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DIRECTION DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE SOUS-DIRECTION DES MISSIONS DE PROTECTION JUDICIAIRE ET D’EDUCATION BUREAU DE LA LEGISLATION ET DES AFFAIRES JURIDIQUES PôLE RECHERCHE Florence de Bruyn, Luc-Henry Choquet, Lydia Thierus 1 _________________________________ ENQUETE SUR LA REITERATION DES MINEURS PLACES EN CENTRE EDUCATIF FERME, ENTRE 2003 ET 2007 _________________________________ RAPPORT FINAL SEPTEMBRE 2011 1 Stagiaire, Centre de recherche Populations et sociétés (CERPOS), Université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense. 1 SYNTHESE Motifs de l’étude On sait peu de choses précises sur les effets des prises en charge éducatives des mineurs. C’est pourquoi le Pôle Recherche de la DPJJ s’est lancé dans une série d’études d’impact à partir d’enquêtes ou de calcul du niveau de réitération (après une mesure de réparation, de liberté surveillée, après un séjour en CEF). Ce niveau de réitération après une décision judiciaire exécutée est, aujourd’hui, pour l’opinion publique et le milieu politique, la manière la plus immédiate de reconnaître le niveau de réussite du traitement judiciaire et de la prise en charge éducative ainsi que le bien fondé des crédits qui leur sont alloués. Réalisation Pôle recherche de la DPJJ avec la collaboration du Casier judiciaire national Echantillon Les mineurs placés dans 13 CEF entre 2003 (date d’ouverture des premiers CEF) et le début 2006, soit 1/3 de l’ensemble des 38 CEF ouverts en 2006. Taux de réponse des CEF : 80 % ; taux de réussite dans la récupération des casiers judiciaires : 82 % ; effectif final de l’échantillon : 358. Principaux résultats A) La population des mineurs entrant en CEF se compose de : 1) non réitérants (26%) : ils n’ont pas de condamnation inscrite au casier judiciaire au moment de leur entrée en CEF, sont délinquants depuis peu mais de manière intensive et grave, plutôt dans le domaine des atteintes aux personnes ; ils sont sanctionnés avant même leur premier jugement par un placement en CEF ; 2) multi-réitérants (74%) : ils ont été plusieurs fois condamnés avant leur entrée et au moment de leur entrée en CEF, le plus fréquemment pour des atteintes aux biens de gravité moyenne, et occasionnellement pour des délits de gravité élevée. Ils se distinguent en deux catégories : o Les “ancrés” (58 %) : ils ont commis en moyenne 15 délits dont 8 ont été jugés ; ils ont quasiment tous été condamnés par un tribunal pour enfants à des peines de prison (ferme ou avec sursis). o Les “précoces” (16 %) : ils ont commis en moyenne 11 délits dont 2 seulement ont été jugés ; des mesures éducatives ont été prononcées à leur encontre, , plus tôt et alors qu’ils sont plus jeunes que les autres, par un juge des enfants, plus rarement par un tribunal ; aucune condamnation à de la prison. Les filles et les étrangers se répartissent indifféremment dans ces trois profils de délinquants. L’âge moyen d’arrivée au CEF est le même pour les trois profils (16 ans). B) Des placements en CEF plus souvent écourtés pour les multi-réitérants : Les placements sont davantage écourtés pour les mineurs multiréitérants, le plus souvent à la suite d’un incident aboutissant à une main levée du placement, mais aussi à une condamnation à une peine de prison ferme, ou plus rarement encore lors du passage du 2 jeune à sa majorité). La durée de séjour en CEF n’est dépendante d’aucune variable relevée dans l’enquête, hors le fait de ne pas encore avoir été condamné qui semble conduire à un séjour plus long en CEF. C) Les incidents surviennent le plus souvent au début du placement. Les placements en CEF sont le plus souvent écourtés par un “incident” (le plus fréquemment une fugue) à la suite duquel le juge prononce une main levée du placement. Près d’1 mineur sur 5 connaît au moins un incident dans les quinze premiers jours suivants le placement. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cette surreprésentation en début de placement. L’entrée en CEF peut susciter des difficultés « traumatiques » liées soit à la séparation du mineur avec son milieu naturel, soit à la situation d’enfermement. Le placement peut susciter également des difficultés relationnelles liées à la menace identitaire que ces mineurs éprouvent et à l’absence de recours à la mise à distance qu’ils utilisent habituellement. Si le taux d’incident tend à diminuer dans les mois suivants, il s’agit principalement d’un effet de sélection puisqu’une partie des jeunes ayant provoqué un incident dans les premiers jours du placement quittent le CEF. D) La baisse de la réitération après le passage en CEF dépend principalement de la durée du séjour en CEF. 1) Toutes catégories confondues, le taux de réitération mesuré sur un an est de 90% avant l’entrée en CEF et de 70 % à la sortie du CEF2. 2) La réduction ou la poursuite de la réitération après le passage en CEF sont fonction (toute choses égales par ailleurs) de : o la durée du séjour : Ceux qui restent plus de 170 jours (près de 6 mois) réitèrent moins que les autres. Toutefois, le placement en CEF commence à produire des effets à partir de 125 jours (4 mois) de placement effectif. o le nombre de délits commis par un individu avant son entrée en CEF : plus le nombre d’antécédents est élevé, plus le mineur a de chances de commettre des infractions à l’issue du séjour en CEF. Ainsi parce qu’ils restent moins longtemps et qu’ils ont commis davantage de délits, les multi-réitérants sont ceux qui ont les plus hauts risques de réitération après le séjour en CEF. Notons que la gravité des actes commis et la nature de l’infraction ont peu d’influence sur les risques de réitération après CEF et que la 1ère réitération après le séjour en CEF n’est bien souvent pas un acte isolé : elle peut être considérée comme une « rechute effective » dans le sens où elle sera suivie d’autres infractions pour plus des trois quarts des jeunes réitérants. 2 Ces chiffres, qui sont ceux de la réitération, sont beaucoup plus élevés que ceux de la récidive légale de l'infraction principale dont le taux s’élève à 1,4 % en 2009, dans les juridictions (cours d'assise et d'appel des mineurs, tribunaux des enfants, juges pour enfants). C’est ainsi qu’il y a eu 56182 condamnées pour une ou des infractions commises avant 18 ans dans les juridictions pour mineurs, en 2009, et 790 récidivistes condamnés pour une ou des infractions commises avant 18 ans dans le cadre d’une procédure judiciaire en général plus rapide. 3 Quatre apports pour la formation, les établissements et services de la PJJ et les partenaires institutionnels : 1. Importance d’un maintien du placement malgré la survenue d’incidents au cours de la 1ère phase de placement Dans la mesure où le taux de réitération est directement corrélé à la durée de placement et que les incidents surviennent davantage en début de placement, il convient de mettre en place une organisation de service permettant de supporter la survenue de ces incidents, inévitables voire prévisibles : - communication avec les magistrats pour envisager la stratégie éducative à adopter en fonction de la gravité des incidents et la limitation des mainlevées durant la première phase de placement ; - organisation de temps de dégagement et d’accueil-relais au sein d’autres structures pour scander le séjour en CEF lors d’incidents et faciliter le retour au CEF d’origine ; - organisation de la prise en charge particulièrement structurée lors des premiers temps du placement (accompagnement constant du mineur, programme intensif d’activité…) ; - mise en place de protocoles de soutien des professionnels, d’accompagnement, d’analyse de pratique dans la perspective de favoriser la fluidité de la relation éducative dans un contexte marqué par les incidents de parcours. 2. Nécessaire accompagnement soutenu du mineur lors de la sortie du dispositif Le rôle de la 1ère réitération conduit, afin de prévenir son éventuelle survenue, à organiser soigneusement et strictement la sortie du mineur du CEF (emploi du temps à tenir à la sortie) en l’encadrant tant par les professionnels de la PJJ du CEF et du milieu ouvert que par les titulaires de l’autorité parentale, quand cela est possible. Cela nécessite une articulation étroite avec les services de milieu ouvert ainsi qu’avec les organismes de droit commun. 3. Une orientation en CEF adaptée pour les mineurs en début de comportement délinquant Le dispositif parait particulièrement adapté pour des mineurs qui ont un comportement délinquant récent. C’est pourquoi l’orientation en CEF d’un mineur mis en cause dans une ou plusieurs procédures pénales peut être pensée dès les premiers temps de la prise en charge par la PJJ, et même s’il n’a pas encore été placé au sein d’un établissement d’hébergement classique. 4. Un dispositif à repenser pour l’accueil de mineurs multi-réitérants Les modalités de prise en charge des mineurs multi-réitérants, pourtant « cœur de cible » du dispositif lors de sa création, doivent être réinterrogées dans la mesure où l’on note un plus fort taux de réitération pour ce public en sortie de CEF. Ce qui est partiellement lié au fait que leurs séjours sont plus fréquemment écourtés. 4 SOMMAIRE Introduction ........................................................................................................................................6 Partie 1 : Le contexte et les enjeux d’une évaluation des Centres Educatifs Fermés en terme de récidive/ réitération .......................................................................................................7 1. Les approches et les mesures de la récidive :................................................................. 8 2. Les recherches précédentes traitant de la récidive/réitération...................................... 12 3. Les choix méthodologiques de la présente étude ......................................................... 15 Partie 2 : Etude de la population entrant en CEF et des caractéristiques du placement..........17 1. Caractéristiques démographiques des mineurs placés en CEF .................................... 17 2. Caractéristiques judiciaires .......................................................................................... 18 3. Typologie des délinquants à leur entrée au CEF.......................................................... 23 4. Les caractéristiques du placement en CEF................................................................... 28 5. Les incidents en CEF.................................................................................................... 32 Partie 3 : La réitération après le passage en CEF.........................................................................34 1. La réitération tend à diminuer en sortie de CEF par rapport à ce qu’elle était avant le placement ............................................................................................................................. 34 2. La durée du placement effectif en CEF est un facteur important................................. 35 3. Modélisation de la réitération après CEF..................................................................... 37 4. Un type de réitération par profil de délinquant ............................................................ 41 5. Les caractéristiques des réitérations après la sortie du CEF ........................................ 42 6. Comparaison avec les données sur les réitérations des mineurs à partir des casiers judiciaires (1999-2004) ........................................................................................................ 43 Conclusion.........................................................................................................................................46 Annexe 1 : Table de gravité - niveaux de gravité adoptés en fonction de la nature des infractions .........................................................................................................................................49 Annexe 2 : Mise en perspective historique de la création des CEF et histoire de la récidive ...52 1. Mise en perspective historique de la création des CEF................................................ 52 2. Histoire de la récidive : d’une notion subjective individuelle à un indicateur ............. 55 5 Introduction En 2008, le directeur de la Protection Judiciaire de Jeunesse (DPJJ-Ministère de la Justice) commande à ses services une étude dont l’objectif est d’évaluer l’efficacité en termes de récidive/réitération des mineurs délinquants, d’une structure relativement nouvelle : les Centres Educatifs Fermés. Pour répondre à la commande et contribuer à une connaissance plus approfondie de la problématique des jeunes multiréitérants séjournant en CEF et à une vision remaniée de l’approche de la récidive/réitération, le Pôle Recherche de la DPJJ à conduit une enquête à partir du rapprochement de deux sources de données différentes : 1- Un recueil réalisé en 2008 auprès des 13 CEF existants en 20063 à qui étaient demandés les dates d’entrée et de sortie du CEF, les motifs de placement et les incidents survenus au cours du séjour (N1 = 435). 2- Le Casier Judiciaire National auprès duquel ont été obtenus les bulletins n°1 pour chaque mineur. Ces bulletins ont été saisis et codés dans une base de données spécialement construite pour cette étude. En définitive, le parcours de 358 jeunes a pu être retracé. Pour 77 mineurs, le casier judiciaire a fait défaut4. Après avoir présenté ces structures et l'historique de leurs création et la notion de récidive, nous expliciterons les enjeux d’une telle commande qui réclame une approche en terme de récidive plutôt qu'en en terme d’insertion, de scolarisation ou même de santé, puis nous préciserons le bien fondé du choix des analyses de durées comme outils de recherche. Dans un deuxième temps, nous analyserons les caractéristiques de la population accueillie en CEF, pour proposer une modélisation de la récidive avant d’ouvrir notre approche à d’autres points de vue. Nous souhaitons contribuer à partir de cette étude à une connaissance plus approfondie de la problématique des jeunes multiréitérants séjournant en CEF et à une vision remaniée de l’étude de la récidive/réitération. 3 Le CEF de Mont de Marsan (40); le CEF de Ste Eulalie (33) ; le CEF de St Denis Le Thiboult (76); le CEF de Saverne (67), le CEF de St Paul d'Espis (82), le CEF de Moissanes (87), le CEF de Le Vigeant (87), le CEF de Hendaye (84), le CEF de Beauvais (60), le CEF de Autun (71), le CEF de Lusigny Sur Barses (10) et de Tonnoy (54) et le CEF de Valence (26) 4 Dont 69 sans précisions, 3 décès, 3 néants, 2 non exploitables. 6 Partie 1 : Le contexte et les enjeux d’une évaluation des Centres Educatifs Fermés en terme de récidive/ réitération Les CEF ont été créés par la loi d'orientation et de programmation pour la justice de 20025. Ce sont des établissements publics ou privés habilités, réservés à des jeunes délinquants multi récidivistes, âgés de 13 à 18 ans, placés par le magistrat suite à une mesure de contrôle judiciaire, d'un sursis avec mise à l'épreuve, d’un placement à l’extérieur ou d'une libération conditionnelle. L’objectif est de réinsérer ces mineurs socialement et professionnellement dans la société, à l’aide d’un apprentissage éducatif renforcé sur la base d’une durée de séjour en CEF qui est : - 6 mois, renouvelable une fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire (CJ) - Au maximum pour la durée de la peine prononcée, dans les cadres suivants : a) placement extérieur (PE), b) libération conditionnelle (LC), c) sursis mis à l’épreuve (SME). Dès l’accueil du mineur, celui-ci fait l’objet d’un bilan d’évaluation des acquis scolaires et professionnels à la suite duquel un projet individuel est établi (formation éducative pour les 1316 ans et/ou formation à l’insertion professionnelle pour les 16-18 ans). Les mineurs sont en permanence en présence d'adultes dans le partage d'activités quotidiennes, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'établissement dans les premiers temps du placement. En cas de violation des obligations auxquelles le mineur est astreint, cela peut entraîner selon le cas, le placement en détention provisoire ou l’incarcération. La sortie est soigneusement préparée avec l’accompagnement d’un éducateur éducatif dans les démarches professionnelles ou scolaires. L’histoire de la justice des mineurs, plus particulièrement des modes d’enfermement des mineurs, étroitement liée à l’apparition de la récidive comme métrique d’évaluation des politiques pénales, permet de mieux comprendre les enjeux de cette étude. C’est pourquoi ces deux aspects sont présentés en annexe 6. 5 6 Cf. LOPJ n°2002-1138 du 9 septembre 2002. Cf. annexe n°2. 7 1. Les approches et les mesures de la récidive : Deux approches de la mesure de la récidive et de la réitération coexistent : -L’approche administrative consiste à déterminer, dans la perspective d’un jugement si une personne est en état de récidive légale ou de réitération. Pour cette détermination judiciaire/administrative, le code pénal et le casier judiciaire suffisent. -L’approche « scientifique » consiste à produire et à analyser les chiffres de la récidive et de la délinquance. Cette approche passe par l’élaboration des « taux de récidive ». 1.1 - L’approche scientifique de la récidive/réitération : « L’évocation des taux de récidive dans les discours des politiques, des journalistes et aussi des praticiens, laisse à penser qu’il est aussi limpide qu’un taux de féminité par exemple. Or, force est de constater que les références à ce « taux » se font dans la plus grande confusion»7. Cette opacité, sur la manière dont les taux de récidive sont obtenus s’accompagne aussi de nombreuses difficultés d’interprétation. En particulier, mesurer un taux de récidive pour évaluer l’efficacité d’une mesure judiciaire pose des difficultés particulières qu’il convient maintenant d’expliquer. Ces difficultés particulières à l’étude de la récidive/réitération relèvent de quatre domaines : les données utilisées, les indicateurs retenus, les modes de calcul et enfin l’interprétation des chiffres. 1.2 - Les sources de données permettant d’établir des chiffres concernant la récidive/réitération Elles doivent non seulement permettent de répertorier tous les évènements (infraction, condamnation…) mais aussi les dater. En effet, pour calculer un taux de récidive, il faut connaître a minima et sur une période d’observation assez longue les dates des infractions et des condamnations. Les sources de données propices à obtenir ces évènements et leur datation sont, de ce fait, peu nombreuses : Le casier judiciaire constitue la source de données la plus utilisée pour établir des taux de récidive/réitération. Il permet de repérer les cas de récidive légale (souvent directement mentionnée), mais il limite la mesure de la réitération aux condamnations inscrites au casier judiciaire8. Le panel des mineurs permet aussi de mesurer des taux de réitération puisqu’il informe sur l’ensemble de la procédure judiciaire. Il ne porte cependant que sur un échantillon restreint de mineurs (nés entre le 1er et le 15 octobre, soit 4%) et présente des lacunes concernant l’exécution des peines. Les taux de réitération calculés à partir de cette source sont logiquement plus élevés que ceux calculés à partir du casier judiciaire 9. Cf ; Kensey, A., Prison et récidive, Armand Colin, 2007, p162. Ne sont pas inscrits au casier judiciaire : les mesures alternatives aux poursuites, les contraventions de type 1 à 4, l’amnistie, l’écoulement d’un délai maximum de 40 ans après le prononcé de la dernière condamnation; la réhabilitation de plein droit ou judiciaire qui efface les condamnations passé un certain délai. Tout comme les dispenses de peines qui disparaissent du casier à l’expiration d’un délai de 3 ans à compter du jour où la condamnation est devenue définitive, ainsi que pour les mesures prononcées par les juridictions des mineurs, si pendant ce délai l’individu n’a pas soit été condamné à une peine criminelle ou correctionnelle, soit exécuté une composition pénale. 9 Cf. Inspection de la DPJJ, La réparation pénale, septembre 2007. 7 8 8 Les autres sources de données n’ont pas encore fait leurs preuves : les enquêtes de délinquance auto-déclarée par exemple ne comportent pas de datations assez précises. Les spécificités de la délinquance des mineurs (intensité délinquante, problèmes en partie liés à l’adolescence, problématiques sociales très présentes) et de la justice des mineurs qui déploie nombre de mesures et de sanctions éducatives toutes limitées en durée (comparée à celles des majeurs) font que l’établissement des indicateurs de récidive ne peut se faire qu’à partir des sources de données qui recensent et datent de manière continue les infractions et les condamnations. Les « photographies » de la situation des mineurs à un instant donné ne suffisent pas, dans la mesure où elles ne peuvent « connecter » les événements entre eux, dater et relier chaque infraction à son éventuelle condamnation. 1.3 - Les indicateurs retenus : Pour étudier la récidive/réitération, il faut pouvoir s’approcher au plus près de la définition judiciaire de ce phénomène. Or, utiliser cette détermination nécessite d’avoir des données détaillées et datées sur le parcours judiciaire de chaque délinquant, ce qui n’est pas toujours facile à obtenir. De ce fait, des indicateurs sont proposés et assimilés souvent à tort comme indicateurs de récidive comme le taux d’incarcération après une mesure ou le taux de nouvelles affaires. Ces taux pourraient s’approcher des taux de récidive/réitération si les événements judiciaires qui constituent le parcours judiciaire des délinquants suivaient une logique chronologique (de type infraction 1, jugement 1, peine ou mesure 1, infraction 2, jugement 2, peine ou mesure 2…). Or, c’est loin d’être le cas. Les infractions ne sont, en général, pas jugées dans l’ordre où elles sont commises et les mesures et sanctions ne sont pas non plus exécutées dans l’ordre où elles sont prononcées. Ainsi pour donner une idée, plus des trois quarts des mineurs de notre échantillon (77%) sont condamnés après leur sortie de CEF pour une infraction commise avant l’entrée en CEF, autre que celle qui a motivé le placement en CEF. Aussi, assimiler récidive et taux de nouvelles affaires sans tenir compte de la date des infractions revient bien souvent à surestimer la récidive/réitération. De la même manière, le taux d’incarcération ne présume en rien de la récidive s’il ne tient pas compte de la date des infractions. 1.4 - Les modes de calculs de la récidive Il existe deux modalités de calcul aboutissant à deux « taux de récidive » qui recouvrent, en conséquence, deux réalités différentes : - Le taux de récidive/réitération rétrospectif mesure une proportion de récidivistes parmi un groupe de délinquants à un instant donné. Autrement dit, il consiste, dans un groupe de délinquants à un instant donné, à donner la proportion de ceux qui ont des antécédents de délinquance. Cet indicateur utilisé dès la fin du 19ème siècle, l’est encore aujourd’hui. Par exemple l’objet du texte de projet de la loi du 10 août 200710 exposé par le Senat mentionne : «en 2005, 2,6 % des personnes condamnées en matière criminelle et 6,6 % des personnes condamnées en matière correctionnelle étaient des récidivistes au sens légal. En revanche, 30 % des personnes condamnées en 2005 avaient déjà fait l'objet d'une condamnation. Le contraste est encore plus marqué pour les mineurs, entre un taux de 0,6 % de récidive mais de 55 % de réitération». Ce taux décrit l’état d’une population à un moment donné, mais ce n’est pas un risque de réitération. En ce sens, les chercheurs lui préfèrent un taux de récidive/réitération prospectif. 10 http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl06-333.html consulté le 30 juin 2010. 9 - Le taux de récidive/réitération calculé de manière prospective permet d’évaluer des risques de récidive et de les décliner selon les variables explicatives en présence. La méthode prospective consiste à suivre une cohorte de délinquants au cours du temps en notant les nouvelles infractions condamnées. On utilise ainsi dans la présente étude, cette méthode statistique de suivi de cohorte. Pour calculer un taux prospectif de récidive/réitération, il faut au préalable définir : La population concernée, c’est-à-dire, les critères pour qu’une personne fasse partie de l’étude. Dans la présente étude, la population concernée se compose des mineurs qui ont été placés en CEF entre 2003 et 2007. Le critère retenu pour le début de l’observation : ça peut être la sortie de prison, la fin d’une mesure, la date de la condamnation. Dans cette étude, le début de l’observation correspondra à la date de sortie du CEF. Le critère retenu pour l’analyse : s’il s’agit d’un taux de récidive légale par exemple, le critère sera une nouvelle infraction relevée constituant un cas de récidive légale, s’il s’agit d’un taux de réitération, le critère sera une nouvelle infraction ayant donné lieu à une condamnation. Dans cette étude nous étudierons principalement la réitération d’infractions aussi le critère sera une nouvelle infraction commise après la sortie du CEF et ayant donné lieu à une condamnation inscrite au casier judiciaire. La durée de l’observation : le calcul d’un taux de récidive/réitération peut se faire à tout moment, mais un taux de récidive calculé trois mois après la sortie du CEF, ne donne pas le même résultat qu’un taux de récidive calculé deux ans après. Dans la présente étude, les durées d’observation varient de 1 à 3 ans. 1.5 - Interprétation des taux de récidive : La mesure des taux de récidive pour évaluer l’efficacité d’une mesure doit tenir compte de trois effets principaux : L’effet de filtre : les personnes sélectionnées pour une mesure peuvent avoir, avant même d’accomplir la mesure, une proportion à la récidive moindre que les autres. Les mineurs bénéficiant d’une mesure de liberté surveillée, par exemple, sont sélectionnées par le juge au moment du prononcé, notamment lorsqu’ils sont primo délinquants. Ainsi, le taux de récidive moindre pour ceux qui bénéficient d’une mesure de liberté surveillée (par rapport à ceux qui n’en n’ont pas bénéficié) n’est pas un effet de la mesure, mais un effet de sélection lié aux caractéristiques du mineur et à l’effet filtre opéré par le juge. Dans le cas des mineurs placés en CEF, l’effet de filtre se pose et c’est pourquoi il convient de s’interroger sur la sélection des mineurs envoyés en CEF, d’une part, et sur celle qui s’opère au cours du placement, d’autre part. L’effet de trajectoire : un mineur qui, à sa sortie du CEF, se retrouve en prison aura un risque de récidive moindre que celui qui se retrouve en liberté, et ce, sans qu’il s’agisse pour autant d’un effet du CEF. De la même manière, les événements intervenus avant l’entrée en CEF peuvent aussi avoir un impact sur la réitération après CEF. L’effet de structure : Les précédentes études sur la récidive/réitération, qui ont concerné fréquemment les détenus, montrent que les taux de récidive/réitération varient tout particulièrement en fonction de la nature de l’infraction principale, de l’âge et du passé pénal. Ne pas tenir compte de l’effet de ces variables dans l’interprétation des taux de récidive/réitération peut aboutir à des erreurs 11. Par exemple : l’étude de la DAP (Kensey, A., Lombard, F., Tournier, P.V., Sanctions alternatives à l’emprisonnement et « récidive » , Observation suivie, sur 5 ans, de détenus condamnés en matière correctionnelle libérés et de condamnés à des sanctions non carcérales (département du Nord), Collection Travaux et Documents 11 10 La méthodologie utilisée dans cette étude vise à examiner les niveaux de récidive/réitération obtenus une fois ces trois effets maitrisés (de trajectoire, de filtre, de structure). Il reste à rappeler les deux types d’approches de la récidive/réitération qui mène à des interprétations opposées 12 : -L’approche classique de la récidive adopte implicitement le principe selon lequel la sanction doit avoir un effet positif et donc se traduire par des taux de récidive le plus faibles possible. -L’approche globale, replace la mesure dans l’ensemble du dispositif pénal et de la politique pénale. Elle se fonde sur la distinction entre trois groupes de délinquants constitués : de cas exceptionnels, des personnes dont rien ne prédisposait apparemment à se comporter ainsi ; des individus dont les comportements posent régulièrement problèmes mais qui peuvent s’améliorer ; des délinquants chroniques, multirécidivistes, « incorrigibles », « irrécupérables »…. Les fonctions de la peine sont alors différentes selon les trois groupes : dissuader ou intimider les délinquants du premier groupe, réadapter ceux du deuxième groupe, neutraliser ceux du troisième. L’approche globale pose la question, non pas de l’efficacité de la mesure, mais de l’efficacité du système à proposer une mesure adaptée à chaque cas, donc son efficacité à faire la distinction entre ces trois groupes. Si cette distinction est bonne, alors on s’attendra à un taux de réitération plutôt plus élevé après un placement dans les lieux privatifs de liberté, dans lesquels les délinquants du troisième groupe auront été placés, et un taux plus faible pour les mesures ou sanctions éducatives. Dans cette approche, un taux de réitération élevé après un placement dans un lieu privatif de liberté est interprété plutôt comme une réussite de la sélection opérée par le système judiciaire. n° 70, DAP, octobre 2005) avance des taux de réitération observés pour les majeurs ayant fait l’objet d’une condamnation en 1996, mesuré sur une période d’observation de 5 ans, de 34 % après une condamnation à un Travail d’Intérêt Général et de 32 % après une condamnation à un Sursis avec Mise à l’Epreuve. Cette différence entre ces deux taux de réitération est en réalité due à un effet d’âge et non un effet de la sanction. En effet 61 % des condamnés au TIG ont moins de 25 ans contre 31 % pour les condamnés à un sursis mis à l’épreuve. Pour contrôler cet effet, il est d’usage de recourir à la méthode des taux comparatifs qui consiste à évaluer à structure par âge identique quels seront les taux de réitération. Pour reprendre notre exemple, à structure par âge et passé pénal équivalents, les taux de réitération « comparatifs » sont de 31 % pour les condamnés à des TIG et 53 % pour les condamnés à un SME. 12 Cf. Combessie (P.), Sociologie de la prison, Paris, La découverte, 2004 11 2. Les recherches précédentes traitant de la récidive/réitération 2.1 - Les « enquêtes précédentes » sur le suivi des mineurs après leur placement en CEF : -La synthèse du rapport d’évaluation du programme expérimental CEF, réalisé par les services de l’Inspection de la DPJJ est présentée en janvier 200513. Sur 56 mineurs sortis des CEF expérimentaux au 30 avril 2004, l’étude dispose d’informations pour 48 d’entre eux, et constate que 25 mineurs (soit plus de la moitié) ont connu la détention dans les 6 mois suivant la sortie du CEF. Cette étude donne donc un taux d’incarcération de plus de 50 % dans les six mois suivant la sortie du CEF. - La Direction de Projet CEF de la DPJJ (DPCEF) s’est informée depuis le démarrage du programme des CEF du devenir de chaque mineur après sa sortie. Ce suivi a permis d’évaluer à 61 % le pourcentage de mineurs qui n’ont commis aucune infraction (connue du CEF) dans l’année suivant leur sortie de CEF. Ces données ont été recueillies à l’occasion d'échanges téléphoniques avec les CEF et de déplacements sur le terrain » et les situations examinées sont seulement celles des mineurs revenus en CEF qui sont des cas particuliers. C’est pourquoi ce chiffre ne satisfaisait à aucune des exigences présentées plus haut et ne pouvait servir de point de référence pour la présente étude. - Le bureau des systèmes d'information (DPJJ/ L3) a tenu entre 2006 et mi 2008 une application renseignant sur la situation des mineurs sortis de CEF à la date d’un an après leur sortie de CEF. Entre le 1er janvier 2006 et août 2008, 221 jeunes ont vu leur situation renseignée jusqu’à 1 an après leur sortie d’un CEF public ou associatifs dans l’application, une première fois, puis mise à jour à deux reprises. 111 d’entre eux (50 %) ont connu la prison dans l’année. L’évènement fondant l’incarcération est près de 8 fois sur 10 une infraction extérieure au placement en CEF, et postérieure à ce dernier dans près de 2 cas sur 3 14. Le recueil de données est conforme à l’établissement d’indicateurs objectifs mais ne permet pas d’avancer un indicateur objectif de la récidive/réitération puisque les informations judiciaires faisaient défaut. Pour des raisons techniques ou par construction, aucune de ces études menées précédemment sur les mineurs placés en CEF n'a permis de construire un indicateur de sortie de délinquance de façon objectivement satisfaisante 15. Mais quelques études plus larges sur la réitération/récidive permettent d’établir des points de comparaison avec la présente étude. 2.2 - Les études précédentes portant sur la réitération de l'ensemble des mineurs : Réitération/récidive à partir du casier En 2007, la sous-direction de la statistique et des études du Ministère de la Justice a réalisé une étude sur la trajectoire inverse des sorties de délinquance autrement dit sur « la réitération d'infraction après condamnation des mineurs » 16. Cette étude suivait pendant une période d’au moins 3 ans la cohorte de mineurs qui ont eu une condamnation inscrite au casier judiciaire en 13 DPJJ/Inspection des services/comité technique d’évaluation, Evaluation du programme expérimental CEF, janvier 2005. http://intranet.justice.gouv.fr/dpjj/actu/synthrappcef0205.pdf consulté le 30 juin 2010. 14 Cf. DPJJ - SDPOM – BSI, Situation des mineurs un an après leur passage en CEF, octobre 2008. 15 Cf. Synthèse du rapport d’évaluation du programme expérimental CEF, Inspection de la DPJJ, janvier 2005, Etude sur les mineurs ayant séjourné en CEF un an après, Direction de Projet CEF (DPJJ/DPCEF), 2007, Etude sur l'incarcération des mineurs ayant séjourné en CEF, DPJJ/L3, 2008. 16 Cf. Tiaray Razafindranovona, La réitération d'infraction après condamnation des mineurs, sous-direction de la statistique et des études, Ministère de la Justice, octobre 2007. 12 1999, 2000 et 2001, et relevait les condamnations correspondant à de nouvelles infractions. Elle propose des taux de réitération prospectifs en fonction de l’âge et des antécédents, et explicite leur calcul. Elle présente ainsi des résultats objectifs et exhaustifs à partir de 37 657 condamnations pour délit prononcées par des juridictions de mineurs, inscrites au casier judiciaire et concernant 28 633 individus mineurs au moment des faits 17. - Le taux de réitération au bout de 5 ans pour ces mineurs s’élève à 55,6 %. Ce taux inclut des individus mineurs au moment des faits devenus majeurs lors de la réitération. Cependant, un taux de réitération dans la minorité n’est pertinent que s’il porte sur des cohortes composées de jeunes qui ont le même âge et l’étude citée n’en présente pas. - La réitération est relativement rapide : environ 38 % des mineurs condamnés en 1999 ont réitéré au bout de deux ans. - Parmi les mineurs condamnés en 1999, le taux de réitération est de 50 % au bout de 5 ans pour les primo-condamnés, et de 84 % pour ceux qui avaient en 1999 déjà fait l’objet d’une condamnation. Ce résultat donne une mesure de la réitération des multidélinquants. o Le taux de réitération augmente avec l’âge du condamné lors de la commission des faits : il est de 40 % quand le condamné est âgé de 12 ans ou moins lors de la commission des faits en 1999 pour atteindre 60 % s’il est âgé de 17 ans. Plus le mineur est proche de la majorité plus le champ des infractions visées par la réitération s’élargit, incluant entre autres les délits routiers. o Le taux de réitération le plus élevé (64 %) s’observe chez les condamnés pour outrage suivi par celui des condamnés pour vol-recel (59 %), pour violences volontaires et destruction-dégradation (56 %). o Le taux le plus faible est celui des condamnés pour infractions aux mœurs (dont plus de la moitié sont des agressions sexuelles sur mineur de 15 ans) avec 34 %. S’agissant des peines les concernant : - Elles sont clairement aggravées à la nouvelle condamnation de l’individu qui a réitéré. - En particulier la fréquence des peines de prison est bien plus importante : 26 % en réitération contre 11 % à la première condamnation et la fréquence des mesures éducatives prononcées en réitération, qui concernaient plus d’un condamné sur deux en 1999, se situe autour de 13 %. - L’aggravation est toutefois progressive puisqu’il est rare de passer directement d’une mesure éducative à une peine privative de liberté. - Le taux de réitération varie selon la gravité de la peine initialement prononcée : il est plus élevé quand le mineur a été condamné en 1999 à une peine privative de liberté : entre 70 % et 80 % selon que la peine est ferme ou avec un sursis partiel ; 64 % pour une peine de prison avec sursis total. A l’inverse, les taux de réitération sont sensiblement plus bas quand le condamné est dispensé de peine (40 %) ou sanctionné par une mesure éducative (49 %). Ces écarts s’observent quel que soit le type d’infraction. Si cette étude, essentiellement descriptive (elle décrit mais ne cherche pas à expliquer la réitération) relève les principales caractéristiques de la réitération des mineurs, elle ne maîtrise pas néanmoins les effets précités (de filtre, de trajectoire, de structure). De ce fait, certains résultats, comme la variation de la réitération en fonction de la gravité de la peine sont à relativiser. 17 Utilisant le casier judiciaire, cette étude appelle les mêmes remarques que la présente étude (voir note 27) 13 Réitération/récidive après une mesure de réparation prononcée par le parquet En 2009, une étude commandée par le procureur général de la Cour d’appel (CA) de Paris à l’audit de la DIR Ile de France avait pour objet de mesurer la réitération des mineurs après une mesure de réparation alternative aux poursuites, en tenant compte des antécédents judiciaires du mineur18. Des données ont été recueillies sur la quasi-totalité des mineurs pour lesquels une mesure de réparation a été effectuée et clôturée en 2007 au TGI de Bobigny, soit 404 mineurs. Les parcours judiciaire des mineurs ont été relevé en exploitant les données des logiciels Image (DPJJ), Wineur et NCP (TGI de Bobigny) et par une consultation des dossiers dans les associations. Cette étude répond également de manière satisfaisante aux critères de scientificité exposés plus haut. Elle présente l'augmentation progressive du taux de réitération en fonction de la durée écoulée et examine des critères qui l'expliquent. Les résultats montrent que le taux de réitération prospectif se stabilise après 18 mois suivant la fin de la mesure à hauteur de 33 %. Le risque de réitérer est directement fonction de variables telles que le sexe, le nombre d’antécédents, la commission d’une infraction durant la réparation, et de manière indirecte selon la nature de l’affaire : les mineurs commettant IPDAP19 et ILS20 ont plus de risque de réitérer que ceux qui ont commis des atteintes aux biens et aux personnes, mais parce que les premiers ont plus d’antécédents dont la gravité intervient également. Il faut encore ajouter que les mineurs qui ont été jugés au tribunal pour enfants (plutôt que d’avoir fait l’objet d’une réponse parquet ou d’un jugement en cabinet), autrement dit qui ont probablement les antécédents les plus graves, ont plus de risque de réitérer parce qu’ils ont parallèlement plus d’antécédents et qu’ils commettent plus souvent une infraction durant la réparation que les autres ; Néanmoins, cette étude comporte des limites qui tiennent au caractère restreint du périmètre étudié (TE de Bobigny), mais aussi au fait que l’étude montre bien des effets directs et indirects, sans pour autant réussir à donner une importance relative à chacun. Ainsi on ne sait pas en définitive départager lequel des effets est le plus important (âge, nombre d’antécédents). Cf. DPJJ/SDK/K1/Pôle Recherche, DIRPJJ Ile de France, Cour d’Appel de Paris, Caractéristiques de la réparation parquet et de la réitération ex post, janvier 2010. 18 19 20 Infraction à personne dépositaire de l’autorité publique. Infraction à la législation sur les stupéfiants. 14 3. Les choix méthodologiques de la présente étude Pour évaluer, de manière satisfaisante l’efficacité en termes de réitération d’un placement en CEF, il faut donc satisfaire aux exigences exposées précédemment. Utiliser des sources de données appropriées, définir sans ambigüités ni opacité les modes de calcul de la récidive/réitération, enfin utiliser des analyses qui permettent de tenir compte des effets de filtre, de trajectoire et de structure. Il ne s’agit pas de décrire, mais de tenter de démontrer s’il y a un effet ou non du placement en CEF sur la réitération des mineurs 21. Les sources de données : Comme indiquées précédemment, les données utilisées proviennent de deux sources de données différentes : 1- Un sondage réalisé en 2008 auprès des 13 CEF existants en 200622 dans lequel étaient demandées les dates d’entrée et de sortie du CEF, les motifs de placement et les incidents survenus au cours du séjour. Le placement de 435 jeunes a ainsi été interrogé 2- Les données du Casier National Judiciaire : le bulletin n°1 à été demandé pour chaque mineur, puis saisi et codé dans une base de données spécialement construite pour cette étude. Le parcours judiciaire de 358 jeunes a ainsi pu être enregistré. Pour 77 mineurs, le casier judiciaire a fait défaut23. La méthodologie utilisée : Dans notre étude, nous privilégierons une étude en termes de réitération, en calculant des taux prospectifs de réitération. La population concernée sera toujours les mineurs placés en CEF entre 2003 et 2007, le critère retenu pour le début de l’observation sera soit la sortie du CEF pour mesurer un taux de réitération après CEF, soit, et de manière plus exceptionnelle un an et demi avant l’entrée en CEF pour mesurer un taux de réitération avant le séjour en CEF et le comparer à celui observé après le séjour en CEF. Le critère retenu pour l’analyse sera une nouvelle infraction commise après le début de l’observation et ayant donné lieu à une condamnation inscrite au casier judiciaire. Enfin la durée de l’observation sera variable selon les analyses menées. En effet, nous étudierons l’évolution des taux de réitération dans le temps afin d’étudier par exemple si les réitérations après un placement dans un CEF sont rapides ou non. Dans ce cas, nous ferons varier la fin de l’observation. Le taux utilisé dans l’étude correspond au quotient suivant : Taux de réitération entre t 0 et t1 Effectif a (t 0 t1 ) Effectif cohorte A t0 est le début de l’observation (soit le sortie du CEF, soit 1 an et demi avant l’entrée) t1 est la fin de l’observation. Effectif a(t0 – t1) est le nombre de mineurs dans la cohorte A ayant commis une nouvelle infraction entre les dates t0 et t1 ayant donné lieu à une condamnation inscrite au casier judiciaire. 21 Avec les limites induites par l'usage du casier judiciaire (voir note 27). Voir note 2 pour la liste. 23 Dont 69 sans précisions, 3 décès, 3 néants, 2 non exploitables. 22 15 Effectif cohorte A est le nombre total de mineur dans la cohorte. La cohorte est, en fonction des analyses, l’ensemble des mineurs placés en CEF entre 2003 et 2007, qui ont telles ou telles caractéristiques (âge, antécédents, etc.). Aucune des études citées précédemment ne parvient à maîtriser correctement les effets filtres, les effets de trajectoire et les effets de structures. Si l’utilisation des taux comparatifs (DAPCESDIP) permet de contrôler les effets de filtre et de structure, elle ne peut tenir compte de ces effets que lorsqu’ils sont peu nombreux (trois maximum) et surtout, elle ne permet pas de maîtriser les effets de trajectoire. C’est pourquoi le choix a été fait d’utiliser un autre type d’analyse, inédit dans le champ des études sur la réitération délinquantes : les analyses de durée. Ces analyses consistent d’une part à étudier comment évoluent les risques de réitérer (ou taux de réitération prospectifs) dans le temps, avant de modéliser ce risque en fonction des éléments de la trajectoire judiciaire du mineur, de ses caractéristiques sociodémographiques et des caractéristiques du placement en CEF. Cette méthode permet de présenter des résultats qui illustrent la part prise par ces effets. Après avoir détaillé dans cette première partie les différents aspects méthodologiques préalables à l’étude, nous présentons maintenant les résultats. Partie 2 : 1. Caractéristiques démographiques des mineurs placés en CEF 2. Caractéristiques judiciaires 3. Typologie des délinquants à leur entrée au CEF 4. Les caractéristiques du placement en CEF 5. Les incidents en CEF Partie 3 : 1. La réitération tend à diminuer en sortie de CEF par rapport à ce qu’elle était avant 2. La durée du placement effectif en CEF est un facteur important 3. Modélisation de la réitération après CEF 4. Un type de réitération par profil de délinquant 5. Les caractéristiques des réitérations après la sortie du CEF 6. Comparaison avec les données issus du casier judiciaire (1999-2004) 16 Partie 2 : Etude de la population entrant en CEF et des caractéristiques du placement 1. Caractéristiques démographiques des mineurs placés en CEF Une surreprésentation importante des garçons Les garçons représentent 97 % de notre échantillon contre 85 % des mineurs mis en cause par les services de police, gendarmerie24. Ainsi, les garçons sont surreprésentés en CEF, non seulement par rapport aux mineurs dans la population générale, mais aussi par rapport aux mineurs mis en cause. Une surreprésentation des jeunes nés à l’étranger Les mineurs nés à l’étranger représentent 14 % des mineurs de notre échantillon. Si l’Insee ne fournit pas les chiffres de la population immigrée pour la tranche d’âges 13-18 ans, elle dispose en revanche des chiffres de la population immigrée en 2006 pour les moins de 15 ans (5%) et les 15-24 ans (9%)25. Ces chiffres permettent de conclure à une surreprésentation des mineurs nés à l’étranger parmi les mineurs placés en CEF. Par ailleurs, en 2005, les étrangers représentaient 14 % des mis en cause par les services de police, gendarmerie (mineurs et majeurs confondus)26. Ce chiffre permet de penser que les mineurs étrangers placés en CEF ne sont pas surreprésentés par rapport aux mis en cause. Une prise en charge pour des jeunes mineurs L’âge moyen à l’entrée en CEF est de 16 ans, très peu arrivent à l’âge minimum requit (2 % graphique 1) et quelques-uns y entrent à leur majorité (6 %). Graphique 1 : Répartition des individus en fonction de leur âge à l’entrée en CEF (N=358) 100% Effectif 80% 60% 33% 40% 24% 20% 2% 8% 13 14 27% 6% 0% 15 16 17 18 Age à l'entrée en CEF 24 Grand angle n° 17, Bulletin statistique de l’Observatoire National de la Délinquance, juin 2009 Rapport de la commission d’enquête sur la délinquance des mineurs, Sénat : 340 (2001-2002), p.37. 25 Source Insee, population étrangère et immigré, RP 2006, exploitation principale. 26 Grand Angle n°6, Bulletin statistique de l’Observatoire National de la Délinquance, mai 2006 17 2. Caractéristiques judiciaires L’objectif de cette partie étant d’identifier la population entrant en CEF, les caractéristiques judiciaires des mineurs présentées ici sont celles connues avant l’entrée des mineurs en CEF. Nature des infractions : Violences et vol Le tableau 1 (page suivante) présente pour chaque nature d’infraction la proportion de mineurs de l’échantillon ayant commis au moins un acte de ce type. Les infractions commises avant l’entrée en CEF sont marquées par les violences : 80 % des mineurs ont commis au moins une atteinte à la personne, dont 15 % des agressions sexuelles (sur mineurs et majeurs). D’autre part, 94 % des mineurs ont commis des atteintes aux biens, surtout des vols aggravés. Les infractions à la réglementation de la circulation et des moyens de transports concerne 29 % des mineurs et les infractions à la législation sur les stupéfiants et les produits dopants en concernent moins d’un quart. Domaine d’infractions préférentiel : Toutefois, les mineurs placés en CEF sont multi-délinquants. Nous avons pour chacun d’entre eux déterminé la catégorie d’infraction dans laquelle ils ont commis le plus d’infractions (graphique 2). 78 % des mineurs de l’échantillon ont commis le plus grand nombre d’infraction dans le domaine des atteintes aux biens. C’est dans ce domaine, plus propice à une délinquance d’appropriation, ainsi que dans le domaine du trafic de stupéfiant que se constatent les "répétitions". 18 % de mineurs se « spécialisent » dans les atteintes à la personne. Graphique 2 : Répartition des mineurs de l’échantillon en fonction du domaine préférentiel d’infractions (N=358) 4% 18% Atteinte à la personne Ateinte aux biens Autre* 78% 18 Tableau 1 : % des mineurs ayant commis une infraction de telle nature avant l’entrée en CEF NATURE DE L’AFFAIRE (NATAFF) A - Atteinte à la personne humaine A1 Homicide volontaire A3 Atteinte corporelle volontaire sur majeur A32 A35 A36 A37 A4 A6 A7 7,9 49,9 7,9 31,1 Agression sexuelle sur majeur Violences sans ou avec ITT inférieure ou égale à 8 jours Violences avec ITT supérieure à 8 jours Violences envers l'autorité publique 16,7 Atteinte corporelle volontaire sur mineur A42 A43 A5 Fréquence (en %) 80,1 0,9 69,2 8,5 7,6 Agression sexuelle sur mineur Mauvais traitements, violences sur mineurs Atteinte corporelle involontaire 6,2 A57 5,3 Mise en danger d'autrui/provocation au suicide 3,8 18,2 Atteinte à la vie privée Atteinte à la dignité de la personne A74 17,9 Menaces, chantage B - Atteinte aux biens B2 Vol aggravé B21 B22 B23 B25 B26 B3 B4 B5 B6 16,7 12,3 22,0 24,1 79,8 Vol à l'arraché Autres vols avec violence Vol avec effraction ou escalade Vol avec dégradation Autres vols aggravés Vol simple Recel et infractions assimilées 55,4 33,7 B41 B42 32,3 4,7 Recel de vol Recel autre que d'objet volé Détournement 20,8 B53 19,7 Extorsion 8,2 Escroquerie B61 B7 94,1 84,2 7,0 Escroquerie simple Destruction - dégradation 64,8 B71 B72 23,2 59,2 Destruction ou dégradation de biens publics ou menace Destruction ou dégradation de biens privés ou menace C - Atteinte à l'autorité de l'Etat C2 Armes, explosifs et autres moyens dangereux C21 C5 16,4 Infractions législation acquisition, port et détention d'arme 10,6 Atteinte à l'ordre administratif et judiciaire C51 C53 C6 47,5 17,3 3,8 3,2 Outrage à autorité de justice/obstacle Obstacle à autorité administrative/violation de décision administrative Atteinte à l'autorité publique 31,4 C61 31,1 Outrage à agent, rébellion E - Infractions financières E34 5,6 4,4 Falsification, utilisation de moyen de paiement volé, falsifié G - Infraction en matière de santé publique G1 Infraction à la législation sur les stupéfiants et les produits dopants G11 G14 G16 G17 22,0 22,0 16,1 13,2 5,0 7,6 Usage de stupéfiant Détention de stupéfiants Transport non autorisé de stupéfiants Trafic de stupéfiants I - Infraction réglementation de la circulation et des moyens de transports I1 Infraction à capacité de conduite I11 I2 29,0 22,6 20,8 Défaut de permis de conduire Infraction règles de conduite 13,2 I22 I23 3,8 10,6 Délit de fuite Refus d'obtempérer, refus de vérification Lecture : 8 % des mineurs de l’échantillon ont commis une agression sexuelle sur majeur. 19 Gravité des infractions A partir de l’ensemble des infractions (7825) commises par les mineurs de l’échantillon, une échelle de gravité a été élaborée à partir notamment du quantum des peines (cf. l’annexe n°1). Elle comprend 7 niveaux dont le premier contient les crimes les plus graves et le deuxième les autres crimes et les délits les plus graves. Dans l’échantillon, moins de 20 % ont commis des infractions très graves (type crime), une grande majorité ont commis des infractions de type délit. Graphique 3 : Répartition des effectifs de mineurs en fonction de l’infraction commise la plus grave (N=358) 60 Fréquence (en %) 50 40 30 20 10 0 1 2 3 4 5 Niveau de gravité (1=très grave à 7=peu grave) Remarque : Il n’y a pas d’observation de niveaux 6 et 7 dans l’échantillon. Nombre d’infractions ou intensité de la délinquance Les mineurs placés en CEF ont commis en règle générale plusieurs infractions, de 1 à 50, et 13 infractions en moyenne avant d’entrer en CEF. Rapportée à la durée d’observation (durée entre la première infraction connue et l’entrée en CEF), l’intensité délictuelle est de l’ordre de 7 infractions par an, variant de 1 à 46 infractions au maximum. Les récidivistes (récidive légale) Si les infractions commises avant l’entrée en CEF sont nombreuses, la récidive légale ne concerne que 10 % des mineurs à leur entrée en CEF. Des parcours de délinquance inscrits dans la durée La durée moyenne qui sépare la première infraction et l’entrée en CEF est de 683 jours, soit un peu moins de 2 ans. Les graphiques 1 et 2 retracent chaque parcours délinquant et note par un code couleur la progression semestrielle en gravité ou en nombre d’infractions. Ces graphiques donnent un premier aperçu des parcours délinquants des mineurs placés en CEF, s’inscrivant dans une durée quelquefois longue et marquée par des quantités et des intensités des infractions qui sont assez diverses. Ces graphiques montrent que : o les mineurs qui entrent en CEF le plus rapidement, moins d’un an après la 1ère infraction, ont commis souvent des actes très graves à l’inverse de ceux qui entrent en CEF après plusieurs années de délinquance, qui moins nombreux à avoir commis des infractions très graves. 20 o L’intensité des parcours délinquant va en augmentant : la fréquence des infractions augmente sensiblement au cours du temps pour un certain nombre de parcours. Graphique 4 : Parcours délinquants et gravité semestrielle des infractions (N=358) Temps de délinquance avant l’entrée en CEF 5 ans 4 ans Infraction la plus grave au cours du semestre Aucun Peu grave Très grave 3 ans 2 ans 1 an 11 % 25 % 43 % 59 % 76 % 88 % 94 % 98 % % de parcours délinquant Lecture : Le parcours de chaque délinquant est représenté par une ligne verticale, qui change de couleur en fonction de la gravité de l’infraction la plus grave commise au cours de chaque semestre depuis la première infraction relevée. Ces parcours sont classés de gauche à droite, des plus courts au plus long, puis selon leur gravité. Le graphique montre que les mineurs qui entrent en CEF moins d’un an après la 1ère infraction ont commis moins d’actes mais des actes très graves à l’inverse de ceux qui entrent en CEF après plusieurs années de délinquance : plus de blanc dans l’ensemble au fur et à mesure. 21 Graphique 5 : Parcours délinquants et nombre d’infractions commises chaque semestre depuis la 1ère infraction (N=358) Temps de délinquance avant l’entrée en CEF 5 ans 4 ans Nombre d’infractions au cours du semestre 4-6 1 0 2-3 11-15 7-10 16 et + 3 ans 2 ans 1 an 11 % 25 % 43 % 59 % 76 % 88 % 94 % 98 % % de parcours délinquant Lecture : Le parcours de chaque délinquant est représenté par une ligne verticale, qui change de couleur en fonction du nombre d’infractions commises au cours de chaque semestre depuis la première infraction relevée. Ces parcours sont classés des plus courts au plus long, puis selon leur nombre d’infractions. Le graphique illustre le nombre d’infractions par an au cours du parcours et du temps passé dans la délinquance : après un premier semestre rempli, le nombre d’infractions tend à diminuer (part des blancs) jusqu’à une recrudescence qui précède l’entrée en CEF (le haut de chaque ligne est plus coloré). L’âge de début des infractions L’âge moyen à la première infraction est d’environ 14 ans. Le graphique 6 donne la répartition de l’âge à la première infraction relevée. Les mineurs de moins de 13 ans à la première infraction relevée représentent moins de 10 % de l’échantillon. C’est surtout entre 13 et 16 ans qu’ont débuté les parcours de délinquance des mineurs de l’échantillon. 22 Graphique 6 : Répartition des individus en fonction de leur âge à leur 1ère infraction (N=358) 100% Effectif 80% 60% 40% 25,9% 26,8% 22,6% 12,6% 20% 0,3% 0,3% 1,7% 9 10 11 6,9% 2,5% 0,3% 17 18 0% 12 13 14 15 16 Age à la première infraction Un tiers de l’échantillon a déjà été incarcéré Un peu plus d’un mineur sur trois a déjà été en prison avant d’entrer au CEF (graphique 7). Pour plus des deux tiers d’entre eux, le(s) séjour(s) en prison n’a (n’ont) pas excédé 3 mois. Graphique 7 : Répartition des individus en fonction des antécédents d’incarcération (N=358) 8% 3% n'a jamais fait de la prison une fois en prison de - de 3 mois une fois en prison de + de 3 mois plusieurs fois en prison - 3 mois plusieurs fois en prison+ 3 mois 6% 18% 65% Des mineurs placés en CEF en attente de leur jugement 96 mineurs de l’échantillon (soit 27% du total) sont placés en CEF en attendant d’être jugé pour la première fois et ces mineurs ne sont donc pas considérés (juridiquement) comme réitérant à l’entrée en CEF au regard du casier judiciaire. Les juridictions ne jugent pas les infractions d’un mineur dans l’ordre où elles sont commises, certaines pouvant mettre du temps à être élucidées. Un mineur peut être ainsi placé en CEF dans le cadre d’un contrôle judiciaire en attendant son jugement, en alternative à la détention provisoire. Le bon déroulement du placement en CEF entrera en ligne de compte dans l’éventuelle condamnation qui sera prononcée par la suite. 3. Typologie des délinquants à leur entrée au CEF Les quelques caractéristiques sur les parcours judiciaires données précédemment permettent de se faire une première idée du type de délinquance concernée, mais elles peinent à donner une idée des types de délinquants (qui prendrait en compte à la fois l’ampleur des parcours de délinquance, leur gravité et leur intensité). Aussi, nous proposons ici d’établir une typologie des délinquants à l’entrée en CEF. 23 Pour ce faire, nous avons choisi de réaliser une analyse factorielle sur les variables décrivant les caractéristiques pénales des mineurs avant leur entrée en CEF : - le nombre de passage en prison en tenant compte de la durée du plus long séjour, - le nombre de révocation de sursis, - la plus haute instance ayant prononcé un jugement, - le type de la condamnation la plus sévère en tenant compte du nombre de condamnation, - l’existence d’une récidive légale, - le domaine préférentiel de délit, - le niveau de gravité théorique27 du délit le plus grave, - le niveau de gravité théorique du délit le plus fréquemment commis, - la durée écoulée entre la première infraction connue et l'entrée en CEF, - le nombre d'infractions commises à des dates différentes durant cette durée, - le type de jugement, - l’âge à la première infraction. L’objectif était de tenir compte en même temps d’un maximum d’éléments distincts pour décrire le parcours délinquant. L’effectif des femmes étant trop insuffisant pour apprécier une quelconque spécificité. Les mineures n’ont pas été directement intégrées à l’analyse factorielle, mais ajoutées en «individus supplémentaires ». La représentation graphique issue de cette analyse permet de visualiser les oppositions et les groupes suivants (graphique 8). - Le premier axe factoriel horizontal oppose ceux qui font peu de délits et qui ne sont pas encore jugés avant leur entrée en CEF aux multi-réitérants (nombreux délits à leur actif et déjà condamnés avant leur entrée en CEF). - Le deuxième axe s’interprète davantage en fonction de la « gravité » des actes commis et oppose ceux qui ont déjà été condamnés à de l’emprisonnement par le tribunal à ceux pour lesquels des mesures éducatives ont été prononcées. 27 La gravité a en effet été déterminée à partir du quantum de peine encouru par la nature d’affaire retenue. 24 -1 étranger infr. la + svt commise en 4 atteinte aux biens entre 10 et 15 délits infr. la + grave en 2 1 fois en prison < 3 mois 1ère infr. entre 16 et 18 ans 1 an entre 1ère infr. et CEF jugé après CEF plsr. ME juge -2 -1 0 >2,5 ans entre 1ère infr. et Axe 1 (6,79%)2 0 1 CEF 2 ans entre 1ère infr. et CEF jugé pdt CEF Atteinte aux personnes 1 fois en prison > 3 mois entre 5 et 10 délits jamais en prison infrac. la + grave en 1 5 délits commis max. infr. la + svt commise en 5 infr. + svt commise en 1 et 2 1ère infr à - 12 ans plsr. Emp. Sursis + ME tribunal plsr. Emp. avec sursis 1 pl. conda. à de l'emp. ferme plsr empr. ferme + ME Axe 2 (14,75%) Graphique 8 : Représentation graphique des modalités sur les deux premiers axes factoriels 25 Une classification ascendante hiérarchique (CAH- réalisée à partir des coordonnées des individus sur les deux premiers axes factorielles) permet de distinguer plusieurs groupes : -les non-réitérants (26%) au sens où, au moment d’entrer en CEF, ils n’ont encore jamais été condamnés. Quoique qu’un plus faible nombre d’infractions leur soient reprochées (en moyenne 8 infractions à des dates différentes), ils sont en revanche poursuivis pour les faits les plus graves, la plupart étant des atteintes aux personnes28. C’est aussi la raison pour laquelle, ils sont placés en CEF rapidement après leur première infraction, dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Ces jeunes présentent un parcours qui ne s’inscrirait pas dans la chronicité (durée, fréquence) mais relèverait plutôt de l’évènement (criminel ou délictuel). - les multi-réitérants (74%), présentent une délinquance « expérimentée » avec en moyenne plus de 10 infractions à leur actif avant d’entrer en CEF et pour lesquels ils ont d’ailleurs déjà été condamnés. Inscrits depuis longtemps dans la délinquance (plus de deux ans entre la première infraction et l’entrée en CEF), ils sont, par ailleurs, coutumiers des atteintes aux biens (délinquance d’appropriation), infractions jugées de gravité moyenne avec occasionnellement des infractions relevées d’un niveau plus élevé29, dans le domaine des atteintes aux personnes. Les multi-réitérants se distinguent en deux sous-groupes. - Les “ancrés” (58 %) ont commis au moment de leur entrée en CEF en moyenne 15 délits dont 8 ont été jugés. Ils ont quasiment tous été condamnés par un tribunal pour enfants à des peines de prison (ferme ou avec sursis) au vu de la gravité de leur infraction. - A l’inverse, les “précoces” (16 %) ont commis leur plus grave infraction plus jeune que les “ancrés” (l’âge moyen à leur dernière condamnation avant d’entrer en CEF est de 14,8 ans contre 15,8 ans pour les “ancrés”). Ils ont fréquemment été jugés plus rapidement30, par le juge des enfants (et non par le tribunal, vu leur jeune âge) qui a prononcé des mesures éducatives et non des peines de prison31. Ils entrent plus jeune en CEF, ont commis en moyenne 11 délits dont 2 seulement ont été jugés. Les filles et les étrangers se répartissent indifféremment dans ces trois profils de délinquants. Finalement, ce qui différencie le plus ces trois groupes est le fait d’avoir ou non été déjà condamné avant d’entrer en CEF, la gravité et le domaine d’infraction, et enfin l’âge des premières infractions relevées par la justice. Les caractéristiques des trois groupes de délinquants ainsi distinguées sont données dans le tableau 2. 28 Les infractions portant sur des atteintes aux personnes sont considérées comme les infractions les plus graves Cf. Annexe Tableau 3.1.1.3 29 Echelle de gravité allant du niveau 1 ( le plus grave) au niveau 7 (le moins grave). 30 Le jugement à délai rapproché, par exemple, n’est applicable qu’aux mineurs auteurs de délits d’une certaine gravité. 31 Les sanctions diffèrent selon l’âge : pour un mineur de moins de 13 ans, aucune mesure ne peut être appliquée ; un mineur âgé entre 10 et 13 ans ne peut faire l'objet que de mesures éducatives ; pour un mineur de plus de 13 ans, des mesures éducatives peuvent être ordonnées, ainsi qu'une peine pénale si les circonstances et la personnalité du mineur l'exigent. 26 Tableau 2 : Variables Principales caractéristiques des classes de délinquants: Non-réitérants “Ancrés” PLUS HAUTE CONDAMNATION Pas de condamnation Emprisonnement ferme Emprisonnement sursis Peines hors emprisonnement et/ou mesure éducative (n=90) (n=202) “Précoces” ” (n=57) 100% 0% 0% 0% 0% 31% 63% 6% 0% 0% 0% 100% PLUS HAUTE INSTANCE AYANT PRONONCE UNE CONDAMNATION Tribunal Pour Enfant 0% 99% Juge des Enfants 0% 1% Pas de condamnation 0% 100% 9% 91% 0% NIVEAU DE GRAVITE ELEVE 32 Niveaux 1 et 2 (le plus élevé) Niveau 3 Niveaux inférieurs à 3 19% 16% 66% 5% 8% 87% 9% 9% 81% NIVEAU DE GRAVITE MOINDRE Niveaux 7 (le plus élevé) Niveau 6 Niveaux supérieurs à 6 27% 7% 67% 15% 19% 66% 21% 6% 74% AGE A LA PREMIERE INFRACTION Part des mineurs ayant une 1ère infraction avant l’âge de 2 % 12 ans TYPE D’INFRACTION LES + FREQUENTES Atteintes aux personnes 36% Atteintes aux biens 64% 11 % 16 % 11% 89% 18% 82% SEJOURS EN PRISON (y compris détention provisoire) Pas de prison 72% Un séjour 22% Plusieurs séjours 6% 57% 28% 15% 85% 13% 2% 378 830 664 1 15 - 5 24 15,8 3 5 14,8 14.7 15.42 - 13,859 15.942 13,849 15.453 7.96 15.74 16.07 1,87 10,43 15,62 DUREE écoulée entre la 1ère infraction et l’entrée en CEF Filles Etranger AGE MOYEN A LA DERNIERE CONDAMNATION AVANT CEF AGE MOYEN A LA PREMIERE INFRACTION AGE MOYEN A LA PLUS GRAVE INFRACTION NOMBRE MOYEN DE DELITS JUGES AVANT CEF NOMBRE MOYEN D’INFRACTIONS AGE MOYEN D’ARRIVE EN CEF 7,88 15,7 Remarques : Le test du χ² (prononcer « khi-deux ») permet de déterminer, à un seuil donné, la validité d'une hypothèse en mesurant l'écart entre la distribution d’un phénomène observé et celle que l'on aurait, en théorie. Les variables présentées présentent une dépendance avec les classes d’après le test du Khi². Les valeurs en caractère gras sont celles qui contribuent le plus au Khi-deux. Les valeurs en caractère gras et en italique sont celles où il existe une différence de moyenne statistiquement significative entre les classes. 32 La table de gravité est en annexe. 27 4. Les caractéristiques du placement en CEF Des placements majoritairement « pré-sentenciels » Près des trois quarts des mineurs de l’échantillon (76 %) sont placés en CEF en alternative à de la détention provisoire par une mesure « pré-sentencielle ». D’autres (12%) sont placés en CEF en alternative à la prison dans un cadre « postsentencielle ». Certains des mineurs placés en CEF dans le cadre d’un contrôle judiciaire ont été jugés pendant leur séjour (2%). Des durées de séjour variables : Les mineurs de l’échantillon entrent au CEF en moyenne à 16 ans et restent en moyenne 6 mois (188 j.) avec des séjours s’étalant de 1 jour à 3 ans et demi (écart-type= ~ 5mois : 147 j.). L’âge à l’entrée reste stable, mais le temps de séjour augmente de 2003 à 2006, passant de 4 à 6 mois durant cette période. Un tiers des jeunes de l’échantillon sont restés moins de 4 mois en CEF (graphique 9). Un tiers sont restés entre 4 et 6 mois. Un tiers sont restés plus de 6 mois. L’analyse qui suit permet de dégager les facteurs de risques d’une sortie précoce du CEF. Graphique 9 : Répartition des jeunes de l’échantillon en fonction de la durée passée en CEF 16 14 Effectifs (en %) 12 10 8 6 4 2 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 et + Durée du placement (en mois) 28 Tableau 3 : Durées passées en CEF en fonction des caractéristiques des antécédents et du placement Variables Incident durant le CEF Age à l’arrivée en CEF Infraction la plus grave Gravité la plus fréquente Spécialité dans les atteintes à la personne Violence* Intensité de la délinquance (Nb d’infraction par semestre) Prison avant CEF Un 1er jugement a eu lieu Révocation sursis** Durée qui sépare le 1er jugement de l’entrée en CEF** Modalités Non Durée passée en CEF inférieur Entre 4 et 7 Supérieur à 4 mois mois à 7 mois 32% 29% 39% 100 % (n=215) Total Oui 43% 32% 25% 100 % (n=143) 16 à 18 ans 38% 33% 29% 100 % (n=235) 13 à 15 ans 33% 26% 41% 100 % (n=123) Niveau 1 33% 19% 48% 100 % (n=63) Niveaux 2-7 38% 33% 29% 100 % (n=278) Niveau 1 et 2 24% 24% 53% 100 % (n=34) Niveau 3 26% 34% 39% 100 % (n=38) Niveau 4 42% 29% 29% 100 % (n=237) Niveau 5 Non Oui Pas de violence Violence Violence ++ Agression sexuelle 24% 39% 25% 39% 31% 29% 37% 30% 46% 100 % (n=49) 100 % (n=282) 100 % (n=59) 36% 36% 28% 100 % (n=69) 42% 22% 26% 52% 32% 26% 100 % (n=174) 100 % (n=46) 35% 17% 48% 100 % (n=52) Moins de 2 29 % 34 % 37 % 100 % (n=94) Entre 2 et 5 37 % 34 % 29 % 100 % (n=161) 5 et plus 45 % 35 % 20 % 100 % (n=86) Non 33% 30% 38% 100 % (n=233) Oui 43% 32% 25% 100 % (n=125) Avant CEF 39% 32% 29% 100 % (n=262) Après CEF Aucune révocation révocation 29% 25% 46% 100 % (n=96) 38% 32% 30% 100 % (n=232) 50% 33% 17% 100 % (n=30) - de 6 mois 6 à -12 mois 12 à -18 mois 32% 34% 52% 40% 34% 22% 29% 32% 26% 100 % (n=63) 100 % (n=68) 100 % (n=50) 18 mois et + 41% 32% 27% 100 % (n=81) 36% 30% 33% N=358 Total * Agression sexuelle= A32 et A42, violence++ = ceux qui ont commis des atteintes à la personne A1, A35, A43, violence = ceux qui ont commis d’autres atteintes à la personne + vols avec violence B21 et B22. ** uniquement pour ceux qui ont déjà été jugé au moins une fois avant leur entrée en CEF Remarques : Toutes les relations des variables présentées avec la durée passée en CEF sont significatives à 5%, sauf l’âge à l’arrivée en CEF et l’intensité de la délinquance, significative à seulement 10 % (test du Khi2). Lecture : 32 % des mineurs pour lesquels il n’a pas été signalé d’incident au cours du séjour en CEF sont restés moins de 4 mois en CEF contre 43 % pour ceux où il a été signalé un incident. 39 % des mineurs pour lesquels il n’a pas été signalé d’incident au cours du séjour en CEF sont restés plus de 7 mois en CEF contre 25 % pour ceux où il a été signalé un incident. 29 Le tableau 3 fournit les corrélations simples33 de chaque variable avec la durée de placement : - Les sorties précoces du CEF (moins de 4 mois passés en CEF) concernent davantage o ceux pour qui un incident à été signalé au cours du placement en CEF, o ceux qui commettent le plus fréquemment des infractions de moyenne gravité, o ceux qui ont commis beaucoup d’infractions, o ceux qui ont été en prison, o ceux qui ont déjà été condamné au moins une fois avant d’entrer en CEF, ceux parmi ces derniers qui ont déjà eu une révocation de sursis ceux parmi ces derniers pour qui le délai entre le 1er jugement et l’entrée en CEF dépasse un an. - A l’inverse, restent davantage dans la durée en CEF : o les auteurs d’agression sexuelle, o les jeunes dont la majorité des infractions commises sont des atteintes à la personne o les mineurs qui ont commis des infractions très graves. Les autres variables testées (sexe, nationalité, décision pré ou post sentencielle, etc.) n’ont pas de corrélations significatives avec la durée passée en CEF. Cependant, cette première analyse descriptive ne permet pas d’affirmer par exemple que connaître un incident au cours du placement constitue un risque de sortie. Pour déterminer si une variable représente réellement un risque de sortie précoce, il faut contrôler l’ensemble des variables (« toutes choses égales par ailleurs ») et donc proposer une modélisation de la durée de placement en CEF en fonction des antécédents judiciaires et de la présence ou non d’incident au cours du placement. Nous présentons ici trois modèles explicatifs de la durée passée en CEF (modèles de Cox 34) : - le premier rassemblant tous les jeunes de l’échantillon, - le deuxième concerne uniquement ceux qui n’ont encore jamais été jugés avant d’entrer en CEF (les « non réitérants »), - le troisième modèle concerne les « ancrés » (tableau 4). Ainsi, les “non-réitérants” restent plus longtemps en CEF que les “ancrés” et les déterminants de la durée effective passée en CEF sont différents en fonction de ces deux sous-populations. - Pour les “non-réitérants” : les auteurs d’agression sexuelle et les mineurs entrés en CEF avant l’âge de 15 ans restent davantage en CEF que les autres. - Pour les “ancrés” : Avoir déjà été en état de récidive ou avoir déjà été en prison ou encore être entré en CEF plus d’un an après le 1er jugement favorise les risques de sortie précoce du CEF. Si les mineurs qui connaissent des incidents au cours du placement restent moins longtemps au CEF (tableau 3), c’est parce que ces mineurs sont aussi fréquemment des “ancrés” ou des mineurs auteurs de violences ; à profil de délinquant comparable (tableau 4), la survenue d’incident durant le placement ne constitue pas un risque de sortie précoce du CEF. 33 Il s’agit de tris croisés simples dans lesquels « toutes choses ne sont pas égales par ailleurs ». Lorsque l’on souhaite expliquer le délai de survenue d’un événement partiellement connu (les sujets pour lesquels on ne connaît pas l’état à la date de fin de l’observation ou ceux dont la réponse par rapport à la survenue de l’événement est négative), il est utile de pouvoir prendre en compte simultanément l’effet de plusieurs caractéristiques du sujet, de sa situation, etc. Le modèle de Cox le permet. Cf. Cox, D. R. 1972. “Regression Models and Life Tables (with Discussion).” Journal of the Royal Statistical Society, Series B 34:187—220 ; Cox, D. R. & D. Oakes. 1984. Analysis of Survival Data. London: Chapman and Hall. 34 30 Cette analyse montre finalement que le risque de sortie précoce du CEF est plus important pour les mineurs pris en charge tardivement et qui ont déjà un certain passé délinquant derrière eux. Tableau 4 : Modélisation de la durée de placement en fonction des antécédents, des caractéristiques du placement et des caractéristiques démographiques Variable Tous Rapport de chances Non réitérant Ancrés ANTECEDENTS Profil Ancrés Non réitérant 1.405**. Réf Prison effective N’a jamais été en prison A déjà été en prison Réf. 1.321** Réf. 0.884 Réf. 1.418** 0.741 0.500* 0.955 0.852 1.036 0.866 Violence /domaine de spécialisation A commis une agression sexuelle n=52 A commis des violences ++ (A1, A35, A43, et spécialisation dans les atteintes à la personne) n=66 A commis des violences moins grave et est spécialisé dans un autre domaine que les atteintes à la personne n=174 N’a pas commis de violence n=42 Réf. Réf. Réf. 0.856 1.189 0.814 Intensité de la délinquance Faible (-de 2 infractions/6 mois) Moyenne 2-5 infractions /6 mois) Forte (+5 infractions/6 mois) 0.949 Réf. 1.090 0.808 Réf. 0.917 1.039 Réf. 1.164 Durée entre le 1er jugement et l’entrée en CEF Moins de 1 an Plus de 1 an 0.777* Réf. Récidive A déjà été en état de récidive légale N’a jamais été en état de récidive légale 1.486** Réf. Révocation de sursis Oui Non 1.326 Réf. CARACTERISTIQUES CEF Décision post-sentencielle Décision pré-sentiencielle 0.927 Réf. 1.249 Réf. 0.877 Réf. Entrée en CEF entre 13 et 15 ans Entrée en CEF après 15 ans 0.864 Réf. 0.554** Réf. 1.005 Réf. N’a pas commis d’incident(s) pendant le CEF Réf. Réf. Réf. A commis incident(s) pendant le CEF 0.891 0.805 0.834 Effectifs N=341 N=90 N=251 * significatif à 10%, ** à 5 %. Lecture : L’ensemble des variables introduites dans le modèle représentent l’ensemble des variables contrôlées, cependant, seuls les chiffres (rapports de chances) en gras peuvent être lus et représentent des résultats. Un rapport de chances inférieur à 1 signifie que la sortie du CEF a lieu moins rapidement que pour la modalité de référence, toutes autres variables du modèle égales par ailleurs. A l’inverse un rapport de chance supérieur à 1 signifie que la sortie du CEF a lieu plus rapidement que pour la modalité de référence. Par exemple : les « ancrés » restent moins longtemps en CEF que les « non-réitérant ». 31 5. Les incidents en CEF Des incidents au début du placement : L’article 33 de l’ordonnance n°45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante prévoit que « la violation des obligations auxquelles le mineur est astreint en vertu des mesures qui ont entraîné son placement dans le centre peut entraîner, selon le cas, le placement en détention provisoire ou l’emprisonnement du mineur ». Lors de l’ouverture des deux premiers CEF en 2003, des incidents sont survenus faisant polémiques sur l’efficacité et le fonctionnement de ces structures. Quatre fugues dans le CEF du village de Sainte-Eulalie en Gironde dans les trois premiers mois. Certains ont réintégré le CEF sur décision du juge des enfants estimant que « les fugues font parties du fonctionnement classique de l’institution », d’autres ont été envoyé en prison35. Ainsi les « incidents » considérés comme tels par les directeurs de CEF qui les signale, n’aboutissent pas systématiquement à l’arrêt du placement. Dans l’enquête, les données recueillies ne permettent pas de savoir avec exactitude si la sortie du CEF est directement liée à l’un des incidents signalés36. En revanche, elle renseigne sur la date de l’incident. Ainsi, les incidents (les plus fréquents étant des fugues) se produisent principalement en début de séjour (graphique 9). En effet, près d’un mineur sur cinq connaissent au moins un incident dans les quinze premiers jours suivants le placement. Par ailleurs, si la fréquence des incidents diminue ensuite, il s’agit pour une part d’un effet de filtre puisqu’une partie des jeunes ayant eu un incident dans les premiers jours du placement quittent le CEF. Restent ainsi au CEF les jeunes dont la propension à l’incident est moindre. Nombre de mineurs ayant connu au moins un incident dans la quinzaine pour 100 mineurs Graphique 10 : Pourcentage de mineurs ayant connu un incident pour 100 mineurs par quinzaine de jours 25 20 15 10 5 0 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 Durée écoulée depuis le début du placement (en quinzaine de jours) 35 Muchielli, L., Les « centres éducatifs fermés » : rupture ou continuité dans le traitement des mineurs délinquants ?, Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », n°7,2005. 36 Le terme « d’incident » n’a pas été défini dans le questionnaire. De ce fait les enquêtés ont répondus selon leur sensibilité, de plus, il n’a pas été explicitement demandé si l’incident avait entrainé une main levée du placement. 32 Cette surreprésentation des incidents à l’ouverture de la structure et en début de placement du mineur est commentée de plusieurs façons. -Une explication générale de la psychologie : L’entrée en CEF peut susciter des difficultés « traumatiques » liées soit à la séparation du mineur avec son milieu naturel, soit à la situation d’enfermement, notamment pour ceux qui ne supportent pas de se voir limiter leur recours à l’agir renforcé notamment par un contrôle permanent du mineur. Ceux-ci sont en permanence en présence d'adultes dans le partage d'activités quotidiennes, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'établissement dans les premiers temps du placement. Toutefois, l’idée selon laquelle l’âge à l’arrivée en CEF favoriserait ou non la présence d’incident n’est pas fondée dans notre cas37. -l’explication plus pragmatique qui tient aux règles de gestion instaurées dans chaque CEF et aux pratiques des magistrats : Les précisions données par les directeurs de CEF eux-mêmes sur ce qui a lieu dans leur établissement conduisent à une autre interprétation du calendrier des incidents. C’est le cas de ce directeur de CEF qui nous informe de la pratique du parquet dans son département, qui ne demande jamais la révocation du CJ ou du SME lorsqu’un mineur fugue considérant que ce n’est pas un délit alors même qu’ils pourraient révoquer le CJ en cas de fugue pour non respect des conditions du placement. Il évoque également les pratiques éducatives de l’établissement où les dépôts de plainte sont moins nombreux, aujourd’hui, « car les jeunes se transmettent à leur arrivée notre intransigeance [face aux incidents].» - Une diminution des incidents après 2004 Les incidents tendent à être moins nombreux après 2004 (en moyenne 0,54 incident par mineur en 2004 contre 0,31 en 2006) du fait d’un meilleur fonctionnement des CEF quatre ans après leur création. 2002-2004 pourrait ainsi être considéré comme une période de « rodage » des CEF. 37 Indépendance statistique entre l’âge à l’entrée et la survenue d’incident. 33 Partie 3 : La réitération après le passage en CEF Un jeune sera considéré comme réitérant s’il a commis au moins une infraction entre sa sortie de CEF et la fin de l’observation38. Ainsi, un jeune sera considéré comme réitérant, dans le cadre de cette étude, parce qu’il a commis une infraction après sa sortie de CEF, même s’il n’a jamais été condamné auparavant. 1. La réitération tend à diminuer en sortie de CEF par rapport à ce qu’elle était avant le placement Pour évaluer l’impact d’une mesure judiciaire en termes de réitération de mineurs délinquants, nous proposons de comparer le taux de réitération un an après la sortie du CEF avec un taux de réitération « témoin » calculé de la même manière cette fois à partir d’une date arbitrairement choisie avant l’entrée en CEF (soit un an et demi avant l’entrée en CEF 39. Le graphique 11 présente l’évolution sur un an des taux de réitération instantanés avant CEF et après la sortie de CEF 40. La courbe des taux de réitération avant CEF est significativement différente de celle des taux de réitération après la sortie du CEF. Elle est toujours supérieure à cette dernière. Le taux de réitération témoin avant CEF à 1 an est de 90 % avant CEF et de 70 % après la sortie du CEF, soit une diminution de la réitération de près de 20 % sur un an après la sortie du CEF. On tient ici un premier résultat qui va dans le sens d’un impact positif du placement en CEF sur la réitération. Il s’agit maintenant d’approfondir ce résultat. 38 Ainsi, un jeune pourra être considéré comme réitérant parce qu’il a commis une infraction après sa sortie de CEF et ce même s’il n’a jamais été encore condamné par la Justice. 39 Le réitérant avant CEF est celui qui a commis deux infractions : une infraction avant ou pendant la période d’observation choisie (entre un an et demi et 6 mois avant l’entrée en CEF) et une autre infraction au cours de cette période. 40 Le mode de calcul des deux indices se fait à partir d’une analyse de durée, plus particulièrement à partir des courbes de Kaplan-Meier qui permettent de décrire au cours du temps les risques de réitérer. L’estimateur de Kaplan-Meier (ou fonction de séjour) peut être vu comme le simple rapport du nombre d’individus ne connaissant pas l’évènement d’intérêt (ici une infraction) à un instant donné sur le nombre d’individus soumis au risque de connaître l’évènement à cet instant. Nous présenterons dans un premier temps, à chaque instant t l’inverse de l’estimateur de Kaplan-Meier (1-S(t)), soit le taux de réitération instantané. L’indice annuel de réitération est le taux de réitération évalué sur ces courbes à t égale un an. 34 Graphique 11 : Taux de réitération calculés avant l’entrée en CEF et à la sortie 90% 80% 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% 0 Taux de réitération avant CEF 365 Taux de réitération après CEF 2. La durée du placement effectif en CEF est un facteur important Effet direct de la durée du placement en CEF : Nous avons tracé les différentes courbes des taux de réitération avant CEF et après la sortie en CEF, en fonction de la durée effective passée en CEF. Les résultats sont présentés dans le graphique 12. Deux constats peuvent être faits : - En réalisant des groupes selon la durée passée au CEF, on s’aperçoit que ceux qui sont restés plus de 7 mois au CEF, avaient déjà une proportion moindre que les autres à la réitération. Or, ici la durée passée au CEF ne peut en aucun cas être la cause de cette propension moindre à la réitération avant CEF. Comme nous l’avons vu dans la partie précédente, les mineurs sortant du CEF de manière anticipée ou au contraire ceux qui voient leur durée de placement prolongée correspondent à des profils particuliers de délinquants… et ces profils particuliers de délinquants n’ont pas la même propension à la réitération avant même d’entrer en CEF. Il s’agit en fait d’un effet de filtre : le CEF agit comme un filtre qui garde plus longtemps les mineurs ayant une moindre propension à la réitération. - Au-delà de cet effet filtre (maîtrisé), pour les mineurs qui sont restés moins de 4 mois en CEF, les taux de réitération avant CEF et après la sortie en CEF ne sont pas significativement différents. Ainsi, les placements dont la durée effective n’excède pas 4 mois peuvent être considérés en termes de réitération comme inefficaces. Audelà de 4 mois, les taux de réitération avant CEF et après la sortie de CEF sont significativement différents, et permettent de conclure en l’efficacité des CEF, dans la mesure où l’on observe une réduction significative de la réitération. 35 Graphique 12 : Comparaison des taux de réitération avant l’entrée en CEF à celui calculé à la sortie du CEF par groupe de durée passée en CEF: 100% 90% Taux de réitération 80% 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% 0 180 360 Temps (en jours) Taux Taux Taux Taux Taux Taux de de de de de de réitération réitération réitération réitération réitération réitération avant CEF pour ceux restés - de 4 mois en CEF (n=125) avant CEF pour ceux restés entre 4 et 7 mois en CEF (n=114) avant CEF pour ceux restés + de 7 mois en CEF (n=119) après CEF pour ceux restés - de 4 mois en CEF (n=125) après CEF pour ceux restés entre 4 et 7 mois en CEF (n=114) après CEF pour ceux restés + de 7 mois en CEF (n=119) Détermination de la durée à partir de laquelle le placement en CEF a un effet sur la réitération : Nous avons essayé de déterminer avec le plus de précision possible la durée minimum pour qu’un séjour en CEF ait un effet bénéfique sur la réitération. La détermination de ce seuil s’est fait en faisant varier la durée de placement en CEF jusqu’à obtenir une différence significative entre les taux de réitération des deux groupes ainsi formés. Ce seuil se situe à 170 jours (soit un peu moins de 6 mois). Ceux qui restent plus de 170 jours réitèrent significativement moins que les autres. Toutefois, en deçà de ce seuil il existe une zone, entre 125 jours (un peu plus de 4 mois) et 170 jours, où les taux de significativité oscillent autour de 5 % (graphique 13). Ainsi en prenant un risque d’erreur plus grand, on peut dire que le placement en CEF commence à produire des effets à partir de 125 jours de placement effectif. 36 Graphique 13 : Evolution des taux de significativité des différences des réitération entre les deux groupes formés selon la durée du placement 60% Taux de significativité 50% 40% 30% 20% 10% 0% 5% 30 50 70 90 110 130 150 170 190 210 Durée en CEF (en jours) Lecture : ceux qui restent moins de 110 jours en CEF ne réitèrent pas significativement plus que ceux qui restent plus de 110 jours. Par contre ceux qui restent moins de 170 jours réitèrent significativement plus que ceux qui restent plus de 170 jours en CEF. 3. Modélisation de la réitération après CEF Principes de modélisation : Les analyses précédentes ont permis de décrire l’évolution des taux de réitération dans le temps avant et après la sortie en CEF. Nous avons pu décliner l’évolution de ces taux en fonction de la durée passée en CEF. Cependant, les méthodes utilisées, à visée descriptive ne permettent pas de tenir compte de plus d’un critère à la fois. De plus comme nous l’avons vu précédemment avec les risques de sortie précoce de CEF, ce genre d’analyse descriptive ne permet pas de faire la différence entre des effets réels ou des effets filtre. Pour expliquer plus en détail les variations des taux de réitération en fonction de telles ou telles caractéristiques du mineur, de son parcours ou du contexte historique, nous recourrons donc comme précédemment aux modèles de durées41. Ces modèles ont l’avantage de prendre en considération l’enchaînement chronologique des infractions, des jugements et des condamnations, voire des séjours en prison tout en intégrant à l’analyse des trajectoires qui n’ont ni la même durée (pour certaines, nous avons une période d’observation après la sortie du CEF de 3 ans pour d’autres de seulement 1 an), ni la même issue (pour certaines, il y aura une réitération au cours de l’observation, pour d’autres non). Les modèles présentés sont dynamiques dans la mesure où le risque de réitérer d’un mineur n’est pas fixé uniquement par ses antécédents judiciaires ou les caractéristiques de son parcours, mais il évolue en fonction des situations rencontrées après la sortie du CEF. Dans un premier modèle, nous avons sélectionné des variables caractérisant le parcours judiciaire des individus, leur placement, leur âge et sexe. Il a fallu également tenir compte des situations dans lesquelles se trouve le mineur après sa sortie de CEF. En effet, si, par exemple tous les mineurs se trouvent incarcérés à la sortie du CEF, les taux de réitération après la sortie de CEF s’en trouveraient diminués sans qu’il s’agisse pour autant d’un effet du 41 Plus particulièrement le modèle de Cox (combinaison d’une régression logistique et de fonctions de séjours telles qu’utilisées précédemment). 37 placement en CEF. Proposer une modélisation de la durée écoulée entre la date de sortie du CEF et la 1ère réitération suppose de contrôler les situations (incarcération, SME, sursis simple) connues par les mineurs depuis leur sortie du CEF. Ce contrôle consiste simplement à les intégrer dans le modèle proposé. Ainsi, le modèle comprend trois types de variables : -les variables résumant le parcours du délinquant avant son entrée au CEF -les caractéristiques du placement au CEF -les variables décrivant les situations traversées depuis la sortie du CEF. Les résultats concernant les caractéristiques du placement sont alors données « tout choses égales par ailleurs », c’est-à-dire à parcours avant et après CEF équivalent. Dans un second modèle, nous avons voulu tenir compte de certaines interactions entre les variables. Pour cela avons combiné plusieurs variables entre elles (par exemple, l’âge à la première infraction et le nombre d’infraction ou encore la durée passée en CEF et la présence ou non d’incident au cours du placement en CEF). Les résultats sont présentés dans le tableau 5. Plus les placements s’inscrivent dans la durée et plus ils réduisent les risques de réitération : Le premier modèle montre des risques accrus de réitération pour les placements courts (moins de 4 mois), et au contraire diminué pour ceux qui restent plus de 6 mois. Plus les placements s’inscrivent dans la durée moins il y a de réitération en sortie de CEF. Ce résultat corrobore celui de l’analyse descriptive précédente et permet d’ores et déjà de dire que les CEF ont une efficacité en termes de réduction de la réitération. Ceux qui ont connu des incidents en CEF réitèrent davantage que les autres. Si le premier modèle montre que les mineurs ayant connu des incidents au cours de leur placement ont des risques de réitération plus importants, le second modèle permet davantage de précisions. En effet, si pour les durées passées en CEF inférieures à 6 mois, les mineurs qui ont connu des incidents réitèrent davantage que les autres, en revanche, il n’y a pas de différences pour ceux dont la durée de placement effectif est supérieure à 6 mois, entre ceux pour lesquels un incident a été signalé et les autres. Autrement dit, au-delà de 6 mois passés au CEF, le fait d’avoir connu des incidents ou non n’est plus un critère déterminant dans la réitération en sortie de CEF. La nature et la gravité des antécédents n’ont pas d’incidence sur la réitération. Plusieurs modèles ont été testés, en utilisant des variables sur la nature des infractions commises avant l’entrée en CEF et sur leur gravité différemment construites (nataff 42, violences, domaines de spécialisation, gravité selon la nataff, gravité selon la peine prononcée, etc.) et confirme que ni la gravité ni la nature des infractions commises avant l’entrée en CEF ne constituent des facteurs déterminant dans la réitération en sortie de CEF. Les risques de réitération sont proportionnels au nombre d’infractions avant l’entrée en CEF. Ce n’est ni la nature des actes commis, ni leur gravité qui influence les risques de réitération mais leur nombre. Ainsi, les risques de réitération sont d’autant plus forts que le mineur a commis d’infractions avant son entrée en CEF. En cela les parcours de délinquance sont des processus qu’un placement en CEF peine à enrayer. L’intensité de la délinquance avant le CEF (nombre d’infraction moyen par an) a aussi été testé et confirme le résultat précédent. Les mineurs ayant eu une délinquance de forte intensité avant l’entrée en CEF (+ de 10 infractions en moyenne par an) ont des risques plus importants de réitération à la sortie du CEF que les autres. 42 Table des natures d’affaire. 38 Les mineurs placés en CEF avant 2004 ont davantage réitéré que les autres. Ce résultat confirme que les deux premières années d’ouverture des CEF constituent en quelque sorte une période de rodage. Tableau 5 : Modélisations (Cox) du risque de réitération en fonction des caractéristiques des parcours délinquants, du placement en CEF, et des situations vécues depuis la sortie du CEF Variables explicatives CARACTERISTIQUE ANTECEDENTS AU CEF Prison : N’a jamais fait de prison A déjà fait de la prison Plus grande condamnation prononcée: A été jugé après CEF Emprisonnement ferme Emprisonnement avec sursis Peines hors emprisonnement et mesure éducative Nombre d’infractions : Entre 5 et 10 délits commis Jusque 5 délits commis Entre 10 et 15 délits commis Plus de 15 délits commis Nombre d’infractions combiné avec l’âge à la 1ère infraction: Agé entre 9 et 13 ans et commis jusque 5 délits commis Agé entre 9 et 13 ans et commis entre 6 et 15 délits commis Agé entre 9 et 13 ans et commis plus de 15 délits commis Agé entre 14 et 18 ans et commis jusque 5 délits commis Agé entre 14 et 18 ans et commis entre 6 et 15 délits commis Agé entre 14 et 18 ans et commis plus de 15 délits commis Domaine préférentiel d’infraction Domaine C/G/I Atteinte aux personnes Atteinte aux biens Niveau théorique de la plus grosse infraction : Niveau 2 Niveau 1 Niveau 3/4/5 Age à la 1ère infraction : Entre 9 et 13 ans Entre 14 et 18 ans CARACTERISTIQUE CEF Année d’arrivée en CEF : 2005 et 2006 2003 2004 Age à l’arrivée en CEF : Entre 13 et 15 ans Entre 16 et 18 ans Type de décision donnant lieu au CEF : Post-sentencielle Pré-sentencielle Présence d’incident durant CEF : Pas d’incident incident Rapports de chance Modèle 1 Modèle 2 Réf. 1.069 Réf. 1.042 1.602** Réf. 1.131 1.557* 1.488* Réf. 1.059 1.364 Réf. 0.63** 1.194 2.257*** 0.452** Réf. 2.027*** 0.508*** 0.784 1.621 Réf. 2.236* 1.922 Réf. 1.977 1.814 Réf. 0.760 0.956 Réf. 0.856 1.001 Réf. 0.846 Réf. 1.487** 1.153 Réf. 1.527** 1.163 Réf. 0.987 Réf. 0.971 Réf. 0.907 Réf. 0.855 Réf. 1.516*** 39 Durée en CEF : Entre 4 et 6 mois Moins de 4 mois Plus de 6 mois Durée en CEF et présence d’incidents: Entre 4 et 6 mois sans incident Moins de 4 mois avec incident Entre 4 et 6 mois avec incident Plus de 6 mois avec incident Moins de 4 mois sans incident Plus de 6 mois sans incident CARACTERISTIQUE MINEUR Nationalité : français étranger Sexe : Homme femme VARIABLES DEPENDANTES DU TEMPS N’est pas en prison Est en prison Réf. 1.584*** 0.623*** Réf. 2.774*** 1.701** 0.778 1.617** 0.730 Réf. 0.899 Réf. 0.900 Réf. 0.786 Réf. 0.818 Réf. 0.367*** Réf. 0.352*** N’est pas en sursis Réf. Réf. Est en sursis 1.061 1.104 N’est pas en sursis assorti d’une mise à l’épreuve Est en sursis assorti d’une mise à l’épreuve Réf. 1.621*** Réf. 1.614 Nombre de personne Nombre d'événement "réitération" chi square ddl 356 290 123.97*** 24 356 290 128.28*** 27 Lecture : Pour chaque variable utilisée dans le modèle, une des modalités est prise comme référence (Réf.) et c’est par rapport à celle-ci qu’il faut lire les coefficients inscrits devant les autres modalités de la même variable. Seuls les coefficients en gras peuvent être interprétés. Si le coefficient est inférieur à 1, les risques de réitération sont diminués par rapport à la modalité de référence, s’il est supérieur à 1, ils sont augmentés. Ainsi on peut lire sur le premier modèle : les mineurs qui ont commis un incident pendant le séjour en CEF réitèrent plus vite (et par voie de conséquence plus) que ceux qui n’en n’ont pas commis et ce « toutes choses égales par ailleurs », c’est-à-dire quels que soient les antécédents judiciaires, l’année d’arrivée en CEF, l’âge à l’arrivée en CEF, la durée passée en CEF, la décision donnant lieue au placement en CEF, le sexe, la nationalité, les périodes en prison, de sursis et/ou de mise à l’épreuve qui peuvent avoir eu lieu à la sortie en CEF. *** : coefficient significativement différent de 1 au seuil inférieur à 1%, ** : ________________________________________________ à 5%, * : ________________________________________________ à 10%. 40 4. Un type de réitération par profil de délinquant Les deux premiers modèles de durée ont été élaborés en intégrant directement les variables du parcours délinquant. L’intégration des variables « profils délinquants » précédemment dégagés à la place des variables antécédents n’a pas donné de résultats satisfaisants. Nous avons ensuite construit un modèle pour chaque profil de délinquant afin de tester l’hypothèse selon laquelle les facteurs explicatifs de la réitération seraient différents pour chaque profil de délinquant. Cette hypothèse n’est pas vérifiée, les trois modèles affichent des coefficients assez semblables. Quelque soit le profil de délinquant, la réitération en sortie de CEF dépend de la durée passée au CEF, des incidents qui ont eu lieu et du nombre d’infractions commises avant l’entrée en CEF. Cependant, la nature de l’infraction qui constitue la 1ère réitération varie selon le profil de délinquant (tableau 6). La première réitération en sortie de CEF des non-réitérants correspond davantage à des atteintes aux biens et dans une moindre mesure à des infractions considérées comme plus graves que les autres (ancrés et précoces). Les ancrés se distinguent par une réitération sur d’autres types d’infractions que les atteintes aux biens et à la personne et de niveau le plus faible. Les précoces, à l’inverse des non-réitérants, sont ceux qui ont réitéré sur des atteintes à la personne. Tableau 6 : Profil des délinquants en fonction des caractéristiques de la réitération Niveau 1 et 2 Niveau 3 Niveau 4 Niveau > 4 Atteinte aux personnes ère Nature de la 1 réitération Atteinte aux biens après CEF Autres Total Gravité de la 1ère réitération après CEF Total “Non réitérants” “Ancrés” 6,06% 22,73% 45,45% 25,76% 13,43% 70.15% 16.42% 67 5,78% 15,61% 47,4% 31,21% 17,82% 55.17% 27.01% 174 4,65% 37,21% 41,86% 16,28% 27,27% 47.73% 25.00% 44 16 58 130 78 52 164 69 67 100% 174 100% 44 100% 285 “Précoces” Total Toutes les variables présentées dans ce tableau sont celles qui présentent une relation significative à 90% avec le type de délinquant selon le test du khi-deux. 41 5. Les caractéristiques des réitérations après la sortie du CEF Réitération dans la minorité 60 % de ceux qui réitèrent après un placement en CEF le font durant leur minorité. La 1ère réitération après la sortie du CEF n’est bien souvent pas un acte isolé. En effet, un an après la sortie du CEF, 29 % ont commis au moins 5 infractions depuis la sortie du CEF, soit 40 % de ceux qui ont réitéré (tableau 7). Ainsi, la première réitération après la sortie du CEF doit être considérée comme une « rechute » dans le sens où elle sera suivie d’autres infractions pour les trois quarts des jeunes réitérants. Tableau 7 : Nombre d’infractions commises après la sortie du CEF, à 3 mois et à 1 an après la sortie du CEF Nombre d’infractions 0 1 2 3 4 5 et plus Total à 3 mois (en %) 67 12 7 5 3 6 100 (N=350) à 1 an (en %) 29 15 10 9 8 29 100 (N=350) Lecture : 67 % n’ont pas réitéré dans les 3 mois qui suivent la sortie du CEF, 12 % ont commis une seule infraction, 7% ont commis deux infractions…) Périodes d’observations différentes pour chaque jeune. Nature des réitérations La nature des infractions commises avant l’entrée en CEF est indépendante de la nature des infractions commises après. En effet, après le séjour en CEF, les réitérations se font majoritairement dans le domaine de atteintes aux biens et ce quelque soit le domaine de spécialisation de la délinquance avant l’entrée au CEF (tableau 8). Tableau 8 : Domaine préférentiel des infractions représentant la réitération après CEF en fonction du domaine préférentiel d’infraction avant CEF. Après Atteintes aux Atteintes Avant (domaine d’infraction) personnes aux biens Autres Atteintes aux personnes 20 50 Atteintes aux biens 16 57 Autres 13 60 Total 16 56 Chi2 non significatif (soit une indépendance statistique entre les deux variables) Total 30 27 27 28 N 100 100 100 100 44 233 15 292 Auteurs d’infractions sexuels Sur les 52 jeunes auteurs d’infractions sexuelles avant l’entrée en CEF, 18 ne réitèrent pas durant l’année qui suit la sortie du CEF, 3 commettent à nouveau des infractions sexuelles et 31 commettent d’autres type d’infractions. 42 Récidive légale : 38 % de récidive légale un an après la sortie du CEF Pour 32 jeunes, soit 11% des réitérants après CEF, la première réitération après CEF est une récidive légale. Si la première réitération après la sortie de CEF correspond à une récidive légale dans 11% des cas (réitérants), le taux de récidive légale un an après la sortie du CEF est de 15 %. Pour les mineurs ayant déjà été en état de récidive légale avant l’entrée en CEF, ce taux s’élève à 42 % (tableau 9). Tableau 9 : Taux de réitération/récidive un an après la sortie du CEF en fonction des antécédents de récidive avant l’entrée en CEF Réitération Récidive Récidive légale avant l’entrée en CEF Non Oui Total Chi 2 significatif à 1% Non réitérant 32 19 30 Réitérant 56 39 54 Récidiviste 12 42 15 Total 100 100 100 N 319 36 355 Davantage de condamnation à de la prison ferme après la sortie du CEF. Avant d’entrer en CEF, 18 % des mineurs avait déjà été condamné à de la prison ferme. - 54 % des mineurs réitérants sont condamnés lors de leur 1ère réitération après la sortie du CEF à une peine de prison ferme. - Un an après la sortie du CEF, 65% des réitérants ont été condamnés à de la prison ferme (condamnations pour des infractions qui ont eu lieu après la sortie du CEF) et ce qu’ils aient été ou non déjà condamnés à de la prison ferme avant l’entrée en CEF. Ainsi, le taux de condamnation à une peine de prison ferme après la sortie du CEF est de 44 % (ensemble de l’échantillon). Ces résultats confirment donc que le CEF intervient bien comme la dernière alternative possible avant l’emprisonnement. 6. Comparaison avec les données sur les réitérations des mineurs à partir des casiers judiciaires (1999-2004) En 2007, le service de la Statistique du Ministère de la Justice a réalisé une étude sur « la réitération d'infraction après condamnation des mineurs ». A partir des données des casiers judiciaires, cette étude suit les cohortes de mineurs qui ont eu une condamnation inscrite au casier judiciaire en 1999 (37657 mineurs), 2000 et 2001, et note les nouvelles condamnations, correspondant à de nouvelles infractions. Les cohortes ont ainsi pu être suivies pendant une période d’au moins 3 ans. Les résultats, obtenus portant sur la même source de données et avec des méthodes de calculs similaires, constituent une base de comparaison intéressante permettant d’apprécier les taux de réitération obtenus avec les mineurs placés en CEF. Notons cependant que cette étude ne présente pas de modèles explicatifs, seulement des taux de réitération en fonction d’autres variables. Les effets relevés peuvent alors très bien être des effets indirects. Le graphique 14 représente l’évolution des taux de réitération observés sur une période de 3 ans pour trois catégories de mineurs : 43 -les mineurs déjà délinquants : cohorte de mineurs qui ont eu une condamnation inscrite au casier judiciaire entre 1999 et 2001, mais qui ne constituait pas la première condamnation inscrite au casier judiciaire -les mineurs primo-délinquants : cohorte de mineurs qui ont eu une première condamnation inscrite au casier judiciaire entre 1999 et 2001. -les mineurs placés en CEF entre 2004 et 2006 (enquête PJJ) Les mineurs déjà délinquants ont ainsi des taux de réitération relativement élévés : 46 % au bout d’un an, 73 % au bout de 3 ans, même s’ils n’atteignent pas ceux des mineurs de l’étude (83 % au bout de 3 ans). Par contre, les primo-délinquants ont des taux de réitération beaucoup plus faibles (40 % au bout de 3 ans). Graphique 14 : Evolution des taux de réitération pour les mineurs de l’échantillon (« mineurs placés en CEF »), les mineurs ayant eu une première condamnation au casier judiciaire entre 1999 et 2001 (« primo-délinquants ») et les mineurs ayant eu une condamnation au casier judiciaire entre 1999 et 2001, mais qui ne constitue pas une première condamnation inscrite au casier judiciaire. 90% Mineurs placés en CEF (DPJJ) 80% Mineurs déjà délinquant (SDSED) Taux de réitération (en %) 70% 60% 50% Mineurs primo-délinquant (SDSED) 40% 30% 20% 10% 0% 0 365 730 1095 Durée (en jours) Source : DPJJ, SDSED De plus, l’étude montre déjà que les mesures « contraignantes » réservées en fait aux mineurs les plus délinquants comme le « placement dans un établissement » (à l’époque les CEF n’existaient pas), la mise sous protection judiciaire et la liberté surveillée affichent respectivement des taux de réitération 76 %, 61 % et 63 %. Ainsi les taux de réitération relevés dans notre étude pour les mineurs placés en CEF sont loin d’être aberrants, ils sont plutôt cohérents avec les résultats de cette étude. De même, l’étude du service statistique remarquait que quelque soit le domaine d’infraction de la condamnation considérée, la réitération se faisait prioritairement dans le domaine des vols et recels. De la même manière, dans notre étude, les atteintes aux biens sont les infractions les plus souvent commises à la réitération quel que soit le domaine d’infraction préférentiel avant CEF (tableau 8). 44 Ajoutons, pour finir que l’étude du service statistique du Ministère de la Justice notait une variation de la réitération en fonction de la nature de l’infraction ayant donné lieu à la condamnation et de l’âge à cette condamnation. L’examen méthodologique effectué dans notre étude nous amène à dire que ces résultats sont difficilement interprétables puisqu’il n’est tenu compte dans l’étude du service statistique que d’une seule infraction dans un parcours délinquant qui en compte bien souvent plusieurs, choisie à partir d’une date unique pour tous et, donc, arbitrairement par rapport au parcours délinquant du mineur. D’autre part, ces effets sont donnés sans contrôle d’autres variables. Ils pourraient donc être simplement des effets secondaires. 45 Conclusion Penchons-nous brièvement, juste avant de conclure, sur la problématique des trajectoires inverses, celles des sorties de la délinquance, que l’étude de la réitération permet justement d’approcher. Cette problématique apparaît aujourd’hui comme un axe d’étude prometteur et pertinent de la sociologie de la déviance et des institutions pénales43. L’idée selon laquelle les trajectoires de la majorité des délinquants ne seraient qu’une étape biographique fait l’objet d’un certain consensus scientifique, sans que l’on sache vraiment pourquoi et comment s’organise cette perte d’attraction des conduites délinquantes. Le but est d’approfondir la connaissance des comportements transgressifs en intégrant à leur analyse les séquences où ils perdent de leur attrait, en passant d’une recherche circonscrite au temps d’implication à une démarche intégrant des enseignements biographiques à long terme, en appréhendant les désengagements comme des processus transitionnels vers de nouveaux registres d’action. Progressives ou radicales, les bifurcations sont balisées par un temps de l’avant et de l’après, qu’il faudrait approcher en s’appuyant sur la description des conjonctures sociales, notamment l’état du marché du travail, les conditions de logement, les dynamiques culturelles, les politiques publiques, etc., et sur le rôle des différents intervenants individuels ou institutionnels et, enfin, sur la structure des itinéraires de désistement pour comprendre, à partir de l’identification de leurs causes, ces sorties de déviance, produit croisé d’une décision subjective et de l’objectivité d’une contrainte de cheminement 44. Dans une enquête récente sur les motifs de désengagement, par exemple, deux tiers des filles interrogées sont sorties au moment de leur grossesse ou en formulant le projet d’avoir un enfant 45. En ce sens, la prise de distance relève-t-elle d’un mouvement collectif, de l’action des institutions, d’un départ forcé, d’une démarche avant tout personnelle, signe-t-elle le passage d’un mode de vie où prédomine le collectif à un autre où prime d’abord le soi ? Les sorties de délinquance sont-elles la cause ou le produit de l’accès à l’emploi ? Le travail conditionne-t-il l’arrêt des transgressions ? Dans quelle mesure un parcours délictuel ou criminel et une carrière professionnelle peuvent-elles cohabiter ? En quoi les inégalités d’accès à l’emploi stable jouent-elles sur les itinéraires de désistement ou au contraire sur le maintien dans une trajectoire déviante ? La structure temporelle des trajectoires déviantes est aussi une thématique importante. Elle est ancienne Outre-Atlantique pour les criminologues qui ont réfléchi au lien entre âge et désistement qui constitue l’une des principales pistes de l’analyse générationnelle et psychosociale de la décroissance des comportements délinquants, invitant à étudier les ressources d’intégration sociale dont chacun dispose à chaque période, d’accès à la protection et à la reconnaissance. Dans ces travaux, les liens entre structures spatiales et comportements sont également solidement établis : fonctions socialisatrices des territoires, logiques de transmission et de communication interpersonnelle, réseaux relationnels, affiliations locales constituent le cadre et le contexte où se façonnent les identités et les représentations. Toutefois, en amont de 43 Cf. Marwan Mohammed, Les sorties de délinquance : une nouvelle perspective d’étude du crime et des institutions pénales (miméo). 44 Cf. Passeron J.-C., 1991, Le scénario et le corpus. Biographies, flux, itinéraires, trajectoires », Le Raisonnement sociologique, Paris, Nathan, p.204. 45 Cf. Fleisher M., Krienert J., 2004, Life-course events, social networks, and the emergence of violence among female gang members, Journal of Community Psychology, 32, pp. 607-622. 46 l’échelle sociale, l’étude des conditions psychologiques de ces bifurcations (ou des tentatives avortées) est une autre orientation pertinente, précisant les frontières entre les causalités individuelles et sociales des comportements et des troubles. Les échelles d’analyse des désistements de la délinquance sont multiples : l’individu, ses groupes d’appartenance, les communautés locales, les intervenants sociaux, les territoires, etc. Les institutions judiciaires et la PJJ ont une place particulière dans cet ensemble hétérogène, puisqu’elles sont les acteurs d’une des principales politiques publiques visant à réduire et à stopper le développement de la délinquance. D’où l’intérêt de questionner la pratique des professionnels à travers ce prisme des parcours de sortie. C'est pourquoi l'étude présente qui ne répond pas, par construction, à l'ensemble des questions précitées, met l'accent sur l'impact de l’action des institutions de la PJJ. Cette étude illustre, plus généralement, le souci de la direction de la PJJ pour cette question de la sortie de la délinquance, alors même que la direction a pu paraître souvent, notamment pour des raisons fonctionnelles, plus focalisée sur l’adoption des pratiques délinquantes que sur le renoncement à celles-ci. La DPJJ diffère, ce faisant, de la masse des travaux sur la question qui souffre du même déséquilibre. Penchons-nous maintenant sur les apports de l’étude et sur les préconisations : Apport méthodologique de l’étude : Outre les connaissance positives qu’elle contient, cette étude constitue un exemple d’apport méthodologique important car elle correspond, à notre connaissance, à une première en langue française dans la modélisation des “risques” de réitération. Elle permet en effet de distinguer de façon inédite les facteurs de “risques” des effets secondaires. Les modélisations permettant de contrôler davantage de paramêtres que la méthodes des taux comparatifs. Résultats : Les principaux résultats portent - sur la composition de la population des mineurs séjournant en CEF, - sur le taux de “réitération” (présence d'infraction(s) ayant donné lieu à une condamnation), - sur l’impact positif de la durée du séjour sur ce taux, - sur l’absence d’impact de la gravité des actes commis et du domaine d’infraction, - sur le fait que la 1ère réitération après la sortie n’est bien souvent pas un acte isolé. La population des mineurs entrant en CEF est composée de : - non réitérants (26%) au sens où, au moment d’entrer en CEF, ils n’ont encore jamais été condamnés, ont commis peu d’infractions mais les plus graves, la plupart étant des atteintes aux personnes, sont placés en CEF rapidement après leur première infraction, dans le cadre d’un contrôle judiciaire ; - multi-réitérants (74%), présentent une délinquance « expérimentée » avec en moyenne plus de 10 infractions à leur actif avant d’entrer en CEF et pour lesquels ils ont d’ailleurs déjà été condamnés. Il se distinguent en deux sous-groupes : o les “ancrés” (58 %) qui ont commis au moment de leur entrée en CEF en moyenne 15 délits dont 8 ont été jugés, ont quasiment tous été condamnés par un tribunal pour enfants à des peines de prison ; 47 o les “précoces” (16 %) ont commis leur plus grave infraction plus jeune que les “ancrés”, condamnés vraisemblablement au titre d’un jugement à délai rapproché par un juge des enfants qui a prononcé des mesures éducatives. Les réitérations après la fin du séjour en CEF sont significatives par rapport aux trajectoires observées avant le séjour en CEF. - Le taux de réitération témoin avant le séjour en CEF à 1 an est de 90 % avant CEF et de 70 % après la sortie du CEF soit, pour l’ensemble, une diminution de la réitération de près de 20 % sur un an après le séjour. - Un mineur qui reste moins de 4 mois (-4) en CEF a plus de 60% de risque de réitérer que celui qui reste entre 4 et 7 mois (4-7). - Un mineur qui reste plus de 7 mois (+7) en CEF a 40% moins de chance de réitérer que celui qui reste entre 4 et 7 mois (4-7). - La durée minimum pour qu’un séjour en CEF ait un effet bénéfique sur la réitération se situe à 170 jours (soit un peu moins de 6 mois). Ceux qui restent plus de 170 jours cessent de réitérer plus souvent de façon significative. - Toutefois en prenant un risque d’erreur plus grand, on peut dire que le placement en CEF commence à produire des effets à partir de 125 jours de placement effectif. - Parce qu’ils restent moins longtemps et qu’ils ont commis davantage de délits, les multi-réitérants sont ceux qui ont le plus de chance de réitérer après le séjour en CEF. - La gravité des actes commis et le domaine d’infraction ont peu d’influence - La 1ère réitération après la sortie du CEF n’est bien souvent pas un acte isolé mais peut être considérée comme une « rechute effective » dans le sens où elle sera suivie d’autres infractions, pour les trois quarts des jeunes réitérants. Préconisations Ces résultats pourraient être utilisés dans une démarche de sensibilisation des magistrats, des cadres de la PJJ, des formateurs et dans une démarche d’aide au fonctionnement des établissements et services en soulignant plus particulièrement : L’importance de la durée du placement en CEF : Le rôle de la continuité éducative dans l’établissement afin de permettre une durée de séjour suffisante des mineurs placés ; La nécessité pour les CEF de mettre en place une organisation leur permettant de supporter les incidents en début de séjour dans la mesure où les incidents sont inévitables voire prévisibles et que le dépassement de cette période parait augmenter l’efficacité des CEF ; La nécessité de réfléchir aux conditions permettant de sanctionner les incidents sans raccourcir la durée de placement : La démarche de sanction (main levée du placement) pour incident ne devrait être envisagée que, si et autant que cela est possible, elle ne remet pas en cause la durée du séjour dans le CEF, ce qui, par exemple, devrait imposer le principe d’un retour dans le CEF d’origine des mineurs ayant été incarcérés à la suite d’un incident en cours de placement. 48 Annexe 1 : Table de gravité - niveaux de gravité adoptés en fonction de la nature des infractions Libellé code_nataf code_natinf échelle gravité Meurtre A11 5169 1 Violence commise en réunion ayant entraîne la mort sans intention de la donner A12 10871 1 Viol avec plusieurs circonstances aggravantes A31 20557 1 Agression sexuelle A32 1122 1 Arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivi d'une libération avant A34 7858 1 Arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivi d'une libération avant A34 7858 1 Viol commis sur la personne d'un mineur de 15 ans A41 1117 1 Agression sexuelle imposée a un mineur de 15 ans A42 1130 1 Abstention volontaire d'empêcher un crime ou un délit contre l'intégrité d'une personne A56 115 1 Atteinte sexuelle par majeur sur un mineur de 15 ans A84 1128 2 Vol avec arme B11 7164 2 Vol avec violence commis en bande organisée B12 7165 2 Vol avec violence ayant entraîne une infirmité permanente ou une mutilation B13 Fabrication ou détention non autorisée et sans motif légitime en bande organisée de substances illicites C22 Fabrication ou détention non autorisée et sans motif légitime en bande organisée de C22 substances illicites 7251 2 25151 2 25151 2 Importation non déclarée de marchandise prohibée 5739 2 E22 Importation non declaree de marchandise prohibee E22 5739 2 Detention non autorisee de stupefiants G14 7991 2 Detention non autorisee de stupefiants G14 7991 2 Offre ou cession non autorisee de stupefiants G15 7992 2 Offre ou cession non autorisee de stupefiants G15 7992 2 Transport non autorise de stupefiants G16 7990 2 Transport non autorise de stupefiants G16 7990 2 Acquisition non autorisee de stupefiants G17 7993 2 Acquisition non autorisee de stupefiants G17 Homicide involontaire par violation manifestement deliberee d'une obligation de securite ou A25 7993 2 12279 3 Violence avec usage ou menace d'une arme suivie d'incapacite n'excedant pas 8 jours A35 7145 3 Violence sur un ascendant legitime, naturel ou adoptif suivie d'incapacite superieure a 8 j A36 7144 3 Violence suivie d'incapacite superieure a 8 jours A36 Violence sur une personne chargee de mission de service public suivie d'incapacite n'exceda A37 7183 3 10843 3 Violence suivie d'incapacite n'excedant pas 8 jours par conjoint, concubin ou partenaire li 10872 3 A38 Violence par une personne chargee de mission de service public sans incapacite A39 20733 3 Violence sur un mineur de 15 ans suivie d'incapacite n'excedant pas 8 jours A43 7184 3 Violation de tombeau ou de sepulture A75 184 3 Soustraction d'enfant des mains de la personne chargee de sa garde A93 7902 3 Soustraction d'enfant des mains de la personne chargee de sa garde A93 7902 3 Extorsion par violence, menace ou contrainte de signature, promesse, secret, fonds, valeur B53 7204 3 Participation avec arme a un attroupement C13 12260 3 Participation avec arme a un attroupement C13 12260 3 49 Vol avec violence n'ayant pas entraine une incapacite totale de travail B21 7861 4 Vol avec violence ayant entraine une incapacite totale de travail de plus de 8 jours B22 7863 4 Vol a l'aide d'une escalade B23 7156 4 Vol a l'aide d'une entree par ruse B24 7160 4 Vol avec destruction ou degradation B25 7871 4 Vol en reunion B26 7872 4 Vol B31 7151 4 Recel de bien provenant d'un vol B41 7215 4 Recel de bien provenant d'un delit puni d'une peine n'excedant pas 5 ans d'emprisonnement B42 699 4 Recel de bien provenant d'un vol aggrave par deux circonstances B43 12304 4 Abus de confiance B51 58 4 Escroquerie B61 7875 4 Escroquerie par personne chargee d'une mission de service publique dans l'exercice de sa mi B62 7877 4 Abus de l'ignorance ou de la faiblesse d'une personne vulnerable pour l'obliger a un acte o B63 10828 4 Abus de l'ignorance ou de la faiblesse d'une personne vulnerable pour l'obliger a un acte o B63 10828 4 violation de domicile a l'aide de manoeuvres, menace, voies de fait, ou contrainte A61 113 5 appels telephoniques malveillants reiteres A62 12030 5 menace de delit contre les personnes, faite sous condition A74 7894 5 denonciation calomnieuse A76 33 5 provocation non publique a discrimination en raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la r A77 12317 5 exhibition sexuelle A81 61 5 degradation ou deterioration d'un monument ou objet d'utilite publique B71 80 5 destruction du bien d'un temoin pour l'influencer ou par represailles B72 11567 5 remise ou sortie irreguliere de correspondance, somme d'argent ou objet de detenu C35 1427 5 refus, par personne condamnee pour delit, de se soumettre au prelevement biologique destine C51 23212 5 inexecution d'un travail d'interet general C52 7956 5 intrusion dans l'enceinte d'un etablissement scolaire C53 11989 5 bris volontaire ou detournement de scelles C55 164 5 divulgation d'information fausse de sinistre de nature a provoquer l'intervention des secou C57 10595 5 outrage a une personne chargee d'une mission de service public C61 7885 5 outrage a agent d'un exploitant de reseau de transport public de voyageurs C62 22046 5 introduction non autorisee dans un local ou terrain clos de service interessant la defense D21 1814 5 injure publique envers un corps constitue, un fonctionnaire ou un citoyen charge d'un servi D64 375 5 injure publique envers un particulier par parole, ecrit, image ou moyen de communication au D66 376 5 injure publique envers un particulier en raison de sa race, de sa religion ou de son origin D67 377 5 usage illicite de stupefiants G11 180 5 aide a l'usage par autrui de stupefiants G13 183 5 conduite de vehicule sous l'empire d'un etat alcoolique: concentration d'alcool par litre d I21 1247 5 delit de fuite apres un accident par conducteur de vehicule terrestre I22 42 5 refus, par le conducteur d'un vehicule, d'obtemperer a une sommation de s'arreter I23 50 5 sevices graves ou acte de cruaute envers un animal domestique, apprivoise ou captif J61 125 5 blessures involontaires avec incapacite superieure a 3 mois par conducteur de vehicule terr A51 258 6 blessures involontaires avec incapacite superieure a 3 mois par conducteur de vehicule terr A52 24020 6 blessures involontaires sans incapacite par manquement delibere a une obligation de securit A53 12306 6 mise en danger d'autrui (risque immediat de mort ou d'infirmite) par violation manifestemen A57 12312 6 exces de vitesse d'au moins 50 km/h par conducteur de vehicule a moteur I85 21526 6 50 filouterie de carburant ou de lubrifiant B64 77 7 detention en vue de la mise en circulation de monnaie ayant cours legal contrefaite C46 11668 7 violation du secret du vote par manoeuvre frauduleuse D31 1154 7 non communication dans les delais d'une cession ou promesse de cession de droits sociaux ay E13 1019 7 entrave au fonctionnement regulier d'un marche d'instruments financiers par manoeuvre indui E53 7915 7 modification, sans notification au parquet, des elements de la declaration de demarcheur en E57 12840 7 detention de produits revetus d'une marque contrefaite F42 1826 7 recidive, non constitution par le maitre d'ouvrage de college interentreprise d'hygiene et H21 20629 7 conduite d'un vehicule sans permis I11 7536 7 non presentation immediate du certificat de formation de conducteur de transport par route I12 7551 7 circulation avec un vehicule terrestre a moteur sans assurance I13 6163 7 usage de fausse plaque ou de fausse inscription apposee sur un vehicule a moteur ou remorqu I14 48 7 entrave a la circulation sur une voie publique I24 2271 7 service regulier de transport international routier de personnes sans autorisation valable, I31 7636 7 voyage habituel dans une voiture de transport en commun sans titre de transport valable I51 23315 7 entrave a la mise en marche ou a la circulation d'un vehicule de chemin de fer I52 4063 7 circulation d'animal eloigne du bord droit de la chaussee en marche normale I87 215 7 acceptation de versements,depots,effets avant acceptation offre de credit K4 1085 7 51 Annexe 2 : Mise en perspective historique de la création des CEF et histoire de la récidive 1. Mise en perspective historique de la création des CEF L’idée d’un mode d’enfermement spécifique aux mineurs délinquants et à finalité éducative n’est pas nouvelle. Au lendemain de la Révolution Française en effet, une nouvelle législation prévoit des « maisons d’éducation correctionnelle » pour les mineurs. Celles-ci verront le jour en 1836 (la Petite Roquette). Régime cellulaire la nuit, travail en atelier, instruction élémentaire et religieuse durant la journée, l’éducatif sera cependant rapidement abandonné au profit d’une logique de sanction et d’exclusion des jeunes délinquants dictée par le contexte de l’époque. Ce contexte est d’une part la révolution industrielle avec l’apparition d’un prolétariat massif qui entraîne une peur sociale du vagabond et du délinquant, et d’autre part, l’apparition des théories géniques sur les criminels (le crime serait une fatalité biologique, par atavisme ou par dégénérescence- Bertillon). Au début du 20ème siècle, cependant, la constitution dans les tribunaux de comités de défense des enfants feront évoluer la législation et, le 22 juillet 1912, une loi crée le tribunal pour enfants et adolescents. Toutefois cette loi ne dote pas les juridictions d'infrastructures leur permettant un véritable travail éducatif. Il faudra attendre les années 1937-1938, après le scandale des bagnes d’enfants pour voir réapparaître l’aspect éducatif dans le traitement de la délinquance des mineurs, notamment avec les maisons d’éducation surveillée et la création d’un corps de moniteurs-éducateurs, dans un contexte de plus faible visibilité de la délinquance juvénile. A la sortie de la 2ème guerre mondiale (39-45) qui aura été une période troublée pour la jeunesse et marquée par une très nette recrudescence de la délinquance des mineurs, l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l' enfance délinquante proclame la prééminence de l'éducatif sur le répressif : un juge des enfants est présent dans chaque tribunal ; il peut prononcé des mesures éducatives diversifiées et en assurer le suivi ; des postes de fonctionnaires avertis des problèmes de rééducation des mineurs tels que pédagogues, médecins, psychologues sont créés. Cependant, il s'agit encore de "surveiller et punir". On prône l'éloignement des villes, le régime strict de l'internat, les bâtiments du type caserne, une discipline militaire ou monacale. Sont néanmoins mis en place des ateliers, sur le modèle de ceux de l'Education nationale, ayant pour finalité de rééduquer par le travail manuel et même de commencer l'apprentissage d'un métier. Par l’ordonnance du 1er septembre 1945, l'Education surveillée jusque-là sousdirection de l'administration pénitentiaire devient une direction autonome, avec une vocation éducative : assurer la prise en charge des mineurs délinquants ainsi que la protection de ceux dont l'avenir apparaît gravement compromis en raison des insuffisances éducatives et des risques qui en résultent pour leur formation ou même pour leur santé physique. La période 1958-1979 est marquée par un retour partiel vers des conceptions sécuritaires. Dès 1958, les phénomènes de bandes, les « blousons noirs », accentuent dans l’opinion publique le sentiment d’un malaise de la jeunesse (qui sera à son apogée en 1968), et aboutit à l’abandon des politiques de prévention et à un retour vers les structures pénitentiaires, instaurant un climat davantage répressif. Sont créés dans les prisons de Fresnes, Marseille et 52 Lyon des centres spéciaux d’observation de l’éducation surveillée (CSOES) censés offrir des garanties sécuritaires et éducatives, mais qui sont en réalité trop vite surpeuplés, notamment en raison de l’augmentation de la détention provisoire des mineurs dans les années 1960. Ce surpeuplement génère manifestement de la récidive et les CSOES seront abandonnés que 20 ans après, en 1978. Parallèlement, l’ordonnance du 23 décembre 1958 relative à la protection de l'enfance et de l'adolescence en danger permet au juge des enfants d’intervenir rapidement et efficacement en faveur de tout jeune dont l’avenir est compromis (et non plus seulement à l’égard des mineurs délinquants). En 1961, le IVème plan d’équipement prévoit d'une part, les instituts professionnels de l'éducation surveillée et les institutions spéciales de l'éducation surveillée, héritiers des grands établissements et d'autre part, des petits établissements auprès des tribunaux (milieu ouvert : consultations d'orientation et d'action éducative). Ces efforts d’équipement mettent en valeur deux conceptions différentes : d'une part, celle de grands établissements à l'image du passé, situés dans des zones rurales et capables d'accueillir un grand nombre de mineurs et, d'autre part, l'idée d'ouvrir de petites structures placées auprès des tribunaux afin de mettre en œuvre des actions en milieu ouvert. En 1970, des centres d’observation de sécurité (COS) qui répondent à des critères sécuritaires sont crées. Le rapport commandé par le garde des sceaux J. Taittinger au président du tribunal pour enfant de Paris M. Molines en 1974 conclut que : « les établissements fermés sont des échecs et des dépotoirs […] il ne faut pas regrouper les mineurs les plus difficiles dans un nombre limité d’établissement. […] l’action éducative pour les plus jeunes nécessite du temps, des zones de libertés, elle n’est pas conciliable avec le milieu fermé46». Les COS seront abandonnés en 1976 accusés d’être « des accélérateurs » dans les parcours de délinquance. En parallèle, l’ES fait ouvertement le pari de l'éducation en milieu ouvert et crée les foyers d’action éducative (FAE) et les centres d’orientation et d’action éducative (COAE), qui sont des structures ouvertes à visée éducative. Les années 1980 marquent un abandon progressif du modèle de l’établissement fermé et le début d’une profonde mutation de l’institution judicaire. D’une part, deux lois sont adoptées (30 décembre 1987 et 6 juillet 1989) qui limitent la détention provisoire des mineurs. D’autre part, les services éducatifs auprès du tribunal (SEAT) crées en 1978 sont un succès : ces structures conduisent des mesures d'investigation, des enquêtes et des suivis y compris en amont de l’intervention pénale et opèrent un recentrage sur l'approche de la dimension individuelle et personnalisée des parcours délinquants. Durant cette période, l’ES investi massivement dans l’Action Educative en Milieu Ouvert, et ne gère plus aucun centres fermés. En 1985 : un nouvel article, ajouté à l’ordonnance de 1945, rend obligatoire l’avis du SEAT, qui propose, pour chaque mineur, des mesures alternatives à l’incarcération. Les années 1990 marquent un tournant sécuritaire important, faisant apparaître de nouvelles logiques dans la prise en charge de la délinquance. Une série d’émeutes urbaines qui commence à Vaulx-en-Velin, dans la banlieue de Lyon, en octobre 1990, et se poursuit entre mars et juillet 1991 dans la banlieue parisienne (Sartrouville, Mantes-la-Jolie, Meaux, Garges-Lès-Gonesse) est l’occasion d’un retour à une politique plus répressive et sécuritaire qui s’appui sur une amplification médiatique importante des faits de violence. La «question des banlieues» où se concentre la population Cf. Jacques Bourquin, « La protection judiciaire et les mineurs difficiles », in Collectif, L’éducatif, le psychiatrique, les cas limites et la PJJ, Vaucresson, CNFEPJJ, 1993, p. 17-35. 46 53 d’origine immigrée est mise en avant et concourt à un débat public quasi-permanent sur le thème de la délinquance et de la sécurité47. Un nouveau code pénal entre en vigueur le 1er mars 1994 dans ce contexte sécuritaire. Il aggrave les qualifications, et les peines encourues et entraîne par voie de conséquence l’augmentation rapide de la délinquance enregistrée. Face à cette « montée » de la délinquance et à sa forte visibilité, de nouvelles logiques apparaissent qui vont orienter les politiques judiciaires dans le sens d'une réponse pénale rapide. C'est le cas tout particulièrement pour les mineurs qui ont la particularité d'agir dans un contexte de délinquance intense, fréquemment de faible ou moyenne gravité, et concentrée sur une courte période de la vie. On assiste en conséquence à la généralisation des procédures de « traitement en temps réels » (1995-1996) et à la construction progressive d’une justice de proximité dont l’objectif est l’accélération des procédures judiciaires. L’année 1996 est marquée par la création des unités éducatives à encadrement renforcé (UEER)48 qui deviendront les Centres éducatifs renforcés (CER) pratiquant des séjours de rupture, dont le bilan sera présenté comme positif et, d’autre part, les centres de placement immédiat (CPI) qui faute de projets éducatifs et d'une durée suffisante pour les mettre en œuvre se bornent plus ou moins à ressembler à de simples hébergements alternatifs à l’incarcération. S’appuyant sur le succès des CER, les CEF sont créés en 2002. Ils accueillent un petit nombre de mineur, répondant ainsi au souci de ne pas concentrer les délinquants dans un nombre limités d’établissement, mais de les répartir dans de petites structures. Par contre, la notion de contrainte, même si elle n’est pas aussi marquée qu’en prison (il n'y a pas d’encellulement) n’en reste pas moins très présente49. Dans l’ensemble, l’évolution de la politique concernant la justice des mineurs et leur enfermement s’inscrit dans un contexte historique fluctuant entre périodes sécuritaires où il s’agit de protéger la société des délinquants et en conséquence de les neutraliser et des périodes plus calmes où l’on se préoccupe davantage d’éduquer. Le CEF porte la trace de ces deux axes d’alternance historique en se voulant à la fois sécuritaire (protégeant la société de ces délinquants) et éducatif (par le souci manifeste dans le contenu de la prise en charge). Il s'inscrit dés lors de façon typique dans le développement d'un nouveau paradigme éducatif qui n'oppose plus contrainte et éducation mais qui pose a contrario la pertinence dans le travail d'éducation de l'usage de la sanction, de la contrainte et de la contenance 50. 47 Cf. Muchielli, L., « L’expertise policière de la «violence urbaine» Sa construction intellectuelle et ses usages dans le débat public français », Déviance et Société n°4, 2000. 48 Cf. Circulaire du 6 juin 1996 ; Inspection générale des affaires sociales, Inspection générale des services judiciaires, Inspection générale de l'administration, Rapport sur les Unités à Encadrement Educatif Renforcé (UEER) et leur apport à l'hébergement des mineurs délinquants, janvier 1998. 49 Suite à la surmédiatisation des fugues survenues lors des premiers CEF le dispositif de sécurité à été renforcé ajoutant au cahier des charges des CEF daté du 25 juin 2003, une entrée unique par ouverture télécommandée, des clôtures, des barrières infrarouge, un dispositif de contrôle des mouvements aux CEF pour maximiser la maîtrise de la mobilité des mineurs par les encadrants. Par ailleurs, à Sainte Eulalie, « des barbelés de 90 cm ont été ajoutés aux grillages de 1,98m et des entrebâilleurs ont été placés aux fenêtres » (AFP, 11 octobre 2003) 50 Cf. Botbol M., Choquet L-H, Grousset J., «Éduquer et soigner les adolescents difficiles – La place de l’aide judiciaire contrainte dans le traitement des troubles des conduites», Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, juin, vol. 58, n°4, 2010 ; Botbol M., Choquet L-H «Eduquer et transmettre – Changement et continuité de la transmission dans le contexte de la justice des mineurs», Adolescence, 27, 2, 2009 ; idem, «La prise en compte de la contrainte dans l’action éducative à l’égard des mineurs délinquants - Une lecture renouvelée du droit pénal des mineurs», Cahiers Philosophiques, n°116, décembre 2008. 54 2. Histoire de la récidive : d’une notion subjective individuelle à un indicateur A l’époque romaine, récidivare (« récidiver ») signale tout d’abord une maladie récurrente. Vers 1593, le langage juridique désigne la récidive criminelle d’un individu comme le fait de commettre un nouveau délit ou de s’endurcir dans le crime après avoir été jugé pour un premier méfait. Les historiens montrent51 que les figures sociales du danger que dessine le groupe des « récidivistes » évoluent au cours du temps : le larron, l’hérétique, le vagabond, le brigand sous l’Ancien Régime, puis plus tard le vagabond, la prostituée et l’alcoolique, l’assassin au 19ème siècle et enfin le criminel sexuel aujourd’hui. Ainsi, la récidive criminelle signale l'échec de la peine, mais aussi l'enracinement social d'une culture délinquante amplifiée par le milieu, la précarité et la misère. Sous l'Ancien Régime, une logique d’élimination ou de neutralisation des criminels (galères, peine capitale, parfois bannissement) règle de fait la problématique de la récidive. Ceux qui échappent à la peine capitale sont marqués au fer rouge. Au 19ème siècle, l'effondrement de la société traditionnelle, la révolution industrielle et l'expansion urbaine sont souvent désignés comme source de paupérisme et de récidive délinquante et criminelle. De plus, l’association récidive-danger-marginalité se complique avec l’émergence de théories (citées plus haut) qui tendent à déterminer biologiquement voir génétiquement le criminel (A. Bertillon). L’intérêt se porte alors sur la récidive et favorise le déploiement de l’arsenal scientifique et administratif permettant l’élaboration de critères de reconnaissance des populations dangereuses et leur suivi. Le casier judiciaire est crée en 1850 à ces fins. Cet intérêt se traduit aussi par une dichotomisation des délinquants entre d’une part les récidivistes désignés comme des délinquants par habitude ou professionnels et les délinquants par accident ou primaires de l’autre. La société doit se protéger des premiers et protéger les seconds en leur évitant le recours à la prison, conçue comme la panacée de la récidive. Cette focalisation sur la récidive comme un mal absolu, « une gangrène » débouche, sur le vote de la loi du 27 mai 1885 (loi sur la relégation) qui préconise la mise au bagne de tous les récidivistes quel que soit le crime commis, et celles du 14 août 1885 et du 26 mars 1891 qui visent à protéger les primo-délinquants. Au 20ème siècle, la lecture du crime change, entre autre sous l’impulsion des travaux de sociologie de Durkheim. Le criminel est considéré, comme un agent régulier de la vie sociale. La lutte contre la récidive passe alors par une meilleure réadaptation sociale des délinquants comme en témoigne la loi du 29 juillet 1972 dans laquelle l’évaluation du risque de récidive se détermine par les capacités de réadaptions sociales de l’individu. Cf. Briegel, F., Porret , M., (études réunies par), Le criminel endurci; récidive et récidivistes du Moyen-Âge au XXe siècle, Genève, Droz, 2006, 395 pp. 51 55 C’est dans cette perspective qu’on trouve une classification des détenus récidivistes dans un volume daté de 1992 d’Etudes et données pénales 52 : Auteur Cannat 53 Pinatel 54 Vernet 55 De Greeff 56 Primaires Occasionnels Rééducables Modèles Détenus – Récidivistes Ordinaires Marginaux Douteux Influencables (en bien) d’habitude Chronique Irrécupérables Récidivistes Avec la montée d’un « sentiment d’insécurité »57 à partir de 1990, la récidive revient logiquement sur le devant de la scène. La lutte contre la récidive passe par la multiplication des mesures judiciaires et de lois, qui cette fois tiennent compte de la gravité des faits de délinquance. En 1992, le code pénal défini plus clairement les modalités d’aggravation des peines en cas de récidive. En 1994, le code pénal définit précisément dans ses articles 132-8 à 132-10 l’état de « récidive légale » qui suppose une première condamnation (premier terme) puis une infraction commise ultérieurement (deuxième terme). Le premier terme consiste en une condamnation pénale (exclusion notamment des mesures éducatives prononcés contre un mineur), définitive (toutes les voies de recours doivent être épuisées ou le délai pour les exercer passé) et prononcée par une juridiction d’un état membre de l’Union européenne. Deuxième terme : la loi impose qu’il intervienne dans un délai plus ou moins long suivant la commission de la première infraction. Par exemple, si le premier terme est un délit puni d’un emprisonnement inférieur à dix ans, le second terme doit consister en un délit du même genre (article 132-10 du Code pénal)(article 132-8 à 132-16). La « récidive légale» restreinte finalement à une minorité de cas se détache un peu plus de celle du sens commun58. La notion de « réitération » est aussi plus présente dés lors, qui comporte une définition légale59 mais également une acception de sens commun, désignant les situations dans laquelle 52 Cf. Faugeron C., Le Boulaire J-M, Quelques remarques a propos de la récidive, octobre 1992, Etudes et onnées pénales n° 65. 53 Cf. Cannat, La rééducation des délinquants récidivistes, Paris, lA Melun, 1955. 54 Cf. Pinatel, « Introduction du point de vue de la criminologie appliquée », in Pinatel (J.) Ed., Le problème de l’état dangereux, Paris, Deuxième cours international de criminologie, 14 sept.-23 oct. 1953, pp. 327-341 55 Source inconnue. Voir Vers une détention éducative, rapport sur le Centre national d'orientation de Fresnes présenté le 26 juillet 1951 au Congrès de Göteborg Suède, R.P. Joseph Vernet. 56 Cf. De Greeff, "Bilan d'une expérience - Trente ans comme médecin anthropologue des prisons en Belgique", Esprit, 1955, n° 65, 1992, p. 649-674 57 Vu par les sociologues dont N. Bourgoin comme une construction sociale et médiatique. Voir par exemple Bourgoin N., Les chiffres du crime. Statistiques criminelles et contrôle social (France, 1825-2006), L’Harmattan, coll. "Logiques sociales", 2009. 58 Définition légale de la récidive : En matière délictuelle, le premier terme de la récidive doit être un délit, et le deuxième terme le même délit, ou un délit assimilé par la loi, commis dans le délai de cinq ans à compter de l’expiration ou de la prescription de la précédente peine (Art. 132-10 du CP) ; en matière criminelle : Le premier terme de la récidive doit être un crime ou un délit puni de 10 ans d'emprisonnement, et le deuxième terme doit être un crime (Art. 132-8 du CP). 59 Définition légale de la réitération : Il y a réitération d’infractions pénales lorsqu’une personne a déjà été condamnée définitivement pour un crime ou un délit et commet une nouvelle infraction qui ne répond pas aux 56 une personne définitivement condamnée pour une infraction en commet une autre sans se trouver en état de récidive légale. Aucune conséquence juridique n'en découle alors même si le juge, utilisant le principe d’individualisation de la peine, peut condamner plus sévèrement que s'il s’agit d'un primo-délinquant. Néanmoins, les réalités entre récidive et réitération sont très différentes. Ainsi, en 2005, 2,6 % des personnes condamnées en matière criminelle et 6,6 % des personnes condamnées en matière correctionnelle étaient des récidivistes au sens légal. En revanche, 30 % des personnes condamnées durant la même période avaient déjà fait l'objet d'une condamnation. Le contraste est encore plus marqué pour les mineurs puisque la proportion de récidiviste parmi les condamnés en 2005 est 0,6 % et celle des réitérants est de 55 % 60. Avec la loi du 12 décembre 2005, le législateur officialise la réitération et prévoit des conséquences juridiques (non confusion des peines en cas de réitération, et loi du 5 mars 2007). La lutte contre la récidive trouve une nouvelle illustration avec la loi du 10 août 2007 qui prévoit l’instauration de « peines planchers » pour les délinquants en situation de récidive légale (loi controversée accusée de porter atteinte au principe d'individualisation de la peine), ainsi que l'exclusion possible de l'excuse de minorité pour les mineurs récidivistes de plus de 16 ans. A partir de 2008, le débat se déplace et porte sur l’instauration de mesures de sureté, qui vont au-delà de la peine exécutée. Cette focalisation actuelle sur la volonté de neutralisation de certains groupes de délinquants n’est pas sans rappeler la dichotomie ancienne entre les incorrigibles ou malades incurables dont il faut se protéger, et les autres et la notion de dangerosité promue au 19ème siècle par l'école de la défense sociale61. conditions de la récidive légale (art 132-16-7 al.1). Cette définition légale de la réitération est récente puisque qu’elle n’est introduite dans le code pénal qu’en décembre 2005 par la loi n°2005-1549. 60 Source : Sous direction de la statistique et des études, Ministère de la Justice et des Libertés 61 Cf. Tulkens, F., Généalogie de la défense sociale en Belgique (1880-1914), Story-Scienta, Bruxelles, 1988. 57