Trib Commerce 2.vp - Unité de droit judiciaire
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LES PROCÉDURES ACCÉLÉRÉES EN DROIT COMMERCIAL (RÉFÉRÉ, COMME EN RÉFÉRÉ, AVANT DIRE DROIT, TOUTES AFFAIRES CESSANTES) : PRINCIPES, CONDITIONS ET CARACTÉRISTIQUES par Hakim BOULARBAH Avocat, maître de conférences à l’Université libre de Bruxelles et Xavier TATON Avocat, assistant à l’Université libre de Bruxelles 1. Introduction 1. Objet de la présente étude. C’est un lieu commun que d’encore écrire aujourd’hui que la vie des affaires ne peut supporter le rythme, souvent très lent, avec lequel l’œuvre de justice est rendue. Pour pallier notamment cet écueil, le législateur a très tôt créé une juridiction spécifique au « droit des marchands », le tribunal de commerce. Son président, saisi par voie de référé et, en cas d’absolue nécessité, par voie de requête unilatérale, a été pendant longtemps le garant du traitement des cas urgents qui ne pouvaient être réglés en temps opportun par le tribunal. Progressivement, la recherche d’efficacité a conduit à la création, à côté de ces voies classiques, de nouvelles procédures dérogatoires, se déroulant tantôt « comme en référé », tantôt « toutes affaires cessantes ». 7 La présente étude a pour objet l’examen des principes, conditions et caractéristiques de ces différentes procédures « accélérées » existant devant les juridictions commerciales 1. Cette analyse pourra s’appuyer sur deux récents ouvrages qui ont traité de manière très complète et générale les procédures urgentes 2. Aussi, il ne sera pas proposé un exposé complet et exhaustif de toutes les questions suscitées par la matière examinée mais un rappel de ses aspects les plus importants, tout en développant certaines questions qui demeurent les plus délicates ou importantes dans la pratique. 2. Plan. Après avoir rappelé les principes régissant les procédures en référé, soit celles dans lesquelles la juridiction s’exerce au provisoire dans les formes de l’urgence (2), nous examinerons ceux qui gouvernent les procédures initiées sur requête unilatérale en raison de l’absolue nécessité (3). Il conviendra ensuite d’étudier le régime des actions au fond mais formées et instruites « comme en référé » (4) et celui des décisions provisoires rendues par le juge du fond (5). Enfin, on mentionnera brièvement l’existence de quelques procédures accélérées tout à fait spécifiques (6). 2. Le référé devant les juridictions commerciales – Le provisoire dans les formes de l’urgence 3. Objet de la présente section. Parmi les contributions qui suivent, plusieurs sont consacrées à l’intervention du juge des référés dans des domaines primordiaux de la vie commerciale. En guise d’introduction à ces développements particuliers, la présente section a pour objet de rappeler de manière synthétique les principes, les conditions et les caractéristiques du référé commercial en général, en insistant notamment sur les principales controverses subsistant en la matière. (1) Par « juridictions commerciales », on entend le tribunal de commerce, son président ainsi que la cour d’appel, siégeant au second degré de juridiction ou dans le cadre de l’une de ses compétences directes. (2) Le référé judiciaire, J. ENGLEBERT et H. BOULARBAH (dir.), éd. J.B. Bruxelles, 2003, ainsi que Les actions en cessation, J.-F. van DROOGHENBROECK (coord.), CUP, Volume 87, mai 2006, Bruxelles, Larcier. 8 2.1 Questions de recevabilité 4. Influence des clauses contractuelles. L’insertion par les parties de clauses contractuelles précisant une procédure alternative de règlement de leur litige, peut avoir une influence sur la recevabilité de certaines demandes en référé. En effet, la demande en référé ne permet pas aux parties de méconnaître la procédure convenue de règlement des litiges. À titre d’exemple, si un contrat de bail prévoit qu’un inventaire de sortie et un état des lieux seront établis conjointement au moment de la résiliation ou de l’expiration du bail, chacune des parties est en droit de réclamer l’application de cette procédure contractuelle et de s’opposer à une demande en référé tendant à la désignation d’un expert judiciaire 3. 5. Référé et arbitrage. En vertu de l’article 1679, alinéa 2, du Code judiciaire, une convention d’arbitrage n’est pas incompatible avec une demande en référé tendant à obtenir des mesures conservatoires ou provisoires 4. L’introduction d’une demande en référé n’implique aucune renonciation à la clause d’arbitrage 5. (3) J.P. Mons (1er canton), 8 décembre 1997, R.G. 1549/97, inédit, faisant droit à la tierce opposition formée contre l’ordonnance prononcée par la même justice de paix le 10 octobre 1997 sur requête unilatérale. Nous n’apercevons pas de raison de retenir une solution différente à l’égard d’une procédure en référé contradictoire devant le président du tribunal de commerce. (4) Pour des cas d’application, voy. notamment : comm. Hasselt (réf.), 16 février 2004, R.D.C., 2005, p. 86, et la note de J. DECOKER, « Kort geding en arbitrage in drie stappen », p. 88 et suiv. ; comm. Anvers (réf.), 24 septembre 2001, R.W., 2005-2006, p. 557 (abrégé). La question demeure ouverte de savoir si les parties peuvent conventionnellement exclure la compétence du juge des référés étatique au profit des arbitres (voy. réc. G. de LEVAL, « L’arbitre et le juge étatique : quelle collaboration ? », Rev. Dr. intern. et dr. Comp., 2005, p. 11). (5) À ce sujet, voy. M. HUYBRECHTS et I. VEROUGSTRAETE, « Relations avec les juges. Relatie met de rechters », in X., Macht en onmacht van de arbiter. L’arbitre : pouvoirs et statut, Bruylant, Bruxelles, 2003, p. 354. 9 2.2 Questions de compétence matérielle 6. Compétence au fond du tribunal de commerce. En vertu de l’article 584, alinéa 2, du Code judiciaire, le président du tribunal de commerce est compétent pour statuer au provisoire dans les cas dont il reconnaît l’urgence, dans les matières qui sont de la compétence du tribunal de commerce 6 7. Il existe une controverse sur la question de savoir si, en cas de litige au fond porté à juste titre devant le tribunal de commerce, le président de ce tribunal devient automatiquement compétent pour les « incidents » urgents liés à ce litige 8. À notre estime, en l’absence de disposition particulière en ce sens, la compétence matérielle du président du tribunal de commerce doit s’apprécier indépendamment de tout litige pendant au fond qui serait lié à la demande en référé. 7. Compétence de la cour d’appel de Bruxelles en matière d’offres publiques d’acquisition. En vertu de l’article 18ter, § 1er, de la loi du 2 mars 1989 relative à la publicité des participations importantes dans les sociétés cotées en bourse et réglementant les offres publiques d’acquisition 9, la cour d’appel de Bruxelles dispose d’une compétence exclusive pour toute demande, au provisoire vu l’urgence, fondée en tout ou en partie sur la réglementation des OPA, ou qui a pour objet ou (6) Voy. les articles 573 à 576 du Code judiciaire. Le président du tribunal de commerce n’est donc pas compétent pour des infractions au droit d’auteur et aux droits voisins, et ce quelle que soit la qualité des parties (comm. Hasselt (réf.), 24 décembre 2004, I.R.D.I., 2005, p. 123). Voy. également : comm. Hasselt (réf.), 14 janvier 2000, Limb. Rechtsl., 2000, p. 144. (7) La compétence du président du tribunal de commerce n’exclut jamais celle du président du tribunal de première instance, auquel l’article 584, alinéa 1er, du Code judiciaire attribue une plénitude de juridiction en matière de référé. (8) Dans une ordonnance du 3 juin 2003, le président du tribunal de commerce de Hasselt a considéré que, lorsqu’une cause est portée à juste titre devant le tribunal de commerce et qu’une partie saisit le juge des référés d’un incident, le président du tribunal de commerce peut s’estimer compétent, même si la défenderesse en référé est une société civile, parce que le « cas » relève de la compétence du tribunal de commerce (comm. Hasselt (réf.), 3 juin 2003, R.D.J.P., 2003, p. 309). À l’inverse, une ordonnance du même président du 15 décembre 2003 a estimé, sur la base d’une application analogique de l’article 564 du Code judiciaire relatif aux demandes en intervention, que seul le président du tribunal de première instance est compétent pour connaître d’une demande tendant à déclarer commune une ordonnance de ce président (comm. Hasselt (réf.), 15 décembre 2003, RABG, 2004, p. 1200). (9) Introduit par l’article 5 de la loi du 2 août 2002 complétant la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers et modifiant diverses autres dispositions légales (M.B., 4 septembre 2002, p. 39.174). 10 est susceptible d’avoir pour effet de provoquer l’ouverture d’une OPA ou de modifier le résultat, les conditions ou le déroulement d’une telle offre 10. 8. L’urgence comme condition de compétence. Il est aujourd’hui bien établi que l’urgence constitue à la fois une condition de compétence matérielle du juge des référés, et une condition de fond 11. En tant que condition de compétence, l’urgence s’apprécie en fonction de l’objet de la demande, tel qu’il est libellé dans la citation introductive d’instance 12. Par conséquent, dès que le demandeur en référé invoque l’urgence, de manière explicite ou implicite, dans sa citation, le juge des référés est compétent pour connaître de sa demande 13. Si le demandeur en référé n’invoque pas l’urgence en termes de citation, il y aura lieu à incident de répartition 14 ou à déclinatoire de compétence 15, selon que le juge du fond compétent fait ou non partie de la même juridiction que le président initialement saisi. En degré d’appel, il résulte des articles 643 et 1068 du Code judiciaire que, si l’urgence n’était pas invoquée dans la citation mais que le juge d’appel constate qu’il est lui-même le juge d’appel du juge compétent au fond, il doit statuer sur la demande en tant que juge du fond 16. S’il n’est pas le juge d’appel du juge compétent au premier (10) Voy. également les articles 605ter et 633bis du Code judiciaire, insérés par les articles 8 et 9 de la loi du 2 août 2002. Sur la compétence de la cour d’appel de Bruxelles de connaître d’une telle demande au fond, voy. infra le chapitre 6. (11) Cass., 11 mai 1990 (deux arrêts), Pas., I, 1045 et 1050 ; comm. Courtrai (réf.), 25 juin 2001, R.W., 2003-2004, p. 476. (12) Cass., 8 septembre 1978, Pas., 1979, I, 29. (13) J. ENGLEBERT, « Le référé judiciaire : principes et questions de procédure », in X., Le référé judiciaire, Jeune Barreau, Bruxelles, 2003, p. 5 et suiv., spéc. p. 10, n° 9. L’urgence doit néanmoins être invoquée dans la citation elle-même. À titre d’exemple, le fait que l’urgence ait été invoquée dans une ordonnance désignant un expert ne permet pas de déduire l’urgence d’une demande ultérieure en déclaration d’ordonnance commune (comm. Anvers (réf.), 2 décembre 2002, R.D.J.P., 2002, p. 342). (14) Au sein du tribunal de commerce, l’incident de répartition se règle en application de l’article 726 du Code judiciaire, selon lequel le président du tribunal de commerce distribue, s’il y a lieu, les causes à une autre chambre que la chambre d’introduction. (15) Articles 639 et suivants du Code judiciaire. (16) Cass., 11 mai 1990, Pas., I, 1045 ; Bruxelles, 13 avril 1999, Rev. prat. soc., 2000, p. 83 ; Bruxelles, 15 février 1995, Pas., 1994, II, 45 ; H. BOULARBAH, « Variations autour de l’appel des ordonnances ‘sur référé’ », in X., Imperat lex. Liber Amicorum Pierre Marchal, Larcier, Bruxelles, 2003, p. 225 et suiv., spéc. p. 244, n° 15. 11 degré, il doit renvoyer la cause au juge d’appel de ce dernier pour qu’il statue au fond 17. 2.3 Questions de compétence territoriale 9. Compétence internationale. Si le défendeur en référé est domicilié sur le territoire d’un État membre de l’Union européenne, la compétence internationale du juge des référés doit être vérifiée au regard des dispositions du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale 18. Dans ce cas, les demandes de mesures provisoires relèvent de la juridiction du juge belge des référés soit lorsque le litige au fond relève de la juridiction des cours et tribunaux belges en vertu des articles 2 et 5 à 23 du règlement 19, soit lorsqu’il existe un lien réel entre l’objet des mesures demandées et la compétence territoriale du juge belge saisi, attribuée en vertu du droit national de la procédure. Ce lien existera notamment si la mesure demandée doit sortir ses effets en Belgique 20. Si aucun instrument international ne s’applique, le pouvoir de juridiction du juge des référés est déterminé par le Code de droit international privé 21. Sur le modèle du système prévu par le règlement (CE) n° 44/2001, l’article 10 du Code précise que dans les cas d’urgence, les juridictions belges sont compétentes pour prendre des mesures provisoires ou conservatoires et des mesures d’exécution soit lorsqu’elles sont compétentes pour connaître du fond, soit lorsque les mesures demandées concernent des personnes ou des biens se trouvant en Belgique lors de l’introduction de la demande 22. (17) Cass., 24 décembre 1987, Pas., 1988, I, 510 ; Bruxelles, 7 juin 1995, Pas., II, 33 ; P. MARCHAL, Les référés, Bruxelles, Larcier, 1992, p. 53, n° 22. (18) La Convention de Lugano du 16 septembre 1988 est en vigueur vis-à-vis de l’Islande, de la Suisse et de la Norvège. Les dispositions de ces instruments internationaux sont cependant fort similaires. (19) Comm. Courtrai (réf.), 25 juin 2002, R.W., 2004-2005, p. 29 ; comm. Courtrai (réf.), 22 janvier 2001, R.W., 2002-2003, p. 785. (20) Article 31 du règlement (CE) n° 44/2001 ; Comm. Courtrai (réf.), 25 juin 2001, R.W., 2003-2004, p. 476. (21) Loi du 16 juillet 2004 portant le Code de droit international privé, M.B., 27 juillet 2004, p. 57.344. (22) Voy. sur cette disposition, H. BOULARBAH, « Le nouveau droit commun des incidents de compétence », R.D.J.P., 2004, p. 192-193 ; P. WAUTELET, « Le Code de 12 10. Compétence interne. En règle, la demande de référé est introduite devant le président dont le tribunal est territorialement compétent pour connaître du fond. Il est cependant généralement admis que la demande peut également être introduite devant le président du tribunal du lieu où la mesure demandée doit être exécutée, en tout ou en partie, même si ce tribunal est territorialement incompétent pour connaître du fond 23. 2.4 Questions de fond 2.4.1 L’urgence comme condition de fond 11. Définition. Selon la définition traditionnellement admise, il y a urgence « dès que la crainte d’un préjudice d’une certaine gravité, voire d’inconvénients sérieux, rend une décision immédiate souhaitable » 24. L’urgence n’est pas établie si le litige peut être tranché avec la même efficacité dans le cadre de la procédure ordinaire 25. Comme l’urgence constitue également une condition de fondement de la demande en référé, si, après s’être déclaré compétent au vu du libellé de la citation, le président du tribunal constate que l’urgence n’est pas réellement établie, il doit déclarer la demande non fondée 26. 12. Applications pratiques. La condition d’urgence s’apprécie d’abord par référence à la durée de la procédure au fond qui a ou aurait droit international privé et le procès international », in Actualités de droit judiciaire, CUP, volume 87, Bruxelles, Larcier, 2005, p. 339 et s. (23) Cass., 22 décembre 1989, Pas., 1990, I, 504 ; comm. Anvers (réf.), 19 octobre 2001, R.W., 2002-2003, p. 872 ; P. MARCHAL, Les référés, op. cit., p. 78, n° 48. (24) Cass., 21 mai 1987, R.W., 1987-1988, p. 1425 ; Bruxelles, 29 juin 1994, R.W., 1994-1995, p. 259 ; civ. Bruxelles (réf.), 10 novembre 2003, R.G. 2003/1211/C, inédit. (25) En effet, le juge des référés doit rester un recours exceptionnel pour le justiciable, qui ne peut saisir celui-ci que s’il ne peut pas obtenir un résultat utile en suivant la procédure ordinaire (Liège (réf.), 15 novembre 1991, J.L.M.B., 1992, p. 396 ; J. VAN COMPERNOLLE et G. CLOSSET-MARCHAL, « Examen de jurisprudence (1985 à 1998). Droit judiciaire privé », R.C.J.B., 1999, p. 59 et suiv., spéc. p. 153, n° 356). (26) Cass., 10 avril 2003, J.L.M.B., 2003, p. 581 ; Cass., 6 mai 1991, Pas., I, 78 ; civ. Charleroi (réf.), 8 avril 1997, R.R.D., 1997, p. 304. Contra : comm. Bruxelles (réf.), 21 mars 2000, J.L.M.B., 2001, p. 469, et les observations critiques de J. ENGLEBERT, « Référé et urgence », p. 470. Cette ordonnance a considéré, à tort, que si l’urgence, invoquée en citation, fait défaut, il appartiendrait au juge des référés de renvoyer la cause au juge du fond compétent. 13 pu être introduite par le demandeur en référé 27. Ainsi, le fait que la cause principale soit en délibéré ou sur le point d’être plaidée devant le juge du fond au moment où l’ordonnance de référé va être prononcée, ôte toute urgence à la procédure en référé 28. Il n’y a pas davantage urgence lorsque le juge du fond pourrait statuer dans un délai limité comparable 29. Certaines ordonnances de référé témoignent cependant d’une sévérité excessive en rejetant l’urgence au seul motif que le demandeur pouvait demander une mesure provisoire à l’audience d’introduction devant le juge du fond, sur pied des articles 19, alinéa 2, et 735 du Code judiciaire 30. Inversement, la seule invocation de l’arriéré judiciaire et des lenteurs de la procédure ordinaire ne suffit pas à établir l’urgence, celle-ci devant être étayée par des éléments de fait propres à la cause 31. Les présidents des tribunaux de commerce s’attachent d’ailleurs à prendre en considération les conditions commerciales particulières dans lesquelles se déroule le litige. Ainsi, l’urgence de la vie économique en matière de distribution de produits liés à un phénomène de mode, a permis à une partie se plaignant d’actes de contrefaçon de sa marque, d’obtenir une décision en référé 32. De même, la radiation d’un intermédiaire de crédit, même limitée à quinze jours, a été considérée (27) En présence d’une clause d’arbitrage, la comparaison doit être faite avec la durée requise pour la prise de mesures efficaces au sein de la procédure d’arbitrage, en ce compris le temps nécessaire pour obtenir l’exequatur de la sentence arbitrale (comm. Hasselt (réf.), 16 février 2004, R.D.C., 2005, p. 86, et la note précitée de J. DECOKER, spéc. p. 89 et 90, n° 5). (28) Liège, 17 juin 2002, J.T., 2002, p. 667 ; Liège, 31 août 1995, J.L.M.B., 1995, p. 1523. (29) Comm. Charleroi (réf.), 11 décembre 2002, Bull. ass., 2003, p. 383. (30) J. ENGLEBERT, « Le référé…», op. cit., p. 16 à 18, n° 16 et 17, et les réf. citées. Adde comm. Bruxelles (réf.), 18 décembre 2003 et 27 mai 2004, R.G. RK 252/2003, inédit. Dans cette espèce, la demanderesse avait introduit sa demande en référé par citation du 22 août 2003. Par une ordonnance interlocutoire du 18 décembre 2003, le président du tribunal de commerce de Bruxelles a ordonné la réouverture des débats pour permettre aux parties de déposer d’autres pièces. Néanmoins, dans son ordonnance du 27 mai 2004, le même président a exclu l’urgence à statuer, aux motifs qu’une procédure au fond était déjà pendante devant le tribunal de commerce de Bruxelles, que le tribunal pouvait aménager une situation d’attente sur la base des articles 19, alinéa 2, et 735 du Code judiciaire, et que l’économie processuelle exigeait de renvoyer l’affaire au juge du fond. Cette décision nous paraît critiquable, dans la mesure où le président du tribunal n’a pas vérifié si la demande était ou non de nature à être traitée en débats succincts et que, s’il rejetait l’urgence, il devait déclarer la demande en référé non fondée. Sur les mesures provisoires au sens de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire, voy. infra le chapitre 5. (31) J. ENGLEBERT, « Le référé…», op. cit., p. 14 et 15, n° 15, et les réf. citées. (32) Comm. Liège (réf.), 13 octobre 2000, Ing.-Cons., 2001, p. 131. 14 comme susceptible d’emporter des inconvénients sérieux pour la société demanderesse 33. Par contre, il n’y a pas urgence à désigner un expert sur la demande d’un actionnaire, lorsque des administrateurs provisoires ont déjà été désignés pour prendre des mesures conservatoires et qu’il n’existe aucune menace de disparition des matériaux de preuve 34. Pour s’assurer qu’une mesure d’instruction ordonnée en référé soit mise en œuvre en temps utile, un délai est parfois imposé au demandeur, sous peine de déchéance de la mesure ordonnée 35. 13. Inertie du demandeur. Il est admis qu’il n’y a pas lieu à référé lorsque le demandeur a trop tardé à introduire son action, ou s’il a provoqué lui-même la situation d’urgence dont il se prévaut 36. Ainsi, le fait que l’administration fiscale attende plus de deux ans pour contrôler les revenus imposables d’un contribuable, de sorte qu’elle ne dispose plus que de cinq mois pour effectuer ce contrôle au moment de sa citation, ne lui permet pas d’invoquer l’urgence pour saisir le juge des référés 37. De même, l’action d’un associé en suspension d’une décision du conseil d’administration a été rejetée pour manque d’urgence, parce qu’elle avait été intentée avec neuf mois de retard, que le demandeur connaissait la portée de la décision et avait adopté une attitude ambiguë à cet égard 38. Il ne faut cependant pas assimiler inertie du demandeur et absence d’introduction de la demande en référé. En effet, le retard n’exclut pas l’urgence lorsqu’il peut être justifié par un motif légitime 39. Ainsi, un délai de plus de deux ans entre la naissance du dommage et l’introduction de la demande en référé n’a pas été jugé comme (33) Comm. Charleroi (réf.), 11 avril 2003, J.T., 2003, p. 469, et la note. (34) Comm. Ypres (réf.), 22 décembre 2000, T.R.V., 2001, p. 44, et la note de J. VANANROYE, « De vordering van een aandeelhouder tot aanstelling van een deskundige ». (35) Comm. Courtrai (réf.), 19 juin 2003, T.G.R., 2003, p. 267. (36) Comm. Liège (réf.), 3 juillet 2002, R.D.C., 2004, p. 295 ; comm. Nivelles (réf.), 19 avril 2002, Res Jur. Imm., 2002, p. 303, et la note de J. LAMBERS et D. RAES ; P. MARCHAL, Les référés, op. cit., p. 50, n° 16. (37) Comm. Namur (réf.), 3 novembre 2000, Juristenkrant, liv. 21, p. 10 (reflet DE RAEDT). (38) Comm. Louvain (réf.), 11 octobre 2001, T.R.V., 2003, p. 601. (39) J. VAN COMPERNOLLE et G. CLOSSET-MARCHAL, « Examen de jurisprudence… », op. cit., R.C.J.B., 1999, p. 152 et 153, n° 355. 15 constituant une inertie coupable dans le chef du demandeur, car celui-ci avait, dans l’intervalle, recherché une solution amiable 40. Enfin, l’inertie du demandeur en référé n’exclut pas l’urgence lorsque des faits nouveaux ont récemment aggravé la situation existante ou encore lorsque celle-ci empire sous l’effet de la durée 41. 14. Disparition de l’urgence en cours d’instance. En tant que condition de fond, l’urgence à statuer doit subsister jusqu’au moment de la décision du juge des référés 42. En cas de disparition de l’urgence en cours d’instance, le juge des référés doit donc déclarer la demande non fondée 43. 15. Abréviation du délai de citation. Si l’urgence à statuer est telle que le délai de citation de deux jours apparaît trop long, le demandeur peut obtenir, sur requête unilatérale, une ordonnance d’abréviation du délai de citer 44. 16. Urgence en degré d’appel. En cas d’appel, l’urgence doit s’apprécier au moment de la décision du juge d’appel 45. Par conséquent, l’urgence à statuer peut disparaître en degré d’appel, ou, au contraire, apparaître ou s’accroître pendant la procédure d’appel, par la suite de l’aggravation des circonstances ou de l’écoulement du temps 46. Si une mesure provisoire a été accordée en première instance et que le juge d’appel constate que l’urgence a disparu au moment où il statue, il appartient, à notre estime, au juge d’appel de statuer sur la (40) Bruxelles, 27 janvier 2000, J.T., 2001, p. 28. Voy. également : civ. Liège (réf.), 4 juillet 2002, J.L.M.B., 2003, p. 212. (41) Liège, 19 mai 1996, R.G.A.R., 1996, n° 12.763, et les observations de J-F. van DROOGHENBROECK, « La désignation de l’expert par la juridiction des référés. Réflexions sur l’urgence et le provisoire » ; civ. Liège (réf.), 2 décembre 2002, J.L.M.B., 2003, p. 1017 ; civ. Namur (réf.), 31 juillet 2000, J.T., 2001, p. 33 ; civ. Bruxelles (réf.), 15 septembre 2000, J.T., 2001, p. 30 ; civ. Bruxelles (réf.), 21 octobre 1999, J.T., 2001, p. 35. (42) Cass., 11 mai 1998, Pas., I, 536. (43) J. ENGLEBERT, « Le référé… », op. cit., p. 19, n° 19. (44) Article 708 du Code judiciaire. (45) J. ENGLEBERT, « Le référé judiciaire… », op. cit., p. 21, n° 21. (46) Bruxelles, 9 janvier 1987, J.L.M.B., 1987, p. 338 ; H. BOULARBAH, « Variations… », op. cit., p. 235, n° 8 à 10. 16 confirmation ou la réformation de l’ordonnance dont appel 47, et dans l’hypothèse où il confirme cette décision, de dire pour droit qu’il n’y a plus lieu à référé à ce stade 48. 17. Contrôle de la Cour de cassation. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, l’urgence est une question de fait laissée à l’appréciation souveraine du juge des référés. Le contrôle de la Cour se limite dès lors à vérifier si le juge des référés a pu légalement déduire l’existence ou l’absence d’urgence de ses constatations de fait 49. 2.4.2 Le provisoire 18. Étude récente. L’évolution de la notion de « provisoire » a fait l’objet d’une étude particulièrement fouillée de J. Englebert lors d’un précédent colloque organisé par le Jeune Barreau en octobre 2003 50. Dans le cadre de la présente contribution, nous nous limiterons dès lors à résumer l’état de la question, à l’illustrer par des cas récents et à y ajouter certaines réflexions complémentaires. Pour le surplus, nous nous permettrons de renvoyer à l’analyse de J. Englebert, dont nous partageons entièrement les conclusions. 19. Définition actuelle. Il est aujourd’hui admis en doctrine et en jurisprudence que la précision de l’article 584, alinéas 1er et 2, du Code judiciaire, selon laquelle le juge des référés statue au provisoire, signifie uniquement que l’ordonnance de référé n’est pas revêtue de l’autorité de chose jugée à l’égard du juge du fond 51. La notion de « provisoire » n’a donc pas d’autre portée que d’annoncer la règle inscrite à l’article 1039, alinéa 1er, du même code, selon laquelle les ordonnances de référé ne (47) Notamment en appréciant l’urgence au moment de l’ordonnance dont appel. (48) H. BOULARBAH, « Variations… », op. cit., p. 240 à 243, n° 13. La Cour de cassation considère cependant que, lorsqu’un défendeur en référé interjette appel de l’ordonnance qui lui a imposé une mesure provisoire, le juge d’appel n’est pas tenu de statuer sur la mesure ordonnée, mais peut se borner à statuer eu égard au caractère urgent de la cause (Cass., 19 janvier 2006, R.G. C.04.0544.N, http://www.cass.be ; Cass., 19 septembre 2002, R.G. C.01.0527.F, http://www.cass.be ; Cass., 9 juin 2000, Pas., I, 1051). (49) M. REGOUT, « Le contrôle de la Cour de cassation sur les décisions de référé », in X., Le référé judiciaire, Jeune Barreau, Bruxelles, 2003, p. 123 et suiv., spéc. p. 124 et 125, n° 2 et 3 ; D. LINDEMANS, Kortgeding, Kluwer, Anvers, 1985, n° 113. (50) J. ENGLEBERT, « Le référé judiciaire… », op. cit., p. 25 à 50, n° 27 à 57, et les nombreuses réf. citées. (51) J. ENGLEBERT, «Le référé judiciaire…», ibid., p. 25, n° 27. 17 portent pas préjudice au principal. 20. Controverse. Cependant, selon la jurisprudence et la doctrine classiques, il résulterait également de la notion de « provisoire » que le juge des référés ne pourrait prononcer des mesures d’anticipation qu’en présence de droits évidents, tandis que seules des mesures conservatoires pourraient être ordonnées si les droits allégués ne sont qu’apparents 52. Cette thèse classique continue à être appliquée majoritairement par la jurisprudence 53. Dans son étude précitée, J. Englebert s’est opposé de manière convaincante à cette thèse classique, en proposant de retenir une conception extensive du « provisoire » qui mette un terme à la distinction floue entre droits apparents et droits évidents. Son raisonnement est notamment fondé sur les arguments suivants. Premièrement, la distinction entre droits apparents et droits évidents n’est pas conforme à l’acception actuellement admise de la notion de « provisoire », qui signifie uniquement que les ordonnances de référé ne portent pas préjudice au principal 54. Ensuite, il est paradoxal de maintenir la distinction entre droits évidents et droits apparents alors que cette théorie restrictive s’est développée à partir d’une jurisprudence obsolète selon laquelle la notion du « provisoire » interdirait au juge des référés de se prononcer sur le fond du droit 55. En réalité, le juge des référés apprécie, comme chaque juge, les droits des parties au regard des arguments développés devant lui, à la seule différence qu’il effectue cet examen sous le bénéfice de l’urgence 56. D’autre part, la plus grande confusion règne en doctrine et en jurisprudence sur la distinction entre droits apparents et droits évidents, ce qui laisse une marge d’appréciation considérable au juge des (52) Voy. notamment : Cass., 25 novembre 1996, Pas., I, 1158 ; Cass., 13 mai 1991, Pas., I, 797 ; Cass., 22 février 1991, Pas., I, 607 ; Cass., 29 septembre 1983, Pas., 1984, I, 84 ; J. VELU, conclusions précédant Cass., 21 mars 1985, op. cit., p. 915 ; J. VAN COMPERNOLLE, «Actualité du référé», Ann. dr. Louvain, 1989, p. 141 et suiv., spéc. p. 149. (53) Voy. comm. Anvers (réf.), 10 juin 2002, Dr. eur. transp., 2003, p. 108 ; comm. Courtrai (réf.), 22 janvier 2001, R.W., 2002-2003, p. 785. Le prononcé de mesures provisoires comme la désignation d’un séquestre ou d’un expert judiciaire ne suscite évidemment aucune difficulté (comm. Bruxelles (réf.), 6 décembre 2005, J.L.M.B., 2006, p. 480, et la note de G. de LEVAL ; comm. Anvers (réf.), 21 juin 2002, Dr. eur. transp., 2003, p. 112). (54) J. ENGLEBERT, «Le référé judiciaire…», op. cit., p. 28 et 29, n° 34. (55) Voy. Cass., 13 janvier 1972, Pas., I, 469. (56) J. ENGLEBERT, ibid., p. 29 à 31, n° 35 à 36. 18 référés 57. Enfin, le référé-provision ne constitue qu’un cas particulier de mesure d’anticipation, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’y retenir l’exigence d’un droit évident, alors que cette condition n’est pas retenue pour d’autres mesures d’anticipation 58. 21. L’examen des droits des parties. La Cour de cassation admet aujourd’hui que le juge des référés peut examiner les droits des parties, à la condition qu’il n’ordonne aucune mesure susceptible de porter définitivement et irrémédiablement atteinte à ceux-ci 59. Cette limite imposée au juge des référés se comprend aisément. En effet, une mesure causant un préjudice définitif et irréparable priverait d’intérêt la procédure subséquente au fond 60, de sorte que le juge du fond serait de facto lié par l’ordonnance de référé. L’application pratique de cette condition est nettement plus délicate, et les sensibilités divergent au sein de la jurisprudence. Au vu de la justification de cette limite au pouvoir du juge des référés, nous pensons qu’il y a lieu de retenir le critère suivant. La mesure ordonnée en référé ne doit pas priver la partie condamnée de la possibilité d’obtenir, en cas de jugement contraire du juge du fond, le respect de ses (57) J. ENGLEBERT, ibid., p. 31, 32, 36 à 45, n° 37, 43 à 52. (58) J. ENGLEBERT, ibid., p. 45 à 50, n° 53 à 57. (59) Cass., 31 janvier 1997, Pas., I, 148 ; Cass., 9 septembre 1982, Pas., 1983, I, 48. Voy. également la remarque pertinente de X. Dieux, selon laquelle « il eut été sans intérêt de prévoir que le juge du fond n’est pas lié par les appréciations du juge des référés, s’il était interdit à ce dernier de se pencher sur les droits des parties » (X. DIEUX, « La formation, l’exécution et la dissolution des contrats devant le juge des référés », note sous civ. Liège (réf.), 2 février 1984, R.C.J.B., 1987, p. 250 et suiv., spéc. p. 254). (60) Cass., 14 juin 1991, Bull. Cass., p. 899 ; J. ENGLEBERT, ibid., p. 31, n° 36. 19 droits pour l’avenir 61 62. En d’autres termes, les effets de l’ordonnance de référé doivent pouvoir être anéantis pour le futur, fût-ce par le biais d’une réparation par équivalent. 22. L’application des règles de droit par le juge des référés. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, si le juge des référés peut examiner les droits des parties, il n’est, par contre, pas soumis à la même obligation que le juge du fond d’appliquer correctement les règles de droit au litige urgent qui lui est soumis. En effet, la Cour ne se reconnaît qu’un contrôle marginal sur la légalité des décisions de référé 63, en vertu duquel le juge des référés ne peut pas appliquer déraisonnablement des règles de droit ni refuser déraisonnablement d’appliquer celles-ci dans le cadre de son raisonnement 64. Selon M. Regout, le rôle spécifique du juge des référés justifierait qu’il lui soit ainsi reconnu « un certain droit à l’erreur » 65. Cette thèse n’emporte cependant pas notre conviction. Au contraire, il nous semble qu’en tant que juge, le juge des référés est tenu (61) Par contre, le fait qu’un dommage soit subi entre-temps par la partie condamnée n’exclut pas que la mesure se voie reconnaître un caractère provisoire. Nous ne pouvons donc pas nous rallier à une ordonnance du président du tribunal de commerce d’Anvers du 10 juin 2002, qui a admis l’urgence de statuer sur les frais de traitement d’une cargaison avariée pour éviter l’accroissement du dommage, mais qui a considéré ensuite qu’il ne lui appartiendrait pas de statuer au provisoire sur la responsabilité pour le dommage causé aux biens (comm. Anvers (réf.), 10 juin 2002, Dr. eur. transp., 2003, p. 108). Dans cette espèce, l’octroi d’une provision au demandeur en référé n’aurait pas pu causer un dommage irréparable au défendeur. En effet, en cas de jugement contraire du juge du fond, cette partie pouvait demander la restitution de la provision payée et bénéficier de l’exclusion de sa responsabilité pour l’avenir. (62) Il résulte de cette condition que le juge des référés ne peut pas dire pour droit que les parties ont mis fin à leur litige (comm. Hasselt (réf.), 29 mars 2005, R.D.J.P., 2005, p. 168). (63) La Cour n’exerce d’ailleurs ce contrôle marginal que par le prisme d’une violation alléguée de l’article 584 du Code judiciaire. Elle considère en effet que, si le juge des référés méconnaît une règle de droit, il considère à tort qu’il y a des apparences de droit suffisantes pour prendre des mesures conservatoires. Par conséquent, il dépasse les limites de ses compétences de juge des référés telles que définies à l’article 584 du Code judiciaire (Cass., 4 juin 1993, Pas., I, 542 ; S. RAES, « De toepassing van het recht door de rechter in kort geding », note sous Cass., 4 juin 1993, R. Cass., 1993, p. 167 et suiv., spéc. p. 169, n° 14). (64) Cass., 5 juin 2003, R.G. C.01.0181.F, http://www.cass.be ; Cass., 17 octobre 2002, R.G. C.01.0268.F, http://www.cass.be ; Cass., 5 mai 2000, Pas.., n° 275 ; Cass., 31 janvier 1997, Pas.., n° 56 ; M. STORME, « Arbeidsrecht en gerechtelijk recht verstaan zij zich met elkaar ? », T.P.R., 1999, p. 61 et suiv., spéc. p. 67 et 68. (65) M. REGOUT, « Le contrôle de la Cour de cassation », op. cit., p. 139, n° 23. 20 d’appliquer correctement les règles de droit aux litiges qui lui sont soumis 66. D’ailleurs, d’un point de vue pratique, s’il y a urgence à statuer judiciairement sur le litige, les parties n’ont pas d’autre choix que de saisir le juge des référés. Dans cette mesure, nous n’apercevons pas quel principe justifierait de réserver délibérément à ces litiges urgents un traitement juridique de moindre qualité 67. 23. Le prononcé d’une décision constitutive ou déclarative de droits. Il est également traditionnellement enseigné, à tort selon nous, que le juge des référés ne pourrait pas prononcer une décision constitutive ou déclarative de droits. P. Marchal justifie cette règle par le fait que l’absence d’autorité de la déclaration ou constitution de droits par le juge des référés, rendrait celle-ci inefficace et dépourvue d’intérêt 68. Cependant, dans la mesure où le juge des référés peut apprécier les droits des parties, nous n’apercevons pas de raison de lui refuser la possibilité de déclarer, au provisoire, quels sont ces droits. Cette déclaration ne nous paraît d’ailleurs pas dépourvue d’intérêt, dans la mesure où l’ordonnance rendue au provisoire dispose d’une autorité de chose décidée entre les parties 69. Il est évident cependant que cette déclaration de droit ne liera pas le juge du fond qui pourra la remettre en cause. 24. Le provisoire en degré d’appel. En matière de référé, l’effet dévolutif de l’appel signifie uniquement que le juge d’appel est saisi de l’intégralité du provisoire. Par conséquent, si le juge d’appel considère qu’une demande excède les limites du provisoire, il doit déclarer la (66) J-F. van DROOGHENBROECK, « Aspects actuels du référé-provision », in X., Les procédures en référé, CUP, vol. 25, Larcier, Bruxelles, 1998, p. 19, n° 16. (67) Certes, comme le juge des référés doit se prononcer dans l’urgence, il ne peut pas apprécier le litige avec autant de finesse que le juge du fond. Ces conditions matérielles plus difficiles justifient que l’ordonnance de référé n’ait pas d’autorité de chose jugée à l’égard du juge du fond. De même, tous les magistrats n’interpréteront pas les règles de droit de la même manière ni ne les appliqueront identiquement aux cas qui leur sont soumis. C’est précisément ce qui justifie l’instauration de voies de recours. Cette situation ne justifie cependant pas que l’on reconnaisse au juge des référés le droit de commettre des erreurs de droit, fut-ce de manière non déraisonnable… (68) P. MARCHAL, Les référés, op. cit., p. 66, n° 32. (69) Voy. infra n° 33. 21 demande non fondée, et ne peut pas statuer sur cette demande qui ne relève pas de la juridiction du juge des référés 70. 2.4.3. L’étendue du pouvoir de juridiction du juge des référés 25. Interdiction préventive. Les juges des référés ont parfois considéré qu’ils ne pouvaient pas interdire préventivement la diffusion d’images télévisées 71. Dans un récent arrêt de principe du 2 juin 2006, la Cour de cassation a cependant considéré que le juge des référés qui tient provisoirement en suspens la diffusion d’une émission télévisée afin de garantir une protection effective de l’honneur, de la réputation et de la vie privée d’autrui, ne contrevient pas à l’article 19 de la Constitution. Au contraire, le juge des référés puise dans l’article 144 de la Constitution et dans les articles 18, alinéa 2, 584 et 1039 du Code judiciaire, le pouvoir d’ordonner les mesures aptes à prévenir une telle violation des droits d’autrui 72. 26. Intervention en matière contractuelle. Il est de jurisprudence et de doctrine constantes que le juge des référés peut intervenir dans le cadre de l’exécution de contrats, en ordonnant la poursuite des relations contractuelles qu’il constate, ou en ordonnant des injonctions 73 ou des défenses 74. Le juge des référés a notamment le pouvoir d’ordonner l’exécution forcée d’une obligation contractuelle à titre de mesure d’anticipation 75. (70) Cass., 26 novembre 1998, Pas., I, 1159 ; Cass., 14 juin 1991, Pas., I, 899 ; H. BOULARBAH, « Variations… », p. 243, n° 14. (71) Comm. Bruxelles (réf.), 26 octobre 2001, AM, 2002, p. 372. (72) Cass., 2 juin 2006, R.G. C.03.0211.F, http://www.cass.be. (73) Pour un exemple d’instructions ordonnées dans le cadre d’un conflit entre un maître de l’ouvrage et un entrepreneur, voy. comm. Tongres (réf.), 30 octobre 2001, R.D.C., 2003, p. 259. (74) P. MARCHAL, Les référés, op. cit., p. 132 et 133, n° 135 et 13, et les nombreuses références citées. Pour reprendre les termes de X. Dieux, « le droit positif belge autorise le juge des référés à intervenir dans la formation, l’exécution ou la dissolution des contrats, par des mesures qui ont pour objet ou pour effet d’allouer à une partie le bénéfice des droits dont elle se prétend titulaire envers l’autre » (X. DIEUX, « La formation... », op. cit., p. 269 et 270). (75) Liège, 28 juin 1984, J.L., 1984, p. 547 ; civ. Charleroi (réf.), 5 juin 1989, R.R.D., 1990, p. 87 ; comm. Mons (réf.), 14 septembre 1984, R.D.C., 1986, p. 303 ; civ. Liège (réf.), 2 février 1984, R.C.J.B., 1987, p. 245, et la note précitée de X. Dieux. Contra : comm. Anvers (réf.), 8 mai 2002, Dr. eur. transp., 2003, p. 99. 22 Les juges des référés se sont également reconnus compétents pour ordonner la poursuite de l’exécution de contrats à durée indéterminée illégalement suspendus ou résiliés 76. 27. Intervention en droit des sociétés et en droit financier. L’intervention du juge des référés en droit des sociétés et en droit financier est également communément admise 77. Nous nous permettons de renvoyer sur ce point aux interventions spécifiquement destinées ce sujet tant dans le cadre de la présente contribution, que dans celui du précédent colloque de 2003 78. 28. Discovery américaine. Dans une intéressante ordonnance du 3 janvier 2000, le président du tribunal de commerce de Termonde a considéré, à juste titre, qu’il ne lui appartenait pas de juger d’un éventuel abus de procédure commis dans le cadre d’une procédure de discovery aux États-Unis, ni d’ordonner des mesures dans l’intention de suspendre cette procédure étrangère 79. 29. Principe dispositif. Le juge des référés doit respecter le principe dispositif, en vertu duquel il ne peut modifier ni l’objet ni la cause des demandes introduites devant lui. Dans cette mesure, nous ne pouvons (76) Comm. Anvers (réf.), 24 juillet 2002, R.D.J.P., 2002, p. 272 ; comm. Louvain (réf.), 8 août 2000, A.J.T., 2000-2001, p. 476. Contra: comm. Namur (éf.), 1er février 2002, DAOR, 2003, liv. 66, p. 37, et la note de O. POELMANS et D. BLOMMAERT, « Le banquier teneur de compte ». Pour un état de la question, voy. F. GLANSDORFF et C. DALCQ, « Du pouvoir d’intervention du juge en cas de résiliation unilatérale des contrats à durée indéterminée », in X., Mélanges offerts à Pierre Van Ommeslaghe, Bruylant, Bruxelles, 2000, p. 71 et suiv. (77) Pour des cas d’application, voy. notamment: comm. Bruxelles (réf.), 15 avril 2002, R.D.C., 2002, p. 753, et la note de T. L’HOMME, « Développements jurisprudentiels en matière d’offre de reprise » ; comm. Bruxelles (réf.), 7 septembre 2000, T.R.V., 2000, p. 375 ; comm. Bruxelles (réf.), 7 novembre 2000, R.D.C., 2002, p. 742, et la note de E. POTTIER, « L’intérêt de désigner un administrateur provisoire au sein d’une société en commandite par actions à la suite d’une divergence de vues profonde survenue entre deux branches familiales ». (78) P.A. FORIERS, « Le référé en droit des sociétés et des offres publiques », in X., Le référé judiciaire, Jeune Barreau, Bruxelles, 2003, p. 231 et suiv. (79) Comm. Termonde (réf.), 3 janvier 2000, R.W., 2000-2001, p. 1095, et la note de M. NEUT, « De eenzijdige extraterritoriale toepassing van procedureregels – Discovery », p. 1097 et suiv. Voy. ég. dans ce sens, Bruxelles, 9e ch., 21 octobre 2005, à paraître à la R.D.C., 2006, avec une note J. ENGLEBERT, « La demande d’injonction de ne pas introduire ou de ne pas poursuivre une procédure à l’étranger (anti-suit injonction) est-elle admissible en Belgique ? ». 23 approuver l’ordonnance prononcée par le président du tribunal de commerce de Hasselt le 11 décembre 2001, selon laquelle, en réponse à une demande de nomination d’administrateur provisoire, le juge des référés pourrait désigner d’office un expert, dans la mesure où il s’agirait d’une mesure moins drastique que celle demandée 80. En effet, en prononçant une mesure différente que celle qui lui était demandée, cette ordonnance nous paraît avoir modifié l’objet de la demande. 2.5 Questions de procédure 30. Mode d’introduction. En principe, la demande principale en référé est formée par voie de citation. Par dérogation, les demandes de référé en matière d’offres publiques d’acquisition « sont introduites, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office, par requête signée et déposée au greffe de la cour d’appel de Bruxelles en autant d’exemplaires que de parties à la cause » 81. Le choix de la requête comme mode introductif d’instance nous paraît regrettable en matière de référé. En effet, dans les procédures urgentes, l’exploit d’huissier offre davantage de garanties quant à la réception de l’acte introductif d’instance par le défendeur 82. 31. Computation du délai de citation. Le délai de citation de deux jours en référé se compte en « jours pleins ». Ce n’est donc qu’à l’issue du délai, soit le troisième jour, que l’audience d’introduction pourra avoir lieu 83. En outre, depuis un arrêt de la Cour de cassation du 9 décembre 1988, l’application de l’article 53 du Code judiciaire 84 impose de considérer que, lorsque le deuxième jour du délai de citation tombe un samedi, un dimanche ou un jour férié légal, l’échéance est reportée au (80) Comm. Hasselt (réf.), 11 décembre 2001, T.R.V., 2003, p. 428, et la note de A. MAURAU, « Onenigheid binnen de vennootschap : de opschorting van een besluit tot ontslag van een bestuurder en de voorlopig bewindvoerder versus de deskundige ». (81) Article 18ter, § 3, de la loi du 2 mars 1989. Sur cette disposition, voy. également infra n° 131. (82) D’autant plus que l’article 18ter de la loi du 2 mars 1989 n’oblige pas le requérant à annexer à sa requête un certificat de domicile du(des) défendeur(s), comme le prévoit l’article 1344bis du Code judiciaire. (83) J. ENGLEBERT, « Les pièges de la procédure civile », in X., Les pièges des procédures, Jeune Barreau, Bruxelles, 2005, p. 7 et suiv., spéc. p. 20, n° 17. (84) Selon cette disposition, le jour de l’échéance est compris dans le délai et, lorsque ce jour est un samedi, un dimanche ou un jour férié, le jour de l’échéance est reporté au plus prochain jour ouvrable. 24 prochain jour ouvrable, l’audience d’introduction ne pouvant avoir lieu que le jour suivant 85. 32. Mise en état. En matière de référé, l’affaire se plaide à l’audience d’introduction ou à bref délai 86. Dans la pratique, il convient d’encourager l’habitude de fixer un calendrier (rapproché) d’échange de conclusions à l’audience d’introduction, et d’y déterminer simultanément la date de l’audience de plaidoiries 87. 2.6 L’ordonnance de référé 33. Autorité de chose décidée. Dans la mesure où elle épuise la juridiction du juge des référés, l’ordonnance est définitive au sens de l’article 19 du Code judiciaire 88. Elle ne dispose cependant que d’une autorité de chose décidée « rebus sic stantibus », de sorte que le juge des référés peut la modifier ou la rétracter en cas de changement de circonstances 89. 34. Opposabilité aux tiers. Une mesure d’instruction ordonnée en référé peut être rendue opposable à un tiers par le biais d’une action en déclaration d’ordonnance commune, pour autant que les droits de la défense de ce tiers ne soient pas méconnus. Si l’expert a déjà accompli des actes qui peuvent avoir une influence négative sur la partie tierce, la demande doit être rejetée 90. (85) Cass., 9 décembre 1988, Pas., 1989, I, 406. Contra : J. ENGLEBERT, « Les pièges… », op. cit., p. 20, n° 18 ; J. ENGLEBERT, « Le référé… », p. 53 et 54, n° 62, et les réf. citées. (86) P. MARCHAL, Les référés, op. cit., p. 83, n° 57. (87) À ce sujet, voy. J. ENGLEBERT, « Les pièges… », op. cit., p. 54 à 58, n° 63 à 68. (88) Comm. Bruges (réf.), 22 mars 2001, TWVR, 2002, p. 92. (89) P. MARCHAL, Les référés, op. cit., p. 68, n° 35. (90) Comm. Hasselt (réf.), 2 juin 2003, Limb. Rechtsl., 2004, p. 56, et la note de H. VAN GOMPEL et V. SWINNEN, « De vordering tot bindendverklaring : enkel mits respect voor de rechten van verdediging » ; Comm. Bruges (réf.), 22 mars 2001, TWVR, 2002, p. 92. Sur cette question, voy. également : article 812, alinéa 1er, du Code judiciaire ; Cass., 25 novembre 1992, Pas., I, 1304 ; Cass., 4 janvier 1984, Pas., I, 473 ; Cass., 3 mars 1980, Pas., I, 812 ; Cass., 10 avril 1970, Pas., I, 683 ; Bruxelles, 5 mai 1987, J.L.M.B., 1987, p. 918 ; civ. Nivelles, 27 avril 1993, Entr. et Dr., 1995, p. 315 et les observations de P. SOURIS, p. 319 ; civ. Liège (réf.), 2 mars 1992, J.L.M.B., 1994, p. 1340 ; civ. Bruxelles (réf.), 30 mai 1990, R.G.D.C., 1991, p. 189 ; J. VAN COMPERNOLLE et G. CLOSSET-MARCHAL, « Examen de jurisprudence (1985 à 1996). Droit judiciaire 25 35. Exécution provisoire de plein droit. En vertu de l’article 1039, alinéa 2, du Code judiciaire, les ordonnances de référé sont de plein droit exécutoires par provision. 2.7 Les voies de recours 36. Voies de recours ordinaires. L’ordonnance de référé peut être frappée d’appel, ou d’opposition si elle a été prononcée par défaut. Remarquons qu’en cas d’appel par requête, le nouvel article 53bis du Code judiciaire, inséré par l’article 2 de la loi du 13 décembre 2005 91, ne fait courir le délai de comparution qu’à partir de la réception du pli judiciaire par l’intimé, soit à un moment inconnu du greffe. Très concrètement, les premiers commentateurs de cette disposition conseillent au greffier de laisser un délai supplémentaire de trois jours ouvrables entre la date de remise du pli aux services de la poste et la date de l’audience d’introduction 92. Par contre, cette disposition n’est pas applicable à la signification de l’acte d’appel par voie d’huissier 93, ce qui peut conférer un avantage pratique non négligeable à l’appel par exploit d’huissier dans les affaires urgentes. 2.8 Sort de l’ordonnance de référé en cas de décision contraire du juge du fond 37. Principe. Il est constant que l’ordonnance de référé constitue un titre d’exécution valable jusqu’au jour du jugement au fond 94. La décision contraire du juge du fond rend l’ordonnance de référé caduque privé », R.C.J.B., 1997, p. 495 et suiv., spéc. p. 555, n° 78 ; G. CLOSSET-MARCHAL, « Demande principale et demande incidente : dépendance ou autonomie ? », in X., Het proces in meervoud. Le procès au pluriel, IUCGR/CIUDJ, Bruylant, Bruxelles, 1997, p. 27 et suiv., spéc. p. 44, n° 29. (91) M.B., 21 décembre 2005, p. 54.532. (92) H. BOULARBAH et J. ENGLEBERT, « Questions d’actualité en procédure civile », in X., Actualités en droit judiciaire, CUP, vol. 87, Larcier, Bruxelles, 2005, p. 43 et suiv., spéc. p. 46, n° 15 et la note 47. (93) Sauf peut-être lorsqu’elle intervient par la voie recommandée sur pied de l’article 40 du Code judiciaire. (94) S. BRIJS, « L’intervention du juge des référés dans l’exécution. L’exécution des décisions du juge des référés », in X, Le référé judiciaire, Jeune Barreau, Bruxelles, 2003, p. 309 et suiv., spéc. p. 353, n° 35 ; E. DIRIX et K. BROECKX, Beslag, APR, 2001, p. 162, n° 256 ; G. de LEVAL, « Le problème de l’exécution de l’ordonnance rendue par le juge des référés », in X., Les mesures provisoires en droit belge, français et italien, Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 399 à 402 ; P. MARCHAL, Les référés, op. cit., p. 73, n° 41. 26 pour l’avenir, ce qui implique que la partie qui l’a exécutée est tenue de restituer ce qu’elle a reçu en vertu de ladite ordonnance. Reste controversée la possibilité d’engager la responsabilité objective de cette partie sur pied de l’article 1398, alinéa 2, du Code judiciaire afin de la condamner à indemniser le dommage né de l’exécution 95. 38. Sort de l’ordonnance de référé pendant l’appel d’un jugement contraire au fond. Le juge des saisies d’Anvers a été récemment saisi de la question de savoir si l’injonction du juge des référés cesse de produire ses effets au moment du jugement contraire au fond prononcé en première instance, ou seulement lorsque la décision au fond devient coulée en force de chose jugée. Dans son ordonnance du 27 juillet 2006, le juge des saisies a considéré, à juste titre, que l’ordonnance de référé ne constituait plus un titre exécutoire, dès que le juge du fond s’était prononcé de manière définitive, même si sa décision était encore susceptible d’appel ou était, le cas échéant, frappée d’appel 96. La même solution a également été consacrée par la cour d’appel de Bruxelles dans un arrêt inédit du 25 novembre 2004 97. En effet, conformément aux articles 19 et 26 du Code judiciaire, le jugement de première instance au fond est définitif 98 et dispose d’une autorité de chose jugée subsistant jusqu’à son infirmation éventuelle. Par conséquent, la décision du juge du fond, même frappée d’appel et non exécutoire par provision, annihile les effets d’une ordonnance rendue au provisoire 99. (95) En faveur de cette possibilité, J. ENGLEBERT, « Le référé judiciaire… », op. cit., p. 63 et 64, n° 74 ; G. de LEVAL, « Le problème de l’exécution de l’ordonnance rendue par le juge des référés », in X. Les mesures provisoires en droit belge, français et italien. Étude de droit comparé, Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 395 et suiv., spéc. p. 400 et 401. (96) Civ. Anvers (j. saisies), 27 juillet 2006, R.G. 06-4530-A, inédit. (97) Bruxelles, 25 novembre 2004, R.G. 2002/KR/24, inédit. (98) Un jugement est définitif au sens de l’article 19, alinéa 1er, du Code judiciaire lorsqu’il épuise la juridiction du juge sur une question litigieuse (Cass., 28 juin 2001, Pas., I, 1247 ; Cass., 18 novembre 1997, Pas., I, 1212 ; Cass., 18 juin 1993, Pas., I, 593 ; Cass., 26 juin 1992, Pas., I, 968 ; Cass., 2 avril 1990, Pas., I, 896). Voy. également nos développements infra n° 93. (99) Cass. fr., 10 mars 2005, Bull.civ., II, n° 60, p. 56; THÉRY, « À propos de l’autorité de la chose jugée en référé ou les distinctions élémentaires… », note sous Cass. fr., 10 mars 2005, Rev. trim. dr. civ., 2005, p. 142. 27 2.9 L’interruption de la prescription 39. Objet de la demande. L’effet interruptif ou non d’une demande en référé dépend de son contenu. En effet, pour qu’une demande en référé interrompe la prescription, il faut qu’elle tende, fût-ce au provisoire, à la reconnaissance du droit menacé par la prescription 100. Par conséquent, il y a interruption de la prescription si la demande en référé porte sur une mesure d’anticipation, mais non si elle a pour objet d’obtenir des mesures conservatoires et/ou de faire acter des réserves quant au principal 101. 3. La requête unilatérale devant les juridictions commerciales – Le provisoire dans les formes de l’absolue nécessité 40. Objet de la présente section. La présente section a pour objet de rappeler brièvement les conditions, principes et caractéristiques relatifs aux procédures introduites par requête unilatérale devant le président du tribunal de commerce. 3.1 Questions de recevabilité 41. Absolue nécessité. En vertu de l’article 584, alinéa 3, du Code judiciaire, le président du tribunal de commerce peut, en cas d’absolue nécessité, être saisi par voie de requête unilatérale pour statuer au provisoire dans les matières qui sont de la compétence du tribunal de commerce. (100) A. FETTWEIS, Manuel de procédure civile, 2e édition, Liège, 1987, n° 446; M. REGOUT, « La prescription en droit civil », in La prescription, CUP, volume XXIII, avril 1998, p. 52. (101) Cass., 17 février 1989, Pas., I, 621; Cass., 5 avril 1957, Pas., I, 959; cour trav. Mons, 17 décembre 1981, R.D.S., 1982, p. 220; Gand, 29 avril 1969, Bull. ass., 1971, p. 508, et les observations de A.T., p. 510 et suiv., spéc. p. 517; Gand, 29 avril 1968, R.G.A.R., 1970, n° 8.372; comm. Ostende, 14 mars 1968, Bull. ass., 1971, p. 503; J. LINSMEAU, « Le référé. Fragments d’un discours critique », Rev. dr. ULB, 1993, p. 7 et suiv., spéc. p. 14 et 15, n° 12 et 13; J.F. LECLERCQ, conclusions avant Cass., 3 juin 1991, Pas., I, 868; A. VAN OEVELEN, « Algemeen overzicht van de bevrijdende verjaring en de vervaltermijnen in het Belgisch privaatrecht », T.P.R., 1987, p. 1755 et suiv., spéc., p. 1808 et 1809, n° 48; H. DE PAGE et R. DEKKERS, Traité élémentaire de droit civil belge, tome 7, 2e édition, Bruylant, Bruxelles, 1957, p. 1065, n° 1173. 28 Lorsqu’elle est fondée sur l’absolue nécessité, la requête unilatérale ne constitue pas un mode d’introduction du référé qui est par essence contradictoire (art. 1035 et s. C. jud.) 102. L’absolue nécessité est une condition de recevabilité de la requête unilatérale, qui s’apprécie au moment du dépôt de la requête et qui doit être vérifiée d’office et de manière souveraine par le président saisi 103. Trois hypothèses d’absolue nécessité sont généralement admises : l’extrême urgence, l’impossibilité d’identifier la partie adverse et le fait que la nature même de la mesure demandée impose l’utilisation d’une procédure unilatérale pour garantir son efficacité. 42. Extrême urgence. Justifiant une dérogation importante au principe fondamental de la contradiction des débats, l’extrême urgence doit être appréciée de manière particulièrement rigoureuse. En effet, les articles 708 et 1036 du Code judiciaire permettent d’organiser un référé contradictoire par une citation d’heure à heure, moyennant l’introduction d’une requête unilatérale en abréviation des délais. La procédure sur requête unilatérale pour extrême urgence est donc une procédure tout à fait exceptionnelle, limitée aux hypothèses dans lesquelles un référé contradictoire, même avec un délai de citation abrégé, serait inefficace ou impossible 104. L’extrême urgence a été admise dans de nombreux cas : – lorsqu’un créancier, au mépris du principe de l’égalité entre les créanciers 105 ou de la poursuite de l’activité de la société 106, (102) H. BOULARBAH, « L’intervention du juge des référés par voie de requête unilatérale : conditions, procédure et voies de recours », in X., Le référé judiciaire, Jeune Barreau, Bruxelles, 2003, p. 65 et suiv., spéc. p. 68 et 69, n° 3. (103) Cass., 13 juin 1975, Pas., I, 984 ; Bruxelles, 5 octobre 1999, A.J.T., 1999-2000, p. 454 ; Bruxelles, 27 juin 1997, T.R.V., 1997, p. 577 et la note de S. RAES, « Volstrekte noodzakelijkheid », p. 580 ; W. DERIJCKE, « Faillite, référé-provision, administrateur de fait et droits de la défense », observations sous Bruxelles, 10 février 1997, Rev. prat. soc., 1997, n° 6721, p. 173 et suiv., spéc. p. 174, n° 4. (104) S. RAES, « Volstrekte noodzakelijkheid », ibid., p. 580 ; J. VAN COMPERNOLLE et G. CLOSSET-MARCHAL, « Examen de jurisprudence… », op. cit., R.C.J.B., 1999, p. 155, n° 358. Comme le souligne à juste titre le président du tribunal de commerce d’Anvers, il y a extrême urgence lorsque tout retard peut léser les droits d’une des parties de manière telle que même la réduction des délais ne peut suffire pour prévenir un danger imminent (comm. Anvers (réf.), 13 janvier 2003, Dr. eur. transp., 2002, p. 780). (105) Comm. Liège (prés.), 10 septembre 1991, J.L.M.B., 1991, p. 1214. (106) Comm. Charleroi (prés.), 28 octobre 1999, J.L.M.B., 2000, p. 121. 29 – – – – – entreprend une voie d’exécution individuelle contre une société qui a déposé une requête en concordat ; lorsqu’il y a absolue nécessité à disposer des fonds nécessaires au redémarrage de l’entreprise et ce compte tenu d’une échéance fixée, en l’occurrence, par les curateurs à la faillite 107 ou encore lorsqu’il s’agit de permettre à une société en concordat judiciaire d’obtenir la suspension d’une saisie, réalisée avant l’obtention du sursis provisoire, afin de faire face à une échéance immédiate 108 ; lorsque le défendeur est établi à l’étranger et que le délai de citation, même abrégé, retarderait trop la mise en œuvre de la mesure provisoire si celle-ci était demandée par voie de référé 109 ; afin de prévenir l’imminence d’une activité d’extraction 110 ; lorsqu’un important transfert de fonds au profit du gérant d’une société est sur le point d’être effectué 111 ; afin d’empêcher la publication, le lendemain du dépôt de la requête, d’un article dans un quotidien dont le requérant n’a appris la parution que le jour même 112. En revanche, l’extrême urgence n’a pas été admise dans les cas suivants : – une demande fondée sur le simple fait que le cocontractant ne respecte pas ses obligations contractuelles 113 ; – lorsque le requérant entend obtenir la suspension de décisions de l’assemblée générale et du conseil d’administration d’une société (107) Bruxelles, 10 février 1997, J.L.M.B., 1997, p. 300. En l’occurrence, les fonds devaient être obtenus pour le dimanche 19 janvier au plus tard et « eu égard à ce délai extrêmement bref et à la proximité du week-end, il n’eût point été possible d’obtenir une telle décision au moyen d’une procédure contradictoire entre le jeudi 16 janvier et le dimanche 19 janvier dans la soirée ». (108) Com. Charleroi (prés.), 28 octobre 1999, J.L.M.B., 2000, p. 121. En l’espèce, la requête unilatérale déposée le 28 octobre 1999 était motivée par l’absolue nécessité de payer le 5 novembre 1999 d’importantes avances sur salaires. (109) Comm. Anvers (prés.), 31 mai 1974, J.P.A., 1974, p. 250. Voy. à propos de la suspension de l’appel à une garantie à première demande par un défendeur établi à l’étranger, Comm. Liège (prés.), 20 novembre 2000, R.R. n° 00/222, inédit, qui octroie également une abréviation du délai de citer en référé. (110) Comm. Charleroi (prés.), 10 mai 2000, inédit. (111) E. POTTIER et M. DE ROECK, « L’administration provisoire : bilan et perspectives », R.D.C., 1997, p. 224, n° 107. (112) Comm. Bruxelles (prés.), 6 mars 1995, Mediaforum, 1995-4, p. B55. (113) Bruxelles, 25 septembre 2003, R.P.S., 2004, p. 162, obs. W. DERIJCKE. 30 lorsque ces décisions n’exigent pas une intervention immédiate 114. 43. « Référé unilatéral conditionnel ». Dans la pratique, les présidents ont parfois tendance à accorder au requérant la mesure qu’il sollicite sur requête unilatérale, moyennant l’obligation pour celui-ci d’introduire, dans un délai déterminé et à peine de caducité de la mesure ordonnée, un référé contradictoire ou une procédure au fond. Cette pratique du « référé unilatéral conditionnel » 115 est cependant critiquable pour trois raisons. Tout d’abord, il paraît absurde de contraindre le requérant à poursuivre en référé la confirmation de ce qu’il a déjà obtenu sur requête unilatérale 116. Deuxièmement, le référé unilatéral conditionnel aboutit à une « abdication de responsabilité » 117 de la part des présidents, qui octroient de manière quasi-automatique la mesure sollicitée par le requérant et remettent à plus tard l’examen de la cause 118. Enfin, pour que ce procédé du référé unilatéral conditionnel présente quelque efficacité pratique, il faut lier la validité des mesures accordées sur requête unilatérale à la fixation d’une date d’audience dans un délai déterminé 119. En matière d’OPA, le législateur du 2 août 2002 a cependant institutionnalisé cette pratique regrettable en prévoyant, aux articles 584bis et 633ter du Code judiciaire, que le président du tribunal de (114) Comm. Bruxelles, 28 juillet 2004, T.R.V., 2005, p. 40. (115) L’expression est de N. DIAMANT, « Le référé ‘conditionnel’ – Témoignage et réflexion », R.D.C., 2001, p. 714 et suiv. Pour des exemples de référé unilatéral conditionnel, voy. Anvers, 10 mars 1997, A.J.T., 1997-1998, p. 517 et la note de D. LINDEMANS, « Verval van voorlopige maatregelen wegens niet tijdig adiëren van de bodemrechter », p. 519 et suiv. ; civ. Namur (réf.), 9 août 2000, J.L.M.B., 2000, p. 1182 et les observations de F. JONGEN, p. 1187 ; comm. Bruxelles (réf.), 29 janvier 1997, R.D.C., 1999, p. 248. (116) N. DIAMANT, ibid., p. 714 ; D. LINDEMANS, « Verval… », note précitée, p. 519. (117) N. DIAMANT, ibid., p. 715. (118) H. BOULARBAH, « L’intervention du juge des référés… », op. cit., p. 74 à 76, n° 8 ; N. DIAMANT, ibid., p. 715. Il serait préférable que les présidents suggèrent aux plaideurs de ne pas déposer leur requête unilatérale, et de citer après avoir obtenu une ordonnance abréviative du délai de citer, qu’ils accordent librement (voy. J. LINSMEAU, « Le référé… », op. cit., p. 18, n° 20). (119) En effet, si la validité des mesures accordées sur requête unilatérale est liée à l’introduction d’une requête en référé contradictoire dans un délai déterminé, la requête pourrait être notifiée dans le délai imposé mais ne prévoir qu’une audience éloignée (H. BOULARBAH, « L’intervention du juge des référés… », op. cit., p. 107, n° 44 ; E. MONARD et D. DEGREEF, La requête unilatérale (art. 584, al. 3 C. jud.), Kluwer, Bruxelles, 2000, p. 33, n° 19). 31 commerce de Bruxelles reste exclusivement 120 compétent « pour ordonner, sur requête, en cas d’absolue nécessité, toute mesure provisoire, jusqu’à ce qu’il soit statué de manière contradictoire par la cour d’appel de Bruxelles » 121. 44. Impossibilité d’identifier la partie adverse. Dans son arrêt du 25 février 1999, la Cour de cassation a confirmé que l’absolue nécessité visée à l’article 584, alinéa 3, du Code judiciaire, peut consister dans la circonstance qu’aucune partie adverse n’est connue du demandeur 122. Cependant, le caractère exceptionnel de la procédure sur requête unilatérale impose de n’autoriser celle-ci qu’en cas d’impossibilité totale de déterminer l’identité précise des parties défenderesses, et non en cas de simples difficultés 123. Les conflits collectifs du travail sont devenus une hypothèse classique d’application de la procédure sur requête unilatérale pour impossibilité d’identifier la partie adverse. Dans ces circonstances, les présidents admettent de manière presque unanime que le nombre et la mobilité des auteurs de voies de fait rendent impossible le recours à la procédure contradictoire 124. Nous ne pouvons cependant nous rallier totalement à cette jurisprudence. En effet, lorsque le demandeur est en mesure d’identifier certaines des parties défenderesses, il est tenu d’introduire une procédure contradictoire à leur égard, quand bien même il agirait sur requête unilatérale à l’égard des autres parties (120) Il s’agit d’une compétence exclusive puisque l’article 584bis du Code judiciaire prévoit que la plénitude de juridiction dont bénéficie le président du tribunal de première instance en vertu de l’article 584, alinéa 1er, n’est pas applicable en matière de demandes OPA. (121) Les travaux préparatoires de la loi du 2 août 2002 confirment la consécration par ces dispositions de la pratique du « référé unilatéral conditionnel ». À ce sujet, voy. X. TATON, « Les nouvelles procédures contentieuses en matière d’offres publiques d’acquisition », R.D.J.P., 2003, p. 319 et suiv., spéc. p. 338 et 339, n° 44 à 47. (122) Cass., 25 février 1999, R.D.J.P., 1999, p. 94 et la note de H. BOULARBAH, « L’absence de partie adverse ou l’impossibilité d’identifier celle-ci, conditions de l’introduction de la demande par voie de requête unilatérale », p. 97 et suiv. (123) K. BROECKX, « Ontruimigsvorderingen tegen krakers », note sous J.P. Gand, 25 février 1994, J.J.P., 1997, p. 470 et suiv., spéc. p. 471 et 472, n° 7 et 8 ; J. LINSMEAU, « Le référé… », op. cit., p. 24 et 25, n° 29. (124) Pour une analyse approfondie de la jurisprudence développée par les présidents des tribunaux de première instance à l’occasion des récentes grèves à l’encontre du « pacte des générations », voy. B. ADRIAENS et D. DEJONGHE, « De rechterlijke tussenkomst bij stakingen. Een analyse van de rechtspraak inzake de oktoberstakingen tegen het generatieproject », J.T.T., 2006, p. 69 et suiv., spéc. p. 71. 32 défenderesses 125. Or, il ne nous paraît pas absolument impossible d’identifier certains manifestants, notamment lorsque le mouvement est organisé et annoncé par les représentants des organisations syndicales, de sorte que la procédure peut être introduite de manière contradictoire à leur encontre. 45. Nature de la mesure demandée. Pour qu’une telle demande puisse être introduite par requête unilatérale, il faut que l’effet de surprise recherché soit indispensable à l’effectivité de la mesure sollicitée, de sorte que le caractère contradictoire de la procédure, même avec abréviation du délai de citation, compromettrait de manière certaine et irréversible les droits du requérant 126. Sur la base de ce motif, de nombreuses mesures peuvent ainsi être ordonnées sur requête unilatérale en cas de conflits entre actionnaires. Nous pouvons notamment penser à une mesure d’instruction, telle une expertise, à la désignation d’un séquestre ou à celle d’un administrateur provisoire 127. À nouveau, nous devons insister sur la rigueur avec laquelle doivent être appréciées les craintes du requérant de voir compromise l’efficacité de la mesure demandée en cas de procédure contradictoire. Ces craintes doivent être démontrées dans les circonstances de l’espèce, et le président ne peut se contenter de simples suppositions 128. Dans un arrêt du 9 janvier 2006 129, la cour d’appel de Mons considère ainsi qu’il n’était pas nécessaire d’agir sur requête unilatérale pour solliciter des mesures d’investigation visant à obtenir d’une grande (125) Cass. fr., 17 mai 1977, J.C.P., 1977, IV, p. 178 ; H. BOULARBAH, « L’intervention du juge des référés… », op. cit., p. 96, n° 28. Contra : civ. Verviers (réf.), 2 décembre 1999, J.L.M.B., 1999, p. 1829 ; civ. Liège (réf.), 2 décembre 1999, J.L.M.B., 1999, p. 1824 ; civ. Marche-en-Famenne (réf.), 1er décembre 1999, J.L.M.B., 1999, p. 1843. (126) Comm. Tongres (réf.), 16 octobre 2001, T.R.V., 2002, p. 648 et la note de D. VAN GERVEN et J. VERBIST, « De volstrekte noodzakelijkheid als grond voor het eenzijdig verzoekschrift in vennootschapzaken », p. 651 et suiv. ; civ. Liège (réf.), 15 juin 1998, A.J.T., 1999-2000, p. 453. (127) Voy. notamment : P. VAN OMMESLAGHE, « Le séquestre judiciaire en droit commercial », R.D.C., 1999, p. 228 et suiv. ; E. POTTIER et M. DE ROECK, « L’administration provisoire : bilan et perspectives », R.D.C., 1997, p. 203 et suiv., spéc. p. 223 à 225, n° 103 à 107. (128) H. BOULARBAH, « L’intervention du juge des référés… », op. cit., p. 92 et 93, n° 25. (129) Mons (1re ch.), 9 janvier 2006, n° 2003/RG/293, inédit. 33 chaîne de distribution commerciale toutes les informations utiles concernant les quantités vendues, offertes en vente ou toujours en stock d’un produit litigieux. La cour relève en effet que la chaîne de distribution commerciale « est tenue de respecter des normes comptables qui imposent des écritures comptables et/ou informatiques dont l’analyse est de nature à déjouer utilement les risques de disparition de preuve et/ou les obstacles qui pourraient éventuellement être dressés à la recherche de la vérité lorsque l’on ne reste pas sans réagir pour obtenir l’accès à ces éléments d’information » et conclut partant que la situation de la requérante « n’aurait pas été gravement détériorée si la décision de référé avait, à la suite d’un débat contradictoire succinct, été rendue quelques heures plus tard que ne l’a été l’ordonnance rendue sur requête unilatérale ». 46. Autres demandes sur requête unilatérale. L’absolue nécessité n’est pas la seule circonstance dans laquelle le président du tribunal de commerce peut être saisi par voie de requête unilatérale. Au contraire, l’article 588 du Code judiciaire énumère une série de demandes qui y sont également soumises, parmi lesquelles figurent notamment les demandes de réalisation de warrants, gages commerciaux et gages sur fonds de commerce. Les conditions d’urgence et de provisoire ne s’appliquent pas à ces demandes. 3.2 Questions de compétence et de fondement 47. L’urgence. Lorsque le président du tribunal de commerce est saisi par voie de requête unilatérale, sur pied de l’article 584, alinéa 3, du Code judiciaire, il n’en reste pas moins saisi de mesures provisoires et urgentes au sens de l’alinéa 2 de la même disposition. Comme en matière de référé contradictoire, l’urgence constitue donc une condition de compétence du président et de fondement de la demande. Certes, la solution est évidente dans l’hypothèse d’une requête unilatérale pour extrême urgence. Elle n’en est cependant pas moins établie dans les cas où le recours à la procédure unilatérale est justifié 34 par l’impossibilité d’identifier la partie adverse ou par la nature de la mesure demandée 130. À notre estime, la controverse qui subsiste à cet égard ne constitue d’ailleurs qu’un faux problème. Si le demandeur n’est pas en mesure d’identifier la partie adverse, c’est parce qu’il y a urgence à statuer. Dans le cas contraire, le demandeur disposerait du temps nécessaire pour procéder à l’identification du défendeur adéquat, le cas échéant au moyen de l’intervention d’un huissier de justice chargé de contrôler préalablement l’identité des personnes auxquelles il y a lieu de signifier la citation. De même, l’article 588, 1°, du Code judiciaire permet la désignation d’un expert ou d’un séquestre par voie de requête unilatérale, sans devoir démontrer l’urgence 131. Le défaut d’urgence emporte les mêmes conséquences qu’en cas de référé contradictoire 132. 48. Le provisoire. Saisi sur requête unilatérale en raison de l’absolue nécessité, le président du tribunal de commerce ne statue également qu’au provisoire. Il est cependant paradoxal de constater que contrairement à la tendance majoritaire des présidents siégeant en référé, les présidents saisis sur requête unilatérale n’hésitent pas à apprécier les droits des parties et à prononcer des décisions constitutives ou déclaratives de droits 133. (130) H. BOULARBAH, « L’intervention du juge des référés… », ibid., p. 102 et 103, n° 34. Contra : J. LINSMEAU, « Le référé… », op. cit., p. 20, n° 23. (131) L’expert désigné sur cette base doit cependant se limiter à des constatations matérielles (voy. mutatis mutandis à propos de l’article 594, 1°, du Code judiciaire : Cass., 21 mars 1979, Pas., I, 846 ; Cass., 12 novembre 1990, Pas., 1991, I, 268). Voy. également en droit français la possibilité prévue par l’article 145 NCPC d’octroyer des mesures d’instruction in futurum sur requête ou en référé : I. DESPRÉS, Les mesures d’instruction in futurum, Dalloz, Paris, 2004, p. 243 à 262, n° 378 à 411. (132) Voy. supra n° 8 et n° 11. (133) À titre d’exemple, une ordonnance du 16 mai 2006 du président du tribunal de première instance de Bruxelles a décidé que, comme les procurations d’un actionnaire avaient été communiquées tardivement, celui-ci n’avait plus le droit de choisir son mode de comparution à l’assemblée générale du lendemain, qui ne pouvait plus être que personnelle (civ. Bruxelles (réf.), 16 mai 2006, R.R. 06/3790/B, inédit). 35 3.3 Questions de procédure 49. Les mentions et le dépôt de la requête unilatérale. L’article 1026 du Code judiciaire énumère les mentions que la requête unilatérale doit contenir à peine de nullité. Celle-ci doit être déposée au greffe par un avocat et en double exemplaire, pour être visée par le greffier, inscrite dans le registre des requêtes et versée au dossier de la procédure 134. L’inventaire des pièces doit être reproduit au pied de la requête 135. 50. L’instruction de la requête unilatérale. L’article 1028 du Code judiciaire prévoit que le président vérifie la demande et peut convoquer, à cet effet, le requérant et les parties intervenantes en chambre du conseil. L’intervention volontaire ou forcée de tiers est permise, mais elle ne peut être ni ordonnée d’office ni suggérée par le président 136. 3.4 L’ordonnance sur requête unilatérale 51. Autorité de chose décidée. Comme l’ordonnance de référé, l’ordonnance prononcée sur requête unilatérale a une autorité de chose décidée, qui ne fait pas obstacle à sa rétractation ou à sa modification en cas de changement de circonstances (art. 1032 C. jud.) 137. 52. Exécution provisoire. En vertu de l’article 1029, alinéa 2, du Code judiciaire, l’ordonnance prononcée sur requête unilatérale est exécutoire par provision, sauf si le président en décide autrement. (134) Article 1027, alinéas 1er et 2, du Code judiciaire. En cas d’extrême urgence, la requête peut cependant être présentée en l’hôtel du président et instruite en l’absence du greffier (H. BOULARBAH, « L’intervention du juge des référés… », op. cit., p. 104, n° 37). (135) Article 1027, alinéa 3, du Code judiciaire. (136) En vertu de l’article 811 du Code judiciaire, selon lequel les cours et tribunaux ne peuvent ordonner d’office la mise en cause de tiers. Cette disposition exclut également toute jonction entre un référé contradictoire et une procédure sur requête unilatérale (X. TATON, « Les nouvelles procédures… », op. cit., p. 340, n° 49). (137) H. BOULARBAH, « L’intervention du juge des référés… », op. cit., p. 108 et 109, n° 45 et 46. 36 3.5 Les voies de recours 53. Appel du requérant et de la partie intervenante. Le requérant et la partie intervenante peuvent faire appel de l’ordonnance par requête unilatérale déposée dans le mois de la notification de l’ordonnance 138. 54. Tierce opposition du tiers condamné. En vertu des articles 1033 et 1034 du Code judiciaire, toute personne qui n’est pas intervenue à la cause peut faire tierce opposition contre l’ordonnance qui lui cause grief, par citation dans le mois de la signification de l’ordonnance. 55. Sort de l’ordonnance en cas de décision contraire du juge des référés ou du juge du fond. L’ordonnance prononcée sur requête unilatérale ne sort ses effets que jusqu’au prononcé de l’ordonnance de référé ou du jugement au fond 139. En matière d’OPA, le président du tribunal de commerce de Bruxelles a néanmoins méconnu ce principe 140 en ordonnant la suspension d’une offre publique jusqu’au deuxième jour ouvrable suivant la date du prononcé de l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles statuant au fond 141. Comme pour les ordonnances de référé, la question se pose de savoir si le tiers condamné peut obtenir, sur pied de l’article 1398, alinéa 2, du Code judiciaire, la réparation du préjudice causé par l’exécution de l’ordonnance 142. 3.6 L’interruption de la prescription 56. Pas d’interruption de la prescription. À notre estime, à défaut de manifestation à l’égard du débiteur de la volonté du créancier de faire reconnaître en justice le droit menacé de prescription, la requête unilatérale n’emporte pas d’effet interruptif de prescription 143. (138) Article 1031 du Code judiciaire. (139) H. BOULARBAH, « L’intervention du juge des référés… », op. cit., p. 74, n° 8. (140) Ainsi que le texte de l’article 584bis du Code judiciaire. (141) Comm. Bruxelles (réf.), 7 novembre 2005, Dr. banc. fin., 2006, p. 22. (142) Voy. supra n° 37. (143) Contra : P. ROUARD, Traité élémentaire de droit judiciaire privé, tome 2, Bruylant, Bruxelles, 1975 p. 489 et 490, n° 607. 37 4. Les procédures « comme en référé » devant les juridictions commerciales – Le fond dans les formes de l’urgence 57. Objet de la présente section. De très nombreuses dispositions légales attribuent au tribunal de commerce, à son président ou encore à la cour d’appel de Bruxelles, le pouvoir de statuer, dans des contentieux commerciaux particuliers, « selon les formes du référé » ou « encore selon la procédure prévue aux articles 1035, 1036, 1038 et 1041 du Code judiciaire », mais avec l’autorité de chose jugée d’une décision rendue « au fond » ou « au principal » 144. (144) S’agissant des procédures « comme en référé » devant les juridictions commerciales, on signalera principalement : - Relevant de la compétence du tribunal de commerce : le remplacement du commissaire au sursis en matière de concordat judiciaire (art. 19 L. 17 juillet 1997) ; - Relevant de la compétence du président du tribunal de commerce : 1° Actions en cessation prévues par (ordre chronologique) : l’article 4, § 2, de la loi du 16 novembre 1972 concernant l’inspection du travail ; l’article 220 de la loi du 4 décembre 1990 relative aux opérations financières et aux marchés financiers ; l’article 109 de la loi du 12 juin 1991 sur le crédit à la consommation ; les articles 95 à 100 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et la protection du consommateur ; l’article 31 de la loi du 16 février 1994 régissant l’organisation de voyages et le contrat d’intermédiaire de voyages ; l’article 2 de la loi du 11 avril 1999 relative à l’action en cessation des infractions à la loi relative aux contrats portant sur l’acquisition d’un droit d’utilisation d’immeubles à temps partagé ; l’article 2 de la loi du 11 avril 1999 pour les infractions à la loi du 9 mars 1993 tendant à réglementer et à contrôler les activités d’entreprises de courtage matrimonial ; la loi du 26 mai 2002 relative aux actions en cessation intracommunautaires en matière de protection des intérêts du consommateur ; les articles 16 et 17 de la loi du 17 juillet 2002 relative aux opérations effectuées au moyen d’instruments électroniques de fonds ; l’article 8 de la loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales ; les articles 9 et 10 de la loi du 20 décembre 2002 relative au recouvrement amiable des dettes du consommateur ; la loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination ; le décret de la Communauté française du 27 février 2003 sur la radiodiffusion ; l’article 3 de la loi du 11 mars 2003 sur certains aspects juridiques des services de la société de l’information ; les articles 9 et 10 de la loi du 24 mars 2003 instaurant un service bancaire de base ; les articles 4 et 5 de la loi du 12 mai 2003 concernant la protection juridique des services à accès inconditionnel et des services d’accès conditionnel relatifs aux services de la société d’information ; la loi du 26 juin 2003 relative à l’enregistrement abusif des noms de domaine ; la loi du 25 avril 2004 insérant un article 17bis dans la loi du 10 avril 1990 sur les entreprises de gardiennage, les entreprises de sécurité et les services internes de gardiennage ; la loi du 13 août 2004 relative à l’autorisation d’implantations commerciales ; la loi du 1er septembre 2004 complétant les dispositions du Code civil relatives à la vente en vue de protéger le consommateur ; 38 Un inventaire récent de ces diverses procédures a été établi par Mmes Dalcq et Uhlig qui ont en outre tenté d’établir une théorie générale du « comme en référé » 145. Plusieurs d’entre elles font l’objet d’une analyse approfondie dans le présent ouvrage 146. Il ne sera pas question dans les lignes qui suivent de détailler chacun de ces contentieux mais bien d’examiner, de manière générale, les principes, conditions et caractéristiques communs de ces 2° Actions diverses en matière de droit financier et de droit des sociétés prévues par (ordre chronologique) : la loi du 2 mars 1989 relative à la publicité des participations importantes dans les sociétés cotées en bourse et réglementant les offres publiques d’acquisition (art. 8) ; la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit (art. 24, § 5, et 25) ; le Code des sociétés (art. 131, 157, 160, 335, 340, 426, 516, 566, 637, 642, et 922 – Certaines des actions prévues par le Code des sociétés sont certes formées et instruites « comme en référé » mais n’ont pas d’autorité au principal : art. 317, 331, 426, 613, 684, 766 et 933) ; la loi du 20 juillet 2004 relative à certaines formes de gestion collective de portefeuilles d’investissement (art. 159, § 5) ; - Relevant de la compétence de la cour d’appel de Bruxelles : Jusqu’à ce que ces compétences soient, le cas échéant, transférées au Conseil de la concurrence conformément à l’article 32 de la loi du 10 juin 2006 instituant un Conseil de la concurrence, les recours contre les décisions de : l’Institut belge des postes et télécommunications (loi du 17 janvier 2003 concernant les recours et le traitement des litiges à l’occasion de la loi du 17 janvier 2003 relative au statut du régulateur des secteurs des postes et télécommunications), la Commission de régulation de l’électricité et du gaz (loi du 27 juillet 2005 organisant les voies de recours contre les décisions prises par la Commission de régulation de l’électricité et du gaz), l’autorité de régulation économique, visée à l’article 1, 6°, de l'arrêté royal du 27 mai 2004 relatif à la transformation de BIAC en société anonyme de droit privé et aux installations aéroportuaires. Par contre, les recours dont connaît la cour d’appel de Bruxelles en matière de surveillance financière ne sont pas instruits « selon les formes du référé » mais en vertu d'une procédure accélérée tout à fait spécifique (X. TATON, « Les procédures dérogatoires et accélérées en droit bancaire et financier », in Les actions en cessation, op. cit., p. 177, n° 32). Voy. ég. infra, note 396. (145) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ : le point sur les questions transversales de compétence et de procédure », in Les actions en cessation, op. cit., p. 11-28. Voy. ég. S. UHLIG, « Questions actuelles en matière de compétence », in Actualités et développements récents en droit judiciaire, CUP, Volume 70, Bruxelles, Larcier, 2004, p. 56-58; C. DALCQ, « Les actions ‘comme en référé’», in Le référé judiciaire, op. cit., p. 147-164. Restent également d’actualité les contributions suivantes: J.-F. van DROOGHENBROECK, « La nature et le régime de la compétence exercée ‘comme en référé’. L’exemple de l’action en dommages et intérêts », J.T., 1996, p. 554 et s.; G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en référé’ », in Le développement des procédures comme en référé, Bruxelles, Bruylant-Kluwer, 1994, p. 17 et s. et J. van COMPERNOLLE, « La rançon d’un succès : le développement des procédures ‘comme en référé’. Conclusions générales », ibidem, p. 207 et s. (146) Voy. ég. les diverses contributions publiées dans Les actions en cessation, J.-F. van DROOGHENBROECK (coord.) , CUP, Volume 87, Bruxelles, Larcier, 2006. 39 procédures 147. Dans le cadre de cet examen, on ne développera que quelques questions controversées ou d’actualité ; celles faisant l’objet de règles précises ou d’interprétations constantes ne feront que l’objet d’un simple rappel 148. Les règles propres aux procédures particulières seront, le cas échéant, étudiées dans le cadre des contributions qui leur sont consacrées dans ce volume. 4.1 Questions de recevabilité 58. Actions ordinaires, attitrées ou mixtes. Si de nombreuses actions exercées « selon les formes du référé » sont soumises aux règles ordinaires des articles 17 et 18 du Code judiciaire qui énoncent les conditions de l’action, d’autres constituent des actions « attitrées », c’est-à-dire que leur exercice est réservé à certains titulaires limitativement énoncés par la loi à l’exclusion des autres personnes physiques ou morales. Si tel est le cas, le demandeur doit justifier, sous peine de se voir opposer une fin de non-recevoir, de la qualité particulière qui lui permet d’agir. Par exemple, s’agissant de la loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination, l’action ne peut être introduite que par la victime de la prétendue discrimination ou par un groupement visé à l’article 31 de la loi 149. Certaines actions sont « mixtes », en ce sens qu’elles peuvent être exercées par tout intéressé mais également par certains acteurs déterminés 150. Dans cette hypothèse, la qualité en laquelle le demandeur agit est importante puisque, selon le cas, il peut être dispensé de démontrer son intérêt à agir 151. À l’inverse, s’il ne figure pas parmi les titulaires désignés par la (147) Cet exercice est particulièrement périlleux car ces procédures, d’une part, sont soumises chacune à des règles particulières qui dérogent, parfois de manière substantielle, aux règles de la procédure « en référé » organisée par les articles 1035 et s. du Code judiciaire et, d’autre part, poursuivent des objectifs fort différents (il y a ainsi peu de points communs entre une action en cessation d’une pratique illégale, une action en retrait d’une société anonyme et un recours dirigé contre une décision de l’I.B.P.T.). (148) Sur de nombreux points, on se permettra partant de renvoyer purement et simplement le lecteur aux études exhaustives précitées de Mmes Dalcq et Uhlig. (149) Prés. Comm. Anvers, 30 avril 2004, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2004, p. 264. Voy. S. et J.-F. van DROOGHENBROECK, « L’action en cessation de discriminations », in Les actions en cessation, op. cit., p. 360, n° 71. (150) Sur tout ceci, voy. C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 29-31. (151) Voy. par ex. s’agissant de la question de savoir quel est le ministre compétent pour agir en cessation en vertu de l’article 98 de la loi du 14 juillet 1991, Prés. Comm. Gand, 24 mai 2004, R.A.B.G., 2005, p. 961, note P. WYTINCK. 40 loi, il doit nécessairement justifier d’un intérêt direct et personnel 152. 59. Actions préventives ou déclaratoires. En vertu de l’article 18, alinéa 2, du Code judiciaire, l’action peut être admise lorsqu’elle a été intentée, même à titre déclaratoire, en vue de prévenir la violation d’un droit gravement menacé. Cette disposition, peu connue et utilisée dans la pratique, connaît certainement son plus grand nombre d’applications dans le cadre des compétences exercées « comme en référé » lorsqu’il convient de faire face à une menace actuelle et objective de litige. S’agissant des actions en cessation, il est désormais bien établi que l’action peut être introduite après que les faits litigieux ont pris fin dès lors que le risque de réitération n’est pas exclu 153. Il est également envisageable d’introduire une action en cessation préventive en vue de faire cesser une pratique qui n’a pas encore eu lieu mais dont le caractère imminent est certain 154. Par contre, la jurisprudence refuse qu’une demande de déclaration de conformité d’une pratique à une législation déterminée soit soumise à titre préventif au juge des cessations 155. (152) Lorsque la loi prévoit qu’une action est ouverte aux « intéressés », elle ne fait selon nous que renvoyer au droit commun des articles 17 et 18 du Code judiciaire sans exiger en outre la démonstration d’une qualité particulière dans le chef du demandeur. Avec A. PUTTEMANS (Droits intellectuels et concurrence déloyale, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 118, n° 76), on ne peut dès lors approuver la jurisprudence qui décide que seuls les vendeurs sont admis à agir en cessation d’une acte de concurrence déloyale (Voy. par ex. à propos de l’action en cessation intentée par le nu-propriétaire d’un fonds de commerce qui est déclarée non recevable parce que ce dernier ne possède pas la qualité de vendeur au sens de la loi du 14 juillet 1991, Prés. Comm. Neufchâteau, 24 septembre 2002, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2002, p. 718). (153) Voy. par ex. Prés. Comm. Nivelles, 2 juin 2000, A.J.T., 2001-02, p. 443, note P. DE VROEDE ; Prés. Comm. Courtrai, 16 septembre 2002, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2002, p. 650 ; H. DE BAUW, « Het bevel tot staken van inbreuken op de W.H.P.C. die een einde hebben genomen », in Liber amicorum Paul De Vroede, Tome II, Anvers, Kluwer, 1994, p. 387. Par contre, lorsqu’un tel risque n’est ni allégué, ni établi, l’action « ad futurum » est irrecevable (Bruxelles, 19 juin 2006, R.G. n°199/AR/247, inédit). (154) C. DALCQ, « Les actions ‘comme en référé’ », op. cit., p. 169. Voy. en matière de pratiques de commerce, J.-F. MICHEL, « Les actions en cessation en droit de la consommation », in Les actions en cessation, op. cit., p. 120 et les réf. citées et, en matière de lutte contre les discriminations, S. et J.-F. van DROOGHENBROECK, op. cit., p. 354, n° 62 et les réf. citées. (155) Voy. réc. Prés. Comm. Bruxelles, 9 décembre 2004, R.A.B.G., 2005, p. 966, et la note I. BUELENS, qui propose de reconnaître la possibilité d’une action déclaratoire négative lorsqu’il existe une menace sérieuse de contestation de la pratique concernée ; Bruxelles, 13 octobre 1995, J.T., 1996, p. 27 ; Ann. Prat. Comm.& Conc., 1996, p. 96, note A. PUTTEMANS. 41 4.2 Questions de compétence matérielle 4.2.1 Principes généraux 60. L’urgence est présumée. C’est un truisme que de rappeler que l’urgence est « légalement présumée » dans le cadre des procédures au fond organisées « selon les formes du référé » et qu’elle ne doit par conséquent être ni alléguée, ni a fortiori démontrée 156. Elle n’est pas une condition de compétence, de recevabilité 157 ou du bien-fondé de la demande formée comme en référé 158. 61. Nature et caractéristiques des compétences exercées « comme en référé ». Au terme d’une longue évolution qui puise ses origines dans les travaux de C. Cambier 159 et dans la jurisprudence de la Cour de cassation 160 au sujet de l’action en cessation devant le président du tribunal de commerce en matière de pratiques de commerce, doctrine et jurisprudence s’accordent aujourd’hui à considérer que la compétence du juge siégeant « comme en référé » est à la fois exclusive et restrictive 161. 62. Compétence exclusive. Le caractère exclusif de la compétence attribuée au juge siégeant « selon les formes du référé » signifie que celui-ci est seul compétent pour l’exercer de la manière prévue par la loi (156) Voy. J. van COMPERNOLLE, « La rançon d’un succès… », op. cit., p. 217, n° 18. (157) Prés. Comm. Gand, 24 mai 2004, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2004, p. 574. (158) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 60. (159) C. CAMBIER, Droit judiciaire civil, Tome II – La Compétence, Bruxelles, Larcier, 1981, p. 520, note (44). (160) Cass., 20 octobre 1972, Pas., 1973, I, 179 ; Cass., 16 novembre 1973, Pas., 1974, I, 295. (161) À l’origine, C. Cambier attribuait une double signification à l’exclusivité de la compétence du juge des cessations commerciales : « d’une part, l’action en cessation, avec les caractéristiques et les sanctions qui s’y attachent, ne peut être soumise à aucune autre juridiction ; d’autre part, le président ne peut exercer, comme juge des actions en cessation, aucun autre pouvoir » (op. cit., p. 520, note 44). À sa suite, J.-F. van DROOGHENBROECK a affiné la définition de ce deuxième attribut en le qualifiant de « restrictivité » de la compétence (« La nature et le régime… », op. cit., p. 555). Cette terminologie est aujourd’hui largement reprise par la doctrine, voy. not. C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 37 ; S. UHLIG, « Questions actuelles en matière de compétence », op. cit., p. 47. 42 et avec les attributs particuliers que celle-ci attache à sa décision 162. Cette exclusivité tient en échec les différents mécanismes de prorogation de compétence dont pourraient profiter les autres juridictions 163. Dégagée à propos de l’action en cessation en matière de pratiques du commerce et des conséquences très particulières qui s’y attachent 164, la règle doit cependant être bien comprise. Elle ne signifie pas qu’une demande identique, spécialement une demande de cessation, ne puisse pas être demandée au juge du fond ou au juge des référés. Sa portée est uniquement d’interdire à ces magistrats d’exercer cette compétence avec les attributs qui s’attachent légalement aux procédures « comme en référé » 165. Ainsi, il n’est nullement exclu qu’un ordre de cessation puisse être demandé au juge du fond à titre de réparation en nature. Mais cette décision, rendue à l’issue d’une procédure ordinaire, ne sera pas revêtue de l’autorité et des conséquences particulières qui sont celles des jugements rendus au principal « selon les formes du référé » 166. De même, il est concevable en cas d’urgence alléguée et démontrée de solliciter l’intervention du juge des référés ordinaire 167. Mais, dans ce cas également, la décision prononcée sera une ordonnance de référé qui ne portera pas préjudice au fond (art. 1039 C. jud.) 168. (162) G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 20, n° 5. (163) Voy. infra, n°64 et s. Par contre, une telle exclusivité ne fait pas obstacle par elle-même au caractère arbitrable du litige. Comp. en matière de pratiques du commerce, Prés. Comm. Bruxelles, 9 décembre 2004, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2004, p. 655, note E. MONARD (mais qui paraît fonder l’inarbitrabilité de la demande de cessation d’une publicité sur le caractère d’ordre public des dispositions de la loi du 14 juillet 1991). (164) Spécialement les sanctions pénales en cas de non-respect d’un ordre de cessation ainsi qu’une autorité de chose jugée du civil sur le pénal. (165) J. van COMPERNOLLE, « La rançon d’un succès… », op. cit., p. 213, n° 11. (166) J. LAENENS, « De vordering tot staking herbezocht », in De nieuwe wet handelspraktijken, Diegem, Kluwer, 1992, p. 154. (167) Prés. Comm. Courtrai, 21 décembre 2000, R.W., 2002-2003, p. 597 ; Prés. Comm. Hasselt, 24 mars 2000, I.R.D.I, 2000, p. 147. En cas d’absolue nécessité, il est également possible de saisir le président du tribunal de commerce par voie de requête unilatérale (art. 584, alinéa 3, C. jud.). Voy. supra, n° 41 et s. (168) J. LAENENS, « Overzicht van rechtspraak – De Bevoegdheid (1993-2000) », T.P.R., 2002, p. 1561, n° 108. 43 63. Compétence restrictive. À l’inverse, il est interdit au juge statuant « comme en référé » de connaître de demandes qui ne relèvent pas strictement de sa compétence d’attribution et ce, même en raison des règles autorisant la prorogation de compétence 169. Cette règle doit également être bien comprise. Elle signifie exclusivement que la juridiction siégeant « selon les formes du référé » ne peut exercer d’autres pouvoirs, c’est-à-dire connaître d’autres demandes que celles qui relèvent de sa compétence matérielle limitée 170. Elle ne lui interdit par conséquent pas d’acter la réserve d’une partie de réclamer ultérieurement des dommages-intérêts devant le juge du fond puisqu’il ne s’agit pas à proprement parler d’une demande mais d’un simple donné acte 171. Elle ne l’empêche pas non plus d’examiner un moyen de défense qui échappe à sa compétence « comme en référé » 172. Enfin, elle n’exclut pas non plus que le juge des cessations appelé à vérifier la (169) Voy. infra, n° 64 et s. (170) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 37 ; J. van COMPERNOLLE, « La rançon d’un succès… », op. cit., p. 214, n° 14. Ainsi, le président du tribunal de commerce saisi d’une demande fondée sur la loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination ne peut déclarer la nullité d’un acte juridique ou statuer sur une demande de remboursement (Prés. Comm. Bruxelles, 7 mars 2005, R.D.C., 2005, p. 675, note Y. Thiery). De même, le président siégeant comme en référé dans le cadre d’une procédure de retrait d’un actionnaire n’est pas compétent pour condamner le défendeur au paiement de dommages et intérêts, même par le biais d’une adaptation du prix des actions (Prés. Comm. Charleroi, 15 janvier 2001, R.D.C., 2001, p. 765). Le président connaissant d’une action en cessation en matière de pratiques du commerce ne peut pas prononcer la nullité du dépôt d’une marque et en ordonner la radiation (Prés. Comm. Gand, 6 décembre 2004, Ann. Prat. Comm.& Conc., 2004, p. 641). Il ne peut pas non plus faire droit à une demande de dommages et intérêts (Prés. Comm. Courtrai, 5 mai 2003, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2003, p. 184 ; Prés. Comm. Courtrai, 30 avril 2003, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2003, p. 791 ; Prés. Comm. Bruxelles, 5 décembre 2001, A. & M., 2001, p. 93). Il ne peut pas plus ordonner la cessation d’une faute contractuelle (Liège, 8 janvier 2004, J.L.M.B., 2004, p. 718). S’agissant plus largement des limites à la compétence du juge des cessations commerciales, voy. P. DE VROEDE et H. DE WULF, « Overzicht van rechtspraak. Algemeen handelsrecht en handelspraktijken 1998-2002 », T.P.R., 2005, p. 265-267, n° 285. (171) Voy. Prés. Comm. Courtrai, 30 avril 2003, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2003, p. 791 ; Gand, 15 novembre 2000, Ann. Prat. Comm & Conc., 2000, p. 455. Comp. ég. Prés. Comm. Mons, 13 janvier 2006, R.D.J.P., 2006, p. 85 (à propos des réserves formulées par le demandeur quant à la possibilité d’introduire une demande en cessation fondée sur d’autres actes de concurrence déloyale). Voy. contra, Prés. Comm. Hasselt, 26 janvier 2001, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2001, p. 517 à propos du donné acte à une partie de son intention de rendre certains biens. (172) Cass., 30 mai 1996, Pas., I, 552 ; Liège, 8 septembre 2005, R.D.C., 2006, p. 662. Contra, Bruxelles 3 avril 1998, R.D.C., 1999, p. 119, note critique A. Puttemans. Sur cette question, voy. A. PUTTEMANS, Droits intellectuels et concurrence déloyale, Bruxelles, 44 légalité d’un comportement autorisé par un acte administratif examine, à titre incident, sur pied de l’article 159 de la Constitution, la validité de cet acte 173. 4.2.2 Paralysie des mécanismes de prorogation de compétence et de jonction 64. Principe. Il est fermement établi 174 que le caractère exclusif et restrictif de la compétence du juge appelé à statuer « comme en référé » tient en échec les différents mécanismes de prorogation de compétence et de jonction prévus par le Code judiciaire 175. Une seule exception est admise s’agissant de l’article 563, alinéa 3, du Code pour les demandes reconventionnelles pour action téméraire ou vexatoire 176. 65. Les demandes incidentes. Le caractère exclusif de la compétence du juge du « comme en référé » s’oppose tout d’abord à ce qu’une autre juridiction puisse être saisie d’une demande incidente (nouvelle, Bruylant, 2000, p. 252-254, n° 154. Il ne faut cependant pas confondre moyen de défense invoqué à titre incident et demande reconventionnelle, ce que nous paraît faire le président du tribunal de commerce de Louvain lorsqu’il accepte de connaître, à titre reconventionnel, de la nullité d’une marque et la radiation de son inscription au motif qu’il s’agit d’un moyen de défense (Prés. Comm. Louvain, 4 novembre 2003, Ing.-Cons., 2003, p. 305). En d’autres termes, le juge des cessations peut par exemple examiner à titre incident la nullité de la marque invoquée par le demandeur mais ne peut pas prononcer l’annulation du brevet et ordonner sa radiation. Comp. à propos de la compétence exclusive pour connaître de la validité d’un brevet au regard de l’article 16-4 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 (art. 22-4 du règlement Bruxelles I), C.J.C.E., 13 juillet 2006, GAT c. Lamellen, C-4/03, inédit, qui décide que le chef de compétence exclusive trouve à s’appliquer que la question de la validité soit soulevée par voie d’action ou d’exception. (173) La solution est admise de manière constante dans le cadre de l’action en cessation créée en matière de protection de l’environnement par la loi du 12 janvier 1993, voy. F. TULKENS, « Le point sur l’action en cessation en matière d’environnement », in Les actions en cessation, op. cit., p. 88-89. Contra, Prés. Comm. Tongres, 18 janvier 2000, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2000, p. 463. (174) Voy. not. C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé », op. cit., p. 38 et s. ; G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 20, n° 6. (175) C’est-à-dire par les articles 563 (demande reconventionnelle), 564 (demande en intervention), 565 (litispendance), 566 (connexité) et 568 (compétence ordinaire du tribunal de première instance). (176) Voy. infra, n° 66. 45 reconventionnelle ou en intervention) qui relève des attributions de ce juge 177. À l’inverse, le caractère restrictif de sa compétence tient en échec les mécanismes de prorogation de compétence prévus par les articles 563 et 564 du Code judiciaire que le juge siégeant « selon les formes du référé » ne peut utiliser à son profit. Par conséquent, il ne peut statuer sur les demandes nouvelle, reconventionnelle et en intervention formées incidemment devant lui que si elles entrent elles-mêmes dans le champ de sa compétence matérielle limitée 178. Ainsi, le président du tribunal de commerce saisi d’une action en cession forcée n’est pas compétent pour connaître de la demande reconventionnelle tendant à la révocation pour cause d’ingratitude d’une donation consentie 179. De même le président du tribunal de commerce saisi d’une action en cessation fondée sur la loi du 14 juillet 1991 ne peut connaître de la demande reconventionnelle en annulation du dépôt d’une marque 180. 66. Le cas particulier de la demande reconventionnelle pour action téméraire et vexatoire. Cette dernière règle reçoit une exception en ce qui concerne la demande reconventionnelle en dommages et intérêts du chef de procédure téméraire et vexatoire (art. 563, alinéa 3, C. jud.). Doctrine 181 et jurisprudence 182 s’accordent en effet à considérer que le juge du « comme en référé » peut en connaître dès lors (177) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 40. Voy. par ex. Civ. Bruxelles (réf.), 25 janvier 2002, A. & M., 2004, p. 333 s’agissant d’une demande reconventionnelle fondée sur l’article 95 de la loi du 14 juillet 1991. (178) G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 20, n° 6. (179) Liège, 23 septembre 1999, J.L.M.B., 2000, p. 1289. (180) Prés. Comm. Mons, 9 novembre 2004, J.T., 2005, p. 152. Contra, Prés. Comm. Louvain, 4 novembre 2003, Ing.-Cons., 2003, p. 305. (181) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 33 et p. 42 ; J.-F. van DROOGHENBROECK, « La nature et le régime… », op. cit., p. 556 ; G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 24, n° 21. (182) Voy. par ex. Prés. Com. Hasselt, 11 octobre 1996, Ann. Prat. Comm. & Conc., 1996, p. 370 ; Anvers, 22 juin 1998, Ann. Prat. Comm. & Conc., 1998, p. 308. On fonde souvent cette solution sur l’arrêt de la Cour de cassation du 4 octobre 1979 (Pas., 1980, I, 157 ; R.D.C., 1981, p. 247, note J. Billiet). À notre avis, cet arrêt ne peut toutefois servir de fondement à cette exception dès lors que la Cour y confirme uniquement la possibilité pour la cour d’appel, connaissant d’un recours contre un jugement rendu par le président 46 qu’il est le mieux placé pour en apprécier le bien-fondé et que l’examen de cette demande n’est pas de nature à entraver l’efficacité de la procédure 183. 67. La litispendance. Le caractère exclusif de la compétence d’attribution exercée par le juge siégeant « comme en référé » fait par définition disparaître toute hypothèse de litispendance puisque celle-ci suppose que deux juges également compétents 184 soient saisis de demandes identiques 185. 68. La connexité. La connexité permet de joindre directement (art. 701 C. jud.) ou suite à un renvoi (art. 565 C. jud.) devant un juge des demandes qui relèvent en principe de la compétence de deux tribunaux différents. Le caractère exclusif de la compétence exercée « comme en référé » s’oppose ici aussi à ce qu’une autre juridiction que celle prévue par la loi puisse connaître, même par connexité, d’une demande relevant de cette compétence 186. Il fait également obstacle à ce que le juge siégeant « selon les formes du référé » puisse proroger sa compétence du tribunal de commerce siégeant « comme en référé », de condamner l’appelant du chef d’appel téméraire et vexatoire. Or, il ne fait aucun doute que la cour d’appel, dont les pouvoirs ne sont pas restreints comme ceux du président (voy. infra, n° 75), est compétente pour connaître d’une demande reconventionnelle ayant un tel objet. Il est plus hasardeux de déduire de l’arrêt du 4 octobre 1979 que la Cour de cassation aurait décidé qu’il en va de même s’agissant du président statuant au premier degré. (183) Comme le relevait C. Cambier (op. cit., p. 527, note 67), l’exception se justifie en réalité par le fait que « pareille demande se greffe sur l’action elle-même et y trouve sa cause. Elle n’implique aucune prorogation de compétence et est à traiter comme un accessoire indissociable du procès engagé ». (184) C. CAMBIER soulignait à ce propos que « là où il y a compétence exclusive il ne peut y avoir d’autre juridiction compétente que celle dont les pouvoirs sont, de la sorte, consacrés. La condition même imposée à la litispendance vient alors à manquer : les juridictions en concours ne sont pas également compétentes » (op. cit., p. 111, note 68). (185) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 43 ; Voy. ég. Prés. Civ. Bruxelles, 13 mars 2002, I.R.D.I., 2002, p. 124. On peut cependant envisager une litispendance territoriale dans la mesure où plusieurs juges appelés à statuer « selon les formes du référé » seraient compétents en vertu des règles de compétence territoriale (voy. infra, n° 77). (186) Il faut toutefois préciser que, dans un arrêt du 23 décembre 1988 (Pas., 1989, I, 469), la Cour de cassation a admis que le tribunal de première instance puisse connaître, en raison de la connexité, d’une demande subsidiaire relevant de la compétence exclusive du tribunal de commerce. Cet arrêt – isolé – semble avoir ainsi considéré que la prorogation du chef de connexité n’est pas tenue en échec par le caractère exclusif de la compétence, à 47 pour connaître d’une demande qui échappe en principe à sa compétence restrictive. Cette solution doit s’appliquer quelles que soient les juridictions et les compétences concernées. Ainsi, il ne peut y avoir théoriquement de connexité entre une demande introduite « en référé » et une demande formée « comme en référé » 187. Il ne peut pas non plus y avoir de connexité entre deux demandes relevant de la compétence « comme en référé » de deux juges tout le moins lorsque les demandes connexes sont portées devant le tribunal de première instance. Les conséquences à déduire de cet arrêt en ce qui concerne la matière examinée sont particulièrement délicates. Faut-il considérer que le tribunal de première instance pourrait connaître, par connexité, d’une demande relevant de la compétence exclusive du juge du comme en référé ? Cette hypothèse de prorogation de compétence peut-elle être étendue à d’autres tribunaux, voire au juge siégeant « comme en référé » lui-même ? (voy. sur ces questions, C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 44-45). (187) Bruxelles, 10 novembre 1998, A.M., 1999, p. 221. On sait toutefois que M. van Drooghenbroeck a suggéré que le demandeur puisse procéder, par jonction directe, à une double saisine du président siégeant « en référé » et « comme en référé » (« La nature et le régime… », op. cit., p. 556). En réalité, selon nous, les deux thèses sont en grande partie réconciliables sur un plan pratique. En effet, dans la solution qu’il préconise, M. van Drooghenbroeck admet qu’en toute hypothèse le président devra d’abord statuer sur la demande introduite « comme en référé » avec les attributs qui lui sont propres et que ce n’est qu’ensuite qu’il pourra statuer, le cas échéant, « en référé » pour ordonner, après avoir constaté l’urgence, les mesures auxquelles il ne peut pas faire droit en sa qualité du juge du « comme en référé ». À notre sens, la circonstance que le président entende les plaidoiries dans les deux causes formellement jointes ou dans les deux causes plaidées l’une après l’autre ou qu’il se prononce « matériellement » sur ces demandes dans une seule et même décision ou dans un jugement et une ordonnance séparés n’a en réalité pas beaucoup d’importance en terme d’efficacité. Le seul intérêt d’une jonction directe consisterait finalement dans la possibilité d’utiliser un seul et même acte introductif d’instance en lieu et place de deux citations distinctes. Mais lorsqu’on connaît les incertitudes qui demeurent au sujet de la possibilité de joindre diverses demandes dans un seul et même acte ainsi que de la sanction qui est applicable en cas de violation de l’article 701 du Code judiciaire (voy. J. ENGLEBERT, « Citations collectives et autres problèmes de procédure liés à l’action collective », in Les actions collectives devant les différentes juridictions, CUP, vol. 47, Liège, 2001, p. 129 et s.), il est en toute hypothèse à conseiller de privilégier l’utilisation de deux actes séparés. Reste enfin, il est vrai, que le procédé ne peut être théoriquement utilisé, à défaut de connexité, devant les juridictions qui, comme à Bruxelles ou Liège, tiennent des audiences séparées pour les actions en et comme en référé. Mais ceci peut encore être aisément contourné car il ne résulterait évidemment aucune irrégularité du fait que les causes « en référé » et « comme en référé » auraient été plaidées à une audience qui, selon le règlement du tribunal, serait consacrée à l’une ou à l’autre des actions. Voy. par ex., Prés. Comm. Liège, 19 mai 2006, n° R.F. 2995/05, inédit, qui décide, lors de l’audience consacrée à l’examen des actions « comme en référé », de requalifier la demande et d’en connaître comme juge des référés ordinaires. 48 différents 188. En cas de demandes connexes relevant de compétence d’un seul et même juge appelé à statuer « selon les formes du référé », celui-ci peut évidemment les rassembler le cas échéant d’office (art. 856, alinéa 2, C. jud.) 189. Enfin, il n’est pas possible de joindre, directement ou par renvoi, des demandes relevant de la compétence ordinaire de la juridiction commerciale et de celle du juge siégeant « selon les formes du référé ». Contrairement à ce qui est enseigné, cette dernière solution ne nous paraît pas résulter de l’autonomie propre des actions « comme en référé » 190 191 mais uniquement de l’exclusivité, dans la double signification rappelée ci-avant, de la compétence du juge statuant au fond mais dans l’urgence 192. (188) Contra, Prés. Comm. Bruxelles, 8 mars 2000, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2000, p. 549 ; S. UHLIG, « Questions actuelles en matière de compétence », op. cit., p. 51. Voy. ég. C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 43-45 qui analysent l’incidence de l’arrêt de la Cour de cassation du 23 décembre 1988 précité sur cette question. Selon nous, à supposer même que l’on considère, ce qui paraît très hasardeux, que cette décision permet d’éluder le caractère exclusif de la compétence d’un des juges concernés, il n’en reste pas moins que le caractère restrictif de la compétence du juge auquel les deux causes seraient soumises s’oppose encore à cette jonction. En d’autres termes, si l’obstacle déduit de l’exclusivité peut être levé, il demeure celui de la restrictivité. Comp. toutefois, S. Uhlig qui relève pertinemment que « les arguments développés par la doctrine pour dénier aux juges de la cessation le droit de connaître d’autres demandes que celles pour lesquelles leur compétence a été créée visent spécifiquement des demandes ‘classiques’ au fond et sont peu pertinents à l’égard d’une autre demande comme en référé » (« Questions actuelles en matière de compétence », op. cit., p. 49, note 144). (189) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 44. (190) C. DALCQ, « Les actions ‘comme en référé’ », op. cit., p. 182, n° 8 ; C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 43. (191) Voy. en effet Cass., 29 mai 1998, Pas., I, 667, qui admet l’existence d’une situation de litispendance entre une demande provisoire portée devant le juge fond en application de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire et la même demande pendante devant le juge des référés alors même que ces deux procédures sont généralement qualifiées d’autonomes l’une par rapport à l’autre. Il n’y a pas de raison de retenir une solution différente en cas de connexité entre le fond et le « comme en référé ». (192) Ceci implique à notre estime qu’il est possible de concevoir une connexité en degré d’appel entre le recours formé contre un jugement rendu par le président du tribunal de commerce siégeant « comme en référé » et un jugement rendu au fond par le tribunal de commerce. En effet, comme on le rappellera ci-après, à l’inverse des juges de la première instance, la cour d’appel bénéficie d’une compétence élargie qui lui permet de connaître au second degré de juridiction des deux types d’actions (voy. infra, n° 75). Voy. toutefois contra, Bruxelles, 8e chambre, 12 septembre 2005, n° 2004/AR/689, inédit, qui refuse de 49 69. Surséance à statuer. Comme C. Cambier le relevait déjà en 1981, l’absence de jonction pour connexité entraîne des instances parallèles qui peuvent conduire au prononcé de décisions contraires 193. Afin d’éviter tout risque de jugements inconciliables, certaines juridictions de fond 194 décident de surseoir à statuer dans l’attente de la décision du juge des cessations 195. Même si elle paraît justifiée par des motifs pragmatiques 196, une telle solution nous paraît critiquable car elle revient à créer un motif de surséance à statuer non prévu par la loi 197. En outre, les risques qu’elle prétend éviter sont en grande partie théoriques puisque la première décision rendue – qu’il s’agisse de celle « comme en référé », le plus vraisemblablement, ou de celle au fond ordinaire – aura autorité de chose jugée et pourra être invoquée 198 dans le cadre de la procédure non encore vidée 199. En outre, l’éventuelle contrariété joindre les deux appels aux motifs que « de ene zaak betreft een behandeling ten gronde volgens de gewone regels van rechtspleging, terwijl de andere zaak een behandeling zoals in kort geding uitmaakt ». La remarque se justifierait s’il pouvait apparaître que la jonction de deux causes est de nature à retarder l’examen de l’appel de la décision rendue comme en référé conformément au vœu de l’article 1066, alinéa 2, du Code judiciaire. Mais dès lors que, comme cela est fréquemment le cas, cette disposition n’est pas appliquée, on ne voit pas quelles autres règles légales feraient obstacle à ce que les deux causes soient jointes en degré d’appel, le cas échéant d’office par application de l’article 856, alinéa 2, du Code judiciaire (voy. sur ce point, X. TATON et F. DANIS, « Le ‘comme en référé’ et le fond ordinaire devant le même juge d’appel : la jonction pour connexité ou litispendance reste possible », à paraître à la R.D.C., 2006, n° 9). Ainsi, dans l’affaire précitée, l’arrêt concernant l’appel du jugement du tribunal de commerce a été rendu le même jour par la même chambre de la cour d’appel (Bruxelles, 8e chambre, 12 septembre 2005, R.G. n° 2003/AR/2528, inédit). (193) C. CAMBIER, op. cit., p. 528. (194) Et même certains présidents appelés à statuer comme en référé (voy. par ex. Prés. Comm. Bruxelles, 8 mars 2000, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2000, p. 549 qui envisage de surseoir à statuer dans l’attente de la décision du président du tribunal de première instance siégeant en cessation sur la base de la loi du 30 juin 1994). (195) Voy. Civ. Gand, 23 novembre 2001, I.R.D.I., 2002, p. 92 qui sursoit à statuer en attendant que l’appel contre le jugement comme en référé soit tranché par un arrêt ayant force de chose jugée. Une telle décision méconnaît selon nous le prescrit de l’article 26 du Code judiciaire. (196) Voy. C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 45, note 132 qui paraissent admettre la légalité du procédé. (197) Voy. ég. C. CAMBIER, op. cit., p. 258. (198) Si les délais pour conclure sont expirés, l’article 748, § 2, du Code judiciaire peut être mis en œuvre et si les débats ont déjà été clôturés, une requête en réouverture des débats peut être déposée par la partie la plus diligente (art. 772 C. jud.). (199) C. CAMBIER, op. cit., p. 528. Pour ces mêmes raisons, on ne peut approuver l’arrêt précité de la cour d’appel de Bruxelles (chambre, 12 septembre 2005, n° 2004/AR/689, inédit) qui déclare sans objet l’appel dirigé contre le jugement du 27 juin 50 pourra le cas échéant encore être effacée par la voie de l’appel qui sera soumis à un juge unique 200. 4.2.3 Le règlement des incidents 70. Moment et critère d’appréciation de la compétence matérielle. Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation 201, également applicable aux procédures « comme en référé », la compétence doit s’apprécier au moment de l’introduction de la demande et au regard de l’objet de la demande tel que formulé par le demandeur dans l’exploit introductif d’instance 202. Si au terme de cette vérification, le juge saisi « comme en référé » est d’avis que la demande (quelle qu’elle soit : subsidiaire, connexe, nouvelle, reconventionnelle ou en intervention) 203 ne relève pas de sa compétence d’attribution, il lui appartient de régler l’incident qui peut être de compétence ou de répartition. 71. Incident de compétence. Un incident de compétence au sens des articles 639 et s. du Code judiciaire se produit dans l’hypothèse où la demande paraît relever de la compétence d’une autre juridiction que 2000 du président du tribunal de commerce siégeant « comme en référé » dès lors qu’il a déjà statué sur l’appel des jugements des 3 octobre 2000 et 9 avril 2002 du tribunal de commerce rendus au fond dans la même cause. En effet, dans la mesure où la décision du président a autorité de chose jugée sur la procédure ordinaire au fond, le juge d’appel ne peut statuer d’abord sur l’appel dirigé contre la décision ultérieure du juge du fond sans avoir d’abord vidé l’appel dirigé contre le jugement du président du tribunal (voy. ég. X. TATON et F. DANIS, op. cit., n° 23). En effet, tant qu’elle n’a pas été réformée, cette dernière décision conserve son autorité de chose jugée (art. 26 C. jud.) et s’impose partant au juge d’appel. Ceci conduit à privilégier, sur le plan pratique, la jonction pour cause de connexité des deux appels (voy. supra, note 192). (200) Qui, le cas échéant, ordonnera la jonction des appels du chef de connexité. (201) Voy. le plus réc. Cass., 13 juin 2003, Pas., I, 1162. (202) Prés. Comm. Gand, 5 février 2001, T.G.R., 2001, p. 199 ; Bruxelles, 18 février 2002, R.W., 2003-2004, p. 1467 ; Prés. Comm. Hasselt, 22 novembre 2002, Limb. Rechtsl., 2003, p. 282, note E. MONARD ; Prés. Comm. Anvers, 6 novembre 2003, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2003, p. 815 ; Liège, 8 janvier 2004, J.L.M.B., 2004, p. 718. (203) L’incident peut donc concerner exclusivement une des demandes portées devant le juge. Il y aura le cas échéant lieu à disjonction et à renvoi de la seule demande qui échappe à la compétence de la juridiction saisie « comme en référé » (Sur cette possibilité, voy. C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 51). 51 celle qui a été saisie 204. Selon les cas, l’incident sera tranché par le juge saisi (art. 639 C. jud.) ou par le tribunal d’arrondissement (art. 640 C. jud.). 72. Incident de répartition. Lorsque la demande principale, subsidiaire, nouvelle, connexe, reconventionnelle ou en intervention ressort d’une autre chambre de la juridiction commerciale, il y a par contre uniquement lieu à un incident de répartition au sein de la juridiction concernée 205. Le règlement de cet incident est régi au premier degré par l’article 726 du Code judiciaire 206 et, en appel, par l’article 109, alinéa 2, du Code judiciaire qui renvoie à l’article 88, § 2, du même code. Par analogie avec cette dernière disposition, il nous semble que, bien que l’article 726 ne le prévoie pas expressément, l’incident doit être soulevé par le défendeur in limine litis, c’est-à-dire dans son premier acte de procédure (sans hiérarchie obligatoire entre les moyens de défense) 207 ou par le juge « à l’ouverture des débats ». Il sera tranché par le président de la juridiction qui distribuera la cause à la chambre compétente pour en connaître. Lorsque c’est le président du tribunal lui-même et non un juge faisant fonction qui préside la chambre des référés ou des actions « comme en référé », il n’y a pas d’obstacle à (204) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 52 ; G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 22, n° 12. (205) G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 22, n° 13. (206) Et non par l’article 88, § 2, qui ne concerne que le tribunal de première instance (Prés. Comm. Courtrai, 5 mai 2003, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2003, p. 184). C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 53 ; G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 22, n° 13. Voy. pour des applications récentes de l’article 726 au sujet de la demande en nullité du dépôt Benelux d’une marque portée devant le président du tribunal de commerce siégeant comme en référé en matière de pratiques de commerce, Prés. Comm. Mons, 9 novembre 2004, J.T., 2005, p. 152 ; Prés. Comm. Gand, 6 décembre 2004, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2004, p. 641. Voy. ég. à propos d’une demande de dommages et intérêts portée devant le président du tribunal de commerce siégeant en référé sur la base des articles 589, 1°, C. jud. et 95 de la loi du 14 juillet 1991, Prés. Comm. Courtrai, 5 mai 2003, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2003, p. 184. Contra, Prés. Comm. Liège, 19 mai 2006, R.F. n° 2995/05, inédit, qui considère à tort que l’article 726 du Code judiciaire régit exclusivement la distribution des causes au sein du tribunal de commerce et non les incidents de répartition. Le président ne tire pas ensuite les conséquences de cette décision puisqu’il se déclare incompétent mais sans renvoyer la cause au tribunal d’arrondissement. Il n’existe pourtant pas en droit judiciaire privé de constat d’incompétence sans renvoi au juge compétent. (207) Prés. Comm. Courtrai, 5 novembre 2001, D.A.O.R., 2002, n° 63, p. 307. 52 ce que, contrairement au tribunal de première instance 208, il statue immédiatement sur l’incident et se renvoie directement, par simple mention à la feuille d’audience, la cause à lui-même mais siégeant en une autre qualité. 73. Cas particulier de la saisine « en référé » en lieu et place de « comme en référé ». La jurisprudence démontre que, malgré les nombreuses études publiées sur le sujet 209, les plaideurs ou leurs huissiers commettent encore fréquemment des erreurs ou, à tout le moins, font preuve d’un manque de précision lors de la rédaction de l’acte introductif d’instance ou de l’inscription de la cause au rôle. Il est ainsi fréquent qu’une demande relevant de la compétence du juge saisi « comme en référé » soit portée devant le président siégeant « en référé » et inscrite au rôle spécial des référés ou, inversement, qu’une demande relevant de la compétence du juge des référés soit portée devant le président siégeant « comme en référé » après le paiement du droit de rôle ordinaire. Selon certains auteurs 210, il y aurait lieu de distinguer selon qu’il s’agit ou non d’une erreur matérielle 211. En cas de simple erreur de plume (par exemple, une action en cessation introduite par une citation qui mentionne erronément que le président est saisi « en référé » et inscrite au rôle des référés), il y aurait uniquement lieu à une rectification formelle ainsi qu’à une éventuelle régularisation des droits de mise au rôle 212. Cette solution – pragmatique et appliquée par le (208) Devant lequel il convient de respecter les exigences de l’article 88, § 2, du Code judiciaire, voy. A. FETTWEIS, « Une disposition légale souvent méconnue : l’article 88, § 2, du Code judiciaire », in Mélanges Jean Baugniet, Bruxelles, Fac. Dr. ULB, 1976, p. 279. En revanche, ces règles ne doivent pas être respectées lorsque c’est le président du tribunal de commerce qui tranche l’incident (Cass., 30 avril 1999, Pas., I, 613). Sur l’absence de justification objective de la différence de traitement entre le tribunal de première instance et le tribunal de commerce, voy. H. BOULARBAH, « La Cour d’arbitrage et le droit judiciaire privé », Rev. Dr. ULB, 2002-1, p. 300, n° 33. (209) Voy. not. les nombreuses références citées par J. ENGLEBERT, « La demande de diffusion d’une réponse dans la pression audiovisuelle (loi du 23 juin 1961). Questions de procédure », in Les actions en cessation, op. cit., p. 423 et s. (210) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 58. (211) Voy. ég. dans ce sens, Gand, 15 mai 1997, A.J.T., 1997-98, p. 155, note B. DE VUYST. (212) C. DALCQ et S. UHLIG, «Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’», op. cit., p. 58. 53 tribunal de première instance de Bruxelles 213 et récemment par le tribunal de commerce de Liège 214 – ne nous paraît pas légale. À notre sens, dès qu’un président est saisi « en référé » ou « comme en référé » d’une demande qui ne relève pas de la compétence en laquelle il est appelé à siéger, il y a lieu à un incident de répartition conformément à l’article 726 du Code judiciaire 215. Comme le relève J. Englebert, cette solution constitue en outre la seule voie de régler l’incident sans susciter des difficultés irrémédiables au regard de la saisine du juge saisi « en référé » d’une demande relevant de sa compétence « comme en référé » 216. Pour trancher cet incident, le président aura égard, conformément aux règles rappelées ci-dessus, à la demande telle que qualifiée par le demandeur dans la citation sans se limiter, cela va de soi, au seul intitulé de la citation ou à la qualité en laquelle il est saisi mais en vérifiant quelles sont les mesures postulées ainsi que les motifs qui les justifient 217. 74. Obligation pour le juge de régler l’incident. Dans tous les cas, il est exclu que le juge se borne à constater que la cause ne relève pas de sa compétence matérielle sans mettre en œuvre les mécanismes de règlement prévus par la loi à cet effet 218. On ne peut dès lors approuver les décisions qui constatent l’incompétence du juge saisi comme en référé pour connaître de la cause sans renvoyer celle-ci au juge compétent, au tribunal d’arrondissement ou encore au président chargé (213) Civ. Bruxelles (réf.), 10 septembre 1997, J.L.M.B., 1999, p. 893 ; Civ. Bruxelles (réf.), 2 octobre 1997, J.L.M.B., 1999, p. 895 ; Civ. Bruxelles (réf.), 27 avril 1999, J.L.M.B., 1999, p. 897, note F. Jongen. (214) Prés. Comm. Liège, 19 mai 2006, R.F. n° 2995/05, inédit. (215) H. BOULARBAH, «L’introduction de l’instance et la notification», in Le point sur les procédures (2e partie), CUP, Volume 43, Liège, 2000, p. 72, n° 23 ; J. ENGLEBERT, « La demande de diffusion… », op. cit., p. 426-429, n° 35-38. (216) J. ENGLEBERT, « La demande de diffusion… », op. cit., p. 429-439, n° 39-50. L’auteur y démontre qu’à défaut de règlement de l’incident de répartition, le juge connaissant « en référé » d’une demande relevant de sa compétence « comme en référé » n’est pas valablement saisi dès lors que les droits de mise au rôle dus pour une telle demande au fond n’ont pas été correctement réglés avant l’audience d’introduction (voy. aussi, infra, n° 80). (217) Voy. par ex. Prés. Comm. Hasselt, 17 mars 2000, I.R.D.I., 2000, p. 143. (218) C. DALCQ et S. UHLIG, «Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’», op. cit., p. 49 ; Bruxelles, 18 février 2002, R.W., 2003-2004, p. 1467. 54 de trancher l’incident de répartition 219. 75. Sort des incidents de compétence en degré d’appel. Au second degré de juridiction, le caractère restrictif de la compétence « comme en référé » disparaît puisque la cour d’appel est également le juge d’appel du juge ordinaire. « La cour d’appel, juge d’appel des jugements des tribunaux de première instance et de commerce et des décisions de leurs présidents respectifs dispose d’une compétence élargie qui, en raison de l’effet dévolutif de l’appel, lui permet de se prononcer au fond dès que la cause qui lui est soumise relevait en première instance de la compétence d’une de ces juridictions » 220. Partant, elle peut connaître de la demande portée en première instance devant le juge saisi « comme en référé » même si ce dernier n’était pas compétent pour en connaître 221. Dans un arrêt du 8 janvier 2004, la cour d’appel de Liège s’est prononcée sur le sort de la demande nouvelle formée en degré d’appel sur pied de l’article 95 de la loi du 14 juillet 1991 alors qu’en première instance, la demande originaire avait été formée en référé ordinaire devant le président du tribunal de commerce 222. Après avoir constaté que cette demande était devenue sans objet dès lors que l’urgence avait disparu, la cour a déclaré la demande nouvelle irrecevable dès lors qu’elle relève de la compétence exclusive du président du tribunal de commerce. Cette solution nous paraît critiquable. Dès lors qu’elle répondait aux conditions de l’article 807 du Code judiciaire, cette demande incidente était bien évidemment recevable. La cour d’appel (219) Voy. par ex. réc. Prés. Comm. Liège, 19 mai 2006, n° R.F. 2995/05, inédit, qui, bien que siégeant « comme en référé », estime avoir en réalité été saisi « en référé » et se déclare partant incompétent pour connaître de la demande reconventionnelle relevant de la compétence du président siégeant « comme en référé » mais sans renvoyer la cause au juge compétent ni mettre en œuvre les mécanismes de règlement de l’incident. Voy. ég. Prés. Comm. Malines, 13 octobre 1994, Ann. Prat. Comm. & Conc., 1994, p. 474, qui fonde cette solution sur le fait qu’il est saisi de deux demandes connexes, dont une partie est de sa compétence et une autre non, qui ne peuvent être scindées. (220) H. BOULARBAH, « L’effet dévolutif de l’appel et le sort en degré d’appel des déclinatoires de la compétence du juge siégeant en référé et comme en référé en matière commerciale », R.D.C., 1999, p. 103, n° 17 ; X. TATON et F. DANIS, op. cit., n° 13. (221) Bruxelles, 18 février 2002, R.W., 2003-2004, p. 1467 à propos d’une action en cession forcée basée sur un contrat de reprise d’actions ; Liège, 8 janvier 2004, J.L.M.B., 2004, p. 718, à propos d’une action en cessation basée sur un contrat de cession de fonds de commerce ; Bruxelles, 3 avril 1998, R.D.C., 1999, p. 119 à propos de la validité d’une marque. (222) Liège, 8 janvier 2004, J.L.M.B., 2004, p. 721. 55 était à notre sens compétente pour en connaître dès lors qu’il lui appartenait, en vertu de l’article 643 du Code judiciaire, de la renvoyer au juge d’appel compétent, soit elle-même 223. 4.3 Questions de compétence territoriale 76. Compétence internationale. La compétence internationale du juge siégeant comme en référé doit d’abord être vérifiée, lorsque le défendeur a son domicile dans un État membre de l’Union européenne, au regard du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000, dit « Bruxelles I » 224. Lorsque ni ce règlement, ni aucun autre instrument international ou national spécifique ne trouvent à s’appliquer, le pouvoir de juridiction des cours et tribunaux belges est déterminé par le Code de droit international privé 225. 77. Compétence interne. S’agissant de la compétence territoriale sur le plan interne, il faut distinguer selon qu’il existe ou non des règles spécifiques dans la procédure concernée. C’est notamment le cas en matière de droit des sociétés 226 et de droit financier 227 ou encore pour les actions en cessation intracommunautaires 228. En l’absence de dispositions dérogatoires, il y a lieu d’appliquer le droit commun de l’article 624 du Code judiciaire 229, lequel offre des possibilités très larges. Le demandeur peut notamment porter son action devant le juge (223) H. BOULARBAH, « L’effet dévolutif… », op. cit., p. 103, n° 17. Voy. dans ce sens, Anvers, 5e ch., 19 décembre 1995, inédit, A.R. 280/93, rapporté par l’auteur. (224) Voy. par ex. Prés. Comm. Termonde, 3 janvier 2000, R.D.C., 2000, p. 242, note P. WAUTELET ; Prés. Comm. Hassett, 3 novembre 2000, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2000, p. 586 ; Prés. Comm. Bruxelles, 8 novembre 2000, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2000, p. 596 ; Prés. Comm. Courtrai, 5 novembre 2001, D.A.O.R., 2002, n° 63, p. 307, tous rendus à propos de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 qui a été remplacée par le règlement « Bruxelles I » dont l’article 5-3, souvent appliqué en matière de cessation, revêt la même portée que l’article 5-3 de la Convention de Bruxelles. (225) Sur l’application de ce code aux matières commerciales, voy. les diverses contributions publiées dans le numéro de juin 2005 de la Revue de droit commercial belge, p. 607 et s. (226) Voy. par ex. art. 637 C. soc., qui prévoit la compétence du président du tribunal de commerce dans le ressort duquel la société concernée a son siège social. (227) Voy. art. 8 de la loi du 2 mars 1989 relative aux offres publiques d’acquisition et 516, § 2, C. Soc. (228) Art. 6 de la loi du 26 mai 2002, qui prévoit la compétence du président du tribunal de commerce de Bruxelles (Prés. Comm. Bruxelles, 6 décembre 2004, J.T., 2005, p. 343). (229) G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 21, n° 7. Sur l’application des règles de droit commun en matière de 56 du domicile du défendeur mais aussi devant celui du lieu où les obligations sur lesquelles porte le litige, ou l’une d’entre elles, sont nées ou bien sont ou doivent être exécutées 230. En matière de cessation, ceci vise le ou les lieux où la pratique commerciale concernée a été posée ou sort ses effets ainsi que le lieu ou les lieux où l’obligation de cessation est née 231. La demande peut encore être portée devant le juge du lieu où se produisent les conséquences préjudiciables des actes attaqués 232. Selon une partie de la doctrine, le juge appelé à statuer « comme en référé » pourrait également être celui du lieu où la mesure doit être exécutée 233 par analogie avec la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la compétence territoriale en matière de référé 234. 4.4 Questions de procédure 78. Modes d’introduction. En règle, les actions exercées « selon les formes du référé » sont introduites par citation conformément au droit commun de l’article 1035, alinéa 1er, du Code judiciaire 235. pratiques du commerce, voy. P. DE VROEDE et H. DE WULF, op. cit., T.P.R., 2005, p. 294, n° 342-345. (230) Prés. Comm. Gand, 6 décembre 2004, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2004, p. 641 ; Prés. Comm. Courtrai, 30 avril 2003, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2003, p. 791. (231) Prés. Comm. Courtrai, 5 novembre 2001, D.A.O.R., 2002, n° 63, p. 307. (232) Voy. Prés. Comm. Courtrai, 5 novembre 2001, D.A.O.R., 2002, n° 63, p. 307 ; Prés. Comm. Hasselt, 15 avril 2005, Ing.-Cons., 2005, p. 167 ; Prés. Comm. Gand, 6 décembre 2004, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2004, p. 641. Contra, Prés. Comm. Gand, 7 janvier 2002, T.G.R., 2002, p. 230. (233) Une divergence semble toutefois exister parmi les auteurs sur le caractère complémentaire (G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 21, n° 8) ou, en revanche, exclusif (C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 49 et « Questions actuelles en matière de compétence », op. cit., p. 51) de la compétence du juge du lieu où la mesure doit être exécutée. Il nous paraît que, si l’on pousse jusqu’au bout l’analogie avec le référé, il ne peut s’agir là que d’un chef de compétence supplémentaire qui n’empêche pas le recours aux fors prévus par l’article 624 du Code judiciaire. (234) Voy. Cass., 22 décembre 1989, Pas., 1990, I, 504 et les conclusions du ministère public publiées dans Arr. Cass., 1989-1990, p. 564. (235) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 54 ; G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 27, n° 31. 57 Mais certaines législations prévoient la possibilité d’utiliser concurremment ou exclusivement la requête contradictoire 236. La jurisprudence a eu l’occasion de rappeler que le non-respect des règles de forme prévues par ces réglementations particulières est soumis au droit commun des articles 860 et s. du Code judiciaire 237 238. 79. Délai de citation. Conformément au droit commun, le délai de citation est en règle celui prévu par l’article 1035, alinéa 2, du Code judiciaire, soit deux jours au moins 239. Il est susceptible de prolongation lorsque le défendeur n’a ni domicile, ni résidence, ni domicile élu en Belgique. En vertu de l’article 1036, ce délai peut, sur requête unilatérale du demandeur, être abrégé lorsque le cas requiert célérité. Certaines procédures particulières prévoient des délais qui dérogent au droit commun, notamment lorsqu’elles autorisent l’introduction par voie de requête contradictoire. Ainsi, l’article 100, alinéa 3, de la loi du 14 juillet 1991 prévoit que le greffier du tribunal de commerce « avertit sans délai la partie adverse par pli judiciaire et l’invite à comparaître au plus tôt trois jours, au plus tard huit jours après l’envoi du pli judiciaire ». Bien que cela ne soit pas prévu par la loi, le président du tribunal de commerce de Bruxelles a considéré que lorsque le défendeur est domicilié à l’étranger ce délai doit être prolongé conformément à l’article 55 du Code judiciaire 240. La même juridiction (236) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 55 ; G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 28, n° 32. (237) Sur ce que les articles 860 et s. du Code judiciaire s’appliquent en cas de non-respect des mentions d’une requête prescrites à peine de nullité par une législation particulière, voy. Cass., 24 mars 2003, Pas., I, 598. (238) Prés. Comm. Bruxelles, 9 juillet 2004, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2004, p. 582 ; Prés. Comm. Hasselt, 6 juillet 2000, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2000, p. 175. Comp. à propos d’une requête non datée, Prés. Comm. Bruxelles, 12 mai 2004, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2004, p. 735 qui considère, à tort selon nous, que le cachet apposé par le greffe sur l’acte ne permet pas de régulariser l’omission. (239) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 56. (240) Prés. Comm. Bruxelles, 9 juillet 2004, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2004, p. 582. Cette solution nous paraît critiquable dès lors que la prolongation des délais visée à l’article 55 du Code judiciaire n’a lieu que lorsque la loi le prévoit expressément. Or, si l’article 1035 du Code judiciaire prévoit une telle prolongation s’agissant du délai de citation de deux jours, l’article 100, alinéa 3, de la loi du 14 juillet 1991 ne contient pas de précision similaire. 58 a également décidé que ce délai n’est pas prescrit à peine de nullité 241. 80. Mise au rôle. La question de savoir si les actions « comme en référé » doivent être inscrites au rôle général de la juridiction ou au rôle spécial des référés a été discutée en doctrine 242. La pratique des greffes ainsi que la majorité de la doctrine et de la jurisprudence sont fixées en ce sens que la cause doit être inscrite au rôle ordinaire et faire l’objet des droits complets 243. Demeure dès lors une controverse sur la sanction applicable en cas d’inscription de la cause formée « comme en référé » au rôle des référés plutôt qu’au rôle général 244. La jurisprudence se prononce généralement en faveur de la régularisation de la procédure par le paiement du complément des droits de mise au rôle 245. En réalité, deux situations paraissent devoir être distinguées. La première vise le cas où le demandeur voulant agir devant le juge du « comme en référé » cite erronément « en référé », fait inscrire la cause au rôle particulier des référés et introduit la cause devant la chambre qui, selon le règlement du tribunal saisi, connaît des actions « en référé ». Comme on l’a déjà relevé 246, ce problème doit être résolu sous la forme d’un incident de répartition 247 et non par une correction matérielle de la citation suivie d’une régularisation des droits de rôle. La seconde hypothèse, plus rare, est celle où le demandeur saisit le juge « comme en référé », inscrit la cause au rôle général mais en refusant de payer les droits ordinaires. Dans ce cas, il faut considérer avec J. Englebert que la citation est de nul (241) Prés. Comm. Bruxelles, 9 juillet 2004, Ann. Prat. Comm. & Conc., 2004, p. 582. Cette solution est également critiquable dès lors que l’article 710 du Code judiciaire qui constitue le droit commun des procédures (art. 2 C. jud.) prévoit que « les délais fixés pour les citations sont prescrits à peine de nullité » et que « la même règle est applicable aux autres formes de convocations prévues par la loi ». Or, l’article 100, alinéa 3, de la loi du 14 juillet 1991 constitue une forme de convocation prévue par la loi au sens de cette disposition. (242) Voy. J.-F. van DROOGHENBROECK, « L’inscription de l’action en cessation, formée et instruite selon les formes du référé : quand la mise au rôle appelle une mise au point », R.D.C., 1995, p. 272-280. (243) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 57. (244) Voy. J. ENGLEBERT, « La demande de diffusion… », op. cit., p. 430, n° 40. (245) Civ. Bruxelles (réf.), 27 avril 1999, J.L.M.B., 1999, p. 897, note F. Jongen ; Prés. Comm. Namur, 30 septembre 1998, J.T., 1999, p. 139 (il faut préciser que dans cette affaire le demandeur avait décidé de modifier en cours d’instance sa demande en référé pour la transformer en une demande en cessation au fond). (246) Supra, n° 73. (247) Suite auquel la cause est distribuée « sans frais » à la chambre compétente de la juridiction saisie. 59 effet sans régularisation possible 248. 81. Mesures avant dire droit. Comme on le développera ci-après 249, le juge siégeant « comme en référé » peut, à l’instar de toute autre juridiction, faire usage de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire et décider de mesures avant dire droit. Il peut ainsi prononcer un ordre de cessation provisoire, décréter la suspension des droits attachés aux actions dont la cession forcée est demandée, ordonner des mesures d’instruction 250… 82. Mise en état. La mise en état devant le juge appelé à statuer « comme en référé » se déroule selon les règles applicables pour le référé. Le cas échéant, il est envisageable de recourir à l’application des articles 747 et 748 du Code judiciaire 251. 83. Inapplication ou renversement de la règle selon laquelle « le criminel tient le civil en état ». Certaines législations, spécialement celles instituant des actions en cessation, prévoient un renversement de la règle suivant laquelle « le criminel tient le civil en état ». Dans ces hypothèses, le juge pénal est en effet tenu par ce qui a été décidé par le juge siégeant « comme en référé » 252. Ce n’est toutefois pas le cas de toutes les procédures exercées « selon les formes du référé » en sorte qu’il y a lieu dans chaque cas de procéder à une vérification préalable de (248) J. ENGLEBERT, « La demande de diffusion… », op. cit., p. 430, n° 40. (249) Infra, n° 92. (250) G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 29, n° 38 qui rappelle que, conformément à l’article 1038 du Code judiciaire, le juge siégeant « comme en référé » pourra abréger tous les délais de procédure prévus par le Code judiciaire pour l’exécution des mesures d’instruction. (251) Comp. C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 59-60 qui paraissent exclure, de manière difficilement compréhensible, l’application de ces dispositions au premier degré de juridiction mais l’admettre pour l’appel. En réalité, l’application – déformalisée – des articles 747 et 748 du Code judiciaire n’est nullement incompatible avec une procédure abrégée ou urgente (H. BOULARBAH, « Questions d’actualité relatives aux débats succincts », in Actualités et développements récents en droit judiciaire, CUP, Volume 70, Bruxelles, Larcier, 2004, p. 99, n° 19). (252) G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 33, n° 51. 60 l’existence d’une dérogation au droit commun 253, laquelle doit nécessairement être expresse. Par exemple, il n’est pas dérogé à la règle générale dans le cadre de la procédure de cession forcée d’actions 254. 84. Questions préjudicielles. Depuis la modification, par la loi du 9 mars 2003, de l’article 26, § 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d’arbitrage, il ne fait plus de doute que le juge siégeant « comme en référé » est, comme tout autre juge appelé à statuer au fond, tenu de poser une question préjudicielle sauf lorsqu’il se trouve dans l’un des cas de dispense prévus par le § 2 de cette disposition 255. Ce même juge peut également poser, le cas échéant, une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes ou à la Cour de justice Benelux. Si cela se justifie eu égard aux circonstances de la cause, le juge peut prendre des mesures avant dire droit sur pied de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire afin d’aménager la situation des parties dans l’attente de la réponse à la question posée 256. (253) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 64. (254) Bruxelles, 26 septembre 2000, J.L.M.B., 2001, p. 820. (255) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 63. (256) Voy. infra, n° 98 et s. 61 4.5 Le jugement comme en référé 85. Autorité de chose jugée au principal. Le jugement prononcé par le juge siégeant « comme en référé » possède une pleine et entière autorité de chose jugée au sens des articles 1350, 3°, du Code civil et des articles 23 et s. du Code judiciaire 257. L’on enseigne souvent que la décision rendue « dans les formes du référé », en tout cas par un juge des cessations, devrait en outre se voir reconnaître une autorité de chose jugée erga omnes relativement aux faits ayant donné lieu à l’action 258. Cette doctrine peut être approuvée si elle entend viser par cette expression le fait que la décision s’imposera à toutes les juridictions appelées à statuer ultérieurement sur le litige 259 et que, dans certains cas, elle s’imposera également au juge pénal. À notre sens, il ne peut en aucun cas s’agir d’une autorité de chose jugée absolue au sens propre du terme, c’est-à-dire impliquant que la décision ne pourrait plus être remise en cause par des tiers au procès, à l’égard desquels elle aurait par conséquent la valeur d’une présomption irréfragable. Une telle solution serait évidemment contraire à l’article 6 de la CEDH 260. En cas d’instances parallèles au fond et « comme en référé », le juge du fond, qu’il s’agisse de celui du premier degré ou du juge d’appel 261, devra partant respecter l’autorité qui s’attache au jugement rendu « selon les formes du référé ». 86. Exécution par provision. Soit en vertu de dispositions expresses qui, le cas échéant, suppriment également la caution 262, soit en vertu d’un renvoi implicite mais certain au droit commun de l’article 1039, (257) Cass., 15 décembre 1978, Pas., 1979, I, 460 ; X. TATON et F. DANIS, op. cit., n° 4 ; C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 61 ; G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 32, n° 46. (258) J. van COMPERNOLLE, « La rançon d’un succès… », op. cit., p. 212, n° 10 et p. 218, n° 21. Voy. ég. mais avec une très importante nuance, J.-F. van DROOGHENBROECK, « La nature et le régime… », op. cit., p. 554 et p. 555, note 17. (259) J.-F. van DROOGHENBROECK, « La nature et le régime… », op. cit., p. 555. (260) Comp. C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 61 qui écrivent que « l’autorité erga omnes de telles décisions devra être conciliée avec le respect des droits de la défense des parties qui n’étaient pas à la cause dans le cadre de la procédure ‘comme en référé’ ». (261) X. TATON et F. DANIS, op. cit., n° 21. (262) G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 32, n° 48. 62 alinéa 1er, du Code judiciaire 263, le jugement rendu « selon les formes du référé » est de plein droit revêtu de l’exécution provisoire. Il n’est partant pas nécessaire que celle-ci soit sollicitée par une partie ou ordonnée expressément par le juge 264. Cette exécution provisoire ne peut en outre être suspendue par le juge d’appel 265. Dans certaines législations particulières, il est fait exception au caractère exécutoire par provision de la décision de première instance 266. Enfin, à défaut d’exclusion expresse, le cantonnement reste de droit, ce qui peut être utile lorsque le juge siégeant « comme en référé » assortit d’astreintes la condamnation principale 267. 4.6 Les voies de recours 87. Application du droit commun. Les recours contre les jugements rendus « selon les formes du référé » sont largement soumis au droit commun 268. On relève toutefois quelques particularités dans certaines procédures spécifiques. Ainsi, l’article 220, § 5, de la loi du 4 décembre 1990 prévoit une dérogation en ce qui concerne le taux du ressort 269. Dans d’autres cas, certaines des décisions rendues par le juge siégeant « comme en référé » ne sont pas susceptibles de recours 270. (263) J. van COMPERNOLLE, « La rançon d’un succès… », op. cit., p. 218, n° 22. (264) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 62 ; G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 32, n° 49. (265) C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ », op. cit., p. 62. (266) Art. 221, § 4, in fine, de la loi du 4 décembre 1990 s’agissant des mesures de publicité qui accompagnent la décision (voy. X. TATON, «Les procédures dérogatoires…», op. cit., p. 175, n° 29). (267) C. DALCQ et S. UHLIG, «Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’», op. cit., p. 62 qui rappellent que le juge d’appel peut être saisi, avant dire droit, d’une demande tendant à la suppression de ce cantonnement ou, au contraire, à son rétablissement. Cette demande doit être traitée avec célérité par le juge d’appel avant même qu’il statue sur un déclinatoire de compétence dont il est saisi et qui est fondé sur l’incompétence du premier juge (Cass., 17 mars 2005, J.L.M.B., 2005, p. 1314). (268) C. DALCQ et S. UHLIG, «Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’», op. cit., p. 65. (269) Voy. X. TATON, «Les procédures dérogatoires…», op. cit., p. 176, n° 30. (270) Voy. par ex. dans le cadre de la procédure de cession forcée, la décision avant dire droit du président du tribunal de commerce faisant interdiction au défendeur d’aliéner ses titres ou suspendant les droits attachés aux actions (art. 638 C. soc.). Il en va évidemment de même lorsque le contentieux est directement confié à la cour d’appel elle-même 63 88. Débats succincts en degré d’appel. Sauf accord des parties, il convient en principe de faire application en degré d’appel de la procédure des débats succincts assimilés (1066, alinéa 2, C. jud.) 271. 4.7 Interruption de la prescription 89. Interruption limitée à la demande portée devant le juge statuant « comme en référé ». La demande formée au fond mais « dans les formes du référé » interrompt la prescription pour la demande qu’elle contient ainsi que les demandes qui y sont virtuellement comprises 272. Compte tenu de la nature restrictive de la compétence du juge statuant « comme en référé », il faut considérer que la citation donnée devant cette juridiction n’interrompt la prescription que pour les demandes qui relèvent de sa compétence limitée et non pour des demandes connexes qui pourraient être formées ultérieurement devant un autre juge. On ne peut en d’autres termes considérer que ces demandes seraient virtuellement comprises dans la demande introductive d’instance portée devant la juridiction appelée à se prononcer « selon les formes du référé ». Ainsi, une demande en cessation n’interrompt pas la prescription de l’action en paiement de dommages et intérêts fondée sur les actes dont la cessation est demandée et ensuite prononcée par le président du tribunal de commerce. 90. Réserves. Relevons encore que le fait qu’une partie ait demandé au juge siégeant « comme en référé » d’acter qu’elle se réserve de demander ultérieurement des dommages et intérêts devant le juge du fond compétent n’interrompt pas non plus la prescription de cette (C. DALCQ et S. UHLIG, «Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’», op. cit., p. 66). (271) H. BOULARBAH, « L’effet dévolutif… », op. cit., p. 103, n° 16 ; G. CLOSSET-MARCHAL, « Éléments communs aux procédures ‘comme en référé’ », op. cit., p. 35, n° 61 ; J. van COMPERNOLLE, « La rançon d’un succès… », op. cit., p. 219, n° 2.4. (272) Voy. not. Cass., 24 avril 1992, Pas., I, 745 ; Cass., 10 janvier 1992, Pas., I, 403. 64 action 273. 91. Interruption de la prescription de la demande portée à tort devant le juge du « comme en référé ». Par contre, si une demande est introduite devant le président du tribunal siégeant « comme en référé » mais que ce dernier n’est pas compétent pour en connaître, elle produit néanmoins un effet interruptif puisque selon l’article 2246 du Code civil, la citation en justice, donnée même devant un juge incompétent, interrompt la prescription. 5. Les mesures avant dire droit devant les juridictions commerciales — Le provisoire dans les formes du fond 5.1 Introduction – rappel de quelques principes 92. Principe. Comme tout autre juge, les juridictions commerciales, appelées à statuer au fond, selon la procédure ordinaire ou, comme cela vient d’être exposé, selon les formes du référé 274, peuvent recourir à l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire afin de prononcer des mesures « avant dire droit » 275. Il s’agit là d’une compétence « incidente » 276 qui permet au juge du fond d’adopter des mesures préalables destinées soit à instruire la demande, soit à régler provisoirement la situation des parties. Les avantages de cette voie procédurale ont été mis en exergue à (273) Cass., 3 juin 1991, Pas., I, 867, avec les concl. de M. le premier avocat général, alors avocat général, J.-F. LECLERCQ. (274) Sur ce que l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire s’applique également au juge des cessations, voy. par ex. Bruxelles, 17 septembre 1997, R.D.C., 1999, p. 250 (qui précise toutefois que c’est uniquement à la condition que la mesure provisoire relève de sa compétence matérielle, laquelle est restrictive, voy. supra, n° 63) (275) Outre les ouvrages généraux, les études de référence en la matière restent celles de D. LINDEMANS, « Voorlopige maatregelen door de rechter ten gronde : art. 19 Ger.W. », R.D.C., 1989, p. 218 et s., de P. LEMMENS, « De voorlopige regeling van de toestand der partijen door de rechter ten gronde na een behandeling ter inleidende zitting », R.W., 1984-85, col. 2011-2016 et A.-C. VAN GYSEL, « Le référé est les autres mesures provisoires (spécialement en matière familiale) : unité ou diversité ? », Rev. Dr. ULB, 1993, p. 95 et s. Comme l’ont relevé ces auteurs, les travaux préparatoires du Code judiciaire et, en particulier, le rapport du Commissaire royal à la réforme judiciaire ne contiennent guère de développements sur cette question mais se limitent à renvoyer aux solutions admises sous l’empire du Code de procédure civile et à faire référence spécialement à l’étude de J. GILSON, « Provision et provisoire », Pand. Pér., 1930, p. 613 et s., elle-même essentiellement basée sur les anciens travaux de Pigeau. (276) J. van COMPERNOLLE, « Introduction générale », in Les mesures provisoires en droit belge, français et italien, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 8. 65 de nombreuses reprises : limitation des procédures (et donc des frais), pas d’urgence à démontrer, absence de limitation aux pouvoirs d’appréciation des droits des parties du juge du fond… 277 93. Jugement définitif et avant dire droit. Le Code judiciaire distingue ainsi, s’agissant du degré d’intervention du juge du fond, les décisions qu’il prend avant dire droit (art. 19, alinéa 2, C. jud.) de celles définitives par lesquelles il épuise son pouvoir de juridiction sur une question litigieuse (art. 19, alinéa 1er, C. jud.) 278. L’intérêt de cette distinction est fondamental. D’une part, lorsqu’il prononce un jugement définitif, le juge est dessaisi et ne peut plus, sous peine de commettre un excès de pouvoir 279, revenir, même avec l’accord des parties, sur sa décision laquelle est en outre revêtue, dès son prononcé, de l’autorité de chose jugée (art. 24 C. jud.). D’autre part, sur le plan de la procédure et, spécialement, des voies de recours, les décisions définitives et avant dire droit sont soumises à des règles différentes en raison de leur nature 280. (277) Voy. le plus réc., A.-C. VAN GYSEL, op. cit., p. 100. Par contre, on peut se demander si, comme l’expose cet auteur, la meilleure connaissance de la cause lorsque le juge statuera au fond après avoir ordonné des mesures provisoires constitue réellement un « avantage » dès lors que ce « pré-jugement » risque dans certaines hypothèses de mettre en cause son impartialité objective (voy. infra, n° 115). De manière plus générale, il est permis de s’interroger aujourd’hui sur l’efficacité réelle de cette voie procédurale compte tenu de l’encombrement des rôles des juridictions de fond et du développement considérable de la juridiction des référés combiné à l’assouplissement progressif des conditions d’urgence et de provisoire. (278) Un jugement est partant définitif dès qu’il épuise la juridiction du juge sur une question litigieuse quelle qu’elle soit (exception, incident de procédure, recevabilité de la demande, bien-fondé d’une partie de la demande, …). Il ne s’agit dès lors pas nécessairement du jugement par lequel le juge met fin à tout le litige et clôture l’instance. Il est en effet parfaitement concevable que le juge statue au fond « sur différents chefs de demande par des jugements successifs, qui épuisent chacun partiellement sa juridiction » (A.-C. VAN GYSEL, op. cit., p. 100). On parle alors de jugement définitif « sur incident » ou de jugement définitif « interlocutoire ». (279) Cass., 15 septembre 1994, Pas., I, 732 ; Cass., 22 novembre 1993, Pas., I, 979 ; Cass., 26 juin 1992, Pas., I, 968. On précise ici que lorsque l’article 19, alinéa 1er, in fine, du Code judiciaire réserve « les voies de recours », il vise en réalité les seules voies de rétractation (opposition, tierce opposition, requête civile, rétractation après le prononcé d’un arrêt d’annulation de la Cour d’arbitrage) qui permettent bien entendu au juge saisi d’une telle voie de recours de rétracter sa précédente décision bien qu’elle soit définitive (Rapport sur la réforme judiciaire, Doc. Parl., Sénat, S.O. 1963-64, n° 60, p. 28 ; P. TAELMAN, Het gezag van het rechterlijke gewijsde, Kluwer, Malines, 2001, p. 106, n° 149). (280) Voy. infra, n° 120 et s. 66 À l’instar de la détermination du caractère contradictoire ou par défaut d’une décision 281, il nous paraît que la circonstance que le juge qualifie, le cas échéant, son jugement de définitif ou d’avant dire droit n’est pas déterminant. Il convient dans chaque cas de procéder à l’analyse des décisions adoptées pour mesurer, au regard des questions formulées, débattues et tranchées, la portée de la décision et le degré de dessaisissement qu’elles emportent 282 283 284. 94. Jugement « mixte ». L’analyse d’un jugement peut parfois être délicate puisque celui-ci peut être « mixte » et comporter à la fois des dispositions définitives et des dispositions avant dire droit. Tel est le cas lorsque la décision épuise la juridiction du juge saisi sur une ou plusieurs des questions litigieuses qui lui étaient soumises et comporte, par ailleurs, un avant dire droit 285. Une hypothèse fréquente de nature à susciter des difficultés est celle où le jugement ordonne une mesure (281) À propos de laquelle, voy. Cass., 5 novembre 1993, Pas., I, 931 ; Cass., 15 décembre 1995, Pas., I, 1173 [sommaire]. (282) Une analyse superficielle de la décision peut en effet parfois laisser penser que le juge se limite à ordonner une mesure d’expertise alors qu’il peut à cette occasion avoir tranché une ou plusieurs des questions litigieuses (voy. Cass., 18 juin 1993, Pas., I, 593 : « dans la mesure où il rejette la thèse de la demanderesse, suivant laquelle les défendeurs, avant de pouvoir refuser d’acheter des marchandises à la demanderesse, devaient prouver que les prix pratiqués par cette dernière étaient excessifs, est définitif le jugement qui déclare la demande de la demanderesse recevable et, pour le surplus, désigne un expert ayant pour mission de donner son avis quant à la question de savoir si les prix demandés par la demanderesse pouvaient ou non être considérés comme étant concurrentiels ». Par contre, est avant dire droit la décision par laquelle le juge se borne à ordonner un expertise sans trancher aucune autre question litigieuse et ce même lorsqu’une partie conteste que les faits à prouver sont pertinents pour la solution du litige (Cass., 14 mai 1987, Pas., I, 1110). (283) Dès lors, le jugement, qui contient des considérations contradictoires ne permettant pas de déduire avec certitude le sens de sa décision, n’épuise pas la juridiction du juge qui l’a rendu (Cass., 6 mars 1998, Pas., I, 300). (284) Certains jugements sont particulièrement délicats à classer au sein de la distinction binaire définitif/avant dire droit. Il en va ainsi par exemple du jugement qui acte une réserve. Il est généralement admis qu’un tel jugement doit être considéré comme définitif au sens de l’article 19, alinéa 1er, du Code judiciaire bien qu’il ne tranche en réalité aucune question litigieuse (voy. par ex. Prés. Comm. Mons, 13 janvier 2006, R.D.J.P., 2006, p. 85). Mais la Cour de cassation décide néanmoins qu’une telle décision n’est pas susceptible de faire l’objet d’un pourvoi en cassation (Cass., 30 mars 2006, C.03.0193.N, www.cass.be). Cette solution se justifie selon nous par le motif qu’une telle décision ne cause aucun grief à la partie adverse. (285) Ce qui est le cas lorsque le juge tranche définitivement l’un ou l’autre point litigieux et, pour le surplus, ordonne une mesure d’instruction ou une réouverture des débats. Voy. pour un exemple, Cass., 2 avril 1990, Pas., I, 896. 67 d’instruction après avoir déclaré recevable une demande dont la recevabilité n’était pas (encore) contestée. Il est aujourd’hui admis que si le juge fait droit à la demande avant dire droit sans que la recevabilité de la demande principale ait été contestée ou sans que cette question ait pu faire l’objet de débats contradictoires, sa décision ne peut être définitive sur ce dernier point 286. 95. Jugement d’accord. Il a été soutenu que, lorsqu’à l’audience d’introduction ou en cours de procédure, les parties demandent au juge d’acter un accord qu’elles ont conclu sur une mesure d’instruction (par ex. une expertise) ou sur une partie de la demande principale (par ex. un paiement partiel de la partie incontestée de la dette), la décision qui constaterait cet accord ne serait pas un jugement avant dire droit au sens de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire mais un jugement « sur conclusions consenties » régi par l’article 1043 du même code 287. Cette affirmation mérite d’être nuancée. La nature avant dire droit ou définitive du jugement ne se détermine pas en raison de l’existence d’un accord entre les parties mais bien à l’aune des questions sur lesquelles cet accord porte (le juge saisi a-t-il épuisé ou non sa juridiction sur celles-ci ?). À notre sens, si les parties concluent un accord sur le prononcé d’une mesure d’instruction ou provisoire, la décision qui entérine cette convention est avant dire droit et non définitive. Il faut encore relever que la Cour de cassation a décidé que le jugement d’expédient est uniquement celui qui constate l’accord des (286) Dans un arrêt du 6 décembre 1974 (Cass., 6 décembre 1974, Pas., 1975, I, 377), la Cour de cassation a décidé qu’une telle décision n’était pas définitive sur incident en ce qui concerne la question de la recevabilité. La Cour suprême est toutefois revenue sur sa jurisprudence dans un arrêt du 10 septembre 1981 (Cass., 10 septembre 1981, R.C.J.B., 1984, p. 236, et la note critique de J. van COMPERNOLLE) décidant, au contraire, qu’un tel jugement est définitif. Ainsi que le professeur van Compernolle l’a démontré, le principe du contradictoire s’oppose à une telle solution ; la chose non contestée et non débattue ne peut se voir revêtir d’une quelconque autorité. Par son arrêt du 15 février 1990 (Cass., 15 février 1990, Pas., I, 698), la Cour de cassation est toutefois revenue à sa première jurisprudence confirmant que n’est pas, en matière civile, une décision définitive sur incident, au sens de l’article 19 du Code judiciaire, celle qui déclare recevable une intervention dont la recevabilité n’a pas été contestée. Dans un important arrêt du 8 octobre 2001 (Pas., I, 1600 ; R.C.J.B., 2002, p. 231, note G. CLOSSET-MARCHAL), la Cour a confirmé que la notion de décision définitive implique qu’ait été soumis au débat le point sur lequel porte la décision. Dans un autre arrêt du 2 novembre 2000, la Cour avait déjà confirmé que « ne constitue pas une décision définitive, l’arrêt qui pourvoit au remplacement d’un expert sans qu’une contestation n’ait été élevée à cet égard » (Pas., I, 1661). (287) D. LINDEMANS, « Voorlopige… », p. 225, n° 15. 68 parties sur la solution de l’intégralité du litige 288, ce que n’est pas par exemple une décision qui acte leur accord uniquement sur le prononcé d’une mesure d’instruction 289. On comprend mal les raisons pour lesquelles la Cour limite ainsi l’application de l’article 1043 du Code judiciaire à la décision par laquelle les parties mettent fin à tous les points du litige qui les oppose. Il est parfaitement envisageable de conclure un accord partiel sur certains points litigieux ou encore sur certaines mesures provisoires, telle une expertise ou la mise d’un bien sous séquestre. Dans une telle situation, il est totalement justifié d’appliquer l’article 1043 et de refuser aux parties le droit d’interjeter appel du jugement qui acte leur accord. 5.2 Les mesures et leurs conditions 5.2.1 Les mesures d’instruction 96. Notion. En vertu de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire, le juge peut tout d’abord ordonner, même d’office, toutes les « mesures préalables destinées à instruire la demande ». Il s’agit ici de l’ensemble des moyens prévus par le Code judiciaire afin de recueillir des éléments de preuve : expertise 290, enquête, descente sur les lieux, audition des parties, production de documents, constats… mais aussi plus simplement afin d’instruire la cause comme par exemple la réouverture (288) Cass., 4 octobre 2004, R.D.J.P., 2005, p. 73. (289) Cass., 20 septembre 2001, Pas., I, 1430. Contra, Bruxelles, 16 décembre 2003, J.L.M.B., 2004, p. 1507 (sommaire). La motivation de l’arrêt du 20 septembre 2001 nous paraît critiquable. En l’espèce, les parties avaient marqué leur accord lors d’une première audience sur la désignation avant dire droit d’un expert. Dans son jugement, le tribunal avait non seulement entériné cet accord mais avait également déclaré recevables les demandes principale et reconventionnelle. Or, ultérieurement la défenderesse en cassation avait contesté la recevabilité de la demande reconventionnelle sur la base de l’article 1648 du Code civil. Elle avait dès lors interjeté appel du jugement avant dire droit pour ce motif. La cour d’appel avait déclaré cet appel recevable dès lors que le jugement entrepris n’apportait pas de solution globale au litige. Le moyen de cassation critiquait cette décision sur la base de l’article 1043 du Code judiciaire et faisait notamment valoir que « l’accord des parties quant à la désignation de l’expert implique leur accord préalable quant à la recevabilité de la demande reconventionnelle ». La Cour rejette le moyen au motif que « le jugement ordonnant une mesure d’instruction conformément à l’accord des parties n’est pas une décision non susceptible de recours ». Elle aurait été mieux avisée de constater très simplement que, contrairement à ce que soutenait le moyen, l’accord des parties portait exclusivement sur la mesure d’instruction et non sur la recevabilité de la demande reconventionnelle en sorte que la défenderesse en cassation était recevable à interjeter appel de cette partie du jugement sur laquelle elle n’avait pas marqué son accord. (290) Voy. par ex. Liège, 16 mai 2002, R.G.A.R., 2003, n° 13673. 69 des débats (art. 774, alinéa 1er, C. jud.) 291. 97. Conditions. La loi n’énonce pas les critères justifiant le prononcé d’une mesure d’instruction, celui-ci relevant très largement de l’appréciation souveraine du juge du fond 292. La doctrine et la jurisprudence considèrent toutefois que la partie qui requiert une telle mesure doit faire la démonstration de son utilité 293 et de son opportunité 294 surtout lorsqu’elle est susceptible d’entraîner des frais 295. Le juge prendra donc en considération la pertinence des faits allégués ainsi que l’efficacité et la proportionnalité de la mesure sollicitée pour rapporter la preuve de ceux-ci. Reste très discutée la question de savoir si la partie qui sollicite une telle mesure doit déjà apporter un début de preuve des faits qu’elle allègue ou s’il suffit qu’elle invoque avec vraisemblance les faits dont elle se propose d’apporter la démonstration 296. La jurisprudence de la Cour de cassation en matière de preuve testimoniale semble conduire à privilégier la seconde solution 297 mais on peut se demander si celle-ci ne revient pas à renverser la charge de la preuve en imposant au (291) On précise que si la réouverture des débats est une mesure avant dire droit au sens de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire (voy. Cass., 2 avril 1990, Pas., I, 896), elle ne constitue pas une « mesure d’instruction » au sens de l’article 1068, alinéa 2, du Code judiciaire (Cass., 23 octobre 1992, Pas., I, 1197). (292) Dans l’exercice de ce pouvoir, le juge ne peut toutefois pas méconnaître le droit des parties d’apporter la preuve du fait allégué (voy. par ex. Cass., 4 mars 1999, Pas., I, 130). Par ailleurs, il paraît résulter de l’arrêt de la Cour de cassation du 2 juin 2005 (J.T., 2006, p. 149) que les parties peuvent conclure, de manière expresse ou tacite mais certaine, un accord procédural par lequel elles interdisent au juge de prononcer une mesure d’instruction déterminée (en l’espèce, une production de documents sur la base de l’article 877 C. jud.). (293) Comm. Nivelles, 19 septembre 2002, Res Jur. Imm., 2002, p. 311, note J. LAMBERS et D. RAES. Sur ce que le juge du fond est mieux placé que le juge des référés pour apprécier l’utilité de la mesure d’instruction à la solution du litige, voy. Liège 25 mai 1999, R.D.C., 2000, p. 195. (294) Liège, 17 juin 1999, R.P.S., 1999, p. 260, note M. DELVAUX. (295) Ibidem. (296) Voy. sur cette question qui dépasse très largement les limites de la présente contribution, G. de LEVAL, Éléments, 2e éd., 2005, p. 192, note 56 (caractère vraisemblable suffit) et, pour l’opinion inverse, J. van COMPERNOLLE, G. CLOSSET-MARCHAL, J.-F. van DROOGHENBROECK, A. DECROËS et O. MIGNOLET, « Examen de jurisprudence (1991 à 2001). Droit judiciaire privé », R.C.J.B., 2002, p. 765, n° 695 (début de preuve exigé pour obtenir une expertise). (297) Voy. not. Cass., 16 septembre 1996, Pas., I, 808. 70 défendeur à la mesure d’instruction de démontrer le caractère non vraisemblable des faits invoqués par le demandeur. 5.2.2 Les mesures réglant provisoirement la situation des parties 98. Notion. L’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire permet également au juge du fond de prononcer avant dire droit une mesure destinée « à régler provisoirement la situation des parties ». Il s’agit ici pour le juge d’assurer, par une mesure adéquate, la protection d’intérêts qui seraient compromis par la durée du procès qu’il doit trancher au fond 298. 99. Mesure provisoire et jugement définitif partiel. Il paraît essentiel de rappeler la différence entre un jugement avant dire droit par lequel le juge aménage, « tous droits saufs des parties », leur situation durant l’instance et celui par lequel le juge fait déjà droit partiellement à la demande principale. Cette distinction n’est pas toujours facilitée par l’usage des formules « à titre provisionnel » ou « provisionnellement » qui figurent parfois dans de telles décisions. On parle aussi parfois de condamnation « sous réserve d’un dommage ultérieur » ou encore de condamnation « à l’incontestablement dû ». En réalité, il convient de vérifier si le juge accorde définitivement le montant à titre de provision (en réalité d’avance) à valoir sur un montant plus important dont le quantum ne pourra être fixé qu’ultérieurement ou si le juge alloue à titre purement provisoire et précaire une somme d’argent qui devra être remboursée ultérieurement si la demande est finalement rejetée 299. Lorsque, dans le premier cas, le juge accorde déjà une partie des sommes réclamées, fût-ce « à titre provisionnel », dans l’attente de la fixation du montant définitif du dommage, sa décision est sur ce point définitive et non avant dire droit au sens de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire 300. (298) J. van COMPERNOLLE, « Introduction générale », op. cit., p. 7 ; A. FETTWEIS, Manuel, p. 257, n° 342 ; J.P. Schaerbeek (1er canton), 23 mars 2006, J.T., 2006, p. 417. (299) Voy. sur cette question, la note de D. FEVERY, « Nog over de provisie : vervolg zonder gevolg », note sous Gand, 4 janvier 1996, T.G.R., 1996, p. 94, n° 1. (300) Contra, voy. Comm. Courtrai, 6 mars 1995, A.J.T., 1994-95, p. 372 qui qualifie à tort d’avant dire droit le jugement par lequel il condamne le défendeur à payer la moitié 71 100. L’urgence n’est pas requise. Il est très largement admis que le juge du fond dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour décider s’il y a lieu de faire droit à la demande de mesures provisoires. L’urgence n’est théoriquement pas requise 301. Il faut uniquement que la mesure présente un intérêt raisonnable au regard de la situation des parties 302. Elle doit être destinée à limiter les conséquences préjudiciables du procès, compte tenu de sa durée, pour une partie, le plus souvent le demandeur 303. Comme en référé, le juge procédera à une balance des intérêts en présence et comparera l’opportunité de la mesure sollicitée avec la gravité des conséquences pour la partie adverse 304. Dans ce cadre, il veillera à être particulièrement attentif à la possible « réversibilité » de la mesure ordonnée 305. 101. Étendue du contrôle du juge sur le bien-fondé de la demande principale. Est en revanche plus discutée la question de savoir ce que le juge du fond doit vérifier pour faire droit à une demande de mesure provisoire. Il est certain que pour accorder la mesure, le juge ne doit pas déjà se prononcer sur le bien-fondé du droit invoqué 306. Mais peut-il se contenter de simples apparences de droit ? Ou doit-il se limiter à intervenir lorsque les droits sont évidents ? L’existence d’une contestation sérieuse fait-elle obstacle à l’octroi de la mesure ? Diverses opinions ont été émises. 102. Première opinion : droits évidents et absence de contestation sérieuse. Une partie importante de la jurisprudence 307 paraît reprendre la solution retenue sous l’empire du Code de procédure civile, et bien des sommes réclamées par le demandeur dès lors que le défendeur s’est déclaré prêt à payer, sans condition, un tel montant. Une telle décision qui condamne d’ores et déjà le défendeur au paiement de l’incontestablement dû est, selon nous, définitive. (301) G. de LEVAL, Éléments, 2e édition, p. 138, n° 94 ; A.-C. VAN GYSEL, op. cit., p. 100 ; Civ. Tongres, 6 septembre 1993, R.W., 1994-95, p. 196 ; D. LINDEMANS, « Voorlopige », op. cit., p. 224, n° 14 ; P. LEMMENS, « De voorlopige… », op. cit., col. 2014, n° 5, conclut cependant que l’urgence et l’intérêt des parties ont en réalité la même portée sur le plan pratique. (302) Gand, 4 janvier 1996, T.G.R., 1996, p. 91, note D. FEVERY. (303) T.T. Bruxelles, 18 juin 1991, J.D.S., 1991, p. 473. (304) Civ. Bruxelles, 27 juin 2002, J.L.M.B., 2004, p. 775. (305) Voy. infra. (306) Civ. Bruges, 4 mai 2001, T.W.V.R., 2002-03, p. 128, note. (307) Comm. Bruxelles, 23 avril 1992, J.T., 1992, p. 780 ; Comm. Gand, 22 janvier 1993, T.G.R., 1993, p. 62 ; Civ. Bruxelles, 27 juin 2002, J.L.M.B., 2004, p. 775, qui réserve toutefois « les nécessités impérieuses qui exigeraient une solution immédiate ». 72 avant déjà dans la pratique du Châtelet, à laquelle renvoient les travaux préparatoires du Code judiciaire, selon laquelle le juge ne peut prononcer une mesure provisoire (alors qualifiée de « provision ») que lorsque le droit de la partie demanderesse « est présomptivement établi, fondé ou certain » 308. À l’inverse, il suffit, pour ordonner une simple mesure d’instruction que « la demande ne paraisse pas frustratoire » 309. En d’autres termes, le prononcé d’une mesure provisoire requiert que les droits invoqués soient évidents ou à tout le moins que la demande principale ne soit pas sérieusement contestée. 103. Deuxième opinion : parallèle avec les pouvoirs du juge des référés. Selon plusieurs auteurs 310 et tribunaux 311, les pouvoirs du juge du fond dans le cadre de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire et ceux du juge des référés seraient identiques. Il ne pourrait partant être fait droit à une demande de mesure provisoire qu’en présence d’apparences de droit suffisantes 312. Et encore, faudrait-il, comme en référé, procéder à la détermination de l’étendue de la mesure en fonction de l’intensité de la démonstration du bien-fondé de la demande principale. Ainsi, pour une simple mesure conservatoire (désignation d’un séquestre ou d’un administrateur provisoire…), de « simples » apparences de droit suffiraient même si la demande est par ailleurs sérieusement contestée. En revanche, pour une mesure d’anticipation (allocation d’une indemnité provisionnelle, injonction de faire ou de ne pas faire…), il conviendrait, à l’instar du référé, que le juge puisse se fonder sur des droits non sérieusement contestables. Selon le tribunal de première instance de Namur, le magistrat investi du pouvoir d’ordonner, par application de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire, une mesure préalable destinée à régler provisoirement la situation des parties devrait même exercer celui-ci de manière plus stricte que celui qui échoit au juge des référés et « avec une particulière circonspection afin de ne pas compromettre l’impartialité objective qu’il doit présenter jusqu’à (308) J. GILSON, op. cit., p. 621. (309) Ibidem. (310) P. LEMMENS, «De voorlopige…», op. cit., col. 2014, n° 6 ; J. van COMPERNOLLE, «Introduction générale», op. cit., p. 7. (311) Civ. Namur, 24 août 1994, J.T., 1994, p. 693. (312) Par exemple, un rapport d’expertise provisoire, fût-il critiqué, Comm. Louvain, 19 février 2002, R.A.B.G., 2004, p. 1172. 73 épuisement de sa juridiction » 313. 104. Troisième opinion : appréciation prima facie. Enfin, d’autres juridictions, plus isolées, recourent uniquement à une appréciation prima facie de la demande principale 314. Dans un obiter dictum, la cour d’appel de Bruxelles a notamment retenu un tel critère en matière de délivrance d’un ordre de cessation provisoire 315. 105. Approche critique. À notre sens, c’est à tort que l’on entend appliquer au juge du fond, statuant sur pied de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire, les règles dégagées pour la juridiction des référés. D’abord, comme nous l’avons indiqué, ces principes sont eux-mêmes contestables et leur application particulièrement hasardeuse (quand un droit est-il évident ou non sérieusement contesté ? comment distinguer avec certitude une mesure conservatoire de celle qui anticipe sur le fond ?) 316. Mais encore et surtout, comme cela a été récemment démontré 317, ceux-ci ont à l’origine été conçus afin de pallier l’interdiction pour le juge des référés d’aborder le fond du litige. Il va de soi que ces principes ne peuvent partant être transposés au juge du fond auquel revient précisément cette tâche. Ensuite, contrairement au juge des référés, le juge du fond qui aura prononcé une mesure provisoire devra encore statuer ensuite sur le bien-fondé de la demande principale en sorte que son impartialité objective 318 pourrait être mise en cause si à l’occasion de l’examen de la mesure provisoire, il se livre déjà à un (313) Civ. Namur, 24 août 1994, J.T., 1994, p. 693. (314) Sent. Arb., 23 janvier 2002, R.D.J.P., 2002, p. 347 ; Sent. Arb., 17 mai 2002, R.D.J.P., 2002, p. 350. (315) Bruxelles, 17 septembre 1997, R.D.C., 1999, p. 250. (316) Supra, n° 20. (317) J. ENGLEBERT, « Le référé judiciaire…», op. cit., p. 28, n° 33. (318) Sur l’impartialité objective du magistrat qui ordonne une mesure provisoire et qui statue ensuite au fond dans la même cause, voy. not. P. MARTENS, « La tyrannie des apparences», R.T.D.H., 1996, p. 647 et s., spéc. n° 8 ; J. van COMPERNOLLE, « Le cumul du provisoire et du fond au regard du principe d’impartialité», in Les mesures provisoires en droit belge, français et italien, op. cit., p. 240 et s. et « L’impartialité du juge », in Finalité et légitimité du droit judiciaire, Bruges, La Charte, 2005, p. 14 et s. ; B. BEELDENS, « L’impartialité et la problématique du cumul de fonctions judiciaires », Ann. dr. Louvain, 2001, p. 302 et s. ; J.-F. van DROOGHENBROECK e.a., « Les avatars de l’article 660 du Code judiciaire », in Mélanges Jacques van Compernolle, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 792 et s. ; J. NORMAND, « L’impartialité du juge en droit judiciaire français », in L’impartialité du juge et de l’arbitre. Étude de droit comparé, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 76-77. 74 examen approfondi de l’existence des droits évidents 319 320. Enfin, on peut se demander quel est encore, dans ce cas, l’intérêt de dissocier l’avant dire droit et le définitif. Si les droits sont à ce point évidents ou non sérieusement contestés, il appartient selon nous au juge du fond de les trancher définitivement et non pas provisoirement. Tout ceci nous conduit à considérer que pour faire droit à la demande de mesure provisoire, le juge du fond doit nécessairement se limiter à une appréciation sommaire et superficielle (prima facie) des droits invoqués par les parties 321. En d’autres termes, il se contentera de la vérification marginale du caractère sérieux de la demande telle que permise par un examen rapide du dossier 322. À l’analyse approfondie des droits des parties, il paraît préférable que le juge privilégie celle de la (319) C’est manifestement le cas lorsque le juge déboute le demandeur au motif qu’il n’y a pas de droit évident et ce au terme d’une analyse déjà fouillée de la demande. Voy. Civ. Namur, 24 août 1994, J.T.¸1994, p. 693 qui traduit parfaitement le malaise du magistrat qui à la fois ne veut pas anticiper, en raison de son impartialité, sur la décision au fond mais en même temps exige, comme en référé, des apparences de droit suffisantes et que le droit puisse apparaître comme « vraisemblable, sérieux ou non véritablement contesté ». En définitive, au terme d’une appréciation des apparences de droit, le juge refuse d’accorder au provisoire la mesure sollicitée au fond, à savoir la suspension et la résiliation d’un contrat au motif qu’une telle demande ne pourrait être accordée par le juge du fond. Il préjuge ainsi directement et définitivement du fond… Voy. ég. Comm. Bruxelles, 16 février 1989, R.D.C., 1989, p. 738 qui, à propos d’un ordre de cessation provisoire, analyse déjà la portée de la marque des demanderesses et conclut que celle-ci ne peut faire obstacle à l’utilisation du slogan par la défenderesse. (320) Comp. toutefois Cass., 28 février 2003, Pas., I, 438 ; R.A.B.G., 2004, p. 145, note P. VANLERSBERGHE qui décide « qu’il ne suit pas de la seule circonstance qu’il a ordonné une mesure provisoire avant de statuer sur un point de la contestation que le juge n’est plus en état de statuer définitivement sur ce point de la contestation d’une manière objectivement impartiale ; c’est également le cas lorsqu’en prononçant la décision définitive, il se réfère à la décision concernant la mesure provisoire ». Pour une critique sévère de cet arrêt, voy. J. van COMPERNOLLE, « L’impartialité du juge », op. cit., p. 20, n° 26 et J.-F. van DROOGHENBROECK e.a., op. cit., p. 806, n° 18. (321) Voy. supra, n° 104. Comp. en matière de suspension des droits attachés aux parts ou actions qui font l’objet d’une action en rachat forcée, E. SMIT, « Les mesures provisoires prévues par l’article 190ter, § 4 », D.A.O.R., 1997, n° 44, p. 93, n° 4, qui relève que « une telle exigence d’apparence de droit suffisante n’implique pas que le dossier soit complètement en état pour que la mesure de suspension des droits du défendeur puisse être octroyée. Elle nécessite toutefois que le demandeur puisse produire suffisamment d’éléments précis et concordants pour laisser apparaître d’une part, que sa demande de cession forcée des actions ou parts du défendeur est sérieuse et d’autre part, qu’il y a un risque important d’une utilisation abusive par le défendeur des droits liés aux actions ou parts qu’il détient » (nous soulignons). (322) La seule constatation d’une apparence de droit n’empêche en effet pas que l’existence du droit puisse encore être contestée au fond (Comm. Courtrai, 6 mars 1995, A.J.T., 1994-95, p. 372). Comp. avec le pouvoir exercé par le juge des saisies sur pied de 75 nécessité de la mesure au regard des situations respectives des parties ainsi que sa « réversibilité », c’est-à-dire qu’il vérifie si, en cas de jugement de débouté ultérieur au fond, les effets de la mesure provisoire accordée pourront être facilement annulés et ses conséquences réparées (remboursement, indemnisation…) 323. Dans le cadre de cette vérification, le juge procédera notamment à l’examen des éventuelles garanties qui pourraient être fournies par le demandeur au provisoire ou encore de sa solvabilité. Pour reprendre une formule ancienne, en bref, « le juge doit bien peser les circonstances, examiner les raisons des parties, souvent leur solvabilité et toujours les suites de la décision qu’on lui demande » 324. Rien n’empêche évidemment le juge du fond d’approfondir d’emblée l’examen des droits des parties si ceux-ci paraissent évidents ou non sérieusement contestés, fût-ce partiellement 325, mais alors il est préférable qu’il statue de manière définitive et non avant dire droit. 106. Recevabilité de la demande principale. La doctrine est divisée sur le point de savoir si le juge doit examiner préalablement la recevabilité de la demande principale avant de statuer sur la mesure avant dire droit. Pour D. Lindemans une telle vérification n’est pas requise 326. Par contre, selon le professeur van Compernolle, la demande principale doit nécessairement être « recevable et exempte de causes de nullité » 327. La réponse à cette question dépend à notre sens du débat qui se noue entre les parties. Si le défendeur conteste d’emblée la recevabilité de la demande principale, le juge devra trancher ce point avant de statuer avant dire droit. Par contre, en l’absence de contestation, le juge n’est pas tenu de vérifier d’office la recevabilité de la demande principale. Dans ce cas, s’il admet la demande avant dire droit sans s’être prononcé sur cette question et que celle-ci n’a pas fait l’article 1127 du Code judiciaire (voy. G. de LEVAL, Traité des saisies, Liège, 1988, p. 38, n° 21) ou encore par le tribunal de première instance sur la base de l’article 1714 du même Code. (323) Voy. infra, n° 119. Comme un auteur l’a relevé, contrairement à l’ordonnance de référé, le jugement avant dire droit est nécessairement temporaire puisqu’il n’existe qu’à titre d’aménagement d’une situation d’attente d’une décision finale (A.-C. VAN GYSEL, op. cit., p. 108). (324) PIGEAU, La procédure civile du Châtelet de Paris et de toutes les juridictions du Royaume, Tome I, Paris, 1779, p. 110. (325) Il prononcera alors un jugement définitif partiel. Voy. supra, n° 94. (326) D. LINDEMANS, «Voorlopige…», p. 226, n° 16. (327) J. van COMPERNOLLE, «Introduction générale», op. cit., p. 8. 76 l’objet de débats contradictoires, sa décision ne peut être définitive sur ce dernier point 328. 107. Mesures susceptibles d’être prononcées. Limites. Selon la doctrine, la mesure peut, comme en référé, être de nature conservatoire ou anticipatoire 329. On admet notamment que le juge du fond puisse accorder une « provision » en se fondant sur les apparences de droit invoquées par le demandeur 330. Comme en référé, le juge ne saurait toutefois allouer au provisoire ce qu’il ne peut ordonner au fond 331. 108. Exemples de mesures provisoires. La jurisprudence récente des juridictions commerciales fournit de nombreux exemples de mesures provisoires ordonnées par le juge du fond : condamnation provisionnelle au paiement d’arriérés de charges 332, allocation d’une indemnité provisionnelle 333, ordre de cessation provisoire 334, désignation d’un séquestre 335, suspension des droits attachés aux actions dont le rachat forcé est demandé 336, suspension d’un contrat 337, constitution d’une garantie bancaire 338. (328) Voy. supra, n° 94. (329) J. van COMPERNOLLE, « Introduction générale », op. cit., p. 8. (330) Ibidem. (331) Civ. Namur, 24 août 1994, J.T., 1994, p. 693. (332) J.P. Schaerbeek (1er canton), 23 mars 2006, J.T., 2006, p. 417. (333) Comm. Louvain, 19 février 2002, R.A.B.G., 2004, p. 1172. (334) Comm. Bruxelles, 16 février 1989, R.D.C., 1989, p. 738, note D. LINDEMANS ; Comm. Bruxelles, 2 avril 1993, R.D.C., 1994, p. 40 ; Bruxelles, 17 septembre 1997, R.D.C., 1999, p. 250. Voy. ég. A. PUTTEMANS, Droits intellectuels et concurrence déloyale, op. cit., p. 271, n° 166. (335) Prés. Comm. Bruxelles, 17 mars 1997, R.D.C., 1999, p. 249. (336) Contra mais à tort Prés. Comm. Bruxelles, 24 mars 1997, D.A.O.R., 1997, n° 44, p. 85 avec la note critique de E. Smit (et les nombreuses références citées p. 92, n° 3). (337) Liège, 7 octobre 1996, J.L.M.B., 1997, p. 4. (338) Sent. Arb., 17 mai 2002, R.D.J.P., 2002, p. 350. 77 5.3 Compétence et pouvoir de juridiction 109. Compétence. Le pouvoir du juge du fond de prononcer une mesure avant dire droit dérive directement de sa compétence pour connaître de la demande principale. Il s’agit, comme on l’a relevé, d’une compétence incidente ou accessoire. Il en découle qu’une telle mesure ne peut être prononcée que si le juge du fond constate qu’il est compétent pour connaître de la demande principale 339. Mais faut-il en outre que l’objet de la mesure provisoire entre également dans sa compétence matérielle ? Dans un arrêt du 17 septembre 1997, la cour d’appel de Bruxelles a refusé que le juge des cessations puisse ordonner avant dire droit une mesure de séquestre dès lors qu’il ne pourrait ordonner, en raison de sa compétence limitée, une telle mesure au fond 340. Cette décision a été critiquée par Mme Puttemans qui considère qu’une telle solution « ôte une grande partie de son intérêt à la règle, souple et générale, de l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire » 341. En réalité, même si cette solution peut être déplorée 342, il faut considérer que cette disposition 343 n’est pas attributive de compétence. Elle ne donne pas au juge du fond des pouvoirs supplémentaires qui lui permettraient de prononcer toutes les mesures nécessaires à l’aménagement de la situation des parties dans l’attente de sa décision sur le fond des droits. Il ne peut avant dire droit que prononcer des mesures qui entrent également dans sa compétence matérielle. 110. Provisoire. Par opposition au juge des référés qui ne peut dépasser les frontières du provisoire en accordant à une partie une mesure définitive et irréparable 344, les pouvoirs du juge du fond ne sont évidemment pas limités 345. « On ne peut en effet reprocher au juge du (339) J. van COMPERNOLLE, « Introduction générale », op. cit., p. 8. (340) Bruxelles, 17 septembre 1997, R.D.C., 1999, p. 250, note. (341) A. PUTTEMANS, Droits intellectuels et concurrence déloyale, op. cit., p. 272, n° 166. (342) En réalité, elle ne concernera en pratique que le juge des cessations dont la compétence est, comme on l’a indiqué, restrictive (voy. supra, n° 63). (343) Contrairement à l’article 584 du Code judiciaire s’agissant du juge des référés. (344) Voy. supra, n° 21. (345) Contra, Civ. Namur, 24 août 1994, J.T., 1994, p. 693. Bien qu’à notre sens, la discussion à cet égard au sujet du juge des référés soit aujourd’hui dépassée. Ce juge a également le pouvoir de procéder à une analyse, même approfondie et complète, des droits des parties (voy. supra, n° 21). 78 fond de statuer au fond » 346. Cette règle doit toutefois être bien comprise. Rien n’interdit évidemment au juge du fond de déjà allouer à une partie le bénéfice de certains chefs de la demande principale. Dans ce cas, sa décision sera sur ces points définitive. Par contre, lorsqu’il entend uniquement statuer avant dire droit, le juge du fond doit veiller à préserver la « réversibilité » de la mesure préalable qu’il ordonne. Il s’agit en effet de la seule manière de garantir le caractère provisoire de sa décision. 5.4 Procédure 111. Sauf s’il s’agit d’une mesure d’instruction, la mesure doit être sollicitée par une des parties. S’il est permis au juge d’ordonner de son propre chef une mesure d’instruction 347, il ne peut par contre jamais prononcer d’office une mesure destinée à aménager provisoirement la situation des parties, sous peine de violer le principe dispositif et l’article 1138, 2°, du Code judiciaire. Par contre, il nous semble que, même si aucune demande expresse en ce sens ne lui est soumise, le juge pourrait décider d’allouer au demandeur le bénéfice de sa demande principale uniquement avant dire droit et sans préjudice du fond du litige. Ce faisant, le juge ne modifie en effet pas l’objet de la demande introduite devant lui mais uniquement l’intensité de la décision par laquelle il y fait droit. 112. Forme et moment de la demande. La demande de mesure avant dire droit peut être formée dans la même procédure que celle concernant la demande principale mais également dans une procédure séparée 348. Cette demande peut être introduite à tout moment : elle peut être formée dans l’acte introductif d’instance, à l’audience d’introduction ou encore (346) A.-C. VAN GYSEL, op. cit., p. 100 et p. 104, qui relève à juste titre (p. 100, note 20) que « son jugement ne sera plus alors ‘avant dire droit’ sur ce point, ce qui n’est nullement un obstacle : un juge peut parfaitement statuer au fond sur différents chefs de demande par des jugements successifs, qui épuisent chacun partiellement sa juridiction ». Précisons toutefois que, dans une telle hypothèse, il est interdit au juge de revenir sur les décisions définitives qu’il aurait prises (voy. supra, n° 93). Il est donc important de pouvoir qualifier le jugement intervenu en cours de procédure pour mesurer l’étendue de la saisine du juge et les points qui restent à trancher (voy. supra, n° 93). (347) Pour le rappel de ce principe, voy. G. de LEVAL, Eléments, 2e édition, p. 192, n° 134. (348) Voy. pour un exemple d’action séparée, J.P. Schaerbeek (1er canton), 23 mars 2006, J.T., 2006, p. 417. 79 après 349, en cours de procédure par le biais d’une demande incidente (art. 13 C. jud.) 350, et, même pour la première fois en degré d’appel 351 (ce que confirme implicitement l’article 1072, alinéa 1er, du Code judiciaire). 113. Instruction de la demande. Lorsqu’elle est formée dans l’acte d’introductif d’instance ou à l’audience d’introduction, la demande de mesure provisoire doit en principe pouvoir être traitée dans le cadre de la procédure des débats succincts (art. 735 C. jud.). Elle doit partant être plaidée à l’audience d’introduction ou, le cas échéant, à une audience de remise, même si l’autre partie s’y oppose 352. En effet, compte tenu de ce qu’elle doit uniquement faire l’objet d’un examen sommaire 353 et de ce que la mesure ne porte pas préjudice à la cause elle-même 354, « il doit être relativement facile d’accepter qu’il puisse être plaidé sur cette question déjà lors de l’audience d’introduction » 355. On sait toutefois qu’en pratique, il est particulièrement difficile, compte tenu de l’encombrement des rôles, de plaider à l’audience d’introduction ou à une audience de remise, spécialement lorsque la partie adverse conteste le bien-fondé de la mesure avant dire droit. Le cas échéant, si la demande est formée incidemment en cours de procédure, elle devrait, à la requête d’une partie conformément à l’article 747, § 2, du Code judiciaire, pouvoir faire l’objet de brefs délais (349) G. de LEVAL, Éléments, 2e édition, p. 138, n° 94. (350) Voy. par ex. Prés. Comm. Bruxelles, 17 mars 1997, R.D.C., 1999, p. 249 (demande reconventionnelle). (351) G. de LEVAL, Éléments, 2e édition, p. 138, n° 94 ; C.T. Bruxelles, 31 octobre 1991, J.T.T., 1992, p. 411. On ne confondra évidemment pas la demande tendant à obtenir pour la première fois le prononcé d’une mesure d’instruction ou provisoire en degré d’appel avec la demande formée sur pied de l’article 1401 du Code judiciaire et tendant à l’obtention de l’exécution provisoire du jugement de première instance ou, à l’inverse, dans les cas limités où cela est autorisé par la Cour de cassation, la suppression de l’exécution provisoire ordonnée en première instance (art. 1402 C. jud.) ou encore la restauration du droit de cantonner. (352) D. LINDEMANS, « Voorlopige… », p. 226, n° 18. (353) Voy. supra, n° 104 et 105. (354) Voy. infra, n° 115. (355) P. LEMMENS, « De voorlopige… », op. cit., col. 2016, n° 9. 80 de conclusions et d’une fixation prioritaire 356. Ici aussi, ce souhait s’apparente, devant de nombreuses juridictions, à un vœu pieux. 5.5 Le jugement accordant la mesure provisoire 114. Autorité – Distinctions. S’agissant de l’autorité du jugement avant dire droit rendu par le juge du fond, il convient de distinguer celle-ci selon qu’elle porte sur le fond ou sur le provisoire 357. 115. Absence d’autorité de chose jugée. Sur le fond, le jugement avant dire droit ne bénéficie pas de l’autorité de chose jugée 358. Il ne lie partant pas le juge qui l’a rendu lorsque celui-ci, en prosécution de cause, est amené à vider le fond du litige 359, voire même la question de la recevabilité de la demande principale 360. À l’occasion de l’examen au fond, le juge peut donc revenir totalement sur sa décision 361 et, le cas échéant, considérer que les apparences de droit précédemment relevées n’existent en réalité pas 362. (356) D. LINDEMANS, « Voorlopige… », p. 226, n° 18. Voy. dans ce sens, l’avant-projet de loi visant à lutter contre l’arriéré judiciaire qui propose notamment de modifier l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire pour prévoir qu’en cours de procédure, la partie la plus diligente qui sollicite une mesure avant dire droit peut faire ramener la cause devant le juge par simple déclaration écrite déposée ou adressée au greffe et qu’ensuite le greffier convoque les parties ou, le cas échéant, leur avocat par lettre missive ou, lorsque la partie a fait défaut à l’audience d’introduction et qu’elle n’a pas d’avocat, par pli judiciaire. (357) Voy. pour un rappel de cette distinction, Sent. Arb., 17 mai 2002, R.D.J.P., 2002, p. 350. (358) Cass., 12 avril 2000, Pas., I, 775 ; Cass., 4 septembre 1987, Pas., 1988, I, 10 ; Cass., 13 février 1978, Pas., I, 683. (359) J. van COMPERNOLLE, « Introduction générale », op. cit., p. 8. (360) G. de LEVAL, Eléments, 2e édition, p. 138, n° 94. Voy. supra, n° 106. (361) Civ. Bruges, 4 mai 2001, T.W.V.R., 2002-03, p. 128, note. Cette possibilité est évidemment plus rare lorsque le juge a ordonné ou autorisé une mesure d’instruction. Le juge qui a prononcé une telle mesure est tenu par sa décision et ne peut statuer au fond avant que celle-ci n’ait eu lieu (G. de LEVAL, Éléments, 2e éd., p. 193, n° 134). Toutefois, lorsque la partie autorisée à tenir une mesure d’instruction néglige de mettre en œuvre cette mesure dans le délai fixé, le juge peut, suite à une fixation demandée par la partie la plus diligente, statuer comme de droit (art. 875 C. jud.). Comp. ég. Cass., 20 septembre 2001, Pas., I, 1434 qui estime que le juge peut, sans violer l’article 19, alinéa 1er, du Code judiciaire, ordonner à nouveau la même mesure d’expertise (mais en l’espèce, cela se justifiait par l’irrégularité du premier rapport d’expertise du chef de violation des droits de la défense). (362) P. LEMMENS, « De voorlopige… », op. cit., col. 2015, n° 7. 81 Dès lors qu’il est possible au juge qui a statué avant dire droit de revenir sur sa précédente décision, son impartialité pour siéger en prosécution de cause ne peut en règle être contestée et ce magistrat ne peut être récusé au seul motif qu’il a déjà connu de la cause au même degré de juridiction (art. 828, 9°, 1, C. jud.) 363. Il faut toutefois réserver l’application de l’article 6, § 1er, de la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l’homme. Si, à l’occasion de l’examen de la demande de mesure provisoire, il apparaît que le juge s’est déjà formé un jugement sur le fond de l’affaire, son impartialité objective peut, selon nous, être mise en cause 364. C’est un des motifs pour lesquels nous avons défendu qu’au stade de l’avant dire droit le juge du fond doit se borner à examiner de manière marginale et sommaire le bien-fondé de la demande principale et ne doit pas procéder à une analyse du caractère évident ou non sérieusement contestable des droits invoqués 365. 116. Autorité de chose décidée. Au provisoire, le jugement avant dire droit épuise la juridiction du juge du fond « rebus sic stantibus » 366. Cela signifie que, à événements inchangés, le juge ne peut modifier la mesure prononcée ou encore que celle-ci ne peut être accordée par un juge lorsqu’un autre l’a déjà refusée 367. Lorsque les circonstances en considération desquelles la mesure provisoire a été ordonnée se sont modifiées, il est possible d’envisager un « nouveau provisoire » 368. Encore faut-il relever que, sauf effet dévolutif de l’appel le cas échéant, seul le juge qui a ordonné la mesure provisoire peut la modifier lorsque (363) Voy. Cass., 28 février 2003, Pas., I, 438. (364) Voy. ég. J. VAN COMPERNOLLE, « L’impartialité du juge », op. cit., p. 19, n° 25 et J. NORMAND, « L’impartialité du juge… », op. cit., p. 76, n° 26, faisant tous deux référence aux deux arrêts de l’assemblée plénière de la Cour de cassation de France du 6 novembre 1998. Comp. avec A. SALETTI, « La connaissance anticipée du litige et l’impartialité du juge du fond », in L’impartialité du juge et de l’arbitre. Étude de droit comparé, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 122 et s., qui analyse l’impartialité du juge statuant sur la base de l’article 669quater du Code de procédure civile italien, qui met en place un système qui peut être comparé avec l’article 19, alinéa 2, du Code judiciaire et conclut à l’absence de partialité dès lors que le juge qui statue au fond en prosécution de cause ne joue pas le rôle d’un juge d’appel chargé de réviser sa propre décision. Cette thèse ne nous paraît pas conforme à l’enseignement de la Cour européenne des droits de l’homme. (365) Voy. supra, n° 105. (366) D. LINDEMANS, note sous Comm. Bruxelles, 16 février 1989, R.D.C., 1989, p. 743, n° 3. (367) Bruxelles, 16 janvier 2003, Res. Jur. Imm., 2003, p. 27, note. (368) J. GILSON, op. cit., p. 616. 82 la situation a changé 369. 117. Couverture des nullités et des déchéances. Pour autant qu’il soit contradictoire, le jugement avant dire droit couvre les nullités, même absolues, des actes de procédure accomplis antérieurement ainsi que les éventuelles déchéances 370 lorsque l’exception n’a pas été soulevée par le juge ou proposée par une des parties avant que le jugement ait été rendu (art. 864, alinéa 2, C. jud.) 371. 118. Sauf s’il s’agit d’une mesure d’instruction, le jugement n’est pas exécutoire de plein droit. Malgré le libellé de l’article 1397 du Code judiciaire 372, le jugement avant dire droit n’est pas de plein droit revêtu de l’exécution provisoire 373, sauf s’il ordonne une mesure d’instruction (art. 1496 C. jud.). S’agissant des autres mesures provisoires, il convient donc de demander au juge du fond d’accorder expressément l’exécution provisoire conformément à l’article 1398, alinéa 1er, du Code judiciaire 374. Si une telle demande n’a pas été formée en première instance ou qu’elle a été rejetée, elle peut encore être introduite, avant dire droit, devant le juge d’appel (art. 1401 C. jud.). 119. Sort de la mesure provisoire exécutoire par provision en cas de débouté au fond. La loi ne règle pas les conséquences d’un éventuel débouté au fond sur la mesure provisoire ordonnée avant dire droit. Il est certain que la mesure prend fin avec le jugement définitif qui rejette la demande principale 375. Ceci entraîne donc par exemple la restitution de la chose mise sous séquestre, la fin de l’ordre de cessation provisoire, la (369) Cass., 19 février 1993, Pas., I, 196. (370) À l’exclusion de celles découlant du non-respect des délais pour former un recours (art. 865 C. jud.). (371) Dans un arrêt du 28 avril 2006 (C.05.0460.F, www.cass.be), la Cour de cassation a par ailleurs décidé que lorsque le défendeur étranger comparaît à l’audience d’introduction et marque lors de celle-ci son accord verbal sur le principe d’une mesure d’instruction, il est présumé accepter la compétence internationale du juge belge en vertu de l’article 18 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 (art. 24 du règlement n° 44/2001 dit « Bruxelles I ») et ne peut plus décliner celle-ci en prosécution de cause. (372) Lequel prévoit uniquement que l’opposition et l’appel dirigés contre le jugement définitif en suspendent l’exécution. (373) D. LINDEMANS, p. 226, n° 17 ; P. LEMMENS, « De voorlopige… », op. cit., col. 2015, n° 8. (374) G. de LEVAL, Éléments, 2e édition, p. 138, n° 94. (375) Comp. supra, n° 37, avec la question de savoir à quel moment prennent fin les effets de l’ordonnance ou de l’arrêt rendus en référé. 83 libération d’une garantie bancaire, le remboursement des fonds alloués 376… Mais la partie qui a dû subir l’exécution de la mesure provisoire dans l’intervalle peut-elle en outre mettre en cause la responsabilité du demandeur qui a procédé à l’exécution de celle-ci et réclamer la réparation du dommage causé par cette mesure ? Doit-elle dans ce cadre démontrer la faute du demandeur ? À suivre la dernière jurisprudence de la Cour de cassation, le débouté au fond ultérieur ne permet pas d’engager la responsabilité objective de la partie qui a sollicité, obtenu et exécuté le jugement avant dire droit au motif que seules l’annulation ou la réformation de ce jugement peuvent conduire à l’application de l’article 1398, alinéa 2, du Code judiciaire 377. Pour obtenir la réparation du préjudice subi en raison de la mesure provisoire, le défendeur doit donc démontrer la faute du demandeur, ce qui risque d’être particulièrement difficile, voire impossible. Cette solution a fait l’objet de critiques récentes en cas de débouté au fond postérieur au prononcé d’une ordonnance de référé qui avait fait droit à la demande 378. À notre sens, ces critiques peuvent être parfaitement transposées à l’hypothèse d’un jugement au fond qui rejette les prétentions du gagnant avant dire droit. À nos yeux, le plaideur qui prend le risque de solliciter et d’exécuter une mesure provisoire doit, en cas de rejet de sa demande au fond, indemniser le défendeur pour toutes les conséquences préjudiciables découlant de cette exécution sans qu’il soit démontré qu’il a commis une faute engageant sa responsabilité civile extracontractuelle 379. (376) Dans cette hypothèse, et sous réserve de ce qui sera dit ci-après concernant la responsabilité de la partie gagnante avant dire droit, les intérêts moratoires sur la somme allouée ne sont dus qu’à compter du jour du jugement au fond qui met fin à la mesure provisoire et non depuis le jour du paiement. (377) Cass., 10 septembre 2004, Pas., I, 1294 (cas d’une ordonnance du juge des saisies rétractée en raison d’un changement de circonstances sur la base de l’article 1419 du Code judiciaire, à savoir le rejet de la demande par le juge du fond) et Cass., 11 mars 2005, A.&M., 2005, p. 396 avec la note F. DE VISCCHER (à propos d’une saisie contrefaçon et d’un débouté ultérieur par le juge du fond). (378) G. de LEVAL, « Le problème de l’exécution de l’ordonnance rendue par le juge des référés », in Les mesures provisoires en droit belge, français et italien, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 399-401 ; S. BRIJS, « L’intervention du juge des référés dans l’exécution – l’exécution des décisions du juge des référés », in Le référé judiciaire, JB Bruxelles, 2003, p. 353, n° 36. (379) Ainsi, en cas de condamnation au paiement d’une somme à titre provisionnel, le demandeur au principal, débouté au fond, devrait être tenu de rembourser non seulement cette somme mais également des intérêts (compensatoires) depuis le jour du paiement. 84 Dans tous les cas de figure, cette indemnisation n’est pas automatique et il convient que la partie condamnée au provisoire sollicite, dans ses conclusions en prosécution de cause, la condamnation du gagnant au provisoire à l’indemniser du préjudice subi dans l’hypothèse du rejet de la demande au fond. 5.6 L’appel 380 120. Moment. En vertu des articles 1050, alinéa 1er, et 1055 du Code judiciaire, le jugement avant dire droit peut faire l’objet d’un appel immédiat même si le premier juge n’a pas encore statué définitivement sur le litige 381. Il peut également faire l’objet d’un appel différé mais au plus tard (c’est-à-dire le même jour) avec l’appel interjeté contre le jugement définitif 382 même s’il y a eu acquiescement ou exécution sans réserve 383. L’appel contre le jugement avant dire droit interjeté après l’appel contre le jugement définitif est partant irrecevable 384. Il en va de même lorsque cet appel est interjeté en même temps que l’appel principal qui est lui-même tardif 385. (380) Sur la matière de l’appel en général, on consultera la récente chronique de G. CLOSSET-MARCHAL, J.-F. van DROOGENBROECK, S. UHLIG et A. DECROËS, « Examen de jurisprudence (1993 à 2005). Droit judiciaire privé. Les voies de recours », R.C.J.B., 2006, p. 83 et s. (381) Cass., 26 mai 2003, Pas., I, 1071 (382) Cass., 22 avril 1983, Pas., I, 942. (383) Cass., 23 mars 1990, Pas., I, 858. (384) C.T. Gand, 21 décembre 1994, P.&B., 1995, p. 123. Mais, selon la Cour de cassation, cette obligation ne s’impose qu’à l’auteur de l’appel principal et non à l’auteur de l’appel incident dont le recours est nécessairement limité à la décision attaquée par l’appel principal (Cass., 20 septembre 2001, Pas., I, 1430). Concrètement, si l’appel principal est dirigé contre le jugement définitif, l’intimé qui forme appel incident par voie de conclusions contre ce jugement peut encore former ultérieurement appel principal (également par voie de conclusions) contre le jugement avant dire droit. (385) Cass., 15 février 1991, Pas., I, 575. 85 121. Délai. L’appel contre le jugement avant dire droit doit en règle être interjeté dans le mois de sa signification ou, le cas échéant, de sa notification 386 (art. 1051 C. jud.). Toutefois l’appel peut encore être interjeté en même temps que l’appel contre le jugement définitif même si le délai pour interjeter appel de la décision avant dire droit est expiré (art. 1055 C. jud.) 387. 122. Instruction en degré d’appel. En vertu de l’article 1066, alinéa 2, 2°, du Code judiciaire, sauf accord des parties, l’appel dirigé contre le jugement contenant un avant dire droit ou une mesure provisoire doit être retenu et plaidé lors de l’introduction et à défaut dans les trois mois au plus 388. Toutefois, en cas d’appel d’un jugement « mixte », la règle de l’article 1066 ne s’applique que si l’on peut dissocier l’examen du bien-fondé de la mesure avant dire droit de celui de la décision définitive 389. Par ailleurs, on sait que cette disposition, dont le non-respect est sans conséquence sur la régularité de la procédure et de la décision d’appel 390, est peu appliquée en pratique compte tenu de l’encombrement des rôles des juridictions du second degré. 123. Effets de l’appel – Jugement ordonnant une mesure d’instruction. En cas de confirmation même partielle en degré d’appel d’un jugement ordonnant une mesure d’instruction, il est fait exception à l’effet dévolutif de l’appel et la cause doit être renvoyée au premier juge (article 1068, alinéa 2, C. jud.). La règle est d’ordre public et le juge d’appel ne peut y déroger même avec l’accord des parties 391. Lorsque le jugement entrepris contient des dispositions avant dire droit « mixtes », mesure d’instruction et allocation provisionnelle, le juge d’appel qui confirme la mesure doit également renvoyer le tout au premier juge afin (386) On rappelle à cet égard que selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation la notification peut donner lieu à la prise de cours du délai de recours même dans des matières qui ne sont pas visées par l’article 704, § 2, du Code judiciaire auquel renvoie l’article 792, alinéa 2 et 3, lorsque cela peut « se déduire des dispositions légales applicables à la matière » (voy. not. Cass., 22 mars 2004, Pas., I, 492 ; Cass., 10 mars 2003, Pas., I, 504). (387) Cass., 6 décembre 1974, Pas., 1975, I, 377. (388) Voy. ég. art. 1066, alinéa 2, 6°, C. jud. s’agissant de l’appel des décisions exécutoires par provision sans caution, ni cantonnement. (389) Voy. réc. H. BOULARBAH, « Questions d’actualité relatives aux débats succincts », op. cit., p. 92, n° 7 et les réf. citées. (390) Cass., 14 mars 1974, Pas., I, 729. (391) Cass., 5 janvier 2006, R.W., 2005-2006, p. 1264, note S. MOSSELMANS. 86 qu’il statue définitivement sur la base des résultats de la mesure d’instruction 392. 124. Effet de l’appel – Jugement ordonnant une mesure provisoire. En vertu de l’article 1072, alinéa 1er, du Code judiciaire, lorsqu’une mesure destinée à régler provisoirement la situation des parties a été ordonnée en première instance, le juge d’appel peut décider qu’il ne statuera définitivement que lorsque cette mesure aura été accomplie 393. 5.7 L’interruption de la prescription 125. Demande de mesure avant dire droit autonome. Il faut considérer, conformément aux principes qui ont déjà été rappelés 394, que, formée indépendamment d’une demande principale au fond, la demande de mesure avant dire droit n’est en règle pas interruptive de prescription sauf lorsqu’elle sollicite le prononcé d’une mesure d’anticipation qui tend à la reconnaissance du droit menacé par la prescription. 126. Demande de mesure avant dire droit, accessoire à une demande principale ou incidente. Par contre, lorsqu’elle est formée accessoirement à la demande principale, la demande de mesure avant dire droit bénéficie bien évidemment de l’effet interruptif qui s’attache à la citation introductive d’instance. Il en va de même lorsqu’elle est formée de manière incidente 395 puisqu’il faut, selon nous, considérer qu’une telle demande de mesure avant dire droit est virtuellement comprise dans la demande principale. (392) Bruxelles, 13 décembre 2001, J.L.M.B., 2004, p. 200. (393) Concl. proc. gén. Krings avant Cass., 13 janvier 1972, Pas., I, 467. (394) Voy. supra, nos 39, 56 et 89. (395) C’est-à-dire dans le cadre d’une demande additionnelle ou nouvelle. La demande de mesure avant dire droit formée par voie reconventionnelle ou dans le cadre d’une intervention ne profite évidemment pas de l’effet interruptif de prescription attaché à la demande principale. 87 6. Les procédures dérogatoires devant les juridictions commerciales — Le fond dans les formes accélérées 127. Objet de la présente section. À côté des actions « comme en référé », le droit commercial connaît également des procédures au fond qui, sans être soumises aux formes du référé, font l’objet de dispositions dérogatoires au droit commun, destinées à en accélérer le traitement 396. À notre connaissance, il s’agit principalement des recours en matière de surveillance financière 397, des demandes fondées sur des droits subjectifs en matière d’offres publiques d’acquisition 398 et des recours contre les décisions du Conseil de la concurrence 399. Ces procédures relèvent toutes de la compétence de la cour d’appel de Bruxelles. Au niveau de la mise en état, elles seront également comparées au régime des questions préjudicielles en interprétation du droit de la concurrence, (396) Ces dispositions dérogatoires ne suffisent pas à rendre les formes du référé applicables à la procédure. Voy. en matière de surveillance financière : X. TATON, « Les procédures dérogatoires et accélérées en droit bancaire et financier », in X., Les actions en cessation, CUP, vol. 87, Larcier, Bruxelles, 2006, p. 161 et suiv., spéc. p. 176 et 177, n° 32. Contra : C. DALCQ et S. UHLIG, « Vers et pour une théorie générale du ‘comme en référé’ : le point sur les questions transversales de compétence et de procédure », in X., Les actions en cessation, ibid., p. 7 et suiv., spéc. p. 13 et 14. (397) Articles 120, 121 et 123 de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers (M.B., 4 septembre 2002, p. 39.121). Pour des cas d’application, voy. notamment: Bruxelles, 10 février 2006, Lendit et Lendit Louise contre Commission bancaire, financière et des assurances, R.G. 2004/SF/5, inédit ; Bruxelles, 19 janvier 2006, Lendit contre Commission bancaire, financière et des assurances, R.G. 2004/SF/4, inédit, à paraître dans la R.D.C., 2006, avec une note de D. DE ROY, « Le contrôle des amendes infligées par la Commission bancaire, financière et des assurances et les pouvoirs de la cour d’appel de Bruxelles ». (398) Article 18ter de la loi du 2 mars 1989 relative à la publicité des participations importantes dans les sociétés cotées en bourse et réglementant les offres publiques d’acquisition, introduit par l’article 5 de la loi du 2 août 2002 complétant la loi précitée du même jour et modifiant diverses autres dispositions légales (M.B., 4 septembre 2002, p. 39.174). Pour des cas d’application, voy. notamment: Bruxelles, 10 novembre 2005, Dr. banc. fin., 2006, p. 21 ; Bruxelles, 10 novembre 2005, Dr. banc. fin., 2006, p. 17 ; Bruxelles, 8 novembre 2005, Dr. banc. fin., 2006, p. 13 ; Bruxelles, 7 novembre 2005, Dr. banc. fin., 2006, p. 10 ; M. FYON, « L’offre publique sur Electrabel et la jurisprudence naissante de la cour d’appel de Bruxelles en matière d’offres publiques d’acquisition », note sous les arrêts précités, Dr. banc. fin., 2006, p. 5 et suiv. (399) Articles 28 et 29 de la loi du 10 juin 2006 instituant un Conseil de la concurrence (M.B., 29 juin 2006, p. 32.746). Sur cette nouvelle législation, voy. notamment: G. ZONNEKEYN, « De hervorming van de Belgische mededingingswet: een nieuwe start of een gemiste kans ? », à paraître dans la R.D.C., 2006 ; P. NIHOUL, « Le projet de loi belge sur la protection de la concurrence économique. Les relations avec le règlement CE 1/2003 », R.C.B., 2006, n° 1, p. 4 et suiv. 88 dont la connaissance a été récemment attribuée à la Cour de cassation 400. Ces procédures présentent des différences fondamentales quant à leur nature 401, et font l’objet d’une analyse spécifique dans le présent ouvrage. Il ne sera donc pas question dans la présente section de détailler chacun de ces contentieux mais bien d’examiner les quelques questions de procédure qui leur sont communes. 6.1 Questions de compétence matérielle 128. Compétences exclusives. Comme les actions « comme en référé » 402, ces procédures dérogatoires font l’objet de compétences exclusives 403, excluant toute prorogation de compétence au profit du tribunal de première instance. 129. Paralysie des mécanismes de prorogation de compétence et de jonction. Une autre similitude entre ces procédures dérogatoires et les actions « comme en référé » réside dans la paralysie de certains mécanismes de prorogation de compétence et de jonction prévus par le Code judiciaire. Ainsi, l’article 18ter, § 5, de la loi du 2 mars 1989 précise que la cour d’appel de Bruxelles « n’est susceptible de connaître en premier ressort d’aucune autre demande que [les demandes en matière d’OPA], étant entendu qu’il n’y a pas lieu d’appliquer les règles du Code judiciaire relatives à la connexité et aux demandes (400) Articles 25 et 26 de la loi du 10 juin 2006 précitée. Avant le 1er octobre 2006, date d’entrée en vigueur de la loi du 10 juin 2006, le contentieux préjudiciel en droit de la concurrence était également attribué à la cour d’appel de Bruxelles. Il s’agissait d’ailleurs d’un contentieux obligatoire en application du droit de la concurrence. Voy. notamment: X. TATON, « Le contentieux préjudiciel interne en droit de la concurrence après l’entrée en vigueur du règlement 1/2003 », note sous Liège, 9 septembre 2004 et Bruxelles, 23 juin 2005, R.D.C., 2006, p. 648 et suiv.; H. VIAENE, « De prejudiciële vraag of hoe een vlag niet altijd de lading dekt », R.C.B., 2006, n° 2, p. 37 et suiv. (401) Voy. X. TATON, « Les procédures dérogatoires… », op. cit., p. 182 à 185, n° 40 à 45; X. TATON, « Le contentieux préjudiciel… », op. cit., p. 651 à 653, n° 8 et 10. Voy. également : D. DE ROY, « Le pouvoir réglementaire des autorités administratives indépendantes en droit belge », in X., XVIIe Congrès de l’Académie Internationale de droit comparé, 16-22 juillet 2006, Utrecht, Pays-Bas, http ://www2.law.uu.nl/priv/AIDC/index2.asp, n° 35 à 54. (402) Voy. supra n° 62. (403) Voy. les articles 605bis et 605ter du Code judiciaire, et l’article 18ter, § 1er, de la loi du 2 mars 1989. 89 reconventionnelles ». Le législateur a ainsi exclu l’application des articles 563 et 566 du Code judiciaire, qui permettent à un tribunal saisi d’une demande principale relevant de sa compétence, de connaître simultanément de demandes reconventionnelles et de demandes connexes 404 405. À l’instar des actions « comme en référé » 406, cette exclusion ne s’applique pas aux demandes reconventionnelles pour procédure téméraire et vexatoire 407. De même, dans son troisième arrêt Lendit du 10 février 2006, la cour d’appel de Bruxelles a considéré qu’il ne lui appartenait pas, dans le cadre d’un recours contre une décision de la Commission bancaire, financière et des assurances, de connaître d’une demande en responsabilité contre la Commission 408. 6.2 Questions de compétence territoriale 130. Compétence territoriale d’ordre public. La cour d’appel de Bruxelles bénéficie d’une compétence territoriale d’ordre public pour les recours en matière de surveillance financière et de concurrence, et pour les demandes en matière d’O.P.A. 409 Les parties ne sauraient donc l’attribuer à la cour d’appel d’un autre ressort, même par une clause de juridiction postérieure à la naissance du litige 410. (404) Sur ces dispositions, voy. notamment : J. LAENENS, « Bevoegdheid. Ger. W. Art. 563 », in X., Gerechtelijk recht. Artikelsgewijze commentaar met overzicht van rechtspraak en rechtsleer, feuillets mobiles, Kluwer, 1994; J. LAENENS, « Bevoegdheid. Ger. W. Art. 566 », in X., Gerechtelijk recht. Artikelsgewijze commentaar met overzicht van rechtspraak en rechtsleer, feuillets mobiles, Kluwer, 1983. (405) Les demandes en intervention restent, quant à elles, régies par l’article 564 du Code judiciaire, selon lequel « le tribunal saisi d’une demande est compétent pour connaître d’une demande en intervention ». À défaut de disposition dérogatoire, la cour d’appel de Bruxelles est compétente pour connaître des demandes en intervention en matière d’OPA. Voy. de manière implicite : Bruxelles, 10 novembre 2005, précité; Bruxelles, 8 novembre 2005, précité. (406) Voir supra n° 66. (407) Dans un arrêt du 24 mars 2006 (J.T., 2006, p. 345), la cour d’appel de Bruxelles s’est déclarée compétente pour connaître d’une telle demande en estimant que le législateur n’avait pas pu vouloir exclure la règle générale selon laquelle le juge de l’action est le mieux placé pour apprécier son éventuel caractère fautif. (408) Bruxelles, 10 février 2006, précité. Voy. également : Bruxelles, 8 novembre 2005, précité. (409) Voy. l’article 633bis du Code judiciaire. (410) Voy. l’article 630 du Code judiciaire. 90 6.3 Questions de procédure 131. Mode d’introduction. Par dérogation aux articles 700 et 706 du Code judiciaire 411, la cour d’appel de Bruxelles est saisie par voie de requête signée et déposée à son greffe 412, et ce sous peine d’irrecevabilité ou de nullité prononcée d’office 413. La formalité de la requête est donc sanctionnée soit par une fin de non-recevoir d’ordre public 414, soit par une nullité absolue 415 416. Le contenu de la requête est également prescrit à peine d’irrecevabilité 417 ou de nullité 418. La sanction de l’irrecevabilité, prévue en matière de surveillance financière et d’OPA, est extrêmement surprenante. En effet, le vice de forme entachant un acte de procédure entraîne habituellement la nullité de l’acte 419. En outre, cette sanction est particulièrement sévère, puisqu’elle implique que l’omission de (411) Qu’il s’agisse de recours objectifs ou de demandes fondées sur des droits subjectifs, il s’agit de demandes principales introduites en premier ressort (X. TATON, « Les procédures dérogatoires… », p. 183, n° 42). (412) La requête contradictoire est également un mode d’introduction concurrent ou exclusif de certaines procédures « comme en référé ». Voy. supra n° 78. (413) L’irrecevabilité est prévue en matière de surveillance financière et d’OPA (articles 120, § 3, 121, § 3, et 123, § 4, de la loi du 2 août 2002 ; article 18ter, § 3, de la loi du 2 mars 1989), tandis que la nullité l’est pour les recours contre les décisions du Conseil de la concurrence (article 29, § 2, alinéa 2, de la loi du 10 juin 2006). (414) Voy. Cass., 27 mai 1994, R.C.J.B., 1995, p. 639 et la note de G. CLOSSETMARCHAL, « Exceptions de nullité, fins de non-recevoir et violation des règles touchant à l’organisation judiciaire », p. 643 et suiv., spéc. p. 660, n° 31 ; J. ENGLEBERT, « Les nullités », in X., Le point sur les procédures (2e partie), CUP, vol. 43, Liège, 2000, p. 79 et suiv., spéc. p. 83 et 84, n° 3 et 4. (415) À notre estime, la « nullité prononcée d’office » prévue par l’article 29, § 2, alinéa 2, de la loi du 10 juin 2006, peut être couverte si elle n’est soulevée ni par les parties ni par la cour d’appel avant le prononcé d’un arrêt contradictoire autre que celui prescrivant une mesure d’ordre intérieur ou si l’acte a réalisé le but que la loi lui assigne (articles 864, alinéa 2, et 867 du Code judiciaire). (416) Sur les sanctions du choix d’un mode erroné d’introduction de l’instance en l’absence de disposition spécifique, voy. H. BOULARBAH et J. ENGLEBERT, « Questions d’actualité en procédure civile », in X., Actualités en droit judiciaire, CUP, vol. 83, Larcier, Bruxelles, 2005, p. 43 et suiv., spéc. p. 51, n° 9, et les références citées ; E. LEROY, « Repenser le formalisme », note sous Cass., 19 avril 2002, R.C.J.B., 2003, p. 25 et suiv., spéc. p. 347 à 356. (417) Article 120, § 3, 121, § 3, et 123, § 4, de la loi du 2 août 2002 ; article 18ter, § 3, de la loi du 2 mars 1989. (418) Article 29, § 2, alinéa 3, de la loi du 10 juin 2006. (419) J. ENGLEBERT, « Les délais », in X., De sanctieregeling in het gerechtelijk recht. Les sanctions en droit judiciaire, IUCGR / CIUDJ, Kluwer, Diegem, 1994, p. 45 et suiv., spéc. p. 50, n° 10 ; G. BLOCK, « L’exception de nullité après la réforme du Code judiciaire », in X., De sanctieregeling…, ibid., p. 16 et suiv., spéc. p. 43, n° 43. 91 l’une des mentions précitées entraîne le débouté définitif du requérant 420. Par contre, la nullité permet au requérant d’introduire valablement une nouvelle requête, pour autant que les délais de recours ne soient pas expirés 421. 132. Mise en état. La mise en état de ces procédures dérogatoires ne se déroule pas selon les règles applicables pour le référé, mais est caractérisée par la fixation des délais d’échange des « observations écrites » dès l’audience d’introduction 422. 133. Observations écrites. Il est étonnant que ces dispositions ne parlent pas de « conclusions », mais bien d’« observations écrites ». Les travaux préparatoires ne proposent d’ailleurs aucune définition de cette dernière notion. Celle-ci nous semble devoir s’interpréter comme un terme générique englobant tous les écrits que les parties soumettent à l’examen de la Cour, que ceux-ci constituent de véritables conclusions, c’est-à-dire « des écrits sous seing privé, signés par les parties ou leurs mandataires ad litem, qui contiennent leurs moyens de fait et de droit et l’exposé des prétentions juridiques qui en découlent » 423, ou de simples notes de plaidoirie non signées. Cependant, étant donné qu’aucune sanction n’est prévue pour la communication ou le dépôt tardif d’observations écrites, seules les conclusions communiquées tardivement peuvent être écartées des débats, conformément à l’article 747, § 2, alinéa 6, du Code judiciaire. En outre, l’article 149 de la Constitution n’impose à la cour d’appel que de répondre aux moyens (420) Une telle sévérité n’a pas été voulue par le législateur du 2 août 2002. Les travaux préparatoires se réfèrent en effet à un arrêt de la Cour de cassation du 9 novembre 1973 (Pas., 1974, I, 274), qui sanctionne de nullité l’absence d’énonciation de griefs dans un acte d’appel (Exposé des motifs, Doc. parl., Chambre, S.O., 2001-2002, n° 1842/1 et 1843/1, p. 133). (421) G. BLOCK, « L’exception de nullité… », ibid., p. 43, n° 43. (422) Article 120, § 3, de la loi du 2 août 2002 ; article 18ter, § 3, de la loi du 2 mars 1989 ; article 29, § 2, alinéa 9, de la loi du 10 juin 2006. Il s’agit donc d’une institutionnalisation de la pratique d’acter un calendrier d’échange de conclusions au stade de l’audience d’introduction. Sur cette pratique, voy. notamment : Cass., 1er juin 2001, A.J.T., 2001-2002, p. 528, et la note de E. BREWAEYS, « De conclusietermijnregeling op de inleidende zitting », p. 529 et suiv. (423) E. GUTT et J. LINSMEAU, « Examen de jurisprudence (1971 à 1978). Droit judiciaire privé (suite) », R.C.J.B., 1983, p. 63 et suiv., spéc. p. 79, n° 83. Voy. également la définition retenue par B. MAES, De motiveringsverplichting van de rechter, Kluwer, Anvers, 1990, p. 45, n° 35. 92 développés par les parties dans leurs conclusions proprement dites 424. 134. Questions préjudicielles devant la Cour de cassation. Dans le cadre des questions préjudicielles en interprétation du droit de la concurrence, l’article 26, § 2, alinéa 2, de la loi du 10 juin 2006 prévoit que « le greffier près la Cour de cassation invite les parties, le ministre [de l’économie] et la Commission européenne 425 à formuler leurs observations écrites dans le mois de la notification de la question préjudicielle, à peine d’irrecevabilité » 426. Ce délai unique pour toutes les parties nous semble cependant contraire au principe du contradictoire – qui a la valeur d’un traité international directement applicable 427 – puisqu’il ne garantit pas aux parties la possibilité de connaître, par écrit, l’argumentation ou l’avis des autres intervenants au (424) B. MAES, De motiveringsverplichting…, ibid., p. 43, n° 34 ; F. DUMON, « De motivering van de vonnissen en arresten en de bewijskracht van de akten », R.W., 1978-1979, col. 257 et suiv., spéc. col. 260 à 263, n° 2 à 5. (425) Ainsi que l’auditeur du Conseil de la concurrence lorsque la question préjudicielle est posée par cette juridiction administrative (article 29, § 3, alinéa 2, de la loi du 10 juin 2006). Le ministre de l’économie, la Commission européenne et l’auditeur du Conseil de la concurrence agissent dans ce cadre en tant qu’« amici curiae » et soumettent un avis non contraignant à la Cour de cassation, sur un modèle similaire à celui de l’intervention du Ministère public en matière civile (voy. articles 764 à 768 du Code judiciaire ; E. PAULIS et C. GAUER, « La réforme des règles d’application des articles 81 et 82 du Traité », J.T.dr.eur., 2003, p. 65 et suiv., spéc. p. 72 et 73, n° 79 à 81 ; H. NYSSENS, « Le règlement 1/2003 CE : vers une décentralisation et privatisation du droit de la concurrence », R.D.C., 2003, p. 286 et suiv., spéc. p. 291 ; P. HENRY, « De la contradiction des avis du ministère public », observations sous C.E.D.H., 20 février 1996, J.L.M.B., 1996, p. 911 et suiv., spéc. p. 911). (426) Mal qualifiée, cette sanction nous semble devoir être comprise comme un écartement des observations déposées hors délai. En effet, il serait absurde de frapper la question préjudicielle d’irrecevabilité en cas de dépôt tardif d’observations par l’un des intervenants. D’ailleurs, la loi ne précise pas si une telle « irrecevabilité » des observations peut ou non être prononcée d’office par la Cour de cassation. (427) C.E.D.H., 18 mars 1997, J.T., 1997, p. 495. Ce principe prime donc les dispositions contraires de droit interne (Cass., 27 mai 1971, Pas., I, 888, et les conclusions conformes de W. Ganshof van der Meersch). 93 procès, en temps utile pour y préparer une réponse écrite 428 429. 135. Délai pour statuer. En matière de surveillance financière et d’OPA, la cour d’appel de Bruxelles statue, sauf circonstances dûment motivées, dans un délai de 60 jours à compter de l’introduction de la demande 430 431. Cette disposition, qui déroge à l’article 770 du Code judiciaire, n’est cependant pas davantage sanctionnée que celui-ci. À titre d’exemple, dans son premier arrêt Lendit du 25 février 2005, la cour d’appel de Bruxelles a considéré que comme la dernière date utile de fin de l’O.P.A. était dépassée au jour de l’introduction des recours, ceux-ci ne présentaient plus d’urgence, de sorte que l’arrêt ne serait pas prononcé dans les 60 jours 432. En ce qui concerne les questions préjudicielles en droit de la concurrence, la Cour de cassation statue « toutes affaires cessantes » 433. (428) J. ENGLEBERT, « Du droit de plaider et de l’obligation de se taire », Cah. dr. jud., 1993, p. 105 et suiv., spéc. p. 110, n° 41. Voy. également : Cass., 6 septembre 1999, Bull. Cass., n° 436 ; Cass., 16 mars 1982, Pas., I, 835. La cour d’appel de Bruxelles avait déjà consacré ce principe dans le cadre du contentieux préjudiciel en droit de la concurrence (Bruxelles, 23 juin 2005, R.D.C., 2006, p. 640, et la note précitée de X. TATON, spéc. p. 654, n° 16 ; Bruxelles, 9 mars 1995, Ing.-Cons., 1995, p. 376, et les observations de P. DE VROEDE, « L’interprétation de l’article 42, § 1, de la loi du 5 août 1991 sur la protection de la concurrence économique », p. 394 et suiv. ; Bruxelles, 23 juin 1994, J.T., 1995, p. 8). (429) L’absence de réponse écrite cause, en soi, un grief aux autres parties, dans la mesure où le juge n’est tenu de répondre qu’aux conclusions régulièrement déposées. (430) Articles 120, § 5, 121, § 5, et 123, § 6, de la loi du 2 août 2002 ; article 18ter, § 4, de la loi du 2 mars 1989. Ces dispositions ne visent cependant pas les recours formés contre les décisions de la C.B.F.A. infligeant des amendes administratives ou des astreintes, car de tels recours ont un effet suspensif. Dans ce cas, la cour d’appel est néanmoins tenue de statuer dans un délai raisonnable en vertu de l’article 6 de la C.E.D.H. (431) Selon C. Dalcq, les nouvelles procédures prévues en matière de surveillance financière constituent des procédures comme en référé, en raison de leur caractère accéléré (C. DALCQ, « Les actions ‘comme en référé’ », in X., Le référé judiciaire, Jeune Barreau, Bruxelles, 2003, p. 145 et suiv., spéc. p. 150 et 151). Nous doutons cependant que l’obligation de respecter le calendrier d’échange d’observations écrites et le délai non sanctionné de 60 jours dans lequel la cour d’appel de Bruxelles devrait statuer, suffisent pour considérer que ce contentieux est traité selon les formes du référé. (432) Bruxelles, 25 février 2005, précité. (433) Article 26, § 3, alinéa 3, de la loi du 10 juin 2006. Avant le 1er octobre 2006, la cour d’appel de Bruxelles statuait sur les questions préjudicielles en droit de la concurrence selon une procédure « comme en référé ». À défaut de référé devant la Cour de cassation, il a été désormais prévu que la Cour statuerait « toutes affaires cessantes » (Avis du 94 6.4 Voies de recours 136. Application du droit commun. En l’absence de dérogation aux articles 608 et 609 du Code judiciaire, les arrêts prononcés par la cour d’appel de Bruxelles en matière de surveillance financière, d’OPA et de recours contre les décisions du Conseil de la concurrence, peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation 434. La cassation d’un arrêt prononcé par la cour d’appel de Bruxelles entraîne le renvoi de la cause devant la même cour 435, mais autrement composée. Un magistrat qui a participé à la décision cassée ne peut en effet pas siéger dans la juridiction de renvoi 436. * * * Conseil d’État, n° 38.502/1 du 5 juillet 2005, Doc. parl., Chambre, 2005-2006, n° 2.180/1, p. 161 et suiv., spéc. p. 163). Cette expression lapidaire insiste, certes, sur l’exigence de célérité dans le traitement de la question préjudicielle, mais ne résout pas la question des règles applicables à la mise en état de la cause (voy. supra note 397). (434) J-M. NELISSEN GRADE, « Kroniek van de openbare overnamebiedigingen (1996-2003) (Deel I) », Dr. banc. fin., 2004, p. 30 et suiv., spéc. p. 42, n° 23 ; D. VAN GERVEN, « Verhaalmiddelen tegen de beslissingen van de toezichtorganen », Dr. banc. fin., 2003, p. 160 et suiv., spéc. p. 161, n° 2 ; P.A. FORIERS, « Le référé en droit des sociétés et des offres publiques », in X., Le référé judiciaire, Jeune Barreau, Bruxelles, 2003, p. 231 et suiv., spéc. p. 261, n° 16. (435) Article 1110 du Code judiciaire ; Cass., 23 janvier 1978, Pas., I, 596 ; Cass., 23 octobre 1974, Pas., 1975, I, 232 ; Cass., 14 mars 1973, Pas., I, 662 ; F. DUMON, « Voorziening in cassatie », in X., Gerechtelijk recht. Artikelsgewijze commentaar met overzicht van rechtspraak en rechtsleer, feuillets mobiles, Kluwer, 1987, p. 27, n° 47 à 49 ; A. FETTWEIS, Manuel de procédure civile, Faculté de droit de Liège, Liège, 1987, p. 561, n° 875 ; A. LE PAIGE, « Rechtsmiddelen », in X., Handboek voor gerechtelijk recht, 4e partie, Standaard wetenschappelijke uitgeverij, Anvers, 1973, p. 146 et 147, n° 148. (436) Article 828, 9° du Code judiciaire ; Cass., 19 octobre 1983, Pas., 1984, I, 175. 95