
exigent un salaire horaire variant entre 10 et 15 francs suisses, tandis que les adolescentes demandent moins.
La jeune fille au pair7 doit être âgée entre 18 et 30 ans (la limite supérieure variant selon les cantons) et libérée de la scolarité obligatoire. Elle provient en principe
d’une autre région linguistique que ses employeurs, voire d’un autre pays qu’eux,
car son activité de garde s’inscrit dans un projet de formation, généralement linguistique. Elle présente certaines caractéristiques semblables au life cycle servant, étudié
par les historiens, dans la mesure où son activité professionnelle dans la sphère
domestique est provisoire, se restreint à une période limitée de sa vie et revêt une
7Comme il est rare qu’un jeune homme effectue ce type d’activité, nous utilisons le terme
féminin.
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finalité éducative.8 La jeune fille au pair est en principe une célibataire sans enfants
et – à ce titre – n’a pas le droit de déposer une demande de regroupement familial.
Dans un certain nombre de cantons, ses conditions de travail sont réglées par un
contrat-type: sa durée d’engagement maximale varie entre 12 et 18 mois; son horaire
de travail s’élève en principe à 30 heures, distribuées sur cinq ou six jours.
A divers égards, la jeune fille au pair se voit imposer un horaire de travail particulièrement contraignant, car elle ne dispose que d’un jour et demi de congé hebdomadaire, doit faire preuve de flexibilité et effectuer le soir des heures supplémentaires
non rémunérées. Les “heures de présence”, le soir, ne sont pas comptabilisées dans les
30 heures dues à son employeur, car les enfants dont elle a la charge sont en principe
couchés et n’occasionnent pas de travail. Une telle disposition, tout à l’avantage de
l’employeur, néglige le point de vue de la jeune fille. Pendant ses heures de garde,
cette dernière se voit privée de sa liberté de mouvement, est responsable du bien-être
et de la sécurité des enfants et peut à tout moment être interrompue dans son activité
personnelle pour s’occuper d’eux.
En principe, la jeune fille au pair assiste les parents dans la prise en charge des
enfants, sans assumer de tâches éducatives complexes (appui scolaire, cours de
langue, etc.); son cahier des charges comprend également l’entretien du ménage et
l’exécution de travaux ménagers directement liés à la prise en charge des enfants.
La jeune fille n’est à proprement parler pas rémunérée, mais reçoit – en tant que
“stagiaire aide familiale” selon la dénomination officielle française – le gîte, le
couvert, le paiement des charges sociales, de l’assurance maladie-accident, et des
cours de langue; à cela s’ajoute de l’argent de poche, variant, selon les cantons, entre
440 et 780 francs net par mois. Cet argent n’est pas destiné à son entretien (logement,
nourriture), qui est pris en charge par son employeur, mais uniquement à ses dépenses
personnelles, tels les loisirs. D’ailleurs, en cas d’absence de son employeur parti en
vacances, la jeune fille au pair reçoit une somme complémentaire allouée pour les
achats de nourriture.
Pour les familles qui disposent d’un logement assez grand, l’engagement d’une
jeune fille au pair permet d’avoir à leur service une personne flexible, puisque logée
sur place et, par conséquent, aisément mobilisable. Son coût est également avantageux, puisque l’heure de garde/ménage revient à frs 14.80,9 indépendamment du
nombre d’enfants à garder. L’arrangement, en raison de son instabilité, représente
aussi certains désavantages: pour les parents, le fait de devoir chercher chaque année
une nouvelle personne et, pour les enfants, le fait de voir disparaître de leur vie quotidienne une personne devenue familière et de devoir s’habituer à une autre, nouvelle.
La garde au domicile de la CCW
Différents termes existent pour désigner les femmes qui gardent, en principe à leur
propre domicile, des enfants non apparentés. En France, on privilégie le terme
8Raffaella Sarti, “Conclusion. Domestic Service and European Identity,” in Proceedings of
the Servant Project 5, ed. Suzy Pasleau, Isabelle Schopp, and Raffaella Sarti (Urbino, 2005),
195–284.
9Le coût horaire a été calculé sur la base de 30 heures de travail hebdomadaires et un salaire
mensuel brut de 1720 francs comprenant les différentes dépenses occasionnées par la jeune
fille au pair.
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d‘assistante maternelle, qui souligne la centralité de la mère dans la prise en charge
des enfants en bas âge, en faisant simultanément l’impasse sur le rôle du père.
En Suisse, d’autres termes ont cours, notamment ceux de “maman de jour”,
“famille d’accueil de jour”, ou encore “accueillante en milieu familial”. Le terme
“famille d’accueil de jour” se distingue pour sa part du terme “famille d’accueil”,
désignant les familles à qui les services sociaux confient des enfants en situation
précaire. Le terme “accueillante en milieu familial” met l’accent sur la CCW et son
entourage, permettant ainsi de rappeler que l’enfant confié est non seulement pris en
charge par la CCW, mais aussi par ses proches parents (enfants, mari), c’est-à-dire par
des individus appartenant à d’autres classes d’âge et d’un autre sexe qu’elle.
Quand au terme “maman de jour”, il est fréquemment employé, par les parents, les
institutions (réseaux de “mamans de jour”), les sites Internet et par les CCW ellesmêmes. Bien qu’il soit très populaire, il fait aussi l’objet de débats. Certains parents,
à l’aise avec une certaine forme de co-parentage, l’utilisent volontiers; d’autres – au
contraire – le jugent problématique, car ils estiment qu’il réduit implicitement la mère
biologique à la “maman de nuit”, c’est-à-dire à un personnage secondaire. Quant aux
CCW elles-mêmes, elles jugent ce terme plutôt honorable, car il souligne la relation
affective censée se développer entre elles et l’enfant. Par ailleurs, l’exercice de la
maternité étant reconnu comme difficile, il évoque en outre la complexité de la prise
en charge des enfants.
Depuis quelques années, en Suisse comme dans d’autres pays, l’Etat – en l’occurrence les communes – cherche à organiser et à contrôler les activités des “mamans de
jour”, qui offrent une prise en charge meilleur marché que les structures collectives. Il
leur délivre des autorisations d’accueillir des enfants à domicile après avoir vérifié
leur casier judiciaire et imposé un certain nombre de cours (20 heures), potentiellement complétés par une formation continue. De plus, il contrôle le domicile des candidates et, si nécessaire, impose des aménagements pour le rendre adéquat à l’accueil
d’enfants en bas âge. L’Etat définit et limite également l’âge et le nombre d’enfants
pouvant être accueillis par les “mamans de jour”: celles-ci peuvent en recevoir au
maximum cinq, âgés entre deux mois et douze ans, y compris les leurs.
Par ailleurs, des structures de coordination de l’accueil familial de jour, qui
couvrent un nombre variable de communes, organisent le placement des enfants et le
versement des salaires.
Les “mamans de jour” pratiquent des tarifs différents, selon leur lieu de travail.
Lorsqu’elles exercent leur activité à demeure, elles demandent en général un salaire
d’environ cinq francs suisses par enfant, auxquels viennent s’ajouter les frais de nourriture s’élevant à dix francs par jour. Certaines proposent aussi des forfaits aux alentours de 40 francs la journée ou 800 francs le mois. Lorsque les “mamans de jour”
travaillent au domicile des enfants qui lui sont confiés, elles exigent un salaire horaire
d’environ 15 francs, auxquels viennent s’ajouter 10 francs pour le déplacement.
La valse des étiquettes
Les annonces
D’une façon générale, les annonces parues sur Internet sont plus détaillées que celles
placées dans la presse écrite et sont structurées par le canevas fourni aux annonceurs.
Sur le site bestnounou.ch, les parents doivent faire figurer leur offre d’emploi sous
l’une des trois catégories proposées, à savoir celle de baby-sitter, de “maman de jour”
ou de jeune fille au pair, ces trois catégories étant placées sous le terme englobant de
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nounou. Cette classification s’avère toutefois assez arbitraire, car les parents classent
leur annonce sous une catégorie, par exemple celle de baby-sitter, et, dans le texte de
l’annonce même, désignent la personne recherchée en se référant à une autre catégorie, par exemple celle de jeune fille au pair.
Dans les annonces de la presse écrite, les parents sont libres de formuler leurs
exigences sans respecter un canevas. Certains mentionnent uniquement la fonction
attendue, en demandant une “personne pour garder un enfant”. D’autres recherchent
une profession, telle que nounou, nanny, niñera, baby-sitter, “maman de jour”.
D’autres insistent sur le genre, l’âge et les rôles sociaux de la personne demandée et
recherchent une “dame”, une “jeune fille”, une “grand-maman”. D’autres annonceurs
construisent par ailleurs des mots composés de deux synonymes, tels que “maman de
jour-nanny” ou énumèrent deux termes considérés comme équivalents. Finalement,
d’autres sont encore à la recherche “d’étudiantes”. Cette catégorie sociale, qui jouit
d’un certain capital culturel, de temps libre, d’une flexibilité dans les horaires, est à la
recherche d’emplois à temps partiels et est disposée à accepter des salaires plutôt
modestes.
Les attentes à l’égard des CCW sont variables: alors que certains parents recherchent une baby-sitter pour le soir et le week-end, d’autres souhaitent recruter une
personne à qui ils puissent confier leur enfant pendant les jours de la semaine, sur une
base régulière. Dans le second cas, les employeurs lui demandent couramment
d’effectuer des travaux ménagers, présentés en général comme “légers”.
Comme le reflètent les critères de sélection énoncés par les parents, les femmes
recherchées sont des adultes, dotées de compétences et poursuivant des objectifs
différents des jeunes filles au pair. Souvent d’origine migrante, les gardes d’enfants
travaillant au domicile des parents sont engagées parce qu’elles sont déjà compétentes
dans la garde des enfants et la tenue d’un ménage et qu’elles peuvent travailler de
façon tout à fait autonome, en l’absence des employeurs. De plus, leur activité professionnelle ne s’accompagne pas d’un projet d’apprentissage linguistique; bien au
contraire, lorsqu’ elles parlent une langue internationale, elles sont souvent priées par
leurs employeurs d’apprendre leur propre langue maternelle aux enfants gardés.
De fausses équivalences
Dans leurs annonces parues dans la presse écrite et sur l’internet, les parents utilisent
comme équivalentes des catégories de CCW en principe différenciées. Ainsi, ils
demandent indifféremment: une “baby-sitter ou une nounou”, une “maman de jour ou
une jeune fille au pair”, une “jeune fille, une dame ou une grand-maman”, une
“maman de jour ou une nourrice”, une “maman de jour ou une nounou”, une “jeune
fille ou une employée de maison”. Les exigences des parents sont parfois contradictoires, notamment lorsqu’ils demandent une “jeune fille âgée de 40 ans et plus” ou
“une jeune fille ayant de l’expérience et des références”.
Les parents utilisent comme synonymes des emplois qui sont réglés par des
contrats-type différents, dont le nombre varie selon les cantons. Ainsi, à Genève, les
cas des “travailleurs au pair”, des “jeunes travailleurs au pair” et des “travailleurs de
l’économie domestique” sont chacun réglés par un contrat-type de travail. Dans le
canton de Vaud, un contrat-type détermine la situation des “employés des ménages
privés”, mais ne s’applique pas au “personnel de maison s’occupant exclusivement de
la garde des enfants” ni “aux jeunes gens au pair”, dont les conditions de travail ne
sont réglées par aucun contrat-type spécifique.
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Les équivalences établies entre des catégories distinctes d’emploi ne tiennent pas
compte du fait que leurs salaires diffèrent. Les tarifs des baby-sitters, des jeunes filles
au pair et des “mamans de jour” sont inférieurs au salaire minimal prévu pour le
contrat-type de travail (CTT), tel que le CTT vaudois pour le “personnel des ménages
privés” ou le CTT genevois pour les “travailleurs de l’économie domestique”.
La différence de salaire entre les CCW et les “travailleurs de l’économie domestique” est problématique et incite les demandeuses d’emploi à privilégier les travaux
d’entretien. Par ailleurs, la garde des enfants en bas âge est, aux dires des CCW, une
activité professionnelle plus fatigante que le travail ménager et stressante: elle
s’accompagne d’importantes responsabilités, consistant à garantir la sécurité et le bien
être d’une catégorie d’enfants menacés par divers accidents. Les CCW doivent en
outre gérer des relations compliquées avec les parents et, parfois, avec les grandsparents et doivent couramment effectuer des travaux ménagers en parallèle à la prise
en charge des enfants.
La disqualification des CCW
Les CCW sont non seulement invisibilisées en tant que groupe professionnel en raison
de l’éclatement des étiquettes et des statuts sous lesquelles elles travaillent, mais
voient également leur travail disqualifié pour différentes raisons.
Des compétences innées
Le travail de garde d’enfant est tout d’abord désigné comme une activité faisant appel
à des qualités innées déterminées par le genre. Les offres d’emplois sont toutes
rédigées à l’intention des femmes et les demandes d’emploi émanent exclusivement
de jeunes filles ou de femmes. A cette tendance font exception les offres d’emploi
pour un “jeune homme au pair”, qui sont placées par les parents de garçons déjà
scolarisés. Ces familles estiment en effet qu’un “jeune homme” peut davantage
partager les activités récréatives de leur progéniture.
La définition des compétences exigées des CCW et la signification attribuée à leur
activité professionnelle disqualifie leur travail et légitime le versement de salaires
inférieurs aux salaires minimaux prévus pour les travailleurs domestiques non qualifiés.
En lieu et place de compétences professionnelles (entregent, ponctualité, capacité
d’analyse et de synthèse, etc.), les annonces exigent de la candidate des qualités
morales, qui sont considérées comme garantes des prestations à fournir. Les parents
affirment en effet rechercher une “dame consciencieuse”, une “dame de confiance”,
une “gentille nounou”, une “maman de jour pleine d’amour”. Pour répondre à cette
demande, les CCW se présentent volontiers comme “une dame sérieuse”, voire “très
sérieuse” ou comme une “sympathique jeune femme”, une “dame patiente, douce et
responsable”. Elles soulignent aussi leurs bonnes dispositions10 à l’égard des enfants
à garder en les désignant couramment par des termes affectueux, tels que “bout de
chou”, “puce”.
10“Je suis une maman toute douce d’une petite Laura adorable de 7 mois et suis disponible du
lundi au vendredi toute la journée pour prendre soin de votre bébé afin de lui apporter toute la
tendresse dont il aura besoin pendant votre absence” (“maman de jour”, 32 ans).
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Paedagogica Historica
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Une activité secondaire et provisoire
Le métier de garde d’enfants est par ailleurs désigné par des termes qui le présentent
comme une activité transitoire, dont l’exercice est associé de façon privilégiée à
certains stades du cycle de la vie des femmes, c’est-à-dire avant qu’elles n’exercent
une profession ou qu’elles soient mères de famille. De plus, cette activité revêt une
importance secondaire par rapport à une occupation donnée comme principale, et cela
indépendamment du nombre d’heures consacrées à la garde d’enfants. Tandis que les
baby-sitters sont censées être avant tout occupées par leur formation scolaire, les jeunes
filles au pair sont, officiellement, centrées sur l’apprentissage d’une langue étrangère;
quant aux “mamans de jour”, elles sont – en principe – réputées s’occuper de leurs
enfants et de leur ménage, tout en gardant – “à côté” – des enfants non apparentés.
Une expérience professionnelle limitée
Les bas salaires que gagnent certaines catégories de CCW sont justifiés par leurs statuts
respectifs, caractérisés par des compétences et un champ d’action donnés comme
limités. Le travail effectué par les “stagiaires aide familiale”, selon la terminologie en
vogue en France pour désigner les jeunes filles au pair, est dévalorisée aussi bien dans
l’économie domestique que dans le marché de l’emploi en général. En raison de leur
âge, elles sont en principe dépourvues des qualifications professionnelles nécessaires
pour trouver un emploi dans la sphère publique, surtout à l’étranger. De plus, elles sont
réputées être peu ou pas expérimentées dans la tenue d’un ménage et dans la prise en
charge des enfants, deux domaines dans lesquels les enfants et les adolescents sont
pourtant, dans de nombreuses sociétés, expérimentés.11
Les baby-sitters, pour leur part, fournissent un travail de garde occasionnel
présenté comme limité, consistant à sit, à garder sans guère d’efforts un enfant
pendant quelques heures d’affilée seulement.
Quant à l’activité des “mamans de jour”, elle est dépeinte comme l’extension
d’une expérience de vie personnelle. Leur activité est censée leur permettre de vivre
pleinement leur maternité en leur évitant de devoir quitter leur domicile pour exercer
une activité professionnelle dans la sphère publique. Plusieurs “mamans de jour”
motivent d’ailleurs leur choix de se lancer dans cette profession par leur désir de “voir
grandir leurs enfants”, c’est-à-dire de garder leurs propres enfants elles-mêmes, tout
en exerçant un emploi.12
Cette argumentation, qui fait l’impasse sur les contraintes structurelles d’ordre
socio-économique induisant un tel choix, tend à présenter le métier de “maman de
jour” comme une activité idéalement compatible avec l’exercice de la maternité.13 Or,
cette compatibilité est mise à mal par différents facteurs: le fait de travailler à son
propre domicile transforme fondamentalement cette sphère “domestique”, qui est non
seulement utilisée par les enfants donnés à garder, mais aussi contrôlée par l’Etat et
11Voir la contribution de Suzanne Lallemand figurant
12“Bonjour, je suis maman de trois petites filles 10,
dans le présent numéro.
6 et 3 ans. Je choisis de rester à mon
domicile pour pouvoir élever mes enfants et faire profiter de mon temps pour les parents qui,
eux, ont l’obligation ou l’envie de continuer à travailler” (“maman de jour”, 29 ans, trois
enfants).
13Après avoir envisagé initialement de faire garder leurs enfants, certaines femmes, ayant un
salaire modeste, ont décidé de travailler comme “maman de jour”, après avoir constaté que
cette solution était plus avantageuse pour elles du point de vue économique et affectif.
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V. Pache Huber
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par les parents. L’appropriation de cet espace par des personnes non apparentés suscite
potentiellement des problèmes pour les enfants et le conjoint de la “maman de jour”,
qui ne sont pas forcément désireux de partager avec autrui leur foyer et l’attention de
leur mère ou épouse. Par ailleurs, la prise en charge d’enfants non apparentés nécessite
des compétences spécifiques, notamment dans la compréhension des représentations
et des pratiques culturelles des parents, ainsi que le souligne Lynet Uttal dans le
présent numéro.
Des avantages immatériels
La rémunération limitée des CCW est également justifiée implicitement par les gains
accessoires, immatériels, engendrés par la garde des enfants. Les parents attribuent
volontiers à leurs enfants, voire à eux-mêmes, diverses qualités souhaitables (enfants
charmants, etc.), sous-entendant ainsi que leur fréquentation constitue une activité
plaisante. Les CCW sont, pour leur part, enclines à reconnaître les bénéfices immatériels de la garde, non pour approuver un salaire limité, mais pour rassurer les parents
sur la qualité de l’encadrement dont disposera leur enfant. Elles font ainsi état de leur
amour inconditionnel pour les enfants et du plaisir ressenti en leur compagnie.14 Si la
satisfaction affective exprimée par les CCW doit attirer des employeurs potentiels,
elle contribue aussi à la définition de la garde comme une activité plus ludique que
professionnelle et dont le bénéfice psychologique constitue une fin en soi.
Les avantages immatériels sont particulièrement mis en avant pour les jeunes filles
au pair, dont l’activité de garde, comme déjà évoqué, est subordonnée à un projet
éducatif. A ce titre, l’employeur ne finance pas seulement des cours de langue, mais
aide en principe son employée à améliorer ses compétences linguistiques et sa culture
générale. Il participe – idéalement – à l’accroissement du capital social et culturel de
son employée, en la faisant participer aux activités récréatives et culturelles de la
famille. Certaines familles offrent ces perspectives à leur jeune fille au pair et restent
parfois liées avec elles pendant de nombreuses années; d’autres, en revanche, tendent
à favoriser l’isolement de la jeune fille et à la surcharger d’activités domestiques.
L’exploitation des jeunes filles au pair peut parfois s’étendre à l’exploitation de ses
compétences linguistiques: une partie des parents recrute de préférence des candidates
parlant une langue maternelle dont l’apprentissage est considéré comme utile pour les
enfants à garder et incitent leur employée à s’exprimer dans cette langue avec les
enfants.
Les parents qui en ont les moyens matériels soulignent en outre le confort, voire
le luxe du lieu de travail, dont jouira tout particulièrement la jeune fille au pair, en tant
que “membre de la famille”. Le fait qu’elle réside avec son employeur favorise sa
classification comme “un membre de la famille”, et plus particulièrement, en raison
de sa jeunesse, son assimilation à une “fille aînée”. En vertu de cette catégorisation,
le travail réalisé par la jeune fille au pair cesse d’être une activité délimitée par un
contrat de travail spécifique, déterminant notamment des horaires de travail; il devient
une obligation morale à laquelle est soumise la jeune fille et une contribution à un
intérêt présenté comme collectif. L’identification de l’employée avec un membre de
la famille permet ainsi de passer sous silence l’éventuelle inégalité des échanges entre
employeurs et employées et, par conséquent, les rapports d’exploitation potentiels.
14“J’aime beaucoup ce travail. La joie et l’amour que les bébés et les enfants m’apportent y
contribuent beaucoup” (“maman de jour”, 24 ans).
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Compétences et expériences
Les parents exigent rarement que les CCW détiennent des diplômes professionnels
dans le domaine de la petite enfance, car ils sont conscients que les femmes dotées de
ce type de qualification ne cherchent pas d’emploi dans la sphère privée et, le cas
échéant, exigent des salaires qu’ils ne sont pas désireux ou en mesure de payer. En
revanche, ils attendent des candidates, comme déjà mentionné plus haut, qu’elles
aient des qualités morales jugées favorables à l’exercice de la garde d’enfants et,
surtout, une expérience professionnelle et des références. L’importance accordée à
l’expérìence et aux références reflète la difficulté des parents à énumérer clairement
des indicateurs de qualité des prestations attendues des CCW et à évaluer, sur la base
d’un dossier et d’un entretien, les compétences des candidates.
Les références vérifiables sont un critère de sélection déterminant lors du processus d’embauche car ils doivent permettre aux parents de vérifier la satisfaction
d’employeurs précédents, légalement tenus de communiquer les informations pertinentes à un éventuel engagement.
Pour répondre aux attentes d’employeurs éventuels, les CCW mentionnent
souvent le nombre de familles qui ont sollicité leurs services, en indiquant le nombre
de mois ou d’années pendant lesquelles elles sont restées en contact. Elles précisent
aussi, lors des entretiens, si leurs relations se sont poursuivies après la cessation des
rapports professionnels, comme preuve des liens d’affection tissés avec les enfants
gardés et leurs parents. Toute expérience dans le domaine de la prise en charge des
enfants est mise en évidence, comme le reflète ces deux descriptions:
J’ai moi-même travaillé dans une pouponnière-garderie et suis partie en tant que jeune
fille au pair donc j’ai l’habitude des enfants de tout âge, sans compter que j’ai moi même
un enfant.
Je cherche un emploi de nounou, je ne suis pas agréée mais j’ai beaucoup d’expérience,
de par les baby-sittings que je fais depuis que j’ai 15 ans; j’ai aussi été nounou logée dans
quatre familles différentes et je gérais les enfants du matin au soir.
D’une façon générale, les CCW évoquent leur expérience acquise en gardant des
enfants non apparentés et/ou, à défaut, ceux de leurs proches parents. Pour compenser
le fait de ne pas avoir d’enfants elles-mêmes, les jeunes filles au pair et les baby-sitters
accompagnent leur annonce d’une photographie qui les montre en compagne de bébés
ou d’enfants présentés comme leurs neveux ou filleuls. Le transfert de l’expérience de
la garde de proches parents dans une activité professionnelle les mettant en contact
avec des enfants non apparentés ne va toutefois pas sans soulever de problèmes. Il
oblige les CCW à acquérir de nouvelles compétences, nécessaires pour gérer des relations complexes avec les enfants et leurs parents, dont elles doivent comprendre les
représentations et les pratiques, parfois éloignées de celles auxquelles elles adhèrent
elles-mêmes.
La mention d’employeurs précédents, surtout lorsqu’il s’agit de structures
d’accueil collectives, permet aux candidates d’apporter des preuves “objectives” de
leurs compétences. Leur activité au sein de crèches, haltes de jeux, jardins d’enfants
est présentée comme particulièrement formatrice, dans la mesure où ces institutions
appliquent des normes de sécurité et des concepts pédagogiques institutionnalisés et
légitimés. Par ailleurs, elles y ont également collaboré avec des éducatrices de la petite
enfance, dont elles ont pu observer et imiter la démarche pédagogique. Cet apprentissage effectué en milieu institutionnel est d’autant plus valorisé que les CCW n’ont
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V. Pache Huber
guère accès à la formation d’éducatrices de la petite enfance et que les formations
imparties aux baby-sitters et aux “mamans de jour” sont particulièrement limitées.
Le désir de souligner leurs compétences professionnelles, parfois apprises au sein
de garderies, se reflète dans l’aménagement du domicile et dans les activités proposées
aux enfants, ainsi que dans les modalités de restitution des informations aux parents,
en fin de journée. Les candidates mettent en avant la sécurité (quartier tranquille) et
les possibilités d’activités ludiques fournies par leur cadre (jardin, terrasse avec
piscine, cabane, bac à sable, balançoire, toboggan, place de jeu à proximité) et font
une liste plus ou moins exhaustives des activités proposées aux enfants (bricolage,
jeux à l’intérieur et à l’extérieur, balades), qui s’inspirent directement de celles en
usage dans les crèches:
J’ai un grand 5.5 pièces avec jardin et terrasse, avec piscine, cabane, toboggan, bac à
sable, balançoire pour l’été; en hiver on fait de la luge, enfin tout ce que des enfants
peuvent faire dans la neige, et sinon beaucoup de balades, on fait beaucoup de bricolages
ainsi que des pâtisseries et je fais participer les enfants à la confection de leurs repas.
J’habite un grand appartement rempli de jouets dans un quartier très tranquille de
Cossonay. J’ai deux chats super câlins et un gentil mari qui travaille à 100% à Lausanne
comme orthopédiste. (“maman de jour”, 26 ans, mère d’un enfant de 15 mois)
Jeux intérieurs et extérieurs – leçons surveillées: j’étudie toute proposition pour le bienêtre de vos enfants. (“maman de jour”, éducatrice spécialisée, 28 ans, deux enfants)
Lorsqu’elles en ont la possibilité et qu’elles l’estiment opportun, les CCW font, en
outre, état de leurs diplômes: les baby-sitters mettent en avant leur diplôme de babysitter délivré par la Croix-Rouge et mentionnent les formations déjà achevées ou en
cours, lorsque ces dernières peuvent être considérée comme bénéfique à l’activité de
garde (cours de psychologie, éducatrice de la petite enfance, etc.). Tandis que de
nombreuses “mamans de jour” ne remplissent pas la rubrique “diplôme”, certaines
indiquent qu’elles sont “agréées”, c’est-à-dire au bénéfice d’une autorisation d’exercer le métier de “maman de jour”, délivrée par les pouvoirs publics. Rares sont les
femmes faisant état d’une formation spécifique, telle qu’éducatrice de la petite
enfance, auxiliaire de puériculture, aide-soignante, infirmière, institutrice, etc.
L’impact des diplômes sur les tarifs pratiqués est variable et dépend de la catégorie de
CCW concernée: les femmes qui cherchent à se faire engager comme baby-sitters,
jeunes filles au pair ou “maman de jour” au domicile des parents exigent des salaires
qui dépassent le tarif usuel de baby-sitting établi par la Croix-Rouge ou l’argent de
poche à verser aux jeunes filles prévu par les contrats-type de travail. En revanche, les
“mamans de jour” agréées pratiquent les tarifs fixés par la commune, indépendamment de leur éventuelle formation dans le domaine de la petite enfance. Leur salaire
n’est pas conditionné par leurs qualifications professionnelles et leur valeur sur le
marché de l’emploi en général, mais est déterminé par le statut de “maman de jour”,
dont le salaire horaire est fixé par l’état (environ cinq francs suisses).
Conclusion
La délégation de la garde des enfants dans la sphère domestique à des tiers non
apparentés se concrétise par la mise en place simultanée de plusieurs dispositifs de
garde, impliquant différents acteurs, apparentés ou non, individuels ou collectifs, et
dont l’agencement est changeant et fluide. Il en résulte que l’importance d’un mode
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Paedagogica Historica
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de garde ne se fonde pas sur le nombre d’heures durant lesquelles les parents y ont
recours, mais se reflète dans sa contribution spécifique et irremplaçable à l’ensemble
du système de garde mis en place par les parents. En fonction des circonstances, de
leurs besoins, de leur capital économique et social, les familles peuvent recourir
simultanément ou successivement à l’aide de différentes catégories de CCW: jeune
fille au pair, baby-sitter, “maman de jour”, employée de maison, nounou, grandmère, dame, étudiante.
La diversité des étiquettes utilisées pour désigner les personnes auxquelles sont
confiés les enfants dans la sphère domestique et l’usage commun de termes soulignant
des caractéristiques sociologiques (âge, genre, caractère, occupation) plutôt que
l’activité professionnelle elle-même confère aux gardes d’enfant l’image d’une force
de travail non seulement fragmentée, mais aussi instable, car alimentée par des
personnes dépourvues de qualifications professionnelles, qui s’occupent d’enfants à
faveur des circonstances changeantes de leur vie personnelle. Cette image publique du
métier de garde d’enfants dans la sphère domestique tend à dissimuler le fait qu’il
répond à un besoin structurel et permanent. Elle tend aussi à légitimer l’absence de
reconnaissance sociale, et plus particulièrement politique, des personnes qui travaillent comme garde d’enfants et de celles qui recourent à leurs services.
L’examen des termes couramment utilisés pour désigner les CCW révèle que
différents acteurs, notamment les parents, tendent à les utiliser comme des
synonymes. Cet usage indifférencié ne tient pas compte du fait que les CCW sont
clairement différenciées par les pouvoirs publics. Les conditions de travail, et notamment le salaire, des jeunes filles au pair et des “mamans de jour” sont réglementées
par des normes communales et cantonales; celles des employées de maison sont
définies par des contrats-type de travail cantonaux. Quant au travail des baby-sitters,
il fait l’objet de recommandations de la Croix-Rouge.
L’usage indifférencié des différentes catégories de CCW ne tient pas compte non
plus du fait que ces termes désignent des emplois exercés pendant une durée variable
par des personnes différentes. L’activité d’employée de maison et de “maman de jour”
est exercée par des adultes, sans limitation dans le temps. En revanche, l’activité de
baby-sitter et celle de jeune fille au pair sont temporaires, revêtent une dimension
éducative et se situent à un stade du cycle de la vie consacré à la formation, qui est
libre des contraintes apportées par des responsabilités familiales et professionnelles.
Elles présentent à ce titre certaines similarités avec le travail effectué autrefois par les
life cycle servants, étudiés par les historiens. Le rôle important que jouent potentiellement les adolescentes dans la prise en charge occasionnelle des enfants dans la sphère
domestique a d’ailleurs incité certaines institutions, en particulier la Croix-Rouge, à
proposer une formation destinée aux “adolescentes à la recherche d’un premier
emploi”. Les enseignements dispensés se fondent sur le principe que les participant(e)s n’ont guère eu d’expérience en matière de garde d’enfants, à la différence des
enfants et des adolescents issus de sociétés pratiquant le “maternage enfantin” analysé
par Suzanne Lallemand dans le présent numéro.
L’examen de termes utilisés pour désigner les CCW atteste non seulement une
tendance à traiter comme synonymes des termes distincts, mais aussi un usage
privilégié de catégories particulièrement peu rétribuées, à savoir celles de baby-sitters,
jeunes filles au pair et “mamans de jour”. La limitation du salaire obtenu par ces trois
types de CCW est légitimée par la définition de leur travail comme: (1) une activité
mobilisant des aptitudes “innées” au genre féminin et nécessitant des compétences
limitées; (2) une activité transitoire et secondaire par rapport à une activité donnée
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comme principale (les études, la maternité); (3) une activité engendrant d’appréciables
bénéfices immatériels. Cette catégorisation, qui passe sous silence les compétences
mobilisées par le travail des gardes d’enfants dans la sphère domestique, dissimule la
complexité et l’importance de cette activité professionnelle, dont dépend pourtant le
développement physique, social et psychologique d’un nombre indéterminé, mais
certainement considérable d’enfants.
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Notes on contributor
Véronique Pache Huber is associate professor of social anthropology at the University of
Fribourg (Switzerland). While pursuing research on issues related to Indian society and diasporas (interethnic relations, caste, business communities, middle-class, matrimonial strategies),
she is focusing on the anthropology of childhood, especially on topics related to childcare. She
is the author of: Noces et négoce. Dynamiques associatives d’une caste de commerçants
hindous (Neuchâtel, Paris, 2002); and Le mariage de l’Amour et de la Raison. Stratégies matrimoniales de la classe moyenne en Inde (Fribourg, 2004).