FR.ÉLÉMENTS DES DANSES CAPVERDIENNES DANS LA

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FR.ÉLÉMENTS DES DANSES CAPVERDIENNES DANS LA
ÉLÉMENTS DES DANSES CAPVERDIENNES DANS LA KIZOMBA
Auteurs : Hélio Santos ; Guilherme Mendonça
Résumé
Ces dernières années la kizomba a gagné une renommée internationale. Il n'y
a cependant aucun consensus ou étude sérieuse quant aux origines de la kizomba. Cet
essai tente d'identifier les éléments provenant des danses capverdiennes
traditionnelles dans la kizomba contemporaine.
Introduction
Dans une récente étude, Miguel Real disait qu'il se vivait, au Portugal, un
"véritable âge d'or" dans le domaine du roman (Real, 2012, p. 161). Dans un autre
écrit, l'auteur élargit le cadre de son observation à la science, à l'illustration, au
documentaire, à la peinture et au cinéma, laissant entendre un phénomène
d'élargissement et de diversification d'une offre culturelle qui dépasse frontières d'une
production érudite.1
Il est pertinent de joindre à ceci d'autres éléments qui, se combinant aux
citoyens ordinaires, ont contribué à une diversification extraordinaire et à
l'amplification de l'offre culturelle au Portugal. Nous nous référons aux ateliers de
danse, à la méditation, au yoga, pour ne mentionner que quelques exemples. La
diaspora africaine lusophone a joué un rôle particulièrement important dans ce
phénomène, notamment favorisée de par son extension géographique et humaine, et
la diversité culturelle qui en découle. Un certain public s'y intéresse, est disposé à
payer pour cela, et il existe un nombre important de formations et d'ateliers. Les
participants rejoignent souvent ces activité sans
1
L'auteur nous dit, au cours d'une interview pour le magazine numérique Progredir (progresser), que "Le
Portugal n'est pas en crise dans le domaine culturel. De même que dans les domaines de la littérature, de la
peinture, du cinéma, du documentaire, de l'illustration... Il existe une nouvelle génération de très haut niveau, une
véritable génération dorée, non nationaliste ni paroissiale, qui opère une révolution radicale au sein de la culture
portugaise, et l'intègre au niveau mondial." (http://www.revistaprogredir.com/miguel-real.htm [10-11-2014, à
10h00])
information suffisante quant aux origines et à la nature de ce qui se propose, ni au
sujet du professeur/guide. Disons-le sans pudeur et sans préjugé — tout ceci est du
big business. Tout ceci est également caractéristique de la genèse des phénomènes
culturels, de par leur prévisible spontanéité.
La kizomba est une histoire à succès. Les professeurs donnant des ateliers de
kizomba au Portugal ont un agenda bien rempli, dans tout le Portugal ainsi que dans le
monde entier.2 Nous pouvons nous avancer à dire que la kizomba commence à gagner
une popularité et une dimension similaires aux danses latino-américaines.
Tandis que nous nous réjouissons de l'émergence et de la dissémination de la
kizomba, nous devons cependant observer le manque de recherche au sujet de celleci. Dans le milieu de la kizomba, une multitude d'idées populairement acceptées
circulent quant à son origine et parcours historico-géographique, mais il n'existe pas,
autant que nous le sachions, d'étude sérieuse sur le sujet.
Une rapide recherche du terme sur Internet nous donne un ensemble
d'informations présentées comme factuelles. Par exemple, Wikipedia3 nous dit que
la kizomba est apparue spontanément à Luanda dans les années 60, comme un
amalgame de danses pratiquées dans un contexte social, plus spécifiquement le
semba ; le merengue angolais ; la kilapanda.4 Oyebade reconnait l'existence d'idées
contradictoires avançant l'hypothèse d'une origine mixte capverdienne et angolaise,
ou d'une origine exclusivement capverdienne :
"Des notions conflictuelles existent quant aux origines de
la kizomba. Alors que certains affirment que son origine
est angolaise, avec des influences provenant d'autres pays
lusophones, d'autres soutiennent qu'elle vient des îles du
Cap Vert." (2007, p. 156).
2
Certains exemples de professeurs de kizomba sont (par ordre alphabétique) : Avelino Chantre, Bandeira, Hélio
Santos, Kwenda Lima, Pétchu, Tomás Keita, Waty Barbosa, Zé Barbosa.
3
http://en.wikipedia.org/wiki/Kizomba (28-06-2014, à 16h43)
Il y a d'autres exemples : le site Kizombalove nous dit qu'il s'agit d'un développement du semba (http://
www.kizombalove.com/Kizombalove,45[28-06-2014, à 16h58]); Kizomba Nation nous laisse également entendre
une origine exclusivement angolaise (http://www.kizombanation.com/pt/sobre-nos [28-06-2014, à 16h58]).
4
!2
Stead et Rorison proposent une origine mixte résultant de la fusion entre le
semba et le zouk des Antilles. "Kizomba, un autre rythme très populaire, né dans les
années 60 du semba et de musiques des Caraïbes françaises telle que le zouk." (2013,
p. 46)5
Il existe donc quatre hypothèses relatives à l'origine de la kizomba :6
l'hypothèse d'une origine angolaise ;7 l'hypothèse d'une origine capverdienne ;
l'hypothèse d'une origine mixte angolaise et capverdienne ; l'hypothèse d'une
origine mixte angolaise et antillaise.8
Malgré la diversité des opinions sur l'origine de la kizomba et la diversité
des styles avec lesquels elle est pratiquée, il est possible de faire un ensemble
d'affirmations consensuelles au sujet de la kizomba. Il s'agit d'une danse sociale,
urbaine, qui se danse en couple et obéit à un ensemble de routines. Nous savons
également que la kizomba est une danse relativement moderne — elle apparut dans
les années 80 du XXe siècle. 9 Cependant, elle n'a rien en commun avec les danses
tribales ou cérémoniales dansées en tant que rituel.
Les quatre hypothèses, bien que discordantes, ont en commun l'idée d'une
danse ou danses antérieures qui lui auraient donné son origine. Si l'origine de la
kizomba provient d'une danse ou danses antérieures, il devrait donc être possible de
trouver des éléments de la kizomba dans ces danses — ceci fut notre point de départ.
Nous nous intéressons aux danses capverdiennes pour deux raisons : parce qu'il y a
au Cap Vert une grande diversité de danses sociales dansées en couple ; par
préférence personnelle. Nous avons notamment vu dans la morna, la mazurca et la
coladeira des éléments qui nous paraissent précurseurs des mouvements de la
kizomba. Notre objectif n'était pas d'affirmer une origine exclusivement
capverdienne, mais de trouver (ou non) des parallèles entre les danses
traditionnelles capverdiennes et la kizomba qui puissent contribuer à la
compréhension des origines et du développement de cette danse.
5
Nous avons délibérément consulté des sources variées : la littérature académique ; des informations touristiques ;
les réseaux sociaux. Les sources académiques furent notoirement difficiles à trouver, notamment à l'égard de la
danse kizomba.
6 La kizomba est connue au Cap Vert en tant que "passada".
7 L'hypothèse d'une origine angolaise est de loin la plus populaire dans les cercles de la kizomba.
8 Il ressort une cinquième hypothèse non référenciée : celle d'une origine mixte capverdienne et antillaise.
9 Il est difficile d'établir avec clarté la date d'apparition de la danse kizomba. Nous pensons
que les mouvements de la danse kizomba commencent à émerger dans les danses sociales avant les années 80.
Approche, objectif de l'étude et aspects méthodologiques
!3
La problématique que nous venons d'énoncer présente une large répercussion
non seulement pour l'intérêt de la kizomba en tant que phénomène culturel et social en
soi, mais également en ce qui concerne ce que cette recherche peut nous apporter
quant au développement parallèle des pays lusophones et l'importance du Portugal en
tant que pays rassembleur de diversité culturelle.10
Cependant, il existe des considérations méthodologiques auxquelles il
convient de se tenir. Tout d'abord, il faut établir clairement le cadre de cet essai. Une
analyse des mouvements migratoires des pays PALOP au cours du XVIIIe et XIXe
siècles nous donnerait avec certitude des informations concernant les mouvements
concomitants des pratiques culturelles. Les grands flux migratoires du Cap Vert vers
d'autres pays africains11 et vers l'Europe au cours du XXe siècle, tout comme la
présence européenne au Cap Vert entre le XVe et XXe siècles, sont bien connus.12
L'étude des migrations est d'une importance majeure car elle fonde la possibilité
d'origines mixtes — la danse, tout comme d'autres expressions de la culture, est
soumise à des modifications au cours de son voyage dans le pays de destination, et
bien souvent, retourne à son pays d'origine sous une forme distincte. Ceci serait une
approche intéressante, mais trop vaste pour la dimension qui nous intéresse ici.
10
Dans un article récent, Epalanga fait une brève narration de son expérience dans les milieux des danses
africaines à Lisbonne. L'aspect le plus intéressant de cet article, à notre avis, est la reconnaissance de Lisbonne
comme étant l'endroit où la kizomba s'est affirmée — un aspect qui n'avait jamais été débattu auparavant. (2014,
pp. 46–57)
11 Vers l'Europe, les États-Unis et l'Afrique, notamment vers l'Angola à partir de 1940. João Lopes Filho fait
allusion à ceci (Olhares Partilhados [Vues partagées], 2014). Les mouvements migratoires récents sont
significatifs car ils laissent ouverte l'hypothèse de la migration des danses capverdiennes vers d'autres pays
africains. Cardoso (2004) fait l'inventaire de ces mouvements migratoires ainsi que de ses raisons : "C'est la
conjugaison de facteurs tels que la faiblesse économique, le système de distribution des territoires, les famines,
qui motiva et nourrit l'émigration dans diverses directions, conformément à la conjugaison interne et externe [...],
durant de longues années au cours de l'histoire capverdienne.” (p. 24). Cardozo liste également les destinations
principales : É-U, à partir de 1830, São Tomé à partir de 1863, et jusqu'aux années 70 du XIXe siècle ; Le Sénégal
en 1921-22 ; l'Europe à partir de 1950, avec notamment une augmentation du flux vers le Portugal à Partir des
années 60 (p. 25-29). À l'égard de la présence capverdienne en Angola, l'auteur avance l'hypothèse que cette
communauté se serait installée en Angola entre les années 1953 et 1973, à Partir du Portugal (p. 29). Il nous donne
par ailleurs le nombre de Capverdiens résidant en Angola en 1998 — 45,000, selon les données de l'Institut pour
les immigrants (p. 29).
12 L'arrivée des Européens explique l'apparition d'éléments des danses sociales européennes au Cap Vert. On y voit
par exemple la mazurca, d'origine polonaise, la contredanse et la valse (Brito, 1998, p.21).
!4
Dans cet essai nous cherchons à attirer l'attention sur les aspects des danses
capverdiennes que nous jugeons être présents dans la kizomba ; nous ferons
brièvement référence aux éléments historiques sociaux ou démographiques, mais
nous ne attarderons pas sur ceux-ci.
En second lieu, il est nécessaire de signaler certains aspects apparemment
divergents en ce qui concerne la relation entre la musique et la danse. L'émergence
de la kizomba, tout comme la majorité des danses, coïncide avec les genres
musicaux. Ainsi nous retrouvons la danse mazurca, dansée au son de la musique
mazurca ; la danse valse, dansée au son de la musique valse. Cependant, ceci n'est
pas valide pour tous les spectres des danses — principalement lorsque nous parlons
de danses sociales avec un degré de diffusion tel que la kizomba. La danse kizomba
est aujourd'hui dansée au son de la musique kizomba, bien que ceci ne soit pas
exclusivement le cas.13 Les pratiquants de la kizomba, ainsi que les musiciens, ont
produit, avec une spontanéité prévisible, un ensemble de variantes indépendantes
l'une de l'autre.14 Les pratiquants adaptent leurs pas, dans la mesure de leurs
connaissances et style personnel, à d'autres types de musiques — il s'agit s'une
"adaptabilité naturelle" du mouvement à la musique. Cette "adaptabilité naturelle"
représente simultanément une distanciation des formes anciennes et un
rapprochement aux formes nouvelles. Il s'agit d'un mécanisme d'évolution culturelle
— par exemple on retrouve la contredanse (contradança), dansée dans l'île de Santo
Antão, dont l'origine provient de la country-dance (danse paysanne) anglaise et qui
préserve certains éléments de la danse originale, comme par exemple la figure du
"mandador" (commandeur) (Tavares, 2006, 51). De la country-dance est née la
contredanse. Or, cet aspect d'adaptabilité de la danse a des implications
méthodologiques importantes dans le cadre de ce nous nous proposons d'étudier.
Premièrement car la musique kizomba nous donne des pistes à l'égard de la danse
kizomba (les dates des registres musicaux sont parfois les informations les plus
objectives que nous ayons). Ensuite, car c'est justement cette "adaptabilité naturelle"
de la danse qui nous permet de faire des liens entre les éléments des danses
traditionnelles capverdiennes et la kizomba, comme nous le verrons par la suite.
13
14
Il en est de même pour d'autres danses.
Il est possible de danser la kizomba au son d'une morna, d'un zouk ou d'un semba, ou même d'une coladeira.
!5
Nous savons que le "mandador" est l'un des éléments traduits de la countrydance anglaise15 vers la contredanse capverdienne — c'est justement ce type
de références que nous recherchons. Finalement, parce que ce que nous
avons précédemment exposé implique une autonomie de la danse kizomba
par rapport à la musique kizomba. La danse kizomba a évolué, en
développant des pas et styles propres, et pas nécessairement en réponse ou
en association avec la musique kizomba.
La musique kizomba est un élément fondamental pour comprendre la genèse
de la danse kizomba, mais ceci n'est pas l'objectif de notre étude — notre objectif est
l'étude de la danse kizomba. Dans cet essai, nous cherchons à maintenir une
distinction claire entre la danse et la musique kizomba.
En troisième lieu, et toujours en relation avec le point précédent, il est
important de reconnaître que la kizomba ne se trouve pas encore crystallisée16 en tant
que danse. D'un côté, les nombreuses écoles ainsi que sa popularité apportent
diversité et richesse à la pratique de la danse mais représentent, d'un autre côté, un
risque sérieux de perte d'identité. Au sein de tout ceci prolifèrent des versions de
kizomba qui s'apparentent plus à ce que nous appellerions semba, ainsi que des styles
de kizomba influencés par les danses latino-américaines, et diverses idées aux
origines plus ou moins fondées se disséminèrent quant à l'origine de la kizomba. En
un certain sens, quiconque peut dire qu'il danse la kizomba ; personne ne détient les
droits sur la kizomba, et il n'existe pas non plus de définition claire universellement
reconnue de ses caractéristiques. La nécessité d'une clarification de la définition de la
danse kizomba est justement l'une des motivations pour la réalisation de cet essai —
nous ne nous tenons pas à l'écart de cette "problématique" mais au contraire nous
demeurons au sein de celle-ci, et en tant que participants et observateurs, nous
reconnaissons une certaine partialité quant à notre point de départ. C'est-à-dire qu'il
existe une dimension subjective à cet essai : nous partons d'une compréhension
personnelle de ce qu'est la kizomba afin de tenter d'identifier les caractéristiques
essentielles de cette danse
15
Dans la contredanse capverdienne, le "mandador" donne les ordres en français ; la country-dance serait donc
arrivée au Cap Vert par la France, et déjà transformée (Tavares, 2006, p.51).
16
Contrairement au funáná, par exemple. Nous sommes d'avis que la kizomba possède une base, et que
beaucoup de modifications sont en train de se produire à partir de celle-ci. Nous parlerons de ceci ultérieurement
Cependant, il est important de souligner qu'il ne s'agit pas d'une vision
!6
résultant à peine d'une pratique, ni d'une vision purement subjective — il s'agit de la
vision commune des deux auteurs de cet essai : un spécialiste en danses doté d'une
pratique extensive en tant que danseur, chorégraphe et professeur de danse ; un
académique et professionnel des arts de la scène reconnu.17
En quatrième lieu il est nécessaire de parler du mode d'argumentation.
Certains aspects dont nous parleront dans cet essai (transformation de pas,
suspensions) sont très difficiles à décrire : la manière dont un pas de morna peut se
transformer en un pas de kizomba, par exemple. C'est pour cela que nous avons inclus
des clips vidéo en guise de démonstration. Ces démonstrations représentent
uniquement la partie masculine. Nous utilisons ce procédé afin de faciliter
l'argumentation ainsi que pour des raisons techniques — il est d'une part beaucoup
plus facile de comprendre un aspect spécifique que nous souhaitons démontrer à partir
du mouvement d'un danseur unique, et d'autre part visuellement plus "clair". À la fin
de l'essai et en guise de conclusion, nous présentons des clips de démonstration en
couple,18 afin de faire percevoir les types de liens que nous proposons également dans
la danse en couple. Dans la version online, il est possible d'accéder aux clips vidéo à
travers l'hyperlien ; dans la version écrite, les adresses d'accès complètes sont
fournies. Il est indispensable de visionner les clips afin de comprendre entièrement ce
que nous proposons. La partie écrite de notre analyse sera très courte, comme vous le
verrez par la suite ; l'argumentation survient réellement de nos clips vidéo. Il est
important de percevoir que la partie écrite sert uniquement à encadrer une forme
d'analyse du mouvement qui est menée à travers la pratique et qui est exprimée
visuellement.
17
Hélio Santos fit sa formation en danse aux Performing Arts Research and Training Studios à Bruxelles, avec
une bourse de la fondation Calouste Gulbenkian. Il travaille comme danseur, chorégraphe et professeur. Hélio
Santos est né à São Vicente, au Cap Vert. Il fit partie de groupes de danses traditionnelles qui firent des
représentations dans la totalité du territoire du Cap Vert. De 1998 à 1999 il fut vivre à Santiago. Il y a plus de 10
ans qu’il développe sa propre méthode d'enseignement de la kizomba.
Guilherme Mendonça poursuit une carrière dans les arts de la scène, ainsi qu'une carrière académique. Il est
acteur, metteur en scène, dramaturge et professeur de théâtre dans l'enseignement supérieur. Il est également
docteur en dramaturgie. Son intérêt pour la culture populaire et son contact avec les danses sociales africaines le
conduit à s'intéresser à la kizomba en tant qu'objet d'étude.
18 Vous pouvez visualiser une kizomba dansée en couple, ainsi qu'une mazurca, une morna et une
coladeira.
Finalement, il est important de souligner de nouveau un aspect de la pratique
de la kizomba ayant des implications méthodologiques dans cette étude. L'utilisation
!7
d'expressions importées de la musique s'est propagée avec des significations
différentes dans le milieu de la danse. Nous nous référons spécifiquement à
l'utilisation des mots "binaire", "ternaire" et "quaternaire", qui désignent le tempo
dans la musique, et au comptage des pas dans la danse. Le comptage des pas est
fondamental dans l'apprentissage de la danse, et est un aspect central du concept de la
danse. Le danseur peut ne pas connaître la théorie et le langage musical, mais peut
apprendre à danser à partir du comptage des pas. Le comptage des pas ne correspond
pas toujours au tempo. Ainsi, de manière à éviter la confusion, nous préservons les
termes "binaires", ternaire" et "quaternaire" pour décrire le tempo musical et
utiliserons une "base de 2", "base de 3" et "base de 4" pour désigner le comptage des
pas dans la danse — à deux, à trois et à quatre temps, respectivement. Le tempo de la
musique kizomba et quaternaire. La musique kizomba est dansée majoritairement sur
une "base de 3" et une "base de 4" (bien qu'une "base de 2" puisse également être
utilisée. Les danseurs de kizomba composent leur routine en multipliant et ajoutant
les "base de 3", "base de 4" et "base de 2" afin de créer des séquences complexes. Ces
combinaisons de "bases" sont libres — le danseur crée sa routine à partir des "bases".
Ceci est un aspect caractéristique de la kizomba.
Résumé de l'approche
Ainsi, notre analyse : 1 — se centrera sur des éléments des danses
traditionnelles capverdiennes, que nous soupçonnons être à l'origine des éléments de
la kizomba ; 2 — mettra l'accent sur la kizomba en tant que danse et non en tant que
musique ; 3 — sera basée sur une compréhension personnelle mais informée, de ce
qui est caractéristique dans la kizomba ; 4 — est une observation pratique des
éléments des trois danses sociales capverdiennes les plus emblématiques — la
mazurca, la morna et la coladeira. Cette observation sera présentée sous la forme de
clips vidéo, et accompagnée d'une brève description écrite.
Étude
!8
La mazurca est une danse originaire de la région de Mazúria, en Pologne.
Elle est dansée dans pratiquement toutes les îles du Cap Vert, et particulièrement
à Santo Antão, São Nicolau et Boavista (Brito, 1998, p. 21). Elle se retrouve
également à Fogo avec une variante appelée rabolo. Tavares (2006, p. 51) nous
fournit des références à la contredanse dans des documents historiques de 1841.
Le traitement parallèle de cet auteur de la contredanse et de la mazurca suggère
que la mazurca est apparue au Cap Vert avant 1841.
Traditionnellement, la mazurca est dansée dans les coins de la salle,
reproduisant le schéma de mouvements de la mazurca européenne. Dans la mazurca,
nous retrouvons la "base de 3" — dansée sur la pointe du pied gauche, avec
glissement latéral du pied droit.19 Il existe deux formes de danser la "base 3" dans la
mazurca : la "base de 3" avec micro-suspension (le 1 du comptage de trois est étiré) ;
"la base de 3" dansée en pas (gauche droite, gauche droite) avec accentuation
alternée20 [clip 1]. Le pas avec micro-suspension est similaire à la "base de 3" dans la
kizomba — la différence étant que la "base de 3" est faite avec la plante du pied dans
la kizomba contrairement à la pointe du pied sans la mazurca [clip 2]. La similarité
entre la "base de 3" de la mazurca et la "base de 3" de la kizomba devient évidente en
ralentissant le pas de mazurca [clip 3].
La morna
La manifestation identitaire du Cap Vert par excellence, la morna fut l'objet
de nombreuses théories quant à sa genèse, sans pourtant qu'il existe de consensus
quant à ses origines. Les registres connus donnent à entendre, selon Tavares (2006, p.
54), une origine antérieure à 1850. L'auteur avance l'hypothèse que la morna serait
née sur l'île de Boavista à partir des cantiques des pasteurs esclaves, puis aurait
voyagé vers l'île de Brava, où elle aurait acquis le caractère sentimental qui la
caractérise, puis plus tard vers S. Vicente (p. 56–58).21 Aujourd'hui, la morna est
jouée et dansée dans l'ensemble du territoire du Cap Vert.
19
Le tempo de la mazurca est ternaire.
C'est-à-dire (accentuations soulignées) : gauche/droite-gauche/droite-gauche/droite
gauche/droite-gauche/droite etc.
21 D'ailleurs, Tavares fait une synthèse des théories sur l'origine étymologique du mot "morna", ainsi
que d'un ensemble de théories sur son origine possible au Portugal, à travers le Fado. (p. 51–58).
20
Nous observerons trois vitesses dans la morna dansée. Il existe une "vitesse
!9
de base"22 à partir de laquelle des variations plus lentes et plus rapides seront
observées [clip 4]. Dans le cas de la morna, on peut trouver une correspondance
singulière entre la vitesse de la danse et la vitesse donnée par la configuration
musicale. Les instruments les plus communs dans la morna sont, par ordre
d'importance : la guitare, la voix, le violon et le cavaquinho. La "vitesse de base" est
donnée par la guitare23, et la variation plus lente par la voix et le violon ; les
variations plus rapides sont données par le cavaquinho.
Le danseur de morna répond de manière créative à cette variation de temps dans la
musique, en modifiant également son tempo. On retrouve dans la kizomba un
parallèle avec la variation des temps donnée par les instruments — des variations de
la "vitesse de base" se font également dans la kizomba (plus lentes ou plus rapides),
mais cette correspondance n'est pas si facilement observable. La morna est
traditionnellement jouée par des instruments acoustiques. La configuration acoustique
d'une morna permet une claire distinction des instruments et par conséquent des
temps dans la musique et dans la danse ; la kizomba est normalement produite avec
des synthétiseurs ; la caractéristique du son synthétisé étant plus "plein". Il est plus
facile d'identifier les différents temps musicaux dans la kizomba, mais "l'écho" de
cette variation de temps est là : la variation de temps dans la kizomba est similaire à la
variation de temps dans la morna dansée. La variation de temps dans la morna dansée,
à son tour, est une conséquence de la configuration acoustique de ce genre musical.
C'est-à-dire que l'hypothèse que la variation des temps du pas de base de la kizomba
tient son origine de la morna.
Du point de vue du concept de la danse, nous trouvons dans la morna la
"base de 4" en deux variations : "ouvrir-fermer" et "deux-deux". Nous trouvons aussi
la "base de 2", utilisée pour une variation plus lente — le caractéristique "étirement
du temps" de la morna. Dans la kizomba nous pouvons trouver les deux mêmes
variations sur la "base de 4" — "ouvrir-fermer" et "deux-deux" — ainsi qu'un
"étirement du temps" [clip 5]. "L'étirement du temps" dans la kizomba est connu
22
"Vitesse de base" indique ici uniquement un "temps de référence" ou "temps de démarrage" ; à
ne pas confondre avec la "base de 2", "base de 3" ou "base de 4". La morna et dansée en "base de 2" et "base de
4". Le tempo de la morna est quaternaire.
23 Appelée “violão” (violon) au Cap Vert. (Brito, 1998, p. 80-83)
!10
sous le nom de "suspension", dans la morna "l'étirement du temps" peut se
décrire comme un “balancement". Dans les deux danses la préoccupation notoire est
de créer un mouvement harmonieux et mélancolique.
La coladeira.
Nous en savons un peu plus au sujet de la coladeira. La tradition nous dit que
la coladeira apparut au Cap Vert vers les années 40, à Mindelo, et connut un essor
dans les années 50 et 60 (Tavares, 2006, p. 65). Un aspect intéressant de la Coladeira
est d'être reconnue comme ayant des influences provenant de rythmes latinoaméricains à sa naissance. Deux théories sont avancées pour expliquer la naissance de
la coladeira : l'hypothèse que la coladeira est une morna accélérée, qui se passe des
rythmes quaternaires pour utiliser seulement le binaire ; l'hypothèse de cette
transition pour le binaire s'expliquerait par des influences étrangères. (Brito, 1998, p.
22).24
Nous pouvons également trouver des pas communs à la kizomba dans la
coladeira,25 mais c'est un autre aspect qui a retenu notre attention dans la coladeira, à
savoir la "clarté" du mouvement. La mazurca et la morna sont dansées utilisant une
sorte "d'étreinte" qui rend le concept de la danse "brumeux". Dans la kizomba nous
trouvons simultanément "l'étreinte" si caractéristique des danses capverdiennes ainsi
qu'une clarté du mouvement que ces danses n'ont pas. L'unique candidat possible
dans les danses capverdiennes (si nous nous limitons à rechercher une liste
d'influences exclusivement à partir des danses capverdiennes) est la coladeira26 [clip
6].
24
Brito (1998) propose encore des explications alternatives plus détaillées sur l'idée de la transition du quaternaire
au binaire. Il s'agit d'une très brève exposition des théories de Jorge Monteiro et de Eutrópio Lima da Cruz.
25 Spécifiquement du mouvement "deux-deux".
26 Il est évident que cette "clarté" du mouvement peut trouver son origine dans beaucoup d'autres danses noncapverdiennes, comme par exemple le semba ou le zouk.
10
Conclusion
Nous avons commencé cette étude pensant que la discussion se centrerait
sur la comparaison des paires kizomba/mazurca, kizomba/morna, et kizomba/
coladeira, des danses capverdiennes partageant avec la kizomba le fait d'être des
danses sociales dansées en couple. À mesure que nous avancions, nous nous
sommes vus obligés de clarifier certains aspects méthodologiques. Ces aspects
méthodologiques nous apparaissent aujourd'hui aussi importants que la proposition
comparative originale. La révision du résultat de la recherche doit donc comprendre
une exposition de ce qui a été - ou non - obtenu en rapport à la proposition initiale,
soit dans les résultats de la recherche proprement dite, soit dans la méthodologie ;
en outre nous devons identifier les chemins possibles pour la recherche et réfléchir
aux implications de celle-ci.
En ce qui concerne l'étude comparative des danses nous avons retenu comme
pertinent ce qui suit :
—
nous avons identifié dans la kizomba l'utilisation de la "base de
3" qui se retrouve dans la mazurca ;
—
nous avons identifié dans la kizomba deux variantes de la "base de
4" (ouvrir-fermer, deux-deux) et un étirement du temps que nous
retrouvons dans la morna ;
—
nous trouvons la justification de cet "étirement du
temps" (balancement) dans la morna, dans la réponse des danseurs
à différents instruments, et nous avançons l'hypothèse que cette
réponse du danseur provient de la transition de la morna à la
kizomba ;
—
nous avons mentionné la conception claire de la coladeira
en tant que possible origine du mouvement clair de la
kizomba ;
—
nous avons généralement observé dans les danses capverdiennes
une préoccupation avec l'harmonie du mouvement, que nous
retrouvons également dans la kizomba.
10
En ce qui concerne la méthodologie et sa pertinence vis-à-vis d'une étude sur la
kizomba, nous avons procédé de la manière suivante :
—
nous avons proposé une distinction entre le tempo (le "temps" de la
musique) et la "base" (le "temps" de la danse) ;
—
nous avons encadré académiquement les possibles origines de la
kizomba : Cap Vert, Angola, Antilles.
En réponse à la question générale à l'origine de cet essai, à savoir "s'il y a ou
non des éléments des danses capverdiennes dans la kizomba", nous pouvons dire que
les aspects présentés sont une preuve solide de l'existence de ces éléments. En ce qui
concerne la question encore plus générale de découvrir la provenance de la kizomba,
nous n'avons pas de réponse — cette question mérite un traitement beaucoup plus
étendu, incluant des aspects démographiques et historiques, et une étude approfondie
des danses autochtones de tous les pays mentionnés. Il reste à savoir si ceci est une
question à lquelle on peut répondre.
Des conclusions présentées résultent quelques observations parallèles qui présentent
également un fort intérêt — notamment la pertinence de l'influence européenne dans
la kizomba. Ce qui fait des danses capverdiennes un fort candidat comme étant des
"danses d'influence" ou des "danses d'origine" dans la kizomba est, entre autres, le
fait d'être des danses sociales dansées en couple, tout comme l'est la kizomba. La
tradition des danses sociales en couple au Cap Vert est un produit de l'influence
européenne. C'est-à-dire que l'hypothèse d'une origine ou d'une influence
capverdienne dans la kizomba laisse également ouverte l'hypothèse d'une influence
européenne. D'une autre part, il faut reconnaître l'importance du Portugal dans le
développement de la kizomba. En particulier Lisbonne, qui s'est transformé en un
centre important pour les danses africaines, et qui a fourni un tremplin pour les
danseurs et professeurs à travers l'Europe et à travers le monde, étant la capitale
européenne dans laquelle la kizomba est dansée depuis le plus longtemps. Or, les
aspects des danses sociales européennes aussi bien que le rôle du Portugal dans
l'apparition et la propagation de la kizomba sont des aspects d'une envergure
européenne de ce phénomène dont nous n'avions jamais entendu parler auparavant.
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Post scriptum :
Au cours de cet essai sont présentés un ensemble de courts clips vidéo
illustratifs des parallèles entre la kizomba et les danses autochtones capverdiennes.
Les clips portent, pour des raisons de clarté, sur les mouvements de l'homme, se
concentrant spécifiquement sur le mouvement des jambes. Le lecteur peut également
trouver des liens avec les exemples des danses mentionnées dans des clips plus longs
dansés en couple : une kizomba [clip 7] ; une mazurca [clip 8]; une morna [clip 9];
une coladeira [clip 10].
Bibliographie :
— Brito, M. (1995), Os Instrumentos Musicais em Cabo Verde (Les instruments
de musique au Cap Vert), Mindelo, Centre Culturel Portugais.
— Cardoso, K. A. L. R. (2004), Diáspora, a (décima) primeira Ilha de Cabo Verde —
a Relação entre a emigração e a Política Externa Cabo-Verdiana (Diaspora, la
onzième île du Cap Vert — la relation entre l'émigration politique et la politique
externe du Cap Vert), thèse de maîtrise, Institut supérieur des sciences du travail et
de l'entreprise
— Epalanga, K. (2014) Kizomba! — A Obra ao Negro (Kizomba ! — L'œuvre au
noir) Ler, nº135, septembre, pp. 46–57
— Oyebade, A. (2007), Culture and Customs of Angola (Culture et coutumes de
l'Angola), Westport, Éditions Greenood
— Peixeira, L. M. S.. (2003), Da Mestiçagem à Caboverdianidade — Registos de
uma Sociocultura (Du métissage à la l'identité capverdienne), Lisbonne, Colibri
— Real, M., (2012), O Romance Português Contemporaneo 1950–2010 (Le roman
portugais contemporain), Alfragide, Caminho
— Stead M. et Rorison, S. (2013) Bradt Travel Guides: Angola (Guide
touristiques Bradt : l'Angola), Guilford, Connecticut, Éditions Globe
Pequot
— Tavares, M. J. (2005), Aspectos Evolutivos da Música Cabo-Verdiana
(Aspects évolutifs de la musique au Cap Vert), Praia, Centre Culturel
Portugais, IC Praia
— Olhares Partilhados (Regards partagés) (2014). Disponible sur : http://
www.lopesfilho.com/?ID=4&cod=8B6CD4A5508A03241EA [visité le 9 mai
2014]
— Progredir (Progresser). Disponible sur : http://www.revistaprogredir.com/miguel-real.htm [visité le 10 novembre 2014]
Remerciements :
Raquel Alcaria
Isaac Barbosa
Sofia Cochat
Joana Carvalho
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Kalu Ferreira
Benvindo Fonseca
Ananya Jahanara Kabir
Kwenda Lima
Afonso Malão
Edgar Medina
Avelina Merkel
Lara Serra
Meyer Stansberry
António Tavares (Tony)
Traduit par Clothilde Courtois
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