Téléchargez cet article au format pdf (211 ko)
Transcription
Téléchargez cet article au format pdf (211 ko)
Monde fini ou nouvelles frontières... Quel futur pour l’aventure humaine ? Alexandre Adler, journaliste et historien, diplômé de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, agrégé d’histoire, chroniqueur à France culture, membre du Comité éditorial du Figaro. Publications : “Rendez-vous avec l’Islam” Grasset 2005, “L’Odyssée américaine” Grasset 2004, “Au fil des jours cruels” Grasset 2003, “J’ai vu finir le monde ancien” Grasset 2002. T racer une esquisse de représentation du monde qui sera le nôtre dans un peu moins d’une vingtaine d’années n’est pas chose aisée. L’ancien ouvrage intitulé “L’économie soviétique en l’an 2000” , rédigé en 1982, montre que les projections de ce genre sont hasardeuses. Les incertitudes sont telles qu’il est impossible de savoir ce que sera véritablement le monde en 2020. Le Gulf Stream peut, par exemple, s’inverser sous l’effet du réchauffement climatique. Dans ce cas, les trois quarts des Scandinaves fuyant la vie polaire iront s’installer en Californie ou en Australie. Ce sera alors la fin de l’Etat providence suédois ou du modèle danois en matière d’emploi. D’autre part, aucune analyse convaincante ne prouve que l’épidémie de sida va régresser en Afrique. La prudence est donc de mise. Il est plus judicieux de présenter une série d’hypothèses. Elles porteront sur le devenir des grands blocs continentaux tout d’abord et envisageront ensuite deux problématiques : celle de l’épuisement des matières premières et celle du terrorisme mondial. L’alliance de l’Inde et de l’Afrique du Sud A l’orée des années 2020 deux pays devraient s’affirmer dans le concert des nations : l’Inde et l’Afrique du Sud. L’Inde est une région du monde où nous pouvons sans trop de difficultés établir des projections jusqu’en 2020. Cet Etat est resté longtemps une grande énigme pour les spécialistes du développement. Dès les années 50, il avait tous les atouts pour devancer la Chine. 43 10e Université des CCI - vichy - septembre 2006 Pourtant, à l’exception notable de la révolution verte de la fin des années 1970, il est toujours arrivé second, que ce soit en matière d’indépendance alimentaire, d’espérance de vie ou de puissance militaire. Cette relative lenteur de l’émergence de l’Inde résulte de trois pesanteurs. Son instabilité géopolitique tout d’abord : voisine du Pakistan surarmé et inquiet pour sa survie, l’Inde doit consacrer une part considérable de son budget à la défense. Ce pays est aussi victime de son système démocratique par ailleurs exemplaire : malgré une très grande pauvreté, l’Inde est parvenue à maintenir un système parlementaire de type Westminster, une magistrature indépendante, une presse entièrement libre et des universités prestigieuses. Enfin, le système des castes bloque le développement social. Aujourd’hui, ces freins commencent à se desserrer grâce à l’entrée de l’Inde dans l’économie moderne et à la mise à niveau de plusieurs centres de productivité. Son taux de croissance vient de passer de 5 à 8% et devrait atteindre 10% durant la prochaine décennie. Par ailleurs, le pays possède des atouts non négligeables. Son cinéma lui procure un important rayonnement culturel. Sa croissance attire sans cesse davantage la société pakistanaise. Karachi et Bombay étaient de taille équivalente à l’indépendance. La capitale du Pakistan est aujourd’hui dans un état dramatique alors que l’activité de Bombay est proche de celle de Naples et pourrait devenir la Venise des années 2020/2030. Par ailleurs, en matière écologique, la croissance indienne s’accompagnera certainement d’un développement des énergies à base végétale. A côté de ce premier futur géant, l’Afrique du Sud est elle aussi promise à un bel avenir. Ce pays représente un modèle politique pour toute l’Afrique. Son système libéral s’est affirmé. Sa société multiraciale résiste mieux que nous le pronostiquions au début de l’indépendance. Une classe dirigeante indienne a remplacé les grandes fortunes blanches et détient aujourd’hui 60% de la capitalisation boursière à Durban ou à Johannesburg. 44 Par ailleurs, l’alliance de l’Inde et de l’Afrique du Sud est en train de se nouer. En effet, le réseau commercial indien est désormais influent de l’Afrique du Sud jusqu’au Kenya. Il se partage le continent africain avec le réseau syro-libanais qui descend jusqu’à Kinshasa. Cette union en gestation dominera l’Océan indien qui deviendra une seconde Méditerranée en termes d’activités économiques. Monde fini ou nouvelles frontières... Quel futur pour l’aventure humaine ? Miami, capitale économique de l’Amérique latine La surpuissance actuelle des Etats-Unis est artificielle. Elle résulte surtout de l’effondrement de l’Union soviétique, de la puissance non encore aboutie de la Chine et de la faiblesse relative de l’Europe. En 2020, les Etats-Unis ne seront plus cette hyper puissance sans rival. Ils constitueront probablement la première puissance de la planète mais devront partager le pouvoir avec d’autres régions du monde. Il se peut également qu’à l’issue du conflit au Moyen-Orient l’Amérique entre dans une longue période d’isolationnisme, comme elle l’avait fait après la guerre du Vietnam. En outre, l’immigration mexicaine est en train de transformer les Etats-Unis. L’hispanisation de sa population est inéluctable. Un capitalisme latino émerge déjà à Miami. Lorsque les EtatsUnis deviendront une puissance bilingue, ils ne seront plus aussi distincts de l’Amérique latine. Ni Chavez ni Castro ne symbolisent l’avenir de ce continent. Mais la symbiose de ces deux Amériques ne se fera pas spontanément. Elle pourrait donner lieu à plusieurs affrontements violents. La relation entre ces deux pans du continent américain mérite que nous nous y attardions. L’Amérique doit se redéployer sur son hémisphère occidental. Le Mexique constitue une zone frontière avec un Sud pauvre et anti-impérialiste et un Nord intégré à l’économie américaine. Cette scission va progressivement descendre sur le continent. Pour régler les conflits géopolitiques, le Brésil s’allie déjà aux Etats-Unis. Les institutions des deux pays sont très proches et leurs économies devraient s’imbriquer. L’Amérique latine, dans son ensemble, est également partie à l’assaut des Etats-Unis. 65% des élèves apprennent l’espagnol en première langue. Les jeunes Mexicains, issus de l’immigration, contribuent à redynamiser la région du Middle West. Une vingtaine de consulats mexicains ont ouvert aux Etats-Unis durant ces cinq dernières années. Miami n’est plus le lieu de rendez-vous des retraités mais la capitale économique de l’Amérique latine qui attire les meilleurs journalistes du continent. Laura Bush s’est déclarée favorable à la traduction de l’hymne national en espagnol. Le gouverneur du Nouveau-Mexique est d’origine mexicaine. Il y aura peut-être un président latino aux Etats-Unis avant un président noir ou féminin. 45 10e Université des CCI - vichy - septembre 2006 Vers une Chine démocratique ? L’explosion économique de la Chine, dont l’influence s’étend jusqu’à l’Indonésie, constitue le phénomène géopolitique le plus important de notre planète. En 2020 son industrialisation sera en partie achevée. Ses taux de croissance auront inévitablement diminué mais pourront se maintenir aux alentours de 6 ou 7%. Il n’y aura donc pas d’appauvrissement de la population. En revanche, la fluidité sociale, symbolisée aujourd’hui par l’immense exode rural imposé par le régime, va se rigidifier. La Chine devra alors gérer les mêmes problématiques que les autres pays développés. Le financement de la retraite de millions de personnes devra par exemple être supporté par le petit nombre de Chinois issus de familles à enfant unique. Le pays sera également confronté à des déséquilibres régionaux et à des problèmes d’infrastructures. Rien ne permet d’affirmer que ces évolutions aboutiront à l’établissement d’un régime démocratique, même si les classes moyennes pousseront en ce sens. Ce pays continent peut évoluer de manière inégale. L’accès à la presse pluraliste est déjà incomparable entre Canton et l’intérieur de la Chine. Les pouvoirs régionaux seront probablement de plus en plus indépendants du pouvoir central. Le dirigeant d’une région comme le Sichuan, avec 100 millions d’habitants et un PIB deux fois supérieur à celui de la France, acceptera difficilement de se comporter en simple préfet. L’Europe à la croisée des chemins 46 L’évolution de l’Europe dans les quinze années à venir est particulièrement incertaine. La première interrogation concerne l’avenir des frontières européennes. L’Europe de l’Est achèvera bientôt son entrée et la Turquie est candidate à l’intégration. La Russie est également de plus en plus tournée vers elle. Mais rien n’assure qu’un continent européen doté d’une structure politique et sociale puisse renaître. Deux hypothèses de lecture de son avenir peuvent être mises en avant. Suivant une première hypothèse, pessimiste, l’Europe pourra être comparée à la Grèce dans l’Empire romain. En effet, les sociétés actuelles manquent d’ambition dans les domaines scientifique, militaire et géopolitique. Elles ont atteint l’équilibre miraculeux des cités grecques qui possédaient de magnifiques monuments, bénéficiaient de la protection de l’armée romaine et vivaient dans le souvenir et la gloire. Comme elles, l’Europe occidentale pourrait se diviser en petites cités États concurrentes, reliées par le TGV. Elles vivraient sous la protection de la grande Amérique, commerceraient avec la grande Chine et se garderaient de toute ambition véritable. Cette Europe ressemblerait à une Suisse européenne, avec la GrandeBretagne dérivant de plus en plus vers les Etats-Unis. Les pays d’Europe de l’Est, ayant raté leur intégration, se replieraient dans un souverainisme déjà à l’oeuvre en Pologne. La Russie, cherchant à revenir sur la scène mondiale, aurait le plus grand mal à atteindre cet objectif en s’appuyant sur l’Europe. Monde fini ou nouvelles frontières... Quel futur pour l’aventure humaine ? Selon une hypothèse plus optimiste, l’Europe parviendrait à se doter d’un moteur, probablement le couple franco-allemand élargi, tout en concluant un compromis historique avec la Russie. Ce pays, riche en matières premières et en savoir-faire, parviendrait ainsi à revenir sur la scène mondiale. L’Europe deviendrait alors la banque d’affaires d’un État russe remis sur pied. Elle pourrait même s’allier à la Turquie qui jouerait, suivant cette perspective, un rôle central au Moyen-Orient, en étroite alliance avec Bruxelles. Pour réussir l’Europe, il faudra donc sortir des équilibres créés dans les années 1950 et qui lient les Etats les uns aux autres. L’Union devra se doter d’institutions comparables à celles des grandes puissances comme les Etats-Unis, la Chine ou l’Inde. Une telle évolution n’est cependant pas assurée. La fin annoncée du pétrole va changer le monde L’unique certitude tient au fait que les quinze prochaines années seront dominées par les problématiques des matières premières, de l’énergie et des technologies. Il existe actuellement cinq moyens pour faire face à la pénurie annoncée de pétrole. Le charbon représente un énorme potentiel à court terme mais il reste très polluant même si l’Europe réfléchit actuellement au moyen de créer des centrales à charbon propres. Le nucléaire suppose également une technologie de retraitement de ses déchets. Le développement des chemins de fer et de nouveaux moyens de transport devrait contribuer efficacement à réduire la consommation. L’éthanol et les carburants “bio” sont prometteurs mais pour les produire il faut reconvertir des surfaces agricoles utiles dans des régions entières et les irriguer. Enfin les réserves en sable bitumeux du Canada sont six fois supérieures à celles de l’Arabie mais son exploitation ne sera pas sans effets sur les rejets de gaz à effet de serre. Ces solutions nous permettront de tenir au moins jusqu’à la fin du siècle. Nous sommes aujourd’hui dans une période de transition. Beaucoup de gisements s’épuisent et le commerce du gaz reste faible. En matière d’énergie, le Moyen-Orient devient de plus en plus stratégique. Ses réserves posent un problème de sécurité et d’influence géopolitique. Le pire scénario serait que la Chine, déjà présente au Soudan, sécurise ses approvisionnements en s’alliant avec l’Arabie Saoudite et le Pakistan. Ce qui pourrait aboutir au premier grand affrontement des grandes puissances autour du Golfe Persique. Mais peut-être parviendrons-nous à gérer les conflits dans cette région de manière plus intelligente. En tous les cas, les économies ont tout intérêt à préparer la mutation énergétique et accélérer la recherche en ce sens. Seule la diversification permettra d’inverser le rapport entre l’offre et la demande. Les Etats-Unis, l’Inde, la Chine et le Japon sont déjà entrés en action. Ils améliorent les moteurs, inventent de nouveaux carburants performants, créent des moyens de transport innovants, trouvent de nouvelles énergies. Ces technologies finiront par provoquer un choc de productivité. L’inconnue réside dans la puissance de ce choc, son terme, et ses conséquences sur le Moyen-Orient. 47 10e Université des CCI - vichy - septembre 2006 Le terrorisme n’est pas une fatalité Le développement du terrorisme découle de problèmes géopolitiques gravissimes et son origine vient de la rancoeur et de la frustration. Lorsque la situation est calme, le terrorisme est irritant mais peut se combattre efficacement. La famine en Irlande et les massacres de Franco au Pays-Basque ont maintenu durant 25 ans l’IRA et l’ETA au coeur de l’Europe. Mais avec le temps, la démocratie européenne est parvenue à les affaiblir. Au Moyen-Orient, le terrorisme se nourrit du conflit israélo-palestinien, du conflit indopakistanais, de l’explosion interne à l’Islam entre intégrisme et libéralisme. Il restera présent tant que la situation dans ces pays n’aura pas évolué. Le terrorisme n’est donc pas une fatalité. Il est possible de mieux le combattre aux niveaux politique et policier. Aujourd’hui, nos connaissances des réseaux terroristes sont bien meilleures qu’en 2001, époque où ils étaient considérés comme des réminiscences sans intérêt du passé. 48