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GISME, Centre d’Addictologie * Informations, Soins, Recherche sur les conduites addictives * * « Non, les compagnies tabagières ne sont pas des enfants de cœur ! » * 27 rue Emile Zola 38400 Saint Martin d’Hères Tél : 04 76 24 69 24 Fax : 04 76 62 51 10 Site internet : http://gisme.free.fr E-mail : [email protected] * * Une formidable entreprise d’intox * Duperies et mensonges à grande échelle * Controverses et supercheries "scientifiques" sur la FTE * Financement d’organismes œuvrant en sous-main * Hypocrisies et fausses concessions * Intimidations, achat de silence et compromissions * Conquête de nouveaux marchés... et de nouvelles victimes * * Une formidable entreprise d’intox Le présent écrit révèle quelques unes des pratiques qui ont été mises en œuvre depuis plusieurs décennies par les grandes compagnies tabagières pour désinformer le public. Il s’appuie pour cela sur des textes provenant, pour la plupart, des archives même de l’industrie du tabac. Des dizaines de milliers de documents internes aux grandes compagnies ont en effet été remis à la justice américaine, à la suite de procès intentés contre elles à la fin des années 90. La justice les ayant rendus publics, ils sont désormais disponibles sur Internet. Ces documents montrent que les compagnies ont sciemment menti au public, et qu’elles disposaient notamment, dès les années 50, de recherches internes mettant en évidence la nocivité de leurs produits. En fait, les industriels ont compris très tôt le danger de la prise de conscience par le public des conséquences sur la santé de la consommation de tabac : « La publication en 1953 de l’étude pionnière liant cancer et tabac avait entraîné une chute des ventes de cigarettes aux Etats-Unis. L’industrie américaine avait alors rapidement réagi en montant une vaste entreprise de relations publiques. Une structure de désinformation fut créée, des chercheurs furent recrutés pour confectionner des résultats rassurants. Les industriels se méfiant des scientifiques, ce sont finalement des avocats qui dirigèrent cette entreprise de désinformation ».1 * Duperies et mensonges à grande échelle Selon ce que révèle ses propres documents, l'industrie du tabac a délibérément caché au public qu'elle savait depuis les années 60 que la cigarette causait des maladies, que la nicotine engendrait une dépendance et que les fabricants manipulaient la teneur en nicotine des cigarettes de manière à Melihan-Chenin P. « Le crédit des cigarettiers se consume au fil des révélations » Politique Santé n°4, juin 1998, p30 1 2 augmenter cette dépendance. En avril 1994, les P.D.G. des sept principales compagnies de tabac n’en ont pas moins affirmé, sous serment, devant le Souscomité sur la santé et l'environnement du gouvernement américain, que la nicotine n'engendrait pas de dépendance et qu'ils n'avaient jamais manipulé la teneur en nicotine dans les cigarettes.2 Un mois plus tard, l’examen de 4 000 pages de documents internes, provenant de la troisième plus importante compagnie de tabac aux Etats-Unis, montrait que l'industrie savait que le tabac cause le cancer, l'emphysème et des maladies cardio-vasculaires ; qu’elle savait que la nicotine crée une dépendance, et qu’elle avait décidé de cacher les résultats de ses études, en niant l'existence de celles-ci.3 Qui plus est : en forçant les compagnies à énumérer les composants des cigarettes, on a découvert que des agents toxiques comme de l'ammoniac y étaient ajoutés pour augmenter la libération de nicotine dans les poumons.4 La manipulation génétique, la sélection des feuilles les plus riches en nicotine et l'ajout d'autres ingrédients ont même permis de hausser la teneur en nicotine des cigarettes de 53%, depuis 1968, au Canada. Le plant de tabac "Y-1", par exemple, résulte de manipulations génétiques qui ont permis de doubler sa teneur en nicotine.5 * Controverses et supercheries "scientifiques" sur la FTE Depuis les années 70, l'industrie du tabac sait que la fumée de tabac dans l’environnement (FTE) est cause de cancer chez les non-fumeurs.6 Mais pour créer l'illusion d'une controverse scientifique sur ce sujet, les compagnies tabagières ont organisé de vastes campagnes, à un niveau mondial,7 en citant le résultat de recherches... qui avaient été financées par elles-mêmes.8 Elles ont également organisé des colloques "scientifiques"... avec des participants soigneusement triés sur le volet.9 Parmi les documents utilisés pour contester les risques du tabagisme passif, figure une étude européenne - financée par les compagnies tabagières - qui s’est Tobacco Control vol. 3, n°3, automne 1994 Journal of the American Medical Association, vol. 274 n°3, 19/6/1995 4 Kessler DA., US Surgeon General, “ The Control and Manipulation of Nicotine in Tobacco ” Tobacco Control, 3 p362-369, 1994 5 Ricker WS. Nicotine in Whole Tobacco and Tobacco Smoke Labstat, mars1995 6 Barnes E.B. et coll. “ Environmental Tobacco Smoke : the Brown and Williamson documents ” Journal of the American Medical Association 274(3), 19/6/1995 7 Repace J. et Lowrey A. Tobacco Control 1, 1992, p208-219 8 Bero L. et coll. “ Sponsored symposia on environmental tobacco smoke ” Journal of the American Medical Association vol. 271, n°8, 23/2/1994 9 Ecobichon D., Wu J. Environmental tobacco smoke : proceedings of the International Symposium at McGill University 1989 2 3 3 avérée dénuée de toute valeur scientifique.10 11 Peu après sa publication, néanmoins, des pages entières de publicité ont été imprimées, prétendant que l'exposition à la FTE était moins nocive que la consommation de deux verres de lait par jour.12 13 Pour faire croire que le fait de fumer était inoffensif, les compagnies tabagières ont eu recours à des scientifiques qu’elles ont recrutés comme "consultants". En 1992 et en 1993, d’éminents chercheurs anglo-saxons ont ainsi été payés pour discréditer le rapport de l’"Environment Protection Agency" qui montrait que le tabagisme passif était responsable de cancers du poumon chez les non-fumeurs. Ces 13 scientifiques « ont empoché, en deux ans, 709 000 dollars prélevés sur le budget de propagande du "Tobacco Institute" ».14 Les compagnies tabagières ont également infiltré la presse médicale et des organismes tels que la "Chambre des Communes" anglaise (chargée de l’environnement et de la santé) ou "l’Agence internationale pour la recherche sur le cancer".15 La compagnie Philip Morris, quant à elle, a financé une firme (la "Healthy Buildings International") qui s’efforce de faire passer le message que la fumée de tabac dans l’environnement ne serait pas si dangereuse que ça. Bien qu’une enquête du Congrès des Etats-Unis ait pu démontrer qu'une partie des données de cette firme avaient été délibérément falsifiées,16 celles-ci n’en constituent pas moins la principale source "scientifique" de l'industrie tabagière sur la question de la FTE.17 En fait, bien que ses propres études internes gardées secrètes reconnaissent la nocivité de ses produits (pour les fumeurs comme pour les non-fumeurs), l'industrie tabagière continue à discréditer les travaux scientifiques qui démontrent le contraire.18 L'industrie tabagière aux Etats-Unis a même créé le "Council for Tobacco Research" pour financer des recherches scientifiques chargées d’appuyer « une campagne de relations publiques (...) pro-cigarette ».19 Lorsque l'industrie du tabac finance des recherches universitaires, ses avocats et ses cadres participent à la sélection des études ; et les professeurs qu’elle subventionne doivent, en outre, l'informer des résultats, avant de chercher à les publier…20 Perez M. Figaro 1/11/1996 Reuter Journal de Québec 14/5/1996 12 Publicité parue dans Le Monde 6/6/1996 13 Oram R. “ Passive Smoking Claims Invalid ” Financial Times 16/10/1996, p10 14 Marianne 24/30 août 1998, p16 15 L’Hebdo n°21, 20/5/1998 16 Glantz SA. et coll. “ The Cigarette Papers ” U of California P, 1996, p412 17 Kaplan S. “ Tobacco Dole ” Mother Jones, mai-juin 1996 et Americans for Non-Smokers' Rights “ Tobacco Industry Front Groups ” oct.1995 18 Marshal E. “ Tobacco science wars ” Science1987 19 Stauber J., Rampton S. Smokin'! Internet, 22-29/11/1995 ; Tobacco Control vol.3 n°3, 1994 20 Wiener J. “ The cigarette papers ” The Nation 1/1/1996 10 11 4 * Financement d’organismes œuvrant en sous-main Les fabricants de tabac savent que toute opposition ouverte de leur part à une mesure antitabagique, ne fait qu'accroître l'appui de la population pour celle-ci.21 Ils ont donc créé ou financé des organismes pour agir à leur place, et notamment pour tenter de faire passer chaque mesure de protection de la santé comme une attaque dirigée contre la personne des fumeurs.22 Ainsi, pour lutter contre les lois américaines obligeant les restaurants à devenir "sans fumée", l'industrie du tabac a créé de fausses associations de restaurateurs (n'ayant ni bureau, ni numéro de téléphone, ni liste de membres) qui présentent de fausses études avançant une baisse de clientèle, attribuable à ces mesures.23 24 De la même manière, la Société pour la liberté des fumeurs ("Smokers' Freedom Society") - qui prétend représenter des millions de fumeurs - est principalement financée par l'industrie tabagière.25 26 Le "National Smokers' Alliance", qui prétend défendre les droits des dizaines de millions de fumeurs, est, quant à lui, financé par la compagnie Philip Morris (et dirigé par sa firme de relations publiques). En distribuant des cadeaux promotionnels, Philip Morris obtient l'adresse de millions de fumeurs qui lui servent pour ses campagnes de "mouvements populaires".27 Une autre compagnie (la RJR) engage une firme, depuis 1993, pour créer des "mouvements populaires" contre les initiatives antitabagiques. Cette firme parvient à rassembler des petits groupes de fumeurs, en leur envoyant des invitations qui leur font miroiter des avantages (prix de présence). Elle leur fournit ensuite des lettres type, des pétitions et des modèles d'interventions verbales, à adresser aux autorités locales.28 Dans la même optique, la compagnie Philip Morris a fait appel à une entreprise de télémarketing pour fausser l'impact d'une initiative antitabac auprès des fumeurs et pour inciter ceux-ci à protester, en leur fournissant des directives précises.29 Depuis 1990, l'industrie lutte ainsi contre les mesures qui lui sont défavorables, en créant ou en finançant des mouvements et des organismes.30 Ceux-ci ont essentiellement pour tâche de protester contre l’interdiction de la publicité et de Tobacco Institute Survey, Californie 1982, cité dans Journal of the American Medical Association vol. 270 n°4, 28/7/1993 22 Samuels B., Glantz SA. JAMA vol. 266, 16/10/1991 23 The 30% Myth, American Nonsmokers' Rights Foundation, 19/2/1997 24 Americans for Nonsmokers' Rights “ What to expect from the tobacco industry ” 1992 25 Bryan J. The Gazette, 4/9/1986 26 National Campaign for Action on Tobacco 27 Tobacco-Free Youth Reporter Stop Teenage Addiction to Tobacco, 1994 28 Stone, Peter H. “ The nicotine network ” Mother Jones, mai-juin 1996 29 Communiqué, NYC Coalition for a Smoke-Free City, 10/12/1994 30 Crawford V. ancien lobbyiste du Tobacco Institute, JAMA, vol. 274, n°3, juillet 1995 21 5 réclamer la réduction des taxes sur les cigarettes.31 32 33 Pour forcer les gouvernements à baisser les taxes, certaines compagnies tabagières se sont même compromises dans des actions de contrebande et de ventes illégales de cigarettes.34 35 36 * Hypocrisies et fausses concessions Dans certains pays, l'industrie tabagière a lancé des campagnes supposées réduire la vente illégale de tabac aux mineurs. Celles-ci coïncidaient généralement avec la préparation de dispositifs législatifs destinés à protéger la santé des enfants ; elles visaient, en fait, à empêcher l'adoption de telles lois. Si de telles campagnes ne réduisent en rien la vente aux mineurs,37 38 elles permettent, par contre, de montrer aux jeunes que le fait d'acheter des cigarettes est un privilège - enviable - réservé aux adultes.39 40 Elles contribuent à donner à l’acte de fumer l’attrait d’une initiation au monde adulte et d’un plaisir illicite.41 Pour tenter de montrer qu’il n’était pas nécessaire de créer une loi protégeant la santé des jeunes, les fabricants de tabac canadiens se sont eux-mêmes dotés d'un code sur la publicité. Ce code prétend éviter « d'adresser (la publicité) à des personnes autres que des adultes ».42 Le matériel promotionnel qui est diffusé n’en met pas moins en avant des vedettes du sport, des musiciens populaires et des slogans exaltant la rébellion.43 Qui plus est, les fabricants ont modifié à plusieurs reprises ce code dans le sens qui les arrangeait.44 Santé Canada a d’ailleurs qualifié ce code d'« illusoire, impossible à faire respecter et plein d'échappatoires ».45 Lorsque l’industrie tabagière appuie certaines mesures interdisant la vente aux mineurs, elle s'arrange pour que celles-ci soient difficiles ou impossibles à mettre en œuvre, en faisant en sorte, par exemple, que seuls les "acheteurs" (c'est-à-dire les enfants) puissent être pénalisés et non les "vendeurs" (c’est-àRainford J. The Hill Times, 7, oct.1996 Stauber JC. “ Front groups do tobacco's dirty work ”, adapté de PR Watch, vol. 1, n°4 ; Tobacco-Free Youth Reporter, Stop Teenage Addiction to Tobacco, 1994 33 Gup T. “ Fakin' it ” ; Dreyfuss, Brokaw R. et J. Mother Jones, mai-juin 1996 34 Noël A. “ La route du tabac : quand les médias se font complices ” Le 30 vol.18 n°4, 1994 35 United States District Council, Western Kentuky, District of Louisville, Application and affidavit for Search Warrant, 1/9/1995, p6, et Noël A. La Presse, 24/5/1996 36 Auger M. Journal de Montréal 13/6/1993 37 Société canadienne du cancer, août 1994 38 Di Franza J. American Journal of Public Health Vol. 82, n°9 sept.1992 39 Stop Teenage Addiction to Tobacco : A Community Organizer's Manual, Springf MA, 1992 40 Lapointe MJ., cité dans “ MD warns of smoking time bomb ” The Gazette 15/11/1996 41 Éditorial, American Journal of Public Health vol. 86, n°2, fév.1996 42 Code volontaire d'emballage et de publicité de l'industrie des produits du tabac 19/12/1995 43 Document remis au Premier ministre par huit organismes nationaux de santé, juin 1996 44 Bueckert D. Canadian Press The Gazette 6/7/1996 45 McKenna, Barrie “ New Tobacco Ad Limit Urged ” The Globe and Mail 1/6/1996 31 32 6 dire les détaillants), ou qu’il faille prouver que les commerçants ont fait des ventes illégales en toute connaissance de cause.46 Autre exemple : lorsque l'industrie tabagière a appuyé une interdiction de fumer dans les ascenseurs au Maryland (USA), elle a veillé à ce qu’une amende ne puisse être donnée que lorsqu'un grand panneau interdit clairement de fumer et que le contrevenant allume malgré tout sa cigarette, en présence d'un agent en uniforme !47 * Intimidations, achat de silence et compromissions L'industrie tabagière dispose des services de centaines de firmes d'avocats et d’un budget énorme pour dissuader ou décourager toute personne de s’attaquer à elle. Le "Tobacco Institute" - l’agence responsable de ses relations publiques et de son lobbying - dépense, pour sa part, plus de 20 millions de dollars par an et emploie 120 experts en relations publiques.48 Ces agents font tout pour entraver le cours de la justice 49 et se livrent à des pratiques de type mafieux. Ainsi, lorsqu'un ancien chercheur de la compagnie Brown & Williamson est devenu l'un des plus importants témoins contre l'industrie, la compagnie a engagé deux consultants en relations publiques pour montrer et remettre aux médias et aux politiciens un dossier de 500 pages réunissant toutes les rumeurs, données trompeuses et exagérations qui pourraient ternir sa réputation.50 La seule intimidation a suffit, par ailleurs, pour dissuader le réseau CBS de poursuivre la préparation d'un reportage sur le tabac.51 L’industrie du tabac muselle les journaux ou organismes concernés par la santé, en leur versant de l'argent.52 Ainsi, bien que le rapport du "Surgeon General" des Etats-Unis ait condamné la cigarette, en 1964, l’"American Medical Association" - qui recevait des millions de dollars de la part de l'industrie tabagière - a refusé pendant longtemps de reprendre ce rapport à son compte.53 Dans les années 70, la publicité du tabac a doublé dans les revues Time et Newsweek, alors que le nombre d'articles sur la santé et le tabac y a chuté de plus de 60%. Lorsque, dans les années 80, Newsweek a publié un article sur le Di Franza J., Godshall B. Stop Teenage Addiction to Tobacco, automne 1994 Crawford V., ancien lobbyiste du Tobacco Institute, JAMA, vol. 274, n°3, juill.1995 48 Public Relation Journal cité par Stauber J. et Rampton S. Smokin'! Internet, 22-29/11/1995 ; Tobacco Control vol. 3, n°3, automne 1994 49 Associated Press The Gazette 29/5/1996 50 Brenner M. “ The man who knew too much ” Vanity Fair mai 1996 51 Brenner M. “ The man who knew too much ” Vanity Fair mai 1996 52 Tye J. “ Buying silence : self-censorship of smoking and health in national newsweeklies ” Tobacco and Youth Reporter vol. 4, n°1, 1989 ; Kluger R. Ashes to Ashes : America's Hundred-Year Cigarette War, the Public Health, and the Unabashed Triumph of Philip Morris Alfred A. Knopf, New York 1996 53 Wiener J. “ The cigarette papers ” The Nation 1/1/1996 46 47 7 mouvement des droits des non-fumeurs, la compagnie RJR a retiré sa publicité (ce qui représentait une énorme perte de revenu pour le magazine).54 Une étude portant sur dix importantes revues pour femmes a montré que celles qui n'acceptaient pas les annonces de tabac publiaient de 4 à 21 fois plus souvent des articles sur la santé et le tabac.55 * Conquête de nouveaux marchés... et de nouvelles victimes Les entreprises cigarettières s’efforcent de recruter de nouveaux consommateurs partout dans le monde et notamment dans les pays où elles peuvent exploiter la faiblesse des politiques de santé publique. Les campagnes commerciales qu’elles y ont menées ont déjà porté leurs fruits : le taux de tabagisme chez les femmes et chez les jeunes y est en progression… ainsi que la mortalité et la morbidité liées au tabagisme.56 Les fabricants de tabac s’efforcent par ailleurs d’accréditer l’idée que la publicité ne sert pas à attirer de nouveaux consommateurs, mais qu’elle est seulement destinée à amener les "déjà fumeurs" à changer de marque. En fait, seuls 2% des fumeurs changent de marque de cigarettes et ces changements se font la plupart du temps au sein d’un même groupe industriel. L’industrie tabagière n’en essaie pas moins de faire croire que la publicité - dont le but, pour quelque produit que ce soit, a toujours été d’augmenter les ventes - aurait, en ce qui concerne le tabac, un but différent. Toute publicité s’efforce de maintenir une image favorable d’un produit dans la tête des gens, et, en ce domaine « les images, c’est comme les rumeurs : elles se glissent partout et il en reste toujours quelque chose ».57 Une enquête réalisée auprès d’enfants de 6 à 16 ans a ainsi montré que 22% des 6-10 ans et 91% des 12-16 ans reconnaissent une marque de cigarette même si la publicité ne la mentionne pas explicitement.58 La tendance actuelle va vers l’abstraction croissante du message publicitaire par rapport au produit qu’il cherche à faire vendre : un simple logo, par exemple, peut suffire à évoquer une marque. Il s’agit de susciter chez le fumeur un sentiment d’appartenance et d’établir chez lui un lien de fidélité avec tel ou tel produit. Le symbole de telle ou telle marque fonctionne en effet comme un insigne qui permet de se percevoir comme un membre du clan des initiés de cette marque. Moins la publicité est explicite, plus elle est difficile à contenir. Quand ce sont des vêtements ou des chaussures qui portent la marque, ce n’est déjà pas simple, Warner K. “ Cigarette advertising and media coverage of smoking and health ” N. Eng. J. of Med. fév. 1985 55 Warner K. N. Eng. J. of Med. fév. 1985 56 Alcoologie mars 1998, t20, p98 57 CFES La santé de l’homme dossier tabac, juillet-août 1991 58 Aitken et coll. Health Education Journal 44, 1985 54 8 mais quand il n’y a plus qu’un chameau, par exemple : « Que peut-on faire contre un chameau ? Bannir cette pauvre bête de notre paysage médiatique, sous prétexte que chameau is camel et que camel is tobacco ? ».59 Selon une étude américaine les enfants qui approuvent la publicité pour les cigarettes auraient deux fois plus de risques de devenir fumeurs plus tard, que ceux qui ne l’approuvent pas. 60 Les fabricants de tabac « nient énergiquement, sans équivoque et unilatéralement faire le moindre effort de mise en marché auprès des jeunes ».61 Mais leurs propres documents démontrent que ces déclarations sont fausses. Les fabricants de tabac canadiens Imperial Tobacco et RJR ont, par exemple, effectué de vastes recherches portant sur divers secteurs cibles de la population, en commençant par les préadolescents de 11 ans, de manière à mieux orienter leurs campagnes. L'industrie reconnaît par ailleurs, noir sur blanc, que son sort dépend du recrutement de jeunes fumeurs (... « si les dernières 10 années nous ont appris quelque chose, c'est que l'industrie est dominée par les compagnies qui répondent le mieux aux besoins des jeunes fumeurs »).62 Pour promouvoir ses produits, l'industrie a donc conclu des ententes avec les vedettes de cinéma qui personnifient des héros populaires auprès des jeunes. La compagnie Brown & Williamson, par exemple, a versé 500 000 dollars à Sylvester Stallone pour qu'il fume dans cinq de ses films (dont "Rambo").63 La compagnie Philip Morris, de son côté, a payé 350 000 dollars pour que le héros James Bond fume dans au moins un de ses films.64 Paul Newman et Clint Eastwood ont, eux aussi, personnellement bénéficié du placement des produits de tabac dans leurs films.65 Pour les compagnies tabagières, il s’agit de lier la consommation de tabac à des valeurs sociales positives et attrayantes pour les jeunes : l'indépendance, le sport, la minceur, une vie active, la musique, la libération de la femme...66 Or on sait qu’un jeune sur deux qui commence à fumer mourra d’une maladie causée par le tabac. Qui plus est, « à ce risque, s’ajoute, chez les filles, un autre danger majeur : celui de la cigarette pendant la grossesse. A peine la moitié des femmes parviennent à s’arrêter de fumer pendant leur grossesse, tant leur esclavage visà-vis du tabac est puissant ».67 « Les enfants sont la cible privilégiée dans les pays les plus développés qui n’ont pas de législation de contrôle du tabac. C’est la cible sur laquelle la Lassueur Y. L’Hebdo 7/11/91 Alexander H. Journal of Epidemiology 12, 1983 61 Advertising Age 1983 62 Pollay RW., Lavack A.M. “ The targeting of youth by cigarette marketers : archival evidence on trial ” Advances in Consumer Research vol. 20, 1993 63 Lettre de Stallone adressée à la Associated Film Promotion 28/4/1983 64 Smokefree Educational Services 65 Tobacco-Free Youth Stop Teenage Addiction to Tobacco, été 1994 66 Éditorial JAMA vol. 274, n°3, juin 1995 67 Tubiana M. “ Sauver des vies ” Journal du Dimanche 1/11/1998 59 60 9 publicité est la plus rentable pour les cigarettiers. Un adolescent qui devient gros fumeur est pour les compagnies cigarettières une source de revenu potentielle durant toute une vie ».68 (Si, par contre, un jeune "échappe" à la consommation de tabac avant l’âge de 20 ans, il ne commencera probablement pas à en faire usage à l’âge adulte : la majorité des fumeurs, en effet, se mettent à fumer au cours de leur adolescence, ou plus tôt). Ainsi, chaque jour, de par le monde, des milliers de jeunes allument leur première cigarette, et les compagnies n’épargnent aucun effort pour les y pousser. « Le rôle de la publicité est essentiel dans le processus de conditionnement de l’adolescent. Les réclames dépeignent les consommateurs de tabac comme étant séduisants, populaires, indépendants, aventureux et machos ».69 Les adolescents sont censés s’approprier ces attributs en fumant, eux aussi. La publicité fait en effet passer le message que lorsqu’on fume, on est attirant, on est passionnant, on est adulte. Dans le monde entier, les enfants sont environnés d’annonces publicitaires qui dépeignent le fumeur sous un jour flatteur (amusant, sophistiqué, moderne, occidental...). La cigarette est présentée comme signe d’indépendance et de maturité. Dans de nombreux pays, son usage est également associé au fait d’être "détendu" et/ou de prendre des risques. « Si l’on en croit la publicité en faveur du tabac, fumer donne la clé du succès et de l’ascension sur le plan social, argument fort vis-à-vis des jeunes, et cela, malgré le fait que dans de nombreux pays développés, les taux de tabagisme sont considérablement plus élevés parmi les pauvres et les personnes ayant un faible niveau d’éducation ».70 De plus en plus de pays dans le monde décident d’interdire la publicité en faveur du tabac. Les entreprises tabagières, de ce fait, s’emploient à contourner ces interdictions. Elles y parviennent notamment en parrainant des manifestations sportives et culturelles : « Dans de nombreux pays en développement, le parrainage des concerts de rock auxquels assiste un nombre considérable de jeunes "fans" attire l’industrie du tabac comme un aimant. Dans les pays où la publicité en faveur de la cigarette est interdite ou restreinte, le fait de parrainer des concerts, qu’ils soient en direct ou télévisés, permet aux entreprises de tabac de détourner les réglementations locales. A Taiwan, une des multinationales du tabac a parrainé un concert donné par une idole des adolescents et pour lequel le seul "ticket" d’entrée accepté était cinq paquets de cigarettes vides portant la marque de la société en question. La promotion de manifestations sportives permet aux entreprises de tabac d’étaler leur marque aux yeux de tous et de lier le tabac à des prouesses accomplies dans les domaines de la santé et de l’athlétisme. Les jeunes qui voient l’emblème de la marque de cigarettes associé à la santé, au dynamisme, à Dautzenberg B. Le tabagisme ADAGP, Paris, 1996, p29 OMS Tabac Alerte ! Mai 1998, p13 70 OMS Tabac Alerte ! Mai 1998, p15 68 69 10 la rapidité et au triomphe risquent de perdre de vue la réalité, à savoir la mort, la maladie et l’accoutumance ».71 Pour "ferrer" de nouveaux clients, les entreprises de tabac font également distribuer gratuitement des cigarettes, à l’occasion de concerts de rock et dans les discothèques.72 (Certains pays ont interdit cette pratique). Les compagnies tabagières s’emploient ainsi, avec de gros moyens, à rendre "dépendants" les individus, les gouvernements, les organisateurs de manifestations culturelles, sportives, etc. 71 72 idem p16 idem p16-17 11 Liste des articles et ouvrages de référence (par ordre d’apparition dans le texte) * Le Monde 24/10/1998, p12 * Melihan-Chenin P. “ Le crédit des cigarettiers se consume au fil des révélations ” Politique Santé n° 4, juin 1998, p30 * Tobacco Control vol. 3, n°3, automne 1994 * Special communications Journal of the American Medical Association, vol. 274 n°3, 19/6/1995 * Kessler DA., US Surgeon General, “ The Control and Manipulation of Nicotine in Tobacco ” Tobacco Control, 3 p362-369, 1994 * Ricker WS. 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