Trib Commerce 2.vp - Unité de droit judiciaire

Transcription

Trib Commerce 2.vp - Unité de droit judiciaire
LES PROCÉDURES ACCÉLÉRÉES EN
DROIT COMMERCIAL (RÉFÉRÉ, COMME
EN RÉFÉRÉ, AVANT DIRE DROIT,
TOUTES AFFAIRES CESSANTES) :
PRINCIPES, CONDITIONS ET
CARACTÉRISTIQUES
par
Hakim BOULARBAH
Avocat, maître de conférences à l’Université libre de Bruxelles
et
Xavier TATON
Avocat, assistant à l’Université libre de Bruxelles
1. Introduction
1.
Objet de la présente étude. C’est un lieu commun que d’encore
écrire aujourd’hui que la vie des affaires ne peut supporter le rythme,
souvent très lent, avec lequel l’œuvre de justice est rendue. Pour pallier
notamment cet écueil, le législateur a très tôt créé une juridiction
spécifique au « droit des marchands », le tribunal de commerce. Son
président, saisi par voie de référé et, en cas d’absolue nécessité, par voie
de requête unilatérale, a été pendant longtemps le garant du traitement
des cas urgents qui ne pouvaient être réglés en temps opportun par le
tribunal. Progressivement, la recherche d’efficacité a conduit à la
création, à côté de ces voies classiques, de nouvelles procédures
dérogatoires, se déroulant tantôt « comme en référé », tantôt « toutes
affaires cessantes ».
7
La présente étude a pour objet l’examen des principes, conditions
et caractéristiques de ces différentes procédures « accélérées » existant
devant les juridictions commerciales 1. Cette analyse pourra s’appuyer
sur deux récents ouvrages qui ont traité de manière très complète et
générale les procédures urgentes 2. Aussi, il ne sera pas proposé un
exposé complet et exhaustif de toutes les questions suscitées par la
matière examinée mais un rappel de ses aspects les plus importants, tout
en développant certaines questions qui demeurent les plus délicates ou
importantes dans la pratique.
2.
Plan. Après avoir rappelé les principes régissant les procédures en
référé, soit celles dans lesquelles la juridiction s’exerce au provisoire
dans les formes de l’urgence (2), nous examinerons ceux qui gouvernent
les procédures initiées sur requête unilatérale en raison de l’absolue
nécessité (3). Il conviendra ensuite d’étudier le régime des actions au
fond mais formées et instruites « comme en référé » (4) et celui des
décisions provisoires rendues par le juge du fond (5). Enfin, on
mentionnera brièvement l’existence de quelques procédures accélérées
tout à fait spécifiques (6).
2. Le référé devant les juridictions commerciales –
Le provisoire dans les formes de l’urgence
3.
Objet de la présente section. Parmi les contributions qui suivent,
plusieurs sont consacrées à l’intervention du juge des référés dans des
domaines primordiaux de la vie commerciale. En guise d’introduction à
ces développements particuliers, la présente section a pour objet de
rappeler de manière synthétique les principes, les conditions et les
caractéristiques du référé commercial en général, en insistant
notamment sur les principales controverses subsistant en la matière.
(1)
Par « juridictions commerciales », on entend le tribunal de commerce, son
président ainsi que la cour d’appel, siégeant au second degré de juridiction ou dans le
cadre de l’une de ses compétences directes.
(2)
Le référé judiciaire, J. ENGLEBERT et H. BOULARBAH (dir.), éd. J.B.
Bruxelles, 2003, ainsi que Les actions en cessation, J.-F. van DROOGHENBROECK
(coord.), CUP, Volume 87, mai 2006, Bruxelles, Larcier.
8
2.1 Questions de recevabilité
4.
Influence des clauses contractuelles. L’insertion par les parties
de clauses contractuelles précisant une procédure alternative de
règlement de leur litige, peut avoir une influence sur la recevabilité de
certaines demandes en référé. En effet, la demande en référé ne permet
pas aux parties de méconnaître la procédure convenue de règlement des
litiges. À titre d’exemple, si un contrat de bail prévoit qu’un inventaire
de sortie et un état des lieux seront établis conjointement au moment de
la résiliation ou de l’expiration du bail, chacune des parties est en droit
de réclamer l’application de cette procédure contractuelle et de
s’opposer à une demande en référé tendant à la désignation d’un expert
judiciaire 3.
5.
Référé et arbitrage. En vertu de l’article 1679, alinéa 2, du Code
judiciaire, une convention d’arbitrage n’est pas incompatible avec une
demande en référé tendant à obtenir des mesures conservatoires ou
provisoires 4. L’introduction d’une demande en référé n’implique
aucune renonciation à la clause d’arbitrage 5.
(3)
J.P. Mons (1er canton), 8 décembre 1997, R.G. 1549/97, inédit, faisant droit à la
tierce opposition formée contre l’ordonnance prononcée par la même justice de paix le
10 octobre 1997 sur requête unilatérale. Nous n’apercevons pas de raison de retenir une
solution différente à l’égard d’une procédure en référé contradictoire devant le président
du tribunal de commerce.
(4)
Pour des cas d’application, voy. notamment : comm. Hasselt (réf.), 16 février 2004,
R.D.C., 2005, p. 86, et la note de J. DECOKER, « Kort geding en arbitrage in drie
stappen », p. 88 et suiv. ; comm. Anvers (réf.), 24 septembre 2001, R.W., 2005-2006,
p. 557 (abrégé). La question demeure ouverte de savoir si les parties peuvent
conventionnellement exclure la compétence du juge des référés étatique au profit des
arbitres (voy. réc. G. de LEVAL, « L’arbitre et le juge étatique : quelle collaboration ? »,
Rev. Dr. intern. et dr. Comp., 2005, p. 11).
(5)
À ce sujet, voy. M. HUYBRECHTS et I. VEROUGSTRAETE, « Relations avec
les juges. Relatie met de rechters », in X., Macht en onmacht van de arbiter. L’arbitre :
pouvoirs et statut, Bruylant, Bruxelles, 2003, p. 354.
9
2.2 Questions de compétence matérielle
6.
Compétence au fond du tribunal de commerce. En vertu de
l’article 584, alinéa 2, du Code judiciaire, le président du tribunal de
commerce est compétent pour statuer au provisoire dans les cas dont il
reconnaît l’urgence, dans les matières qui sont de la compétence du
tribunal de commerce 6 7.
Il existe une controverse sur la question de savoir si, en cas de
litige au fond porté à juste titre devant le tribunal de commerce, le
président de ce tribunal devient automatiquement compétent pour les
« incidents » urgents liés à ce litige 8. À notre estime, en l’absence de
disposition particulière en ce sens, la compétence matérielle du
président du tribunal de commerce doit s’apprécier indépendamment de
tout litige pendant au fond qui serait lié à la demande en référé.
7.
Compétence de la cour d’appel de Bruxelles en matière
d’offres publiques d’acquisition. En vertu de l’article 18ter, § 1er, de la
loi du 2 mars 1989 relative à la publicité des participations importantes
dans les sociétés cotées en bourse et réglementant les offres publiques
d’acquisition 9, la cour d’appel de Bruxelles dispose d’une compétence
exclusive pour toute demande, au provisoire vu l’urgence, fondée en
tout ou en partie sur la réglementation des OPA, ou qui a pour objet ou
(6)
Voy. les articles 573 à 576 du Code judiciaire. Le président du tribunal de
commerce n’est donc pas compétent pour des infractions au droit d’auteur et aux droits
voisins, et ce quelle que soit la qualité des parties (comm. Hasselt (réf.), 24 décembre
2004, I.R.D.I., 2005, p. 123). Voy. également : comm. Hasselt (réf.), 14 janvier 2000,
Limb. Rechtsl., 2000, p. 144.
(7)
La compétence du président du tribunal de commerce n’exclut jamais celle du
président du tribunal de première instance, auquel l’article 584, alinéa 1er, du Code
judiciaire attribue une plénitude de juridiction en matière de référé.
(8)
Dans une ordonnance du 3 juin 2003, le président du tribunal de commerce de
Hasselt a considéré que, lorsqu’une cause est portée à juste titre devant le tribunal de
commerce et qu’une partie saisit le juge des référés d’un incident, le président du tribunal
de commerce peut s’estimer compétent, même si la défenderesse en référé est une société
civile, parce que le « cas » relève de la compétence du tribunal de commerce (comm.
Hasselt (réf.), 3 juin 2003, R.D.J.P., 2003, p. 309). À l’inverse, une ordonnance du même
président du 15 décembre 2003 a estimé, sur la base d’une application analogique de
l’article 564 du Code judiciaire relatif aux demandes en intervention, que seul le président
du tribunal de première instance est compétent pour connaître d’une demande tendant à
déclarer commune une ordonnance de ce président (comm. Hasselt (réf.), 15 décembre
2003, RABG, 2004, p. 1200).
(9)
Introduit par l’article 5 de la loi du 2 août 2002 complétant la loi du 2 août 2002
relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers et modifiant
diverses autres dispositions légales (M.B., 4 septembre 2002, p. 39.174).
10
est susceptible d’avoir pour effet de provoquer l’ouverture d’une OPA
ou de modifier le résultat, les conditions ou le déroulement d’une telle
offre 10.
8.
L’urgence comme condition de compétence. Il est aujourd’hui
bien établi que l’urgence constitue à la fois une condition de compétence
matérielle du juge des référés, et une condition de fond 11. En tant que
condition de compétence, l’urgence s’apprécie en fonction de l’objet de
la demande, tel qu’il est libellé dans la citation introductive
d’instance 12. Par conséquent, dès que le demandeur en référé invoque
l’urgence, de manière explicite ou implicite, dans sa citation, le juge des
référés est compétent pour connaître de sa demande 13.
Si le demandeur en référé n’invoque pas l’urgence en termes de
citation, il y aura lieu à incident de répartition 14 ou à déclinatoire de
compétence 15, selon que le juge du fond compétent fait ou non partie de
la même juridiction que le président initialement saisi.
En degré d’appel, il résulte des articles 643 et 1068 du Code
judiciaire que, si l’urgence n’était pas invoquée dans la citation mais que
le juge d’appel constate qu’il est lui-même le juge d’appel du juge
compétent au fond, il doit statuer sur la demande en tant que juge du
fond 16. S’il n’est pas le juge d’appel du juge compétent au premier
(10) Voy. également les articles 605ter et 633bis du Code judiciaire, insérés par les
articles 8 et 9 de la loi du 2 août 2002. Sur la compétence de la cour d’appel de Bruxelles de
connaître d’une telle demande au fond, voy. infra le chapitre 6.
(11) Cass., 11 mai 1990 (deux arrêts), Pas., I, 1045 et 1050 ; comm. Courtrai (réf.),
25 juin 2001, R.W., 2003-2004, p. 476.
(12) Cass., 8 septembre 1978, Pas., 1979, I, 29.
(13) J. ENGLEBERT, « Le référé judiciaire : principes et questions de procédure », in
X., Le référé judiciaire, Jeune Barreau, Bruxelles, 2003, p. 5 et suiv., spéc. p. 10, n° 9.
L’urgence doit néanmoins être invoquée dans la citation elle-même. À titre d’exemple, le
fait que l’urgence ait été invoquée dans une ordonnance désignant un expert ne permet pas
de déduire l’urgence d’une demande ultérieure en déclaration d’ordonnance commune
(comm. Anvers (réf.), 2 décembre 2002, R.D.J.P., 2002, p. 342).
(14) Au sein du tribunal de commerce, l’incident de répartition se règle en application
de l’article 726 du Code judiciaire, selon lequel le président du tribunal de commerce
distribue, s’il y a lieu, les causes à une autre chambre que la chambre d’introduction.
(15) Articles 639 et suivants du Code judiciaire.
(16) Cass., 11 mai 1990, Pas., I, 1045 ; Bruxelles, 13 avril 1999, Rev. prat. soc., 2000,
p. 83 ; Bruxelles, 15 février 1995, Pas., 1994, II, 45 ; H. BOULARBAH, « Variations
autour de l’appel des ordonnances ‘sur référé’ », in X., Imperat lex. Liber Amicorum
Pierre Marchal, Larcier, Bruxelles, 2003, p. 225 et suiv., spéc. p. 244, n° 15.
11
degré, il doit renvoyer la cause au juge d’appel de ce dernier pour qu’il
statue au fond 17.
2.3 Questions de compétence territoriale
9.
Compétence internationale. Si le défendeur en référé est
domicilié sur le territoire d’un État membre de l’Union européenne, la
compétence internationale du juge des référés doit être vérifiée au
regard des dispositions du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre
2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et
l’exécution des décisions en matière civile et commerciale 18. Dans ce
cas, les demandes de mesures provisoires relèvent de la juridiction du
juge belge des référés soit lorsque le litige au fond relève de la
juridiction des cours et tribunaux belges en vertu des articles 2 et 5 à 23
du règlement 19, soit lorsqu’il existe un lien réel entre l’objet des
mesures demandées et la compétence territoriale du juge belge saisi,
attribuée en vertu du droit national de la procédure. Ce lien existera
notamment si la mesure demandée doit sortir ses effets en Belgique 20.
Si aucun instrument international ne s’applique, le pouvoir de
juridiction du juge des référés est déterminé par le Code de droit
international privé 21. Sur le modèle du système prévu par le règlement
(CE) n° 44/2001, l’article 10 du Code précise que dans les cas
d’urgence, les juridictions belges sont compétentes pour prendre des
mesures provisoires ou conservatoires et des mesures d’exécution soit
lorsqu’elles sont compétentes pour connaître du fond, soit lorsque les
mesures demandées concernent des personnes ou des biens se trouvant
en Belgique lors de l’introduction de la demande 22.
(17) Cass., 24 décembre 1987, Pas., 1988, I, 510 ; Bruxelles, 7 juin 1995, Pas., II, 33 ;
P. MARCHAL, Les référés, Bruxelles, Larcier, 1992, p. 53, n° 22.
(18) La Convention de Lugano du 16 septembre 1988 est en vigueur vis-à-vis de
l’Islande, de la Suisse et de la Norvège. Les dispositions de ces instruments internationaux
sont cependant fort similaires.
(19) Comm. Courtrai (réf.), 25 juin 2002, R.W., 2004-2005, p. 29 ; comm. Courtrai
(réf.), 22 janvier 2001, R.W., 2002-2003, p. 785.
(20) Article 31 du règlement (CE) n° 44/2001 ; Comm. Courtrai (réf.), 25 juin 2001,
R.W., 2003-2004, p. 476.
(21) Loi du 16 juillet 2004 portant le Code de droit international privé, M.B., 27 juillet
2004, p. 57.344.
(22) Voy. sur cette disposition, H. BOULARBAH, « Le nouveau droit commun des
incidents de compétence », R.D.J.P., 2004, p. 192-193 ; P. WAUTELET, « Le Code de
12
10. Compétence interne. En règle, la demande de référé est
introduite devant le président dont le tribunal est territorialement
compétent pour connaître du fond. Il est cependant généralement admis
que la demande peut également être introduite devant le président du
tribunal du lieu où la mesure demandée doit être exécutée, en tout ou en
partie, même si ce tribunal est territorialement incompétent pour
connaître du fond 23.
2.4 Questions de fond
2.4.1 L’urgence comme condition de fond
11. Définition. Selon la définition traditionnellement admise, il y a
urgence « dès que la crainte d’un préjudice d’une certaine gravité,
voire d’inconvénients sérieux, rend une décision immédiate
souhaitable » 24. L’urgence n’est pas établie si le litige peut être tranché
avec la même efficacité dans le cadre de la procédure ordinaire 25.
Comme l’urgence constitue également une condition de
fondement de la demande en référé, si, après s’être déclaré compétent au
vu du libellé de la citation, le président du tribunal constate que
l’urgence n’est pas réellement établie, il doit déclarer la demande non
fondée 26.
12. Applications pratiques. La condition d’urgence s’apprécie
d’abord par référence à la durée de la procédure au fond qui a ou aurait
droit international privé et le procès international », in Actualités de droit judiciaire, CUP,
volume 87, Bruxelles, Larcier, 2005, p. 339 et s.
(23) Cass., 22 décembre 1989, Pas., 1990, I, 504 ; comm. Anvers (réf.), 19 octobre
2001, R.W., 2002-2003, p. 872 ; P. MARCHAL, Les référés, op. cit., p. 78, n° 48.
(24) Cass., 21 mai 1987, R.W., 1987-1988, p. 1425 ; Bruxelles, 29 juin 1994, R.W.,
1994-1995, p. 259 ; civ. Bruxelles (réf.), 10 novembre 2003, R.G. 2003/1211/C, inédit.
(25) En effet, le juge des référés doit rester un recours exceptionnel pour le justiciable,
qui ne peut saisir celui-ci que s’il ne peut pas obtenir un résultat utile en suivant la
procédure ordinaire (Liège (réf.), 15 novembre 1991, J.L.M.B., 1992, p. 396 ; J. VAN
COMPERNOLLE et G. CLOSSET-MARCHAL, « Examen de jurisprudence (1985 à
1998). Droit judiciaire privé », R.C.J.B., 1999, p. 59 et suiv., spéc. p. 153, n° 356).
(26) Cass., 10 avril 2003, J.L.M.B., 2003, p. 581 ; Cass., 6 mai 1991, Pas., I, 78 ; civ.
Charleroi (réf.), 8 avril 1997, R.R.D., 1997, p. 304. Contra : comm. Bruxelles (réf.),
21 mars 2000, J.L.M.B., 2001, p. 469, et les observations critiques de J. ENGLEBERT,
« Référé et urgence », p. 470. Cette ordonnance a considéré, à tort, que si l’urgence,
invoquée en citation, fait défaut, il appartiendrait au juge des référés de renvoyer la cause
au juge du fond compétent.
13
pu être introduite par le demandeur en référé 27. Ainsi, le fait que la
cause principale soit en délibéré ou sur le point d’être plaidée devant le
juge du fond au moment où l’ordonnance de référé va être prononcée,
ôte toute urgence à la procédure en référé 28. Il n’y a pas davantage
urgence lorsque le juge du fond pourrait statuer dans un délai limité
comparable 29. Certaines ordonnances de référé témoignent cependant
d’une sévérité excessive en rejetant l’urgence au seul motif que le
demandeur pouvait demander une mesure provisoire à l’audience
d’introduction devant le juge du fond, sur pied des articles 19, alinéa 2,
et 735 du Code judiciaire 30.
Inversement, la seule invocation de l’arriéré judiciaire et des
lenteurs de la procédure ordinaire ne suffit pas à établir l’urgence,
celle-ci devant être étayée par des éléments de fait propres à la cause 31.
Les présidents des tribunaux de commerce s’attachent d’ailleurs à
prendre en considération les conditions commerciales particulières dans
lesquelles se déroule le litige. Ainsi, l’urgence de la vie économique en
matière de distribution de produits liés à un phénomène de mode, a
permis à une partie se plaignant d’actes de contrefaçon de sa marque,
d’obtenir une décision en référé 32. De même, la radiation d’un
intermédiaire de crédit, même limitée à quinze jours, a été considérée
(27) En présence d’une clause d’arbitrage, la comparaison doit être faite avec la durée
requise pour la prise de mesures efficaces au sein de la procédure d’arbitrage, en ce
compris le temps nécessaire pour obtenir l’exequatur de la sentence arbitrale (comm.
Hasselt (réf.), 16 février 2004, R.D.C., 2005, p. 86, et la note précitée de J. DECOKER,
spéc. p. 89 et 90, n° 5).
(28) Liège, 17 juin 2002, J.T., 2002, p. 667 ; Liège, 31 août 1995, J.L.M.B., 1995,
p. 1523.
(29) Comm. Charleroi (réf.), 11 décembre 2002, Bull. ass., 2003, p. 383.
(30) J. ENGLEBERT, « Le référé…», op. cit., p. 16 à 18, n° 16 et 17, et les réf. citées.
Adde comm. Bruxelles (réf.), 18 décembre 2003 et 27 mai 2004, R.G. RK 252/2003,
inédit. Dans cette espèce, la demanderesse avait introduit sa demande en référé par citation
du 22 août 2003. Par une ordonnance interlocutoire du 18 décembre 2003, le président du
tribunal de commerce de Bruxelles a ordonné la réouverture des débats pour permettre aux
parties de déposer d’autres pièces. Néanmoins, dans son ordonnance du 27 mai 2004, le
même président a exclu l’urgence à statuer, aux motifs qu’une procédure au fond était déjà
pendante devant le tribunal de commerce de Bruxelles, que le tribunal pouvait aménager
une situation d’attente sur la base des articles 19, alinéa 2, et 735 du Code judiciaire, et que
l’économie processuelle exigeait de renvoyer l’affaire au juge du fond. Cette décision
nous paraît critiquable, dans la mesure où le président du tribunal n’a pas vérifié si la
demande était ou non de nature à être traitée en débats succincts et que, s’il rejetait
l’urgence, il devait déclarer la demande en référé non fondée. Sur les mesures provisoires
au sens de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire, voy. infra le chapitre 5.
(31) J. ENGLEBERT, « Le référé…», op. cit., p. 14 et 15, n° 15, et les réf. citées.
(32) Comm. Liège (réf.), 13 octobre 2000, Ing.-Cons., 2001, p. 131.
14
comme susceptible d’emporter des inconvénients sérieux pour la société
demanderesse 33. Par contre, il n’y a pas urgence à désigner un expert
sur la demande d’un actionnaire, lorsque des administrateurs
provisoires ont déjà été désignés pour prendre des mesures
conservatoires et qu’il n’existe aucune menace de disparition des
matériaux de preuve 34.
Pour s’assurer qu’une mesure d’instruction ordonnée en référé
soit mise en œuvre en temps utile, un délai est parfois imposé au
demandeur, sous peine de déchéance de la mesure ordonnée 35.
13. Inertie du demandeur. Il est admis qu’il n’y a pas lieu à référé
lorsque le demandeur a trop tardé à introduire son action, ou s’il a
provoqué lui-même la situation d’urgence dont il se prévaut 36. Ainsi, le
fait que l’administration fiscale attende plus de deux ans pour contrôler
les revenus imposables d’un contribuable, de sorte qu’elle ne dispose
plus que de cinq mois pour effectuer ce contrôle au moment de sa
citation, ne lui permet pas d’invoquer l’urgence pour saisir le juge des
référés 37. De même, l’action d’un associé en suspension d’une décision
du conseil d’administration a été rejetée pour manque d’urgence, parce
qu’elle avait été intentée avec neuf mois de retard, que le demandeur
connaissait la portée de la décision et avait adopté une attitude ambiguë
à cet égard 38.
Il ne faut cependant pas assimiler inertie du demandeur et absence
d’introduction de la demande en référé. En effet, le retard n’exclut pas
l’urgence lorsqu’il peut être justifié par un motif légitime 39. Ainsi, un
délai de plus de deux ans entre la naissance du dommage et
l’introduction de la demande en référé n’a pas été jugé comme
(33) Comm. Charleroi (réf.), 11 avril 2003, J.T., 2003, p. 469, et la note.
(34) Comm. Ypres (réf.), 22 décembre 2000, T.R.V., 2001, p. 44, et la note de
J. VANANROYE, « De vordering van een aandeelhouder tot aanstelling van een
deskundige ».
(35) Comm. Courtrai (réf.), 19 juin 2003, T.G.R., 2003, p. 267.
(36) Comm. Liège (réf.), 3 juillet 2002, R.D.C., 2004, p. 295 ; comm. Nivelles (réf.),
19 avril 2002, Res Jur. Imm., 2002, p. 303, et la note de J. LAMBERS et D. RAES ;
P. MARCHAL, Les référés, op. cit., p. 50, n° 16.
(37) Comm. Namur (réf.), 3 novembre 2000, Juristenkrant, liv. 21, p. 10 (reflet
DE RAEDT).
(38) Comm. Louvain (réf.), 11 octobre 2001, T.R.V., 2003, p. 601.
(39) J. VAN COMPERNOLLE et G. CLOSSET-MARCHAL, « Examen de
jurisprudence… », op. cit., R.C.J.B., 1999, p. 152 et 153, n° 355.
15
constituant une inertie coupable dans le chef du demandeur, car celui-ci
avait, dans l’intervalle, recherché une solution amiable 40.
Enfin, l’inertie du demandeur en référé n’exclut pas l’urgence
lorsque des faits nouveaux ont récemment aggravé la situation existante
ou encore lorsque celle-ci empire sous l’effet de la durée 41.
14. Disparition de l’urgence en cours d’instance. En tant que
condition de fond, l’urgence à statuer doit subsister jusqu’au moment de
la décision du juge des référés 42. En cas de disparition de l’urgence en
cours d’instance, le juge des référés doit donc déclarer la demande non
fondée 43.
15. Abréviation du délai de citation. Si l’urgence à statuer est telle
que le délai de citation de deux jours apparaît trop long, le demandeur
peut obtenir, sur requête unilatérale, une ordonnance d’abréviation du
délai de citer 44.
16. Urgence en degré d’appel. En cas d’appel, l’urgence doit
s’apprécier au moment de la décision du juge d’appel 45. Par
conséquent, l’urgence à statuer peut disparaître en degré d’appel, ou, au
contraire, apparaître ou s’accroître pendant la procédure d’appel, par la
suite de l’aggravation des circonstances ou de l’écoulement du temps 46.
Si une mesure provisoire a été accordée en première instance et
que le juge d’appel constate que l’urgence a disparu au moment où il
statue, il appartient, à notre estime, au juge d’appel de statuer sur la
(40) Bruxelles, 27 janvier 2000, J.T., 2001, p. 28. Voy. également : civ. Liège (réf.),
4 juillet 2002, J.L.M.B., 2003, p. 212.
(41) Liège, 19 mai 1996, R.G.A.R., 1996, n° 12.763, et les observations de J-F. van
DROOGHENBROECK, « La désignation de l’expert par la juridiction des référés.
Réflexions sur l’urgence et le provisoire » ; civ. Liège (réf.), 2 décembre 2002, J.L.M.B.,
2003, p. 1017 ; civ. Namur (réf.), 31 juillet 2000, J.T., 2001, p. 33 ; civ. Bruxelles (réf.),
15 septembre 2000, J.T., 2001, p. 30 ; civ. Bruxelles (réf.), 21 octobre 1999, J.T., 2001,
p. 35.
(42) Cass., 11 mai 1998, Pas., I, 536.
(43) J. ENGLEBERT, « Le référé… », op. cit., p. 19, n° 19.
(44) Article 708 du Code judiciaire.
(45) J. ENGLEBERT, « Le référé judiciaire… », op. cit., p. 21, n° 21.
(46) Bruxelles, 9 janvier 1987, J.L.M.B., 1987, p. 338 ; H. BOULARBAH,
« Variations… », op. cit., p. 235, n° 8 à 10.
16
confirmation ou la réformation de l’ordonnance dont appel 47, et dans
l’hypothèse où il confirme cette décision, de dire pour droit qu’il n’y a
plus lieu à référé à ce stade 48.
17. Contrôle de la Cour de cassation. Selon la jurisprudence de la
Cour de cassation, l’urgence est une question de fait laissée à
l’appréciation souveraine du juge des référés. Le contrôle de la Cour se
limite dès lors à vérifier si le juge des référés a pu légalement déduire
l’existence ou l’absence d’urgence de ses constatations de fait 49.
2.4.2 Le provisoire
18. Étude récente. L’évolution de la notion de « provisoire » a fait
l’objet d’une étude particulièrement fouillée de J. Englebert lors d’un
précédent colloque organisé par le Jeune Barreau en octobre 2003 50.
Dans le cadre de la présente contribution, nous nous limiterons dès lors à
résumer l’état de la question, à l’illustrer par des cas récents et à y
ajouter certaines réflexions complémentaires. Pour le surplus, nous
nous permettrons de renvoyer à l’analyse de J. Englebert, dont nous
partageons entièrement les conclusions.
19. Définition actuelle. Il est aujourd’hui admis en doctrine et en
jurisprudence que la précision de l’article 584, alinéas 1er et 2, du Code
judiciaire, selon laquelle le juge des référés statue au provisoire, signifie
uniquement que l’ordonnance de référé n’est pas revêtue de l’autorité de
chose jugée à l’égard du juge du fond 51. La notion de « provisoire » n’a
donc pas d’autre portée que d’annoncer la règle inscrite à l’article 1039,
alinéa 1er, du même code, selon laquelle les ordonnances de référé ne
(47) Notamment en appréciant l’urgence au moment de l’ordonnance dont appel.
(48) H. BOULARBAH, « Variations… », op. cit., p. 240 à 243, n° 13. La Cour de
cassation considère cependant que, lorsqu’un défendeur en référé interjette appel de
l’ordonnance qui lui a imposé une mesure provisoire, le juge d’appel n’est pas tenu de
statuer sur la mesure ordonnée, mais peut se borner à statuer eu égard au caractère urgent
de la cause (Cass., 19 janvier 2006, R.G. C.04.0544.N, http://www.cass.be ; Cass.,
19 septembre 2002, R.G. C.01.0527.F, http://www.cass.be ; Cass., 9 juin 2000, Pas., I,
1051).
(49) M. REGOUT, « Le contrôle de la Cour de cassation sur les décisions de référé », in
X., Le référé judiciaire, Jeune Barreau, Bruxelles, 2003, p. 123 et suiv., spéc. p. 124 et
125, n° 2 et 3 ; D. LINDEMANS, Kortgeding, Kluwer, Anvers, 1985, n° 113.
(50) J. ENGLEBERT, « Le référé judiciaire… », op. cit., p. 25 à 50, n° 27 à 57, et les
nombreuses réf. citées.
(51) J. ENGLEBERT, «Le référé judiciaire…», ibid., p. 25, n° 27.
17
portent pas préjudice au principal.
20. Controverse. Cependant, selon la jurisprudence et la doctrine
classiques, il résulterait également de la notion de « provisoire » que le
juge des référés ne pourrait prononcer des mesures d’anticipation qu’en
présence de droits évidents, tandis que seules des mesures
conservatoires pourraient être ordonnées si les droits allégués ne sont
qu’apparents 52. Cette thèse classique continue à être appliquée
majoritairement par la jurisprudence 53.
Dans son étude précitée, J. Englebert s’est opposé de manière
convaincante à cette thèse classique, en proposant de retenir une
conception extensive du « provisoire » qui mette un terme à la
distinction floue entre droits apparents et droits évidents. Son
raisonnement est notamment fondé sur les arguments suivants.
Premièrement, la distinction entre droits apparents et droits évidents
n’est pas conforme à l’acception actuellement admise de la notion de
« provisoire », qui signifie uniquement que les ordonnances de référé ne
portent pas préjudice au principal 54. Ensuite, il est paradoxal de
maintenir la distinction entre droits évidents et droits apparents alors
que cette théorie restrictive s’est développée à partir d’une
jurisprudence obsolète selon laquelle la notion du « provisoire »
interdirait au juge des référés de se prononcer sur le fond du droit 55. En
réalité, le juge des référés apprécie, comme chaque juge, les droits des
parties au regard des arguments développés devant lui, à la seule
différence qu’il effectue cet examen sous le bénéfice de l’urgence 56.
D’autre part, la plus grande confusion règne en doctrine et en
jurisprudence sur la distinction entre droits apparents et droits évidents,
ce qui laisse une marge d’appréciation considérable au juge des
(52) Voy. notamment : Cass., 25 novembre 1996, Pas., I, 1158 ; Cass., 13 mai 1991,
Pas., I, 797 ; Cass., 22 février 1991, Pas., I, 607 ; Cass., 29 septembre 1983, Pas., 1984, I,
84 ; J. VELU, conclusions précédant Cass., 21 mars 1985, op. cit., p. 915 ; J. VAN
COMPERNOLLE, «Actualité du référé», Ann. dr. Louvain, 1989, p. 141 et suiv., spéc.
p. 149.
(53) Voy. comm. Anvers (réf.), 10 juin 2002, Dr. eur. transp., 2003, p. 108 ; comm.
Courtrai (réf.), 22 janvier 2001, R.W., 2002-2003, p. 785. Le prononcé de mesures
provisoires comme la désignation d’un séquestre ou d’un expert judiciaire ne suscite
évidemment aucune difficulté (comm. Bruxelles (réf.), 6 décembre 2005, J.L.M.B., 2006,
p. 480, et la note de G. de LEVAL ; comm. Anvers (réf.), 21 juin 2002, Dr. eur. transp.,
2003, p. 112).
(54) J. ENGLEBERT, «Le référé judiciaire…», op. cit., p. 28 et 29, n° 34.
(55) Voy. Cass., 13 janvier 1972, Pas., I, 469.
(56) J. ENGLEBERT, ibid., p. 29 à 31, n° 35 à 36.
18
référés 57. Enfin, le référé-provision ne constitue qu’un cas particulier
de mesure d’anticipation, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’y retenir
l’exigence d’un droit évident, alors que cette condition n’est pas retenue
pour d’autres mesures d’anticipation 58.
21. L’examen des droits des parties. La Cour de cassation admet
aujourd’hui que le juge des référés peut examiner les droits des parties, à
la condition qu’il n’ordonne aucune mesure susceptible de porter
définitivement et irrémédiablement atteinte à ceux-ci 59. Cette limite
imposée au juge des référés se comprend aisément. En effet, une mesure
causant un préjudice définitif et irréparable priverait d’intérêt la
procédure subséquente au fond 60, de sorte que le juge du fond serait
de facto lié par l’ordonnance de référé.
L’application pratique de cette condition est nettement plus
délicate, et les sensibilités divergent au sein de la jurisprudence. Au vu
de la justification de cette limite au pouvoir du juge des référés, nous
pensons qu’il y a lieu de retenir le critère suivant. La mesure ordonnée
en référé ne doit pas priver la partie condamnée de la possibilité
d’obtenir, en cas de jugement contraire du juge du fond, le respect de ses
(57) J. ENGLEBERT, ibid., p. 31, 32, 36 à 45, n° 37, 43 à 52.
(58) J. ENGLEBERT, ibid., p. 45 à 50, n° 53 à 57.
(59) Cass., 31 janvier 1997, Pas., I, 148 ; Cass., 9 septembre 1982, Pas., 1983, I, 48.
Voy. également la remarque pertinente de X. Dieux, selon laquelle « il eut été sans intérêt
de prévoir que le juge du fond n’est pas lié par les appréciations du juge des référés, s’il
était interdit à ce dernier de se pencher sur les droits des parties » (X. DIEUX, « La
formation, l’exécution et la dissolution des contrats devant le juge des référés », note sous
civ. Liège (réf.), 2 février 1984, R.C.J.B., 1987, p. 250 et suiv., spéc. p. 254).
(60) Cass., 14 juin 1991, Bull. Cass., p. 899 ; J. ENGLEBERT, ibid., p. 31, n° 36.
19
droits pour l’avenir 61 62. En d’autres termes, les effets de l’ordonnance
de référé doivent pouvoir être anéantis pour le futur, fût-ce par le biais
d’une réparation par équivalent.
22. L’application des règles de droit par le juge des référés. Selon
la jurisprudence de la Cour de cassation, si le juge des référés peut
examiner les droits des parties, il n’est, par contre, pas soumis à la même
obligation que le juge du fond d’appliquer correctement les règles de
droit au litige urgent qui lui est soumis. En effet, la Cour ne se reconnaît
qu’un contrôle marginal sur la légalité des décisions de référé 63, en
vertu duquel le juge des référés ne peut pas appliquer
déraisonnablement des règles de droit ni refuser déraisonnablement
d’appliquer celles-ci dans le cadre de son raisonnement 64. Selon
M. Regout, le rôle spécifique du juge des référés justifierait qu’il lui soit
ainsi reconnu « un certain droit à l’erreur » 65.
Cette thèse n’emporte cependant pas notre conviction. Au
contraire, il nous semble qu’en tant que juge, le juge des référés est tenu
(61) Par contre, le fait qu’un dommage soit subi entre-temps par la partie condamnée
n’exclut pas que la mesure se voie reconnaître un caractère provisoire. Nous ne pouvons
donc pas nous rallier à une ordonnance du président du tribunal de commerce d’Anvers du
10 juin 2002, qui a admis l’urgence de statuer sur les frais de traitement d’une cargaison
avariée pour éviter l’accroissement du dommage, mais qui a considéré ensuite qu’il ne lui
appartiendrait pas de statuer au provisoire sur la responsabilité pour le dommage causé
aux biens (comm. Anvers (réf.), 10 juin 2002, Dr. eur. transp., 2003, p. 108). Dans cette
espèce, l’octroi d’une provision au demandeur en référé n’aurait pas pu causer un
dommage irréparable au défendeur. En effet, en cas de jugement contraire du juge du fond,
cette partie pouvait demander la restitution de la provision payée et bénéficier de
l’exclusion de sa responsabilité pour l’avenir.
(62) Il résulte de cette condition que le juge des référés ne peut pas dire pour droit que
les parties ont mis fin à leur litige (comm. Hasselt (réf.), 29 mars 2005, R.D.J.P., 2005,
p. 168).
(63) La Cour n’exerce d’ailleurs ce contrôle marginal que par le prisme d’une violation
alléguée de l’article 584 du Code judiciaire. Elle considère en effet que, si le juge des
référés méconnaît une règle de droit, il considère à tort qu’il y a des apparences de droit
suffisantes pour prendre des mesures conservatoires. Par conséquent, il dépasse les limites
de ses compétences de juge des référés telles que définies à l’article 584 du Code judiciaire
(Cass., 4 juin 1993, Pas., I, 542 ; S. RAES, « De toepassing van het recht door de rechter in
kort geding », note sous Cass., 4 juin 1993, R. Cass., 1993, p. 167 et suiv., spéc. p. 169,
n° 14).
(64) Cass., 5 juin 2003, R.G. C.01.0181.F, http://www.cass.be ; Cass., 17 octobre 2002,
R.G. C.01.0268.F, http://www.cass.be ; Cass., 5 mai 2000, Pas.., n° 275 ; Cass., 31 janvier
1997, Pas.., n° 56 ; M. STORME, « Arbeidsrecht en gerechtelijk recht verstaan zij zich
met elkaar ? », T.P.R., 1999, p. 61 et suiv., spéc. p. 67 et 68.
(65) M. REGOUT, « Le contrôle de la Cour de cassation », op. cit., p. 139, n° 23.
20
d’appliquer correctement les règles de droit aux litiges qui lui sont
soumis 66. D’ailleurs, d’un point de vue pratique, s’il y a urgence à
statuer judiciairement sur le litige, les parties n’ont pas d’autre choix
que de saisir le juge des référés. Dans cette mesure, nous n’apercevons
pas quel principe justifierait de réserver délibérément à ces litiges
urgents un traitement juridique de moindre qualité 67.
23. Le prononcé d’une décision constitutive ou déclarative de
droits. Il est également traditionnellement enseigné, à tort selon nous,
que le juge des référés ne pourrait pas prononcer une décision
constitutive ou déclarative de droits. P. Marchal justifie cette règle par le
fait que l’absence d’autorité de la déclaration ou constitution de droits
par le juge des référés, rendrait celle-ci inefficace et dépourvue
d’intérêt 68.
Cependant, dans la mesure où le juge des référés peut apprécier les
droits des parties, nous n’apercevons pas de raison de lui refuser la
possibilité de déclarer, au provisoire, quels sont ces droits. Cette
déclaration ne nous paraît d’ailleurs pas dépourvue d’intérêt, dans la
mesure où l’ordonnance rendue au provisoire dispose d’une autorité de
chose décidée entre les parties 69. Il est évident cependant que cette
déclaration de droit ne liera pas le juge du fond qui pourra la remettre en
cause.
24. Le provisoire en degré d’appel. En matière de référé, l’effet
dévolutif de l’appel signifie uniquement que le juge d’appel est saisi de
l’intégralité du provisoire. Par conséquent, si le juge d’appel considère
qu’une demande excède les limites du provisoire, il doit déclarer la
(66) J-F. van DROOGHENBROECK, « Aspects actuels du référé-provision », in X.,
Les procédures en référé, CUP, vol. 25, Larcier, Bruxelles, 1998, p. 19, n° 16.
(67) Certes, comme le juge des référés doit se prononcer dans l’urgence, il ne peut pas
apprécier le litige avec autant de finesse que le juge du fond. Ces conditions matérielles
plus difficiles justifient que l’ordonnance de référé n’ait pas d’autorité de chose jugée à
l’égard du juge du fond. De même, tous les magistrats n’interpréteront pas les règles de
droit de la même manière ni ne les appliqueront identiquement aux cas qui leur sont
soumis. C’est précisément ce qui justifie l’instauration de voies de recours. Cette situation
ne justifie cependant pas que l’on reconnaisse au juge des référés le droit de commettre des
erreurs de droit, fut-ce de manière non déraisonnable…
(68) P. MARCHAL, Les référés, op. cit., p. 66, n° 32.
(69) Voy. infra n° 33.
21
demande non fondée, et ne peut pas statuer sur cette demande qui ne
relève pas de la juridiction du juge des référés 70.
2.4.3. L’étendue du pouvoir de juridiction du juge des
référés
25. Interdiction préventive. Les juges des référés ont parfois
considéré qu’ils ne pouvaient pas interdire préventivement la diffusion
d’images télévisées 71. Dans un récent arrêt de principe du 2 juin 2006,
la Cour de cassation a cependant considéré que le juge des référés qui
tient provisoirement en suspens la diffusion d’une émission télévisée
afin de garantir une protection effective de l’honneur, de la réputation et
de la vie privée d’autrui, ne contrevient pas à l’article 19 de la
Constitution. Au contraire, le juge des référés puise dans l’article 144 de
la Constitution et dans les articles 18, alinéa 2, 584 et 1039 du Code
judiciaire, le pouvoir d’ordonner les mesures aptes à prévenir une telle
violation des droits d’autrui 72.
26. Intervention en matière contractuelle. Il est de jurisprudence et
de doctrine constantes que le juge des référés peut intervenir dans le
cadre de l’exécution de contrats, en ordonnant la poursuite des relations
contractuelles qu’il constate, ou en ordonnant des injonctions 73 ou des
défenses 74. Le juge des référés a notamment le pouvoir d’ordonner
l’exécution forcée d’une obligation contractuelle à titre de mesure
d’anticipation 75.
(70) Cass., 26 novembre 1998, Pas., I, 1159 ; Cass., 14 juin 1991, Pas., I, 899 ;
H. BOULARBAH, « Variations… », p. 243, n° 14.
(71) Comm. Bruxelles (réf.), 26 octobre 2001, AM, 2002, p. 372.
(72) Cass., 2 juin 2006, R.G. C.03.0211.F, http://www.cass.be.
(73) Pour un exemple d’instructions ordonnées dans le cadre d’un conflit entre un
maître de l’ouvrage et un entrepreneur, voy. comm. Tongres (réf.), 30 octobre 2001,
R.D.C., 2003, p. 259.
(74) P. MARCHAL, Les référés, op. cit., p. 132 et 133, n° 135 et 13, et les nombreuses
références citées. Pour reprendre les termes de X. Dieux, « le droit positif belge autorise le
juge des référés à intervenir dans la formation, l’exécution ou la dissolution des contrats,
par des mesures qui ont pour objet ou pour effet d’allouer à une partie le bénéfice des
droits dont elle se prétend titulaire envers l’autre » (X. DIEUX, « La formation... »,
op. cit., p. 269 et 270).
(75) Liège, 28 juin 1984, J.L., 1984, p. 547 ; civ. Charleroi (réf.), 5 juin 1989, R.R.D.,
1990, p. 87 ; comm. Mons (réf.), 14 septembre 1984, R.D.C., 1986, p. 303 ; civ. Liège
(réf.), 2 février 1984, R.C.J.B., 1987, p. 245, et la note précitée de X. Dieux. Contra :
comm. Anvers (réf.), 8 mai 2002, Dr. eur. transp., 2003, p. 99.
22
Les juges des référés se sont également reconnus compétents pour
ordonner la poursuite de l’exécution de contrats à durée indéterminée
illégalement suspendus ou résiliés 76.
27. Intervention en droit des sociétés et en droit financier.
L’intervention du juge des référés en droit des sociétés et en droit
financier est également communément admise 77. Nous nous permettons
de renvoyer sur ce point aux interventions spécifiquement destinées ce
sujet tant dans le cadre de la présente contribution, que dans celui du
précédent colloque de 2003 78.
28. Discovery américaine. Dans une intéressante ordonnance du
3 janvier 2000, le président du tribunal de commerce de Termonde a
considéré, à juste titre, qu’il ne lui appartenait pas de juger d’un éventuel
abus de procédure commis dans le cadre d’une procédure de discovery
aux États-Unis, ni d’ordonner des mesures dans l’intention de suspendre
cette procédure étrangère 79.
29. Principe dispositif. Le juge des référés doit respecter le principe
dispositif, en vertu duquel il ne peut modifier ni l’objet ni la cause des
demandes introduites devant lui. Dans cette mesure, nous ne pouvons
(76) Comm. Anvers (réf.), 24 juillet 2002, R.D.J.P., 2002, p. 272 ; comm. Louvain
(réf.), 8 août 2000, A.J.T., 2000-2001, p. 476. Contra: comm. Namur (éf.), 1er février 2002,
DAOR, 2003, liv. 66, p. 37, et la note de O. POELMANS et D. BLOMMAERT, « Le
banquier teneur de compte ». Pour un état de la question, voy. F. GLANSDORFF et
C. DALCQ, « Du pouvoir d’intervention du juge en cas de résiliation unilatérale des
contrats à durée indéterminée », in X., Mélanges offerts à Pierre Van Ommeslaghe,
Bruylant, Bruxelles, 2000, p. 71 et suiv.
(77) Pour des cas d’application, voy. notamment: comm. Bruxelles (réf.), 15 avril 2002,
R.D.C., 2002, p. 753, et la note de T. L’HOMME, « Développements jurisprudentiels en
matière d’offre de reprise » ; comm. Bruxelles (réf.), 7 septembre 2000, T.R.V., 2000,
p. 375 ; comm. Bruxelles (réf.), 7 novembre 2000, R.D.C., 2002, p. 742, et la note de
E. POTTIER, « L’intérêt de désigner un administrateur provisoire au sein d’une société en
commandite par actions à la suite d’une divergence de vues profonde survenue entre deux
branches familiales ».
(78) P.A. FORIERS, « Le référé en droit des sociétés et des offres publiques », in X., Le
référé judiciaire, Jeune Barreau, Bruxelles, 2003, p. 231 et suiv.
(79) Comm. Termonde (réf.), 3 janvier 2000, R.W., 2000-2001, p. 1095, et la note de
M. NEUT, « De eenzijdige extraterritoriale toepassing van procedureregels –
Discovery », p. 1097 et suiv. Voy. ég. dans ce sens, Bruxelles, 9e ch., 21 octobre 2005, à
paraître à la R.D.C., 2006, avec une note J. ENGLEBERT, « La demande d’injonction de
ne pas introduire ou de ne pas poursuivre une procédure à l’étranger (anti-suit injonction)
est-elle admissible en Belgique ? ».
23
approuver l’ordonnance prononcée par le président du tribunal de
commerce de Hasselt le 11 décembre 2001, selon laquelle, en réponse à
une demande de nomination d’administrateur provisoire, le juge des
référés pourrait désigner d’office un expert, dans la mesure où il
s’agirait d’une mesure moins drastique que celle demandée 80. En effet,
en prononçant une mesure différente que celle qui lui était demandée,
cette ordonnance nous paraît avoir modifié l’objet de la demande.
2.5 Questions de procédure
30. Mode d’introduction. En principe, la demande principale en
référé est formée par voie de citation. Par dérogation, les demandes de
référé en matière d’offres publiques d’acquisition « sont introduites, à
peine d’irrecevabilité prononcée d’office, par requête signée et déposée
au greffe de la cour d’appel de Bruxelles en autant d’exemplaires que
de parties à la cause » 81. Le choix de la requête comme mode
introductif d’instance nous paraît regrettable en matière de référé. En
effet, dans les procédures urgentes, l’exploit d’huissier offre davantage
de garanties quant à la réception de l’acte introductif d’instance par le
défendeur 82.
31. Computation du délai de citation. Le délai de citation de deux
jours en référé se compte en « jours pleins ». Ce n’est donc qu’à l’issue
du délai, soit le troisième jour, que l’audience d’introduction pourra
avoir lieu 83.
En outre, depuis un arrêt de la Cour de cassation du 9 décembre
1988, l’application de l’article 53 du Code judiciaire 84 impose de
considérer que, lorsque le deuxième jour du délai de citation tombe un
samedi, un dimanche ou un jour férié légal, l’échéance est reportée au
(80) Comm. Hasselt (réf.), 11 décembre 2001, T.R.V., 2003, p. 428, et la note de
A. MAURAU, « Onenigheid binnen de vennootschap : de opschorting van een besluit tot
ontslag van een bestuurder en de voorlopig bewindvoerder versus de deskundige ».
(81) Article 18ter, § 3, de la loi du 2 mars 1989. Sur cette disposition, voy. également
infra n° 131.
(82) D’autant plus que l’article 18ter de la loi du 2 mars 1989 n’oblige pas le requérant à
annexer à sa requête un certificat de domicile du(des) défendeur(s), comme le prévoit
l’article 1344bis du Code judiciaire.
(83) J. ENGLEBERT, « Les pièges de la procédure civile », in X., Les pièges des
procédures, Jeune Barreau, Bruxelles, 2005, p. 7 et suiv., spéc. p. 20, n° 17.
(84) Selon cette disposition, le jour de l’échéance est compris dans le délai et, lorsque ce
jour est un samedi, un dimanche ou un jour férié, le jour de l’échéance est reporté au plus
prochain jour ouvrable.
24
prochain jour ouvrable, l’audience d’introduction ne pouvant avoir lieu
que le jour suivant 85.
32. Mise en état. En matière de référé, l’affaire se plaide à l’audience
d’introduction ou à bref délai 86. Dans la pratique, il convient
d’encourager l’habitude de fixer un calendrier (rapproché) d’échange
de conclusions à l’audience d’introduction, et d’y déterminer
simultanément la date de l’audience de plaidoiries 87.
2.6 L’ordonnance de référé
33. Autorité de chose décidée. Dans la mesure où elle épuise la
juridiction du juge des référés, l’ordonnance est définitive au sens de
l’article 19 du Code judiciaire 88. Elle ne dispose cependant que d’une
autorité de chose décidée « rebus sic stantibus », de sorte que le juge des
référés peut la modifier ou la rétracter en cas de changement de
circonstances 89.
34. Opposabilité aux tiers. Une mesure d’instruction ordonnée en
référé peut être rendue opposable à un tiers par le biais d’une action en
déclaration d’ordonnance commune, pour autant que les droits de la
défense de ce tiers ne soient pas méconnus. Si l’expert a déjà accompli
des actes qui peuvent avoir une influence négative sur la partie tierce, la
demande doit être rejetée 90.
(85) Cass., 9 décembre 1988, Pas., 1989, I, 406. Contra : J. ENGLEBERT, « Les
pièges… », op. cit., p. 20, n° 18 ; J. ENGLEBERT, « Le référé… », p. 53 et 54, n° 62, et les
réf. citées.
(86) P. MARCHAL, Les référés, op. cit., p. 83, n° 57.
(87) À ce sujet, voy. J. ENGLEBERT, « Les pièges… », op. cit., p. 54 à 58, n° 63 à 68.
(88) Comm. Bruges (réf.), 22 mars 2001, TWVR, 2002, p. 92.
(89) P. MARCHAL, Les référés, op. cit., p. 68, n° 35.
(90) Comm. Hasselt (réf.), 2 juin 2003, Limb. Rechtsl., 2004, p. 56, et la note de H. VAN
GOMPEL et V. SWINNEN, « De vordering tot bindendverklaring : enkel mits respect
voor de rechten van verdediging » ; Comm. Bruges (réf.), 22 mars 2001, TWVR, 2002,
p. 92. Sur cette question, voy. également : article 812, alinéa 1er, du Code judiciaire ;
Cass., 25 novembre 1992, Pas., I, 1304 ; Cass., 4 janvier 1984, Pas., I, 473 ; Cass., 3 mars
1980, Pas., I, 812 ; Cass., 10 avril 1970, Pas., I, 683 ; Bruxelles, 5 mai 1987, J.L.M.B.,
1987, p. 918 ; civ. Nivelles, 27 avril 1993, Entr. et Dr., 1995, p. 315 et les observations de
P. SOURIS, p. 319 ; civ. Liège (réf.), 2 mars 1992, J.L.M.B., 1994, p. 1340 ; civ. Bruxelles
(réf.), 30 mai 1990, R.G.D.C., 1991, p. 189 ; J. VAN COMPERNOLLE et
G. CLOSSET-MARCHAL, « Examen de jurisprudence (1985 à 1996). Droit judiciaire
25
35. Exécution provisoire de plein droit. En vertu de l’article 1039,
alinéa 2, du Code judiciaire, les ordonnances de référé sont de plein
droit exécutoires par provision.
2.7 Les voies de recours
36. Voies de recours ordinaires. L’ordonnance de référé peut être
frappée d’appel, ou d’opposition si elle a été prononcée par défaut.
Remarquons qu’en cas d’appel par requête, le nouvel article 53bis
du Code judiciaire, inséré par l’article 2 de la loi du 13 décembre
2005 91, ne fait courir le délai de comparution qu’à partir de la réception
du pli judiciaire par l’intimé, soit à un moment inconnu du greffe. Très
concrètement, les premiers commentateurs de cette disposition
conseillent au greffier de laisser un délai supplémentaire de trois jours
ouvrables entre la date de remise du pli aux services de la poste et la date
de l’audience d’introduction 92. Par contre, cette disposition n’est pas
applicable à la signification de l’acte d’appel par voie d’huissier 93, ce
qui peut conférer un avantage pratique non négligeable à l’appel par
exploit d’huissier dans les affaires urgentes.
2.8 Sort de l’ordonnance de référé en cas de décision
contraire du juge du fond
37. Principe. Il est constant que l’ordonnance de référé constitue un
titre d’exécution valable jusqu’au jour du jugement au fond 94. La
décision contraire du juge du fond rend l’ordonnance de référé caduque
privé », R.C.J.B., 1997, p. 495 et suiv., spéc. p. 555, n° 78 ; G. CLOSSET-MARCHAL,
« Demande principale et demande incidente : dépendance ou autonomie ? », in X., Het
proces in meervoud. Le procès au pluriel, IUCGR/CIUDJ, Bruylant, Bruxelles, 1997,
p. 27 et suiv., spéc. p. 44, n° 29.
(91) M.B., 21 décembre 2005, p. 54.532.
(92) H. BOULARBAH et J. ENGLEBERT, « Questions d’actualité en procédure
civile », in X., Actualités en droit judiciaire, CUP, vol. 87, Larcier, Bruxelles, 2005, p. 43
et suiv., spéc. p. 46, n° 15 et la note 47.
(93) Sauf peut-être lorsqu’elle intervient par la voie recommandée sur pied de
l’article 40 du Code judiciaire.
(94) S. BRIJS, « L’intervention du juge des référés dans l’exécution. L’exécution des
décisions du juge des référés », in X, Le référé judiciaire, Jeune Barreau, Bruxelles, 2003,
p. 309 et suiv., spéc. p. 353, n° 35 ; E. DIRIX et K. BROECKX, Beslag, APR, 2001,
p. 162, n° 256 ; G. de LEVAL, « Le problème de l’exécution de l’ordonnance rendue par
le juge des référés », in X., Les mesures provisoires en droit belge, français et italien,
Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 399 à 402 ; P. MARCHAL, Les référés, op. cit., p. 73, n° 41.
26
pour l’avenir, ce qui implique que la partie qui l’a exécutée est tenue de
restituer ce qu’elle a reçu en vertu de ladite ordonnance. Reste
controversée la possibilité d’engager la responsabilité objective de cette
partie sur pied de l’article 1398, alinéa 2, du Code judiciaire afin de la
condamner à indemniser le dommage né de l’exécution 95.
38. Sort de l’ordonnance de référé pendant l’appel d’un jugement
contraire au fond. Le juge des saisies d’Anvers a été récemment saisi
de la question de savoir si l’injonction du juge des référés cesse de
produire ses effets au moment du jugement contraire au fond prononcé
en première instance, ou seulement lorsque la décision au fond devient
coulée en force de chose jugée. Dans son ordonnance du 27 juillet 2006,
le juge des saisies a considéré, à juste titre, que l’ordonnance de référé
ne constituait plus un titre exécutoire, dès que le juge du fond s’était
prononcé de manière définitive, même si sa décision était encore
susceptible d’appel ou était, le cas échéant, frappée d’appel 96. La même
solution a également été consacrée par la cour d’appel de Bruxelles dans
un arrêt inédit du 25 novembre 2004 97.
En effet, conformément aux articles 19 et 26 du Code judiciaire, le
jugement de première instance au fond est définitif 98 et dispose d’une
autorité de chose jugée subsistant jusqu’à son infirmation éventuelle.
Par conséquent, la décision du juge du fond, même frappée d’appel et
non exécutoire par provision, annihile les effets d’une ordonnance
rendue au provisoire 99.
(95) En faveur de cette possibilité, J. ENGLEBERT, « Le référé judiciaire… », op. cit.,
p. 63 et 64, n° 74 ; G. de LEVAL, « Le problème de l’exécution de l’ordonnance rendue
par le juge des référés », in X. Les mesures provisoires en droit belge, français et italien.
Étude de droit comparé, Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 395 et suiv., spéc. p. 400 et 401.
(96) Civ. Anvers (j. saisies), 27 juillet 2006, R.G. 06-4530-A, inédit.
(97) Bruxelles, 25 novembre 2004, R.G. 2002/KR/24, inédit.
(98) Un jugement est définitif au sens de l’article 19, alinéa 1er, du Code judiciaire
lorsqu’il épuise la juridiction du juge sur une question litigieuse (Cass., 28 juin 2001, Pas.,
I, 1247 ; Cass., 18 novembre 1997, Pas., I, 1212 ; Cass., 18 juin 1993, Pas., I, 593 ; Cass.,
26 juin 1992, Pas., I, 968 ; Cass., 2 avril 1990, Pas., I, 896). Voy. également nos
développements infra n° 93.
(99) Cass. fr., 10 mars 2005, Bull.civ., II, n° 60, p. 56; THÉRY, « À propos de l’autorité
de la chose jugée en référé ou les distinctions élémentaires… », note sous Cass. fr.,
10 mars 2005, Rev. trim. dr. civ., 2005, p. 142.
27
2.9 L’interruption de la prescription
39. Objet de la demande. L’effet interruptif ou non d’une demande
en référé dépend de son contenu. En effet, pour qu’une demande en
référé interrompe la prescription, il faut qu’elle tende, fût-ce au
provisoire, à la reconnaissance du droit menacé par la prescription 100.
Par conséquent, il y a interruption de la prescription si la demande en
référé porte sur une mesure d’anticipation, mais non si elle a pour objet
d’obtenir des mesures conservatoires et/ou de faire acter des réserves
quant au principal 101.
3. La requête unilatérale devant les juridictions
commerciales –
Le provisoire dans les formes de l’absolue nécessité
40. Objet de la présente section. La présente section a pour objet de
rappeler brièvement les conditions, principes et caractéristiques relatifs
aux procédures introduites par requête unilatérale devant le président du
tribunal de commerce.
3.1 Questions de recevabilité
41. Absolue nécessité. En vertu de l’article 584, alinéa 3, du Code
judiciaire, le président du tribunal de commerce peut, en cas d’absolue
nécessité, être saisi par voie de requête unilatérale pour statuer au
provisoire dans les matières qui sont de la compétence du tribunal de
commerce.
(100) A. FETTWEIS, Manuel de procédure civile, 2e édition, Liège, 1987, n° 446;
M. REGOUT, « La prescription en droit civil », in La prescription, CUP, volume XXIII,
avril 1998, p. 52.
(101) Cass., 17 février 1989, Pas., I, 621; Cass., 5 avril 1957, Pas., I, 959; cour trav.
Mons, 17 décembre 1981, R.D.S., 1982, p. 220; Gand, 29 avril 1969, Bull. ass., 1971,
p. 508, et les observations de A.T., p. 510 et suiv., spéc. p. 517; Gand, 29 avril 1968,
R.G.A.R., 1970, n° 8.372; comm. Ostende, 14 mars 1968, Bull. ass., 1971, p. 503;
J. LINSMEAU, « Le référé. Fragments d’un discours critique », Rev. dr. ULB, 1993, p. 7
et suiv., spéc. p. 14 et 15, n° 12 et 13; J.F. LECLERCQ, conclusions avant Cass., 3 juin
1991, Pas., I, 868; A. VAN OEVELEN, « Algemeen overzicht van de bevrijdende
verjaring en de vervaltermijnen in het Belgisch privaatrecht », T.P.R., 1987, p. 1755 et
suiv., spéc., p. 1808 et 1809, n° 48; H. DE PAGE et R. DEKKERS, Traité élémentaire de
droit civil belge, tome 7, 2e édition, Bruylant, Bruxelles, 1957, p. 1065, n° 1173.
28
Lorsqu’elle est fondée sur l’absolue nécessité, la requête
unilatérale ne constitue pas un mode d’introduction du référé qui est par
essence contradictoire (art. 1035 et s. C. jud.) 102. L’absolue nécessité
est une condition de recevabilité de la requête unilatérale, qui s’apprécie
au moment du dépôt de la requête et qui doit être vérifiée d’office et de
manière souveraine par le président saisi 103.
Trois hypothèses d’absolue nécessité sont généralement admises :
l’extrême urgence, l’impossibilité d’identifier la partie adverse et le fait
que la nature même de la mesure demandée impose l’utilisation d’une
procédure unilatérale pour garantir son efficacité.
42. Extrême urgence. Justifiant une dérogation importante au
principe fondamental de la contradiction des débats, l’extrême urgence
doit être appréciée de manière particulièrement rigoureuse. En effet, les
articles 708 et 1036 du Code judiciaire permettent d’organiser un référé
contradictoire par une citation d’heure à heure, moyennant
l’introduction d’une requête unilatérale en abréviation des délais. La
procédure sur requête unilatérale pour extrême urgence est donc une
procédure tout à fait exceptionnelle, limitée aux hypothèses dans
lesquelles un référé contradictoire, même avec un délai de citation
abrégé, serait inefficace ou impossible 104.
L’extrême urgence a été admise dans de nombreux cas :
– lorsqu’un créancier, au mépris du principe de l’égalité entre les
créanciers 105 ou de la poursuite de l’activité de la société 106,
(102) H. BOULARBAH, « L’intervention du juge des référés par voie de requête
unilatérale : conditions, procédure et voies de recours », in X., Le référé judiciaire, Jeune
Barreau, Bruxelles, 2003, p. 65 et suiv., spéc. p. 68 et 69, n° 3.
(103) Cass., 13 juin 1975, Pas., I, 984 ; Bruxelles, 5 octobre 1999, A.J.T., 1999-2000,
p. 454 ; Bruxelles, 27 juin 1997, T.R.V., 1997, p. 577 et la note de S. RAES, « Volstrekte
noodzakelijkheid », p. 580 ; W. DERIJCKE, « Faillite, référé-provision, administrateur
de fait et droits de la défense », observations sous Bruxelles, 10 février 1997, Rev. prat.
soc., 1997, n° 6721, p. 173 et suiv., spéc. p. 174, n° 4.
(104) S. RAES, « Volstrekte noodzakelijkheid », ibid., p. 580 ; J. VAN
COMPERNOLLE et G. CLOSSET-MARCHAL, « Examen de jurisprudence… »,
op. cit., R.C.J.B., 1999, p. 155, n° 358. Comme le souligne à juste titre le président du
tribunal de commerce d’Anvers, il y a extrême urgence lorsque tout retard peut léser les
droits d’une des parties de manière telle que même la réduction des délais ne peut suffire
pour prévenir un danger imminent (comm. Anvers (réf.), 13 janvier 2003, Dr. eur. transp.,
2002, p. 780).
(105) Comm. Liège (prés.), 10 septembre 1991, J.L.M.B., 1991, p. 1214.
(106) Comm. Charleroi (prés.), 28 octobre 1999, J.L.M.B., 2000, p. 121.
29
–
–
–
–
–
entreprend une voie d’exécution individuelle contre une société qui a
déposé une requête en concordat ;
lorsqu’il y a absolue nécessité à disposer des fonds nécessaires au
redémarrage de l’entreprise et ce compte tenu d’une échéance fixée,
en l’occurrence, par les curateurs à la faillite 107 ou encore lorsqu’il
s’agit de permettre à une société en concordat judiciaire d’obtenir la
suspension d’une saisie, réalisée avant l’obtention du sursis
provisoire, afin de faire face à une échéance immédiate 108 ;
lorsque le défendeur est établi à l’étranger et que le délai de citation,
même abrégé, retarderait trop la mise en œuvre de la mesure
provisoire si celle-ci était demandée par voie de référé 109 ;
afin de prévenir l’imminence d’une activité d’extraction 110 ;
lorsqu’un important transfert de fonds au profit du gérant d’une
société est sur le point d’être effectué 111 ;
afin d’empêcher la publication, le lendemain du dépôt de la requête,
d’un article dans un quotidien dont le requérant n’a appris la parution
que le jour même 112.
En revanche, l’extrême urgence n’a pas été admise dans les cas
suivants :
– une demande fondée sur le simple fait que le cocontractant ne
respecte pas ses obligations contractuelles 113 ;
– lorsque le requérant entend obtenir la suspension de décisions de
l’assemblée générale et du conseil d’administration d’une société
(107) Bruxelles, 10 février 1997, J.L.M.B., 1997, p. 300. En l’occurrence, les fonds
devaient être obtenus pour le dimanche 19 janvier au plus tard et « eu égard à ce délai
extrêmement bref et à la proximité du week-end, il n’eût point été possible d’obtenir une
telle décision au moyen d’une procédure contradictoire entre le jeudi 16 janvier et le
dimanche 19 janvier dans la soirée ».
(108) Com. Charleroi (prés.), 28 octobre 1999, J.L.M.B., 2000, p. 121. En l’espèce, la
requête unilatérale déposée le 28 octobre 1999 était motivée par l’absolue nécessité de
payer le 5 novembre 1999 d’importantes avances sur salaires.
(109) Comm. Anvers (prés.), 31 mai 1974, J.P.A., 1974, p. 250. Voy. à propos de la
suspension de l’appel à une garantie à première demande par un défendeur établi à
l’étranger, Comm. Liège (prés.), 20 novembre 2000, R.R. n° 00/222, inédit, qui octroie
également une abréviation du délai de citer en référé.
(110) Comm. Charleroi (prés.), 10 mai 2000, inédit.
(111) E. POTTIER et M. DE ROECK, « L’administration provisoire : bilan et
perspectives », R.D.C., 1997, p. 224, n° 107.
(112) Comm. Bruxelles (prés.), 6 mars 1995, Mediaforum, 1995-4, p. B55.
(113) Bruxelles, 25 septembre 2003, R.P.S., 2004, p. 162, obs. W. DERIJCKE.
30
lorsque ces décisions n’exigent pas une intervention immédiate 114.
43. « Référé unilatéral conditionnel ». Dans la pratique, les
présidents ont parfois tendance à accorder au requérant la mesure qu’il
sollicite sur requête unilatérale, moyennant l’obligation pour celui-ci
d’introduire, dans un délai déterminé et à peine de caducité de la mesure
ordonnée, un référé contradictoire ou une procédure au fond. Cette
pratique du « référé unilatéral conditionnel » 115 est cependant
critiquable pour trois raisons. Tout d’abord, il paraît absurde de
contraindre le requérant à poursuivre en référé la confirmation de ce
qu’il a déjà obtenu sur requête unilatérale 116. Deuxièmement, le référé
unilatéral conditionnel aboutit à une « abdication de responsabilité » 117
de la part des présidents, qui octroient de manière quasi-automatique la
mesure sollicitée par le requérant et remettent à plus tard l’examen de la
cause 118. Enfin, pour que ce procédé du référé unilatéral conditionnel
présente quelque efficacité pratique, il faut lier la validité des mesures
accordées sur requête unilatérale à la fixation d’une date d’audience
dans un délai déterminé 119.
En matière d’OPA, le législateur du 2 août 2002 a cependant
institutionnalisé cette pratique regrettable en prévoyant, aux articles
584bis et 633ter du Code judiciaire, que le président du tribunal de
(114) Comm. Bruxelles, 28 juillet 2004, T.R.V., 2005, p. 40.
(115) L’expression est de N. DIAMANT, « Le référé ‘conditionnel’ – Témoignage et
réflexion », R.D.C., 2001, p. 714 et suiv. Pour des exemples de référé unilatéral
conditionnel, voy. Anvers, 10 mars 1997, A.J.T., 1997-1998, p. 517 et la note de
D. LINDEMANS, « Verval van voorlopige maatregelen wegens niet tijdig adiëren van de
bodemrechter », p. 519 et suiv. ; civ. Namur (réf.), 9 août 2000, J.L.M.B., 2000, p. 1182 et
les observations de F. JONGEN, p. 1187 ; comm. Bruxelles (réf.), 29 janvier 1997,
R.D.C., 1999, p. 248.
(116) N. DIAMANT, ibid., p. 714 ; D. LINDEMANS, « Verval… », note précitée,
p. 519.
(117) N. DIAMANT, ibid., p. 715.
(118) H. BOULARBAH, « L’intervention du juge des référés… », op. cit., p. 74 à 76,
n° 8 ; N. DIAMANT, ibid., p. 715. Il serait préférable que les présidents suggèrent aux
plaideurs de ne pas déposer leur requête unilatérale, et de citer après avoir obtenu une
ordonnance abréviative du délai de citer, qu’ils accordent librement (voy. J. LINSMEAU,
« Le référé… », op. cit., p. 18, n° 20).
(119) En effet, si la validité des mesures accordées sur requête unilatérale est liée à
l’introduction d’une requête en référé contradictoire dans un délai déterminé, la requête
pourrait être notifiée dans le délai imposé mais ne prévoir qu’une audience éloignée
(H. BOULARBAH, « L’intervention du juge des référés… », op. cit., p. 107, n° 44 ;
E. MONARD et D. DEGREEF, La requête unilatérale (art. 584, al. 3 C. jud.), Kluwer,
Bruxelles, 2000, p. 33, n° 19).
31
commerce de Bruxelles reste exclusivement 120 compétent « pour
ordonner, sur requête, en cas d’absolue nécessité, toute mesure
provisoire, jusqu’à ce qu’il soit statué de manière contradictoire par la
cour d’appel de Bruxelles » 121.
44. Impossibilité d’identifier la partie adverse. Dans son arrêt du
25 février 1999, la Cour de cassation a confirmé que l’absolue nécessité
visée à l’article 584, alinéa 3, du Code judiciaire, peut consister dans la
circonstance qu’aucune partie adverse n’est connue du demandeur 122.
Cependant, le caractère exceptionnel de la procédure sur requête
unilatérale impose de n’autoriser celle-ci qu’en cas d’impossibilité
totale de déterminer l’identité précise des parties défenderesses, et non
en cas de simples difficultés 123.
Les conflits collectifs du travail sont devenus une hypothèse
classique d’application de la procédure sur requête unilatérale pour
impossibilité d’identifier la partie adverse. Dans ces circonstances, les
présidents admettent de manière presque unanime que le nombre et la
mobilité des auteurs de voies de fait rendent impossible le recours à la
procédure contradictoire 124. Nous ne pouvons cependant nous rallier
totalement à cette jurisprudence. En effet, lorsque le demandeur est en
mesure d’identifier certaines des parties défenderesses, il est tenu
d’introduire une procédure contradictoire à leur égard, quand bien
même il agirait sur requête unilatérale à l’égard des autres parties
(120) Il s’agit d’une compétence exclusive puisque l’article 584bis du Code judiciaire
prévoit que la plénitude de juridiction dont bénéficie le président du tribunal de première
instance en vertu de l’article 584, alinéa 1er, n’est pas applicable en matière de demandes
OPA.
(121) Les travaux préparatoires de la loi du 2 août 2002 confirment la consécration par
ces dispositions de la pratique du « référé unilatéral conditionnel ». À ce sujet, voy.
X. TATON, « Les nouvelles procédures contentieuses en matière d’offres publiques
d’acquisition », R.D.J.P., 2003, p. 319 et suiv., spéc. p. 338 et 339, n° 44 à 47.
(122) Cass., 25 février 1999, R.D.J.P., 1999, p. 94 et la note de H. BOULARBAH,
« L’absence de partie adverse ou l’impossibilité d’identifier celle-ci, conditions de
l’introduction de la demande par voie de requête unilatérale », p. 97 et suiv.
(123) K. BROECKX, « Ontruimigsvorderingen tegen krakers », note sous J.P. Gand,
25 février 1994, J.J.P., 1997, p. 470 et suiv., spéc. p. 471 et 472, n° 7 et 8 ; J. LINSMEAU,
« Le référé… », op. cit., p. 24 et 25, n° 29.
(124) Pour une analyse approfondie de la jurisprudence développée par les présidents
des tribunaux de première instance à l’occasion des récentes grèves à l’encontre du « pacte
des générations », voy. B. ADRIAENS et D. DEJONGHE, « De rechterlijke tussenkomst
bij stakingen. Een analyse van de rechtspraak inzake de oktoberstakingen tegen het
generatieproject », J.T.T., 2006, p. 69 et suiv., spéc. p. 71.
32
défenderesses 125. Or, il ne nous paraît pas absolument impossible
d’identifier certains manifestants, notamment lorsque le mouvement est
organisé et annoncé par les représentants des organisations syndicales,
de sorte que la procédure peut être introduite de manière contradictoire à
leur encontre.
45. Nature de la mesure demandée. Pour qu’une telle demande
puisse être introduite par requête unilatérale, il faut que l’effet de
surprise recherché soit indispensable à l’effectivité de la mesure
sollicitée, de sorte que le caractère contradictoire de la procédure, même
avec abréviation du délai de citation, compromettrait de manière
certaine et irréversible les droits du requérant 126.
Sur la base de ce motif, de nombreuses mesures peuvent ainsi être
ordonnées sur requête unilatérale en cas de conflits entre actionnaires.
Nous pouvons notamment penser à une mesure d’instruction, telle une
expertise, à la désignation d’un séquestre ou à celle d’un administrateur
provisoire 127.
À nouveau, nous devons insister sur la rigueur avec laquelle
doivent être appréciées les craintes du requérant de voir compromise
l’efficacité de la mesure demandée en cas de procédure contradictoire.
Ces craintes doivent être démontrées dans les circonstances de l’espèce,
et le président ne peut se contenter de simples suppositions 128.
Dans un arrêt du 9 janvier 2006 129, la cour d’appel de Mons
considère ainsi qu’il n’était pas nécessaire d’agir sur requête unilatérale
pour solliciter des mesures d’investigation visant à obtenir d’une grande
(125) Cass. fr., 17 mai 1977, J.C.P., 1977, IV, p. 178 ; H. BOULARBAH,
« L’intervention du juge des référés… », op. cit., p. 96, n° 28. Contra : civ. Verviers (réf.),
2 décembre 1999, J.L.M.B., 1999, p. 1829 ; civ. Liège (réf.), 2 décembre 1999, J.L.M.B.,
1999, p. 1824 ; civ. Marche-en-Famenne (réf.), 1er décembre 1999, J.L.M.B., 1999,
p. 1843.
(126) Comm. Tongres (réf.), 16 octobre 2001, T.R.V., 2002, p. 648 et la note de D. VAN
GERVEN et J. VERBIST, « De volstrekte noodzakelijkheid als grond voor het eenzijdig
verzoekschrift in vennootschapzaken », p. 651 et suiv. ; civ. Liège (réf.), 15 juin 1998,
A.J.T., 1999-2000, p. 453.
(127) Voy. notamment : P. VAN OMMESLAGHE, « Le séquestre judiciaire en droit
commercial », R.D.C., 1999, p. 228 et suiv. ; E. POTTIER et M. DE ROECK,
« L’administration provisoire : bilan et perspectives », R.D.C., 1997, p. 203 et suiv., spéc.
p. 223 à 225, n° 103 à 107.
(128) H. BOULARBAH, « L’intervention du juge des référés… », op. cit., p. 92 et 93,
n° 25.
(129) Mons (1re ch.), 9 janvier 2006, n° 2003/RG/293, inédit.
33
chaîne de distribution commerciale toutes les informations utiles
concernant les quantités vendues, offertes en vente ou toujours en stock
d’un produit litigieux. La cour relève en effet que la chaîne de
distribution commerciale « est tenue de respecter des normes
comptables qui imposent des écritures comptables et/ou informatiques
dont l’analyse est de nature à déjouer utilement les risques de
disparition de preuve et/ou les obstacles qui pourraient éventuellement
être dressés à la recherche de la vérité lorsque l’on ne reste pas sans
réagir pour obtenir l’accès à ces éléments d’information » et conclut
partant que la situation de la requérante « n’aurait pas été gravement
détériorée si la décision de référé avait, à la suite d’un débat
contradictoire succinct, été rendue quelques heures plus tard que ne l’a
été l’ordonnance rendue sur requête unilatérale ».
46. Autres demandes sur requête unilatérale. L’absolue nécessité
n’est pas la seule circonstance dans laquelle le président du tribunal de
commerce peut être saisi par voie de requête unilatérale. Au contraire,
l’article 588 du Code judiciaire énumère une série de demandes qui y
sont également soumises, parmi lesquelles figurent notamment les
demandes de réalisation de warrants, gages commerciaux et gages sur
fonds de commerce.
Les conditions d’urgence et de provisoire ne s’appliquent pas à ces
demandes.
3.2 Questions de compétence et de fondement
47. L’urgence. Lorsque le président du tribunal de commerce est saisi
par voie de requête unilatérale, sur pied de l’article 584, alinéa 3, du
Code judiciaire, il n’en reste pas moins saisi de mesures provisoires et
urgentes au sens de l’alinéa 2 de la même disposition. Comme en
matière de référé contradictoire, l’urgence constitue donc une condition
de compétence du président et de fondement de la demande.
Certes, la solution est évidente dans l’hypothèse d’une requête
unilatérale pour extrême urgence. Elle n’en est cependant pas moins
établie dans les cas où le recours à la procédure unilatérale est justifié
34
par l’impossibilité d’identifier la partie adverse ou par la nature de la
mesure demandée 130.
À notre estime, la controverse qui subsiste à cet égard ne constitue
d’ailleurs qu’un faux problème. Si le demandeur n’est pas en mesure
d’identifier la partie adverse, c’est parce qu’il y a urgence à statuer.
Dans le cas contraire, le demandeur disposerait du temps nécessaire
pour procéder à l’identification du défendeur adéquat, le cas échéant au
moyen de l’intervention d’un huissier de justice chargé de contrôler
préalablement l’identité des personnes auxquelles il y a lieu de signifier
la citation. De même, l’article 588, 1°, du Code judiciaire permet la
désignation d’un expert ou d’un séquestre par voie de requête
unilatérale, sans devoir démontrer l’urgence 131.
Le défaut d’urgence emporte les mêmes conséquences qu’en cas
de référé contradictoire 132.
48. Le provisoire. Saisi sur requête unilatérale en raison de l’absolue
nécessité, le président du tribunal de commerce ne statue également
qu’au provisoire. Il est cependant paradoxal de constater que
contrairement à la tendance majoritaire des présidents siégeant en
référé, les présidents saisis sur requête unilatérale n’hésitent pas à
apprécier les droits des parties et à prononcer des décisions constitutives
ou déclaratives de droits 133.
(130) H. BOULARBAH, « L’intervention du juge des référés… », ibid., p. 102 et 103,
n° 34. Contra : J. LINSMEAU, « Le référé… », op. cit., p. 20, n° 23.
(131) L’expert désigné sur cette base doit cependant se limiter à des constatations
matérielles (voy. mutatis mutandis à propos de l’article 594, 1°, du Code judiciaire : Cass.,
21 mars 1979, Pas., I, 846 ; Cass., 12 novembre 1990, Pas., 1991, I, 268). Voy. également
en droit français la possibilité prévue par l’article 145 NCPC d’octroyer des mesures
d’instruction in futurum sur requête ou en référé : I. DESPRÉS, Les mesures d’instruction
in futurum, Dalloz, Paris, 2004, p. 243 à 262, n° 378 à 411.
(132) Voy. supra n° 8 et n° 11.
(133) À titre d’exemple, une ordonnance du 16 mai 2006 du président du tribunal de
première instance de Bruxelles a décidé que, comme les procurations d’un actionnaire
avaient été communiquées tardivement, celui-ci n’avait plus le droit de choisir son mode
de comparution à l’assemblée générale du lendemain, qui ne pouvait plus être que
personnelle (civ. Bruxelles (réf.), 16 mai 2006, R.R. 06/3790/B, inédit).
35
3.3 Questions de procédure
49. Les mentions et le dépôt de la requête unilatérale.
L’article 1026 du Code judiciaire énumère les mentions que la requête
unilatérale doit contenir à peine de nullité. Celle-ci doit être déposée au
greffe par un avocat et en double exemplaire, pour être visée par le
greffier, inscrite dans le registre des requêtes et versée au dossier de la
procédure 134. L’inventaire des pièces doit être reproduit au pied de la
requête 135.
50. L’instruction de la requête unilatérale. L’article 1028 du Code
judiciaire prévoit que le président vérifie la demande et peut convoquer,
à cet effet, le requérant et les parties intervenantes en chambre du
conseil.
L’intervention volontaire ou forcée de tiers est permise, mais elle
ne peut être ni ordonnée d’office ni suggérée par le président 136.
3.4 L’ordonnance sur requête unilatérale
51. Autorité de chose décidée. Comme l’ordonnance de référé,
l’ordonnance prononcée sur requête unilatérale a une autorité de chose
décidée, qui ne fait pas obstacle à sa rétractation ou à sa modification en
cas de changement de circonstances (art. 1032 C. jud.) 137.
52. Exécution provisoire. En vertu de l’article 1029, alinéa 2, du
Code judiciaire, l’ordonnance prononcée sur requête unilatérale est
exécutoire par provision, sauf si le président en décide autrement.
(134) Article 1027, alinéas 1er et 2, du Code judiciaire. En cas d’extrême urgence, la
requête peut cependant être présentée en l’hôtel du président et instruite en l’absence du
greffier (H. BOULARBAH, « L’intervention du juge des référés… », op. cit., p. 104,
n° 37).
(135) Article 1027, alinéa 3, du Code judiciaire.
(136) En vertu de l’article 811 du Code judiciaire, selon lequel les cours et tribunaux ne
peuvent ordonner d’office la mise en cause de tiers. Cette disposition exclut également
toute jonction entre un référé contradictoire et une procédure sur requête unilatérale
(X. TATON, « Les nouvelles procédures… », op. cit., p. 340, n° 49).
(137) H. BOULARBAH, « L’intervention du juge des référés… », op. cit., p. 108 et 109,
n° 45 et 46.
36
3.5 Les voies de recours
53. Appel du requérant et de la partie intervenante. Le requérant et
la partie intervenante peuvent faire appel de l’ordonnance par requête
unilatérale déposée dans le mois de la notification de l’ordonnance 138.
54. Tierce opposition du tiers condamné. En vertu des articles 1033
et 1034 du Code judiciaire, toute personne qui n’est pas intervenue à la
cause peut faire tierce opposition contre l’ordonnance qui lui cause
grief, par citation dans le mois de la signification de l’ordonnance.
55. Sort de l’ordonnance en cas de décision contraire du juge des
référés ou du juge du fond. L’ordonnance prononcée sur requête
unilatérale ne sort ses effets que jusqu’au prononcé de l’ordonnance de
référé ou du jugement au fond 139. En matière d’OPA, le président du
tribunal de commerce de Bruxelles a néanmoins méconnu ce
principe 140 en ordonnant la suspension d’une offre publique jusqu’au
deuxième jour ouvrable suivant la date du prononcé de l’arrêt de la cour
d’appel de Bruxelles statuant au fond 141.
Comme pour les ordonnances de référé, la question se pose de
savoir si le tiers condamné peut obtenir, sur pied de l’article 1398,
alinéa 2, du Code judiciaire, la réparation du préjudice causé par
l’exécution de l’ordonnance 142.
3.6 L’interruption de la prescription
56. Pas d’interruption de la prescription. À notre estime, à défaut
de manifestation à l’égard du débiteur de la volonté du créancier de faire
reconnaître en justice le droit menacé de prescription, la requête
unilatérale n’emporte pas d’effet interruptif de prescription 143.
(138) Article 1031 du Code judiciaire.
(139) H. BOULARBAH, « L’intervention du juge des référés… », op. cit., p. 74, n° 8.
(140) Ainsi que le texte de l’article 584bis du Code judiciaire.
(141) Comm. Bruxelles (réf.), 7 novembre 2005, Dr. banc. fin., 2006, p. 22.
(142) Voy. supra n° 37.
(143) Contra : P. ROUARD, Traité élémentaire de droit judiciaire privé, tome 2,
Bruylant, Bruxelles, 1975 p. 489 et 490, n° 607.
37
4. Les procédures « comme en référé » devant les
juridictions commerciales –
Le fond dans les formes de l’urgence
57. Objet de la présente section. De très nombreuses dispositions
légales attribuent au tribunal de commerce, à son président ou encore à
la cour d’appel de Bruxelles, le pouvoir de statuer, dans des contentieux
commerciaux particuliers, « selon les formes du référé » ou « encore
selon la procédure prévue aux articles 1035, 1036, 1038 et 1041 du
Code judiciaire », mais avec l’autorité de chose jugée d’une décision
rendue « au fond » ou « au principal » 144.
(144) S’agissant des procédures « comme en référé » devant les juridictions
commerciales, on signalera principalement :
- Relevant de la compétence du tribunal de commerce :
le remplacement du commissaire au sursis en matière de concordat judiciaire
(art. 19 L. 17 juillet 1997) ;
- Relevant de la compétence du président du tribunal de commerce :
1° Actions en cessation prévues par (ordre chronologique) : l’article 4, § 2, de la
loi du 16 novembre 1972 concernant l’inspection du travail ; l’article 220 de la loi du
4 décembre 1990 relative aux opérations financières et aux marchés financiers ;
l’article 109 de la loi du 12 juin 1991 sur le crédit à la consommation ; les articles 95 à 100
de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et la protection du
consommateur ; l’article 31 de la loi du 16 février 1994 régissant l’organisation de
voyages et le contrat d’intermédiaire de voyages ; l’article 2 de la loi du 11 avril 1999
relative à l’action en cessation des infractions à la loi relative aux contrats portant sur
l’acquisition d’un droit d’utilisation d’immeubles à temps partagé ; l’article 2 de la loi du
11 avril 1999 pour les infractions à la loi du 9 mars 1993 tendant à réglementer et à
contrôler les activités d’entreprises de courtage matrimonial ; la loi du 26 mai 2002
relative aux actions en cessation intracommunautaires en matière de protection des
intérêts du consommateur ; les articles 16 et 17 de la loi du 17 juillet 2002 relative aux
opérations effectuées au moyen d’instruments électroniques de fonds ; l’article 8 de la loi
du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions
commerciales ; les articles 9 et 10 de la loi du 20 décembre 2002 relative au recouvrement
amiable des dettes du consommateur ; la loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre la
discrimination ; le décret de la Communauté française du 27 février 2003 sur la
radiodiffusion ; l’article 3 de la loi du 11 mars 2003 sur certains aspects juridiques des
services de la société de l’information ; les articles 9 et 10 de la loi du 24 mars 2003
instaurant un service bancaire de base ; les articles 4 et 5 de la loi du 12 mai 2003
concernant la protection juridique des services à accès inconditionnel et des services
d’accès conditionnel relatifs aux services de la société d’information ; la loi du 26 juin
2003 relative à l’enregistrement abusif des noms de domaine ; la loi du 25 avril 2004
insérant un article 17bis dans la loi du 10 avril 1990 sur les entreprises de gardiennage, les
entreprises de sécurité et les services internes de gardiennage ; la loi du 13 août 2004
relative à l’autorisation d’implantations commerciales ; la loi du 1er septembre 2004
complétant les dispositions du Code civil relatives à la vente en vue de protéger le
consommateur ;
38
Un inventaire récent de ces diverses procédures a été établi par
Mmes Dalcq et Uhlig qui ont en outre tenté d’établir une théorie générale
du « comme en référé » 145. Plusieurs d’entre elles font l’objet d’une
analyse approfondie dans le présent ouvrage 146.
Il ne sera pas question dans les lignes qui suivent de détailler
chacun de ces contentieux mais bien d’examiner, de manière générale,
les principes, conditions et caractéristiques communs de ces
2° Actions diverses en matière de droit financier et de droit des sociétés prévues
par (ordre chronologique) : la loi du 2 mars 1989 relative à la publicité des participations
importantes dans les sociétés cotées en bourse et réglementant les offres publiques
d’acquisition (art. 8) ; la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des
établissements de crédit (art. 24, § 5, et 25) ; le Code des sociétés (art. 131, 157, 160, 335,
340, 426, 516, 566, 637, 642, et 922 – Certaines des actions prévues par le Code des
sociétés sont certes formées et instruites « comme en référé » mais n’ont pas d’autorité au
principal : art. 317, 331, 426, 613, 684, 766 et 933) ; la loi du 20 juillet 2004 relative à
certaines formes de gestion collective de portefeuilles d’investissement (art. 159, § 5) ;
- Relevant de la compétence de la cour d’appel de Bruxelles :
Jusqu’à ce que ces compétences soient, le cas échéant, transférées au Conseil de la
concurrence conformément à l’article 32 de la loi du 10 juin 2006 instituant un Conseil de
la concurrence, les recours contre les décisions de : l’Institut belge des postes et
télécommunications (loi du 17 janvier 2003 concernant les recours et le traitement des
litiges à l’occasion de la loi du 17 janvier 2003 relative au statut du régulateur des secteurs
des postes et télécommunications), la Commission de régulation de l’électricité et du gaz
(loi du 27 juillet 2005 organisant les voies de recours contre les décisions prises par la
Commission de régulation de l’électricité et du gaz), l’autorité de régulation économique,
visée à l’article 1, 6°, de l'arrêté royal du 27 mai 2004 relatif à la transformation de BIAC
en société anonyme de droit privé et aux installations aéroportuaires.
Par contre, les recours dont connaît la cour d’appel de Bruxelles en matière de
surveillance financière ne sont pas instruits « selon les formes du référé » mais en vertu
d'une procédure accélérée tout à fait spécifique (X. TATON, « Les procédures
dérogatoires et accélérées en droit bancaire et financier », in Les actions en cessation,
op. cit., p. 177, n° 32). Voy. ég. infra, note 396.
(145) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’ : le point sur les questions transversales de compétence et de procédure », in Les
actions en cessation, op. cit., p. 11-28. Voy. ég. S. UHLIG, « Questions actuelles en
matière de compétence », in Actualités et développements récents en droit judiciaire,
CUP, Volume 70, Bruxelles, Larcier, 2004, p. 56-58; C. DALCQ, « Les actions ‘comme
en référé’», in Le référé judiciaire, op. cit., p. 147-164. Restent également d’actualité les
contributions suivantes: J.-F. van DROOGHENBROECK, « La nature et le régime de la
compétence exercée ‘comme en référé’. L’exemple de l’action en dommages et intérêts »,
J.T., 1996, p. 554 et s.; G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures
‘comme en référé’ », in Le développement des procédures comme en référé, Bruxelles,
Bruylant-Kluwer, 1994, p. 17 et s. et J. van COMPERNOLLE, « La rançon d’un succès :
le développement des procédures ‘comme en référé’. Conclusions générales », ibidem,
p. 207 et s.
(146) Voy. ég. les diverses contributions publiées dans Les actions en cessation, J.-F. van
DROOGHENBROECK (coord.) , CUP, Volume 87, Bruxelles, Larcier, 2006.
39
procédures 147. Dans le cadre de cet examen, on ne développera que
quelques questions controversées ou d’actualité ; celles faisant l’objet
de règles précises ou d’interprétations constantes ne feront que l’objet
d’un simple rappel 148. Les règles propres aux procédures particulières
seront, le cas échéant, étudiées dans le cadre des contributions qui leur
sont consacrées dans ce volume.
4.1 Questions de recevabilité
58. Actions ordinaires, attitrées ou mixtes. Si de nombreuses
actions exercées « selon les formes du référé » sont soumises aux règles
ordinaires des articles 17 et 18 du Code judiciaire qui énoncent les
conditions de l’action, d’autres constituent des actions « attitrées »,
c’est-à-dire que leur exercice est réservé à certains titulaires
limitativement énoncés par la loi à l’exclusion des autres personnes
physiques ou morales. Si tel est le cas, le demandeur doit justifier, sous
peine de se voir opposer une fin de non-recevoir, de la qualité
particulière qui lui permet d’agir. Par exemple, s’agissant de la loi du
25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination, l’action ne peut
être introduite que par la victime de la prétendue discrimination ou par
un groupement visé à l’article 31 de la loi 149. Certaines actions sont
« mixtes », en ce sens qu’elles peuvent être exercées par tout intéressé
mais également par certains acteurs déterminés 150. Dans cette
hypothèse, la qualité en laquelle le demandeur agit est importante
puisque, selon le cas, il peut être dispensé de démontrer son intérêt à
agir 151. À l’inverse, s’il ne figure pas parmi les titulaires désignés par la
(147) Cet exercice est particulièrement périlleux car ces procédures, d’une part, sont
soumises chacune à des règles particulières qui dérogent, parfois de manière substantielle,
aux règles de la procédure « en référé » organisée par les articles 1035 et s. du Code
judiciaire et, d’autre part, poursuivent des objectifs fort différents (il y a ainsi peu de points
communs entre une action en cessation d’une pratique illégale, une action en retrait d’une
société anonyme et un recours dirigé contre une décision de l’I.B.P.T.).
(148) Sur de nombreux points, on se permettra partant de renvoyer purement et
simplement le lecteur aux études exhaustives précitées de Mmes Dalcq et Uhlig.
(149) Prés. Comm. Anvers, 30 avril 2004, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2004, p. 264. Voy.
S. et J.-F. van DROOGHENBROECK, « L’action en cessation de discriminations », in
Les actions en cessation, op. cit., p. 360, n° 71.
(150) Sur tout ceci, voy. C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du
‘comme en référé’ », op. cit., p. 29-31.
(151) Voy. par ex. s’agissant de la question de savoir quel est le ministre compétent pour
agir en cessation en vertu de l’article 98 de la loi du 14 juillet 1991, Prés. Comm. Gand,
24 mai 2004, R.A.B.G., 2005, p. 961, note P. WYTINCK.
40
loi, il doit nécessairement justifier d’un intérêt direct et personnel 152.
59. Actions préventives ou déclaratoires. En vertu de l’article 18,
alinéa 2, du Code judiciaire, l’action peut être admise lorsqu’elle a été
intentée, même à titre déclaratoire, en vue de prévenir la violation d’un
droit gravement menacé. Cette disposition, peu connue et utilisée dans
la pratique, connaît certainement son plus grand nombre d’applications
dans le cadre des compétences exercées « comme en référé » lorsqu’il
convient de faire face à une menace actuelle et objective de litige.
S’agissant des actions en cessation, il est désormais bien établi que
l’action peut être introduite après que les faits litigieux ont pris fin dès
lors que le risque de réitération n’est pas exclu 153. Il est également
envisageable d’introduire une action en cessation préventive en vue de
faire cesser une pratique qui n’a pas encore eu lieu mais dont le caractère
imminent est certain 154. Par contre, la jurisprudence refuse qu’une
demande de déclaration de conformité d’une pratique à une législation
déterminée soit soumise à titre préventif au juge des cessations 155.
(152) Lorsque la loi prévoit qu’une action est ouverte aux « intéressés », elle ne fait selon
nous que renvoyer au droit commun des articles 17 et 18 du Code judiciaire sans exiger en
outre la démonstration d’une qualité particulière dans le chef du demandeur. Avec
A. PUTTEMANS (Droits intellectuels et concurrence déloyale, Bruxelles, Bruylant,
2000, p. 118, n° 76), on ne peut dès lors approuver la jurisprudence qui décide que seuls
les vendeurs sont admis à agir en cessation d’une acte de concurrence déloyale (Voy. par
ex. à propos de l’action en cessation intentée par le nu-propriétaire d’un fonds de
commerce qui est déclarée non recevable parce que ce dernier ne possède pas la qualité de
vendeur au sens de la loi du 14 juillet 1991, Prés. Comm. Neufchâteau, 24 septembre
2002, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2002, p. 718).
(153) Voy. par ex. Prés. Comm. Nivelles, 2 juin 2000, A.J.T., 2001-02, p. 443, note
P. DE VROEDE ; Prés. Comm. Courtrai, 16 septembre 2002, Ann. Prat. Comm. & Conc.,
2002, p. 650 ; H. DE BAUW, « Het bevel tot staken van inbreuken op de W.H.P.C. die een
einde hebben genomen », in Liber amicorum Paul De Vroede, Tome II, Anvers, Kluwer,
1994, p. 387. Par contre, lorsqu’un tel risque n’est ni allégué, ni établi, l’action
« ad futurum » est irrecevable (Bruxelles, 19 juin 2006, R.G. n°199/AR/247, inédit).
(154) C. DALCQ, « Les actions ‘comme en référé’ », op. cit., p. 169. Voy. en matière de
pratiques de commerce, J.-F. MICHEL, « Les actions en cessation en droit de la
consommation », in Les actions en cessation, op. cit., p. 120 et les réf. citées et, en matière
de lutte contre les discriminations, S. et J.-F. van DROOGHENBROECK, op. cit., p. 354,
n° 62 et les réf. citées.
(155) Voy. réc. Prés. Comm. Bruxelles, 9 décembre 2004, R.A.B.G., 2005, p. 966, et la
note I. BUELENS, qui propose de reconnaître la possibilité d’une action déclaratoire
négative lorsqu’il existe une menace sérieuse de contestation de la pratique concernée ;
Bruxelles, 13 octobre 1995, J.T., 1996, p. 27 ; Ann. Prat. Comm.& Conc., 1996, p. 96, note
A. PUTTEMANS.
41
4.2 Questions de compétence matérielle
4.2.1 Principes généraux
60. L’urgence est présumée. C’est un truisme que de rappeler que
l’urgence est « légalement présumée » dans le cadre des procédures au
fond organisées « selon les formes du référé » et qu’elle ne doit par
conséquent être ni alléguée, ni a fortiori démontrée 156. Elle n’est pas
une condition de compétence, de recevabilité 157 ou du bien-fondé de la
demande formée comme en référé 158.
61. Nature et caractéristiques des compétences exercées « comme
en référé ». Au terme d’une longue évolution qui puise ses origines
dans les travaux de C. Cambier 159 et dans la jurisprudence de la Cour de
cassation 160 au sujet de l’action en cessation devant le président du
tribunal de commerce en matière de pratiques de commerce, doctrine et
jurisprudence s’accordent aujourd’hui à considérer que la compétence
du juge siégeant « comme en référé » est à la fois exclusive et
restrictive 161.
62. Compétence exclusive. Le caractère exclusif de la compétence
attribuée au juge siégeant « selon les formes du référé » signifie que
celui-ci est seul compétent pour l’exercer de la manière prévue par la loi
(156) Voy. J. van COMPERNOLLE, « La rançon d’un succès… », op. cit., p. 217, n° 18.
(157) Prés. Comm. Gand, 24 mai 2004, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2004, p. 574.
(158) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 60.
(159) C. CAMBIER, Droit judiciaire civil, Tome II – La Compétence, Bruxelles,
Larcier, 1981, p. 520, note (44).
(160) Cass., 20 octobre 1972, Pas., 1973, I, 179 ; Cass., 16 novembre 1973, Pas., 1974, I,
295.
(161) À l’origine, C. Cambier attribuait une double signification à l’exclusivité de la
compétence du juge des cessations commerciales : « d’une part, l’action en cessation,
avec les caractéristiques et les sanctions qui s’y attachent, ne peut être soumise à aucune
autre juridiction ; d’autre part, le président ne peut exercer, comme juge des actions en
cessation, aucun autre pouvoir » (op. cit., p. 520, note 44). À sa suite, J.-F. van
DROOGHENBROECK a affiné la définition de ce deuxième attribut en le qualifiant de
« restrictivité » de la compétence (« La nature et le régime… », op. cit., p. 555). Cette
terminologie est aujourd’hui largement reprise par la doctrine, voy. not. C. DALCQ et
S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 37 ;
S. UHLIG, « Questions actuelles en matière de compétence », op. cit., p. 47.
42
et avec les attributs particuliers que celle-ci attache à sa décision 162.
Cette exclusivité tient en échec les différents mécanismes de
prorogation de compétence dont pourraient profiter les autres
juridictions 163. Dégagée à propos de l’action en cessation en matière de
pratiques du commerce et des conséquences très particulières qui s’y
attachent 164, la règle doit cependant être bien comprise. Elle ne signifie
pas qu’une demande identique, spécialement une demande de cessation,
ne puisse pas être demandée au juge du fond ou au juge des référés. Sa
portée est uniquement d’interdire à ces magistrats d’exercer cette
compétence avec les attributs qui s’attachent légalement aux procédures
« comme en référé » 165. Ainsi, il n’est nullement exclu qu’un ordre de
cessation puisse être demandé au juge du fond à titre de réparation en
nature. Mais cette décision, rendue à l’issue d’une procédure ordinaire,
ne sera pas revêtue de l’autorité et des conséquences particulières qui
sont celles des jugements rendus au principal « selon les formes du
référé » 166. De même, il est concevable en cas d’urgence alléguée et
démontrée de solliciter l’intervention du juge des référés ordinaire 167.
Mais, dans ce cas également, la décision prononcée sera une ordonnance
de référé qui ne portera pas préjudice au fond (art. 1039 C. jud.) 168.
(162) G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 20, n° 5.
(163) Voy. infra, n°64 et s. Par contre, une telle exclusivité ne fait pas obstacle par
elle-même au caractère arbitrable du litige. Comp. en matière de pratiques du commerce,
Prés. Comm. Bruxelles, 9 décembre 2004, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2004, p. 655, note
E. MONARD (mais qui paraît fonder l’inarbitrabilité de la demande de cessation d’une
publicité sur le caractère d’ordre public des dispositions de la loi du 14 juillet 1991).
(164) Spécialement les sanctions pénales en cas de non-respect d’un ordre de cessation
ainsi qu’une autorité de chose jugée du civil sur le pénal.
(165) J. van COMPERNOLLE, « La rançon d’un succès… », op. cit., p. 213, n° 11.
(166) J. LAENENS, « De vordering tot staking herbezocht », in De nieuwe wet
handelspraktijken, Diegem, Kluwer, 1992, p. 154.
(167) Prés. Comm. Courtrai, 21 décembre 2000, R.W., 2002-2003, p. 597 ; Prés. Comm.
Hasselt, 24 mars 2000, I.R.D.I, 2000, p. 147. En cas d’absolue nécessité, il est également
possible de saisir le président du tribunal de commerce par voie de requête unilatérale
(art. 584, alinéa 3, C. jud.). Voy. supra, n° 41 et s.
(168) J. LAENENS, « Overzicht van rechtspraak – De Bevoegdheid (1993-2000) »,
T.P.R., 2002, p. 1561, n° 108.
43
63. Compétence restrictive. À l’inverse, il est interdit au juge
statuant « comme en référé » de connaître de demandes qui ne relèvent
pas strictement de sa compétence d’attribution et ce, même en raison des
règles autorisant la prorogation de compétence 169. Cette règle doit
également être bien comprise. Elle signifie exclusivement que la
juridiction siégeant « selon les formes du référé » ne peut exercer
d’autres pouvoirs, c’est-à-dire connaître d’autres demandes que celles
qui relèvent de sa compétence matérielle limitée 170. Elle ne lui interdit
par conséquent pas d’acter la réserve d’une partie de réclamer
ultérieurement des dommages-intérêts devant le juge du fond puisqu’il
ne s’agit pas à proprement parler d’une demande mais d’un simple
donné acte 171. Elle ne l’empêche pas non plus d’examiner un moyen de
défense qui échappe à sa compétence « comme en référé » 172. Enfin,
elle n’exclut pas non plus que le juge des cessations appelé à vérifier la
(169) Voy. infra, n° 64 et s.
(170) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 37 ; J. van COMPERNOLLE, « La rançon d’un succès… », op. cit.,
p. 214, n° 14. Ainsi, le président du tribunal de commerce saisi d’une demande fondée sur
la loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination ne peut déclarer la nullité
d’un acte juridique ou statuer sur une demande de remboursement (Prés. Comm.
Bruxelles, 7 mars 2005, R.D.C., 2005, p. 675, note Y. Thiery). De même, le président
siégeant comme en référé dans le cadre d’une procédure de retrait d’un actionnaire n’est
pas compétent pour condamner le défendeur au paiement de dommages et intérêts, même
par le biais d’une adaptation du prix des actions (Prés. Comm. Charleroi, 15 janvier 2001,
R.D.C., 2001, p. 765). Le président connaissant d’une action en cessation en matière de
pratiques du commerce ne peut pas prononcer la nullité du dépôt d’une marque et en
ordonner la radiation (Prés. Comm. Gand, 6 décembre 2004, Ann. Prat. Comm.& Conc.,
2004, p. 641). Il ne peut pas non plus faire droit à une demande de dommages et intérêts
(Prés. Comm. Courtrai, 5 mai 2003, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2003, p. 184 ; Prés.
Comm. Courtrai, 30 avril 2003, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2003, p. 791 ; Prés. Comm.
Bruxelles, 5 décembre 2001, A. & M., 2001, p. 93). Il ne peut pas plus ordonner la
cessation d’une faute contractuelle (Liège, 8 janvier 2004, J.L.M.B., 2004, p. 718).
S’agissant plus largement des limites à la compétence du juge des cessations
commerciales, voy. P. DE VROEDE et H. DE WULF, « Overzicht van rechtspraak.
Algemeen handelsrecht en handelspraktijken 1998-2002 », T.P.R., 2005, p. 265-267,
n° 285.
(171) Voy. Prés. Comm. Courtrai, 30 avril 2003, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2003,
p. 791 ; Gand, 15 novembre 2000, Ann. Prat. Comm & Conc., 2000, p. 455. Comp. ég.
Prés. Comm. Mons, 13 janvier 2006, R.D.J.P., 2006, p. 85 (à propos des réserves
formulées par le demandeur quant à la possibilité d’introduire une demande en cessation
fondée sur d’autres actes de concurrence déloyale). Voy. contra, Prés. Comm. Hasselt,
26 janvier 2001, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2001, p. 517 à propos du donné acte à une
partie de son intention de rendre certains biens.
(172) Cass., 30 mai 1996, Pas., I, 552 ; Liège, 8 septembre 2005, R.D.C., 2006, p. 662.
Contra, Bruxelles 3 avril 1998, R.D.C., 1999, p. 119, note critique A. Puttemans. Sur cette
question, voy. A. PUTTEMANS, Droits intellectuels et concurrence déloyale, Bruxelles,
44
légalité d’un comportement autorisé par un acte administratif examine,
à titre incident, sur pied de l’article 159 de la Constitution, la validité de
cet acte 173.
4.2.2 Paralysie des mécanismes de prorogation de
compétence et de jonction
64. Principe. Il est fermement établi 174 que le caractère exclusif et
restrictif de la compétence du juge appelé à statuer « comme en référé »
tient en échec les différents mécanismes de prorogation de compétence
et de jonction prévus par le Code judiciaire 175. Une seule exception est
admise s’agissant de l’article 563, alinéa 3, du Code pour les demandes
reconventionnelles pour action téméraire ou vexatoire 176.
65. Les demandes incidentes. Le caractère exclusif de la compétence
du juge du « comme en référé » s’oppose tout d’abord à ce qu’une autre
juridiction puisse être saisie d’une demande incidente (nouvelle,
Bruylant, 2000, p. 252-254, n° 154. Il ne faut cependant pas confondre moyen de défense
invoqué à titre incident et demande reconventionnelle, ce que nous paraît faire le président
du tribunal de commerce de Louvain lorsqu’il accepte de connaître, à titre
reconventionnel, de la nullité d’une marque et la radiation de son inscription au motif qu’il
s’agit d’un moyen de défense (Prés. Comm. Louvain, 4 novembre 2003, Ing.-Cons., 2003,
p. 305). En d’autres termes, le juge des cessations peut par exemple examiner à titre
incident la nullité de la marque invoquée par le demandeur mais ne peut pas prononcer
l’annulation du brevet et ordonner sa radiation. Comp. à propos de la compétence
exclusive pour connaître de la validité d’un brevet au regard de l’article 16-4 de la
Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 (art. 22-4 du règlement Bruxelles I),
C.J.C.E., 13 juillet 2006, GAT c. Lamellen, C-4/03, inédit, qui décide que le chef de
compétence exclusive trouve à s’appliquer que la question de la validité soit soulevée par
voie d’action ou d’exception.
(173) La solution est admise de manière constante dans le cadre de l’action en cessation
créée en matière de protection de l’environnement par la loi du 12 janvier 1993, voy.
F. TULKENS, « Le point sur l’action en cessation en matière d’environnement », in Les
actions en cessation, op. cit., p. 88-89. Contra, Prés. Comm. Tongres, 18 janvier 2000,
Ann. Prat. Comm. & Conc., 2000, p. 463.
(174) Voy. not. C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme
en référé », op. cit., p. 38 et s. ; G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux
procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 20, n° 6.
(175) C’est-à-dire par les articles 563 (demande reconventionnelle), 564 (demande en
intervention), 565 (litispendance), 566 (connexité) et 568 (compétence ordinaire du
tribunal de première instance).
(176) Voy. infra, n° 66.
45
reconventionnelle ou en intervention) qui relève des attributions de ce
juge 177.
À l’inverse, le caractère restrictif de sa compétence tient en échec
les mécanismes de prorogation de compétence prévus par les
articles 563 et 564 du Code judiciaire que le juge siégeant « selon les
formes du référé » ne peut utiliser à son profit. Par conséquent, il ne peut
statuer sur les demandes nouvelle, reconventionnelle et en
intervention formées incidemment devant lui que si elles entrent
elles-mêmes dans le champ de sa compétence matérielle limitée 178.
Ainsi, le président du tribunal de commerce saisi d’une action en
cession forcée n’est pas compétent pour connaître de la demande
reconventionnelle tendant à la révocation pour cause d’ingratitude
d’une donation consentie 179. De même le président du tribunal de
commerce saisi d’une action en cessation fondée sur la loi du 14 juillet
1991 ne peut connaître de la demande reconventionnelle en annulation
du dépôt d’une marque 180.
66. Le cas particulier de la demande reconventionnelle pour
action téméraire et vexatoire. Cette dernière règle reçoit une exception
en ce qui concerne la demande reconventionnelle en dommages et
intérêts du chef de procédure téméraire et vexatoire (art. 563, alinéa 3,
C. jud.). Doctrine 181 et jurisprudence 182 s’accordent en effet à
considérer que le juge du « comme en référé » peut en connaître dès lors
(177) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 40. Voy. par ex. Civ. Bruxelles (réf.), 25 janvier 2002, A. & M., 2004,
p. 333 s’agissant d’une demande reconventionnelle fondée sur l’article 95 de la loi du
14 juillet 1991.
(178) G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 20, n° 6.
(179) Liège, 23 septembre 1999, J.L.M.B., 2000, p. 1289.
(180) Prés. Comm. Mons, 9 novembre 2004, J.T., 2005, p. 152. Contra, Prés. Comm.
Louvain, 4 novembre 2003, Ing.-Cons., 2003, p. 305.
(181) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 33 et p. 42 ; J.-F. van DROOGHENBROECK, « La nature et le
régime… », op. cit., p. 556 ; G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux
procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 24, n° 21.
(182) Voy. par ex. Prés. Com. Hasselt, 11 octobre 1996, Ann. Prat. Comm. & Conc.,
1996, p. 370 ; Anvers, 22 juin 1998, Ann. Prat. Comm. & Conc., 1998, p. 308. On fonde
souvent cette solution sur l’arrêt de la Cour de cassation du 4 octobre 1979 (Pas., 1980, I,
157 ; R.D.C., 1981, p. 247, note J. Billiet). À notre avis, cet arrêt ne peut toutefois servir de
fondement à cette exception dès lors que la Cour y confirme uniquement la possibilité
pour la cour d’appel, connaissant d’un recours contre un jugement rendu par le président
46
qu’il est le mieux placé pour en apprécier le bien-fondé et que l’examen
de cette demande n’est pas de nature à entraver l’efficacité de la
procédure 183.
67. La litispendance. Le caractère exclusif de la compétence
d’attribution exercée par le juge siégeant « comme en référé » fait par
définition disparaître toute hypothèse de litispendance puisque celle-ci
suppose que deux juges également compétents 184 soient saisis de
demandes identiques 185.
68. La connexité. La connexité permet de joindre directement
(art. 701 C. jud.) ou suite à un renvoi (art. 565 C. jud.) devant un juge des
demandes qui relèvent en principe de la compétence de deux tribunaux
différents.
Le caractère exclusif de la compétence exercée « comme en
référé » s’oppose ici aussi à ce qu’une autre juridiction que celle prévue
par la loi puisse connaître, même par connexité, d’une demande relevant
de cette compétence 186. Il fait également obstacle à ce que le juge
siégeant « selon les formes du référé » puisse proroger sa compétence
du tribunal de commerce siégeant « comme en référé », de condamner l’appelant du chef
d’appel téméraire et vexatoire. Or, il ne fait aucun doute que la cour d’appel, dont les
pouvoirs ne sont pas restreints comme ceux du président (voy. infra, n° 75), est
compétente pour connaître d’une demande reconventionnelle ayant un tel objet. Il est plus
hasardeux de déduire de l’arrêt du 4 octobre 1979 que la Cour de cassation aurait décidé
qu’il en va de même s’agissant du président statuant au premier degré.
(183) Comme le relevait C. Cambier (op. cit., p. 527, note 67), l’exception se justifie en
réalité par le fait que « pareille demande se greffe sur l’action elle-même et y trouve sa
cause. Elle n’implique aucune prorogation de compétence et est à traiter comme un
accessoire indissociable du procès engagé ».
(184) C. CAMBIER soulignait à ce propos que « là où il y a compétence exclusive il ne
peut y avoir d’autre juridiction compétente que celle dont les pouvoirs sont, de la sorte,
consacrés. La condition même imposée à la litispendance vient alors à manquer : les
juridictions en concours ne sont pas également compétentes » (op. cit., p. 111, note 68).
(185) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 43 ; Voy. ég. Prés. Civ. Bruxelles, 13 mars 2002, I.R.D.I., 2002,
p. 124. On peut cependant envisager une litispendance territoriale dans la mesure où
plusieurs juges appelés à statuer « selon les formes du référé » seraient compétents en
vertu des règles de compétence territoriale (voy. infra, n° 77).
(186) Il faut toutefois préciser que, dans un arrêt du 23 décembre 1988 (Pas., 1989, I,
469), la Cour de cassation a admis que le tribunal de première instance puisse connaître, en
raison de la connexité, d’une demande subsidiaire relevant de la compétence exclusive du
tribunal de commerce. Cet arrêt – isolé – semble avoir ainsi considéré que la prorogation
du chef de connexité n’est pas tenue en échec par le caractère exclusif de la compétence, à
47
pour connaître d’une demande qui échappe en principe à sa compétence
restrictive. Cette solution doit s’appliquer quelles que soient les
juridictions et les compétences concernées.
Ainsi, il ne peut y avoir théoriquement de connexité entre une
demande introduite « en référé » et une demande formée « comme en
référé » 187.
Il ne peut pas non plus y avoir de connexité entre deux demandes
relevant de la compétence « comme en référé » de deux juges
tout le moins lorsque les demandes connexes sont portées devant le tribunal de première
instance. Les conséquences à déduire de cet arrêt en ce qui concerne la matière examinée
sont particulièrement délicates. Faut-il considérer que le tribunal de première instance
pourrait connaître, par connexité, d’une demande relevant de la compétence exclusive du
juge du comme en référé ? Cette hypothèse de prorogation de compétence peut-elle être
étendue à d’autres tribunaux, voire au juge siégeant « comme en référé » lui-même ? (voy.
sur ces questions, C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du
‘comme en référé’ », op. cit., p. 44-45).
(187) Bruxelles, 10 novembre 1998, A.M., 1999, p. 221. On sait toutefois que M. van
Drooghenbroeck a suggéré que le demandeur puisse procéder, par jonction directe, à une
double saisine du président siégeant « en référé » et « comme en référé » (« La nature et le
régime… », op. cit., p. 556). En réalité, selon nous, les deux thèses sont en grande partie
réconciliables sur un plan pratique. En effet, dans la solution qu’il préconise, M. van
Drooghenbroeck admet qu’en toute hypothèse le président devra d’abord statuer sur la
demande introduite « comme en référé » avec les attributs qui lui sont propres et que ce
n’est qu’ensuite qu’il pourra statuer, le cas échéant, « en référé » pour ordonner, après
avoir constaté l’urgence, les mesures auxquelles il ne peut pas faire droit en sa qualité du
juge du « comme en référé ». À notre sens, la circonstance que le président entende les
plaidoiries dans les deux causes formellement jointes ou dans les deux causes plaidées
l’une après l’autre ou qu’il se prononce « matériellement » sur ces demandes dans une
seule et même décision ou dans un jugement et une ordonnance séparés n’a en réalité pas
beaucoup d’importance en terme d’efficacité. Le seul intérêt d’une jonction directe
consisterait finalement dans la possibilité d’utiliser un seul et même acte introductif
d’instance en lieu et place de deux citations distinctes. Mais lorsqu’on connaît les
incertitudes qui demeurent au sujet de la possibilité de joindre diverses demandes dans un
seul et même acte ainsi que de la sanction qui est applicable en cas de violation de
l’article 701 du Code judiciaire (voy. J. ENGLEBERT, « Citations collectives et autres
problèmes de procédure liés à l’action collective », in Les actions collectives devant les
différentes juridictions, CUP, vol. 47, Liège, 2001, p. 129 et s.), il est en toute hypothèse à
conseiller de privilégier l’utilisation de deux actes séparés. Reste enfin, il est vrai, que le
procédé ne peut être théoriquement utilisé, à défaut de connexité, devant les juridictions
qui, comme à Bruxelles ou Liège, tiennent des audiences séparées pour les actions en et
comme en référé. Mais ceci peut encore être aisément contourné car il ne résulterait
évidemment aucune irrégularité du fait que les causes « en référé » et « comme en référé »
auraient été plaidées à une audience qui, selon le règlement du tribunal, serait consacrée à
l’une ou à l’autre des actions. Voy. par ex., Prés. Comm. Liège, 19 mai 2006, n° R.F.
2995/05, inédit, qui décide, lors de l’audience consacrée à l’examen des actions « comme
en référé », de requalifier la demande et d’en connaître comme juge des référés ordinaires.
48
différents 188. En cas de demandes connexes relevant de compétence
d’un seul et même juge appelé à statuer « selon les formes du référé »,
celui-ci peut évidemment les rassembler le cas échéant d’office
(art. 856, alinéa 2, C. jud.) 189.
Enfin, il n’est pas possible de joindre, directement ou par renvoi,
des demandes relevant de la compétence ordinaire de la juridiction
commerciale et de celle du juge siégeant « selon les formes du référé ».
Contrairement à ce qui est enseigné, cette dernière solution ne nous
paraît pas résulter de l’autonomie propre des actions « comme en
référé » 190 191 mais uniquement de l’exclusivité, dans la double
signification rappelée ci-avant, de la compétence du juge statuant au
fond mais dans l’urgence 192.
(188) Contra, Prés. Comm. Bruxelles, 8 mars 2000, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2000,
p. 549 ; S. UHLIG, « Questions actuelles en matière de compétence », op. cit., p. 51. Voy.
ég. C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ »,
op. cit., p. 43-45 qui analysent l’incidence de l’arrêt de la Cour de cassation du
23 décembre 1988 précité sur cette question. Selon nous, à supposer même que l’on
considère, ce qui paraît très hasardeux, que cette décision permet d’éluder le caractère
exclusif de la compétence d’un des juges concernés, il n’en reste pas moins que le
caractère restrictif de la compétence du juge auquel les deux causes seraient soumises
s’oppose encore à cette jonction. En d’autres termes, si l’obstacle déduit de l’exclusivité
peut être levé, il demeure celui de la restrictivité. Comp. toutefois, S. Uhlig qui relève
pertinemment que « les arguments développés par la doctrine pour dénier aux juges de la
cessation le droit de connaître d’autres demandes que celles pour lesquelles leur
compétence a été créée visent spécifiquement des demandes ‘classiques’ au fond et sont
peu pertinents à l’égard d’une autre demande comme en référé » (« Questions actuelles
en matière de compétence », op. cit., p. 49, note 144).
(189) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 44.
(190) C. DALCQ, « Les actions ‘comme en référé’ », op. cit., p. 182, n° 8 ; C. DALCQ et
S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 43.
(191) Voy. en effet Cass., 29 mai 1998, Pas., I, 667, qui admet l’existence d’une situation
de litispendance entre une demande provisoire portée devant le juge fond en application
de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire et la même demande pendante devant le juge
des référés alors même que ces deux procédures sont généralement qualifiées
d’autonomes l’une par rapport à l’autre. Il n’y a pas de raison de retenir une solution
différente en cas de connexité entre le fond et le « comme en référé ».
(192) Ceci implique à notre estime qu’il est possible de concevoir une connexité en degré
d’appel entre le recours formé contre un jugement rendu par le président du tribunal de
commerce siégeant « comme en référé » et un jugement rendu au fond par le tribunal de
commerce. En effet, comme on le rappellera ci-après, à l’inverse des juges de la première
instance, la cour d’appel bénéficie d’une compétence élargie qui lui permet de connaître
au second degré de juridiction des deux types d’actions (voy. infra, n° 75). Voy. toutefois
contra, Bruxelles, 8e chambre, 12 septembre 2005, n° 2004/AR/689, inédit, qui refuse de
49
69. Surséance à statuer. Comme C. Cambier le relevait déjà en 1981,
l’absence de jonction pour connexité entraîne des instances parallèles
qui peuvent conduire au prononcé de décisions contraires 193. Afin
d’éviter tout risque de jugements inconciliables, certaines juridictions
de fond 194 décident de surseoir à statuer dans l’attente de la décision du
juge des cessations 195. Même si elle paraît justifiée par des motifs
pragmatiques 196, une telle solution nous paraît critiquable car elle
revient à créer un motif de surséance à statuer non prévu par la loi 197. En
outre, les risques qu’elle prétend éviter sont en grande partie théoriques
puisque la première décision rendue – qu’il s’agisse de celle « comme
en référé », le plus vraisemblablement, ou de celle au fond ordinaire –
aura autorité de chose jugée et pourra être invoquée 198 dans le cadre de
la procédure non encore vidée 199. En outre, l’éventuelle contrariété
joindre les deux appels aux motifs que « de ene zaak betreft een behandeling ten gronde
volgens de gewone regels van rechtspleging, terwijl de andere zaak een behandeling zoals
in kort geding uitmaakt ». La remarque se justifierait s’il pouvait apparaître que la jonction
de deux causes est de nature à retarder l’examen de l’appel de la décision rendue comme
en référé conformément au vœu de l’article 1066, alinéa 2, du Code judiciaire. Mais dès
lors que, comme cela est fréquemment le cas, cette disposition n’est pas appliquée, on ne
voit pas quelles autres règles légales feraient obstacle à ce que les deux causes soient
jointes en degré d’appel, le cas échéant d’office par application de l’article 856, alinéa 2,
du Code judiciaire (voy. sur ce point, X. TATON et F. DANIS, « Le ‘comme en référé’ et
le fond ordinaire devant le même juge d’appel : la jonction pour connexité ou
litispendance reste possible », à paraître à la R.D.C., 2006, n° 9). Ainsi, dans l’affaire
précitée, l’arrêt concernant l’appel du jugement du tribunal de commerce a été rendu le
même jour par la même chambre de la cour d’appel (Bruxelles, 8e chambre, 12 septembre
2005, R.G. n° 2003/AR/2528, inédit).
(193) C. CAMBIER, op. cit., p. 528.
(194) Et même certains présidents appelés à statuer comme en référé (voy. par ex. Prés.
Comm. Bruxelles, 8 mars 2000, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2000, p. 549 qui envisage de
surseoir à statuer dans l’attente de la décision du président du tribunal de première instance
siégeant en cessation sur la base de la loi du 30 juin 1994).
(195) Voy. Civ. Gand, 23 novembre 2001, I.R.D.I., 2002, p. 92 qui sursoit à statuer en
attendant que l’appel contre le jugement comme en référé soit tranché par un arrêt ayant
force de chose jugée. Une telle décision méconnaît selon nous le prescrit de l’article 26 du
Code judiciaire.
(196) Voy. C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 45, note 132 qui paraissent admettre la légalité du procédé.
(197) Voy. ég. C. CAMBIER, op. cit., p. 258.
(198) Si les délais pour conclure sont expirés, l’article 748, § 2, du Code judiciaire peut
être mis en œuvre et si les débats ont déjà été clôturés, une requête en réouverture des
débats peut être déposée par la partie la plus diligente (art. 772 C. jud.).
(199) C. CAMBIER, op. cit., p. 528. Pour ces mêmes raisons, on ne peut approuver
l’arrêt précité de la cour d’appel de Bruxelles (chambre, 12 septembre 2005,
n° 2004/AR/689, inédit) qui déclare sans objet l’appel dirigé contre le jugement du 27 juin
50
pourra le cas échéant encore être effacée par la voie de l’appel qui sera
soumis à un juge unique 200.
4.2.3 Le règlement des incidents
70. Moment et critère d’appréciation de la compétence matérielle.
Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation 201,
également applicable aux procédures « comme en référé », la
compétence doit s’apprécier au moment de l’introduction de la demande
et au regard de l’objet de la demande tel que formulé par le demandeur
dans l’exploit introductif d’instance 202. Si au terme de cette
vérification, le juge saisi « comme en référé » est d’avis que la demande
(quelle qu’elle soit : subsidiaire, connexe, nouvelle, reconventionnelle
ou en intervention) 203 ne relève pas de sa compétence d’attribution, il
lui appartient de régler l’incident qui peut être de compétence ou de
répartition.
71. Incident de compétence. Un incident de compétence au sens des
articles 639 et s. du Code judiciaire se produit dans l’hypothèse où la
demande paraît relever de la compétence d’une autre juridiction que
2000 du président du tribunal de commerce siégeant « comme en référé » dès lors qu’il a
déjà statué sur l’appel des jugements des 3 octobre 2000 et 9 avril 2002 du tribunal de
commerce rendus au fond dans la même cause. En effet, dans la mesure où la décision du
président a autorité de chose jugée sur la procédure ordinaire au fond, le juge d’appel ne
peut statuer d’abord sur l’appel dirigé contre la décision ultérieure du juge du fond sans
avoir d’abord vidé l’appel dirigé contre le jugement du président du tribunal (voy. ég.
X. TATON et F. DANIS, op. cit., n° 23). En effet, tant qu’elle n’a pas été réformée, cette
dernière décision conserve son autorité de chose jugée (art. 26 C. jud.) et s’impose partant
au juge d’appel. Ceci conduit à privilégier, sur le plan pratique, la jonction pour cause de
connexité des deux appels (voy. supra, note 192).
(200) Qui, le cas échéant, ordonnera la jonction des appels du chef de connexité.
(201) Voy. le plus réc. Cass., 13 juin 2003, Pas., I, 1162.
(202) Prés. Comm. Gand, 5 février 2001, T.G.R., 2001, p. 199 ; Bruxelles, 18 février
2002, R.W., 2003-2004, p. 1467 ; Prés. Comm. Hasselt, 22 novembre 2002, Limb.
Rechtsl., 2003, p. 282, note E. MONARD ; Prés. Comm. Anvers, 6 novembre 2003, Ann.
Prat. Comm. & Conc., 2003, p. 815 ; Liège, 8 janvier 2004, J.L.M.B., 2004, p. 718.
(203) L’incident peut donc concerner exclusivement une des demandes portées devant le
juge. Il y aura le cas échéant lieu à disjonction et à renvoi de la seule demande qui échappe
à la compétence de la juridiction saisie « comme en référé » (Sur cette possibilité, voy.
C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ »,
op. cit., p. 51).
51
celle qui a été saisie 204. Selon les cas, l’incident sera tranché par le juge
saisi (art. 639 C. jud.) ou par le tribunal d’arrondissement (art. 640
C. jud.).
72. Incident de répartition. Lorsque la demande principale,
subsidiaire, nouvelle, connexe, reconventionnelle ou en intervention
ressort d’une autre chambre de la juridiction commerciale, il y a par
contre uniquement lieu à un incident de répartition au sein de la
juridiction concernée 205. Le règlement de cet incident est régi au
premier degré par l’article 726 du Code judiciaire 206 et, en appel, par
l’article 109, alinéa 2, du Code judiciaire qui renvoie à l’article 88, § 2,
du même code. Par analogie avec cette dernière disposition, il nous
semble que, bien que l’article 726 ne le prévoie pas expressément,
l’incident doit être soulevé par le défendeur in limine litis, c’est-à-dire
dans son premier acte de procédure (sans hiérarchie obligatoire entre les
moyens de défense) 207 ou par le juge « à l’ouverture des débats ». Il sera
tranché par le président de la juridiction qui distribuera la cause à la
chambre compétente pour en connaître. Lorsque c’est le président du
tribunal lui-même et non un juge faisant fonction qui préside la chambre
des référés ou des actions « comme en référé », il n’y a pas d’obstacle à
(204) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 52 ; G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux
procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 22, n° 12.
(205) G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 22, n° 13.
(206) Et non par l’article 88, § 2, qui ne concerne que le tribunal de première instance
(Prés. Comm. Courtrai, 5 mai 2003, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2003, p. 184). C. DALCQ
et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 53 ;
G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en référé’ »,
op. cit., p. 22, n° 13. Voy. pour des applications récentes de l’article 726 au sujet de la
demande en nullité du dépôt Benelux d’une marque portée devant le président du tribunal
de commerce siégeant comme en référé en matière de pratiques de commerce, Prés.
Comm. Mons, 9 novembre 2004, J.T., 2005, p. 152 ; Prés. Comm. Gand, 6 décembre 2004,
Ann. Prat. Comm. & Conc., 2004, p. 641. Voy. ég. à propos d’une demande de dommages
et intérêts portée devant le président du tribunal de commerce siégeant en référé sur la base
des articles 589, 1°, C. jud. et 95 de la loi du 14 juillet 1991, Prés. Comm. Courtrai, 5 mai
2003, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2003, p. 184. Contra, Prés. Comm. Liège, 19 mai 2006,
R.F. n° 2995/05, inédit, qui considère à tort que l’article 726 du Code judiciaire régit
exclusivement la distribution des causes au sein du tribunal de commerce et non les
incidents de répartition. Le président ne tire pas ensuite les conséquences de cette décision
puisqu’il se déclare incompétent mais sans renvoyer la cause au tribunal
d’arrondissement. Il n’existe pourtant pas en droit judiciaire privé de constat
d’incompétence sans renvoi au juge compétent.
(207) Prés. Comm. Courtrai, 5 novembre 2001, D.A.O.R., 2002, n° 63, p. 307.
52
ce que, contrairement au tribunal de première instance 208, il statue
immédiatement sur l’incident et se renvoie directement, par simple
mention à la feuille d’audience, la cause à lui-même mais siégeant en
une autre qualité.
73. Cas particulier de la saisine « en référé » en lieu et place de
« comme en référé ». La jurisprudence démontre que, malgré les
nombreuses études publiées sur le sujet 209, les plaideurs ou leurs
huissiers commettent encore fréquemment des erreurs ou, à tout le
moins, font preuve d’un manque de précision lors de la rédaction de
l’acte introductif d’instance ou de l’inscription de la cause au rôle. Il est
ainsi fréquent qu’une demande relevant de la compétence du juge saisi
« comme en référé » soit portée devant le président siégeant « en
référé » et inscrite au rôle spécial des référés ou, inversement, qu’une
demande relevant de la compétence du juge des référés soit portée
devant le président siégeant « comme en référé » après le paiement du
droit de rôle ordinaire. Selon certains auteurs 210, il y aurait lieu de
distinguer selon qu’il s’agit ou non d’une erreur matérielle 211. En cas de
simple erreur de plume (par exemple, une action en cessation introduite
par une citation qui mentionne erronément que le président est saisi « en
référé » et inscrite au rôle des référés), il y aurait uniquement lieu à une
rectification formelle ainsi qu’à une éventuelle régularisation des droits
de mise au rôle 212. Cette solution – pragmatique et appliquée par le
(208) Devant lequel il convient de respecter les exigences de l’article 88, § 2, du Code
judiciaire, voy. A. FETTWEIS, « Une disposition légale souvent méconnue : l’article 88,
§ 2, du Code judiciaire », in Mélanges Jean Baugniet, Bruxelles, Fac. Dr. ULB, 1976,
p. 279. En revanche, ces règles ne doivent pas être respectées lorsque c’est le président du
tribunal de commerce qui tranche l’incident (Cass., 30 avril 1999, Pas., I, 613). Sur
l’absence de justification objective de la différence de traitement entre le tribunal de
première instance et le tribunal de commerce, voy. H. BOULARBAH, « La Cour
d’arbitrage et le droit judiciaire privé », Rev. Dr. ULB, 2002-1, p. 300, n° 33.
(209) Voy. not. les nombreuses références citées par J. ENGLEBERT, « La demande de
diffusion d’une réponse dans la pression audiovisuelle (loi du 23 juin 1961). Questions de
procédure », in Les actions en cessation, op. cit., p. 423 et s.
(210) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 58.
(211) Voy. ég. dans ce sens, Gand, 15 mai 1997, A.J.T., 1997-98, p. 155, note
B. DE VUYST.
(212) C. DALCQ et S. UHLIG, «Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’», op. cit., p. 58.
53
tribunal de première instance de Bruxelles 213 et récemment par le
tribunal de commerce de Liège 214 – ne nous paraît pas légale. À notre
sens, dès qu’un président est saisi « en référé » ou « comme en référé »
d’une demande qui ne relève pas de la compétence en laquelle il est
appelé à siéger, il y a lieu à un incident de répartition conformément à
l’article 726 du Code judiciaire 215. Comme le relève J. Englebert, cette
solution constitue en outre la seule voie de régler l’incident sans susciter
des difficultés irrémédiables au regard de la saisine du juge saisi « en
référé » d’une demande relevant de sa compétence « comme en
référé » 216. Pour trancher cet incident, le président aura égard,
conformément aux règles rappelées ci-dessus, à la demande telle que
qualifiée par le demandeur dans la citation sans se limiter, cela va de soi,
au seul intitulé de la citation ou à la qualité en laquelle il est saisi mais en
vérifiant quelles sont les mesures postulées ainsi que les motifs qui les
justifient 217.
74. Obligation pour le juge de régler l’incident. Dans tous les cas, il
est exclu que le juge se borne à constater que la cause ne relève pas de sa
compétence matérielle sans mettre en œuvre les mécanismes de
règlement prévus par la loi à cet effet 218. On ne peut dès lors approuver
les décisions qui constatent l’incompétence du juge saisi comme en
référé pour connaître de la cause sans renvoyer celle-ci au juge
compétent, au tribunal d’arrondissement ou encore au président chargé
(213) Civ. Bruxelles (réf.), 10 septembre 1997, J.L.M.B., 1999, p. 893 ; Civ. Bruxelles
(réf.), 2 octobre 1997, J.L.M.B., 1999, p. 895 ; Civ. Bruxelles (réf.), 27 avril 1999,
J.L.M.B., 1999, p. 897, note F. Jongen.
(214) Prés. Comm. Liège, 19 mai 2006, R.F. n° 2995/05, inédit.
(215) H. BOULARBAH, «L’introduction de l’instance et la notification», in Le point sur
les procédures (2e partie), CUP, Volume 43, Liège, 2000, p. 72, n° 23 ; J. ENGLEBERT,
« La demande de diffusion… », op. cit., p. 426-429, n° 35-38.
(216) J. ENGLEBERT, « La demande de diffusion… », op. cit., p. 429-439, n° 39-50.
L’auteur y démontre qu’à défaut de règlement de l’incident de répartition, le juge
connaissant « en référé » d’une demande relevant de sa compétence « comme en référé »
n’est pas valablement saisi dès lors que les droits de mise au rôle dus pour une telle
demande au fond n’ont pas été correctement réglés avant l’audience d’introduction (voy.
aussi, infra, n° 80).
(217) Voy. par ex. Prés. Comm. Hasselt, 17 mars 2000, I.R.D.I., 2000, p. 143.
(218) C. DALCQ et S. UHLIG, «Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’», op. cit., p. 49 ; Bruxelles, 18 février 2002, R.W., 2003-2004, p. 1467.
54
de trancher l’incident de répartition 219.
75. Sort des incidents de compétence en degré d’appel. Au second
degré de juridiction, le caractère restrictif de la compétence « comme en
référé » disparaît puisque la cour d’appel est également le juge d’appel
du juge ordinaire. « La cour d’appel, juge d’appel des jugements des
tribunaux de première instance et de commerce et des décisions de leurs
présidents respectifs dispose d’une compétence élargie qui, en raison
de l’effet dévolutif de l’appel, lui permet de se prononcer au fond dès
que la cause qui lui est soumise relevait en première instance de la
compétence d’une de ces juridictions » 220. Partant, elle peut connaître
de la demande portée en première instance devant le juge saisi « comme
en référé » même si ce dernier n’était pas compétent pour en
connaître 221.
Dans un arrêt du 8 janvier 2004, la cour d’appel de Liège s’est
prononcée sur le sort de la demande nouvelle formée en degré d’appel
sur pied de l’article 95 de la loi du 14 juillet 1991 alors qu’en première
instance, la demande originaire avait été formée en référé ordinaire
devant le président du tribunal de commerce 222. Après avoir constaté
que cette demande était devenue sans objet dès lors que l’urgence avait
disparu, la cour a déclaré la demande nouvelle irrecevable dès lors
qu’elle relève de la compétence exclusive du président du tribunal de
commerce. Cette solution nous paraît critiquable. Dès lors qu’elle
répondait aux conditions de l’article 807 du Code judiciaire, cette
demande incidente était bien évidemment recevable. La cour d’appel
(219) Voy. par ex. réc. Prés. Comm. Liège, 19 mai 2006, n° R.F. 2995/05, inédit, qui,
bien que siégeant « comme en référé », estime avoir en réalité été saisi « en référé » et se
déclare partant incompétent pour connaître de la demande reconventionnelle relevant de
la compétence du président siégeant « comme en référé » mais sans renvoyer la cause au
juge compétent ni mettre en œuvre les mécanismes de règlement de l’incident. Voy. ég.
Prés. Comm. Malines, 13 octobre 1994, Ann. Prat. Comm. & Conc., 1994, p. 474, qui
fonde cette solution sur le fait qu’il est saisi de deux demandes connexes, dont une partie
est de sa compétence et une autre non, qui ne peuvent être scindées.
(220) H. BOULARBAH, « L’effet dévolutif de l’appel et le sort en degré d’appel des
déclinatoires de la compétence du juge siégeant en référé et comme en référé en matière
commerciale », R.D.C., 1999, p. 103, n° 17 ; X. TATON et F. DANIS, op. cit., n° 13.
(221) Bruxelles, 18 février 2002, R.W., 2003-2004, p. 1467 à propos d’une action en
cession forcée basée sur un contrat de reprise d’actions ; Liège, 8 janvier 2004, J.L.M.B.,
2004, p. 718, à propos d’une action en cessation basée sur un contrat de cession de fonds
de commerce ; Bruxelles, 3 avril 1998, R.D.C., 1999, p. 119 à propos de la validité d’une
marque.
(222) Liège, 8 janvier 2004, J.L.M.B., 2004, p. 721.
55
était à notre sens compétente pour en connaître dès lors qu’il lui
appartenait, en vertu de l’article 643 du Code judiciaire, de la renvoyer
au juge d’appel compétent, soit elle-même 223.
4.3 Questions de compétence territoriale
76. Compétence internationale. La compétence internationale du
juge siégeant comme en référé doit d’abord être vérifiée, lorsque le
défendeur a son domicile dans un État membre de l’Union européenne,
au regard du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000, dit
« Bruxelles I » 224. Lorsque ni ce règlement, ni aucun autre instrument
international ou national spécifique ne trouvent à s’appliquer, le pouvoir
de juridiction des cours et tribunaux belges est déterminé par le Code de
droit international privé 225.
77. Compétence interne. S’agissant de la compétence territoriale sur
le plan interne, il faut distinguer selon qu’il existe ou non des règles
spécifiques dans la procédure concernée. C’est notamment le cas en
matière de droit des sociétés 226 et de droit financier 227 ou encore pour
les actions en cessation intracommunautaires 228. En l’absence de
dispositions dérogatoires, il y a lieu d’appliquer le droit commun de
l’article 624 du Code judiciaire 229, lequel offre des possibilités très
larges. Le demandeur peut notamment porter son action devant le juge
(223) H. BOULARBAH, « L’effet dévolutif… », op. cit., p. 103, n° 17. Voy. dans ce
sens, Anvers, 5e ch., 19 décembre 1995, inédit, A.R. 280/93, rapporté par l’auteur.
(224) Voy. par ex. Prés. Comm. Termonde, 3 janvier 2000, R.D.C., 2000, p. 242, note
P. WAUTELET ; Prés. Comm. Hassett, 3 novembre 2000, Ann. Prat. Comm. & Conc.,
2000, p. 586 ; Prés. Comm. Bruxelles, 8 novembre 2000, Ann. Prat. Comm. & Conc.,
2000, p. 596 ; Prés. Comm. Courtrai, 5 novembre 2001, D.A.O.R., 2002, n° 63, p. 307, tous
rendus à propos de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 qui a été remplacée
par le règlement « Bruxelles I » dont l’article 5-3, souvent appliqué en matière de
cessation, revêt la même portée que l’article 5-3 de la Convention de Bruxelles.
(225) Sur l’application de ce code aux matières commerciales, voy. les diverses
contributions publiées dans le numéro de juin 2005 de la Revue de droit commercial belge,
p. 607 et s.
(226) Voy. par ex. art. 637 C. soc., qui prévoit la compétence du président du tribunal de
commerce dans le ressort duquel la société concernée a son siège social.
(227) Voy. art. 8 de la loi du 2 mars 1989 relative aux offres publiques d’acquisition et
516, § 2, C. Soc.
(228) Art. 6 de la loi du 26 mai 2002, qui prévoit la compétence du président du tribunal
de commerce de Bruxelles (Prés. Comm. Bruxelles, 6 décembre 2004, J.T., 2005, p. 343).
(229) G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 21, n° 7. Sur l’application des règles de droit commun en matière de
56
du domicile du défendeur mais aussi devant celui du lieu où les
obligations sur lesquelles porte le litige, ou l’une d’entre elles, sont nées
ou bien sont ou doivent être exécutées 230. En matière de cessation, ceci
vise le ou les lieux où la pratique commerciale concernée a été posée ou
sort ses effets ainsi que le lieu ou les lieux où l’obligation de cessation
est née 231. La demande peut encore être portée devant le juge du lieu où
se produisent les conséquences préjudiciables des actes attaqués 232.
Selon une partie de la doctrine, le juge appelé à statuer « comme
en référé » pourrait également être celui du lieu où la mesure doit être
exécutée 233 par analogie avec la jurisprudence de la Cour de cassation
relative à la compétence territoriale en matière de référé 234.
4.4 Questions de procédure
78. Modes d’introduction. En règle, les actions exercées « selon les
formes du référé » sont introduites par citation conformément au droit
commun de l’article 1035, alinéa 1er, du Code judiciaire 235.
pratiques du commerce, voy. P. DE VROEDE et H. DE WULF, op. cit., T.P.R., 2005,
p. 294, n° 342-345.
(230) Prés. Comm. Gand, 6 décembre 2004, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2004, p. 641 ;
Prés. Comm. Courtrai, 30 avril 2003, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2003, p. 791.
(231) Prés. Comm. Courtrai, 5 novembre 2001, D.A.O.R., 2002, n° 63, p. 307.
(232) Voy. Prés. Comm. Courtrai, 5 novembre 2001, D.A.O.R., 2002, n° 63, p. 307 ; Prés.
Comm. Hasselt, 15 avril 2005, Ing.-Cons., 2005, p. 167 ; Prés. Comm. Gand, 6 décembre
2004, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2004, p. 641. Contra, Prés. Comm. Gand, 7 janvier
2002, T.G.R., 2002, p. 230.
(233) Une divergence semble toutefois exister parmi les auteurs sur le caractère
complémentaire (G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures
‘comme en référé’ », op. cit., p. 21, n° 8) ou, en revanche, exclusif (C. DALCQ et
S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 49 et
« Questions actuelles en matière de compétence », op. cit., p. 51) de la compétence du juge
du lieu où la mesure doit être exécutée. Il nous paraît que, si l’on pousse jusqu’au bout
l’analogie avec le référé, il ne peut s’agir là que d’un chef de compétence supplémentaire
qui n’empêche pas le recours aux fors prévus par l’article 624 du Code judiciaire.
(234) Voy. Cass., 22 décembre 1989, Pas., 1990, I, 504 et les conclusions du ministère
public publiées dans Arr. Cass., 1989-1990, p. 564.
(235) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 54 ; G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux
procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 27, n° 31.
57
Mais certaines législations prévoient la possibilité d’utiliser
concurremment ou exclusivement la requête contradictoire 236. La
jurisprudence a eu l’occasion de rappeler que le non-respect des règles
de forme prévues par ces réglementations particulières est soumis au
droit commun des articles 860 et s. du Code judiciaire 237 238.
79. Délai de citation. Conformément au droit commun, le délai de
citation est en règle celui prévu par l’article 1035, alinéa 2, du Code
judiciaire, soit deux jours au moins 239. Il est susceptible de prolongation
lorsque le défendeur n’a ni domicile, ni résidence, ni domicile élu en
Belgique. En vertu de l’article 1036, ce délai peut, sur requête
unilatérale du demandeur, être abrégé lorsque le cas requiert célérité.
Certaines procédures particulières prévoient des délais qui
dérogent au droit commun, notamment lorsqu’elles autorisent
l’introduction par voie de requête contradictoire. Ainsi, l’article 100,
alinéa 3, de la loi du 14 juillet 1991 prévoit que le greffier du tribunal de
commerce « avertit sans délai la partie adverse par pli judiciaire et
l’invite à comparaître au plus tôt trois jours, au plus tard huit jours
après l’envoi du pli judiciaire ». Bien que cela ne soit pas prévu par la
loi, le président du tribunal de commerce de Bruxelles a considéré que
lorsque le défendeur est domicilié à l’étranger ce délai doit être prolongé
conformément à l’article 55 du Code judiciaire 240. La même juridiction
(236) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 55 ; G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux
procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 28, n° 32.
(237) Sur ce que les articles 860 et s. du Code judiciaire s’appliquent en cas de
non-respect des mentions d’une requête prescrites à peine de nullité par une législation
particulière, voy. Cass., 24 mars 2003, Pas., I, 598.
(238) Prés. Comm. Bruxelles, 9 juillet 2004, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2004, p. 582 ;
Prés. Comm. Hasselt, 6 juillet 2000, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2000, p. 175. Comp. à
propos d’une requête non datée, Prés. Comm. Bruxelles, 12 mai 2004, Ann. Prat. Comm.
& Conc., 2004, p. 735 qui considère, à tort selon nous, que le cachet apposé par le greffe
sur l’acte ne permet pas de régulariser l’omission.
(239) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 56.
(240) Prés. Comm. Bruxelles, 9 juillet 2004, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2004, p. 582.
Cette solution nous paraît critiquable dès lors que la prolongation des délais visée à
l’article 55 du Code judiciaire n’a lieu que lorsque la loi le prévoit expressément. Or, si
l’article 1035 du Code judiciaire prévoit une telle prolongation s’agissant du délai de
citation de deux jours, l’article 100, alinéa 3, de la loi du 14 juillet 1991 ne contient pas de
précision similaire.
58
a également décidé que ce délai n’est pas prescrit à peine de nullité 241.
80. Mise au rôle. La question de savoir si les actions « comme en
référé » doivent être inscrites au rôle général de la juridiction ou au rôle
spécial des référés a été discutée en doctrine 242. La pratique des greffes
ainsi que la majorité de la doctrine et de la jurisprudence sont fixées en
ce sens que la cause doit être inscrite au rôle ordinaire et faire l’objet des
droits complets 243. Demeure dès lors une controverse sur la sanction
applicable en cas d’inscription de la cause formée « comme en référé »
au rôle des référés plutôt qu’au rôle général 244. La jurisprudence se
prononce généralement en faveur de la régularisation de la procédure
par le paiement du complément des droits de mise au rôle 245. En réalité,
deux situations paraissent devoir être distinguées. La première vise le
cas où le demandeur voulant agir devant le juge du « comme en référé »
cite erronément « en référé », fait inscrire la cause au rôle particulier des
référés et introduit la cause devant la chambre qui, selon le règlement du
tribunal saisi, connaît des actions « en référé ». Comme on l’a déjà
relevé 246, ce problème doit être résolu sous la forme d’un incident de
répartition 247 et non par une correction matérielle de la citation suivie
d’une régularisation des droits de rôle. La seconde hypothèse, plus rare,
est celle où le demandeur saisit le juge « comme en référé », inscrit la
cause au rôle général mais en refusant de payer les droits ordinaires.
Dans ce cas, il faut considérer avec J. Englebert que la citation est de nul
(241) Prés. Comm. Bruxelles, 9 juillet 2004, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2004, p. 582.
Cette solution est également critiquable dès lors que l’article 710 du Code judiciaire qui
constitue le droit commun des procédures (art. 2 C. jud.) prévoit que « les délais fixés pour
les citations sont prescrits à peine de nullité » et que « la même règle est applicable aux
autres formes de convocations prévues par la loi ». Or, l’article 100, alinéa 3, de la loi du
14 juillet 1991 constitue une forme de convocation prévue par la loi au sens de cette
disposition.
(242) Voy. J.-F. van DROOGHENBROECK, « L’inscription de l’action en cessation,
formée et instruite selon les formes du référé : quand la mise au rôle appelle une mise au
point », R.D.C., 1995, p. 272-280.
(243) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 57.
(244) Voy. J. ENGLEBERT, « La demande de diffusion… », op. cit., p. 430, n° 40.
(245) Civ. Bruxelles (réf.), 27 avril 1999, J.L.M.B., 1999, p. 897, note F. Jongen ; Prés.
Comm. Namur, 30 septembre 1998, J.T., 1999, p. 139 (il faut préciser que dans cette
affaire le demandeur avait décidé de modifier en cours d’instance sa demande en référé
pour la transformer en une demande en cessation au fond).
(246) Supra, n° 73.
(247) Suite auquel la cause est distribuée « sans frais » à la chambre compétente de la
juridiction saisie.
59
effet sans régularisation possible 248.
81.
Mesures avant dire droit. Comme on le développera
ci-après 249, le juge siégeant « comme en référé » peut, à l’instar de toute
autre juridiction, faire usage de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire
et décider de mesures avant dire droit. Il peut ainsi prononcer un ordre
de cessation provisoire, décréter la suspension des droits attachés aux
actions dont la cession forcée est demandée, ordonner des mesures
d’instruction 250…
82. Mise en état. La mise en état devant le juge appelé à statuer
« comme en référé » se déroule selon les règles applicables pour le
référé. Le cas échéant, il est envisageable de recourir à l’application des
articles 747 et 748 du Code judiciaire 251.
83. Inapplication ou renversement de la règle selon laquelle « le
criminel tient le civil en état ». Certaines législations, spécialement
celles instituant des actions en cessation, prévoient un renversement de
la règle suivant laquelle « le criminel tient le civil en état ». Dans ces
hypothèses, le juge pénal est en effet tenu par ce qui a été décidé par le
juge siégeant « comme en référé » 252. Ce n’est toutefois pas le cas de
toutes les procédures exercées « selon les formes du référé » en sorte
qu’il y a lieu dans chaque cas de procéder à une vérification préalable de
(248) J. ENGLEBERT, « La demande de diffusion… », op. cit., p. 430, n° 40.
(249) Infra, n° 92.
(250) G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 29, n° 38 qui rappelle que, conformément à l’article 1038 du Code
judiciaire, le juge siégeant « comme en référé » pourra abréger tous les délais de procédure
prévus par le Code judiciaire pour l’exécution des mesures d’instruction.
(251) Comp. C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 59-60 qui paraissent exclure, de manière difficilement
compréhensible, l’application de ces dispositions au premier degré de juridiction mais
l’admettre pour l’appel. En réalité, l’application – déformalisée – des articles 747 et 748
du Code judiciaire n’est nullement incompatible avec une procédure abrégée ou urgente
(H. BOULARBAH, « Questions d’actualité relatives aux débats succincts », in Actualités
et développements récents en droit judiciaire, CUP, Volume 70, Bruxelles, Larcier, 2004,
p. 99, n° 19).
(252) G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 33, n° 51.
60
l’existence d’une dérogation au droit commun 253, laquelle doit
nécessairement être expresse. Par exemple, il n’est pas dérogé à la règle
générale dans le cadre de la procédure de cession forcée d’actions 254.
84. Questions préjudicielles. Depuis la modification, par la loi du
9 mars 2003, de l’article 26, § 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur
la Cour d’arbitrage, il ne fait plus de doute que le juge siégeant « comme
en référé » est, comme tout autre juge appelé à statuer au fond, tenu de
poser une question préjudicielle sauf lorsqu’il se trouve dans l’un des
cas de dispense prévus par le § 2 de cette disposition 255. Ce même juge
peut également poser, le cas échéant, une question préjudicielle à la
Cour de justice des Communautés européennes ou à la Cour de justice
Benelux. Si cela se justifie eu égard aux circonstances de la cause, le
juge peut prendre des mesures avant dire droit sur pied de l’article 19,
alinéa 2, du Code judiciaire afin d’aménager la situation des parties dans
l’attente de la réponse à la question posée 256.
(253) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 64.
(254) Bruxelles, 26 septembre 2000, J.L.M.B., 2001, p. 820.
(255) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 63.
(256) Voy. infra, n° 98 et s.
61
4.5 Le jugement comme en référé
85. Autorité de chose jugée au principal. Le jugement prononcé par
le juge siégeant « comme en référé » possède une pleine et entière
autorité de chose jugée au sens des articles 1350, 3°, du Code civil et des
articles 23 et s. du Code judiciaire 257. L’on enseigne souvent que la
décision rendue « dans les formes du référé », en tout cas par un juge des
cessations, devrait en outre se voir reconnaître une autorité de chose
jugée erga omnes relativement aux faits ayant donné lieu à l’action 258.
Cette doctrine peut être approuvée si elle entend viser par cette
expression le fait que la décision s’imposera à toutes les juridictions
appelées à statuer ultérieurement sur le litige 259 et que, dans certains
cas, elle s’imposera également au juge pénal. À notre sens, il ne peut en
aucun cas s’agir d’une autorité de chose jugée absolue au sens propre du
terme, c’est-à-dire impliquant que la décision ne pourrait plus être
remise en cause par des tiers au procès, à l’égard desquels elle aurait par
conséquent la valeur d’une présomption irréfragable. Une telle solution
serait évidemment contraire à l’article 6 de la CEDH 260.
En cas d’instances parallèles au fond et « comme en référé », le
juge du fond, qu’il s’agisse de celui du premier degré ou du juge
d’appel 261, devra partant respecter l’autorité qui s’attache au jugement
rendu « selon les formes du référé ».
86. Exécution par provision. Soit en vertu de dispositions expresses
qui, le cas échéant, suppriment également la caution 262, soit en vertu
d’un renvoi implicite mais certain au droit commun de l’article 1039,
(257) Cass., 15 décembre 1978, Pas., 1979, I, 460 ; X. TATON et F. DANIS, op. cit.,
n° 4 ; C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 61 ; G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux
procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 32, n° 46.
(258) J. van COMPERNOLLE, « La rançon d’un succès… », op. cit., p. 212, n° 10 et
p. 218, n° 21. Voy. ég. mais avec une très importante nuance, J.-F. van
DROOGHENBROECK, « La nature et le régime… », op. cit., p. 554 et p. 555, note 17.
(259) J.-F. van DROOGHENBROECK, « La nature et le régime… », op. cit., p. 555.
(260) Comp. C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 61 qui écrivent que « l’autorité erga omnes de telles décisions devra
être conciliée avec le respect des droits de la défense des parties qui n’étaient pas à la
cause dans le cadre de la procédure ‘comme en référé’ ».
(261) X. TATON et F. DANIS, op. cit., n° 21.
(262) G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 32, n° 48.
62
alinéa 1er, du Code judiciaire 263, le jugement rendu « selon les formes
du référé » est de plein droit revêtu de l’exécution provisoire. Il n’est
partant pas nécessaire que celle-ci soit sollicitée par une partie ou
ordonnée expressément par le juge 264. Cette exécution provisoire ne
peut en outre être suspendue par le juge d’appel 265. Dans certaines
législations particulières, il est fait exception au caractère exécutoire par
provision de la décision de première instance 266. Enfin, à défaut
d’exclusion expresse, le cantonnement reste de droit, ce qui peut être
utile lorsque le juge siégeant « comme en référé » assortit d’astreintes la
condamnation principale 267.
4.6 Les voies de recours
87. Application du droit commun. Les recours contre les jugements
rendus « selon les formes du référé » sont largement soumis au droit
commun 268. On relève toutefois quelques particularités dans certaines
procédures spécifiques. Ainsi, l’article 220, § 5, de la loi du 4 décembre
1990 prévoit une dérogation en ce qui concerne le taux du ressort 269.
Dans d’autres cas, certaines des décisions rendues par le juge siégeant
« comme en référé » ne sont pas susceptibles de recours 270.
(263) J. van COMPERNOLLE, « La rançon d’un succès… », op. cit., p. 218, n° 22.
(264) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 62 ; G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux
procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 32, n° 49.
(265) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’ », op. cit., p. 62.
(266) Art. 221, § 4, in fine, de la loi du 4 décembre 1990 s’agissant des mesures de
publicité qui accompagnent la décision (voy. X. TATON, «Les procédures
dérogatoires…», op. cit., p. 175, n° 29).
(267) C. DALCQ et S. UHLIG, «Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’», op. cit., p. 62 qui rappellent que le juge d’appel peut être saisi, avant dire droit,
d’une demande tendant à la suppression de ce cantonnement ou, au contraire, à son
rétablissement. Cette demande doit être traitée avec célérité par le juge d’appel avant
même qu’il statue sur un déclinatoire de compétence dont il est saisi et qui est fondé sur
l’incompétence du premier juge (Cass., 17 mars 2005, J.L.M.B., 2005, p. 1314).
(268) C. DALCQ et S. UHLIG, «Vers et pour une théorie générale du ‘comme en
référé’», op. cit., p. 65.
(269) Voy. X. TATON, «Les procédures dérogatoires…», op. cit., p. 176, n° 30.
(270) Voy. par ex. dans le cadre de la procédure de cession forcée, la décision avant dire
droit du président du tribunal de commerce faisant interdiction au défendeur d’aliéner ses
titres ou suspendant les droits attachés aux actions (art. 638 C. soc.). Il en va évidemment
de même lorsque le contentieux est directement confié à la cour d’appel elle-même
63
88. Débats succincts en degré d’appel. Sauf accord des parties, il
convient en principe de faire application en degré d’appel de la
procédure des débats succincts assimilés (1066, alinéa 2, C. jud.) 271.
4.7 Interruption de la prescription
89. Interruption limitée à la demande portée devant le juge
statuant « comme en référé ». La demande formée au fond mais
« dans les formes du référé » interrompt la prescription pour la demande
qu’elle contient ainsi que les demandes qui y sont virtuellement
comprises 272.
Compte tenu de la nature restrictive de la compétence du juge
statuant « comme en référé », il faut considérer que la citation donnée
devant cette juridiction n’interrompt la prescription que pour les
demandes qui relèvent de sa compétence limitée et non pour des
demandes connexes qui pourraient être formées ultérieurement devant
un autre juge. On ne peut en d’autres termes considérer que ces
demandes seraient virtuellement comprises dans la demande
introductive d’instance portée devant la juridiction appelée à se
prononcer « selon les formes du référé ».
Ainsi, une demande en cessation n’interrompt pas la prescription
de l’action en paiement de dommages et intérêts fondée sur les actes
dont la cessation est demandée et ensuite prononcée par le président du
tribunal de commerce.
90. Réserves. Relevons encore que le fait qu’une partie ait demandé
au juge siégeant « comme en référé » d’acter qu’elle se réserve de
demander ultérieurement des dommages et intérêts devant le juge du
fond compétent n’interrompt pas non plus la prescription de cette
(C. DALCQ et S. UHLIG, «Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’»,
op. cit., p. 66).
(271) H. BOULARBAH, « L’effet dévolutif… », op. cit., p. 103, n° 16 ;
G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en référé’ »,
op. cit., p. 35, n° 61 ; J. van COMPERNOLLE, « La rançon d’un succès… », op. cit.,
p. 219, n° 2.4.
(272) Voy. not. Cass., 24 avril 1992, Pas., I, 745 ; Cass., 10 janvier 1992, Pas., I, 403.
64
action 273.
91. Interruption de la prescription de la demande portée à tort
devant le juge du « comme en référé ». Par contre, si une demande est
introduite devant le président du tribunal siégeant « comme en référé »
mais que ce dernier n’est pas compétent pour en connaître, elle produit
néanmoins un effet interruptif puisque selon l’article 2246 du Code
civil, la citation en justice, donnée même devant un juge incompétent,
interrompt la prescription.
5. Les mesures avant dire droit devant les juridictions
commerciales — Le provisoire dans les formes du fond
5.1 Introduction – rappel de quelques principes
92. Principe. Comme tout autre juge, les juridictions commerciales,
appelées à statuer au fond, selon la procédure ordinaire ou, comme cela
vient d’être exposé, selon les formes du référé 274, peuvent recourir à
l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire afin de prononcer des mesures
« avant dire droit » 275. Il s’agit là d’une compétence « incidente » 276
qui permet au juge du fond d’adopter des mesures préalables destinées
soit à instruire la demande, soit à régler provisoirement la situation des
parties. Les avantages de cette voie procédurale ont été mis en exergue à
(273) Cass., 3 juin 1991, Pas., I, 867, avec les concl. de M. le premier avocat général,
alors avocat général, J.-F. LECLERCQ.
(274) Sur ce que l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire s’applique également au juge
des cessations, voy. par ex. Bruxelles, 17 septembre 1997, R.D.C., 1999, p. 250 (qui
précise toutefois que c’est uniquement à la condition que la mesure provisoire relève de sa
compétence matérielle, laquelle est restrictive, voy. supra, n° 63)
(275) Outre les ouvrages généraux, les études de référence en la matière restent celles de
D. LINDEMANS, « Voorlopige maatregelen door de rechter ten gronde : art. 19
Ger.W. », R.D.C., 1989, p. 218 et s., de P. LEMMENS, « De voorlopige regeling van de
toestand der partijen door de rechter ten gronde na een behandeling ter inleidende
zitting », R.W., 1984-85, col. 2011-2016 et A.-C. VAN GYSEL, « Le référé est les autres
mesures provisoires (spécialement en matière familiale) : unité ou diversité ? », Rev. Dr.
ULB, 1993, p. 95 et s. Comme l’ont relevé ces auteurs, les travaux préparatoires du Code
judiciaire et, en particulier, le rapport du Commissaire royal à la réforme judiciaire ne
contiennent guère de développements sur cette question mais se limitent à renvoyer aux
solutions admises sous l’empire du Code de procédure civile et à faire référence
spécialement à l’étude de J. GILSON, « Provision et provisoire », Pand. Pér., 1930, p. 613
et s., elle-même essentiellement basée sur les anciens travaux de Pigeau.
(276) J. van COMPERNOLLE, « Introduction générale », in Les mesures provisoires en
droit belge, français et italien, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 8.
65
de nombreuses reprises : limitation des procédures (et donc des frais),
pas d’urgence à démontrer, absence de limitation aux pouvoirs
d’appréciation des droits des parties du juge du fond… 277
93. Jugement définitif et avant dire droit. Le Code judiciaire
distingue ainsi, s’agissant du degré d’intervention du juge du fond, les
décisions qu’il prend avant dire droit (art. 19, alinéa 2, C. jud.) de celles
définitives par lesquelles il épuise son pouvoir de juridiction sur une
question litigieuse (art. 19, alinéa 1er, C. jud.) 278. L’intérêt de cette
distinction est fondamental. D’une part, lorsqu’il prononce un jugement
définitif, le juge est dessaisi et ne peut plus, sous peine de commettre un
excès de pouvoir 279, revenir, même avec l’accord des parties, sur sa
décision laquelle est en outre revêtue, dès son prononcé, de l’autorité de
chose jugée (art. 24 C. jud.). D’autre part, sur le plan de la procédure et,
spécialement, des voies de recours, les décisions définitives et avant dire
droit sont soumises à des règles différentes en raison de leur nature 280.
(277) Voy. le plus réc., A.-C. VAN GYSEL, op. cit., p. 100. Par contre, on peut se
demander si, comme l’expose cet auteur, la meilleure connaissance de la cause lorsque le
juge statuera au fond après avoir ordonné des mesures provisoires constitue réellement un
« avantage » dès lors que ce « pré-jugement » risque dans certaines hypothèses de mettre
en cause son impartialité objective (voy. infra, n° 115). De manière plus générale, il est
permis de s’interroger aujourd’hui sur l’efficacité réelle de cette voie procédurale compte
tenu de l’encombrement des rôles des juridictions de fond et du développement
considérable de la juridiction des référés combiné à l’assouplissement progressif des
conditions d’urgence et de provisoire.
(278) Un jugement est partant définitif dès qu’il épuise la juridiction du juge sur une
question litigieuse quelle qu’elle soit (exception, incident de procédure, recevabilité de la
demande, bien-fondé d’une partie de la demande, …). Il ne s’agit dès lors pas
nécessairement du jugement par lequel le juge met fin à tout le litige et clôture l’instance. Il
est en effet parfaitement concevable que le juge statue au fond « sur différents chefs de
demande par des jugements successifs, qui épuisent chacun partiellement sa juridiction »
(A.-C. VAN GYSEL, op. cit., p. 100). On parle alors de jugement définitif « sur incident »
ou de jugement définitif « interlocutoire ».
(279) Cass., 15 septembre 1994, Pas., I, 732 ; Cass., 22 novembre 1993, Pas., I, 979 ;
Cass., 26 juin 1992, Pas., I, 968. On précise ici que lorsque l’article 19, alinéa 1er, in fine,
du Code judiciaire réserve « les voies de recours », il vise en réalité les seules voies de
rétractation (opposition, tierce opposition, requête civile, rétractation après le prononcé
d’un arrêt d’annulation de la Cour d’arbitrage) qui permettent bien entendu au juge saisi
d’une telle voie de recours de rétracter sa précédente décision bien qu’elle soit définitive
(Rapport sur la réforme judiciaire, Doc. Parl., Sénat, S.O. 1963-64, n° 60, p. 28 ;
P. TAELMAN, Het gezag van het rechterlijke gewijsde, Kluwer, Malines, 2001, p. 106,
n° 149).
(280) Voy. infra, n° 120 et s.
66
À l’instar de la détermination du caractère contradictoire ou par
défaut d’une décision 281, il nous paraît que la circonstance que le juge
qualifie, le cas échéant, son jugement de définitif ou d’avant dire droit
n’est pas déterminant. Il convient dans chaque cas de procéder à
l’analyse des décisions adoptées pour mesurer, au regard des questions
formulées, débattues et tranchées, la portée de la décision et le degré de
dessaisissement qu’elles emportent 282 283 284.
94. Jugement « mixte ». L’analyse d’un jugement peut parfois être
délicate puisque celui-ci peut être « mixte » et comporter à la fois des
dispositions définitives et des dispositions avant dire droit. Tel est le cas
lorsque la décision épuise la juridiction du juge saisi sur une ou
plusieurs des questions litigieuses qui lui étaient soumises et comporte,
par ailleurs, un avant dire droit 285. Une hypothèse fréquente de nature à
susciter des difficultés est celle où le jugement ordonne une mesure
(281) À propos de laquelle, voy. Cass., 5 novembre 1993, Pas., I, 931 ; Cass.,
15 décembre 1995, Pas., I, 1173 [sommaire].
(282) Une analyse superficielle de la décision peut en effet parfois laisser penser que le
juge se limite à ordonner une mesure d’expertise alors qu’il peut à cette occasion avoir
tranché une ou plusieurs des questions litigieuses (voy. Cass., 18 juin 1993, Pas., I, 593 :
« dans la mesure où il rejette la thèse de la demanderesse, suivant laquelle les défendeurs,
avant de pouvoir refuser d’acheter des marchandises à la demanderesse, devaient
prouver que les prix pratiqués par cette dernière étaient excessifs, est définitif le jugement
qui déclare la demande de la demanderesse recevable et, pour le surplus, désigne un
expert ayant pour mission de donner son avis quant à la question de savoir si les prix
demandés par la demanderesse pouvaient ou non être considérés comme étant
concurrentiels ». Par contre, est avant dire droit la décision par laquelle le juge se borne à
ordonner un expertise sans trancher aucune autre question litigieuse et ce même
lorsqu’une partie conteste que les faits à prouver sont pertinents pour la solution du litige
(Cass., 14 mai 1987, Pas., I, 1110).
(283) Dès lors, le jugement, qui contient des considérations contradictoires ne permettant
pas de déduire avec certitude le sens de sa décision, n’épuise pas la juridiction du juge qui
l’a rendu (Cass., 6 mars 1998, Pas., I, 300).
(284) Certains jugements sont particulièrement délicats à classer au sein de la distinction
binaire définitif/avant dire droit. Il en va ainsi par exemple du jugement qui acte une
réserve. Il est généralement admis qu’un tel jugement doit être considéré comme définitif
au sens de l’article 19, alinéa 1er, du Code judiciaire bien qu’il ne tranche en réalité aucune
question litigieuse (voy. par ex. Prés. Comm. Mons, 13 janvier 2006, R.D.J.P., 2006,
p. 85). Mais la Cour de cassation décide néanmoins qu’une telle décision n’est pas
susceptible de faire l’objet d’un pourvoi en cassation (Cass., 30 mars 2006, C.03.0193.N,
www.cass.be). Cette solution se justifie selon nous par le motif qu’une telle décision ne
cause aucun grief à la partie adverse.
(285) Ce qui est le cas lorsque le juge tranche définitivement l’un ou l’autre point
litigieux et, pour le surplus, ordonne une mesure d’instruction ou une réouverture des
débats. Voy. pour un exemple, Cass., 2 avril 1990, Pas., I, 896.
67
d’instruction après avoir déclaré recevable une demande dont la
recevabilité n’était pas (encore) contestée. Il est aujourd’hui admis que
si le juge fait droit à la demande avant dire droit sans que la recevabilité
de la demande principale ait été contestée ou sans que cette question ait
pu faire l’objet de débats contradictoires, sa décision ne peut être
définitive sur ce dernier point 286.
95. Jugement d’accord. Il a été soutenu que, lorsqu’à l’audience
d’introduction ou en cours de procédure, les parties demandent au juge
d’acter un accord qu’elles ont conclu sur une mesure d’instruction (par
ex. une expertise) ou sur une partie de la demande principale (par ex. un
paiement partiel de la partie incontestée de la dette), la décision qui
constaterait cet accord ne serait pas un jugement avant dire droit au sens
de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire mais un jugement « sur
conclusions consenties » régi par l’article 1043 du même code 287. Cette
affirmation mérite d’être nuancée. La nature avant dire droit ou
définitive du jugement ne se détermine pas en raison de l’existence d’un
accord entre les parties mais bien à l’aune des questions sur lesquelles
cet accord porte (le juge saisi a-t-il épuisé ou non sa juridiction sur
celles-ci ?). À notre sens, si les parties concluent un accord sur le
prononcé d’une mesure d’instruction ou provisoire, la décision qui
entérine cette convention est avant dire droit et non définitive.
Il faut encore relever que la Cour de cassation a décidé que le
jugement d’expédient est uniquement celui qui constate l’accord des
(286) Dans un arrêt du 6 décembre 1974 (Cass., 6 décembre 1974, Pas., 1975, I, 377), la
Cour de cassation a décidé qu’une telle décision n’était pas définitive sur incident en ce
qui concerne la question de la recevabilité. La Cour suprême est toutefois revenue sur sa
jurisprudence dans un arrêt du 10 septembre 1981 (Cass., 10 septembre 1981, R.C.J.B.,
1984, p. 236, et la note critique de J. van COMPERNOLLE) décidant, au contraire, qu’un
tel jugement est définitif. Ainsi que le professeur van Compernolle l’a démontré, le
principe du contradictoire s’oppose à une telle solution ; la chose non contestée et non
débattue ne peut se voir revêtir d’une quelconque autorité. Par son arrêt du 15 février 1990
(Cass., 15 février 1990, Pas., I, 698), la Cour de cassation est toutefois revenue à sa
première jurisprudence confirmant que n’est pas, en matière civile, une décision définitive
sur incident, au sens de l’article 19 du Code judiciaire, celle qui déclare recevable une
intervention dont la recevabilité n’a pas été contestée. Dans un important arrêt du
8 octobre 2001 (Pas., I, 1600 ; R.C.J.B., 2002, p. 231, note G. CLOSSET-MARCHAL), la
Cour a confirmé que la notion de décision définitive implique qu’ait été soumis au débat le
point sur lequel porte la décision. Dans un autre arrêt du 2 novembre 2000, la Cour avait
déjà confirmé que « ne constitue pas une décision définitive, l’arrêt qui pourvoit au
remplacement d’un expert sans qu’une contestation n’ait été élevée à cet égard » (Pas., I,
1661).
(287) D. LINDEMANS, « Voorlopige… », p. 225, n° 15.
68
parties sur la solution de l’intégralité du litige 288, ce que n’est pas par
exemple une décision qui acte leur accord uniquement sur le prononcé
d’une mesure d’instruction 289. On comprend mal les raisons pour
lesquelles la Cour limite ainsi l’application de l’article 1043 du Code
judiciaire à la décision par laquelle les parties mettent fin à tous les
points du litige qui les oppose. Il est parfaitement envisageable de
conclure un accord partiel sur certains points litigieux ou encore sur
certaines mesures provisoires, telle une expertise ou la mise d’un bien
sous séquestre. Dans une telle situation, il est totalement justifié
d’appliquer l’article 1043 et de refuser aux parties le droit d’interjeter
appel du jugement qui acte leur accord.
5.2 Les mesures et leurs conditions
5.2.1 Les mesures d’instruction
96. Notion. En vertu de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire, le
juge peut tout d’abord ordonner, même d’office, toutes les « mesures
préalables destinées à instruire la demande ». Il s’agit ici de l’ensemble
des moyens prévus par le Code judiciaire afin de recueillir des éléments
de preuve : expertise 290, enquête, descente sur les lieux, audition des
parties, production de documents, constats… mais aussi plus
simplement afin d’instruire la cause comme par exemple la réouverture
(288) Cass., 4 octobre 2004, R.D.J.P., 2005, p. 73.
(289) Cass., 20 septembre 2001, Pas., I, 1430. Contra, Bruxelles, 16 décembre 2003,
J.L.M.B., 2004, p. 1507 (sommaire). La motivation de l’arrêt du 20 septembre 2001 nous
paraît critiquable. En l’espèce, les parties avaient marqué leur accord lors d’une première
audience sur la désignation avant dire droit d’un expert. Dans son jugement, le tribunal
avait non seulement entériné cet accord mais avait également déclaré recevables les
demandes principale et reconventionnelle. Or, ultérieurement la défenderesse en cassation
avait contesté la recevabilité de la demande reconventionnelle sur la base de l’article 1648
du Code civil. Elle avait dès lors interjeté appel du jugement avant dire droit pour ce motif.
La cour d’appel avait déclaré cet appel recevable dès lors que le jugement entrepris
n’apportait pas de solution globale au litige. Le moyen de cassation critiquait cette
décision sur la base de l’article 1043 du Code judiciaire et faisait notamment valoir que
« l’accord des parties quant à la désignation de l’expert implique leur accord préalable
quant à la recevabilité de la demande reconventionnelle ». La Cour rejette le moyen au
motif que « le jugement ordonnant une mesure d’instruction conformément à l’accord des
parties n’est pas une décision non susceptible de recours ». Elle aurait été mieux avisée de
constater très simplement que, contrairement à ce que soutenait le moyen, l’accord des
parties portait exclusivement sur la mesure d’instruction et non sur la recevabilité de la
demande reconventionnelle en sorte que la défenderesse en cassation était recevable à
interjeter appel de cette partie du jugement sur laquelle elle n’avait pas marqué son accord.
(290) Voy. par ex. Liège, 16 mai 2002, R.G.A.R., 2003, n° 13673.
69
des débats (art. 774, alinéa 1er, C. jud.) 291.
97. Conditions. La loi n’énonce pas les critères justifiant le prononcé
d’une mesure d’instruction, celui-ci relevant très largement de
l’appréciation souveraine du juge du fond 292.
La doctrine et la jurisprudence considèrent toutefois que la partie
qui requiert une telle mesure doit faire la démonstration de son utilité 293
et de son opportunité 294 surtout lorsqu’elle est susceptible d’entraîner
des frais 295. Le juge prendra donc en considération la pertinence des
faits allégués ainsi que l’efficacité et la proportionnalité de la mesure
sollicitée pour rapporter la preuve de ceux-ci.
Reste très discutée la question de savoir si la partie qui sollicite
une telle mesure doit déjà apporter un début de preuve des faits qu’elle
allègue ou s’il suffit qu’elle invoque avec vraisemblance les faits dont
elle se propose d’apporter la démonstration 296. La jurisprudence de la
Cour de cassation en matière de preuve testimoniale semble conduire à
privilégier la seconde solution 297 mais on peut se demander si celle-ci
ne revient pas à renverser la charge de la preuve en imposant au
(291) On précise que si la réouverture des débats est une mesure avant dire droit au sens
de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire (voy. Cass., 2 avril 1990, Pas., I, 896), elle ne
constitue pas une « mesure d’instruction » au sens de l’article 1068, alinéa 2, du Code
judiciaire (Cass., 23 octobre 1992, Pas., I, 1197).
(292) Dans l’exercice de ce pouvoir, le juge ne peut toutefois pas méconnaître le droit des
parties d’apporter la preuve du fait allégué (voy. par ex. Cass., 4 mars 1999, Pas., I, 130).
Par ailleurs, il paraît résulter de l’arrêt de la Cour de cassation du 2 juin 2005 (J.T., 2006,
p. 149) que les parties peuvent conclure, de manière expresse ou tacite mais certaine, un
accord procédural par lequel elles interdisent au juge de prononcer une mesure
d’instruction déterminée (en l’espèce, une production de documents sur la base de
l’article 877 C. jud.).
(293) Comm. Nivelles, 19 septembre 2002, Res Jur. Imm., 2002, p. 311, note
J. LAMBERS et D. RAES. Sur ce que le juge du fond est mieux placé que le juge des
référés pour apprécier l’utilité de la mesure d’instruction à la solution du litige, voy. Liège
25 mai 1999, R.D.C., 2000, p. 195.
(294) Liège, 17 juin 1999, R.P.S., 1999, p. 260, note M. DELVAUX.
(295) Ibidem.
(296) Voy. sur cette question qui dépasse très largement les limites de la présente
contribution, G. de LEVAL, Éléments, 2e éd., 2005, p. 192, note 56 (caractère
vraisemblable suffit) et, pour l’opinion inverse, J. van COMPERNOLLE,
G. CLOSSET-MARCHAL, J.-F. van DROOGHENBROECK, A. DECROËS et
O. MIGNOLET, « Examen de jurisprudence (1991 à 2001). Droit judiciaire privé »,
R.C.J.B., 2002, p. 765, n° 695 (début de preuve exigé pour obtenir une expertise).
(297) Voy. not. Cass., 16 septembre 1996, Pas., I, 808.
70
défendeur à la mesure d’instruction de démontrer le caractère non
vraisemblable des faits invoqués par le demandeur.
5.2.2 Les mesures réglant provisoirement la situation des
parties
98. Notion. L’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire permet
également au juge du fond de prononcer avant dire droit une mesure
destinée « à régler provisoirement la situation des parties ». Il s’agit ici
pour le juge d’assurer, par une mesure adéquate, la protection d’intérêts
qui seraient compromis par la durée du procès qu’il doit trancher au
fond 298.
99. Mesure provisoire et jugement définitif partiel. Il paraît
essentiel de rappeler la différence entre un jugement avant dire droit par
lequel le juge aménage, « tous droits saufs des parties », leur situation
durant l’instance et celui par lequel le juge fait déjà droit partiellement à
la demande principale. Cette distinction n’est pas toujours facilitée par
l’usage des formules « à titre provisionnel » ou « provisionnellement »
qui figurent parfois dans de telles décisions. On parle aussi parfois de
condamnation « sous réserve d’un dommage ultérieur » ou encore de
condamnation « à l’incontestablement dû ».
En réalité, il convient de vérifier si le juge accorde définitivement
le montant à titre de provision (en réalité d’avance) à valoir sur un
montant plus important dont le quantum ne pourra être fixé
qu’ultérieurement ou si le juge alloue à titre purement provisoire et
précaire une somme d’argent qui devra être remboursée ultérieurement
si la demande est finalement rejetée 299. Lorsque, dans le premier cas, le
juge accorde déjà une partie des sommes réclamées, fût-ce « à titre
provisionnel », dans l’attente de la fixation du montant définitif du
dommage, sa décision est sur ce point définitive et non avant dire droit
au sens de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire 300.
(298) J. van COMPERNOLLE, « Introduction générale », op. cit., p. 7 ; A. FETTWEIS,
Manuel, p. 257, n° 342 ; J.P. Schaerbeek (1er canton), 23 mars 2006, J.T., 2006, p. 417.
(299) Voy. sur cette question, la note de D. FEVERY, « Nog over de provisie : vervolg
zonder gevolg », note sous Gand, 4 janvier 1996, T.G.R., 1996, p. 94, n° 1.
(300) Contra, voy. Comm. Courtrai, 6 mars 1995, A.J.T., 1994-95, p. 372 qui qualifie à
tort d’avant dire droit le jugement par lequel il condamne le défendeur à payer la moitié
71
100. L’urgence n’est pas requise. Il est très largement admis que le
juge du fond dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour décider s’il
y a lieu de faire droit à la demande de mesures provisoires. L’urgence
n’est théoriquement pas requise 301. Il faut uniquement que la mesure
présente un intérêt raisonnable au regard de la situation des parties 302.
Elle doit être destinée à limiter les conséquences préjudiciables du
procès, compte tenu de sa durée, pour une partie, le plus souvent le
demandeur 303. Comme en référé, le juge procédera à une balance des
intérêts en présence et comparera l’opportunité de la mesure sollicitée
avec la gravité des conséquences pour la partie adverse 304. Dans ce
cadre, il veillera à être particulièrement attentif à la possible
« réversibilité » de la mesure ordonnée 305.
101. Étendue du contrôle du juge sur le bien-fondé de la demande
principale. Est en revanche plus discutée la question de savoir ce que le
juge du fond doit vérifier pour faire droit à une demande de mesure
provisoire. Il est certain que pour accorder la mesure, le juge ne doit pas
déjà se prononcer sur le bien-fondé du droit invoqué 306. Mais peut-il se
contenter de simples apparences de droit ? Ou doit-il se limiter à
intervenir lorsque les droits sont évidents ? L’existence d’une
contestation sérieuse fait-elle obstacle à l’octroi de la mesure ? Diverses
opinions ont été émises.
102. Première opinion : droits évidents et absence de contestation
sérieuse. Une partie importante de la jurisprudence 307 paraît reprendre
la solution retenue sous l’empire du Code de procédure civile, et bien
des sommes réclamées par le demandeur dès lors que le défendeur s’est déclaré prêt à
payer, sans condition, un tel montant. Une telle décision qui condamne d’ores et déjà le
défendeur au paiement de l’incontestablement dû est, selon nous, définitive.
(301) G. de LEVAL, Éléments, 2e édition, p. 138, n° 94 ; A.-C. VAN GYSEL, op. cit.,
p. 100 ; Civ. Tongres, 6 septembre 1993, R.W., 1994-95, p. 196 ; D. LINDEMANS,
« Voorlopige », op. cit., p. 224, n° 14 ; P. LEMMENS, « De voorlopige… », op. cit., col.
2014, n° 5, conclut cependant que l’urgence et l’intérêt des parties ont en réalité la même
portée sur le plan pratique.
(302) Gand, 4 janvier 1996, T.G.R., 1996, p. 91, note D. FEVERY.
(303) T.T. Bruxelles, 18 juin 1991, J.D.S., 1991, p. 473.
(304) Civ. Bruxelles, 27 juin 2002, J.L.M.B., 2004, p. 775.
(305) Voy. infra.
(306) Civ. Bruges, 4 mai 2001, T.W.V.R., 2002-03, p. 128, note.
(307) Comm. Bruxelles, 23 avril 1992, J.T., 1992, p. 780 ; Comm. Gand, 22 janvier
1993, T.G.R., 1993, p. 62 ; Civ. Bruxelles, 27 juin 2002, J.L.M.B., 2004, p. 775, qui
réserve toutefois « les nécessités impérieuses qui exigeraient une solution immédiate ».
72
avant déjà dans la pratique du Châtelet, à laquelle renvoient les travaux
préparatoires du Code judiciaire, selon laquelle le juge ne peut
prononcer une mesure provisoire (alors qualifiée de « provision ») que
lorsque le droit de la partie demanderesse « est présomptivement établi,
fondé ou certain » 308. À l’inverse, il suffit, pour ordonner une simple
mesure d’instruction que « la demande ne paraisse pas
frustratoire » 309. En d’autres termes, le prononcé d’une mesure
provisoire requiert que les droits invoqués soient évidents ou à tout le
moins que la demande principale ne soit pas sérieusement contestée.
103. Deuxième opinion : parallèle avec les pouvoirs du juge des
référés. Selon plusieurs auteurs 310 et tribunaux 311, les pouvoirs du juge
du fond dans le cadre de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire et ceux
du juge des référés seraient identiques. Il ne pourrait partant être fait
droit à une demande de mesure provisoire qu’en présence d’apparences
de droit suffisantes 312. Et encore, faudrait-il, comme en référé, procéder
à la détermination de l’étendue de la mesure en fonction de l’intensité de
la démonstration du bien-fondé de la demande principale. Ainsi, pour
une simple mesure conservatoire (désignation d’un séquestre ou d’un
administrateur provisoire…), de « simples » apparences de droit
suffiraient même si la demande est par ailleurs sérieusement contestée.
En revanche, pour une mesure d’anticipation (allocation d’une
indemnité provisionnelle, injonction de faire ou de ne pas faire…), il
conviendrait, à l’instar du référé, que le juge puisse se fonder sur des
droits non sérieusement contestables. Selon le tribunal de première
instance de Namur, le magistrat investi du pouvoir d’ordonner, par
application de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire, une mesure
préalable destinée à régler provisoirement la situation des parties devrait
même exercer celui-ci de manière plus stricte que celui qui échoit au
juge des référés et « avec une particulière circonspection afin de ne pas
compromettre l’impartialité objective qu’il doit présenter jusqu’à
(308) J. GILSON, op. cit., p. 621.
(309) Ibidem.
(310) P. LEMMENS, «De voorlopige…», op. cit., col. 2014, n° 6 ; J. van
COMPERNOLLE, «Introduction générale», op. cit., p. 7.
(311) Civ. Namur, 24 août 1994, J.T., 1994, p. 693.
(312) Par exemple, un rapport d’expertise provisoire, fût-il critiqué, Comm. Louvain,
19 février 2002, R.A.B.G., 2004, p. 1172.
73
épuisement de sa juridiction » 313.
104. Troisième opinion : appréciation prima facie. Enfin, d’autres
juridictions, plus isolées, recourent uniquement à une appréciation
prima facie de la demande principale 314. Dans un obiter dictum, la cour
d’appel de Bruxelles a notamment retenu un tel critère en matière de
délivrance d’un ordre de cessation provisoire 315.
105. Approche critique. À notre sens, c’est à tort que l’on entend
appliquer au juge du fond, statuant sur pied de l’article 19, alinéa 2, du
Code judiciaire, les règles dégagées pour la juridiction des référés.
D’abord, comme nous l’avons indiqué, ces principes sont eux-mêmes
contestables et leur application particulièrement hasardeuse (quand un
droit est-il évident ou non sérieusement contesté ? comment distinguer
avec certitude une mesure conservatoire de celle qui anticipe sur le
fond ?) 316. Mais encore et surtout, comme cela a été récemment
démontré 317, ceux-ci ont à l’origine été conçus afin de pallier
l’interdiction pour le juge des référés d’aborder le fond du litige. Il va de
soi que ces principes ne peuvent partant être transposés au juge du fond
auquel revient précisément cette tâche. Ensuite, contrairement au juge
des référés, le juge du fond qui aura prononcé une mesure provisoire
devra encore statuer ensuite sur le bien-fondé de la demande principale
en sorte que son impartialité objective 318 pourrait être mise en cause si à
l’occasion de l’examen de la mesure provisoire, il se livre déjà à un
(313) Civ. Namur, 24 août 1994, J.T., 1994, p. 693.
(314) Sent. Arb., 23 janvier 2002, R.D.J.P., 2002, p. 347 ; Sent. Arb., 17 mai 2002,
R.D.J.P., 2002, p. 350.
(315) Bruxelles, 17 septembre 1997, R.D.C., 1999, p. 250.
(316) Supra, n° 20.
(317) J. ENGLEBERT, « Le référé judiciaire…», op. cit., p. 28, n° 33.
(318) Sur l’impartialité objective du magistrat qui ordonne une mesure provisoire et qui
statue ensuite au fond dans la même cause, voy. not. P. MARTENS, « La tyrannie des
apparences», R.T.D.H., 1996, p. 647 et s., spéc. n° 8 ; J. van COMPERNOLLE, « Le
cumul du provisoire et du fond au regard du principe d’impartialité», in Les mesures
provisoires en droit belge, français et italien, op. cit., p. 240 et s. et « L’impartialité du
juge », in Finalité et légitimité du droit judiciaire, Bruges, La Charte, 2005, p. 14 et s. ;
B. BEELDENS, « L’impartialité et la problématique du cumul de fonctions judiciaires »,
Ann. dr. Louvain, 2001, p. 302 et s. ; J.-F. van DROOGHENBROECK e.a., « Les avatars
de l’article 660 du Code judiciaire », in Mélanges Jacques van Compernolle, Bruxelles,
Bruylant, 2004, p. 792 et s. ; J. NORMAND, « L’impartialité du juge en droit judiciaire
français », in L’impartialité du juge et de l’arbitre. Étude de droit comparé, Bruxelles,
Bruylant, 2006, p. 76-77.
74
examen approfondi de l’existence des droits évidents 319 320. Enfin, on
peut se demander quel est encore, dans ce cas, l’intérêt de dissocier
l’avant dire droit et le définitif. Si les droits sont à ce point évidents ou
non sérieusement contestés, il appartient selon nous au juge du fond de
les trancher définitivement et non pas provisoirement.
Tout ceci nous conduit à considérer que pour faire droit à la
demande de mesure provisoire, le juge du fond doit nécessairement se
limiter à une appréciation sommaire et superficielle (prima facie) des
droits invoqués par les parties 321. En d’autres termes, il se contentera de
la vérification marginale du caractère sérieux de la demande telle que
permise par un examen rapide du dossier 322. À l’analyse approfondie
des droits des parties, il paraît préférable que le juge privilégie celle de la
(319) C’est manifestement le cas lorsque le juge déboute le demandeur au motif qu’il n’y
a pas de droit évident et ce au terme d’une analyse déjà fouillée de la demande. Voy. Civ.
Namur, 24 août 1994, J.T.¸1994, p. 693 qui traduit parfaitement le malaise du magistrat
qui à la fois ne veut pas anticiper, en raison de son impartialité, sur la décision au fond mais
en même temps exige, comme en référé, des apparences de droit suffisantes et que le droit
puisse apparaître comme « vraisemblable, sérieux ou non véritablement contesté ». En
définitive, au terme d’une appréciation des apparences de droit, le juge refuse d’accorder
au provisoire la mesure sollicitée au fond, à savoir la suspension et la résiliation d’un
contrat au motif qu’une telle demande ne pourrait être accordée par le juge du fond. Il
préjuge ainsi directement et définitivement du fond… Voy. ég. Comm. Bruxelles,
16 février 1989, R.D.C., 1989, p. 738 qui, à propos d’un ordre de cessation provisoire,
analyse déjà la portée de la marque des demanderesses et conclut que celle-ci ne peut faire
obstacle à l’utilisation du slogan par la défenderesse.
(320) Comp. toutefois Cass., 28 février 2003, Pas., I, 438 ; R.A.B.G., 2004, p. 145, note
P. VANLERSBERGHE qui décide « qu’il ne suit pas de la seule circonstance qu’il a
ordonné une mesure provisoire avant de statuer sur un point de la contestation que le juge
n’est plus en état de statuer définitivement sur ce point de la contestation d’une manière
objectivement impartiale ; c’est également le cas lorsqu’en prononçant la décision
définitive, il se réfère à la décision concernant la mesure provisoire ». Pour une critique
sévère de cet arrêt, voy. J. van COMPERNOLLE, « L’impartialité du juge », op. cit., p. 20,
n° 26 et J.-F. van DROOGHENBROECK e.a., op. cit., p. 806, n° 18.
(321) Voy. supra, n° 104. Comp. en matière de suspension des droits attachés aux parts
ou actions qui font l’objet d’une action en rachat forcée, E. SMIT, « Les mesures
provisoires prévues par l’article 190ter, § 4 », D.A.O.R., 1997, n° 44, p. 93, n° 4, qui relève
que « une telle exigence d’apparence de droit suffisante n’implique pas que le dossier soit
complètement en état pour que la mesure de suspension des droits du défendeur puisse
être octroyée. Elle nécessite toutefois que le demandeur puisse produire suffisamment
d’éléments précis et concordants pour laisser apparaître d’une part, que sa demande de
cession forcée des actions ou parts du défendeur est sérieuse et d’autre part, qu’il y a un
risque important d’une utilisation abusive par le défendeur des droits liés aux actions ou
parts qu’il détient » (nous soulignons).
(322) La seule constatation d’une apparence de droit n’empêche en effet pas que
l’existence du droit puisse encore être contestée au fond (Comm. Courtrai, 6 mars 1995,
A.J.T., 1994-95, p. 372). Comp. avec le pouvoir exercé par le juge des saisies sur pied de
75
nécessité de la mesure au regard des situations respectives des parties
ainsi que sa « réversibilité », c’est-à-dire qu’il vérifie si, en cas de
jugement de débouté ultérieur au fond, les effets de la mesure provisoire
accordée pourront être facilement annulés et ses conséquences réparées
(remboursement, indemnisation…) 323. Dans le cadre de cette
vérification, le juge procédera notamment à l’examen des éventuelles
garanties qui pourraient être fournies par le demandeur au provisoire ou
encore de sa solvabilité. Pour reprendre une formule ancienne, en bref,
« le juge doit bien peser les circonstances, examiner les raisons des
parties, souvent leur solvabilité et toujours les suites de la décision
qu’on lui demande » 324.
Rien n’empêche évidemment le juge du fond d’approfondir
d’emblée l’examen des droits des parties si ceux-ci paraissent évidents
ou non sérieusement contestés, fût-ce partiellement 325, mais alors il est
préférable qu’il statue de manière définitive et non avant dire droit.
106. Recevabilité de la demande principale. La doctrine est divisée
sur le point de savoir si le juge doit examiner préalablement la
recevabilité de la demande principale avant de statuer sur la mesure
avant dire droit. Pour D. Lindemans une telle vérification n’est pas
requise 326. Par contre, selon le professeur van Compernolle, la demande
principale doit nécessairement être « recevable et exempte de causes de
nullité » 327. La réponse à cette question dépend à notre sens du débat
qui se noue entre les parties. Si le défendeur conteste d’emblée la
recevabilité de la demande principale, le juge devra trancher ce point
avant de statuer avant dire droit. Par contre, en l’absence de
contestation, le juge n’est pas tenu de vérifier d’office la recevabilité de
la demande principale. Dans ce cas, s’il admet la demande avant dire
droit sans s’être prononcé sur cette question et que celle-ci n’a pas fait
l’article 1127 du Code judiciaire (voy. G. de LEVAL, Traité des saisies, Liège, 1988,
p. 38, n° 21) ou encore par le tribunal de première instance sur la base de l’article 1714 du
même Code.
(323) Voy. infra, n° 119. Comme un auteur l’a relevé, contrairement à l’ordonnance de
référé, le jugement avant dire droit est nécessairement temporaire puisqu’il n’existe qu’à
titre d’aménagement d’une situation d’attente d’une décision finale (A.-C. VAN GYSEL,
op. cit., p. 108).
(324) PIGEAU, La procédure civile du Châtelet de Paris et de toutes les juridictions du
Royaume, Tome I, Paris, 1779, p. 110.
(325) Il prononcera alors un jugement définitif partiel. Voy. supra, n° 94.
(326) D. LINDEMANS, «Voorlopige…», p. 226, n° 16.
(327) J. van COMPERNOLLE, «Introduction générale», op. cit., p. 8.
76
l’objet de débats contradictoires, sa décision ne peut être définitive sur
ce dernier point 328.
107. Mesures susceptibles d’être prononcées. Limites. Selon la
doctrine, la mesure peut, comme en référé, être de nature conservatoire
ou anticipatoire 329. On admet notamment que le juge du fond puisse
accorder une « provision » en se fondant sur les apparences de droit
invoquées par le demandeur 330. Comme en référé, le juge ne saurait
toutefois allouer au provisoire ce qu’il ne peut ordonner au fond 331.
108. Exemples de mesures provisoires. La jurisprudence récente des
juridictions commerciales fournit de nombreux exemples de mesures
provisoires ordonnées par le juge du fond : condamnation
provisionnelle au paiement d’arriérés de charges 332, allocation d’une
indemnité provisionnelle 333, ordre de cessation provisoire 334,
désignation d’un séquestre 335, suspension des droits attachés aux
actions dont le rachat forcé est demandé 336, suspension d’un contrat 337,
constitution d’une garantie bancaire 338.
(328) Voy. supra, n° 94.
(329) J. van COMPERNOLLE, « Introduction générale », op. cit., p. 8.
(330) Ibidem.
(331) Civ. Namur, 24 août 1994, J.T., 1994, p. 693.
(332) J.P. Schaerbeek (1er canton), 23 mars 2006, J.T., 2006, p. 417.
(333) Comm. Louvain, 19 février 2002, R.A.B.G., 2004, p. 1172.
(334) Comm. Bruxelles, 16 février 1989, R.D.C., 1989, p. 738, note D. LINDEMANS ;
Comm. Bruxelles, 2 avril 1993, R.D.C., 1994, p. 40 ; Bruxelles, 17 septembre 1997,
R.D.C., 1999, p. 250. Voy. ég. A. PUTTEMANS, Droits intellectuels et concurrence
déloyale, op. cit., p. 271, n° 166.
(335) Prés. Comm. Bruxelles, 17 mars 1997, R.D.C., 1999, p. 249.
(336) Contra mais à tort Prés. Comm. Bruxelles, 24 mars 1997, D.A.O.R., 1997, n° 44,
p. 85 avec la note critique de E. Smit (et les nombreuses références citées p. 92, n° 3).
(337) Liège, 7 octobre 1996, J.L.M.B., 1997, p. 4.
(338) Sent. Arb., 17 mai 2002, R.D.J.P., 2002, p. 350.
77
5.3 Compétence et pouvoir de juridiction
109. Compétence. Le pouvoir du juge du fond de prononcer une
mesure avant dire droit dérive directement de sa compétence pour
connaître de la demande principale. Il s’agit, comme on l’a relevé, d’une
compétence incidente ou accessoire. Il en découle qu’une telle mesure
ne peut être prononcée que si le juge du fond constate qu’il est
compétent pour connaître de la demande principale 339.
Mais faut-il en outre que l’objet de la mesure provisoire entre
également dans sa compétence matérielle ? Dans un arrêt du
17 septembre 1997, la cour d’appel de Bruxelles a refusé que le juge des
cessations puisse ordonner avant dire droit une mesure de séquestre dès
lors qu’il ne pourrait ordonner, en raison de sa compétence limitée, une
telle mesure au fond 340. Cette décision a été critiquée par
Mme Puttemans qui considère qu’une telle solution « ôte une grande
partie de son intérêt à la règle, souple et générale, de l’article 19,
alinéa 2, du Code judiciaire » 341. En réalité, même si cette solution peut
être déplorée 342, il faut considérer que cette disposition 343 n’est pas
attributive de compétence. Elle ne donne pas au juge du fond des
pouvoirs supplémentaires qui lui permettraient de prononcer toutes les
mesures nécessaires à l’aménagement de la situation des parties dans
l’attente de sa décision sur le fond des droits. Il ne peut avant dire droit
que prononcer des mesures qui entrent également dans sa compétence
matérielle.
110. Provisoire. Par opposition au juge des référés qui ne peut
dépasser les frontières du provisoire en accordant à une partie une
mesure définitive et irréparable 344, les pouvoirs du juge du fond ne sont
évidemment pas limités 345. « On ne peut en effet reprocher au juge du
(339) J. van COMPERNOLLE, « Introduction générale », op. cit., p. 8.
(340) Bruxelles, 17 septembre 1997, R.D.C., 1999, p. 250, note.
(341) A. PUTTEMANS, Droits intellectuels et concurrence déloyale, op. cit., p. 272,
n° 166.
(342) En réalité, elle ne concernera en pratique que le juge des cessations dont la
compétence est, comme on l’a indiqué, restrictive (voy. supra, n° 63).
(343) Contrairement à l’article 584 du Code judiciaire s’agissant du juge des référés.
(344) Voy. supra, n° 21.
(345) Contra, Civ. Namur, 24 août 1994, J.T., 1994, p. 693. Bien qu’à notre sens, la
discussion à cet égard au sujet du juge des référés soit aujourd’hui dépassée. Ce juge a
également le pouvoir de procéder à une analyse, même approfondie et complète, des droits
des parties (voy. supra, n° 21).
78
fond de statuer au fond » 346. Cette règle doit toutefois être bien
comprise. Rien n’interdit évidemment au juge du fond de déjà allouer à
une partie le bénéfice de certains chefs de la demande principale. Dans
ce cas, sa décision sera sur ces points définitive. Par contre, lorsqu’il
entend uniquement statuer avant dire droit, le juge du fond doit veiller à
préserver la « réversibilité » de la mesure préalable qu’il ordonne. Il
s’agit en effet de la seule manière de garantir le caractère provisoire de
sa décision.
5.4 Procédure
111. Sauf s’il s’agit d’une mesure d’instruction, la mesure doit être
sollicitée par une des parties. S’il est permis au juge d’ordonner de son
propre chef une mesure d’instruction 347, il ne peut par contre jamais
prononcer d’office une mesure destinée à aménager provisoirement la
situation des parties, sous peine de violer le principe dispositif et
l’article 1138, 2°, du Code judiciaire. Par contre, il nous semble que,
même si aucune demande expresse en ce sens ne lui est soumise, le juge
pourrait décider d’allouer au demandeur le bénéfice de sa demande
principale uniquement avant dire droit et sans préjudice du fond du
litige. Ce faisant, le juge ne modifie en effet pas l’objet de la demande
introduite devant lui mais uniquement l’intensité de la décision par
laquelle il y fait droit.
112. Forme et moment de la demande. La demande de mesure avant
dire droit peut être formée dans la même procédure que celle concernant
la demande principale mais également dans une procédure séparée 348.
Cette demande peut être introduite à tout moment : elle peut être formée
dans l’acte introductif d’instance, à l’audience d’introduction ou encore
(346) A.-C. VAN GYSEL, op. cit., p. 100 et p. 104, qui relève à juste titre (p. 100, note
20) que « son jugement ne sera plus alors ‘avant dire droit’ sur ce point, ce qui n’est
nullement un obstacle : un juge peut parfaitement statuer au fond sur différents chefs de
demande par des jugements successifs, qui épuisent chacun partiellement sa juridiction ».
Précisons toutefois que, dans une telle hypothèse, il est interdit au juge de revenir sur les
décisions définitives qu’il aurait prises (voy. supra, n° 93). Il est donc important de
pouvoir qualifier le jugement intervenu en cours de procédure pour mesurer l’étendue de
la saisine du juge et les points qui restent à trancher (voy. supra, n° 93).
(347) Pour le rappel de ce principe, voy. G. de LEVAL, Eléments, 2e édition, p. 192,
n° 134.
(348) Voy. pour un exemple d’action séparée, J.P. Schaerbeek (1er canton), 23 mars
2006, J.T., 2006, p. 417.
79
après 349, en cours de procédure par le biais d’une demande incidente
(art. 13 C. jud.) 350, et, même pour la première fois en degré d’appel 351
(ce que confirme implicitement l’article 1072, alinéa 1er, du Code
judiciaire).
113. Instruction de la demande. Lorsqu’elle est formée dans l’acte
d’introductif d’instance ou à l’audience d’introduction, la demande de
mesure provisoire doit en principe pouvoir être traitée dans le cadre de la
procédure des débats succincts (art. 735 C. jud.). Elle doit partant être
plaidée à l’audience d’introduction ou, le cas échéant, à une audience de
remise, même si l’autre partie s’y oppose 352. En effet, compte tenu de ce
qu’elle doit uniquement faire l’objet d’un examen sommaire 353 et de ce
que la mesure ne porte pas préjudice à la cause elle-même 354, « il doit
être relativement facile d’accepter qu’il puisse être plaidé sur cette
question déjà lors de l’audience d’introduction » 355. On sait toutefois
qu’en pratique, il est particulièrement difficile, compte tenu de
l’encombrement des rôles, de plaider à l’audience d’introduction ou à
une audience de remise, spécialement lorsque la partie adverse conteste
le bien-fondé de la mesure avant dire droit.
Le cas échéant, si la demande est formée incidemment en cours de
procédure, elle devrait, à la requête d’une partie conformément à
l’article 747, § 2, du Code judiciaire, pouvoir faire l’objet de brefs délais
(349) G. de LEVAL, Éléments, 2e édition, p. 138, n° 94.
(350) Voy. par ex. Prés. Comm. Bruxelles, 17 mars 1997, R.D.C., 1999, p. 249 (demande
reconventionnelle).
(351) G. de LEVAL, Éléments, 2e édition, p. 138, n° 94 ; C.T. Bruxelles, 31 octobre
1991, J.T.T., 1992, p. 411. On ne confondra évidemment pas la demande tendant à obtenir
pour la première fois le prononcé d’une mesure d’instruction ou provisoire en degré
d’appel avec la demande formée sur pied de l’article 1401 du Code judiciaire et tendant à
l’obtention de l’exécution provisoire du jugement de première instance ou, à l’inverse,
dans les cas limités où cela est autorisé par la Cour de cassation, la suppression de
l’exécution provisoire ordonnée en première instance (art. 1402 C. jud.) ou encore la
restauration du droit de cantonner.
(352) D. LINDEMANS, « Voorlopige… », p. 226, n° 18.
(353) Voy. supra, n° 104 et 105.
(354) Voy. infra, n° 115.
(355) P. LEMMENS, « De voorlopige… », op. cit., col. 2016, n° 9.
80
de conclusions et d’une fixation prioritaire 356. Ici aussi, ce souhait
s’apparente, devant de nombreuses juridictions, à un vœu pieux.
5.5 Le jugement accordant la mesure provisoire
114. Autorité – Distinctions. S’agissant de l’autorité du jugement
avant dire droit rendu par le juge du fond, il convient de distinguer
celle-ci selon qu’elle porte sur le fond ou sur le provisoire 357.
115. Absence d’autorité de chose jugée. Sur le fond, le jugement
avant dire droit ne bénéficie pas de l’autorité de chose jugée 358. Il ne lie
partant pas le juge qui l’a rendu lorsque celui-ci, en prosécution de
cause, est amené à vider le fond du litige 359, voire même la question de
la recevabilité de la demande principale 360. À l’occasion de l’examen au
fond, le juge peut donc revenir totalement sur sa décision 361 et, le cas
échéant, considérer que les apparences de droit précédemment relevées
n’existent en réalité pas 362.
(356) D. LINDEMANS, « Voorlopige… », p. 226, n° 18. Voy. dans ce sens,
l’avant-projet de loi visant à lutter contre l’arriéré judiciaire qui propose notamment de
modifier l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire pour prévoir qu’en cours de procédure, la
partie la plus diligente qui sollicite une mesure avant dire droit peut faire ramener la cause
devant le juge par simple déclaration écrite déposée ou adressée au greffe et qu’ensuite le
greffier convoque les parties ou, le cas échéant, leur avocat par lettre missive ou, lorsque la
partie a fait défaut à l’audience d’introduction et qu’elle n’a pas d’avocat, par pli
judiciaire.
(357) Voy. pour un rappel de cette distinction, Sent. Arb., 17 mai 2002, R.D.J.P., 2002,
p. 350.
(358) Cass., 12 avril 2000, Pas., I, 775 ; Cass., 4 septembre 1987, Pas., 1988, I, 10 ;
Cass., 13 février 1978, Pas., I, 683.
(359) J. van COMPERNOLLE, « Introduction générale », op. cit., p. 8.
(360) G. de LEVAL, Eléments, 2e édition, p. 138, n° 94. Voy. supra, n° 106.
(361) Civ. Bruges, 4 mai 2001, T.W.V.R., 2002-03, p. 128, note. Cette possibilité est
évidemment plus rare lorsque le juge a ordonné ou autorisé une mesure d’instruction. Le
juge qui a prononcé une telle mesure est tenu par sa décision et ne peut statuer au fond
avant que celle-ci n’ait eu lieu (G. de LEVAL, Éléments, 2e éd., p. 193, n° 134). Toutefois,
lorsque la partie autorisée à tenir une mesure d’instruction néglige de mettre en œuvre
cette mesure dans le délai fixé, le juge peut, suite à une fixation demandée par la partie la
plus diligente, statuer comme de droit (art. 875 C. jud.). Comp. ég. Cass., 20 septembre
2001, Pas., I, 1434 qui estime que le juge peut, sans violer l’article 19, alinéa 1er, du Code
judiciaire, ordonner à nouveau la même mesure d’expertise (mais en l’espèce, cela se
justifiait par l’irrégularité du premier rapport d’expertise du chef de violation des droits de
la défense).
(362) P. LEMMENS, « De voorlopige… », op. cit., col. 2015, n° 7.
81
Dès lors qu’il est possible au juge qui a statué avant dire droit de
revenir sur sa précédente décision, son impartialité pour siéger en
prosécution de cause ne peut en règle être contestée et ce magistrat ne
peut être récusé au seul motif qu’il a déjà connu de la cause au même
degré de juridiction (art. 828, 9°, 1, C. jud.) 363. Il faut toutefois réserver
l’application de l’article 6, § 1er, de la Convention européenne de
sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l’homme. Si, à
l’occasion de l’examen de la demande de mesure provisoire, il apparaît
que le juge s’est déjà formé un jugement sur le fond de l’affaire, son
impartialité objective peut, selon nous, être mise en cause 364. C’est un
des motifs pour lesquels nous avons défendu qu’au stade de l’avant dire
droit le juge du fond doit se borner à examiner de manière marginale et
sommaire le bien-fondé de la demande principale et ne doit pas procéder
à une analyse du caractère évident ou non sérieusement contestable des
droits invoqués 365.
116. Autorité de chose décidée. Au provisoire, le jugement avant dire
droit épuise la juridiction du juge du fond « rebus sic stantibus » 366.
Cela signifie que, à événements inchangés, le juge ne peut modifier la
mesure prononcée ou encore que celle-ci ne peut être accordée par un
juge lorsqu’un autre l’a déjà refusée 367. Lorsque les circonstances en
considération desquelles la mesure provisoire a été ordonnée se sont
modifiées, il est possible d’envisager un « nouveau provisoire » 368.
Encore faut-il relever que, sauf effet dévolutif de l’appel le cas échéant,
seul le juge qui a ordonné la mesure provisoire peut la modifier lorsque
(363) Voy. Cass., 28 février 2003, Pas., I, 438.
(364) Voy. ég. J. VAN COMPERNOLLE, « L’impartialité du juge », op. cit., p. 19, n° 25
et J. NORMAND, « L’impartialité du juge… », op. cit., p. 76, n° 26, faisant tous deux
référence aux deux arrêts de l’assemblée plénière de la Cour de cassation de France du
6 novembre 1998. Comp. avec A. SALETTI, « La connaissance anticipée du litige et
l’impartialité du juge du fond », in L’impartialité du juge et de l’arbitre. Étude de droit
comparé, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 122 et s., qui analyse l’impartialité du juge statuant
sur la base de l’article 669quater du Code de procédure civile italien, qui met en place un
système qui peut être comparé avec l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire et conclut à
l’absence de partialité dès lors que le juge qui statue au fond en prosécution de cause ne
joue pas le rôle d’un juge d’appel chargé de réviser sa propre décision. Cette thèse ne nous
paraît pas conforme à l’enseignement de la Cour européenne des droits de l’homme.
(365) Voy. supra, n° 105.
(366) D. LINDEMANS, note sous Comm. Bruxelles, 16 février 1989, R.D.C., 1989,
p. 743, n° 3.
(367) Bruxelles, 16 janvier 2003, Res. Jur. Imm., 2003, p. 27, note.
(368) J. GILSON, op. cit., p. 616.
82
la situation a changé 369.
117. Couverture des nullités et des déchéances. Pour autant qu’il soit
contradictoire, le jugement avant dire droit couvre les nullités, même
absolues, des actes de procédure accomplis antérieurement ainsi que les
éventuelles déchéances 370 lorsque l’exception n’a pas été soulevée par
le juge ou proposée par une des parties avant que le jugement ait été
rendu (art. 864, alinéa 2, C. jud.) 371.
118. Sauf s’il s’agit d’une mesure d’instruction, le jugement n’est
pas exécutoire de plein droit. Malgré le libellé de l’article 1397 du
Code judiciaire 372, le jugement avant dire droit n’est pas de plein droit
revêtu de l’exécution provisoire 373, sauf s’il ordonne une mesure
d’instruction (art. 1496 C. jud.). S’agissant des autres mesures
provisoires, il convient donc de demander au juge du fond d’accorder
expressément l’exécution provisoire conformément à l’article 1398,
alinéa 1er, du Code judiciaire 374. Si une telle demande n’a pas été formée
en première instance ou qu’elle a été rejetée, elle peut encore être
introduite, avant dire droit, devant le juge d’appel (art. 1401 C. jud.).
119. Sort de la mesure provisoire exécutoire par provision en cas de
débouté au fond. La loi ne règle pas les conséquences d’un éventuel
débouté au fond sur la mesure provisoire ordonnée avant dire droit. Il est
certain que la mesure prend fin avec le jugement définitif qui rejette la
demande principale 375. Ceci entraîne donc par exemple la restitution de
la chose mise sous séquestre, la fin de l’ordre de cessation provisoire, la
(369) Cass., 19 février 1993, Pas., I, 196.
(370) À l’exclusion de celles découlant du non-respect des délais pour former un recours
(art. 865 C. jud.).
(371) Dans un arrêt du 28 avril 2006 (C.05.0460.F, www.cass.be), la Cour de cassation a
par ailleurs décidé que lorsque le défendeur étranger comparaît à l’audience
d’introduction et marque lors de celle-ci son accord verbal sur le principe d’une mesure
d’instruction, il est présumé accepter la compétence internationale du juge belge en vertu
de l’article 18 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 (art. 24 du règlement
n° 44/2001 dit « Bruxelles I ») et ne peut plus décliner celle-ci en prosécution de cause.
(372) Lequel prévoit uniquement que l’opposition et l’appel dirigés contre le jugement
définitif en suspendent l’exécution.
(373) D. LINDEMANS, p. 226, n° 17 ; P. LEMMENS, « De voorlopige… », op. cit., col.
2015, n° 8.
(374) G. de LEVAL, Éléments, 2e édition, p. 138, n° 94.
(375) Comp. supra, n° 37, avec la question de savoir à quel moment prennent fin les
effets de l’ordonnance ou de l’arrêt rendus en référé.
83
libération d’une garantie bancaire, le remboursement des fonds
alloués 376…
Mais la partie qui a dû subir l’exécution de la mesure provisoire
dans l’intervalle peut-elle en outre mettre en cause la responsabilité du
demandeur qui a procédé à l’exécution de celle-ci et réclamer la
réparation du dommage causé par cette mesure ? Doit-elle dans ce cadre
démontrer la faute du demandeur ? À suivre la dernière jurisprudence de
la Cour de cassation, le débouté au fond ultérieur ne permet pas
d’engager la responsabilité objective de la partie qui a sollicité, obtenu
et exécuté le jugement avant dire droit au motif que seules l’annulation
ou la réformation de ce jugement peuvent conduire à l’application de
l’article 1398, alinéa 2, du Code judiciaire 377. Pour obtenir la réparation
du préjudice subi en raison de la mesure provisoire, le défendeur doit
donc démontrer la faute du demandeur, ce qui risque d’être
particulièrement difficile, voire impossible. Cette solution a fait l’objet
de critiques récentes en cas de débouté au fond postérieur au prononcé
d’une ordonnance de référé qui avait fait droit à la demande 378. À notre
sens, ces critiques peuvent être parfaitement transposées à l’hypothèse
d’un jugement au fond qui rejette les prétentions du gagnant avant dire
droit. À nos yeux, le plaideur qui prend le risque de solliciter et
d’exécuter une mesure provisoire doit, en cas de rejet de sa demande au
fond, indemniser le défendeur pour toutes les conséquences
préjudiciables découlant de cette exécution sans qu’il soit démontré
qu’il a commis une faute engageant sa responsabilité civile
extracontractuelle 379.
(376) Dans cette hypothèse, et sous réserve de ce qui sera dit ci-après concernant la
responsabilité de la partie gagnante avant dire droit, les intérêts moratoires sur la somme
allouée ne sont dus qu’à compter du jour du jugement au fond qui met fin à la mesure
provisoire et non depuis le jour du paiement.
(377) Cass., 10 septembre 2004, Pas., I, 1294 (cas d’une ordonnance du juge des saisies
rétractée en raison d’un changement de circonstances sur la base de l’article 1419 du Code
judiciaire, à savoir le rejet de la demande par le juge du fond) et Cass., 11 mars 2005,
A.&M., 2005, p. 396 avec la note F. DE VISCCHER (à propos d’une saisie contrefaçon et
d’un débouté ultérieur par le juge du fond).
(378) G. de LEVAL, « Le problème de l’exécution de l’ordonnance rendue par le juge
des référés », in Les mesures provisoires en droit belge, français et italien, Bruxelles,
Bruylant, 1998, p. 399-401 ; S. BRIJS, « L’intervention du juge des référés dans
l’exécution – l’exécution des décisions du juge des référés », in Le référé judiciaire,
JB Bruxelles, 2003, p. 353, n° 36.
(379) Ainsi, en cas de condamnation au paiement d’une somme à titre provisionnel, le
demandeur au principal, débouté au fond, devrait être tenu de rembourser non seulement
cette somme mais également des intérêts (compensatoires) depuis le jour du paiement.
84
Dans tous les cas de figure, cette indemnisation n’est pas
automatique et il convient que la partie condamnée au provisoire
sollicite, dans ses conclusions en prosécution de cause, la condamnation
du gagnant au provisoire à l’indemniser du préjudice subi dans
l’hypothèse du rejet de la demande au fond.
5.6 L’appel 380
120. Moment. En vertu des articles 1050, alinéa 1er, et 1055 du Code
judiciaire, le jugement avant dire droit peut faire l’objet d’un appel
immédiat même si le premier juge n’a pas encore statué définitivement
sur le litige 381. Il peut également faire l’objet d’un appel différé mais au
plus tard (c’est-à-dire le même jour) avec l’appel interjeté contre le
jugement définitif 382 même s’il y a eu acquiescement ou exécution sans
réserve 383. L’appel contre le jugement avant dire droit interjeté après
l’appel contre le jugement définitif est partant irrecevable 384. Il en va de
même lorsque cet appel est interjeté en même temps que l’appel
principal qui est lui-même tardif 385.
(380) Sur la matière de l’appel en général, on consultera la récente chronique de
G. CLOSSET-MARCHAL, J.-F. van DROOGENBROECK, S. UHLIG et A. DECROËS,
« Examen de jurisprudence (1993 à 2005). Droit judiciaire privé. Les voies de recours »,
R.C.J.B., 2006, p. 83 et s.
(381) Cass., 26 mai 2003, Pas., I, 1071
(382) Cass., 22 avril 1983, Pas., I, 942.
(383) Cass., 23 mars 1990, Pas., I, 858.
(384) C.T. Gand, 21 décembre 1994, P.&B., 1995, p. 123. Mais, selon la Cour de
cassation, cette obligation ne s’impose qu’à l’auteur de l’appel principal et non à l’auteur
de l’appel incident dont le recours est nécessairement limité à la décision attaquée par
l’appel principal (Cass., 20 septembre 2001, Pas., I, 1430). Concrètement, si l’appel
principal est dirigé contre le jugement définitif, l’intimé qui forme appel incident par voie
de conclusions contre ce jugement peut encore former ultérieurement appel principal
(également par voie de conclusions) contre le jugement avant dire droit.
(385) Cass., 15 février 1991, Pas., I, 575.
85
121. Délai. L’appel contre le jugement avant dire droit doit en règle
être interjeté dans le mois de sa signification ou, le cas échéant, de sa
notification 386 (art. 1051 C. jud.). Toutefois l’appel peut encore être
interjeté en même temps que l’appel contre le jugement définitif même
si le délai pour interjeter appel de la décision avant dire droit est expiré
(art. 1055 C. jud.) 387.
122. Instruction en degré d’appel. En vertu de l’article 1066, alinéa 2,
2°, du Code judiciaire, sauf accord des parties, l’appel dirigé contre le
jugement contenant un avant dire droit ou une mesure provisoire doit
être retenu et plaidé lors de l’introduction et à défaut dans les trois mois
au plus 388. Toutefois, en cas d’appel d’un jugement « mixte », la règle
de l’article 1066 ne s’applique que si l’on peut dissocier l’examen du
bien-fondé de la mesure avant dire droit de celui de la décision
définitive 389. Par ailleurs, on sait que cette disposition, dont le
non-respect est sans conséquence sur la régularité de la procédure et de
la décision d’appel 390, est peu appliquée en pratique compte tenu de
l’encombrement des rôles des juridictions du second degré.
123. Effets de l’appel – Jugement ordonnant une mesure
d’instruction. En cas de confirmation même partielle en degré d’appel
d’un jugement ordonnant une mesure d’instruction, il est fait exception
à l’effet dévolutif de l’appel et la cause doit être renvoyée au premier
juge (article 1068, alinéa 2, C. jud.). La règle est d’ordre public et le juge
d’appel ne peut y déroger même avec l’accord des parties 391. Lorsque le
jugement entrepris contient des dispositions avant dire droit « mixtes »,
mesure d’instruction et allocation provisionnelle, le juge d’appel qui
confirme la mesure doit également renvoyer le tout au premier juge afin
(386) On rappelle à cet égard que selon une jurisprudence constante de la Cour de
cassation la notification peut donner lieu à la prise de cours du délai de recours même dans
des matières qui ne sont pas visées par l’article 704, § 2, du Code judiciaire auquel renvoie
l’article 792, alinéa 2 et 3, lorsque cela peut « se déduire des dispositions légales
applicables à la matière » (voy. not. Cass., 22 mars 2004, Pas., I, 492 ; Cass., 10 mars
2003, Pas., I, 504).
(387) Cass., 6 décembre 1974, Pas., 1975, I, 377.
(388) Voy. ég. art. 1066, alinéa 2, 6°, C. jud. s’agissant de l’appel des décisions
exécutoires par provision sans caution, ni cantonnement.
(389) Voy. réc. H. BOULARBAH, « Questions d’actualité relatives aux débats
succincts », op. cit., p. 92, n° 7 et les réf. citées.
(390) Cass., 14 mars 1974, Pas., I, 729.
(391) Cass., 5 janvier 2006, R.W., 2005-2006, p. 1264, note S. MOSSELMANS.
86
qu’il statue définitivement sur la base des résultats de la mesure
d’instruction 392.
124. Effet de l’appel – Jugement ordonnant une mesure provisoire.
En vertu de l’article 1072, alinéa 1er, du Code judiciaire, lorsqu’une
mesure destinée à régler provisoirement la situation des parties a été
ordonnée en première instance, le juge d’appel peut décider qu’il ne
statuera définitivement que lorsque cette mesure aura été accomplie 393.
5.7 L’interruption de la prescription
125. Demande de mesure avant dire droit autonome. Il faut
considérer, conformément aux principes qui ont déjà été rappelés 394,
que, formée indépendamment d’une demande principale au fond, la
demande de mesure avant dire droit n’est en règle pas interruptive de
prescription sauf lorsqu’elle sollicite le prononcé d’une mesure
d’anticipation qui tend à la reconnaissance du droit menacé par la
prescription.
126. Demande de mesure avant dire droit, accessoire à une
demande principale ou incidente. Par contre, lorsqu’elle est formée
accessoirement à la demande principale, la demande de mesure avant
dire droit bénéficie bien évidemment de l’effet interruptif qui s’attache à
la citation introductive d’instance. Il en va de même lorsqu’elle est
formée de manière incidente 395 puisqu’il faut, selon nous, considérer
qu’une telle demande de mesure avant dire droit est virtuellement
comprise dans la demande principale.
(392) Bruxelles, 13 décembre 2001, J.L.M.B., 2004, p. 200.
(393) Concl. proc. gén. Krings avant Cass., 13 janvier 1972, Pas., I, 467.
(394) Voy. supra, nos 39, 56 et 89.
(395) C’est-à-dire dans le cadre d’une demande additionnelle ou nouvelle. La demande
de mesure avant dire droit formée par voie reconventionnelle ou dans le cadre d’une
intervention ne profite évidemment pas de l’effet interruptif de prescription attaché à la
demande principale.
87
6. Les procédures dérogatoires devant les juridictions
commerciales — Le fond dans les formes accélérées
127. Objet de la présente section. À côté des actions « comme en
référé », le droit commercial connaît également des procédures au fond
qui, sans être soumises aux formes du référé, font l’objet de dispositions
dérogatoires au droit commun, destinées à en accélérer le traitement 396.
À notre connaissance, il s’agit principalement des recours en matière de
surveillance financière 397, des demandes fondées sur des droits
subjectifs en matière d’offres publiques d’acquisition 398 et des recours
contre les décisions du Conseil de la concurrence 399. Ces procédures
relèvent toutes de la compétence de la cour d’appel de Bruxelles. Au
niveau de la mise en état, elles seront également comparées au régime
des questions préjudicielles en interprétation du droit de la concurrence,
(396) Ces dispositions dérogatoires ne suffisent pas à rendre les formes du référé
applicables à la procédure. Voy. en matière de surveillance financière : X. TATON, « Les
procédures dérogatoires et accélérées en droit bancaire et financier », in X., Les actions en
cessation, CUP, vol. 87, Larcier, Bruxelles, 2006, p. 161 et suiv., spéc. p. 176 et 177,
n° 32. Contra : C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme
en référé’ : le point sur les questions transversales de compétence et de procédure », in X.,
Les actions en cessation, ibid., p. 7 et suiv., spéc. p. 13 et 14.
(397) Articles 120, 121 et 123 de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur
financier et aux services financiers (M.B., 4 septembre 2002, p. 39.121). Pour des cas
d’application, voy. notamment: Bruxelles, 10 février 2006, Lendit et Lendit Louise contre
Commission bancaire, financière et des assurances, R.G. 2004/SF/5, inédit ; Bruxelles,
19 janvier 2006, Lendit contre Commission bancaire, financière et des assurances, R.G.
2004/SF/4, inédit, à paraître dans la R.D.C., 2006, avec une note de D. DE ROY, « Le
contrôle des amendes infligées par la Commission bancaire, financière et des assurances et
les pouvoirs de la cour d’appel de Bruxelles ».
(398) Article 18ter de la loi du 2 mars 1989 relative à la publicité des participations
importantes dans les sociétés cotées en bourse et réglementant les offres publiques
d’acquisition, introduit par l’article 5 de la loi du 2 août 2002 complétant la loi précitée du
même jour et modifiant diverses autres dispositions légales (M.B., 4 septembre 2002,
p. 39.174). Pour des cas d’application, voy. notamment: Bruxelles, 10 novembre 2005,
Dr. banc. fin., 2006, p. 21 ; Bruxelles, 10 novembre 2005, Dr. banc. fin., 2006, p. 17 ;
Bruxelles, 8 novembre 2005, Dr. banc. fin., 2006, p. 13 ; Bruxelles, 7 novembre 2005, Dr.
banc. fin., 2006, p. 10 ; M. FYON, « L’offre publique sur Electrabel et la jurisprudence
naissante de la cour d’appel de Bruxelles en matière d’offres publiques d’acquisition »,
note sous les arrêts précités, Dr. banc. fin., 2006, p. 5 et suiv.
(399) Articles 28 et 29 de la loi du 10 juin 2006 instituant un Conseil de la concurrence
(M.B., 29 juin 2006, p. 32.746). Sur cette nouvelle législation, voy. notamment:
G. ZONNEKEYN, « De hervorming van de Belgische mededingingswet: een nieuwe start
of een gemiste kans ? », à paraître dans la R.D.C., 2006 ; P. NIHOUL, « Le projet de loi
belge sur la protection de la concurrence économique. Les relations avec le règlement
CE 1/2003 », R.C.B., 2006, n° 1, p. 4 et suiv.
88
dont la connaissance a été récemment attribuée à la Cour de
cassation 400.
Ces procédures présentent des différences fondamentales quant à
leur nature 401, et font l’objet d’une analyse spécifique dans le présent
ouvrage. Il ne sera donc pas question dans la présente section de
détailler chacun de ces contentieux mais bien d’examiner les quelques
questions de procédure qui leur sont communes.
6.1 Questions de compétence matérielle
128. Compétences exclusives. Comme les actions « comme en
référé » 402, ces procédures dérogatoires font l’objet de compétences
exclusives 403, excluant toute prorogation de compétence au profit du
tribunal de première instance.
129. Paralysie des mécanismes de prorogation de compétence et de
jonction. Une autre similitude entre ces procédures dérogatoires et les
actions « comme en référé » réside dans la paralysie de certains
mécanismes de prorogation de compétence et de jonction prévus par le
Code judiciaire.
Ainsi, l’article 18ter, § 5, de la loi du 2 mars 1989 précise que la
cour d’appel de Bruxelles « n’est susceptible de connaître en premier
ressort d’aucune autre demande que [les demandes en matière d’OPA],
étant entendu qu’il n’y a pas lieu d’appliquer les règles du Code
judiciaire relatives à la connexité et aux demandes
(400) Articles 25 et 26 de la loi du 10 juin 2006 précitée. Avant le 1er octobre 2006, date
d’entrée en vigueur de la loi du 10 juin 2006, le contentieux préjudiciel en droit de la
concurrence était également attribué à la cour d’appel de Bruxelles. Il s’agissait d’ailleurs
d’un contentieux obligatoire en application du droit de la concurrence. Voy. notamment:
X. TATON, « Le contentieux préjudiciel interne en droit de la concurrence après l’entrée
en vigueur du règlement 1/2003 », note sous Liège, 9 septembre 2004 et Bruxelles, 23 juin
2005, R.D.C., 2006, p. 648 et suiv.; H. VIAENE, « De prejudiciële vraag of hoe een vlag
niet altijd de lading dekt », R.C.B., 2006, n° 2, p. 37 et suiv.
(401) Voy. X. TATON, « Les procédures dérogatoires… », op. cit., p. 182 à 185, n° 40 à
45; X. TATON, « Le contentieux préjudiciel… », op. cit., p. 651 à 653, n° 8 et 10. Voy.
également : D. DE ROY, « Le pouvoir réglementaire des autorités administratives
indépendantes en droit belge », in X., XVIIe Congrès de l’Académie Internationale de
droit comparé, 16-22 juillet 2006, Utrecht, Pays-Bas,
http ://www2.law.uu.nl/priv/AIDC/index2.asp, n° 35 à 54.
(402) Voy. supra n° 62.
(403) Voy. les articles 605bis et 605ter du Code judiciaire, et l’article 18ter, § 1er, de la
loi du 2 mars 1989.
89
reconventionnelles ». Le législateur a ainsi exclu l’application des
articles 563 et 566 du Code judiciaire, qui permettent à un tribunal saisi
d’une demande principale relevant de sa compétence, de connaître
simultanément de demandes reconventionnelles et de demandes
connexes 404 405. À l’instar des actions « comme en référé » 406, cette
exclusion ne s’applique pas aux demandes reconventionnelles pour
procédure téméraire et vexatoire 407.
De même, dans son troisième arrêt Lendit du 10 février 2006, la
cour d’appel de Bruxelles a considéré qu’il ne lui appartenait pas, dans
le cadre d’un recours contre une décision de la Commission bancaire,
financière et des assurances, de connaître d’une demande en
responsabilité contre la Commission 408.
6.2 Questions de compétence territoriale
130. Compétence territoriale d’ordre public. La cour d’appel de
Bruxelles bénéficie d’une compétence territoriale d’ordre public pour
les recours en matière de surveillance financière et de concurrence, et
pour les demandes en matière d’O.P.A. 409 Les parties ne sauraient donc
l’attribuer à la cour d’appel d’un autre ressort, même par une clause de
juridiction postérieure à la naissance du litige 410.
(404) Sur ces dispositions, voy. notamment : J. LAENENS, « Bevoegdheid. Ger.
W. Art. 563 », in X., Gerechtelijk recht. Artikelsgewijze commentaar met overzicht van
rechtspraak en rechtsleer, feuillets mobiles, Kluwer, 1994; J. LAENENS,
« Bevoegdheid. Ger. W. Art. 566 », in X., Gerechtelijk recht. Artikelsgewijze commentaar
met overzicht van rechtspraak en rechtsleer, feuillets mobiles, Kluwer, 1983.
(405) Les demandes en intervention restent, quant à elles, régies par l’article 564 du Code
judiciaire, selon lequel « le tribunal saisi d’une demande est compétent pour connaître
d’une demande en intervention ». À défaut de disposition dérogatoire, la cour d’appel de
Bruxelles est compétente pour connaître des demandes en intervention en matière d’OPA.
Voy. de manière implicite : Bruxelles, 10 novembre 2005, précité; Bruxelles, 8 novembre
2005, précité.
(406) Voir supra n° 66.
(407) Dans un arrêt du 24 mars 2006 (J.T., 2006, p. 345), la cour d’appel de Bruxelles
s’est déclarée compétente pour connaître d’une telle demande en estimant que le
législateur n’avait pas pu vouloir exclure la règle générale selon laquelle le juge de
l’action est le mieux placé pour apprécier son éventuel caractère fautif.
(408) Bruxelles, 10 février 2006, précité. Voy. également : Bruxelles, 8 novembre 2005,
précité.
(409) Voy. l’article 633bis du Code judiciaire.
(410) Voy. l’article 630 du Code judiciaire.
90
6.3 Questions de procédure
131. Mode d’introduction. Par dérogation aux articles 700 et 706 du
Code judiciaire 411, la cour d’appel de Bruxelles est saisie par voie de
requête signée et déposée à son greffe 412, et ce sous peine
d’irrecevabilité ou de nullité prononcée d’office 413.
La formalité de la requête est donc sanctionnée soit par une fin de
non-recevoir d’ordre public 414, soit par une nullité absolue 415 416.
Le contenu de la requête est également prescrit à peine
d’irrecevabilité 417 ou de nullité 418. La sanction de l’irrecevabilité,
prévue en matière de surveillance financière et d’OPA, est extrêmement
surprenante. En effet, le vice de forme entachant un acte de procédure
entraîne habituellement la nullité de l’acte 419. En outre, cette sanction
est particulièrement sévère, puisqu’elle implique que l’omission de
(411) Qu’il s’agisse de recours objectifs ou de demandes fondées sur des droits
subjectifs, il s’agit de demandes principales introduites en premier ressort (X. TATON,
« Les procédures dérogatoires… », p. 183, n° 42).
(412) La requête contradictoire est également un mode d’introduction concurrent ou
exclusif de certaines procédures « comme en référé ». Voy. supra n° 78.
(413) L’irrecevabilité est prévue en matière de surveillance financière et d’OPA
(articles 120, § 3, 121, § 3, et 123, § 4, de la loi du 2 août 2002 ; article 18ter, § 3, de la loi
du 2 mars 1989), tandis que la nullité l’est pour les recours contre les décisions du Conseil
de la concurrence (article 29, § 2, alinéa 2, de la loi du 10 juin 2006).
(414) Voy. Cass., 27 mai 1994, R.C.J.B., 1995, p. 639 et la note de G. CLOSSETMARCHAL, « Exceptions de nullité, fins de non-recevoir et violation des règles touchant
à l’organisation judiciaire », p. 643 et suiv., spéc. p. 660, n° 31 ; J. ENGLEBERT, « Les
nullités », in X., Le point sur les procédures (2e partie), CUP, vol. 43, Liège, 2000, p. 79 et
suiv., spéc. p. 83 et 84, n° 3 et 4.
(415) À notre estime, la « nullité prononcée d’office » prévue par l’article 29, § 2,
alinéa 2, de la loi du 10 juin 2006, peut être couverte si elle n’est soulevée ni par les parties
ni par la cour d’appel avant le prononcé d’un arrêt contradictoire autre que celui
prescrivant une mesure d’ordre intérieur ou si l’acte a réalisé le but que la loi lui assigne
(articles 864, alinéa 2, et 867 du Code judiciaire).
(416) Sur les sanctions du choix d’un mode erroné d’introduction de l’instance en
l’absence de disposition spécifique, voy. H. BOULARBAH et J. ENGLEBERT,
« Questions d’actualité en procédure civile », in X., Actualités en droit judiciaire, CUP,
vol. 83, Larcier, Bruxelles, 2005, p. 43 et suiv., spéc. p. 51, n° 9, et les références citées ;
E. LEROY, « Repenser le formalisme », note sous Cass., 19 avril 2002, R.C.J.B., 2003,
p. 25 et suiv., spéc. p. 347 à 356.
(417) Article 120, § 3, 121, § 3, et 123, § 4, de la loi du 2 août 2002 ; article 18ter, § 3, de
la loi du 2 mars 1989.
(418) Article 29, § 2, alinéa 3, de la loi du 10 juin 2006.
(419) J. ENGLEBERT, « Les délais », in X., De sanctieregeling in het gerechtelijk recht.
Les sanctions en droit judiciaire, IUCGR / CIUDJ, Kluwer, Diegem, 1994, p. 45 et suiv.,
spéc. p. 50, n° 10 ; G. BLOCK, « L’exception de nullité après la réforme du Code
judiciaire », in X., De sanctieregeling…, ibid., p. 16 et suiv., spéc. p. 43, n° 43.
91
l’une des mentions précitées entraîne le débouté définitif du
requérant 420. Par contre, la nullité permet au requérant d’introduire
valablement une nouvelle requête, pour autant que les délais de recours
ne soient pas expirés 421.
132. Mise en état. La mise en état de ces procédures dérogatoires ne se
déroule pas selon les règles applicables pour le référé, mais est
caractérisée par la fixation des délais d’échange des « observations
écrites » dès l’audience d’introduction 422.
133. Observations écrites. Il est étonnant que ces dispositions ne
parlent pas de « conclusions », mais bien d’« observations écrites ».
Les travaux préparatoires ne proposent d’ailleurs aucune définition de
cette dernière notion. Celle-ci nous semble devoir s’interpréter comme
un terme générique englobant tous les écrits que les parties soumettent à
l’examen de la Cour, que ceux-ci constituent de véritables conclusions,
c’est-à-dire « des écrits sous seing privé, signés par les parties ou leurs
mandataires ad litem, qui contiennent leurs moyens de fait et de droit et
l’exposé des prétentions juridiques qui en découlent » 423, ou de simples
notes de plaidoirie non signées. Cependant, étant donné qu’aucune
sanction n’est prévue pour la communication ou le dépôt tardif
d’observations écrites, seules les conclusions communiquées
tardivement peuvent être écartées des débats, conformément à
l’article 747, § 2, alinéa 6, du Code judiciaire. En outre, l’article 149 de
la Constitution n’impose à la cour d’appel que de répondre aux moyens
(420) Une telle sévérité n’a pas été voulue par le législateur du 2 août 2002. Les travaux
préparatoires se réfèrent en effet à un arrêt de la Cour de cassation du 9 novembre 1973
(Pas., 1974, I, 274), qui sanctionne de nullité l’absence d’énonciation de griefs dans un
acte d’appel (Exposé des motifs, Doc. parl., Chambre, S.O., 2001-2002, n° 1842/1 et
1843/1, p. 133).
(421) G. BLOCK, « L’exception de nullité… », ibid., p. 43, n° 43.
(422) Article 120, § 3, de la loi du 2 août 2002 ; article 18ter, § 3, de la loi du 2 mars
1989 ; article 29, § 2, alinéa 9, de la loi du 10 juin 2006. Il s’agit donc d’une
institutionnalisation de la pratique d’acter un calendrier d’échange de conclusions au
stade de l’audience d’introduction. Sur cette pratique, voy. notamment : Cass., 1er juin
2001, A.J.T., 2001-2002, p. 528, et la note de E. BREWAEYS, « De conclusietermijnregeling op de inleidende zitting », p. 529 et suiv.
(423) E. GUTT et J. LINSMEAU, « Examen de jurisprudence (1971 à 1978). Droit
judiciaire privé (suite) », R.C.J.B., 1983, p. 63 et suiv., spéc. p. 79, n° 83. Voy. également
la définition retenue par B. MAES, De motiveringsverplichting van de rechter, Kluwer,
Anvers, 1990, p. 45, n° 35.
92
développés par les parties dans leurs conclusions proprement dites 424.
134. Questions préjudicielles devant la Cour de cassation. Dans le
cadre des questions préjudicielles en interprétation du droit de la
concurrence, l’article 26, § 2, alinéa 2, de la loi du 10 juin 2006 prévoit
que « le greffier près la Cour de cassation invite les parties, le ministre
[de l’économie] et la Commission européenne 425 à formuler leurs
observations écrites dans le mois de la notification de la question
préjudicielle, à peine d’irrecevabilité » 426. Ce délai unique pour toutes
les parties nous semble cependant contraire au principe du
contradictoire – qui a la valeur d’un traité international directement
applicable 427 – puisqu’il ne garantit pas aux parties la possibilité de
connaître, par écrit, l’argumentation ou l’avis des autres intervenants au
(424) B. MAES, De motiveringsverplichting…, ibid., p. 43, n° 34 ; F. DUMON, « De
motivering van de vonnissen en arresten en de bewijskracht van de akten », R.W.,
1978-1979, col. 257 et suiv., spéc. col. 260 à 263, n° 2 à 5.
(425) Ainsi que l’auditeur du Conseil de la concurrence lorsque la question préjudicielle
est posée par cette juridiction administrative (article 29, § 3, alinéa 2, de la loi du 10 juin
2006). Le ministre de l’économie, la Commission européenne et l’auditeur du Conseil de
la concurrence agissent dans ce cadre en tant qu’« amici curiae » et soumettent un avis
non contraignant à la Cour de cassation, sur un modèle similaire à celui de l’intervention
du Ministère public en matière civile (voy. articles 764 à 768 du Code judiciaire ;
E. PAULIS et C. GAUER, « La réforme des règles d’application des articles 81 et 82 du
Traité », J.T.dr.eur., 2003, p. 65 et suiv., spéc. p. 72 et 73, n° 79 à 81 ; H. NYSSENS, « Le
règlement 1/2003 CE : vers une décentralisation et privatisation du droit de la
concurrence », R.D.C., 2003, p. 286 et suiv., spéc. p. 291 ; P. HENRY, « De la
contradiction des avis du ministère public », observations sous C.E.D.H., 20 février 1996,
J.L.M.B., 1996, p. 911 et suiv., spéc. p. 911).
(426) Mal qualifiée, cette sanction nous semble devoir être comprise comme un
écartement des observations déposées hors délai. En effet, il serait absurde de frapper la
question préjudicielle d’irrecevabilité en cas de dépôt tardif d’observations par l’un des
intervenants. D’ailleurs, la loi ne précise pas si une telle « irrecevabilité » des observations
peut ou non être prononcée d’office par la Cour de cassation.
(427) C.E.D.H., 18 mars 1997, J.T., 1997, p. 495. Ce principe prime donc les dispositions
contraires de droit interne (Cass., 27 mai 1971, Pas., I, 888, et les conclusions conformes
de W. Ganshof van der Meersch).
93
procès, en temps utile pour y préparer une réponse écrite 428 429.
135. Délai pour statuer. En matière de surveillance financière et
d’OPA, la cour d’appel de Bruxelles statue, sauf circonstances dûment
motivées, dans un délai de 60 jours à compter de l’introduction de la
demande 430 431. Cette disposition, qui déroge à l’article 770 du Code
judiciaire, n’est cependant pas davantage sanctionnée que celui-ci.
À titre d’exemple, dans son premier arrêt Lendit du 25 février
2005, la cour d’appel de Bruxelles a considéré que comme la dernière
date utile de fin de l’O.P.A. était dépassée au jour de l’introduction des
recours, ceux-ci ne présentaient plus d’urgence, de sorte que l’arrêt ne
serait pas prononcé dans les 60 jours 432.
En ce qui concerne les questions préjudicielles en droit de la
concurrence, la Cour de cassation statue « toutes affaires
cessantes » 433.
(428) J. ENGLEBERT, « Du droit de plaider et de l’obligation de se taire », Cah. dr.
jud., 1993, p. 105 et suiv., spéc. p. 110, n° 41. Voy. également : Cass., 6 septembre 1999,
Bull. Cass., n° 436 ; Cass., 16 mars 1982, Pas., I, 835. La cour d’appel de Bruxelles avait
déjà consacré ce principe dans le cadre du contentieux préjudiciel en droit de la
concurrence (Bruxelles, 23 juin 2005, R.D.C., 2006, p. 640, et la note précitée de
X. TATON, spéc. p. 654, n° 16 ; Bruxelles, 9 mars 1995, Ing.-Cons., 1995, p. 376, et les
observations de P. DE VROEDE, « L’interprétation de l’article 42, § 1, de la loi du 5 août
1991 sur la protection de la concurrence économique », p. 394 et suiv. ; Bruxelles, 23 juin
1994, J.T., 1995, p. 8).
(429) L’absence de réponse écrite cause, en soi, un grief aux autres parties, dans la
mesure où le juge n’est tenu de répondre qu’aux conclusions régulièrement déposées.
(430) Articles 120, § 5, 121, § 5, et 123, § 6, de la loi du 2 août 2002 ; article 18ter, § 4, de
la loi du 2 mars 1989. Ces dispositions ne visent cependant pas les recours formés contre
les décisions de la C.B.F.A. infligeant des amendes administratives ou des astreintes, car
de tels recours ont un effet suspensif. Dans ce cas, la cour d’appel est néanmoins tenue de
statuer dans un délai raisonnable en vertu de l’article 6 de la C.E.D.H.
(431) Selon C. Dalcq, les nouvelles procédures prévues en matière de surveillance
financière constituent des procédures comme en référé, en raison de leur caractère
accéléré (C. DALCQ, « Les actions ‘comme en référé’ », in X., Le référé judiciaire, Jeune
Barreau, Bruxelles, 2003, p. 145 et suiv., spéc. p. 150 et 151). Nous doutons cependant
que l’obligation de respecter le calendrier d’échange d’observations écrites et le délai non
sanctionné de 60 jours dans lequel la cour d’appel de Bruxelles devrait statuer, suffisent
pour considérer que ce contentieux est traité selon les formes du référé.
(432) Bruxelles, 25 février 2005, précité.
(433) Article 26, § 3, alinéa 3, de la loi du 10 juin 2006. Avant le 1er octobre 2006, la cour
d’appel de Bruxelles statuait sur les questions préjudicielles en droit de la concurrence
selon une procédure « comme en référé ». À défaut de référé devant la Cour de cassation,
il a été désormais prévu que la Cour statuerait « toutes affaires cessantes » (Avis du
94
6.4 Voies de recours
136. Application du droit commun. En l’absence de dérogation aux
articles 608 et 609 du Code judiciaire, les arrêts prononcés par la cour
d’appel de Bruxelles en matière de surveillance financière, d’OPA et de
recours contre les décisions du Conseil de la concurrence, peuvent faire
l’objet d’un pourvoi en cassation 434.
La cassation d’un arrêt prononcé par la cour d’appel de Bruxelles
entraîne le renvoi de la cause devant la même cour 435, mais autrement
composée. Un magistrat qui a participé à la décision cassée ne peut en
effet pas siéger dans la juridiction de renvoi 436.
*
*
*
Conseil d’État, n° 38.502/1 du 5 juillet 2005, Doc. parl., Chambre, 2005-2006, n° 2.180/1,
p. 161 et suiv., spéc. p. 163). Cette expression lapidaire insiste, certes, sur l’exigence de
célérité dans le traitement de la question préjudicielle, mais ne résout pas la question des
règles applicables à la mise en état de la cause (voy. supra note 397).
(434) J-M. NELISSEN GRADE, « Kroniek van de openbare overnamebiedigingen
(1996-2003) (Deel I) », Dr. banc. fin., 2004, p. 30 et suiv., spéc. p. 42, n° 23 ; D. VAN
GERVEN, « Verhaalmiddelen tegen de beslissingen van de toezichtorganen », Dr. banc.
fin., 2003, p. 160 et suiv., spéc. p. 161, n° 2 ; P.A. FORIERS, « Le référé en droit des
sociétés et des offres publiques », in X., Le référé judiciaire, Jeune Barreau, Bruxelles,
2003, p. 231 et suiv., spéc. p. 261, n° 16.
(435) Article 1110 du Code judiciaire ; Cass., 23 janvier 1978, Pas., I, 596 ; Cass.,
23 octobre 1974, Pas., 1975, I, 232 ; Cass., 14 mars 1973, Pas., I, 662 ; F. DUMON,
« Voorziening in cassatie », in X., Gerechtelijk recht. Artikelsgewijze commentaar met
overzicht van rechtspraak en rechtsleer, feuillets mobiles, Kluwer, 1987, p. 27, n° 47 à
49 ; A. FETTWEIS, Manuel de procédure civile, Faculté de droit de Liège, Liège, 1987,
p. 561, n° 875 ; A. LE PAIGE, « Rechtsmiddelen », in X., Handboek voor gerechtelijk
recht, 4e partie, Standaard wetenschappelijke uitgeverij, Anvers, 1973, p. 146 et 147,
n° 148.
(436) Article 828, 9° du Code judiciaire ; Cass., 19 octobre 1983, Pas., 1984, I, 175.
95