les mutations économiques et sociales de la france durant
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les mutations économiques et sociales de la france durant
LES MUTATIONS ÉCONOMIQUES ET SOCIALES DE LA FRANCE DURANT LES ANNÉES 1950 Jean-François ECK Université de Lille 3 – CERSATES Cet exposé retrace les principales transformations connues par l’économie et la société françaises durant les années 1950, au début de ce qu’il est devenu usuel d’appeler, à la suite de l’ouvrage de Jean Fourastié paru en 1975, les Trente Glorieuses. Il est complémentaire de ceux consacrés aux mutations des entreprises et au mouvement d’ouverture des économies, deux aspects qui, pour cette raison, sont à peine mentionnés cidessous. On abordera successivement les manifestations de la croissance économique, puis le rôle de l’État, enfin le contenu des transformations structurelles survenues durant la période. I. Les manifestations de la croissance économique 1°) une croissance rapide L’économie française qui était sortie naufragée de la guerre connaît durant les années 1950 une évolution apparemment très favorable. Dès 1948, la production industrielle, puis à partir de 1950 la production agricole retrouvent leur niveau d’avant-guerre. La reconstruction proprement dite est alors achevée, même si bien des infrastructures, de logements, de grands équipements restent inachevés. L’expansion démarre. Elle se fait, durant l’ensemble de la décennie, à un taux annuel moyen de 4,6 % pour l’ensemble du PIB (produit intérieur brut). Cette croissance présente plusieurs traits : - importance : un taux de 4,6 % correspond à un doublement tous les 15 ans. Cela signifie que, si la croissance des années 1950 est appelée à durer, les Français disposeront en 1965 de deux fois plus de biens matériels et de services qu’en 1950. Or, elle s’accélère au fil des ans, puisque, durant la décennie suivante, le taux de croissance annuel moyen passe à 5,5 %. - régularité : certes des ralentissements conjoncturels se produisent durant les années 1950. Par exemple, en 1953-1953, la croissance est de 2,5 %, alors qu’elle était de 6 % en 1951. Mais elle retrouve ensuite son rythme de croisière. La France échappe alors aux récessions puisque, même pendant les ralentissements, le taux demeure positif. Ce sera le cas jusqu’en 1975. - durée : pour la première fois de son histoire au XXe siècle, la France connaît plus d’une décennie de croissance. Au cours des années 1920, la croissance avait été rapide, mais n’ayant démarré qu’en 1922 et s’étant interrompue dès 1930, n’avait duré qu’à peine huit années. - effets positifs sur la population : la croissance des années 1950 permet de garantir le plein emploi, d’autant plus que la population active est peu nombreuse, étant formée d’adultes nés entre1930 et 1940 (qui ont 20 ans entre 1950 et 1960), soit en pleine période de dépression démographique. De plus, cette croissance permet une vive progression du niveau de vie qui rattrape celui des autres pays développés. En 1950, le PIB par tête des Français n’atteint que 30 % à peine du niveau américain ; en 1960, il est de 47 %, soit pratiquement la moitié. 2°) une croissance intensive Les économistes veulent dire par là que la croissance résulte d’abord de gains de productivité permettant de tirer un meilleur parti de la main d’oeuvre et des équipements disponibles. En effet, les effectifs au travail sont limités, les générations pleines du baby boom n’apparaissant sur le marché du travail qu’à partir du milieu des années 1960 et l’appel aux travailleurs immigrés étant limité. Le capital productif, fortement amoindri par la guerre et l’Occupation, ne peut être augmenté massivement, car l’inflation qui sévit pendant une bonne partie de la période décourage la formation de l’épargne nécessaire au financement des investissements. La France doit donc réaliser des gains de productivité élevés. Cela répond aux préoccupations des pouvoirs publics, pour qui la modernisation est un impératif si fondamental qu’en 1954 par exemple sous le gouvernement de Pierre Mendès France, sera créé un Commissariat général à la productivité, pour insuffler à toutes les branches l’élan modernisateur. Le résultat est net : selon une étude faite en 1972 par trois économistes, JeanJacques Carré, Paul Dubois et Edmond Malinvaud (La croissance française, essai d’explication causale de l’après-guerre), chaque année, près des deux-tiers des taux de croissance observés proviennent des gains de productivité. Ce sont d’ailleurs les branches les plus retardataires, notamment l’agriculture, qui réalisent les progrès les plus spectaculaires (+ 8 % par an en moyenne, contre + 5,5 % dans l’industrie). 3°) une croissance ordinaire ? Exceptionnelle si on la compare aux performances antérieures, la croissance française des années 1950 l’est moins si on le fait par rapport aux autres pays industrialisés. Les taux de croissance annuels sont de 5,4 % en Italie, 8,6 % en Allemagne fédérale, 9,5 % au Japon. Même si la France fait mieux que la Grande-Bretagne (3 %) et que les États-Unis (3,5 %), elle se situe dans une honnête moyenne. De même, la continuité s’observe aussi dans la plupart des cas. Seuls les pays anglo-saxons, ainsi que la Belgique, connaissent encore de véritables récessions. Enfin, le caractère intensif est également présent partout et est même si marqué que l’on peut se demander si la volonté de rattrapage des niveau de productivité américains ne forme pas la principale explication de la croissance. Les années 1950 sont celles de l’envoi aux États-Unis de missions de productivité, constituées de chefs d’entreprises, d’ingénieurs, de techniciens qualifiés, qui se rendent dans les grandes entreprises américaines pour observer et parfois copier leurs méthodes de production. Elles sont financées par les ÉtatsUnis eux-mêmes, dans le cadre de l’aide Marshall. II. Le rôle de l’État 1°) le raisons du dirigisme initial Depuis la Libération, tout semble inciter l’État à intervenir activement dans l’économie : - des raisons pratiques : le dirigisme est rendu nécessaire par l’ampleur des problèmes à résoudre. Seul l’État semble en mesure, parce qu’il incarne l’intérêt général, de fixer les grandes orientations d’effectuer les choix indispensables (par exemple, reconstruire les grands équipements de voies de communication avant le parc de logements, les industries lourdes avant les industries légères, etc.) - des raisons politiques : le dirigisme est un choix qui s’appuie sur la répudiation du libéralisme, jugé responsable de la crise des années 1930, et qui correspond à la volonté de mettre à la disposition de la nation les ressources de base, les sources d’énergie, les moyens de transport, les crédits nécessaires au fonctionnement de l’économie (cf. le programme du Conseil national de la Résistance, adopté dans la clandestinité en mars 1944). - des raisons idéologiques : pour beaucoup de hauts fonctionnaires et certains hommes politiques comme Pierre Mendès France, l’État doit, par une politique conjoncturelle appropriée, tirer l’économie du sous-emploi et maintenir la croissance. Sensibles aux idées de Keynes, ils cherchent à les mettre en pratique, non d’ailleurs sans les déformer, puisque celui-ci préconise seulement une intervention ponctuelle pour soutenir la croissance, et non un dirigisme permanent qui, selon lui, étoufferait la liberté d’entreprendre. De même, beaucoup souhaitent, comme l’a proposé Beveridge en Grande-Bretagne, un service national de Sécurité sociale, l’État devenant un État-providence, responsable du bien-être collectif (Plan Laroque de Sécurité sociale, mis en œuvre dès 1945). 2°) les manifestations du dirigisme - le financement de l’économie incombe en grande partie à l’État : les dépenses publiques, qu’elles proviennent de l’État central, des collectivités locales ou des caisses de Sécurité sociale, représentent 37 % du PIB en 1947, 39 % encore en 1959, un poids, sensiblement plus élevé que dans la plupart des pays industrialisés. Une partie de ces dépenses, certes, est improductive (dépenses militaires, avec les guerres d’Indochine, puis d’Algérie), mais les dépenses d’intervention économique sont néanmoins très lourdes, correspondant pour l’essentiel aux grands équipements financés par l’État. - le secteur public s joue un rôle essentiel : quasi inexistant avant-guerre, il est issu des nationalisations de 1945-1946 (Charbonnages de France, EDF, GDF, les 4 plus grandes banques de dépôts, les principales compagnies d’assurances, certaines entreprises industrielles aussi comme Renault et la Société nationale de construction de moteurs d’avion). Y prennent place aussi des entreprises publiques créées en 1945 comme le Commissariat à l’énergie atomique. - la planification indicative permet d’encadrer la croissance : créée en 1946, elle voit se succéder au cours des années 1950 trois plan de modernisation et d’équipement. Ils fixent de grandes orientations qui n’ont rien d’obligatoire pour les entreprises, ce qui les distingue de la planification socialiste, mais qui garantissent une certaine cohérence à long terme. Ils sont élaborés, non pas par le Commissariat au Plan, mais par des commissions triparties rassemblant des hauts fonctionnaires, des dirigeants patronaux et des représentants des principales confédérations syndicales. - la surveillance de l’évolution conjoncturelle incombe aux outils réglementaires mis en place à la Libération. L’État peut à tout moment fixer les prix (cas de nombreux produits de base, comme l’acier, le ciment, les engrais) ou bien demander aux agents économiques de renoncer aux hausses qu’ils ont prévues (mise en liberté surveillée). En matière de salaires, même si les conventions collectives signées entre employeurs et salariés en fixent le montant à partir de 1950, l’État joue un rôle déterminant par la fixation du salaire minimal, le SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti). En matière de crédit, l’État détermine le niveau des taux d’intérêt. En matière de relations avec le reste du monde, il fixe les quantités de produits importés (contingentement) et réglemente les entrées et sorties de devises (contrôle des changes). 3°) les limites du dirigisme À partir de 1952, la politique économique abandonne l’orientation dirigiste initiale, pour des raisons : - politiques : dans les gouvernements successifs de la IVe République, ce sont des hommes du centre, voire de droite qui occupent les postes de commande. Au ministère des Finances et affaires économiques, se succèdent Antoine Pinay, qui est en même temps président du Conseil (1952), Edgar Faure (1953-1954), Félix Gaillard (1957-1958). De même, au ministère de l’Industrie et du Commerce, c’est un homme du centre qui est en place de 1950 à 1954, Jean-Marie Louvel : il est très sensible au point de vue du grand patronat, rassemblé depuis 1946 à l’intérieur du CNPF (Conseil national du patronat français). - monétaires et financières : le dirigisme creuse le déficit budgétaire et alimente l’inflation, qui affaiblit la position monétaire vis-à-vis du reste du monde, diminue le pouvoir d’achat des salariés, mécontente l’opinion. Plusieurs poussées aiguës se déroulent au cours de la période, comme 1951-1952, 1956-1957, obligeant à chaque fois à adopter des mesures d’austérité qui compriment les dépenses publiques et démantèlent une partie du cadre dirigiste. - pratiques : les nationalisations des grandes banques de dépôts effectuées à la Libération déçoivent (Crédit Lyonnais, Société générale, Banque nationale pour le commerce et l’industrie, Comptoir national d’escompte de Paris). Elles ont une gestion timide, refusant de mettre au service de la croissance les ressources considérables qu’elles gèrent, mais se bornant à pratiquer, comme au XIXe siècle, du crédit commercial à court terme. - économiques : le dirigisme n’est plus nécessaire à partir du moment où l’épargne s’est reconstituée, où les bénéfices croissants des entreprises leur procurent les ressources d’autofinancement nécessaires aux investissements. Redevenue, par son rythme de croissance, l’égale des grands pays industrialisés, la France n’a plus besoin du dirigisme adopté à la Libération. La part de l’État dans le financement des investissement, écrasante en 1949 (47 %), redescend ensuite à un niveau plus raisonnable (23 % en 1958). Aussi voit-on se mettre en place, dès l’arrivée au pouvoir d’Antoine Pinay en 1952, des politiques conjoncturelles libérales accordant la priorité au maintien de la stabilité monétaire. La planification n’est plus prioritaire. Mais les grandes entreprises publiques, par leurs programmes d’investissement, n’en restent pas moins très importantes, dirigées par des hommes quasi-indépendants des gouvernements comme Louis Armand à la SNCF (électrification du réseau), Pierre Lefaucheux à la Régie Renault (lancements des petites cylindrées comme la 4 CV, la Dauphine, décentralisation de la production hors de BoulogneBillancourt), François Bloch-Lainé à la Caisse des dépôts et consignations (financement du logement bon marché, de l’équipement urbain, du tourisme collectif). III. Le contenu des transformations structurelles 1°) l’ampleur de la modernisation économique La France des années 1950 franchit une étape décisive dans la voie de la modernisation pour accéder enfin au rang de grand pays industrialisé. Cela s’observe à plusieurs traits : - recours croissant aux sources d’énergie caractéristiques de la seconde industrialisation : tandis que la part du charbon recule dans la consommation d’énergie primaire, tout en restant majoritaire (64 % en 1950, 54 % en 1960), celle des hydrocarbures augmente, avec le pétrole (découverte d’un petit gisement, Parentis, dans les Landes, mais surtout essor des importations, notamment en provenance du Sahara à partir de 1957) et le gaz naturel (mise en exploitation du gisement de Lacq, au pied des Pyrénées, découvert en 1951). On édifie aussi de grands barrages pour la production d’hydroélectricité (DonzèreMondragon, sur le Rhône, Serre-Ponçon, sur la Durance). - modernisation des réseaux de transport : électrification des voies ferrées, pour le transport voyageurs (mise en place du « Mistral » entre Paris et Marseille), mais aussi le transport marchandises (voie ferrée Valenciennes-Thionville, pour les échanges croisés de charbon et de minerai de fer). Les grands fleuves comme le Rhône, le Rhin, la Moselle sont aménagés pour le trafic fluvial. L’aéroport d’Orly est inauguré en 1954. Seules les autoroutes sont négligées : en 1960, le réseau n’est encore que de 174 kms seulement. - modernisation des branches industrielles : dans la sidérurgie, on installe des trains de laminage à larges bandes, achetés aux États-Unis, d’une capacité si gigantesque que deux seulement sont en fonctionnement, l’un dans le Nord, à Denain, l’autre en Lorraine, à Serémange, près de Thionville ; dans la construction automobile, des machines transferts, introduites chez Renault, automatisent certaines fabrications le long des chaînes de montage ; dans la chimie, les matières plastiques, souvent fabriquées à partir de brevets étrangers, connaissent un vif essor. - transformation des régions industrielles : tandis que les bassins charbonniers deviennent des régions à reconvertir, les pôles littoraux de croissance (Basse-Seine, étang de Berre, Loire-atlantique, Dunkerque où Usinor lance son projet d’usine littorale en 1956) commencent leur essor. Pour freiner la concentration excessive sur la région parisienne, l‘État crée en 1955 les primes de décentralisation, début de l’aménagement du territoire. - modernisation agricole : tandis que le nombre de tracteurs est multiplié par 5 en dix ans, celui des chevaux recule de près d’un tiers. Sous l’impulsion de l’Institut national de la recherche agronomique, de nouvelles variétés végétales se diffusent, comme le maïs hybride, dont la culture, naguère cantonnée à l’Aquitaine, se répand dans l’ensemble du territoire français. L’élevage devient plus intensif. Les prêts du Crédit agricole, subventionnés par l’État, permettent de moderniser de nombreuses exploitations familiales, surtout dans l’Ouest du pays. Ce sont les débuts du « modèle breton ». 2°) l’importance des transformations sociales La France des années 1950 voit s’affirmer les principaux traits caractéristiques des sociétés industrielles : - progrès du niveau de vie : il est d’autant plus spectaculaire que l’on sort à peine des restrictions des temps de guerre. Le taux d’équipement des ménages en biens durables fait un bond spectaculaire, en particulier pour les catégories socio-professionnelles défavorisées. En 1950, 21 % des ménages possèdent une automobile, dont 8 % seulement pour les ménages ouvriers. En 1960, les chiffres sont de 30 % et 24 % : pour les ménages ouvriers, il s’agit donc d’un triplement en dix années seulement, grâce souvent à l’achat de petites cylindrées (la 4 CV Renault, la 2 CV Citroën) qui connaissent un grand succès. Le confort domestique devient une priorité des Français, comme le montre la fréquentation croissante du Salon des arts ménagers, fondé dès 1925 mais qui n’avait eu jusque là qu’une audience marginale. C’est l’époque du triomphe du petit électroménager, avec des appareils très simples comme le moulin à café électrique Moulinex, l’époque aussi où les cuisines changent d’aspect, avec l’adoption du Formica), le remplacement de la vieille cuisinière à charbon par une cuisinière à gaz ou à plaques électriques. - accès aux loisirs : permis par l’allongement des congés payés (3e semaine en 1956), la généralisation de la « semaine anglaise » qui permet de ne pas travailler le samedi, il découle aussi du progrès technique (postes de radio à transistors, électrophones, mais peu encore les téléviseurs qui n’équipent en 1960 que 13 % des foyers seulement) et de nouvelles formules de distribution, destinées aux classes moyennes (magasins de la Fédération nationale d’achat des cadres, la FNAC, vendant appareils photo, disques, livres, électrophones…). - démocratisation de la vie culturelle : le Livre de poche, créé en 1953, élargit l’accès à la littérature. Plusieurs entreprises nouvelles du domaine de l’audiovisuel, comme Europe n°1, recherchent systématiquement le public des jeunes générations isssues du baby boom (« Salut les copains », lancée en 1959). - essor des classes moyennes, net dans les résultats des recensements : tandis que la part relative des agriculteurs décline fortement (26 % de la population en 1954, 19 % en 1962), ainsi que celle des petits patrons de l’industrie et du commerce, celle des cadres, des employés, des petits fonctionnaires, des professions libérales augmente (18 % du total en 1954, 21 % en 1962). 3°) les limites des transformations Par bien des traits, l’économie et la société françaises restent semblables à ce qu’elles étaient au premier XXe siècle. La modernisation reste inachevée et ce n’est qu’un cours de la décennie suivante qu’elle s’accélérera véritablement. On constate ainsi la persistance de : - une économie fermée : comme elle l’est depuis la crise des années 1930, la France des années 1950 reste peu ouverte aux échanges extérieurs. Les exportations se développent moins vite que dans des pays voisins, comme l’Allemagne fédérale ou l’Italie. Les partenaires commerciaux restent inchangés, avec une surreprésentation de la zone franc : jusqu’en 1959, l’Algérie conserve le rang de premier partenaire qu’elle a acquis à la fin des années 1920. Certes la France participe activement à la construction européenne, lançant le projet Schuman de Communauté européenne du charbon et de l’acier en 1950, signant le Traité de Rome en 1957. Mais l’économie n’y est pas véritablement adaptée, et d’ailleurs toute une fraction du patronat ne l’envisage qu’avec une extrême réticence. - des entreprises encore traditionnelles : peu de grands groupes, malgré quelques exemples de concentrations, surtout dans la sidérurgie, par suite des mutations techniques et de la préparation à la CECA (Usinor en 1948, Sidelor en 1950). L’implantation à l’étranger demeure rare, malgré les cas de Saint-Gobain, de Pechiney, de Michelin, de L’Air liquide. Le patronat n’est guère converti aux vertus du management : le chef d’entreprise le plus célèbre des années 1950, Marcel Boussac, ne se soucie guère d’élaborer dans son groupe textile une stratégie cohérente, mais fait beaucoup parler de lui dans la vie mondaine (écurie de courses) et politique (rôle dans la presse, influence auprès des dirigeants). - des conditions de vie médiocres pour toute une partie de la population : en1954, l’abbé Pierre lance sa campagne dénonçant les bidonvilles et logements précaires où s’entassent encore de nombreux ménages ouvriers dans les banlieues. Pendant longtemps en effet, la construction de logements n’a pas été prioritaire pour les pouvoirs publics. - multiplication des protestations de la part de plusieurs catégories sociales qui se sentent menacées ou dépassées par l’évolution : en 1953, on voit ainsi se conjuguer la protestation des petits commerçants contre les contrôles fiscaux (fondation de l’Union de défense des commerçants et artisans, animée par Pierre Poujade, qui deviendra ensuite un mouvement politique), celle des agriculteurs contre l’effondrement des prix agricoles (premiers barrages de tracteurs sur les routes) et celle de la fonction publique contre un projet de réforme du régime de retraite des cheminots et des postiers (un mois de grève dans les PTT et à la SNCF). Conclusion Durant les années 1950, la France connaît de profondes transformations économiques et sociales, même si elles peuvent paraître limitées au vu des bouleversements ultérieurs. Elle s’aligne sur la situation des autres pays industrialisés. Elle y perd certes une partie de son originalité, d’où la nostalgie qui s’exprime à travers certaines œuvres littéraires ou artistiques (films de Jacques Tati). Elle y gagne cependant, tant en ce qui concerne le mieux-être de sa population que les capacités de production de son agriculture et de son industrie. Les années 1950 ont bien représenté une étape décisive dans la construction de la France d’aujourd’hui.