Histri Blong Yumi – Vol. 3
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Histri Blong Yumi – Vol. 3
Histri Blong Yumi Long Vanuatu Histoire du Vanuatu, un outil pédagogique Volume Trois Sara Lightner, Anna Naupa, auteurs Version française sous la direction de Marc Tabani Une production du Centre Culturel du Vanuatu (VKS) Première édition anglaise en 2005 – édition française 2011 Centre Culturel du Vanuatu BP 184, Port-Vila, Vanuatu Téléphone : (678) 22129 | Télécopie : (678) 26590 Courriel : [email protected] Copyright © 2011 Conseil National Culturel du Vanuatu Design copyright © 2005-2011 Blue Planet Media + Communications Vanuatu Design et production par Blue Planet Media + Communications Vanuatu Courriel : [email protected] Traduction par Matthieu Delbé, Odile Guiomar, Sébastien Lacrampe et Véronique Puech, avec le concours de l’Alliance française de Port-Vila. Relecture et correction par Caroline Tabani. Version française sous la direction de Marc Tabani Les chapitres 2 et 5 ont été écrits par Marc Tabani Traduit et publié avec le soutien financier de l’Ambassade de France au Vanuatu et du Fonds Pacifique USP Library Cataloguing-in-Publication Data Lightner, Sara Histri blong yumi long Vanuatu : histoire du Vanuatu, un outil pédagogique / Sara Lightner et Anna Naupa, auteurs ; version française sous la direction de Marc Tabani – Port Vila, Vanuatu : Vanuatu Cultural Centre, 2011. 3 v. ; 26 cm. + Guide de l’enseignant In French. ISBN 978-982-9032-74-4 (Guide de l’enseignant) ISBN 978-982-9032-75-1 (v. 2) ISBN 978-982-9032-76-8 (v. 1) ISBN 978-982-9032-77-5 (v. 3) 1. Vanuatu—History—Study and teaching I. Naupa, Anna II. Tabani, Marc III. Vanuatu Cultural Centre IV. Title. DU760.L44 2010995.95 3 volume trois Table des matières Introduction au Volume Trois 7 1. Les débuts du condominium et le gouvernement colonial : de 1887 à 1980 9 Introduction « Une terre n’appartenant à personne » Plus en détail – la Commission Navale mixte : 1887 à 1906 L’établissement du condominium Le gouvernement du condominium Les Commissaires-Résidents Le Tribunal mixte L’avocat des indigènes Un épisode du Tribunal mixte Le protocole commun de 1914 Les Délégués du condominium Le Tribunal indigène Plus en détail – les meurtres de Pentecôte Les populations du condominium Plus en détail – des travailleurs wallisiens aux Nouvelles-Hébrides Témoignages sur le condominium 2.Les cultes du cargo et les mouvements sociaux du 20ème siècle à nos jours Introduction Qu’est-ce que le « culte du Cargo » ? La Vailala Madness et les premiers cultes du Cargo Aspects théoriques des cultes du Cargo Les premiers mouvements à Santo Le mouvement John Frum à Tanna La loi de Tanna John Frum pour les gens de Tanna Autres récits historiques sur John Frum 9 9 10 13 14 16 17 20 21 24 25 26 27 29 31 33 37 37 37 38 42 43 46 50 51 52 4 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois La période contemporaine du mouvement John Frum La Malekula Native Company (Malnatco) Les mouvements sociaux au Vanuatu 3.La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 54 55 59 61 Les débuts de la Seconde Guerre mondiale en Europe 61 Le début de la guerre du Pacifique 63 Les Nouvelles-Hébrides et la Seconde Guerre mondiale : les premiers jours 64 Plus en détail – la force de Défense des Nouvelles-Hébrides 65 Plus en détail – l’internement des résidents Japonais 67 L’arrivée des Américains 68 Plus en détail – la participation des insulaires à la guerre 69 Les années de guerre à Santo : un recueil de photographies 71 Etude de carte 1 : la participation de Santo à la Guerre 74 Plus en détail – la relation entre les indigènes et les soldats 77 Plus en détail – la relation entre américains et le condominium 79 Le « President Coolidge » 81 Etude de carte 2 : les Nouvelles-Hébrides et la guerre dans le Pacifique 84 La fin de la Seconde Guerre mondiale 84 L’impact de l’occupation américaine 86 Plus en détail – « Tales of the South Pacific » 89 La Seconde Guerre mondiale : suggestions de recherches 91 4.Croissance de Port-Vila et de Luganville de la fin du 19ème siècle aux années 1970 Introduction Port-Vila Vivre à Port-Vila Plus en détail – L’hôtel Rossi Développement de Port-Vila pendant la guerre Les Américains occupent les bâtiments du condominium Après la guerre Luganville Les années de guerre Santo après la guerre Plus en détail – voyage au bout du monde 93 93 94 96 98 101 101 103 104 106 106 108 Table des matières 5.En route vers l’indépendance : 1970 à 1980 Introduction La question de l’identité L’enjeu foncier Naissance du Nagriamel L’organisation du Nagriamel Les soutiens extérieurs du Nagriamel La formation des partis politiques La demande officielle d’indépendance Un soutien croissant La fièvre de l’indépendance Le gouvernement provisoire du peuple (GPP) Plus en détail – le Plan Dijoud Plus en détail – la Constitution de la nouvelle nation L’élection de novembre 1979 La rébellion de Santo La répression des partisans du Vemarana La mort d’Eddie Stevens et la fin de la rébellion Le jour de l’indépendance : le 30 juillet 1980 Plus en détail – le blason du Vanuatu 6.L’édification nationale du 30 juillet 1980 à nos jours Introduction La politique La création d’une République parlementaire La politique intérieure et le « socialisme mélanésien » Des difficultés politiques croissantes Création des frontières politiques et géographiques : des Torres à Hunter Le mouvement anti-nucléaire dans le Pacifique Les émeutes de Port-Vila en 1988 Plus en détail – la crise présidentielle et constitutionnelle de 1988 La politique et l’économie : le programme de réforme globale L’économie Plus en détail – le paradis fiscal Plus en détail – le tourisme au Vanuatu Plus en détail – le kava du Vanuatu et son exportation Plus en détail – l’élevage bovin du Vanuatu Plus en détail – la mondialisation et le libre échange La vie sociale du pays Plus en détail – l’urbanisation au Vanuatu Plus en détail – le rôle des chefs au Vanuatu : le Malvatumauri Plus en détail – nouvelles églises chrétiennes et autres religions Plus en détail – une nation récente avec une population jeune La renaissance culturelle à travers le festival des arts Plus en détail – le sport au Vanuatu 5 111 111 111 113 115 118 119 122 126 127 132 134 135 136 138 140 142 144 148 149 151 151 151 152 153 155 157 159 161 163 165 168 169 170 172 173 174 176 176 179 180 182 184 186 6 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Plus en detail – spirit blong bubu i kam bak Plus en détail – les liens avec les Australiens d’origine mélanésienne Plus en détail – les jeunes femmes parlent Pourcentage croissant des maladies liées au style de vie Les préoccupations environnementales du Vanuatu Plus en détail – l’intérêt extérieur pour le bois du Vanuatu Plus en détail – la gestion des ressources marines dans les villages Plus en détail – le bassin hydrographique de la rivière Tagabe Plus en détail – évaluation des impacts sur l’environnement Plus en détail – la pêche au Vanuatu Plus en détail – où sont passées toutes les tortues ? Les droits fonciers au Vanuatu Plus en détail – la terre et l’identité Les droits fonciers Qu’est-ce qu’un regime foncier ? Les droits fonciers traditionnels ‘Mama loa’ : la Constitution et la terre Les regimes fonciers modernes : les baux Plus en détail – la ville Plus en détail – les lotissements Les annexes Listes des Commissaires Résidents pendant le condominium Traduction anglaise des répliques françaises de la scène tirée de la pièce ‘A Joy Court’ Les personnages clés de la lutte pour l’indépendance L’hymne national du Vanuatu Le Titre 12 de la Constitution de la République de Vanuatu Bibliographie 186 187 189 191 192 193 194 196 197 198 200 202 203 204 206 206 209 211 212 214 219 219 220 222 225 226 229 7 Introduction au Volume Trois Le volume trois de « Histri Blong Yumi Long Vanuatu : un outil pédagogique » commence avec la création du condominium des Nouvelles-Hébrides (Les débuts du condominium et le gouvernement colonial : de 1887 à 1980). La réponse des Mélanésiens aux premières années du gouvernement colonial est décrite dans « Cultes du Cargo et mouvements sociaux dans les années 1930 et les années 1940 ». Les conséquences de l’occupation américaine dans notre archipel pendant la Seconde Guerre mondiale (« La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : de 1942 à 1945 ») et la contribution américaine à la création de zones urbaines à Efate et Santo (« Le développement de Port-Vila et Luganville : de la fin du 19ème siècle aux années 1970 ») sont également étudiées. Les conflits fonciers toujours plus nombreux entre Mélanésiens et colons, l’acceptation par les deux tutelles coloniales du principe d’une souveraineté pour cet archipel, la persistance des désaccords entre la France et la Grande-Bretagne sur les formes que prendrait cette indépendance, sont les grands jalons qui ponctuent le chapitre « En route vers l’indépendance dans les années 1970 ». Si vous voulez en savoir plus sur les autres périodes de l’histoire du Vanuatu, vous pouvez lire les deux autres volumes de « Histri Blong Yumi Long Vanuatu : un outil pédagogique ». Le programme du premier volume explore les débuts de l’histoire de l’archipel, la genèse des îles jusqu’au peuplement de celles-ci, et la relation entre les premiers arrivants et leur environnement. Le volume deux de ce programme d’histoire étudie la période de fortes interactions avec les Européens, des premiers explorateurs européens jusqu’aux plantations. A v e rt i s se me n t Il n’y a pas de règle pour l’attribution d’une préposition devant des noms d’îles, seul l’usage en détermine l’emploi. Dans le cas du Vanuatu, on retrouve chez nombre d’auteurs aussi bien les mentions « à Vanuatu » que « au Vanuatu », « de Vanuatu » que « du Vanuatu », « Vanuatu » ou « le Vanuatu », etc. Le choix éditorial pour ce manuel d’histoire nationale, qui n’engage que ses auteurs, est de retenir l’usage des formules « le Vanuatu », « au Vanuatu », « du Vanuatu ». Les citoyens de ce pays sont des Ni-Vanuatu ou des Vanuatais(e) – adjectif : ni-vanuatu, vanuatais(e). 8 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois 9 chapitre un Les débuts du condominium et le gouvernement colonial : de 1887 à 1980 Introduction Le condominium franco-britannique des Nouvelles-Hébrides est le seul exemple connu dans l’histoire mondiale de la colonisation, où deux puissances impérialistes ont imposé une autorité conjointe à un même territoire. Pour bien saisir cette spécificité, il faut replacer la période coloniale de l’archipel dans son contexte géopolitique global. L’expansion européenne, entamée au 15ème siècle suite à la découverte des Amériques, prend un nouvel essor au cours des siècles suivants avec le développement des moyens technologiques qui vont permettre l’exploitation universelle des ressources naturelles et humaines. L’Etat-nation étant devenu au cours du 19ème siècle une forme politique trop étriquée pour le renforcement de l’économie capitaliste et des mécanismes du libreéchange, les Etats-nations modernes, en quête de puissance et de bénéfices, se lancent dans une course effrénée à la conquête de nouveaux territoires. Cette volonté de contrôle politique mondial, par des moyens industriels, commerciaux ou militaires, caractérise les tentatives menées par les grandes puissances européennes du 19ème siècle pour constituer des empires en contrôlant des pays et des territoires sur les cinq continents. Cette tentative de contrôle de l’ensemble des populations du monde et l’exploitation de leurs ressources correspond à la définition de l’impérialisme. Dans ce volume 3, nous examinerons comment la rivalité entre les deux principaux empires coloniaux, français et britanniques, a conduit en 1906 à l’annexion de l’archipel et à l’établissement du condominium des Nouvelles-Hébrides. L’exercice d’un pouvoir conjoint, d’une « co-souveraineté », sur cet archipel, prit une tournure caricaturale, aboutissant à un dédoublement de toutes les institutions officielles (administrations, polices, tribunaux, langues officielles). Ce système particulièrement inefficace prend officiellement fin avec la proclamation de l’indépendance du Vanuatu le 30 juillet 1980. « Une terre n’appartenant à personne » A l’apogée de l’âge des empires, au tournant des 19ème et 20ème siècles, les NouvellesHébrides étaient le dernier territoire d’Océanie à ne pas encore faire l’objet d’un contrôle ou d’une annexion coloniale. Les territoires placés sous l’autorité de la couronne britannique étaient les plus nombreux et les plus vastes : Australie, NouvelleZélande, Papouasie, Salomon, Fidji, Tonga, îles Cook, Niue, Tuvalu, Kiribati, Pitcairn. L’Océanie française était composée de la Polynésie Française, la Nouvelle-Calédonie, A n n e x io n : rattachement ; action de faire passer sous la souveraineté d’un Etat. 10 Terra n ul l i us : en latin, terre n’appartenant à personne Capitaine Raysun de la British Navy en 1901. Il était le Commissaire Résident des Nouvelles-Hébrides, et travaillait pour la ‘Commission navale mixte’ (Archives Nationales VKS). Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Wallis et Futuna. Le Reich allemand disposait en Océanie de la partie nord-est de la Nouvelle-Guinée, de Bougainville et de la partie septentrionale des îles Salomon, d’une grande partie des îles de Micronésie et des Samoa occidentales (à partir de 1914 les Samoa occidentales furent administrées par la Nouvelle-Zélande). Les Etats-Unis d’Amérique annexèrent l’archipel des Hawaï et prirent le contrôle des Samoa orientales ou Samoa américaines. La partie occidentale de la Nouvelle-Guinée était une colonie néerlandaise. Même des Etats-nations ayant récemment acquis leur indépendance annexèrent des territoires (Chili : île de Pâques ; Mexique : Clipperton). A défaut d’avoir été annexées par une puissance impérialiste ou placées sous une tutelle coloniale, les Nouvelles-Hébrides furent considérées jusqu’en 1906 comme terra nullius, c’est-à-dire, supposées n’appartenir à personne. Dans le volume 2, nous avons étudié comment, à la suite des grands découvreurs, à partir des années 1830, ce fut au tour des commerçants aventureux et des trafiquants sans foi ni loi, des négociants en bois de santal, des chasseurs de baleines, puis, dès 1863, au tour des négriers de tenter d’exploiter les ressources naturelles et humaines de l’archipel. L’arrivée des premiers missionnaires remonte à 1839, mais il fallut attendre celle des premiers colons européens (en 1874) pour relancer la christianisation. Les rivalités nées de cette première phase de colonisation entre colons anglais et français, entre missionnaires protestants (anglicans, presbytériens, adventistes) et catholiques s’avérèrent durables et historiquement déterminantes. La présence française importante dans l’archipel a soulevé des inquiétudes au sein de la communauté anglo-australienne au sujet de l’annexion possible de l’archipel par la France. La compagnie de John Higginson, la Compagnie Calédonienne des NouvellesHébrides (la CCNH — appelée plus tard la Société Française des Nouvelles-Hébrides, la SFNH), avait acheté des milliers d’hectares de terre vers la fin des années 1800 pour les revendre aux colons français. Cette spéculation foncière a été conduite principalement par des colons français. L’Australasian New Hebrides Company (ANHC), encouragée par l’Église presbytérienne, espérait limiter cette activité en spéculant également sur la terre pour ses propres intérêts. Ces conflits autour des terres ont entraîné de vives confrontations entre les colons français et anglais. Si les Français se sont appropriés davantage de terres, Anglais et Australiens investissaient beaucoup plus dans les services commerciaux et le négoce. Les conflits locaux entre colons et Mélanésiens étaient fréquemment réglés par la violence, avec souvent les missionnaires comme seuls médiateurs (Jacomb 1914 : 71). Les méthodes brutales de recrutement de travailleurs étaient insuffisamment surveillées et l’introduction des armes à feu augmenta le nombre de disputes sanglantes, voire mortelles. La destruction de deux stations de la CCNH à Ambrym et à PortSandwich à Mallicolo, et le meurtre des représentants de la CCNH, suscitèrent des inquiétudes parmi les communautés françaises de Nouvelle-Calédonie (O’Reilly, 1957). Elles insistèrent pour que la France protège ses citoyens en débarquant des troupes de la marine à Port-Sandwich à Mallicolo et à Port-Havannah à Efate. Les autorités coloniales en Nouvelle-Calédonie firent pression en faveur d’une annexion par la France des Nouvelles-Hébrides. Quant aux autorités australiennes, elles militèrent inversement pour que la Grande-Bretagne s’empare de l’archipel hébridais avant les Français. Finalement, Le gouvernement français proposa aux Anglais de mettre conjointement en application un système de maintien de l’ordre pour assurer la sûreté de tous les Européens établis aux Nouvelles-Hébrides (Bonnemaison, 1994 : 409). Ce qui entraîna la création de la Commission Navale Mixte en novembre 1887. Celle-ci se composait de cinq officiers de la marine en service, « chargés du devoir de maintien de l’ordre Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980 11 et de la protection des vies et propriétés des ressortissants français et britanniques » (Scarr, 1967 : 208). Dans le chapitre « Planteurs et plantations » du volume 2, nous avons évoqué la concurrence entre les colons français et britanniques pour s’accaparer les terres des populations de l’archipel. Le souhait d’officialiser leurs titres de propriété a contribué à la création du condominium des Nouvelles-Hébrides. Plus en détail – la Commission Navale mixte : 1887 à 1906 Les officiers au service de la Commission Navale Mixte devaient agir conformément à l’accord signé par la France et la Grande-Bretagne : Règles directrices pour la Commission Navale Mixte 1. En cas d’atteinte à la paix et au bon ordre dans n’importe quelle partie des Nouvelles-Hébrides où des ressortissants français ou britanniques peuvent être installés, ou en cas de menace à la sûreté, à la vie, ou à la propriété [des ressortissants français ou britanniques], la Commission se réunira immédiatement et prendra les dispositions les mieux adaptées aux circonstances, à la répression des troubles et à la protection des intérêts mis en danger. 2. Aucun officier commandant naval français ou britannique n’agira de façon indépendante ou isolée, excepté dans les cas mentionnés ci-après. 3. La force militaire ne sera pas requise à moins que la Commission ne considère son emploi comme indispensable. 4. Dans l’éventualité d’un débarquement naval ou d’une unité militaire, cette force ne demeurera que le temps considéré comme nécessaire par la Commission. 5. Lorsque les circonstances n’offrent aucun délai et quand l’urgence de la situation requiert une action immédiate avant toute réunion de la Commission, les officiers commandants français et britanniques les plus proches du lieu de l’intervention, si possible conjointement, ou séparément, si une action concertée est impossible, doivent prendre les mesures nécessaires pour la protection des intérêts en danger ; rapporter immédiatement une telle intervention aux officiers navals de leur hiérarchie respective et attendre les ordres de la Commission. Chaque officier supérieur de la marine, en recevant un tel rapport, le communiquera immédiatement aux autres officiers. 6. La Commission n’aura pas d’autres pouvoirs que ceux qui lui sont expressément délégués par ces règlements. Elle n’interférera pas dans les litiges fonciers, et ne dépossèdera pas de leurs terres toutes personnes indigènes ou étrangères. Signé à Paris, ce 26e jour de janvier, 1888. (Signature) LYTTON (Signature) FLOURENS Bonnemaison (1994 : 410-411) décrit le travail de la Commission Navale Mixte comme suit : Sur le terrain, les problèmes que rencontraient les officiers de la Commission Navale n’étaient guère faciles à résoudre. Ils n’avaient pas, en principe, à sortir d’un rôle strict de maintien de l’ordre. De cette tâche de police, ils s’acquittèrent sans grand enthousiasme. Source : Jacomb (1914 : Appendices) 12 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Ils étaient en outre désarmés et sans pouvoir réel devant les problèmes créés par la « colonisation sauvage » et les multiples conflits locaux qu’elle suscitait entre colons ou entre colons et Mélanésiens. Aucune structure juridique n’encadrait l’archipel : les colons français, pourtant introduits pour la plupart d’entre eux par l’officieuse S.F.N.H., ne disposaient d’aucune protection juridique. Beaucoup plus grave, les propriétés foncières qu’ils revendiquaient n’étaient ni délimitées ni reconnues : les Nouvelles-Hébrides étaient un pays « sans Etat ». Les marins des deux nations étaient donc appelés à faire respecter un ordre dont personne n’avait défini les normes et les lois. Cette situation était d’autant plus dangereuse que l’opposition des Mélanésiens à l’occupation de leurs terrains devenait de plus en plus vive et qu’elle entretenait un climat général d’insécurité. Les meurtres continuaient dans les îles. Edward Jacomb, un avocat britannique basé à Port-Vila, accusa la Commission Navale Mixte d’abuser de ses pouvoirs pour intimider les insulaires. Dans son livre intitulé « The Anglo-French condominium » (1914), il cite plusieurs exemples pour soutenir cette accusation. Des insulaires étaient arrêtés et détenus pour différents crimes contre des Européens, et souvent devaient attendre leur jugement en prison sans qu’il leur soit permis de fournir des preuves pour leur défense, comme nous le montre l’histoire suivante : En 1913, un colon français, appelé Gustave Patient, était censé avoir obtenu une concession par la Société Française des Nouvelles-Hébrides de certaines terres à Epi. Ces terres étaient en réalité occupées par des indigènes qui y possédaient des jardins et des cacaoyers. Les indigènes niaient la vente alléguée par la Société Française des Nouvelles-Hébrides. Patient informa les indigènes de la « concession », du fait qu’à l’avenir les cacaoyers sur cette terre ne leur appartiendraient plus et qu’ils devraient s’abstenir d’en cueillir les fruits. Ils refusèrent naturellement de l’écouter. À ce moment, Patient et la Société Française devaient déposer une plainte au Tribunal mixte en ce qui concerne la propriété et régler le différend par la convention… En avril, 1913, Patient, accompagné d’un autre colon français appelé Guitel et d’un groupe d’employés indigènes armés, tira profit de l’absence provisoire des propriétaires coutumiers indigènes de la terre contestée, pour aller cueillir les cabosses mûres de cacao. Ils en emportèrent plusieurs sacs remplis. Apprenant ce qui s’était passé, les indigènes, dont un dénommé Sam Miley… les poursuivirent et les rattrapèrent. Ils prièrent Patient de rendre les cabosses qu’il avait prises et leur demande fut satisfaite. Immédiatement après, Patient déposa une plainte contre Sam Miley et plusieurs des autres hommes qui l’avaient personnellement menacé de recourir à la violence. Apparemment, le procureur ne considéra pas l’affaire comme particulièrement sérieuse ou pressante. À chacun des événements, aucune mesure immédiate ne fut prise pour arrêter Sam Miley et ses camarades. En août 1913, suite à une attaque brutale non préméditée effectuée par Guitel sur quelques indigènes, une rixe eut lieu, dans laquelle Guitel fut poignardé. Il mourut plus tard de ses blessures. Un man’o’war (bateau de guerre) français se rendit à Epi pour enquêter et en ramena environ vingt indigènes impliqués dans le massacre de Guitel, y compris Sam qui fut arrêté (Jacomb 1914 : 121). Sam fut détenu par le Commissaire Résident français pour avoir menacé Patient. Il fut également inculpé pour avoir attiré et menacé d’autres indigènes loin de leur travail sur les plantations. Jacomb note, cependant, que cette charge n’a pas été transmise au procureur général du Tribunal mixte. Les mauvais traitements pendant l’interrogatoire Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980 13 de la police étaient tout à fait communs. Dans l’extrait suivant, également de Jacomb (1914 : 123), l’auteur décrit ces mauvais traitements. Je cite maintenant les déclarations faites par certains des indigènes après leur retour à Epi : Les policiers indigènes nous ont donné des coups de pied, puis nous ont frappés avec la crosse de leurs fusils et ont bu le jus de cacao. À l’arrivée du man’o’war (bateau de guerre), certains d’entre nous furent jetés dans le bateau la tête la première. À bord, nous étions enchaînés par le pied à une tige de fer et par la main à notre voisin. Aucun petit déjeuner ne nous a été servi… le garçon-chef de la police de Maré se dirigea vers Jimmy Tarames et lui demanda qui lui avait dit de tuer l’homme blanc… mais Jimmy ne parla pas, alors il prit une fine ceinture tressée ou la partie d’un fouet (la partie près de la poignée) ou d’une corde en cuir tressée qui ressemblait à la corde tressée avec laquelle nous attachons nos cochons. Avec cette mèche, le garçon de Maré cingla alors Jimmy au-dessus de la tête et le pressa de dire qui lui avait demandé de tuer l’homme blanc. Questions de compréhension 1. Bonnemaison déclare que « les marins des deux nations étaient donc appelés à faire respecter un ordre dont personne n’avait défini les normes et les lois ». Relisez les règlements de la Commission. Auraient-ils pu être mieux définis ? Qu’est-ce qui les rend vagues ou contradictoires ? 2. Relisez la dernière phrase du deuxième extrait de Jacomb. Que nous indique celui-ci au sujet du rôle de la Commission Navale Mixte dans le maintien de la loi et de l’ordre dans les îles et de la protection des insulaires ? 3. À partir du texte, précisez l’enjeu pour les Mélanésiens qui émergea à la fin du 19ème siècle ? L’établissement du condominium Si la Commission Navale Mixte se montra impuissante dans la gestion des conflits concernant les terres, le contrôle militaire qu’elle exerçait s’avéra également incapable de stopper la violence, qu’elle soit dirigée contre les indigènes, contre certains colons ou contre les exactions qui impliquaient colons ou indigènes entre eux. Une image qui revient fréquemment dans les descriptions de la situation des Nouvelles-Hébrides avant l’établissement du condominium est celle du « Far-West » américain, telle que nous la présentent les westerns. La seule loi en vigueur était celle du plus fort. Tandis que les Mélanésiens pouvaient compter sur leur supériorité numérique, les Blancs, en revanche, disposaient des armes à feu. Régulièrement, la Commission Navale Mixte refusait de s’impliquer dans des cas de meurtres. Les gouvernements français et britannique avaient spécifiquement demandé à la Commission Navale de ne pas intervenir dans les conflits entre les villageois et les colons. La seule prérogative de la Commission Navale était la riposte à une agression armée. Mais plus généralement, c’était le manque d’intérêt pour les îles, plutôt que son pouvoir limité, qui faisait fermer les yeux de la Commission sur les activités illégales telles que la vente d’armes ou d’alcool aux insulaires (Scarr 1967 : 215). Il y avait beaucoup d’incertitudes quant à l’avenir politique des Nouvelles-Hébrides. 14 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Deviendraient-elles françaises ou anglaises ? Les rivalités coloniales dans le Pacifique entre puissances impérialistes européennes offraient une raison de plus à la France et à la Grande-Bretagne pour proposer la création d’un système de gouvernement plus efficace et concret dans l’archipel que le simple accord sur la sécurité qui présida à la création de la Commission Navale Mixte. Mais la plus forte pression pour l’annexion des Nouvelles-Hébrides provint assurément du lobbying des congrégations missionnaires concurrentes, presbytériennes et catholiques au premier chef. Se détestant cordialement, les missionnaires de ces deux Eglises encouragèrent réciproquement, les Français pour les catholiques et les presbytériens pour les Anglais, à s’impliquer directement dans les affaires du pays en réclamant une prise de possession exclusive. Il faut dire que l’investissement tant humain que matériel de ces deux Missions était alors considérable. Comme le décrit Edward Jacomb : En réalité, c’était une lutte entre les missionnaires français et presbytériens. La GrandeBretagne n’avait alors que peu d’intérêt pour des îles si petites et si lointaines… Il est facile d’apprécier les positions des missions françaises et presbytériennes. Toutes les deux faisaient des sacrifices considérables pour l’archipel et considéraient en quelque sorte y avoir investi des intérêts. La mission presbytérienne, en activité depuis 1839, dépensait quelques £10.000 (livres sterling) par an pour son travail… Les Français… étaient alors, et le sont toujours, engagés dans une course à la colonisation (Jacomb 1914 : 12-14). La France et la Grande-Bretagne ne prêtèrent guère d’attention à l’escalade des problèmes, des conflits et des violences dans l’archipel jusqu’en 1904. Date à laquelle reprirent des négociations qui devaient conduire les îles à devenir un territoire francoanglais commun, officiellement reconnu le 20 octobre 1906, par un accord consolidé en 1914, puis ratifié en 1922. Les Néo-Hébridais y gagnèrent simplement à ce que leurs îles ne furent pas divisées en pays séparés (Bonnemaison 1994 : 413). L’établissement du condominium officialisa l’infériorisation des Mélanésiens en les reléguant dans un régime d’indigénat. Les Néo-Hébridais autochtones ne disposaient d’aucune citoyenneté, à la différence des citoyens « non-indigènes » du condominium, qui se rattachaient à l’un des deux Etats, Français ou Britannique. Sous l’appellation d’« indigènes néo-Hébridais », ils se trouvaient placés sous la responsabilité de l’administration conjointe des deux autorités coloniales. Les insulaires des autres territoires français ou britanniques furent placés en revanche sous le régime civil de leur autorité de tutelle : ainsi, les nombreux Kanak de Nouvelle-Calédonie ou les Wallisiens, par exemple, étaient reconnus comme Français. Les femmes indigènes mariées à des Français ou des Britanniques échappaient au régime de l’indigénat, tout comme les métis. Tandis que l’abrogation du régime de l’indigénat fut décrétée après la Seconde Guerre mondiale dans les territoires français, elle n’entra dans les faits qu’avec la fin de la décolonisation de l’Algérie en 1962. Aux Nouvelles-Hébrides il fallut attendre les élections générale de 1977 pour que des droits civiques fussent reconnus aux futurs Ni-Vanuatu. Le gouvernement du condominium Un des premiers timbres des Nouvelles-Hébrides. (Archives Nationales, VKS) La signature d’un accord entre les gouvernements français et britannique le 20 octobre 1906 a placé les Nouvelles-Hébrides sous l’administration de ces deux nations. Le gouvernement du condominium devait, en premier lieu, établir un Tribunal mixte pour en- Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980 15 L e ‘ c o nd omin iu m’ Le terme ‘condominium’ se rapporte à la structure administrative du gouvernement franco-britannique commun dans l’archipel. L’expression n’a pas été employée dans la convention de 1906, mais est devenue plus tard populaire (Woodward 2002 : 27). Le condominium des Nouvelles-Hébrides était unique parce que ce fut le seul moment où la France et la Grande-Bretagne, ennemis traditionnels, dirigèrent conjointement une colonie pendant une période prolongée. Il y eut [quelques] autres condominiums dans le monde, tels que le Soudan anglo-égyptien et l’Andorre franco-espagnole, mais aucun n’associait la France et la Grande-Bretagne (Miles 1998 : 30). registrer les terres, régler les conflits fonciers et installer un ordre légal reconnu par les deux gouvernements. L’historien Deryck Scarr enquêta activement sur l’histoire du Haut-commissariat britannique du Pacifique occidental, y compris sur les bases du condominium des Nouvelles-Hébrides. L’extrait suivant est tiré de « Fragments of Empire » (1967 : 227) : Les Nouvelles-Hébrides ont été identifiées comme « région d’influence commune », où chaque puissance « possédait l’autorité légale sur ses sujets ou citoyens et ne devait jamais exercer un contrôle séparé sur l’archipel ». Les ressortissants des autres Etats eurent six mois pour décider sous quel régime légal ils voulaient vivre. L’administration devait être conduite par les Hauts-Commissaires à Fidji et en Nouvelle-Calédonie, agissant par l’intermédiaire des adjoints présents à Port-Vila… Le Tribunal mixte… devait être la juridiction compétente pour tous les cas fonciers et civils, pour tous les litiges entre les indigènes et les autres, et dans les cas de crimes entre les deux types de population. En ce qui concerne les crimes, les ressortissants de chaque puissance étaient justiciables seulement de leur propre cour nationale. Des dispositions furent prises pour les autorisations de recrutement et l’enregistrement des recrues. Les devoirs de l’employeur envers le travailleur furent exposés et formulés de façon vague. La vente d’armes, de munitions et d’alcool aux insulaires fut interdite. L a j u r id ic t io n : autorité judiciaire qui rend la justice sous la forme d’un jugement (décision de Justice) Billet de mille francs des Nouvelles-Hébrides. 16 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois L’extrait suivant de Joël Bonnemaison décrit l’administration commune. Deux Hauts-Commissaires, l’un français, l’autre anglais, furent nommés « Résidents » au nom des deux nations souveraines, des Délégués administratifs devant représenter leur autorité dans les différentes îles de l’archipel. On créa un corps de police local, la milice, divisée en deux sections égales, l’une française, l’autre britannique. L’administration mixte mise en place et financée par les deux tutelles devait être alimentée par des taxes locales à l’importation et à l’exportation : ces services communs comportaient les Postes, Télégraphe et Téléphone, les Travaux publics, la Police maritime, les Douanes et enfin les Services financiers. Plus tard, furent mis en place un Service condominial de l’Agriculture, un Service vétérinaire, un Service des mines et un Service topographique. En somme, aux deux administrations nationales dépendant chacune des Résidences, s’ajoutait une troisième : l’administration mixte du condominium (Bonnemaison 1994 : 413). Pour aller plus loin 1. Que veut dire Scarr dans son rapport quand il écrit : « […] Les devoirs de l’employeur envers le travailleur furent exposés et formulés de façon vague » ? 2. Les quartiers généraux des deux administrations étaient à Fidji et en NouvelleCalédonie. Quelles conséquences ont pu être tirées du fait de cette autorité éloignée ? Les Commissaires Résidents Con se i l l er juridique : avocat E nte n te cordiale : bonnes relations Dr. Gaudens Faraut fut le premier Délégué français désigné par le Gouverneur de la Nouvelle-Calédonie en 1901. Il fut remplacé en 1905 par M. Charles Bord, qui demeura jusqu’au premier mois du condominium (Bresnihan et Woodward 2002 : 25). Le premier Commissaire Résident britannique des Nouvelles-Hébrides était Merton King (Scarr 1967 : 229). Il resta en poste pendant 17 ans, alors qu’au début du condominium, il y eut plusieurs Commissaires Résidents français qui se succédèrent. Les relations entre les Commissaires Résidents britanniques et français étaient souvent tendues. Dans les premières années du condominium, la différence de mentalité entre les Britanniques et les Français par rapport à l’archipel était déjà tout à fait évidente. En 1910, Woolcott, un conseiller juridique du Commonwealth, écrivit : Une chose que j’ai notée est que tous les fonctionnaires britanniques semblent sous-estimer l’immense responsabilité dans le fait de soutenir l’« entente cordiale »… Les Français, de leur côté, ne semblent pas s’inquiéter du tout de cette affaire. Ils s’en excluent pour obtenir tout ce qu’ils peuvent et ils s’empareront de l’archipel entier à moins que les Britanniques ne s’y opposent (cité dans Scarr 1967 : 229). Ces différences de mentalités et d’attitudes transparaissaient également dans la position géographique des résidences respectives à Port-Vila. Le drapeau tricolore de la Résidence française s’élevait en évidence au-dessus du port de Port-Vila, alors que le drapeau britannique se cachait derrière des arbres de l’îlot Iririki (Scarr 1967 : 230). Selon Scarr, au moment de la formation de l’administration commune, les Délégués Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980 17 Résidence officielle du juge britannique du Tribunal mixte, 1923 (Bresnihan et Woodward 2002 : 29). français conçurent les clauses administratives et juridiques de la convention de 1906 pour permettre l’exécution de leur politique nationale le plus librement possible. Nous aurions pu avoir une solution désastreuse… [observa Saint-Germain] en instituant une administration neutre…, nous avons réalisé, cependant, une situation privilégiée… en maintenant une autorité dualiste (Scarr 1967 : 30). Pour aller plus loin L’annexe de ce volume inclut une liste des Commissaires Résidents français et britanniques pendant la période du condominium. Certains sont restés en fonction seulement une année ou deux. Comment cela a-t-il pu avoir un impact sur l’administration du condominium étant donné leur faible connaissance des îles ? Expression écrite Imaginez que vous avez été désignés par le gouvernement français ou britannique pour vous rendre aux Nouvelles-Hébrides et remplir la fonction de Commissaire Résident. Voudriez-vous travailler dans ces conditions ? Justifiez votre réponse. Quels étaient les défis liés à cette fonction ? Les deux drapeaux devaient être hissés en même temps (Lini 1980). 18 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Le Tribunal mixte (Rodman 2001 : 43). Les Français et les Anglais n’aimaient vraiment pas travailler ensemble. Je me rappelle quand je travaillais pour le bureau des statistiques et que je suis allé à Mallicolo avec les Anglais et un recenseur français pour préparer le recensement de 1979. Ils ne se parlaient pas ! (Charlie Pierce, communication personnelle, septembre 2004) Le Tribunal mixte Le Tribunal mixte établi par les tutelles condominiales entra enfin en service en 1910. Il avait : compétence (autorité) sur tous les litiges fonciers et civils, impliquant des indigènes et des non-indigènes, et dans les cas de crimes des premiers à l’égard des seconds… (Scarr 1967 : 227). Par souci de neutralité, la France et la Grande-Bretagne proposèrent au roi d’Espagne de désigner le Président du Tribunal mixte, en hommage à la nationalité des premiers explorateurs européens de l’archipel. Un juge français et un autre britannique assistaient le Président espagnol du Tribunal. Le procureur était belge (autre gage de neutralité). Quand les juges ne pouvaient pas convenir d’un verdict, le président prononçait la décision ultime. Durant une certaine période, le greffier du Tribunal était hollandais (Miles 1998 : 36). Les procès se déroulaient principalement en Français. Occasionnellement ils étaient traduits en Anglais. La surdité croissante du Président du Tribunal, le comte Buena Esperanza, compliquait encore plus les affaires. (MacClancy 2002 : 97). L’extrait suivant, tiré de « Fragments of Empire » écrit par Deryck Scarr en 1967, décrit les pouvoirs du Tribunal mixte. Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980 19 Scène de la cour, les juges (Vanuatu, 1980 : 202). Le Tribunal devint bientôt le symbole de toutes les contradictions et des retards du condominium. Fletcher [voyageur et propriétaire de plantation], interprète occasionnel du Tribunal, devait employer quatre langues : l’espagnol pour le Président, le français et l’anglais pour les juges et finalement le bichelamar pour les habitants mélanésiens… (Bonnemaison 1994). Les pouvoirs du Tribunal étaient très insuffisants. Dans les cas civils et criminels, le Tribunal mixte pouvait juger les violations de la Convention, communément appelées infractions. Les infractions aux règlements régissaient le recrutement et l’emploi des travailleurs et interdisaient la vente d’armes à feu et d’alcool aux indigènes. Ces manquements étaient sanctionnés par une amende maximum de 20 £, un emprisonnement maximum d’un mois, voire les deux. Ces condamnations si légères n’étaient évidemment pas très dissuasives. De plus, elles ne relevaient que des autorités nationales de la personne condamnée : le Tribunal mixte n’avait aucun contrôle sur l’exécution de ses propres jugements (Scarr 1967 : 232). Les indigènes néo-Hébridais étaient considérés sur un plan légal comme « mineurs et incompétents, et pour cela placés sous le contrôle et la protection de l’administration conjointe » (jugement du Tribunal mixte du 7 janvier 1916). Sous ce régime, les femmes indigènes disposaient d’un statut inférieur à celui des hommes. Elles ne pouvaient occuper un emploi sans l’autorisation de leur mari ou du chef de leur tribu, l’esprit de la Convention de l’administration condominiale prévoyant « de sauvegarder la tutelle du mari et l’autorité du chef à l’égard des femmes » (jugement du Tribunal mixte du 4 janvier 1912). Pour des actes criminels commis par des indigènes, différentes lois pouvaient s’appliquer lors d’une même accusation, selon le statut de la victime : les règles de la Couronne britannique pour une personne sous statut anglais, le code pénal français dans le cas d’un ressortissant étranger sous protection française. Le Tribunal mixte se contentait donc de renvoyer les affaires judiciaires aux tribunaux français ou anglais compétents, et ne statuait que pour les affaires concernant des indigènes entre eux, pour des organisations strictement néo-Hébridaises comme les coopératives ou pour le non respect des règles de l’administration conjointe (essentiellement les affaires de ventes d’alcool, d’armes et le recrutement forcé des indigènes). Malgré certaines tentatives, il n’y eut jamais, à proprement parler de Code de l’indigénat aux Nouvelles-Hébrides : « On a tenté de l’y installer mais la résistance s’est révélée trop forte, le fait de gens largement dotés d’armes à feu, et à propos de qui l’or- V io l a t io n : infraction ; non-respect d’un engagement, d’un droit 20 Cléments : bons ; généreux ; indulgents Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois ganisation d’une répression militaire non seulement eut coûté trop cher par rapport à la précarité des résultats à en espérer, mais était interdite par les accords internationaux en vigueur » (Guiart 1997 : 118). Le Code pénal indigène, lorsque l’accusé et la victime étaient indigènes, n’était qu’un mélange de lois et de jurisprudence française et anglaise. Dans certains cas, le Tribunal mixte traitait des affaires concernant les conflits entre indigènes qui lui étaient présentées en référence à la coutume ; sinon, la cour prenait ses décisions sans se référer à aucune loi particulière. Mais comme il n’existait pas de codification des coutumes et que celles-ci différaient d’une île ou d’une région à l’autre, la cour jugeait sur la base de déposition sur la foi d’un tiers ou de rumeurs, et non pas en s’appuyant sur des éléments factuels. Indépendamment de la nature spécifique du Tribunal mixte, un problème récurrent concernait la vision exclusive que la France et la Grande-Bretagne se faisaient à propos des conflits fonciers. Tandis que les Britanniques, en cas de spoliation foncière, se fiaient aux spécifications de l’acte de vente, les Français reconnaissaient a priori les plaintes des ressortissants français, les Mélanésiens ayant à charge de prouver leur droit. Les indigènes ne comprenant pas les subtilités des procédures du droit français, ne réalisaient pas non plus les conséquences des aliénations foncières. Ces conflits fonciers générèrent des sentiments mitigés dans les zones de colonisation foncière. Si la colonisation française et les Missions catholiques étaient souvent considérées comme moins dures que la domination britannique et la politique des presbytériens, cette image négative des spoliations foncières fut plus tard largement exploitée par les leaders nationalistes qui conduisirent le pays à l’indépendance. Ainsi, les pouvoirs du Tribunal mixte étaient très limités. Le rapt d’un Néo-Hébridais au cours d’un voyage de recrutement était jugé, comme une embauche illégale (MacClancy 2002 : 97). Par conséquent, les peines ou les amendes ne reflétaient pas la nature des dommages. Les condamnations pour crimes relevaient des tribunaux nationaux (la cour suprême britannique et la cour d’assises française). Cependant, les juges de ces cours étaient connus pour être cléments envers leurs ressortissants nationaux. Pour les intérêts propres aux Mélanésiens, un avocat des indigènes fut nommé auprès du Tribunal mixte. Questions de compréhension 1. Avec vos propres mots, expliquez la signification de l’extrait de Scarr : « Ces condamnations si légères n’étaient évidemment pas très dissuasives. » 2. En vous basant sur les informations du texte ci-dessus, avoir un Tribunal mixte était-il avantageux ? Si oui, pourquoi ? L’avocat des indigènes Un avocat hollandais fut nommé avocat des indigènes en 1911 pour représenter les intérêts des insulaires au Tribunal mixte (MacClancy 2002 : 97). Comme Pierre Anthonioz, Commissaire Résident français de 1949 à 1958, le rappelle dans un chapitre du livre « Tufala Gavman : Reminiscences from the Anglo-French condominium of the New Hebrides » (2002: 74): Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980 21 L’avocat des indigènes, qui en principe devait être belge, était le seul contrepoids face à une administration toute puissante. Je devrais ajouter, d’ailleurs, que ce fonctionnaire devait être désigné par les deux Commissaires Résidents. On devait donc s’attendre au pire. Or, que s’est-il réellement passé ? Presque exactement l’opposé. Dans leurs rapports d’affaires avec l’administration commune, les autochtones réalisèrent rapidement tous les avantages qu’ils pourraient tirer de la rivalité existant entre les deux Commissaires Résidents à Port-Vila et entre les Délégués britanniques du condominium et leurs collègues, les Délégués français, dans les îles. Si une décision prise, ou une médiation accordée par les agents gouvernementaux français, ne satisfaisait pas le plaignant, il allait voir les agents gouvernementaux britanniques et vice versa. Jeremy MacClancy (2002 : 97-98) précise les difficultés auxquelles les avocats des indigènes durent faire face, en particulier le premier, en 1911. L’administration française fit tout ce qu’elle put pour l’empêcher de rassembler toutes les informations nécessaires et d’exercer ses fonctions puisque la plupart des cas qui lui étaient soumis concernaient des litiges fonciers et que toute contestation de titres de propriété mettait en danger les énormes avoirs de la SFNH. Elle s’assurait qu’il n’y ait aucun navire disponible dès qu’il souhaitait faire le tour des îles, et prétendait qu’il ne pouvait agir officiellement qu’à l’intérieur d’un tribunal. L’avocat autochtone n’était d’aucun secours pour la protection des droits des ni-Vanuatu. Aucun budget n’était mis à sa disposition pour ses voyages ou déplacements. Et le système en place nuisait à toutes tentatives pour empêcher l’enregistrement de réclamations frauduleuses. L’avocat autochtone représentait les ni-Vanuatu qui voulaient empêcher l’enregistrement de terres qu’ils croyaient vendues frauduleusement, mais tout au long de l’existence du Tribunal Mixte jusqu’à l’indépendance en 1980, pas une seule de ces contestations n’a abouti. —Communication personnelle Howard Van Trease Questions de compréhension 1. Dans l’extrait d’Anthonioz, quel défaut (faiblesse) de l’avocat des indigènes identifie-t-il ? 2. Comparez la vue d’Anthonioz à la description de MacClancy de l’hésitation française à aider l’avocat des indigènes. Qu’est-ce que la différence d’opinions francophone et anglophone nous apporte-t-elle sur les relations francobritanniques en général ? Pour aller plus loin MacClancy cite des réclamations foncières et des titres contestés comme occupation majeure de l’avocat des indigènes, même au début du condominium. Pourquoi les Français essayaient-ils d’éviter que ces cas soient présentés devant le tribunal ? (Indice : quelle compagnie était alors le plus grand propriétaire terrien ?) 22 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Sujet de discussion Pourquoi était-il préférable que l’avocat des indigènes ne soit ni Anglais, ni Français, ni même Mélanésien ? Un épisode du Tribunal mixte S atire : pamphlet, moquerie Pendant ce temps, néanmoins, un avocat indépendant de Port-Vila, Edward Jacomb, voyageait dans les îles et déclinait aux Néo-Hébridais leurs droits sous le condominium, rassemblant des informations au sujet des litiges fonciers et mettant en garde les gens qui s’étaient installés sur des terres contestées (dans les années 1970, il y avait des gens d’Ambrym qui se souvenaient encore d’avoir payé ses gages). Il retourna à Port-Vila pour représenter les insulaires au tribunal (MacClancy 2002 : 89). Pourquoi a-t-il été préféré à l’avocat des indigènes pour représenter les insulaires devant le tribunal ? Edward Jacomb ne tenait pas le Tribunal mixte en grande estime et écrivit une satire appelée « Joy Court » (1929). L’extrait suivant contient des parties tirées de deux scènes d’une représentation (Jacomb 1929 : 44-52). Il est initialement en français étant donné que c’était la langue juridique usuelle. [Scène V – l’affaire en jugement concerne un Anglais appelé Hughes. Nous en sommes à la cinquième séance. Les problèmes de langue commencent à surgir.] Jug e f r a nç a is . Je ne vois pas le but de cet interrogatoire ! M. ‘Ug, vous ne faites que perdre inutilement du temps au Tribunal. H ug h e s . [Flatteur] Je vais abréger autant que possible, M. le Juge français ! [Au commandant français] Donc, vous avez dressé votre rapport original après avoir questionné vous-même vos deux miliciens ? C o m m a nd a nt f r a nçais. Parfaitement ! H ug h e s . Est-ce que vos deux miliciens parlent français ? C o m m a nd a nt f r a nçais. Non Monsieur ! Ils parlent bêche-la-mer. H ug h e s . Donc, vous vous êtes servis d’un interprète pour les questionner. Qui était cet interprète ? [Suggérant] Il aurait pu se tromper peut-être. Commandant français. [Déterminé à écraser cette suggestion une fois pour toutes] Non, Monsieur ! Je n’avais pas d’interprète ! Je vous ai déjà dit que je les ai questionnés moi-même ! H ug h e s . [Innocemment] En bêche-la-mer ? Co m m a nd a nt f r a nçais. [Légèrement rouge] Parfaitement, Monsieur, en bêche-la-mer ! H ug h e s . Vous parlez donc bêche-la-mer, M. le Commandant ? La couverture du livre de Edward Jacomb : The Joy Court (1929). Co m m a nd a nt f r a nçais. [de plus en plus rouge] Parfaitement, Monsieur ! Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980 23 Hu gh e s . [en pidgin-anglais] You tell-im out along Court; time you been talk along two feller, two feller e been tell-im you what name? C o m ma n da n t f r a nç a is . [agacé] Je ne comprends pas ! Hu gh e s . What name ! You been tell-im out long Court you savvy spik pidgin English! [Le commandant français regardant désespérément le juge français.] J u ge fr a n ça i s . [Qui mesurait la dérive du contre examen] C’est trop fort ! M. ‘Ug, vous vous moquez du Tribunal ! Vous n’avez aucun respect pour l’Administration ! M. le Président ! Je demande à ce que le Tribunal délibère ! Pr é s i de n t . [Totalement confus] Pourquoi ?… Qu’est-ce qu’il y a ?… Je n’ai rien compris ! Traduisez ! I n t e r p r è t e . Je n’ai rien compris moi-même, M. le Président. Je crois que M. ‘Ug parlait bêche-la-mer ! Pr é s i de n t . [Qui commençait à être fatigué et oublieux] Bêche-la-mer ?… Qu’est ce que c’est que cela ? J u ge fr a n ça is . M. ‘Ug n’a pas le droit de parler bêche-la-mer. Nous ne sommes pas des Canaques ! D’ailleurs, ce n’est pas une des langues officielles du Tribunal ! Pr é s i de n t . Non ! Ce n’est pas une des langues officielles du Tribunal. M. ‘Ug, vous avez le droit de parler français, ou même l’anglais, si vous voulez, mais pas une autre langue. [Scene VI – Hughes amène un témoin et l’interroge en anglais] Hu gh e s . Non ! M. le Président. J’ai deux témoins à faire entendre. D’abord mon clerc, M. Stanley, et ensuite M. le Commissaire Résident de Sa Majesté britannique. Pr é s i de n t . Bon ! Faites-nous entendre M. Stanley ! [Stanley se lève de son siège au milieu de l’audience et le juge anglais le fait jurer] Hu gh e s . Mr Stanley ! Will you please tell the Court where I was on the evening of the third of February last? I n t e r p r è t e . Où étais-je le soir du 3 février dernier ? S t a n le y . We were at Paama, with all your boys. I n t e r p r è t e . Nous étions à l’île Paama accompagnés de tous vos ‘boys’. [et la traduction continue dans les deux sens] 24 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Activité de groupe En classe, divisez la classe en groupes et ensemble représentez les scènes de The Joy Court. Expression écrite Écrivez une histoire d’environ une page sur la façon dont un cas aurait pu être jugé au Tribunal mixte. Enquête Avez-vous déjà vu l’intérieur d’un tribunal ? Et un endroit où des « déclarations de coutume » sont rendues, par exemple les nakamals ? Si vous le souhaitez, organisez une visite guidée pour votre classe et découvrez comment sont réglés les conflits. Qui sont les juges ? Quelles sont les sanctions encourues ou les procédés de réconciliation ? N’oubliez pas de demander la permission du chef et des aînés du village avant de visiter un nakamal. Vous pouvez également assister aux audiences des Tribunaux et Cours (aelan kot, Cour d’appel, Cour Suprême) à Port-Vila. Le protocole commun de 1914 Le protocole commun de 1914 fut une consolidation de la convention de 1906 entre les Français et les Anglais. Il supprima la Commission Navale mixte. La juridiction du Tribunal mixte fut élargie pour inclure les offenses sérieuses commises entre insulaires. Un Tribunal indigène fut formé pour traiter des offenses mineures. Retardé par les bouleversements de la Première Guerre mondiale, il ne fut pas ratifié avant 1922 (MacClancy 2002 : 100). Le protocole franco-anglais de 1914, prévoyait que : Une force de police sera établie aux Nouvelles-Hébrides sous le nom de milice des Nouvelles-Hébrides, elle sera composée de deux divisions de forces égales, chacune restant sous les ordres de son Commissaire Résident respectif (MacClancy 2002 : 91). Carte montrant les secteurs administratifs des Nouvelles-Hébrides (d’après MacClancy 2002 : 14). La force de police du condominium fut formellement constituée en 1923. Pour des raisons pratiques, elle devenait un service du condominium pour une intervention commune des deux forces de police, la police britannique et la gendarmerie française. Les officiers étaient des expatriés et les agents subalternes étaient des Mélanésiens recrutés localement. Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980 25 Les Délégués français et britanniques du condominium ne visitaient pas leurs régions en même temps, et présidaient des tribunaux indigènes lorsque c’était nécessaire. Si un homme devait être puni pour ivresse dans un village, il se cachait dans la brousse quand le délégué du condominium britannique venait parce qu’il savait que la punition serait plus grave et l’amende beaucoup plus élevée que quand le délégué du condominium français traverserait le village ! Je me rappelle un homme agissant ainsi à Mallicolo. — Anne Naupa, communication personnelle ; septembre 2004 Les Délégués du condominium Les Délégués du condominium (DC) travaillaient dans les îles et étaient sous l’autorité des Commissaires Résidents (CR) basés à Port-Vila. Comme pour toutes les activités du condominium, il y avait des Délégués du condominium français et britanniques. La majeure partie de leur travail se faisait en bichelamar. L’extrait suivant est tiré de l’article de Jean-Michel Charpentier dans « Tufala Gavman » (2002 : 155). Linguiste et anthropologue français, il a travaillé aux NouvellesHébrides pendant la majeure partie des années 1970, en tant qu’enseignant, conseiller, puis conservateur du centre culturel de Port-Vila. Pour la plupart des immigrants européens qui n’avaient jamais vécu dans un territoire colonial, le Délégué du condominium s’apparentait à un représentant local du gouvernement central… Cependant, le condominium poussa la décentralisation à son paroxysme et les Délégués du condominium étaient pour la plupart leurs propres maîtres. Plutôt que d’être le fonctionnaire local responsable de l’application correcte de la loi, le Délégué du condominium adaptait très souvent la loi aux circonstances… l’importance des pouvoirs de chaque Délégué dépendait en fait en grande partie de la volonté de la population locale à coopérer… C’était son charisme personnel et la confiance des gens en lui qui déterminaient s’ils obtempéraient ou ne tenaient pas compte de la loi. À un niveau strictement local, les Délégués du condominium n’avaient aucun pouvoir direct sur le peuple. Chaque village ou groupe de population dirigeait ses propres affaires selon ses coutumes… Les Délégués pouvaient seulement intervenir dans les affaires d’un village lorsqu’ils étaient invités par le chef local ou l’assesseur (porte-parole de la communauté), généralement après que les villageois ne parviennent pas à conclure un accord par eux-mêmes. Les Délégués du condominium devaient tenir compte des règles européennes admises, mais aussi des valeurs mélanésiennes, qui étaient toujours respectées. L’administration de la justice dans ces circonstances exigeait de l’intelligence, de la circonspection et, surtout, une bonne connaissance de la situation… L’administration et la justice semblaient être le champ d’action de ces agents, mais ce n’était en fait qu’une partie de leur travail parce que… les travaux publics étaient… importants. Ainsi, c’était le Délégué du condominium qui décidait, pratiquement seul, de l’endroit et de la nécessité de construire une route, de la localisation d’une école dans tel ou tel endroit, etc. Il avait besoin du consentement des villageois, mais comme il provenait en quelque sorte des Européens, ils avaient tendance à lui accorder leur confiance. 26 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Délégué britannique rendant justice à Tanna, dans les années 1950 (collection Borlandelli, photo non datée) Questions de compréhension 1. Quels rôles jouaient la personnalité et le caractère d’un Délégué du condominium dans l’application de la loi ? 2. Comment les insulaires pouvaient-ils se jouer de ces Délégués ? Pour aller plus loin 1. Pourquoi les Délégués français avaient-ils tendance à visiter les villages francophones et les Délégués britanniques les villages anglophones (en dépit du bichelamar qui était la langue principale de communication) ? 2. Charpentier décrit le travail des Délégués du condominium comme une forme ‘basique d’administration’. En vous reportant à ce que vous avez déjà lu, êtesvous d’accord avec cette description ? Le Tribunal indigène Les tribunaux indigènes furent officiellement établis en 1928. Le système de tribunal indigène a été favorisé principalement par les Anglais, pour être mis en application dans les secteurs presbytériens et les zones où résidaient des sujets britanniques. Par conséquent, Epi, quoiqu’elle soit située dans la zone centrale 1, ne fut pas incluse dans ce système juridique parce que sa population de planteurs européens était principalement française. La zone centrale 2, dans laquelle Pentecôte était située, ne fut pas incluse dans la législation de 1928. Le Tribunal indigène traitait les litiges criminels impliquant les Néo-Hébridais. Il n’y avait pas de tribunal jugeant les affaires civiles des Néo-Hébridais, et à aucun moment Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980 27 Je me rappelle avoir entendu, une fois, un message à la radio racontant qu’un homme à Pentecôte sauta dans le premier bateau allant à Port-Vila pour aller purger sa peine de prison ! J’ai vérifié cette information et c’était vrai ! L’homme l’a effectuée à la prison de Port-Vila ! (David Luders, communication personnelle, Septembre 2004) pendant le condominium, ils ne furent protégés par un code civil. Les assesseurs des Néo-Hébridais assistaient le Délégué du condominium au Tribunal indigène. Quand un Délégué parcourait sa région pour tenir un Tribunal indigène, celui-ci pouvait avoir lieu n’importe où, sous les arbres, sur les flancs des collines, dans les nakamals et même dans les églises au besoin (Hutchinson dans Bresnihan et Woodward 2002 : 316). La plupart des Délégués du condominium convenaient que les nombreuses condamnations qu’ils avaient prononcées dans le cadre des tribunaux indigènes, étaient liées au fait que les accusés se voyaient poussés à plaider coupable, à la différence des cours britanniques ou françaises où les accusés plaidaient généralement non coupables jusqu’à ce qu’il s’en avère autrement. L’extrait suivant du Délégué auxiliaire français du condominium pour la zone septentrionale, Camille Gloannec, décrit le Tribunal indigène de Luganville. Il était rare… que les défendeurs des Néo-Hébridais démentissent leur culpabilité. À Luganville, les séances du lundi du Tribunal indigène concernaient la plupart du temps des Mélanésiens qui, après le travail d’une semaine en ville ou sur une plantation, venaient à ‘Le Canal’ [un autre nom pour Luganville] voir un film et boire, dans un esprit très occidental, de la bière et du vin rouge, ce qui les rendait évidemment et publiquement ivres et parfois disposés à se battre. Après s’être dégrisés pendant une nuit ou deux au poste de police avant d’être jugés, ils acceptaient assez joyeusement la peine d’emprisonnement d’une semaine, ou d’un mois dans le cas d’une deuxième offense. Le Tribunal dut également entendre, naturellement, mais moins souvent, des cas plus sérieux tels que vol, agression, sorcellerie et comportements indécents. […] Les prisonniers étaient bien nourris et le travail qu’ils devaient faire, consistant généralement à l’entretien de la caserne, était léger et leur permettait de passer leurs journées en dehors de la prison. Les visites étaient permises et en soirée, après leur repas, les détenus pouvaient parler, plaisanter, rire et même chanter. La ‘calaboose’ (prison) de Santo n’était nullement un goulag ! (dans Bresnihan et Woodward 2002 : 273) Les tribunaux indigènes, cependant, n’opéraient pas dans toutes les îles de l’archipel. Le ‘Plus en détail’ suivant examine le cas des meurtres perpétrés à Pentecôte en 1940. Il illustre le désordre existant et les limites juridiques du condominium. Plus en détail – les meurtres de Pentecôte Les violences entre insulaires ‘païens’ et ‘chrétiens’ n’étaient pas rares, particulièrement dans les secteurs où convertis et non-convertis vivaient côte à côte. Près de la Mission catholique de Melsisi, au centre de Pentecôte, cette rivalité sournoise faisait rage dans une véritable guerre entre les deux groupes. G o u l a g : un camp de prisonniers dans l’ex-Union Soviétique, où les prisonniers politiques étaient traités comme des esclaves. Beaucoup d’entre eux en sont morts. 28 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois En mai 1940, le Délégué britannique du condominium, C.M.G. Adam, visita Pentecôte. Il apprit que quatre hommes avaient été tués près de Melsisi, mais sentit que, même en tant que D.C., pour le secteur, il ne pouvait rien faire pour résoudre les difficultés connues à Melsisi. En raison du manque de participation du gouvernement du condominium, Père Louis Gilbert Guillaume, le missionnaire mariste en fonction à Melsisi depuis cinq années, décida qu’il n’avait pas d’autre choix que de prendre en mains ces problèmes. Il craignait qu’avec ces combats continus et la destruction des jardins, la faim soit le prochain désastre frappant le centre de Pentecôte. Père Guillaume se rendit à Port-Vila au début de juillet 1940. Quand il revint à Melsisi, il découvrit que les massacres et les razzias de village entre les deux groupes n’avaient pas cessé. Quelques insulaires lui demandèrent de l’aide pour sortir de cette situation difficile et il accepta. Appuyée par Père Guillaume, une force de catholiques se mit en chasse pour venger les derniers meurtres. Père Guillaume leur fournit un fusil de chasse à 12 coups et quelques cartouches. Il donna également des munitions à ceux qui avaient déjà des armes à feu. La guerre de Melsisi continua jusqu’en octobre et le nombre de morts s’accrut. Un planteur de Mallicolo appelé Ewan Corlette entendit parler de ce combat et entra en contact avec le Délégué britannique du condominium Adam. La semaine suivante, Adam vint à Melsisi pour enquêter sur cette histoire. Il arrêta 17 personnes qui devaient être envoyées à Port-Vila, mais il ne blâma pas les gens de Melsisi. L’extrait suivant est tiré du rapport d’Adam sur l’incident, récupéré de l’article de Hugh Laracy dans le ‘Journal of Pacific History’ intitulé ‘The Pentecost murders : An Episode in condominium Non-Rule, New Hebrides, 1940’ (1991). Pour conclure, J’attire l’attention sur le parti pris par le missionnaire catholique, Père Guillaume, qui, par un mot, aurait pu empêcher ces meurtres, mais qui, au lieu de cela, a incité les indigènes à tuer et leur a fourni des armes et des munitions, et également sur l’action du Délégué français du condominium, Monsieur Arnauld, qui, après s’être entretenu avec le prêtre sur ce qui aurait dû être sanctionné, a certainement fermé les yeux sur les meurtres (Laracy 1991 : 252). A.H. Egan, le juge britannique, soutenait l’opinion d’Adam et pensait même que Père Guillaume pouvait être jugé et tenu responsable des décès des personnes de Melsisi. En revanche, le juge français prétendait que le missionnaire était ‘juridiquement irréprochable’ en raison d’une confusion des limites du système juridique, car Pentecôte était dans une zone qui ne possédait pas de tribunal indigène officiellement en activité. Il n’y avait pas de système légitime qui permettait de juger les personnes de Melsisi devant un tribunal indigène. Il y eut de nombreux mois d’indécision et de discussions entre Français et Anglais au sujet des meurtres de Pentecôte et des actions de l’Église catholique. Père Guillaume comparut finalement devant un tribunal à Nouméa pour la charge de complicité de meurtre. Il fut acquitté, mais on ne lui permit pas de retourner aux Nouvelles-Hébrides. En réponse aux meurtres de Pentecôte, le condominium dut reconnaître que certains de ses règlements étaient défectueux. En effet, le condominium ne pouvait pas juger les meneurs de Melsisi pour les meurtres commis car l’île ne faisait pas partie d’une région gérée par un tribunal indigène. En 1943, la règle commune numéro 9, ‘mettre en vigueur le code indigène et instituer les tribunaux indigènes dans la zone centrale N° 2 et la zone septentrionale’ fut finalement mise en application. Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980 29 Pour aller plus loin 1. En quoi cette histoire reflète-t-elle le manque de coopération entre Français et Anglais ? 2. Comment révèle-t-elle le manque d’organisation du gouvernement de condominium ? Discussion 1. La décision du Père Guillaume de prendre les choses en main était-elle justifiée ? Pourquoi ? 2. Imaginez que vous êtes fonctionnaire français ou britannique du condominium. Comment traiteriez-vous la situation de Melsisi ? 3. Imaginez que vous êtes un membre de la communauté de Melsisi. Comment cette situation affecterait-elle votre communauté ? Le double système administratif actuel aux Nouvelles-Hébrides engendra une atmosphère chaotique, à la limite de la comédie. Les administrations étaient régulièrement en désaccord et les insulaires tiraient profit de ce ressentiment historique entre Français et Anglais. Comme beaucoup d’anciens habitants du condominium le rappellent fréquemment, la vie aux Nouvelles-Hébrides était toujours intéressante et vraiment multiculturelle. Les populations du condominium Vers 1914, Jacomb (1914 : 19) signale qu’il y avait ‘300 colons britanniques, 700 Français, environ cent vingt autres étrangers et 65 000 insulaires.’ Les autres colons comprenaient ‘24 Allemands, 26 Japonais et un florilège d’Espagnols, de Néerlandais, d’Américains, de Norvégiens, de Danois, de Belges, de Suisses, etc. 75 choisirent d’être classés comme Anglais et 46 comme Français.’ Au début du condominium, les Européens devaient choisir entre la loi française ou britannique. Les Mélanésiens, Je me rappelle d’une fête, le Boxing Day 1971, donnée par Jean et Cecilia Ratard [des planteurs français]. Cecilia était la fille d’un prêtre suisse défroqué et de son épouse des îles Gilbert. Elle était grande, gaie, bilingue et pour beaucoup ‘la grande dame’ de Santo. La fête fut donnée sur leur plantation sur Aore… en l’honneur du deuxième anniversaire de leur petite-fille. Je me rappelle clairement des mets cuisant sur les broches, des porcs dans les fours ‘canaques’, des tables ployant sous le poids de la nourriture et des centaines d’invités servis par des femmes des îles Gilbert avec des fleurs dans les cheveux… on se sentait comme pris dans une sauterie du 19e siècle. (Brian Bresnihan dans Bresnihan et Woodward 2002 : 103) 30 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Les populations du condominium : une Mélanésienne, une Wallisienne et une Indochinoise. … Mao, un bar délabré tenu par un couple de Tahitiens. Les Européens se réunissaient souvent là pour boire une bière après le travail et je me rappelle que Madame Mao préparait toujours des sandwichs pour ses clients si elle estimait qu’ils risquaient de passer au-dessus du comptoir ! Mao était toujours un lieu de rendezvous pour les bals de Santo, qui se tenaient rituellement pour l’anniversaire de la reine, le 14 juillet et la veille de la nouvelle année. Le point culminant du dernier bal se produisait quand les lumières étaient obscurcies à minuit et qu’un groupe de danseurs polynésiens, jeunes et nubiles en jupes de feuilles, portant des torches enflammées, amusaient les spectateurs (Bresnihan et Woodward 2002: 105). H y poth èque : gage ; garantie quant à eux, n’avaient pas le droit d’obtenir la citoyenneté de l’une ou l’autre des deux puissances : comme leur territoire, ils étaient déclarés ‘sujets’ et placés sous ‘influence commune’ (Bonnemaison 1994 : 414). Les insulaires n’étaient donc pas formellement reconnus comme possédant une identité nationale officielle. Les Anglais étaient principalement une communauté constituée d’Anglais, d’Australiens et d’Écossais. Ils étaient planteurs et négociants. La plupart d’entre eux habitaient à Port-Vila, et beaucoup travaillaient pour la résidence britannique. Les missionnaires étaient dispersés dans l’ensemble de l’archipel. Les planteurs britanniques généralement étaient indépendants et possédaient leurs propres terres. La communauté française était composée de négociants, de planteurs et de travailleurs contractuels provenant d’autres colonies françaises, dont notamment la Nouvelle-Calédonie. Les planteurs caractérisaient la communauté française et, à la différence des planteurs britanniques, étaient impliqués de façon minimale dans le commerce. Contrairement aux planteurs britanniques, les planteurs français n’étaient pas indépendants, car ils possédaient des plantations obtenues par hypothèque auprès de la CCNH ou une autre compagnie française. De la Rüe (1945 : 30) déclarait que ‘Les Européens y sont représentés en majorité par des Français, les uns de la métropole, des fonctionnaires et leurs familles principalement, les autres, plus nombreux, originaires de la Nouvelle-Calédonie, et par des ressortissants britanniques, des Australiens surtout avec quelques Anglais, Néo-zélandais Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980 31 et Norfolkais… Les seuls Canaques qui demeurent à Vila y sont engagés comme manœuvres dans les comptoirs ou comme domestiques et cuisiniers chez les particuliers. Ils venaient généralement des villages du sud d’Efate. La population de la ville de Santo était tout à fait cosmopolite. Vous pouvez lire l’histoire des villes de Port-Vila et Luganville dans le chapitre ‘La croissance de Port-Vila et de Luganville’. Dans les années 1920, Plus de 5 000 travailleurs immigrés indochinois arrivèrent dans l’archipel, et s’ajoutèrent à la population cosmopolite des Nouvelles-Hébrides (pour plus de détail, se référer au chapitre ‘Planteurs et Plantations’ du volume 2). L’autre main-d’oeuvre saisonnière provenait de l’île de Wallis dans les dernières années du condominium, territoire français situé à l’est de l’archipel du Vanuatu. Enfin, il existait notamment à Port-Vila et à Luganville de nombreux métis. Une grande partie d’entre eux étaient reconnus comme Français. Les sujets français avaient en effet une bien plus grande propension à se mélanger à la population indigène, asiatique ou aux insulaires des autres archipels que les britanniques. Ce métissage reflétait une plus grande tolérance à l’égard des Néo-Hébridais et de leur mode de vie, de même que les missionnaires catholiques étaient moins intransigeants que les presbytériens ou les adventistes envers les coutumes indigènes. Questions de compréhension 1. En se basant sur le récit de Jacomb, combien de personnes habitaient les Nouvelles-Hébrides en 1914 ? Quel était le pourcentage de Mélanésiens ? 2. Qu’est-ce qu’un Caldoche ? Qu’est-ce qu’un Kanak ? 3. Dans les premières années du condominium, y avait-il beaucoup de Mélanésiens étrangers à Efate habitant à Port-Vila ? Plus en détail – des travailleurs wallisiens aux Nouvelles-Hébrides En 1967, Tui Soane embarqua dans le M.V. Kononda avec environ 200 hommes et femmes de Wallis et dit au revoir à sa famille, qu’il ne revit jamais. Quand il quitta Wallis, Tui avait seulement 19 ans. Avec ses camarades wallisiens, Tui signa un contrat avec le gouvernement français pour venir aux Nouvelles-Hébrides travailler dans la mine de manganèse dirigée par la Compagnie Française des Phosphates de l’Océanie à Forari sur la côte est d’Efate. Il travailla comme soudeur dans la mine pendant quatre années. Pelenatita (Bernadette) Maiau, qui épousa Tui en 1973, débarqua aux Nouvelles-Hébrides en 1960 quand elle avait deux ans. Ses parents, comme Tui, avaient décidé de laisser leur pays d’origine pour travailler sous contrat français aux Nouvelles-Hébrides. Le père de Pelanatita, à l’origine, travaillait sur une plantation française de coprah près de l’aéroport et par la suite fut déplacé avec sa famille à Forari afin de travailler dans la mine. La ‘mine’ était peuplée d’ouvriers originaires de différents pays, comme le Tonkin (aujourd’hui connu sous le nom de Vietnam), Tahiti, Futuna, Wallis, la France, Kiribati, Fidji et les Nouvelles-Hébrides, ainsi que d’autres pays. Les ouvriers de Forari avaient leur propre église catholique, recevaient un salaire d’environ 15 livres par semaine et possédaient un terrain où ils pouvaient planter leurs propres jardins pour la nourriture. Il y avait également un magasin et un cinéma dirigé par un Tahitien pour les loisirs des ouvriers. Quel q ues exp r essi on s w al l is iennes B o n j o u r : malo te ma’uli À d e m a in : malo te afi afi m e r c i : malo te’ofa 32 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois En plus de travailler dans la mine de manganèse, les Wallisiens, comme le père de Pelanatita, venaient également travailler sur les plantations françaises de coprah. De nombreuses tâches étaient vacantes et le gouvernement français les incitait à venir travailler aux Nouvelles-Hébrides comme travailleurs contractuels. Que ressent-on lorsqu’on quitte son pays pour aller travailler dans un autre pays qu’on ne connaît pas ? Tui rapporta ce qui suit : Taem we mi aot long aelan blong mi, Wallis, mi bin sad tumas. Taem we mi fes kam long ples ia, mi tingbaot famli blong mi plante. Mi sori long olgeta, from se mi wan, mi kam. Be taem we mi stap ating 2 yia long ples ia, mi jas save ol man nao. Mo mi harem se hem i kam olsem ples blong mi nao. Mifala i kam olsem famle nao. Hemia nao i mekem se mifala i no save aot long ples ia. Mifala i blong Wallis, be hom blong mifala, hem i Vanuatu nao. Pelanatita raconta le récit suivant sur la vie à Forari lors du passage des NouvellesHébrides au Vanuatu indépendant : Mifala long Forari long taem ia, mifala i kam long plante defren ples. Sapos yu sidaon wetem sam nara man, bae yu stori, mo bae yu lanem smol long langwis blong olgeta. Mo mi tu, taem we mi toktok langwis blong mifala long Wallis, olgeta, oli lanem smol. Mifala long Forari, mifala i olsem wan bigfala famle. Long ol taem bifo, laef i gud. Mifala i wok long kontrak, i mekem se gavman blong Franis i lukaotem mifala. Taem we Niu Hebridis i kam Vanuatu, i had lelebet. Bifo long independens, « la mine » i klos finis. Plante long ol man Wallis, oli go bak. Sam oli go long Niu Kaledoni, olsem mama mo papa blong mi, wetem ol brata mo sista blong mi. Mo sam, oli dipotem [expulsèrent] olgeta. Be sam, oli stap. Mo mifala i mas pem « resident’s permit » long evri yia. Wanwan man Wallis, oli stap olbaot long ol aelan long Vanuatu. I gat wan olfala we hem i stap yet long Malakula. Mo i gat sam man Wallis we oli stap long Santo… Mifala i glad blong stap long ples ia from se hem i olsem hom blong mifala nao, mo hem i hom blong ol pikinini blong mifala (Interrogé par Sara Lightner, le 9 september 2004). Pour aller plus loin 1. Quels sont les défis auxquels les travailleurs contractuels devaient faire face lors de leur venue aux Nouvelles-Hébrides ? 2. Pourquoi les Français encourageaient-ils les travailleurs contractuels des autres territoires français à venir travailler aux Nouvelles-Hébrides ? 3. Quand nous parlons d’immigration, nous devons analyser tous les facteurs qu’ils soient d’exode ou d’attraction. Ceux-ci se rapportent aux raisons qui motivent la décision d’émigrer. Les facteurs d’exode sont ceux qui poussent hors de notre propre pays ou point d’origine. Cela peut-être la famine, la guerre, ou encore la persécution. Les facteurs d’attraction sont les raisons qui attirent dans le pays ou l’endroit dans lequel nous immigrons. Ceux-ci peuvent inclure les relations, le travail, la terre et les opportunités scolaires (scolarité et formation). Pensez aux personnes qui sont venues aux Nouvelles-Hébrides pendant le condominium. Quels étaient leurs motivations ? Expression écrite Si vous aviez l’opportunité d’aller travailler à l’étranger, le feriez-vous ? Pourquoi ? Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980 33 Enquête Connaissez-vous une personne originaire de Wallis ou d’autres pays habitant au Vanuatu ? Interrogez-la pour découvrir son histoire. Faites une liste des questions comme, par exemple : • En quelle année, votre famille a-t-elle émigré aux Nouvelles-Hébrides/Vanuatu ? • Pourquoi est-elle venue ? • Qui l’a encouragée à venir au Vanuatu ? • Au début, était-ce difficile ? Pourquoi ? Témoignages sur le condominium En 1945, E. Aubert de la Rüe (1945 : 35) remarquait qu’à Port-Vila, au lieu de condominium, on parlait souvent de Pandémonium, mais on rencontrait dans le groupe un certain nombre de colons qui s’accommodaient bien de cet état de choses et ne semblaient nullement souhaiter la fin de ce régime hybride qui, à les entendre, les avantageait plus et leur revenait moins cher que s’il s’agissait d’une colonie normale’. Quel genre d’avantages possédaient les colons pendant le condominium ? Réfléchissez aux systèmes séparés de maintien de l’ordre. Jacomb (1914 : 205) acheva ‘The Anglo-French condominium’ par le constat suivant : ‘L’expérience a échoué : soyons assez francs pour l’admettre.’ Pour aller plus loin 1. À quoi se réfère Jacomb quand il écrit ‘l’expérience a échoué’ ? En vous basant sur les informations de ce chapitre, êtes-vous d’accord avec lui ? Bonnemaison appelle le condominium ‘une administration, tout sauf commune’ dans « L’arbre et la pirogue » (1994), et beaucoup de gens ont comparé la période du condominium à un ‘pandémonium’. 2. Edward Jacomb s’est opposé à beaucoup de démarches françaises et soutenait le contrôle britannique complet de l’archipel. Son livre sert à communiquer ses opinions. Comment l’histoire peut-elle être présentée d’une manière partiale ? Quand vous prenez connaissance d’une histoire, il est important de la lire avec un esprit ouvert et de considérer les motifs principaux qui existent derrière l’écriture. William Miles, un politologue américain, conclut « Bridging Mental Boundaries in a Postcolonial Microcosm: Identity and Development in Vanuatu (1998) avec le commentaire suivant à propos du condominium : Il y a un avantage non négligeable du legs du condominium. C’est vrai que le condominium a divisé les Mélanésiens des Nouvelles-Hébrides en deux camps. Cependant, étant donné que chaque puissance coloniale se surveillait mutuellement, ni la France ni la GrandeBretagne n’influencèrent anormalement l’archipel. Ironiquement, en se concurrençant toutes les deux, les puissances coloniales ont protégé les Nouvelles-Hébrides contre une colonisation intensive par l’une ou l’autre d’entre elles (Miles 1998 : 196). P a n d é m o n iu m : chaos total ; désordre ; capitale imaginaire de l’enfer. H y b r id e : mixte ; composé d’éléments de deux natures différentes. 34 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Les bateaux du condominium, les seuls à naviguer dans le monde sous les deux pavillons (Gourguechon 1977 : 12). Bien que l’administration du condominium n’ait pas séparé les îles de l’archipel en deux territoires distincts, leurs habitants ont été divisés de différentes façons. Aux divisions traditionnelles, s’est ajoutée une distinction entre francophones (personnes qui parlent français) et anglophones (personnes qui parlent anglais). Les oppositions religieuses entre protestants et anglicans (de l’Empire britannique) et catholiques (français) ont également scindé les insulaires. Cette scission parmi les insulaires devait être surmontée pour s’émanciper de la double tutelle des gouvernements anglais et français. Les enjeux d’unification furent la terre et l’identité. Toutefois, les nationalistes anglophones qui conduisirent le pays à l’indépendance échouèrent, en partie, à unifier la population. Cet échec tient notamment à la façon dont ces nouvelles élites nationalistes stigmatisèrent les francophones comme des patriotes douteux et à la répression féroce des NéoHébridais ayant soutenu la rébellion de Santo. La jeune nation du Vanuatu, trente ans après l’indépendance, s’efforce encore de surmonter ses héritages coloniaux toujours présents. Dans le chapitre ‘En route vers l’indépendance’, nous examinerons les événements et les enjeux qui ont posé les fondements d’un mouvement vers l’indépendance. Activité de discussion Avec vos propres mots, expliquez l’avantage principal du patrimoine colonial du Vanuatu décrit par Miles. Etes-vous d’accord avec lui ? Expression écrite Tracez un petit cercle sur une nouvelle page de votre cahier d’exercices et étiquettez-le ‘je’. Tracez ensuite une ligne à travers le cercle pour créer deux colonnes sur la page. Nommez la première colonne ‘influences coloniales / européennes’ et l’autre ‘influences traditionnelles’. Sous le titre ‘influences coloniales’, énumérez tous les aspects de votre vie qui existent aujourd’hui à cause de l’héritage colonial du pays. Par exemple : aller à l’école et parler français Les débuts du condominium et le gouvernement colonial: de 1887 à 1980 35 ou anglais, aller à l’église, parler bichelamar. Compléter cette liste. Sous le titre ‘influences traditionnelles’, énumérez tous les aspects de votre vie qui existent aujourd’hui grâce à vos acquis culturels. Par exemple, quelle langue locale parlezvous ? Quelles cérémonies coutumières sont d’usage pour des événements comme des mariages et des enterrements ? Savez-vous tisser ou sculpter ? Naviguer en pirogue ? Le but de cet exercice est de montrer que la vie des NiVanuatu d’aujourd’hui est influencée par leur passé colonial et culturel, ce qui crée une identité vanuataise qui embrasse toutes ces influences et les présente d’une manière uniquement vanuataise. Le début du condominium dans l’archipel anticipe la création de zones urbaines à Efate et Santo. L’arrivée des militaires américains pendant la Seconde Guerre mondiale en 1942 favorisa le développement d’infrastructures dans ces deux îles, en particulier à Santo. Nous nous renseignerons sur ces deux aspects de notre histoire coloniale dans ‘La seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides’ et dans ‘La croissance de PortVila et de Luganville’. De plus, durant le condominium, plusieurs mouvements sociaux indigènes ont vu le jour dans certaines îles et représentaient la coutume face aux Eglises et au colonialisme. Nous en apprendrons davantage dans ‘Les cultes du Cargo et les mouvements indigènes du 20ème siècle à nos jours’. On peut se rappeler les années du condominium comme des périodes à la fois difficiles et animées. Les difficultés résultaient de la rivalité franco-britannique active dans le système administratif commun, mais, en même temps, les caractères colorés et le style de vie multiculturel ont engendré une situation unique au monde. Le chapitre suivant souligne cet aspect de l’histoire coloniale du pays. Annexe A pour la liste des Commissaires Résidents français et britanniques durant le condominium. 36 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois 37 chapitre deux Les cultes du Cargo et les mouvements indigènes du 20ème siècle à nos jours Introduction Ce chapitre propose un aperçu sur les mouvements indigènes qui, au cours des 19ème et 20ème siècles, en Mélanésie, ont réagi à la christianisation et à la colonisation. Ces mouvements étaient différents de la coutume et des traditions, mais également des pratiques des Mélanésiens convertis au christianisme. La manière dont ces mouvements devaient être dénommés a longtemps été discutée : « culte du Cargo » est l’expression qui fut le plus couramment utilisée pour les décrire. Aux Nouvelles-Hébrides, en jouant sur les rivalités franco-britanniques, les Mélanésiens conservèrent durant les premiers temps du condominium une relative autonomie, malgré les dépossessions foncières et les violences que les missionnaires et les administrations leur infligèrent. Les excès de zèle commis par les missionnaires presbytériens dans leur entreprise méthodique de déstabilisation de l’ancien ordre social et de lutte contre toute survivance du paganisme, firent adhérer de nombreux villages aux Missions concurrentes. Dans les régions de certaines îles, les Mélanésiens non convertis conservaient les croyances traditionnelles du culte des ancêtres. Ailleurs, ils s’engagèrent dans des mouvements religieux indigènes pour contester les Missions et le pouvoir colonial (cultes prophétiques de Rongofuro, Avu Avu, Naked cult à Santo, mouvement millénariste John Frum à Tanna). La christianisation toucha une grande majorité des habitants de l’archipel, mais elle ne fut jamais complètement achevée. Qu’est-ce que le « culte du Cargo » ? « Cultes du Cargo » (de l’anglais Cargo-cults) est une expression inventée en 1946 par un journaliste australien Norris Mervyn Bird. Le mot Cargo renvoie à l’émerveillement supposé des Mélanésiens, dans les premiers temps de la colonisation, devant les moyens technologiques des Occidentaux. La notion de Cargo se rapporte notamment aux marchandises des Blancs, dont les modes de fabrication étaient inconnus des Mélanésiens. Les récits consacrés à ces mouvements insistaient fréquemment sur la dimension prophétique de ces mouvements. Car les Mélanésiens formulaient parfois la croyance que toutes ces marchandises avaient été fabriquées par leurs propres ancêtres, qu’elles avaient été dérobées par les Blancs, et que donc, elles devaient être rendues aux Mélanésiens. A la notion de Cargo fut ajoutée celle de culte pour former l’expression « culte du Cargo ». Cette expression vient souligner la confusion prêtée à ces récits mythologiques indigènes sur l’origine de ces marchandises, sur l’identité 38 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois supposée de leurs véritables propriétaires, et sur les moyens rituels utilisés pour tenter de les récupérer. Ces mouvements Cargo ont la particularité de ne se retrouver qu’en Mélanésie : ni en Polynésie, ni en Micronésie, ni en Australie, ni en Indonésie, ne sont apparus des mouvements sociaux aussi similaires entre eux que ceux qui ont vu le jour en Mélanésie. Le travail des ethnologues contribua à rendre célèbre cette expression « culte du Cargo ». Celle-ci minimise cependant la dimension politico-religieuse de ces mouvements et paraît insuffisante pour décrire les profondes crises sociales et culturelles qui marquaient leur apparition. Ces cultes du Cargo étaient utilisés pour tenter de neutraliser les influences extérieures à la société indigène, tout en s’appropriant symboliquement, par des moyens rituels, les pouvoirs attribués aux Occidentaux. Questions de compréhension 1. Quelle est l’origine de l’expression « culte du Cargo » ? 2. Quels sont les régions du monde connues pour avoir eu des cultes du Cargo à un certain moment de leur histoire ? La Vailala Madness et les premiers cultes du Cargo Avant qu’elle n’ait été remplacée par l’expression anglaise « Cargo Cult », la notion de « Vailala Madness » était la plus fréquemment employée pour désigner les premiers mouvements cultuels mélanésiens, car ils apparurent aux yeux des Occidentaux comme une forme de maladie mentale collective des Mélanésiens, provoquée par toutes les nouveautés qu’ils découvraient. La Vailala Madness débuta parmi les groupes Elema de la région du golfe de Papouasie. Toute la vie sociale, politique, économique, culturelle des Elema était concentrée sur un ensemble de rites et de cérémonies qui se déroulaient sur une période de Zone géographique d’apparition des mouvements indigènes appelés cultes du Cargo. Les cultes du cargo et les mouvements sociaux des années 1930 à 1940 39 Masques cérémoniels des Elema du golfe de Papouasie au début du 20ème siècle (Collection F. Hurley). vingt ans. Ce peuple édifiait de véritables cathédrales végétales (eravo) qu’il remplissait de crânes d’ancêtres, de masques, de rhombes et autres symboles rituels. La confection des grands masques (hevehe) demandait des mois de travail et leur maniement nécessitait un entraînement d’athlète. Chaque nouvelle étape cérémonielle, chaque rite de passage permettait de dévoiler aux non-initiés le sens des effigies surnaturelles qui leur étaient présentées. Ces cérémonies étaient ponctuées de fêtes, de chants, de danses. A la fin d’un cycle cérémoniel de vingt ans, les masques étaient brûlés sur un bûcher et la grande maison des esprits était laissée à l’abandon. En 1919, cette harmonie cérémonielle et cette splendeur esthétique des productions matérielles des Elema connurent une brusque fin. Dans une station missionnaire proche du fleuve Vailala, un nouveau type de performance rituelle vit le jour. Les masques furent jetés sans ménagement sur la place publique devant les femmes et les non-initiés. Les cathédrales végétales eravo furent abandonnées. Cette volonté des Elema de détruire les symboles les plus puissants liés aux croyances traditionnelles fut assimilée par les autorités coloniales à une folie collective qui se propageait à la manière d’une épidémie. Ils la baptisèrent « Vailala Madness ». Le signe le plus surprenant de ces manifestations était un fanatisme collectif tourné contre la société traditionnelle. Les Elema renversèrent du jour au lendemain l’ordre social traditionnel. Ils supprimèrent la chefferie existante, pour lui préférer le pouvoir de « head-i-go-round-man » : des hommes du commun qui se présentaient comme des prophètes, parlant une langue nouvelle (le djaman) et pratiquant des transes collectives (kavakeva). Ces nouveaux prophètes s’efforçaient de détruire tout ce qui pouvait rappeler les anciennes coutumes. La suppression des masques était devenue une priorité absolue en raison du danger de mort supposé qu’ils auraient représenté pour les villageois. Les Elema inventèrent de nouveaux rituels pour communiquer avec les ancêtres, au moyen de mâts, de drapeaux, de saluts militaires, de parades militaires et de crises de pos- 40 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Mâts pour hisser des drapeaux chez les Elema lors de la Vailala madness (collection F.E. Williams). session. Les nouveaux « boss » du mouvement prétendaient recevoir leurs prophéties depuis leur « estomac » qui parlait pour eux (belly-i-tink) : il fallait dorénavant se revendiquer de Iesu, de Iohva et de toutes sortes de nouveaux esprits. Les Blancs étaient considérés comme les esprits des ancêtres des Elema, qui revenaient chez eux pour apporter à leurs descendants toutes les richesses détenues par les Blancs. Les mouvements Tuka (à Fidji), de Mansren Koreri et de Milne Bay (en NouvelleGuinée), très semblables à la Vailala Madness, avaient déjà débutés à la fin du 19ème siècle. Les décennies suivantes furent marquées par l’apparition de centaines de cultes similaires. Les cultes du Taro, de Yali et de Mambu en Papouasie, le mouvement de Paliau en Nouvelle-Irlande, le Naked Cult aux Nouvelles-Hébrides comptent parmi les plus célèbres mouvements mélanésiens au cours de cette période. Ces mouvements se multiplièrent également dans les hautes terres de Papouasie comme dans presque l’ensemble des archipels mélanésiens (îles Fidji, îles Salomon, Vanuatu), à l’exception de la Nouvelle-Calédonie. Leurs similitudes quant à leur organisation cérémonielle et à leurs constructions mythologiques étaient frappantes. Ce qui renforçait encore la question de savoir pourquoi ils apparaissent en certains lieux et non pas ailleurs. Toujours est-il que les premiers cultes du Cargo sont liés à une volonté d’adapter les anciens systèmes de croyances aux symboles et représentations imposées par la christianisation. Une seconde vague de ces mouvements cultuels intervint au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, suite à l’implication des Mélanésiens dans les préparatifs de la bataille de la Mer de Corail. A l’image du Masina Rule (Malaïta, îles Salomon) et du culte de John Frum (Tanna, Vanuatu), les prophètes de ces mouvements d’après-guerre s’inspirèrent fréquemment dans leur visions, de la puissance de l’US Army ; le pouvoir de ces soldats, parmi lesquels se trouvaient de nombreux Afro-Américains, leur apparaissait éminemment supérieur à celui des agents des tutelles coloniales, dont l’autorité se vit dès lors contestée. En dépit des nombreuses variantes cérémonielles et des diverses déclinaisons mytho- Les cultes du cargo et les mouvements sociaux des années 1930 à 1940 41 logiques, certains aspects essentiels de la Vailala Madness étaient déjà présents dans des mouvements antérieurs et se retrouvèrent dans des mouvements ultérieurs. Leurs principaux traits peuvent se résumer comme suit : (1) Ces mouvements cultuels sont des phénomènes de masse. Leur prosélytisme encourage le dépassement des limites traditionnelles de l’organisation sociale. Des marques, des attitudes, des danses et autres signes ou expressions corporelles sont utilisés pour symboliser de nouvelles formes d’identification collective. (2) En favorisant l’émergence de nouvelles figures de l’autorité, ces cultes accompagnent ou accélèrent des changements affectant l’ordre social préexistant. Ce renversement coïncide également avec des bouleversements cosmologiques relevant d’une perspective rituelle. (3) Ils suppriment ou modifient en profondeur les anciennes organisations cérémonielles : ils décident tantôt la destruction, tantôt la réactivation d’objets rituels et autres éléments culturels pré-coloniaux. Simultanément ils procèdent à une ritualisation des marchandises et des moyens technologiques des Européens. L’instauration de nouvelles pratiques cérémonielles vise à surmonter les contradictions entre le christianisme et les anciennes croyances, notamment celles liées au culte des ancêtres. (4) Dans le contexte de ces mouvements, l’attente d’une abondance définitive et la fin de la domination des Blancs sont des événements perçus comme interdépendants, voire concomitants. Ces cultes valident un nouveau rapport au temps en modifiant sérieusement les conceptions antérieures de la temporalité. P r o s é l y t is m e : recrutement de nouveaux fidèles pour une religion Questions de compréhension 1. Pourquoi les cultes du Cargo ont-ils pu être assimilés à des crises de folie collectives par les Occidentaux ? 2. Employez les mots suivants dans une phrase : • Prophète • Prosélytisme 3. Qu’est ce qui pouvait expliquer la fascination des Mélanésiens pour les marchandises des Occidentaux ? 4. Soulignez certaines différences entre les représentations religieuses mélanésiennes traditionnelles et le christianisme. 5. Que pouvaient attendre les Mélanésiens de leur conversion au christianisme ? Pourquoi certains groupes refusèrent de se convertir ? Aspects théoriques des cultes du Cargo L’histoire des cultes du Cargo se confond avec celle de l’anthropologie de l’Océanie. Les contacts culturels dans ces mondes insulaires reculés furent habituellement envisagés en termes d’« impact fatal » de la domination européenne sur les sociétés indigènes. Cette théorie de l’anomie culturelle fut parfois poussée jusqu’au paradoxe, lorsqu’elle servit notamment à expliquer la prolifération de mouvements millénaristes, regroupés en Mélanésie sous l’appellation « cultes du Cargo ». En dépit de la volonté d’innovation et des spectaculaires capacités d’adaptation qu’ils mettaient en œuvre, ces mouvements politico-religieux étaient généralement présentés comme de simples illustrations de la phase ultime d’un déclin culturel. Avec l’avènement de la période de décolonisation, ils vont en revanche être étudiés pour leur dynamique d’innovation. A n o m ie : absence de direction ou de règles 42 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Guadalcanal, îles Salomon, mars 1944. Les quantités d’approvisionnements embarqués dans le Pacifique pendant la guerre étaient impressionnantes. Les piles des marchandises empilées dans les dépôts d’approvisionnement ont provoqué un nouveau mot en pidgin des îles Salomon : staka, signifiant « une quantité énorme. » Une grande partie du matériel était chargée par des ouvriers des îles Salomon, ici déchargement et empilement des cartons de bière (Lindstrom et White 1990 : 94). Bon nombre d’ethnologues, conscients des enjeux d’après-guerre, considérèrent ces mouvements comme précurseurs de futurs mouvements nationalistes et indépendantistes. Leur impulsion mystique libératrice annonce le passage vers des formes d’émancipation plus pragmatique. Si les techniques rituelles qu’ils emploient les restreignent au statut de « religion des peuples opprimés », ces cultes n’en préfigurent pas moins l’adoption d’une organisation rationnelle. L’intérêt anthropologique des cultes du Cargo réside dans la volonté de réorganisation sociale qui les anime. Ils obéissent à un principe fédérateur ; l’unification de différents groupes (clans, tribus, ethnies…) sur une vaste échelle, par l’établissement d’une organisation rituelle nouvelle, représente l’amorce d’une transition vers l’organisation de la population en syndicats, en associations et en partis. Le jour venu, ceux-ci se saisiront des rênes d’un État et impulseront l’édification de la nation. Ces cultes seraient ainsi voués à s’effacer derrière la fondation d’un nouvel ordre socio-politique. Les faits donneront tort à cette théorie du proto-nationalisme des cultes du Cargo. Ces manifestations se sont maintenues, malgré l’accession à l’indépendance des États mélanésiens à partir des années 1970. Aux yeux des nouvelles autorités, ils ont pu apparaître comme séparatistes et donc dangereux pour l’indépendance des Etats souverains issus de la décolonisation. Les recherches anthropologiques sur les formes contemporaines de perpétuation et de renouveau de ces cultes tendent vers une réévaluation de ces phénomènes dans leurs rapports aux processus de globalisation et aux questions de politiques de l’identité. Les premiers mouvements à Santo Les cultes prophétiques à Santo se firent connaître au grand jour à la fin des années 1920, avec le meurtre « rituel » du colon Clappot de Tasmalum (côte sud-ouest de Les cultes du cargo et les mouvements sociaux des années 1930 à 1940 43 Santo). L’affaire Rongofuro, du nom du meurtrier de ce dernier, rassembla des éléments très caractéristiques des premiers mouvements classés parmi les cultes du Cargo. Les croyances les plus caractérisées portaient sur l’appropriation des biens des Blancs par les Mélanésiens, symbolisée par la cargaison des navires de commerce, l’immortalité des membres du culte et le retour/résurrection des morts en tant que Blancs. La seule différence tangible tenait avec Rongofuro, dans l’absence du rejet explicite des pratiques traditionnelles. A ces thèmes classiques s’ajoutèrent à Santo, la crainte des appels aux meurtres contre les Blancs et d’un soulèvement indigène généralisé. Si dans son premier rapport à l’administration britannique, le Révérend Raff (1928 : 100) décrivit l’affaire Rongofuro comme le déclenchement d’une « crise de démence », il remarqua d’emblée le souci des prophètes d’être payés lorsqu’il s’agissait pour eux de garantir l’immortalité de leurs adeptes après le cataclysme annoncé, de faire revivre les morts ou d’obtenir en masse les biens des Blancs. La croyance en la venue d’un bateau chargé de riz et de fournitures en provenance de Sydney fut attestée. L’accent était mis sur la place de l’argent dans l’action rituelle inspirée par le prophète et sur ses capacités personnelles de lettré. Son prosélytisme était dirigé vers les communautés de l’intérieur de Santo, aux prises avec de très fortes pressions acculturatives, et qui s’en remettaient à son expérience. Cela lui permit de rassembler progressivement une bonne partie des populations les plus reculées, sans lesquelles on ne pourrait expliquer la taille des rassemblements rituels pouvant regrouper de plusieurs centaines à quelques milliers de participants : Les émissaires de ce chef prophète voyagèrent à travers tout Santo et recrutèrent plusieurs centaines d’adhérents, qui devaient payer d’abord en cochons, puis en argent, de 5c à 1£, pour le privilège et les bénéfices attendus. Dans une autre région, les employés de la plantation furent convaincus de la vérité des affirmations du prophète, car, bien qu’il ne soit jamais allé à l’école, il pouvait écrire le ‘language belong white man’. En guise de preuve, ils montrèrent un morceau de papier sur lequel étaient griffonnés des signes inintelligibles (Raff, 1928 : 100). L’entreprise rituelle de résurrection des morts se heurta à la présence des Blancs qui, dans leur ensemble, étaient vus comme les responsables des décès des Mélanésiens, sauf de ceux survenant par vieillesse. Le meurtre de Clappot se produisit en 1923 au terme d’un grand rassemblement cérémoniel qui devait se clore par le retour des morts. Le contexte de son assassinat fut rituel (Clappot fut démembré et dévoré). Mais cet acte de représailles envers un colon blanc prit une tournure provocatrice. Il fut exécuté chez lui, et à la manière dont les Blancs effectuaient les expéditions punitives, en les annonçant à l’avance. Cette action visait à démontrer l’invulnérabilité acquise par Rongofuro à l’égard de ces derniers. Ce mouvement prit fin avec une répression violente qui entraîna de nombreuses arrestations, le jugement, puis l’exécution de Rongofuro et de deux de ses acolytes. Selon Harrisson, le caractère curieux, intriguant, du meurtre de Clappot tenait pour beaucoup à la personnalité de l’assassin. D’après cet observateur, Rongofuro détenait la capacité de traduire en termes indigènes la conscience de l’exploitation coloniale : [Le meurtre de Clappot] découla de la dépopulation et de l’insouciance de l’administration. Et bien que personne ne le relevât, [par ce geste], un des premiers hommes noirs qui discerna l’ensemble du tableau [de la colonisation] dans une vue perspective, fit briller une flamme déjà vacillante. Il s’agissait de Ronavura, qui avait été formé à la Mission presby- 44 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois térienne de Tangoa, où il avait saisi toutes ces choses que [les Blancs] faisaient (Harrisson 1937 : 380). Rongofuro ne fut ni le seul ni le premier des prophètes à propager cette croyance. Il était le neveu du prophète Payolos, qui lui avait transmis l’idée de vendre des magies d’invulnérabilité. Fort de cette filiation coutumière, Rongofuro personnifiait les nouvelles croyances : il était lui-même revenu d’entre les morts, savait que ceux-ci deviendraient blancs à leur retour, que les Blancs vivants faisaient obstacle à cette attente et que l’extermination de ces derniers était la seule solution appropriée. Ceux qui voulaient revivre ou se repentir (pour morts d’hommes) devaient reporter leur dette dans le grand livre de Rongofuro prévu à cet effet. Avu Avu était un notable influent de la région de Moriul dans la haute vallée de la Tatsiya au sud d’Espiritu Santo. Son action fut connue dès 1937. On lui prêtait le fait d’avoir donné l’ordre de tuer tous les Blancs dans l’intention de faire revivre les morts, et de répandre la croyance en leur retour sur un bateau. Avu Avu fut rapidement dénoncé par un colon et les communautés christianisées. Une fois arrêté, il mourut peu de temps après. Il n’eut ni le temps d’approfondir le culte qu’il avait fondé ni celui de rallier beaucoup de communautés. Le message d’Avu Avu dévoile une volonté marquée d’évitement des Blancs, du rejet des Missions et d’un repli sur soi. Ce prophète visait à fonder sa propre skul (terme donné comme équivalent à la fois pour l’école et pour le culte). Il se donnait comme intention de klinem ples, de « purifier son pays de tout ce qui venait du passé » (Guiart, 1958 : 203), de supprimer les guerres et l’élevage des cochons. Il fallait suivre les recommandations des missionnaires : vivre suivant un idéal de paix, de pureté morale et d’hygiène corporelle, mais en se débarrassant des Blancs et des missionnaires qui en avaient imposé la voie dans l’intérêt de leur propre domination. A la différence des revendications identitaires actuelles fondées sur la valorisation des traditions du passé, les actions des prophètes Tsek et de Mol Valivu, qui se déroulèrent entre la fin de la guerre et la fin des années 1950 (c’est-à-dire, avant la naissance du Nagriamel en 1965), prônaient le rejet des coutumes, notamment le rejet du système de la hiérarchie des grades. Le Naked Cult se poursuivit de 1945 jusqu’à la mort de Tsek en 1951, alors que l’action de Mol Valivu vint concurrencer le Naked Cult lorsque celui-ci connut ses plus grands succès. Les détails de ce culte ont été relevés par le pasteur Miller et par Guiart, à l’occasion de leurs expéditions respectives (1947 et 1953). Tsek était encore jeune lors de la tournée de Miller, âgé de 30 à 35 ans et marié à deux femmes. Sa prédication commença en 1945. Elle fut aussi courte que retentissante, un peu à l’image de la fragilité du personnage, puisque le mouvement qu’il impulsa, disparaîtra six ans plus tard, consécutivement à son propre décès des suites d’une longue maladie. Tsek avait travaillé pour les Européens et y avait acquis quelques rudiments du christianisme, mais c’était sa qualité d’homme du terroir, de man-bush, qu’il revendiquait avec force. Dans sa prédication, Tsek s’érigeait en modèle. Mol Valivu (titre d’autorité traditionnelle sous lequel est connu un dénommé Kavapnuwi) était le leader incontesté d’une fédération de communautés du centre de Santo. Ancien guerrier de grande réputation, Mol Valivu abandonna son passé de violence pour délivrer aux siens un message dont il avait été inspiré par un héros culturel, hissé pour l’occasion au rang de dieu universel. Tatoe était le dieu unique qui, dans le nouveau mythe de création, réservait une mention spéciale à son peuple de fidèles, les man Santo. Il leur transmit un nouveau message après avoir déjà envoyé Djes (Jésus) Les cultes du cargo et les mouvements sociaux des années 1930 à 1940 45 « pour nettoyer la face du monde de toutes les saletés qu’y avaient faites les hommes » (Guiart, 1958 : 192). Ancien membre également de la Rongofuro Skul, l’influence que Mol Valivu gagna dans les années 1950 en fit le personnage le plus important du centre de l’île, un notable qui sut s’attirer les largesses et la protection de l’administration française. Les points essentiels de la prédication de Tsek étaient : 1. Enlevez vos pagnes. Les femmes enlèveront leurs jupes de feuilles. Enlevez les ornements, vos colliers, vos bracelets. Toutes ces choses vous salissent (make you dirty). 2. Détruisez tous les biens que vous avez pris chez les Blancs – calicots, argent, ustensiles. Supprimez aussi tous les objets de votre propre fabrication. Mieux vaut être libéré de tout ça. 3. Brûlez vos maisons actuelles et reconstruisez en de nouvelles selon le plan suivant : (i) Deux grandes maisons communes doivent être construites dans chaque village — une pour le repos des hommes, une pour le repos des femmes. Pas de cohabitation des familles la nuit. (ii) Construisez une grande cuisine à côté de chaque maison commune. On ne doit pas faire la cuisine dans les maisons communes. 4. Toute la nourriture doit être cuisinée le matin. Pas de cuisine la nuit. 5. Ne travaillez pas pour les Blancs. 6. Faites disparaître tous les animaux de votre village, chiens, chats, porcs, etc. (Miller, 1948 : 331). Dans le message de Mol Valivu, Guiart discerna une prédication en cinq points : Pas de guerres, no fight ; suppression de la sorcellerie, no talk belong poison man ; interdiction de frapper les femmes et les enfants, no kill em women more picanniny ; interdiction pour l’homme d’insulter sa femme et inversement, man e no swear long woman ; women e no swear long man ; interdiction au missionnaire de pénétrer sur son territoire, missionary e no come (Guiart, 1957 : 250). Revenons un instant sur le thème de la nudité dans le mouvement de Tsek. De cet aspect découlaient tous les autres. La nudité était l’élément essentiel d’une totale régénération, au moyen d’une ritualisation de la vie quotidienne. La nudité était le geste par lequel devait s’établir à la fois une pureté corporelle et une rénovation culturelle et sociale. Les vêtements devenaient la marque d’une souillure, de même qu’il en avait déjà été avec l’élevage des cochons. Toutes les choses du passé étaient vues comme des sources d’impureté et devaient être abandonnées. On pouvait aisément constater dans les villages où se pratiquait le culte, que « les pratiques païennes traditionnelles ont été radicalement changées » (Miller, 1948 : 330). L’abandon des cochons fut renforcé par celui de tous les animaux domestiques. Toute espèce d’artefact ou d’ustensile devait être évitée, ceux produits par les Blancs, comme ceux produits par les Mélanésiens (on fit toutefois l’exception pour les sabres d’abattis) ; les vivres, pour être transportés, devaient être portés sur l’épaule. Les mariages entre membres du culte furent conservés, la polygamie continua d’être acceptée, mais surtout l’adultère fut considéré comme une source majeure de conflits. Aussi, toute intimité sexuelle devait disparaître. La copulation devait participer du nouvel ordre spirituel, et devait être accomplie, même illégitime au vu et au su de tous – se hide em, all same belong steal (se cacher équivaut à voler) (Guiart, 1958 : 211) – et en plein jour : « comme les chiens et les poulets » rapporta un ancien membre du culte (Miller, 1948 : 340). De même, l’échange de femmes hors des villages Naked Cult devait cesser, la hiérarchie des grades devait être abolie, tous les rassemblements rituels devaient être interdits, et les danses qu’on y effectuait définitivement proscrites, pour assurer une rupture définitive avec l’ordre ancien. Une ségrégation complète fut pratiquée au sein d’un 46 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois même village entre les membres du culte et les autres pour contrer toute influence étrangère. Enfin le Naked Cult eut une attitude sans compromission envers les Blancs, la skul des missionnaires et les communautés christianisées. C’est d’ailleurs, en grande partie, le constat du caractère définitif de l’installation des Blancs à Luganville et le long du canal du Segond qui imposa cette isolation, renforcée par l’interdiction de travailler pour eux. Le mouvement John Frum à Tanna Les leaders du mouvement John Frum hissant le drapeau américain, le 15 février 1978 à Sulphur Bay (Lindstrom 1993 : 92). M illén ariste : relative à la fin des temps Au début du 20ème siècle, après cinquante ans de présence missionnaire sur l’île de Tanna, les fondements de l’ancienne religion organisée autour du culte des ancêtres se trouvèrent sérieusement ébranlés. L’instauration d’un contrôle colonial contribua également à saper les bases de l’ordre indigène traditionnel. En réponse à ces pressions culturelles extérieures, vers la fin des années 1930, dans une région délaissée du sud-ouest de l’île de Tanna, à Green Point, apparut un esprit nommé John Frum. C’est là que cet esprit revêtit pour la première fois les traits d’un homme, ceux d’un métis vêtu à l’européenne, qui toutefois parlait les langues locales. Celui-ci préconisait, lors de ses premiers messages, la destruction de certaines coutumes anciennes et, simultanément, le rejet de tous les biens et valeurs venant des Européens. La venue de John Frum avait pour but de mettre un terme à la Tanna Law, un régime missionnaire théocratique qui avait tenté de supprimer la plupart des aspects de la culture traditionnelle sur l’île. Après leur victoire sur les missionnaires, les Tannais seraient appelés à se tourner vers la « vraie » coutume (kastom), celle recommandée par leur nouveau sauveur. La conséquence la plus spectaculaire des commandements de John Frum fut l’abandon, en 1941, de l’Église presbytérienne par tous ses fidèles. Ce mouvement politico-religieux s’appuyait sur une prophétie millénariste : les missionnaires et les Européens seraient chassés de l’île, le monde s’en trouverait transformé et le second avènement de John Frum instaurerait une abondance matérielle et une prospérité définitive. La prophétie devait une bonne part de son succès à l’une de ses prédictions : l’annonce de la guerre du Pacifique et l’arrivée des Américains, plus d’une année avant le débarquement des troupes alliées aux Nouvelles-Hébrides ainsi que l’engagement logistique des Tannais auprès de l’US Army. Cet événement historique ancra, chez bon nombre d’habitants de l’île, l’idée selon laquelle existait une alliance mythique entre eux et la toute puissante Amérique. John Frum devint pour les Tannais le symbole de ce lien d’échange avec un allié inédit qui disposait d’un pouvoir bien supérieur à celui des anciennes autorités coloniales. John Frum aurait tenu à ses débuts des propos plutôt insignifiants, qui attirèrent néanmoins l’attention des curieux en provenance de toutes les régions de l’île. Cependant, avec l’amorce en 1940 d’une période de répression de ce mouvement cultuel par les autorités coloniales, les messages de John Frum se firent plus radicaux, plus extraordinaires aussi, donnant cours à de fabuleuses prédictions. Si les administrateurs et les missionnaires n’étaient pas loin, au début du 20ème siècle, de réussir à éradiquer les coutumes précoloniales, c’était désormais la fin de leur empire que ce nouveau « messie » annonçait. Le déclin de l’ordre colonial s’accentuerait jusqu’à son effondrement avec le retour de John Frum. Cet événement coïnciderait avec la transformation radicale et définitive du monde existant : les gens cesseraient de mourir, n’auraient plus à travailler, et tous les biens qui leur furent volés à une lointaine époque Les cultes du cargo et les mouvements sociaux des années 1930 à 1940 47 J o h n F r u m e t le sy mbole d es Et at s -U nis L’alliance entre Tanna et les Etats-Unis revendiquée par certains groupes du mouvement John Frum date de la période de la Seconde Guerre mondiale. Des leaders du mouvement avaient prophétisé la venue de l’Amérique aux NouvellesHébrides trois mois avant l’attaque de Pearl Harbor en décembre 1941. Après l’annonce de l’arrivée de l’armée américaine aux Nouvelles-Hébrides en avril 1942, les man Tanna s’engagèrent massivement pour travailler sur ses bases militaires de Port-Vila et de Santo. Un extrait du livre de l’anthropologue Marc Tabani restitue l’intensité avec laquelle fut ressenti cet événement : Le Délégué britannique [de Tanna, James Nicol], qui ne contrôle déjà plus rien depuis près d’un an, voit son autorité sapée encore un peu plus [à partir de 1942]. L’excitation des man Tanna est maximale lorsque les leaders du mouvement John Frum leur annoncent que les prophéties sont en train de s’accomplir : “Vila est plein d’Américains. D’autres, en plus grand nombre viendront jusqu’à Tanna. Les dollars américains sont la nouvelle monnaie annoncée. Les Américains sont des noirs. Ils vont bientôt gouverner les îles, libérer les prisonniers et leur paieront des gages. Voilà ce qu’on dit sur l’île” (Nicol, rapport du 13/08/42). En août 1942, lorsque les Américains sollicitent de la main-d’œuvre en provenance de Tanna, la réaction est électrique. Nicol se borne à constater : “Pratiquement tous les man Tanna sont prêts à s’en aller. Ils croient dur comme pierre que Jonfrum va venir d’Amérique, aussi sont-ils trop heureux de l’aider. Il est inutile de discuter avec eux” (Nicol, ibid.)[…] [L es soldats américains], ces Blancs qui les considéraient avec un respect qui leur avait toujours été refusé [par les autorités condominiales], qui ne rejetaient pas leur compagnie, les promenaient en Jeep et leur offraient des cigarettes par cartouches entières, étaient noirs pour la plupart ; des Blancs à peau noire, qui plus est, les appelaient « frères » : « Quand ils nous appelaient, ils ne nous nommaient pas …, ils nous disaient ‘frères’. Frère, leurs frères. Ils ne disaient pas de nous que nous étions mauvais. Ils nous appréciaient, et à cause de cela, nous nous sentions bien avec eux. Ah, les Américains ! » (Thomas Nowar, in Lindstrom, 1989 : 410). mythique (réfrigérateurs, voitures, commerces) par des ancêtres communs aux Blancs et aux Mélanésiens leur seraient rendus. Les plus fidèles partisans de John Frum occuperaient des postes dans de nouveaux types de gouvernements. Mêmes les antagonismes entre Blancs et Noirs disparaîtraient le jour de cette Parousie. Un autre ensemble de récits relatifs à John Frum s’articule autour du thème d’un « sauvetage de la coutume ». Coincée entre le marteau de la Mission et l’enclume de l’administration coloniale, la coutume était considérée comme étant déclinante aussi bien par les gens de Tanna que par les premiers ethnologues. John Frum serait l’agent du renouveau de la coutume. Cette mythologie s’accompagne d’une dimension sociopolitique majeure. Les premières apparitions de John Frum ont donné lieu des formes complexes d’organisation rituelle connues sous le nom de « Jonfrum muvmen » (mouvement John Frum). Plus impressionnantes aux yeux des Tannais que le contenu de ses prophéties, elles étaient, en fait, de grandes réunions organisées en son honneur. Initiées au sud-ouest de l’île, dans le district de Green Point, elles permirent de rassembler la plupart des dignitaires de Tanna, puis furent interdites et réprimées par les autorités coloniales, dès que celles-ci P a r o u s ie : Seconde venue du Christ à la fin des temps pour établir définitivement le royaume de Dieu sur terre 48 La Tanna army lors de sa parade annuelle du 15 février (Lindstom 1993 : 89). Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois en eurent connaissance. En ces occasions, des groupes chrétiens et païens, traditionnellement rivaux, premiers adeptes de John Frum ou futurs opposants, se retrouvaient pour danser avec ferveur et consommer fraternellement la boisson cérémonielle du kava. Par leur présence à ces fêtes, les dignitaires convoqués manifestèrent explicitement leur opposition ou implicitement leur désobéissance à l’administration coloniale en interdisant les danses païennes, et aux missionnaires en proscrivant la consommation du kava. La dimension politique sous-jacente à ce mouvement cultuel vint renforcer sa portée religieuse. La référence à « l’américanité » de John Frum, pays des libérateurs de l’oppression coloniale, débuta à Sulphur Bay. Ce village de la côte est de l’île deviendra ainsi le quartier général d’une des principales branches des groupes John Frumistes. Après avoir quitté l’île, leur « messie », qui était un esprit ami de Rusëfël (Roosevelt), aurait atterri à proximité, dans un avion en bois. Il y aurait déposé ses enfants, des esprits également appelés « kaoboe » (cowboy). Les Tannais ne considèrent pas John Frum comme un personnage importé, car en dépit de son teint pâle et des vêtements occidentaux qu’il porte (signe qui distinguait initialement les convertis au christianisme des païens), il parle la langue des gens du sud de Tanna, et son existence remonterait à une époque qui précède la création de l’île. John Frum existe depuis le commencement du monde. Il est ainsi parfois présenté comme le fils de Kalpapen, un puissant esprit qui créa l’humanité tannaise. John Frum est aussi fréquemment assimilé à Karapanemun, un autre esprit fondateur vivant dans les montagnes du sud de Tanna. Symbole de puissance et garant de la croissance des jardins, il n’en est pas moins un « diable » dévorant les hommes et capturant leurs femmes. Si l’identité de John Frum fait référence à cette ancienne figure mythologique, celle-ci n’en devient pas moins méconnaissable après sa transformation. Car simultanément, la dimension syncrétique d’un Jésus noir est invariablement affirmée. « Les chrétiens attendent Jésus depuis 2000 ans ; nous-mêmes n’attendons John que depuis 70 ans » clament ses partisans. John Frum fut dès l’origine opposé à Nakua (Satan dans les langues locales), même si les missionnaires le condamnèrent également comme un diable. Il fut encore présenté par certains prophètes du culte comme le frère de Jésus, le fils de Dieu ou Dieu lui-même. En atteste le symbolisme des croix utilisés dans le culte : certaines sont rouges en référence au sang de John Frum, d’autres sont noirs en référence à sa défense de la coutume de Tanna. Le s cé lé brations du 15 f évrier à Sulph ur Bay Tous les 15 février, se déroule la parade de la Tanna Army, parfois présentée comme une branche Tannaise de l’US Army. Elle est de loin la plus importante manifestation publique annuelle à Tanna. Le clou du spectacle est assuré par des cérémonies qui imitent les défilés militaires. En rang par deux, les hommes sont menés par un kapten, coiffé d’un chapeau texan, qui leur lance des ordres dans une langue ésotérique empreinte de fortes consonances anglo-saxonnes. La troupe défile dans le village en exécutant une chorégraphie complexe et soigneusement codifiée. Le torse nu, l’acronyme USA est peint en rouge sur leur poitrine et leur dos. Les pieds nus, tous habillés d’un même blue-jean, ils portent à l’épaule des perches effilées en bambou, la pointe maculée de rouge figurant des fusils. Les célébrations du 15 février sont considérées comme un symbole de « l’unité » (uniti) du peuple de John Frum (jonfrum pipol). Les cultes du cargo et les mouvements sociaux des années 1930 à 1940 49 Une croix rouge à Sulphur Bay en hommage à John Frum (Lindstrom 1993: 133). Enfin, parmi certaines branches du mouvement John Frum, ce personnage est complété par ceux de ces fils. Il en existe dans tous les villages affiliés à ce mouvement cultuel. Ces kaoboe, sous leur forme visible, apparaissent toujours revêtus d’uniformes américains. Ils disposent d’une langue qui leur est propre, le tomoromo, et l’on communique avec eux par l’intermédiaire de téléphones à fleurs et d’antennes reliées par des lianes. Les kaoboe sont des esprits qui vont devenir un élément central de la doctrine John Frum des groupes rattachés au centre cultuel de Sulphur Bay. Ils se retrouvent placés au sommet du nouvel ordre social et viennent justifier toutes les innovations cérémonielles. A la Tanna Law et à son régime fondé sur les commandements du Christ, doit succéder l’Amerika lo, ou loi des kaoboe qui protège la coutume. Du fait de la violente répression administrative qui s’abattit sur ce culte et se prolongea jusqu’à la fin des années 1950, sa dimension anti-coloniale s’accentua. Son inspiration militaire, ses symboles néo-chrétiens, son organisation complexe et son rejet des influences extérieures l’apparentaient, aux yeux des administrateurs coloniaux et des missionnaires aux nombreux « cultes du Cargo » et autres mouvements millénaristes de Mélanésie. Ils démontraient qu’une christianisation mal assumée risquait de faire dévier ces phénomènes religieux vers des revendications ouvertement politiques. Toléré par les autorités du condominium au bout de deux décennies d’existence, ce mouvement se divisa en sous-groupes, chacun revendiquant le message initial de John Frum et une pratique orthodoxe de son culte. Lors de l’indépendance de Vanuatu (juillet 1980), le mouvement John Frum connut de nouveau une période de dissidence à l’égard des autorités officielles et des nouvelles élites dirigeantes. 50 Extrait d’un journal américain (le New York Times du 17/04/1970) consacré à John Frum. L’article insiste sur un culte voué au cargo plutôt que sur la résistance aux missionnaires et aux administrations coloniales (Rice, 1974 : xxi). Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Les cultes du cargo et les mouvements sociaux des années 1930 à 1940 51 Questions de compréhension 1. Dans le texte, identifiez trois changements de la coutume imposée par la Loi de Tanna. 2. Quelle raison est donnée pour expliquer l’arrivée de John Frum ? 3. Pourquoi les missionnaires se sont-ils inquiétés des activités de John Frum ? 4. En quoi la loi de Tanna instaurée par les missionnaires presbytériens pouvait-elle inquiéter l’ordre social traditionnel dans l’île ? 5. A l’aide du dictionnaire, expliquez la notion de théocratie. La « Loi de Tanna » Les missionnaires débarquèrent sur Tanna en 1841, mais ne convertirent que peu d’insulaires jusqu’en 1900. Les missionnaires créèrent une loi appelée la « Tanna law ». (Vous pouvez en apprendre plus à ce sujet dans le chapitre « Le début de la christianisation dans l’archipel » du volume 2). L’extrait suivant est tiré de la description de Ron Brunton sur le début du mouvement Jon Frum écrit dans « Man, Langwis mo Kastom long Niu Hebridis » en 1978. Cette loi investit des chefs chrétiens, qui présidaient également les Tribunaux insulaires. Il y avait des miliciens rattachés à ces tribunaux qui avaient le pouvoir de conférer des amendes et de jeter les gens en prison. Ce système de justice s’appliquait non seulement aux insulaires convertis, mais aussi aux autres habitants de Tanna, y compris ceux qui demeuraient pleinement dans la coutume. La « Loi de Tanna » interdisait de boire le kava à cause de la pratique coutumière d’envoyer un message au moyen des pouvoirs du kava. Les menaces pour la vie traditionnelle résultant de la « Loi de Tanna » unirent les hommes de la coutume dans le but de perpétuer leurs traditions… Frank Paton et les premiers convertis au christianisme originaires de Tanna(Paton 1903). 52 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Les premières apparitions de John Frum datent de la fin de cette période de la Tanna Law. En 1920, à mesure que les pouvoirs des missionnaires augmentaient, il y avait quatre insulaires chrétiens pour chaque coutumier… un coutumier raconta que « John Frum est venu à Green Point parce qu’il était très attristé de la disparition de notre kastom, en particulier à Green Point et il voulait aider les gens de là-bas. » Presque toutes les personnes ralliées à John Frum sont d’accord sur le fait que si celui-ci n’était pas venu à ce moment fatidique, Tanna aurait rapidement perdu toutes ses pratiques et croyances traditionnelles. Une nuit, il y eut une réunion à Green Point. L’apparition de John Frum à cette occasion et ses paroles pour maintenir la coutume encouragèrent les gens à s’opposer aux missionnaires. L’administration et les missionnaires s’inquiétèrent de ces événements et commencèrent à emprisonner beaucoup d’insulaires. Mais de plus en plus de disciples de John Frum se déclarèrent également dans les autres régions de Tanna. Les gens pensent certainement que le mouvement Jon Frum n’a pas débuté avant les années 1940, mais cette date marque le moment où les Européens en ont entendu parler pour la première fois. Son commencement est sans doute antérieur (Brunton 1978 : 24-25). Le refus des insulaires à respecter la Tanna law suscita les inquiétudes des missionnaires et des autorités coloniales. John Frum pour les gens de Tanna L’extrait suivant d’un témoignage d’un disciple de John Frum précise les raisons de l’arrivée de John Frum à Tanna. J’ai dit à cet homme que John est venu chez nous pour nous sortir de la servitude. Quand les missionnaires sont arrivés, ils ont interdit notre coutume, comme le kava, les danses, la circoncision. Ils nous chassaient de l’église si nous désobéissions. Le peuple de Tanna entendit parler des autres îles, où la coutume ne fut pas entravée. Nous nous demandions pourquoi les missionnaires avaient proscrit notre coutume. Et puis John est venu pour nous montrer le chemin de la fin de l’esclavagisme de la mission. C’est ce que je pense. —Sam Tucuma, disciple de John Frum (dans Rice 1974 : 187) L’extrait suivant est un récit de Mweles, un meneur du mouvement John Frum à Sulphur Bay, un des premiers villages à se revendiquer de cette figure spirituelle et un des principaux centres actuels du mouvement. John est apparu pour la première fois en 1937. Tous les gens de Tanna vinrent à Green Point pour le voir. J’ai été arrêté en 1938 avec beaucoup d’autres et fut déporté à Port-Vila… Au retour du premier groupe [libéré de la prison de Port-Vila] en 1957, John nous demanda de construire une barrière en bambou et de lever le drapeau [dans cet enclos]. John a dit que ce signe symbolisait la fin de nos punitions. Le drapeau nous avait été donné par le commandant américain [Johnson]. John a été vu par de nombreuses personnes en ce jour et moimême je le vois encore aujourd’hui. Il y a quelques temps, John m’a laissé entendre qu’il allait se rendre aux États-Unis puis revenir… après la dernière punition, nous nous rendîmes toujours à l’Eglise. Mais nous eûmes un mauvais sermon : celui qui est membre du mou- Les cultes du cargo et les mouvements sociaux des années 1930 à 1940 53 vement John Frum a l’odeur du diable et n’est pas proche de Dieu. C’est ce que les presbytériens nous ont dit. Ainsi, John nous dit : « Très bien, élevons nos croix dans le village et restons-y au lieu d’aller à l’Eglise. » Ainsi, nous avons placé des croix autour de Sulphur Bay et d’autres endroits. La peinture rouge est seulement un signe représentant le rouge du drapeau qui nous avait été donné par le chef américain. Nous avons levé ce drapeau le quinze février 1957. John est originaire de Tanna, mais en raison de ses sentiments amicaux et spirituels il doit se rendre aux États-Unis. Il visite souvent les États-Unis. Il ne change pas. Il surveille les mêmes choses aujourd’hui qu’auparavant (Rice 1974 : 191–2). Questions de compréhension 1. Dans le texte, identifiez trois atteintes à la coutume imposées par la Tanna law. 2. Quelle raison est donnée pour expliquer l’arrivée de John Frum ? 3. Pourquoi les missionnaires se sont-ils inquiétés des activités de John Frum ? Autres récits historiques sur John Frum Les premiers rapports du gouvernement colonial concernant les activités du mouvement John Frum datent de 1940. Il est important de se rappeler que bien que ce soient les premiers écrits évoquant ce mouvement, cela ne signifie pas qu’il n’existait pas avant cette date. James Nicol, Délégué britannique du condominium sur Tanna depuis 1915, rapporta aux deux Commissaires Résidents français et britannique en 1941 : …Le 27 novembre 1940… J’ai effectué une enquête à Lenakel à propos du massacre des chèvres par les indigènes de Green Point pour nourrir les disciples de John Frum. C’était la première fois que j’entendais parler de ce John Frum. Le tribunal a dû être ajourné afin qu’un indigène appelé Kahu soit présent. À mon retour d’Aneityum, Kahu et Karaua et le chef principal des deux villages de Green Point ont été amenés devant moi. Ils ont admis que John Frum possédait une maison dans leur village et qu’il venait la nuit leur parler. Il ne leur avait rien promis et avait simplement insisté sur le fait qu’ils devraient faire leurs tâches communales et ne pas permettre aux fainéants de s’abstenir de leur travail. Ceci ne m’a pas satisfait. Il y avait beaucoup d’allées et venues vers Green Point et un récit circulait, racontant qu’il n’était plus nécessaire de travailler dans les jardins, car John Frum avait promis l’abondance et beaucoup d’argent pour acheter la nourriture aux magasins. John Frum ne pouvait pas être vu ou entendu par les Blancs et parlait aux indigènes dans le dialecte du sud. J’avais avec moi l’assesseur de Lenakel, un pasteur presbytérien (un homme de Tanna) et Iehnaiu un assesseur suppléant et leur ai dit d’aller à Green Point et d’examiner l’endroit. Ils y sont allés et ont vu John Frum dans l’obscurité. Ils sont devenus des disciples ardents de John Frum. Un village a été construit pour les étrangers qui souhaitaient s’installer là. —Rapporté dans Guiart (1956 : 406-409) En 1941, le révérend presbytérien J. Bell présenta le rapport suivant au synode presbytérien : 54 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Des événements étranges se sont produits à un endroit appelé Green Point. Il y a approximativement douze mois [vers la fin de 1940], des réunions ont été organisées secrètement et ont eu lieu dans un espace dégagé de la brousse, avec un énorme banian au-dessus d’eux pour cacher la lumière du ciel. Elles ont eu lieu la nuit et aucune lumière n’était tolérée, même pas la lueur d’une cigarette ou d’une pipe. Les chefs, les anciens et les autres prirent des positions convenant à leur rang près de John Frum. Quelques esprits audacieux ont essayé de scruter son visage dans la pénombre, mais son visage était bien caché par un grand chapeau. Il parla peu et avec une voix de fausset. Il aurait dit aux chefs qu’ils étaient des imbéciles, à travailler gratuitement pour le gouvernement. Les récits merveilleux se répandirent comme des feux de brousse… Il vécut avant Noé, mais grimpa au-dessus des nuages pendant le déluge échappant ainsi à la mort. Il servait également Dieu et en fut le messager. On raconte que John Frum a rendu visite au Délégué du condominium pour le frapper sur le nez, a bu de la bière chez un négociant et a conduit une voiture en or. —Lettre dans Guiart (1956 : 411-415) En plus des récits européens, Dr. Kalsakau, un insulaire travaillant à l’hôpital de Tanna, a écrit au Commissaire Résident français en poste à Port-Vila le 8 avril 1949. L’extrait suivant est tiré de sa lettre. Jo nf r o o m Ainsi, le mouvement Jonfroom possède une organisation. Contrairement à ce que l’on pense, Jonfroom ne trouve pas son origine dans un sentiment anti-blanc… Ce mouvement a commencé il y a plus de trente ans. Cet esprit apparaît probablement dans tous les villages des autres îles des Nouvelles-Hébrides, de temps en temps. J’en citerai ici un exemple. Vraisemblablement en 1931, deux garçons de l’école (chrétienne) de mon île (Fila ou Ifira) voulurent quitter la mission presbytérienne pour la mission des adventistes du septième jour. Ils se plaignaient amèrement que notre mission presbytérienne enseignait seulement la bible sans s’intéresser à tous les autres sujets qui pourraient les élever dans leur vie terrestre. Mais comme mon père, aidé par M. Seagoe, l’ancien DC britannique de Port-Vila, a réagi rapidement dans cette affaire, on a pu empêcher ces garçons de passer à l’acte et comme le Commissaire Résident britannique avait décidé d’envoyer certains d’entre nous à l’école à Fidji pour nous instruire, cet esprit a été désormais complètement supprimé de l’île. Le même esprit fut à l’origine de Jonfroom à Tanna. Les indigènes qui étaient nés membres de L’Église presbytérienne, quittèrent l’Église (pour la plupart d’entre eux) et rejoignirent les adventistes du septième jour, qui dispensaient le même enseignement, de sorte que les Tannais durent trouver un autre échappatoire. Certains pensent que le kava fut la cause de Jonfroom, mais le kava ne fut qu’un prétexte, un stimulant pour le mouvement, afin d’attirer des personnes loin de la religion chrétienne et ne fut pas la cause du mouvement… par conséquent, Jonfroom est simplement une revendication pour plus d’éducation et on peut raisonnablement penser que cet esprit a dû être inspiré par des indigènes christianisés et non pas des indigènes païens. —Lettre dans Guiart (1956 : 410–411). Lors des débuts de John Frum de nombreux disciples et meneurs furent emprisonnés pour s’être revendiqués de lui. Les rapports du gouvernement britannique mentionnent la poursuite de ces arrestations jusqu’en 1957. Comme la prison était à Port-Vila, les condamnés devaient se rendre à Efate pour y être jugés et purger leurs peines. Les cultes du cargo et les mouvements sociaux des années 1930 à 1940 55 Questions de compréhension 1. Qu’écrit Nicol au sujet des enseignements de John Frum ? 2. Comment Bell décrit-il John Frum ? 3. D’après Kalsakau, quelles sont les origines du mouvement John Frum ? Pour aller plus loin 1. Boire le kava fut interdit par la Tanna law instaurée par les missionnaires presbytériens. Les récits que nous avons lus ci-dessus évoquent la possibilité de boire du kava pour les disciples de John Frum. Que représente le kava pour les gens de Tanna ? 2. Quelles sont les conséquences de la croyance en John Frum sur l’attitude des autorités coloniales et des missionnaires à l’égard des membres de ce mouvement ? La période contemporaine du mouvement John Frum Depuis les débuts du mouvement John Frum, les croyances des fidèles ont évolué et se sont diversifiées. Toutes les branches du mouvement ne partagent plus les mêmes croyances ni ne pratiquent les mêmes activités rituelles. Les prolongements politiques du mouvement John Frum, se manifestèrent avec le processus d’indépendance enclenché au cours des années 1970. A Tanna, les fidèles de John Frum s’investirent dans une tentative de sécession à l’égard du futur État souverain suspecté de supprimer la coutume et d’interdire John Frum. Les dits « néo-païens » de 56 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Tanna furent assimilés par les nouveaux dirigeants du pays à une secte d’illuminés, fuyant les réalités du monde moderne, du fait de leurs difficultés à s’y adapter. Les innovations rituelles et les apports mythologiques du culte de John Frum font désormais partie du patrimoine culturel commun à tous les man Tanna. Après la nomination, pour la première fois, en 1999, d’un ministre élu sous l’étiquette John Frum dans un gouvernement national, ce mouvement politico-religieux semblait changer de teneur. Par le biais de son institutionnalisation sous la forme d’un parti politique, ses aspects contestataires tendaient à s’amenuiser. Il fut même question d’instaurer un jour férié en l’honneur de ses fondateurs, en reconnaissance de leur lutte passée pour la défense des coutumes ancestrales. Toutefois, malgré son officialisation et le succès grandissant auprès des touristes de ses pratiques les plus folkloriques, le culte de John Frum dispose encore d’un potentiel mystique bien intact. Après les fastueuses cérémonies du 15 février 2000, rien ne laissait présager le drame qui allait se produire. Le cataclysme eut lieu le 2 mai suivant. Les eaux du lac Siwi, au pied du volcan Yasur, avaient atteint un tel niveau qu’une digue a lâché en pleine nuit. Le lac s’est vidé en quelques heures en direction du village de Sulphur Bay, haut lieu du culte de John Frum, qui fut submergé par les flots. Aucun événement n’avait produit une telle agitation depuis la fin des années 1930. Des centaines et des centaines de gens venus de tout Tanna se mirent en route pour le village détruit. Un nouveau « prophète », du nom de Fred Nasse, avait déjà fait parler de lui. Mais au lendemain de ce funeste jour, son audience s’accrut très sérieusement. Il incita les gens de toutes provenances et de toutes confessions à rester rassemblés et unis, car avec le passage à l’an 2000, la fin des temps était proche. Tous ensemble, ils se décidèrent à construire sur la montagne derrière le volcan, une « arche de Noé », baptisée la « pirogue de l’an 2000 ». Seuls ceux venus rejoindre la « Nouvelle Jérusalem » du « mouvement de l’unité », échapperaient aux châtiments divins et navigueraient en direction du Paradis. Ce jugement dernier devait se traduire par une explosion imminente du volcan et entraîner une destruction totale de l’île. Face à cette forte résurgence des attentes millénaristes à Tanna, le Gouvernement du Vanuatu s’est d’abord bien gardé d’intervenir. Mais devant la montée des tensions dans l’île, les autorités ont commandé à l’armée, en avril 2003, de passer à l’action. Le village du prophète Fred fut détruit et brûlé, tous les leaders de son mouvement furent arrêtés et ses nombreux fidèles reconduits dans leurs villages d’origine. Tous ces événements (une des plus vastes opérations militaires qu’ait connue la République de Vanuatu) se sont déroulés sans grande publicité, ne recueillant dans la presse ou les médias guère plus de quelques lignes sous la rubrique des faits divers. Depuis, de nouvelles violences ont éclaté à plusieurs reprises. La Malekula Native Company (Malnatco) Ce passage est une adaptation du livre de Marcellin Abong, Directeur du VKS, La pirogue du Dark Bush (2008) : Pendant le condominium, il était d’usage que les administrations classifient les mouvements indigènes en tant que « cultes du Cargo », même si les origines de ces mouvements étaient plutôt de nature économique que religieuse. Un dénommé Paul Tamlumlum du village de Wowo à Mallicolo jeta les bases d’une organisation qu’il nomma Malakula Native Kampany (également connue sous l’acronyme de Malnatco). Les cultes du cargo et les mouvements sociaux des années 1930 à 1940 57 Cet enfant d’Ambae, qui grandit à Mallicolo, tenta par le biais de ce mouvement de favoriser le développement économique des Néo-Hébridais, tout en s’opposant aux spoliations foncières menées par les colons anglais ou français. Il pourrait s’apparenter aujourd’hui à une sorte de syndicat indigène. Dans le giron de cette entreprise de contestation de la situation de monopole économique des Européens envers les indigènes, trois autres leaders, par le soutien qu’ils apportèrent à Paul Tamlumlum, vinrent avec ce dernier inscrirent leur nom dans l’histoire moderne de notre pays : le grand chef Tinabua Mata de Tongoa, John Bule un autre vieux sage de Pentecôte originaire du village de Bwatnapni, Charley Raghragh également de Pentecôte, ainsi que Jimmy Kaku du nordouest de Mallicolo. Ils furent les premiers d’entre nous à proposer une forme efficace et non-violente de révolte contre le pouvoir condominial. Paul Tamlumlum, aidé par un commerçant français de Port-Vila, puis par un britannique connu localement sous le nom de Kimbe (Gubbay), implanta son quartier général à Wowo, un village du nord est de Mallicolo. Il sollicita les habitants de différentes îles, notamment ceux du nord de l’île d’Ambae, pour qu’ils viennent travailler à Mallicolo dans les plantations contrôlées par la Malakula Native Kampani. Le fondement de la vision de Tamlumlum et de ses associés était d’aider les autochtones à prendre leur destin en main et de cesser d’attendre que toutes améliorations matérielles de leurs conditions viennent exclusivement des colons ou des autorités condominiales. Toutefois, face aux revendications foncières de ce mouvement, le gouvernement condominial chercha rapidement à contrer son développement. D’autant que Tinabua Mata était parti pour Efate et John Bule à Santo, en vue d’étendre le champ d’influence de la Malnatco. La première mesure répressive du condominium fut l’arrestation de Paul Tamlumlum et de ses comparses. Tamlumlum fut détenu à la prison de Lamap, centre administratif du sud-ouest de Mallicolo. Le chef Tinbua fut emprisonné à Port-Vila sur l’îlôt d’Ifira et John Bule à Santo. Charley Raghragh fut exilé en Nouvelle-Calédonie. L’ethnologue Jean Guiart, qui enquêta sur la Malnatco au début des années 1950, nous livre le rapport suivant sur l’histoire de ce mouvement : [Fuyant les guerres incessantes, certains groupes du plateau Big-Nambas se réfugièrent sur la côte nord-est, une zone où jusqu’à lors, la population autochtone était peu nombreuse]. Les propriétaires du sol se trouvaient en face d’un apport inespéré de main-d’œuvre ; mais chaque village se partageait désormais en deux groupes, autochtones et étrangers, aux intérêts en grande partie antagonistes. Il fallait une solution… En 1939, trois hommes, Paul Tamlumlum (d’Aoba) et les dignitaires païens Kaku et Raghragh, dit Charley, élaborèrent la théorie d’une coopérative, d’une ‘Company’ à la manière des Blancs. Unissant leurs efforts, ils produiront du coprah sur une base collective, ce qui leur permettra d’alimenter une caisse commune. Fruit du travail de tous, les fonds serviront à la communauté. La force des Européens est d’ordre économique ; il s’agit par des moyens analogues aux leurs, d’atteindre leur niveau de vie. Des magasins de la ‘Company’ assureront aux membres la distribution gratuite des marchandises ; plus tard, au fur et à mesure de la réussite, on créera des écoles et des hôpitaux. Nantis de cette philosophie, ils se mettent au travail. Sous l’influence de Paul Tamlulum, ils se convertissent au catholicisme en même temps qu’ils lancent l’idée d’une coopérative, ne prévoyant pas que les Pères de Vao s’opposeraient au mouvement. Aux alentours de Matanvat, où l’idée était neuve, ils firent très vite leur plein d’adhérents et entreprirent la réalisation de leur plan : débroussaillage et plantation de nouvelles cocoteraies. Pour écouler sur une base collective la production déjà existante, ils s’adressèrent [en 1939] à un commerçant de Port-Vila. Ce dernier fit faire quelques chargements qu’il achetait lui-même, tout en se voyant 58 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois confier la gérance de leur caisse. […] Les dirigeants s’adressèrent ensuite à [Dal Gubbey] un colon britannique de Mallicolo pour tenir leur caisse et prendre leur production de coprah. On sait que les travaux collectifs de débroussaillage et de plantation duraient toujours en 1941 […] Mais certains se rebellaient contre la pression exercée sur eux pour assurer leur participation. Cette année-là, Paul Tamlumlum se vit infliger une peine de prison par le délégué français, pour atteinte à la liberté du travail […] L’arrivée des troupes américaines et leurs besoins de main-d’œuvre mirent toute l’affaire en sommeil. Tout le monde allait travailler à Santo au déchargement des navires. Pendant ces quelques années, les leaders conservent le contact et poursuivent leur propagande […] Dans la zone d’influence de la Compagnie, l’agitation [suscitée par les bonnes relations établies avec les Américains, notamment par admiration de leur puissance et reconnaissance envers leur générosité], se marqua par des manifestations pro-américaines ; à Matanvat, on hissa le drapeau américain. Le délégué français réagit avec vigueur et Paul Tamlumlum, Raghragh et Bule de Pentecôte se retrouvèrent en prison. A la fin des hostilités, la Compagnie repart en flèche, mais en prenant des aspects inquiétants, du moins du point de vue de l’Administration. Non seulement les débroussaillages reprennent, mais on entreprend de tracer des routes carrossables pour les futurs camions américains […]. Même agitation à Pentecôte ; en 1947, le délégué de Port-Sandwich, M. Guédès y fit arrêter les travaux de construction de route, et John Bule prend une fois de plus le chemin de la prison. [A Mallicolo], Paul Tamlumlum et Etienne (chef traditionnel de Matanvat), proposent de reprendre l’ancienne méthode de travail, dont les moyens sinon les fins, étaient strictement économiques. En 1949, s’installe à Santo le fils du premier homme de confiance de la Compagnie. […] Les dirigeants en vinrent bientôt à faire de ce jeune homme entreprenant leur agent commercial, sinon leur chef officieux. Sous son impulsion, la Malekula Native Company se donne une organisation stable. Un Big Boss, Ati de Wala est à la tête ; un nombre variable de conseillers exercent les responsabilités locales et font la liaison avec Santo […] [Au cours de mon enquête, je vis à mon grand étonnement se dessiner] le détail d’une organisation offrant une complexité inattendue. Certains éléments jouaient un rôle difficile à évaluer. On avait fait distribuer aux adhérents une plaque matriculaire frappée d’un numéro individuel et portant l’inscription Malnatco (Malekula Native Company) ; en principe, ces plaques devaient servir à l’identification des membres à l’occasion des distributions de marchandises à venir ; mais elles semblaient en passe de s’élever au rang d’amulettes, de symboles de la puissance future du mouvement […] Le recensement des adhérents effectué au fur et à mesure de l’enquête et continuellement mis à jour montre bien la force et le dynamisme du mouvement. Les dernières informations donnent par région les chiffres suivants [en 1951] (seuls les hommes sont comptés) (Guiart, 1951 : 242-245). Tableau 1. Les membres de la Malnatco, 1951. Lieu Mallicolo Unua Wala Atchin Vao South West Bay Matanvat Nombre de membres 43 9 9 52 17 24 Les cultes du cargo et les mouvements sociaux des années 1930 à 1940 Bwetevoro Vovo Lirongrong Tanmial Pentecôte Wamut, Henbok, Varewerep, Bulhak, Laratowo, Lewawa, Namaram Ambrym (Wakon) TOTAL 59 5 15 24 9 129 31 367 La répression de la Malnatco, même si elle fut moins intense que celle du mouvement John Frum, n’en fut pas moins constante. Les conditions d’emprisonnement de ces leaders furent impitoyables. L’objectif était de les réduire au silence. A l’enfermement, on ajouta les traitements inhumains. Tamlumlum fut plongé des jours durant dans un vieux réservoir d’eau croupie, où on lui jetait ses repas qui se mêlaient aux excréments et à l’urine. A la suite de ce traitement barbare, Paul Tamlumlum périt en prison. La dépouille de Paul Tamlumlum fut enterrée discrètement à Lamap à proximité de sa geôle. L’administration condominiale française s’opposa longtemps à la demande de ses sympathisants et de sa famille de faire transférer son corps. Le prétexte de l’administrateur pour s’opposer à l’hommage funéraire rendu à ce grand réformateur qu’était Tamlumlum était d’empêcher que n’aient lieu autour du tombeau des rites d’évocation du mort. Après maintes requêtes auprès de l’administration générale et grâce à la médiation de Jean Guiart, le corps de Tamlumlum fut finalement déterré, puis transporté à Wowo, le quartier général du mouvement, où il fut définitivement inhumé, dans la dignité cette fois-ci. Ses proches collaborateurs, sa famille et tous ses sympathisants étaient présents à l’office religieux pour rendre un dernier hommage à cet homme qui tenta de s’opposer aux injustices et aux inégalités entretenues par le condominium. Ce précurseur de l’indépendance n’eut de cesse de revendiquer haut et fort le droit des indigènes sur leurs terres. L’affirmation de ses convictions le conduisit au sacrifice suprême, mais ce ne fut pas en vain, puisque son idéal de justice allait grandir et prospérer. Après la mort de Paul Tamlumlum, les gens d’Ambae, dont la prospérité et le sens de l’autonomie avaient inspiré Tamlumlum, quittèrent progressivement Mallicolo. Aujourd’hui encore, on peut voir les traces de leur implantation à Wowo. Quelques années plus tard, ils s’investiront massivement dans le Nagriamel. Les sympathisants de Tamlumlum poursuivirent son mouvement sous une autre appellation. La Malekula Native Company devint la Niu Hebridis Native Kampani, également connue par les man-Malakula sous le nom de Namagi Aute, lequel mouvement présente depuis la fin des années 1970 ses représentants aux différentes élections locales et nationales. Questions de compréhension 1. À partir du texte, pouvez-vous définir les caractéristiques de Malnatco qui s’apparente à une coopérative ? 2. Quelle explication est donnée sur la certitude que les Américains donneraient aux insulaires un bon nombre de marchandises ? 60 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois 3. Trouvez une carte du Vanuatu et localisez les villages de Malnatco énumérés dans le tableau. Est-ce que ces villages sont éloignés l’un de l’autre ? Rap p e l Les sources primaires d’information incluent les entretiens avec des témoins oculaires d’un événement et les documents, photos ou images du temps ; les sources secondaires d’information incluent les livres et les articles écrits après l’événement qui s’est produit en se basant sur les sources primaires d’information. Pour aller plus loin 1. Le titre de l’article de Jean Guiart est « En marge du Cargo Cult ». Pourquoi les liens entre Charley Raghragh et le mouvement John Frum auraient-ils créé un malaise entre la Malnatco et les administrations coloniales ? En vous basant sur vos connaissances des cultes du Cargo, pensez-vous que la Malakula Native Company devrait être considérée comme un culte du Cargo ? 2. Il n’y a pas beaucoup d’informations disponibles sur la Malnatco. Jean Guiart était témoin des opérations de première main, mais peu de gens ont écrit à son sujet. Réfléchissez aux façons d’en savoir plus au sujet de cette coopérative. Classez ces sources d’information primaires ou secondaires. Les mouvements sociaux au Vanuatu Il y a eu beaucoup plus de mouvements sociaux au Vanuatu que ceux que nous venons d’aborder. Nous étudierons également le mouvement Nagriamel, quand nous explorerons le chapitre « En route vers l’indépendance ». Certains mouvements furent de courte durée, alors que d’autres existent toujours aujourd’hui. Les mouvements sociaux actuels incluent le Melanesian Institute of Technology and Philosophy à Lavamangemu, au nord-est de Pentecôte et le Four Corner Movement au nord de Tanna conduit par Antoine Fornelli. Il y a beaucoup de mouvements que nous n’avons pas pu décrire dans ce chapitre. Il est évident en étudiant ces mouvements sociaux melanésiens, qu’ils sont des facteurs d’identification collective et de rassemblement politique. Enquête Informez-vous au sujet des mouvements sociaux contemporains. Quelles sont les convictions qui unissent les disciples ? Ces mouvements sont-ils basés sur des philosophies religieuses, économiques, politiques ou sociales ? 61 chapitre trois La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 Les débuts de la Seconde Guerre mondiale en Europe Dans les années 1930, à la suite de la Première Guerre mondiale, puis de la crise économique de 1929, l’Allemagne, l’Italie et le Japon se tournèrent vers l’expansion géographique de leurs frontières. Ils voulurent étendre leurs empires, affirmer leur puissance dans le monde entier, et redresser leurs économies en crise. Les dirigeants de ces pays, convertis à des idéologies fascistes, nazies et racistes, imposèrent à leurs peuples que l’impérialisme était la seule réponse possible aux problèmes auxquels ils devaient faire face. Le 1er septembre 1939, l’armée allemande envahit la Pologne, le plus proche pays voisin à l’est. Le 3 septembre 1939, La Grande-Bretagne exigea l’arrêt de cette invasion. Adolf Hitler, dictateur au pouvoir en Allemagne, n’écouta pas les protestations de la Grande-Bretagne. Par conséquent, la France et la Grande-Bretagne déclarèrent la guerre à l’Allemagne et la Seconde Guerre mondiale débuta en Europe. Après l’invasion de la Pologne, l’armée d’Hitler s’avança davantage encore en Europe, conquit les pays et les plaça sous son contrôle. Enfin, la France fut envahie par l’Allemagne et, en juin 1940, l’armée française capitula. Une fois la France envahie, le dictateur italien, Benito Mussolini, déclara la guerre à la France ainsi qu’à la GrandeBretagne. L’Allemagne et l’Italie continuèrent leur progression expansionniste à travers l’Europe, la Méditerranée et l’Afrique du Nord. En 1940, le Japon signa un pacte de déComment l’occupation de la France par l’Allemagne a-t-elle affecté les Français qui habitaient aux Nouvelles-Hébrides ? L’extrait suivant de Jeremy MacClancy décrit la situation. Le gouvernement français capitula et fut remplacé par un nouveau gouvernement avec à sa tête le maréchal Pétain. Quelques Français des Nouvelles-Hébrides refusèrent de s’associer avec Pétain. Le 29 juillet 1940, le Commissaire Résident français Henri Sautot annonça à la population qu’il avait décidé de se rallier aux Forces de la France libre, conduites par le général de Gaulle. Les partisans de Pétain, privés du soutien des deux administrations et submergés par la propagande britannique, furent mis sur une liste de suspects, exclus de tout poste officiel et la police fouilla leurs maisons. Après l’expulsion de quatre pétainistes, l’administration française, menée par l’inspecteur général Sautot, et la plupart des colons français, déclara son soutien à De Gaulle. Les Nouvelles-Hébrides furent le premier territoire français d’outre-mer à le faire (MacClancy 2002 : 125). 62 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Seconde guerre mondiale : Avance allemande 1940-1941 Puissance de l’Axe, début 1940 Territoires occupés par l’Allemagne, début 1940 Offensives allemandes Limites de l’avance allemande Retraite de l’Angleterre et de la France (Berkin et coll. 1992 : 616) La Bataille d’Angleterre commença en août 1940 ; défaite de la Luftwaffe allemande ; Hitler remet à plus tard l’attaque de l’Angleterre La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 63 fense avec l’Allemagne et l’Italie appelé le pacte tripartite. Ces nations représentèrent les puissances de l’Axe. Le début de la guerre du Pacifique Le matin du 7 décembre 1941, les avions de guerre japonais attaquèrent la flotte de vaisseaux de guerre américains sur la base aéronavale de Pearl Harbor à Hawaï. Le bombardement ne dura que quelques heures. Les huit cuirassés américains furent détruits, de même qu’environ 150 avions. Les Etats-Unis déclarèrent la guerre au Japon le 8 décembre 1941. La Grande-Bretagne déclara à son tour la guerre au Japon et en guise de réponse, l’Allemagne et l’Italie ouvrirent les hostilités contre les Etats-Unis trois jours plus tard. En janvier 1942, 26 nations dirigées par l’Union Soviétique, la GrandeBretagne et les Etats-Unis s’engagèrent à s’unir dans le combat contre les puissances de l’Axe. Ces nations sont connues sous le nom d’Alliés. Six mois après le bombardement de Pearl Harbor, le Japon remporta des victoires faciles dans tout le sud-ouest du Pacifique, jusqu’aux îles Salomon dans le but d’intégrer et de contrôler le Pacifique dans son empire. 1 0 0 0 p ipol i k am lon g Pot V ila Long 1941 Wol Wo Tu i brekaot Japanis i kam insaed long Pasifik Hem i bildimap hom blong hem long Solomon Aelan Nao i stat blong mekem wo long USA. Amerika hem i girap long ful paoa blong hem Nao i stat long muv i kam long Pasifik Hem i stretem kos blong hem i mekem Niu Hebridis Nao i stat blong mekem hom long Efate. Taem US i kasem Efate big fraet i kam antap Nao i stat blong tekem ol man i helpem hem Sanem tok i kam long Saoten Aelan, Tanna i saplae 1000 pipol i go wok long Pot Vila. Olgeta fren traem tingting long 41 i kasem 80 Stret 40 yia nao i pas yumi stanap Yumi no mas fogetem olgeta papa blong yumi We oli faet strong from kantri blong yumi. —Noisy Boys Stringband, Tanna P a c t e t r ip a r t it e : accord signé le 27 septembre 1940 entre les puissances de l’Axe pendant la Seconde Guerre mondiale P u is s a n c e s d e l’ Axe : Le Japon, l’Allemagne et l’Italie pendant la Seconde Guerre mondiale L e s A l l ié s : groupe de pays qui ont lutté contre les puissances de l’Axe pendant la Seconde Guerre mondiale 64 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Le 7 décembre 1941, les avions japonais attaquèrent par surprise Pearl Harbor (Costello 1981 : 202). Les Nouvelles-Hébrides et la Seconde Guerre mondiale : les premiers jours Les deux premiers couplets de cette chanson du groupe Noisy Boys décrivent le début de la Seconde Guerre mondiale dans le Pacifique. Avec l’extrait suivant de Jeremy MacClancy tiré de « Faire de deux pierres un coup » (2002), nous pouvons compléter la description des années de guerre dans le Pacifique. Après leur attaque surprise sur la base navale américaine de Pearl Harbor le 7 décembre 1941, les forces japonaises avancèrent rapidement dans le Pacifique Sud, écrasant toute résistance et atteignant les Salomon en avril 1942. Des Européens s’enfuirent aux NouvellesHébrides avec une flotte de petits bateaux. L’invasion des Nouvelles-Hébrides semblait imminente. Beaucoup d’Européens de Port-Vila s’enfuirent à Nouméa ou Sydney après avoir entendu parler des mauvais traitements que les Japonais réservaient à leurs prisonniers. Des Néo-Hébridais, la plupart originaires du nord de Mallicolo et des Européens se joignirent à la Force de Défense des Nouvelles-Hébrides. Entraînés par des soldats australiens, ils remplissaient des fonctions de sentinelle, suivaient des formations au combat de jungle et partaient patrouiller dans la brousse. Les hommes trop vieux pour servir au combat rejoignirent l’Unité de Défense Civile des Nouvelles-Hébrides. Ils construisirent et servirent des batteries de mitrailleuses un peu partout dans Port-Vila. Un plan d’évacuation de tous les colons fut prévu au cas où la ville serait attaquée par les airs. On cacha des médicaments dans la brousse. Les résidents japonais furent arrêtés et leurs biens confisqués. Déportés en Australie par bateau, ils furent internés dans des camps jusqu’à la fin de la guerre (MacClancy 2002 : 115). La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 65 Question de compréhension Trouvez les synonymes (mots qui ont une signification semblable) des mots en gras dans le texte. Pour aller plus loin 1. Pourquoi de nombreux Européens se rendirent à Nouméa ou à Sydney au lieu de rester aux Nouvelles-Hébrides pendant les années de guerre ? 2. Le gouvernement du condominium élabora un plan d’évacuation. Pourquoi ? Enquête Quand les insulaires ont-ils entendu parler pour la première fois de la Seconde Guerre mondiale et de l’attaque de Pearl Harbor ? Comment ont-ils réagi ? Ont-ils pensé que cela les affecterait personnellement ? Plus en détail– la Force de défense des Nouvelles-Hébrides La Force de Défense des Nouvelles-Hébrides (NHDF : New Hebrides Defense Force) s’organisa avant l’arrivée des Américains aux Nouvelles-Hébrides. Cette force était composée de colons et d’insulaires français et britanniques principalement originaires de Mallicolo et de ses petits îlots du nord. L’armée australienne forma les membres de la NHDF et, six mois après, ils prenaient en charge les tâches organisées par les Commissaires Résidents français et britanniques. La NHDF possédait même son propre drapeau, qui comprenait les drapeaux croisés français et britanniques. Quand les Américains arrivèrent, la NHDF patrouillait déjà dans Port-Vila et les régions côtières de quelques îles. La NHDF opéra tout au long des années de guerre, aidant les forces de police locales britanniques et françaises et construisant des pistes d’atterrissage. Les histoires orales suivantes tirées de Big Wok : Storian Blong Wol Wo Tu Drapeau de la Force de Défense des NouvellesHébrides, exposé au musée national de Port-Vila (VKS). Entraînement des membres de la Force de Défense des Nouvelles-Hébrides à Port-Vila (Lindstrom et Gwero 1998 : 110). 66 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois long Vanuatu (1998), édité par Lamont Lindstrom et James Gwero, rappellent certaines des expériences des hommes qui faisaient partie de la Force de Défense des NouvellesHébrides. NHDF i soem olgeta samting long amerika Ol Amerika i kam, mifala i soem olgeta samting long Amerika. Mi mi go wetem ol Amerika. Mifala i go long Pot Havannah. Ale, mi soem olgeta samting long bus. Ol lif we i nogud, mo lif we i gud. Mifala i slip long bus nomo. Mi mekem ol bed blong olgeta insaed long ol burao. Mi soem olgeta samting long bus– ol samting we mi kakae, samting we mi no kakae. —Tomson Gabriel Ati, Wala, Mallicolo (Dans Lindstrom et Gwero 1998 : 113) Oli pulum waea long haba Bifo taem Amerika oli kam so, i gat Ostrelia Arme hem i stap finis, wetem ol Efos [Air Force], mo ol NHDF (Niu Hebridis Difens Fos). Oli stap finis. Oli pulum wan waea i stap long Nambatu i kam kros long Vila taon ia. Bifo yumi no gat plante haos daon long solwota. Oli pulum waea stat long Nambatu i kam kros i go kasem Melkofe, ples long Tebakor. I go kasem Tebakor. Waea i go kros long ples ia blong enemi i no kamkros insaed. —Alick Sualo, Erakor (Dans Lindstrom et Gwero 1998 : 11) Ol man oli mas gad dei-an-naet from oli talem se Japani i stap long Big Bay ia. Nao oli go i stap antap long Santo Pik ia. Oli gad i go, naet-an-dei, naet-an-dei. Mifala i tekem glas. Mifala i waj long tu poen ia. Oli lukaotem ol sip. Sapos oli luk sip, o oli luk wan samting, oli mas ripotem. Oli talem se, « Samtaem Japani oli swim. Yufala i luk i flot i kam, yufala i ting se kokonas be man ia. Bambae i go so. Yu mas lukaot long ples ia. —Daniel Kalorib, Ifira (Dans Lindstrom et Gwero 1998 : 115-16) Pour aller plus loin Pourquoi une force de défense a-t-elle été organisée aux Nouvelles-Hébrides avant l’arrivée des Américains ? La NHDH a patrouillé dans l’archipel hébridais et l’a défendu contre un débarquement japonais possible. Elle a aussi aidé le gouvernement du condominium à interner les 33 ressortissants japonais qui vivaient dans l’ensemble des îles. Ils étaient considérés comme d’éventuels et dangereux espions, quoique qu’un bon nombre d’entre eux n’aient pas de contact avec leur pays d’origine depuis de nombreuses années. Ces hommes et leurs fils adolescents furent par la suite envoyés au sud de l’Australie, où ils furent maintenus dans des camps d’internement, qui ressemblaient à des prisons entourées de fil de fer barbelé. Le club japonais de Port-Vila fut fermé et transformé en camp d’internement puis en magasin. La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 67 Plus en détail – l’internement des résidents Japonais Les extraits suivants sont tirés de Big Wok : Storian blong Wol Wo Tu long Vanuatu (1998). Gavman i holem ol man Japan long Vila Olgeta man Japan we oli bin stap wok long ia bifo, taem Wol Wo i brok aot nao, oli arestem olgeta. Oli go putum olgeta long kalabus. Mi mi luk olgeta olsem oli tekem olgeta ia. Ostrelia Arme oli kam tekem olgeta oli go. Mi luk olgeta, sore long olgeta tumas. Oli krae. Mifala tu i krae long ol. Oli kam long Niuhebridis stap gogo, yumi save yumi finis. Afta, oli aot olsem ia. Yu luk yu sore tumas. Taem oli aot ia, plante bigfala krae long Vila Taon. Oli aot fastaem bifo Amerika i kam. Wan spesel trup blong Ostrelia i kam from olgeta. —Tarus Kalboe, Pango (Dans Lindstrom et Gwero 1998 : 17) Arestem sam long Anatom Taem we papa blong Japan hem i lego mifala, long taem blong faet, mama hem i stap hem wan. Wok blong papa hem i blong mekem tred long saed blong troka wetem grinsnel. Hem i bin stap long Anatom hem nomo wetem wan smol kampani we hem i mekem. Oli stap daeva olbaot blong kasem sel. Hem i salem i kamtru long Vila. Hem i bin gat wan smol lanis we hem i naf blong karem ol sel i kam long Vila. I karem sam kago i gobak long Anatom, from hem i mekem wan smol stoa long we i stap salem ol samting insaed long hem. Long we hao nao papa hem i lego hom mi no save storian blong hem. Mi no luk hem taem we oli tekem hem. Mi jas harem nomo bihaen se oli bin karem hem wetem ol narafala. Olgeta oli go long Saot Ostrelia. Mifala i no gat eni leta we hem i kam taem we hem i stap long Ostrelia, be taem we hem i gobak long Japan hem i bin raetem sam leta i kam long Mama. —Kami Shing, Port-Vila (Dans Lindstrom et Gwero 1998 : 20) Expressi on écrite Imaginez que vous êtes un(e) ressortissant(e) japonais(e) habitant aux NouvellesHébrides. Puisque votre pays d’origine menace de prendre le contrôle des Nouvelles-Hébrides pendant la période de guerre, vous (ou votre mari, frère, etc., si vous êtes une femme) êtes enlevé(e) de chez vous et enfermé(e) dans un camp d’internement en Australie. Que ressentiriez-vous ? Quels regrets éprouveriezvous ? Écrivez une lettre à l’un de vos amis qui habite toujours aux NouvellesHébrides. Dites-lui ce que vous avez ressenti quand vous avez été forcé de quitter les Nouvelles-Hébrides, ce que vous ressentez maintenant et ce que vous croyez qu’il va se passer à l’avenir. Activité de discussion 1. Les camps d’internement et de prisonniers sont le résultat très malheureux de la méfiance en temps de guerre. Pensez-vous que l’on devrait permettre à des gouvernements de forcer certains groupes de personnes à vivre dans des camps d’internement pendant les périodes de guerre ? Pourquoi ? En classe, discutez de cette question. 2. Pourquoi les Japonais furent-ils déportés hors des Nouvelles-Hébrides ? Etait-ce justifié ? En classe, discutez de la déportation des Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale. 68 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Enquête Est-ce que des Japonais furent déportés de l’île dont vous êtes originaire ? Demandez à des personnes âgées de votre région si elles se rappellent des histoires au sujet du déplacement des Japonais des Nouvelles-Hébrides. Y a-t-il des histoires sur des Japonais qui seraient revenus aux Nouvelles-Hébrides après la guerre ? L’arrivée des Américains Gauche : Le quartier général du commandement des îles (Garrison 1983 : 17). Droite : Bauerfield, près de PortVila, Efate, Nouvelles-Hébrides, 1943 (Garrison 1983 : 70). Après l’attaque du Japon à Pearl Harbor, les Etats-Unis entrèrent dans le conflit en déclarant la guerre au Japon. La guerre se déroulait désormais sur deux fronts, dans le Pacifique aussi bien qu’en Europe et en Afrique. En plus de l’envoi de troupes pour combattre sur le front européen, les Américains durent faire acte de présence dans le Pacifique Sud pour se défendre contre les Japonais. Au milieu de l’année 1942, les Japonais avaient déjà atteint et contrôlaient les Philippines, de nombreuses îles de Micronésie, la Nouvelle-Guinée et plus au sud les îles Salomon. Le chef des opérations navales, l’amiral E.J. King proposa trois actions au Président Roosevelt (président des Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale) : « Tenir Hawaï ; soutenir l’Australasie ; se diriger vers le nord-ouest à partir des Nouvelles-Hébrides » (Lindstrom 1996 : 6). Les premières troupes américaines débarquèrent à Port-Vila le 18 mars 1942. En raison de la présence d’alliés britanniques et français aux Nouvelles-Hébrides et de la localisation de l’archipel dans le Pacifique, les Nouvelles-Hébrides étaient un endroit idéal pour une base militaire et navale commune. A partir des Nouvelles-Hébrides, les forces américaines pouvaient s’avancer au nord dans des territoires déjà occupés par les Japonais. Au cours des mois suivants, les forces armées rejoignirent Efate via la large étendue de l’océan Pacifique entre la côte occidentale des Etats-Unis et Efate. Ils prirent le contrôle de Port-Vila, convertissant les infrastructures du Tribunal mixte en un de leurs nombreux hôpitaux, installant officiellement leurs quartiers généraux dans la maison du juge espagnol, et défrichèrent la plantation Bladinière pour en faire un terrain d’aviation. Ils construisirent des quais, une base pour hydravions, des équipements de stockage de marchandises, des tours de radio et un réseau téléphonique. On se référait à la base militaire de Port-Vila par le nom de code « Roses ». En plus de Port-Vila, les militaires élargirent leurs opérations à Port-Havannah qui La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 69 convenait mieux aux cuirassés et aux cargos en raison de son port en eau profonde. Ils y établirent un terrain d’aviation ainsi qu’une base navale. Un grand quai fut construit et le quartier des officiers y fut installé. A Samoa Point, il y avait une base pour hydravions. Un filet fut placé à l’entrée du canal entre Lelepa et Moso afin d’empêcher les bateaux et sous-marins ennemis d’entrer. Un autre terrain d’aviation fut également construit près de Quoin Hill au nord d’Efate. En juin 1942, les États-Unis décidèrent de développer une autre base à Santo (Discombe 1979 : 7-8). Plus en détail – la participation des insulaires à la guerre Mekem fani long ol sik man Mifala i mekem fani long ol sik man. Mifala i go plei long olgeta. Mifala i sing. Oli no save lanwis blong mifala, be mifala gohed nomo. Oli laf, laf. Oli givim gita, yukalele. Mifala i plei, gohed nomo, danis, danis long olgeta. Mifala i mekem olgeta oli laf. Ol gel ia, oli save plei. Mifala i danis. Danis blong yumi ia, kastom. Mifala i no danis wetem ol Amerika, man Amerika. Mifala nomo. Ol sik man. Oli save givim smol mane blong mifala i danis. Oli givim bombong. Taem mifala i no gat wok long hospital, mifala i go luk ol sik man ia. —Annie Kaltiua, Mele (Dans Lindstrom et Gwero 1998 : 82-3) Wokem telfon long ofis Taem mi stap wok long Arme, mi odali [orderly] long ofis blong olgeta… Sipos wan stesen i telefon i kam i ring, mi sakem telefon mi go stret long ples ia. Sipos i long naet, big ren, o tanda, be mi mas go. Mi gat renkot mekem mi mi go blong mi tekem pepa. Taem hem i singaot, i singaot from pepa finis ia. Taem mi go, mi luk pepa i stap, mi karem. Mi karem i kam long olgeta we oli stap long ofis ia. I go long wan bigfala taepraeta we oli stap printim… taem oli lukluk leta ia, oli lukluk ol samting, oli save weples we Jap (Japanese) i stap. Nao ol Arme i go long ples ia. O sapos i stap long ovasi, be olgeta Arme oli karem plen oli go ia. Oli wantem faenem weples we Jap i stap. Taem oli faenem Jap, oli save sutum Jap we i kam i wantem spolem yumi. Hemia nao wok blong mi, we mi stap long hem. —Magam, Ambrym (Dans Lindstrom et Gwero 1998 : 89-90) Hommes originaires de Tanna attendant sur la plage à Lenakel pour travailler avec les Américains (Lindstrom et Gwero 1998 : 37). 70 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Tanna Rod Mifala i stat wok long Mele, stat klinimap rod. Mifala i stat klinimap rod, katem rod, stat long Mele i go antap long hil. I go antap long hil i go kasem Krik Ai i go. I go kasem Not Efate, mo i go kasem Onesua. Hem i wan bigfala rod we oli kolem tede « Tanna Rod ». Hem i rod ia mifala i klinim. Nem ia Tanna Rod, olsem mifala nomo ol man Tanna i givim from we mifala i wokem. I no Amerika hem i talem, be mifala nomo, ol man Tanna, i putum nem long hem. —Tru Ietika, Tanna (Dans Lindstrom et Gwero 1998 : 64) Mi wok long sip Echo Long Santo, hem i bigfala bigfala ples, olsem i stap kolem hem i ‘seken New York,’ blong Amerika ia long taem ia. Taem mifala i go long ples ia, mi mi mas gad long sip. Mi mas tekem pistol blong mi, mi gad long sip. Olgeta narafala wan oli mas go so, evriwan. Spesel bot i kam tekem olgeta i go long so long naet blong go long sinema, blong go long entertainment, ol samting, ol spot. Mi mas stap long sip blong mi lukaot sip. Eni sip i kam mi mas askem se, ‘Yu gat paswod?’ or ‘Nem blong yu olsem wanem?’ Mi mas askem. Sapos i no ansa, mi sutum bot ia! —Peter Kaltoli, Ifira (Dans Lindstrom et Gwero 1998 : 73-4) Le navire américain Écho (Garrison 1983 : 50) était autrefois une vieille goélette à la charpente en bois, que la marine américaine acheta à la NouvelleZélande pour l’utiliser comme moyen de transport entre les îles. Enquête Nombre des anciens qui ont vécu pendant les années de guerre sont déjà morts. Après tout, l’occupation américaine des Nouvelles-Hébrides s’est produite il y a plus de soixante ans ! Cependant, vous devriez encore pouvoir trouver une personne qui peut se rappeler les années de guerre. Discutez avec les générations les plus anciennes de votre village ou de la région de votre école. Est-ce que La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 71 quelqu’un peut encore raconter ses expériences de l’époque de la guerre ? Ces hommes et ces femmes ont-ils transmis des récits à leurs enfants ? Si vous pouvez trouver quelques récits sur les expériences personnelles, recopiez-les. En classe, partagez les histoires que vous avez pu collecter. Sont-elles comparables aux sélections de récits oraux que vous avez lus dans ce chapitre ? Les années de guerre à Santo : un recueil de photographies Le choix des photographies suivantes représente l’occupation américaine à Santo pendant les années de guerre. Les photographies sont des sources primaires qui nous permettent d’étudier le passé de façon intéressante et utile. Ces photos illustrent les contacts culturels qui se produisirent à cette époque. Il est important d’analyser les photos. Par exemple : 1. Les photographies n’étaient pas prises par les insulaires qui en étaient généralement les sujets. Comment cela peut-il affecter les collections de photographies ? 2. Quelques photographies ont été mises en scène ou préparées par les photographes. Est-ce qu’elles dépeignent la « réalité » de la guerre ? 3. Quelles sont les choses qui ne sont pas mentionnées ou illustrées par ces photographies de guerre ? Existe-t-il des photographies de l’évacuation japonaise ? De la relocalisation des résidents de l’île de Mafea et des femmes mélanésiennes ? 4. Pendant les premières années de la guerre dans le Pacifique, seuls les officiers américains et les photographes officiels avaient le droit de posséder des appareils photos. Bateaux dans le Canal du Segond, en face de l’actuelle ville de Luganville, avec l’île d’Aore sur la droite (Stone 1997 : 52). 72 Un docteur vérifie des dents de Titus Molirani dans l’île de Tutuba, août 1943 (Lindstrom et Gwero 1998 : 217). Achat d’ananas par les soldats de la marine à Santo, janvier 1943 (Lindstrom et Gwero 1998 : 231) ; Jeux de balançoires sur Mafea, janvier 1944 (Lindstrom et Gwero 1998 : 203). Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 73 En haut : Hommes de Santo assis sur un char d’assaut M-18, janvier 1945 (Lindstrom et Gwero 1998 : 143). En bas : Quelques soldats et un chef de Tutuba portant un uniforme de l’armée (Lindstrom et Gwero 1998 : 130). 74 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Cela signifie qu’au début, les soldats ne pouvaient pas prendre de photographies. En quoi cela modifie-t-il la description de la guerre ? En analysant ces photos, il est important de garder ces points en tête. De plus, vous pouvez utiliser vos connaissances au sujet de la Seconde Guerre mondiale et des NouvellesHébrides quand vous examinez une photo ; placez la photo dans son contexte. Activités et questions sur les photographies 1. Ecrivez une légende (phrase pour décrire une image) pour chaque photographie. Ecrivez-en une du point de vue des militaires et une du point de vue des insulaires. 2. Pourquoi ces photographies ont été prises ? Que cherche à montrer chaque photographie ? 3. Comment le public américain a-t-il réagi par rapport à chacune de ces photographies ? 4. Est-ce que les gens pris en photo semblent à l’aise ? Ces photographies sontelles naturelles ou ont-elles été mises en scène ? 5. Regardez les photos et trouvez ce qui leur manque. 6. Si vous étiez photographe de guerre, quelles images auriez-vous choisi de prendre ? 7. Comment pouvez-vous comparer ces photographies à celles qui sont prises pour les publicités touristiques d’aujourd’hui ? En quoi se ressemblent-elles ? Pourquoi ? 8. Regardez chacun des portraits. Percevez-vous une camaraderie (amitié) entre les insulaires et les soldats sur les photos ? De quelles façons les photographes ou les personnes sur les photos ont-ils essayé de dépeindre les rapports des uns avec les autres ? Etude de carte 1 : la participation de Santo à la Guerre Étudiez la carte de la page opposée et répondez aux questions. Questions 1. Qu’est-ce qui était situé dans l’île d’Aore ? En connaissez-vous la signification ? 2. Quel est l’autre nom de la zone Bombardier I ? 3. Pourquoi une grue flottante était-elle nécessaire dans le Canal du Segond ? 4. En se basant sur les informations révélées par la carte, rédigez deux questions et donnez-les à un de vos camarades de classe comme devoir à la maison. 75 Tiré de Stone 1997 : 48. La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 76 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois L’extrait suivant est issu de l’ouvrage de l’ethnologue Marc Tabani (2002 : 153-154) : Avec la guerre du Pacifique et l’installation d’une base avancée de l’armée américaine à Santo, l’île connut un total bouleversement. La bande littorale du canal du Segond, au sujet de laquelle les contestations foncières étaient pressantes, fut transformée en un gigantesque complexe militaire qui recevra, entre 1941 et 1945, plus d’un demi-million de soldats américains (Geslin, 1956 : 257). Après les jours héroïques où le ravitaillement de Guadalcanal fut assuré par les moyens locaux, il y eut un afflux prodigieux de navires à Santo. En 1943 et 1944, il y avait en moyenne tous les jours dans le canal du Segond de cent à cent cinquante navires, à peine moins sur la baie de Pallicolo. Le canal bouillonnait littéralement sous les hélices des vedettes qui les sillonnaient en tous sens. Le travail de nuit interdisait le black-out. La nuit c’était donc une féerie de lumières sur le canal » (Geslin, 1956 : 260). A cette époque, la société coloniale ne représentait plus qu’une frange minime de la population noyée au milieu des uniformes : soixante familles de colons, soit environ deux cents personnes, plus 2 000 à 2 500 « Tonkinois » (nom donné aux coolies vietnamiens), pour 100 000 Américains en 1944 (ibid. : 275). Les rapports entre communautés en furent bouleversés. Des centaines de Mélanésiens furent amenés de toutes les îles pour travailler sous contrôle américain avec des salaires défiant toute concurrence (défiant même la « raison », selon les critères anciennement fixés par les Européens). Les Tonkinois en profitèrent pour s’émanciper politiquement et certains firent fortune. Les Mélanésiens christianisés en contact avec les Américains furent traités en égaux par les soldats noirs qui représentaient 70% des effectifs du corps d’armée américain. Les Mélanésiens qui purent approcher le « miracle » de cette débauche de moyens, d’hommes, de technologies et d’argent, ne furent pas en reste. Le Cargo – la croyance en une cargaison « salvatrice » – devint pour une partie d’entre eux une réalité vécue. Le petit commerce à la sauvette durant la présence américaine représenta pour les Mélanésiens une aubaine économique. Les dents recourbées des cochons hermaphrodites élevés à des fins rituelles devinrent l’objet de tous les trafics. Leur prix unitaire se chiffrant en dizaines de dollars, des expéditions furent menées pour s’en procurer dans d’autres îles. En 1946, les dents de cochons étaient devenues presque introuvables (ibid.: 273). Les populations de l’intérieur de Santo ne furent pas toutes en contact avec les Américains, tant s’en faut. Avec la nécessité d’étendre les surfaces agricoles exploitables pour le ravitaillement des troupes, et de protéger l’équipement militaire, les populations du voisinage furent d’abord évacuées en direction du bush. Cette situation confortait l’implantation des colons, faisant reculer les limites avec les terres mélanésiennes ; jusqu’à ce que les Américains se mirent à encourager la venue des populations de l’intérieur pour qu’elles vendent elles-mêmes leurs produits. Ces incitations furent dénoncées par les missionnaires presbytériens, puisqu’elles nuisaient à leur propre pouvoir d’attraction. Des pressions furent exercées sur les communautés isolées pour qu’elles restent chez elles. Dans l’esprit des colons, il s’agissait d’éviter que, la guerre finissante, les insulaires ne sortent du bush pour réclamer les nouvelles terres défrichées. Le « Plus en détail » suivant explore deux relations importantes : celle entre les militaires américains et le gouvernement du condominium des Nouvelles-Hébrides, et celle entre les militaires américains et les indigènes des îles qu’ils occupaient. La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 77 Plus en détail – la relation entre les indigènes et les soldats En haut : Vallée de la Faria, PNG, octobre 1943. Un Papou (un des « fuzzy wuzzy angels », indigènes volontaires pour aider les soldats australiens) allume la cigarette d’un soldat australien blessé évacué vers l’arrière (Lindstrom et White 1990 : 19). Le front de guerre en PNG était connu comme la piste de Kokoda et traversait de nombreuses régions tribales. En bas : Marakei, Kiribati (îles Gilbert), juillet 1944. Des insulaires sauvent un pilote de la marine américaine après un atterrissage en catastrophe de son hydravion dans leur lagon (Lindstrom et White 1990 : 49). 78 En haut : Tuvalu, octobre 1943. Un sergent américain observe une fille de l’île faire sa lessive. La lessive était quelque chose d’important dans toutes les bases militaires. Beaucoup de femmes et hommes des îles se sont fait, grâce à cela, de petites fortunes ; certains ont toujours des taies d’oreiller remplies de dollars américains gagnés en lavant des vêtements (Lindstrom et White 1990 : 89) En bas : Papouasie-NouvelleGuinée. Les Japonais étaient sur Bougainville et dans d’autres régions de la Nouvelle-Guinée dès le début 1942 et jusqu’à la fin de la guerre en 1945. Ils créèrent des écoles dans plusieurs zones, enseignant à beaucoup de jeunes Mélanésiens les rudiments de la langue japonaise (Lindstrom et White 1990 : 31). Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 79 Maprik, Papouasie-NouvelleGuinée, 1945. Un Papou blessé par les tirs d’une mitrailleuse est mis en lieu sûr et surveillé par les soldats australiens (Lindstrom et White 1990 : 54). Plus en détail– la relation entre les américains et le condominium Cet extrait de l’article de Lamont Lindstrom (1996), intitulé « The American Occupation of the New Hebrides », détaille les relations entre les militaires américains et le gouvernement du condominium pendant l’occupation américaine des îles. Il est clair que beaucoup de soldats américains avaient peu de considération pour l’autorité coloniale ou pour l’avenir de la colonie après la guerre. Les histoires orales collectées auprès des vieux Ni-Vanuatu montrent aujourd’hui que les soldats américains ont maintes fois défendu les insulaires contre les intérêts et les réclamations des Anglais et des Français. Les soldats américains, par exemple, ignoraient les règlements du condominium sur l’emploi occasionnel d’indigènes. Ils payaient leurs employés locaux plus que ne le permettait le règlement du condominium et ils s’assuraient souvent que les insulaires pouvaient contourner les tentatives du condominium de les empêcher de s’habiller avec les vêtements militaires et de ramener des marchandises chez eux. D’autres histoires populaires racontent que les soldats américains sont intervenus pour s’opposer aux tentatives de la police britannique ou française d’arrêter des renégats indigènes (Lindstrom 1996 : 15). Cet autre extrait décrit les règlements que le gouvernement du condominium essaya de faire adopter afin de contrôler les interactions des insulaires avec les Américains. Beaucoup d’insulaires… ont également gagné de l’argent pour les services occasionnels qu’ils rendaient aux troupes américaines tels que la blanchisserie, le nettoyage des A u t o r it é : puissance, administration Re n é ga t : fauteur de troubles, traitre 80 E sprit d’en trep rise : capacité d’entreprendre et de faire du commerce Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois campements, ou la cueillette des noix de coco… D’autres hommes d’affaires opportunistes se lancèrent dans le commerce de souvenirs. Le condominium essaya de supprimer tout esprit d’entreprise des insulaires, en adoptant en janvier 1944 le règlement de défense commune n°1 destiné « à interdire la fabrication et la vente de curios indigènes ». Quiconque fabriquerait ou vendrait des curios indigènes (par exemple jupes en feuillages, pirogues, massues, bracelets), à moins d’en avoir l’autorisation des Commissaires Résidents, « s’exposait à une amende de 50 livres et/ou à six mois de prison. Les clients américains et les commerçants européens, tonkinois et mélanésiens s’opposèrent à ce règlement, qui fut inapplicable et le condominium l’abrogea six semaines plus tard (Lindstrom 1996 : 20-21). Pour aller plus loin 1. Pourquoi le condominium appréciait-il peu le comportement des soldats américains ? 2. Pourquoi le gouvernement du condominium a-t-il essayé d’étouffer « l’esprit d’entreprise » des indigènes ? Trouvez-vous cela juste ? Pourquoi ? Activités de discussion 1. Référez-vous aux photographies précédentes. Qu’est-ce que les photographies vous indiquent au sujet des rapports entre les soldats et les insulaires pendant la guerre ? A votre avis, certaines de ces photographies ont-elles été mises en scène ? Repensez aux points mentionnés au sujet de l’analyse de photographie. Gardez ces points à l’esprit lorsque vous observez les photographies. 2. Imaginez que vous étiez témoin de la Seconde Guerre mondiale dans le Pacifique. Seriez-vous d’accord pour dire que ces photos sont des interprétations précises de la guerre dans le Pacifique ? Pourquoi ? 3. En quoi le rapport entre les soldats et les insulaires était-il réciproque (égal) ? Y a-t-il un type de réciprocité évident dans les photographies ? L’extrait suivant est adapté depuis l’ouvrage de l’ethnologue Marc Tabani (2002 : 6–7) : Environ 40 000 à la veille de la Seconde Guerre mondiale (selon des estimations qui pour certaines donnent le chiffre de 250 000 et même davantage avant le contact), les Mélanésiens des Nouvelles-Hébrides continuaient pour la plupart à vivre dans leurs îles des produits de leurs jardins. Les contrats signés pour le travail dans les plantations étaient peu nombreux, rares également étaient ceux qui cherchaient à être employés en ville, à Port-Vila ou Luganville, car ils y vivaient dans des conditions très médiocres. A partir de 1941, l’entrée en guerre des États-Unis contre le Japon fut lourde de conséquences pour la vie de beaucoup d’insulaires. Si les Nouvelles-Hébrides ne furent le théâtre d’aucun combat, elles servirent par contre de bases arrière à l’armée américaine engagée plus au nord dans la bataille des Salomon. Des milliers de Mélanésiens venus de tout l’archipel furent recrutés pour travailler comme dockers, manœuvres, domestiques aux côtés des centaines de milliers de GI’s qui se relayèrent, jusqu’en 1946, dans les deux bases aéronavales d’Efate et de Santo. Echappant largement au contrôle des Missions et de l’administration coloniale, les Mélanésiens purent mesurer la faiblesse des moyens de leurs anciens maîtres en comparaison de la toute puissance des Américains, lesquels disposaient d’une incroyable quantité La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 81 d’avions, de navires, de jeeps, de camions, de bulldozers, de barges de débarquement etc. Par ailleurs, ces derniers se montraient plus attentionnés à l’égard des indigènes que les anciens masta ; ils les payaient mieux, leur faisaient découvrir le degré de modernité inégalé de leur technologie et l’opulence sans précédent de leurs biens de consommation. Enfin, les soldats américains dans leur majorité étaient noirs, et apparaissaient pourtant comme les égaux des Blancs – des « Blancs à peau noire ». Port-Vila et Luganville, les deux principaux bourgs, se trouvèrent totalement transformés par les aménagements militaires américains. Pendant qu’un certain nombre de Mélanésiens tombèrent dans une sorte de fascination pour le nouvel occupant, d’autres se replièrent dans une autarcie presque totale. A la fin de la guerre, un contraste important se dessina entre ceux qui avaient adopté les principes de l’économie monétaire, vivant à la manière des Blancs, travaillant pour ces derniers ou à leur propre compte, et ceux qui se détachèrent de tous liens avec les Européens. En certains endroits, des insulaires défièrent l’autorité condominiale. Démontrant la faiblesse de son emprise sur le monde villageois, ils affirmèrent leur manière de s’approprier des conceptions chrétiennes tout en s’opposant aux missionnaires. Le « President Coolidge » Le 26 octobre 1942 le « President Coolidge », un ancien paquebot reconverti en transporteur de troupes et en navire d’approvisionnement pour l’armée américaine pendant la Seconde Guerre mondiale, percuta un champ de mines sous-marin dans le Canal du Segond, près de la côte de Santo. Le bateau devait suivre le chemin obligatoire comme indiqué sur la carte ci-dessous. Cependant, le Coolidge pénétra le Canal du Segond par un itinéraire différent et heurta des mines qui avaient été placées dans le but d’empêcher les sous-marins japonais d’infiltrer la base militaire de Santo. Le récit suivant est de Bill Bradley, un officier de bord sur le « President Coolidge ». Le naufrage du « President Coolidge » (Stone 1997). 82 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Carte indiquant le parcours du « Président Coolidge » (Stone 1997 : 93). Je me rappelle avoir vu tout autour des formes foncées dans l’eau. J’ai pensé que c’étaient de grandes tortues. Président Coolidge ralentissait dans le canal étroit et se dirigeait vers les eaux protégées du port au moment où une explosion retentit à bâbord. Les formes foncées étaient en fait des mines. Il n’y eut aucune panique. Durant tout le voyage [le Président Coolidge quitta San Francisco, aux Etats-Unis au début d’octobre et s’arrêta quelques jours en Nouvelle-Calédonie avant de se diriger vers Santo], le capitaine Nelson avait instruit ses troupes des usages en cas d’incendie et d’évacuation jusqu’à ce qu’elles en deviennent folles. Quand cela s’est produit, elles savaient exactement ce qu’il fallait faire (Stone 1997 : 98). Un autre extrait raconte l’histoire du « President Coolidge », « respirant son dernier souffle » avant qu’il ne sombre dans l’océan. Avec le bateau à bout de forces, sa poupe bien au-dessous et à tribord, sa coque et sa proue exposées, le « President Coolidge » chavira sur le flanc. À 10h52, avec de grands mouvements convulsifs et un grand remous d’eau, il disparut. Pendant quelques minutes, seuls deux petits ronds d’eau blanche marquèrent sa tombe pendant que son dernier souffle d’air s’échappait par ses cheminées. Le fier vaisseau amiral des paquebots à vapeur de la Dollar Steamship Line et de la American President Line gît finalement entre 70 et 270 pieds [20-90m] de profondeur sur une pente raide. Henry Schumacher (un fantassin présent sur le « President Coolidge ») se rappelle : « Alors que le « President Coolidge » glissait dans sa tombe sous-marine, les hommes couraient toujours le long de sa coque. Ils avaient devant leurs yeux la terrible vision du naufrage d’un bateau. Un bateau qui nous avait transportés à travers des milliers de milles dans un océan déchiré par la guerre ; un bateau sur lequel nous avons mangé, travaillé, dormi et rêvé pendant plus de trois semaines ; un bateau qui désormais emportait toutes nos affaires, nos munitions, fusils, brosses à dents, etc. Chaque homme, cependant dépouillé de toutes ses affaires, était heureux d’être vivant en trébuchant à terre, ne sachant pas pour combien de personnes l’ancienne Reine du Pacifique était devenue un tombeau aquatique. Presque tous La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 83 furent conscients que le désastre fut le résultat d’une mine, qu’elle nous appartienne ou qu’elle soit à l’ennemi, c’était aux autres de le dire » (Dans Stone 1997 : 106). Pour aller plus loin 1. « Chaque homme, cependant dépouillé de toutes ses affaires, était heureux d’être vivant en trébuchant à terre, ne sachant pas pour combien de personnes l’ancienne Reine du Pacifique était devenue un tombeau aquatique. » Que signifie cette phrase ? 2. La majeure partie des soldats sur le bateau savait que le bateau avait percuté des mines dans le port. Cependant, qu’est-ce qu’ils ignoraient ? Enquête Comment aujourd’hui l’épave du « President Coolidge » représente-t-elle un apport à l’économie du Vanuatu ? Stone 1997 : 46 84 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Etude de carte 2 : les Nouvelles-Hébrides et la guerre dans le Pacifique Observez la carte et répondez aux questions suivantes. Questions 1. Quel est le titre de la carte ? 2. Quel est le nom de la première bataille dans le Pacifique Sud ? 3. Quel événement marque le commencement de la guerre dans le Pacifique ? 4. Quels sont les noms employés actuellement pour les îles Ellice et les îles Gilbert ? Vous pouvez chercher la solution dans un atlas. 5. Sur cette carte, quelle bataille s’est produite le plus au nord du Pacifique ? La fin de la Seconde Guerre mondiale L ib éré : rendu libre I rradiation : exposition à la radioactivité La guerre continuait en Europe, en Afrique et dans le Pacifique, à la fois sur terre et sur mer, et avec le temps, les alliés exhibèrent leurs forces contre les puissances de l’Axe. Sur le front européen, on désigne sous le nom de Jour J (le 6 juin 1944), le jour où les troupes alliées débarquèrent en Normandie (France) après avoir traversé la Manche, et attaquèrent les Allemands. En août, Paris fut libéré de l’emprise allemande et la force des puissances de l’Axe s’affaiblit. Le 8 mai 1945, les nazis capitulèrent face aux Alliés. Sur le front Pacifique, beaucoup de batailles sanglantes eurent lieu entre les Japonais et les Alliés, comme l’illustre la carte intitulée « The Location of Espiritu Santo in Relation to Major Battle Areas » (situation de l’île d’Espiritu Santo par rapport aux grandes zones de bataille). Les victoires décisives à Saipan dans les îles Mariannes et dans le Golfe de Leyte aux Philippines montrèrent la puissance des forces alliées et l’espoir de victoire du Japon fut anéanti. Les Américains exigèrent une capitulation japonaise, avertissant que le refus de reddition aurait des conséquences graves. Le Japon ignora cet avertissement. Le matin du 6 août 1945, un bombardier américain passa au-dessus de la ville d’Hiroshima, au Japon et laissa tomber une seule bombe atomique. 60 000 personnes à Hiroshima périrent sur le champ. L’irradiation provoquée par la bombe en tua également beaucoup d’autres. On estime que plus de 200 000 personnes sont décédées à cause de cette seule bombe. Trois jours plus tard, une autre bombe fut lâchée sur la ville de Nagasaki, la détruisant et tuant encore des milliers de personnes. Le 2 septembre 1945, les Japonais capitulèrent et la guerre dans le Pacifique se termina officiellement. Vers la fin de 1944 (avant la fin de la guerre), les unités de l’armée américaine sur Efate furent démobilisées et la plupart d’entre elles quittèrent Port-Vila pour la NouvelleCalédonie. Dès le mois d’août 1945, Efate ne possédait plus qu’une petite station météorologique utilisée par les militaires. Les forces militaires à Santo ne dépassaient pas les 5 000 hommes. Dans l’extrait suivant, Lamont Lindstrom (1996 : 38) décrit les derniers mois de l’occupation américaine à Santo. La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 85 Le quartier général du commandement des îles quitta Efate, aux NouvellesHébrides, car le dernier contingent américain avait évacué cette base, en décembre 1944 (Garrison 1983 : 94). En août et en septembre 1945, Santo devint une monstrueuse foire à la ferraille, des acheteurs venant même de Nouvelle-Calédonie, de Nouvelle-Zélande et d’Australie. « Plus le véhicule était gros, moins cher il était vendu » : un camion de huit tonnes coûtait 25 dollars américains ; une Jeep en bon état avec cinq pneus neufs et le plein d’essence se vendait 5 000 francs néo-hébridais (MacClancy 2002 : 131). Un planteur acheta un camp entier de Seabee, bataillon de construction, (1007 Base) et son contenu (Geslin 1956 : 283). Des équipements de terrassement partirent en Australie ; des bulldozers à Tahiti ; des Quonset huts (baraquements en forme de demi cylindre) et des plaques perforées (« Marston Matting ») en Nouvelle Zélande ; et, ironiquement, du métal de récupération au Japon (Discombe 1979 : 16–17). Les Français et les Anglais se tenaient en arrière de ces ventes, malgré les prix cassés, sachant que de toute façon les militaires américains allaient abandonner leur matériel à Santo. La politique américaine était que la plupart des marchandises militaires ne devaient pas retourner aux États-Unis par crainte de saper l’économie américaine d’après-guerre (Cf. Michener 1951 : 223). Cependant, au lieu de donner les contenus des entrepôts, les militaires enterrèrent certains équipements invendus et déversèrent au bulldozer tout le reste dans la mer : Des camps et des ateliers entiers furent vidés de leur contenu que des camions transportaient au bord de l’eau où des grues les soulevaient avant de les relâcher dans la mer. Les conducteurs de camions finirent par ne plus prendre la peine d’éteindre le contact de leurs engins ni de les décharger et le moteur des camions tournait encore quand les grues s’en saisissaient pour les jeter à l’eau. Tout ce qui roulait fut conduit dans l’eau : les bulldozers et les rouleaux compresseurs, les ambulances, les cantines mobiles, les tanks, les camions, absolument tout (MacClancy 2002 : 131; Cf. Geslin 1956 : 283-4). 86 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Cet endroit fut appelé « Million Dollar Point ». Les Américains revinrent aux Nouvelles-Hébrides en 1946 pour déterrer et embarquer les corps de plusieurs centaines de soldats morts qui avaient été enterrés à Freshwater (un quartier de Port-Vila) et à Surunda (au nord de Luganville, Santo) pour les ramener aux Etats-Unis. Certains d’entre eux étaient décédés aux Nouvelles-Hébrides des suites de leurs blessures au combat, durant la bataille de Guadalcanal aux Salomon. Beaucoup furent inhumés une seconde fois au cimetière de Punchbowl à Hawaï. C’est un cimetière militaire américain où reposent les corps des victimes de la première attaque de Pearl Harbor en 1941. Pour aller plus loin L’expérience néo-hébridaise de la Seconde Guerre mondiale fut indéniablement différente de celles des autres îles du Pacifique, telles que les îles Salomon ou les îles Gilbert (maintenant connues sous le nom de Kiribati). Des batailles furent sanglantes dans d’autres archipels du Pacifique et la présence des troupes japonaises voire américaines ou australiennes, fit beaucoup de victimes. Prenez en considération l’extrait suivant tiré du projet de recherche d’un étudiant sur la Seconde Guerre mondiale dans les îles Salomon : Les forces de défense du protectorat britannique des îles Salomon se chargèrent également de tâches difficiles en aidant le débarquement de troupes de combat sur les champs de bataille de Guadalcanal et de Munda. Derrière la ligne de front, la Solomon Islander Defence Force transportait en fait les armes, les munitions, la nourriture des soldats américains. Les soldats de la marine devaient protéger les membres de cette division bien que beaucoup furent tués. Certains furent même capturés, torturés et laissés pour mort par l’ennemi. (A Guide to Research Reports and Minor Tasks for Pacific History Students, Teaching the Pacific Forum) En quoi l’expérience de cette guerre aux Nouvelles-Hébrides fut-elle différente de celle d’autres îles du Pacifique ? Comment cet extrait l’illustre-t-il ? Activité de discussion Observez la carte ci-dessous. Identifiez les différents secteurs de la carte et les éléments-clés. Que nous montre la carte ? Les souvenirs de la Seconde Guerre mondiale dans l’archipel hébridais auraient-ils été plus négatifs s’il y avait eu des batailles, des combats et des morts ? Pourquoi ? L’impact de l’occupation américaine I nfr astructure : équipement Les anciens ont de bons souvenirs de l’occupation militaire américaine pendant la guerre. Certains possèdent même des objets, tels que des plats, des pièces de monnaie, des bouteilles de Coca-Cola ou des photographies comme souvenirs de ces années. D’autres se souviennent toujours des histoires et des chansons. Il est indéniable que l’occupation américaine des Nouvelles-Hébrides a marqué les esprits de tous les habitants de l’archipel. Mais quels furent les autres impacts de l’occupation américaine ? L’infrastructure des centres urbains de Luganville et de Port-Vila fut améliorée par La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 87 les Américains pendant la guerre. Ils construisirent des ponts, des terrains d’aviation, des routes et des quais, dont beaucoup sont toujours utilisés aujourd’hui. Réfléchissez à un exemple d’infrastructure construite par les Américains que vous avez déjà vu ? L’aéroport de Bauerfield à Port-Vila ou celui de Pekoa à Santo en sont des exemples. La route circulaire de l’île d’Efate, en est un autre exemple. Certains noms que nous employons encore sont en relation avec l’occupation américaine. A Port-Vila, les Américains avaient attribués des noms à certains quartiers comme Nambatu, Nambatri et D-Dock. Connaissez-vous d’autres exemples de noms donnés pendant la Seconde Guerre mondiale toujours employés aujourd’hui ? Interrogez des anciens de votre quartier s’ils peuvent vous renseigner sur d’autres exemples. Avez-vous déjà entendu parler de la liane américaine, également connue sous le nom de « mile-a-minute » ? C’est une liane plantée par les Américains comme une sorte de plante de camouflage. Elle servait à cacher des véhicules et d’autres matériels de la vue des bombardiers japonais. Interrogez les anciens de votre quartier pour savoir s’ils ont entendu parler de la liane américaine. Si elle se développe dans l’île dont vous êtes originaire, demandez à quelqu’un de vous la montrer. Certains utilisent cette plante comme coagulant, pour arrêter une hémorragie lorsque quelqu’un s’est blessé. Est-ce que l’introduction de cette liane américaine a pu avoir des effets néfastes ? Le matériel laissé par les Américains, bien qu’une grande partie ait été jetée dans l’océan, favorisa la modernisation de l’économie de plantation. Et même si des gardes armés entouraient le secteur où une grande partie de l’équipement fut déversée, certains Européens (ainsi que des Indochinois et des Mélanésiens) parvinrent à récupérer une partie des équipements. De plus, quelques propriétaires de plantations à Les campagnes militaires dans le sud-ouest du Pacifique, 19421944 (Costello 1981 : 574). C o a gu l a n t : anti-hémorragie 88 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Santo avaient reçu le titre de propriété des équipements laissés sur leur terre comme règlement de loyers des terrains utilisés par les Américains. Dans certains endroits de l’archipel, nous pouvons encore voir des vestiges de la Seconde Guerre mondiale. Au nord d’Efate, le « bassin américain (ou « le parc américain ») près du village de Tanaliu fut construit par les militaires pendant leur occupation. Il est possible de retrouver des traces historiques en marchant autour de Quoin Hill. On peut voir des carcasses d’avions dans la brousse de Santo, et à Aore, on trouve des vieilles structures de stockage construites sur les flancs des collines. Connaissezvous d’autres exemples ? Qu’en est-il des effets culturels de l’occupation américaine des Nouvelles-Hébrides ? A l’arrivée des militaires américains, la population des îles fut témoin de richesses matérielles jamais vues auparavant. Elle rencontra également des « hommes blancs » qui ne la traitaient pas nécessairement de la même manière que les Anglais et les Français. En effet, les Américains s’opposaient parfois au gouvernement du condominium en faveur des Mélanésiens. Elle vit des soldats noirs américains porter les uniformes militaires officiels et participer aux activités militaires ainsi que des infirmières américaines travailler à côté des hommes ou encore des artistes américains venir dans les îles faire des spectacles pour le personnel militaire américain. Elle eut accès aux magasins et aux films américains. Elle goûta les rations militaires de nourriture et elle apprit l’argot américain tel que « OK. » Dans l’extrait suivant, Lindstrom évoque l’impact le plus durable de l’occupation américaine. L’impact le plus persistant de l’occupation fut la transformation de l’Amérique en symbole politique. Dès 1946 et jusqu’à nos jours, plusieurs groupes politiques du Vanuatu ont évoqué L’Amérique et l’expérience de la guerre pour critiquer et résister aux autorités gouvernementales de l’archipel avant et après l’indépendance nationale. Ces groupes réclamaient des relations spéciales, voire familiales, avec les Etats-Unis et imploraient le retour des Américains dans l’archipel pour les libérer à la fois de l’autorité ennuyeuse du gouvernement et moderniser économiquement le pays (Lindstrom 1996 : 36). Que ce soit l’introduction de l’argot, la construction d’hôpitaux et de routes, les débuts des stringbands, la distribution de médicaments ou la camaraderie partagée entre certains militaires et leurs amis indigènes, l’occupation américaine eut des répercussions inoubliables aux Nouvelles-Hébrides pour ceux qui ont connu cette époque. Avec la disparition des générations de la Seconde Guerre mondiale, pensez-vous que le souvenir des Américains en tant que « ol man we oli givhan long yumi long taem blong Wol Wo Tu » restera aussi fort ? Questions de compréhension 1. Qu’est-ce que l’argot ? 2. Quel est, selon Lindstrom, l’impact le plus persistant de l’occupation américaine ? Que signifie « persistant » ? Pour aller plus loin 1. Observez attentivement les deux photographies ci-dessous. Quelles en sont les conséquences sur l’environnement aujourd’hui ? La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 89 2. Pensez-vous que les Américains avaient conscience des nuisances qu’ils ont créées pour l’environnement ? Qu’en est-il des insulaires, s’en rendirent-ils compte ? 3. En vous basant sur ce que nous avons lu, pourquoi les Américains ont-ils jeté leur matériel de guerre dans l’océan ? Activité de discussion Si vous aviez été présent lors de la création de « Million Dollar Point », qu’auriezvous fait ? Quelle aurait été votre réaction ? Plus en détail – « Tales of the South Pacific » James Michener a servi dans la marine américaine dans le Pacifique pendant deux ans lors de la Seconde Guerre mondiale. Michener écrivit un récit fictif des NouvellesHébrides. Cet ouvrage remporta le prix Pulitzer (récompense pour les écrivains) et lança sa carrière d’écrivain. « Tales of the South Pacific » (1947) devint très populaire aux EtatsUnis après sa publication en 1947 si bien qu’il fut aussi interprété en comédie musicale. Ces contes donnent une vision romancée du Pacifique pendant les années de guerre. Ils idéalisent une partie du monde inconnue avant la Seconde Guerre mondiale. Ce livre décrit les relations entre soldats, infirmières, insulaires, Tonkinois (Indochinois), planteurs français et la guerre, et devint un best-seller aux Etats-Unis. Le lieutenant Joe Cable, un des personnages principaux, tombe amoureux d’une jeune Tonkinoise. L’infirmière Nellie Forbush s’éprend d’un Français appelé Emile de Becque. Dans le contexte de la Guerre dans les îles tropicales bordées d’une eau bleu turquoise et de plages de sable blanc, les personnages de Michener captivèrent le public américain. Le paragraphe suivant est tiré de « Tales of the South Pacific ». J’espère que je pourrais vous raconter ce qu’est le Pacifique Sud. Ce que c’était réellement. Un océan sans fin. Des points infinis de corail que nous appelons des îles. Des cocotiers inclinant la tête avec élégance vers l’océan. Des récifs sur lesquels les vagues se cassent en embruns et en lagons intérieurs, dont la beauté dépasse toute description. J’espère que je pourrais vous raconter la jungle suffocante, la pleine lune se levant derrière les volcans et l’attente. L’attente. L’attente éternelle et répétitive. À gauche : naufrage dans le Canal du Segond. À droite : Million Dollar point, Santo en 2004, soixante ans après le départ des militaires américains. Photo prise par Anna Naupa. 90 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Dans son livre, Michener décrit la mystique Bali ha’i (Ambae), une île qui peut à peine être vue de la côte d’Espiritu Santo, où la plupart des soldats américains étaient postés. Selon la légende, les insulaires envoyaient leurs plus belles femmes sur cette île afin de les maintenir éloignées des militaires américains. C’est l’île où le lieutenant Cable rencontre Liat, la jeune Tonkinoise dont il tomba amoureux. La comédie musicale comporte une chanson sur cette île. Bali Ha’i Les gens vivent sur une île solitaire Perdue au milieu d’une mer de brouillard Les gens d’autres îles Savent qu’ils aimeraient y être. Bali Ha’i devrait t’appeler Une nuit, un jour Dans ton cœur tu l’entendras appeler Viens, viens. Bali Ha’i soupirera Dans le vent de l’océan Je suis là, ton île Viens à moi, viens. Pour aller plus loin Pourquoi « Tales of the South Pacific » fut-il si populaire aux Etats-Unis après la guerre ? Pourquoi les Américains accueillaient-ils aussi bien cette version romancée de la vie dans le Pacifique pendant les années de guerre ? Activité de discussion Pourquoi cette représentation de Bali ha’i était-elle si appréciée chez les Américains ? La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides : 1942 à 1945 91 Soldats américains débarquant sur une île du Pacifique (archives US Army / Associated Press). La Seconde Guerre mondiale : suggestions de recherches à approfondir Dans ce chapitre, nous avons principalement étudié le front Pacifique de la Seconde Guerre mondiale et plus spécifiquement, l’occupation américaine des NouvellesHébrides. Cependant, cela représente seulement un petit segment de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Si vous avez accès à une bibliothèque ou à tout autre matériel de recherche tel qu’une encyclopédie ou Internet, choisissez un des sujets suivants de recherche. Préparez une présentation courte pour votre classe. Si vous trouvez des graphiques, présentez-les à votre classe. Forces alliées Puissances de l’Axe Adolf Hitler / nazis Pearl Harbor / USS Arizona Hiroshima / Nagasaki / bombe atomique Jour J / Normandie Charles De Gaulle / France libre Troupes de l’ANZAC Bataille de la Bulge Maréchal Pétain / Collaboration Conquête de la Mandchourie Winston Churchill Bataille de France Bombardement de Dresde Bataille de Berlin Bataille de Stalingrad Guerre totale Empereur Hirohito Bataan Iwo Jima Dwight Eisenhower Benito Mussolini / fascisme Hideki Tojo Dachau/Auschwitz/Holocauste Blitzkrieg / Bataille de l’Atlantique Guadalcanal Piste de Kokoda Joseph Staline / Union Soviétique 92 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois 93 chapitre quatre Croissance de Port-Vila et de Luganville de la fin du 19ème siècle aux années 1970 Introduction Dans le chapitre « Planteurs et Plantations » du volume 2, nous avons étudié la concentration des plantations sur les îles d’Efate et de Santo. Afin de vendre le coprah aux bateaux qui passaient, les planteurs trouvaient avantageux de se situer près d’un port en eau profonde. En conséquence, le port de Port-Vila et celui du Canal du Segond devinrent les principaux ports de commerce de l’archipel. Ces premières installations européennes étaient très simples, avec un minimum d’infrastructures et de services. Nous allons voir comment Port-Vila et Luganville se sont agrandies depuis les premiers jours de l’installation européenne jusqu’à leur développement urbain dans les années 1970. Port Vila en 1942. Tiré de Vivre en ville, programme de sciences fondamentales de l’année 9. 94 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Port-Vila Pendant les premiers temps de l’installation européenne dans l’archipel, Port-Vila devint rapidement le plus grand centre de colonisation. Cet emplacement était attirant pour diverses raisons : • Il possédait un grand port naturel en eau profonde près de la terre ferme. • Il permettait de s’abriter efficacement contre les alizés du sud-est. • Il y avait une source d’eau fraîche abondante. • La plaine de Mele, proche du port, était fertile et convenait pour le développement des plantations. • Il était plus facile d’acheter ou d’acquérir de la terre à Port-Vila qu’au nord d’Efate, car les indigènes y étaient plus accueillants. Les colons français d’Efate s’établirent surtout dans le sud-ouest, de la baie de Mele au port de Fila (nom donné autrefois à Port-Vila). Comme nous l’avons appris dans « Planteurs et Plantations », un planteur français nommé Ferdinand Chevillard forma avec les planteurs de cette région, la municipalité de Franceville en 1880. Franceville reçut le soutien des 37 colons vivant alors à Efate, mais fut condamné par la France et l’Angleterre, et Franceville s’éteignit brusquement (Scarr n.d : 8). Pourquoi les gouvernements français et britannique désapprouvaient-ils la formation de la municipalité de Franceville ? Franceville fut créée avant la présence officielle française et britannique dans l’archipel, et la municipalité récemment formée aurait pu établir ses propres règles et règlements distincts. Cependant, la création du conseil de Franceville mit en évidence le souhait des colons de posséder un système d’administration formel. Quand la convention de 1906 fut signée, Port-Vila fut évidemment choisie comme centre du condominium. Avec la présence des deux Commissaires Résidents ainsi que de celle des compagnies de commerce, Port-Vila devint « la capitale du condominium » (Bonnemaison 1994 : 421). La ville se développa sur le front de mer, où Burns, Philp et d’autres compagnies avaient installé leurs bureaux et leurs docks. Comme Margaret Rodman l’affirme dans Houses Far From Home, « Port-Vila était un port avant de devenir une ville… » (Rodman 2001 : 35). En effet, au début, Port-Vila ne ressemblait pas du tout à une agglomération urbaine. En 1910, l’anthropologue Félix Speiser livra une description de Port-Vila : Port-Vila n’est qu’un centre administratif et on ne trouve que quelques magasins et des résidences pour les fonctionnaires du condominium. Il y a peu de vie et seule l’arrivée des bateaux apporte un peu d’animation. Un étranger arrivant à Port-Vila s’ennuierait et se sentirait seul, surtout que « la maison du sang » (seul hôtel à Port-Vila à l’époque) offrait peu de confort et que la société n’était pas de premier choix (Speiser 1913 : 323). De passage à Port-Vila en 1913, le planteur R.J. Fletcher écrit : Port-Vila est une ville typique de Mélanésie — plages, magasins et bungalows… Port-Vila est belle — vraiment belle… Voyez-vous, la brousse fut défrichée en grande partie autour de la ville — ce qui fait une énorme différence. Rien ne fut laissé sur place à part des cocotiers et des banians. Ensuite, tout fut couvert par l’herbe. De plus, la baie est une vraie perle. Il n’y a plus de problèmes de santé majeurs — la fièvre a été pour ainsi dire éradiquée grâce au défrichement de la brousse. D’ailleurs, il y a deux docteurs et un hôpital, de la viande fraîche et de la glace, somme toute je me sens heureux (Fletcher 1925 : 24,71). Croissance de Port-Vila et de Luganville de la fin des années 1800 aux années 1970 95 Heure du thé, Shepherd’s Hill. Edward Jacomb (assis à droite) en compagnie de trois hommes. Collection de William Stober avec son autorisation (Rodman 2001 : 55). Un an plus tard, en 1914, Edward Jacomb (1914 : 22), un avocat travaillant à Port-Vila, écrivit ceci : Port-Vila est, en terme européen, la capitale et la seule ville de l’archipel. De plus, on s’aperçoit que dans cette ville, la plupart des petits commerces tels que les boulangeries, les boucheries, les forges, les glaciers, les hôtels, etc. sont soit entre les mains des Français soit fournissent des emplois pour les ressortissants français. De même, les bâtiments du gouvernement ont été érigés par des ouvriers de Nouméa dont la plupart des menuisiers, des maçons et des plombiers sont Français. Pour aller plus loin 1. Comparez ces trois différentes descriptions de Port-Vila datant de 1910 à 1914. Le premier récit fut écrit par un anthropologue, le deuxième par un planteur et le troisième par un résident de Port-Vila. Pourquoi leurs points de vue sur Port-Vila sont-ils si différents ? Est-il possible qu’entre 1910 et 1914, Port-Vila ait pu autant changer ? 2. Le récit de Speiser sur Port-Vila nous donne une image d’une ville misérable (sale) dont les résidents n’étaient pas fréquentables. Comparez cette description avec celle de Jacomb, qui résida à Port-Vila. 96 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois zone construite zone construite route principale route principale Vivre à Port-Vila Croissance de Port-Vila entre 1913 et 1956 (Pierce 2004, cartes inédites). G h ettoïsation : mise à l’écart Quel genre de vie menait-on à Port-Vila dans les premières décennies du 20ème siècle ? L’extrait suivant est tiré de « Port Vila : transit station or final stop ? » écrit par Gerald Haberkorn (1989 : 7-8). Il nous parle des réalités vécues par les différents groupes vivant dans cette zone urbaine. Vers 1930, avec 1000 habitants, Port-Vila était plus grande et plus paisible. Les Tonkinois nouvellement arrivés vivaient à l’extrémité de la ville dans des baraquements « ressemblant à des étables sans aucun équipement sanitaire ». Quelques rares Chinois et Japonais (jamais plus de 200), qui étaient arrivés comme stewards sur des bateaux de passage, ou comme comptables pour les plantations d’Efate, se rassemblèrent en petites communautés. (MacClancy 2002 : 111). Alors que les Chinois et les Japonais étaient arrivés à l’origine de leur plein gré, l’administration française avait fait venir les Indochinois depuis le début des années 1920. Pour quelle raison ? Apparemment, la main-d’œuvre indigène était réticente à s’engager dans des contrats à long terme. Ainsi, vers 1925, ils [les Tonkinois] étaient déjà 5000 dans l’archipel (MacClancy 2002 : 106). L’habitation urbaine était fortement soumise à la ségrégation avec chaque groupe ethnique vivant dans des niches et enclaves spécifiques (Bennett 1957 ; MacClancy 2002). À part cette ghettoïsation, le séjour des Néo-Hébridais en ville pendant ces années était strictement régulé par l’administration du condominium. Les Mélanésiens sans emploi qui ne venaient pas d’Efate n’étaient pas autorisés à rester plus de 15 jours à Port-Vila. S’ils dépassaient cette limite, ils couraient le risque d’être ren- Croissance de Port-Vila et de Luganville de la fin des années 1800 aux années 1970 97 voyés chez eux. Les Mélanésiens n’avaient pas le droit de rester en ville après neuf heures du soir sauf s’ils souhaitaient faire un rapport au délégué de district le lendemain (MacClancy 2002 : 113). Cependant, les gens des îles et les autres travailleurs n’étaient pas les seuls à faire face à des difficultés pendant leur séjour dans la « capitale du condominium ». En 1945, E. Aubert de la Rüe écrivit « Port-Vila et les singularités du condominium » dans « Les Nouvelles-Hébrides : îles de cendre et de corail ». Il décrit Port-Vila comme une ville mal équipée en infrastructures. J’aimerais dire que le semblant de ville qu’est le chef-lieu des Hébrides est propre et bien tenu, mais ce privilège est réservé uniquement au quartier britannique, le moins important. L’herbe envahit les routes défoncées et caillouteuses et le service de la voirie paraît être laissé aux soins des tourlourous, ces gros crabes terrestres, qui envahissent les rues à la tombée de la nuit, à la recherche de détritus de toutes sortes. Il y a quelques années, Vila ignorait l’éclairage électrique et l’eau courante. Chacun s’approvisionnait, comme aujourd’hui encore sans doute, en disposant aux coins de sa maison de gros réservoirs en tôle où s’accumule l’eau de pluie recueillie par le toit et où pullulent les larves de moustique… Le trafic et l’animation de Vila n’ont rien de bien assourdissant et l’on reste parfois des semaines entières sans voir un navire en rade, en dehors des allées et venues de quelques cotres de recruteurs (de la Rüe 1945 : 28). Avant l’introduction des automobiles, les gens à Port-Vila voyageaient à cheval. En 1925, un arrêté conjoint demandait qu’on cessât enfin de dresser les chevaux dans les rues de la ville et d’y circuler à grand galop. (Bonnemaison 1994 : 421). Essayez d’imaginer comment étaient les rues de Port-Vila. Au lieu de parkings, il devait y avoir partout des poteaux pour attacher les chevaux. À votre avis, quelles étaient les autres différences visuelles dans les rues ? Le chemin de fer, vers 1960. De petits trains transportaient les produits et les approvisionnements entre les entrepôts et les plantations (Archives nationales, VKS). 98 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Boulevard Higginson, PortVila, 1950 (Sanchez 1979 : 19). Connu sous le nom de Kumul Highway dans les années 1980 et au début des années 1990. Pour aller plus loin En vous basant sur la description de Port-Vila d’E. Aubert de la Rüe, pensez-vous qu’il était agréable de vivre à Port-Vila ? Qu’est-ce que De la Rüe n’appréciait pas à Port-Vila ? Expression écrite 1. Imaginez que vous êtes originaire d’une autre île qu’Efate et que vous vivez à Port-Vila au début des années 1900. Vous travaillez pour le Commissaire Résident français. Écrivez une lettre à votre mère dans votre île natale et racontez-lui comment est votre vie en ville. N’oubliez pas de dire si vous aimez vivre en ville, ce que vous faites de votre temps libre, de mentionner les aspects positifs et négatifs de la ville et aussi de dire si vous avez l’intention de retourner dans votre île. 2. Vivez-vous à Port-Vila, ou avez-vous déjà visité cette ville ? Si vous vivez à PortVila, ou si vous l’avez déjà visitée, écrivez votre propre description de la ville. Quels en sont les avantages ? Quels en sont les inconvénients ? Si vous ne connaissez pas Port-Vila, interrogez quelqu’un qui y a déjà vécu. Demandez-lui ce qu’il y aime et ce qu’il n’y aime pas. Plus en détail – L’hôtel Rossi En 1994, Roslyn Arthur, une élève de douzième année en histoire au Collège de Malapoa, relata l’histoire de l’hôtel Rossi. L’extrait suivant provient de son projet de recherche, The history of Hotel Rossi and its place in the development of the hospitality industry in Vanuatu et est basé sur des interviews menés avec Reece Discombe, résident de longue date à Port-Vila, ainsi qu’avec les membres de la famille Rossi. Croissance de Port-Vila et de Luganville de la fin des années 1800 aux années 1970 99 L’hôtel Rossi fut bâti au début du siècle, probablement en 1902 par un Australien du nom de Lockhart Bell. Il construisit le bâtiment avec l’idée d’ouvrir une imprimerie sur la côte. Lockhart Bell imprima un journal intitulé New Hebrides Association Gazette (c’était en fait le premier journal anglophone à voir le jour). Il vendit l’hôtel, vraisemblablement aux environs de 1910, à un Australien nommé M. McLeod. Ensuite, en 1915, Monsieur Rolland acheta l’hôtel et le donna à sa fille aînée, Madame Janet Reid. Celle-ci dirigea l’Hôtel Reid jusqu’en 1941, date à laquelle elle dut partir en Australie. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement britannique demandait, en effet, pour des raisons de sécurité, à toutes les femmes (européennes) de se déplacer soit vers l’Australie soit vers la Nouvelle-Zélande. Auparavant, M. Rolland s’occupait de l’Hôtel Modern pour Monsieur Frouin. Au début du siècle, cet hôtel était mieux connu sous le nom de « la maison du sang », à cause des affaires sanglantes qui avaient bâti sa réputation. Mais M. Frouin vendit l’hôtel au condominium en 1915. Les chambres d’hôtel furent aménagées en bureaux. Le gouvernement y mit la Trésorerie, les Travaux publics et l’Administration. Aujourd’hui, ce même bâtiment fait fonction de commissariat de police. Quand l’hôtel fut vendu au condominium, M. Rolland alla sur la côte et acheta l’hôtel qui se trouvait près de la mer et qui plus tard deviendra l’Hôtel Rossi. Roslyn Arthur fait ensuite mention de la taille du bâtiment, du nombre des chambres et des différents gérants de l’hôtel. Regardons maintenant d’autres sources d’information qui évoquent l’Hôtel Rossi. Les faits suivants concordent avec l’information de Roslyn Arthur, et donnent plus de détails sur la vie sociale de l’hôtel. La maison du sang On connaissait mieux le premier hôtel sous le nom de « maison du sang » à cause des fêtes bien arrosées, des jeux de cartes et de l’atmosphère générale de festivité et de débauche qui régnait. Il était situé sur le site de l’actuel commissariat de Police. Il restait ouvert tard dans la nuit, surtout quand les bateaux passaient. Le petit monde des recruteurs, des planteurs de Vila ou de passage s’y retrouvaient. On y jouait aux cartes et on y buvait sec, de préférence du champagne les grands jours et le reste du temps de l’absinthe et du gin… (Bonnemaison 1994 : 421). En 1912, R.J. Fletcher décrivit son expérience à l’hôtel : Je dormis deux nuits à l’hôtel à Port-Vila et cela me suffit. Ma chambre était un appentis où j’eus pour compagnie la plus affreuse collection de bestioles rampantes. L’hôtel abritait un effroyable ramassis d’aventuriers du Pacifique, ex-forçats et le reste, occupés à boire et à se battre jour et nuit. J’ai couché avec mon revolver d’ordonnance au poing. De plus, je ne possédais aucun objet de valeur, ce qui aurait pu intéresser les voleurs... (Fletcher dans Bonnemaison 1994 : 421). Pendant la Guerre, les affaires de l’Hôtel Reid ne furent pas affectées. L’Hôtel devait son prestige à son emplacement sur le front de mer, sa nourriture française et ses serveurs asiatiques. En conséquence, il devint aussi le club de détente le plus populaire de PortVila (Douglas 1996 : 121). Un soldat de la marine américaine décrivit l’hôtel comme suit : Ce tout petit club construit sur la mer, avec ses serveurs chinois, ses tables couvertes de tapis, ses billards et ses vérandas à volets, aurait pu être créé pour Kipling ou Maugham. —‘Palms and Planes in the New Hebrides’, le National Geographic (1942 : 229). L’hôtel Reids et le restaurant, à Port-Vila dans les années 1940. Collection Reece Discombe (Vanuatu 1980 : 137). 100 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois L’extrait suivant de Ngaire Douglas dans « They Came for Savages » (1996) nous fournit un aperçu sur l’histoire de l’hôtel. Entre la fin de la guerre et 1951, il fut dirigé par plusieurs résidents, dont certains possédaient des liens de parenté avec Reid. Il servait souvent de quartier d’affaires pour les représentants de commerce et certains professionnels tels que des opticiens et des docteurs spécialisés de Nouvelle-Zélande ou d’Australie. Ceux-ci installaient leurs marchandises et cabinets dans une petite pièce ronde proche de la mer. Les chambres se trouvaient dans un bâtiment en bois connu sous le nom de Australia House, situé le plus près possible de la rue principale de Port-Vila. Un gérant, Ziggy Rolland, avait depuis la guerre une agence Peugeot et dans l’une des chambres qui se trouvaient près de la rue, des pièces de rechange et des vélos étaient en vente. L’auteur de récits de voyage, Colin Simpson, y demeura en 1950 et le décrivit de la sorte : l’Hotel Rolland, un logement en tôle où le gérant s’excuse des aménagements ajoutant qu’il ne recevait pas beaucoup de clients (Douglas 1996 : 122). Roslyn Arthur complète ces informations sur les familles Rolland et Reid pendant la période de la Seconde Guerre mondiale à la vente de l’Hôtel en 1951 à la famille Rossi. Pendant le séjour de Mme Reid en Australie, c’est son cousin qui géra l’hôtel… Mme Reid n’avait que deux enfants, une fille et un garçon. Son fils Ernie Reid prit la direction de l’hôtel après son oncle, Monsieur Cecil Rolland, et le géra pendant quelques temps. Puis quand sa fille, Aggie Reid, se maria à Antoine Rossi, l’hôtel lui fut donné. L’hôtel devint l’Hôtel Rossi quand Antoine Rossi en prit la direction en 1951. Antoine était le descendant d’un Corse, Mathieu Rossi, qui arriva dans les îles en 1880 pour créer une plantation à Ambrym avec ses deux frères. Antoine se maria avec Agnès Reid et transforma l’hôtel. Les anciens bâtiments furent démolis et remplacés par deux édifices principaux, le bâtiment contenant les chambres et le bâtiment avec le bar central et la salle à manger. Aggie Rossi était célèbre pour sa cuisine ainsi l’hôtel devint populaire dans tout le Pacifique. Au début des années 1970, les Rossi vendirent l’hôtel à la compagnie australienne Cambridge Credit ltd. L’hôtel garda son nom, selon une des conditions de la vente. Pourquoi la nouvelle compagnie voulait-elle que l’hôtel garde le nom de Rossi ? Qu’en pensez-vous ? La compagnie avait l’intention de construire un immeuble de 14 étages avec 130 chambres sur le site (Douglas 1996 : 241). Ce qui ne se produisit jamais. En 1994, les 20 chambres d’origine furent vendues pour en faire une galerie de magasins. Aujourd’hui l’Hôtel Rossi n’est plus qu’un simple restaurant et a changé de nom. Questions de compréhension 1. Dans un dictionnaire, cherchez les définitions de : •Fête arrosée • débauche • festivité Comment se figure-t-on l’hôtel Rossi en lisant cette description ? 2. Quel rôle l’Hôtel Rossi a-t-il joué dans la vie sociale des habitants de Port-Vila pendant les années du condominium ? Pour aller plus loin 1. L’Hôtel Rossi fut transformé de façon importante au fur et à mesure des années, Croissance de Port-Vila et de Luganville de la fin des années 1800 aux années 1970 101 selon les événements de l’histoire du pays. Quel fut le rôle de la Seconde Guerre mondiale dans sa transformation ? 2. Dans l’extrait de Ngaire Douglas, on peut lire que d’après un auteur de récits de voyage, l’hôtel s’appelait l’hôtel Rolland en 1951, mais en consultant d’autres ressources on apprend qu’il était connu sous le nom de l’Hôtel Reid. Étant donné les liens de parenté des différentes directions, pourquoi les noms Hôtel Rolland et Hôtel Reid auraient-ils pu être utilisés indifféremment en ce temps-là ? Enquête Comme projet de recherche, enquêtez sur l’histoire d’un bâtiment particulier de votre région. Cela peut-être un hôtel, une église, une école, un nakamal, un bureau, un restaurant, un magasin, etc. Quand fut-il construit ? Quelle fut son utilisation au cours du temps ? Qui en étaient les propriétaires ? Ajoutez à votre projet une chronologie sur laquelle vous placerez les événements importants de l’histoire de ce bâtiment. Quel impact le bâtiment a-t-il eu sur la région (social, économique, sur l’environnement) ? Quel rôle le bâtiment a-t-il joué dans la vie de la communauté ? Pourquoi ce bâtiment est-il important pour cette région ? Doit-il être conservé ? Devrait-on le rajouter dans les archives des sites historiques et culturels du Centre Culturel du Vanuatu (VKS)? Développement de Port-Vila pendant la guerre Pendant la Seconde Guerre mondiale, Port-Vila et Santo se développèrent en vraies zones urbaines. Négligées précédemment par les deux administrations, leurs infrastructures furent rapidement développées par les militaires américains (Bonnemaison 1994 : 422). Comme il est précisé dans le chapitre sur « La Seconde Guerre mondiale aux Nouvelles-Hébrides », de nombreuses troupes américaines débarquèrent à Efate en 1942. Bien que l’influence militaire américaine fût plutôt concentrée à Santo, elle se fit quand même ressentir à Port-Vila. L’accroissement moderne de Port-Vila débuta pendant la Seconde Guerre mondiale, quand de nombreuses troupes américaines arrivèrent à Port-Vila au début de 1942 et y restèrent quelques années. Port-Havannah était la base principale des Américains jusqu’à ce que ceuxci se rendent à Santo. Ainsi, d’importants aménagements furent construits sur le rivage de Port-Vila. Aucun grand quai ne fut construit, comme ce fut le cas à Santo, mais des quais de déchargement et des entrepôts furent installés le long du canal profond qui se trouvait derrière l’îlot Iririki. Des camps et des dépôts de stockage furent aussi établis sur le plateau au sud de la ville dans des zones qui, aujourd’hui, portent toujours les noms militaires de Nambatu et Nambatri. La plupart des aménagements au bord de l’eau furent conservés après 1945 et les activités portuaires furent déplacées en face de Iririki (Brookfield et Glick 1969 : v). Les Américains occupent les bâtiments du condominium L’administration du condominium avait traversé une longue période de crise du bâtiment et des travaux publics dûe à l’insuffisance de matériaux et au manque de constructeurs. En 1941, pour offrir davantage de bâtiments au personnel venant de 102 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois l’étranger, l’administration britannique envisagea de nouvelles constructions. Elle planifia une résidence près de l’enclos britannique (British Paddock aujourd’hui appelé Parc de l’Indépendance). Les matériaux mettaient des mois à arriver aux Nouvelles-Hébrides. Quand la guerre fut déclenchée dans le Pacifique, avec le bombardement de Pearl Harbor en décembre 1941, les délais des compagnies maritimes se prolongèrent encore. À leur arrivée en 1942, les Américains prirent en charge la construction de la nouvelle résidence. Lorsqu’elle fut achevée, elle fut nommée « Maison Blanche » tout comme la résidence officielle du Président des États-Unis. Dans l’extrait suivant tiré de Houses Far From Home (2001), Margaret Rodman décrit la répartition des bâtiments du condominium à cette époque. La Maison Blanche et l’église presbytérienne en face du British Paddock servirent d’hôpitaux temporaires pour épauler l’hôpital presbytérien d’Iririki, l’hôpital français en ville et un hôpital temporaire dans le bâtiment du Tribunal mixte jusqu’à l’achèvement de l’hôpital militaire à Bellevue, une plantation à l’est de Port-Vila. La construction d’un terrain d’aviation à surface corallienne en dessous de Bellevue ne prit qu’une semaine. Une fois que l’hôpital militaire fut ouvert en septembre 1942, les avions amenaient les soldats blessés lors des violents combats dans les îles de Salomon, pratiquement au seuil du nouvel aménagement médical (Rodman 2001 : 109). La « Maison Blanche » ne fut pas le seul bâtiment occupé, pendant la guerre, par les Américains. Les Américains qui avaient réquisitionné tous les bâtiments, y compris la Maison Blanche étaient réticents à l’idée d’en abandonner un seul. Dès la fin de 1942, ils avaient occupé tout l’espace utilisable de Port-Vila, qu’il soit français, britannique, du condominium ou missionnaire. Il y avait des tentes au British Paddock et les soldats de la marine campaient aussi sur Iririki, ce n’était cependant pas suffisant. La demande de terrain de la part des États-Unis était apparemment insatiable, ils en voulaient encore plus (Rodman 2001 : 112). Vue de Port-Vila en 1950 (Sanchez 1979 : 30). Croissance de Port-Vila et de Luganville de la fin des années 1800 aux années 1970 103 Pour aller plus loin 1. Pourquoi les gouvernements français et britannique coopérèrent-ils pendant la guerre avec les militaires américains ? Pourquoi les Américains pensaientils qu’ils avaient le droit d’occuper les bâtiments du gouvernement du condominium pendant la guerre ? 2. Observez la photo de la page précédente de Port-Vila en 1950. Burns, Philp et Ballande possèdent des entrepôts au bord de l’eau. Les maisons au premier plan se trouvent à l’emplacement du « General Store » aujourd’hui. Qu’est-ce qui est perceptiblement différent entre le port de Port-Vila de 1950 et celui d’aujourd’hui ? Littoral de Port-Vila en 1962, avant la construction du front de mer (Sanchez 1979 : 34). Les habitants de Port-Vila en train de célébrer la fête du 14 juillet (La fête nationale française). Après la guerre Après le départ des Américains des Nouvelles-Hébrides, Port-Vila devint plus tranquille qu’elle ne l’avait été depuis quelques années. Les responsables du condominium français et britannique purent récupérer les bâtiments du gouvernement et la vie continua dans la petite ville portuaire et endormie de Port-Vila. En 1951, un grand cyclone balaya l’archipel. Port-Vila fut rudement touché. Comme la plupart des constructions étaient en bois et en fer, de nombreux bâtiments en ville furent détruits. Par la suite, les édifices furent construits principalement en béton. La construction devint l’industrie principale de Port-Vila et des entreprises s’installèrent à la périphérie de la ville. La construction d’une partie du grand quai près d’Ifira (maintenant connu sous le nom de Star Wharf) débuta en 1963, mais les travaux ne commencèrent qu’en 1969. La plupart des nouvelles constructions dans la ville ne furent pas planifiées, et sans plan d’aménagement urbain, les structures anciennes se mélangeaient aux nouvelles. 104 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Dès les années 1960 et 1970, de plus en plus de Mélanésiens se déplacèrent vers Port-Vila afin de trouver un emploi. Ce flux migratoire engendra un nouvel essor du secteur de la construction à Port-Vila dans les années 1970. L’adoption du statut de paradis fiscal en 1971 encouragea l’implantation soudaine de banques, d’entreprises de constructions en ville. La plage où se trouve maintenant le Front de Mer fut transformée en terrain en 1974. L’hôpital central de Port-Vila fut construit en 1976 quand on déplaça l’hôpital britannique de l’île d’Iririki. L’essor des années 1970, l’expansion des zones urbaines et la transformation de Port-Vila (une ville européenne) en ville mélanésienne seront relatés en détail dans les chapitres « En route vers l’Indépendance » et « La jeune Nation ». Il est vrai que de nombreux changements se sont produits à Port-Vila pendant les années de guerre, mais la transformation la plus évidente se produisit à Santo. Nous allons maintenant voyager vers le nord et découvrir l’histoire de Luganville. Luganville Le canal entre Santo et Malo, connu sous le nom de Canal du Segond, était le principal port pour les planteurs de cette région. C’était essentiellement un centre de service pour les plantations de coprah et les villages le long de la côte sud et de la côte est de Santo. Ce port était situé sur une terre marécageuse. On lui donna le nom de Luganville, nom du capitaine d’un des premiers bateaux missionnaires à venir sur l’île dans les années 1880. En 1910, Felix Speiser estima qu’il y avait à peu près 150 Français vivant sur ses rivages. Les indigènes vivant près des plantations françaises furent pourtant en majorité décimés (Speiser 1913 : 35-7). Il n’y avait aucun bâtiment à l’est de la rivière Sarakata, sauf un magasin appartenant à un Français. La vie autour du Canal de Segond s’animait quand le bateau à vapeur, le Pacific, jetait l’ancre apportant « un goût de civilisation » (Speiser 1913 : 44). Les planteurs y chargeaient leurs marchandises, et des marchandises occidentales étaient achetées et vendues (couteaux, cartouches, poudre à canon, tabac, calicot, perles, etc.). Les passagers des autres îles à destination de Port-Vila ou de Sydney avaient l’habitude de fréquenter les planteurs de Santo. Les fêtes se poursuivaient souvent toute la nuit jusqu’à la fermeture du bar du bateau. Dans l’extrait ci-dessous de Peter Stone dans The Lady and the President (1997), nous apprenons comment était la vie avant l’arrivée des militaires américains à Santo du point de vue de Tom Harris, un planteur de longue date et résident de Santo. Harris, un Néo-zélandais calme et réservé, était à la fois planteur et agent de l’entreprise australienne Burns-Philp. On lui demanda de décrire Santo avant l’occupation des militaires et la guerre. M. Harris répondit que tous les déplacements se faisaient par bateau. Il n’y avait qu’une route digne de ce nom dans toute l’île — elle allait de la Délégation française jusqu’à la rivière de Sarakata. Et cette route fut construite à peu près un an avant l’arrivée des troupes américaines. Pour rendre visite à un voisin qui se trouvait à 400 mètres le long de la plage, on se déplaçait en bateau. En ce temps-là, il n’y avait pas d’éclairage électrique sur l’île. Les planteurs ne possédèrent leur propre groupe électrogène qu’un peu avant l’arrivée de l’armée. Le transport vers l’intérieur et vers les plantations se faisait grâce aux chars à bœufs… De plus, rendre visite à un voisin était assez délicat. Avant 1927, les planteurs ne voulaient pas tomber malades (Stone 1997 : 52). Croissance de Port-Vila et de Luganville de la fin des années 1800 aux années 1970 105 Le s in frastru ctu r es de Sant o Beaucoup de baraquements préfabriqués (les « Quonset huts » et les « Nissen huts »), faits de tôles ondulées en acier et en fer existent toujours sur l’île. On les reconnaît facilement à leur forme en demi-lune recouvrant une ossature en acier. Les grands baraquements (Quonset) pouvaient mesurer jusqu’à 30 m de long et 13 m de large, beaucoup possédaient un sol en ciment. On les utilisait comme entrepôts et garages. Les plus petits étaient connus sous le nom de « Nissen Hut » (13 m x 5 m de large). On les utilisait comme bureaux et dortoirs. Ils reposaient sur des pilotis en bois (surtout de cocotier), possédaient un plancher ainsi qu’un système d’isolation. De nombreux baraquements furent démantelés après la guerre et envoyés sur d’autres îles et même en Nouvelle-Zélande (Stone 1997 : 58). La plus grande partie de la base navale américaine près du « Pier Four » était constituée de « Quonset Hut » (quatrième quai) (Stone 1997 : 53). Questions de compréhension 1. D’où vient le nom de Luganville ? 2. Dans un dictionnaire, cherchez la définition de « décimé ». Dans le contexte de l’époque, qu’est-il arrivé aux indigènes vivant dans la zone appelée aujourd’hui Luganville ? Pour aller plus loin Effectuez la comparaison entre Luganville et Port-Vila pendant ces années ? Pourquoi ces deux villes étaient-elles différentes ? 106 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Les années de guerre Pendant la Seconde Guerre mondiale, la vie à Santo changea radicalement. C’était la fin des jours paisibles à attendre les bateaux à vapeur pour de petites distractions. En quelques jours, la petite communauté de Santo devint le quartier général de milliers de militaires américains. Les extraits suivants tirés du livre « The Lady and The President » (1997) décrivent Santo durant la guerre. L’impact sur l’environnement de l’île et sur les indigènes fut énorme. Avant l’arrivée des Américains, les routes n’existaient pas vraiment. La plupart des déplacements se faisaient en bateau ou à cheval. Les bateaux américains accostèrent à la lisière de la jungle. En deux mois, une base florissante s’établit à l’est de la rivière Sarakata, sur ce qui était auparavant un marécage vaseux. Très vite, la population de Santo s’accrut de 40 000 soldats en plus des 15 000 habitants déjà sur place. Santo pouvait se vanter d’avoir plus de services pendant la guerre que la plupart des villes américaines. Le réseau téléphonique comprenait 7 réseaux et 570 différents tableaux de distribution. Santo pouvait aussi se réjouir d’avoir un réseau de transmission téléscripteur à enclenchement, une station radio, des kilomètres de routes en bon état, 43 cinémas, un grand magasin, des magasins industriels de toute sorte, un laboratoire optique, quatre grands hôpitaux, une énorme blanchisserie à vapeur et pour combler le tout, un vrai temple maçonnique. Une salle à manger pouvait tenir et nourrir 1 000 hommes en une séance. Avec des milliers de soldats n’ayant nulle part où aller et de l’argent à dépenser, il était naturel qu’ils aient le désir de s’aventurer et d’essayer autre chose que la cuisine du campement. En un court laps de temps, de nombreux restaurants se développèrent à Santo et le bifteck devint le plat le plus populaire. Cela changeait de la routine des plats de la cantine militaire. Charles Grazziani, qui possédait une propriété sur la plage de Champagne Beach au nord de l’île, ouvrit un restaurant qui servait des biftecks. Il s’en sortait très bien… Des blanchisseries apparurent quasiment du jour au lendemain et les Indochinois tirèrent vite profit de ce commerce lucratif. Dès 1944, il y avait plus de 40 000 soldats en garnison permanente en plus des allées et venues des troupes en transit. Il dut y avoir en tout 500 000 hommes de passage à Santo tout au long de la guerre (Stone 1997 : 63). Questions de compréhension 1. Comment le personnel militaire américain a-t-il contribué au développement de Santo ? 2. Comment la population de Santo a-t-elle su tirer avantage de la présence de milliers de militaires dans l’île ? 3. Combien de militaires américains mirent probablement les pieds sur Santo au moment de la Seconde Guerre mondiale ? Santo après la guerre Quand les Américains quittèrent Santo, les bâtiments qu’ils avaient construits ne servirent plus à rien. Malgré cela, Santo continua d’être le centre commercial des îles du nord. Les plantations au nord s’élargirent, surtout avec les Indochinois qui venaient y Croissance de Port-Vila et de Luganville de la fin des années 1800 aux années 1970 107 travailler sous contrat. De même, les commerçants chinois ouvrirent leur commerce. Dick Hutchinson était officier dans l’administration du condominium de 1956 à 1972. Il était le Délégué britannique du condominium pour le district central I et le district du nord et était basé surtout à Santo. Dans l’extrait suivant, il décrit quelques personnages intéressants et originaux de Luganville. Il y avait une assez large communauté de Tahitiens à Santo. Le leader de ce groupe était Mao, dont le bar et son groupe musical étaient renommés dans les années 1960. La plupart des Tahitiens étaient protestants, mais n’avaient pas de pasteur… Après un certain temps, un ecclésiastique arriva enfin pour les servir… Georges Dennis était le directeur du grand magasin français à Santo, la Compagnie Française des Nouvelles-Hébrides (CFNH). À son arrivée, dans les années 1930, c’était encore un jeune homme. Quand les Américains débarquèrent en 1942, Georges se chargeait de l’approvisionnement en alcool pour la CFNH. Les Américains voulaient de l’alcool, mais avaient beaucoup d’essence. George voulait de l’essence, mais avait beaucoup de whisky. Un jour, il demanda à un Américain s’il était possible de conclure un marché — une caisse de whisky contre un fût de 44 gallons d’essence. « D’accord », dit l’Américain et ils firent échange sur la « route des munitions »… Il y avait aussi Marcel Marinacce, une autre figure française de Santo. Il possédait un bateau et pendant des années, il fit du commerce à travers les îles. Il fit fortune en vendant illicitement de l’alcool aux Néo-Hébridais. Un des stratagèmes favoris des contrebandiers était de diluer le vin algérien bon marché dans des fûts avec de l’eau de mer, avant de le vendre. Pourquoi de l’eau de mer ? Au contraire de l’eau douce, le vin algérien bon marché ne perdait pas sa couleur. Le risque d’être découvert était faible (Hutchinson dans Bresnihan and Woodward 2002 : 323). Luganville, second centre urbain du pays, n’était avant-guerre qu’un comptoir colonial vers lequel ont convergé diverses vagues de migration (colons européens, coolies et marchands asiatiques, main-d’œuvre océanienne et migrants des autres îles de l’archipel). Ces vagues migratoires se sont intensifiées après-guerre pour peupler les anciens camps américains et ont donné à Luganville, du point de vue de sa taille comme de ses infrastructures, sa véritable morphologie urbaine. Jusqu’à l’indépendance, Luganville était devenu le centre administratif condominial des îles du nord et le fief des colons français et des Mélanésiens francophones de la région. Le développement urbain soutenu des années 1950 et 1960 fut quelque peu freiné, durant les deux décennies suivantes, du fait de l’éloignement de Port-Vila, des faibles infrastructures de Santo et de son incapacité à avoir su bénéficier du boom économique néocalédonien du début des années 1970. Dans les années 1980, suite à la tentative de sécession de l’île lors de l’indépendance, Santo connut de sérieux bouleversements dans sa composition sociale. Le départ ou l’expulsion de nombreux colons et de Néo-Hébridais métis impliqués dans la rébellion de 1980 fut compensés par la venue de cadres et de travailleurs anglophones. Les habitants de Santo sont aujourd’hui d’origines très diverses. Ce trait est encore plus accentué pour Luganville dont 87 % des 7 000 habitants en 1989 (35,2 % en 1972) sont originaires d’autres îles ou de pays étrangers (Bill, 1995 ; Bonnemaison, 1977). Les plus fortes communautés sont constituées de groupes de migrants en provenance des îles voisines (fort contingent de gens d’Aoba, de Pentecost, de Mallicolo, des Banks et de Paama). Camille Gloannec était l’assistant du Délégué français du condominium dans le district du nord, de 1964 à 1969. Il décrit Santo : 108 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Appelé « Ouest Sauvage » des Nouvelles-Hébrides, Santo était le lieu de résidence et de travail d’une société multiethnique au sein de laquelle les divers groupes entretenaient d’habitude de bonnes relations entre eux. Contrairement aux Néo-Hébridais qui ne pouvaient pas avoir de nationalité par la Convention de 1906 et le Protocole de 1914, les métis de cette île étaient reconnus comme ressortissants d’une des deux puissances coloniales. C’est peutêtre la raison pour laquelle ils ne montraient pas de rancune envers les autres minorités. Les Wallisiens et les Futuniens… reçurent la citoyenneté française quand leurs îles devinrent un territoire d’outre-mer en juillet 1961. Et qui plus est, un certain nombre d’entre eux avaient été recrutés pour venir aux Nouvelles-Hébrides de 1959 jusqu’à 1962. Ils remplacèrent les Indochinois et les Tahitiens sur les plantations… Les insulaires des îles Gilbert étaient dans une certaine mesure la minorité la plus importante dans les plantations du Canal. Ils n’étaient pas supervisés par le Délégué français du condominium… Les Chinois sous le système juridique britannique venaient presque tous de Hong-Kong et jouèrent un grand rôle dans le commerce… Les pêcheurs japonais et coréens qui déposaient leurs prises à la « South Pacific Fishing Company » à Palekula… avaient choisi d’être britanniques… Les Européens… les Français métropolitains ou les Caldoches, les Anglais, les Australiens, les Belges, les Suisses et les Américains représentaient une classe très hétérogène. Ils étaient planteurs, éleveurs de bétail, marins du genre « beachcomber » (écumeurs de plages), recruteurs de travailleurs, négociants, employeurs, artisans, propriétaires de bars, restaurateurs, hôteliers, entrepreneurs, petits industriels… (Gloannec dans Bresnihan and Woodward 2002 : 255-6). Expression écrite Les Délégués du condominium décrivaient Santo comme étant une zone urbaine habitée par des gens de différentes nationalités. À votre avis, quel effet cela devait-il faire de vivre dans une communauté multiculturelle ? Écrivez une histoire sur une communauté de ce genre ou rédigez une composition sur les avantages et inconvénients de vivre dans une communauté multiculturelle. Plus en détail – voyage au bout du monde Charlene Gourguechon travaillait à New York comme chargée des relations publiques pour une compagnie théâtrale. Au début des années 1970, elle se rendit aux NouvellesHébrides avec son mari, Jean Gourguechon, et Kal Muller, un photographe. Ils passèrent beaucoup de temps à Mallicolo à découvrir les Big Nambas au nord de l’île et les Small Nambas au sud. Pour aller à Mallicolo, ils devaient passer par Santo et se sont ainsi familiarisés avec Luganville et ses excentricités. Dans son livre Voyage Au Bout Du Monde (1977), Gourguechon nous donne une description fantaisiste de la vie dans les îles. Dans l’extrait suivant, elle nous parle de sa première arrivée à Santo. Santo. Je suis éblouie, excitée. Une longue route bordée de cabanes et de baraquements « Quonset » éparpillés dans divers états pêle-mêle. La végétation luxuriante s’élance vers Croissance de Port-Vila et de Luganville de la fin des années 1800 aux années 1970 109 un soleil tout puissant. La route longe la côte. À un mile se trouve une autre île Aore, de bleu et de vert vêtue. Nous dépassons plusieurs voitures et quelques indigènes casqués sur leur moto. Les silhouettes noires marchant le long de la route se retournent chaque fois qu’un véhicule s’approche. C’est comme dans un film au ralenti. Tout est lent. Les gens ne semblent même pas se mouvoir. Je me penche en avant et donne une tape sur l’épaule de Kal. « Où est le centre-ville ? » « Ici même ! » La seconde ville de l’archipel — son centre commercial — et son centre-ville — on se croirait toujours en pleine brousse. Lo Po, Fun Kwan Chee et Wong, des magasins chinois, sombres et délabrés, bordent un sentier recouvert d’herbe qui par euphémisme pourrait être appelé un trottoir. Tous les bâtiments n’ont qu’un seul étage. Ce sont des structures en ciment qui semblent fières de leur propre laideur. Nous dépassons les délégations françaises et britanniques, perdues derrière les cocotiers, les bananiers et les bougainvilliers. Un bateau amarré au quai principal semble combler le vide… (Gourguechon 1977 : 12-13). Questions de compréhension 1. Quelle est la définition de « pêle-mêle » ? 2. Qu’est-ce qui surprend Gourguechon à Santo ? 3. Comment Gourguechon caractérise-t-elle le train de vie à Santo ? Trouvez la phrase qui l’illustre ? Port-Vila, et, dans une moindre mesure, Luganville étaient les zones urbaines du condominium. Les événements principaux de la lutte pour l’indépendance des îles se déroulèrent dans ces deux villes. Nous découvrirons les mouvements indépendantistes dans le chapitre suivant « En route vers l’indépendance ». 110 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois 111 chapitre cinq En route vers l’indépendance : 1970 à 1980 Introduction La République de Vanuatu fut proclamée le 30 juillet 1980. Mais comment s’est déroulée cette accession à la souveraineté semée d’embûches, après des décennies de gouvernement colonial ? Partisans d’une indépendance immédiate ou différée, une chose est sûre : les insulaires voulaient avoir des droits sur le foncier et voulaient décider de leur avenir. Ce désir d’autonomie et d’indépendance par rapport aux deux puissances coloniales s’est forgé sur plusieurs décennies d’oppression et d’exploitation. Il forme aujourd’hui le ciment d’une souveraineté nationale. A u t o n o m ie : indépendance, liberté I n d é p e n d a n c e : sans tutelle, libre arbitre La question de l’identité Qui suis-je ? Sous les ailes des ennemis jurés de l’histoire J’ai été trahi dans la demeure du protocole de 1914, Ma belle terre a été possédée par des imposteurs. Je suis ignorant de la sagacité occidentale, Mon futur est incertain, Pandémonium est un bon mot Pour mon prétendu gouvernement, Je désire ardemment le jour de l’amélioration. Je voyage à l’étranger avec une carte d’identité Car je suis apatride (sans-patrie) et n’ai aucun droit De faire appel à la cour suprême de mon pays. Qui suis-je, perdu dans cet océan de confusion ? Mon « tea taré » prend à peine le temps d’entendre mes plaintes Au moins, je peux encore nager Mais je ne veux pas m’échouer Dans le désert d’une République française du Pacifique. Qui suis-je ? Je suis le troisième citoyen de mon pays, Le seul condominium au monde. —Par Donald Kalpokas dans Some Modern Poetry from the New Hebrides (1975) S a ga c it é : perspicacité, clairvoyance t e a t a r é : l’homme blanc 112 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Lecture du journal francophone, Nabanga, avant les élections de 1979 (Archives Nationales, VKS). Juxtap oser : mettre à côté de ; contraster Avant l’indépendance du Vanuatu, il était difficile de définir l’identité des Néo-hébridais. La poésie de Donald Kalpokas reflète le sentiment dans les années 1970 des insulaires qui ne pouvaient pas s’exprimer dans le condominium franco-britannique. Cette crise d’identité est soulignée plusieurs fois dans la poésie « qui suis je ? » (Who am I ?). Les impacts de la christianisation et du condominium, qui étaient également les signes de l’influence culturelle française et britannique, avaient considérablement changé la vie traditionnelle des insulaires. Dans le volume 2 de cette série, nous avons évoqué les impacts de l’influence étrangère dans l’archipel. La culture traditionnelle a beaucoup souffert du vaste dépeuplement pendant les premières années de l’installation européenne (voir le chapitre « Un siècle de dépeuplement : 1820-1920 ») et l’encouragement des missionnaires à abandonner certaines pratiques coutumières (voir le chapitre « Le début de la christianisation dans l’archipel » dans le volume 2). Les cultures françaises, anglaises et chrétiennes se juxtaposaient aux cultures traditionnelles, générant une confusion d’identité et un sentiment d’impuissance à affirmer certains droits indigènes. En effet, les droits des insulaires n’étaient pas identiques à ceux des citoyens français et anglais. Aucun gouvernement ne se sentait responsable du bien-être des insulaires. En outre, les insulaires ne possédaient pas officiellement la citoyenneté d’un pays. Les cartes d’identité étaient la seule forme d’identification. La volonté de s’exprimer et de réclamer une identité spécifique alimenta la revendication d’indépendance. Pour aller plus loin Que signifie avoir une identité ? Décrivez-vous en quelques lignes, en détaillant les caractéristiques particulières qui vous rendent différent des autres. Vous possédez peut-être une compétence particulière, ou vous êtes exceptionnellement doué en sport ou en musique. Vous possédez peut-être des talents de créateur et vous êtes En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980 113 habile de vos mains. En quoi vos caractéristiques personnelles sont-elles différentes de celles de vos camarades ? L’enjeu foncier Les paragraphes suivants sont adaptés du livre de Marcellin Abong, « La pirogue du Dark Bush : aperçus critiques sur l’histoire du Nagriamel » (Port-Vila : VKS, 2008). La terre pour les Mélanésiens n’est pas un bien que l’on possède. Ce serait plutôt l’inverse : c’est la terre qui possède les hommes. A leurs yeux, elle ne peut être vendue étant donné les liens ancestraux et coutumiers qui les rattachent à elle. Dans les conceptions locales, la terre est comme une « mère » nourricière. Elle est inaliénable. Depuis des générations, les terres mélanésiennes ont été transmises d’une génération à l’autre. On pouvait certes, prêter des jardins, transmettre leur usufruit, mais en aucun cas les céder contre des valeurs monétaires. Les Européens de l’époque, tout comme leurs successeurs actuels, avaient un point de vue radicalement différent. Dans les conceptions occidentales, la terre représente, avant tout, une valeur économique. Une terre non exploitée ne présente à leurs yeux aucun intérêt. Dans nos îles, par exemple, ils en mesureraient la rentabilité par la taille des plantations de cocotiers qu’ils arrivaient à y développer. Toutefois, avant de conférer aux terres une valeur ajoutée, il s’agit prioritairement de s’en emparer, avant qu’un concurrent n’en revendique la propriété. Ce principe valait tout autant pour les puissances coloniales que pour les colons individuellement. Ainsi, jusqu’en 1960, qu’ils soient Anglais ou Français, les colons hébridais revendiquaient plus de 30 % de la totalité des superficies foncières de l’archipel. Des bruits couraient à Santo, comme quoi les colons allaient même jusqu’à acheter plus de terres qu’il n’en existait effectivement. A moins, bien sûr, de comptabiliser des superficies sous-marines. Les villageois de Mallicolo et de Santo, tout comme ceux des autres îles, manifestèrent alors leurs désaccords, refusant qu’on leur subtilise toujours davantage de terres coutumières. La terre est l’essence de la vie. Sans elle, un Mélanésien est condamné à « flotter ». Un homme sans connexion avec la terre est considéré sans racine, il n’est pas un « rili man » comme on dit en bislama, un « homme authentique ». Le géographe Joël Bonnemaison évoque cette condition en terme d’ « hommes lieux et d’hommes flottants » (Bonnemaison, 1986). Sethy Regenvanu, l’un des pères fondateurs du Vanuatu indépendant, qui fut également ministre dans plusieurs gouvernements, précise les choses ainsi : « La terre pour le Ni-Vanuatu ressemble à une mère par rapport à son enfant. C’est à travers la terre que le Ni-Vanuatu définit son identité et aussi par la terre qu’il maintient sa force spirituelle… La terre représente beaucoup plus qu’une simple marchandise qu’on achète et puis qu’après on rejette quand elle n’a plus de valeur. La terre représente une chose dont la valeur est intrinsèque car elle fait partie de son être et de sa vie. » (Regenvanu, 2004). Depuis que Quiros avait posé les pieds sur les rivages de cet archipel, tous les colons qui l’ont suivi essayèrent d’imposer à la fois leur propre idée de la propriété foncière et leurs conceptions bien particulières de la manière de s’approprier les terres. Ainsi, ils s’obstinèrent notamment à refuser de reconnaître la différence fondamentale entre le concept occidental et la vision indigène du lien à la terre. Ils n’accordèrent de crédit, qu’au principe scélérat et matérialiste « d’appropriation perpétuelle » des terres. 114 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Leurs méthodes n’étaient pas plus honnêtes que leurs intentions. Les Européens achetèrent de préférences des domaines situés sur les côtes. Leur monnaie d’échange était le plus souvent l’alcool et les fusils, quand il ne s’agissait pas simplement d’un peu de tabac. Ces marchandises bien peu recommandables n’en suscitent pas moins de fortes convoitises auprès des indigènes. Convoitises qui entraînèrent fréquemment des guerres entre tribus, occasionnant de nombreux morts. L’astuce était subtile : en distribuant toujours davantage de biens meurtriers, les indigènes faisaient le sale boulot à la place même des Européens. Et, à force de s’entretuer, il demeurait toujours moins de propriétaires fonciers indigènes, ce qui permettait aux colons d’accroître encore plus la taille de leur domaine, sans même avoir à payer quelque chose en échange. Dans le chapitre « Planteurs et plantations » du volume 2, nous nous sommes renseignés sur l’étendue des activités de spéculation foncière de la Société Française Nouvelles-Hébrides (SFNH, autrefois la CCNH) pendant les premières années de la colonisation européenne dans l’archipel. En 1980, 15,3 % de la surface foncière de notre archipel avaient été acquis par les colons français et anglais et étaient enregistrés par le Tribunal mixte comme titre de propriété à vie. Parmi ces 15,3 %, les Anglais et optants britanniques (personnes qui avaient choisi d’être assujetties aux lois britanniques) revendiquaient 3,1 % contre 12,2 % pour les Français et optants français (personnes qui avaient choisi d’être assujetties aux lois françaises) (Van Trease 1987 : 35). La réforme foncière fut le cri de ralliement. Pendant plus d’un siècle, le contexte politique favorisa en général les revendications foncières européennes (Crocombe 1970). Dans son livre intitulé « Land and Politics in the New Hebrides » (1974), l’indépendantiste Barak Sope a écrit : Temp orisat i o n : ajournement En racin er : prendre racine, fixer profondément Les décisions et les actions sur la question foncière vont dominer politiquement. L’administration du condominium a été très lente en présentant un système de baux (pluriel de bail) fonciers acceptable à la fois pour une minorité européenne [mais majoritaire politiquement] et la majorité mélanésienne [mais minoritaire politiquement]. La temporisation de l’administration a rendu les questions de terre plus sujettes aux pressions politiques. Des lois foncières révisées sont nécessaires, en tenant compte des vues des Néo-Hébridais et pas seulement concentrées sur les seules législations foncières françaises et britanniques, comme ce fut le cas dans le passé. Si les idées des Néo-Hébridais sont à nouveau ignorées, les Français et les Anglais malgré leur volonté ne réussiront jamais à imposer un nouveau système de baux aux masses indigènes. Les lois européennes ne doivent en aucun cas détruire les émotions profondément enracinées liant socialement la personne indigène à sa terre (Sope 1974 : 5). Dans les années 1970, la spéculation foncière étrangère allait bon train En 1967, un Américain du nom d’Eugene Peacock avait subdivisé de grands terrains sur Santo et vendait les parcelles principalement à des investisseurs sur Hawaï. En 1971, au moment où les travaux de débroussage et de travaux publics ont débuté, les gouvernements français et britannique ont convenu qu’une subdivision foncière mal contrôlée ne serait pas une bonne idée. Les terrains achetés par les investisseurs étrangers attireraient un grand nombre de migrants aux Nouvelles-Hébrides et les demandes de services gouvernementaux qui n’existaient pas encore dans les secteurs ruraux augmenteraient. L’immigration massive pouvait marginaliser la population indigène, en particulier par l’acquisition de biens fonciers. Le gouvernement français proposa une taxe sur les subdivisions et pour la première fois, les deux administrations tombèrent d’accord pour contrôler ensemble l’immigration des gens qui n’étaient ni Français ni Britanniques (Van Trease 1987 : 107). En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980 115 Pour aller plus loin 1. Pourquoi les enjeux fonciers devinrent-ils le cri de ralliement des NéoHébridais ? Quelles étaient les différences entre les points de vue européens et mélanésiens au sujet de la terre ? 2. « Les lois européennes ne doivent en aucun cas détruire les émotions profondément enracinées liant socialement la personne indigène à sa terre. » Réécrivez cette phrase avec vos propres mots. Comment peut-on relier cette phrase avec la réponse de la question 1 ? 3. Expliquez comment le fait de limiter les subdivisions des investisseurs étrangers et la régulation de l’immigration ont pu aider à protéger les terres indigènes dans les années 1970. Enquête Aujourd’hui, la spéculation foncière et la subdivision des terrains continuent, bien qu’elles se fassent maintenant avec des baux plutôt que des titres de propriété à vie. Avez-vous constaté cela dans votre région ? Quels pourraient être les sources de mécontentement de votre communauté si de grands espaces fonciers étaient subdivisés et vendus pour faire des habitations résidentielles ou d’autres activités ? Rappelez-vous, l’aliénation des terrains peut s’effectuer également avec le système de bail. Référez-vous au paragraphe « Les droits fonciers au Vanuatu » dans « La jeune nation » (ce volume) pour de plus amples informations sur ce sujet. Naissance du Nagriamel Ce sous-chapitre est adapté du livre de Marcellin Abong, « La pirogue du Dark Bush : aperçus critiques sur l’histoire du Nagriamel » (Port-Vila : VKS, 2008). On trouve à l’origine du lancement du Nagriamel un vaste processus de dépossession foncière des terres indigènes. Menée sur l’initiative des colons européens de Santo, cette entreprise prit de l’ampleur après-guerre, principalement du fait des routes carrossables qui avaient été ouvertes par les Américains en direction de l’intérieur de l’île, vers des zones évacuées de leurs populations de par leur proximité avec les camps militaires. Les terres les plus convoitées étaient celles se trouvant en amont de la rivière Sarakata, dans un domaine foncier connu sous le nom de « Luganville Estate ». La propriété de ce territoire fut attribuée, pour quatre-vingt-dix-neuf ans, à la Société Française des Nouvelles-Hébrides, par deux jugements du tribunal condominial en 1951 et 1959. L’initiative d’une contestation indigène fut prise, durant les années 1960, par Paul Buluk, « chef coutumier » de l’intérieur de Santo, qui réclamait des droits fonciers sur une partie des terres de la SFNH, et dont il entendait prouver qu’elles avaient été occupées par ses propres aïeuls. De là, date sa rencontre avec Jimmy Stevens qui fut, quelques années auparavant, conducteur de bulldozer. Il avait à ce titre procédé luimême, sur ordre de la compagnie qui l’embauchait, à la destruction des vestiges du village ancestral de Buluk, y compris les tombes des parents de ce dernier. Stevens avait été approché par les man-bush pour le témoignage qu’il pouvait rapporter sur sa participation à cette action. Les sollicitations de Buluk auprès de Stevens dépassèrent rapidement la demande d’un simple soutien. Elles se transformèrent en une proposition de prendre la tête d’un 116 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois mouvement indigène de revendication foncière. Comme chaque fois qu’il était question de la kastom, tout commençait par un « don » : « Lorsque je leur demandais de quel pouvoir ils disposaient pour revendiquer la terre (…), ils me répondirent, aucun, sinon leurs coutumes traditionnelles [traditional customs]. Mais ils ne savaient comment ils pouvaient les utiliser au mieux, et comptaient sur moi pour leur donner la solution » (Stevens, cité par Van Trease, 1987 : 139) La date exacte de la fondation du Nagriamel demeure mal connue. L’officialisation Jimmy Stevens, le premier chef du Nagriamel, écrit au sujet de son mouvement dans « New Hebrides : The Road to Independence » (1977 : 35-41). Le mouvement Nagriamel débuta en 1960. À cette époque, il ne s’appelait pas encore Nagriamel, mais simplement namele. Tous les hommes portant des feuilles de namele et les femmes avec les feuilles de nagria se réunirent et formèrent une voix — Nagriamel — 1963. La véritable signification du mouvement Nagriamel aujourd’hui [1977] et depuis le commencement n’est pas de faire partir l’homme blanc, ni de chasser les autres insulaires ni même de détruire n’importe quoi. Non. Mais c’est de trouver une manière de stopper la loi du Tribunal mixte, qui nous destituait de nos terres. En 1960, nous combattions pour deux choses : (1) l’intervention du Tribunal mixte pour récupérer nos terrains dans les limites connues par nos ancêtres et (2) le retour des villageois qui avaient été déplacés loin de leurs villages par les Américains (ainsi que par les puissances du condominium) pendant la guerre. En 1963, je fus élu comme chef et fus autorisé à parlementer avec les deux gouvernements. L’idée d’un quartier général ici à Fanafo était de créer quelque chose en dehors des deux gouvernements : un petit quartier général pour tous les indigènes. Quand nous sommes venus la première fois, c’était vraiment difficile, étant donné que toute cette zone était recouverte de brousse épaisse. Ce fut un travail collectif pour débroussailler la végétation et y installer des jardins. Fanafo est le siège central du mouvement Nagriamel, mais nous avons également d’autres petits sièges à Nduindui, Walurigi, Longana et sur Maewo. En 1968, je fus emprisonné pour des problèmes de terre. Je ne pouvais pas prendre un avocat à Port-Vila. J’avais lu dans la revue « Pacifique lsland Monthly » que les Fidji étaient en train d’accéder à l’indépendance et les avocats avaient joué un rôle important dans sa réalisation. Ainsi, chaque membre de Nagriamel rassembla l’argent nécessaire pour obtenir un avocat. Notre avocat, K.C. Ramrakha nous a dit qu’il ne serait pas simple de se débarrasser des deux gouvernements. En 1971, nous avons envoyé K.C. Ramrakha aux Nations Unies pour présenter notre pétition. Nous savions que quelque chose n’allait pas avec la loi des deux gouvernements, car elle n’avait jamais correctement fonctionné. En outre, rien n’était préparé pour une future indépendance de la population noire. En 1971, Nagriamel fut le premier mouvement organisé à œuvrer pour la décolonisation des Nouvelles-Hébrides en envoyant officiellement une pétition aux Nations Unies (ONU). En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980 117 Jimmy Stevens, le chef du mouvement Nagriamel, C. 1992. Photographie de Philippe Metois. du mouvement remonte à l’année 1965. Dans l’arrière salle d’un bar de Luganville, fut proclamé l’« Act of Dark Bush », pour énoncer le principe de la restitution des terres indigènes annexées et contester toute extension des plantations de colons français. Les quelques centaines de membres du mouvement, estimés pour la période qui précède les années 1970, adhérèrent au projet de Buluk et Stevens de s’installer à l’intérieur des limites du domaine contesté de la SFNH. Cette décision multiplia les conflits que Buluk avait ponctuellement déclenchés sous la forme de saccage des clôtures des plantations des colons. Pour de telles opérations, il avait déjà écopé de quelques mois de prison en 1964. Pourvu d’une charte fondatrice et de militants regroupés sur la base d’une propriété collective de la tenure foncière, il manquait au Nagriamel une assise territoriale. Il fut convenu de la nécessité de disposer d’un lieu symbolique et d’un territoire suffisamment grand pour permettre la fondation d’un nouveau type de communauté. Cette communauté devait se mettre au service d’une libération des indigènes, s’élever contre l’aliénation coloniale et préparer les opprimés du dark bush à leur émancipation politique. Cette communauté fut établie dans un coude de la rivière Sarakata et prit le nom de Fanafo. Le nom Fanafo, « panier de fruit » dans la langue locale, vint symboliser la richesse des terres destinées à nourrir les hommes du Nagriamel. Ce hameau passa rapidement à la taille d’un village et devint le quartier général de l’administration du Nagriamel. Cette installation fut décisive pour les succès ultérieurs que connut ce mouvement, notamment du point de vue de son expansion au-delà des limites de l’île de Santo. L’étymologie du nom Nagriamel provient des noms de deux plantes traditionnelles, nangaria (cordelyne fruticosa) et namele (cycas circinalis) : « La feuille de namele est notre tabou, notre loi, notre coutume, la feuille de nagria est notre sérénité, notre corps » (Stevens, cité par Beasant, 1984 : 17). 118 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois De la stratégie échafaudée par Jimmy Stevens à partir de la fondation d’un « quartier général des populations indigènes », il se dégagea une nécessité d’élargir la base du mouvement et d’obtenir les moyens de son engagement. Des circonstances favorables à la réussite du Nagriamel s’ouvrirent à Stevens au cours de sa condamnation, en 1968, à six mois de prison en compagnie de Buluk, suite à une tentative d’extension du village de Fanafo. Il mit à profit sa détention pour repenser ses perspectives. Il finit par se convaincre de la nécessité d’une politique d’ouverture du Nagriamel, en associant plusieurs facteurs : l’abandon résolu de l’anti-colonialisme français, dans la perspective d’un soutien de la France ; l’élargissement géographique du Nagriamel en direction des populations du nord de l’archipel et un plan favorisant leur émigration à Santo ; le renforcement de sa propre emprise sur le Nagriamel et la légitimation de son autorité par les man-bush sur une base coutumière. L’imposition de ces trois orientations visait à pérenniser ce mouvement, en ne l’enfermant pas dans la seule revendication foncière des man Santo. A cette époque, Stevens se cantonnait encore dans son rôle de conseiller au service des man-bush de Santo, représentés par Buluk. Mais il songeait déjà à représenter l’ensemble des Mélanésiens laissés pour compte du système colonial. L’idée de l’extension inter-insulaire du Nagriamel fut le déclencheur véritable de ses succès. Elle créa les circonstances favorables à une ascension de son leader. L’administration française saisit cette occasion pour mener des négociations avec Stevens. Un accord tacite fut trouvé sur la question de la redistribution de terres en possession de la SFNH. Mais au-delà d’un accord sur cette intention, qui ne se traduisit pas dans les faits avant 1975, ces compromis instaurèrent une reconnaissance réciproque de l’autorité coloniale française et de celle décrétée coutumière de Stevens. Ces connivences avec l’administration française allaient graduellement s’intensifier en direction d’une réelle coopération. L’étape suivante pour Stevens fut d’envisager la constitution d’une fédération politique des îles du Nord sous la bannière du Nagriamel. L’organisation du Nagriamel On assiste progressivement à une concentration du pouvoir entre les mains de Jimmy Stevens : Le Nagriamel n’est pas un parti. Le Nagriamel n’est pas la politique. Il est le cœur des hommes, il est leur coutume. Mais pour la faire briller de nouveau… il faut utiliser la bonne méthode… le Nagriamel existait avant moi. Mais il faut le réformer de nouveau – pour s’en emparer et l’emblématiser sur le drapeau que nous hisserons. Voilà mon travail. Les gens me demandèrent – nous voulons voir le Nagriamel s’élever pour les générations à venir. Je leur répondis que je ferai de mon mieux… (Stevens cité par Van Trease, 1987 : 160). Cette insistance portée sur la coutume, comme source de force et de revitalisation de la société mélanésienne, donna au Nagriamel sa pleine audience hors de Santo, et permit d’unir les partisans de Stevens une fois le problème des terres résolu, c’est-à-dire, une fois que les droits des Mélanésiens sur le bush inexploité furent reconnus. A Fanafo, « capitale du Nagriamel » dans la brousse de Santo, la population était estimée dans les années 1970 à cinq cents personnes (ce mouvement revendiquait, à cette époque quinze mille adhérents pour tout l’archipel). La singularité de ce village et de l’ambiance qui y régnait, tenait notamment à la diversité de sa population, en provenance de différentes îles. Regroupées en quartiers selon leur île d’origine et leur appartenance religieuse, habitant des cases construites suivant une architecture représentative des différents styles En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980 119 de l’archipel, ces communautés coexistent en gardant une certaine autonomie. Hormis certaines activités communautaires de la vie quotidienne, l’organisation collective de la production était essentiellement orientée autour des cultures commerciales (huile de palme, arachide), de l’exploitation forestière et des activités de métayage. La répartition des bénéfices était égalitaire. Stevens en recevait une part laissée à l’appréciation de chacun des membres, une autre supportait l’organisation administrative du Nagriamel. Ces prélèvements étaient plus élevés pour les membres du mouvement travaillant à l’extérieur de Fanafo. Ils étaient reversés à l’Union Board Office qui disposait d’un fichier de tous les travailleurs affiliés au Nagriamel. Sa principale fonction était d’organiser l’exploitation des terres consacrées aux productions agricoles commerciales. Les terres du Nagriamel Custom Territory – c’est-à-dire l’ensemble des terres vivrières des man-bush – étaient enregistrées par le Nagriamel Custom Land Trust Board. Le centre administratif de ces organismes était constitué par le quartier général du Nagriamel, un des seuls bâtiments en dur du village. La spécificité du Nagriamel est indissociable de la nature de son leadership, c’est-àdire de la manière dont Stevens conçut l’organisation administrative du mouvement pour conforter son pouvoir personnel. La hiérarchie exacerbée et le fédéralisme sont, dès le départ, deux fondements du mouvement. Derrière la position autocratique de Stevens se déroule tout un organigramme du mouvement obéissant à un ordre strict : « 1/ Chief President (Jimmy Stevens) 2/ Assistant Chief 3/ Land Owner (Buluk) 4/ Chief Comitee 5/ Comitee Members 6/ Secretary Comitee 7/ Union Secretary » ; suivent près de trente autres titres d’importance décroissante. A chacune de ces qualifications correspondait un badge, sur lequel était écrit le grade de son possesseur. Tous les man-bush de Santo étaient cependant tenus de s’appeler « frères », et « amis » lorsqu’il s’agissait des autres insulaires du mouvement. Le comité était l’organe de délibération rassemblant les représentants de chaque île, pour discuter de la vie au quotidien comme des grandes lignes politiques du mouvement. Il se déroulait suivant un protocole moderniste avec secrétaire et prise de notes, et servait également de tribunal coutumier ; chaque insulaire était jugé selon les traditions de Santo. Ce comité se décomposa par la suite en plusieurs organes de délibérations. Le « Land Comitee » était l’institution la plus englobante. Composé de vingt et un chefs coutumiers de Santo représentant les naked bush people, il fixait les règles du mouvement à l’égard des colons et des investisseurs étrangers sur les terres indigènes. Le Upper Comitee comportait quinze membres provenant des quinze îles que regroupait le Nagriamel. Sa fonction était de superviser l’application des projets approuvés par le Land Comitee. L’instance administrative supérieure, le Ten Head Comitee, détient le pouvoir exécutif et agit à la manière d’un gouvernement. Il ne comprend que des membres d’autres comités, reconnus aux rangs de « chefs coutumiers », et ayant vécu durant une période significative à Fanafo. Toute décision concernant la communauté de Fanafo était d’ailleurs du ressort de cette instance. Mais dans tous les cas de figure, les grandes orientations étaient d’abord prises par le Chief President avant d’être, le cas échéant, discutées par les divers comités. Les soutiens extérieurs du Nagriamel Les alliances extérieures du Nagriamel furent mises en place à la seule initiative de Stevens. Elles renforcèrent sa dérive autocratique sur le mouvement et, par extension, provoquèrent sa fuite en avant vers des menées séparatistes. Les premiers contacts extérieurs du Nagriamel furent pris avec André Leconte, un millionnaire néo-calédonien soucieux d’agrandir une de ses plantations à Santo. Ce premier rapprochement dévoila 120 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois une des nombreuses ambiguïtés de la stratégie de Stevens : combattre pour la protection de la tenure foncière indigène, tout en facilitant l’exploitation de ces mêmes terres par des investisseurs étrangers. L’alliance du Nagriamel avec Leconte fut également un test pour l’administration française dans sa stratégie de redistribution foncière et de reconquête de l’estime des Mélanésiens, par le développement des infrastructures et des administrations francophones. Après 1974, la redistribution des terres s’accéléra ; 8 800 hectares furent ainsi rendus jusqu’à la fin des années 1970. La construction de l’école et du dispensaire français à Fanafo a été réalisée de 1973 à 1974 (Van Trease, 1987 : 149). Une route traversant l’île vers le nord fut également ouverte de Fanafo à Matantas. Cette période correspond également pour le Nagriamel aux premières tentatives de Stevens d’adopter une attitude militante sur un plan international. En 1969, Stevens contacta les nationalistes fidjiens, qui jugèrent cependant le personnage peu crédible. Toutefois, l’inter-médiaire par lequel furent établis ces contacts, l’avocat indo-fidjien Karam Ramrakha, poursuivit pour le compte du Nagriamel des démarches auprès de l’ONU. Il présenta en 1971 une pétition au comité de décolonisation, condamnant le condominium et requérant une enquête sur les velléités d’indépendance à Santo. Stevens justifia cette démarche au Fiji Times : « Les indigènes se font emprisonner et, dans de nombreux cas, ils se voient menacés et chassés de leurs terres ». Stevens avait également traité, dès 1967, avec Eugène Peacock, un spéculateur terrien américain désireux d’investir aux Nouvelles-Hébrides. Ce fut là, une des alliances les plus retentissantes du Nagriamel. Peacock, commercialement basé à Hawaii, opérait sur une vaste échelle avec de gros moyens. Il avait acquis d’immenses superficies de terres, notamment à Santo. Son plan était de subdiviser ses propriétés en petites parcelles pour les revendre à des anciens combattants américains du Vietnam. Au cours des années 1970, les responsables du Nagriamel furent préoccupés par la concurrence du très récent National Party (NHNP) dans le domaine des revendications foncières. L’opposition du Nagriamel, indique Hours (1974 : 238), fut celle « des gens de la brousse par opposition aux indigènes les plus évolués, anglicans, scolarisés, employés ou petits fonctionnaires urbains, petits propriétaires, que sont les ‘cols blancs mélanésiens’ et l’amorce d’une petite bourgeoisie indigène politisée ». La requête du National Party à l’ONU, en 1974, en faveur d’une indépendance en 1977, mit le feu aux poudres. Elle décida de l’alliance du Nagriamel avec le parti des colons français de Santo – le Mouvement Autonome des Nouvelles-Hébrides (MANH) – et de ses rapprochements avec le mouvement John Frum de Tanna, l’Union des Communautés des Nouvelles-Hébrides (UCNH) et le parti francophone de Port-Vila. L’échec des Modérés aux premières élections générales de novembre 1975 et la piètre performance de l’alliance entre le MANH et le Nagriamel sur Santo amenèrent Peacock à abandonner ses dernières illusions, malgré sa participation à l’organisation de plusieurs démonstrations de force à Luganville en décembre de la même année. Celles-ci se solderont d’ailleurs par l’expulsion administrative de Peacock hors des NouvellesHébrides. Quant à Stevens, ces vicissitudes le poussèrent à s’orienter vers des menées toujours plus séparatistes. Les autorités coloniales ne réalisèrent que tardivement, au moment même où se déroulaient les premières manifestations violentes à Luganville que, parmi les soutiens étrangers les plus résolus à la cause de Stevens ne se trouvait pas le seul Peacock. L’aide la plus active au Nagriamel provenait, depuis le courant de l’année 1975, du milliardaire américain Michael Oliver et de sa Phœnix Foundation. Moses Olitsky de son vrai nom, Oliver était un juif lituanien, rescapé des camps nazis, qui fit fortune aux États-Unis, et mit celle-ci à contribution pour son indéfectible cause : la création d’un État associant des principes idéologiques libertaires et l’ultra-li- En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980 121 béralisme de l’économie de marché. L’influence d’Oliver sur Stevens et le soutien logistique apporté par la Phœnix Foundation permirent la constitution d’une Fédération des Communautés AutoGouvernées du Nagriamel le 27 décembre 1975, et la programmation de l’indépendance des îles du Nord. Cette fédération était censée inclure Santo et ses îlots, excepté le centre urbain de Luganville ; toutes les îles voisines, Aore, Lalo, Aoba, et Maewo ; toutes les îles appartenant au groupe des Banks et des Torres ; ainsi que tous les autres groupements des Nouvelles-Hébrides qui désiraient se joindre à la fédération, en tant que peuple libre et indépendant. Stevens avait préparé dans ce sens, avec l’aide des juristes de la Phœnix Foundation, une Constitution, et reçut également de cette organisation tous les symboles matériels d’un État souverain. Une monnaie fut frappée, des passeports et des exemplaire de la Constitution imprimés, un drapeau fut choisi. Radio Fanafo reçut des moyens techniques et une assistance pour étendre sa diffusion. Enfin, les transferts de fonds pour développer la structure administrative du Nagriamel et créer une banque fédérale se firent plus substantiels. Le Nagriamel différera à deux reprises sa déclaration d’indépendance, avant que cette revendication ne soit mise en veille jusqu’aux événements de 1980. Oliver fut, à son tour, expulsé, mais poursuivit son aide active au Nagriamel, dans la perspective de mener l’indépendance de Santo à son terme. Questions de compréhension 1. Nagriamel fut le premier parti à envoyer une pétition aux Nations Unies pour l’indépendance. Qu’est-ce qui était, d’après Stevens, à la base de cette pétition ? En d’autres termes, pourquoi le Nagriamel a-t-il estimé que l’indépendance était nécessaire ? 2. En vous basant sur le récit de Stevens, en plus de Santo, quelles îles faisaient partie du mouvement Nagriamel ? 3. Les soutiens étrangers du Nagriamel étaient-ils désintéressés ? La formation des partis politiques Depuis les débuts du condominium, les mouvements sociaux indigènes qui se sont manifestés jusqu’à l’indépendance intègrent une dimension politique de contestation des conséquences de l’ordre colonial, notamment en matière de spoliations foncières et du respect des croyances et des pratiques indigènes. Certain de ces mouvements ont subsisté à l’indépendance (John Frum, Nagriamel). Qu’ils se soient organisés en partis au cours de leur histoire, ne change rien à leur antériorité, en tant que mouvements coutumiers, à la naissance des partis politiques. Dans l’extrait suivant d’un des discours de Barak Sope lorsqu’il était Premier ministre, ce dernier présente John Frum et le Nagriamel comme les précurseurs des partis politiques contemporains du Vanuatu dans la lutte pour l’égalité des droits et l’autonomie politique : La première fois que je suis venu ici, à Sulphur Bay, j’étais encore à l’université et j’écrivais mon livre. Je suis venu parler avec le vieux Mweles et les autres anciens du mouvement John Frum. A cette époque, le Vanuaaku Pati n’était pas encore né, pas plus que le NUP Une pièce de monnaie frappée pour l’Etat du Vemerana par la Fondation Phoenix. Photographie de Ben Bohane. 122 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois [National United Party] ou tous les autres partis. Il n’en existait pas un seul. Seuls existaient les mouvements John Frum et Nagriamel. Et à l’époque, tous les anciens de ces mouvements avaient déjà discuté de l’indépendance, celle-là même dont nous disposons aujourd’hui… —Barak Sope, extrait d’un discours tenu à Sulphur Bay (Tanna), le 15 février 2000, recueilli et traduit par Tabani, 2008. Le contexte international au début des années 1970 Le constat des disfonctionnements répétés dans l’administration du condominium accéléra la prise de conscience de la nécessité d’une évolution juridique du condominium. La perspective d’une indépendance des Nouvelles-Hébrides fut anticipée par la GrandeBretagne dans le contexte de son désengagement des territoires sous son administration ou celle de l’Australie dans le Pacifique. Au moment où s’achève l’émancipation des colonies anglaises et françaises du continent africain, le premier pays océanien à accéder à l’indépendance est Samoa, en 1962. Puis ce sera le tour de Nauru (1968), des îles Fidji (1970), de la Papouasie-Nouvelle-Guinée (1975), des îles Salomon et Tuvalu (1978) et de Kiribati (1979). L’Angleterre et l’Australie ont parfois été présentées par la France comme ayant précipité l’accession à l’indépendance de pays du Pacifique pas suffisamment prêts, notamment du point de vue de la formation de leurs personnels politiques, pour gérer efficacement les destinées de leurs pays. Inversement, il fut reproché à la France de craindre une théorie des dominos : la perte des autres territoires océaniens : à commencer par la Nouvelle-Calédonie, puis la Polynésie française où étaient menés les essais nucléaires français depuis l’indépendance de l’Algérie (où ils avaient lieu auparavant.) Dès lors la position de la Grande-Bretagne sur les Nouvelles-Hébrides, à l’inverse de celle de la France, n’était pas de savoir s’il fallait ou non accorder une indépendance, mais à quel moment l’accorder. Au cours des années 1970, la France se résoudra à son tour à accepter l’idée d’une indépendance. Toutefois, certaines autorités administratives et certains francophones continuèrent à caresser jusqu’au bout, l’idée qu’un désengagement britannique était une chance pour la France de continuer à diriger seule les Nouvelles-Hébrides. Une conséquence de ces antagonismes fut de modeler la formation des partis politiques modernes du pays sur le clivage d’une opposition entre anglophones (soutenus par l’Angleterre et l’Australie) et francophones (soutenus par la France). Les premiers insistaient sur la proposition d’une indépendance immédiate et d’un pouvoir centralisé, les seconds favorisaient la perspective d’une indépendance différée et des structures constitutionnelles fédéralistes. Les premiers partis politiques : Le New Hebrides National Party (NHNP) trouve son origine dans une association, l’Association Culturelle des Nouvelles-Hébrides (ACNH), qui reprenant les grands che- Le s partis fr ancoph ones – les Modérés À la différence du NHNP, qui prônait une indépendance immédiate, ces partis politiques préconisaient une approche progressive, étape par étape, vers l’indépendance, proposant le milieu des années 1980 pour une indépendance totale. Leur approche modérée de l’indépendance leur valut cette description pendant la première élection de 1975. Ces partis étaient principalement francophones, à la fois indigènes et expatriés. En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980 123 vaux de bataille du Nagriamel, militait pour la restitution des terres aux Mélanésiens et pour la promotion de leur culture. L’ACNH était elle-même le fruit d’un rapprochement entre deux représentants de l’Eglise presbytérienne originaires de Lelepa, Donald Kalpokas et Peter Taurakoto, et d’un éminent pasteur de l’Eglise anglicane, le Révérendpère Walter Lini originaire du nord de Pentecôte. Tous les trois étaient favorables à la promotion d’une identité commune fondée sur la référence aux traditions mélanésiennes. Alors que certains de ses points de vue principaux pouvaient paraître similaires à ceux du Nagriamel, la stratégie de l’ACNH était fondée sur une vision de la coutume en harmonie avec les principes chrétiens et les besoins d’une organisation moderne. En juillet 1971, l’Association Culturelle des Nouvelles-Hébrides organisa une manifestation pour soutenir la récente législation condominiale interdisant les subdivisions foncières des grands domaines : 500 personnes défilèrent dans Port-Vila. Les protestations des Européens ne furent pas prises en compte, la loi ne fut pas modifiée, la subdivision des terrains prit fin et beaucoup de spéculateurs perdirent l’argent qu’ils avaient investi. Cette manifestation fut la première démonstration publique de l’ACNH… (MacClancy 2002 : 149). L’expérience du condominium avait démontré que les intérêts des insulaires n’étaient pas suffisamment protégés, en particulier en ce qui concerne les droits fonciers. Suite à l’élan recueilli par l’ACNH en secouant les gouvernements du condominium, la question de l’indépendance devint une force motrice importante et l’ACNH se transforma en parti politique. En août 1971, l’ACNH fut rebaptisé le New Hebrides National Party (NHNP). Quelques mois plus tard, ce parti fut soutenu par un millier de membres mélanésiens ; ces cadres politiques, en provenance essentiellement de Port-Vila et de Luganville (Sope 1977), étaient issus d’une classe moyenne anglophone en formation, qui avait bénéficié du réseau des églises protestantes pour leur éducation et leur ascension sociale. Le premier objectif du NHNP, tel qu’il est mentionné dans la constitution de ce parti en 1974 consiste à : « Favoriser, préserver, rétablir et encourager la culture des NéoHébridais. Chercher les progrès sociaux, éducatifs et politiques des Néo-Hébridais en relation avec la coutume et la civilisation occidentale ». En janvier 1977, au congrès de ce parti à Tautu, à Mallicolo, le New Hebrides National Party fut renommé le Vanua’aku Pati, signifiant « notre terre ». Si au moment de sa création, le VP était un parti clérical, anglophile, urbain et moderniste, son organisation bureaucratique lui permit également de prendre assez rapidement une orientation que Jupp et Sawer (1982) qualifient de « populiste ». Il avait, par ses affiliations religieuses, Vincent Boulekone, Kalkot MatasKelekele et Jean-Marie Leye c.1978 (Vanuatu 1980 : 181). 124 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Un long chemin en avant vers l’indépendance– le MANH Les Nouvelles-Hébrides auraient dû être indépendantes en 1984 ou 1985 — ce fut l’un des points principaux soulignés par les responsables du parti politique MANH pendant leur congrès de quatre jours tenu à différents endroits sur Ambae. Le représentant du MANH à l’Assemblée pour Luganville, M. Georges Cronsteadt, souligna ce point ; 1983 ou 1985 serait le bon moment pour l’indépendance, parce qu’alors les gens pourraient prendre les bonnes décisions pour eux-mêmes et être prêts à la fois politiquement et économiquement. L’indépendance économique doit survenir d’abord, ensuite vient l’autonomie et enfin l’indépendance. —New Hebrides News No.65 du 20 février 1977 des assises certaines dans le monde rural, dans lequel il a pu apparaître plus « grassroots » que ses concurrents francophones de la coalition dite des Modérés. « Le VP peut être qualifié de ‘populiste’ dans le sens où il réunit les leaders les plus cultivés qui disposent de partisans dans le monde rural (…) La majorité des délégués VP (ou des organisateurs de communautés locales), par le biais des Églises, des coopératives ou des écoles, s’occupent de l’agriculture des villages ou sont au service des communautés rurales. Seuls, le Nagriamel et les John Frum détiennent eux aussi la capacité d’organiser leurs partisans indigènes, et seulement dans des communautés bien précises » (Jupp et Sawer, 1982 : 562-563). Rapidement après sa création, le New Hebrides National Party afficha ses positions anti-françaises, tendance qu’il développa jusqu’à l’extrême au fur et à mesure des avancées vers l’indépendance. Dans le cadre du Forum du Pacifique Sud, Walter Lini, futur Premier ministre VP du Vanuatu indépendant, déclara en 1976 : « Nous condamnons vigoureusement l’attitude négligente de la France à l’égard des droits de l’homme des peuples du Pacifique. Aussi longtemps que la dernière des îles du Pacifique demeurera colonisée par la France, aucun d’entre nous ne sera libre » (Lini, cité par Plant, 1977 : 14). La question du bilinguisme, en recouvrant des clivages politiques et les intérêts postcoloniaux des puissances de tutelle, devint l’enjeu central de tous les antagonismes entre partis opposés. Le VP devint encore plus hostile aux intérêts français à partir du moment où certains de ses partisans, dont notamment le Mouvement Autonome des Nouvelles-Hébrides et le Nagriamel de Jimmy Stevens, s’engagèrent vers la sécession. Les parties francophones – Les Modérés Au début des années 1970, des expatriés francophones et des insulaires formèrent également des partis politiques pour représenter leurs intérêts. En décembre 1971, l’Union de la Population des Nouvelles-Hébrides (UPNH) fut formée par quelques colons français et plus de 200 Mélanésiens francophones. Il préconisait la continuation du condominium, avec l’accès à la citoyenneté française pour les Néo-hébridais francophones. En février 1974, une division interne du parti eut comme conséquence la formation d’un groupe détaché, l’Union des Communautés des Nouvelles-Hébrides (UCNH). Les Mélanésiens impliqués dans ce nouveau parti et certaines communautés étrangères préconisaient une approche progressive vers l’indépendance. En 1977, l’UCNH s’allia avec trois partis de Santo, le Tabwemasana (un parti à tendance francophone dont le centre était le village catholique de Port-Olry) et le Fren Melanesian Pati et un parti « coutumier » du Centre Brousse de Tanna appelé Kapiel, En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980 125 pour former la Tan-Union. Le Tan-Union réclamait un gouvernement interne autonome en 1978. En janvier 1974, le Mouvement Autonomiste des Nouvelles-Hébrides (MANH) fut formé. Il rassemblait principalement des planteurs français basés sur Santo et voulait créer une structure politique aux Nouvelles-Hébrides semblable à celle de NouvelleCalédonie et de Polynésie française. Il forma une alliance avec le Nagriamel en 1974 jusqu’à la rébellion en 1980 (Beasant 1984 : 28) connue sous le nom de « Fédération des indépendants » (FDI). Avant 1975, l’organisation la plus proche d’une institution représentative des insulaires et des colons était le Conseil consultatif. Cependant, les membres de ce Conseil étaient principalement désignés, plutôt qu’élus. En 1975, tous les partis indigènes récemment formés se présentèrent à la première élection d’une Assemblée représentative. Les résultats de cette élection, puis la dislocation de l’Assemblée représentative qui en fut issue, accentua les différences de stratégies entre les nationalistes anglophones du VP et les Modérés francophones. L’extrait suivant est tiré d’une entrevue avec Vincent Boulekone, un francophone impliqué dans la lutte pour l’indépendance. Il décrit les débuts de l’UCNH et les points de vue indépendantistes des Modérés. Inglan, hem i wantem go kwik, be Franis i stap long olfala sistem blong hem. Inglan i talem se, mi, mi save go. Franis i se no, mi stap. Sapos mi talem se bambae mi stap, bae yu no go. From mi tu bambae mi agri yet blong givim Indipendens long yufala. So tingting nao long ol franis man we i stap long ples ia oli luk se oli wik long ples ia. From Franis tufala i mas go. Folem Protocol we i stap. Long saed blong ol manples, plan blong olgeta se Indipendens bae i kam be i no mas kam kwik. I no long 1977. Bae yumi givim 10 yia mo. So, long ples ia nao i krietem smol clash bitwin ol grup blong manples. Wan i se kwik taem, Walter Lini i se 1977, narafala i talem se, ‘No, yumi go step-by-step.’ Olgeta we oli klem blong go step-by-step ia nao, olgeta ol Francophone. Ale, mi stap tok ia from se mi ia nao. Olsem, mi wetem Gerard Leymang. Yumi wok wetem ol waet man tu i kam wetem mifala. From naoia i nomo gat eni posibiliti. Mi askem long Franis Gavman mifala tu, bae mifala i mas aot. Emia nao mifala i krietem UCNH. Taem we UCNH i bon i gat ol Franis man i stap insaed. Mo i gat ol Inglis man tu i stap insaed. Ol plantas olsem Ernie Reid, mo Seagoe, mo ol man olsem. Long Luganville, Santo, i gat ol narafala plantas, ol Franis man mo Inglis man. Olgeta tu, be olgeta long we oli krietem wan narafala pati oli kolem MANH Pati. Long Vila, UCNH i bon. Fes toktok blong UCNH i se Vanuatu i mas karem Indipendens blong hem, be, step-bystep. Mi mi kam Secretary-General, evri samting nao mi stap raetem, polisi, ol tingting, olsem… [UCNH] i fomem wan gud komiuniti. I no minim se sakemaot evri man. Yufala ol waet man, ol haf-kas, ol sinua, yufala i mas pat blong tingting, yufala i mas kam pat blong niufala nasonel komiuniti we bambae i bon afta Indipendens. Evriwan bae i pat blong hem. Emia nao nem blong pati emi Union des Communautés des Nouvelles-Hébrides. —Entrevue par Anna Naupa, le 10 septembre 2004 Questions de compréhension 1. Quelle était la différence principale entre le NHNP et les partis modérés concernant leurs points de vue sur l’indépendance ? 2. Pourquoi la citoyenneté française aurait-elle été un moyen d’attirer les insulaires 126 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois pour rejoindre l’UPNH ? 3. Pourquoi est-il important pour des représentants d’être élus plutôt que nommés ? Activité de discussion Lisez l’article de journal concernant le MANH. En classe, organisez un débat pour savoir si l’indépendance économique aurait dû précéder (se produire avant) l’indépendance politique. La demande officielle d’indépendance La pétition aux Nations Unies En août 1973, le NHNP a envoyé une lettre aux Nations Unies, au gouvernement français et au gouvernement britannique pour exiger l’indépendance des NouvellesHébrides. L’extrait suivant est tiré de cette lettre : Le New Hebrides National Party se souciant de la vie humaine, du développement libre des indigènes des Nouvelles-Hébrides : • affirmequ’ilestimpératifpourl’avenirduterritoirequ’ildisposed’unsystèmedegouvernance qui lui permette de développer son autonomie et sa stabilité. • affirmequelesadministrationsbritanniquesetfrançaisesdoiventcesserimmédiatement leur influence sur le territoire. • affirme que les Nations Unies doivent immédiatement effectuer une mission aux Nouvelles-Hébrides pour étudier la possibilité de l’établissement d’un système de gouvernement en collaboration avec le New Hebrides National Party. • affirmequeladatedel’indépendanceseradécidéeaumoment,oùlanouvelleformede gouvernement existera et fonctionnera sous l’égide des Nations Unies. La Commission Spéciale des Nations Unies pour la Décolonisation adopta plusieurs résolutions lors de sa 931e réunion, le 6 août 1973. Certaines sont décrites ci-dessous : • LaCommissionSpécialeréaffirmeledroitinaliénabledupeupledesNouvelles-Hébrides à l’autodétermination conformément à la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays colonisés et aux peuples, citée dans la résolution 1514 de l’Assemblée générale (XV) du 14 décembre 1960. • La Commission Spéciale réitère son regret profond face au refus continu des puissances concernées, à savoir la France et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, de coopérer avec la Commission dans sa considération de la question des Nouvelles-Hébrides… • LaCommissionSpécialeestattristéedesavoirquelesintentionsdespuissancesparrapport au respect de l’avenir du territoire n’aient pas encore été formulées clairement. À ce propos, il est rappelé le souhait exprimé par l’administration britannique et par certains indigènes de transformer rapidement le Conseil consultatif en une assemblée législative et de créer une autorité exécutive locale… • Encequiconcernelesdroitsfonciers,laCommissionSpécialeconsidèrequelesdésirs des habitants indigènes de contrôler la vente de la terre doivent être respectés. Elle considère d’ailleurs que les responsables des transactions foncières devraient être désignés parmi la population indigène concernée. • La Commission Spéciale regrette que les conditions de scolarisation continuent à res- En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980 127 ter loin derrière les préoccupations territoriales. Elle invite les pouvoirs administratifs à considérer ce champ comme essentiel au développement des Nouvelles-Hébrides, car il permet de préparer le peuple à prendre des mesures positives vers l’autonomie et le développement économique. — rapport A/9023/Add. 5 de l’Assemblée générale des Nations Unies Pour aller plus loin 1. Examinez le champ lexical du rapport de l’ONU. Identifiez les mots qui démontrent le soutien de la Commission de l’ONU à une indépendance des Nouvelles-Hébrides. Quelle est la tonalité du rapport ? 2. Le dernier point du rapport évoque des inquiétudes dans le domaine de l’éducation. Le NHNP a également présenté des observations sur ce sujet. Pourquoi y avait-il une exigence d’éducation dans la lutte pour l’indépendance ? Plus en détail – la position de la France La position de la France à l’égard de ses territoires du Pacifique était liée directement aux décisions prises par le gouvernement du Général de Gaulle, devenu président de la République en 1958, selon lesquelles la tendance des colonies françaises dans le Pacifique à vouloir leur autodétermination et peutêtre leur indépendance, devait être inversée. Les territoires français dans le Pacifique étaient très importants pour les gaullistes qui cherchaient à renforcer et promouvoir la puissance et le prestige de la France dans les affaires du monde. Lorsque l’Algérie acquit son indépendance en 1962, la France a dû abandonner sa zone d’essais nucléaires située dans le Sahara et s’est alors tournée vers les îles reculées de la Polynésie française qui représentaient alors un candidat idéal. Les conséquences de cette nouvelle politique pour le Vanuatu furent immenses et permettent d’expliquer la réticence du gouvernement français à coopérer avec le gouvernement britannique dans le domaine foncier. Le Vanuatu n’était pas un territoire français mais simplement une zone d’administration mixte. Néanmoins, au cours des années 1960, le gouvernement français commença à appliquer une politique qui avait pour but d’accroître l’influence française au détriment des Britanniques et visait finalement à permettre à la France de s’implanter dans les îles du Vanuatu pour une durée illimitée. — Communication personnelle Howard Van Trease Questions de compréhension 1. Ce témoignage affirme que la volonté de la France était de garder aussi longtemps que possible les Nouvelles-Hébrides sous tutelle coloniale Que s’est-il finalement passé ? 2. Vouloir garder des territoires était-il, selon vous, la seule motivation de la France pour différer l’accession de l’indépendance des Nouvelles-Hébrides ? 3. Lorsque les français et les britanniques ont accordé l’indépendance au Vanuatu, 128 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois d’autres puissances étrangères les ont-elles remplacées pour assister le fonctionnement du nouvel Etat souverain ? Un soutien croissant L’Église et le mouvement indépendantiste La participation de l’Église au mouvement indépendantiste était directement liée au fait que les missions furent les vecteurs principaux de l’éducation des insulaires. Les gouvernements français et britanniques avaient été extrêmement négligents dans le domaine de l’éducation des insulaires en vue de leur autonomie, en dirigeant des écoles primaires pour expatriés pendant des décennies, tout en laissant les Églises responsables de l’instruction des Mélanésiens. Il a été reconnu qu’il y avait une opposition importante pour augmenter les opportunités scolaires des insulaires de la part de la communauté des planteurs français et de l’administration britannique qui n’avait pas confiance dans les capacités scolaires des insulaires (Van Trease, comm. pers. Octobre 2004). Le gouvernement français se sentait également menacé par la possibilité d’une élite instruite reconsidérant sa position de tiers dans le pays. Tous les dirigeants politiques du Vanuatu de cette époque devaient leur éducation aux Églises. Vers la fin des années 1960 et le début des années 1970, le clergé était le groupe mélanésien le plus instruit dans le pays. Ce lien entre Églises et éducation eut comme conséquence le soutien ecclésiastique en faveur de l’indépendance. Dans l’extrait suivant tiré du livre « Faire de deux pierres un coup » (2002), Jeremy MacClancy décrit la participation de l’Église au mouvement indépendantiste. Les Églises essayèrent d’adopter une position neutre vis-à-vis de ces mouvements politiques. En 1973, l’Église presbytérienne fut la première à déclarer publiquement son soutien en faveur d’une autonomie rapide. Trois ans plus tard, la Conférence des Églises de l’Assemblée du Pacifique se déclara défavorable à la poursuite du condominium et demanda instamment aux pouvoirs coloniaux d’accélérer le mouvement vers l’indépendance. Malgré les efforts de certains religieux, les gens mettaient en relation des Églises et des partis. Du coup, il était presque impossible de ne pas mélanger religion et politique. On pensait que presbytériens et anglicans soutenaient obligatoirement le NHNP, et les catholiques les partis modérés. (MacClancy 2002 : 151). L’Église anglicane et surtout l’ Église presbytérienne ont fourni au VP son modèle d’organisation et sa logistique. Le VP s’est appuyé sur ses réseaux nationaux et internationaux (notamment l’Église presbytérienne australienne et le World Council of Churches) (Huffer, 1993 : 77). La référence par le VP à une kastom expurgée de toute trace de paganisme permit de rassurer un certain nombre de communautés Seven Day Adventist et Church of Christ, et suscita à l’inverse, pour des raisons historiques et idéologiques, une forte opposition parmi les communautés et groupes affiliés aux mouvements John Frum et Nagriamel. A la veille de l’indépendance, Walter Lini rappela son attachement à l’Église, et le rôle qu’il espérait la voir jouer à l’avenir : L’Église doit-elle faire de la politique ? Ma réponse est oui. Elle doit faire de la politique car l’Église et la politique sont les deux faces d’une même médaille : l’existence de l’homme En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980 129 ou la vie de l’homme. L’Église est un corps qui doit élever les standards moraux de la justice. La politique influence le jugement moral en abolissant ce qui est ancien et injuste et en créant de nouvelles structures permettant de rendre les jugements équitables, pour que tout homme soit protégé de l’exploitation ou de la privation de ses droits comme être humain, et de même pour toute nation parmi les autres nations (...). L’Église doit faire de la politique, car son rôle aujourd’hui n’est pas tant concerné par les individus que par les gouvernements responsables du changement des système et des structures pour que justice se fasse. (Lini, 1980a : 19). Dans le « British Information Service Bulletin » (bulletin d’information britannique), « News in the New Hebrides », Père Gerard Leymang écrivit au sujet du « christianisme et de la politique » dans les mois précédant l’indépendance. L’extrait suivant est adapté de son article écrit dans la première parution du bulletin le 30 octobre 1979. Nous avons proclamé, dans le préambule de notre Constitution des Nouvelles-Hébrides, que « l’établissement de la République libre et unie des Nouvelles-Hébrides est fondé sur les valeurs mélanésiennes traditionnelles, la foi en Dieu et les principes chrétiens. ». Avant de laisser le gouvernement d’Unité Nationale et à la lumière de ce que j’ai éprouvé et entendu, permettez-moi de faire un certain nombre de commentaires personnels sur les principes chrétiens de notre Constitution. • L’indépendance de la religion par rapport à la politique : il existe une séparation entre les concepts politiques et le salut de Dieu. • La politique est indépendante de la religion : les situations politiques sont basées sur les faits et suivent une certaine méthodologie. Celles-ci [les méthodologies politiques] ne dépendent pas toutes de la religion, bien qu’elles doivent impliquer le respect d’autrui. Pour la foi chrétienne, il n’y a pas de Tabwemasana, pas de Vanua’aku Pati, mais plutôt des hommes, déchirés entre leur foi et leurs sentiments politiques. Certains répondront que notre coutume néo-hébridaise ne se différencie pas tellement finalement de la religion et de la politique… mais la distinction entre religion et politique est essentielle pour nous permettre d’éviter de refaire les erreurs que nous subissons aujourd’hui dans le Pacifique et aux Nouvelles-Hébrides. La participation de l’Église dans la politique des années 1970 a fourni un appui important au mouvement vers l’indépendance. Pour aller plus loin Pourquoi les presbytériens et les anglicans décidèrent-ils de soutenir le National Party et les catholiques de soutenir les « modérés » ? Activité de discussion En classe, organisez une discussion au sujet du rôle de la religion dans la politique. La première moitié de la classe plaidera pour la séparation de la religion et de l’Etat, l’autre moitié soutiendra l’utilisation de la religion dans la politique. Relisez l’opinion de Gérard Leymang pour en reprendre les grandes idées. Expressi on écrite Écrivez un essai au sujet du rôle de la religion dans la politique. Est-ce que M é t h o d o l o gie : manière de procéder 130 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois les pasteurs et les prêtres devraient être des chefs politiques ? Quels sont les avantages et les inconvénients de combiner Église et état ? Le rôle des médias : Redéfinition de la coutume Lissant Bolton, une anthropologue australienne, a écrit un article intitulé « Radio and the Redefinition of Kastom in Vanuatu » (1999) qui soutient le fait que la radio a joué un rôle significatif dans la promotion d’une identité nationale, par le biais d’un discours officiel sur les valeurs de la coutume. Alors que beaucoup de missionnaires et de fonctionnaires du gouvernement considéraient la coutume comme négative, dans les années 1970, Radio Vila a défendu le concept de la coutume comme une caractéristique importante pour la définition d’une identité nationale. La coutume (kastom) a uni les îles et a favorisé une identité qui était nettement différente de celle des puissances coloniales. Rh étorique : moyens de persuasion, art du discours, éloquence Des discussions concernant la coutume — débats au sujet de sa validité comme base de l’indépendance et pour savoir quel parti politique était le plus légitime pour représenter la coutume — furent diffusées sur les ondes radio. La coutume devint, à cette période, une partie de la rhétorique du nationalisme Néo-Hébridais, une façon pour les politiciens et les autres de caractériser la nation et d’en affirmer sa valeur et son importance. L’identification de la coutume comme caractéristique qui rend le Ni-Vanuatu différent joua même sur la façon dont la coutume elle-même était comprise… N’étant plus considérée comme une manifestation de l’obscurantisme et du paganisme, la coutume était définie non seulement comme bonne, mais aussi comme cruciale pour la caractérisation positive de la nation nouvellement indépendante. Cette caractérisation positive de la coutume atteignit son paroxysme en décembre 1979 avec le premier festival national des arts, qui eut lieu à Port-Vila. L’organisateur du festival, Godwin Ligo a indiqué que le festival « a provoqué une prise de conscience parmi les Ni-Vanuatu par rapport à l’importance et l’éclat de leur propre culture. Ils réalisèrent également l’importance de développer et de préserver la culture, la coutume et les traditions afin de renforcer l’identité nationale. Le premier festival des arts se déroula à un moment essentiel de l’histoire du Vanuatu et montra au monde son identité, qui était leur passeport à travers la porte de l’indépendance en tant que « Ni-Vanuatu » (Bolton 1999 : 350-351). Ambong Thompson est conservateur au département audiovisuel du Centre Culturel. Il travaillait pour le service d’information britannique basé à Port-Vila vers la fin des années 1970. Il aida à la diffusion d’émissions de radio qui dépeignaient la signification de l’indépendance. 1978 mi stap wok wetem British Gavman. Long taem ia i bin gat British Gavman, Franis Gavman mo condominium. Wok blong mi long taem ia, mi stap helpem hem blong sanem ol samting blong buk long ol skul blong British Gavman truaot ol aelan. I no bin gat tumas aepot long taem ia. Men transport we mifala i bin yusum blong sanem ol buk i go long aelan hem i sip. Long ‘79 i gat wan vacancy long British Information Service (BIS). Long taem ia i bin gat informesen sevis blong Franis Gavman tu. Mi bin aplae blong kam olsem Assistant Information Officer long BIS. Mi transfer ofis long infomesen sevis. Mifala we i wok long taem ia, i gat mi, Joe Carlo, Agnes Kalkoa, Bob Makin, Jonas Cullwick long Lolam Haos. Olgeta we oli wok long Franis infomesen, olgeta i bin wok long Franis Residency antap. En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980 131 Mifala i bin wok long 1979, taem ia tu olsem process blong kasem indipendens, wok i stap go hed. So, mi bin joenem infomesen sevis long taem ia mo oli stap tingting blong yusum Radio Niu Hebrides plante long saed blong indipendens. Oli wantem yusum radio plante blong putum ol infomesen insaed blong brodcastem ol infomesen ia i go aot long evri man aelan, blong mekem se oli awea se Vanuatu bae i kasem Independens. So mos long ol radio program mo interview we mifala i mekem long taem ia… mi stap tokabaot radio be taem ia tu i bin gat wan niuspepa we mifala i lukaotem we oli kolem ‘British Information Newspaper’… Radio Niu Hebrides long taem ia, wok blong hem i blong traem long mekem pipol i awea long infomesen long Indipendens. Olsem, plante pipol oli harem se bae yumi kasem indipendens be oli no save se indipendens hem i wanem, mo wanem process nao yumi mas go tru long hem blong kasem indipendens. — Entrevue par Anna Naupa, le 9 septembre 2004 Le service d’information français contribua également à la formation d’une conscience nationale basée sur la coutume. Paul Gardissat, un Français, rassembla des contes et légendes et les diffusait sur les ondes radio. Il inventa la phrase en bichelamar « kastom, kalja mo tradisen » comme jingle de son émission. Ses auditeurs lui envoyaient souvent des contes de leurs régions pour les partager avec le reste du pays via les ondes radio. Les histoires orales étaient également éditées dans le journal français, Nabanga. Son travail fut depuis compilé dans un livre intitulé Nabanga (2004). Questions de compréhension 1. Comment Bolton définit-elle la coutume ? 2. D’après Thompson, comment Radio New Hebrides fut-elle principalement utilisée en 1979 ? 3. Était-il facile de voyager dans tout l’archipel pour diffuser les informations ? Pour aller plus loin 1. Pourquoi la radio était-elle un des moyens les plus puissants et les plus efficaces pour transmettre une idée comme la nationalité ? 2. Pourquoi l’émission de radio de Paul Gardissat était-elle populaire dans les îles ? 3. Écoutez-vous la radio ? Quels sont les autres types de médias existants aujourd’hui au Vanuatu ? Quel genre d’information entendez-vous fréquemment ? Enquête Interrogez quelqu’un qui se rappelle avoir écouté la radio pendant les années précédant l’indépendance. Demandez-lui de rappeler ses souvenirs au sujet des différentes émissions et commentaires qui étaient diffusés sur la radio. La coutume dans le discours du Nagriamel Jimmy Stevens cherchait à faire de la coutume sa propre idéologie et de fonder sur elle la légitimité du Nagriamel : Le Nagriamel fait partie d’une fédération, d’un État que nous appelons Natakaro. Dans la Constitution du Nagriamel, Natakaro représente toutes les Nouvelles-Hébrides. Hélas, quand 132 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois les Blancs sont arrivés ici, ils ont remplacé le nom et la notion de Natakaro par ‘NouvellesHébrides’. Avant que les Blancs n’arrivent, il avait une loi que certains nommaient Natama ou Namangi qui excluait toute autre loi pour régir le pays » (Stevens, cité par Bernard, 1983 : 73). Stevens, tout en posant des revendications censées être démocratiques (que l’on retrouvait par exemple dans des slogans du type « individual rights for everybody » lancés en des occasions publiques par les membres du Nagriamel) (Beasant, 1984 : 61), cherchait à tout prix à conserver l’aspect communautaire du Nagriamel, en plaçant la coutume au-dessus de toute autre considération : « Si vous voyez quel-qu’un aller nu, cet homme est un des vôtres, vous peuple nu de Santo. Quelqu’un qui va nu, vous pouvez voter pour lui » (Stevens cité par Philibert, 1990b : 458). Il s’agissait pour Stevens de préserver les man-bush de la « politique » (politik), en assumant seulement lui-même cette « contagion ». Appliquée à des situations concrètes, la position de Stevens d’une individualité incarnant organiquement son peuple, lui permettait de justifier ses actes les plus arbitraires, comme par exemple l’expulsion de Mélanésiens originaires des autres îles : Parce que c’est la coutume. Natakaro a parlé ! Natakaro dit : ‘vous pouvez rester ici si vous vous conformez à la coutume, mais si vous voulez installer votre pouvoir contre la coutume, vous devez vite retourner chez vous’. Ceci n’est pas la déclaration d’un seul homme mais la voix de la coutume, de la coutume qui a toujours existé... Aussi, aujourd’hui, les gens qui habitent Santo doivent voter pour la coutume de Santo. S’ils veulent voter ‘politique’, ils doivent retourner chez les gens du Vanuaaku. Moi je crois que ce parti vient de NouvelleZélande et d’Australie, mais voilà, les Noirs ne peuvent pas aller vivre en Nouvelle-Zélande ou en Australie (Stevens, cité par Bernard, 1983 : 73). Le véritable tournant dans l’évolution politique du Nagriamel se situe vers 1976, lors de sa rupture définitive avec le Vanua’aku Pati et les élites occidentalisées émergentes. Le VP ne cessera, depuis ce moment, de dénoncer Jimmy Stevens pour avoir rejoint les Français, et réciproquement, ce dernier n’aura de cesse d’accuser les membres du VP d’avoir « quitté la coutume et rejoint l’homme blanc » (Van Trease, 1987 : 168). La fièvre de l’indépendance Man if estat i o n : démonstration collective, publique et organisée d’une opinion De plus en plus de manifestations Les années 1970 furent une décennie de protestations et de manifestations. Ce fut une période où les insulaires se rassemblèrent pour exprimer leurs opinions politiques, que ce soit sur les droits de l’homme, la politique ou encore les enjeux fonciers et sociaux. Dans l’ensemble des îles, les gens organisèrent des marches et manifestèrent pour leurs convictions politiques. Les manifestations sont une manière de faire évoluer les situations existantes. Avez-vous déjà participé à une marche ou connaissez-vous quelqu’un qui y a pris part ? Quelle en était la cause ? Qui organisait cette marche ? Quel en a été le résultat ? Qu’est-ce qui a été réalisé grâce à cette action collective ? En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980 133 Les gens d’Ifira dans la baie de Port-Vila furent impliqués dans des contestations foncières avec des colons du condominium durant les années 1960-1970. Ces conflits portant sur la terre étaient particulièrement importants étant donné l’implication de certains leaders du NHNP (Barak Sope et Kalkot Matas-Kelekele) et les intérêts fonciers à Port-Vila, le centre administratif des deux administrations coloniales (Van Trease 1987 : 204-205). Le 1er février 1977, 300 personnes originaires de South West Bay à Mallicolo manifestèrent et exigèrent la restitution des terrains coutumiers. Les habitants du village de Tautu au nord-est de Mallicolo protestèrent contre le développement de l’aéroport de Norsup sur des terres qu’elles considéraient malhonnêtement aliénées. Le 3 mars 1977, une double manifestation eut lieu à Port-Vila. Le Tan-Union et la FDI (Fédération Des Indépendants) organisèrent un rassemblement « pour sauvegarder nos avancées vers une indépendance sereine et paisible ». Le Vanua’aku Pati manifesta également pour soutenir les mêmes objectifs. Il y avait 1400 personnes dans les rues. Le 5 mars 1977, une protestation importante au sujet des terres se déroula à Mele (Efate). Un millier de villageois de Mele marchèrent pour revendiquer des terrains appartenant à l’Église catholique et en exiger la restitution à leurs propriétaires coutumiers (Plant 1977 : 117) Les terrains aliénés et les revendications foncières étaient souvent les causes des manifestations des années 1970. Les aliénations foncières les plus importantes s’étaient produites dans seulement quatre îles : Efate, Epi, Santo et Mallicolo. Néanmoins, les Mélanésiens, originaires de tout l’archipel et majoritairement affiliés à un parti politique, soutenaient les tentatives de reprise de contrôle des terrains perdus pendant la période coloniale. Les insulaires purent ainsi, à travers ces manifestations, exprimer leur volonté. Le A gauche : Manifestation pour la francophonie le 25 juin 1977. Ce fut la plus grande manifestation organisée pendant l’ère du condominium (MacClancy 2002 : 157). A droite : Manifestation des habitants de Mele en 1977 pour que la terre des alentours de Mele soit rendue à ses propriétaires traditionnels (MacClancy 2002 : 155). 134 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois fait d’être unis dans le soutien aux revendications foncières et à l’indépendance montra aux puissances coloniales le sérieux de leurs exigences. Frén ésie : agitation, fièvre Les inquiétudes des francophones La frénésie des partis politiques, la tension croissante entre anglophones et francophones et les déclarations fortes du Vanua’aku Pati sur la question de la langue, alimentèrent beaucoup les inquiétudes des insulaires francophones qui craignaient d’être mis de côté. Jeremy MacClancy (2002 : 140) a exposé leurs craintes : Puis à la mi-juin, le VAP proposa, lors de son sixième congrès, que l’Anglais soit la principale langue européenne d’enseignement dans les écoles primaires et secondaires. Horrifiés par les implications de cette proposition, les enseignants français, les parents des enfants et les anciens élèves des écoles françaises participèrent le 25 juin à la plus grande marche jamais organisée à Port-Vila : ils marchèrent du Monument aux Morts jusqu’au quartier général du VAP où ils essayèrent de soumettre une pétition. L aquais : serviteurs Le changement de nom du NHNP en Vanua’ aku Pati (VAP) en 1977 marqua l’intensification du dévouement de la part de ses meneurs politiques à reprendre les terres aliénées et à s’engager dans l’indépendance. Le VAP renforça également ses positions anti-françaises, considérant les Mélanésiens francophones comme les laquais de la puissance coloniale. Ce ressentiment ne fut pas la meilleure manière d’unir les Mélanésiens à une cause commune, et compliqua la lutte pour l’indépendance en dressant les uns contre les autres. Pour aller plus loin 1. Quelles étaient les implications de la proposition du VAP, qui effrayaient les francophones ? 2. Comment la dénonciation des Francophones a-telle pu affaiblir la lutte pour l’indépendance ? 3. Pourquoi le VAP a-t-il pris cette position ? Slogan et logo du Vanua’aku Pati. Activité de discussion À la suite des déclarations du sixième congrès et après la manifestation pour la francophonie, le VAP modifia sa politique et inclut le Français et l’Anglais comme langues principales d’enseignement dans les écoles. Aujourd’hui, le Vanuatu possède trois langues officielles : le Français, le Bichelamar et l’Anglais. Comment cela conditionne-t-il notre quotidien ? Le gouvernement provisoire du peuple (GPP) Le 29 novembre 1977, des élections furent tenues pour qu’une nouvelle assemblée législative remplace l’Assemblée représentative défaillante. Lorsque les gouvernements britanniques et français eurent refusé les exigences du Vanua’aku Pati de créer un vrai gouvernement autonome après des élections et un scrutin majoritaire (ainsi que l’abaissement de l’âge de vote à 18 ans), le VAP boycotta l’élection. Par conséquent, les En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980 135 puissances coloniales déclarèrent que tous les députés avaient été « élus sans contestations » et George Kalsakau d’Ifira fut choisi comme premier ministre. En réponse à ces événements, le VAP leva son drapeau le 29 novembre 1977 et proclama le gouvernement provisoire du Peuple (Beasant 1984 : 41). Le drapeau rouge et noir du GPP fut brandi dans les centres de l’ensemble des îles. Cela entraîna des frictions à Santo, où des protestataires brûlèrent le drapeau. À Port-Vila, les opposants au Vanua’aku Pati se rassemblèrent en dehors des bureaux du Parti pour les empêcher de lever le drapeau. Après des discussions prolongées avec les autorités de condominium, le VAP suspendit le GPP le 11 avril 1978. L’âge de vote fut abaissé à 18 ans, et le « Plan Dijoud », connu pour appeler à un Gouvernement d’Unité Nationale, fut adopté. Plus en détail – le Plan Dijoud L’extrait suivant est tiré de « The Santo Rebellion » (1984) de John Beasant et décrit la formation du « Plan Dijoud » en 1978. En août 1978, Paul Dijoud, le nouveau secrétaire d’État français pour les départements et territoires d’outre-mer, inspecta le condominium et fit une série de propositions qui furent rapidement connues comme le « Plan Dijoud ». Elles furent conçues pour débloquer l’impasse [entre les indépendantistes et les gouvernements français et britanniques], mais pour produire également un gouvernement et une constitution favorable aux intérêts français et francophones (Beasant 1984 : 42). L’extrait suivant de « The Politics of Land in Vanuatu » (1987) de Howard Van Trease décrit plus en détail le Plan Dijoud. Le Plan Dijoud […] requit : l’établissement d’un Gouvernement d’Unité Nationale, un nouveau recensement, l’écriture d’une Constitution qui garantit le régionalisme, la conservation de la langue et de la culture françaises, le concept de représentation proportionnelle dans la formation de l’Assemblée nationale pour la reconnaissance des droits des minorités et une nouvelle élection suivant le recensement (Van Trease 1987 : 232). Les Français bénéficieraient du plan, car il leur permettrait de protéger leurs intérêts. Les Anglais soutenaient le plan puisque le Gouvernement d’Unité Nationale incluait le Vanua’aku Pati dans le gouvernement et éviterait la menace d’un futur désordre et d’une indépendance retardée. Tous les partis politiques s’entendirent sur la création d’un Gouvernement d’Unité Nationale, bien que le Vanua’aku Pati discutait le fait que les nouvelles élections devaient être tenues avant que la Constitution ne soit rédigée de sorte qu’un corps représentatif l’approuve (Beasant 1984 : 42). Pour aller plus loin 1. Pourquoi était-il important d’effectuer un recensement avant l’élection ? 2. Comment le Plan Dijoud se rapporte-t-il aux inquiétudes francophones décrites auparavant dans le chapitre ? D é b l o q u e r : ouvrir la route, trouver une solution. 136 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Pour réaliser un Gouvernement d’Unité Nationale, un vote de censure fut organisé le 21 décembre 1978 contre Kalsakau. Le père Gérard Leymang fut choisi comme Premier Ministre, et un certain nombre de leaders du VAP obtinrent des postes de ministre. Ceci permit un remaniement ministériel du gouvernement de la Tan-Union élu en 1977. Dans un autre extrait, Beasant (1984 : 42) écrit : La discussion fut intense par rapport à la nomination du Premier Ministre et le nombre de ministères à attribuer au Vanua’aku Pati. Un accord fut, en fin de compte, conclu au début de décembre et dans les quinze jours le gouvernement de la Tan-Union fut démis par la motion de censure. Père Gerard Leymang de l’UCNH fut élu Premier Ministre et le Gouvernement d’Unité Nationale se composa de dix ministères, dont cinq donnés au Vanua’aku Pati. Les portefeuilles ministériels furent distribués de la façon suivante : Premier ministre Vice premier ministre et ministre des Affaires sociales Ministre des Finances Ministre des Affaires intérieures Ministre de l’Éducation Ministre de la Santé Ministre des Travaux publics Ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Tourisme Ministre des Transports et de la Communication Ministre des Ressources naturelles Gérard Leymang (UCNH) Walter Lini (VAP) Guy Prevot (UCNH) Maxime Carlot (UCNH) Donald Kalpokas (VAP) John Naupa (VAP) George Kalkoa (VAP) Aimé Malere (MANH) Luke Dini (UCNH) Thomas Reuben Seru (VAP) La Constitution fut publiquement signée le 5 octobre 1979. De nouvelles élections eurent lieu le 14 novembre de la même année. Plus en détail – la Constitution de la nouvelle nation Une des principales conditions du Plan Dijoud était l’écriture d’une Constitution précédant l’indépendance. La Commission de rédaction fut composée des représentants des différents partis nationaux. Chaque parti et groupement religieux dépéchèrent une délégation. Les puissances coloniales contribuèrent en dépêchant deux experts juridiques pour aider à la rédaction de la Constitution : le Français Charles Zorgbibe et le Britannique Yash Gai pour la Grande-Bretagne. La rédaction de la Constitution unit les meneurs des différents partis politiques qui étaient prêts à travailler ensemble pour le bien du pays, en dépit d’avis différents sur un certain nombre de questions principales. Comme le Chef Vincent Boulekone l’écrivit dans une lettre au président de l’UCNH, Jean-Marie Leye, par rapport à sa défection du parti en 1978 : Je veux travailler avec mes compatriotes et ne pas être un outil à leur disposition. Je me rends compte que les membres de l’UCNH ne soutiennent pas les aspirations des Mélanésiens qui cherchent à travailler et discuter avec leurs frères qui ne sont pas membres de l’Assemblée [c.-à-d. membres du VAP] (Van Trease 1987 : 232). En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980 137 Le cocktail de la constitution devait se tenir à 19 h au restaurant l’Houstalet. Mon mari me demanda d’être prête pour cette heure. Avec les autres épouses des leaders politiques, nous avons attendu et attendu. Mais le comité continua d’y travailler jusqu’au matin suivant, et arriva pour le petit-déjeuner. — Anne Naupa, septembre 2004 Père Gérard Leymang debout à droite du père Walter Lini pour la signature de la Constitution, le 5 octobre 1979 (Vanuatu 1980 : 189) Les mots de Boulekone signifiaient un changement d’opinion parmi certains dirigeants francophones. Les citations suivantes furent prononcées par des membres de la Commission de rédaction et leurs familles durant une conférence publique tenue au Campus Emalus de l’Université du Pacifique Sud (USP) à Port-Vila en l’honneur du 25ème anniversaire de la signature de la Constitution. Le nom Vanuatu (signifiant dans une des langues de l’archipel « le pays qui se tient La constitution fut écrite très rapidement, en environ 3 ou 4 mois. Elle est probablement la plus courte au monde ! —Kalkot Matas-Kelekele, septembre 2004 Ce fut un défi énorme d’écrire une constitution différente des deux systèmes gouvernementaux. Nous dûmes décider de la direction à prendre pour le pays. —Ati George Sokumanu, septembre 2004 J’étais une représentante de l’Église et de la société. Nous avons défendu les principes chrétiens des fondements des Nouvelles-Hébrides. —Madeleine Kalchichi, sept. 2004 138 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Nous eûmes des réunions et des discussions au sujet de l’ébauche chez Barak Sope à Malapoa, ces soirées se terminant souvent vers 2 h du matin. Quand le temps fut venu de présenter l’ébauche dans les îles, je partis pour Tongoa et les îles Shepherds avec le chef Kalsakau. Nous y allâmes en bateau, mais le moteur nous fit défaut et nous obligea à employer du bois de construction pour pagayer jusqu’à Tongoa ! —George Pakoa Tarimanu, septembre 2004 debout » ) de la nouvelle république fut choisi par le gouvernement pendant cette période. Quand une première ébauche de la Constitution fut achevée, elle fut présentée dans toutes les îles pour gagner le soutien de toutes les communautés. Chaque groupe se rendant dans les îles incluait des représentants de chaque affiliation politique et religieuse. Comme le jour de la signature de la Constitution approchait, la Commission de rédaction travailla dur, et ce, jusqu’à des heures tardives. La Constitution fut signée le 5 octobre 1979. Les gouvernements français et britanniques approuvèrent la Constitution rédigée par des insulaires. Les élections pouvaient désormais être tenues pour élire un nouveau gouvernement qui mènerait les Nouvelles-Hébrides à l’indépendance. Pour aller plus loin 1. La rédaction de la Constitution fut un travail difficile, en particulier parce qu’elle posait les règles de base du bon fonctionnement de la nouvelle nation. Pourquoi est-ce important pour une nation d’avoir une Constitution ? 2. Les membres de la Commission de rédaction ont présenté l’ébauche de la Constitution dans toutes les îles. Pourquoi était-ce nécessaire de le faire ? 3. La rédaction de la Constitution incluait à la fois les avis de certains francophones et des anglophones, c’était une étape préalable requise pour conduire à la formation d’une nouvelle nation. Si vous deviez lister les différentes branches de la société vanuataise qui devraient être représentées pour n’importe lequel des amendements à la Constitution aujourd’hui, qui incluriez-vous ? L’élection de novembre 1979 et ses conséquences L’élection se déroula le 14 novembre 1979. Presque deux ans, jour pour jour, après l’instauration du Gouvernement Provisoire du Peuple par le Vanua’aku Pati, Walter Lini fut élu Premier Ministre à une majorité des deux tiers. Le VAP remporta 26 des 39 sièges à l’Assemblée avec un total de 62.3 % des suffrages. Cette majorité des deux tiers lui donnait le pouvoir de changer la Constitution s’il le souhaitait. Chose intéressante, le gouvernement français, bien qu’il s’attendait à voir les francophones remporter les élections, exigea plus tard des révisions de la Constitution qu’il avait pourtant approuvée en octobre 1979. A Tanna, le rapport de force avait toujours été en faveur des coutumiers. Néanmoins, lors du vote de l’assemblée constituante en 1979, l’engagement désordonné des trois En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980 139 Poster de la campagne du NHNP. Collection John Naupa. partis locaux membres de l’alliance des Modérés à cette échéance électorale (John Frum, Kapiel, Kastom) précipita la victoire des nationalistes du VAP. De par leur défaite, les groupes coutumiers allaient prendre une orientation qui s’apparentait bien davantage à une sédition à l’autorité du gouvernement central, qu’à une véritable tentative de sécession. Le dénouement en fut, dans l’île, la rébellion de mai/juin 1980. La rébellion débuta par la capture des délégués régionaux du gouvernement, le 25 mai 1980, et fut suivie d’une opération armée de la milice britannique. Cette situation explosive déboucha sur une tentative d’assaut du siège de l’administration à Isangel, soldée par un affrontement armé, des blessés et la mort d’Alexis Yolou, le leader des Modérés. Ces événements marquèrent la fin de l’expansion du mouvement des partisans de la kastom, en direction d’une légalité politique sur des bases autonomistes. La répression qui s’ensuivit, s’exerça à la fois, à l’encontre des cadres politiques francophones engagés aux côtés des coutumiers (condamnation à un an d’emprisonnement du Président Jean-Marie Leye) et des leaders John Frum (condamnation du député Kapiel, Charlie Nako). La responsabilité des heurts incomba au seul camp des vaincus. Les peines furent nombreuses mais, somme toute modérées. Ce souci d’apaisement ne valait cependant pas sur un plan verbal. Les païens et John Frum furent qualifiés, par le nouveau gouvernement, de terroristes, et les francophones, en général, d’agents du colonialisme français : Des gens ont utilisé l’idée de « coutume » pour entièrement contredire les idées de développement et de démocratie dans ce pays. A Santo et Tanna la coutume a été portée à des extrêmes par des gens qui revendiquaient de façon erronée leur respect des voies traditionnelles. En devenant entre leurs mains une arme politique, ils en font quelque chose de plus du tout mélanésien […] Ce qui s’est passé à Santo et Tanna a clairement démontré au peuple 140 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois des Nouvelles-Hébrides, qu’au travers de leur opposition à l’indépendance, les soi-disant Modérés ne sont vraiment pas des modérés. Ils sont des terroristes assoiffés de pouvoir, qui ne toléreront aucun système démocratique (Lini, 1980a : 42). Sécession n i s te : indépendantiste, autonomiste La mort de Yolou fut exploitée dans chaque camp, mais ne profita véritablement qu’aux seuls nationalistes, alors qu’elle aurait très bien pu conduire au renversement du gouvernement VAP. Au même moment, Jimmy Stevens lança un mouvement sécessionniste à Santo et déclara que le Vemarana, le nouveau nom de l’État de Santo, suivrait sa propre route pour l’indépendance. Il réclama que Tanna fasse également sécession des Nouvelles-Hébrides de la même manière (Beasant 1984 : 80). La rébellion de Santo Jimmy Stevens et le Nagramiel à Fanafo, 1980 (Shears 1980 : 58). Dans la période de transition qui devait mener les Nouvelles-Hébrides à l’indépendance, la France encouragea l’hypothèse d’une structure largement confédérale de la future république. Celle-ci devait laisser ouverte la voie d’une étroite association de cet archipel avec la Nouvelle-Calédonie, afin d’éviter tout effet de contamination indépendantiste sur les autres territoires du Pacifique, et garantir ainsi le programme d’expérimentations nucléaires français en Polynésie. Parmi les sympathisants du VP, les autorités françaises furent soupçonnées, du fait de leur soutien à l’idée d’une confédération, d’encourager une possible sécession de Santo. Pour le moins, les autorités françaises furent fidèlement informées des plans de Stevens, puisque lors de sa visite à Paris au premier trimestre de 1980 en compagnie de Michael Oliver, chez qui il venait de séjourner à Carson City, Stevens donna à Paul Dijoud, secrétaire d’État aux DOMTOM, les gages d’une association de Santo avec la Nouvelle-Calédonie. Il lui remit un exemplaire de la Constitution de Natakaro signifiant une partition des quinze îles du nord des Nouvelles-Hébrides (Beasant, 1984 : 68). Le Nagriamel et la sécession de Santo La Phœnix Foundation continua pour sa part à participer de loin aux menées séparatistes du Nagriamel, en l’intégrant dans un réseau d’influences internationales autour du cas de Santo, et en finançant l’encadrement administratif du Nagriamel. La manifestation la plus médiatique de cette collaboration fut le plan monté par Oliver pour transférer, sous l’égide de l’organisation Fatima International, 100 000 boat peoples vietnamiens à Santo. Dans ce fouillis d’alliances tacites et de collaborations déclarées, de spéculations diverses, d’entreprises coloniales sans véritable coordination, les élections de 1979 viendront faire l’effet d’un coup de pied dans la fourmilière. Les alliés du Nagriamel furent mis devant le fait accompli quant à l’échec de leur stratégie légaliste. Les autorités françaises elles-mêmes en vinrent, dès ce moment, à s’accorder sur un double langage, acceptant la perspective d’une indépendance sous l’autorité d’élites anglophones, tout en laissant ouvertes les solutions les plus extrêmes dans l’intention de préserver divers intérêts, plus ou moins incompatibles (ceux des petits colons à court terme, de la position de la France dans le Pacifique à moyen terme et du maintien de la francophonie à long terme). La perte de ces élections provoqua un véritable choc dans le camp francophone. La situation se dégrada très vite. Dans les heures qui suivirent son annonce, les premières En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980 141 réactions se firent entendre à Santo : Jimmy Stevens déclara sur Radio Fanafo que les élections avaient été truquées et proféra un certain nombre de menaces à l’intention des membres du VP résidant à Santo. Les démonstrations de force et les intimidations du Nagriamel et du parti Tabwemassana envers leurs opposants politiques se déchaînèrent. Les francophones et leurs infrastructures furent totalement épargnés des saccages que subirent les antennes administratives et les locaux commerciaux des anglophones. Tout envoi de troupes fut bloqué par l’inspecteur général Robert, contre l’avis des Britanniques et des leaders du VP. Cette opposition des autorités françaises à toute intervention armée sur Santo persista durant les six mois suivants, jusqu’à la veille de l’indépendance du pays en juillet 1980. Toutes les discussions et les tentatives de conciliation qui se succédèrent, semaine après semaine, échouèrent. Stevens évita autant qu’il put ces négociations (bien qu’il accompagna fin février la délégation des partis Modérés à Paris) et déclara, dès janvier 1980, que la voie d’une indépendance séparée pour les îles de Santo et Tanna était désormais un fait irréversible. Le 21 janvier, il somma l’administration britannique d’interrompre ses activités à Santo et donna sept jours à ses fonctionnaires pour quitter l’île (Beasant, 1984 : 80). La réplique du gouvernement central à la proclamation d’un gouvernement de la République de Vemarana à Santo fin janvier se fit attendre jusqu’à début mai, et prit la forme d’une décision du conseil des ministres fixant le 30 juillet 1980 comme date ultime pour l’indépendance. Cette décision engendra en retour, dans la nuit du 27 mai, le saccage du centre administratif britannique, des prises d’otages et le vol de munitions et de dynamite par les sympathisants du Nagriamel. En cette occasion, ils s’emparèrent de la municipalité de Luganville. Cette nuit agitée fut suivie au petit matin par un discours de Stevens sur Radio Fanafo rebaptisée, entre-temps, du nom de Radio Vemarana : Ceci est la voie de la délivrance et de la liberté, protégée et défendue par le gouvernement de la Fédération Indépendante du Nagriamel, Santo, Nouvelles-Hébrides. Ceci est le service de radiodiffusion situé approximativement à 25° de latitude sud et 168° de longitude ouest de la planète terre ou Urantia, sous les limbes de la Voie lactée. Aujourd’hui est né le Vemarana. Les gens de Santo lui ont donné ce nom et les gens de Santo travaillent pour son administration. Venez rejoindre le Vemarana, quelle que soit votre race, pour tous ensemble aider le gouvernement de Vemarana à quitter le pays de Vanuatu. Le Nagriamel fut indépendant dès 1976, alors que, si nous avons bien compris, l’indépendance du gouvernement de Vanuatu ne prendra effet qu’en juillet 1980. Soyez vigilants, car le Vanuatu indépendant n’est pas la même chose que le Vemarana indépendant (Stevens, cité par Beasant, 1984 : 94). Walter Lini accusa les Français de soutenir la rébellion. L’extrait suivant est tiré de « The Politics of Land in Vanuatu » (1987) écrit par de Howard Van Trease. Il donne quelques détails : Il était évident que les fonctionnaires français connaissaient entièrement les plans de leurs propres ressortissants et leur rébellion contre le gouvernement Lini et les encourageaient activement dans leurs efforts… Aucun des dirigeants et du personnel français ne fut attaqué pendant cette rébellion et n’entreprit quelque chose à l’encontre des activités de ceux qui y étaient impliqués. D’ailleurs, la Résidence de France maintenait le contact avec les rebelles et ses fonctionnaires à Santo par radio que le gouvernement du Vemarana autorisa pendant toute la durée du soulèvement. Le Commissaire Résident français […] approuvait pleinement le concept de créer un gouvernement autonome pour Santo et avait annoncé publiquement que les forces françaises seraient déployées à partir de Nouméa pour contrecarrer la mobili- 142 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois sation d’une armée volontaire des VAP. Il est donc prouvé de façon accablante que les officiers supérieurs de la Résidence de France étaient entièrement impliqués dans la rébellion sécessionniste, notamment en soutenant les colons et les commerçants français ainsi que la population métissée de Santo (Van Trease 1987 : 254-255). Le gouvernement français nia toute participation dans ce conflit, mais Lini exigea une action militaire française et britannique pour apaiser la rébellion (Shears 1980 : 49). À ce moment, le Vanuatu n’était pas encore indépendant et devait compter sur la puissance militaire des gouvernements français et britannique. Questions de compréhension 1. En vous basant sur les commentaires des colons, décrivez l’attitude de certains Français envers la rébellion de Santo. 2. Pourquoi le gouvernement des Nouvelles-Hébrides indiqua-t-il seulement aux Anglais d’évacuer l’île ? 3. La rébellion fut-elle violente ? Enquête Interrogez quelqu’un qui se rappelle la période de la rébellion de Santo. Où était cette personne quand la rébellion a éclaté ? Comment a-t-elle été informée de la rébellion ? Quelles nouvelles étaient diffusées au sujet des événements de Santo ? Quel était le point de vue commun au moment du soulèvement de Santo ? La répression des partisans du Vemarana Dans les jours qui suivirent, le gouvernement élu de Vanuatu décréta un blocus total de Santo, décision qui entraîna le départ de l’île de 2 000 résidents britanniques et mélanésiens anglophones. Le 2 juin, fut composé un Cabinet du Vemarana. Le 6 juin, Stevens ordonna la libération de tous les otages. Durant tout le mois, la capitale, PortVila, connut à son tour une aggravation des tensions, suite à une grande manifestation des francophones. Divers signes d’émergence d’une dissidence violente furent relevés. Cette situation entraîna l’arrivée en renfort, le 15 juin à Port-Vila, de 200 Marines anglais, après que la France envoya 55 gardes mobiles. Ces manœuvres renforcèrent un climat devenu anxiogène. Les jours précédents avaient en effet vu éclater de nouveaux troubles à Tanna, en juin, marqués par l’assassinat de Yolou. A Santo par contre, le Vemarana connut deux mois d’indépendance effective. Les administrations furent réouvertes, les fonctionnaires payés et le blocus largement contourné, grâce à une logistique assurée par ses nombreux soutiens néo-calédoniens. Mais avec l’approche de la date fatidique, et sous la pression des manifestations du VP soutenue par les Britanniques, il fut exigé par Andrew Stuart, délégué de la Reine d’Angleterre, que les délais pour une indépendance le 30 juillet soient tenus. Le 14 juin, Walter Lini assista, en tant que chef du gouvernement légitime, au Forum du Pacifique Sud à Tarawa (Kiribati) et signa le 17 avec les autorités de PNG un accord sur une intervention de leurs troupes à Santo pour y réduire la sécession. En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980 143 Plus en détail – L’arrivée des troupes papoues En l’absence de soutien de la Grande-Bretagne et de la France, une inquiétude grandissait quant à savoir si l’indépendance aurait lieu comme prévu le 30 juillet. Avec le peu d’options qu’il lui restait, Lini participa au forum des îles du Pacifique qui eut lieu à Kiribati au début juillet. Le forum donna son soutien unanime à l’indépendance du Vanuatu en date du 30 juillet 1980, et Lini fut en mesure de rencontrer les premiers ministres de Papouasie Nouvelle-Guinée et d’Australie. Ces deux derniers acceptèrent de soutenir le Vanuatu afin de mettre fin à la rébellion une fois l’indépendance obtenue, si la situation ne se réglait pas (si le calme ne revenait pas). La Papouasie Nouvelle-Guinée fournit des troupes et l’Australie un support logistique. Lini n’eut d’autre choix que d’accepter cette aide extérieure puisque la Grande-Bretagne, tout comme la France, refusait de remplir son obligation de maintien de l’ordre. —Communication personnelle Howard Van Trease Troupes de la Kumul Force arrivant à Santo (Shears 1980 : 166). Devant la tournure prise par les événements, l’intransigeance des colons de Santo et la détermination du Nagriamel, les autorités françaises réalisèrent que toute tentative de sécession était désormais vaine. Aussi, Britanniques et Français s’entendirent sur un rétablissement de l’ordre à Santo avant le 30 juillet, au moyen d’un contingent mixte de 100 Marines et de 100 parachutistes, même si les Français justifiaient leur décision au nom de la seule protection de leurs ressortissants, et se refusaient à envisager une quelconque répression. L’envoi à Luganville d’une troupe conjointe, placée sous commandement français, eut lieu le 24 juillet. La veille, l’inspecteur général Robert s’était rendu à Santo, pour y tenir un discours qui se voulait rassurant. Mais il contribua ensuite à insuffler un climat de panique, lorsque trois semaines plus tard l’échec patent de cette intervention entraîna le départ des troupes franco-britanniques et l’arrivée consécutive 144 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois des troupes papoues. La Kumul Force composée de 300 hommes, deux navires patrouilleurs et quatre avions prit position sur Santo le 18 août. Le premier jour de l’intervention, le transfert de pouvoir entre les mains du Commandant papou, le Colonel Toy Huai, se déroula sans heurt, les troupes papous étant occupées à s’emparer des points stratégiques de Luganville. Mais dès le lendemain, les contrôles et les arrestations commencèrent. A partir du 23 août, un certain nombre d’actes de sabotages furent commis par les hommes du maquis organisé par Fornelli, ce qui accentua la répression et offrit le prétexte à la venue de renforts papous, composés de commandos spécialement entraînés pour le combat dans la jungle (Beasant, 1984 : 130). Le 30 août, le fils aîné de Stevens fut abattu par les Papous lors de la fusillade du véhicule dans lequel il circulait en compagnie de deux colons. Questions de compréhension 1. Pourquoi le gouvernement des Nouvelles-Hébrides a-t-il demandé à la PNG et à l’Australie de les aider à arrêter la rébellion de Santo ? 2. D’après Beasant, quelle était la vraie raison cachée derrière la présence militaire française et britannique ? 3. Quel était le nom de la force papoue de défense ? La mort d’Eddie Stevens et la fin de la rébellion Le lendemain, les troupes papoues investirent Fanafo et Port-Olry (deux bastions de la résistance). A Fanafo, ils trouvèrent Stevens, assis sur une chaise sous le grand banian du village, avec derrière lui, un regroupement de quelques centaines de man-bush, hommes, femmes et enfants. Parmi les quelques Européens encore présents, qui étaient venus s’y réfugier, certains tentèrent de s’échapper ou de se défendre contre les soldats, mais la plupart en furent empêchés. Quelques centaines de Vémaranistes furent arrêtés durant ces opérations, et malgré l’arrestation de Jimmy Stevens, des accrochages avec les forces papoues se poursuivirent dans le nord de Santo pendant quelques jours. Jimmy Stevens décrit comment il apprit la nouvelle et ce qui s’est produit après à Fanafo : J’étais à la maison jusqu’à 15 h et il n’y avait toujours aucun signe du retour d’Eddie comme cela était prévu… Je suis allé en brousse emmenant la mère Susan. Tout en montant la colline, Susan regarda en arrière et aperçut un camion se dirigeant très rapidement vers nous en nous signalant de nous arrêter. En voyant le signal, j’ai alors ordonné à John de s’arrêter sur le côté de la route… J’ai reconnu Frankie descendant de l’autre camion, en le regardant, j’ai vu des larmes sur son visage et il m’annonça alors la mort d’Eddie, il avait été abattu. J’ai interrogé Frankie au sujet du corps d’Eddie et il a dit qu’il était toujours dans la brousse où il avait été abattu. J’ai alors ordonné à Frankie d’aller voir les gardes et ramener la dépouille à la maison. Quand je suis arrivé à l’école, tous les Français, les métis et les Chinois allèrent se cacher, je ne voulais pas parler, mais je me suis dirigé vers la salle radio… quatre hommes étaient à l’intérieur, ils m’ont présenté leurs condoléances en raison de la mort d’Eddie et En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980 145 je leur ai demandé qui avait envoyé Eddie. Ils m’ont donné beaucoup de réponses, mais je leur ai crié qu’il ne leur était pas permis de prendre des décisions eux-mêmes sans ma permission ou d’ordonner quelque chose… J’ai discuté avec les Français et les métis sur le fait qu’il était trop tard maintenant pour protéger la ville et « vous avez fui, vous avez ouvert la voie à la politique et cela a eu comme conséquence la mort de mon fils ». Si bien qu’à partir de ce moment-là, personne ne fut autorisé à utiliser des armes dangereuses ou être en possession d’armes à feu, chacun devait déposer ses armes et l’ordre fut passé aux gardes du Nagriamel de contrôler les va-et-vient des véhicules au QG et confisquer les armes. Les Français et les métis ne furent pas très contents de cela. Je leur ai dit que demain (c’est-àdire le samedi), nous enterrerions Eddie, mais que dimanche je savais que les miliciens papous entreraient dans notre bastion et que je voulais qu’ils se rendent tous avec moi (dans Beasant 1984 : 133). Il n’y eut aucun rituel funéraire à l’enterrement d’Eddie Stevens. Les 3000 personnes habitant de Fanafo assistèrent à l’enterrement. Le même jour, Radio Vemarana diffusa sa dernière émission : Nous sommes le 30 août 1980… Bonjour au président du Nagriamel et aux ministres du Vemarana. Ce message est destiné aux habitants de l’île de Vemarana et des quinze îles des Modérés et du Nagriamel, du sud et du nord. Vous avez pu entendre sur les annonces radio quotidiennes de Port-Vila, des choses qui vont à l’encontre de vos pensées, des discussions accusant vos pensées. Ne vous inquiétez pas ! Ce ne sont que des calomnies. Si quelque chose est vrai, vous l’entendrez sur Radio Fanafo. Ne perdez pas espoir, restez vigilants. Ne pensez pas à la reddition aux forces. Laissez-nous nous occuper de notre propre île, Vemarana, la terre des indigènes est le seul endroit où nous pouvons parler et combattre pour le devenir de notre île. Aujourd’hui, une force militaire est présente sur notre île. Cela va à l’encontre de l’humanité et de Dieu. Ne vous inquiétez pas s’ils nous tirent dessus comme des porcs ou des chiens. Nous sommes sur notre propre île. Chacun doit se tenir droit et ne pas abandonner, car nous sommes dans notre bon droit et Dieu le sait… J’ai le regret de vous apprendre qu’Eddie Stevens est mort hier. Il a été abattu par les troupes de Papouasie-Nouvelle-Guinée et les forces de police de Walter Lini aux alentours de 3 heures. Ce sont de bien tristes nouvelles pour nous le Vemarana et les modérés. Quoi qu’il en soit, ne nous inquiétons pas parce que la mort engendre la mort et pour nous il est temps de regarder ce qui se passe dans notre pays. C’est la faute du Père Lini qui fait venir des forces armées chez nous dans nos îles pour nous abattre comme des cochons. Mais si Dieu le veut, Dieu nous répondra bientôt (cité dans Beasant 1984 : 135). La rébellion de Santo prit fin le dimanche 31 août 1980. John Beasant en décrit la fin : À 4 h 30 du matin, un convoi de soldats papous et de miliciens quitta tranquillement Luganville pour se rendre à Fanafo. Une heure plus tard, le convoi freina et entama une approche lente vers la porte principale de Fanafo. En y arrivant, ils la découvrirent verrouillée, sans surveillance. Une sirène retentissait et son gémissement plaintif rompait le silence du matin. La serrure de la porte fut détruite par deux tirs de mitrailleuse et le convoi franchit l’obstacle… Sur le chemin, une partie des soldats fut laissée en position pour sécuriser la route… les soldats restants se déplacèrent lentement vers le coeur même de Fanafo, le quartier général de Stevens. Devant le très petit bâtiment qui abritait le siège du Nagriamel depuis presque vingt ans, se tenait solitaire Frankie Stevens, le cadet, agitant le drapeau blanc de reddition. 146 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Prisonnier du Nagriamel menotté emmené en prison (Shears 1980 : 167). Stevens lui-même était assis sur une chaise, entouré par environ 1 500-2 000 broussards du Nagriamel, en compagnie des femmes et des enfants. Le drapeau de Nagriamel fut abaissé et les couleurs de la République du Vanuatu furent levées : le coeur de la rébellion avait cessé de battre (Beasant 1984 : 136). De septembre à novembre, la répression se prolongea sous l’action conjointe des forces papoues, de la Vanuatu Mobile Force (constituée pour l’essentiel de miliciens du VP) et des avions de la Royal Australian Air Force assurant le transport des prisonniers vers Port-Vila. De nombreuses brutalités furent constatées et beaucoup d’arrestations eurent un caractère sommaire, malgré diverses protestations dont celles du Conseil des Églises de Vanuatu (Vanuatu Christian Council) et d’Amnesty International. Le chiffre officiel donné par le gouvernement de Vanuatu sur le nombre d’arrestations était de 2 774. Les peines les plus fortes allaient de cinq à sept ans d’emprisonnement. Quelques centaines de Français échappèrent à toute poursuite judiciaire en fuyant vers la NouvelleCalédonie, 127 ressortissants étrangers furent déclarés interdits de séjour, dont 110 citoyens français (Beasant, 1984 : 143). Le jour du procès venu, onze chefs d’inculpation furent prononcés contre Jimmy Stevens le 21 novembre par le juge britannique Cook. Les condamnations donnèrent lieu, illégalement, à une accumulation des peines. Stevens, assumant durant le procès toute la responsabilité de la rébellion, se vit infliger quatorze ans et demi de prison et 220 000 vatus d’amende (environ 2 000 US$). Pour sa défense, il déclara : Je suis un des grands chefs de la coutume du Nagriamel et je voudrais que le Président de la Cour me considère en tant que tel. Parce que des gens m’ont demandé de remplir des fonctions, je les ai acceptées (parce que mon peuple m’a demandé de faire des choses, je les ai faites). Je n’avais pas envisagé tous les troubles qui pouvaient avoir lieu. Aujourd’hui, je peux voir tout le mal qui a été fait et je réalise que j’ai fait une erreur en acceptant le rôle de Premier ministre du Vemarana. J’ai écouté bien trop de gens, les représentants de la France En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980 147 avaient promis de ne jamais me laisser tomber, l’inspecteur général Robert me l’avait promis. Ils me l’avaient tous promis... Cela fait vingt ans que je dirige le Nagriamel, il n’y a jamais eu de tué par ma faute, mais le Vanuatu a tué trois de mes hommes : Alexis Boulouk, Alexis Youlou à Tanna, et l’un de mes fils, il y a peu de temps. C’est tout ce que j’avais à dire » (Stevens, cité par Bernard, 1983 : 125-126). Cérémonie du kava après la signature de la Constitution (Vanuatu 1980 : 192). Activité de discussion Les deux rébellions se sont terminées seulement après la mort d’un homme abattu par balle. À votre avis, a-t-on raison d’interdire l’usage des armes à feu au Vanuatu ? Enquête : les hommes-clés de la lutte pour l’indépendance – « les pères de l’indépendance » Recherchez plus de détails au sujet des personnes impliquées dans le mouvement de l’indépendance. Choisissez un nom dans le texte et enquêtez sur sa vie (des informations peuvent être trouvées dans l’annexe de ce volume). Beaucoup d’autres personnes furent impliquées dans le mouvement indépendantiste. Pour vous renseigner sur ces personnalités politiques, vous pouvez lire Vanuatu (1980), Yumi Stanap (1980) et vous pouvez également interroger vos grands-parents, vos parents ainsi que vos professeurs à propos de leurs souvenirs sur ces mouvements qui ont conduit à l’indépendance. Découvrez ce qui est arrivé à ces politiciens après l’indépendance. Comme projet de recherche, choisissez un chef dirigeant que vous connaissez et établissez une chronologie de sa carrière dans la vie politique du Vanuatu. 148 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Enquête : les souvenirs de l’indépendance Interrogez des personnes de votre entourage à propos de leurs souvenirs des mouvements indépendantistes, du jour de l’indépendance, des manifestations ou des diffusions d’émissions de radio en faveur de l’indépendance ? Quel était le sentiment commun vers la fin des années 1970 ? Dans chaque île, des gens ont contribué ou se sont opposés à l’indépendance, même s’ils n’étaient pas au premier plan de ce mouvement. Le jour de l’indépendance : le 30 juillet 1980 Le jour de l’indépendance du Vanuatu, le 30 juillet 1980, le premier Premier ministre de la République, Walter Hayde Lini, s’adressa à la nation : Notre route vers l’indépendance fut parfois passionnante et, à d’autres moments, déprimante. Plus récemment, elle fut endeuillée d’événements profondément tragiques, mais aujourd’hui nous y sommes arrivés et aujourd’hui nous marchons sur une route différente qui sera infiniment plus longue et beaucoup plus difficile. Désormais, nous sommes responsables de nos décisions, car celles-ci influenceront nos modèles de vies et ceux des futures générations de Ni-Vanuatu. Par conséquent, bien que cette date soit un moment de célébration qui se doit d’être joyeuse, c’est également le début d’une longue réflexion. Comme tous les autres pays dans le monde, la nouvelle nation du Vanuatu possédait un hymne national, un drapeau national, des armoiries (blason, emblème) nationales et une devise nationale. Hymne national Yumi Ol Man Blong Vanuatu Devise nationale Long God Yumi Stanap Drapeau national Rouge (sang du peuple), noir (couleur de la peau du peuple), vert (les îles et l’agriculture) et jaune (couleur de la chrétienté et couleur de nos plages) ; la dent de cochon signifie la prospérité, les feuilles de namele représentent la paix et la forme en Y symbolise la forme de l’archipel. Pour aller plus loin 1. Pourquoi dans son discours Lini dit-il « bien que cette date soit un moment de célébration qui se doit d’être joyeuse, c’est également le début d’une longue réflexion » ? 2. L’hymne national du Vanuatu affirme une identité nationale forte. Pouvez-vous trouver les lignes de la chanson qui le démontrent ? Vous pouvez retrouver la version complète de l’hymne national dans les annexes de ce livre. En route vers l’indépendance : les années 1970 à 1980 149 Expressi on écrite Votre école possède-t-elle une chanson qui lui est propre ? Qu’en est-il de votre province ou de votre village ? Écrivez une chanson qui indique les caractéristiques particulières de l’un des précédents endroits (école, province, village). L e s a v ie z-vou s ? • Le drapeau national a été conçu par Kalontas Malon originaire de l’île d’Emau. • L’hymne national a été composé par François Issav. Partition de l’hymne national du Vanuatu (Vanuatu 1980 : 1). Plus en détail – le blason du Vanuatu Le blason d’une nation, ou les armoiries d’un Etat représentent les valeurs d’un pays. Maintenant, regardons plus en détail notre blason national. Observez les deux images ci-dessous, elles montrent le dessin original du blason (dessin d’un membre d’équipage sur le bateau du capitaine Erskine en 1853) et le blason actuel. Le croquis original représente un homme en « nambas », une femme et un enfant, tous deux en habits distinctifs et traditionnels d’Efate. La femme porte une ceinture à la taille avec une longue queue en pandanus accrochée en bas du dos. L’image originale est celle d’une famille. Le blason actuel représente seulement un homme habillé dans un « nambas » plus simple se tenant debout devant des feuilles de namele et une dent de cochon. L’explication de sa signification est la suivante : L’homme est un Ni-Vanuatu, un Mélanésien et un chef. La lance qu’il tient représente son rôle, en tant que défenseur et protecteur de son peuple. Ses bracelets (en coquillage, monnaie coutumière) montrent son rôle en tant que négociant dans les échanges économiques et fournisseur de services, de marchandises et de ressources. Sa coiffure et son habit représentent les différents types d’habillement existant dans tout le pays. L’homme se tient fermement sur le sol, sur la terre de son pays, le Vanuatu. Les feuilles croisées de cycadée [namele] en fond symbolisent la paix provenant de l’autorité et de la jurisprudence des chefs. La dent de cochon circulaire symbolise l’unité, la richesse et la prospérité, les 150 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois conséquences des interactions humaines, l’autorité et la paix. La natte devant l’homme rappelle l’importance de l’agriculture dans notre économie traditionnelle. Les nattes sont le produit du travail des femmes et les femmes sont les gestionnaires et les actrices de notre économie rurale. (Vanuatu 1990 : 28). Activité de discussion Identifiez les différences entre le schéma original et le blason actuel. Pourquoi certaines choses ont-elles été enlevées du schéma ? A votre avis, la place des femmes est-elle proportionnellement représentée sur ce logo ? Enquête Choisissez le drapeau national, l’hymne national ou la devise d’un Etat pour examiner les valeurs quelles représentent. À gauche : croquis original à l’origine du blason du Vanuatu : Homme et femme de l’île Sandwich ou Vaté (Efate) (Erskine 1853 dans Jolly 1997). À droite : Le blason du Vanuatu conçu par l’Australien Richard Charles Fraser. 151 chapitre six L’édification nationale du 30 juillet 1980 à nos jours Introduction Depuis l’indépendance du Vanuatu, des débats sur divers sujets controversés se sont poursuivis à la fois au niveau national et international à propos du développement économique du pays et des prises de position politiques de ses dirigeants. La question d’une coexistence ou d’une opposition entre un système fondé sur des principes d’économie politique moderne et les réalités quotidiennes des populations rurales qui continuent d’adhérer à un mode de production domestique non-monétarisé, demeure au centre de toutes les préoccupations. De part l’accélération des changements sociaux dans l’archipel, les politiques culturelles demeurent un aspect essentiel des constructions idéologiques officielles. Du fait d’une exploitation accrue des ressources en matières premières, le Vanuatu s’est aussi préoccupé des problèmes urgents de l’environnement à l’échelle nationale et régionale. L’émergence des inégalités sociales et d’une réelle pauvreté parmi certaines couches de la population urbaine, sont autant de phénomènes qui sont devenus préoccupants depuis trois décennies. Dans ce chapitre, nous allons nous concentrer sur les premières années de souveraineté du pays. Ce chapitre est composé de cinq parties qui correspondent à chacun des aspects de la vie du Vanuatu. La politique Mère, où allons-nous ? Mon corps est las Ma tête me fait mal Je pleure mon peuple Mère, où allons-nous ? Pourquoi deux divisions ? Pourquoi deux peuples différents Ne peuvent-ils pas te suivre ? Où nous mènent-ils, Mère ? Pourquoi ne puis-je pas faire entendre ma voix ? Je suis trop insignifiant pour que l’on m’écoute Pourquoi m’avoir mis au monde alors ? Mère, où allons-nous ? Quel est notre destin ? C o n t r o v e r s e : faisant l’objet d’une discussion, d’une polémique 152 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Écoute-moi cette fois Ne pouvons-nous pas changer ce système Avec cette nouvelle technologie ? Mère, où allons-nous ? Ai-je une valeur à tes yeux ? M’écouteras-tu cette fois ? Je ne peux supporter ce fardeau plus longtemps Mère, où allons-nous ? – Poème de Mildred Sope dans « The Questioning Mind » (1987). À cause de la tutelle de deux puissances à l’époque coloniale, le Vanuatu hérite d’un système double. Bien que l’on désirât une unité nationale, les distinctions entre anglophones et francophones sont demeurées présentes. Même si cette opposition a en partie perdu sa dimension politique, elle se perpétue sur un plan culturel et linguistique. Dans son poème, Mildred Sope exprime les inquiétudes qu’elle ressentait sur l’avenir du Vanuatu. La lutte avait conduit avec succès à l’indépendance. Cependant, l’orientation politique du jeune État-nation restait imprévisible. La création d’une République parlementaire Vous pouvez découvrir plus d’informations sur la structure du gouvernement du Vanuatu et sur le système électoral dans le livre des sciences fondamentales de l’année 9, « Les Nations et les gouvernements ». 1 Unité dans la diversité La Constitution1 établit la structure politique de l’État du Vanuatu. Son préambule affirme que : Nous, peuple du Vanuatu, Fier de notre lutte pour la liberté, Déterminé à préserver les fruits de cette lutte, Profondément attaché à notre diversité ethnique, linguistique et culturelle, Et conscient par ailleurs de notre destin commun, Proclamons la création de la République libre et unie du Vanuatu, fondée sur les valeurs traditionnelles mélanésiennes, la foi en Dieu et les principes chrétiens. A cette fin, nous nous nous donnons cette Constitution. Les paragraphes suivants sont adaptés de l’ouvrage de Patricia Siméoni, « Atlas du Vanouatou » : Le 29 novembre 1979, un gouvernement entièrement composé de membres du Vanua’aku Pati est constitué sous la présidence du Pasteur Walter Lini. Le 18 février 1980, un vote décidera de la modification du nom du futur État qui se dénommera la République du Vanuatu. Ce nom est issu de la langue raga de Pentecôte, île d’où est originaire Walter Lini. Ce terme signifie « mon pays » ou « notre terre » en raga, mais il fait aussi référence à « l’île qui s’élève au-dessus de la mer » et est ainsi souvent traduit par « le pays dressé — le pays qui se tient debout ». L e s ins t it utio n s La République vanuataise est une démocratie parlementaire. Le Président est élu pour une période de cinq ans renouvelable par un collège électoral composé du Parlement et des L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 153 Présidents des conseils régionaux (art.34 et 32). Le rôle de ce chef d’État consiste à veiller au respect de la Constitution (art.16 et 37) et à symboliser l’unité de la nation (art.31). Il demeure toutefois essentiellement honorifique. Le pouvoir exécutif est détenu par le Premier ministre et des membres du conseil des Ministres qu’il désigne (art.37). C’est le Parlement qui élit le Premier ministre (art.39). Les membres du Parlement sont élus au suffrage universel selon un scrutin proportionnel, tous les quatre ans. Le Parlement se réunit en session ordinaire deux fois par an pour voter des lois (art.17 à 49). En matières de traditions et de coutumes, le gouvernement se réfère au Conseil National des Chefs, le Malvatumauri (art.27). Celui-ci est composé de chefs élus par les conseils coutumiers locaux et se réunit au moins une fois par an. Un Médiateur de la République est nommé pour cinq ans (art.59 à 63). Il a pour fonction d’enquêter si nécessaire sur les agissements de tout fonctionnaire ou autorité publique. Il veille aussi au bilinguisme au sein de l’administration. La décentralisation du pouvoir est matérialisée par la division de l’archipel en provinces gouvernées par des conseils régionaux auxquels participent des chefs coutumiers (art.80 et 81). Le pouvoir effectif des provinces demeure toutefois limité. E x é c u t if : pouvoir chargé de l’application des lois Questions de compréhension 1. Analysez le préambule de la Constitution. A quoi voit-on que le Vanuatu a gardé certains aspects du colonialisme ? 2. Quelles sont les deux lignes dans le préambule qui illustrent l’unité dans la diversité ? La politique intérieure et le « socialisme mélanésien » La Pacific Way, idéologie pan-Pacifique qui prônait l’unité dans la diversité, montra ses limites avec l’accession à l’indépendance des États mélanésiens et le renforcement de la pénétration de nouvelles formes de capitalisme. Les désaccords sur des questions d’alignement géopolitique et d’économie régionale se creusèrent. Des rivalités entre pays « polynésiens » et « mélanésiens » traversèrent des institutions acquises à la Pacific Way (notamment des organismes régionaux comme la Commission du Pacifique Sud, le Forum du Pacifique Sud, le Bureau du Pacifique Sud pour la coopération économique et l’Université du Pacifique Sud (USP). Les dirigeants de Vanuatu ont apporté une contribution substantielle à certains développements de cette idéologie. Walter Lini et Barak Sope furent les principaux promoteurs de la version mélanésienne de la Pacific Way. Des thèmes comme ceux de l’adhésion à un « communalisme mélanésien », à une « discipline communale » et à tout un ensemble de traditions « spécifiquement mélanésiennes » furent diffusés dès le début des années 1980. Ils furent regroupés derrière le slogan d’une Melanesian Way complémentaire, mais distincte, de la Pacific Way, devant conduire à une « Renaissance mélanésienne » et à un « socialisme mélanésien ». La Melanesian Way diffère peu dans son contenu de la Pacific Way. Elle correspond à une dynamique politique régionale et fut conçue comme une contrepartie nationaliste à l’idéologie de l’unité océanienne. Comme l’écrit Howard P a n -P a c if iq u e : doctrine et mouvement de solidarité entre tous les peuples du Pacifique C o m m u n a l is m e : qui appartient à la communauté, qui la concerne S o c ia l is m e : Théorie visant à transformer l’organisation sociale dans un but de justice entre les hommes au plan du travail, de la rétribution, de l’éducation, du logement, etc. 154 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois (1983 : 186) : Le socialisme mélanésien n’est pas seulement l’instrument qui permet de promouvoir la coopération entre les États mélanésiens. Il est censé être aussi une charte pour la création d’une société mélanésienne socialiste à Vanuatu. C’est pourquoi il faut le comprendre dans le contexte de la nation Ni-Vanuatu. Le socialisme mélanésien fut conçu pour évoquer une identité ancestrale qui persisterait en dépit des changements sociaux et culturels. Que ce soit du point de vue de l’intégration de la République du Vanuatu dans un ensemble régional ou dans la façon dont ce pays subit les effets de la mondialisation, l’idéologie du socialisme mélanésien demeurait conforme à l’ordre international dominant. Le Vanuatu n’a provoqué aucune dissonance politique sérieuse dans le concert des nations. Le transfert de souveraineté ne fut concédé que lorsque les garanties de fiabilité politique du nouvel État et sa stabilité institutionnelle furent assurées. Du point de vue des modalités de l’organisation de cette passation de pouvoir, « en l’absence de concepts indigènes sur l’organisation gouvernementale à grande échelle, (…) les Ni-Vanuatu n’avaient pas d’autre choix que d’accepter les institutions politiques de l’État moderne, telles qu’elles dérivent des particularités de l’histoire et de la société européenne » (Premdas, 1987 : 148). La diffusion du socialisme mélanésien correspond paradoxalement dans les faits à une pénétration accrue du capitalisme. En considération des enjeux de l’édification nationale, le maître mot de cette idéologie est sans conteste le « développement ». Mais pour un pays qui au lendemain de l’indépendance demeure essentiellement rural, et dans lequel plus du tiers de la population vit uniquement d’une économie de subsistance, ce développement impose un certain nombre de choix politiques et culturels. Le socialisme mélanésien encourageait un développement contrôlé qui ne nuirait pas à la base villageoise communale de la nouvelle nation. Le socialisme mélanésien serait prétendument plus adapté à la situation vanuataise. Selon Howard (1983 : 191) : C a p italisme : système de production dont les fondements sont la propriété privée des moyens de production et l’accumulation du capital L’idée globale que [Lini et ses associés] avaient du type de société à créer, comprenait la promotion du développement rural, une plus grande autonomie, la propriété des moyens de production, une main-d’œuvre locale et la préservation de leur héritage culturel et naturel. Des objectifs raisonnables, soutenus en principe non seulement par la plupart des socialistes, mais aussi par de nombreux capitalistes. La seule dimension qui pouvait apparaître quelque peu socialiste dans le programme du Vanua’aku Pati était une planification très centralisée de la politique économique, qui devait conduire à l’indépendance économique en 1996 (David, 1997 : 123). Toutefois, les résultats de ce programme se firent attendre. De sorte que le socialisme n’a jamais été un facteur dominant du pays sous le pouvoir de Walter Lini. C’est même tout le contraire, rappelle Howard (1983 : 193) : « Comparé à d’autres nations des îles du Pacifique, Vanuatu semble être l’État le moins ‘socialiste’ en termes d’étatisation des institutions financières et des moyens de production. » Lini prit également soin de se démarquer du communisme, d’où justement le choix du terme alternatif de « communalisme ». Présenté comme un antécédent mélanésien de toute forme de socialisme de par ses origines mélanésiennes pré-coloniales. D’après Lini (cité par Premdas, 1987 : 142) : « [Le « communalisme »] se base sur une conscience de la communauté où l’individu ne doit pas prétendre que lui-même ou ses intérêts personnels passent avant l’intérêt général de la communauté. » L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 155 D’autres motifs encore traversent l’imaginaire du socialisme mélanésien, dont l’humanisme comme forme chrétienne des rapports humains détachés du matérialisme et orientés vers la « compassion et la mutualité ». Dans une vue d’ensemble, ces divers principes reflètent une position parfaitement opposée aux catégories occidentales qu’ils rejettent : « communalisme versus individualisme, partage versus intérêt privé, humanisme versus matérialisme » (Premdas, 1987 : 142). Mais, le socialisme mélanésien était ainsi avant une idéologie nationaliste : il permettait à ses promoteurs de s’identifier à l’État et de concentrer entre leurs seules mains le sort de l’édification nationale. Les propos de Ralph Regenvanu, acteur politique local, attestent cette prise de conscience : Une infime minorité, légitimée par son éducation et par une idéologie nationaliste qui donne à l’État le rôle de gardien de la nation, put accroître les gains acquis grâce à son contrôle des affaires de l’État et utiliser ses intermédiaires pour rallier d’autres groupes de la société nationale à son discours dominant. Cependant, plus l’héritage du vaste programme de changement social contenu dans ce discours devenait clair, plus l’hégémonie de l’élite nationale, et donc la légitimité de l’État, s’amenuisait » (Regenvanu, 1993 : 40-41). Des difficultés politiques croissantes I n d iv id u a l is m e : doctrine qui fait de l’individu le fondement de la société et des valeurs morales M a t é r ia l is m e : Manière de vivre, état d’esprit orienté vers la recherche des satisfactions matérielles, de plaisirs V e r s u s : contre N a t io n a l is m e : théorie politique qui affirme la prédominance de l’intérêt national par rapport aux intérêts des classes et des groupes qui constituent la nation ou par rapport aux autres nations de la communauté L é git im it é : qualité d’un pouvoir d’être juridiquement fondé et accepté par tous les citoyens (quant à ses origines et à ses formes) Caricature politique parue dans Island Business News (mai 1982) qui dépeint la situation entre Walter Lini, un expatrié expulsé ainsi que Thomas Reuben Seru et George Worek, deux députés du Parlement. La caricature est intitulée : Est-ce la chute de Lini ? Les difficultés grandissantes pour le gouvernement de Walter Lini Des failles dans le premier gouvernement du Vanuatu commencèrent à apparaître quand on accusa Walter Lini d’accaparer le pouvoir. Il consultait très peu le Président, ce qui ne concordait pas avec la Constitution (Van Trease 1995 : 87). Sans solliciter le conseil de ses ministres, Lini renvoya plusieurs conseillers ministériels expatriés. Il donna aussi son accord pour divers prêts douteux de plusieurs millions de dollars sans consulter son ministre des Finances (Keith-Reid 1982). Ces actions allaient à l’en- E x p a t r ié : personne ayant quitté son pays pour s’établir ailleurs 156 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois contre de la structure gouvernementale, car avant l’exécution d’une décision, le cabinet ministériel devait d’abord en débattre et en évaluer les conséquences. De plus, les actions de Lini n’étaient pas non plus conformes avec la politique du parti. En outre, le gouvernement expulsa l’éditeur Christine Coombe en 1983 à la suite d’articles plutôt négatifs dans son journal Voice of Vanuatu. Les actions de Lini furent perçues comme des violations des droits de l’homme et elles ne servaient plus les intérêts du peuple de Vanuatu (Van Trease 1995 : 87). Le Vanuatu Weekly Hebdomadaire, journal du gouvernement, fit très peu mention de ces difficultés. 2 Walter Lini définit le terme Non-Aligné comme ne prenant parti ni pour les pays capitalistes ni pour les pays communistes (Arutangai 1995 : 62). Le Mouvement des Non-alignés est en fait un groupe de nations qui ne souscrivaient à aucune idéologie en particulier. Une nation non alignée La position officielle du gouvernement de Walter Lini en matière de politique extérieure fut celle d’une parfaite neutralité : ni tournée vers l’est, ni vers l’ouest, Vanuatu se voulait le pays moins aligné parmi les pays dits non-alignés.2 Toutefois, les soutiens financiers et les contacts diplomatiques de toutes sortes furent utilisés pour travailler à l’indépendance de l’archipel. D’où la diversité des relations diplomatiques que le Vanuatu a nouées avec Cuba, la Libye, l’URSS, les États-Unis d’Amérique, tandis que sous un autre aspect, ses dirigeants prenaient la défense des Aborigènes australiens et des Maoris, condamnaient l’Apartheid, soutenaient l’indépendance de la Namibie, du Timor-Oriental, de l’Irian Jaya et la cause palestinienne. En parallèle, Lini et ses ministres surent tisser des liens tous azimuts avec les organisations internationales, ce qui permit à Vanuatu de devenir le pays le plus aidé financièrement au monde, par notamment, toutes les grandes puissances du bassin Pacifique (Australie, Nouvelle-Zélande, France, Grande-Bretagne, Japon, Chine, États-Unis) sans compter ses liens avec les pays du Commonwealth. La dénonciation du colonialisme et de la politique nucléaire de la France fut, par contre une constante de la politique extérieure de Vanuatu pendant les années Lini. Elle fut conçue comme un signe fort d’une rupture des élites anglophones avec l’ancien ordre colonial. C’est la seule véritable entorse à la position officielle de Lini d’extrême neutralité. Le VAP a soutenu dès l’indépendance du Vanuatu le Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste (FLNKS) et combattu pour la « coutume mélanésienne » spoliée par le colonialisme d’inspiration français. La position officielle de Vanuatu pour l’indépendance immédiate et sans compromis de la Nouvelle-Calédonie fut à l’origine du renvoi d’Yves Rodrigue, premier ambassadeur français nommé dans l’archipel, et entraîna une rupture des relations diplomatiques avec la France. Pour aller plus loin En tant que jeune nation, pourquoi le Vanuatu voulait-il devenir un membre du Mouvement des Non-alignés, libres de suivre des idéologies différentes ? Investigation 1. Quelles sont les relations actuelles du Vanuatu avec la Libye, Cuba et l’ancienne URSS ? 2. Le communisme et le capitalisme sont des systèmes économiques que les nations sont libres de choisir. Effectuez une recherche sur ces deux courants de pensée politico-économiques. L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 157 Pendant que le Vanuatu se rappelle le jour où il a hissé son propre drapeau le 30 juillet 1980, la communauté de Freswota se souvient également de la longue lutte encore existante de notre voisine mélanésienne, l’Iran Jaya, afin d’obtenir sa souveraineté… La communauté fut le fer de lance de soutien de l’Irian Jaya en hissant le drapeau du « Morning Star ». Pendant la période post-indépendance, le Vanua’aku, parti au pouvoir, avait comme politique de voir leurs voisins mélanésiens libérés de la colonisation. —Vanuatu Daily Post no. 1219, 3 août 2004 Création des frontières politiques et géographiques : Des Torres à Hunter En mars 1983, le Vanuatu revendiqua les îles Matthew et Hunter comme faisant partie du Vanuatu. En plus des précédentes sorties dans ces îles les plus méridionales, une expédition partit les visiter en bateau. Le drapeau de Vanuatu fut hissé sur l’île de Hunter et l’expédition fit le tour de Matthew. L’article de journal suivant décrit cette crise : Article de Journal sur Matthew et Hunter (The Voice of Vanuatu, 1983). La France contesta la revendication du Vanuatu, annonçant que Matthew et Hunter faisaient partie de la Nouvelle-Calédonie. Toutefois, lorsque les Français avaient des intérêts dans cette partie de la Mélanésie, les cartes françaises montraient bien que Matthew et Hunter faisaient partie de l’archipel des Nouvelles-Hébrides. Même les Britanniques 158 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Carte de la partie méridionale du Vanuatu montrant Matthew et Hunter et la Nouvelle-Calédonie. Immin en t : proche étaient d’accord avec ces cartes du condominium. Ce n’est qu’en 1975 que la France considéra, en accord avec la Grande-Bretagne, ces îles comme appartenant au territoire de la Nouvelle-Calédonie. Pourquoi la France attendit-elle les années 1970 pour modifier les frontières géographiques qu’elle avait dressées depuis des décennies ? Avec la menace imminente de l’indépendance du Vanuatu, la France voulut élargir les eaux territoriales de la Nouvelle-Calédonie de façon à couvrir les îles Matthew et Hunter. Questions de compréhension 1. Donnez le nom des trois îles qui revendiquent des droits coutumiers sur Matthew et Hunter. 2. Quel est le nom futunien de Hunter ? Que signifie ce nom ? 3. Quel est le nom du bateau qui a transporté l’expédition du gouvernement vanuatais vers ces îles situées tout à fait au sud ? Pour aller plus loin 1. Selon le droit international, les pays délimités par un océan peuvent revendiquer leur territoire jusqu’à 18 kilomètres du rivage. Dans ces eaux que l’on nomme eaux territoriales, les lois d’un pays peuvent être appliquées (par exemple, les pêcheurs illégaux peuvent être emprisonnés). En plus, ces pays ont une zone d’économie exclusive (ZEE) de 300 kilomètres et ont des droits exclusifs sur les ressources naturelles trouvées dans cette région. Un pays peut ensuite décider de qui pourra accéder aux pêches et aux minéraux sous-marins. Pourquoi, donc, d’après vous, la France et le Vanuatu voulurent-ils inclure Matthew et Hunter dans leur territoire ? 2. Souvent, quand des îles appartenant à différentes nations se trouvent proches les unes des autres, les ZEE de chaque pays se chevauchent. Quand cela se produit, comment le problème peut-il être résolu ? En utilisant la carte ci-dessus, tracez la ZEE du Vanuatu et celle de la France. Se chevauchent-elles ? Maintenant avec un crayon de couleur différente, tracez la ZEE de la France si Matthew et Hunter lui appartenaient. Comment cela affecterait-il la ZEE du Vanuatu ? 3. D’après la loi du Vanuatu, les clans peuvent revendiquer leur terre coutumière L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 159 seulement en surface, mais sous la surface tous minéraux découverts appartiennent au gouvernement. Avec ce type de loi, quels sont les problèmes qui peuvent survenir ? Enquête Votre école se trouve-t-elle près de la mer ? Jusqu’à quelle distance du rivage, votre école est-elle autorisée à utiliser la mer et ses ressources avant que le propriétaire coutumier ne revendique les limites de son territoire ? Un partisan de la décolonisation Quand le Vanuatu accéda à l’indépendance, le gouvernement dirigé par le Vanua’aku Pati continua de soutenir la décolonisation dans le Pacifique. Il fut partisan de l’indépendance du Timor-Oriental, de la Polynésie française, de la Nouvelle-Calédonie et de l’Irian Jaya. En dehors du Pacifique, le gouvernement du Vanuatu condamna aussi le système de l’apartheid sud-africain et demanda l’indépendance de la Namibie (qui fut achevée en 1990). Le gouvernement prit également parti pour la cause palestinienne au Moyen-Orient. Enfin, le Vanuatu fut un acteur engagé du mouvement anti-nucléaire dans le Pacifique Sud. Le mouvement anti-nucleaire dans le Pacifique Une bombe nucléaire américaine explose au-dessus de l’atoll Bikini dans les îles de Marshall en 1946. Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Occident poursuivait des recherches sur le développement de nouvelles armes et de nouvelles sources d’énergie. L’énergie nucléaire produite est une énergie si puissante qu’elle peut également être utilisée comme une arme. On l’utilisa pour construire des bombes très destructrices, que les 160 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Des agents secrets français coulèrent le Rainbow Warrior I dans la baie d’Auckland en juillet 1985. Le bateau appartenait à l’organisation activiste Greenpeace qui était sur le point de partir pour protester contre les essais nucléaires de Mururoa. Photo avec l’autorisation de Greenpeace. États-Unis employèrent contre le Japon en 1945. À cause de la nature dévastatrice des explosions nucléaires, les sites d’essais devaient se trouver, dans des régions isolées et très peu peuplées. Les États-Unis dirigèrent des essais nucléaires sur les atolls de Johnson et Bikini dans les îles Marshall dans les années 1950 et 1960, avec des effets accablants sur l’environnement et la santé de la population. La Grande-Bretagne procéda également à ce type de test en Australie de 1952 à 1958. En 1962, quand l’Algérie (colonie française d’Afrique du Nord) devint indépendante, la France déplaça son programme d’essais Mururoa Par Vatdoro On t’a fait beaucoup de mal, la douleur est forte Mais tu as toujours gardé le silence, seuls tes amis du Pacifique peuvent ressentir Ce qui t’est arrivé, nous compatissons avec toi Mururoa C’est pourquoi nous sommes venus, venus te sauver Te libérer de cette brutalité coloniale. Refrain : Mururoa (répété 8 fois) Une carte postale de Greenpeace de 1985. Greenpeace est une organisation mondiale environnementale qui a longtemps protesté contre les essais nucléaires dans le Pacifique. Tu es si belle et malheureuse, attendant l’aide de quelqu’un Ils ne cessent de répéter que l’opération est sans danger, pour montrer au monde que tout va bien Ils n’ont pas de pitié, pas de pitié du tout Ils nous traitent en peuple inférieur Mais nous continuerons à nous battre, à nous battre pour ta liberté Pour dire à l’humanité entière que tu as le droit de vivre Pour dire à l’humanité entière que tu as le droit de vivre L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 161 nucléaires du désert du Sahara vers le Pacifique. Des sites d’essais furent établis sur les atolls de Mururoa et Fangataufa en Polynésie française. De 1976 à 1996, la France procéda à 192 essais nucléaires près de ces atolls. (Henningham 1992 : 127). Plusieurs nations du Pacifique se rassemblèrent pour protester contre ces essais nucléaires dans le Pacifique. Une grande partie des Français également critiquèrent ces essais nucléaires. En 1983, Vanuatu fut l’hôte d’une conférence du Mouvement Nucléaire du Pacifique. En août 1984, le Premier ministre Walter Lini déclara : Notre position… est de s’opposer aux essais nucléaires français pour des raisons morales et pas nécessairement par rapport au fait que ces essais sont scientifiquement dangereux. Évidemment si le gouvernement français pense que ces essais ne représentent aucun danger, pourquoi ne les effectue-t-il pas en France ? Que le gouvernement français continue d’effectuer ces essais nucléaires dans le Pacifique Sud à des milliers de kilomètres de la France est en soi immoral et aucun scientifique ne pourra nous convaincre du contraire (cité dans Henningham 1992 : 202). Pour aller plus loin 1. Quel est le ton des paroles de Vatdoro ? 2. La France a repris les essais nucléaires en Polynésie française en 1995. Cette fois ce ne fut pas seulement les pays du Pacifique qui protestèrent, mais également d’autres pays du monde. Il y eut des manifestations et le boycottage de produits français. Quelles sont les autres moyens d’exprimer fortement une opinion contre les essais nucléaires ? Activité de discussion Bien que les essais nucléaires ne soient plus effectués dans le Pacifique, le transport de substances radioactives à travers le continent Océanien est une préoccupation environnementale qui reste d’actualité. De plus, certains pays du Pacifique ont autorisé l’utilisation de leur zone sous-marine comme lieu de décharge pour les déchets nucléaires. En classe, organisez un débat sur les problèmes dus à ces activités. Et s’il y avait une fuite de radioactivité et que cela affecte le reste du Pacifique ? Gardez à l’esprit que beaucoup d’États du Pacifique sont petits et ne possèdent que peu de ressources, et que pour se débarrasser de ses dépôts nucléaires, un pays plus riche compense économiquement le stockage de ses déchets. Cela constitue un revenu non négligeable pour le pays en question. Expressi on écrite Écrivez un poème ou une chanson sur les problèmes que posent les essais et bombes nucléaires. Enquête Recherchez les effets des essais nucléaires sur l’environnement, la santé et la vie sociale. B o y c o t t a ge : Blocus matériel et moral contre un pays et les biens qu’il produit N u c l é a ir e : relatif au noyau de l’atome et à l’énergie qui en est issue ainsi qu’aux techniques qui utilisent cette énergie 162 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Les émeutes de Port-Vila en 1988 En attendant, les problèmes fonciers n’étaient toujours pas résolus dans certaines parties du pays, notamment à Port-Vila. Les villages de Ifira, Pango et Erakor s’inquiétaient de l’indemnisation versée par le gouvernement en contrepartie de leur expropriation et de la transformation de leurs terres en domaine public de la capitale Port-Vila. Barak Sope, un ministre originaire d’Ifira s’en inquiéta également en 1988. Quand le ministre des Terres décida de fermer la société commerciale foncière et urbaine (le VULCAN : Vanuatu Urban Land Corporation), l’organisme chargé de rétribuer les villages pour le don de leurs terres à la capitale, des troubles s’ensuivirent. Le lundi 16 mai 1988, 1 500 personnes marchèrent jusqu’au bureau du Premier ministre et présentèrent une pétition au ministre des Terres, William Mahit. Voilà ce qu’écrit l’historien Van Trease (1995 : 78) au sujet de cette situation : Une fois que le ministre Mahit tenta de calmer la situation, la plupart des manifestants se dispersèrent, sauf un petit groupe d’à peu près 150 personnes qui se rassemblèrent sur le front de mer pour un barbecue bien arrosé et finirent par créer une émeute dans la rue principale de Port-Vila. Ils brisèrent les vitrines et pillèrent les magasins, engendrant des dommages estimés à environ deux millions de dollars australiens. La police et les forces spéciales du Vanuatu (VMF : Vanuatu Mobile Force) furent appelées à rétablir l’ordre avec du gaz lacrymogène. C’est alors qu’un homme du village de Pango fut accidentellement écrasé et tué par un véhicule des forces spéciales. De plus, à la demande de Lini, le gouvernement australien expédia du matériel anti-émeute supplémentaire (des grenades lacrymogènes avec leurs propulseurs et des masques à gaz). Les liens de Sope avec la Libye entraînèrent une vague de paranoïa à l’étranger, et on pensait que cette crise était une tentative de renversement du gouvernement. Cependant, peu de temps après l’émeute, Lini déclara à la presse étrangère qu’« En ce qui me concerne, cette affaire n’a rien à voir avec la Libye, c’est purement et simplement un problème foncier ». Ce n’était pas simplement un problème foncier, mais aussi une lutte entre Sope et Lini pour la direction du Vanua’aku Pati. Barak Sope fut renvoyé de son ministère. Dans le cas où la situation politique empirait, le Premier ministre confirma que les gouvernements australien et néo-zélandais étaient prêts à les soutenir militairement. Pendant ce temps, Sope était en train de rassembler des partisans pour adopter une motion de censure contre le gouvernement de Lini. Toute cette activité menée pour obtenir des partisans commençait à menacer la stabilité du gouvernement alors que les anciennes alliances se brisaient et que des nouvelles se formaient. J’avais 9 ans quand les VMF sont venus arrêter mon père. Il était à peu près 8 heures du soir. Ils ont encerclé la maison, se cachant dans la brousse et pointant leurs fusils vers nous. Mon père avait fait sa valise très rapidement, je suis parti chercher ses savates dans la véranda à l’arrière de la maison et un soldat était caché derrière le citronnier avec son fusil. Sur la véranda se trouvant à l’avant de la maison, ma sœur de 15 ans criait sur un soldat qui l’avait insultée sans raison. Puis ils ont emmené mon père à l’arrière du camion de l’armée. — Témoignage d’un enfant d’un des détenus L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 163 En février 1987, Walter Lini, qui était en voyage officiel aux États-Unis fut victime d’une attaque cérébrale sévère. Plusieurs dirigeants voulaient lui faire subir un examen médical pour décider de son aptitude à poursuivre ses fonctions. Cependant, Lini était décidé à garder le pouvoir, en dépit du souhait de certains membres du Vanua’aku Pati de voir un changement à la tête du gouvernement (Sope et ses partisans en particulier). La perte de confiance en Lini et l’abus évident de ses pouvoirs furent à son apogée quand le Président Ati George Sokomanu forma un gouvernement intérimaire le 18 décembre 1988. Celui-ci aurait effectivement dissout le gouvernement de Lini et conduit le pays vers de nouvelles élections nationales. Néanmoins, les forces spéciales du Vanuatu (VMF), sur ordre de Lini, arrêtèrent tous ceux qui étaient présents à une réunion secrète dont le secrétaire personnel de Sokomanu, John Kalotiti. Ils furent emprisonnés sans possibilité de libération sous caution. Plus en détail – la crise presidentielle et constitutionnelle de 1988 C a u t io n : libération d’une personne contre une somme d’argent élevée jusqu’au prononcé d’une peine par un tribunal En 1988, les députés parlementaires de l’opposition boycottèrent trois séances consécutives du Parlement et perdirent leur titre de député. Des élections partielles devaient se tenir en décembre 1988 pour les 18 sièges vacants du Parlement. Toutefois, l’Union des Partis Modérés (UPM) et le Parti Progressif Mélanésien (PPM) planifièrent de boycotter les élections, car ils voulaient la dissolution du Parlement et une élection générale. Craignant la création d’un État représentant un seul parti, le Président fit la déclaration suivante au Parlement : Ceci, à mon avis, n’est pas du tout une démocratie, et pour toute personne raisonnable qui observe ces événements, cela semble évident. Il est clair que l’on se moque de la Constitution dans tous ses aspects et les actions de toutes les personnes impliquées dans les six derniers mois animés politiquement, sans tenir compte des difficultés constitutionnelles, sont un bien triste héritage des intentions que nous avions lors de la fondation de cette République (Sokomanu, cité dans Van Trease 1995 : 89-90). Lini condamna le Président en le décrivant comme étant « une disgrâce et un imposteur politique » et demanda sa démission. Selon les termes de la Constitution, le Parlement ne peut être dissout que par trois quarts des députés réunis en séance, après un vote de Il était clair que les politiciens des deux côtés (VAP et UPM) se trouvaient dans une confusion totale et que la situation était mauvaise pour le pays. Étant donné cette situation, je décidais d’organiser une réunion entre les quatre leaders pour essayer de résoudre les différends et calmer la situation. Mon idée était de faire les choses de manière traditionnelle, de s’asseoir ensemble, de boire du kava, de tuer un cochon, de le manger et d’échanger des nattes. Je leur aurais ensuite parlé, et les quatre leaders se seraient serrés la main pour montrer leur réconciliation. 3 Boulekone, Carlot et Sope étaient d’accord. Lini, lui, ne l’était pas. À mon avis, la situation s’est détériorée et le pays en souffre. Cependant, lorsque j’abordais Lini, il ne voulut pas discuter de la situation avec moi. —Ati George Sokomanu (dans Van Trease 1995 : 222) 3 Ces trois hommes étaient les leaders des partis en désaccord avec le gouvernement de Lini. 164 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois … Il était difficile de s’adapter à la vie en prison. Nous étions des prisonniers politiques, mais nous étions traités comme des criminels de la pire espèce. La nourriture était mauvaise et des gardes furent placés dans tous les coins avec, en permanence, les armes braquées sur nous. Un policier et le directeur de la prison, dégoûtés de la façon dont nous étions traités, démissionnèrent. Après deux mois, les autorités relâchèrent quelque peu leur pression. Ils laissèrent nos femmes préparer notre nourriture et l’amener à la prison (Sokomanu dans Van Trease 1995 : 223). la majorité des députés ou sur avis du Conseil des ministres. L’historien Howard Van Trease écrivit ceci dans le chapitre « Years of Turmoil : 1987-91 » de « Melanesian Politics » (1995) : Cependant, Sokomanu continua à s’engager. Le dimanche 18 décembre, il prêta serment à un gouvernement intérimaire avec Barak Sope comme Premier ministre, Maxime Carlot comme vice-Premier ministre et trois autres ministres (Willy Jimmy, John Naupa et Frank Spooner). Au même moment, il appela les citoyens à une nouvelle élection générale qui devait se tenir en février de l’année suivante. Il contacta aussi la police et la Force Mobile du Vanuatu, leur demanda de prêter allégeance et leur donna 24 heures pour se décider avant d’appeler de l’aide militaire extérieure. Le secrétaire, John Kalotiti, fut arrêté au camp de la Force Mobile pour avoir distribué la circulaire du Président. La police et les forces spéciales, sous l’ordre du Premier ministre, arrêtèrent Sope, Carlot et les trois autres… les inculpant de sédition. On leur refusa la caution… En même temps, Lini demanda à la Cour Suprême de prendre une décision au sujet de la dissolution du Parlement faite par Sokomanu. La cour jugea cette action illégale et ordonna au Président de rester en dehors de la politique. Le 21 décembre, Sokomanu fut mis en garde à vue, après avoir été assigné à domicile plusieurs jours. La réaction du Parlement, à dominante VAP, fut rapide et décisive. Le 19 décembre, avant que Sokomanu ne soit effectivement arrêté, une proposition ayant pour but de le retirer de ses fonctions fut présentée et signée par 20 des députés… Pendant ce temps, un combat juridique pour décider du sort des six individus… avait déjà commencé… Voici les accusations retenues contre Sokomanu : conspiration séditieuse avec pour intention de renverser le gouvernement de Lini, incitation à la mutinerie au sein des forces de sécurité du pays et administration de serments illégaux. Sope et les autres membres du gouvernement intérimaire furent accusés de conspiration séditieuse, incitation à la mutinerie et également de déclarations illégales et séditieuses. À ce moment-là, Sope commença une grève de la faim demandant une représentation étrangère légitime pour ses compagnons et lui… soi-disant que… les avocats du Vanuatu craignent de nous représenter de peur de se faire expulser. Les avocats de Sokomanu plaidèrent le fait que Sokomanu avait agi par rapport à ses inquiétudes face à la détérioration globale de la situation politique et économique du pays. Cette crainte l’a forcé à se rabattre sur les pouvoirs tacitement admis d’un leader traditionnel mélanésien… M. Sokomanu avait œuvré en se basant sur le fait que les coutumes mélanésiennes pouvaient outrepasser la loi constitutionnelle. Le Président a agi en tant que chef et chrétien (Van Trease 1995 : 90-93). Pendant les semaines angoissantes qui suivirent, la Cour rendit sa décision concernant ceux qui faisaient partie du gouvernement intérimaire et acquitta Frank Spooner, John L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 165 Naupa et John Kalotiti. Le juge Ward déclara Sokomanu coupable de toutes les plaintes retenues contre lui et le condamna à 6 ans de prison. Willie Jimmy fut condamné à 6 ans de prison, Sope et Carlot à 5 ans. Les accusés firent appel devant la Cour Suprême. Cette fois, un jury de trois juges, un de Tonga, un de Papouasie-Nouvelle-Guinée et un du Vanuatu fut habilité a participer au procès. D’après Howard Van Trease (1995 : 95) : À la suite d’un renversement spectaculaire des décisions précédentes, les trois juges décidèrent que la Cour Suprême s’était trompée sur plusieurs points importants de la loi et déclarèrent que les accusés devaient être relâchés… Cependant, la cour condamna les actions du Président, car d’après la Constitution il n’avait pas le droit de dissoudre le Parlement sans l’avis du conseil des ministres. Il n’avait pas non plus le droit d’établir un gouvernement intérimaire puisque les individus nommés n’étaient pas des députés élus au parlement. Le vendredi 14 avril 1989, les quatre accusés furent relâchés et des célébrations furent organisées avec les familles. Cette crise constitutionnelle démontra au pays que personne, pas même pas un Président ou un Premier ministre, n’était au-dessus de la loi. Elle démontra aussi que la relation entre les leaders du pays et la Cour Suprême devait être digne de respect et d’objectivité. Le recours à des juges extérieurs au Vanuatu révéla que les juges étaient influencés politiquement alors qu’ils ne devaient pas l’être. Questions de compréhension 1. Pourquoi le Président Sokomanu a-t-il formé un gouvernement intérimaire ? 2. La grève de la faim commencée par Barak Sope pour qu’on lui accorde une représentation légitime a démontré que les avocats étrangers dans le pays risquaient de se faire expulser. Étant donné ce que nous avons lu plus tôt dans le chapitre sur l’expulsion des expatriés (la plupart des avocats en ce temps-là étaient des expatriés), la déclaration de Sope était-elle fondée ? 3. Cherchez la définition dans un dictionnaire des mots suivants : • conspiration •sédition •incitation •mutinerie •trahison autant de mots qui font partie du vocabulaire politique. Pour aller plus loin 1. Le rôle d’un Président de la République est d’être le garant du caractère démocratique de la République. Pensez-vous que c’était ce que Sokomanu essayait de faire ? 2. Le Président Sokomanu a tenté de former un gouvernement intérimaire parce qu’il craignait la formation d’un État avec un seul parti suite aux élections partielles. Quel aurait été ce parti ? Quel régime politique représente un Etat à parti unique ? 3. Pourquoi est-ce important d’avoir une Cour Suprême libre de toute influence du gouvernement ? Enquête Cette crise constitutionnelle connut l’un des principaux procès au cours duquel la conduite des dirigeants du pays fut mise en cause. Connaissez-vous d’autres procès impliquant des personnalités politiques du Vanuatu ? O b j e c t iv it é : impartialité, absence de préjugés 166 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois La politique et l’économie : le programme de réforme globale Dans le chapitre « Nations et Gouvernements » du livre de Sciences Sociales, nous avons étudié la structure du gouvernement du Vanuatu. Pendant les 17 premières années de l’Indépendance, cette structure comprenait 9 ministères, avec leurs départements et bureaux respectifs et plusieurs corps statutaires (comprenant Air Vanuatu, le Malvatumauri, la Banque Nationale, le Centre Culturel National, le Vanuatu Broadcasting and Television Corporation, le Vanuatu Commodities Marketing Board, le Vanuatu Livestock and Development). En 1997, elle fut modifiée avec l’introduction du Programme de Réforme Globale initié par la Banque de Développement Asiatique. Ce programme fut approuvé par le Gouvernement Vohor. Nous allons maintenant lire deux perspectives du Programme de Réforme Globale. Le ministre du CRP en octobre 2004, Marcellino Pipite, en dresse le bilan. Le premier extrait est tiré d’un bulletin d’information de l’Unité de Développement des Programmes d’études (Curriculum) et a été compilé par Charles Pierce. Pourquoi avons-nous besoin d’un Programme de Réforme Globale ? Il y a plusieurs raisons : 1. Beaucoup de personnes, surtout dans les régions rurales, sont mécontentes des services rendus par le gouvernement (par ex. : écoles, dispensaires, routes et alimentation en eau). Il faut améliorer le niveau de la mise à disposition de services. 2. Certaines personnes s’inquiètent de l’inefficacité du fonctionnement du gouvernement. Les décisions sont prises par intérêt politique et non par intérêt pour le peuple. L’argent venant de l’Aide ne parvient pas jusqu’aux gens dans les villages. Les actions [du gouvernement] doivent être plus transparentes. 3. L’économie du Vanuatu croît faiblement […] Il y a un besoin d’augmenter le revenu du gouvernement en augmentant les impôts et en encourageant plus d’investissement dans le secteur privé. L’extrait suivant de Joel Simo (2004) explique aussi le CRP : R e structurer : réorganiser ; modifier la structure d’une organisation Du rab le : qui dure longtemps Privatisation : vente du capital d’une entreprise publique à des actionnaires privés, par opposition à nationalisation L ib éralisation : libre circulation des marchandises Bien avant que le Vanuatu n’accepte le Programme de Réforme Globale, Dr. John Fallon a publié un rapport en 1994 dans lequel il citait bien clairement les parties principales du gouvernement qui devaient être réformées. En 1997, le Vanuatu accepta finalement le Programme de Réforme Globale à condition de restructurer ses services publics parce qu’ils devenaient trop coûteux à diriger. Le CRP est censé améliorer l’investissement étranger en supprimant les règlements commerciaux et d’investissement, augmenter les revenus de change en faisant la promotion des exportations et en réduire les déficits gouvernementaux à travers des diminutions dans les dépenses gouvernementales. Ces mesures sont supposées amener le Vanuatu vers une expansion durable. Les programmes de réformes varient d’un pays à l’autre, mais en général ils incluent : • La réduction d’employés dans le secteur public •La privatisation des entreprises du gouvernement •La libéralisation du commerce • La Taxe sur la Valeur Ajoutée ou d’autres changements sur les impôts • La diminution des dépenses sociales telles que l’éducation et la santé • La dévaluation de la monnaie nationale et la suppression des salaires Le CRP fut mis en service en 1997. Résultat : la quantité de fonctionnaires du Vanuatu fut L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 167 L e P ro gramme d e Ré forme G lobale ( CR P : Compre he n sive Re fo rm Program) Le Programme d’Ajustement Structurel (SAP : Structural Adjustement Program) ou le Programme de Réforme Globale est un programme que la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International imposent à un pays quand celui-ci a atteint son niveau économique le plus faible et ne peut plus gérer ses affaires. Le Programme de Réforme Globale fut initié par la Banque de Développement Asiatique, une branche de la Banque Mondiale, en 1997. L’argent ou l’aide pour la restructuration des services du gouvernement est accordé sous conditions. — Joel Simo réduite de plus de la moitié. Les raisons fournies affirmaient que cela allait améliorer la performance du secteur public à travers des politiques qui allaient améliorer l’environnement réglementaire et les coûts concurrentiels commerciaux du pays. À travers cet exercice de restructuration, les budgets de l’éducation et de la santé furent réduits, touchant de nombreuses écoles et dispensaires dans le pays. On conseilla au gouvernement de privatiser ses corps statuaires pour mieux gérer les ressources humaines. Avec les diminutions de dépenses du gouvernement, moins de subventions étaient allouées à la santé, l’éducation, les budgets d’aide sociale, etc. Les personnes aisées pouvaient toujours se payer ces services, mais ceux qui l’étaient moins dépendaient des subventions du gouvernement. Avec l’idée de rendre les économies faibles, plus concurrentielles dans le marché mondial, les programmes de réformes ont été suivis d’un fort taux de chômage et de diminutions des prestations salariales. Avec la libéralisation du commerce, une concurrence des importations bon marché s’accrut signifiant souvent la ruine des petits producteurs. Aujourd’hui, il est clair que ces produits bon marché arrivent en masse en provenance des pays asiatiques. Les prix de la nourriture et des premières nécessités, comme l’eau et l’électricité, augmentèrent aussi à cause de la dévaluation de la monnaie et à cause des impôts qui y sont appliqués. Le CRP a eu un effet draconien sur le bien-être et les moyens de subsistance des plus pauvres. Le CRP a déçu le Vanuatu dans toutes ses promesses. Dans une révision du CRP en octobre 2004 à Luganville, Santo, le gouvernement du Vanuatu dirigé par Serge Vohor est arrivé à la même conclusion : Nous devons évaluer si la réforme a été exécutée avec succès depuis que le gouvernement a reçu 30 millions de dollars américains provenant de la Banque de Développement Asiatique pour financer cette réforme. Les services du gouvernement diminuent et s’aggravent. Le revenu du gouvernement continue de diminuer. Pourquoi les dépenses du gouvernement continuent-elles d’augmenter ? Je pense que l’approche prise en s’en prenant à tous les secteurs du gouvernement en même temps, nous venons de le découvrir dans le dernier forum, nous a dépassé et nous fait tourner en rond pendant les réunions. Le CRP a fait du bon travail en établissant une structure légitime, des institutions et des instruments de travail, mais cela ne peut pas marcher s’il n’y a pas de bons chauffeurs pour conduire ces instruments. Il faut se débarrasser des mauvaises habitudes qu’il y a en nous. En tant que ministre du CRP, je veux voir des changements avant notre prochain sommet en 2006. 168 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois — Ministre du PRC, l’Honorable Marcellino Pipite (cité dans The Ni-Vanuatu volume 1 publication 6). Questions de compréhension 1. Nommez 3 améliorations que le CRP devait amener au Vanuatu. 2. Simo déclare que le CRP a déçu le Vanuatu avec ses promesses. De quelle manière ? 3. Sur qui M. Pipite rejette-t-il le blâme ? Pour aller plus loin Le même gouvernement qui a mis en exécution le CRP, a admis son échec 7 ans plus tard. Quel enseignement peut-on en tirer ? Enquête Cherchez des opinions différentes opinions sur le CRP. Interrogez des gens et découvrez s’ils comprennent ce qu’est le CRP. Est-ce qu’ils approuvent le CRP ? L’économie La voie du « développement » Avec son indépendance, le pays put prendre position dans le monde politique et gérer ses affaires internes. Toutefois, les capacités de la partie marchande de son économie ne lui permettaient pas de soutenir les budgets publics sans les financements de ses anciennes tutelles. Les revenus engendrés par ce paradis fiscal étaient insuffisants. Les gouvernements français et britannique acceptèrent ainsi de maintenir un certain niveau d’assistance économique au Vanuatu les premières années de son indépendance. Le Vanuatu reçut aussi des prêts pour soutenir ses institutions telles que les hôpitaux et l’éducation. Cependant, toutes ces subventions et tous ces prêts faisaient l’objet de conditions. Par conséquent, le Vanuatu n’était pas libre dans l’affectation de ces fonds. Le Vanuatu était politiquement indépendant, mais économiquement lié aux anciennes puissances coloniales. Le Vanuatu et sa dépendance envers l’aide étrangère Extraits tirés d’un article du Pacific Magazine et du Pacific Islands Monthly. Le gouvernement a demandé aux Nations Unies que le Vanuatu reste dans la catégorie des ‘pays les moins développés’, bien que le Conseil Social et Economique des Nations Unies ait recommandé un changement de statut. S’adressant à l’Assemblée Générale des Nations Unies à New York, le Premier ministre Serge Vohor proposa que l’on diffère le changement de statut à l’année 2000. Il déclara que la faible situation économique de son pays et le programme rigoureux de réforme en place justifiaient de garder sa désignation actuelle. —Pacific Magazine jan/fév. 1998, Vol.23 No.1 Le pont de la rivière Sarakata à Luganville à Espiritu Santo sera remplacé par L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 169 un nouveau qui sera financé par l’Union Européenne. La nouvelle travée, qui se trouvera en amont du pont actuel, coûtera environ 200 million de vatus. —Pacific Magazine juillet/août 1995, Vol. 20 No. 4 Le Forum du Pacifique Sud vient de remettre 20 000 dollars fidjiens au Gouvernement du Vanuatu suite à un tremblement de terre et un tsunami (causé par un cyclone) en novembre dernier. Cet argent provient d’une collecte mise au profit des victimes de catastrophes naturelles. —Pacific Islands Monthly mars 2000, Vol. 72 No. 33 L’Aéroport International de Bauerfield doit être amélioré grâce à un don japonais de 8 millions de dollars américains. Les équipements de navigation seront améliorés et l’aérogare sera agrandi afin de recevoir plus de passagers. —Pacific Magazine nov./déc. 1989,Vol. 14 No. 6 La Chine a fait un don de 540 000 dollars américains pour la construction du projet hydroélectrique dans l’île de Mallicolo. —Pacific Magazine jan/fév. 1995,Vol. 20 No. 1 Le Vanuatu a reçu 400 000 dollars de l’Australie pour améliorer son alimentation en eau et son système sanitaire… Les fonds viennent du Programme de Subvention des Produits de Base du Australian International Development Assistance Bureau. —Pacific Magazine mai/juin 1995,Vol. 20 No. 1 Pour aller plus loin 1. Comme il est dit dans le premier extrait, pourquoi le Premier ministre Serge Vohor a-t-il demandé aux Nations Unies de garder le Vanuatu dans la catégorie des ‘pays les moins développés’? 2. L’aide étrangère est une aide conditionnelle. Qu’est-ce que cela signifie ? Activité de discussion Quels sont vos réflexions quant à la dépendance du Vanuatu par rapport à l’aide étrangère ? En classe, organisez un débat sur les avantages et les inconvénients à dépendre de l’aide venant d’autres pays et organisations. Enquête Y a-t-il des projets sur votre île qui sont actuellement financés par l’aide étrangère ? Si oui, expliquez quels sont ces projets et comment votre communauté va en bénéficier. Plus en détail – le paradis fiscal En 1970 et 1971, l’administration britannique du condominium des Nouvelles-Hébrides fit adopter des lois bancaires et commerciales qui ont transformé le Vanuatu en un 170 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois paradis fiscal international ou Centre Financier Offshore (CFO). Les contrôles sur les devises étrangères et sur les taux d’intérêt furent supprimés ou abaissés à des niveaux très faibles. Il n’y avait aucun impôt sur le revenu. Ainsi, dans les années 1970, les banquiers et les organisations financières commencèrent à utiliser les Nouvelles-Hébrides pour déposer leurs devises étrangères dans un centre financier exempt d’impôt. Parfois leur argent ne restait aux Nouvelles-Hébrides qu’un seul jour avant d’être déplacé quelque part ailleurs, ce qui peut correspondre à une action de blanchiment d’argent sale, c’est-à-dire gagné illégalement. Beaucoup d’entreprises étaient enregistrées aux Nouvelles-Hébrides, bien qu’elles n’aient jamais eu de siège social aux Nouvelles-Hébrides ; leurs affaires étaient, par exemple, dirigées en Europe. C’était une manière pour ces investisseurs d’éviter de payer des impôts dans leurs propres pays ; processus que l’on nomme l’évasion fiscale. Le paradis fiscal des Nouvelles-Hébrides leur promettait secret et confidentialité. Les retombées attendues du CFO découlant de l’effet multiplicateur escompté (Rawlings, 2003). De nouveaux investissements devaient notamment stimuler l’emploi salarié en particulier et l’activité économique en général (augmentation du commerce, développement des infrastructures, intensification de l’urbanisation). Quarante ans plus tard, on est en droit de se demander si toutes les attentes furent remplîtes et si elles permettent d’atténuer les critiques aujourd’hui formulées à l’étranger envers le CFO. Quels avantages résultent réellement [du centre financier offshore du Vanuatu] pour le pays et ses habitants ? Le chiffre de 342 emplois locaux créés par le centre offshore, avancé par ses responsables, est artificiellement gonflé par l’adjonction de tous les employés de banques dont l’activité ne repose évidemment pas sur le seul centre financier. Les taxes collectées (essentiellement les droits d’enregistrement des entreprises) rapporteraient au gouvernement entre 2 et 4 millions de dollars par an, pour un revenu global de 60 millions de dollars par an : assez loin par conséquent des 15% revendiqués par les dirigeants. Plus opaque encore est le secret qui entoure le montant global des transactions du centre financier, qui se chiffrerait en « milliards de dollars » selon le principal hebdomadaire économique de la région, Island Business, publié à Fidji. La pression que semblent désormais exercer les grandes puissances mondiales pour mettre un terme à l’existence de ce genre de non-droit économique n’a encore guère perturbé la quiétude du centre financier […]. Outre qu’il contribue à donner une certaine touche néo-coloniale à sa capitale PortVila, le centre financier entretient l’illusion que le Vanuatu ne pourra sortir de la spirale de la dépendance qu’en accentuant la libéralisation de son économie (Wittersheim, 2006 : 122-123). Chronologie du paradis fiscal des Nouvelles-Hébrides 1969 Port-Vila possède une banque, la Banque de l’Indochine 1970-1 Le gouvernement britannique fait adopter une loi faisant des Nouvelles-Hébrides un paradis fiscal international 1972 500 entreprises extraterritoriales (pour la plupart australiennes) s’établirent à Port-Vila 1973 Port-Vila possède 13 banques étrangères 2010 Accord entre les gouvernements français et Vanuatais relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale. Depuis l’an 2000, l’Organisation de la Coopération et du Développement Economique (OCDE) fait pression sur les paradis fiscaux partout dans le monde. On leur demande de L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 171 mettre fin au secret bancaire et de partager l’information avec les autorités fiscales des pays dont les citoyens souhaitant échapper à l’impôt, cachent illégalement leur argent. Le paradis fiscal du Vanuatu a perdu plusieurs des avantages qu’il possédait au début des années 1970. L’industrie principale du Vanuatu aujourd’hui est le tourisme et c’est la source principale de revenus pour le pays. Si le paradis fiscal du Vanuatu avantage toujours les investisseurs qui sont attirés par l’absence d’impôts sur le revenu et sur les entreprises, cela suscite néanmoins quelques problèmes. Les contributions au produit intérieur brut du Centre Financier diminuent. Dans la plupart des pays, l’impôt sur le revenu remplit sa fonction économique, à savoir la redistribution des ressources par le gouvernement aux écoles, aux hôpitaux, aux travaux publics et aux services publics tels que les bibliothèques et les musées, etc. Au Vanuatu, il n’y a pas d’impôt sur le revenu, même si les frais de scolarité payés par les familles correspondent à un impôt déguisé, payé par la majeure partie de la population, sur ses revenus. Aussi le gouvernement doit trouver de l’argent par d’autres biais que l’impôt direct. Sans impôt sur le revenu, il doit imposer des taxes sur les importations (telles que le kérosène et le savon), sur la nourriture importée (telle que le riz, les boîtes de conserve et le sucre) et sur d’autres produits manufacturés et services. La Taxe sur la Valeur Ajoutée (la TVA) et la taxe sur le débit (TD) en sont les exemples. Il y aussi des taxes routières à payer. Cela veut dire que beaucoup de produits et de services au Vanuatu sont coûteux. Cela réduit aussi les subventions du gouvernement pour les services publics (les écoles, les hôpitaux et les routes). La décision du condominium de faire du Vanuatu un paradis fiscal a eu des effets d’une grande portée sur le développement de l’économie et de l’urbanisme à Port-Vila, mais aujourd’hui la situation contraste avec ses débuts optimistes et prospères. Questions de compréhension 1. Quelle est l’utilité de l’impôt sur le revenu ? 2. Pour quelle raison le gouvernement du Vanuatu a-t-elle introduit la TVA et la TD ? Activité de discussion Devrait-on introduire l’impôt sur le revenu au Vanuatu ? En tant que jeune État, avec l’agriculture comme secteur d’activité principal, les plantations demeurèrent économiquement importantes, surtout celles qui produisaient du coprah. Le bétail, surtout les bovins, et la pêche se développèrent. Afin de diversifier l’économie à Vanuatu, le tourisme fut encouragé. Dans les « Plus en détail » suivants, nous verrons comment les différentes industries de Vanuatu contribuent à l’économie nationale. Il existe d’autres industries qui ne sont pas mentionnées. Si cela vous intéresse, effectuez une recherche sur celles qui se trouvent dans votre région. 172 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Plus en détail – le tourisme au Vanuatu La lettre qui suit se trouve dans un dépliant touristique qui est disponible à l’office de tourisme de Port-Vila. Tiré de « Vanuatu : What’s on ». Jasons Travelmedia, Auckland, NZ. Images du Vanuatu présentées à l’étranger par l’Office national du tourisme (2004). Bienvenue au Vanuatu, A tous les visiteurs et ceux qui ont l’intention de visiter le Vanuatu, je vous souhaite un accueil chaleureux dans nos îles. Le Vanuatu a un héritage naturel, pittoresque et historique unique au monde. Cet archipel d’îles en forme d’Y est couvert de forêts tropicales et de terres fertiles, alors que ses rivages de plages blanches sont baignés de l’eau claire de l’Océan Pacifique. Voici les beautés naturelles qui bénissent le Vanuatu. Nos villages sont entourés d’un environnement propre et la vie est simple et sans souci. Des gens très accueillants vous attendent pour vous souhaiter la bienvenue. Voilà pourquoi nous décrivons le Vanuatu comme étant « d’une autre ère, et vivant à un autre rythme ». L’époque coloniale contribua beaucoup au caractère actuel de notre nation. Grâce au système d’administration mixte, nous sommes le seul pays du Pacifique Sud ayant deux langues officielles, le français et l’anglais. Il y aussi le bichlamar, langue nationale que les gens des différentes îles utilisent pour communiquer entre eux. Ce mélange de cultures dans un cadre éblouissant, offre une gamme étendue d’attractions touristiques compétitives dont certaines sont uniques au Vanuatu. Marcher sur le bord du volcan actif de Tanna ou assister au spectaculaire saut du Gaul sur Pentecôte. Par ailleurs, notre Centre Financier International vous offre un choix d’investissements qui aident notre industrie du tourisme à rester viable et compétitive. De nouveaux aménagements et de nouvelles routes aériennes se mettent en place. Avec sa vie sans souci, son héritage multiculturel, ses merveilles naturelles et ses aménagements conçus pour les touristes, le Vanuatu enchantera vos vacances. Il y a tellement à voir et à faire. Tankyu tumas (merci beaucoup) et bonnes vacances parmi nous. — L’Honorable Jean-Alain Mahe, Ministre du Commerce et du Tourisme de la République de Vanuatu, 2003. Pour aller plus loin 1. Le nombre de paquebots de croisière qui visitent nos ports augmente chaque année. De plus, ces paquebots visitent de nouveaux endroits tels que Pangi au sud de Pentecôte et l’île Wala au nord-est de Mallicolo. Quels sont les effets de ces visites régulières ? Quels en sont les bénéfices et les inconvénients ? 2. Y a-t-il des phrases dans l’extrait ci-dessus avec lesquelles vous n’êtes pas d’accord ? Si oui, pourquoi ? 3. Pourquoi fait-on mention des possibilités d’investissement dans cette ‘lettre de bienvenue’ ? 4. « L’époque coloniale contribua beaucoup au caractère actuel de notre nation. Grâce au système d’administration mixte, le Vanuatu est le seul pays du Pacifique Sud ayant deux langues officielles, le français et l’anglais. » Cette partie fait référence au gouvernement du condominium avant l’Indépendance et le décrit comme un « système unique d’administration mixte ». En se basant sur ce que nous avons appris dans « En route vers l’indépendance », le condominium est-il décrit de façon suffisante ? Pourquoi ? L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 173 Expressi on écrite Imaginez que vous êtes un touriste et que vous pouvez visiter n’importe quel endroit, ou iriez-vous ? Pourquoi ? Faites une rédaction expliquant votre choix. Dans cette composition, justifiez votre choix. Activité de discussion Que veut-on dire par « dans une autre ère, à un autre rythme » ? Pourquoi cette phrase attire-t-elle les touristes ? Enquête Le tourisme est important pour l’économie de notre pays. L’île dont vous êtes originaire attire-t-elle des touristes ? Si oui, pour quelles raisons à votre avis ? Plus en détail – le kava du Vanuatu et son exportation Le Vanuatu espère exporter le kava vers la Chine Par Ricky Bihini Les scientifiques chinois s’intéressent aux valeurs médicinales du kava du Vanuatu et si tout se passe comme prévu, le Vanuatu devrait exporter du kava vers la Chine avant la fin de l’année. Pendant la dernière visite à Beijing des fonctionnaires supérieurs du Vanuatu, les fonctionnaires chinois ont manifesté leur intérêt pour le kava du Vanuatu. Ainsi, une livraison de 18 kg de kava sec fut récemment apportée en République Populaire de Chine par le ministre du Commerce, M. Bule… L’industrie du kava de 228 millions de vatus a connu un grand repli en 2002 quand 3 pays européens ont décidé de retirer de leurs marchés, le kava du Vanuatu, de Fidji et de Samoa. L’interdiction du kava en Europe provient des allégations que cette substance serait responsable de maladies du foie. C’est une hypothèse que les experts en matière de kava réfutent avec véhémence, car les gens du Vanuatu boivent du kava depuis des centaines d’années et ne se sont jamais plaints de maladies du foie. Les pays européens qui ont interdit le kava sont l’Allemagne, la France et la Suisse. Les fonctionnaires du commerce du Vanuatu estiment que si le Vanuatu peut obtenir un marché pour le kava dans le pays où il y a 1/6 de la population mondiale, et qui est en train de rapidement devenir un puissant acteur économique, les fermiers dans les zones rurales du Vanuatu en tireront énormément profit. — Vanuatu Daily Post no 1251 (16 septembre 2004) Questions de compréhension 1. Pourquoi la Chine est-elle considérée comme un marché potentiel pour l’exportation du kava ? 2. Qu’est-il arrivé au marché du kava en 2002 ? Publicité du VCMB (Pacific Islands Monthly, sept 1991). Une marque de tisane vendue aux États-Unis utilisant des extraits de kava du Vanuatu. 174 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Pour aller plus loin Comment l’industrie du kava a-t-elle changé au cours des années ? Expression écrite Imaginez que vous êtes un responsable commercial du Vanuatu et que vous êtes chargé de la promotion de l’exportation du kava en Chine. Rédigez une publicité convaincante qui doit apparaître dans un journal chinois décrivant le kava. Activité de discussion Observez la photo du paquet de thé aux extraits de kava de la page précédente. Pourquoi les produits comme le ‘Anxiety Release Tea’ sont-ils populaires aux ÉtatsUnis ? Enquête Comment l’usage social du kava a-t-il évolué avec le temps ? Que pensezvous de l’usage croissant du kava comme moyen de relaxation, des débouchés économiques et des effets sociaux. Réfléchissez à vos propres réponses et ensuite interrogez d’autres personnes (professeurs, professionnels de la santé, propriétaires de nakamal, etc.). Ont-ils tous la même réponse ? Plus en détail – l’élevage bovin du Vanuatu Lisez l’article de journal suivant sur la viande de bœuf au Vanuatu et répondez aux questions : Viande de bœuf du Vanuatu totalement sans OGM Par Kalvau Moli Vanuatu Daily Post no 1207 (16 juillet 2004). Le département de l’agriculture et du bétail a confirmé que la qualité de la viande de bœuf du Vanuatu est unique, car elle est biologique. John Joël, un inspecteur en boucherie au sein du service de la quarantaine a déclaré que son travail est d’assurer la qualité de la viande de bœuf du Vanuatu. D’après le service de la quarantaine et du bétail, il n’y a aucun organisme génétiquement modifié (OGM) qui entre dans la production bovine du Vanuatu. Les OGM qui sont actuellement un problème mondial ont été mentionnés quand l’inspecteur a affirmé que d’après l’Indicatif de Sécurité Alimentaire, la qualité du bœuf au Vanuatu est toujours exceptionnelle. Pendant la journée portes ouvertes cette semaine dans la plantation du gouvernement près de l’institut d’agronomie, les fonctionnaires ont confirmé que, bien que les règlements interdisant les OGM au Vanuatu soient restreints, la Quarantaine mettra tout en œuvre pour stopper l’entrée des végétaux génétiquement modifiés. La recherche scientifique sur les végétaux hybrides visant à améliorer les pâturages devient un enjeu mondial alors que le monde est toujours divisé sur l’utilisation des OGM. Grâce à l’élevage organique du bétail du Vanuatu, nous possédons une des meilleures viandes exportées jusqu’au Japon, ainsi qu’en Nouvelle-Calédonie et en Australie qui représentent les marchés les plus prisés. L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 175 Questions de compréhension 1. D’après l’article, qu’est-ce que l’Indicatif de Sécurité Alimentaire ? 2. Pourquoi l’industrie bovine au Vanuatu attache-t-elle tant d’importance à ce qu’aucun OGM n’entre dans le pays ? 3. Que signifie « marchés les plus prisés ». Quels autres produits du Vanuatu sont en accord avec cette description ? Plus en détail – la mondialisation et le libre échange Dans les années 1990, la presse commençait à vulgariser l’usage de certains concepts comme celui de mondialisation qui se réfère à l’intensification des pratiques mondiales de libre-échange. L’économiste écossais Adam Smith, au 18ème siècle, fut l’un des premiers théoriciens du libre-échange. Il développa le concept de l’avantage comparatif, ce qui veut dire que M o nd i alisation La mondialisation est le terme utilisé pour décrire l’accroissement de la circulation des produits, des services et des investissements autour du monde liant ainsi les économies nationales. Cela veut dire que le gagne-pain d’un cultivateur de cacao sur Santo dépend de la situation politique en Côte-d’Ivoire. Cela signifie qu’un cyclone qui ravage la production de vanille à Madagascar peut changer l’économie agricole mélanésienne. Avec la mondialisation, l’argent et les produits se déplacent de plus en plus autour du monde. — Daniel Gay, Économiste (Vanuatu Daily Post no 1217, 30 juillet 2004) La mondialisation s’intéresse principalement à une augmentation des marchés, des commerces et des profits et se soucie peu du bien-être, de l’intérêt public, de l’environnement, de la santé et de la stabilité sociale. — Stanley Simpson, Coordinateur du Pacific Network on Mondialisation (PANG) (Vanuatu Daily Post no 1270, 13 octobre 2004) Cependant, la mondialisation n’est pas simplement un choix politique où les pays peuvent décider d’en faire partie ou pas. C’est plutôt un processus dont certains éléments ne sont que partiellement sous le contrôle des gouvernements. La mondialisation possède aussi une composante socioculturelle qui implique le transfert de cultures et de langues à travers les frontières nationales, brisant ainsi les distinctions culturelles nationales. Par exemple, la musique hip-hop de la culture pop américaine et les fast-foods se sont dispersés à travers le monde. La mondialisation présente quelques avantages tels que cette capacité qu’ont les gens à voyager plus, facteur déterminant dans les protestations contre le FMI (fonds monétaire international), la Banque Mondiale et le G8. L’Internet est aussi un produit et un moyen pour faire avancer la mondialisation. 176 Protection n isme : actions menées pour protéger les industries locales de la concurrence étranger Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois les pays se spécialisent dans certaines productions et exploitations de ressources les plus rentables. Le libre-échange signifie que les pays peuvent importer et exporter librement les produits, payant peu ou pas de taxes. Cela veut dire que les pays peuvent acheter des produits à bas prix puisque la taxe sur l’importation a été levée. Quelle nourriture consomme la population au Vanuatu qu’elle ne produit pas elle-même ? Le riz ! Quelle production le Vanuatu peut-il échanger contre des biens qu’il ne produit pas ? Le Vanuatu est actuellement dans un système de libre-échange avec les nations membres du Groupe de Fer de Lance Mélanésien (Fidji, Papouasie Nouvelle Guinée, Salomon). C’est pourquoi on peut facilement trouver sur le marché national des boîtes de thon des Salomon, le riz de Papouasie-Nouvelle-Guinée et les biscuits de Fidji. Le Vanuatu peut en échange exporter vers ces pays le kava, la viande de bœuf et le bois avec des taxes et tarifs d’exportation réduits. Le Vanuatu est signataire de l’Accord du Commerce des Pays du Pacifique (Pacific Island Countries Trade Agreement, PITCA) qui permet aux nations du Pacifique de faire du commerce à moindre coût. Cependant, les conventions économiques de libre-échange sont fermement critiquées à travers le monde. Aux réunions de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) à Seattle, dans l’État de Washington en 1999 et à Cancun, au Mexique en 2003, il y eut des manifestations de masse contre la libéralisation du commerce. Car le « commerce libre » n’est pas équitable. Il ne profite qu’aux pays riches, dits Pays du Nord. Comment ? Car ces pays riches peuvent poser les règles et conditions du libre échange de façon à ce qu’ils en tirent davantage de profit. Les pays les plus pauvres, dits Pays du Sud, n’ont pas d’autre choix qu’accepter les termes de ces accords face à la menace de supprimer leurs aides au développement. Ils exportent donc leurs produits à un prix bien inférieur, comparativement, à celui des marchandises importées. L’argument des opposants au libre-échange consiste à dire que les pays riches peuvent restreindre les importations de produits qui menacent leurs producteurs locaux alors qu’ils forcent les pays en voie de développement à ouvrir leurs propres marchés. Ainsi les pays pauvres moins puissants économiquement sont perdants parce qu’ils doivent acheter plus de produits étrangers (qui sont facilement importés à cause des taxes faibles) et les marchés sur lesquels ils peuvent vendre leurs produits sont limités. Cela signifie également que si les pays possèdent une production inégale de biens à l’exportation, un pays peut être soudain envahi de produits bon marché d’un autre pays sans exporter une quantité égale de produits. Dans ce cas, les producteurs locaux sont menacés et l’économie nationale également. En 2003, le Gouvernement du Vanuatu essaya de protéger certains producteurs locaux contre ce genre de situation. L’importation de poulets entiers fut interdite et Toa Farms à Port-Vila, un producteur local devint le seul fournisseur. On appelle ce genre d’action du protectionnisme, que les pays riches ne se gênent pas de mener quand leurs intérêts économiques sont menacés. Certains contestataires ajoutent que la libéralisation du commerce nuit à l’environnement parce que les pays s’intéressent plus à la production et au transport des marchandises ainsi qu’aux services et se soucient peu des effets que cela peut avoir sur l’environnement. Questions de compréhension 1. Qu’est-ce que la mondialisation ? L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 177 2. Pourquoi peut-on critiquer la libéralisation du commerce ? Donnez deux raisons. 3. Qu’est-ce que le protectionnisme ? Pour aller plus loin 1. Si un pays ne produit pas de biens destinés à l’exportation, comment peut-il tirer avantage d’un accord de libre-échange ? 2. Certains économistes expliquent que le libre-échange et le protectionnisme ne peuvent pas fonctionner en même temps. Pourquoi ? Activité de discussion Avec l’intensification du commerce à travers le monde, quels pourraient être les effets négatifs sur l’environnement ? Enquête Visitez un magasin et examinez les produits en vente. Quels produits sont fabriqués au Vanuatu ? D’où viennent les produits importés ? Si possible, comparez les produits fabriqués localement et ceux importés, quels produits sont moins chers ? Après avoir dressé un tableau succint du système politique et économique du vanuatu, nous examinerons les composantes sociales du pays. La vie sociale du pays Dans la rubrique « Plus en détail » , divers aspects de la vie actuelle au Vanuatu seront abordés : la vie de village ; la vie en ville ; le sport ; la religion ; la musique ; la culture ; les relations internationales. Plus en détail– l’urbanisation au Vanuatu Dans le chapitre « Croissance de Port-Vila et de Luganville », nous avons étudié le développement de ces deux villes à l’époque coloniale. Ces deux villes connurent une croissance importante dans les années 1970 quand le pays obtint le statut de paradis fiscal. En 1980, Port-Vila en particulier était devenue prospère. En tant que capitale,PortVila était le centre administratif du pays et les Ni-Vanuatu des autres îles s’y rendaient pour trouver du travail. Alors que Port-Vila était principalement une ville européenne pendant les premières années du condominium, elle devint une ville mélanésienne à l’indépendance, même si les comunautés d’expatriés y restent nombreuses. Aujourd’hui au Vanuatu, en plus de Port-Vila et Luganville, il y aussi des centres urbains à Norsup à Mallicolo et Lenakel à Tanna. Ils furent créés en 1992 quand le Gouvernement essaya de décentraliser le développement hors de Port-Vila. Toutefois, le développement des zones urbaines du pays n’est pas simple. Etant donné les lois foncières, les zones municipales doivent être déclarées domaine public. Ainsi, la population fait l’objet d’expulsion de la part du gouvernement. Dans l’extrait suivant de la thèse de Samantha Sherkin intitulée Forever United : Identity-Construction Across the Rural- 178 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Urban Divide (1999), nous allons découvrir que les gens de Mataso qui vivaient à PortVila ont été expulsés de la plantation Colardeau et ont dû s’installer à Ohlen. Matah Keru, qui signifie Mataso Number Two, est le nom vernaculaire désignant la communauté urbaine des gens de Mataso. Cette communauté composée d’environ 200 personnes est située dans la grande banlieue de Port-Vila à Ohlen Freshwind.Matah Keru occupe un quartier d’une superficie nette de 0,94 hectares à Ohlen (Département des Terres). La communauté urbaine de Mataso vit sur cette terre depuis le 23 avril 1990. Cependant la majorité de ces immigrants urbains vivaient autrefois sur les terrains d’André Colardeau, propriétaire de la Plantation Colardeau. Les gens de Mataso, à la différence d’autres travailleurs indigènes, vivaient librement sur cette terre (c’est-à-dire qu’ils ne payaient aucun loyer) en reconnaissance et en dédommagement de 45 ans de travail. Cependant, en 1990, le gouvernement décida de construire le parlement sur cette terre et expulsa en conséquence tous les occupants de Mataso et des autres îles. En dépit de leur La composition des terrains individuels dans la communauté de Matah Keru (Sherkin 1999 : 103). Légende de la c ar t e 1 * Ma i s on 2 Mais on inha bi té e 3 terres privées n on dévelo p pé e s 4 j ardins p ri vé s 5 terres non dévelo p pé e s apparten ant à l a com m un a uté 6 le Nakam al (ce n tre de réuni on s ) 7 l’Églis e Pres b ytéri e n n e 8 Nakam al pri vé (un kava- ba r) Le public est avisé au nom du gouvernement de la République du Vanuatu que les membres de la Communauté de Mataso doivent quitter les lieux situés et connus sous le nom de Colardeau (ancien titre de propriété 81) et nouveau titre de propriété 11/ OC24/019 le 30 avril 1990. (Sherkin 1999 : 110) — Avis d’expulsion distribué au Chef Timataso et au Président du Tokomel Komiti (un comité organisé par la communauté de Mataso à Port-Vila) L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 179 manque de chance, de pluies diluviennes et du manque d’aide de la part du gouvernement, la communauté de Mataso se réimplanta et s’établit avec succès sur une nouvelle terre achetée et approuvée par le gouvernement. Toutefois, un bon nombre de ces habitants, de toutes les générations, restent nostalgiques de leur ancien quartier, expliquant que non seulement il était mieux situé tout près du centre de la ville, mais, qu’il représentait également un tribut pour des années de loyaux services… (Sherkin 1999 : 102). Co nd i tion s d e vie scan d al eus es L’augmentation dramatique de la croissance démographique a conduit à… un rapide développement d’installations de type « squat » ou « bidonville » dans les environs de Port-Vila… il est courant de trouver huit personnes partageant une seule pièce mesurant quatre mètres sur trois mètres. Les problèmes sanitaires et de traitement des ordures sont évidents avec un emploi excessif des fosses septiques (là où elles existent) dans les endroits bondés de monde, ceci conduit à la pollution du lagon de Port-Vila… On estime qu’en 1990, 25 pour cent de la population urbaine de Vanuatu vivait dans des taudis et des squats manquant de services essentiels (Bryant 1993 : 51). La planification de la réimplantation de la communauté commença le 23 avril 1990. Le Ministre des Terres avait initialement fait trois promesses au Tokomel Komiti de Mataso. Il avait promis de porter assistance dans le déménagement des maisons individuelles et des biens, de défricher et de nettoyer un site désigné par le gouvernement avant le grand déménagement, et enfin de ne pas imposer de tarif ou de loyer sur le nouveau terrain. Aucune promesse ne fut tenue. Chacun commença à démonter sa maison en tôles, n’ayant aucun moyen de transport vers le nouveau lieu. Heureusement, la municipalité finit par mettre plusieurs véhicules à disposition. Il fallut 4 jours pour tout déménager : le 26 avril, il n’y avait plus aucune trace d’habitation des gens de Mataso sur l’ancienne Plantation Colardeau. Malheureusement, le nouveau site à Ohlen n’était pas très accueillant. A leur arrivée, les gens de Mataso se trouvèrent dans une forêt dense au lieu d’un site défriché, selon la promesse faite précédemment par les fonctionnaires du gouvernement. En plus, la pluie ne cessa de tomber et on s’inquiéta du bien-être des jeunes enfants et des vieillards. Une petite clairière fut bientôt découverte et on plaça une bâche qui servit d’abri contre les orages. On ne tint pas compte des biens personnels ou plutôt on les étiqueta et on les entassa sous les arbres. A cause de la pluie, cet endroit boisé fut transformé en marécage…Le Malvatumauri aida la communauté de Mataso en demandant à d’autres communautés de Port-Vila de venir travailler la terre. Les jeunes et les femmes des différentes églises apportèrent aussi leur assistance : les jeunes aidèrent à construire les maisons et les femmes apportèrent de la nourriture cuite et du linge. Aujourd’hui, la communauté de Mataso se souvient et décrit ce déménagement comme un exploit (Sherkin 1999 : 112). On ne peut vraiment pas définir les gens de Matah Keru comme des squatters, ils ont officiellement acheté la terre sur laquelle ils habitent actuellement. Cependant, leurs conditions de vie indigentes illustrent, plutôt qu’elles ne contredisent, les taudis urbains caractéristiques. Ainsi on peut suggérer que la communauté de Matah Keru vit dans un état de pauvreté urbaine que l’on distingue par un niveau de vie et de conditions d’habitat dégradés, par une augmentation des inégalités de salaire et de services essentiels et par un taux élevé de malnutrition… (Sherkin 1999 : 118). N o s t a l gie : regret ou mélancolie à l’égard du passé T r ib u t : dédommagement pour service rendu 180 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Pour aller plus loin 1. Réfléchissez au déménagement de la communauté de Matah Keru. Etait-ce justifié ? Pourquoi ? 2. Quelles sont les responsabilités des citadins envers leurs communautés urbaines ? Pouvez-vous dire que, d’une certaine façon, les communautés dans les îles sont similaires aux communautés urbaines ? Pourquoi ? Justifiez votre réponse en donnant des exemples. Activité de discussion Si vous êtes déjà allés dans une des zones urbaines du Vanuatu (ou si vous habitez à Luganville ou à Port-Vila), la municipalité assure-t-elle le minimum de services à la population ? Pourquoi ? En classe, discutez des problèmes auxquels les citadins doivent faire face. Enquête Quelle est la responsabilité du gouvernement envers ses citoyens ? Est-ce que les citadins ont le droit d’avoir accès à l’électricité et à l’eau ? Quelle est la responsabilité d’un propriétaire envers ses locataires ? Recherchez quels sont les droits et les obligations des citadins. Plus en détail – le rôle des chefs au Vanuatu : le Malvatumauri Le Nakamal du Malvatumauri à Port-Vila, 1995. Il n’y avait pas, à proprement parler, de chefs avant la période coloniale. « Il n’y a pas de chef dans la coutume des NiVanuatu, hormis dans quelques régions bien déterminées – il y a surtout des big-men » (MacClancy, 1980 : 126). La diffusion du terme de chef et l’attribution des prérogatives qui lui correspondent, découlent d’une stratégie coloniale. Elle se servait des chefs comme de médiateurs, pour tenter de construire de toutes pièces de nouvelles hiérarchies : La question des chefs ne prit le devant de la scène politique qu’à partir de 1975. Lors des dernières étapes des négociations sur l’avenir de l’archipel, les autorités condominiales statuèrent sur l’instauration d’un Collège électoral des chefs, chargé de désigner quatre de ses membres, pour participer à la future assemblée représentative en tant que représentants de l’autorité locale. Le rôle et la légitimité de ces représentants de la kastom prit une tournure fortement polémique de septembre 1975 à juin 1976. Cette institutionnalisation des chefs coïncide avec l’élargissement du débat sur la coutume. Les chefs devinrent L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 181 l’élément central d’une controverse nationale sur ce qu’était la « tru kastom » et sur ce qui était « giaman » (MacClancy, 1981 : 126). Officialisé sous le nom de Malvatumauri (« Le terme ‘Malvatumauri’ est un composé de différentes langues de Vanuatu : mal = chef, vatu = place, île, mauri = grand, baleine ») en 1976, le Conseil national des chefs avait été envisagé, dès le départ par les autorités administratives françaises, comme un moyen pour freiner le National Party (futur VAP). Les propositions françaises allaient dans le sens d’une décentralisation du pouvoir du futur gouvernement autonome. L’autorité des chefs aurait permis sa légitimation locale, tandis qu’à un niveau national, le Malvatumauri devait occuper le rôle d’une chambre haute (un Sénat coutumier), contrebalançant ainsi les décisions de l’Assemblée représentative qui paraissait irrémédiablement destinée à tomber entre les mains des nationalistes. Cette stratégie coloniale française échoua manifestement, après que le VAP, qui boycotta pourtant les travaux de l’Assemblée représentative, s’accorda finalement sur la création d’un Conseil des chefs doté d’un rôle consultatif auprès de la future Assemblée pour toutes matières relatives à la coutume. La position ainsi adoptée par le VAP lui fut profitable : sur les vingt-quatre membres de ce Conseil qui siégèrent pour la première fois en février 1977 afin d’élire leur président (le chef Willie Bongmatur qui fut reconduit dans ses fonctions jusqu’en 1993), quatorze chefs furent apparentés au VP et dix autres au parti Modéré des francophones. A la même occasion, le Conseil des chefs vota une motion en faveur de l’instauration immédiate d’un gouvernement indépendant. Il ruina ainsi les derniers espoirs placés par les autorités françaises dans une structure fédéraliste (Zorgbibe, 1981 : 72 ; 76). La version finale du texte de la Constitution du nouvel État entérina l’existence du Malvatumauri et lui assigna une mission symbolique – renouer les liens avec un pouvoir autochtone confisqué par les colonisateurs – et des prérogatives honorifiques renforcées. Aucun éclaircissement ne fut cependant apporté à l’attribution même de la qualité de chef. Sinon que dans la République de Vanuatu, est chef celui qui est officiellement admis à participer au processus de désignation de représentants régionaux, eux-mêmes chargés de procéder à la nomination des chefs membres du Conseil national. La Constitution dispose que le Conseil national des chefs est « composé de chefs coutumiers élus par leurs pairs au sein des Conseils régionaux des chefs » (art. 27 1). Le CNC agit en étroite collaboration avec le Parlement et le gouvernement, et élit un « Président » (art. 27-4). Le CNC est « compétent dans tous les domaines relatifs à la coutume et à la tradition » (art. 28-1), notamment concernant « la protection et la promotion de la culture et des langues néo-hébridaises » (art. 28-1). Il peut être « consulté sur toutes questions, particulièrement celles relatives à la tradition et à la coutume, en liaison avec tout projet de législation du Parlement » (art. 28-2). Le Conseil ne participe pas au pouvoir législatif : « Le Parlement légifère sur l’organisation du Conseil national des chefs, en particulier, sur le rôle des chefs dans les villages, dans les îles et dans les régions » (art. 29). En tant que garant de la Constitution pour tous les aspects coutumiers, le Conseil des chefs vint à offrir une légitimité réciproque au pouvoir d’État qui lui a donné naissance, et ses membres devinrent les médiateurs privilégiés de l’État à un niveau local. 182 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Plus en détail– nouvelles églises chrétiennes et autres religions L’article de journal suivant évoque la naissance de l’Eglise Glorieuse (Glorious Church) et de ses multiples adeptes à travers les îles. L’Église Glorieuse continue devoir de Sanma Province Par Eleanor Waiwo La Glorious Church est une nouvelle Église qui a récemment atteint les îles du nord et a pour but d’unifier les gens afin qu’ils puissent renvoyer la Gloire de Dieu et aider à soulager la souffrance des gens, à la fois spirituellement et physiquement. L’Église Glorieuse est née le 11 juin 2000, apparemment pendant le jour de la Pentecôte, sur la petite île d’Aniwa. Le message a été ensuite propagé dans les quartiers de PortVila notamment à Ohlen, Melek Tree —Vanuatu et Black Sands. L’Église fut introduite à Port-Vato à l’ouest d’Ambrym par son fondateur le Révérend Samuel Joshua qui croit que Dieu lui a révélé dans une vision de répandre le message dans toutes les îles du Vanuatu… « Le groupe religieux n’est pas là pour causer la désunion parmi les autres groupes religieux, mais son rôle est d’unifier les gens, de partager des idées, tandis qu’il travaille pour le Christ » à expliqué le Révérend Joshua. Daily Post no 1226 (12 August 2004) Dans un autre article, le Vanuatu Daily Post a interviewé Mustapha Kalaos, le Secrétaire Général de la Société Musulmane du Vanuatu. Musulmans au Vanuatu Par Shirley Joy L’Islam existe au Vanuatu depuis 1978 et son fondateur est feu Henri Nabanga du village de Mele qui fut le premier à se convertir au Vanuatu. En 1987, quelques personnes se trouvant aux alentours de Mele embrassèrent cette foi et leur première Mosquée fut établie en 1992 à Mele. Depuis, le nombre de musulm ans à Mele s’est accru. Quelle a été la réaction du Chef et de la Communauté de Mele ? Quand l’Islam apparut pour la première fois à Mele, le chef de Mele et son peuple respectèrent la décision des musulmans de choisir leur foi. Ceci leur valut le respect des musulmans et ils vivent paisiblement ensemble dans la communauté. L’Islam devint en général acceptable dans le village de Mele grâce à la bonne humeur et au caractère correct de Hussein et des autres habitants du coin qui le soutenaient pendant les premiers jours de l’Islam à Mele. Une des choses importantes qui convainquit le village d’accepter l’Islam est sa façon complète de vivre dans ce monde et le monde à venir. Nous apprenons que la communauté musulmane grandit et croît chaque année. Combien y a-t-il de membres en tout ? Chaque année, de plus en plus de gens à Mele et dans les autres parties du pays entrent dans la religion de l’Islam. C’est une décision personnelle, je ne connais pas le nombre exact de musulmans à Mele. Mais je peux dire qu’il y a beaucoup de femmes et d’hommes ainsi que les membres de L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours leur famille. Vos enfants vont-ils à l’école normale ou doivent-ils aller dans des écoles spécialisées pour apprendre les enseignements arabes comme l’exige la Loi islamique ? Les enfants qui sont ici au Vanuatu vont à l’école normale et reçoivent la même éducation que les autres enfants. Ils font partie de la même communauté. Nos enfants qui ont la chance d’aller étudier à Fidji vont dans des écoles où ils —Vanuatu 183 étudient les matières normales en plus des études sur le Coran et le comportement éthique. D’autres sont dans des universités à l’étranger et étudient l’ingénierie, la médecine, l’informatique et la gestion. Comme vous le savez, l’éducation est la clé du développement de n’importe quelle communauté et nous souhaitons voir nos enfants éduqués pour qu’ils puissent contribuer à la prospérité du pays. Daily Post no 1275 (20 October 2004) Pour aller plus loin 1. Dans le volume 1, nous avons découvert les différentes Eglises chrétiennes qui se sont installées dans l’archipel. Quel effet peut avoir l’introduction de nouvelles croyances et religions sur les premières Eglises qui sont venues dans l’archipel ? 2. D’autres Eglises telles que l’Eglise Mormonne, l’Eglise de la Nouvelle Alliance (New Covenant Church), la Maison de Potter (Potter’s House) et les Témoins de Jéhovah se sont également installées récemment. Y a-t-il d’autres nouvelles Eglises ? Y a-t-il des similarités entre elles ? des différences ? Activité de discussion Le préambule de la Constitution déclare « nous (…) proclamons la création de la République de Vanuatu libre et unie, fondée sur les valeurs mélanésiennes traditionnelles, la foi en Dieu et les principes chrétiens ». De ce fait, peut-on justifier l’introduction de nouvelles Eglises dans notre pays ? Doit-on les laisser faire ? En classe, discutez ce problème. Enquête 1. En plus des Eglises chrétiennes, d’autres religions ont été introduites au Vanuatu telles que la secte Bahaï (en 1953) et l’Islam (en 1978). L’article de journal cidessus nous parle des Musulmans de Mele. Effectuez des recherches sur ces religions. Vous pouvez vous renseigner auprès de vos professeurs ou trouver des informations dans une encyclopédie ou sur Internet. 2. Recherchez des informations sur le Conseil Chrétien du Vanuatu (Vanuatu Christian Council VCC). Quand a-t-il été créé ? Que fait-il ? Quelle est son organisation ? Sa structure ? Quelles sont les Eglises membres ? 184 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Plus en détail – une nation récente avec une population jeune La population du Vanuatu est caractérisée par sa jeunesse. Lors du recensement de 2009, 38,8 % de la population était âgée de moins de 15 ans et seulement 5,8 % de la population était âgée de plus de 60 ans. La population urbaine est elle aussi en forte croissance. De 1989 à 1999, le taux de croissance urbaine était de 4,2 %. En 2009, la population urbaine (à Luganville et à Port-Vila) comptait 57 207 habitants, dont plus de 56 % âgés de moins 25 ans (2009 : Bureau National des Statistiques). Témoignage sur les difficultés rencontrées par la jeunesse : Logo du Challenge international de la jeunesse J o e l A l be r t : Long tingting blong mi, mi ting se… wan samting [we hem i holem bak ol yut blong yumi] hem i from se ol yut, oli no save ol samting we oli save mekem long laef blong olgeta [Yut] hem i wan taem we yumi lanem fulap samting. Ekspiriens blong mi wetem Youth Challenge mo samfala woksop we mi stap givhan long hem, mi luk se sam taem we mifala i holem wan woksop olsem long saed blong HIV/AIDS mi luk se ol yut oli tekem ol infomesen we mifala i stap givim aot… taem we oli gat wan samting we i save givhan olgeta mi luk se oli glad blong kasem save ia. Naoia we i stap, sapos we yumi lukluk gud, komparem faev yias taem i bin go bak… Vanuatu i jenis we i jenis. Divelopmen i kam antap, ol niufala stael i stap kam antap, ol yangfala naoia i jenis i no olsem bifo… defren long ol yangfala long taem blong ol mama mo papa blong yumi… bae yumi no tingting hevi long ol samting ia [the change that is happening] kasem wataem? Kantri blong yumi i stap divelop naoia. Wanem we i stap se yumi mas mekem ol gudfala disisen long laef blong yumi. From yumi no save stopem divelopmen. Dans le monde d’aujourd’hui, comment peut-on trouver un équilibre entre nos coutumes traditionnelles et la réalité du développement ? Mi ting se sapos i gat sam spesel aweanes blong ol yangfala o ol man, blong talem se divelopmen i stap kam, be yu mas be awea long hem se hem i impoten iet blong save se yu kamaot long wea, yu mas save histri blong yu, blong holem taet i kam long fiuja, yu save se taem we yu gat pikinini yu pasem ol laen blong yu, ol histri blong yu i go. Taem ol pikinini blong yumi oli kam antap long fiuja, oli save se, mi mi kam aot long laen olsem ia, langwis blong mi i olsem ia… yumi save se divelopmen yumi no save stopem, be iet yumi save konsiderem ol kastom blong yumi, ol kalja blong yumi insaed long laef blong yumi. Yu mas lukluk i go long fored tu. Yumi mas luk i go long fiuja. Long fiuja bae yu wanem kaen man… mo yu no ting daon long yu wan. Yu no ting se yu no gat hop. Yu gat laef, yu stap laev yet. Yu go long sam woksop, i gat plante we oli fri. Go long wei; karem sam infomesen blong yu. Olsem wan yangfala yu mas tingting strong long laef blong yu, long fiuja blong yu. Wanem nao yu wantem long laef blong yu? Wanem nao, bae yu kam long fiuja? Iven we yu talem se, mi no gat hop. Mi no gat edukesen. Mi no gat wok. Mi no gat graon long aelan. Yu mas gat wan tingting we hem i wan gudfala tingting. Tekem ol samting olsem ol impoten samting long laef. Wan samting we mi faenem long ol yut blong Vanuatu, hem i wok blong fraet. Fulap taem yumi stap sem, yumi stap fraet. Mi ting se, olsem wan yangfala, yu mas tingting strong. Toktok plante long ol fren. Jenjem fasin blong yu, ol samting yu mekem we i no stret tumas… mekem we bae yu go insaed plante wetem ol yangfala, yu toktok long ol yangfala, hem i save lidim yu i go long wan wei we bae i save mekem se yu glad long laef blong yu long fiuja. Quels conseils donneriez-vous aux jeunes du Vanuatu ? Yu no ting daon long yu wan. Yu neva ting se yu wan samting nating… yu mas gat gudfala L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 185 tingting long yu wan se yu save mekem wan samting yet. Yumi mas save se yumi ol yut, yumi fiuja blong Vanuatu. Yumi mas save se kastom blong yumi i stap. Divelopmen i stap kam naoia, be yu mas tingbaot se yumi laef wetem ol kastom blong yumi tu… long fiuja yu mas tijim i go long pikinini blong yu… yu ded yu go finis be pikinini blong yu bae i glad blong talem nem blong yu mo histri blong yu. Tru long ol fasin olsem ia i save tekem Vanuatu long wan ples we i kam wan gudfala kantri. —Entrevue par Sara Lightner, le 24 septembre 2004. Pour aller plus loin 1. Quel est le sens du mot développement ? Quel est son effet sur la vie quotidienne ? Comment cela affecte-t-il la vie des jeunes en particulier ? 2. Si vous avez accès à un journal, comptez le nombre d’articles qui parlent d’une aide donnée au Vanuatu par des sources étrangères. Combien y en a-t-il ? Activité de discussion Nous entendons souvent la phrase « Les jeunes sont l’avenir du Vanuatu ». Qu’est-ce que cela signifie pour vous ? En classe, organisez une discussion par rapport au sens de cette phrase. Expressi on écrite 1. En tant que jeunes au Vanuatu, pensez-vous devoir faire face à des difficultés que vos parents, professeurs et anciens ne comprennent pas ? 2. Quel est le problème actuel le plus important dans la vie de la jeunesse du Vanuatu ? La renaissance culturelle à travers le festival des arts Le Mini festival des arts de Malawa se prepare Plus de 40 groupes coutumiers de South-West Bay à Mallicolo et des îles environnantes se préparent pour le Mini Festival des Arts de Malawa, qui débutera le 23 août et se terminera vendredi 27 août. L’objectif du festival est principalement de faire participer les jeunes, de leur enseigner les traditions et les danses coutumières et d’en faire renaître la valeur. Le festival aura lieu dans les villages de Wipie, de Lohbangalo et de Lawa à South-West Bay. La première partie aura lieu dans le nasara ou dans l’espace de réunion du Chef. L’ouverture officielle se tiendra le lundi 23 août. On pourra voir l’arrivée des participants à Lohbangalo, suivie des salusalu, les discours des chefs, des représentants de la province, des députés et autres diplomates. Une cérémonie d’échange de cochons se fera entre les chefs des communautés de Lawa et de Lamap pour remercier la communauté de Lamap d’avoir pris l’initiative du premier mini festival organisé à Lamap. Les jours suivants mettront en valeur les coutumes et les traditions qui régulaient la vie des anciens, et certaines qui sont tou- 186 Vanuatu Daily Post no 1232 (20 août 2004) Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois jours pratiquées. À retenir, des dessins sur sable uniques seront expliqués par 12 groupes de Mallicolo qui ont participé au Festival des dessins sur sable à Pentecôte le mois dernier. Il y aura aussi des démonstrations de sculpture et de préparation de plats locaux. Le mercredi 25 août sera sur un autre registre, avec des représenta- tions, dans la matinée de plusieurs rituels funéraires traditionnels comme la danse coutumière sacrée du Lohto, une danse réalisée seulement par les esprits des morts. Le groupe coutumier de Bankir présentera aussi une cérémonie mortuaire, suivie par plusieurs autres danses des différentes îles qui, selon certaines sources, seront présentées pour la première fois. Pour aller plus loin Pourquoi les festivals des arts sont-ils si populaires au Vanuatu ? Pour quelles raisons organise-t-on des festivals des arts ? Quel est leur apport aux communautés ? Activité de discussion Imaginez que l’on organise un festival des arts dans votre communauté. Quels en seraient les événements principaux ? A quels événements participeriez-vous ? Quelles seraient les particularités culturelles de votre communauté à montrer dans ce festival des arts ? Le tout premier festival de dessins sur sable tenu au village de Atanbwal, à Pentecôte, en mai 2004. Photo par Anna Naupa. L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 187 Le Premier ministre, Père Gérard Leymang : Le premier festival, notre festival, est une occasion très spéciale d’apprécier notre culture dans son intégralité. Les meilleures productions artistiques de l’archipel des Nouvelles-Hébrides seront réunis pour quelques jours à Port-Vila. Plus qu’une exposition artistique, ce festival à l’aube de notre indépendance acquiert une valeur symbolique. C’est l’image vivante de notre unité et de la richesse de la diversité de nos racines. —Pacific Islands Monthly, décembre 1979 Plus en détail – le sport au Vanuatu Les athlètes du Vanuatu représentant la nation dans différents sports allant du golf au ping-pong en passant par l’athlétisme se sont rassemblés pour une photo de groupe avant de partir pour les Jeux du Pacifique Sud de 2003 à Suva, dans les îles Fidji (Vanuatu Daily Post). Le Vanuatu au semi-marathon international de Nouméa Le dimanche 22 août, à 7 heures, la délégation du Vanuatu composée de 20 personnes se trouvait sur la ligne de départ pour la course des 21,1 kilomètres du 22ème semi-marathon international de Nouméa. Cette participation importante à un événement international fut le résultat de plusieurs mois d’entraînement musclé ayant permis de sélectionner les meilleurs coureurs de longue distance du pays. —L’Indépendant du Vanuatu no 45, 3 septembre 2004 Activité de discussion En classe, listez les différents sports pratiqués au Vanuatu aujourd’hui. Dans cette liste, lesquels sont pratiqués dans votre école ? 188 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Enquête Choisissez un des sports dans la liste et décrivez-le. Est-ce un sport de compétition ? Y a-t-il des championnats annuels, à l’échelle nationale et internationale ? Y a-t-il une ligue ? A votre connaissance, depuis combien de temps pratique-t-on ce sport au Vanuatu ? Plus en detail– spirit blong bubu i kam bak En 1996, une exposition majeure sur l’art du Vanuatu intitulée « Spirit blong Bubu i Kambak » fut présentée au Musée National du Vanuatu à Port-Vila. L’exposition voyagea également à Nouméa, Paris et Bâle en Suisse. Les pièces mises en évidence étaient des pièces provenant des collections d’art d’un certain nombre de musées ainsi que celles du Musée National. Plusieurs exemples d’objets traditionnels fabriqués dans les années 1990 furent également exposés pour montrer la continuité artistique traditionnelle du Vanuatu. De nombreuses pièces furent rassemblées dans les îles au siècle dernier et font partie des collections de musées étrangers. De plus, plusieurs de ces objets étaient des exemples des traditions culturelles et artistiques disparues au Vanuatu. L’extrait suivant est tiré d’un article de Ralph Regenvanu, l’ancien Directeur du Centre Culturel. L’exposition à Port-Vila a permis au public de voir des pièces antiques créées par leurs ancêtres et qui sont à la base de leur identité culturelle souvent oubliée. La motivation principale des organisateurs de cette exposition était non seulement de sensibiliser les NiVanuatu à la richesse de leur culture traditionnelle artistique, mais aussi de les stimuler à recréer ces pièces et de retravailler la matière avec laquelle elles ont été effectuées. Ce pensum a été soulevé en réponse à plusieurs facteurs en relation avec l’histoire du Vanuatu, les réalités matérielles de préservation des objets artistiques indigènes et les tendances actuelles de créativité dans notre pays (Regenvanu 1996 : 37). Logo du centre culturel du Vanuatu. Le Centre Culturel du Vanuatu se consacre à la préservation, la protection et le développement des différents aspects cuturels du pays, et la conservation des enregistrements publics et des archives, au bénéfice des bibliothèques publiques. Pour aller plus loin Le Musée National a la responsabilité de préserver l’héritage et les traditions culturels du Vanuatu, mais nous avons une responsabilité aussi. Que pouvonsnous faire pour que notre culture reste vivante ? Activité de discussion « Nous voilà confrontés à une situation où une partie substantielle de notre héritage culturel national (et dont certaines pièces sont des plus précieuses étant donné leur ancienneté) se trouve à l’extérieur de notre pays… » (Regenvanu 1996 : 38) Il y a plusieurs collections d’art de notre archipel qui se trouvent dans des musées à l’étranger. Considérez à la fois les avantages et les inconvénients de cette situation et discutez-en en classe. Enquête 1. Interrogez les anciens de votre communauté. Y a-t-il des formes d’art, des plans d’habitation, des motifs de nattes, des modèles de panier, etc., dont ils L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 189 se souviennent et dont on ne se sert plus ? Notez toutes les informations qu’ils vous donnent afin de préserver cette partie de notre héritage culturel. 2. Si vous habitez à Port-Vila, ou quand vous y viendrez, visitez le Musée National. Observez les collections. Qu’y trouve t-on ? Y a-t-il des objets originaires de votre île natale ? Plus en détail – les liens avec les Australiens d’origine mélanésienne Des insulaires sarclant les mauvaises herbes dans un champ de jeunes cannes à sucre du Queensland, n.d. Photo de la collection de la Capricorn Coast Historical Society. En souvenir des premiers pionniers mélanésiens, pour leur contribution à l’établissement de l’industrie de la canne à sucre dans le district de Mackay… » — Inscription gravée sur la statue de bronze d’un coupeur mélanésien de canne à sucre dans le parc de Mackay, décoré des drapeaux du Vanuatu, de la Nouvelle-Bretagne, des îles Salomon, de Fidji et des îles Loyautés (dépliant du Conseil Municipal de Mackay) En août 2004, Jeanne Tarisese du Projet de la Culture des femmes au Centre Culturel du Vanuatu, se rendit à Mackay, au Nord du Queensland en Australie. Elle fut invitée à prendre part à une célébration commémorant le 10ème anniversaire de la reconnaissance fédérale australienne des Mélanésiens de nationalité australienne. Pendant son séjour à Mackay, Jeanne séjourna avec Pam Viti, une Australienne d’origine mélanésienne dont le père était de Pentecôte et la mère d’Ambae. Pam travaillait sur un projet de recueil de données sur les Mélanésiens qui sont venus à l’origine comme travailleurs. Un des buts du projet etait de se faire une idée du nombre de Mélanésiens qui ont effectivement travaillé en Australie. Pendant cette célébration, Jeanne raconta des légendes coutumières aux enfants des écoles primaires de Mackay. Le programme fut sponsorisé par le Service Bibliothécaire du Conseil Municipal de Mackay. Elle chanta aussi des chansons qui accompagnèrent certaines des histoires. Les enfants étaient surtout intéressés par l’histoire du trou dans la lune, une légende originaire de l’île de Maewo. En plus des légendes, Jeanne montra aux élèves comment tresser un panier et des petits jouets avec les feuilles de cocotier. Elle apporta également des paniers et des nattes en pandanus des différentes îles pour C o m m é m o r e r : célébrer un anniversaire 190 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois les montrer aux élèves. Les élèves posèrent beaucoup de questions, surtout sur la vie des enfants de leur âge vivant au Vanuatu. Ils voulaient découvrir le quotidien d’un élève vanuatais, l’organisation des écoles,le repas des élèves à midi et ce leurs occupations pendant leur temps libre. Comme nous l’avons étudié dans le volume 1, Mackay et Rockampton étaient deux régions vers lesquelles les Mélanésiens étaient emmenés pour travailler dans les champs de canne à sucre. De nombreux descendants de ces Mélanésiens s’intéressent à leurs ancêtres. Dans une des classes que Jeanne visita, l’instituteur fit comprendre aux élèves que l’établissement de Mackay devait sa réussite au dur labeur des Mélanésiens. Il est impératif que les élèves comprennent l’importance de cette partie de l’histoire et que les Mélanésiens soient fiers de leur héritage. Que le Gouvernement australien reconnaisse formellement les contributions des Mélanésiens à l’économie australienne est aussi important. En juillet 2002, un groupe de dix Australiens mélanésiens de Mackay arriva à Vila. Ce projet intitulé « Pèlerinage au Vanuatu » fut le rêve de plusieurs vieux Australiens mélanésiens qui voulaient « retourner » aux îles pour visiter la terre natale de leurs ancêtres et connaître leurs familles du Pacifique. J’ai un souhait – marcher sur la plage où ma grand-mère a été recrutée à Ambae. — Elsie Kiwat, descendante de travailleurs d’Ambae et d’Erromango Tiré de Pilgrimage to Vanuatu 2002 : A dream come true. Rotary Club de Mackay. Au Vanuatu, nous avons trouvé le maillon manquant de la chaîne — nous nous sentons chez nous. C’est vraiment triste ce que nos familles en Australie ont perdu. Nous avons des sentiments partagés — de la colère pour les mauvais traitements subis par ceux qui ont été kidnappés, de la colère pour ce qui est arrivé et de la tristesse pour ce que nos familles au Vanuatu ont enduré quand nos gens ont été kidnappés… Maintenant que nous sommes retournés à Mackay, nous aimerons encourager nos familles à visiter le Vanuatu et essayer de retrouver les membres de leur famille. — Lauriann Trevy, Dulcie Trevy et Georgina Kissier, descendantes de travailleurs de Mallicolo Pour aller plus loin 1. Que signifie pour un Australien d’origine mélanésienne d’être reconnu par le gouvernement fédéral australien ? 2. Pourquoi les Australiens d’origine mélanésienne désiraient-ils se rendre au Vanuatu et voir la terre de leurs ancêtres ? Enquête 1. Connaissez-vous quelqu’un d’un autre pays qui a immigré au Vanuatu ? Si oui, comment s’identifie-t-il avec son pays d’origine ? Retourne-t-il visiter son pays ? 2. Connaissez-vous des histoires sur des membres de votre famille partis travailler dans les champs de canne à sucre d’Australie ou de Fidji, ou dans les mines de nickel en Nouvelle-Calédonie ? Et concernant l’émigration de ces dernières L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 191 décennies ? Votre famille est-elle en contact avec des parents vivant à l’étranger ? Interrogez les membres de votre famille pour savoir s’ils connaissent des histoires sur des parents partis travailler à l’étranger. Plus en détail – les jeunes femmes parlent De 2001 à 2002, le Projet des Jeunes du Vanuatu (VYPP : Vanuatu Young People’s Project), basé au Centre Culturel du Vanuatu, acheva son projet intitulé ‘Jeunes Femmes, Beauté et Image de Soi.’ Le VYPP « fut formé en 1997 pour répondre aux besoins du nombre croissant de jeunes vivant en zone urbaine à Port-Vila, en se concentrant sur la recherche, le soutien de leur cause et la production de vidéos. Le VYPP a étendu son champ d’action pour examiner les problèmes qui touchent les jeunes vivant en zones rurales et également dans les autres îles » (VYPP 2002 : ii). Le but de ‘Jeunes Femmes, Beauté et Image de Soi’ était de noter les opinions des jeunes femmes sur les problèmes qui affectent les idées des gens sur la beauté et l’image de soi. On interrogea soixante-dix-neuf femmes de Port-Vila et d’Erromango qui donnèrent leurs opinions sur la coutume, l’argent, la religion et les relations. Les questions de discussion qui suivent sont des exemples de problèmes abordés pendant les entrevues. Activité de discussion 1. Pouvez-vous vous habiller de la même manière dans votre village qu’en ville ? Justifiez votre réponse. 2. Est-il vrai qu’il y a beaucoup de règles sur ce que peuvent ou non porter les femmes ? Justifiez votre réponse et expliquez votre point de vue ? 3. Il semble y avoir beaucoup de jalousie causée par la façon de s’habiller des femmes. Est-ce vrai ? Si oui, pourquoi ? 4. Pensez-vous que les femmes ont le même degré de liberté dans la façon de s’habiller que les hommes ? Pourquoi ? L’article suivant est tiré de « Young Women Speak : A report on the Young Women, Beauty and Self-Image Video Training Project » (2002) : Les Pantalons et le Respect Les jeunes femmes de Vanuatu aujourd’hui font face à un paradoxe quand il s’agit de porter des pantalons. D’un côté, elles se sentent plus libres de porter les genres de vêtements qu’elles aiment, surtout les pantalons, que les femmes plus âgées et mariées avec des enfants. D’un autre coté, quand elles portent des pantalons, on les accuse, comme il en est souvent le cas pour les jeunes du Vanuatu, d’abandonner et de manquer de respect envers la coutume et la communauté. Cependant, il est clair qu’en réalité les jeunes femmes sont conscientes de leur relation entre leur apparence, la coutume et la culture et sont soucieuses de s’habiller de façon respecteuse. En terme d’image de soi, les jeunes femmes sont partagées entre leur désir de se montrer, de se sentir séduisantes et à l’aise et leur désir d’être respectueuses. Ces deux désirs souvent contradictoires sont des facteurs déterminants P a r a d o x e : une situation contradictoire 192 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois de l’image de la jeune femme. Le désir des jeunes femmes d’être non seulement respectueuses, mais aussi d’être respectées par les autres, a aussi un effet déterminant sur leur image. Les jeunes femmes sentent que leurs désirs, choix et besoins en terme de beauté et d’image de soi, ne sont pas souvent pris en compte et respectés par les chefs, la famille et les autres. Chercher le respect, aussi bien que l’attrait et le confort, est pour ainsi dire très important dans le développement des idées des jeunes femmes sur la beauté et l’image de soi et c’est une des plus grandes barrières contre une image positive de soi à laquelle se trouvent confrontées les jeunes femmes d’aujourd’hui. Pour aller plus loin D’après le glossaire, un paradoxe est une contradiction, ou quelque chose d’ironique. Pouvez-vous trouver d’autres exemples de paradoxe ? Expression écrite « Quand les femmes portent des pantalons, cela attire les hommes et cause des viols ». Êtes-vous d’accord avec cette déclaration ? Pourquoi ? Rédigez une composition qui expose vos opinions et vos arguments. Activités tirées de l’Annexe 2 de Young Women Speak : A report on the Young Women, Beauty and Self-Image Video Training Project (2002) : Les Jeunes Femmes Parlent : Compterendu d’un projet de formation de vidéo sur les jeunes femmes, la beauté et l’image de soi. Activité de discussion 1. Y a-t-il des règles dans votre communauté concernant les femmes qui portent des pantalons ? Décrivez-les et expliquez pourquoi vous êtes d’accord ou pas avec ces règles ? 2. Quelles sont les différences entre les vêtements d’aujourd’hui et d’autrefois ? En classe, faites des groupes et listez ces différences. Enquête Que signifient les mots ‘beauté’ et ‘image de soi’ pour toi ? Que signifient-ils pour les autres ? En classe, interrogez vos camarades pour découvrir ce qu’ils en pensent. Pourcentage croissant des maladies liées au style de vie En 1998, le Secrétariat de la Communauté du Pacifique et le Ministère de la Santé du Vanuatu achevèrent un sondage national sur les maladies non transmissibles. Ce sondage fut effectué du 10 août au 2 septembre sur 1638 adultes des provinces de Sanma, de Penama, de Malampa, de Shefa et de Torba. 815 des sondés étaient des hommes et 805 des femmes. L’extrait suivant est tiré du compte-rendu du sondage et montre les changements de mode de vie liés à l’augmentation de la fréquence de nouvelles maladies. Le jardinage et la marche étaient les activités physiques les plus communes quelque soit l’âge. De façon significative, beaucoup plus d’hommes que de femmes ont déclaré faire du jardinage, du sport et de la marche quotidiennement ou hebdomadairement. Par rapport à l’intensité des activités physiques, la majorité des sondés (78,2%) font L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 193 régulièrement des activités physiques modérées. Une plus grande proportion d’hommes que de femmes effectue des activités physiques intenses. On remarque une tendance croissante à entreprendre des activités physiques intenses quand on passe des zones urbaines aux zones rurales. Les résultats sur les fréquences de consommation de nourriture montrent que 56,4% des sondés mangent quotidiennement du riz et du pain, alors que seulement 17,1% se nourrissent quotidiennement de nourriture locale telle que le bougna ou le laplap. 18,3% à 21% des personnes mangent de la viande (bœuf, poisson, poulet, etc.) fraîche ou en conserve. 66,2% utilisent le lait de coco chaque jour dans leur cuisine alors que 30,4% se servent d’huile végétale. 93% des sondés utilisent du sel chaque jour et 62,2% du sucre. Les boissons gazeuses, le lait et le Milo/thé/café ne sont pas des boissons consommées quotidiennement par la plupart de la population. On remarque aussi une forte tendance à consommer de la nourriture locale telle que les racines comestibles, le lait, la chair de noix de coco et les fruits et légumes quand on passe de la zone urbaine à la zone rurale ainsi qu’une diminution de la consommation du pain et du riz (des aliments de base non traditionnels), de matières grasses / d’huile et de viande fraîche. Ce sondage a aussi déterminé la fréquence des maladies non transmissibles et les facteurs de risque au Vanuatu. En général, les taux d’obésité, d’hypertension et de cas limites d’hypertension ont augmenté depuis 1985 d’à peu près 10%. Cependant, les taux de diabète et d’intolérance au glucose restent stables… Bien que le nombre de femmes consommant de l’alcool, du kava et du tabac soit le plus bas dans la région du Pacifique,leur consommation de kava depuis 1985… Le kava n’est pas considéré comme un facteur de risque pour la santé et sa consommation chez les hommes reste stable depuis 1985. (SPC 2000 : v-vii). Pour aller plus loin 1. Pourquoi les problèmes de santé en zones urbaines et en zones rurales sont-ils différents ? 2. Alors que notre mode de vie change, que doit-on faire à propos de notre régime alimentaire et de nos activités ? 3. En vous basant sur ce que vous savez sur l’équilibre alimentaire, pourquoi est-il plus bénéfique de consommer du taro ou d’autres racines comestibles que du riz blanc ou du pain blanc ? Activité de discussion Pensez-vous que votre santé est meilleure ou pire que celle de vos parents au même âge ? En classe, organisez un débat sur la façon de régler votre mode de vie pour rester en bonne santé dans le monde actuel. Enquête 1. Effectuez des recherches sur les termes suivants : • Obésité • Maladie non transmissible • Maladie coronaire • Hypertension • Maladie due au mode de vie • Diabète 2. Renseignez-vous sur les autres pays du Pacifique. Nos voisins font-ils face aux mêmes difficultés concernant l’accroissement de fréquence des maladies non transmissibles ? Si oui que font-ils pour lutter contre ce problème ? Pour une actualisation des informations sur les sujets relatifs à l’alimentation et la santé publique des Ni-Vanuatu, se reporter à l’Atlas du Vanouatou de P. Siméoni p318-319 et p303-312. 194 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois 3. Demandez à une personne travaillant dans le domaine de la Santé de venir parler à votre classe des maladies dues au mode de vie. Pourquoi devons-nous nous inquiéter à ce sujet ? Les preoccupations environnementales du Vanuatu Tout comme leurs ancêtres, les Vanuatais dépendent de leur environnement pour subsister ou pour en tirer un profit économique. Dans les « Plus en détail » suivants, nous examinerons divers problèmes et préoccupations actuels sur l’environnement. Plus en détail – l’intérêt extérieur pour le bois du Vanuatu La sylviculture est une industrie importante au Vanuatu. Les bûcherons du Vanuatu Le Vanuatu, dont les réserves de bois de construction sont minimes et les moins attirantes de Mélanésie, a confirmé une interdiction de deux ans sur les exports de bûches brutes. Le Premier ministre Maxime Carlot Korman a souligné en mars cette interdiction à la réunion tenue avec la mission du gouvernement malais qui s’est rendue le mois dernier à travers la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les îles Salomon et le Vanuatu. Les Malais espéraient réparer leur image ternie dans la région par les reportages sur la profanation des forêts mélanésiennes par des compagnies forestières essentiellement malaises… Vanuatu a imposé cette interdiction après que l’on a tiré la sonnette d’alarme sur les licences d’exploitation forestière accordées à trois compagnies malaises et une compagnie chinoise pour l’île d’Erromango. Le gouvernement a annulé les licences et les contrats de ces compagnies asiatiques. Il a expliqué qu’il y avait eu une erreur réciproque sur la quantité de bois qui pouvait être exploitée durablement à Erromango. L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours D’après une recommandation du Département des Forêts, on ne peut pas exploiter plus de 25 000 mètres cubes annuellement dans 195 l’ensemble du Vanuatu. L’entreprise Parklane avait obtenu une licence d’exploitation pour 75,000 mètres cubes par an […] Pour aller plus loin 1. Comment peut-on faire le lien entre cet article et les autres chapitres de ce programme d’histoire ? 2. Pourquoi le gouvernement a-t-il annulé les licences d’exploitation forestière des compagnies asiatiques ? 3. Renseignez-vous sur les méthodes de mesure des bûches. Combien de bois y a-t-il dans un mètre cube ? 4. Que signifie ‘exploitée durablement’ ? Activité de discussion Pourquoi les compagnies malaises s’intéressaient-elles à notre bois ? Plus en détail – la gestion des ressources marines dans les villages L’extrait suivant est tiré d’une publication de l’UNESCO intitulée « Evolution of villagebased marine resource management in Vanuatu between 1993 and 2001 (Evolution de la gestion des ressources marines dans les villages du Vanuatu entre 1993 et 2001) » par R.E. Johannes et F.R. Hickey (2004). Une étude des villages côtiers du Vanuatu en 1993… révéla que, pendant les trois dernières années, les mesures de gestion de ressources marines, créées pour réduire ou éliminer la pêche intensive ou les autres effets humains nuisibles pour les ressources marines, avaient rapidement augmenté. L’élan majeur de ces événements fut la promotion de la part du Département des Pêches du Vanuatu d’un programme volontaire de gestion des Trochus dans des villages. Le Trochus est un grand escargot de mer dont la coquille est vendue pour faire des boutons, des incrustations pour les sculptures en bois et comme composant dans certaines peintures. C’est l’exportation commerciale marine la plus importante des zones rurales. Initialement, ces programmes ne concernaient que quelques villages de pêcheurs. Le Département mena un sondage sur les stocks de Trochus des communautés et conseilla aux villageois d’arrêter régulièrement et pendant quelques années la pêche des Trochus, et de l’autoriser ensuite durant des périodes de pêches brèves. On donna le choix aux villageois de suivre ou non ce conseil. L’étude de 1993 révéla que les villages qui avaient suivi ce conseil, avaient trouvé cette méthode tellement avantageuse que les autres villages en firent de même. Par ailleurs, en voyant l’importance de la protection des stocks de Trochus, de nombreux villages décidèrent de prendre des mesures de protection des autres animaux marins dont les poissons, les langoustes, les bénitiers, les bêches de mer (concombres de mer) et les crabes. Ils interdirent ou limitèrent aussi certaines pratiques de pêche nuisibles telles que la pêche nocturne au harpon et l’utilisation des filets, surtout les filets à mailles. Un des villages sondés établit également une zone marine protégée et la peupla de bénitiers géants. Island Business Magazine Vol 22 No 4 (avril 1995) 196 o * fonctionnant en 2001. fonctionnant en 1993, mais cessé depuis. D Dispute foncière marine actuelle. * Initiative sur les bénitiers aussi enregistrée comme Zone Marine Protégée. † # Il y a une différence de 3 dans les totaux des mesures de gestion des ressources marines parce que les 3 sanctuaires des bénitiers dans lesquels les autres espèces sont protégées sont enregistrés comme Zone Marine Protégée et n’ont pas été comptés en double pour calculer le total. Nombre total d’initiatives de gestion villageoise effectives en 2001. TOTAL Nombre total de mesures de gestion de chaque type en 2001. Les chiffres indiquent plus d’une initiative en fonctionnement dans un seul village. Anelguahat Mele Mangililiu Tanolio Siviri Saama Emua Paunangisu Epao Eton Erakor Marae Lamen Bay Pescarus Lutas Pelongk Litzlitz Uri Uripiv Norsup Tautu TOTAL D o • o o D D x x x o • • • • • D D D D 8 • •2 • • • •o •o2 •o x x 11 18 o o o o o o o • o o o o o • o o • o o o o o 0 o o o o 11 o o o 10 • • o o* • o • o o • •* o o o3 • • o2 o* • o2 o o 8 7 5 5 4 2 9 # Divers Méthodes de pêche nuisibles à l’habitat Crabes • o o D Bénitiers • • • marines protégées Zones • • • Utilisation des filets Légende Fonctionnant en 1993 et en 2001. Clôtures de pêcherie • Trochu Les initiatives de gestion des ressources marines dans 21 villages au Vanuatu, 1993 et 2001 (UNESCO 2004 : 22). Pêche au harpon l a ge s ti o n i m pl i q u ant : Bêche-de-mer tabl eau 1 En 2002, 21 des villages où l’on avait mené un sondage en 1993 furent revisités afin de déterminer les résultats des mesures de gestion instaurées par les villageois. Le critère principal d’évaluation était de déterminer combien de mesures de gestion avaient cessé et combien de nouvelles mesures avaient été instaurées. Les résultats démontrèrent que les mesures de gestion de ressources marines avaient plus que doublé entre 1993 et 2001. Tortues UNESCO 2004 : 9. Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois 4 2 4 5 4 2 3 3 3 3 3 3 5 8 7 10 2 12 4 0 0 86† Questions de compréhension 1. Observez le tableau ci-dessous. En vous basant sur les informations données, quels villages ont pratiqué une gestion des crabes ? 2. En vous basant sur la liste des villages dans le tableau, dans quelles îles a-t-on fait des recherches pour ce projet ? Consultez la carte du Vanuatu si vous ne connaissez pas les villages énumérés. Pour aller plus loin Pourquoi est-il important de pratiquer des méthodes traditionnelles de gestion de ressource marine ? L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 197 Enquête 1. Quel est l’usage des bêches de mer ? Renseignez-vous non seulement sur les bêches de mer mais aussi sur toutes les formes de vie marine qui existent dans notre océan. 2. Y a-t-il des Initiatives de Ressource Marine dans votre région ou aux alentours de votre école ? Interrogez les gens de votre communauté et renseignez-vous. Plus en détail – le bassin hydrographique de la rivière Tagabe L’extrait suivant vient de l’article Proposition de Projet sur le Bassin Hydraulique de la Rivière Tagabe (2004) de l’Unité de l’Environnement. Contexte historique Le bassin hydrographique de la rivière Tagabe se trouve au nord de Port-Vila, juste en dehors des limites municipales. Actuellement ce bassin alimente en eau la municipalité et quelques villages comme Erakor et Eratap à l’est. Il existe une pression de plus en plus grande pour développer ce bassin car l’exode rural continue d’augmenter. Les districts résidentiels de Port-Vila se sont tout doucement étendus vers le bassin. Avec cette expansion il y a un risque de contamination de la source d’eau qui alimente la ville. Les communautés se trouvant en aval, par exemple la communauté de Blacksands, possèdent des puits peu profonds se trouvant dans une terre très perméable. Il y aussi des activités agricoles qui se déroulent à l’intérieur de ce bassin et donc des règlements sur les pesticides et les herbicides seront mis en application afin d’éviter la contamination de la source d’eau par ces polluants. La compagnie privée UNELCO gère l’alimentation de l’eau de la municipalité. La station de pompage est située au sein du bassin près des districts résidentiels. Bien que ces districts ne constituent pas de menace immédiate, leur expansion rapide due à une hausse de la démographie (exode rural croissant et fort taux de natalité) pourrait poser un problème à l’avenir. En sachant qu’il faudra du temps et de l’argent pour trouver une source d’eau alternative, une commission de gestion fut établie. C’est la Commission de Gestion de la Rivière Tagabe (Tagabe River Management Committee TRMC) qui a pour objectifs : • de formuler et de mettre en application un plan de gestion du bassin hydrographique de la rivière Tagabe ; • d’utiliser ce plan comme modèle pour planifier l’usage multiple de la terre se trouvant au sein des bassins hydrographiques partout au Vanuatu. Le comité s’est mis d’accord sur un plan de réhabilitation pour l’usage de la terre se trouvant dans le bassin hydrographique de la Rivière Tagabe. Les activités proposées aideront à protéger la qualité de l’eau, à augmenter la capacité de rétention d’eau et, en même temps, à laisser les personnes qui possèdent un bail dans cette zone à en tirer profit économiquement. Les activités proposées sont : • Un Jardin Botanique– pour créer un ‘espace vert’ proche de Port-Vila ; • Une Banque de Graines pour les Forets– qui contribuera au jardin botanique et au Département des Forêts ; • Des Terrains d’Expérimentation pour l’Agriculture– pour fournir une production élevée de nourriture et un terrain de recherche pour les officiers ; • Une Station de Recherche Agricole– pour les recherches sur l’amélioration des récoltes ; 198 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois • Une Station de Recherche sur le Bétail– pour améliorer le parc de bétail qui existe déjà et éviter la pollution de la rivière par les eaux de ruissellement ; • Terre allouée à l’usage spécifique de UNELCO– cela protègerait la zone se trouvant près des pompes, des réservoirs et des puits qui alimentent Port-Vila. —préparé par le département de l’Environnement en 2004 pour être soumis au SPREP (Programme régional pour l’environnement dans le Pacifique Sud) Pour aller plus loin 1. Quels sont les effets de l’augmentation de l’exode rural sur le bassin hydrographique de la Rivière Tagabe ? 2. Pourquoi est-il important de mettre en application des plans qui ont rapport à l’environnement comme ceux de la Commission ? 3. Quelles autres activités pourrait-on mettre en place dans le bassin hydrographique de la Rivière Tagabe ? Enquête D’où provient l’eau de votre école ? Que fait-on pour s’assurer de sa propreté ? Plus en détail – évaluation des impacts sur l’environnement L’extrait suivant provient d’un document de l’Unité de l’Environnement du Vanuatu : Evaluation des Impacts sur l’Environnement (EIE). Bulletin de Faits 2 — Evaluation des Impacts sur l’Environnement Cette brochure contient des informations importantes pour tous les ministères du gouvernement du Vanuatu, les organismes gouvernementaux, Les conseils provinciaux et les conseils municipaux. Important La loi sur la gestion et la protection de l’environnement de 2003 oblige tous les organismes du gouvernement du Vanuatu à entreprendre une Evaluation Préliminaire sur l’Environnement (EPE) à chaque demande de projet, de proposition, ou d’activité qui vise le développement… Si un organisme du gouvernement propose un développement ou un projet, il doit faire suivre la demande auprès du directeur de l’unité de l’environnement du Vanuatu qui décidera de l’évaluation préliminaire sur l’environnement. Information sur l’EIE Qu’est-ce qu’une EIE ? L’EIE est un processus qui permet de déterminer les effets et l’impact d’un projet de développement sur l’environnement naturel et le système social/coutumier ainsi que de mettre en place des mesures visant à minimiser les impacts possibles. Pourquoi entreprendre une EIE ? Le but de l’EIE est de prévoir les impacts sur l’environnement d’un projet de développement et d’établir des rapports, des plans et des recommandations qui mettront en place les conditions dans lesquelles le projet doit se poursuivre pour limiter les effets négatifs sur l’environnement. L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 199 Quelles activités de développement sont assujetties à une EIE ? a. Tout projet, toute proposition, toute activité de développement qui provoque ou vraisemblablement provoquera un impact social, économique et/ou coutumier significatif et un impact sur l’environnement. b. Des activités qui affecteront toutes les ressources coutumières, les ressources en eau, les dynamiques côtières, espèces protégées ou menacées, la qualité de l’air, la santé publique, la terre, les zones protégées, ou encore les ressources renouvelables comme les forêts doivent subir une EIE. Tout projet ou demande de développement doit être assujetti à une Evaluation Préliminaire sur l’Environnement effectuée auprès du Ministère, de l’Organisme gouvernemental, de la Province ou du Conseil Municipal qui a reçu le projet ou la demande de développement. Amendes Une activité assujettie à une EIE ne peut être entreprise avant l’approbation écrite du ministre. Entreprendre une activité alors que l’approbation du ministre a été refusée est un délit passible d’une amende maximum de 1 000 000 de vatus ou de 2 ans d’emprisonnement. Questions de compréhension 1. Qu’est-ce qu’une EPE ? Une EIE ? 2. Qui prend la décision de mener une EIE ? 3. Que se passe-t-il si vous continuez de développer une terre alors que l’approbation du ministre n’a pas été accordée ? 4. Pour quelles raisons doit-on effectuer une EIE ? Pour aller plus loin Pourquoi a-t-on inclus des EPE / EIE obligatoires dans la loi de la gestion et de la protection de l’environnement 2003 ? Activité de discussion Est-ce important d’effectuer des EIE ? Pourquoi ? En classe, organisez une discussion sur ce processus. Enquête A-t-on déjà effectué une EIE dans votre région ? Si oui, pour quelles raisons ? Les projets concernés ont-ils reçu une approbation ou un refus ? 200 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Plus en détail – la pêche au Vanuatu Les articles de journaux suivants se concentrent sur deux différents problèmes liés à la pêche dans notre archipel. La Pêche : Une industrie ni Vanuatu Vanuatu Daily Post no 1284 (2 novembre 2004) Par Shirley Joy Le secteur des pêches a recommandé au Forum National de l’Industrie d’établir une liste de discrimination positive des espèces marines et d’eau douce afin de permettre aux NiVanuatu de se lancer ultérieurement dans l’établissement de piscicultures. Le directeur du Département des Pêches, M. Moses Amos est à l’origine de cette recommandation et souligne l’intérêt de cette liste pour protéger et permettre aux fermiers et pêcheurs locaux de s’aventurer dans l’élevage du tilapia en mer ou en eau douce… Dans un exposé bien documenté, M. Amos a expliqué que le département souhaitait accomplir un développement durable dans le secteur des pêches avec un avantage social et économique pour la population d’ici 2010. Son objectif est d’accomplir une gestion et un développement durables des ressources marines et sa mission d’encourager le développement de la pêche dans les zones rurales tout en prenant en compte les valeurs traditionnelles et en respectant la vie de la population du Vanuatu… Le Département a obtenu un fond de 3,8 millions de vatus pour le développement d’un projet d’aquaculture en eau douce et est associé dans le développement de la pisciculture d’Erapo et dans le développement de deux projets pilotes de viviers à Sarete village au Sud-Santo. Des plans pour le développement de piscicultures à Nambauk et à Sarapo à Santo sont en cours… Concernant le secteur de la pêche rurale, M. Amos a dit que la loi VIPA serait révisée afin que la pêche du vivaneau campêche (sarde rouge appelé poulet également au Vanuatu) soit réservée aux Ni-Vanuatu. Les investisseurs étrangers ne pourront plus attraper les sardes rouges et exploiter cette pêche. Le « Foreign Correspondent » souligne le commerce des poissons d’aquarium Le « Foreign Correspondent », un des programmes d’actualités les plus populaires en Australie a préparé un programme spécial sur le commerce de poissons d’aquarium du Vanuatu… Un communiqué de presse de l’ABC circulant sous forme de courriel (courrier électronique) déclare « Mark Corcoran du Foreign Correspondent a voyagé au Vanuatu, un pays du Pacifique Sud, pour mener une enquête sur le commerce de poissons d’aquarium. Cette industrie grandissante, la plus récente dans les pays en voie de développement, récolte actuellement 20 millions de poissons tropicaux par an, mais au Vanuatu on accuse ce commerce d’exploitation, de corruption et de pêche intensive. » Presque tous les poissons tropicaux du Vanuatu sont attrapés par une compagnie du nom de Sustainable Reef Supplies (SRS) L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours établie au Vanuatu par des hommes d’affaires américains. En trois ans seulement, le SRS a réussi à se mettre à dos les tours opérateurs qui dépendent des 201 poissons tropicaux, car ils sont une attraction principale au Vanuatu… Les scientifiques craignent l’arrivée d’un désastre écologique… Vanuatu Daily Post no 1289 (9 novembre 2004) Pour aller plus loin Expliquez ce que sont une ferme de tilapia d’eau douce et le commerce de poissons d’aquarium. Activité de discussion Le commerce de poissons d’aquarium est-il une bonne chose pour les îles du Vanuatu ? En classe, organisez un débat sur ce sujet. Plus en détail – où sont passées toutes les tortues ? Programme de contrôle des tortues au village de Tikilasoa, île de Nguna, 2003. 202 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Chanson de la Tortue Composée par George Bumseng et Kami Robert Les tortues sont d’étranges et mystérieuses créatures Nées pour nager À travers la mer sans fin Les hommes se repaissent de leurs œufs Les tuent et les flèchent Chassant les tortues sans merci Mais à partir d’aujourd’hui Vous allez devoir changer vos manières Sinon elles disparaîtront Juste sous vos yeux Chœurs : Levez la main si vous voulez Sauver nos tortues Levez la main si vous vous inquiétez De notre monde Dieu le père a fait toutes les créatures Dans ce monde, il ne veut pas Que nous détruisions tout ce qu’il a fait Tiré du guide du Wan Smol Bag « Drama in Environmental Education » (2002 : 17). Chœurs : Nous avons déjà tellement pris À l’océan Le moment est venu de décider, allons-nous Continuer à tout prendre ou garder Ce qui reste ? Les tortues marines vivent sur la terre depuis plus de 100 millions d’années. Les tortues sont des reptiles et malgré le fait qu’elles soient aquatiques, elles ne possèdent pas de branchies mais des poumons. Cela ne les empêche pas de rester sous l’eau pendant de longues périodes. Elles dorment même la nuit sur le récif. Ces…créatures marines nagent des milliers de kilomètres à travers les océans, mais elles doivent retourner à la plage où elles sont nées pour y pondre leurs œufs. A l’âge de 20 à 30 ans, elles sont prêtes à pondre leurs œufs et doivent nager jusqu’à la plage où elles sont nées. Les tortues s’accouplent dans les eaux peu profondes près de la plage. L’accouplement dure à peu près six heures et un mois plus tard, les tortues femelles viennent sur le rivage pour pondre. Les principales menaces pour les populations de tortues sont le ramassage des adultes pour les cérémonies coutumières et la consommation personnelle, le ramassage des adultes, des œufs et parfois de la carapace pour le commerce et la mort dans les filets de pêche commerciaux. —World Wildlife Federation Environment Fact File 5, dans Wan Smol Bag « Drama in Environmental Education–A Guide » (2002) Panneau de signalisation sur les tortues (UNESCO 2004 : 25). L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 203 Pour aller plus loin 1. Pourquoi est-il important de protéger nos tortues ? 2. Y a-t-il d’autres oiseaux ou espèces marines qui sont menacées ? Comment pouvons-nous les protéger ? Activité de discussion Dans certaines de nos cultures, par exemple aux îles Maskelyne, les tortues continuent d’être attrapées car elles sont utilisées pour les cérémonies coutumières. Enquête Si vous habitez à côté de la mer, effectuez des recherches pour connaître le nombre de tortues présentes dans votre région. La population est-elle en augmentation ou en diminution ? Les habitants de votre région se préoccupent-ils de protéger ces tortues ? Le lien entre les aspects culturels, économiques, politiques et sociaux de la vie des Ni-Vanuatu, c’est leur relation avec la terre. La dernière partie de ce chapitre est intitulée « Les droits fonciers au Vanuatu » et se concentre sur la relation traditionnelle avec la terre et son évolution dans un cadre contemporain. Les droits fonciers au Vanuatu L’importance de la terre Quand les Nouvelles-Hébrides sont devenues indépendantes en 1980, les leaders du mouvement indépendantiste ont choisi de leur attribuer le nom de ‘Vanuatu’. Ce nom’ veut dire ‘terre éternelle’ (Taurakoto in Vanuatu 1980 : II). ‘Vanua’ veut dire terre et ‘tu’ signifie à la fois régner, exister, être, espérer, force, racines, histoire, le passé, le présent, le futur, l’infini. En un mot, Vanuatu veut dire ‘Notre terre pour toujours’ (Vanuatu 1990 : 27). En déclarant le pays comme étant la terre pour toujours, les Ni-Vanuatu revendiquent leurs droits traditionnels sur la terre. En nommant le pays Vanuatu, ils reconnaissent la haute valeur culturelle qu’ils plaçent en leur terre qui permet de leur conférer une identité, de subsister et de leur donner de la force. Avec ce nom, la population continue de respecter le lien spécial avec la terre. 204 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Dans les années 1930, un missionnaire catholique essaya d’acheter des terres à un homme influent de Vao. L’homme déclara fermement qu’il ne pouvait pas vendre la terre. Le missionnaire insista, en pensant que l’homme essayait de négocier pour obtenir plus de biens en échange. Mais l’homme refusait toujours. Une nouvelle fois, le missionnaire persévéra dans sa démarche. Finalement, l’homme, agacé par le harcèlement du missionnaire, se jeta à terre et se roula dans la boue. Il se leva et dit, « Ne comprenez-vous donc pas ? Comment puis-je me vendre moi-même ? » — Adapté d’un récit du Père Doucere Le premier ministre des Terres de la jeune nation du Vanuatu, Sethy Regenvanu, prononça ces paroles : La terre pour un Ni-Vanuatu est ce qu’une mère est pour un bébé. C’est avec la terre que nous définissons notre identité et c’est avec la terre que nous maintenons notre force spirituelle. — cité dans Van Trease The Politics of Land in Vanuatu (1987 : xi). Pipol blong Vanuatu oli bilif se graon hem i wan samting we olgeta i save soemaot aidentiti blong olgeta long hem from bilif we i stap se oli joen wetem graon ia from spirit blong ol bubu blong olgeta i stap oltaem long graon ia. I no hemia nomo be graon hem i wan samting we i givim laef mo evri samting we oli nidim. Graon long laef blong wan man o woman Vanuatu hem i tabu from we long plante ples long kantri i gat ol stori blong wan klan o famli i kamaot long graon. — Joel Simo, Review of Customary Land Tribunal, 2004 Questions de compréhension 1. Qu’est-ce que l’homme de Mallicolo voulait démontrer au missionnaire quand il s’est couvert de boue ? 2. Dans la métaphore de Regenvanu, la terre est la mère et nous sommes les enfants, quel genre de relation avec la terre cela illustre-t-il ? (Indication : quel genre de relation existe-t-il entre une mère et son enfant ?) 3. A partir de toutes les citations, qu’est-ce qui rend la terre si importante pour les Vanuatais. De quelles autres manières la terre est-elle encore essentielle ? 4. Que veut-on dire par ‘force spirituelle’ ? 5. Quel lien avec les ancêtres la terre procure-t-elle ? Est-ce en rapport avec l’endroit où les ancêtres sont enterrés ? Enquête Joel Simo mentionne qu’il y a de nombreuses légendes coutumières selon lesquelles les hommes ont émergé de la terre. A Erromango, un récit raconte que L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 205 les premiers habitants de l’île sont sortis de la terre et se sont dispersés à travers l’île comme une vigne d’igname. A Tanna et Ambrym, les histoires racontent que les premiers hommes sont nés des volcans, en provenance du centre de la terre. Joël ajoute également que « Sapos yumi lukluk long stori blong buk blong Jenesis hem i talem tu se man kam aot long graon. » Recherchez une histoire similaire venant de votre île natale. Vous pouvez aussi trouver quelques exemples dans le volume 1. Plus en détail – la terre et l’identité Expressi on écrite Cherchez dans les journaux de ces deux derniers mois tous les articles parlant de problèmes fonciers. Les problèmes ont-ils été résolus de façon adéquate ? Pourquoi ? Présentez vos réponses sous forme d’une rédaction. Activité de discussion 1. Pourquoi la terre est-elle importante pour vous et votre famille ? En classe, organisez un débat sur ce sujet. 2. Comment les problèmes fonciers touchent-ils la vie quotidienne ? Quels genres de pressions les problèmes de terre exercent-ils sur les communautés rurales ? Quels en sont les effets sur la population urbaine ? Ces problèmes sont-ils plus répandus aujourd’hui que par le passé ? Comment les gens réglaient-ils autrefois les litiges fonciers ? Et aujourd’hui quels sont les arguments employés lors des litiges fonciers ? Divisez la classe en plusieurs groupes et ensemble débattez de ce sujet. Enquête Recherchez la définition du mot ‘métaphore’ dans le dictionnaire. Que signifie ce mot ? Quelle est la métaphore de la citation ? Les droits fonciers La métaphore, la terre est notre mère et nous sommes ses enfants, ne sous-entend pas que nous possédons cette terre. Elle suggère au contraire que nous la respectons et que nous en prenons soin comme nous respectons et prenons soin de nos parents. A travers un respect approprié pour la terre, nous avons le droit de recevoir tous les avantages que cette terre nous donne, comme la nourriture, l’abri et l’identité. Il est donc plus juste de dire que nous détenons des droits sur la terre plutôt que de dire nous possédons la terre. Nous ne sommes pas les propriétaires coutumiers, mais des gardiens traditionnels de la terre. Nous maintenons la terre au nom de tous les ancêtres de cette terre et au nom des générations futures. 206 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Ancienne plantation à vendre en 2003, région de Mele, Efate. Photographie de Ben Bohane. Pour aller plus loin On peut aussi dire qu’un gardien traditionnel tient la terre par fidéicommis (don, legs fait à une personne chargée de faire parvenir les biens légués à une autre personne) pour les générations futures. Comment peut-on relier ceci au concept de durabilité ? Activité de discussion De quelle manière montre-t-on notre respect pour la terre ? Réfléchissez aux systèmes traditionnels de gestion des ressources et à des techniques de jardinage. Nous employons ces méthodes de gestion de la terre pour s’assurer que la terre continuera à pourvoir à nos besoins. Il y a différents types de droits fonciers. Le droit qu’une personne a sur un terrain peut dépendre de ses liens généalogiques avec la terre, ou de ses rapports avec les gens qui vivent sur cette terre. Par exemple, si votre famille a cultivé un terrain depuis des générations, alors en tant que descendant vous possédez le droit principal et permanent d’utiliser cette terre. Avoir un lien avec le groupe qui est identifié comme étant le gardien est l’une des plus importantes règles de la coutume qui détermine si une personne a des droits permanents ou non sur un terrain. Si vous n’avez pas de lien avec le clan qui possède le terrain que vous voulez utiliser, ce groupe pourra vous laisser les droits d’utiliser ce terrain, mais uniquement pour une période déterminée. Par conséquent, la période durant laquelle une personne peut revendiquer ses droits fonciers peut permettre de faire la distinction entre les différents types de droits fonciers, c’est à dire temporaires ou permanents. Une autre façon d’étudier les droits fonciers consiste à savoir qui a le pouvoir de décision sur le terrain. Par exemple, dans un couple, l’homme et la femme ont tous les deux le droit de cultiver le terrain mais il est fort probable que l’homme ait décidé de L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 207 l’endroit où est placé le jardin. D’une autre manière, dans un clan c’est peut-être le frère aîné qui a le dernier mot sur les décisions concernant la terre, ou peut-être que tous les hommes adultes d’une famille ont leur mot à dire dans les décisions, mais pas les femmes. Connaissez-vous des situations où les femmes ont le pouvoir de décision par rapport à un terrain ? La dernière façon de décrire les différents droits fonciers est d’examiner les usages fonciers autorisés. Par exemple, si on vous permet de cueillir les fruits des arbres d’un certain endroit, mais pas de construire une maison ou de cultiver un jardin, ou encore si on vous autorise seulement le passage sur un terrain. Selon la culture et les droits fonciers, les gens n’ont pas les mêmes droits sur une terre. Ces différences de droits varient en fonction des îles et des communautés. Ce qu’il faut retenir, c’est que les droits fonciers d’une personne sont basés sur les liens qui existent entre les membres d’une famille, et sur les rapports entre les gardiens originels et les autres personnes. Questions de compréhension 1. Quelles sont les façons utilisées pour décrire les droits fonciers ? 2. Selon les usages fonciers autorisés, quels sont les différents types de droits fonciers ? Enquête Quels droits fonciers possédez-vous ? Est-ce que ce sont les mêmes droits que vos frères et sœurs ? Et vos parents, quels droits ont-ils ? Nous entendons souvent les gens parler au sujet des terres. Certaines de ces questions sont liées aux litiges fonciers existants entre les familles ou encore entre les communautés. D’autres questions ont un rapport avec les baux fonciers, les lotissements et l’aliénation de la terre. Qu’est-ce qu’un regime foncier ? Un régime foncier décrit les actes autorisés d’un individu sur sa terre et la gestion des droits fonciers des personnes. Quelqu’un peut avoir des droits par ses parents, son conjoint, sa famille ou à travers un accord avec une personne qui est responsable d’un terrain. Un terrain peut très bien aussi être légué comme cadeau. Se faire adopter est également une autre manière d’obtenir des droits. Y a-t-il d’autres modes d’acquisition de droits fonciers ? Autrefois, quand les guerres tribales étaient communes, la terre changeait régulièrement de mains selon les alliances formées par les communautés. Aujourd’hui, il n’y a plus de guerre, bien que de violentes disputes au sujet de la terre aient été signalées. Dans cette partie, nous allons découvrir les différents aspects des droits fonciers traditionnels du Vanuatu. Ré gim e f o n c ie r : mode d’exercice et de gestion des droits fonciers sur une terre. Ainsi, nous utilisons le terme de détenteurs de terre plutôt que de propriétaires terriens quand nous parlons de régime foncier traditionnel. 208 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Les droits fonciers traditionnels Une étude des droits fonciers au Vanuatu permettrait de montrer les grandes différences entre les pratiques de succession. Bien que les chercheurs aient essayé de généraliser les droits fonciers au Vanuatu, il y a toujours des exceptions à cause des pratiques variées et des contextes culturels changeants. Familiarisons-nous d’abord avec les concepts fondamentaux et la terminologie utilisée pour les régimes fonciers afin de pouvoir décrire nos propres droits fonciers. Héritage matrilinéaire Dans ce système, un individu peut détenir une terre grâce à la relation qu’il a avec le clan de sa mère. Toutefois, bien que la terre soit transmise grâce à la mère, cela ne veut, en aucun cas, dire que les enfants hériteront de façon égale. Par exemple, si seuls les hommes détiennent des droits fonciers permanents dans une culture particulière, alors les femmes dans un régime matrilinéaire n’ont pas nécessairement plus de pouvoir du fait que l’on acquiert la terre par elles. Dans ces conditions, la terre reste l’affaire des hommes et ils héritent de la terre à travers les frères de leur mère (qui représentent la lignée de leur mère), plutôt qu’à travers leur mère elle-même. Héritage patrilinéaire Les droits fonciers sont transmis dans la lignée du père, de père en fils. Double descendance Dans ce régime, les enfants peuvent hériter des droits fonciers des deux parents, bien que typiquement une des deux lignées soit plus importante que l’autre. Pour comprendre comment ces termes sont utilisés, prenons quelques exemples dans différentes communautés de l’archipel. Etude de cas 1 : le village de Mele à Efate Un exemple d’arbre généalogique des droits fonciers du village de Mele à Efate (d’après Naupa 2004). Naniu veut dire coco, tekuru fruit à pain, nawita, pieuvre et toufi igname. Le régime foncier de Mele peut être décrit comme étant de double descendance. Traditionnellement, la lignée de la mère est plus prononcée que celle du père à cause du système de clan naflak répandu dans toute l’île. Le naflak est un totem partagé par les membres d’un clan. Il détermine tous ceux qui possèdent des droits fonciers dans ce naflak. Par exemple, une personne peut appartenir au naflak de la pieuvre ou de l’igname. Et comme ce système était répandu dans toute l’île, cela signifiait qu’une per- L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 209 sonne pouvait très bien être apparentée à quelqu’un appartenant au même naflak tout en se trouvant de l’autre côté de l’île. Bien que n’étant pas du même sang, ces deux personnes avaient l’obligation morale de se traiter mutuellement comme des membres d’une même famille dans tous les aspects, et de se donner des terres au besoin. Quand une personne d’un autre village rendait visite à quelqu’un appartenant au même naflak, la deuxième personne devait en faire autant. En observant le diagramme ci-dessus, nous constatons que les droits fonciers se transmettaient par la mère. Alors que le système du naflak était très commun dans le passé, cela ne voulait pas dire qu’un système patrilinéaire foncier n’existait pas, mais qu’on ne le pratiquait pas très souvent dans ce système d’héritage par double descendance. Etant donné que Mele est d’origine polynésienne, une culture patrilinéaire, cela aurait contribué à la complexité du régime foncier de Mele. Il est possible que les Polynésiens, patrilinéaires, aient du s’adapter au système matrilinéaire d’Efate, tout en conservant quelques aspects de leur propre système. Aujourd’hui, le système patrilinéaire est le plus utilisé dans les modes de transmission de la terre. Le système matrilinéaire du naflak est toujours reconnu mais il est moins utilisé que le système patrilinéaire. Les raisons de ce changement sont surtout dues aux circonstances : l’influence missionnaire à suivre un système d’héritage patrilinéaire occidental, et une population croissante dans l’île et dans les villages. Avec une population croissante, la demande foncière est plus forte et pour protéger les terres, le système naflak fut abandonné en grande partie, assurant ainsi que la terre sera conservée par la famille proche (et en évitant que les personnes possédant le même totem, mais n’étant pas du même sang, ne s’accaparent les terrains). Etude de cas 2 : Alti Ezekiel, nord ouest de Santo Bae mi no tokbaot fasin we ol bubu oli stap yusum bifo, be bae mi tokbaot hemia we mifala i stap yusum graon tedei. Mifala i no save tekem graon long saed blong mama. Sapos defren man i kam long ples blong mifala, mifala i nogat raet blong givim graon long hem. Tedei mifala i gat ol pikinini, be hem i gat graon. Wan man i save wok long solwota i go kasem long wan vilij. Bigfala graon hemia blong hem wan nomo. Mifala i gat pis long graon, hem i no sotfala nating. Mi gat ol pikinini oli stap. Fes bon hem i wan gel, seken wan hem i boe. So gel hem i no gat raet blong holem graon. Graon blong hem i stap wetem man blong hem. Sapos wan man i kam tekem hem, tufala i mas go stap long graon blong man blong hem. Be boe blong mi i gat raet blong wok long graon blong mi. Sapos wan man i gat ol gel nomo, mo evriwan oli mared be wan nomo i stap, hem nao hem i gat raet blong graon. Sapos evriwan i mared, graon i mas go long pikinini boe blong brata blong papa blong olgeta. Etude de cas 3 : Billy Bong, Ambrym du nord I gat wan wei bakegen long saed blong graon. I gat wan olfala man we i nogat pikinini hem i stap, mo brata blong hem tu i nogat. Hem i stap gogo, afta hem i sik. Bae hem i askem wan memba blong famli i kam stap wetem hem blong lukaotem gud hem. Hem i karem kakae blong olfala ia, hem i kukum blong hem i kakae, mo katem faea wud blong hem tu. Hemia i minim se hem i givim wan raet long hem. Saed ia, bae plante man oli lukluk, bae olfala ia i talem long man ia se : « Samtaem mi ded, bae yu holem graon blong mi ? » Hemia wan rejista we mi no pem ia, big promis blong hem nomo i rejista ia. So, man ia i mas redi gud long ol ting blong ded, from long taem we olfala i ded, bae hem i mekem gud wan ded seremoni i go long ples we mama i kam long hem. Bae hem i stap lukaotem pig blong mekem rere ol kakae. Taem olfala i ded, from hem i bin mekem promis finis, man ia we i lukaotem olfala we i ded i gat raet long evri samting folem promis bitwin olfala we i ded finis wetem hem. Les cas 2 et 3 ont été tirés de Kastom Fasin blong Holem Graon (1998 : 24) 210 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Questions de compréhension 1. Quel genre de régime foncier traditionnel existait autrefois à Mele ? 2. Comment hérite-t-on de la terre au nord-ouest de Santo ? 3. Au nord d’Ambrym, comment une personne peut-elle obtenir de la terre ? Activité de discussion L’étude de cas de Mele montre comment les circonstances peuvent modifier le régime foncier pratiqué. A part l’influence missionnaire et les changements démographiques, quelles autres conditions peuvent altérer un régime foncier ? Enquête Lorsque vous dessinez votre arbre généalogique, vous pouvez utiliser des symboles, le triangle représente un homme et le cercle représente une femme. Quel est le régime foncier utilisé dans votre communauté ? Dans votre famille, la terre s’obtient-elle de façon matrilinéaire, patrilinéaire ou des deux côtés ? Dessinez votre arbre généalogique avec les trois dernières générations et indiquez si les droits fonciers sont obtenus par les femmes, les hommes ou les deux. Est-ce la même chose dans la région où vous vivez ? Est-ce que tous les membres de votre famille possèdent les mêmes droits ? Quelles sont les différences ou les similitudes ? Quels sont les droits permanents et ceux qui sont temporaires ? Quand une personne meurt qu’advient-il de sa terre ? Est ce que la terre est transmise à ses enfants ? Et que se passe-t-il si cette personne n’a pas d’enfants ? Dessinez un arbre généalogique pour illustrer le régime foncier utilisé actuellement par votre famille. Comment cela a-t-il évolué avec le temps ? ‘Mama loa’ : la constitution et la terre Parce que la terre fut la principale raison de la lutte pour l’indépendance, des lois furent élaborées pour assurer la reconnaissance de cette relation traditionnelle. La Constitution de l’État de Vanuatu est sa loi fondamentale. Elle est située au sommet de son système juridique, les lois, les décrets et les actes du gouvernement doivent être conformes à ses principes. C’est pour cette raison que la Constitution est surnommée ‘Mama Loa’. Le titre 12 de la Constitution de la République de Vanuatu concerne la terre. Voici les articles 73, 74 et 75 de ce titre 12 qui évoquent les droits fonciers coutumiers au Vanuatu (vous pouvez retrouver le titre 12 dans sa totalité dans les annexes) : Titre XII terre L’article 73 devait avoir pour effet d’abolir les titres de propriété foncière à vie du temps du condominium (les terres qui avaient été aliénées et inscrites dans les registres du Tribunal mixte). Toutes ces terres ont été rendues aux propriétaires coutumiers. 4 Propriétaires fonciers Article 734. Toutes les terres situées dans le territoire de la République appartiennent aux propriétaires coutumiers indigènes et à leur descendance. Primauté de la coutume Article 74. Dans la République, les règles coutumières constituent le fondement des droits de propriété et d’usage des terres. L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 211 Propriété perpétuelle Article 75. Seuls les citoyens indigènes de la République ayant acquis leur terre selon un système reconnu de tenure foncière jouissent des droits de propriété perpétuelle sur celle-ci. Par ailleurs, un des articles dispose que le gouvernement peut créer des lois afin de faire respecter ces trois premiers articles. Une fois que les fondateurs et fondatrices se sont mis d’accord sur la Constitution, il a fallu être plus précis quant à la gestion quotidienne de cette terre. Ainsi, le parlement adopta des lois qui établirent des règles fondées sur les principes constitutionnels. Aujourd’hui, le Vanuatu possède une législation abordant les droits et les pratiques de l’usage de la terre. Toutes ces lois se réfèrent au titre 12 de la Constitution pour faire respecter les valeurs coutumières de notre ‘Mama Loa’. Toutefois, en ce qui concerne le problème contemporain des lotissements, certaines de ces lois doivent être révisées afin de combler les failles de ce système. Tableau 2. Les lois foncieres du Vanuatu et la legislation apparentée Nom de la loi Année d’adoption But Loi sur la réforme foncière 1980 Rendre les terres aliénées durant le condominium aux propriétaires coutumiers légitimes. Loi sur les terres aliénées 1982 Faciliter les objectifs de la loi sur la réforme foncière en donnant le choix aux propriétaires coutumiers soit d’établir un bail avec l’aliénateur ou soit d’indemniser l’aliénateur pour les améliorations effectuées sur la propriété. Loi sur les terres aliénées 1982 Faciliter les objectifs de la loi sur les terres aliénées en créant un bureau d’arbitrage des terres pour déterminer la valeur des améliorations faites par l’aliénateur. Loi sur l’arbitrage des terres 1982 Faciliter les objectifs de la loi sur les terres Aliénées en créant un bureau d’arbitrage des terres pour déterminer la valeur des améliorations faites par l’aliénateur. Loi sur les baux fonciers 1982 Soutenir la loi sur la réforme foncière et la loi sur les terres aliénées en définissant les termes d’un contrat de bail entre les propriétaires coutumiers et ceux qui veulent utiliser leur terre. D’après cette loi, la durée maximum de bail est de 75 ans. Loi sur les terres urbaines 1993 Aider le gouvernement à définir le processus à suivre lors de la création de terres urbaines. Cette loi soutient la loi sur l’acquisition de la terre. Elle introduit aussi un impôt foncier et un impôt par habitant pour les bailleurs. Loi sur les titres de propriété foncière à vie 1994 Permettre aux Ni-Vanuatu d’acheter des terrains en zone urbaine. C’est la première loi qui fait exception au régime foncier coutumier. Loi sur le tribunal foncier coutumier 2001 Promouvoir l’usage des tribunaux fonciers coutumiers (cours coutumières) dans les règlements de conflits fonciers. Pour faciliter les choses, un bureau de tribunal foncier fut mis en place. 212 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Nom de la loi Année d’adoption But Loi sur les titres des strates 2004 Permettre aux citadins de posséder une partie d’une propriété, sans à avoir à acheter l’entière propriété, par exemple, un appartement dans un immeuble ou un bureau dans un ensemble de bureaux. D’autres lois et politiques liées aux terres : Île de Iririki, baie de Port-Vila. La Loi sur les titres des strates portait tout d’abord sur le lotissement résidentiel de l’île. Plan d’action stratégique sur la biodiversité nationale 2001 Stratégie nationale pour conserver la diversité biologique du pays sur la terre et dans la mer. Loi sur l’environnement 2003 Les promoteurs doivent établir une évaluation des impacts sur l’environnement (EIE) afin que leur projet de développement soit accepté. Questions de compréhension 1. Selon l’article 73 de la Constitution, à qui appartient la terre au Vanuatu ? 2. Avec vos propres mots, expliquez la signification de ‘propriété à vie’ (Article 75). Est-ce que cela veut dire que n’importe qui peut ‘posséder’ une terre ? 3. Identifiez les articles du titre 12 de la Constitution auxquels les lois indiquées dans le tableau font référence ? (cf. Annexes pour consulter la totalité du titre 12). Pour aller plus loin L’article 74 déclare que la propriété doit respecter les règles de la coutume. Etant donné la valeur de la terre et les différences entre la possession et la détention de droits sur une terre, comment ce terme de ‘propriété’, employé dans la Constitution, peut-il potentiellement créer des problèmes ? Les regimes fonciers modernes : les baux La loi sur les baux fonciers (L. 4 de 1983) citée dans le tableau précédent est une des lois foncières les plus utilisées actuellement au Vanuatu. Elle est importante parce qu’elle permet aux propriétaires coutumiers de continuer de faire valoir des droits sur leurs Diffé re n ts types d’usage de la t erre reconnus par le gou vernement du V anuat u Il y a deux catégories principales : la terre rurale et la terre urbaine (publique). Voici les différentes zones que l’on trouve au sein des terres rurales et urbaines : Un titre de p rop ri ét é f on cière à vie : est un droit qui permet d’aliéner la terre de façon permanente. Une tenure à bail est vue comme une solution contre l’aliénation permanente de la terre. • agricole • industrielle • commerciale • résidentielle Seules les terres résidentielles urbaines peuvent faire l’objet d’un titre de propriété foncière à vie. Toutefois, seuls les Ni-Vanuatu peuvent posséder une terre à vie, les étrangers n’ont pas ce privilège. L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 213 terres bien qu’une tierce personne les utilise. Un bail est un accord qui permet de louer la terre à un propriétaire traditionnel. Etant donné que la vente de terre n’est pas permise au Vanuatu (à cause de l’aliénation de la terre lors de la colonisation), les étrangers peuvent également utiliser la terre en la louant. Parfois ces contrats de bail peuvent être officieux, tels qu’un accord verbal avec le propriétaire. Cependant, les lois foncières ont aussi formalisé ces accords pour qu’ils puissent être écrits sur papier et reconnus devant un tribunal. La reconnaissance formelle de ces baux est importante pour les gens qui louent la terre et veulent la développer. Ils doivent savoir de combien de temps ils disposent pour l’usage de cette terre afin de décider de la somme à allouer pour son développement. D’après la loi, la durée maximum d’un bail au Vanuatu est de 75 ans. Les deux formes de baux sont communes au Vanuatu aujourd’hui puisqu’il y a beaucoup de Ni-Vanuatu qui vivent en dehors de leur île d’origine ainsi que de nombreux étrangers qui habitent dans l’archipel sans posséder de revendication traditionnelle sur la terre. Les propriétaires coutumiers vivant sur leur propre terre n’en ont pas besoin puisque la terre leur appartient. Questions de compréhension 1. Quels genres de baux existent ? Recherchez des expressions dans le texte pour les définir. 2. Les propriétaires coutumiers vivant sur leur propre terre ont-ils besoin d’un bail ? Enquête Si vous habitez en ville, ou si vous connaissez quelqu’un qui y vit, décrivez la façon dont les gens obtiennent des droits fonciers. Quelle est la différence entre le régime foncier urbain et rural ? Plus en détail – la ville A l’indépendance, le gouvernement du Vanuatu était responsable de l’application des accords sur les droits fonciers se trouvant dans la Constitution. Les terres des zones urbaines présentaient un véritable dilemme parce que les limites de la ville devaient être définies et les titres fonciers existants devaient être pris en compte. Howard Van Trease (1987 : 260) décrit comment le gouvernement aborda ce problème : L’Arrêté No.26 de 1981 sur la réforme foncière détermina les limites de Port-Vila et de Luganville et déclara ces zones terres publiques. Les arrêtés fonciers No.30 et No.118 de 1981 permirent l’institution des sociétés commerciales foncières de Port-Vila et de Luganville. L’objectif, pour le gouvernement, de ces deux corporations était de gérer les terres urbaines. Elles devaient rédiger les baux de location et encaisser l’argent des loyers. Les propriétaires coutumiers devaient recevoir comme indemnisation un pourcentage de ces loyers versés annuellement. Pendant les trois premières années de l’indépendance du Vanuatu, plusieurs lois foncières furent votées (voir tableau 2). Cette législation s’appliqua aux étrangers Un t it r e d e t e nure à b a il : est un accord qui permet à une personne d’utiliser un terrain bien défini pour une durée spécifique. 214 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Les limites de Port-Vila, 1980 et 2004 (Pierce 2004, inédit). zone construite zone construite zone municipale zone municipale route principale route principale détenteurs de titres fonciers qui choisirent de rester au Vanuatu après l’Indépendance en tant qu’aliénateurs. A la fin de 1983, […] le Vanuatu eut enfin un cadre légal pour s’occuper des transactions foncières selon les principes constitutionnels. Alors qu’il n’était pas possible pour des étrangers et des citoyens non indigènes de posséder de la terre, il était possible de les louer à bail, les investissements entrepris sur ces terres étant bien sûr protégés par la loi. En février 1984, la Société Commerciale Foncière Urbaine de Port-Vila annonça qu’elle allait commencer à distribuer des baux à tous les anciens propriétaires et à ceux qui avaient remplacé les aliénateurs à l’intérieur des limites des zones urbaines (Van Trease 1987 : 264). ‘L’émeute de Port-Vila en 1988’, étudiée précédemment, décrit la réaction des propriétaires traditionnels face à la mauvaise gestion de cette société. En 1988, le ministre des terres, William Mahit, mit fin à cette société ainsi que celle de Luganville à cause de leurs coûts élevés de fonctionnement, de la mauvaise gestion ou de la corruption (Van Trease 1995 : 77). Les habitants d’Erakor, d’Ifira et de Pango à Efate organisèrent une manifestation pour protester contre cette décision qui se termina en émeute. La fermeture de la société signifiait que les propriétaires coutumiers n’avaient plus leur mot à dire sur l’usage des terres à l’intérieur de la zone urbaine. L’administration des terres publiques fut sous le contrôle complet du gouvernement (Sope dans Van Trease 1995 : 211). Les villageois des alentours de Port-Vila avaient attendu longtemps qu’on les indemnise, ce qui engendra en 1988 une émeute. En 1992, la loi sur l’acquisition des terres fut votée. Elle décrit les procédures permettant l’acquisition de terres par le gouvernement dans l’intérêt public. En 1993, la loi controversée sur les terres urbaines permit au gouvernement de créer des zones urbaines à Lenakel à Tanna et Norsup/Lakatoro à Mallicolo (Holmes 1996 : 16). Quand la loi sur les titres de propriété foncière à vie de 1994 fut votée, les villageois d’Erakor, d’Ifira et de Pango protestèrent une nouvelle fois. Leur argument était que le L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 215 gouvernement ne pouvait pas vendre les terres qui n’avaient pas encore été payées. Le retard de paiement tenait aux difficultés de définir les limites coutumières des trois villages, ainsi que celles à l’intérieur des villages. Autres sujets de discorde : qui avait un droit sur quelle terre ? Qui avait le droit de recevoir un pourcentage de la somme octroyée par le gouvernement ? Jusqu’alors les loyers étaient recueillis par les sociétés urbaines et furent retenus le temps que les villageois résolvent leurs problèmes. Le Premier ministre de l’époque, Maxime Carlot Korman, proposa le paiement d’une large somme d’argent aux gens d’Ifira qui devait être versée à l’Ifira Land Trust comme indemnisation (Holmes 1996 : 19). La plupart des villageois d’Ifira refusèrent bien que certains se rendirent au bureau du Premier ministre pour y être payés. La loi sur les titres de propriété foncière à vie fut la première exception aux principes établissant la coutume comme base de toutes transactions foncières. Questions de compréhension 1. Quel était le but des sociétés commerciales des terres urbaines ? 2. Quelles raisons a-t-on évoqué pour la fermeture de ces sociétés ? 3. Nommez les zones urbaines du Vanuatu. Pour aller plus loin La loi sur l’acquisition des terres expose la procédure que le gouvernement doit suivre quand elle veut créer des terres publiques urbaines. Pourquoi le gouvernement a-t-il besoin de posséder des terres ? Expressi on écrite Avec vos propres mots, expliquez comment la loi sur les titres de propriété foncière à vie est une exception au régime foncier coutumier. Réfléchissez à la différence entre les droits de propriété foncière à vie et les droits fonciers coutumiers. Enquête Vous vivez à Luganville ou à Port-Vila, ou vous êtes déjà allé dans l’une de ces deux villes du Vanuatu ; identifiez les différentes zones résidentielles selon qu’elles sont rurales ou urbaines. Par exemple, la zone de Blacksands à Port-Vila est une zone rurale. Depuis 1970, les lotissements sont un sujet de controverse dans nos îles. Mais pourquoi beaucoup de Ni-Vanuatu sont défavorables à la création de lotissements ? Examinons quelques exemples qui soulignent le problème des lotissements. Plus en détail – les lotissements Eugene Peacock En 1967, un homme d’affaire américain du nom d’Eugene Peacock subdivisa une grande partie de la terre qu’il avait achetée à Santo et aussi à Malapoa près de PortVila à Efate. Il vendit les actes de ces terrains à des investisseurs hawaïens. Quand en C o n t r o v e r s e : polémique 216 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois 1971, on commença à défricher la terre pour développer ces lotissements, les habitants de Santo, ainsi que les puissances françaises et britanniques étaient préoccupées. Il était évident que si n’importe qui pouvait créer un lotissement pour ensuite vendre la terre à des personnes ni anglaises ni françaises ni néo-hébridaises, alors l’archipel serait envahi par des investisseurs étrangers. La première manifestation de l’Association Culturelle des Nouvelles-Hébrides protesta contre le lotissement des terres et soutint les règlements britanniques et français pour ces questions. On fit payer des impôts sur les lotissements et l’immigration aux Nouvelles-Hébrides fut strictement surveillée pour les gens qui n’étaient ni Britanniques ni Français. Publicité de 2004 concernant les lotissements de Teoumaville, Efate. L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 217 Teoumaville La vallée de Teouma à Efate fut subdivisée à grande échelle au début du 21ème siècle. Cela eut pour conséquence de créer le lotissement résidentiel rural de Teoumaville. Teoumaville mit en vente un total de 166 terrains dont 106 terrains ayant une superficie de 2500 m2 et 60 terrains ayant une superficie de 1250 m2. Les grands terrains furent vendus à 1 million de vatus, alors que les plus petits avait une valeur de 650 000 vatus. De nombreuses personnes originaires des autres îles se saisirent de l’occasion et achetèrent ces terrains. La plupart louent actuellement une maison et travaillent à PortVila, qui se trouve à 15 km. Ils cultivent des jardins sur leur terrain à Teouma jusqu’à ce qu’ils puissent y bâtir une maison. Une question reste en suspend : si Teouma est une solution potentielle aux problèmes de logement à Port-Vila, alors pourquoi proteste-t-on en général contre les lotissements ? Questions de compréhension 1. Au début des années 1970, quelles étaient les préoccupations concernant les lotissements de Peacock ? 2. En quoi les lotissements des années 1970 sont-ils différents de ceux de Teouma ? Prenez en considération la nature des acheteurs de ces terrains. 3. Cherchez un aspect positif de ceux lotissements cités dans le texte. Pouvez-vous en trouver d’autres ? Activité de discussion 1. Les lotissements ont tendance à se trouver dans des zones à proximité des infrastructures telles que l’électricité et les routes principales. Par exemple, la majorité des lotissements du Vanuatu se trouvent à Efate et Santo. Pourquoi ? 2. Organisez un débat sur leurs avantages et inconvénients pour le Vanuatu. Depuis les années 1970, les lotissements mettent en évidence la possibiliter d’aliéner les terres. Avant l’indépendance, beaucoup de propriétaires coutumiers ne pouvaient pas revendiquer leurs droits fonciers à cause de la législation du condominium (cf. le volume 2.) La subdivision de Peacock à Santo aurait attiré plus d’étrangers et aurait rendu difficile la revendication des droits coutumiers par les propriétaires coutumiers. Pourquoi ? Parce que les Américains et les Européens ou tous ceux qui achetaient un terrain auraient voulu que l’acquisition de leur propriété se fasse à la manière occidentale avec des registres écrits, au lieu d’un régime foncier traditionnel fondé sur la généalogie et l’histoire orale. Pour se protéger de l’aliénation de la terre, la Constitution de la République du Vanuatu prévut que toutes les terres seraient ‘rendues aux propriétaires coutumiers légitimes’ (ou plus exactement aux détenteurs de terre). Les tenures à bail décrites cidessus étaient une façon de s’assurer que plus jamais la terre ne serait achetée ou vendue, et auraient ainsi empêché l’aliénation des terres. Cependant, une durée de bail de 75 ans dépasse largement une durée de vie humaine ! De plus, à la fin du bail, le propriétaire coutumier doit rembourser tous les coûts de développement effectués sur sa terre s’il veut revendiquer la terre et arrêter de la louer. Quand les coûts de développement représentent de gros investissements, les propriétaires coutumiers 218 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois se trouvent dans l’impossibilité de les rembourser. Ainsi, un bail peut être prolongé. L’aliénation de la terre est en fait déguisée sous forme de bail. Les lotissements accélèrent d’autant plus ce processus. Le fait que les lotissements fonciers ne permettent pas aux propriétaires traditionnels de réaliser des bénéfices importants reste préoccupant. Imaginez, par exemple, qu’un propriétaire coutumier vende 500 hectares à un investisseur pour 5 millions de vatus. L’investisseur ensuite subdivise la propriété en mille terrains d’un demi hectare qu’il vend à 1 million chacun. L’investisseur réalise une vente d’1 milliard de vatus ! Dans cette situation, à qui bénéficie réellement du lotissement ? Si l’on ajoute le problème de l’aliénation des terres, il devient évident qu’une fois de plus les propriétaires traditionnels rencontrent des difficultés à revendiquer leurs droits sur leurs terres. Certains investisseurs défendent de manière légitime le fait qu’une fois le bail signé, ils aient le droit, devant la loi, de développer la dite propriété. C’est tout à fait juste. Cependant, nombreux Ni-Vanuatu ne connaissent pas suffisamment les lois nationales concernant les terres, et peuvent signer des contrats dont ils ne comprennent pas parfaitement les termes. Un autre aspect de ce problème est que, parfois, les propriétaires traditionnels, ou ceux qui se prétendent être les propriétaires, sont cupides et vendent les terres familiales. Cela est-il correct envers les autres membres de la famille ? Les faux propriétaires traditionnels créent des problèmes, pas seulement pour la famille mais aussi pour les investisseurs. Si les problèmes relatifs à la propriété au sein de la famille sont résolus avant la signature du bail par un investisseur, les possibilités de léser les droits de la famille sont réduites. De cette manière, un faux propriétaire ne peut pas signer de bail sur une terre appartenant à quelqu’un d’autre. Si les gens étaient plus sensibilisés à ces questions, les propriétaires traditionnels pourraient empêcher les lotissements par des personnes étrangères à la famille. Bien entendu, faire un lotissement coûte très cher, du fait que les routes d’accès et l’alimentation en eau et électricité incombent à l’acheteur. Les propriétaires coutumiers doivent être plus vigilants et prudents en amont de la signature du contrat afin d’éviter ces situations déséquilibrées et inextricables. Le plus efficace est encore pour les propriétaires coutumiers de ne jamais louer leurs terres. Pour aller plus loin Choisissez un paragraphe sur les lotissements à la page précédente. Avec vos propres mots, expliquez le problème particulier des lotissements au Vanuatu. Enquête Y a-t-il un lotissement proche de votre école ? Est-il classé comme agricole, commercial, industriel ou résidentiel ? Quel en est le nom ? Qui a subdivisé la terre ? Quels bénéfices apporte-il à la communauté qui l’entoure ? Quels problèmes peuvent surgir à l’avenir ? Activités de groupe Divisez la classe en groupe. Chaque groupe doit créer une publicité sur un lotissement résidentiel. La publicité doit contenir : • Le nom et la location du lotissement • La taille du lotissement (nombre de terrains et superficie) L’édification nationale : du 30 juillet 1980 à nos jours 219 • Le nom de la compagnie, de la communauté ou de la famille qui vend ces terrains • Un plan illustrant les trois points mentionnés ci-dessus • Une liste des services fournis par la subdivision (par exemple l’entretien des routes, l’électricité, l’eau, etc.) • Les autres aménagements du lotissement (par exemple les endroits tabou, les cascades, les plages, les magasins, etc.) • Le prix des différents terrains. Chaque groupe doit aussi indiquer les raisons pour lesquelles il est idéal d’acheter un terrain dans ce lotissement. Quel est son point fort ? Est-ce parce qu’il a été développé par la communauté ou un propriétaire traditionnel ? Est-ce que c’est parce qu’il a été développé par une agence immobilière ? Est-ce pour sa location, son prix ou son investissement ? Chaque groupe doit ensuite présenter la publicité de son lotissement au reste de la classe. Village de Lamap, Mallicolo, 2004. Photo d’Anastasia Riehl. Les préoccupations foncières actuelles du Vanuatu en ce qui concerne les baux et les lotissements sont des problèmes auxquels les anciennes générations n’étaient pas confrontées. Mais cela ne veut pas dire que les baux et les lotissements sont néfastes, même s’ils peuvent être dangereux. Les temps changent, ainsi que les circonstances et les pratiques culturelles. Aujourd’hui, les titres de propriété font partie du régime fon- 220 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois cier du Vanuatu. Cependant, les Ni-Vanuatu gardent toujours du respect envers la terre de leurs ancêtres, et cette relation à la terre reste essentielle. Par conséquent, ils ont le devoir de gérer cette terre d’une façon durable, qu’il s’agisse de terres familiales ou de celles qu’ils sont amenés à louer. Ils peuvent continuer de vivre de la terre à travers l’agriculture ou le développement, mais ils doivent le faire de manière à ne pas encourager l’aliénation des terres quand les propriétaires ne sont pas assez informés sur la législation en vigueur. Aujourd’hui, le Vanuatu est un pays souverain depuis trois décennies, donc encore jeune comparé à d’autres Etats-Nations. La vie politique, économique, sociale et environnementale du pays continue à se développer en même temps que le pays se construit une place dans les affaires régionales et internationales. A travers ces grandes lignes de l’histoire du Vanuatu, les Ni-Vanuatu peuvent tirer des leçons du passé. En comprenant et célébrant l’héritage culturel national, ils doivent faire en sorte que leur identité soit préservée. Volume Trois – les annexes 219 annexe a Listes des Commissaires Résidents pendant le condominium Les Commissaires Résidents britanniques aux Nouvelles-Hébrides 1906–1924 Merton Kind 1924–1927 Geoffrey Smith–Rewse 1927–1939 George Andrew Joy 1939–1949 R.D. Blandy 1949–1955 H.J.M. Flaxman 1955–1962 John Shaw Rennie 1962–1966 Alesander Mair Wilkie 1966–1973 Colin Hamiliton Allan 1973–1975 Roger du Boulay 1975–1978 John Stuart Campion 1978–1980 Andrew Christopher Stuart Les Commissaires Résidents français aux Nouvelles-Hébrides 1901–1904 Gaudens Faraut 104–1904Amigues 1904–1908 Charles Bord 1908–1908 Colonna 1908–1909 Charles Moufflard 1909–1910 Colonna 1910–1911 Martin 1911–1913 Jules Repiquet 1913–1921 Louis Miramende 1922–1929 Henri d’Arboussier 1931–1933 Antoine Carlotti 1933–1940 Henri Soutot 1940–1946 Robert Kutter 1947–1949 André Ménard 1949–1958 Pierre–Amédée Anthonioz 1958–1960 Marcel Favreau 1960–1965 Maurice Delaunay 1965–1969 Jacques Mouradian 1969–1975 Robert Langlois 1975–1977 Robert Gauger 1977–1978 Bernard Pottier 1978–1980 Jean-Jacques Robert Source : Voice of Vanuatu, numéros 36 & 37, 1er août 1980 220 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois annexe b Traduction anglaise des répliques françaises de la scène tirée de la pièce ‘A Joy Court’ [Scene V – the court case regarding an Englishman named Hughes is in its fifth sitting. Language problems have arisen.] French Judge. I don’t see the point of this interrogation! M. ‘Ug, you are simply wasting the Court’s time. Hughes. [Soothingly] I will summarise, M. le Juge francais! [To French Commandant] So, you straightened your report after questioning your two soldiers yourself? French Commandant. Perfectly ! Hughes. Do your two soldiers speak French? French Commandant. No Sir ! They speak Bislama. Hughes. So, you must interpret what you want to ask them. Who was the interpreter? [Suggestively] Perhaps he could have made a mistake. French Commandant. [Determined to squash this suggestion once and for all.] No Sir ! I do not have an interpreter! I have already told you that I have questioned them myself! Hughes. [Innocently.] In Bislama ? French Commandant. [With a slight flush.] Absolutely, Sir, in Bislama! Hughes. You speak Bislama then, M. le Commandant? French Commandant. [Flushing slightly more.] Perfectly, Sir ! Hughes. [In pidgin-English.] You tell-im out along Court; time you been talk along two feller, two feller e been tell-im you what name? French Commandant. [Aghast.] I don’t understand! (Jacomb 1914 : 44-52) Hughes. What name ! You been tell-im out long Court you savvy spik pidgin English! [French Commandant gazes helplessly at French Judge.] Volume Trois – les annexes 221 French Judge. [Who has at length sized up the drift of the cross-examination.] This is too much! M. ‘Ug, you mock the Court! You have no respect for the Administration! M. le Président ! I ask that the Court passes a ruling! Président. [Who is utterly fogged.] Why ?… what is it ?… I don’t understand! [To Interpreter.] Translate ! Interpreter. I haven’t understand myself, M. le Président. I believe M. ‘Ug speaks Bislama! Président. [Who is getting tired and therefore forgetful.] Bislama ?… what is that? French Judge. M. ‘Ug does not have the right to speak Bislama. We are not natives! In other places it is not the official language in Court! Président. No ! It is not one of the official languages of the Court. M. ‘Ug, you have the right to speak French, even English if you like, but no other language. [Scene VI – Hughes has brought in a witness and questions him in English] Hughes. No ! M. le Président. I have two witnesses to present to the Court. First my clerk, M. Stanley, and then the British Resident Commissioner. Président. Good ! We shall hear M. Stanley! [Stanley arises from his seat amongst the audience and is sworn in by the British Judge] Hughes. Mr Stanley ! Will you please tell the Court where I was on the evening of the third of February last? Interpreter. Where was I on the evening of the third of February? Stanley. We were at Paama, with all your boys. Interpreter. We were on the island of Paama, accompanied by all your boys. Hughes. When did we leave Vila? Interpreter. When did we leave Vila? 222 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois annexe c Les personnages clés de la décolonisation du Vanuatu Les résumés ci-dessous présentent les vies politiques des dirigeants importants l’histoire de la décolonisation du Vanuatu. De nombreux autres Ni-Vanuatu ont joué un rôle important au cours de cette période historique majeure. Nous ne pouvons pas énumérer tous, par conséquent, seuls les personnages principaux sont décrits ci-dessous. En interrogeant votre communauté, vous pourrez obtenir de plus amples informations. Boulekone Vincent Né en 1944 au centre de Pentecôte, Vincent Boulekone a été éduqué dans le système français et a passé plusieurs années au séminaire puis à étudier le droit en NouvelleCalédonie. En 1973, il est revenu aux Nouvelles-Hébrides pour travailler en tant qu’avocat indigène pour la Résidence de France. La même année, il crée l’UCNH. Il forma plus tard la Tan-Union. Il fut l’un des quelques parlementaires francophones du premier gouvernement de la République. Kalpokas Donald Né en 1943 sur l’île de Lelepa, au nord d’Efate, Donald Kalpokas fut l’un des fondateurs de l’Association Culturelle des Nouvelles-Hébrides (New Hebrides Cultural Association). Il est diplômé de l’université d’Ardmore, en Nouvelle-Zélande et de l’USP et fut le premier ministre de l’Éducation au Vanuatu. Kalsakau George Né en 1933 comme Chef de l’îlot Ifira, George Kalsakau a été éduqué dans le système britannique et a travaillé avec la police britannique de la fin des années 1950 au début des années 1970. En 1977, il fut brièvement élu premier Ministre et représenta le Efate Natuku Party. Korman Maxime Carlot Originaire du village d’Erakor à Efate, Maxime Carlot fut un modéré dans les années 1970. Il fut ministre des Affaires intérieures dans le gouvernement des NouvellesHébrides et fit partie des quelques parlementaires francophones du premier gouvernement de la République de Vanuatu. Leye Jean Marie Né à Anatom, il fut le président de l’UCNH. Il a essayé d’obtenir la sécession de Tanna pendant la période de la rébellion de Santo. Lors des procès qui ont suivi la rébellion, il a été condamné à un an d’emprisonnement. Il fut le troisième Président du Vanuatu. Volume Trois – les annexes 223 Leymang Gérard Né en 1933 à Lamap au sud-ouest de Mallicolo, et éduqué dans le système français, Gérard Leymang a été ordonné prêtre de l’Église catholique. Il fut premier Ministre du Gouvernement de l’Unité Nationale des Nouvelles-Hébrides à partir de décembre 1978 et jusqu’à l’élection de 1979. Il appartenait à l’UCNH. Lini Hilda Née au nord de Pentecôte et diplômée de l’USP de Suva, Hilda Lini travailla activement dans la politique au moment de l’indépendance puis s’engagea les mouvements antinucléaire. Elle fut la première femme parlementaire du Vanuatu. Lini Walter Né en 1942 à Pentecôte, Walter Hayde Lini était un prêtre anglican formé à l’université de théologie de St-Peter dans les îles Salomon. Il fut le leader du Vanua’aku au moment de l’indépendance et le premier premier Ministre du Vanuatu. Mataskelekele Kalkot Né sur l’îlot d’Ifira, Kalkot Mataskelekele fut sérieusement impliqué dans le mouvement vers l’indépendance. Formé comme avocat à l’USP, sa connaissance des lois fut une valeur inestimable pour le mouvement indépendantiste. En 2004, il est devenu le sixième Président du Vanuatu. Malere Aimé Né à Mallicolo, Malere fut l’un des présidents du MANH. Il a soutenu une approche progressive vers l’autonomie dans les années 1970 (Beasant 1984 : 29). Il fut ministre du Commerce, de l’Industrie et du Tourisme en 1977 dans le gouvernement Kalsakau et ministre des Finances dans le gouvernement du Vemarana (Beasant 1984 : 137). Molisa Grace Née à Ambae, Grace Molisa fut éduquée en Nouvelle-Zélande. Elle est devenue plus tard une critique de la société et une activiste, écrivant des poèmes au sujet de l’échec du système du condominium et du statut des femmes. Molisa Sela Né en 1950 à l’ouest de Santo et éduqué à l’USP de Suva, Sela Molisa fut par le passé Directeur général de la Vanuatu Cooperative Federation. Il fut élu dans le gouvernement de l’Unité Nationale par une élection partielle sur Santo en 1980. Naupa John Né en 1940 à Erromango, John Nivwo Naupa fut l’un des fondateurs de l’Association Culturelle des Nouvelles-Hébrides. Il fut éduqué aux écoles publiques d’Onesua et d’Iririki (Pango). Il fut ministre de la Santé pendant le gouvernement du condominium et fut le premier ministre des Transports du Vanuatu. 224 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois Regenvanu Sethy Originaire d’Uripiv à Mallicolo, Sethy John Regenvanu a été formé comme pasteur à l’Université de Théologie du Pacifique de Suva. Il fut le directeur du département de l’Éducation chrétienne de l’Église presbytérienne des Nouvelles-Hébrides ainsi que le premier ministre des Terres du Vanuatu. Il a écrit la première autobiographie politique par un Ni-Vanuatu, Laef Blong mi (2004). Stevens Jimmy Moli Né en 1926 à Tasmalum, au sud de Santo, Jimmy Stevens est né d’une mère de Mota Lava et d’un père à moitié européen moitié tonguien. Beaucoup d’auteurs décrivent Stevens comme un descendant d’une princesse tonguienne et d’un marin écossais. Il devint le chef du mouvement Nagriamel vers la fin des années 1960. Il a mené la rébellion de Santo en 1980. Sope Barak Né en 1951 sur l’îlot d’Ifira, Barak Tame Sope a été instruit à l’Essendon Grammar School en Australie et puis à l’USP de Suva. Il fut le premier secrétaire du cabinet du premier Ministre et le secrétaire personnel du premier premier Ministre du Vanuatu. Sokomanu Ati George (puis appelé George Kalkoa) Né en 1933 dans le village de Mele, George Kalkoa fut le ministre des Affaires intérieures pour le gouvernement des Nouvelles-Hébrides, avant de devenir le premier Président du Vanuatu. Il fut éduqué au Lelean Memorial et à l’école de formation des professeurs de Nasinu sur Fidji. Taurakoto Peter Né en 1940 à Efate, Peter Kalpau Taurakoto fut l’un des fondateurs de l’Association Culturelle des Nouvelles-Hébrides. Il est diplômé de l’université des professeurs de Kawenu et de l’USP de Suva dans les îles Fidji. En 2005, il est devenu Médiateur du Vanuatu. Timaka Frederick Né sur l’île d’Emae, Fred Timakata fut vice premier Ministre et ministre des Affaires intérieures dans le premier gouvernement de la République du Vanuatu. De 1989 à 1994, il fut le deuxième Président du Vanuatu. Yolou Alexis Né à Loanatom à Tanna, d’une lignée de Yeremera, il avait été formé par les pères maristes à Montmartre. Il fut le 1er champion de boxe des Nouvelles-Hébrides. Il poursuivit des études supérieures en France, à l’École de France d’Outre-mer ; ses capacités devaient lui permettre de jouer un rôle de premier plan dans l’histoire de son pays. Député des Modérés de Tanna en 1979, il fut élu sous l’étiquette John Frum. Son meurtre, en juin 1980, lors de la rébellion de Tanna souleva une réprobation unanime. Le refus du Procureur MacKay, un Anglais, chargé de l’enquête, de poursuivre les coupables au motif du manque de preuves, déchaîna la fureur des amis de la victime et des ‘coutumiers’ de Tanna. Volume Trois – les annexes annexe d L’hymne national du Vanuatu Refrain Yumi, Yumi, Yumi i glad blong talem se Yumi, Yumi, Yumi i man blong Vanuatu Verset 1 God i givim ples ia blong yumi Yumi glad tumas long hem Yumi strong mo yumi fri long hem Yumi brata evriwan Verset 2 Plante fasin blong bifo i stap Plante fasin blong tedei Be yumi i oslem wan nomo Hemia fasin blong yumi Verset 3 Yumi save plante wok i stap Long ol aelan blong yumi God i helpem yumi evriwan Hemi papa blong yumi Composé par François Issav 225 226 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois annexe e Le Titre 12 de la Constitution de la République de Vanuatu Édition consolidée 2006 Titre XII – Terre Propriétaires fonciers Article 73. Toutes les terres situées dans le territoire de la République appartiennent aux propriétaires coutumiers indigènes et à leur descendance. Primauté de la coutume Article 74. Dans la République, les règles coutumières constituent le fondement des droits de propriété et d’usage des terres. Propriété perpétuelle Article 75. Seuls les citoyens indigènes de la République ayant acquis leur terre selon un système reconnu de tenure foncière jouissent des droits de propriété perpétuelle sur celle-ci. Loi foncière nationale Article 76. Une loi foncière nationale, votée par le Parlement après consultation du Conseil National des Chefs, met en oeuvre les prescriptions des articles 73, 74 et 75. Cette loi peut prévoir des dispositions différentes selon les catégories de terres, l’une d’entre elles étant constituée par la propriété urbaine. Réparations Article 77. Le Parlement détermine les critères d’évaluation des réparations et le mode de paiement qu’il estime appropriés à l’égard des personnes atteintes dans leurs intérêts par les dispositions légales prises en application du présent Titre. Conflits Article 78.(1) Lorsque, en application des dispositions du présent Titre, un conflit relatif à la propriété d’une terre aliénée survient, le gouvernement se constitue gardien de cette terre jusqu’à ce que le conflit soit résolu. (2) Le Le gouvernement prend les dispositions pour que les instances ou les procédures coutumières appropriées concourent à la résolution des conflits nés de la propriété des terres coutumières. Volume Trois – les annexes 227 Transactions immobilières Article 79.(1) Nonobstant les dispositions des articles 73, 74 et 75, les transactions immobilières entre les citoyens indigènes, d’une part, et les citoyens non-indigènes ou les non-citoyens, d’autre part, doivent être soumises à l’autorisation préalable du gouvernement. (2) L’autorisation requise aux termes du paragraphe 1) ne peut être accordée dans l’hypothèse où la transaction pour laquelle cette autorisation est demandée est préjudiciable aux interets : du ou des propriétaires coutumiers de la terre en cause ; (a) du citoyen indigène qui n’est pas le propriétaire coutumier ; (b) de la collectivité locale habitant le territoire où se trouve (c) la terre ; ou de la République. (d) Domaine public Article 80. Nonobstant les dispositions des articles 73 et 74, le gouvernement peut devenir propriétaire foncier en procédant à des acquisitions pour cause d’utilité publique. Redistribution des terres Article 81.(1) Nonobstant les dispositions des articles 73 et 74, le gouvernement peut acheter des terres aux propriétaires coutumiers dans le but d’en transferer la propriété aux citoyens indigènes ou a des collectivités indigènes originaires d’îles surpeuplées. (2) Pour la redistribution des terres effectuée en application du paragraphe 1), le gouvernement tient compte en priorité des facteurs ethniques, linguistiques, coutumiers et géographiques. 228 Histri blong Yumi long Vanuatu – Volume Trois 229 Bibliographie livres et articles Abong, Marcellin. 2008. La pirogue du Dark-Bush : aperçus critiques sur l’histoire du Nagriamel. Port-Vila : VKS. Arthur, Roslyn. 1994.‘The history of Hotel Rossi and its place in the development of the hospitality industry in Vanuatu.’ Unpublished research project, Malapoa College, Port Vila, Vanuatu. Arutangai, Selwyn. 1995. ‘Post-Independence Developments and Policies.’ In Howard Van Trease (Ed.), Melanesian Politics : Stael blong Vanuatu. Macmillan Brown Centre for Pacific Studies (University of Canterbury, NZ) and Institute for Pacific Studies (University of the South Pacific, Fiji), p59–71. Asian Development Bank. 2002. Vanuatu : Economic Performance and Challenges Ahead. 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