Les hymnes olympiques. (Culture)

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Les hymnes olympiques. (Culture)
Culture
LES HYMNES OLYMPIQUES
«
esprit immortel de
l’Antiquité !». Un passé transfiguré est ainsi exorcisé dans la
dernière ligne d’un poème composé
par l’écrivain grec Kostis Palamas
durant la dernière décennie du XIXe
siècle et qui est parfois chanté de nos
jours encore. On connaît mieux toutefois la mélodie du compositeur Spiros
Samaras, écrite à la même époque. Elle
connaît, aujourd’hui encore, un succès
sportif mondial dans ses différentes versions pour grand orchestre ou pour fanfare, avec chœur ou purement instrumentale, puisqu’elle est devenue
l’hymne olympique. Composée en
1896 et dédiée au prince Constantin de
Grèce, qui devint roi des Hellènes par la
suite, l’œuvre lance, dans ses premières
mesures classiques, un appel pathétique au «Père de ce qui est vrai, de ce
qui est beau et de ce qui est bon» pour
qu’il descende sur terre et protège l’humanité. Le baron Pierre de Coubertin,
fondateur des Jeux Olympiques
modernes, semble avoir été impressionné par la noblesse d’esprit de ce
poème.
A la fin du XIXe siècle, Samaras et
Palamas comptaient parmi les artistes
grecs les plus renommés. Le compositeur Spyridon-Filiskos (Spiros) Samaras
- ou Samara, selon l’inscription figurant
sur sa pierre tombale (né le 29
novembre 1863 à Corfou, mort à
Athènes le 7 avril 1917) - a étudié la
musique chez Enrico Stancabiano à
Athènes et chez Léo Délibes au
Conservatoire de Paris. A peine âgé de
23 ans, il connut un véritable triomphe
avec son opéra «Flora Mirabilis», qu’il
dirigea lui-même à Milan. II fut même
comparé aux grands compositeurs italiens du vérisme, comme Mascagni ou
Puccini, et éclipsa durant un temps la
Ô
par Hans-Dieter Krebs*
gloire de Leoncarvallo. A vingt ans déjà,
animé d’une inspiration wagnérienne, il
avait composé le premier de ses onze
opéras («Medge»). Pour la plupart de
ces œuvres, telles «Lionella», «Storia
d’Amore», «La Furia Domata», «La
Martyre», «Mademoiselle de Belle» et,
en 1906 enfin, «La Biondinetta» la première représentation a été donnée en
Italie, à Gênes et à Florence. Elles fascinèrent également le public à Athènes et
à Corfou, sa ville natale. Selon un dictionnaire de l’opéra, «le célèbre représentant de l’école ionienne fut aussi le
premier compositeur grec à jouir d’une
renommée internationale». Toutefois, un
siècle plus tard, ses opéras sont pratiquement oubliés et ne sont plus joués
sur scène. L’oubli dans lequel sont tombés les opéras de Samaras s’explique
par le destin tragique de ses partitions :
en 1943, la maison d’édition de
musique Sonzogno, à Milan, a été
détruite dans un bombardement et
presque toutes les œuvres autographes
du compositeur grec ont alors brûlé. Un
enregistrement bulgare sur CD de «La
Biondinetta» a été réalisé à partir d’une
partition retrouvée par hasard en
Bavière il y a une quinzaine d’années.
Comme dans la «Tosca» de Puccini,
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l’action se déroule au moment de la
bataille de Marengo en 1800, et retrace
le conflit entre les partisans de
Napoléon et la noblesse italienne
conservatrice. Seule a survécu au siècle
l’œuvre olympique écrite sur commande par le plus célèbre compositeur
grec de son temps. Elle est connue
dans le monde entier, même si presque
personne ne se souvient de Samaras.
Kostis Palamas (1859-1943) était un
ami du premier Président du CIO,
Demetrius Vikélas. Celui que l’on appelait «le poète national de la Grèce nouvelle» s’était fait un nom grâce à des
poèmes tels que l’«Hymne à Athena»
ou «Les Yeux de mon Âme» et des critiques littéraires. Ses œuvres ont ouvert
de nouvelles voies pour la littérature en
langue populaire.
En 1896, Samaras a dirigé lui-même la
première exécution de son hymne lors
de la cérémonie d’ouverture des Jeux
de la Ière Olympiade à Athènes. Sa
musique avait des accents wagnériens,
avec la puissance sonore concentrée
de neufs orchestres d’Athènes et des
environs, y compris la fanfare de l’armée et de la marine, et un chœur de
250 chanteurs. L’audience en fut si fortement impressionnée que tous les
spectateurs «du Roi au plus insignifiant
des citoyens», ainsi que l’écrivit un
contemporain, exigèrent que l’hymne
soit répété. «Ainsi, l’œuvre fut jouée une
seconde fois».
L’œuvre de Samaras demeura l’hymne
olympique officiel jusqu’à ce que, en
1912, le Suédois H. Alexandersson
écrivît une marche olympique triomphale pour les Jeux à Stockholm. La
même chose se répéta après la
Première Guerre mondiale. Ainsi, en
1920 à Anvers, l’hymne olympique était
l’œuvre de Pierre Benoît et, à Los
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Angeles, celle de Bradley Keeler. Cette
dernière devait d’ailleurs, selon le vœu
du CIO, être jouée à Berlin en 1936.
Toutefois, la fierté des organisateurs du
«pays de la musique» (selon le rapport
officiel des Jeux de 1936’) exigeait
péremptoirement l’offre la meilleure
possible. Et le CIO ne pouvait faire mine
d’ignorer la renommée indiscutable de
Richard Strauss (1864-1949).
Albrecht Dümling2 a reconstitué cette
histoire. En 1933 déjà, Strauss avait fait
savoir à Theodor Lewald, président du
comité d’organisation berlinois, qu’il
était disposé à mettre en musique un
texte convenable. Cette condition exigeante ne fut cependant pas facile à
remplir. Le lauréat d’un premier
concours, Wilhelm von Scholz, qui était
président de l’Académie des poètes
allemands, avait écrit une «ode germanique à la gloire des jeux guerriers de
Siegfried», qui correspondait certes à
l’état d’esprit de ceux qui dirigeaient
l’Allemagne à cette époque, mais qui
méconnaissaient l’internationalisme
olympique. Dans le rapport officiel des
Jeux à Berlin, on trouve cette remarque
très critique au sujet de cette œuvre :
«aussi précieux que fut jugé l’hymne de
Wilhelm von Scholz sur le plan poétique, il semblait ne pouvoir convenir
que pour des jeux purement allemands,
et pas pour des Jeux Olympiques internationaux».
Sur les 3 000 envois reçus dans le
cadre d’un concours ouvert, la plupart
d’entre eux étant «totalement inutilisables», 50 contributions furent retenues, puis un choix de quatre poèmes
fut soumis à Richard Strauss. II trancha
en faveur de l’œuvre d’un acteur à
peine connu et sans situation, Robert
Lubahn. A cette époque, celui-ci détenait une patente pour réciter des
poèmes tant classiques que modernes
dans des arrière-cours berlinoises et
gagnait ainsi misérablement sa vie. Les
1 000 Reichsmark que Lewald lui remit
le 22 septembre 1934 furent donc particulièrement précieux pour lui.
Le président du jury, le poète Börries
Freiherr von Münchhausen, fut élogieux
quant au contenu et à la forme du
poème de Lubahn. Von Münchhausen
a tenté d’expliquer l’expression «la force
du droit», qui semble déconcertante,
voire même incompréhensible dans ce
texte. Pour lui, il s’agissait d’une germanisation réussie du terme «fair-play».
Selon lui, «la force du droit», c’est la
Spiros Samaras, auteur de la musique
de l’hymne olympique.
force dans sa plus grande plénitude,
toujours au service de la justice
suprême, le fondement de tous les
états, de toutes les cultures et de toutes
les civilisations, aussi bien que le fondement éternel et sanctifié de toutes les
joutes sportives». Joseph Goebbels,
ministre de la propagande s’en prit à
cette expression ambiguë, démocratique même, «qui le dérangeait le plus»
selon Carl Diem, secrétaire général des
Jeux. Pour remplacer «la force du
droit», les organisateurs et Goebbels se
prononcèrent en faveur des mots «fidèle
au serment». Lubahn se défendit sans
succès contre cette adaptation de son
texte au mot d’ordre des puissants. Il
échangea même des lettres à ce propos avec Thomas Mann, éloigné par
l’exil, et avec Romain Rolland.
Strauss avait une attitude ambivalente
en ce qui concerne l’hymne olympique.
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En décembre 1934, en villégiature à
Garmisch-Partenkirchen, il écrivit à
Stefan Zweig, son librettiste écarté par
les nazis : «Dans l’ennui des semaines
de l’Avant, je passe le temps en composant un hymne olympique pour les
prolétaires, moi l’ennemi et le contempteur déclaré du sport». Par ailleurs, ce
joueur de cartes enthousiaste réclamait
10 000 Reichsmark, une somme alors
astronomique, à titre d’honoraires. II est
possible qu’il ait voulu, en formulant des
exigences aussi démesurées, empêcher qu’on ne lui confie le mandat.
Lewald voulut, au nom du gouvernement du Reich, négocier le prix à la
baisse. Furieux, Strauss renonça à
toute rétribution. II voulait toutefois se
servir en quelque sorte de son œuvre
non seulement sur le plan de l’art, mais
également vis-à-vis d’Hitler. En effet,
lors de la présentation de l’hymne
devant Hitler, en mars 1935, Strauss
plaida pour son opéra «La femme silencieuse» dont le livret portait la signature
du «non aryen» Stefan Zweig et qui restait en attente de sa première représentation à Dresde. L’œuvre fut répétée
deux fois, en dépit du fait que la gestapo avait intercepté une lettre critiquant les nazis et adressée à Zweig. Le
6 juillet, avant la dernière représentation, Strauss fut contraint de démissionner «pour raisons de santé» de son
poste de président de la Chambre de
musique du Reich.
L’hymne, dont Strauss avait l’intention
de développer le thème principal dans
une grande symphonie qu’il ne composa jamais, permit cependant au compositeur tombé en disgrâce (il avait une
belle-fille juive et donc des petitsenfants menacés par les lois raciales)
de remporter deux succès d’estime. En
février 1936 d’abord, le CIO décida que
l’œuvre de Strauss constituerait
l’hymne olympique «pour l’éternité».
Ensuite, le 1er août 1936, Richard
Strauss - comme Samaras 40 ans
auparavant - dirigea son œuvre sans
numéro d’opus lors de la cérémonie
Culture
d’ouverture des Jeux au Stade
Olympique à Berlin en présence d’un
Hitler qui avait ignoré toutes les
demandes du compositeur. Après le
concert olympique donné le 16 août à la
Waldbühne, l’organe officiel du part
nazi, le «Völkischer Beobachter» releva
de manière équivoque que «la foule qui
occupait les lieux jusqu’au dernier siège
fit fête au compositeur avec de nombreux applaudissements».
La copie autographe de la partition que
Strauss avait dédiée à Theodor Lewald
«en souvenir du 1er août 1936», a été
sauvée par des voies détournées. Le
Comité National Olympique Allemand a
remis des copies de ce document aux
organisateurs des Jeux de la XIXe
Olympiade à Mexico en 1968 et, en
1997, au Président Samaranch pour le
Musée Olympique de Lausanne.
Quoi qu’il en soit, «l’éternité» ne dura
guère pour l’œuvre de Strauss puisque,
en 1954 déjà, le CIO lança un concours
de composition pour un nouvel hymne
(d’une durée de trois minutes au maxi-
mum) sur ce texte tiré des «Odes
Triomphales» de Pindare, un chant à la
gloire des vainqueurs des Jeux
Olympiques de l’Antiquité :
«Heureux élu de la renommée,
La palme de victoire l’honore et le
désigne
Aux clameurs du stade.
Qu’il goûte au prix de l’effort ces joies
divines,
Que les muses posent la couronne sur
sa chevelure,
Et qu’un hymne éclatant
Mêle à la gloire du triomphe,
A la beauté de la jeunesse,
Le nom du vainqueur».
Un prix de 1 000 dollars américains,
don du prince Pierre de Monaco, et
une médaille commémorative du CIO
devaient récompenser le gagnant de ce
concours. Un premier jury, dont faisaient
notamment partie la célèbre Nadia
Boulanger et l’Italien Gian Francesco
Malipiero, examina 387 œuvres
envoyées par des musiciens de 39
pays. Le jury élargi qui se réunit en
avril 1955 comptait parmi ses
membres, outre Nadia Boulanger et
Malipiero, de grands noms tels que
Lennox Berkeley, Pablo Casals, Aaron
Copland, Ernesto Halfter et Frank
Martin; Dimitri Chostakovitch et Carlo
Chavez s’étaient fait excuser. Au final,
quatre œuvres restaient en lice. Une
petite majorité fit pencher la balance
en faveur de celle du Polonais Michel
Spisak. Ce nouvel hymne olympique
fut joué pour la première fois à Monte
Carlo.
Le nouvel hymne officiel fut exécuté
pour l’ouverture des Sessions du CIO à
la Sorbonne à Paris en 1955 et à
Melbourne en 1956, aux Jeux
Méditerranéens à Barcelone en 1955,
aux VIIes Jeux Olympiques d’hiver à
Cortina d’Ampezzo en 1956, aux
épreuves hippiques de Stockholm et
aux Jeux de la XVIe Olympiade à
Melbourne la même année. Lors de la
cérémonie d’ouverture à Melbourne,
quatre orchestres et pas moins de
1 200 chanteuses et chanteurs inter-
La fanfare des Jeux de la XVIe Olympiade à Melbourne en 1956.
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Les fanfares de la cérémonie d’ouverture des Jeux de la 1ère Olympiade à Athènes en 1896.
prétèrent l’œuvre de Spisak lors d’un
spectacle de masse qui devait alors
constituer un record.
Après cela, cet intermède prit fin prématurément, car le CIO décida de revenir
aux origines lors de sa Session de Tokyo
en 1958. Depuis cette date, l’hymne
olympique est de nouveau celui de
Samaras/Palamas. En dépit de toutes les
turbulences, c’est lui qui accompagnera
de ses accents pathétiques et émouvants
les Olympiades du troisième millénaire.
*Journaliste pigiste.
1
Comité d’organisation (édit.), Rapport
officiel sur les Jeux Olympiques de
1936, p.504
2
Albrecht Dümling, Objektgeschichte :
Die ‘Olympische Hymne’ von Richard
Strauss, im: Haus der Geschichte
Magazin, 1/97.
Quiz olympique*
Les Présidents du CIO
Questions
1.
Combien y a-t-il eu de Présidents du CIO et qui sont-ils ?
7.
2.
En 1980, lorsque Juan Antonio Samaranch est devenu
Président du CIO, qui étaient les autres candidats ?
8.
.........................................................................................................
.........................................................................................................
3.
En 1972, lorsque Lord Killanin est devenu Président du CIO,
qui étaient les autres candidats ?
.........................................................................................................
4.
En 1952, lorsque Avery Brundage est devenu Président du
CIO, qui étaient les autres candidats ?
.........................................................................................................
5.
On peut dire de deux hommes qu’ils ont été Présidents de
facto du CIO. Qui sont-ils et dans quelles circonstances sontils devenus Présidents ?
.........................................................................................................
6.
Combien de continents ont été représentés par les
Présidents du CIO ?
.........................................................................................................
Combien de Présidents du CIO ont concouru aux Jeux
Olympiques ?
.........................................................................................................
Sur les cinq candidats officiels à la présidence du CIO en
2001, combien ont concouru aux Jeux Olympiques ?
.........................................................................................................
9.
Quel est le Président du CIO dont le mandat a été le plus
long ?
.........................................................................................................
10. Que dit la règle actuelle de la Charte Olympique sur la durée
du mandat du Président du CIO ?
.........................................................................................................
11. Bien que le CIO ait son siège à Lausanne en Suisse, depuis
1915, seuls deux de ses Présidents y ont réellement vécu
durant leur mandat. Lesquels ?
.........................................................................................................
* Préparé par Bill Mallon, président de la Société internationale des historiens olympiques (ISOH)
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