Tirbunal administratif - Juridictions administratives

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Tirbunal administratif - Juridictions administratives
Tribunal administratif
du Grand-Duché de Luxembourg
1re chambre
Numéro 26073 du rôle
Inscrit le 9 septembre 2009
Audience publique du 20 janvier 2010
Recours formé par
Madame ..., …
contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration
en matière de protection internationale (art. 19, L. 5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 26073 du rôle et déposée au greffe du tribunal
administratif le 9 septembre 2009 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau
de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame ..., née le … (Somalie), de
nationalité somalienne, demeurant actuellement à L-…, tendant, d’une part, à la réformation
d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 19 août 2009,
énoncée erronément comme émanant du Ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration,
portant refus de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de
l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal
administratif le 28 octobre 2009;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée,
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Frank WIES, ainsi que Monsieur le
délégué de gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience
publique du 16 novembre 2009.
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Le 19 novembre 2008, Madame ... introduisit une demande en reconnaissance du statut
de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, sinon au sens de la loi
modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.
En date des 19 février 2009 et 13 mai 2009, elle fut auditionnée par un agent du
ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration.
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Par décision du 19 août 2009, lui notifiée en date du 23 août 2009, le ministre du
Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, entretemps en charge du dossier, ci-après dénommé
« le ministre », informa Madame ... que sa demande de protection internationale avait été
rejetée comme étant non fondée. Cette décision est rédigée comme suit :
« J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection
internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes
complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du
Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration en date du 19 novembre 2008.
En application de la loi précitée, votre demande de protection internationale a été
évaluée par rapport aux conditions d’obtention du statut de réfugié et de celles d’obtention du
statut conféré par la protection subsidiaire.
En mains le rapport de la Police judiciaire du 23 décembre 2008, ainsi que les
rapports d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration des 19
février 2009 et 13 mai 2009.
Madame, il ressort du rapport du rapport de la Police judicaire qu’à l’âge de six ans,
vous auriez quitté la Somalie, ensemble avec votre oncle ou cousin paternel, pour vous
installer à Addis Abeba en Ethiopie. Vous y auriez vécu, jusqu’au 17 novembre 2008, et vous
ajoutez que votre oncle y habiterait toujours. Vous dites qu’environ un mois avant votre
départ, vous auriez rencontré un commerçant somalien qui vous aurait offert d’organiser votre
voyage vers l’Europe pour $ 1.500,-. Selon vos dires, Monsieur « ... » vous aurait donné un
passeport européen et vous indiquez que vous auriez voyagé sous le nom de .... Ainsi, en date
du 17 novembre 2008, vous auriez quitté Addis Abeba par avion en direction de Paris. Lors de
votre arrivée en France, « ... » vous aurait accompagné au métro et puis à une gare
ferroviaire, où il vous aurait acheté un billet de train pour aller au Luxembourg. Il ressort de
vos propos que vous auriez dû lui rendre le passeport et vous ajoutez qu’il serait resté à Paris.
Selon vos dires, vous auriez demandé asile à la Police après être arrivée à Luxembourg-gare.
Vous ajoutez que vous auriez rencontré dans le train deux autres femmes somaliennes qui
auraient également demandé asile au Luxembourg.
Ajoutons encore que votre avocat a remarqué que le rapport de la Police judiciaire ne
vous aurait pas été traduit et il précise également que vous n’auriez pas quitté la Somalie à
l’âge de 6 ans, mais à l’âge de 18 ans.
Vous ne présentez aucune pièce d’identité.
Madame, vous indiquez à la base de votre demande d’asile auprès du Service des
Réfugiés que vous seriez originaire de Hargeysa, mais que vous auriez quitté Somaliland en
1991, ensemble avec votre mère, pour vous rendre à Addis Abeba. Selon vos dires, vous ne
vous seriez jamais déclarées de manière légale en Ethiopie. Cependant, vous expliquez que
vous auriez acheté de manière illégale un permis de séjour et ainsi vous n’auriez jamais eu de
problèmes quand vous auriez été contrôlées.
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Vous dites qu’après le décès de votre père, votre mère aurait épousé le frère de votre
père et par conséquent, ce dernier serait devenu votre beau-père. Selon vos dires, vous auriez
eu 18 ans, quand vous seriez arrivée en Ethiopie et à partir de 20 ans vous auriez commencé à
travailler. Vous indiquez que vous auriez travaillé comme femme de ménage et comme « call
girl » page 4/8). Selon vos explications vous n’auriez pas été une prostituée, mais vous auriez
accompagné des personnes au restaurant, au cinéma, au théâtre, etc ou bien, vous auriez
uniquement parlé avec eux au téléphone. Il ressort de vos propos que vous auriez reçu la
somme de 1.000,- Birr éthiopien (environ 63,- EUR), si votre client aurait été « riche » et pour
les « middle class », vous auriez demandé 300,- Birr éthiopien (environ 19,- EUR). Vous dites
qu’il vous aurait fallu un été pour épargner la somme de $ 1.500,- pour payer le passeur.
Selon vos dires, vous auriez pu garder ces revenus, mais que vous auriez dû rendre l’argent
que vous avez gagné comme femme de ménage à votre oncle.
Il ressort de vos propos que pour une Somalienne et pour une musulmane le métier de
« call girl » aurait été tabou, raison pour laquelle votre beau-père (oncle paternel) aurait
voulu vous marier, afin de vous sortir de ce milieu. Selon vos dires, votre futur mari aurait été
âgé de plus que 70 ans et il aurait été un commerçant « riche et connu », appartenant à
l’ethnie des Midgan, la même que la vôtre. Vous dites que vous n’auriez pas été d’accord avec
cet arrangement et ainsi, vous auriez demandé la protection auprès de la Police éthiopienne.
Cependant, cette dernière vous aurait dit qu’elle ne pourrait rien faire pour vous, étant donné
que vous ne seriez pas de nationalité éthiopienne. Vous dites qu’en restant en Ethiopie, vous
auriez risqué d’être tuée par votre oncle, ou bien, vous vous seriez suicidé ou bien, vous auriez
dû épouser ce vieil homme. Vous expliquez que votre oncle aurait eu le droit de décider sur
votre avenir, étant donné qu’il vous aurait élevé. Vous ajoutez que votre oncle vous aurait
conseillé depuis des années que vous trouveriez un homme pour vous marier, étant donné que
les femmes somaliennes se marieraient normalement à l’âge de 20 ans. Selon vos dires, votre
oncle vous aurait giflé et menacé de vous tuer, si vous n’épousiez pas son ami et ajoutez qu’il
aurait déjà reçu le « prix de la mariée », cependant vous dites ignorer le montant.
Vous dites que vous ne sauriez pas dire si votre futur mari aurait été au courant de
votre profession comme « call girl », cependant vous soupçonnez qu’il ne l’aurait pas été,
comme il aurait certainement eu des problèmes en vous épousant.
Vous indiquez que votre oncle aurait commencé à parler de ses projets vers juillet-août
2008, cependant au début, vous ne l’auriez pas pris au sérieux. Toutefois, vous lui auriez dit
que vous auriez besoin de réfléchir sur l’éventuel mariage e vous expliquez que ce temps de
réflexion vous aurait donné la possibilité de vous adresser aux autorités éthiopiennes et
d’attendre leur réponse.
Selon vos dires, sans que votre oncle ait été au courant, vous auriez été fiancée avec un
homme qui aurait été mi-italien et mi-éthiopien et qui aurait habité à Addis Abeba. Vous
ajoutez que vous l’auriez rencontré dans le contexte de votre métier comme « call girl ».
Cependant, vous expliquez que votre oncle ne vous aurait jamais donné son accord d’épouser
cet homme, étant donné que vos coutumes ne permettraient pas que vous épousiez un homme
qui n’appartient pas à votre ethnie. Vous dites que vous n’auriez pas pu vous enfuir chez votre
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fiancé, étant donné que votre oncle aurait le droit de vous « contrôler » et de vous chercher ,
étant donné qu’il aurait la responsabilité sur votre personne.
Enfin, vous ajoutez que vous auriez uniquement quitté l’Ethiopie pour ne pas être forcé
d’épouser ce vieil homme, mais que vous n’auriez pas eu d’autres problèmes. Vous dites que
vous n’auriez pas prévenu votre famille de votre départ parce que votre oncle ne vous aurait
jamais donné son accord de quitter le pays. Vous dites croire que si vous n’aviez pas quitté
l’Ethiopie votre oncle vous aurait probablement enfermé pour le reste de votre vie. Cependant
vous attestez ne pas être sûre si votre oncle aurait réagi d’une telle manière (p.5/8).
Enfin vous admettez n’avoir subi aucune autre persécution ou mauvais traitement.
Quoi qu’il en soit, les motifs exposés à la base de votre demande de protection
internationale ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié,
puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, fonder dans votre chef une crainte fondée d’être persécuté
dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre
appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article
1er, section 1, § 2 de la convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée
du 5 mai 2006.
En effet, il convient de mettre en évidence que vos déclarations sur votre peur que votre
oncle voudrait vous marier de force avec un homme âgé sont peu convaincantes. En effet, il est
vrai que le mariage forcé est une coutume qui est malheureusement assez souvent appliquée en
Ethiopie, cependant uniquement avec des jeunes filles âgées à peine de douze ans. Or, selon
vos déclarations vous êtes âgée de 36 ans et par conséquent, il est peu crédible que vous
pourriez être la cible d’un mariage forcé. Vous dites vous-même que les femmes somaliennes
se marieraient normalement à l’âge de 20 ans. Même si votre oncle aurait voulu vous marier
pour sortir du milieu « call girl », vos déclarations sont peu crédibles. D’autant plus que vous
dites que l’homme que vous devriez marier serait un ami de votre beau-père qui, selon vos
estimations, ne serait pas au courant de votre métier. Or, il est peu crédible que votre beaupère ne raconterait pas à son ami quelle serait votre profession et de plus il est encore moins
crédible que votre beau-père voudrait donner sa belle-fille à un ami, sachant que ce dernier,
un « commerçant riche et connu », aurait des problèmes après le mariage, en raison de votre
métier.
A cela s’ajoute que vos déclarations quant à votre demande de protection aux autorités
éthiopiennes sont également peu convaincantes, puisqu’il est difficilement concevable que la
Police éthiopienne vous aurait dit qu’elle ne pourrait pas vous aider comme vous ne seriez pas
de nationalité éthiopienne. Il convient de relever que la protection offerte par les forces de
l’ordre ne se limite pas aux personnes portant la nationalité d’un pays.
Par ailleurs, vous dites que vous auriez été fiancée avec un homme qui aurait été miitalien et mi-éthiopien et qui aurait habité à Addis Abeba. Or, il est surprenant que vous disiez
avoir eu une relation sérieuse avec un homme, sans que ce dernier n’ait pu vous aider.
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Quant à vos indications que vous auriez été « call girl » de profession, force est de
constater que ces déclarations sont peu crédibles. En effet, vos indications que vous gagneriez
entre 300.- Birr (environ $ 27.-) ET 1.000.- Birr éthiopien (environ $ 90.-) par soirée sont
complètement exagérées, sachant que le revenu moyen par habitant est situé entre $100.- et $
200.- par an. Par conséquent, il s’avère démesuré de prétendre que vous auriez gagné tant
d’argent en offrant un simple service d’escorte. Ainsi, il convient de conclure que vos
déclarations qu’il vous aurait fallu un été pour épargner la somme de $ 1.500.- afin de pouvoir
payer le passeur sont également peu crédibles. A cela s’ajoute que vous perdez également
toute crédibilité en disant que vous auriez également reçu de l’argent pour faire des
conversations par téléphone.
En outre, en supposant que vous auriez vraiment exercé ce métier, force est de
constater que vous auriez été financièrement indépendante et donc capable de vous installer
ailleurs à Addis Abeba ou bien en Ethiopie, afin de fuir votre oncle et de vous échapper du
mariage forcé. En outre, il convient également de constater que vous dites être originaire de
Hargeysa en Somaliland. Or, il ne ressort pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible
de vous installer à nouveau à Hargeysa ou dans une autre région du Somaliland pour ainsi
profiter d’une possibilité de fuite interne. Citons dans ce contexte la dernière « Operational
Guidance Note » du UK Home Office du 19 mars 2009 qui dit :
“Members of the Midgan, Tumal Yibir or Galgala groups have assimilated into major
clan or sub-clan groups. While they may from time to time encounter discrimination and
harassment from other clan groups due to their lowly social status, they may avail themselves
of the protection of their patron clan or relocate to another region where their patron clan is
represented. It is unlikely that such a claimant would encounter ill treatment amounting to
persecution within the terms of the 1951 Convention. The grant of asylum in such cases is
therefore not likely appropriate. (…) Large parts of northern Somalia, namely Somaliland and
Puntland, are considered generally safe regardless of clan membership.”
Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que vous n’alléguez aucun fait
susceptible de fonder raisonnablement une crainte de persécution en raison d’opinions
politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social,
susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Les conditions permettant l’octroi
du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.
En outre, vous n’invoquez pas non plus des motifs sérieux et avérés permettant de
croire que vous courez un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 37 de la
loi précitée du 5 mai 2006. En effet, il ne ressort pas de votre dossier que a) vous craignez de
vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes
de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible
de faire l’objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d’une violence
aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
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En effet, vous ne faites pas état d’un jugement ou d’un risque de jugement vous
condamnant à la peine de mort, ni de risques concrets et probables de subir des actes de
torture ou des traitements ou des sanctions inhumains ou dégradants en cas de retour au
Nigeria (sic). Par ailleurs, vous ne faites pas état de risques émanant d’une violence aveugle
résultant d’un conflit armé interne ou international.
Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme
non fondée au sens de l’article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile
et à des formes complémentaires de protection. (…). »
Par requête déposée le 9 septembre 2009 au greffe du tribunal administratif, Madame ...
a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation de la décision ministérielle du
19 août 2009 en ce qu’elle porte rejet de sa demande en obtention d’une protection
internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
Avant de procéder à l’examen de la recevabilité du prédit recours, il convient en
premier lieu d’examiner le moyen de « forclusion » du mémoire en réponse déposé par le
délégué du gouvernement en date du 28 octobre 2009, soulevé par la partie demanderesse lors
des plaidoiries orales.
Ici, il y a lieu de rappeler que l’article 19(3) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au
droit d’asile et à des formes complémentaires de protection prévoit que :
« Contre les décisions de refus de la demande de protection internationale, un recours
en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Contre l’ordre de quitter le
territoire, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif. Les deux
recours doivent faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du
recours séparé. Le recours doit être introduit dans le délai d’un mois à partir de la
notification. Le délai de recours et le recours introduit dans le délai ont un effet suspensif. Par
dérogation à la législation en matière de procédure devant les juridictions administratives, il
ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, ya compris la requête
introductive. Le mémoire en réponse doit être fourni dans un délai de deux mois à dater de la
signification de la requête introductive. ».
En outre, il y a lieu de rappeler que l’article 4 (3) de la loi du 21 juin 1999 portant
règlement de procédure devant les juridictions administratives dispose que :
« Le dépôt de la requête vaut signification à l’Etat. Il en est de même pour le dépôt des
mémoires subséquents. »
Force est de constater qu’en l’espèce Madame ... a déposé sa requête au greffe du
tribunal administratif en date du 9 septembre 2009. Force est encore de constater que le
délégué du gouvernement a déposé son mémoire en réponse en date du 28 octobre 2009, c’està-dire moins de deux mois après la signification de la requête introductive à l’Etat, de sorte que
ledit mémoire en réponse a été déposé dans le délai légal imparti.
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Au vu des développements qui précèdent, le moyen relatif à la prétendue forclusion du
mémoire en réponse est à déclarer non fondé.
A l’appui de son recours, la demanderesse rappelle les faits à la base de sa demande,
tout en précisant que l’activité de « call girl » serait proscrite par les cultures et traditions
islamiques. Par ailleurs, la demanderesse souligne que son activité de « call girl » aurait
consisté d’une part à faire des conversations érotiques par téléphone et d’autre part à
accompagner ses clients, lesquels auraient été des diplomates, ainsi que des fonctionnaires de
l’Union Africaine des Nations Unies, au restaurant et à d’autres occasions. Elle précise que
cela aurait été dans le cadre de ces activités qu’elle aurait connu un homme d’affaires italien,
avec lequel elle aurait noué une relation amoureuse. La demanderesse souligne encore que
malgré le fait qu’elle aurait essayé de garder ses activités de « call girl » secrètes, des rumeurs
auraient circulé sur elle, de sorte que plusieurs personnes auraient interpellé sont beau-père sur
les activités de la demanderesse. Dès que ce dernier aurait acquis la certitude que sa belle-fille
travaillait effectivement comme « call-girl », l’oncle de la demanderesse se serait mis à lui
chercher un mari et serait finalement tombé d’accord avec une connaissance, un dénommé
Abdi Ali, homme d’affaire renommé, septuagénaire et issu du même clan que Madame .... La
demanderesse se serait alors opposée à ce mariage forcé ce qui aurait eu comme conséquence
que son beau-père l’aurait giflée et aurait menacé de la tuer si elle s’obstinait à refuser de
consentir au mariage prévu. Par ailleurs il l’aurait informé qu’il aurait déjà reçu la dot du futur
époux, de sorte que toute marche en arrière aurait été exclue. La demanderesse se serait alors
adressée à la police éthiopienne, laquelle l’aurait informé qu’elle ne pourrait ou ne voudrait pas
intervenir dans les affaires entre ressortissants somaliens. Comme son « fiancé », l’homme
d’affaire italien, n’aurait pas non plus réussi à arrêter le projet de mariage, la demanderesse
aurait dû fuir l’Ethiopie à l’aide d’un dénommé ..., lequel lui aurait procuré des documents de
voyage en contrepartie du paiement de la somme de 1.500 USD.
En ce qui concerne les motifs se trouvant à la base de la décision ministérielle
entreprise, la demanderesse souligne dans un premier temps que le ministre se serait basé pour
l’essentiel sur de simples affirmations subjectives basées sur les réalités et concepts culturels
luxembourgeois, totalement étrangers à la situation telle qu’elle se présenterait en Ethiopie. En
ce qui concerne plus particulièrement l’argument du ministre selon lequel ce ne seraient que les
jeunes filles qui seraient exposées au risque d’un mariage forcé en Ethiopie, la demanderesse
rappelle qu’elle serait d’origine somalienne et non éthiopienne et verse un document établi en
2007 par la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié du Canada sur la fréquence
des mariage forcés et arrangés en Somalie, d’après lequel il résulterait que des femmes plus
âgées seraient victimes de mariages forcés. La demanderesse expose encore que le même
document préciserait clairement qu’en cas de refus par une femme de contracter mariage avec
un homme choisi par son tuteur, elle serait exposée à des pressions et sanctions importantes de
la part de sa famille et de sa belle-famille.
En ce qui concerne l’argument du ministre selon lequel il serait peu crédible que son
beau-père aurait voulu la donner en mariage à un « ami », bien qu’il ait été au courant de son
occupation de « call-girl », la demanderesse explique qu’il s’agirait ici non pas d’un véritable
ami de son beau-père mais plutôt d’une connaissance entre expatriés somaliens du même clan.
Dans le même ordre d’idées elle souligne qu’un tel mariage arrangé aurait eu d’importants
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avantages financiers pour son beau-père lequel serait issu d’un milieu modeste. A ce sujet elle
explique que de toute façon une vraie amitié entre un homme fortuné et un homme d’origine
modeste serait plutôt improbable en Somalie. Finalement, la demanderesse explique que si son
futur mari avait découvert ses activités de « call girl » après leur mariage, son beau-père aurait
probablement nié avoir eu connaissance de celles-ci.
En ce qui concerne l’argument du ministre selon lequel les déclarations de la
demanderesse relatives à l’attitude de la police éthiopienne seraient peu convaincantes,
Madame ... souligne que le ministre, contrairement à ce qui lui serait imposé par l’article 26(3)
de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de
protection, n’aurait pas recherché les principes appliqués en réalité dans son pays d’origine,
mais aurait fait usage de considérations d’ordre général. Pour confirmer ses dires, la
demanderesse verse deux rapports sur la situation récente en Ethiopie émanant d’une part du
« UK Homme Office-Border Agency » et d’autre part du « United States Department of
State ». Elle affirme qu’il résulterait des prédits documents que des violations graves des droits
humains seraient commises par les militaires éthiopiens dans la région Somali dans le cadre
d’opérations à l’égard d’activités rebelles et qu’il y a aurait eu des détentions arbitraires,
tortures et d’autres abus tels que l’utilisation de la famine, en tant que moyen militaire. Elle en
conclut que dans un pays comme l’Ethiopie, où la communauté somalienne ferait l’objet de
discriminations et où le mariage forcé serait fortement ancré dans la culture, ses déclarations
seraient absolument plausibles.
En ce qui concerne l’argument du ministre selon lequel la demanderesse aurait menti en
ce qui concerne ses revenus en tant que « call girl », cette dernière affirme que ses clients
auraient disposé de ressources financières dépassant de loin le revenu moyen éthiopien, lequel
n’aurait dès lors pas dû être pris en compte. En ce qui concerne les revenus qu’elle aurait
touché en faisant « des conversations téléphoniques » Madame ... souligne qu’il aurait s’agit de
services érotiques justifiant de tels revenus. La demanderesse en conclut qu’en prenant sa
décision, le ministre aurait fait preuve d’un manque d’objectivité de sorte que la décision
entreprise devrait encourir la réformation.
La demanderesse affirme par ailleurs qu’elle n’aurait pas pu profiter de la fuite interne
alors qu’il lui aurait été difficile de trouver un endroit en Ethiopie où elle aurait été acceptée en
tant que femme vivant seule et étant originaire d’un clan somalien minoritaire. Ainsi, la
demanderesse s’appui sur les rapports précités pour affirmer que eu égard aux discriminations
vis-à-vis des minorités ethniques et la violence envers les femmes qui auraient été répandues
en Ethiopie en 2008, il aurait appartenu au ministre d’indiquer avec précision la région
d’Ethiopie où elle aurait pu s’installer. Elle souligne que cela n’aurait en aucun cas pu être la
région Somali, majoritairement peuplée de somaliens, alors que les droits de l’homme y
seraient violés comme elle l’avait d’ores et déjà explicité ci-avant. Elle estime également ne
pas pour s’installer ailleurs à Addis Abeba alors qu’elle aurait dû être constamment sur ses
gardes pour ne pas se faire remarquer par son beau-père lequel aurait certainement été à sa
recherche.
La demanderesse affirme en outre ne pas pouvoir s’installer dans sa ville natale ... ou
ailleurs en Somaliland, alors que contrairement aux affirmations du ministre, elle y risquerait
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également d’être exposée à des discriminations du fait de son appartenance au clan minoritaire
des Midgan lequel serait depuis toujours placé au bas de l’échelle de la société somalienne. Par
ailleurs elle souligne que le Somaliland serait actuellement en proie à une grande sécheresse,
de sorte que quelques 700.000 habitants risquent de devoir être déplacés.
La demanderesse en conclut qu’elle aurait émis des craintes fondées de persécutions de
sorte que la décision ministérielle litigieuse serait à réformer.
Le délégué du gouvernement de son côté estime que le ministre aurait fait une saine
appréciation de la situation de la requérante.
Force est au tribunal de rappeler qu’aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la
Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec
raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son
appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays
dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la
protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans
lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de
ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié est partant conditionnée par le fait que le
demandeur ait éprouvé une crainte fondée d’être persécuté dans son pays d’origine. Cette
crainte fondée d’être persécuté revêt tant un élément objectif à savoir, la situation générale du
pays d’origine, qu’un élément subjectif, à savoir la situation subjective spécifique du
demandeur dans son pays d’origine. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le
tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et
l'opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à
l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile.
Force est encore au tribunal de constater que le ministre a fondé sa décision de refus,
sinon exclusivement, du moins principalement sur un manque de crédibilité du récit de la
demanderesse. Ainsi, le ministre a procédé à une analyse point par point des déclarations de la
demanderesse et est arrivé à la conclusion qu’il existe de sérieux doutes quant à la véracité de
son récit. Dès lors qu’un demandeur d’asile doit du moins présenter un récit crédible et
cohérent, il y a lieu d’analyser les éléments d’incohérence retenus par le ministre dans la
décision déférée du 19 août 2009.
Ainsi, le ministre a en tout premier lieu contesté la crédibilité du récit de la
demanderesse au motif qu’en Ethiopie le mariage forcé serait uniquement appliqué à des
jeunes filles âgées d’à peine douze ans. De même, le délégué du gouvernement souligne que si
la pratique des mariages forcés ne serait pas contestée en elle-même, il n’en resterait pas moins
qu’il semblerait invraisemblable que la demanderesse, âgée de 36 ans, serait la cible d’un
mariage arrangé et ceci d’autant plus qu’elle aurait déclaré elle-même que les femmes
somaliennes se marieraient normalement à l’âge de vingt ans.
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En premier lieu, il y a lieu de constater que c’est à juste titre que la demanderesse
souligne qu’il faut comparer sa situation non pas à celle des femmes éthiopiennes, mais à la
situation telle qu’elle ce présente en Somalie, pays dont elle, son beau-père et son prétendant
sont originaires. Par ailleurs il y a lieu de souligner que s’il est vrai que la demanderesse est
plus âgée que la plupart des jeunes filles victimes d’un mariage forcé, son âge ne la protège pas
pour autant de subir le même sort. En effet, il résulte des pièces versées en cause, et plus
particulièrement d’un document de la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié du
Canada de septembre 2007, que toute femme peut être forcée de contracter un mariage arrangé
par son père, respectivement par son tuteur de sexe masculin, si ce dernier estime que c’est
pour le bien-être de la mariée. Si en l’espèce Madame ... est effectivement plus âgée que la
plupart des autres victimes, il n’en reste pas moins que c’est bien son tuteur, à savoir son beaupère, qui souhaite la contraindre à un tel mariage dans le but de la sortir du milieu de « call
girl ». Elle se trouve dès lors exactement dans la même situation que celle décrite dans le
document précité. C’est partant à tort que le ministre semble exclure la possibilité pour une
femme dans la trentaine d’être victime d’un mariage forcé en Somalie, respectivement en
Ethiopie.
Dans un deuxième temps, le ministre met en doute la crédibilité de la demanderesse au
motif que il serait peu probable que son beau-père aurait voulu la donner en mariage à un
« ami », bien qu’il ait été au courant de son occupation de « call girl ». S’il est vrai qu’un tel
comportement est difficilement concevable, du moins dans la culture occidentale, il n’est
cependant pas de nature à ébranler à lui seul la crédibilité de la demanderesse. En effet, comme
elle l’explique d’ailleurs à juste titre dans son recours, son beau-père, après son mariage, aurait
toujours pu nier avoir été au courant de l’activité de sa belle-fille, de sorte à garder intact
l’apparence de bonne foi.
Le ministre met encore en doute la crédibilité de la demanderesse au motif que ses
déclarations relatives à l’attitude de la police éthiopienne seraient peu convaincantes. Or, il
résulte des pièces versées en cause et plus particulièrement du rapport du 10 août 2009 du
« UK Homme Office Border Agency », ainsi que du « United States Department of State » du
25 février 2009 que les forces de l’ordre éthiopiennes contreviennent de maintes façon aux
droits de l’homme. Il résulte des deux documents en cause qu’en Ethiopie, tant les femmes que
les minorités ethniques, restent soumises à des violences tant corporelles que morales ainsi
qu’à des discriminations sociales importantes. Ainsi, le United States Department of State,
dans son rapport du 25 février 2009 retient notamment que : « Human rights abuses reported
during the year included limitations on citizens’ right to change their government in local and
by-elections ; unlawful killings, torture, beating, abuse, and mistreatment of detainees and
opposition supporters by security forces, usually with impunity ; poor prison conditions ;
arbitrary arrest or insurgent groups ; police and judicial corruption ; detention without charge
and lengthy pretrial detention ; infringement on citizens’ privacy rights including illegal
searches ; use of excessive force on freedom of the press ; arrest, detention, and harassment of
journalists; restrictions on freedom of assembly and association; violence and societal
discrimination against women and abuse of children; female genital mutilation (FGM);
exploitation of children for economic and sexual purposes; trafficking in persons; societal
discrimination against persons with disabilities and religious and ethnic minorities; and
government interference in union activities, including harassment of union leaders.».
10
Il résulte des considérations qui précèdent qu’il est parfaitement crédible que la
demanderesse n’ait pas pu se prévaloir de la protection des autorités éthiopiennes et ceci
d’autant plus qu’il s’agit ici d’un mariage forcé communément accepté en Ethiopie ce qui
résulte d’ailleurs de la décision ministérielle elle-même étant donné qu’elle a retenu que le
mariage forcé est une coutume qui est souvent appliquée en Ethiopie.
En ce qui concerne l’argument du ministre selon lequel la crédibilité de la
demanderesse devrait être mise en doute en ce qui concerne ses revenus qu’elle affirme avoir
touchés en tant que « call girl », alors que ceux-ci seraient anormalement élevés par rapport au
salaire annuel moyen en Ethiopie, c’est à juste titre que la demanderesse souligne qu’un tel
revenu annuel ne saurait être pris en compte, alors que dans son cas il s’agissait de clients
occupant souvent de hautes fonctions diplomatiques respectivement de clients étrangers et
gagnant de ce fait un salaire largement supérieur à celui d’un éthiopien moyen.
A titre superfétatoire, il y a encore lieu de constater que contrairement aux affirmations
de la partie étatique, la demanderesse n’a jamais affirmé avoir travaillé en tant que prostituée,
mais a toujours soutenu avoir travaillé comme « call girl ». C’est dès lors en tant que « call
girl » qu’elle a touché des revenus lui ayant permis de fuir son pays rapidement après
l’annonce de son beau-père.
En ce qui concerne le fond du litige, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2
a) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de
protection, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut
de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire, tandis que la notion de « réfugié »
est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui,
parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa
nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se
trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se
réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons
susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de
cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Il y a encore lieu de rappeler que les femmes qui entendent se soustraire à un mariage
imposé, dont l’attitude est regardée par tout ou partie de la société de leur pays d’origine
comme transgressive à l’égard des lois et coutumes en vigueur, et qui sont susceptibles d’être
exposées de ce fait à des persécutions contre lesquelles les autorités refusent ou ne sont pas en
mesure de les protéger doivent être regardées comme appartenant à un groupe social au sens
des dispositions de l’article 1er, A, 2 de la Convention de Genève1.
Dans sa décision litigieuse, le ministre retient que même si le récit de la demanderesse
serait véridique et qu’elle ferait effectivement l’objet d’un mariage imposé, elle pourrait
néanmoins profiter de la possibilité de fuite interne en Ethiopie
1
trib. adm. 3 avril 2006, n°20750 du rôle, Pas. adm. 2008, V° Etrangers n°113
11
Force est cependant de constater qu’il n’y a pas lieu de prendre en considération les
risques auxquels la demanderesse est susceptible d’être exposée en Ethiopie pour vérifier le
bien-fondé de sa demande de protection internationale, alors que Madame ... est de nationalité
non pas éthiopienne, mais somalienne. En effet, même si l’article 2 c) de la loi modifiée du 5
mai 2006 précitée ne précise pas expressément dans le cadre de la définition de la notion de
« réfugié » que les persécutions dont se prévaut un demandeur doivent avoir lieu dans le pays
dont il a la nationalité, cette exigence découle cependant de l’esprit même du texte et du bout
de phrase précisant que le demandeur doit se trouver « hors du pays dont il a la nationalité et
qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays », à
savoir précisément le pays dont il a la nationalité. En effet, tant que l’intéressé n’éprouve
aucune crainte vis-à-vis du pays dont il a la nationalité, il lui appartient d’abord de se prévaloir
de la protection de ce pays. Il n’a pas besoin d’une protection internationale et par conséquent
il n’est pas un réfugié 2.
Au vu de ce qui précède, il y a partant lieu de vérifier si la demanderesse peut s’installer
en Somalie et plus précisément en Somaliland, dont elle est originaire, sans craindre d’y être
persécutée. A ce sujet il y a lieu de noter que, tout comme en Ethiopie, la demanderesse risque
toujours de faire l’objet de persécutions dans un Etat musulman tel que la Somalie. Or, il y a
lieu de rappeler que dans le cadre d’une demande de protection internationale, il ne suffit pas
de prendre en considération la situation générale du pays d’origine d’un demandeur, mais
encore la situation personnelle du demandeur lequel doit faire état d’un risque de persécution
personnalisé. Or, en l’espèce, la demanderesse souligne clairement qu’en Somalie, mis à part
son statut de femme vivant seule, elle serait en tout état de cause exposée à des risques de
persécution importants du fait de son appartenance au clan minoritaire Midgan. Elle se réfère
ici à un rapport du « UK Home Office » de juillet 2009 duquel il résulte que le clan Midgan n’a
jamais eu de droits ou de protection dans la société somalienne. Or, le bien-fondé de ces
craintes n’étant pas contesté par la partie étatique, celle-ci reste en défaut d’établir à suffisance
une possibilité de pouvoir trouver refuge en Somalie dans le chef de la demanderesse.
Eu égard aux considérations qui précèdent, force est au tribunal de constater de prime
abord que si le récit de la demanderesse présente certes certaines incohérences, celles-ci ne
sont pas pour autant de nature à ébranler la crédibilité de son récit dans sa globalité. En second
lieu, le tribunal constate que le ministre a mis en doute une grande partie du récit de la
demanderesse, sans pour autant se prononcer sur la raison qui d’après elle l’a effectivement
amenée à quitter l’Ethiopie, à savoir la crainte d’un mariage forcé. La décision intervenue est
en effet quasi exclusivement basée sur un manque de crédibilité du récit de la demanderesse et
manque de faire une analyse de sa situation concrète. Par ailleurs, il y a lieu de constater que
tout comme dans sa décision entreprise, le ministre n’a pas non plus pris position par rapport à
ces éléments en cours de procédure contentieuse, mais qu’il a écarté les explications de la
demanderesse au seul motif que la demanderesse serait trop âgée pour faire l’objet d’un
mariage forcé, de sorte à s’être limité à mettre en doute la crédibilité de son récit.
Il résulte des développements qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et des moyens
échangés de part et d’autre, il y a lieu d’admettre que la demanderesse prétend à juste titre à la
2
cf. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, HCNR, Genève, janvier
1992, n° 90, p. 23
12
reconnaissance du statut de réfugié et de réformer la décision déférée en ce sens.
L’analyse de la demande subsidiaire en obtention de la protection subsidiaire et du
refus afférent du ministre devient, au vu de la conclusion ci-avant, surabondante.
Etant donné que l’article 19 (3) de la loi modifiée du 5 mai 2006 prévoit un recours en
annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil
ordre contenu dans la décision déférée du 19 août 2009 a pu valablement être dirigé contre la
décision ministérielle entreprise. Le recours en annulation ayant été introduit par ailleurs dans
les formes et délai de la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre
prise dans le cadre de la procédure accélérée vaut ordre de quitter le territoire.
Dans la mesure où le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que la
demanderesse est fondée à se prévaloir du statut de réfugié et que la décision de refus
entreprise est à réformer dans cette mesure, il y a lieu d’annuler l’ordre de quitter le territoire
tel que contenu dans la décision ministérielle déférée du 19 août 2009.
Par ces motifs ;
le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement,
reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle portant refus
d’un statut de réfugié et d’une protection subsidiaire ;
au fond, le déclare justifié,
partant, par réformation, accorde à Madame ... le statut de réfugié au sens de la
Convention de Genève,
dit qu’il n’y a pas lieu d’analyser le recours en annulation formulé à titre subsidiaire ;
reçoit encore en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le
territoire ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, annule l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle du
19 août 2009 ;
condamne l’Etat aux frais.
13
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 janvier 2010 par :
Paulette Lenert, vice-président,
Marc Sünnen, premier juge,
Thessy Kuborn, juge,
en présence du greffier Arny Schmit.
s. Arny Schmit
s. Paulette Lenert
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