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DIRECTION DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE
SOUS-DIRECTION DES MISSIONS DE PROTECTION JUDICIAIRE
ET D’EDUCATION
BUREAU DE LA LEGISLATION ET DES AFFAIRES JURIDIQUES
PôLE RECHERCHE
Florence de Bruyn, Luc-Henry Choquet, Lydia Thierus 1
_________________________________
ENQUETE SUR LA REITERATION DES MINEURS
PLACES EN CENTRE EDUCATIF FERME,
ENTRE 2003 ET 2007
_________________________________
RAPPORT FINAL
SEPTEMBRE 2011
1
Stagiaire, Centre de recherche Populations et sociétés (CERPOS), Université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense.
1
SYNTHESE
Motifs de l’étude
On sait peu de choses précises sur les effets des prises en charge éducatives des mineurs.
C’est pourquoi le Pôle Recherche de la DPJJ s’est lancé dans une série d’études d’impact à
partir d’enquêtes ou de calcul du niveau de réitération (après une mesure de réparation, de
liberté surveillée, après un séjour en CEF).
Ce niveau de réitération après une décision judiciaire exécutée est, aujourd’hui, pour
l’opinion publique et le milieu politique, la manière la plus immédiate de reconnaître le
niveau de réussite du traitement judiciaire et de la prise en charge éducative ainsi que le bien
fondé des crédits qui leur sont alloués.
Réalisation
Pôle recherche de la DPJJ avec la collaboration du Casier judiciaire national
Echantillon
Les mineurs placés dans 13 CEF entre 2003 (date d’ouverture des premiers CEF) et le début
2006, soit 1/3 de l’ensemble des 38 CEF ouverts en 2006. Taux de réponse des CEF : 80 % ;
taux de réussite dans la récupération des casiers judiciaires : 82 % ; effectif final de
l’échantillon : 358.
Principaux résultats
A) La population des mineurs entrant en CEF se compose de :
1) non réitérants (26%) : ils n’ont pas de condamnation inscrite au casier judiciaire au
moment de leur entrée en CEF, sont délinquants depuis peu mais de manière intensive et
grave, plutôt dans le domaine des atteintes aux personnes ; ils sont sanctionnés avant même
leur premier jugement par un placement en CEF ;
2) multi-réitérants (74%) : ils ont été plusieurs fois condamnés avant leur entrée et au
moment de leur entrée en CEF, le plus fréquemment pour des atteintes aux biens de gravité
moyenne, et occasionnellement pour des délits de gravité élevée. Ils se distinguent en deux
catégories :
o Les “ancrés” (58 %) : ils ont commis en moyenne 15 délits dont 8 ont été jugés ; ils
ont quasiment tous été condamnés par un tribunal pour enfants à des peines de
prison (ferme ou avec sursis).
o Les “précoces” (16 %) : ils ont commis en moyenne 11 délits dont 2 seulement ont
été jugés ; des mesures éducatives ont été prononcées à leur encontre, , plus tôt et
alors qu’ils sont plus jeunes que les autres, par un juge des enfants, plus rarement
par un tribunal ; aucune condamnation à de la prison.
Les filles et les étrangers se répartissent indifféremment dans ces trois profils de
délinquants. L’âge moyen d’arrivée au CEF est le même pour les trois profils (16 ans).
B) Des placements en CEF plus souvent écourtés pour les multi-réitérants :
Les placements sont davantage écourtés pour les mineurs multiréitérants, le plus souvent à
la suite d’un incident aboutissant à une main levée du placement, mais aussi à une
condamnation à une peine de prison ferme, ou plus rarement encore lors du passage du
2
jeune à sa majorité). La durée de séjour en CEF n’est dépendante d’aucune variable relevée
dans l’enquête, hors le fait de ne pas encore avoir été condamné qui semble conduire à un
séjour plus long en CEF.
C) Les incidents surviennent le plus souvent au début du placement.
Les placements en CEF sont le plus souvent écourtés par un “incident” (le plus
fréquemment une fugue) à la suite duquel le juge prononce une main levée du placement.
Près d’1 mineur sur 5 connaît au moins un incident dans les quinze premiers jours
suivants le placement.
Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cette surreprésentation en début de placement.
L’entrée en CEF peut susciter des difficultés « traumatiques » liées soit à la séparation
du mineur avec son milieu naturel, soit à la situation d’enfermement. Le placement peut
susciter également des difficultés relationnelles liées à la menace identitaire que ces
mineurs éprouvent et à l’absence de recours à la mise à distance qu’ils utilisent
habituellement.
Si le taux d’incident tend à diminuer dans les mois suivants, il s’agit principalement
d’un effet de sélection puisqu’une partie des jeunes ayant provoqué un incident dans les
premiers jours du placement quittent le CEF.
D) La baisse de la réitération après le passage en CEF dépend principalement de la
durée du séjour en CEF.
1) Toutes catégories confondues, le taux de réitération mesuré sur un an est de 90%
avant l’entrée en CEF et de 70 % à la sortie du CEF2.
2) La réduction ou la poursuite de la réitération après le passage en CEF sont
fonction (toute choses égales par ailleurs) de :
o la durée du séjour : Ceux qui restent plus de 170 jours (près de 6 mois)
réitèrent moins que les autres. Toutefois, le placement en CEF commence à
produire des effets à partir de 125 jours (4 mois) de placement effectif.
o le nombre de délits commis par un individu avant son entrée en CEF : plus le
nombre d’antécédents est élevé, plus le mineur a de chances de commettre des
infractions à l’issue du séjour en CEF.
Ainsi parce qu’ils restent moins longtemps et qu’ils ont commis davantage de délits,
les multi-réitérants sont ceux qui ont les plus hauts risques de réitération après le
séjour en CEF.
Notons que la gravité des actes commis et la nature de l’infraction ont peu d’influence sur
les risques de réitération après CEF et que la 1ère réitération après le séjour en CEF n’est
bien souvent pas un acte isolé : elle peut être considérée comme une « rechute effective »
dans le sens où elle sera suivie d’autres infractions pour plus des trois quarts des jeunes
réitérants.
2
Ces chiffres, qui sont ceux de la réitération, sont beaucoup plus élevés que ceux de la récidive légale de
l'infraction principale dont le taux s’élève à 1,4 % en 2009, dans les juridictions (cours d'assise et d'appel des
mineurs, tribunaux des enfants, juges pour enfants). C’est ainsi qu’il y a eu 56182 condamnées pour une ou des
infractions commises avant 18 ans dans les juridictions pour mineurs, en 2009, et 790 récidivistes condamnés
pour une ou des infractions commises avant 18 ans dans le cadre d’une procédure judiciaire en général plus rapide.
3
Quatre apports pour la formation, les établissements et services de la PJJ et les
partenaires institutionnels :
1. Importance d’un maintien du placement malgré la survenue d’incidents au cours de la
1ère phase de placement
Dans la mesure où le taux de réitération est directement corrélé à la durée de placement et que
les incidents surviennent davantage en début de placement, il convient de mettre en place une
organisation de service permettant de supporter la survenue de ces incidents, inévitables
voire prévisibles :
- communication avec les magistrats pour envisager la stratégie éducative à adopter en fonction
de la gravité des incidents et la limitation des mainlevées durant la première phase de
placement ;
- organisation de temps de dégagement et d’accueil-relais au sein d’autres structures pour
scander le séjour en CEF lors d’incidents et faciliter le retour au CEF d’origine ;
- organisation de la prise en charge particulièrement structurée lors des premiers temps du
placement (accompagnement constant du mineur, programme intensif d’activité…) ;
- mise en place de protocoles de soutien des professionnels, d’accompagnement, d’analyse de
pratique dans la perspective de favoriser la fluidité de la relation éducative dans un contexte
marqué par les incidents de parcours.
2. Nécessaire accompagnement soutenu du mineur lors de la sortie du dispositif
Le rôle de la 1ère réitération conduit, afin de prévenir son éventuelle survenue, à organiser
soigneusement et strictement la sortie du mineur du CEF (emploi du temps à tenir à la sortie) en
l’encadrant tant par les professionnels de la PJJ du CEF et du milieu ouvert que par les titulaires
de l’autorité parentale, quand cela est possible. Cela nécessite une articulation étroite avec les
services de milieu ouvert ainsi qu’avec les organismes de droit commun.
3. Une orientation en CEF adaptée pour les mineurs en début de comportement
délinquant
Le dispositif parait particulièrement adapté pour des mineurs qui ont un comportement
délinquant récent. C’est pourquoi l’orientation en CEF d’un mineur mis en cause dans une ou
plusieurs procédures pénales peut être pensée dès les premiers temps de la prise en charge par
la PJJ, et même s’il n’a pas encore été placé au sein d’un établissement d’hébergement
classique.
4. Un dispositif à repenser pour l’accueil de mineurs multi-réitérants
Les modalités de prise en charge des mineurs multi-réitérants, pourtant « cœur de cible » du
dispositif lors de sa création, doivent être réinterrogées dans la mesure où l’on note un plus fort
taux de réitération pour ce public en sortie de CEF. Ce qui est partiellement lié au fait que leurs
séjours sont plus fréquemment écourtés.
4
SOMMAIRE
Introduction ........................................................................................................................................6
Partie 1 : Le contexte et les enjeux d’une évaluation des Centres Educatifs Fermés
en terme de récidive/ réitération .......................................................................................................7
1. Les approches et les mesures de la récidive :................................................................. 8
2. Les recherches précédentes traitant de la récidive/réitération...................................... 12
3. Les choix méthodologiques de la présente étude ......................................................... 15
Partie 2 : Etude de la population entrant en CEF et des caractéristiques du placement..........17
1. Caractéristiques démographiques des mineurs placés en CEF .................................... 17
2. Caractéristiques judiciaires .......................................................................................... 18
3. Typologie des délinquants à leur entrée au CEF.......................................................... 23
4. Les caractéristiques du placement en CEF................................................................... 28
5. Les incidents en CEF.................................................................................................... 32
Partie 3 : La réitération après le passage en CEF.........................................................................34
1. La réitération tend à diminuer en sortie de CEF par rapport à ce qu’elle était avant le
placement ............................................................................................................................. 34
2. La durée du placement effectif en CEF est un facteur important................................. 35
3. Modélisation de la réitération après CEF..................................................................... 37
4. Un type de réitération par profil de délinquant ............................................................ 41
5. Les caractéristiques des réitérations après la sortie du CEF ........................................ 42
6. Comparaison avec les données sur les réitérations des mineurs à partir des casiers
judiciaires (1999-2004) ........................................................................................................ 43
Conclusion.........................................................................................................................................46
Annexe 1 : Table de gravité - niveaux de gravité adoptés en fonction de la nature des
infractions .........................................................................................................................................49
Annexe 2 : Mise en perspective historique de la création des CEF et histoire de la récidive ...52
1. Mise en perspective historique de la création des CEF................................................ 52
2. Histoire de la récidive : d’une notion subjective individuelle à un indicateur ............. 55
5
Introduction
En 2008, le directeur de la Protection Judiciaire de Jeunesse (DPJJ-Ministère de la Justice)
commande à ses services une étude dont l’objectif est d’évaluer l’efficacité en termes de
récidive/réitération des mineurs délinquants, d’une structure relativement nouvelle : les Centres
Educatifs Fermés.
Pour répondre à la commande et contribuer à une connaissance plus approfondie de la
problématique des jeunes multiréitérants séjournant en CEF et à une vision remaniée de
l’approche de la récidive/réitération, le Pôle Recherche de la DPJJ à conduit une enquête à
partir du rapprochement de deux sources de données différentes :
1- Un recueil réalisé en 2008 auprès des 13 CEF existants en 20063 à qui étaient demandés
les dates d’entrée et de sortie du CEF, les motifs de placement et les incidents survenus
au cours du séjour (N1 = 435).
2- Le Casier Judiciaire National auprès duquel ont été obtenus les bulletins n°1 pour
chaque mineur. Ces bulletins ont été saisis et codés dans une base de données
spécialement construite pour cette étude. En définitive, le parcours de 358 jeunes a pu
être retracé. Pour 77 mineurs, le casier judiciaire a fait défaut4.
Après avoir présenté ces structures et l'historique de leurs création et la notion de récidive,
nous expliciterons les enjeux d’une telle commande qui réclame une approche en terme de
récidive plutôt qu'en en terme d’insertion, de scolarisation ou même de santé, puis nous
préciserons le bien fondé du choix des analyses de durées comme outils de recherche. Dans un
deuxième temps, nous analyserons les caractéristiques de la population accueillie en CEF,
pour proposer une modélisation de la récidive avant d’ouvrir notre approche à d’autres points
de vue. Nous souhaitons contribuer à partir de cette étude à une connaissance plus approfondie
de la problématique des jeunes multiréitérants séjournant en CEF et à une vision remaniée de
l’étude de la récidive/réitération.
3
Le CEF de Mont de Marsan (40); le CEF de Ste Eulalie (33) ; le CEF de St Denis Le Thiboult (76); le CEF de
Saverne (67), le CEF de St Paul d'Espis (82), le CEF de Moissanes (87), le CEF de Le Vigeant (87), le CEF de
Hendaye (84), le CEF de Beauvais (60), le CEF de Autun (71), le CEF de Lusigny Sur Barses (10) et de Tonnoy
(54) et le CEF de Valence (26)
4
Dont 69 sans précisions, 3 décès, 3 néants, 2 non exploitables.
6
Partie 1 : Le contexte et les enjeux d’une évaluation
des Centres Educatifs Fermés
en terme de récidive/ réitération
Les CEF ont été créés par la loi d'orientation et de programmation pour la justice de 20025. Ce
sont des établissements publics ou privés habilités, réservés à des jeunes délinquants multi
récidivistes, âgés de 13 à 18 ans, placés par le magistrat suite à une mesure de contrôle
judiciaire, d'un sursis avec mise à l'épreuve, d’un placement à l’extérieur ou d'une libération
conditionnelle. L’objectif est de réinsérer ces mineurs socialement et professionnellement dans
la société, à l’aide d’un apprentissage éducatif renforcé sur la base d’une durée de séjour en
CEF qui est :
- 6 mois, renouvelable une fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire (CJ)
- Au maximum pour la durée de la peine prononcée, dans les cadres suivants :
a) placement extérieur (PE),
b) libération conditionnelle (LC),
c) sursis mis à l’épreuve (SME).
Dès l’accueil du mineur, celui-ci fait l’objet d’un bilan d’évaluation des acquis scolaires et
professionnels à la suite duquel un projet individuel est établi (formation éducative pour les 1316 ans et/ou formation à l’insertion professionnelle pour les 16-18 ans). Les mineurs sont en
permanence en présence d'adultes dans le partage d'activités quotidiennes, tant à l'intérieur qu'à
l'extérieur de l'établissement dans les premiers temps du placement. En cas de violation des
obligations auxquelles le mineur est astreint, cela peut entraîner selon le cas, le placement en
détention provisoire ou l’incarcération. La sortie est soigneusement préparée avec
l’accompagnement d’un éducateur éducatif dans les démarches professionnelles ou scolaires.
L’histoire de la justice des mineurs, plus particulièrement des modes d’enfermement des
mineurs, étroitement liée à l’apparition de la récidive comme métrique d’évaluation des
politiques pénales, permet de mieux comprendre les enjeux de cette étude. C’est pourquoi ces
deux aspects sont présentés en annexe 6.
5
6
Cf. LOPJ n°2002-1138 du 9 septembre 2002.
Cf. annexe n°2.
7
1. Les approches et les mesures de la récidive :
Deux approches de la mesure de la récidive et de la réitération coexistent :
-L’approche administrative consiste à déterminer, dans la perspective d’un jugement si une
personne est en état de récidive légale ou de réitération. Pour cette détermination
judiciaire/administrative, le code pénal et le casier judiciaire suffisent.
-L’approche « scientifique » consiste à produire et à analyser les chiffres de la récidive et de la
délinquance. Cette approche passe par l’élaboration des « taux de récidive ».
1.1 - L’approche scientifique de la récidive/réitération :
« L’évocation des taux de récidive dans les discours des politiques, des journalistes et aussi des
praticiens, laisse à penser qu’il est aussi limpide qu’un taux de féminité par exemple. Or, force
est de constater que les références à ce « taux » se font dans la plus grande confusion»7.
Cette opacité, sur la manière dont les taux de récidive sont obtenus s’accompagne aussi de
nombreuses difficultés d’interprétation. En particulier, mesurer un taux de récidive pour
évaluer l’efficacité d’une mesure judiciaire pose des difficultés particulières qu’il convient
maintenant d’expliquer.
Ces difficultés particulières à l’étude de la récidive/réitération relèvent de quatre domaines : les
données utilisées, les indicateurs retenus, les modes de calcul et enfin l’interprétation des
chiffres.
1.2 - Les sources de données permettant d’établir des chiffres concernant la récidive/réitération
Elles doivent non seulement permettent de répertorier tous les évènements (infraction,
condamnation…) mais aussi les dater. En effet, pour calculer un taux de récidive, il faut
connaître a minima et sur une période d’observation assez longue les dates des infractions et
des condamnations. Les sources de données propices à obtenir ces évènements et leur datation
sont, de ce fait, peu nombreuses :
 Le casier judiciaire constitue la source de données la plus utilisée pour établir des taux
de récidive/réitération. Il permet de repérer les cas de récidive légale (souvent
directement mentionnée), mais il limite la mesure de la réitération aux condamnations
inscrites au casier judiciaire8.
 Le panel des mineurs permet aussi de mesurer des taux de réitération puisqu’il informe
sur l’ensemble de la procédure judiciaire. Il ne porte cependant que sur un échantillon
restreint de mineurs (nés entre le 1er et le 15 octobre, soit 4%) et présente des lacunes
concernant l’exécution des peines. Les taux de réitération calculés à partir de cette
source sont logiquement plus élevés que ceux calculés à partir du casier judiciaire 9.
Cf ; Kensey, A., Prison et récidive, Armand Colin, 2007, p162.
Ne sont pas inscrits au casier judiciaire : les mesures alternatives aux poursuites, les contraventions de type 1 à 4,
l’amnistie, l’écoulement d’un délai maximum de 40 ans après le prononcé de la dernière condamnation; la
réhabilitation de plein droit ou judiciaire qui efface les condamnations passé un certain délai. Tout comme les
dispenses de peines qui disparaissent du casier à l’expiration d’un délai de 3 ans à compter du jour où la
condamnation est devenue définitive, ainsi que pour les mesures prononcées par les juridictions des mineurs, si
pendant ce délai l’individu n’a pas soit été condamné à une peine criminelle ou correctionnelle, soit exécuté une
composition pénale.
9
Cf. Inspection de la DPJJ, La réparation pénale, septembre 2007.
7
8
8


Les autres sources de données n’ont pas encore fait leurs preuves : les enquêtes de
délinquance auto-déclarée par exemple ne comportent pas de datations assez précises.
Les spécificités de la délinquance des mineurs (intensité délinquante, problèmes en
partie liés à l’adolescence, problématiques sociales très présentes) et de la justice des
mineurs qui déploie nombre de mesures et de sanctions éducatives toutes limitées en
durée (comparée à celles des majeurs) font que l’établissement des indicateurs de
récidive ne peut se faire qu’à partir des sources de données qui recensent et datent de
manière continue les infractions et les condamnations. Les « photographies » de la
situation des mineurs à un instant donné ne suffisent pas, dans la mesure où elles ne
peuvent « connecter » les événements entre eux, dater et relier chaque infraction à son
éventuelle condamnation.
1.3 - Les indicateurs retenus :
Pour étudier la récidive/réitération, il faut pouvoir s’approcher au plus près de la définition
judiciaire de ce phénomène. Or, utiliser cette détermination nécessite d’avoir des données
détaillées et datées sur le parcours judiciaire de chaque délinquant, ce qui n’est pas toujours
facile à obtenir.
De ce fait, des indicateurs sont proposés et assimilés souvent à tort comme indicateurs de
récidive comme le taux d’incarcération après une mesure ou le taux de nouvelles affaires. Ces
taux pourraient s’approcher des taux de récidive/réitération si les événements judiciaires qui
constituent le parcours judiciaire des délinquants suivaient une logique chronologique (de type
infraction 1, jugement 1, peine ou mesure 1, infraction 2, jugement 2, peine ou mesure 2…).
Or, c’est loin d’être le cas. Les infractions ne sont, en général, pas jugées dans l’ordre où elles
sont commises et les mesures et sanctions ne sont pas non plus exécutées dans l’ordre où elles
sont prononcées. Ainsi pour donner une idée, plus des trois quarts des mineurs de notre
échantillon (77%) sont condamnés après leur sortie de CEF pour une infraction commise avant
l’entrée en CEF, autre que celle qui a motivé le placement en CEF. Aussi, assimiler récidive et
taux de nouvelles affaires sans tenir compte de la date des infractions revient bien souvent à
surestimer la récidive/réitération. De la même manière, le taux d’incarcération ne présume en
rien de la récidive s’il ne tient pas compte de la date des infractions.
1.4 - Les modes de calculs de la récidive
Il existe deux modalités de calcul aboutissant à deux « taux de récidive » qui recouvrent, en
conséquence, deux réalités différentes :
- Le taux de récidive/réitération rétrospectif mesure une proportion de récidivistes parmi
un groupe de délinquants à un instant donné. Autrement dit, il consiste, dans un groupe de
délinquants à un instant donné, à donner la proportion de ceux qui ont des antécédents de
délinquance. Cet indicateur utilisé dès la fin du 19ème siècle, l’est encore aujourd’hui. Par
exemple l’objet du texte de projet de la loi du 10 août 200710 exposé par le Senat mentionne :
«en 2005, 2,6 % des personnes condamnées en matière criminelle et 6,6 % des personnes
condamnées en matière correctionnelle étaient des récidivistes au sens légal. En revanche, 30
% des personnes condamnées en 2005 avaient déjà fait l'objet d'une condamnation. Le
contraste est encore plus marqué pour les mineurs, entre un taux de 0,6 % de récidive mais de
55 % de réitération». Ce taux décrit l’état d’une population à un moment donné, mais ce n’est
pas un risque de réitération. En ce sens, les chercheurs lui préfèrent un taux de
récidive/réitération prospectif.
10
http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl06-333.html consulté le 30 juin 2010.
9
- Le taux de récidive/réitération calculé de manière prospective permet d’évaluer des
risques de récidive et de les décliner selon les variables explicatives en présence. La méthode
prospective consiste à suivre une cohorte de délinquants au cours du temps en notant les
nouvelles infractions condamnées. On utilise ainsi dans la présente étude, cette méthode
statistique de suivi de cohorte.
Pour calculer un taux prospectif de récidive/réitération, il faut au préalable définir :
 La population concernée, c’est-à-dire, les critères pour qu’une personne fasse partie de
l’étude. Dans la présente étude, la population concernée se compose des mineurs qui
ont été placés en CEF entre 2003 et 2007.
 Le critère retenu pour le début de l’observation : ça peut être la sortie de prison, la fin
d’une mesure, la date de la condamnation. Dans cette étude, le début de l’observation
correspondra à la date de sortie du CEF.
 Le critère retenu pour l’analyse : s’il s’agit d’un taux de récidive légale par exemple, le
critère sera une nouvelle infraction relevée constituant un cas de récidive légale, s’il
s’agit d’un taux de réitération, le critère sera une nouvelle infraction ayant donné lieu à
une condamnation. Dans cette étude nous étudierons principalement la réitération
d’infractions aussi le critère sera une nouvelle infraction commise après la sortie du
CEF et ayant donné lieu à une condamnation inscrite au casier judiciaire.
 La durée de l’observation : le calcul d’un taux de récidive/réitération peut se faire à tout
moment, mais un taux de récidive calculé trois mois après la sortie du CEF, ne donne
pas le même résultat qu’un taux de récidive calculé deux ans après. Dans la présente
étude, les durées d’observation varient de 1 à 3 ans.
1.5 - Interprétation des taux de récidive :
La mesure des taux de récidive pour évaluer l’efficacité d’une mesure doit tenir compte de
trois effets principaux :
 L’effet de filtre : les personnes sélectionnées pour une mesure peuvent avoir, avant
même d’accomplir la mesure, une proportion à la récidive moindre que les autres.
Les mineurs bénéficiant d’une mesure de liberté surveillée, par exemple, sont
sélectionnées par le juge au moment du prononcé, notamment lorsqu’ils sont primo
délinquants. Ainsi, le taux de récidive moindre pour ceux qui bénéficient d’une mesure
de liberté surveillée (par rapport à ceux qui n’en n’ont pas bénéficié) n’est pas un effet
de la mesure, mais un effet de sélection lié aux caractéristiques du mineur et à l’effet
filtre opéré par le juge. Dans le cas des mineurs placés en CEF, l’effet de filtre se pose
et c’est pourquoi il convient de s’interroger sur la sélection des mineurs envoyés en
CEF, d’une part, et sur celle qui s’opère au cours du placement, d’autre part.
 L’effet de trajectoire : un mineur qui, à sa sortie du CEF, se retrouve en prison aura un
risque de récidive moindre que celui qui se retrouve en liberté, et ce, sans qu’il s’agisse
pour autant d’un effet du CEF. De la même manière, les événements intervenus avant
l’entrée en CEF peuvent aussi avoir un impact sur la réitération après CEF.
 L’effet de structure : Les précédentes études sur la récidive/réitération, qui ont concerné
fréquemment les détenus, montrent que les taux de récidive/réitération varient tout
particulièrement en fonction de la nature de l’infraction principale, de l’âge et du passé
pénal. Ne pas tenir compte de l’effet de ces variables dans l’interprétation des taux de
récidive/réitération peut aboutir à des erreurs 11.
Par exemple : l’étude de la DAP (Kensey, A., Lombard, F., Tournier, P.V., Sanctions alternatives à
l’emprisonnement et « récidive » , Observation suivie, sur 5 ans, de détenus condamnés en matière correctionnelle
libérés et de condamnés à des sanctions non carcérales (département du Nord), Collection Travaux et Documents
11
10
La méthodologie utilisée dans cette étude vise à examiner les niveaux de récidive/réitération
obtenus une fois ces trois effets maitrisés (de trajectoire, de filtre, de structure).
Il reste à rappeler les deux types d’approches de la récidive/réitération qui mène à des
interprétations opposées 12 :
-L’approche classique de la récidive adopte implicitement le principe selon lequel la
sanction doit avoir un effet positif et donc se traduire par des taux de récidive le plus
faibles possible.
-L’approche globale, replace la mesure dans l’ensemble du dispositif pénal et de la
politique pénale. Elle se fonde sur la distinction entre trois groupes de
délinquants constitués : de cas exceptionnels, des personnes dont rien ne prédisposait
apparemment à se comporter ainsi ; des individus dont les comportements posent
régulièrement problèmes mais qui peuvent s’améliorer ; des délinquants chroniques,
multirécidivistes, « incorrigibles », « irrécupérables »…. Les fonctions de la peine sont
alors différentes selon les trois groupes : dissuader ou intimider les délinquants du
premier groupe, réadapter ceux du deuxième groupe, neutraliser ceux du troisième.
L’approche globale pose la question, non pas de l’efficacité de la mesure, mais de
l’efficacité du système à proposer une mesure adaptée à chaque cas, donc son efficacité
à faire la distinction entre ces trois groupes. Si cette distinction est bonne, alors on
s’attendra à un taux de réitération plutôt plus élevé après un placement dans les lieux
privatifs de liberté, dans lesquels les délinquants du troisième groupe auront été placés,
et un taux plus faible pour les mesures ou sanctions éducatives. Dans cette approche, un
taux de réitération élevé après un placement dans un lieu privatif de liberté est interprété
plutôt comme une réussite de la sélection opérée par le système judiciaire.
n° 70, DAP, octobre 2005) avance des taux de réitération observés pour les majeurs ayant fait l’objet d’une
condamnation en 1996, mesuré sur une période d’observation de 5 ans, de 34 % après une condamnation à un
Travail d’Intérêt Général et de 32 % après une condamnation à un Sursis avec Mise à l’Epreuve. Cette différence
entre ces deux taux de réitération est en réalité due à un effet d’âge et non un effet de la sanction. En effet 61 %
des condamnés au TIG ont moins de 25 ans contre 31 % pour les condamnés à un sursis mis à l’épreuve. Pour
contrôler cet effet, il est d’usage de recourir à la méthode des taux comparatifs qui consiste à évaluer à structure
par âge identique quels seront les taux de réitération. Pour reprendre notre exemple, à structure par âge et passé
pénal équivalents, les taux de réitération « comparatifs » sont de 31 % pour les condamnés à des TIG et 53 % pour
les condamnés à un SME.
12
Cf. Combessie (P.), Sociologie de la prison, Paris, La découverte, 2004
11
2. Les recherches précédentes traitant de la récidive/réitération
2.1 - Les « enquêtes précédentes » sur le suivi des mineurs après leur placement en CEF :
-La synthèse du rapport d’évaluation du programme expérimental CEF, réalisé par les services
de l’Inspection de la DPJJ est présentée en janvier 200513. Sur 56 mineurs sortis des CEF
expérimentaux au 30 avril 2004, l’étude dispose d’informations pour 48 d’entre eux, et constate
que 25 mineurs (soit plus de la moitié) ont connu la détention dans les 6 mois suivant la sortie
du CEF. Cette étude donne donc un taux d’incarcération de plus de 50 % dans les six mois
suivant la sortie du CEF.
- La Direction de Projet CEF de la DPJJ (DPCEF) s’est informée depuis le démarrage du
programme des CEF du devenir de chaque mineur après sa sortie. Ce suivi a permis d’évaluer à
61 % le pourcentage de mineurs qui n’ont commis aucune infraction (connue du CEF) dans
l’année suivant leur sortie de CEF. Ces données ont été recueillies à l’occasion d'échanges
téléphoniques avec les CEF et de déplacements sur le terrain » et les situations examinées sont
seulement celles des mineurs revenus en CEF qui sont des cas particuliers. C’est pourquoi ce
chiffre ne satisfaisait à aucune des exigences présentées plus haut et ne pouvait servir de point
de référence pour la présente étude.
- Le bureau des systèmes d'information (DPJJ/ L3) a tenu entre 2006 et mi 2008 une
application renseignant sur la situation des mineurs sortis de CEF à la date d’un an après leur
sortie de CEF. Entre le 1er janvier 2006 et août 2008, 221 jeunes ont vu leur situation
renseignée jusqu’à 1 an après leur sortie d’un CEF public ou associatifs dans l’application, une
première fois, puis mise à jour à deux reprises. 111 d’entre eux (50 %) ont connu la prison dans
l’année. L’évènement fondant l’incarcération est près de 8 fois sur 10 une infraction extérieure
au placement en CEF, et postérieure à ce dernier dans près de 2 cas sur 3 14. Le recueil de
données est conforme à l’établissement d’indicateurs objectifs mais ne permet pas d’avancer un
indicateur objectif de la récidive/réitération puisque les informations judiciaires faisaient
défaut.
Pour des raisons techniques ou par construction, aucune de ces études menées précédemment
sur les mineurs placés en CEF n'a permis de construire un indicateur de sortie de délinquance
de façon objectivement satisfaisante 15. Mais quelques études plus larges sur la
réitération/récidive permettent d’établir des points de comparaison avec la présente étude.
2.2 - Les études précédentes portant sur la réitération de l'ensemble des mineurs :
Réitération/récidive à partir du casier
En 2007, la sous-direction de la statistique et des études du Ministère de la Justice a réalisé une
étude sur la trajectoire inverse des sorties de délinquance autrement dit sur « la réitération
d'infraction après condamnation des mineurs » 16. Cette étude suivait pendant une période d’au
moins 3 ans la cohorte de mineurs qui ont eu une condamnation inscrite au casier judiciaire en
13
DPJJ/Inspection des services/comité technique d’évaluation, Evaluation du programme expérimental CEF,
janvier 2005. http://intranet.justice.gouv.fr/dpjj/actu/synthrappcef0205.pdf consulté le 30 juin 2010.
14
Cf. DPJJ - SDPOM – BSI, Situation des mineurs un an après leur passage en CEF, octobre 2008.
15 Cf. Synthèse du rapport d’évaluation du programme expérimental CEF, Inspection de la DPJJ, janvier 2005,
Etude sur les mineurs ayant séjourné en CEF un an après, Direction de Projet CEF (DPJJ/DPCEF), 2007, Etude
sur l'incarcération des mineurs ayant séjourné en CEF, DPJJ/L3, 2008.
16 Cf. Tiaray Razafindranovona, La réitération d'infraction après condamnation des mineurs, sous-direction de la
statistique et des études, Ministère de la Justice, octobre 2007.
12
1999, 2000 et 2001, et relevait les condamnations correspondant à de nouvelles infractions.
Elle propose des taux de réitération prospectifs en fonction de l’âge et des antécédents, et
explicite leur calcul. Elle présente ainsi des résultats objectifs et exhaustifs à partir de 37 657
condamnations pour délit prononcées par des juridictions de mineurs, inscrites au casier
judiciaire et concernant 28 633 individus mineurs au moment des faits 17.
- Le taux de réitération au bout de 5 ans pour ces mineurs s’élève à 55,6 %. Ce taux
inclut des individus mineurs au moment des faits devenus majeurs lors de la réitération.
Cependant, un taux de réitération dans la minorité n’est pertinent que s’il porte sur des
cohortes composées de jeunes qui ont le même âge et l’étude citée n’en présente pas.
- La réitération est relativement rapide : environ 38 % des mineurs condamnés en 1999
ont réitéré au bout de deux ans.
- Parmi les mineurs condamnés en 1999, le taux de réitération est de 50 % au bout de 5
ans pour les primo-condamnés, et de 84 % pour ceux qui avaient en 1999 déjà fait
l’objet d’une condamnation. Ce résultat donne une mesure de la réitération des multidélinquants.
o Le taux de réitération augmente avec l’âge du condamné lors de la commission
des faits : il est de 40 % quand le condamné est âgé de 12 ans ou moins lors de
la commission des faits en 1999 pour atteindre 60 % s’il est âgé de 17 ans. Plus
le mineur est proche de la majorité plus le champ des infractions visées par la
réitération s’élargit, incluant entre autres les délits routiers.
o Le taux de réitération le plus élevé (64 %) s’observe chez les condamnés pour
outrage suivi par celui des condamnés pour vol-recel (59 %), pour violences
volontaires et destruction-dégradation (56 %).
o Le taux le plus faible est celui des condamnés pour infractions aux mœurs (dont
plus de la moitié sont des agressions sexuelles sur mineur de 15 ans) avec 34 %.
S’agissant des peines les concernant :
- Elles sont clairement aggravées à la nouvelle condamnation de l’individu qui a réitéré.
- En particulier la fréquence des peines de prison est bien plus importante : 26 % en
réitération contre 11 % à la première condamnation et la fréquence des mesures
éducatives prononcées en réitération, qui concernaient plus d’un condamné sur deux en
1999, se situe autour de 13 %.
- L’aggravation est toutefois progressive puisqu’il est rare de passer directement d’une
mesure éducative à une peine privative de liberté.
- Le taux de réitération varie selon la gravité de la peine initialement prononcée : il est
plus élevé quand le mineur a été condamné en 1999 à une peine privative de liberté :
entre 70 % et 80 % selon que la peine est ferme ou avec un sursis partiel ; 64 % pour
une peine de prison avec sursis total. A l’inverse, les taux de réitération sont
sensiblement plus bas quand le condamné est dispensé de peine (40 %) ou sanctionné
par une mesure éducative (49 %). Ces écarts s’observent quel que soit le type
d’infraction.
Si cette étude, essentiellement descriptive (elle décrit mais ne cherche pas à expliquer la
réitération) relève les principales caractéristiques de la réitération des mineurs, elle ne maîtrise
pas néanmoins les effets précités (de filtre, de trajectoire, de structure). De ce fait, certains
résultats, comme la variation de la réitération en fonction de la gravité de la peine sont à
relativiser.
17
Utilisant le casier judiciaire, cette étude appelle les mêmes remarques que la présente étude (voir note 27)
13
Réitération/récidive après une mesure de réparation prononcée par le parquet
En 2009, une étude commandée par le procureur général de la Cour d’appel (CA) de Paris à
l’audit de la DIR Ile de France avait pour objet de mesurer la réitération des mineurs après une
mesure de réparation alternative aux poursuites, en tenant compte des antécédents judiciaires
du mineur18. Des données ont été recueillies sur la quasi-totalité des mineurs pour lesquels une
mesure de réparation a été effectuée et clôturée en 2007 au TGI de Bobigny, soit 404 mineurs.
Les parcours judiciaire des mineurs ont été relevé en exploitant les données des logiciels Image
(DPJJ), Wineur et NCP (TGI de Bobigny) et par une consultation des dossiers dans les
associations. Cette étude répond également de manière satisfaisante aux critères de scientificité
exposés plus haut. Elle présente l'augmentation progressive du taux de réitération en fonction
de la durée écoulée et examine des critères qui l'expliquent. Les résultats montrent que le taux
de réitération prospectif se stabilise après 18 mois suivant la fin de la mesure à hauteur de 33
%. Le risque de réitérer est directement fonction de variables telles que le sexe, le nombre
d’antécédents, la commission d’une infraction durant la réparation, et de manière indirecte
selon la nature de l’affaire : les mineurs commettant IPDAP19 et ILS20 ont plus de risque de
réitérer que ceux qui ont commis des atteintes aux biens et aux personnes, mais parce que les
premiers ont plus d’antécédents dont la gravité intervient également. Il faut encore ajouter que
les mineurs qui ont été jugés au tribunal pour enfants (plutôt que d’avoir fait l’objet d’une
réponse parquet ou d’un jugement en cabinet), autrement dit qui ont probablement les
antécédents les plus graves, ont plus de risque de réitérer parce qu’ils ont parallèlement plus
d’antécédents et qu’ils commettent plus souvent une infraction durant la réparation que les
autres ;
Néanmoins, cette étude comporte des limites qui tiennent au caractère restreint du périmètre
étudié (TE de Bobigny), mais aussi au fait que l’étude montre bien des effets directs et
indirects, sans pour autant réussir à donner une importance relative à chacun. Ainsi on ne sait
pas en définitive départager lequel des effets est le plus important (âge, nombre d’antécédents).
Cf. DPJJ/SDK/K1/Pôle Recherche, DIRPJJ Ile de France, Cour d’Appel de Paris, Caractéristiques de la
réparation parquet et de la réitération ex post, janvier 2010.
18
19
20
Infraction à personne dépositaire de l’autorité publique.
Infraction à la législation sur les stupéfiants.
14
3. Les choix méthodologiques de la présente étude
Pour évaluer, de manière satisfaisante l’efficacité en termes de réitération d’un placement en
CEF, il faut donc satisfaire aux exigences exposées précédemment. Utiliser des sources de
données appropriées, définir sans ambigüités ni opacité les modes de calcul de la
récidive/réitération, enfin utiliser des analyses qui permettent de tenir compte des effets de
filtre, de trajectoire et de structure. Il ne s’agit pas de décrire, mais de tenter de démontrer s’il y
a un effet ou non du placement en CEF sur la réitération des mineurs 21.
Les sources de données :
Comme indiquées précédemment, les données utilisées proviennent de deux sources de
données différentes :
1- Un sondage réalisé en 2008 auprès des 13 CEF existants en 200622 dans lequel étaient
demandées les dates d’entrée et de sortie du CEF, les motifs de placement et les
incidents survenus au cours du séjour. Le placement de 435 jeunes a ainsi été interrogé
2- Les données du Casier National Judiciaire : le bulletin n°1 à été demandé pour chaque
mineur, puis saisi et codé dans une base de données spécialement construite pour cette
étude. Le parcours judiciaire de 358 jeunes a ainsi pu être enregistré. Pour 77 mineurs,
le casier judiciaire a fait défaut23.
La méthodologie utilisée :
Dans notre étude, nous privilégierons une étude en termes de réitération, en calculant des taux
prospectifs de réitération. La population concernée sera toujours les mineurs placés en CEF
entre 2003 et 2007, le critère retenu pour le début de l’observation sera soit la sortie du CEF
pour mesurer un taux de réitération après CEF, soit, et de manière plus exceptionnelle un an et
demi avant l’entrée en CEF pour mesurer un taux de réitération avant le séjour en CEF et le
comparer à celui observé après le séjour en CEF.
Le critère retenu pour l’analyse sera une nouvelle infraction commise après le début de
l’observation et ayant donné lieu à une condamnation inscrite au casier judiciaire. Enfin la
durée de l’observation sera variable selon les analyses menées. En effet, nous étudierons
l’évolution des taux de réitération dans le temps afin d’étudier par exemple si les réitérations
après un placement dans un CEF sont rapides ou non. Dans ce cas, nous ferons varier la fin de
l’observation.
Le taux utilisé dans l’étude correspond au quotient suivant :
Taux de réitération entre t 0 et t1 
Effectif a (t 0  t1 )
Effectif cohorte A
t0 est le début de l’observation (soit le sortie du CEF, soit 1 an et demi avant l’entrée)
t1 est la fin de l’observation.
Effectif a(t0 – t1) est le nombre de mineurs dans la cohorte A ayant commis une nouvelle
infraction entre les dates t0 et t1 ayant donné lieu à une condamnation inscrite au casier
judiciaire.
21
Avec les limites induites par l'usage du casier judiciaire (voir note 27).
Voir note 2 pour la liste.
23
Dont 69 sans précisions, 3 décès, 3 néants, 2 non exploitables.
22
15
Effectif cohorte A est le nombre total de mineur dans la cohorte.
La cohorte est, en fonction des analyses, l’ensemble des mineurs placés en CEF entre 2003 et
2007, qui ont telles ou telles caractéristiques (âge, antécédents, etc.).
Aucune des études citées précédemment ne parvient à maîtriser correctement les effets filtres,
les effets de trajectoire et les effets de structures. Si l’utilisation des taux comparatifs (DAPCESDIP) permet de contrôler les effets de filtre et de structure, elle ne peut tenir compte de ces
effets que lorsqu’ils sont peu nombreux (trois maximum) et surtout, elle ne permet pas de
maîtriser les effets de trajectoire. C’est pourquoi le choix a été fait d’utiliser un autre type
d’analyse, inédit dans le champ des études sur la réitération délinquantes : les analyses de
durée.
Ces analyses consistent d’une part à étudier comment évoluent les risques de réitérer (ou taux
de réitération prospectifs) dans le temps, avant de modéliser ce risque en fonction des éléments
de la trajectoire judiciaire du mineur, de ses caractéristiques sociodémographiques et des
caractéristiques du placement en CEF. Cette méthode permet de présenter des résultats qui
illustrent la part prise par ces effets.
Après avoir détaillé dans cette première partie les différents aspects méthodologiques
préalables à l’étude, nous présentons maintenant les résultats.
Partie 2 :
1. Caractéristiques démographiques des mineurs placés en CEF
2. Caractéristiques judiciaires
3. Typologie des délinquants à leur entrée au CEF
4. Les caractéristiques du placement en CEF
5. Les incidents en CEF
Partie 3 :
1. La réitération tend à diminuer en sortie de CEF par rapport à ce qu’elle était avant
2. La durée du placement effectif en CEF est un facteur important
3. Modélisation de la réitération après CEF
4. Un type de réitération par profil de délinquant
5. Les caractéristiques des réitérations après la sortie du CEF
6. Comparaison avec les données issus du casier judiciaire (1999-2004)
16
Partie 2 : Etude de la population entrant en CEF et des
caractéristiques du placement
1. Caractéristiques démographiques des mineurs placés en CEF
Une surreprésentation importante des garçons
Les garçons représentent 97 % de notre échantillon contre 85 % des mineurs mis en cause par
les services de police, gendarmerie24. Ainsi, les garçons sont surreprésentés en CEF, non
seulement par rapport aux mineurs dans la population générale, mais aussi par rapport aux
mineurs mis en cause.
Une surreprésentation des jeunes nés à l’étranger
Les mineurs nés à l’étranger représentent 14 % des mineurs de notre échantillon. Si l’Insee ne
fournit pas les chiffres de la population immigrée pour la tranche d’âges 13-18 ans, elle dispose
en revanche des chiffres de la population immigrée en 2006 pour les moins de 15 ans (5%) et
les 15-24 ans (9%)25. Ces chiffres permettent de conclure à une surreprésentation des mineurs
nés à l’étranger parmi les mineurs placés en CEF.
Par ailleurs, en 2005, les étrangers représentaient 14 % des mis en cause par les services de
police, gendarmerie (mineurs et majeurs confondus)26. Ce chiffre permet de penser que les
mineurs étrangers placés en CEF ne sont pas surreprésentés par rapport aux mis en cause.
Une prise en charge pour des jeunes mineurs
L’âge moyen à l’entrée en CEF est de 16 ans, très peu arrivent à l’âge minimum requit (2 % graphique 1) et quelques-uns y entrent à leur majorité (6 %).
Graphique 1 : Répartition des individus en fonction de leur âge à l’entrée en CEF (N=358)
100%
Effectif
80%
60%
33%
40%
24%
20%
2%
8%
13
14
27%
6%
0%
15
16
17
18
Age à l'entrée en CEF
24
Grand angle n° 17, Bulletin statistique de l’Observatoire National de la Délinquance, juin 2009
Rapport de la commission d’enquête sur la délinquance des mineurs, Sénat : 340 (2001-2002), p.37.
25
Source Insee, population étrangère et immigré, RP 2006, exploitation principale.
26
Grand Angle n°6, Bulletin statistique de l’Observatoire National de la Délinquance, mai 2006
17
2. Caractéristiques judiciaires
L’objectif de cette partie étant d’identifier la population entrant en CEF, les caractéristiques
judiciaires des mineurs présentées ici sont celles connues avant l’entrée des mineurs en CEF.
Nature des infractions : Violences et vol
Le tableau 1 (page suivante) présente pour chaque nature d’infraction la proportion de mineurs
de l’échantillon ayant commis au moins un acte de ce type.
Les infractions commises avant l’entrée en CEF sont marquées par les violences : 80 % des
mineurs ont commis au moins une atteinte à la personne, dont 15 % des agressions sexuelles
(sur mineurs et majeurs). D’autre part, 94 % des mineurs ont commis des atteintes aux biens,
surtout des vols aggravés. Les infractions à la réglementation de la circulation et des moyens de
transports concerne 29 % des mineurs et les infractions à la législation sur les stupéfiants et les
produits dopants en concernent moins d’un quart.
Domaine d’infractions préférentiel :
Toutefois, les mineurs placés en CEF sont multi-délinquants. Nous avons pour chacun d’entre
eux déterminé la catégorie d’infraction dans laquelle ils ont commis le plus d’infractions
(graphique 2). 78 % des mineurs de l’échantillon ont commis le plus grand nombre d’infraction
dans le domaine des atteintes aux biens. C’est dans ce domaine, plus propice à une délinquance
d’appropriation, ainsi que dans le domaine du trafic de stupéfiant que se constatent les
"répétitions". 18 % de mineurs se « spécialisent » dans les atteintes à la personne.
Graphique 2 : Répartition des mineurs de l’échantillon en fonction du domaine préférentiel
d’infractions (N=358)
4%
18%
Atteinte à la personne
Ateinte aux biens
Autre*
78%
18
Tableau 1 : % des mineurs ayant commis une infraction de telle nature avant
l’entrée en CEF
NATURE DE L’AFFAIRE (NATAFF)
A - Atteinte à la personne humaine
A1 Homicide volontaire
A3 Atteinte corporelle volontaire sur majeur
A32
A35
A36
A37
A4
A6
A7
7,9
49,9
7,9
31,1
Agression sexuelle sur majeur
Violences sans ou avec ITT inférieure ou égale à 8 jours
Violences avec ITT supérieure à 8 jours
Violences envers l'autorité publique
16,7
Atteinte corporelle volontaire sur mineur
A42
A43
A5
Fréquence (en %)
80,1
0,9
69,2
8,5
7,6
Agression sexuelle sur mineur
Mauvais traitements, violences sur mineurs
Atteinte corporelle involontaire
6,2
A57
5,3
Mise en danger d'autrui/provocation au suicide
3,8
18,2
Atteinte à la vie privée
Atteinte à la dignité de la personne
A74
17,9
Menaces, chantage
B - Atteinte aux biens
B2 Vol aggravé
B21
B22
B23
B25
B26
B3
B4
B5
B6
16,7
12,3
22,0
24,1
79,8
Vol à l'arraché
Autres vols avec violence
Vol avec effraction ou escalade
Vol avec dégradation
Autres vols aggravés
Vol simple
Recel et infractions assimilées
55,4
33,7
B41
B42
32,3
4,7
Recel de vol
Recel autre que d'objet volé
Détournement
20,8
B53
19,7
Extorsion
8,2
Escroquerie
B61
B7
94,1
84,2
7,0
Escroquerie simple
Destruction - dégradation
64,8
B71
B72
23,2
59,2
Destruction ou dégradation de biens publics ou menace
Destruction ou dégradation de biens privés ou menace
C - Atteinte à l'autorité de l'Etat
C2 Armes, explosifs et autres moyens dangereux
C21
C5
16,4
Infractions législation acquisition, port et détention d'arme
10,6
Atteinte à l'ordre administratif et judiciaire
C51
C53
C6
47,5
17,3
3,8
3,2
Outrage à autorité de justice/obstacle
Obstacle à autorité administrative/violation de décision administrative
Atteinte à l'autorité publique
31,4
C61
31,1
Outrage à agent, rébellion
E - Infractions financières
E34
5,6
4,4
Falsification, utilisation de moyen de paiement volé, falsifié
G - Infraction en matière de santé publique
G1 Infraction à la législation sur les stupéfiants et les produits dopants
G11
G14
G16
G17
22,0
22,0
16,1
13,2
5,0
7,6
Usage de stupéfiant
Détention de stupéfiants
Transport non autorisé de stupéfiants
Trafic de stupéfiants
I - Infraction réglementation de la circulation et des moyens de transports
I1 Infraction à capacité de conduite
I11
I2
29,0
22,6
20,8
Défaut de permis de conduire
Infraction règles de conduite
13,2
I22
I23
3,8
10,6
Délit de fuite
Refus d'obtempérer, refus de vérification
Lecture : 8 % des mineurs de l’échantillon ont commis une agression sexuelle sur majeur.
19
Gravité des infractions
A partir de l’ensemble des infractions (7825) commises par les mineurs de l’échantillon, une échelle
de gravité a été élaborée à partir notamment du quantum des peines (cf. l’annexe n°1). Elle comprend
7 niveaux dont le premier contient les crimes les plus graves et le deuxième les autres crimes et les
délits les plus graves. Dans l’échantillon, moins de 20 % ont commis des infractions très graves (type
crime), une grande majorité ont commis des infractions de type délit.
Graphique 3 : Répartition des effectifs de mineurs en fonction de l’infraction commise la plus grave
(N=358)
60
Fréquence (en %)
50
40
30
20
10
0
1
2
3
4
5
Niveau de gravité (1=très grave à 7=peu grave)
Remarque : Il n’y a pas d’observation de niveaux 6 et 7 dans l’échantillon.
Nombre d’infractions ou intensité de la délinquance
Les mineurs placés en CEF ont commis en règle générale plusieurs infractions, de 1 à 50, et 13
infractions en moyenne avant d’entrer en CEF. Rapportée à la durée d’observation (durée entre la
première infraction connue et l’entrée en CEF), l’intensité délictuelle est de l’ordre de 7 infractions
par an, variant de 1 à 46 infractions au maximum.
Les récidivistes (récidive légale)
Si les infractions commises avant l’entrée en CEF sont nombreuses, la récidive légale ne concerne
que 10 % des mineurs à leur entrée en CEF.
Des parcours de délinquance inscrits dans la durée
La durée moyenne qui sépare la première infraction et l’entrée en CEF est de 683 jours, soit un peu
moins de 2 ans. Les graphiques 1 et 2 retracent chaque parcours délinquant et note par un code
couleur la progression semestrielle en gravité ou en nombre d’infractions.
Ces graphiques donnent un premier aperçu des parcours délinquants des mineurs placés en CEF,
s’inscrivant dans une durée quelquefois longue et marquée par des quantités et des intensités des
infractions qui sont assez diverses.
Ces graphiques montrent que :
o les mineurs qui entrent en CEF le plus rapidement, moins d’un an après la 1ère
infraction, ont commis souvent des actes très graves à l’inverse de ceux qui entrent en
CEF après plusieurs années de délinquance, qui moins nombreux à avoir commis des
infractions très graves.
20
o L’intensité des parcours délinquant va en augmentant : la fréquence des infractions
augmente sensiblement au cours du temps pour un certain nombre de parcours.
Graphique 4 : Parcours délinquants et gravité semestrielle des infractions (N=358)
Temps de délinquance
avant l’entrée en CEF
5 ans
4 ans
Infraction la plus grave au cours du semestre
Aucun
Peu grave
Très grave
3 ans
2 ans
1 an
11 %
25 %
43 %
59 %
76 %
88 %
94 % 98 %
% de parcours délinquant
Lecture : Le parcours de chaque délinquant est représenté par une ligne verticale, qui change de
couleur en fonction de la gravité de l’infraction la plus grave commise au cours de chaque semestre
depuis la première infraction relevée. Ces parcours sont classés de gauche à droite, des plus courts
au plus long, puis selon leur gravité. Le graphique montre que les mineurs qui entrent en CEF moins
d’un an après la 1ère infraction ont commis moins d’actes mais des actes très graves à l’inverse de
ceux qui entrent en CEF après plusieurs années de délinquance : plus de blanc dans l’ensemble au
fur et à mesure.
21
Graphique 5 : Parcours délinquants et nombre d’infractions commises chaque semestre depuis la
1ère infraction (N=358)
Temps de délinquance
avant l’entrée en CEF
5 ans
4 ans
Nombre d’infractions au cours du semestre
4-6
1
0
2-3
11-15
7-10
16 et +
3 ans
2 ans
1 an
11 %
25 %
43 %
59 %
76 %
88 %
94 % 98 %
% de parcours délinquant
Lecture : Le parcours de chaque délinquant est représenté par une ligne verticale, qui change de
couleur en fonction du nombre d’infractions commises au cours de chaque semestre depuis la
première infraction relevée. Ces parcours sont classés des plus courts au plus long, puis selon leur
nombre d’infractions. Le graphique illustre le nombre d’infractions par an au cours du parcours et
du temps passé dans la délinquance : après un premier semestre rempli, le nombre d’infractions tend
à diminuer (part des blancs) jusqu’à une recrudescence qui précède l’entrée en CEF (le haut de
chaque ligne est plus coloré).
L’âge de début des infractions
L’âge moyen à la première infraction est d’environ 14 ans. Le graphique 6 donne la répartition de
l’âge à la première infraction relevée. Les mineurs de moins de 13 ans à la première infraction
relevée représentent moins de 10 % de l’échantillon. C’est surtout entre 13 et 16 ans qu’ont débuté
les parcours de délinquance des mineurs de l’échantillon.
22
Graphique 6 : Répartition des individus en fonction de leur âge à leur 1ère infraction (N=358)
100%
Effectif
80%
60%
40%
25,9%
26,8%
22,6%
12,6%
20%
0,3%
0,3%
1,7%
9
10
11
6,9%
2,5%
0,3%
17
18
0%
12
13
14
15
16
Age à la première infraction
Un tiers de l’échantillon a déjà été incarcéré
Un peu plus d’un mineur sur trois a déjà été en prison avant d’entrer au CEF (graphique 7). Pour plus
des deux tiers d’entre eux, le(s) séjour(s) en prison n’a (n’ont) pas excédé 3 mois.
Graphique 7 : Répartition des individus en fonction des antécédents d’incarcération (N=358)
8%
3%
n'a jamais fait de la prison
une fois en prison de - de 3 mois
une fois en prison de + de 3 mois
plusieurs fois en prison - 3 mois
plusieurs fois en prison+ 3 mois
6%
18%
65%
Des mineurs placés en CEF en attente de leur jugement
96 mineurs de l’échantillon (soit 27% du total) sont placés en CEF en attendant d’être jugé pour la
première fois et ces mineurs ne sont donc pas considérés (juridiquement) comme réitérant à l’entrée
en CEF au regard du casier judiciaire.
Les juridictions ne jugent pas les infractions d’un mineur dans l’ordre où elles sont commises,
certaines pouvant mettre du temps à être élucidées. Un mineur peut être ainsi placé en CEF dans le
cadre d’un contrôle judiciaire en attendant son jugement, en alternative à la détention provisoire. Le
bon déroulement du placement en CEF entrera en ligne de compte dans l’éventuelle condamnation
qui sera prononcée par la suite.
3. Typologie des délinquants à leur entrée au CEF
Les quelques caractéristiques sur les parcours judiciaires données précédemment permettent de se
faire une première idée du type de délinquance concernée, mais elles peinent à donner une idée des
types de délinquants (qui prendrait en compte à la fois l’ampleur des parcours de délinquance, leur
gravité et leur intensité). Aussi, nous proposons ici d’établir une typologie des délinquants à l’entrée
en CEF.
23
Pour ce faire, nous avons choisi de réaliser une analyse factorielle sur les variables décrivant les
caractéristiques pénales des mineurs avant leur entrée en CEF :
- le nombre de passage en prison en tenant compte de la durée du plus long séjour,
- le nombre de révocation de sursis,
- la plus haute instance ayant prononcé un jugement,
- le type de la condamnation la plus sévère en tenant compte du nombre de condamnation,
- l’existence d’une récidive légale,
- le domaine préférentiel de délit,
- le niveau de gravité théorique27 du délit le plus grave,
- le niveau de gravité théorique du délit le plus fréquemment commis,
- la durée écoulée entre la première infraction connue et l'entrée en CEF,
- le nombre d'infractions commises à des dates différentes durant cette durée,
- le type de jugement,
- l’âge à la première infraction.
L’objectif était de tenir compte en même temps d’un maximum d’éléments distincts pour décrire le
parcours délinquant.
L’effectif des femmes étant trop insuffisant pour apprécier une quelconque spécificité. Les mineures
n’ont pas été directement intégrées à l’analyse factorielle, mais ajoutées en «individus
supplémentaires ».
La représentation graphique issue de cette analyse permet de visualiser les oppositions et les groupes
suivants (graphique 8).
- Le premier axe factoriel horizontal oppose ceux qui font peu de délits et qui ne sont pas
encore jugés avant leur entrée en CEF aux multi-réitérants (nombreux délits à leur actif et
déjà condamnés avant leur entrée en CEF).
- Le deuxième axe s’interprète davantage en fonction de la « gravité » des actes commis et
oppose ceux qui ont déjà été condamnés à de l’emprisonnement par le tribunal à ceux pour
lesquels des mesures éducatives ont été prononcées.
27
La gravité a en effet été déterminée à partir du quantum de peine encouru par la nature d’affaire retenue.
24
-1
étranger
infr. la + svt commise en 4
atteinte aux biens
entre 10 et 15 délits
infr. la + grave en 2
1 fois en prison < 3 mois
1ère infr. entre 16 et 18 ans
1 an entre 1ère infr. et CEF
jugé après CEF
plsr. ME
juge
-2
-1
0
>2,5 ans entre 1ère infr. et
Axe 1 (6,79%)2
0
1
CEF
2 ans entre 1ère infr. et CEF
jugé pdt CEF
Atteinte aux personnes
1 fois en prison > 3 mois
entre 5 et 10 délits
jamais en prison infrac. la + grave en 1
5 délits commis max.
infr. la + svt commise en 5
infr. + svt commise en 1 et 2
1ère infr à - 12 ans
plsr. Emp. Sursis + ME
tribunal
plsr. Emp. avec sursis
1
pl. conda. à de l'emp. ferme
plsr empr. ferme + ME
Axe 2 (14,75%)
Graphique 8 : Représentation graphique des modalités sur les deux premiers axes factoriels
25
Une classification ascendante hiérarchique (CAH- réalisée à partir des coordonnées des
individus sur les deux premiers axes factorielles) permet de distinguer plusieurs groupes :
-les non-réitérants (26%) au sens où, au moment d’entrer en CEF, ils n’ont encore jamais
été condamnés.
Quoique qu’un plus faible nombre d’infractions leur soient reprochées (en moyenne 8
infractions à des dates différentes), ils sont en revanche poursuivis pour les faits les plus
graves, la plupart étant des atteintes aux personnes28. C’est aussi la raison pour laquelle, ils
sont placés en CEF rapidement après leur première infraction, dans le cadre d’un contrôle
judiciaire.
Ces jeunes présentent un parcours qui ne s’inscrirait pas dans la chronicité (durée, fréquence)
mais relèverait plutôt de l’évènement (criminel ou délictuel).
- les multi-réitérants (74%), présentent une délinquance « expérimentée » avec en moyenne
plus de 10 infractions à leur actif avant d’entrer en CEF et pour lesquels ils ont d’ailleurs déjà
été condamnés. Inscrits depuis longtemps dans la délinquance (plus de deux ans entre la
première infraction et l’entrée en CEF), ils sont, par ailleurs, coutumiers des atteintes aux
biens (délinquance d’appropriation), infractions jugées de gravité moyenne avec
occasionnellement des infractions relevées d’un niveau plus élevé29, dans le domaine des
atteintes aux personnes.
Les multi-réitérants se distinguent en deux sous-groupes.
- Les “ancrés” (58 %) ont commis au moment de leur entrée en CEF en moyenne 15
délits dont 8 ont été jugés. Ils ont quasiment tous été condamnés par un tribunal pour
enfants à des peines de prison (ferme ou avec sursis) au vu de la gravité de leur
infraction.
- A l’inverse, les “précoces” (16 %) ont commis leur plus grave infraction plus jeune
que les “ancrés” (l’âge moyen à leur dernière condamnation avant d’entrer en CEF est
de 14,8 ans contre 15,8 ans pour les “ancrés”). Ils ont fréquemment été jugés plus
rapidement30, par le juge des enfants (et non par le tribunal, vu leur jeune âge) qui a
prononcé des mesures éducatives et non des peines de prison31. Ils entrent plus jeune
en CEF, ont commis en moyenne 11 délits dont 2 seulement ont été jugés.
Les filles et les étrangers se répartissent indifféremment dans ces trois profils de délinquants.
Finalement, ce qui différencie le plus ces trois groupes est le fait d’avoir ou non été déjà
condamné avant d’entrer en CEF, la gravité et le domaine d’infraction, et enfin l’âge des
premières infractions relevées par la justice. Les caractéristiques des trois groupes de
délinquants ainsi distinguées sont données dans le tableau 2.
28
Les infractions portant sur des atteintes aux personnes sont considérées comme les infractions les plus graves
Cf. Annexe Tableau 3.1.1.3
29
Echelle de gravité allant du niveau 1 ( le plus grave) au niveau 7 (le moins grave).
30
Le jugement à délai rapproché, par exemple, n’est applicable qu’aux mineurs auteurs de délits d’une certaine
gravité.
31
Les sanctions diffèrent selon l’âge : pour un mineur de moins de 13 ans, aucune mesure ne peut être
appliquée ; un mineur âgé entre 10 et 13 ans ne peut faire l'objet que de mesures éducatives ; pour un mineur de
plus de 13 ans, des mesures éducatives peuvent être ordonnées, ainsi qu'une peine pénale si les circonstances et
la personnalité du mineur l'exigent.
26
Tableau 2 :
Variables
Principales caractéristiques des classes de délinquants:
Non-réitérants “Ancrés”
PLUS HAUTE CONDAMNATION
Pas de condamnation
Emprisonnement ferme
Emprisonnement sursis
Peines hors emprisonnement et/ou mesure éducative
(n=90)
(n=202)
“Précoces” ”
(n=57)
100%
0%
0%
0%
0%
31%
63%
6%
0%
0%
0%
100%
PLUS HAUTE INSTANCE AYANT PRONONCE UNE CONDAMNATION
Tribunal Pour Enfant
0%
99%
Juge des Enfants
0%
1%
Pas de condamnation
0%
100%
9%
91%
0%
NIVEAU DE GRAVITE ELEVE 32
Niveaux 1 et 2 (le plus élevé)
Niveau 3
Niveaux inférieurs à 3
19%
16%
66%
5%
8%
87%
9%
9%
81%
NIVEAU DE GRAVITE MOINDRE
Niveaux 7 (le plus élevé)
Niveau 6
Niveaux supérieurs à 6
27%
7%
67%
15%
19%
66%
21%
6%
74%
AGE A LA PREMIERE INFRACTION
Part des mineurs ayant une 1ère infraction avant l’âge de 2 %
12 ans
TYPE D’INFRACTION LES + FREQUENTES
Atteintes aux personnes
36%
Atteintes aux biens
64%
11 %
16 %
11%
89%
18%
82%
SEJOURS EN PRISON (y compris détention provisoire)
Pas de prison
72%
Un séjour
22%
Plusieurs séjours
6%
57%
28%
15%
85%
13%
2%
378
830
664
1
15
-
5
24
15,8
3
5
14,8
14.7
15.42
-
13,859
15.942
13,849
15.453
7.96
15.74
16.07
1,87
10,43
15,62
DUREE écoulée entre la 1ère infraction et l’entrée en
CEF
Filles
Etranger
AGE MOYEN A LA DERNIERE
CONDAMNATION AVANT CEF
AGE MOYEN A LA PREMIERE INFRACTION
AGE MOYEN A LA PLUS GRAVE INFRACTION
NOMBRE MOYEN DE DELITS JUGES AVANT
CEF
NOMBRE MOYEN D’INFRACTIONS
AGE MOYEN D’ARRIVE EN CEF
7,88
15,7
Remarques : Le test du χ² (prononcer « khi-deux ») permet de déterminer, à un seuil donné, la validité d'une
hypothèse en mesurant l'écart entre la distribution d’un phénomène observé et celle que l'on aurait, en théorie.
Les variables présentées présentent une dépendance avec les classes d’après le test du Khi². Les valeurs en
caractère gras sont celles qui contribuent le plus au Khi-deux. Les valeurs en caractère gras et en italique sont
celles où il existe une différence de moyenne statistiquement significative entre les classes.
32
La table de gravité est en annexe.
27
4. Les caractéristiques du placement en CEF
Des placements majoritairement « pré-sentenciels »
Près des trois quarts des mineurs de l’échantillon (76 %) sont placés en CEF en alternative à
de la détention provisoire par une mesure « pré-sentencielle ».
D’autres (12%) sont placés en CEF en alternative à la prison dans un cadre « postsentencielle ».
Certains des mineurs placés en CEF dans le cadre d’un contrôle judiciaire ont été jugés
pendant leur séjour (2%).
Des durées de séjour variables :
Les mineurs de l’échantillon entrent au CEF en moyenne à 16 ans et restent en moyenne 6
mois (188 j.) avec des séjours s’étalant de 1 jour à 3 ans et demi (écart-type= ~ 5mois : 147
j.). L’âge à l’entrée reste stable, mais le temps de séjour augmente de 2003 à 2006, passant de
4 à 6 mois durant cette période.
Un tiers des jeunes de l’échantillon sont restés moins de 4 mois en CEF (graphique 9). Un
tiers sont restés entre 4 et 6 mois. Un tiers sont restés plus de 6 mois.
L’analyse qui suit permet de dégager les facteurs de risques d’une sortie précoce du CEF.
Graphique 9 : Répartition des jeunes de l’échantillon en fonction de la durée passée en CEF
16
14
Effectifs (en %)
12
10
8
6
4
2
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14 et
+
Durée du placement (en mois)
28
Tableau 3 : Durées passées en CEF en fonction des caractéristiques des antécédents
et du placement
Variables
Incident durant le CEF
Age à l’arrivée en CEF
Infraction la plus grave
Gravité la plus fréquente
Spécialité dans les atteintes à
la personne
Violence*
Intensité de la délinquance
(Nb d’infraction par semestre)
Prison avant CEF
Un 1er jugement a eu lieu
Révocation sursis**
Durée qui sépare le 1er
jugement de l’entrée en CEF**
Modalités
Non
Durée passée en CEF
inférieur Entre 4 et 7 Supérieur
à 4 mois
mois
à 7 mois
32%
29%
39%
100 % (n=215)
Total
Oui
43%
32%
25%
100 % (n=143)
16 à 18 ans
38%
33%
29%
100 % (n=235)
13 à 15 ans
33%
26%
41%
100 % (n=123)
Niveau 1
33%
19%
48%
100 % (n=63)
Niveaux 2-7
38%
33%
29%
100 % (n=278)
Niveau 1 et 2
24%
24%
53%
100 % (n=34)
Niveau 3
26%
34%
39%
100 % (n=38)
Niveau 4
42%
29%
29%
100 % (n=237)
Niveau 5
Non
Oui
Pas de
violence
Violence
Violence ++
Agression
sexuelle
24%
39%
25%
39%
31%
29%
37%
30%
46%
100 % (n=49)
100 % (n=282)
100 % (n=59)
36%
36%
28%
100 % (n=69)
42%
22%
26%
52%
32%
26%
100 % (n=174)
100 % (n=46)
35%
17%
48%
100 % (n=52)
Moins de 2
29 %
34 %
37 %
100 % (n=94)
Entre 2 et 5
37 %
34 %
29 %
100 % (n=161)
5 et plus
45 %
35 %
20 %
100 % (n=86)
Non
33%
30%
38%
100 % (n=233)
Oui
43%
32%
25%
100 % (n=125)
Avant CEF
39%
32%
29%
100 % (n=262)
Après CEF
Aucune
révocation
révocation
29%
25%
46%
100 % (n=96)
38%
32%
30%
100 % (n=232)
50%
33%
17%
100 % (n=30)
- de 6 mois
6 à -12 mois
12 à -18 mois
32%
34%
52%
40%
34%
22%
29%
32%
26%
100 % (n=63)
100 % (n=68)
100 % (n=50)
18 mois et +
41%
32%
27%
100 % (n=81)
36%
30%
33%
N=358
Total
* Agression sexuelle= A32 et A42, violence++ = ceux qui ont commis des atteintes à la personne A1, A35, A43,
violence = ceux qui ont commis d’autres atteintes à la personne + vols avec violence B21 et B22.
** uniquement pour ceux qui ont déjà été jugé au moins une fois avant leur entrée en CEF
Remarques : Toutes les relations des variables présentées avec la durée passée en CEF sont significatives à 5%, sauf
l’âge à l’arrivée en CEF et l’intensité de la délinquance, significative à seulement 10 % (test du Khi2). Lecture : 32 %
des mineurs pour lesquels il n’a pas été signalé d’incident au cours du séjour en CEF sont restés moins de 4 mois en
CEF contre 43 % pour ceux où il a été signalé un incident. 39 % des mineurs pour lesquels il n’a pas été signalé
d’incident au cours du séjour en CEF sont restés plus de 7 mois en CEF contre 25 % pour ceux où il a été signalé un
incident.
29
Le tableau 3 fournit les corrélations simples33 de chaque variable avec la durée de placement :
- Les sorties précoces du CEF (moins de 4 mois passés en CEF) concernent davantage
o ceux pour qui un incident à été signalé au cours du placement en CEF,
o ceux qui commettent le plus fréquemment des infractions de moyenne gravité,
o ceux qui ont commis beaucoup d’infractions,
o ceux qui ont été en prison,
o ceux qui ont déjà été condamné au moins une fois avant d’entrer en CEF,
 ceux parmi ces derniers qui ont déjà eu une révocation de sursis
 ceux parmi ces derniers pour qui le délai entre le 1er jugement et
l’entrée en CEF dépasse un an.
-
A l’inverse, restent davantage dans la durée en CEF :
o les auteurs d’agression sexuelle,
o les jeunes dont la majorité des infractions commises sont des atteintes à la
personne
o les mineurs qui ont commis des infractions très graves.
Les autres variables testées (sexe, nationalité, décision pré ou post sentencielle, etc.) n’ont
pas de corrélations significatives avec la durée passée en CEF.
Cependant, cette première analyse descriptive ne permet pas d’affirmer par exemple que
connaître un incident au cours du placement constitue un risque de sortie. Pour déterminer si
une variable représente réellement un risque de sortie précoce, il faut contrôler l’ensemble
des variables (« toutes choses égales par ailleurs ») et donc proposer une modélisation de la
durée de placement en CEF en fonction des antécédents judiciaires et de la présence ou non
d’incident au cours du placement.
Nous présentons ici trois modèles explicatifs de la durée passée en CEF (modèles de Cox 34) :
- le premier rassemblant tous les jeunes de l’échantillon,
- le deuxième concerne uniquement ceux qui n’ont encore jamais été jugés avant
d’entrer en CEF (les « non réitérants »),
- le troisième modèle concerne les « ancrés » (tableau 4).
Ainsi, les “non-réitérants” restent plus longtemps en CEF que les “ancrés” et les déterminants
de la durée effective passée en CEF sont différents en fonction de ces deux sous-populations.
- Pour les “non-réitérants” : les auteurs d’agression sexuelle et les mineurs entrés en
CEF avant l’âge de 15 ans restent davantage en CEF que les autres.
- Pour les “ancrés” : Avoir déjà été en état de récidive ou avoir déjà été en prison ou
encore être entré en CEF plus d’un an après le 1er jugement favorise les risques de
sortie précoce du CEF.
Si les mineurs qui connaissent des incidents au cours du placement restent moins longtemps
au CEF (tableau 3), c’est parce que ces mineurs sont aussi fréquemment des “ancrés” ou des
mineurs auteurs de violences ; à profil de délinquant comparable (tableau 4), la survenue
d’incident durant le placement ne constitue pas un risque de sortie précoce du CEF.
33
Il s’agit de tris croisés simples dans lesquels « toutes choses ne sont pas égales par ailleurs ».
Lorsque l’on souhaite expliquer le délai de survenue d’un événement partiellement connu (les sujets pour
lesquels on ne connaît pas l’état à la date de fin de l’observation ou ceux dont la réponse par rapport à la
survenue de l’événement est négative), il est utile de pouvoir prendre en compte simultanément l’effet de
plusieurs caractéristiques du sujet, de sa situation, etc. Le modèle de Cox le permet. Cf. Cox, D. R. 1972.
“Regression Models and Life Tables (with Discussion).” Journal of the Royal Statistical Society, Series B
34:187—220 ; Cox, D. R. & D. Oakes. 1984. Analysis of Survival Data. London: Chapman and Hall.
34
30
Cette analyse montre finalement que le risque de sortie précoce du CEF est plus
important pour les mineurs pris en charge tardivement et qui ont déjà un certain passé
délinquant derrière eux.
Tableau 4 : Modélisation de la durée de placement en fonction des antécédents, des
caractéristiques du placement et des caractéristiques démographiques
Variable
Tous
Rapport de chances
Non réitérant
Ancrés
ANTECEDENTS
Profil
Ancrés
Non réitérant
1.405**.
Réf
Prison effective
N’a jamais été en prison
A déjà été en prison
Réf.
1.321**
Réf.
0.884
Réf.
1.418**
0.741
0.500*
0.955
0.852
1.036
0.866
Violence /domaine de spécialisation
A commis une agression sexuelle n=52
A commis des violences ++ (A1, A35, A43, et
spécialisation dans les atteintes à la personne) n=66
A commis des violences moins grave et est spécialisé
dans un autre domaine que les atteintes à la personne
n=174
N’a pas commis de violence n=42
Réf.
Réf.
Réf.
0.856
1.189
0.814
Intensité de la délinquance
Faible (-de 2 infractions/6 mois)
Moyenne 2-5 infractions /6 mois)
Forte (+5 infractions/6 mois)
0.949
Réf.
1.090
0.808
Réf.
0.917
1.039
Réf.
1.164
Durée entre le 1er jugement et l’entrée en CEF
Moins de 1 an
Plus de 1 an
0.777*
Réf.
Récidive
A déjà été en état de récidive légale
N’a jamais été en état de récidive légale
1.486**
Réf.
Révocation de sursis
Oui
Non
1.326
Réf.
CARACTERISTIQUES CEF
Décision post-sentencielle
Décision pré-sentiencielle
0.927
Réf.
1.249
Réf.
0.877
Réf.
Entrée en CEF entre 13 et 15 ans
Entrée en CEF après 15 ans
0.864
Réf.
0.554**
Réf.
1.005
Réf.
N’a pas commis d’incident(s) pendant le CEF
Réf.
Réf.
Réf.
A commis incident(s) pendant le CEF
0.891
0.805
0.834
Effectifs
N=341
N=90
N=251
* significatif à 10%, ** à 5 %.
Lecture : L’ensemble des variables introduites dans le modèle représentent l’ensemble des variables contrôlées,
cependant, seuls les chiffres (rapports de chances) en gras peuvent être lus et représentent des résultats. Un rapport de
chances inférieur à 1 signifie que la sortie du CEF a lieu moins rapidement que pour la modalité de référence, toutes
autres variables du modèle égales par ailleurs. A l’inverse un rapport de chance supérieur à 1 signifie que la sortie du
CEF a lieu plus rapidement que pour la modalité de référence. Par exemple : les « ancrés » restent moins longtemps
en CEF que les « non-réitérant ».
31
5. Les incidents en CEF
Des incidents au début du placement :
L’article 33 de l’ordonnance n°45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante
prévoit que « la violation des obligations auxquelles le mineur est astreint en vertu des
mesures qui ont entraîné son placement dans le centre peut entraîner, selon le cas, le
placement en détention provisoire ou l’emprisonnement du mineur ».
Lors de l’ouverture des deux premiers CEF en 2003, des incidents sont survenus faisant
polémiques sur l’efficacité et le fonctionnement de ces structures. Quatre fugues dans le CEF
du village de Sainte-Eulalie en Gironde dans les trois premiers mois. Certains ont réintégré le
CEF sur décision du juge des enfants estimant que « les fugues font parties du
fonctionnement classique de l’institution », d’autres ont été envoyé en prison35.
Ainsi les « incidents » considérés comme tels par les directeurs de CEF qui les signale,
n’aboutissent pas systématiquement à l’arrêt du placement.
Dans l’enquête, les données recueillies ne permettent pas de savoir avec exactitude si la sortie
du CEF est directement liée à l’un des incidents signalés36. En revanche, elle renseigne sur la
date de l’incident. Ainsi, les incidents (les plus fréquents étant des fugues) se produisent
principalement en début de séjour (graphique 9). En effet, près d’un mineur sur cinq
connaissent au moins un incident dans les quinze premiers jours suivants le placement.
Par ailleurs, si la fréquence des incidents diminue ensuite, il s’agit pour une part d’un effet de
filtre puisqu’une partie des jeunes ayant eu un incident dans les premiers jours du placement
quittent le CEF. Restent ainsi au CEF les jeunes dont la propension à l’incident est moindre.
Nombre de mineurs ayant connu au moins
un incident dans la quinzaine pour 100 mineurs
Graphique 10 : Pourcentage de mineurs ayant connu un incident pour 100 mineurs par
quinzaine de jours
25
20
15
10
5
0
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
Durée écoulée depuis le début du placement (en quinzaine de jours)
35
Muchielli, L., Les « centres éducatifs fermés » : rupture ou continuité dans le traitement des mineurs
délinquants ?, Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », n°7,2005.
36
Le terme « d’incident » n’a pas été défini dans le questionnaire. De ce fait les enquêtés ont répondus selon
leur sensibilité, de plus, il n’a pas été explicitement demandé si l’incident avait entrainé une main levée du
placement.
32
Cette surreprésentation des incidents à l’ouverture de la structure et en début de placement du
mineur est commentée de plusieurs façons.
-Une explication générale de la psychologie :
L’entrée en CEF peut susciter des difficultés « traumatiques » liées soit à la séparation du
mineur avec son milieu naturel, soit à la situation d’enfermement, notamment pour ceux qui
ne supportent pas de se voir limiter leur recours à l’agir renforcé notamment par un contrôle
permanent du mineur. Ceux-ci sont en permanence en présence d'adultes dans le partage
d'activités quotidiennes, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'établissement dans les premiers
temps du placement.
Toutefois, l’idée selon laquelle l’âge à l’arrivée en CEF favoriserait ou non la présence
d’incident n’est pas fondée dans notre cas37.
-l’explication plus pragmatique qui tient aux règles de gestion instaurées dans chaque
CEF et aux pratiques des magistrats :
Les précisions données par les directeurs de CEF eux-mêmes sur ce qui a lieu dans leur
établissement conduisent à une autre interprétation du calendrier des incidents. C’est le cas de
ce directeur de CEF qui nous informe de la pratique du parquet dans son département, qui ne
demande jamais la révocation du CJ ou du SME lorsqu’un mineur fugue considérant que ce
n’est pas un délit alors même qu’ils pourraient révoquer le CJ en cas de fugue pour non
respect des conditions du placement. Il évoque également les pratiques éducatives de
l’établissement où les dépôts de plainte sont moins nombreux, aujourd’hui, « car les jeunes
se transmettent à leur arrivée notre intransigeance [face aux incidents].»
- Une diminution des incidents après 2004
Les incidents tendent à être moins nombreux après 2004 (en moyenne 0,54 incident par
mineur en 2004 contre 0,31 en 2006) du fait d’un meilleur fonctionnement des CEF quatre
ans après leur création. 2002-2004 pourrait ainsi être considéré comme une période de
« rodage » des CEF.
37
Indépendance statistique entre l’âge à l’entrée et la survenue d’incident.
33
Partie 3 : La réitération après le passage en CEF
Un jeune sera considéré comme réitérant s’il a commis au moins une infraction entre sa sortie
de CEF et la fin de l’observation38. Ainsi, un jeune sera considéré comme réitérant, dans le
cadre de cette étude, parce qu’il a commis une infraction après sa sortie de CEF, même s’il
n’a jamais été condamné auparavant.
1. La réitération tend à diminuer en sortie de CEF par rapport à ce
qu’elle était avant le placement
Pour évaluer l’impact d’une mesure judiciaire en termes de réitération de mineurs
délinquants, nous proposons de comparer le taux de réitération un an après la sortie du CEF
avec un taux de réitération « témoin » calculé de la même manière cette fois à partir d’une
date arbitrairement choisie avant l’entrée en CEF (soit un an et demi avant l’entrée en CEF 39.
Le graphique 11 présente l’évolution sur un an des taux de réitération instantanés avant CEF
et après la sortie de CEF 40.
La courbe des taux de réitération avant CEF est significativement différente de celle des taux
de réitération après la sortie du CEF. Elle est toujours supérieure à cette dernière. Le taux de
réitération témoin avant CEF à 1 an est de 90 % avant CEF et de 70 % après la sortie du CEF,
soit une diminution de la réitération de près de 20 % sur un an après la sortie du CEF.
On tient ici un premier résultat qui va dans le sens d’un impact positif du placement en CEF
sur la réitération. Il s’agit maintenant d’approfondir ce résultat.
38
Ainsi, un jeune pourra être considéré comme réitérant parce qu’il a commis une infraction après sa sortie de
CEF et ce même s’il n’a jamais été encore condamné par la Justice.
39
Le réitérant avant CEF est celui qui a commis deux infractions : une infraction avant ou pendant la période
d’observation choisie (entre un an et demi et 6 mois avant l’entrée en CEF) et une autre infraction au cours de
cette période.
40
Le mode de calcul des deux indices se fait à partir d’une analyse de durée, plus particulièrement à partir des
courbes de Kaplan-Meier qui permettent de décrire au cours du temps les risques de réitérer.
L’estimateur de Kaplan-Meier (ou fonction de séjour) peut être vu comme le simple rapport du nombre
d’individus ne connaissant pas l’évènement d’intérêt (ici une infraction) à un instant donné sur le nombre
d’individus soumis au risque de connaître l’évènement à cet instant.
Nous présenterons dans un premier temps, à chaque instant t l’inverse de l’estimateur de Kaplan-Meier (1-S(t)),
soit le taux de réitération instantané. L’indice annuel de réitération est le taux de réitération évalué sur ces
courbes à t égale un an.
34
Graphique 11 :
Taux de réitération calculés avant l’entrée en CEF et à la sortie
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
0
Taux de réitération avant CEF
365
Taux de réitération après CEF
2. La durée du placement effectif en CEF est un facteur important
Effet direct de la durée du placement en CEF :
Nous avons tracé les différentes courbes des taux de réitération avant CEF et après la sortie
en CEF, en fonction de la durée effective passée en CEF. Les résultats sont présentés dans le
graphique 12.
Deux constats peuvent être faits :
-
En réalisant des groupes selon la durée passée au CEF, on s’aperçoit que ceux qui
sont restés plus de 7 mois au CEF, avaient déjà une proportion moindre que les autres
à la réitération. Or, ici la durée passée au CEF ne peut en aucun cas être la cause de
cette propension moindre à la réitération avant CEF. Comme nous l’avons vu dans la
partie précédente, les mineurs sortant du CEF de manière anticipée ou au contraire
ceux qui voient leur durée de placement prolongée correspondent à des profils
particuliers de délinquants… et ces profils particuliers de délinquants n’ont pas la
même propension à la réitération avant même d’entrer en CEF. Il s’agit en fait d’un
effet de filtre : le CEF agit comme un filtre qui garde plus longtemps les mineurs
ayant une moindre propension à la réitération.
-
Au-delà de cet effet filtre (maîtrisé), pour les mineurs qui sont restés moins de 4 mois
en CEF, les taux de réitération avant CEF et après la sortie en CEF ne sont pas
significativement différents. Ainsi, les placements dont la durée effective n’excède
pas 4 mois peuvent être considérés en termes de réitération comme inefficaces. Audelà de 4 mois, les taux de réitération avant CEF et après la sortie de CEF sont
significativement différents, et permettent de conclure en l’efficacité des CEF, dans la
mesure où l’on observe une réduction significative de la réitération.
35
Graphique 12 : Comparaison des taux de réitération avant l’entrée en CEF à celui
calculé à la sortie du CEF par groupe de durée passée en CEF:
100%
90%
Taux de réitération
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
0
180
360
Temps (en jours)
Taux
Taux
Taux
Taux
Taux
Taux
de
de
de
de
de
de
réitération
réitération
réitération
réitération
réitération
réitération
avant CEF pour ceux restés - de 4 mois en CEF (n=125)
avant CEF pour ceux restés entre 4 et 7 mois en CEF (n=114)
avant CEF pour ceux restés + de 7 mois en CEF (n=119)
après CEF pour ceux restés - de 4 mois en CEF (n=125)
après CEF pour ceux restés entre 4 et 7 mois en CEF (n=114)
après CEF pour ceux restés + de 7 mois en CEF (n=119)
Détermination de la durée à partir de laquelle le placement en CEF a un effet sur la
réitération :
Nous avons essayé de déterminer avec le plus de précision possible la durée minimum pour
qu’un séjour en CEF ait un effet bénéfique sur la réitération. La détermination de ce seuil
s’est fait en faisant varier la durée de placement en CEF jusqu’à obtenir une différence
significative entre les taux de réitération des deux groupes ainsi formés.
Ce seuil se situe à 170 jours (soit un peu moins de 6 mois). Ceux qui restent plus de 170
jours réitèrent significativement moins que les autres.
Toutefois, en deçà de ce seuil il existe une zone, entre 125 jours (un peu plus de 4 mois) et
170 jours, où les taux de significativité oscillent autour de 5 % (graphique 13). Ainsi en
prenant un risque d’erreur plus grand, on peut dire que le placement en CEF commence à
produire des effets à partir de 125 jours de placement effectif.
36
Graphique 13 : Evolution des taux de significativité des différences des réitération
entre les deux groupes formés selon la durée du placement
60%
Taux de significativité
50%
40%
30%
20%
10%
0%
5%
30
50
70
90
110
130
150
170
190
210
Durée en CEF (en jours)
Lecture : ceux qui restent moins de 110 jours en CEF ne réitèrent pas significativement plus que ceux qui
restent plus de 110 jours. Par contre ceux qui restent moins de 170 jours réitèrent significativement plus que
ceux qui restent plus de 170 jours en CEF.
3. Modélisation de la réitération après CEF
Principes de modélisation :
Les analyses précédentes ont permis de décrire l’évolution des taux de réitération dans le
temps avant et après la sortie en CEF. Nous avons pu décliner l’évolution de ces taux en
fonction de la durée passée en CEF. Cependant, les méthodes utilisées, à visée descriptive ne
permettent pas de tenir compte de plus d’un critère à la fois. De plus comme nous l’avons vu
précédemment avec les risques de sortie précoce de CEF, ce genre d’analyse descriptive ne
permet pas de faire la différence entre des effets réels ou des effets filtre.
Pour expliquer plus en détail les variations des taux de réitération en fonction de telles ou
telles caractéristiques du mineur, de son parcours ou du contexte historique, nous recourrons
donc comme précédemment aux modèles de durées41. Ces modèles ont l’avantage de prendre
en considération l’enchaînement chronologique des infractions, des jugements et des
condamnations, voire des séjours en prison tout en intégrant à l’analyse des trajectoires qui
n’ont ni la même durée (pour certaines, nous avons une période d’observation après la sortie
du CEF de 3 ans pour d’autres de seulement 1 an), ni la même issue (pour certaines, il y aura
une réitération au cours de l’observation, pour d’autres non).
Les modèles présentés sont dynamiques dans la mesure où le risque de réitérer d’un mineur
n’est pas fixé uniquement par ses antécédents judiciaires ou les caractéristiques de son
parcours, mais il évolue en fonction des situations rencontrées après la sortie du CEF.
Dans un premier modèle, nous avons sélectionné des variables caractérisant le parcours
judiciaire des individus, leur placement, leur âge et sexe. Il a fallu également tenir compte
des situations dans lesquelles se trouve le mineur après sa sortie de CEF. En effet, si, par
exemple tous les mineurs se trouvent incarcérés à la sortie du CEF, les taux de réitération
après la sortie de CEF s’en trouveraient diminués sans qu’il s’agisse pour autant d’un effet du
41
Plus particulièrement le modèle de Cox (combinaison d’une régression logistique et de fonctions de séjours
telles qu’utilisées précédemment).
37
placement en CEF. Proposer une modélisation de la durée écoulée entre la date de sortie du
CEF et la 1ère réitération suppose de contrôler les situations (incarcération, SME, sursis
simple) connues par les mineurs depuis leur sortie du CEF. Ce contrôle consiste simplement à
les intégrer dans le modèle proposé. Ainsi, le modèle comprend trois types de variables :
-les variables résumant le parcours du délinquant avant son entrée au CEF
-les caractéristiques du placement au CEF
-les variables décrivant les situations traversées depuis la sortie du CEF.
Les résultats concernant les caractéristiques du placement sont alors données « tout choses
égales par ailleurs », c’est-à-dire à parcours avant et après CEF équivalent.
Dans un second modèle, nous avons voulu tenir compte de certaines interactions entre les
variables. Pour cela avons combiné plusieurs variables entre elles (par exemple, l’âge à la
première infraction et le nombre d’infraction ou encore la durée passée en CEF et la présence
ou non d’incident au cours du placement en CEF).
Les résultats sont présentés dans le tableau 5.
Plus les placements s’inscrivent dans la durée et plus ils réduisent les risques de réitération :
Le premier modèle montre des risques accrus de réitération pour les placements courts
(moins de 4 mois), et au contraire diminué pour ceux qui restent plus de 6 mois.
Plus les placements s’inscrivent dans la durée moins il y a de réitération en sortie de CEF. Ce
résultat corrobore celui de l’analyse descriptive précédente et permet d’ores et déjà de dire
que les CEF ont une efficacité en termes de réduction de la réitération.
Ceux qui ont connu des incidents en CEF réitèrent davantage que les autres.
Si le premier modèle montre que les mineurs ayant connu des incidents au cours de leur
placement ont des risques de réitération plus importants, le second modèle permet davantage
de précisions. En effet, si pour les durées passées en CEF inférieures à 6 mois, les mineurs
qui ont connu des incidents réitèrent davantage que les autres, en revanche, il n’y a pas de
différences pour ceux dont la durée de placement effectif est supérieure à 6 mois, entre ceux
pour lesquels un incident a été signalé et les autres. Autrement dit, au-delà de 6 mois passés
au CEF, le fait d’avoir connu des incidents ou non n’est plus un critère déterminant dans la
réitération en sortie de CEF.
La nature et la gravité des antécédents n’ont pas d’incidence sur la réitération.
Plusieurs modèles ont été testés, en utilisant des variables sur la nature des infractions
commises avant l’entrée en CEF et sur leur gravité différemment construites (nataff 42,
violences, domaines de spécialisation, gravité selon la nataff, gravité selon la peine
prononcée, etc.) et confirme que ni la gravité ni la nature des infractions commises avant
l’entrée en CEF ne constituent des facteurs déterminant dans la réitération en sortie de CEF.
Les risques de réitération sont proportionnels au nombre d’infractions avant l’entrée en CEF.
Ce n’est ni la nature des actes commis, ni leur gravité qui influence les risques de réitération
mais leur nombre. Ainsi, les risques de réitération sont d’autant plus forts que le mineur a
commis d’infractions avant son entrée en CEF. En cela les parcours de délinquance sont des
processus qu’un placement en CEF peine à enrayer. L’intensité de la délinquance avant le
CEF (nombre d’infraction moyen par an) a aussi été testé et confirme le résultat précédent.
Les mineurs ayant eu une délinquance de forte intensité avant l’entrée en CEF (+ de 10
infractions en moyenne par an) ont des risques plus importants de réitération à la sortie du
CEF que les autres.
42
Table des natures d’affaire.
38
Les mineurs placés en CEF avant 2004 ont davantage réitéré que les autres.
Ce résultat confirme que les deux premières années d’ouverture des CEF constituent en
quelque sorte une période de rodage.
Tableau 5 : Modélisations (Cox) du risque de réitération en fonction des
caractéristiques des parcours délinquants, du placement en CEF, et des situations
vécues depuis la sortie du CEF
Variables explicatives
CARACTERISTIQUE ANTECEDENTS AU CEF
Prison :
N’a jamais fait de prison
A déjà fait de la prison
Plus grande condamnation prononcée:
A été jugé après CEF
Emprisonnement ferme
Emprisonnement avec sursis
Peines hors emprisonnement et mesure éducative
Nombre d’infractions :
Entre 5 et 10 délits commis
Jusque 5 délits commis
Entre 10 et 15 délits commis
Plus de 15 délits commis
Nombre d’infractions combiné avec l’âge à la 1ère infraction:
Agé entre 9 et 13 ans et commis jusque 5 délits commis
Agé entre 9 et 13 ans et commis entre 6 et 15 délits commis
Agé entre 9 et 13 ans et commis plus de 15 délits commis
Agé entre 14 et 18 ans et commis jusque 5 délits commis
Agé entre 14 et 18 ans et commis entre 6 et 15 délits commis
Agé entre 14 et 18 ans et commis plus de 15 délits commis
Domaine préférentiel d’infraction
Domaine C/G/I
Atteinte aux personnes
Atteinte aux biens
Niveau théorique de la plus grosse infraction :
Niveau 2
Niveau 1
Niveau 3/4/5
Age à la 1ère infraction :
Entre 9 et 13 ans
Entre 14 et 18 ans
CARACTERISTIQUE CEF
Année d’arrivée en CEF :
2005 et 2006
2003
2004
Age à l’arrivée en CEF :
Entre 13 et 15 ans
Entre 16 et 18 ans
Type de décision donnant lieu au CEF :
Post-sentencielle
Pré-sentencielle
Présence d’incident durant CEF :
Pas d’incident
incident
Rapports de chance
Modèle 1
Modèle 2
Réf.
1.069
Réf.
1.042
1.602**
Réf.
1.131
1.557*
1.488*
Réf.
1.059
1.364
Réf.
0.63**
1.194
2.257***
0.452**
Réf.
2.027***
0.508***
0.784
1.621
Réf.
2.236*
1.922
Réf.
1.977
1.814
Réf.
0.760
0.956
Réf.
0.856
1.001
Réf.
0.846
Réf.
1.487**
1.153
Réf.
1.527**
1.163
Réf.
0.987
Réf.
0.971
Réf.
0.907
Réf.
0.855
Réf.
1.516***
39
Durée en CEF :
Entre 4 et 6 mois
Moins de 4 mois
Plus de 6 mois
Durée en CEF et présence d’incidents:
Entre 4 et 6 mois sans incident
Moins de 4 mois avec incident
Entre 4 et 6 mois avec incident
Plus de 6 mois avec incident
Moins de 4 mois sans incident
Plus de 6 mois sans incident
CARACTERISTIQUE MINEUR
Nationalité :
français
étranger
Sexe :
Homme
femme
VARIABLES DEPENDANTES DU TEMPS
N’est pas en prison
Est en prison
Réf.
1.584***
0.623***
Réf.
2.774***
1.701**
0.778
1.617**
0.730
Réf.
0.899
Réf.
0.900
Réf.
0.786
Réf.
0.818
Réf.
0.367***
Réf.
0.352***
N’est pas en sursis
Réf.
Réf.
Est en sursis
1.061
1.104
N’est pas en sursis assorti d’une mise à l’épreuve
Est en sursis assorti d’une mise à l’épreuve
Réf.
1.621***
Réf.
1.614
Nombre de personne
Nombre d'événement "réitération"
chi square
ddl
356
290
123.97***
24
356
290
128.28***
27
Lecture : Pour chaque variable utilisée dans le modèle, une des modalités est prise comme référence (Réf.) et
c’est par rapport à celle-ci qu’il faut lire les coefficients inscrits devant les autres modalités de la même variable.
Seuls les coefficients en gras peuvent être interprétés. Si le coefficient est inférieur à 1, les risques de réitération
sont diminués par rapport à la modalité de référence, s’il est supérieur à 1, ils sont augmentés.
Ainsi on peut lire sur le premier modèle : les mineurs qui ont commis un incident pendant le séjour en CEF
réitèrent plus vite (et par voie de conséquence plus) que ceux qui n’en n’ont pas commis et ce « toutes choses
égales par ailleurs », c’est-à-dire quels que soient les antécédents judiciaires, l’année d’arrivée en CEF, l’âge à
l’arrivée en CEF, la durée passée en CEF, la décision donnant lieue au placement en CEF, le sexe, la nationalité,
les périodes en prison, de sursis et/ou de mise à l’épreuve qui peuvent avoir eu lieu à la sortie en CEF.
*** : coefficient significativement différent de 1 au seuil inférieur à 1%,
** : ________________________________________________ à 5%,
* : ________________________________________________ à 10%.
40
4. Un type de réitération par profil de délinquant
Les deux premiers modèles de durée ont été élaborés en intégrant directement les variables
du parcours délinquant. L’intégration des variables « profils délinquants » précédemment
dégagés à la place des variables antécédents n’a pas donné de résultats satisfaisants. Nous
avons ensuite construit un modèle pour chaque profil de délinquant afin de tester l’hypothèse
selon laquelle les facteurs explicatifs de la réitération seraient différents pour chaque profil de
délinquant. Cette hypothèse n’est pas vérifiée, les trois modèles affichent des coefficients
assez semblables.
Quelque soit le profil de délinquant, la réitération en sortie de CEF dépend de la durée passée
au CEF, des incidents qui ont eu lieu et du nombre d’infractions commises avant l’entrée en
CEF.
Cependant, la nature de l’infraction qui constitue la 1ère réitération varie selon le profil de
délinquant (tableau 6). La première réitération en sortie de CEF des non-réitérants
correspond davantage à des atteintes aux biens et dans une moindre mesure à des infractions
considérées comme plus graves que les autres (ancrés et précoces).
Les ancrés se distinguent par une réitération sur d’autres types d’infractions que les atteintes
aux biens et à la personne et de niveau le plus faible.
Les précoces, à l’inverse des non-réitérants, sont ceux qui ont réitéré sur des atteintes à la
personne.
Tableau 6 :
Profil des délinquants en fonction des caractéristiques de la réitération
Niveau 1 et 2
Niveau 3
Niveau 4
Niveau > 4
Atteinte aux personnes
ère
Nature de la 1 réitération Atteinte aux biens
après CEF
Autres
Total
Gravité de la 1ère
réitération après CEF
Total
“Non
réitérants”
“Ancrés”
6,06%
22,73%
45,45%
25,76%
13,43%
70.15%
16.42%
67
5,78%
15,61%
47,4%
31,21%
17,82%
55.17%
27.01%
174
4,65%
37,21%
41,86%
16,28%
27,27%
47.73%
25.00%
44
16
58
130
78
52
164
69
67
100%
174
100%
44
100%
285
“Précoces” Total
Toutes les variables présentées dans ce tableau sont celles qui présentent une relation significative à 90% avec
le type de délinquant selon le test du khi-deux.
41
5. Les caractéristiques des réitérations après la sortie du CEF
Réitération dans la minorité
60 % de ceux qui réitèrent après un placement en CEF le font durant leur minorité.
La 1ère réitération après la sortie du CEF n’est bien souvent pas un acte isolé.
En effet, un an après la sortie du CEF, 29 % ont commis au moins 5 infractions depuis la
sortie du CEF, soit 40 % de ceux qui ont réitéré (tableau 7). Ainsi, la première réitération
après la sortie du CEF doit être considérée comme une « rechute » dans le sens où elle sera
suivie d’autres infractions pour les trois quarts des jeunes réitérants.
Tableau 7 : Nombre d’infractions commises après la sortie du CEF, à 3 mois et à 1
an après la sortie du CEF
Nombre d’infractions
0
1
2
3
4
5 et plus
Total
à 3 mois (en %)
67
12
7
5
3
6
100 (N=350)
à 1 an (en %)
29
15
10
9
8
29
100 (N=350)
Lecture : 67 % n’ont pas réitéré dans les 3 mois qui suivent la sortie du CEF, 12 % ont commis une seule
infraction, 7% ont commis deux infractions…)
Périodes d’observations différentes pour chaque jeune.
Nature des réitérations
La nature des infractions commises avant l’entrée en CEF est indépendante de la nature des
infractions commises après.
En effet, après le séjour en CEF, les réitérations se font majoritairement dans le domaine de
atteintes aux biens et ce quelque soit le domaine de spécialisation de la délinquance avant
l’entrée au CEF (tableau 8).
Tableau 8 : Domaine préférentiel des infractions représentant la réitération après
CEF en fonction du domaine préférentiel d’infraction avant CEF.
Après Atteintes
aux
Atteintes
Avant (domaine d’infraction)
personnes aux biens
Autres
Atteintes aux personnes
20
50
Atteintes aux biens
16
57
Autres
13
60
Total
16
56
Chi2 non significatif (soit une indépendance statistique entre les deux variables)
Total
30
27
27
28
N
100
100
100
100
44
233
15
292
Auteurs d’infractions sexuels
Sur les 52 jeunes auteurs d’infractions sexuelles avant l’entrée en CEF, 18 ne réitèrent pas
durant l’année qui suit la sortie du CEF, 3 commettent à nouveau des infractions sexuelles et
31 commettent d’autres type d’infractions.
42
Récidive légale : 38 % de récidive légale un an après la sortie du CEF
Pour 32 jeunes, soit 11% des réitérants après CEF, la première réitération après CEF est une
récidive légale.
Si la première réitération après la sortie de CEF correspond à une récidive légale dans 11%
des cas (réitérants), le taux de récidive légale un an après la sortie du CEF est de 15 %. Pour
les mineurs ayant déjà été en état de récidive légale avant l’entrée en CEF, ce taux s’élève à
42 % (tableau 9).
Tableau 9 : Taux de réitération/récidive un an après la sortie du CEF en fonction
des antécédents de récidive avant l’entrée en CEF
Réitération
Récidive
Récidive légale
avant l’entrée en CEF
Non
Oui
Total
Chi 2 significatif à 1%
Non
réitérant
32
19
30
Réitérant
56
39
54
Récidiviste
12
42
15
Total
100
100
100
N
319
36
355
Davantage de condamnation à de la prison ferme après la sortie du CEF.
Avant d’entrer en CEF, 18 % des mineurs avait déjà été condamné à de la prison ferme.
- 54 % des mineurs réitérants sont condamnés lors de leur 1ère réitération après la sortie du
CEF à une peine de prison ferme.
- Un an après la sortie du CEF, 65% des réitérants ont été condamnés à de la prison ferme
(condamnations pour des infractions qui ont eu lieu après la sortie du CEF) et ce qu’ils aient
été ou non déjà condamnés à de la prison ferme avant l’entrée en CEF.
Ainsi, le taux de condamnation à une peine de prison ferme après la sortie du CEF est de
44 % (ensemble de l’échantillon).
Ces résultats confirment donc que le CEF intervient bien comme la dernière alternative
possible avant l’emprisonnement.
6. Comparaison avec les données sur les réitérations des mineurs à
partir des casiers judiciaires (1999-2004)
En 2007, le service de la Statistique du Ministère de la Justice a réalisé une étude sur « la
réitération d'infraction après condamnation des mineurs ». A partir des données des casiers
judiciaires, cette étude suit les cohortes de mineurs qui ont eu une condamnation inscrite au
casier judiciaire en 1999 (37657 mineurs), 2000 et 2001, et note les nouvelles
condamnations, correspondant à de nouvelles infractions. Les cohortes ont ainsi pu être
suivies pendant une période d’au moins 3 ans.
Les résultats, obtenus portant sur la même source de données et avec des méthodes de calculs
similaires, constituent une base de comparaison intéressante permettant d’apprécier les taux
de réitération obtenus avec les mineurs placés en CEF. Notons cependant que cette étude ne
présente pas de modèles explicatifs, seulement des taux de réitération en fonction d’autres
variables. Les effets relevés peuvent alors très bien être des effets indirects.
Le graphique 14 représente l’évolution des taux de réitération observés sur une période de 3
ans pour trois catégories de mineurs :
43
-les mineurs déjà délinquants : cohorte de mineurs qui ont eu une condamnation inscrite au
casier judiciaire entre 1999 et 2001, mais qui ne constituait pas la première condamnation
inscrite au casier judiciaire
-les mineurs primo-délinquants : cohorte de mineurs qui ont eu une première condamnation
inscrite au casier judiciaire entre 1999 et 2001.
-les mineurs placés en CEF entre 2004 et 2006 (enquête PJJ)
Les mineurs déjà délinquants ont ainsi des taux de réitération relativement élévés : 46 % au
bout d’un an, 73 % au bout de 3 ans, même s’ils n’atteignent pas ceux des mineurs de l’étude
(83 % au bout de 3 ans). Par contre, les primo-délinquants ont des taux de réitération
beaucoup plus faibles (40 % au bout de 3 ans).
Graphique 14 :
Evolution des taux de réitération pour les mineurs de l’échantillon (« mineurs
placés en CEF »), les mineurs ayant eu une première condamnation au casier judiciaire entre 1999
et 2001 (« primo-délinquants ») et les mineurs ayant eu une condamnation au casier judiciaire
entre 1999 et 2001, mais qui ne constitue pas une première condamnation inscrite au casier
judiciaire.
90%
Mineurs placés en CEF (DPJJ)
80%
Mineurs déjà délinquant (SDSED)
Taux de réitération (en %)
70%
60%
50%
Mineurs primo-délinquant (SDSED)
40%
30%
20%
10%
0%
0
365
730
1095
Durée (en jours)
Source : DPJJ, SDSED
De plus, l’étude montre déjà que les mesures « contraignantes » réservées en fait aux mineurs
les plus délinquants comme le « placement dans un établissement » (à l’époque les CEF
n’existaient pas), la mise sous protection judiciaire et la liberté surveillée affichent
respectivement des taux de réitération 76 %, 61 % et 63 %. Ainsi les taux de réitération
relevés dans notre étude pour les mineurs placés en CEF sont loin d’être aberrants, ils sont
plutôt cohérents avec les résultats de cette étude.
De même, l’étude du service statistique remarquait que quelque soit le domaine d’infraction
de la condamnation considérée, la réitération se faisait prioritairement dans le domaine des
vols et recels. De la même manière, dans notre étude, les atteintes aux biens sont les
infractions les plus souvent commises à la réitération quel que soit le domaine
d’infraction préférentiel avant CEF (tableau 8).
44
Ajoutons, pour finir que l’étude du service statistique du Ministère de la Justice notait une
variation de la réitération en fonction de la nature de l’infraction ayant donné lieu à la
condamnation et de l’âge à cette condamnation. L’examen méthodologique effectué dans
notre étude nous amène à dire que ces résultats sont difficilement interprétables puisqu’il
n’est tenu compte dans l’étude du service statistique que d’une seule infraction dans un
parcours délinquant qui en compte bien souvent plusieurs, choisie à partir d’une date unique
pour tous et, donc, arbitrairement par rapport au parcours délinquant du mineur. D’autre part,
ces effets sont donnés sans contrôle d’autres variables. Ils pourraient donc être simplement
des effets secondaires.
45
Conclusion
Penchons-nous brièvement, juste avant de conclure, sur la problématique des trajectoires
inverses, celles des sorties de la délinquance, que l’étude de la réitération permet justement
d’approcher.
Cette problématique apparaît aujourd’hui comme un axe d’étude prometteur et pertinent de la
sociologie de la déviance et des institutions pénales43. L’idée selon laquelle les trajectoires de
la majorité des délinquants ne seraient qu’une étape biographique fait l’objet d’un certain
consensus scientifique, sans que l’on sache vraiment pourquoi et comment s’organise cette
perte d’attraction des conduites délinquantes.
Le but est d’approfondir la connaissance des comportements transgressifs en intégrant à leur
analyse les séquences où ils perdent de leur attrait, en passant d’une recherche circonscrite au
temps d’implication à une démarche intégrant des enseignements biographiques à long terme,
en appréhendant les désengagements comme des processus transitionnels vers de nouveaux
registres d’action. Progressives ou radicales, les bifurcations sont balisées par un temps de
l’avant et de l’après, qu’il faudrait approcher en s’appuyant sur la description des
conjonctures sociales, notamment l’état du marché du travail, les conditions de logement, les
dynamiques culturelles, les politiques publiques, etc., et sur le rôle des différents intervenants
individuels ou institutionnels et, enfin, sur la structure des itinéraires de désistement pour
comprendre, à partir de l’identification de leurs causes, ces sorties de déviance, produit croisé
d’une décision subjective et de l’objectivité d’une contrainte de cheminement 44. Dans une
enquête récente sur les motifs de désengagement, par exemple, deux tiers des filles
interrogées sont sorties au moment de leur grossesse ou en formulant le projet d’avoir un
enfant 45. En ce sens, la prise de distance relève-t-elle d’un mouvement collectif, de l’action
des institutions, d’un départ forcé, d’une démarche avant tout personnelle, signe-t-elle le
passage d’un mode de vie où prédomine le collectif à un autre où prime d’abord le soi ? Les
sorties de délinquance sont-elles la cause ou le produit de l’accès à l’emploi ? Le travail
conditionne-t-il l’arrêt des transgressions ? Dans quelle mesure un parcours délictuel ou
criminel et une carrière professionnelle peuvent-elles cohabiter ? En quoi les inégalités
d’accès à l’emploi stable jouent-elles sur les itinéraires de désistement ou au contraire sur le
maintien dans une trajectoire déviante ? La structure temporelle des trajectoires déviantes est
aussi une thématique importante. Elle est ancienne Outre-Atlantique pour les criminologues
qui ont réfléchi au lien entre âge et désistement qui constitue l’une des principales pistes de
l’analyse générationnelle et psychosociale de la décroissance des comportements délinquants,
invitant à étudier les ressources d’intégration sociale dont chacun dispose à chaque période,
d’accès à la protection et à la reconnaissance.
Dans ces travaux, les liens entre structures spatiales et comportements sont également
solidement établis : fonctions socialisatrices des territoires, logiques de transmission et de
communication interpersonnelle, réseaux relationnels, affiliations locales constituent le cadre
et le contexte où se façonnent les identités et les représentations. Toutefois, en amont de
43 Cf. Marwan Mohammed, Les sorties de délinquance : une nouvelle perspective d’étude du crime et des
institutions pénales (miméo).
44 Cf. Passeron J.-C., 1991, Le scénario et le corpus. Biographies, flux, itinéraires, trajectoires », Le
Raisonnement sociologique, Paris, Nathan, p.204.
45 Cf. Fleisher M., Krienert J., 2004, Life-course events, social networks, and the emergence of violence
among female gang members, Journal of Community Psychology, 32, pp. 607-622.
46
l’échelle sociale, l’étude des conditions psychologiques de ces bifurcations (ou des tentatives
avortées) est une autre orientation pertinente, précisant les frontières entre les causalités
individuelles et sociales des comportements et des troubles.
Les échelles d’analyse des désistements de la délinquance sont multiples : l’individu, ses
groupes d’appartenance, les communautés locales, les intervenants sociaux, les territoires,
etc. Les institutions judiciaires et la PJJ ont une place particulière dans cet ensemble
hétérogène, puisqu’elles sont les acteurs d’une des principales politiques publiques visant à
réduire et à stopper le développement de la délinquance. D’où l’intérêt de questionner la
pratique des professionnels à travers ce prisme des parcours de sortie. C'est pourquoi l'étude
présente qui ne répond pas, par construction, à l'ensemble des questions précitées, met
l'accent sur l'impact de l’action des institutions de la PJJ.
Cette étude illustre, plus généralement, le souci de la direction de la PJJ pour cette question
de la sortie de la délinquance, alors même que la direction a pu paraître souvent, notamment
pour des raisons fonctionnelles, plus focalisée sur l’adoption des pratiques délinquantes que
sur le renoncement à celles-ci. La DPJJ diffère, ce faisant, de la masse des travaux sur la
question qui souffre du même déséquilibre.
Penchons-nous maintenant sur les apports de l’étude et sur les préconisations :
Apport méthodologique de l’étude :
Outre les connaissance positives qu’elle contient, cette étude constitue un exemple d’apport
méthodologique important car elle correspond, à notre connaissance, à une première en
langue française dans la modélisation des “risques” de réitération. Elle permet en effet de
distinguer de façon inédite les facteurs de “risques” des effets secondaires. Les modélisations
permettant de contrôler davantage de paramêtres que la méthodes des taux comparatifs.
Résultats :
Les principaux résultats portent
- sur la composition de la population des mineurs séjournant en CEF,
- sur le taux de “réitération” (présence d'infraction(s) ayant donné lieu à une
condamnation),
- sur l’impact positif de la durée du séjour sur ce taux,
- sur l’absence d’impact de la gravité des actes commis et du domaine d’infraction,
- sur le fait que la 1ère réitération après la sortie n’est bien souvent pas un acte isolé.
La population des mineurs entrant en CEF est composée de :
- non réitérants (26%) au sens où, au moment d’entrer en CEF, ils n’ont encore jamais
été condamnés, ont commis peu d’infractions mais les plus graves, la plupart étant des
atteintes aux personnes, sont placés en CEF rapidement après leur première infraction,
dans le cadre d’un contrôle judiciaire ;
- multi-réitérants (74%), présentent une délinquance « expérimentée » avec en
moyenne plus de 10 infractions à leur actif avant d’entrer en CEF et pour lesquels ils
ont d’ailleurs déjà été condamnés. Il se distinguent en deux sous-groupes :
o les “ancrés” (58 %) qui ont commis au moment de leur entrée en CEF en
moyenne 15 délits dont 8 ont été jugés, ont quasiment tous été condamnés par
un tribunal pour enfants à des peines de prison ;
47
o les “précoces” (16 %) ont commis leur plus grave infraction plus jeune que
les “ancrés”, condamnés vraisemblablement au titre d’un jugement à délai
rapproché par un juge des enfants qui a prononcé des mesures éducatives.
Les réitérations après la fin du séjour en CEF sont significatives par rapport aux trajectoires
observées avant le séjour en CEF.
- Le taux de réitération témoin avant le séjour en CEF à 1 an est de 90 % avant CEF et
de 70 % après la sortie du CEF soit, pour l’ensemble, une diminution de la
réitération de près de 20 % sur un an après le séjour.
- Un mineur qui reste moins de 4 mois (-4) en CEF a plus de 60% de risque de
réitérer que celui qui reste entre 4 et 7 mois (4-7).
- Un mineur qui reste plus de 7 mois (+7) en CEF a 40% moins de chance de réitérer
que celui qui reste entre 4 et 7 mois (4-7).
- La durée minimum pour qu’un séjour en CEF ait un effet bénéfique sur la réitération
se situe à 170 jours (soit un peu moins de 6 mois). Ceux qui restent plus de 170 jours
cessent de réitérer plus souvent de façon significative.
- Toutefois en prenant un risque d’erreur plus grand, on peut dire que le placement
en CEF commence à produire des effets à partir de 125 jours de placement effectif.
- Parce qu’ils restent moins longtemps et qu’ils ont commis davantage de délits, les
multi-réitérants sont ceux qui ont le plus de chance de réitérer après le séjour en
CEF.
- La gravité des actes commis et le domaine d’infraction ont peu d’influence
- La 1ère réitération après la sortie du CEF n’est bien souvent pas un acte isolé mais
peut être considérée comme une « rechute effective » dans le sens où elle sera suivie
d’autres infractions, pour les trois quarts des jeunes réitérants.
Préconisations
Ces résultats pourraient être utilisés dans une démarche de sensibilisation des magistrats, des
cadres de la PJJ, des formateurs et dans une démarche d’aide au fonctionnement des
établissements et services en soulignant plus particulièrement :
 L’importance de la durée du placement en CEF :
 Le rôle de la continuité éducative dans l’établissement afin de permettre une
durée de séjour suffisante des mineurs placés ;
 La nécessité pour les CEF de mettre en place une organisation leur permettant
de supporter les incidents en début de séjour dans la mesure où les incidents
sont inévitables voire prévisibles et que le dépassement de cette période parait
augmenter l’efficacité des CEF ;
 La nécessité de réfléchir aux conditions permettant de sanctionner les incidents sans
raccourcir la durée de placement :
 La démarche de sanction (main levée du placement) pour incident ne devrait
être envisagée que, si et autant que cela est possible, elle ne remet pas en cause
la durée du séjour dans le CEF, ce qui, par exemple, devrait imposer le
principe d’un retour dans le CEF d’origine des mineurs ayant été incarcérés à
la suite d’un incident en cours de placement.
48
Annexe 1 : Table de gravité - niveaux de gravité adoptés en
fonction de la nature des infractions
Libellé
code_nataf code_natinf échelle gravité
Meurtre
A11
5169
1
Violence commise en réunion ayant entraîne la mort sans intention de la donner
A12
10871
1
Viol avec plusieurs circonstances aggravantes
A31
20557
1
Agression sexuelle
A32
1122
1
Arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivi d'une libération avant
A34
7858
1
Arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivi d'une libération avant
A34
7858
1
Viol commis sur la personne d'un mineur de 15 ans
A41
1117
1
Agression sexuelle imposée a un mineur de 15 ans
A42
1130
1
Abstention volontaire d'empêcher un crime ou un délit contre l'intégrité d'une personne
A56
115
1
Atteinte sexuelle par majeur sur un mineur de 15 ans
A84
1128
2
Vol avec arme
B11
7164
2
Vol avec violence commis en bande organisée
B12
7165
2
Vol avec violence ayant entraîne une infirmité permanente ou une mutilation
B13
Fabrication ou détention non autorisée et sans motif légitime en bande organisée de
substances illicites
C22
Fabrication ou détention non autorisée et sans motif légitime en bande organisée de
C22
substances illicites
7251
2
25151
2
25151
2
Importation non déclarée de marchandise prohibée
5739
2
E22
Importation non declaree de marchandise prohibee
E22
5739
2
Detention non autorisee de stupefiants
G14
7991
2
Detention non autorisee de stupefiants
G14
7991
2
Offre ou cession non autorisee de stupefiants
G15
7992
2
Offre ou cession non autorisee de stupefiants
G15
7992
2
Transport non autorise de stupefiants
G16
7990
2
Transport non autorise de stupefiants
G16
7990
2
Acquisition non autorisee de stupefiants
G17
7993
2
Acquisition non autorisee de stupefiants
G17
Homicide involontaire par violation manifestement deliberee d'une obligation de securite
ou
A25
7993
2
12279
3
Violence avec usage ou menace d'une arme suivie d'incapacite n'excedant pas 8 jours
A35
7145
3
Violence sur un ascendant legitime, naturel ou adoptif suivie d'incapacite superieure a 8 j
A36
7144
3
Violence suivie d'incapacite superieure a 8 jours
A36
Violence sur une personne chargee de mission de service public suivie d'incapacite
n'exceda
A37
7183
3
10843
3
Violence suivie d'incapacite n'excedant pas 8 jours par conjoint, concubin ou partenaire li
10872
3
A38
Violence par une personne chargee de mission de service public sans incapacite
A39
20733
3
Violence sur un mineur de 15 ans suivie d'incapacite n'excedant pas 8 jours
A43
7184
3
Violation de tombeau ou de sepulture
A75
184
3
Soustraction d'enfant des mains de la personne chargee de sa garde
A93
7902
3
Soustraction d'enfant des mains de la personne chargee de sa garde
A93
7902
3
Extorsion par violence, menace ou contrainte de signature, promesse, secret, fonds, valeur
B53
7204
3
Participation avec arme a un attroupement
C13
12260
3
Participation avec arme a un attroupement
C13
12260
3
49
Vol avec violence n'ayant pas entraine une incapacite totale de travail
B21
7861
4
Vol avec violence ayant entraine une incapacite totale de travail de plus de 8 jours
B22
7863
4
Vol a l'aide d'une escalade
B23
7156
4
Vol a l'aide d'une entree par ruse
B24
7160
4
Vol avec destruction ou degradation
B25
7871
4
Vol en reunion
B26
7872
4
Vol
B31
7151
4
Recel de bien provenant d'un vol
B41
7215
4
Recel de bien provenant d'un delit puni d'une peine n'excedant pas 5 ans d'emprisonnement
B42
699
4
Recel de bien provenant d'un vol aggrave par deux circonstances
B43
12304
4
Abus de confiance
B51
58
4
Escroquerie
B61
7875
4
Escroquerie par personne chargee d'une mission de service publique dans l'exercice de sa mi
B62
7877
4
Abus de l'ignorance ou de la faiblesse d'une personne vulnerable pour l'obliger a un acte o
B63
10828
4
Abus de l'ignorance ou de la faiblesse d'une personne vulnerable pour l'obliger a un acte o
B63
10828
4
violation de domicile a l'aide de manoeuvres, menace, voies de fait, ou contrainte
A61
113
5
appels telephoniques malveillants reiteres
A62
12030
5
menace de delit contre les personnes, faite sous condition
A74
7894
5
denonciation calomnieuse
A76
33
5
provocation non publique a discrimination en raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la r
A77
12317
5
exhibition sexuelle
A81
61
5
degradation ou deterioration d'un monument ou objet d'utilite publique
B71
80
5
destruction du bien d'un temoin pour l'influencer ou par represailles
B72
11567
5
remise ou sortie irreguliere de correspondance, somme d'argent ou objet de detenu
C35
1427
5
refus, par personne condamnee pour delit, de se soumettre au prelevement biologique destine
C51
23212
5
inexecution d'un travail d'interet general
C52
7956
5
intrusion dans l'enceinte d'un etablissement scolaire
C53
11989
5
bris volontaire ou detournement de scelles
C55
164
5
divulgation d'information fausse de sinistre de nature a provoquer l'intervention des secou
C57
10595
5
outrage a une personne chargee d'une mission de service public
C61
7885
5
outrage a agent d'un exploitant de reseau de transport public de voyageurs
C62
22046
5
introduction non autorisee dans un local ou terrain clos de service interessant la defense
D21
1814
5
injure publique envers un corps constitue, un fonctionnaire ou un citoyen charge d'un servi
D64
375
5
injure publique envers un particulier par parole, ecrit, image ou moyen de communication au
D66
376
5
injure publique envers un particulier en raison de sa race, de sa religion ou de son origin
D67
377
5
usage illicite de stupefiants
G11
180
5
aide a l'usage par autrui de stupefiants
G13
183
5
conduite de vehicule sous l'empire d'un etat alcoolique: concentration d'alcool par litre d
I21
1247
5
delit de fuite apres un accident par conducteur de vehicule terrestre
I22
42
5
refus, par le conducteur d'un vehicule, d'obtemperer a une sommation de s'arreter
I23
50
5
sevices graves ou acte de cruaute envers un animal domestique, apprivoise ou captif
J61
125
5
blessures involontaires avec incapacite superieure a 3 mois par conducteur de vehicule terr
A51
258
6
blessures involontaires avec incapacite superieure a 3 mois par conducteur de vehicule terr
A52
24020
6
blessures involontaires sans incapacite par manquement delibere a une obligation de securit
A53
12306
6
mise en danger d'autrui (risque immediat de mort ou d'infirmite) par violation manifestemen
A57
12312
6
exces de vitesse d'au moins 50 km/h par conducteur de vehicule a moteur
I85
21526
6
50
filouterie de carburant ou de lubrifiant
B64
77
7
detention en vue de la mise en circulation de monnaie ayant cours legal contrefaite
C46
11668
7
violation du secret du vote par manoeuvre frauduleuse
D31
1154
7
non communication dans les delais d'une cession ou promesse de cession de droits sociaux ay
E13
1019
7
entrave au fonctionnement regulier d'un marche d'instruments financiers par manoeuvre indui
E53
7915
7
modification, sans notification au parquet, des elements de la declaration de demarcheur en
E57
12840
7
detention de produits revetus d'une marque contrefaite
F42
1826
7
recidive, non constitution par le maitre d'ouvrage de college interentreprise d'hygiene et
H21
20629
7
conduite d'un vehicule sans permis
I11
7536
7
non presentation immediate du certificat de formation de conducteur de transport par route
I12
7551
7
circulation avec un vehicule terrestre a moteur sans assurance
I13
6163
7
usage de fausse plaque ou de fausse inscription apposee sur un vehicule a moteur ou remorqu
I14
48
7
entrave a la circulation sur une voie publique
I24
2271
7
service regulier de transport international routier de personnes sans autorisation valable,
I31
7636
7
voyage habituel dans une voiture de transport en commun sans titre de transport valable
I51
23315
7
entrave a la mise en marche ou a la circulation d'un vehicule de chemin de fer
I52
4063
7
circulation d'animal eloigne du bord droit de la chaussee en marche normale
I87
215
7
acceptation de versements,depots,effets avant acceptation offre de credit
K4
1085
7
51
Annexe 2 : Mise en perspective historique de la création
des CEF et histoire de la récidive
1. Mise en perspective historique de la création des CEF
L’idée d’un mode d’enfermement spécifique aux mineurs délinquants et à finalité éducative
n’est pas nouvelle.
Au lendemain de la Révolution Française en effet, une nouvelle législation prévoit des
« maisons d’éducation correctionnelle » pour les mineurs. Celles-ci verront le jour en 1836
(la Petite Roquette). Régime cellulaire la nuit, travail en atelier, instruction élémentaire et
religieuse durant la journée, l’éducatif sera cependant rapidement abandonné au profit d’une
logique de sanction et d’exclusion des jeunes délinquants dictée par le contexte de l’époque.
Ce contexte est d’une part la révolution industrielle avec l’apparition d’un prolétariat massif
qui entraîne une peur sociale du vagabond et du délinquant, et d’autre part, l’apparition des
théories géniques sur les criminels (le crime serait une fatalité biologique, par atavisme ou
par dégénérescence- Bertillon).
Au début du 20ème siècle, cependant, la constitution dans les tribunaux de comités de défense
des enfants feront évoluer la législation et, le 22 juillet 1912, une loi crée le tribunal pour
enfants et adolescents. Toutefois cette loi ne dote pas les juridictions d'infrastructures leur
permettant un véritable travail éducatif. Il faudra attendre les années 1937-1938, après le
scandale des bagnes d’enfants pour voir réapparaître l’aspect éducatif dans le traitement de la
délinquance des mineurs, notamment avec les maisons d’éducation surveillée et la création
d’un corps de moniteurs-éducateurs, dans un contexte de plus faible visibilité de la
délinquance juvénile.
A la sortie de la 2ème guerre mondiale (39-45) qui aura été une période troublée pour la
jeunesse et marquée par une très nette recrudescence de la délinquance des mineurs,
l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l' enfance délinquante proclame la prééminence de
l'éducatif sur le répressif : un juge des enfants est présent dans chaque tribunal ; il peut
prononcé des mesures éducatives diversifiées et en assurer le suivi ; des postes de
fonctionnaires avertis des problèmes de rééducation des mineurs tels que pédagogues,
médecins, psychologues sont créés.
Cependant, il s'agit encore de "surveiller et punir". On prône l'éloignement des villes, le
régime strict de l'internat, les bâtiments du type caserne, une discipline militaire ou monacale.
Sont néanmoins mis en place des ateliers, sur le modèle de ceux de l'Education nationale,
ayant pour finalité de rééduquer par le travail manuel et même de commencer l'apprentissage
d'un métier. Par l’ordonnance du 1er septembre 1945, l'Education surveillée jusque-là sousdirection de l'administration pénitentiaire devient une direction autonome, avec une vocation
éducative : assurer la prise en charge des mineurs délinquants ainsi que la protection de ceux
dont l'avenir apparaît gravement compromis en raison des insuffisances éducatives et des
risques qui en résultent pour leur formation ou même pour leur santé physique.
La période 1958-1979 est marquée par un retour partiel vers des conceptions sécuritaires.
Dès 1958, les phénomènes de bandes, les « blousons noirs », accentuent dans l’opinion
publique le sentiment d’un malaise de la jeunesse (qui sera à son apogée en 1968), et aboutit
à l’abandon des politiques de prévention et à un retour vers les structures pénitentiaires,
instaurant un climat davantage répressif. Sont créés dans les prisons de Fresnes, Marseille et
52
Lyon des centres spéciaux d’observation de l’éducation surveillée (CSOES) censés offrir des
garanties sécuritaires et éducatives, mais qui sont en réalité trop vite surpeuplés, notamment
en raison de l’augmentation de la détention provisoire des mineurs dans les années 1960. Ce
surpeuplement génère manifestement de la récidive et les CSOES seront abandonnés que 20
ans après, en 1978.
Parallèlement, l’ordonnance du 23 décembre 1958 relative à la protection de l'enfance et de
l'adolescence en danger permet au juge des enfants d’intervenir rapidement et efficacement
en faveur de tout jeune dont l’avenir est compromis (et non plus seulement à l’égard des
mineurs délinquants).
En 1961, le IVème plan d’équipement prévoit d'une part, les instituts professionnels de
l'éducation surveillée et les institutions spéciales de l'éducation surveillée, héritiers des grands
établissements et d'autre part, des petits établissements auprès des tribunaux (milieu ouvert :
consultations d'orientation et d'action éducative). Ces efforts d’équipement mettent en valeur
deux conceptions différentes : d'une part, celle de grands établissements à l'image du passé,
situés dans des zones rurales et capables d'accueillir un grand nombre de mineurs et, d'autre
part, l'idée d'ouvrir de petites structures placées auprès des tribunaux afin de mettre en œuvre
des actions en milieu ouvert.
En 1970, des centres d’observation de sécurité (COS) qui répondent à des critères sécuritaires
sont crées. Le rapport commandé par le garde des sceaux J. Taittinger au président du
tribunal pour enfant de Paris M. Molines en 1974 conclut que : « les établissements fermés
sont des échecs et des dépotoirs […] il ne faut pas regrouper les mineurs les plus difficiles
dans un nombre limité d’établissement. […] l’action éducative pour les plus jeunes nécessite
du temps, des zones de libertés, elle n’est pas conciliable avec le milieu fermé46». Les COS
seront abandonnés en 1976 accusés d’être « des accélérateurs » dans les parcours de
délinquance.
En parallèle, l’ES fait ouvertement le pari de l'éducation en milieu ouvert et crée les foyers
d’action éducative (FAE) et les centres d’orientation et d’action éducative (COAE), qui sont
des structures ouvertes à visée éducative.
Les années 1980 marquent un abandon progressif du modèle de l’établissement fermé et le
début d’une profonde mutation de l’institution judicaire.
D’une part, deux lois sont adoptées (30 décembre 1987 et 6 juillet 1989) qui limitent la
détention provisoire des mineurs. D’autre part, les services éducatifs auprès du tribunal
(SEAT) crées en 1978 sont un succès : ces structures conduisent des mesures d'investigation,
des enquêtes et des suivis y compris en amont de l’intervention pénale et opèrent un
recentrage sur l'approche de la dimension individuelle et personnalisée des parcours
délinquants.
Durant cette période, l’ES investi massivement dans l’Action Educative en Milieu Ouvert, et
ne gère plus aucun centres fermés. En 1985 : un nouvel article, ajouté à l’ordonnance de
1945, rend obligatoire l’avis du SEAT, qui propose, pour chaque mineur, des mesures
alternatives à l’incarcération.
Les années 1990 marquent un tournant sécuritaire important, faisant apparaître de nouvelles
logiques dans la prise en charge de la délinquance.
Une série d’émeutes urbaines qui commence à Vaulx-en-Velin, dans la banlieue de Lyon, en
octobre 1990, et se poursuit entre mars et juillet 1991 dans la banlieue parisienne
(Sartrouville, Mantes-la-Jolie, Meaux, Garges-Lès-Gonesse) est l’occasion d’un retour à une
politique plus répressive et sécuritaire qui s’appui sur une amplification médiatique
importante des faits de violence. La «question des banlieues» où se concentre la population
Cf. Jacques Bourquin, « La protection judiciaire et les mineurs difficiles », in Collectif, L’éducatif, le
psychiatrique, les cas limites et la PJJ, Vaucresson, CNFEPJJ, 1993, p. 17-35.
46
53
d’origine immigrée est mise en avant et concourt à un débat public quasi-permanent sur le
thème de la délinquance et de la sécurité47.
Un nouveau code pénal entre en vigueur le 1er mars 1994 dans ce contexte sécuritaire. Il
aggrave les qualifications, et les peines encourues et entraîne par voie de conséquence
l’augmentation rapide de la délinquance enregistrée.
Face à cette « montée » de la délinquance et à sa forte visibilité, de nouvelles logiques
apparaissent qui vont orienter les politiques judiciaires dans le sens d'une réponse pénale
rapide. C'est le cas tout particulièrement pour les mineurs qui ont la particularité d'agir dans
un contexte de délinquance intense, fréquemment de faible ou moyenne gravité, et concentrée
sur une courte période de la vie. On assiste en conséquence à la généralisation des procédures
de « traitement en temps réels » (1995-1996) et à la construction progressive d’une justice de
proximité dont l’objectif est l’accélération des procédures judiciaires.
L’année 1996 est marquée par la création des unités éducatives à encadrement renforcé
(UEER)48 qui deviendront les Centres éducatifs renforcés (CER) pratiquant des séjours de
rupture, dont le bilan sera présenté comme positif et, d’autre part, les centres de placement
immédiat (CPI) qui faute de projets éducatifs et d'une durée suffisante pour les mettre en
œuvre se bornent plus ou moins à ressembler à de simples hébergements alternatifs à
l’incarcération. S’appuyant sur le succès des CER, les CEF sont créés en 2002.
Ils accueillent un petit nombre de mineur, répondant ainsi au souci de ne pas concentrer les
délinquants dans un nombre limités d’établissement, mais de les répartir dans de petites
structures. Par contre, la notion de contrainte, même si elle n’est pas aussi marquée qu’en
prison (il n'y a pas d’encellulement) n’en reste pas moins très présente49.
Dans l’ensemble, l’évolution de la politique concernant la justice des mineurs et leur
enfermement s’inscrit dans un contexte historique fluctuant entre périodes sécuritaires où il
s’agit de protéger la société des délinquants et en conséquence de les neutraliser et des
périodes plus calmes où l’on se préoccupe davantage d’éduquer. Le CEF porte la trace de ces
deux axes d’alternance historique en se voulant à la fois sécuritaire (protégeant la société de
ces délinquants) et éducatif (par le souci manifeste dans le contenu de la prise en charge). Il
s'inscrit dés lors de façon typique dans le développement d'un nouveau paradigme éducatif
qui n'oppose plus contrainte et éducation mais qui pose a contrario la pertinence dans le
travail d'éducation de l'usage de la sanction, de la contrainte et de la contenance 50.
47
Cf. Muchielli, L., « L’expertise policière de la «violence urbaine» Sa construction intellectuelle et ses usages
dans le débat public français », Déviance et Société n°4, 2000.
48
Cf. Circulaire du 6 juin 1996 ; Inspection générale des affaires sociales, Inspection générale des services
judiciaires, Inspection générale de l'administration, Rapport sur les Unités à Encadrement Educatif Renforcé
(UEER) et leur apport à l'hébergement des mineurs délinquants, janvier 1998.
49
Suite à la surmédiatisation des fugues survenues lors des premiers CEF le dispositif de sécurité à été renforcé
ajoutant au cahier des charges des CEF daté du 25 juin 2003, une entrée unique par ouverture télécommandée,
des clôtures, des barrières infrarouge, un dispositif de contrôle des mouvements aux CEF pour maximiser la
maîtrise de la mobilité des mineurs par les encadrants. Par ailleurs, à Sainte Eulalie, « des barbelés de 90 cm ont
été ajoutés aux grillages de 1,98m et des entrebâilleurs ont été placés aux fenêtres » (AFP, 11 octobre 2003)
50 Cf. Botbol M., Choquet L-H, Grousset J., «Éduquer et soigner les adolescents difficiles – La place de l’aide
judiciaire contrainte dans le traitement des troubles des conduites», Neuropsychiatrie de l’enfance et de
l’adolescence, juin, vol. 58, n°4, 2010 ; Botbol M., Choquet L-H «Eduquer et transmettre – Changement et
continuité de la transmission dans le contexte de la justice des mineurs», Adolescence, 27, 2, 2009 ; idem, «La
prise en compte de la contrainte dans l’action éducative à l’égard des mineurs délinquants - Une lecture
renouvelée du droit pénal des mineurs», Cahiers Philosophiques, n°116, décembre 2008.
54
2. Histoire de la récidive : d’une notion subjective individuelle à un
indicateur
A l’époque romaine, récidivare (« récidiver ») signale tout d’abord une maladie récurrente.
Vers 1593, le langage juridique désigne la récidive criminelle d’un individu comme le fait de
commettre un nouveau délit ou de s’endurcir dans le crime après avoir été jugé pour un
premier méfait.
Les historiens montrent51 que les figures sociales du danger que dessine le groupe des
« récidivistes » évoluent au cours du temps : le larron, l’hérétique, le vagabond, le brigand
sous l’Ancien Régime, puis plus tard le vagabond, la prostituée et l’alcoolique, l’assassin au
19ème siècle et enfin le criminel sexuel aujourd’hui. Ainsi, la récidive criminelle signale
l'échec de la peine, mais aussi l'enracinement social d'une culture délinquante amplifiée par le
milieu, la précarité et la misère.
Sous l'Ancien Régime, une logique d’élimination ou de neutralisation des criminels (galères,
peine capitale, parfois bannissement) règle de fait la problématique de la récidive. Ceux qui
échappent à la peine capitale sont marqués au fer rouge.
Au 19ème siècle, l'effondrement de la société traditionnelle, la révolution industrielle et
l'expansion urbaine sont souvent désignés comme source de paupérisme et de récidive
délinquante et criminelle. De plus, l’association récidive-danger-marginalité se complique
avec l’émergence de théories (citées plus haut) qui tendent à déterminer biologiquement voir
génétiquement le criminel (A. Bertillon). L’intérêt se porte alors sur la récidive et favorise le
déploiement de l’arsenal scientifique et administratif permettant l’élaboration de critères de
reconnaissance des populations dangereuses et leur suivi. Le casier judiciaire est crée en 1850
à ces fins. Cet intérêt se traduit aussi par une dichotomisation des délinquants entre d’une part
les récidivistes désignés comme des délinquants par habitude ou professionnels et les
délinquants par accident ou primaires de l’autre. La société doit se protéger des premiers et
protéger les seconds en leur évitant le recours à la prison, conçue comme la panacée de la
récidive. Cette focalisation sur la récidive comme un mal absolu, « une gangrène » débouche,
sur le vote de la loi du 27 mai 1885 (loi sur la relégation) qui préconise la mise au bagne de
tous les récidivistes quel que soit le crime commis, et celles du 14 août 1885 et du 26 mars
1891 qui visent à protéger les primo-délinquants.
Au 20ème siècle, la lecture du crime change, entre autre sous l’impulsion des travaux de
sociologie de Durkheim. Le criminel est considéré, comme un agent régulier de la vie sociale.
La lutte contre la récidive passe alors par une meilleure réadaptation sociale des délinquants
comme en témoigne la loi du 29 juillet 1972 dans laquelle l’évaluation du risque de récidive
se détermine par les capacités de réadaptions sociales de l’individu.
Cf. Briegel, F., Porret , M., (études réunies par), Le criminel endurci; récidive et récidivistes du Moyen-Âge
au XXe siècle, Genève, Droz, 2006, 395 pp.
51
55
C’est dans cette perspective qu’on trouve une classification des détenus récidivistes dans un
volume daté de 1992 d’Etudes et données pénales 52 :
Auteur
Cannat 53
Pinatel 54
Vernet 55
De Greeff 56
Primaires
Occasionnels
Rééducables
Modèles
Détenus – Récidivistes
Ordinaires
Marginaux
Douteux
Influencables (en bien)
d’habitude
Chronique
Irrécupérables
Récidivistes
Avec la montée d’un « sentiment d’insécurité »57 à partir de 1990, la récidive revient
logiquement sur le devant de la scène. La lutte contre la récidive passe par la multiplication
des mesures judiciaires et de lois, qui cette fois tiennent compte de la gravité des faits de
délinquance.
En 1992, le code pénal défini plus clairement les modalités d’aggravation des peines en cas
de récidive. En 1994, le code pénal définit précisément dans ses articles 132-8 à 132-10 l’état
de « récidive légale » qui suppose une première condamnation (premier terme) puis une
infraction commise ultérieurement (deuxième terme). Le premier terme consiste en une
condamnation pénale (exclusion notamment des mesures éducatives prononcés contre un
mineur), définitive (toutes les voies de recours doivent être épuisées ou le délai pour les
exercer passé) et prononcée par une juridiction d’un état membre de l’Union européenne.
Deuxième terme : la loi impose qu’il intervienne dans un délai plus ou moins long suivant la
commission de la première infraction. Par exemple, si le premier terme est un délit puni d’un
emprisonnement inférieur à dix ans, le second terme doit consister en un délit du même genre
(article 132-10 du Code pénal)(article 132-8 à 132-16). La « récidive légale» restreinte
finalement à une minorité de cas se détache un peu plus de celle du sens commun58.
La notion de « réitération » est aussi plus présente dés lors, qui comporte une définition
légale59 mais également une acception de sens commun, désignant les situations dans laquelle
52 Cf. Faugeron C., Le Boulaire J-M, Quelques remarques a propos de la récidive, octobre 1992, Etudes et
onnées pénales n° 65.
53 Cf. Cannat, La rééducation des délinquants récidivistes, Paris, lA Melun, 1955.
54 Cf. Pinatel, « Introduction du point de vue de la criminologie appliquée », in Pinatel (J.) Ed., Le problème de
l’état dangereux, Paris, Deuxième cours international de criminologie, 14 sept.-23 oct. 1953, pp. 327-341
55 Source inconnue. Voir Vers une détention éducative, rapport sur le Centre national d'orientation de Fresnes
présenté le 26 juillet 1951 au Congrès de Göteborg Suède, R.P. Joseph Vernet.
56 Cf. De Greeff, "Bilan d'une expérience - Trente ans comme médecin anthropologue des prisons en
Belgique", Esprit, 1955, n° 65, 1992, p. 649-674
57 Vu par les sociologues dont N. Bourgoin comme une construction sociale et médiatique. Voir par exemple
Bourgoin N., Les chiffres du crime. Statistiques criminelles et contrôle social (France, 1825-2006),
L’Harmattan, coll. "Logiques sociales", 2009.
58 Définition légale de la récidive : En matière délictuelle, le premier terme de la récidive doit être un délit, et le
deuxième terme le même délit, ou un délit assimilé par la loi, commis dans le délai de cinq ans à compter de
l’expiration ou de la prescription de la précédente peine (Art. 132-10 du CP) ; en matière criminelle : Le premier
terme de la récidive doit être un crime ou un délit puni de 10 ans d'emprisonnement, et le deuxième terme doit
être un crime (Art. 132-8 du CP).
59
Définition légale de la réitération : Il y a réitération d’infractions pénales lorsqu’une personne a déjà été
condamnée définitivement pour un crime ou un délit et commet une nouvelle infraction qui ne répond pas aux
56
une personne définitivement condamnée pour une infraction en commet une autre sans se
trouver en état de récidive légale. Aucune conséquence juridique n'en découle alors même si
le juge, utilisant le principe d’individualisation de la peine, peut condamner plus sévèrement
que s'il s’agit d'un primo-délinquant. Néanmoins, les réalités entre récidive et réitération sont
très différentes. Ainsi, en 2005, 2,6 % des personnes condamnées en matière criminelle et 6,6
% des personnes condamnées en matière correctionnelle étaient des récidivistes au sens légal.
En revanche, 30 % des personnes condamnées durant la même période avaient déjà fait
l'objet d'une condamnation. Le contraste est encore plus marqué pour les mineurs puisque la
proportion de récidiviste parmi les condamnés en 2005 est 0,6 % et celle des réitérants est de
55 % 60.
Avec la loi du 12 décembre 2005, le législateur officialise la réitération et prévoit des
conséquences juridiques (non confusion des peines en cas de réitération, et loi du 5 mars
2007).
La lutte contre la récidive trouve une nouvelle illustration avec la loi du 10 août 2007 qui
prévoit l’instauration de « peines planchers » pour les délinquants en situation de récidive
légale (loi controversée accusée de porter atteinte au principe d'individualisation de la peine),
ainsi que l'exclusion possible de l'excuse de minorité pour les mineurs récidivistes de plus de
16 ans.
A partir de 2008, le débat se déplace et porte sur l’instauration de mesures de sureté, qui vont
au-delà de la peine exécutée. Cette focalisation actuelle sur la volonté de neutralisation de
certains groupes de délinquants n’est pas sans rappeler la dichotomie ancienne entre les
incorrigibles ou malades incurables dont il faut se protéger, et les autres et la notion de
dangerosité promue au 19ème siècle par l'école de la défense sociale61.
conditions de la récidive légale (art 132-16-7 al.1). Cette définition légale de la réitération est récente puisque
qu’elle n’est introduite dans le code pénal qu’en décembre 2005 par la loi n°2005-1549.
60 Source : Sous direction de la statistique et des études, Ministère de la Justice et des Libertés
61 Cf. Tulkens, F., Généalogie de la défense sociale en Belgique (1880-1914), Story-Scienta, Bruxelles, 1988.
57