Ici créa Lurçat

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Ici créa Lurçat
Ici créa
Lurçat
Fermées au public depuis près
d’un demi-siècle, les portes de la maison de Jean Lurçat
se sont ouvertes le temps d’une séance. La photographe
Françoise Huguier a capté l’atmosphère d’un lieu
imprégné d’une œuvre monumentale. L’artiste, disparu
en 1966, a connu une gloire internationale. Communiste
jusqu’à la dernière heure, pacifiste, ses tapisseries ont
décoré des ambassades et le Vatican.
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VILLA SEURAT, PARIS, SEPTEMBRE 2012
Salon de la maison-atelier de Jean Lurçat. Le canapé
est signé de son ami Pierre Chareau, architecte
décorateur de la maison de verre à Paris. Les chaises
vertes ont été dessinées par André Lurçat
et recouvertes de tapisserie de Jean.
Reportage photo : Françoise Huguier /
VU’ pour Polka Magazine
Ci-contre
FRANÇOISE HUGUIER
En découvrant l’« Apocalypse »
d’Angers, Lurçat a eu une révélation.
Il rêvait d’un art monumental.
La tapisserie « Villa Seurat », longue de
7 mètres, a été faite sur mesure
à Aubusson en 1960. On y retrouve
les thèmes préférés de l’artiste :
la végétation, le minéral, les astres...
Page de droite
Facette cachée de l’artiste qui s’est
adonné à la céramique à partir de 1951
à Sant Vicens, près de Perpignan. La
table de la salle à manger est dressée
avec les pièces de l’artiste. Disposées
autour, des chaises Mategot. Un vase
trône dans l’angle de la pièce.
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FRANÇOISE HUGUIER
Le coin repos de l’atelier est ouvert sur la terrasse. La peinture, les faïences et le tissu
du canapé sont signés du maître des lieux.
Sept ans après avoir entamé son œuvre phare
« Le chant du monde », Jean Lurçat est élu
en 1964 membre de l’Académie des beaux-arts.
Le peintre-cartonnier
réalisait également des
ouvrages pour bibliophiles.
Ici « Domaines » (1957),
un recueil de poèmes écrits
et illustrés par l’artiste.
Dans la chambre de Lurçat, le mobilier
conçu pour la maison est dessiné par
son frère André Lurçat, l’un des grands
représentants de l’architecture moderne
de l’entre-deux-guerres avec Mallet
Stevens et Le Corbusier. Les peintures
sont de Jean Lurçat : « Le Saphir »,
« L’homme de Gmar », « Le Turc », des
huiles de 1926.
Sur les chevalets de l’artiste
[de gauche à droite] : « Smyrne » (1926),
« Le charmeur de serpent » (1926)
et « Tante Annie » (1922).
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4, vil a Seurat, Paris XIV
R
e
par Brigitte Genestar
ien aux alentours n’annonce
l’univers singulier de la Villa Seurat. Un ensemble
de bâtiments homogènes à l’architecture
très années 20 encadre l’impasse pavée. La
cité d’artistes, classée à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques,
commence au 101 de la rue de la TombeIssoire dans le XIVe arrondissement. Henry
Miller, Chaïm Soutine, Salvador Dali,
Chana Orloff, Marcel Gromaire... étaient
les voisins de Jean Lurçat, l’un des plus
grands artistes français, dont l’œuvre imposante a glissé lentement dans l’oubli.
La façade plate du numéro 4, coiffée
d’un toit-terrasse, dessine des formes rectilignes. C’est là, en 1925, que Jean Lurçat
s’installe. Sur le mur en béton blanchi de la
maison – première conçue par son frère
André qui en construira huit autres à la
même adresse –, la vigne vierge court. Nous
traversons un petit jardin. Xavier Hermel,
administrateur de la Fon dation Jean et
Simone Lurçat, ouvre la porte en fer forgé
artistiquement travaillée.
Le seuil franchi, la présence de Jean
Lurçat s’impose. L’artiste a définitivement
marqué les lieux. Dans la pièce du rez-dechaussée, où le peintre-cartonnier recevait
les marchands, de grandes boîtes noires,
soigneusement disposées sur la table,
attendent d’être ouvertes. Un millier de
dessins, des huiles, des gouaches, des
aquarelles, jamais montrés au public, sont
en cours d’inventaire. Reconnu dans le
monde entier comme le plus grand peintrecartonnier de l’histoire, Jean Lurçat a
exposé ses œuvres à New York en 1932 aux
côtés de Matisse, Picasso, Braque, Derain
et Dufy. Les boîtes révèlent la richesse de
son talent. Membre de l’Académie des
beaux-arts, ami d’Aragon, de Doisneau, de
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Kertész, il écrivait des poèmes et travaillait
aussi la céramique. Mais le succès du
peintre-cartonnier a éclipsé les autres
facettes du personnage.
Trente-cinq mètres d’archives, dont les
trois quarts consacrée à la tapisserie, n’ont
pu encore être mises en ordre. Un trésor sur
lequel a veillé, pendant cinquante ans,
Simone Lurçat, sa troisième épouse.
Aujourd’hui, l’Académie des beaux-arts
est le légataire de la maison et de l’œuvre.
Le maître des lieux se dévoile au fil
des trois niveaux. L’intérieur est simple, à
l’image des maisons d’architecte du début
du XXe siècle. Un escalier étroit dessert les
étages. Au premier, dans la chambre de
Jean Lurçat décorée de peintures et de
tapisseries, le mobilier est intégré à l’architecture de la pièce. C’est ce que l’architecte
André Lurçat appelait le « mobilier
immeuble » par opposition au « mobilier
volant ». Il forme un tout avec la maison.
Le salon-salle à manger, situé audessus, est un véritable bijou. Une immense
tapisserie, réalisée sur mesure, couvre le
mur. Et la pièce chaleureuse est toute décorée de vases et d’assiettes magnifiques dans
lesquelles des invités illustres ont dégusté
les plats de Raymonde. La cuisinière décrit,
dans son cahier, les menus servis ainsi que
la liste des convives : le peintre Derain,
madame Eluard et son mari Paul, l’ambassadeur de Russie... chacun a eu l’honneur
d’être reçu Villa Seurat.
Au dernier étage, l’atelier termine la
visite en apothéose. Perché sur une estrade,
le coin salon-bibliothèque ouvre sur la
terrasse qui domine l’impasse. Une lumière
traversante éclaire les murs habillés de boiseries. Les chevalets semblent se souvenir
des pinceaux du maître. Et un canapé, cou-
UN ARTISTE TRÈS ENGAGÉ
Françoise Huguier est encore sous le
choc. « Quand Xavier Hermel, l’administrateur de la Fondation Lurçat, m’a parlé
de Jean Lurçat, confie la photographe,
j’ai tilté tout de suite. J’aime ces endroits
où l’on a l’impression que les gens
viennent de partir. C’était un artiste
complet qui employait toutes les techniques de la peinture. Il a relancé et réinventé la tapisserie en mettant au point les
cartons numérotés*. Lurçat a traversé le
siècle avec un grand talent. Son œuvre
reprend aujourd’hui toute sa force. »
Comme son frère André, Jean était un
pacifiste qui a gardé la carte du parti
communiste jusqu’au bout. Blessé dans
les tranchées de la Première Guerre
mondiale, médaillé de la Résistance, il ne
parlera jamais de la guerre mais, jusqu’à
sa mort en 1966, il lancera des messages
contestataires dans ses tapisseries. B.G.
* Les cartons étaient numérotés au lieu
d’être peints, chaque numéro correspondant à un écheveau de laine.
vert d’un tissu signé Jean Lurçat, attend les
mécènes. Le besoin d’argent est pressant
pour restaurer ce lieu magique, menacé de
dégradation, et l’ouvrir enfin au public. En
cette période de disette, ce n’est pas le
ministère de la Culture qui réglera la note.
Informations sur la
Fondation Lurçat :
www.academie-desbeaux-arts.fr ou
xavier.hermel
@academie-desbeaux-arts.fr
Jean Lurçat dans son atelier
de la Villa Seurat, vers 1927
« Si je crois à la peinture, à l’art, c’est
que j’ai toujours vu en cet exercice un des
meilleurs véhicules par quoi s’atteint la
qualité d’homme. » Jean Lurçat
© Courtesy Fondation Lurçat-Académie des beaux-arts.
Dans le centre
de la France, 2 juillet 2012
Après dix ans de vie
amoureuse clandestine, Gérard
vient d’annoncer à son évêque
qu’il quittait son ministère.
Bientôt, il s’installera
chez Isabelle, où il s’occupe déjà
du jardin [photo de droite].
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