Pages de jurisprudence droit des affaires n°1

Transcription

Pages de jurisprudence droit des affaires n°1
Supplément
Les
Pages
de
Jurisprudence de Droit des Affaires
Sommaire
 DROIT DES SOCIÉTÉS
Dix ans tout juste après la première parution
des Pages de Jurisprudence Commerciale, le
Barreau de Lyon, avec l’aide du Tout Lyon
Affiches, relance la diffusion de la
jurisprudence lyonnaise dans le domaine
commercial, en l’élargissant au domaine fiscal.
Ces nouvelles Pages s’inscrivent dans une
volonté du Barreau de Lyon de produire des
ressources utiles en s’appuyant sur des cas
pratiques. Elles seront publiées de façon
trimestrielle, en alternance avec les Pages de
Jurisprudence sociale.
Supplément au journal Tout Lyon affiches n° 5074
Aussi, ce recueil de jurisprudence est un
véritable outil pratique, tourné vers les acteurs
du monde juridique et économique, afin de
relater une solution préconisée par les
juridictions de la région Rhône-Alpes à une
situation donnée.
Novembre 2013 - n°01
L’expert de l’article 1843-4 : encore lui !
CA Chambéry, chambre civile, 28 mai 2013, n°12/00993
Vincent MEDAIL ......................................................................page 2
Le gérant peut prendre part au vote sur sa rémunération,
mais sans abuser !
CA Lyon, chambre civile., 31 janvier 2013, n°10/08516
Vincent MEDAIL .......................................................................page 3
 DROIT ECONOMIQUE
Exclusivité territoriale : la franchise n’exclut pas l’équivoque
CA Lyon, 1ère chambre civ., A, 7 février 2013, n°11/0074
Luc-Marie AUGAGNEUR. ........................................................page 4
Validité d’une clause de prorogation de compétence dans
une caution solidaire internationale
Arrêt de la Cour d’appel de Lyon, 8ème ch., 21 mai 2013
Simon HOTTE ..........................................................................page 5
 DROIT FISCAL
Transfert de bénéfices à l’étranger
CAA Lyon, 11 juillet 2013, n°11LY00678
Danièle SIBONI ........................................................................page 7
L’abattement de l’article 150-0-D-Ter bénéficie à l’époux qui en
remplit les conditions et non au foyer fiscal
CAA Lyon, 18 juin 2013, n°12LY02142
Jean-Philippe KAPP .................................................................page 9
Tous les jugements et arrêts évoqués dans les
Pages de Jurisprudence de Droit des Affaires
sont commentés par des avocats spécialistes
de la question. La qualité des commentaires
est assurée par un comité de rédaction,
chapeauté par Maître Jean-Philippe KAPP, en
charge de la coordination des Pages, et
composé d’avocats du Barreau de Lyon, que je
remercie pour leur travail et leur disponibilité.
 PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE ET NTIC
Je suis convaincu de l’intérêt que chaque
lecteur trouvera dans ces Pages de
Jurisprudence de Droit des Affaires, que nous
avons voulues attentives à la pratique
judiciaire et que, dès la publication de ce
premier numéro, des bonnes volontés se
joindront au comité de rédaction.
 ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ ET DROIT BANCAIRE
Bonne lecture.
Philippe Meysonnier
Bâtonnier du Barreau de Lyon
Preuve sur Internet
CA Lyon, 8ème chambre, 13 novembre 2012, n°11/04367
Albane LAFANECHÈRE ..........................................................page 10
De quelques questions de procédure en matière de
droit d’auteur
CA Lyon, 1ère chambre A., 18 avril 2013, n°08/02007
Olivier MOUSSA.......................................................................page12
L’articulation délicate des procédures de revendication - restitution
avec la poursuite des contrats en cours
CA Lyon, 3ème ch. A., 23 mai 2013, n°12/00988
Charles CROZE ......................................................................page 14
Du pouvoir du juge commissaire en cas de contestation
d’une créance déclarée
CA Lyon, 3ème ch. A., 4 avril 2013, n°11/07930
Bertrand de BELVAL ................................................................page 15
Droit des Sociétés
L’expert de l’article 1843-4 : encore lui ! Cour d’appel de Chambéry, ch. civ., 28 mai 2013, n°12/00993
EXPOSE DES FAITS
OBSERVATIONS
Quelques années après sa constitution et en raison de
dissensions entre associés, l’associé d’une SCI,
Monsieur O, saisissait le Tribunal de grande instance
d’Annecy pour être autorisé à exercer son droit de
retrait.
Au-delà de la question procédurale relative au
magistrat compétent pour désigner l’expert, l’arrêt de la
Cour d’appel de Chambéry s’inscrit dans un véritable
« flot » jurisprudentiel sur l’article 1843-4 du Code civil.
La taille maximum de l’article laissé au rédacteur ne
suffirait pas à faire un résumé des très nombreuses
décisions rendues sur ce sujet...
Le Tribunal ordonnait classiquement une expertise aux
fins de valoriser les parts sociales de Monsieur O.
L’expert déposait son rapport le 22 juillet 2010, et le 26
janvier 2012, le Tribunal de grande instance d’Annecy
indiquait que Monsieur O était en droit d’exercer son
droit de retrait et fixait la valeur de ses parts.
L’arrêt de la Cour d’appel de Chambéry fournit par
contre un bel exemple de la notion « d’erreur
grossière » permettant de remettre en cause les
conclusions de l’expert désigné sur le fondement de
l’article 1843-4 du Code civil.
Monsieur O, insatisfait de cette décision, interjetait
appel de ce jugement et arguait, notamment, que la
valorisation des parts sociales devait se faire à la date
la plus proche de celle du remboursement de la valeur
des droits de l’associé ayant sollicité le retrait et que
l’expert avait commis une erreur grossière en ne tenant
pas compte du compte de résultats 2009.
L’erreur commise en l’espèce ne faisait aucun doute,
puisque l’expert fondait ses travaux sur les comptes
d’un exercice clôturé depuis plus de dix-huit mois ! Il
n’utilisait pas les derniers comptes disponibles et
relatifs au dernier exercice clos par la société ou sur
d’autres informations postérieures.
La SCI, de son côté, relevait qu’il est de jurisprudence
constante que l’évaluation de l’expert désigné sur le
fondement de l’article 1843-4 du Code civil, qui
détermine seul les critères qu’il juge les plus
appropriés pour fixer la valeur des droits sociaux, lie
tant les parties que le juge et ne peut être contestée
que si l’expert a commis une erreur grossière, ce que
ne démontre pas Monsieur O.
Or, il est de jurisprudence constante que la valorisation
des titres doit être déterminée à la date la plus proche
de celle de leur remboursement (Cass. com. 4 mai
2010, n° 08-20.693 : RJDA 8-9/10, n° 861). La Cour de
cassation a même jugé que commettait une erreur
grossière l’expert qui avait retenu comme date
d’évaluation celle inadéquate qui lui avait donnée le
magistrat qui l’avait désigné ! (Cass. com. 3 mai 2012,
n° 11-12.717 : BRDA 13/12, inf. 6).
Dans son arrêt du 28 mai 2013, la Cour d’appel de
Chambéry relève très justement que :
Me Vincent MEDAIL
Avocat au Barreau de Lyon
Lamy-Lexel Avocats Associés
[email protected]
- le droit de retrait de Monsieur O n’était pas contesté
par la SCI ;
- le rapport de l’expert était bien entaché d’une erreur
grossière puisque, déposé le 22 juillet 2010, il évalue
les parts de Monsieur O au 31 décembre 2008, sans
examen du compte de résultat 2009 et de tous autres
éléments d’information postérieurs, alors que la valeur
des droits sociaux de l’associé qui entend se retirer doit
être déterminée à la date la plus proche de celle du
remboursement de ces droits ;
PRINCIPAUX ATTENDUS
« Attendu que le droit de retrait de M. O n’est pas contesté par
la SCI ; Attendu que le rapport d’expertise réalisé par M. P est
entaché d’une erreur grossière puisque, déposé le 22 juillet
2010, il évalue les parts de M. O au 31 décembre 2008, sans
examen du compte de résultat 2009 et de tous autres éléments
d’information postérieurs, alors que la valeur des droits sociaux
de l’associé qui entend se retirer doit être déterminée à la date
la plus proche de celle du remboursement de ces droits »
- qu’aux termes des dispositions de l’article 1843-4 du
Code civil, la seule juridiction compétente pour
désigner l’expert chargé de procéder à la valorisation
des droits de l’associé qui entend se retirer est le
Président du Tribunal de grande instance statuant en la
forme des référés sans recours possible, de sorte que
le juge de la mise en état ne pouvait valablement
procéder à cette désignation.
Supplément au journal
Cour d’appel de Chambéry,
ch. civ., 28 mai 2013, n°12/00993
2
Le gérant peut prendre part au vote sur sa rémunération,
mais sans abuser !
Cour d’appel de Lyon, chambre civile, 31 janvier 2013, n°10/08516
- la rémunération de la gérance sur l’exercice
considéré augmentait néanmoins de 100% par rapport
à l’exercice précédent, sans que la société C ne puisse
justifier d’une telle augmentation ;
EXPOSE DES FAITS
Monsieur D était associé à hauteur de 19% du capital
social de la société C, société ayant la forme d’une
SARL.
- injustifiée, cette augmentation était donc contraire à
l’intérêt social et, en réalité, fixée dans le seul intérêt de
l’associé majoritaire (époux de la gérante).
Contestant les délibérations de différentes assemblées
générales décidant, pour l’une, de l’affectation du
résultat annuel aux postes de réserves et, pour l’autre,
de la ratification de la rémunération versée au gérant
de la société, Monsieur D avait saisi le Tribunal de
commerce de Saint-Etienne pour obtenir, notamment,
la nullité de ces délibérations.
Sur ce dernier fondement, la Cour d’appel de Lyon
prononce donc également la nullité de la délibération
relative à la rémunération de la gérance.
Par jugement du 5 novembre 2010, le Tribunal de
commerce, retenant que Monsieur D n’apportait pas la
preuve d’un abus de majorité commis par les associés
majoritaires au travers de la délibération d’affectation
des bénéfices, rejetait la demande de nullité présentée
sur ce terrain, mais faisait droit par contre à sa
demande s’agissant de la délibération relative à la
rémunération de la gérance au vote de laquelle celle-ci
avait pris part.
OBSERVATIONS
L’arrêt de la Cour d’appel de Lyon nous semble
intéressant à plus d’un titre :
Tout d’abord, en ce qu’il confirme une jurisprudence
récente de la Cour de cassation, selon laquelle la
détermination de la rémunération du gérant par
l’assemblée des associés ne constitue pas une
convention réglementée, de sorte que le gérant peut,
s’il est par ailleurs associé, prendre part au vote (Cass.
Com. 4 mai 2010, n° 09-13.205 : RJDA 8-9/10, n° 859,
p. 786), et ce même s’il est majoritaire (Cass.com. 4
octobre 2011, n° 10-23.398 : RJDA 12/11, n° 1036).
Monsieur D, insatisfait de cette décision, interjetait
appel de ce jugement.
Dans son arrêt du 31 janvier 2013, la Cour d’appel de
Lyon infirme la décision rendue par le Tribunal de
commerce de Saint-Etienne s’agissant de la
délibération relative à l’affectation du résultat,
considérant que l’abus de majorité était avéré.
Ensuite, en ce qu’il confirme que l’associé minoritaire
n’en est pas pour autant désarmé puisqu’il peut agir
sur le terrain de l’abus de majorité, en établissant que
la décision est contraire à l’intérêt social et a été prise
dans l’unique dessein de favoriser l’associé
majoritaire.
Pour ce qui concerne la délibération relative à la
fixation de la rémunération de la gérance, la Cour
d’appel relève que :
- l’assemblée générale a ratifié à l’unanimité des
associés présents ou représentés la rémunération de
la gérante ;
Me Vincent MEDAIL
Avocat au Barreau de Lyon
Lamy-Lexel Avocats Associés
[email protected]
- comme le fait valoir la société C, dès lors qu’elle ne
procède pas d’une convention, il n’est pas interdit au
gérant, associé d’une SARL de prendre part à la
délibération de l’assemblée générale qui ratifie sa
rémunération en cette qualité ;
PRINC IPAUX AT TENDUS
« L’assemblée générale tenue le 18 septembre 2007 a ratifié à
l’unanimité des associés présents ou représentés la rémunération
de Madame S, gérante majoritaire. Comme le fait valoir la société
C, dès lors qu’elle ne procède pas d’une convention, il n’est pas
interdit au gérant associé d’une Sarl de prendre part à la
délibération de l’assemblée générale qui ratifie sa rémunération
en cette qualité. La circonstance que Madame S a pris part au
vote est donc inopérante. Néanmoins, Monsieur D est recevable,
en sa qualité d’associé à solliciter, sur le fondement de l’article L.
235-1 du code de commerce la nullité de cette délibération au
motif qu’elle serait contraire à l’intérêt social et aurait été prise par
l’associé majoritaire en abusant de sa position »
- la circonstance que la gérante ait pris part au vote est
inopérante ;
- si Monsieur D est en droit de demander, sur la
fondement de l’article L. 235-1 du Code de commerce,
la nullité de cette délibération au motif qu’elle serait
contraire à l’intérêt social et aurait été prise par
l’associé majoritaire en abusant de sa position, il
n’apporte pas, en l’espèce, la preuve d’un abus de
majorité ;
Cour d’appel de Lyon,
chambre civile, 31 janvier 2013, n°10/08516
Supplément au journal
3
Droit économique
Exclusivité territoriale : la franchise n’exclut pas l’équivoque
Cour d’appel de Lyon, 1ère Chambre civ. A, 7 février 2013, n°11/0074
prohiberait les « ventes passives » réalisées dans le
territoire d’un autre distributeur.
EXPOSE DES FAITS
Un franchisé s’était fait consentir un contrat de
franchise sous l’enseigne « P. » incluant une
exclusivité territoriale pour un périmètre déterminé. Or,
constatant qu’un autre franchisé réalisait des
prestations, sous le nom de P., sur le parking d’un
supermarché C. attenant à son local, le bénéficiaire de
la clause d’exclusivité a invité son franchiseur à faire
cesser l’atteinte. Ce dernier lui a opposé que
l’exclusivité ne couvrait que « l’implantation » d’un
autre adhérent dans le territoire, mais qu’elle ne
pouvait s’appliquer à la « fourniture de prestations ».
En l’occurrence, la question qui était au centre du litige
consistait à déterminer si les prestations réalisées au
moyen d’une camionnette, sur un parking du territoire
d’exclusivité concédé à un autre franchisé,
constituaient des prestations actives ou passives.
Dans ses lignes directrices d’interprétation du
règlement 330/2010, la Commission européenne
distingue entre ventes actives et ventes passives selon
que l’action promotionnelle qui les précède constitue
une sollicitation d’une clientèle ciblée localisable. En
d’autres termes, lorsque les clients se sont
spontanément adressés à un distributeur alors qu’ils
sont situés dans le territoire d’exclusivité d’un autre
distributeur, ou lorsqu’ils n’ont connu ce distributeur
que par une publicité générale (non localisable), la
vente a un caractère passif, de sorte qu’aucune clause
ne peut la prohiber. En revanche, lorsque la vente
procède d’une prospection d’une clientèle déterminée
(par sa nature ou sa localisation), par tout moyen
orienté spécifiquement, tel qu’un courrier personnalisé,
un démarchage ou même toute publicité ciblée (ne fûtce que par un support s’adressant manifestement à un
public déterminé du fait de son audience), alors la
vente a un caractère actif que l’exclusivité peut
interdire.
Après qu’un tribunal arbitral a considéré que cette
situation justifiait la résiliation aux torts du franchiseur,
la cour d’appel de Lyon a réformé la décision en
considérant que celui-ci n’avait commis aucune faute.
Elle retient en effet que les prestations du franchisé sur
le territoire d’exclusivité d’un autre adhérent
s’analysent en une vente passive que les règles de
droit européen ne permettent pas de restreindre.
OBSERVATIONS
Les contrats de distribution ou de franchise prévoient
fréquemment des clauses d’exclusivité destinées à
assurer un maillage territorial cohérent du réseau. Les
membres de ce dernier se voient en conséquence
concéder une zone dans laquelle ils sont assurés
qu’aucun autre distributeur ne viendra s’implanter, ce
qui est de nature à attirer une certaine clientèle vers le
seul représentant de l’enseigne. Mais on sait moins
que l’étendue de l’exclusivité n’est pas laissée à la
discrétion des parties.
1. Limitation de la
d’exclusivité territoriale
validité
d’une
Pour la Cour, le caractère passif résulterait du fait que
le supermarché a demandé au franchisé situé hors du
territoire exclusif de rendre les prestations sur son
parking, ce qui laisse entendre que ce prestataire se
serait borné à répondre à une sollicitation. Mais, le
franchisé accomplit pourtant dans ce cas deux
démarches actives. D’abord, il établit une convention
avec le supermarché, ce qui ne ressort pas d’une
simple situation passive. Ensuite, il se rend sur un
parking situé sur le territoire d’un autre distributeur,
c’est-à-dire auprès d’une clientèle identifiable et ciblée
(la chalandise située à proximité du supermarché),
pour offrir des services de la même marque avec au
moins l’instrument promotionnel d’une camionnette
siglée.
clause
Dans la mesure où elle restreint l’exercice de la libre
concurrence à l’intérieur du réseau (intra-marque), la
doctrine concurrentielle considère qu’une exclusivité
absolue risquerait de procurer une rente de situation
artificielle à son bénéficiaire. C’est la raison pour
laquelle le règlement européen n°330/2010 du 20 avril
2010 définit les conditions dans lesquelles les clauses
d’exclusivité ne sont pas considérées comme des
accords anticoncurrentiels. En d’autres termes, le
règlement définit les clauses qu’il exempte et répute ne
pas porter atteinte au libre jeu de la concurrence.
2. Distinction entre vente active et implantation
Compte-tenu des circonstances, on pouvait imaginer
que la Cour suive la décision du tribunal arbitral qui
avait considéré que la situation ne se résumait pas à
des ventes passives. Mais il est vrai que la cour de
cassation a récemment pris une position ambigüe, en
paraissant assimiler la notion de vente active à celle
d’une véritable implantation. Ainsi, dans un arrêt du 14
février 2012 (n°09-11.691), la haute juridiction a estimé
qu’un site internet, qui n’était pas « orienté
spécifiquement pour atteindre la clientèle » d’une ville
faisant l’objet d’une exclusivité, n’était pas
« assimilable à l’implantation d’un point de vente dans
A ce titre, l’article 4, b, i du règlement autorise les
exclusivités qui ont pour objet d’interdire à un membre
du réseau situé en dehors de la zone géographique de
procéder à des « ventes actives » sur le territoire d’un
autre distributeur. En revanche, il présume
anticoncurrentielle, en toute circonstance, la clause qui
Supplément au journal
4
L’arrêt commenté invite en conséquence à rédiger
soigneusement les contrats de distribution et de
franchise en veillant non seulement à l’ingénierie
contractuelle, mais encore en s’assurant de respecter
les contraintes spécifiques du droit de la concurrence.
Il illustre la capacité des parties à s’emparer de toute
faille lors du contentieux de la rupture du contrat. Et
dans les réseaux, l’effet de chaîne peut être
redoutable !
le secteur protégé ». Elle en déduisait qu’aucune
atteinte n’était portée à l’exclusivité. La Cour de
cassation suivait dans cette espèce une conception
très orthodoxe des ventes passives, puisque le moyen
de communication avait un caractère général. Mais,
par négatif, il pouvait laisser assimiler la notion de
vente active à celle d’implantation.
On comprend d’autant plus que la cour de Lyon ait à
son tour recherché si les prestations ponctuelles sur le
parking constituaient une véritable implantation dans la
mesure où la rédaction de la clause d’exclusivité
limitait seulement « l’implantation, la création ou la
transformation d’un point de vente aux couleurs de P.
dans la zone d’exclusivité ». Mais si la rédaction du
contrat pouvait justifier de rechercher l’existence d’une
telle implantation, il n’était pas utile de se référer aux
contraintes du droit de la concurrence car cela
entretien une confusion entre vente active et
implantation.
Luc-Marie Augagneur
Avocat au barreau de Lyon
SCP Jakubowicz, Mallet-Guy & Associés
[email protected]
PRINC IPAUX AT TENDUS
« s'il est certain que sur le parking du supermarché C.
des prestations concernant des pneumatiques
provenant de l'entreprise L. [franchisé situé hors du
territoire d’exclusivité] étaient effectuées ponctuellement
dans le cadre de l'accord conclu entre ces deux sociétés
et s'il est certain que des employés de l'entreprise L.
participaient à ces prestations notamment au montage
des pneumatiques comme en témoigne la présence
d'une camionnette avec l'indication P., ces éléments ne
caractérisent pas l'implantation et la mise en place en
accord avec la société la SA P.France d'un point de
vente à ses couleurs.
Au plan juridique, cette confusion ne serait ni heureuse
ni conforme au règlement européen.
Au plan concurrentiel, elle introduirait une fragilité des
clauses d’exclusivité qui ne pourraient plus protéger
efficacement un territoire contre des stratégies
opportunistes qui, sans constituer une implantation,
procéderaient d’une prospection ciblée vers le territoire
d’un autre affilié. C’est notamment le cas en matière de
publicité sur internet, par l’usage de bannières sur des
sites destinés à un public d’une certaine zone, par
l’achat de liens sponsorisés portant sur des mots-clés
incluant un critère géographique, ou encore par des
annonces Facebook comportant des critères
géographiques. Or, les clauses d’exclusivité
constituent la colonne vertébrale des réseaux. Elles
évitent la distribution désordonnée d’un ensemble
géographique en répartissant l’effort par zones
concédés et relativement protégées. Fragiliser cette
structure risquerait à la fois de décourager les
distributeurs et franchisés et de ne pas donner les
moyens aux franchiseurs de conserver une maîtrise
suffisante de leur réseau.
En effet cette activité, qui se déroulait à la demande du
supermarché C. sur son parking, ne peut être qualifiée
d'établissement ou de point de vente permanent. Il s'agit
de la mise en place en fait de prestations et de ventes
passives qui répondent à des demandes émanant de
clients, non pas du réseau, mais du supermarché C. et
auxquels sont offerts ces prestations ponctuelles. Ces
ventes ne peuvent pas s'analyser comme des ventes
actives de la part de l'entreprise L. et faites en dehors de
son exclusivité territoriale. »
Cour d’appel de Lyon, 1ère Chambre civ. A,
7 février 2013, n°11/0074
Validité d’une clause de prorogation de compétence
dans une caution solidaire internationale
Arrêt de la Cour d’appel de Lyon, 8ème Chambre, 21 mai 2013
EXPOSE DES FAITS
En juin 2006, la société emprunteuse est placée en
redressement judiciaire par le tribunal de commerce de
Bobigny, redressement converti en liquidation judiciaire
en juin 2010.
Un brasseur allemand accorde un prêt à une société
commerciale française à l’occasion de la conclusion
d’un contrat de bière régularisé le 12 avril 2006.
Après mise en demeure des deux cautions au mois de
mai 2011, le prêteur les assigne en paiement devant le
juge des référés du tribunal de commerce de Lyon, le
choix de cette juridiction se justifiant par la stipulation,
dans l’acte de cautionnement, d’une clause attributive
de juridiction la désignant.
Afin de garantir le prêt, le gérant de cette société de
débit de boissons et son épouse, souscrivent une
caution solidaire au profit du brasseur, à hauteur du
montant du prêt, augmenté des intérêts, frais et
accessoires.
Supplément au journal
5
dans un cautionnement devait, en raison de
l’internationalité de l’acte, être examinée au regard du
Règlement (CE) n° 44/2001.
Les défendeurs soulèvent in limine litis l’incompétence
du tribunal de commerce de Lyon en raison du
caractère civil du cautionnement de l’épouse du gérant.
Sur le référé, les défendeurs contestent la validité de
leur cautionnement.
La logique interne de ce règlement commande d’abord
d’en vérifier l’applicabilité, laquelle dépend de
l’internationalité du litige, de son rattachement au
territoire de l’Union européenne et de la matière
litigieuse, qui doit être civile ou commerciale au sens du
règlement.
Par ordonnance du 8 novembre 2011, le juge des
référés se déclare compétent et condamne les cautions
à payer la somme réclamée par le prêteur, tout en leur
octroyant un étalement du paiement sur douze mois.
Le cautionnement litigieux ayant été donné par une
personne physique, se posait naturellement la question
de la qualité en laquelle celle-ci avait conclu le
cautionnement. En d’autres termes, avait-elle signé le
cautionnement en tant que consommateur ou non ?
Les cautions solidaires relèvent appel de l’ordonnance,
arguant que le cautionnement étant civil et que l’épouse
du gérant n’ayant pas la qualité de commerçant, la
clause attributive de juridiction ne lui est pas opposable.
Domiciliées à Meaux, les cautions soutiennent que c’est
la Cour d’appel de Paris qui, seule, doit connaître de
l’affaire.
L’application du règlement (CE) n° 44/2001 impose en
effet d’opérer un choix entre deux régimes juridiques
distincts de la clause de prorogation de for : celui de
l’article 23, qui pose le régime général, ou bien celui de
l’article 17, régime spécifique aux relations
contractuelles entre professionnels et consommateur et
qui assure la protection de ce dernier.
Quant au référé, et pour s’en tenir à l’essentiel, les
cautions solidaires contestent leur engagement
prétendument disproportionné à leurs ressources et à
leur patrimoine et souscrit sans avoir pu bénéficier de la
mise en garde préalable due par le prêteur
professionnel.
On perçoit donc bien que cette question est un
préalable, puisque la réponse déterminera le régime de
la clause de prorogation de for, la notion de
consommateur étant décisive.
Statuant sur la compétence, la Cour considère en
premier lieu que le cautionnement litigieux, certes
souscrit par un non-commerçant, revêt un caractère
commercial, « la caution (ayant) un intérêt personnel
dans l’engagement commercial qu’elle garantit ».
Pour y répondre, il faut tenir compte des notions
autonomes propres au système juridique de l’Union et
dont les contours résultent des textes du droit de
l’Union, interprétés sous le contrôle de la Cour de
justice de l’Union européenne. A défaut, l’application de
ce droit par les juridictions nationales varierait en
fonction d’interprétations propres à leur ordre juridique
national et l’objectif d’unification resterait inaccessible.
La Cour établit ainsi la compétence de la juridiction
commerciale.
La Cour constate en second lieu que l’internationalité
du cautionnement commande l’application du
règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 dont
l’article 23 donne effet aux clauses de prorogation de for
même lorsqu’elles sont opposées à une personne qui
n’a pas la qualité de commerçant.
En l’occurrence, il faut se référer aux indications
fournies par le règlement (CE) n° 44/2001 lui-même,
dont l’article 15 énonce qu’il convient d’entendre le
consommateur comme celui qui conclut un acte « pour
un usage pouvant être considéré comme étranger à son
activité professionnelle ».
La Cour confirme ainsi la compétence de la juridiction
consulaire lyonnaise saisie par le prêteur sur le
fondement de la clause de prorogation de for.
Au regard des critères de cette définition, il fallait
effectivement confirmer que la caution solidaire
accordée par l’épouse du gérant l’avait été pour un
usage ou dans un but que l’on ne pouvait considérer
comme étranger à son activité professionnelle. Le
tribunal et la Cour avaient bien caractérisé le fait que la
caution, qui secondait son mari dans l’exploitation du
débit de boisson, était également associée de la société
exploitante (emprunteuse) à hauteur de 50% de son
capital social.
Statuant sur le référé, la Cour, en application de la
réglementation du cautionnement inscrite aux articles L.
341-1 et s. du Code de la consommation et au vu des
faits de l’espèce, confirme l’ordonnance querellée.
OBSERVATIONS
Si le résultat atteint par la Cour nous semble
irréprochable, on regrettera cependant un « raccourci »
méthodologique, certes sans incidence dans l’espèce
examinée, mais susceptible de conséquences
fâcheuses dans d’autres situations.
Arrivé à ce stade du raisonnement, on peut confirmer
l’application de l’article 23 (et donc l’exclusion de
l’article 17) du règlement (CE) n° 44/2001 et, compte
tenu de la présence d’un écrit qui ne présentait
manifestement aucun défaut, la clause de prorogation
de for produit son effet en donnant compétence
exclusive à la juridiction désignée, la juridiction
lyonnaise.
Ce raccourci porte sur la mise en œuvre du règlement
(CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 sur la
compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution
des décisions en matières civile et commerciale.
C’est une fois acquis ce résultat exclusivement
territorial, que le règlement (CE) n° 44/2001 cède le pas
aux règles de procédure française qui conduiront à
désigner la juridiction matériellement compétente pour
connaître du litige.
C’est ce point de procédure européenne qui seul nous
intéressera ici.
La question posée à la Cour, celle de l’opposabilité
d’une clause de prorogation de compétence stipulée
Supplément au journal
6
La Cour le relève en passant, contrairement aux
dispositions de l’article 48 du code de procédure civile,
l’article 23 du règlement (CE) n° 44/2001 ne subordonne
pas la validité de la clause de prorogation de for à ce que
les parties à l’acte soient toutes commerçantes.
A ce stade seulement devait intervenir la question de la
commercialité du cautionnement pour permettre de
déterminer la compétence de la juridiction consulaire.
Selon une jurisprudence bien établie, la compétence des
juridictions commerciales s’étend au cautionnement,
acte civil, qui devient commercial lorsque la caution a un
intérêt patrimonial personnel dans l’opération garantie
(Cass. com. 7 avril 2004, RJDA 2004, n° 1040), solution
qui permettait de confirmer l’ordonnance contestée, qui
avait, à juste titre, reconnu la compétence du juge
commercial.
En l’occurrence, la compétence de la juridiction
commerciale était donc incontestable.
On le constate, la Cour a donc raisonné à rebours de ce
que prévoit le règlement (CE) n° 44/2001 puisqu’elle
affirme d’abord la compétence du juge consulaire
(compétence d’attribution) pour déterminer ensuite celle
du juge lyonnais (compétence territoriale). De surcroît,
et c’est le plus gênant, la Cour a ignoré la notion
autonome de consommateur, celle qui détermine le
régime de validité de la clause de prorogation de for.
Par une heureuse coïncidence, le règlement et le droit
français partagent la même analyse de l’espèce et
refusent la qualité de consommateur à l’épouse du
gérant qui avait accordé sa caution solidaire.
Il pouvait en être autrement car le droit français retient
une notion de consommateur assez large pour accueillir
des personnes morales, chose impossible dans le droit
de l’Union. Avec d’autres notions juridiques du
règlement (CE) n° 44/2001 (par exemple celles de
matières contractuelle et délictuelle) dont la teneur
diffère sensiblement de celle qu’elles reçoivent en droit
français, la même erreur de méthode peut conduire à
des conséquences très sérieuses… mais c’est une autre
histoire.
Simon HOTTE
Avocat au Barreau de Lyon
Cabinet Fidal
[email protected]
PRINCIP AUX ATTE NDUS
« Que le cautionnement contrat civil par nature devient contrat
commercial lorsque la caution a un intérêt personnel dans
l’engagement commercial qu’elle garantit ;
Que le litige a bien un caractère international et relève du champ
d’application de l’article 23 du règlement CE du conseil n° 44/2001
du 22 décembre 2000 ;
Que le texte qui permet des prorogations conventionnelles de
compétence ne comporte pas les mêmes exigences que l’article 48
du code de procédure civile et notamment pas celle d’avoir la qualité
de commerçant de sorte qu’il importe peu en l’espèce que Madame
… n’ait pas contracté en qualité de commerçant. »
Arrêt de la Cour d’appel de Lyon,
8ème Chambre, 21 mai 2013
Droit fiscal
Transfert de bénéfices à l’étranger
Cour administrative d’appel de Lyon, 11 juillet 2013, n°11LY00678
Nul doute que la lutte contre l’évasion fiscale est une priorité de l’administration fiscale française : vote d’une
nouvelle loi pour lutter contre la fraude fiscale, fortes incitations à la régularisation des avoirs détenus à l’étranger
par les personnes physiques résidentes fiscales de France. L’administration accroit aussi sa lutte envers les
sociétés et les redressements en matière de transfert de bénéfices à l’étranger s’intensifient. D’où la nécessité
de bien connaître les règles en la matière pour éviter les risques.
EXPOSÉ DES FAITS
La société française LVD, qui a une activité de
conception, fabrication et commercialisation de fauteuils
pour handicapés, a conclu en 2003 avec la société
suisse LSI, un contrat de distribution exclusive à
l’étranger de ses produits, distribution, qui était
jusqu’alors exercée par LVD via sa filiale allemande et
des importateurs locaux
Supplément au journal
7
Suite à des vérifications de comptabilité, LVD s’était vue
notifier des rectifications en matière de transferts de
bénéfices à l’étranger, conduisant à des rappels en
impôt sur les sociétés et retenue à la source assortis de
la pénalité pour manquement délibéré de 40% qu’elle a
contestés. Par jugement du 28 décembre 2010, le
tribunal administratif de Lyon avait confirmé les
Toutes les conditions du transfert de bénéfices à
l’étranger étaient donc bien remplies et la Cour a alors
confirmé les impositions et pénalités notifiées à LVD.
impositions et pénalités. LVD avait interjeté appel,
conduisant à l’arrêt commenté.
OBSERVATIONS
Comme le rappelle cet arrêt, il ne suffit pas de signer un
contrat de distribution et de recevoir une commission
pour considérer que l’activité correspondante, et donc
les bénéfices en résultant, sont transférés au
distributeur. Encore faut-il être en mesure de prouver,
d’une part, que le distributeur est bien totalement
indépendant sur le plan capitalistique mais aussi
économique et, d’autre part, qu’il exerce effectivement
son activité de distribution en toute indépendance.
L’arrêt du 11 juillet 2013 de la Cour administrative
d’appel de Lyon permet de faire un point sur la notion de
liens de dépendance permettant de qualifier un transfert
de bénéfices à l’étranger.
Les questions posées à la Cour étaient de savoir
comment établir l’existence de liens de dépendance
entre une société française et une société étrangère,
liens nécessaires pour caractériser le transfert de
bénéfices à l’étranger résultant de la signature d’un
accord de distribution exclusive.
La rédaction et la mise en place d’un tel contrat doivent
s’accompagner d’une analyse fiscale approfondie des
faits, pour éviter tout risque de requalification, surtout si
ce contrat est conclu avec une société établie à
l’étranger, notamment en ce qui concerne le pouvoir de
décision, le circuit de distribution, le fonctionnement et
les moyens propres du distributeur…
1. Sur la notion de lien de dépendance
La notion de dépendance entre sociétés ne se limite pas
à la détention capitalistique. Elle peut être caractérisée
par le pouvoir de direction, directement ou
indirectement, mais aussi par une dépendance de fait,
économique, entre des sociétés.
A l’heure où l’existence de liens avec l’étranger semble
devenir le nouvel eldorado de l’administration fiscale,
susceptible de permettre de réduire quelque peu le
déficit budgétaire abyssal, mieux vaut s’assurer que l’on
ne détourne pas les règles fiscales.
En l’espèce, aucun lien capitalistique n’existait entre
LVD et LSI. Toutefois les juges d’appel se sont attachés
aux faits : poursuite de la gestion des commandes par la
filiale allemande de LVD et les anciens importateurs
locaux qui les transmettaient à LVD, prix de ventes fixés
par LVD sur confirmations de commandes, non
modification du circuit de livraison avec expédition par
LVD vers sa filiale et les importateurs locaux, obligation
pour LSI d’utiliser les logos et la marque de LVD, actions
de promotion devant être validées par LVD, documents
de promotion faits par LVD, factures et paiements
obligatoirement libellés en euros, monnaie de LVD,
absence de moyens matériels et humains pour LSI,
domiciliation en Suisse de LSI à une adresse postale
sans locaux commerciaux, le gérant de LVD exerçant la
direction et le contrôle de LSI (réception des
commandes, remises accordées aux clients, décision
d’engagement de certaines dépenses de LSI…).
Danièle SIBONI
Avocat au Barreau de Lyon
DLSI Avocats
[email protected]
PRINCIP AUX ATTE NDUS
« Considérant que l’administration établit que l’essentiel des
fonctions attribuées à la société LSI était en fait toujours exercé par
la société LVD et que la société LSI était placée sous l’entière
dépendance économique de la société LVD…
L’administration établit qu’au cours de la période vérifiée la société
française LVD exerçait la direction et le contrôle de la société suisse
LSI et cette dernière était placée sous la dépendance économique;
que, dès lors, la société requérante n’est pas fondée à soutenir ni
que la dépendance économique de la société LSI n’est pas
démontrée ni que la société LVD ne disposait pas du contrôle et de
la direction de la société au sens de l’article 9 de la convention
fiscale franco-suisse et de l’article 57 du code général des impôts,
alors même qu’aucun lien capitalistique n’est établi entre les deux
sociétés..:
Tous ces éléments de fait ont permis aux juges de
considérer que « l’essentiel des fonctions attribuées à
LSI était en fait toujours exercé par LVD et que LSI était
placée sous l’entière dépendance économique de LVD...
LVD exerçait le contrôle et la direction de LSI …au sens
de l’article 9 de la convention fiscale franco-suisse et de
l’article 57 du code général des impôts alors même
qu’aucun lien capitalistique n’est établi entre les deux
sociétés ».
2. Sur la notion de transfert de bénéfices
L’administration ayant établi que l’essentiel des opérations de
distribution hors de France était effectué par la société LVD, a
considéré que la commission perçue par cette dernière,…,
constituait un transfert de bénéfice entre les deux sociétés…dans
ces conditions, la société requérante n’est pas fondée à faire valoir
que les rectifications effectuées par l’administration ont méconnu
les stipulations de l’article 9 de la convention fiscale franco-suisse
et de l’article 57 du code général des impôts… ».
Une fois ce lien de dépendance établi, les juges ont
alors pu confirmer que la distribution hors de France
étant effectuée par LVD, la commission versée par LVD
à LSI constituait un transfert de bénéfices en Suisse. En
effet, après la mise en place du contrat, LVD a vu son
résultat d’exploitation et son bénéfice net
significativement baisser et après la rupture du contrat
de distribution, la marge réalisée par LSI a été rapatriée
en France chez LVD. En outre LVD n’a pas établi avoir
bénéficié de contrepartie au titre des commissions
versées à LSI.
Supplément au journal
Cour administrative d’appel de Lyon
11 juillet 2013, n°11LY00678
8
L’abattement de l’article 150-0 D ter bénéficie à l’époux qui en
remplit les conditions et non au foyer fiscal
Cour administrative d’appel de Lyon, 18 juin 2013, n°12LY02142
EXPOSÉ DES FAITS
La Cour administrative d’appel de Lyon, dans cette
affaire relative à l’application de l’abattement de la plusvalue réalisée par des dirigeants de PME partant à la
retraite, applique strictement ces textes, dont il résulte
que l’appréciation des conditions doit, en principe,
s’effectuer pour chaque contribuable pris isolément et
non au niveau du foyer fiscal.
Monsieur et Madame B détenaient respectivement
6 908 et 3 826 actions d’une société commerciale. En
décembre 2007, Monsieur B cède 3 825 actions (en
conservant 3 083) et son épouse cède la totalité de sa
participation.
Au moment de la cession, Madame B exerçait des
fonctions de direction de la société, dont elle retirait
l’essentiel de ses revenus professionnels. Monsieur B,
en revanche, avait quitté toute fonction de direction de
la société au cours de l’année 2003 et ne percevait
aucune rémunération de la part de la société.
En effet, elle considère que le texte même de l’article
150-0 D ter visant spécifiquement « le cédant », cette
notion doit nécessairement concerner la personne
physique et non le couple ou le foyer fiscal.
La Cour tire de la lettre du texte la conclusion que
l’époux cédant qui ne remplit pas personnellement les
conditions prévues à l’article 150-0 D ter, notamment
parce qu’il n’exerce pas de fonctions de direction, dont
il ne retire pas la majorité de ses revenus
professionnels, ne peut bénéficier de l’abattement
prévu par ces dispositions.
Monsieur et Madame B ont chacun appliqué à la plusvalue qu’ils avaient constatée l’abattement prévu à
l’article 150-0 D ter du CGI en faveur des dirigeants de
PME partant à la retraite, permettant, compte tenu du
grand nombre d’années écoulées depuis la constitution
de la société, d’effacer totalement cette plus-value.
Constatant que Monsieur B ne remplissait pas les
conditions de cet abattement, l’administration fiscale a
procédé à une rectification sur la plus-value
correspondant aux titres qu’il avait cédés, ne remettant
pas en cause l’application de l’abattement à la plusvalue constatée par son épouse.
Pour ce faire, elle ne tient pas compte de l’existence
d’un foyer fiscal, qu’elle ne considère que comme une
modalité d’imposition, ni de celle d’une communauté
légale, chaque conjoint exerçant, selon la Cour, « de
manière individuelle le droit de propriété sur ses
titres ».
Le Tribunal administratif de Grenoble ayant donné
raison à l’administration, Monsieur et Madame B ont
saisi la Cour administrative d’appel de Lyon, qui
confirme la position prise par les juges de première
instance et rejette leur demande de décharge.
Considérant que les conditions doivent s’apprécier au
niveau de chaque personne physique qui cède ses
droits sociaux, elle estime que la circonstance que
l’épouse, mariée sous un régime de communauté et
cédant concomitamment les titres dont elle disposait
dans la même société, remplissait les conditions pour
bénéficier de l’abattement prévu à l’article 150-0 D ter,
n’est pas de nature à permettre l’application de
l’abattement aux plus-values réalisées par l’époux ne
les remplissant pas.
OBSERVATIONS
La décision rendue par la Cour administrative d’appel
de Lyon, si elle peut paraître inéquitable quant à son
effet sur la situation des redevables, a pour mérite de
rappeler que le système français d’impôt sur le revenu
des personnes physiques consiste à imposer ensemble
deux contribuables distincts.
Ce principe reçoit de nombreuses applications. C’est
ainsi que, par exemple, l’appréciation des critères de
territorialité s’effectue pour chacun des conjoints
individuellement et il peut se trouver des situations
dans lesquelles l’un des conjoints sera considéré
comme résident au sens des dispositions du CGI, alors
que l’autre sera considéré et imposé comme un nonrésident, sans que cette situation particulière ne
remette en cause le principe de l’imposition par foyer.
En effet, il résulte des dispositions de l’article 6 du CGI
que « Chaque contribuable est imposable à l'impôt sur
le revenu, tant en raison de ses bénéfices et revenus
personnels que de ceux de ses enfants et des
personnes considérés comme étant à sa charge au
sens des articles 196 et 196 A bis. Les revenus perçus
par les enfants réputés à charge égale de l'un et l'autre
de leurs parents sont, sauf preuve contraire, réputés
également partagés entre les parents.
(…), les personnes mariées sont soumises à une
imposition commune pour les revenus perçus par
chacune d'elles et ceux de leurs enfants et des
personnes à charge mentionnés au premier alinéa ;
(…) »
Supplément au journal
De la même manière, sauf si la loi en dispose
autrement, les options fiscales s’exercent de manière
individuelle, l’un des conjoints salarié pouvant, par
exemple, opter pour la déduction des frais réels, l’autre
pouvant préférer la déduction forfaitaire.
Le même principe s’applique à l’option pour le
prélèvement forfaitaire libératoire, qui avait notamment
pour effet de rendre non déductible la totalité de la CSG
9
PRINC IPAUX AT TENDUS
et de renoncer à l’application de l’abattement de 40 %
sur les dividendes. En application des principes
rappelés par la Cour administrative d’appel de Lyon,
l’option exercée par l’un des contribuables membre du
foyer fiscal ne peut pas avoir d’effet sur les revenus de
l’autre (ou des autres, s’agissant des personnes à
charge), qui n’ont pas opté pour le prélèvement.
« (…)Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 1500 D ter du code général des impôts, dans sa rédaction alors en
vigueur : " I. - L'abattement prévu à l'article 150-0 D bis s'applique
(…) si les conditions suivantes sont remplies : 1° La cession porte
sur l'intégralité des actions, parts ou droits détenus par le cédant
dans la société dont les titres ou droits sont cédés ou sur plus de
50 % des droits de vote ou, en cas de la seule détention de
l'usufruit, sur plus de 50 % des droits dans les bénéfices sociaux
de cette société ; 2° Le cédant doit : a) Avoir exercé au sein de la
société dont les titres ou droits sont cédés, de manière continue
pendant les cinq années précédant la cession et dans les
conditions prévues au 1° de l'article 885 O bis, l'une des fonctions
mentionnées à ce même 1° ; (...) b) Avoir détenu directement ou
par personne interposée ou par l'intermédiaire de son conjoint ou
de leurs ascendants ou descendants ou de leurs frères et sœurs,
de manière continue pendant les cinq années précédant la
cession, au moins 25 % des droits de vote ou des droits dans les
bénéfices sociaux de la société dont les titres ou droits sont cédés
; c) Cesser toute fonction dans la société dont les titres ou droits
sont cédés et faire valoir ses droits à la retraite, soit dans l'année
suivant la cession, soit dans l'année précédant celle-ci si ces
événements sont postérieurs au 31 décembre 2005 " ; (…)
Cela étant, pour exacte qu’elle soit au regard de la lettre
du texte, il n’en demeure pas moins que cette solution
semble inéquitable en l’occurrence, s’agissant de la
cession par deux conjoints d’un bien appartenant à la
communauté.
En effet, le fait qu’ils ont cédé, ensemble et au même
moment, les titres qu’ils avaient souscrits ensemble,
lors de la constitution de la société, et dont le produit est
revenu à la communauté, aurait pu conduire à une
solution différente.
C’est d’ailleurs pour tenir compte de situations de ce
type que l’administration a, dans une instruction du 22
janvier 2007 (BOI 5 C-1-07), prévu que, sous certaines
conditions, les plus-values constatées sur des cessions
concomitantes réalisées par plusieurs membres d’un
groupe familial, dont certains ne remplissent pas les
conditions, pourraient bénéficier de l’abattement.
Cependant, dans la mesure où, dans l’affaire qu’a eue
à connaître la Cour administrative d’appel de Lyon,
Monsieur B avait conservé certaines de ses actions, il
ne pouvait pas bénéficier de cette tolérance,
l’administration ayant conditionné son application à la
cession par les membres du groupe familial de la
totalité de leurs participations dans la société, ce qui
n’était pas le cas en l’espèce, Monsieur B ayant
conservé plus de 3 000 des actions dont il disposait.
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions que le
droit à abattement et les conditions à remplir pour en bénéficier
s'appliquent au cédant des titres, lequel est la personne physique
qui cède ses droits sociaux et exerce ainsi de manière individuelle
le droit de propriété sur ces titres ; qu'ils s'apprécient ainsi
distinctement au niveau de chaque conjoint et non au niveau du
foyer fiscal ; que ni l'existence d'une communauté légale et les
dispositions des articles 1400 et suivants du code civil afférentes
à ce régime matrimonial, ni les dispositions du 1. de l'article 6 du
code général des impôts, ne font par elles-mêmes obstacle à une
telle appréciation séparée et individuelle ; »
Jean-Philippe Kapp
Avocat au Barreau de Lyon
Cabinet Quartèse Avocats
[email protected]
Cour administrative d’appel de Lyon,
18 juin 2013, n°12LY02142
Propriété intellectuelle et NTIC
Preuve sur Internet
Cour d’appel de Lyon, 8ème Chambre, 13 novembre 2012, n°11/04367
EXPOSE DES FAITS
La société C. est spécialisée dans le développement, la
conception, la production, la distribution d'appareils de
chauffage et de climatisation vendus sous différentes
marques, et en particulier la marque n.
En 2010, la société C. a découvert qu’une recherche
effectuée sur le moteur de recherche Google à partir du
mot « n… » donnait pour résultat en première page
« D. : n. radiateur danais », alors que la société D. ne
serait pas revendeur de produits N..
La société D. a pour activité la distribution d'appareils
de chauffage de différentes marques.
La société C. reprocha alors à D. de reproduire, dans le
code source des pages de son site internet, des noms
de marques déposées par un concurrent afin d'attirer
Supplément au journal
10
déloyalement sur son site internet une partie du trafic
généré par ces noms de marques.
d’appel de Lyon, que « toutes les manipulations sont
possibles en informatique ».
Elle fit valoir qu’il s'agissait là d'une pratique
constitutive de contrefaçon, d'actes de concurrence
déloyale et de parasitisme.
En l’espèce, la cour d’appel de Lyon considère qu’une
simple copie d’écran de la page de recherche de
Google, réalisée par une partie, n’est pas suffisante
pour établir la réalité des faits reprochés.
A l'effet de se constituer des preuves de ces pratiques,
elle demanda à un huissier de justice de constater ces
faits.
Une telle copie d’écran n’est toutefois pas dénuée de
force probante per se. C’est ainsi que le tribunal de
commerce de Paris a pu dire, à propos de copies
d’écrans des sites internet des demandeurs, « dont le
défendeur conteste le caractère probant au motif que
le contenu de ces sites est défini par les demandeurs »
que « même si chacun des éléments versés aux
débats, pris isolément peut être contesté, ils
constituent globalement un faisceau de preuves
convergentes et probantes » (T. com. Paris, 20 mars
2013).
Des constats ont ainsi été dressés le 9 juillet 2010 par
Maître X, huissier de justice à Vienne, puis en 2011 par
un huissier lyonnais.
La société C. a ensuite saisi le juge des référés pour
voir interdire sous astreinte à la société D. toute
utilisation des marques appartenant à la société C.
pour tous référencements sur tous moteurs de
recherche et notamment pour toutes mentions dans
les codes sources des pages de son ou ses sites
internet et pour voir cesser et interdire de manière
générale toute technique permettant d'apposer les
termes D. et les termes constitutifs des marques
appartenant à la société C..
Par ailleurs, le juge de Lyon critique vivement les
constats d’huissier versés au débat, l’un pour avoir été
réalisé par l’employé du demandeur sur un ordinateur
« aucunement fiabilisé », l’autre parce qu’il indique que
l’ordinateur utilisé était relié à un serveur proxy.
Par ordonnance du 17 mai 2011, le juge des référés du
TGI de Lyon l’a déboutée de ses demandes au motif
essentiel du manque de valeur probante des constats
d'huissier versés au débat, faute du respect du
protocole de branchement de son ordinateur sur le site
considéré et d'une relation exacte dans ses procèsverbaux de la manière de procéder de l'huissier.
La société C. a relevé appel cette ordonnance.
La Cour d’appel de Lyon suit en cela la jurisprudence
actuelle, qui admet à titre de preuve les constatations
sur Internet sous réserve du respect de conditions
techniques préalables permettant de s’assurer du
caractère loyal des constatations.
En particulier :
- l’agent doit préciser l’adresse IP de l’ordinateur
utilisé, qui identifie un matériel sur le réseau internet et
permet, en cas de litige, de vérifier au moyen du
journal de connexion du serveur interrogé les pages
réellement consultées pendant les opérations de
constat ;
Le 13 novembre 2012, la cour d’appel de Lyon a
confirmé le jugement déféré et condamné l’appelante
à 3.000€ de dommages et intérêts pour procédure
abusive.
- la « mémoire cache » de l’ordinateur doit être vidée.
Il s’agit d’une mémoire temporaire dans laquelle le
navigateur Internet conserve localement les pages
Web consultées. Lorsque les pages Web sont
rappelées, le navigateur les extrait de cette mémoire
plutôt que de leur site d'origine, et risque ainsi
d’afficher des pages qui ne se trouvent plus sur le site
d’origine;
OBSERVATIONS
La présente décision, qui critique trois constats
d’huissier pour finir par leur dénier toute valeur
probante, est l’illustration de la difficulté à recueillir des
preuves fiables dans l’environnement numérique, qui
devient pourtant le territoire de contentieux de plus en
plus nombreux, notamment en matière de contrefaçon
ou de concurrence déloyale.
- l’ordinateur ne doit pas être relié à un serveur proxy,
ordinateur intermédiaire installé entre l'ordinateur de
l'utilisateur et Internet, qui met en cache pendant un
certain temps les pages Web consultées.
En premier lieu, la portée de l’adage rappelé par la
cour d’appel selon lequel « nul ne peut se constituer de
preuve à soi-même » doit être mesurée. Comme l’a dit
la Cour de Cassation, « Le sens énergique, mais étroit,
de l’adage est donc que personne ne saurait, par un
acte dont il serait le seul auteur, s’autoproclamer
propriétaire, acquéreur, créancier, usufruitier, légataire,
preneur à bail… (1re Civ., 21 juin 2005, pourvoi n° 0219.446). […] En revanche, l’adage est sans application
aux faits juridiques, pour lesquels la preuve se
propose par tous moyens, le juge pesant alors
souverainement la crédibilité et la portée de chacun. »
En l’espèce, les constats critiqués ne faisaient état
d’aucune des ces opérations et ne permettaient donc
pas de démontrer la vraisemblance des faits
reprochés.
Une norme AFNOR relative au « Mode opératoire de
procès-verbal de constat sur internet effectué par
Huissier de justice » a été créée en septembre 2010.
Toutefois, il ne s’agit que d’un recueil de bonnes
pratiques non contraignant, et il a été récemment jugé
que le respect de cette norme n’est pas une condition
nécessaire à la force probante d’un constat (CA Paris,
27 février 2013).
La preuve des faits juridiques est donc libre, toute la
difficulté pour le juge étant d’apprécier la valeur
probante des constatations effectuées sur Internet,
tant il semble parfois, comme le déplore la cour
Supplément au journal
11
Assez naturellement, les intéressés font souvent appel à
un huissier de justice, officier ministériel, pour effectuer
ces constatations qui font alors foi jusqu'à preuve
contraire.
Toutefois, des constats réalisés par des sociétés privées
disposant d’une compétence particulière, tels que des
tiers de confiance, ou par les agents de l’Agence pour la
Protection des programmes sont régulièrement retenus
par les juridictions, à titre de simple renseignement.
PRINCIP AUX ATTE NDUS
Ainsi la preuve sur Internet, si elle peut se révéler
coûteuse à apporter compte tenu de la rémunération des
techniciens à qui il est fait appel, n’est pas
nécessairement difficile à établir, dès lors qu’un certain
nombre de précautions sont prises.
Albane Lafanechère
Avocat au Barreau de Lyon
Selarl Colbert
[email protected]
serveur proxy peut permettre l'accès à des pages web qui
n'existent pas ou qui n'existent plus sur le site cible à la date des
constatations. […]
« Le point essentiel de ce dossier qui vient en référé, donc devant
le juge de l'évident et de l'incontestable, touche à la fiabilité, à la
valeur probante, des constats d'huissier au nombre de trois
censés démontrer une atteinte aux droits des marques de
l'appelante.
Ainsi aucun des trois constats versés ne permet d'affirmer qu'il
n'est pas sérieusement contestable que la société D. aurait utilisé
des moyens informatiques frauduleux en contravention des droits
de la société C. sur les marques déposées lui appartenant.
[…] le premier constat établi le 9 juillet l'a été dans des conditions
de fiabilité hautement fantaisistes, le propre employé de la société
A. procédant lui-même aux recherches à la place de l'huissier sur
un ordinateur aucunement fiabilisé, toutes les manœuvres de la
part du client intéressé à un résultat positif étant alors possibles.
[…]
L'appelante veut encore prouver la réalité de ce qu'elle avance par
la reproduction d'un e-mail du 18 octobre 2010 contenant la copie
d'écran de la page d'accueil du moteur de recherche GOOGLE.
Mais, outre que l'on ignore les conditions de l'envoi de cet e-mail,
force est de rappeler qu'en droit nul ne peut se constituer de
preuve à soi-même ce d'autant que toutes les manipulations sont
possibles en matière informatique. […] »
Quant au constat de maître Y du 11 février 2011, sous les
apparences du sérieux quant au respect du protocole
effectivement déterminé par une jurisprudence déjà ancienne et
jamais remise en cause, force est de constater l'énorme bévue de
l'huissier instrumentaire qui mentionnait en toutes lettres dans son
constat: 'L 'ordinateur est relié à un serveur Proxy' alors
précisément qu'il faut impérativement que l'ordinateur utilisé ne le
soit pas dans la mesure où il est établi scientifiquement que le
Cour d’appel de Lyon,
8ème Chambre, 13 novembre 2012, n° 11/04367
De quelques questions de procédure en matière de droit d’auteur
Cour d’appel de Lyon, 1ère Chambre A, 18 avril 2013, n°08/02007
EXPOSÉ DES FAITS
nouveau de certaines demandes, du défaut de qualité
à agir de l’un des appelants, du caractère collectif des
œuvres en cause et de la prescription de l’action.
MM. C. et M. ont conçu différents produits pour le
compte d’une société EDA, qui les a commercialisés
sans leur verser de droits d’auteur.
Ils ont assigné cette société notamment en
reconnaissance de leurs droits d'auteur et en paiement
des droits correspondants.
Sur le fond, elle a maintenu que les modèles en cause
n’étaient pas couverts par le droit d’auteur, faute
d’originalité.
Le Tribunal de grande instance de Lyon a estimé que
les produits concernés n’étaient pas des œuvres
couvertes par le droit d’auteur, faute d’originalité, et a
par conséquent rejeté les demandes en paiement de
redevances.
La Cour déboute MM. C. et M. de leur appel, écartant
certaines prétentions comme nouvelles en cause
d’appel et donc irrecevables, et jugeant que si la
demande en revendication de la qualité d’auteur n’est
pas prescrite, les produits concernés ne sont pas
originaux et ne sont donc pas couverts par le droit
d’auteur.
En appel, MM. C. et M. ont maintenu leurs demandes
relatives à la reconnaissance de l’originalité de certains
des produits en cause, à la reconnaissance de leur
qualité d’auteurs de ces produits et au paiement des
droits correspondants.
OBSERVATIONS
La société EDA a invoqué, quant à elle, plusieurs fins
de non-recevoir, tirées notamment du caractère
Au-delà du raisonnement tenu par la Cour sur
l’appréciation de l’originalité des produits en cause, qui
Supplément au journal
12
est classique, cet arrêt retient l’attention par les
questions de procédure qu’il tranche et par le soin qu’a
mis la Cour à exposer son raisonnement.
La Cour déclare tout d’abord irrecevables comme étant
nouvelles en cause d’appel les demandes relatives à
l’un des produits, qui n’était pas listé dans le dispositif
des dernières conclusions récapitulatives de MM. C. et
M. en première instance.
Elle indique que le fait que ce produit n’ait pas été cité
dans le dispositif n’est pas une difficulté en soi –
conformément à une jurisprudence désormais établie.
Mais la Cour observe que les demandes formées au
dispositif (mission d’expertise, demande de marquage
au nom des auteurs) ne renvoient qu’aux produits qui y
sont listés, et ne concernent donc pas le produit en
cause.
Elle a donc décidé que les demandes formées en appel
concernant ce produit étaient nouvelles et les a
écartées.
La Cour aborde ensuite la question de la prescription.
Elle juge que les demandes en revendication de la
qualité d’auteur ne sont limitées par aucune
prescription générale.
La Cour de cassation a jugé, à de nombreuses
reprises, que « l'exercice par l'auteur du droit de
propriété intellectuelle qu'il tient de la loi, et qui est
attaché à sa personne en qualité d'auteur, n'est limité
par aucune prescription » (Civ. 1re, 13 nov. 1973, Bull.
I, n° 302 ; Civ. 1re, 17 janv. 1995, Bull. I, n° 39 ; Civ. 1re,
6 mai 1997, n° 95-13913).
Mais la question de la prescription de la revendication
de la qualité même d’auteur ne semble pas avoir fait
l’objet d’une décision si claire jusqu’à présent.
Au passage, la Cour écarte expressément l’application
de la prescription décennale (désormais quinquennale)
des actes mixtes, qui était demandée au motif que la
créance de redevances d’auteur était invoquée par un
non-commerçant contre un commerçant.
La Cour explique ensuite avec un soin particulier l’ordre
dans lequel elle a décidé d’examiner les autres moyens
de l’intimée.
Elle précise ainsi qu’il convient de statuer sur
l’existence ou non d’œuvres de l’esprit, protégées par
le droit d’auteur, avant d’examiner les moyens relatifs à
la titularité de ces œuvres et à la prescription de l’action
en paiement de redevances proportionnelles à leur
exploitation.
Le raisonnement doit être approuvé, ces questions
étant secondes à celle de l’existence de droits d’auteur,
et l’œuvre de pédagogie mérite d’être saluée.
Au fond, la Cour décide que les produits en cause ne
peuvent être considérés comme des œuvres de l’esprit.
Elle s’applique à souligner que leur esthétique a fait
l’objet d’un travail soigneux.
Pour autant, elle juge que ce travail relève de la simple
mise en œuvre du savoir-faire du styliste, sans porter
l’empreinte d’une personnalité.
Supplément au journal
13
Le raisonnement est parfaitement classique.
En l’absence de droits d’auteur, la Cour rejette donc
logiquement toutes les autres demandes.
Retenons que, malgré la tolérance de principe affichée
dans cet arrêt, en présence de nombreux produits
(comme c’est souvent le cas en propriété intellectuelle),
le conseil de l’auteur devra rédiger le dispositif de ses
conclusions avec un soin particulier, sauf à s’exposer à
l’irrecevabilité en cause d’appel des demandes qui n’y
auront pas figuré en première instance et qui risquent
d’être considérées comme nouvelles.
Le formalisme, habituellement protecteur de l’auteur,
ne joue pas, ici, en sa faveur.
L’application favorable de la prescription de son action
en revendication paraît logique, l’auteur n’étant que
rarement informé de l’exploitation de son œuvre.
Reste que son action ne peut prospérer que si, une fois
surmontées les embûches procédurales, il démontre
l’originalité de sa création, ce qui, en matière d’art
appliqué, est souvent délicat.
Olivier MOUSSA
Avocat au Barreau de Lyon
[email protected]
PRINCIPAUX AT TENDUS
« Le jugement relève que les conclusions se réfèrent à de
nombreux produits et décide que l'examen des droits d'auteur se
limitera aux seules prétentions exposées dans le dispositif, qui ne
cite pas le bac roulant.
En soi, cette omission n'implique pas qu'aucune prétention n'était
formée à son propos.
Mais, d'une part, la mission d'expertise proposée par les
demandeurs tendait à examiner la commercialisation "pour
chacun des produits créés ci-dessus" et il était en outre réclamé le
marquage "sur l'ensemble des produits tels que listés ci-dessus",
c'est-à-dire, dans les deux cas, sans tenir compte de ce bac
roulant, aucune demande suffisamment claire et précise n'étant
formée à son propos. »
« (…) les actions en nullité des actes mixtes relèvent de la
prescription décennale prévue par l'article L. 110-4 du code de
commerce si elles ne sont pas soumises à des prescriptions plus
courtes, mais l'exercice par l'auteur d’une action en revendication
de ses droits de propriété intellectuelle n'est limité par aucune
prescription générale.
Il en résulte que MM. M. et C. ne sont pas prescrits dans leur
action tendant à voir constater leur qualité de coauteurs, qui n'a
jamais été reconnue par la société EDA.
La recevabilité de cette revendication ne suppose pas la preuve
préalable de cette qualité, qui est l'objet même du procès.
Les autres moyens d'irrecevabilité (œuvre collective, prescription
de l'action en paiement d'une participation proportionnelle)
supposent l'existence d'œuvres de l'esprit et ne peuvent être
retenus, puisqu'ils exigent que cette qualification soit d'abord
examinée au fond. »
Cour d’appel de Lyon,
1ère Chambre A, 18 avril 2013, n°08/02007
Entreprises en difficulté et droit bancaire
L’articulation délicate des procédures de revendications - restitution
avec la poursuite des contrats en cours
Cour d’appel de Lyon, 3ème Chambre A, 23 mai 2013, n°12/00988
EXPOSÉ DES FAITS
La demande en restitution est réservée aux propriétaires
d’un bien meuble, dispensés de faire reconnaître leur droit
de propriété aux fins d’opposabilité à la procédure
collective, au motif que le contrat portant sur le bien a fait
l’objet d’une publicité. Pour être recevable, la demande en
restitution doit respecter le formalisme prévu par l’article
R. 624-14 du Code de commerce, mais n’a pas à être
initiée dans un délai particulier.
Deux sociétés sont liées par un contrat aux termes duquel
la première loue des véhicules à la seconde. En cours
d’exécution du contrat, la société locataire est placée en
redressement judiciaire, par jugement du 2 juin 2010,
publié au BODACC le 15 juin 2010. Le propriétaire des
véhicules met en demeure le débiteur de se prononcer sur
la poursuite du contrat en cours, conformément à l’article
L. 622-13 du Code de commerce. Le locataire opte pour la
poursuite du contrat de location.
En l’espèce, comme le souligne la Cour, le propriétaire des
véhicules semble avoir confondu les deux procédures.
Après avoir déposé une requête entre les mains du
mandataire judiciaire en acquiescement à restitution, le 11
avril 2011, manifestement fondée sur les articles L. 624-10
et R. 624-14 du Code de commerce, il a, quelques jours
après, le 25 mai 2011, saisi le Juge-Commissaire, par voie
de requête, d’une requête en revendication ou restitution.
Le 6 avril 2011, le redressement judiciaire est converti en
liquidation judiciaire. Le propriétaire, après avoir déposé
entre les mains du mandataire judiciaire, une requête en «
acquiescement à restitution », le 11 avril 2011, saisit le
Juge-Commissaire d’une requête en « revendication ou
restitution » portant sur les véhicules loués. Sa demande
est rejetée par ordonnance du Juge-Commissaire,
confirmée par le Tribunal de Commerce, saisi sur
opposition, au motif que, d’une part, le contrat n’est pas
publié, d’autre part, la requête est tardive.
La Cour n’a pu que relever que le propriétaire, qui louait
plusieurs véhicules au débiteur, ne pouvait justifier d’un
contrat publié et que, dès lors, celui-ci devait se soumettre
à la procédure de revendication et non à la procédure de
restitution.
OBSERVATIONS
Au surplus, sa demande ayant été initiée le 25 mai 2011,
soit plus de trois mois après la publication au BODACC du
jugement d’ouverture de la procédure collective du
locataire, sa demande était nécessairement irrecevable,
comme l’avaient jugé à bon droit les premiers juges. Sur
ce point, la Cour rappelle une jurisprudence constante,
pour écarter le moyen soulevé par le propriétaire du
véhicule : le jugement de conversion du redressement
judiciaire en liquidation judiciaire n’est pas un jugement
d’ouverture, mais le prolongement de la procédure initiale,
de sorte que le délai de revendication courait à compter de
la publication au BODACC du jugement de redressement
judiciaire.
Restitution et revendication ne sont pas synonymes. Si la
demande en revendication emporte, en principe, demande
de restitution, la demande en restitution ne vaut pas
revendication.
Par ailleurs, la poursuite d’un contrat de location en cours
ne vaut pas reconnaissance de l’opposabilité du droit de
propriété du propriétaire et ne permet pas de repousser le
point de départ du délai de revendication.
1. Restitution et revendication : deux procédures
distinctes
Le propriétaire d’un bien meuble, confronté à la procédure
collective du détenteur dudit bien, dispose de deux voies
procédurales pour obtenir la restitution matérielle de son
bien :
Nous serions tentés d’ajouter, au surplus, qu’en toute
hypothèse le propriétaire était d’autant plus irrecevable,
sur le terrain de la revendication, qu’il ne s’est pas soumis
à la procédure prévue par l’article R. 624-13 du Code de
commerce, consistant, en premier lieu, à adresser dans le
délai de trois mois de la publication au BODACC du
jugement d’ouverture, une lettre recommandée avec
demande d’avis de réception au mandataire judiciaire,
puis en second lieu, à défaut d’acquiescement dans le
délai d’un mois à compter de la réception de la demande,
à saisir le Juge-Commissaire par voie de requête, dans un
délai d’un mois.
- D’une part, la demande en revendication fondée sur
l’article L. 624-9 du Code de commerce,
- D’autre part, la demande en restitution fondée sur l’article
L. 624-10 du Code de commerce.
La demande en revendication est ouverte à tout
propriétaire d’un bien meuble. Elle tend à obtenir la
reconnaissance de son droit de propriété aux fins
d’opposabilité à la procédure collective et emporte, de
plein droit, en principe, demande en restitution (R. 624-13
C. com.). Pour être recevable, la demande en
revendication suppose qu’elle soit initiée dans un délai de
trois mois à compter de la publication au BODACC du
jugement d’ouverture de la procédure collective du
détenteur, dans le respect des formes prévues par l’article
R. 624-13 du Code de commerce.
Supplément au journal
2. L’absence d’incidence de la poursuite d’un contrat
en cours sur la demande en revendication
Afin de contrer l’irrecevabilité de ses demandes, le
propriétaire soutenait :
- D’une part, que l’option exercée par le locataire de
poursuivre le contrat en cours, conformément à l’article L.
14
622-13 du Code de commerce emportait reconnaissance
de son droit de propriété,
- D’autre part, que la poursuite du contrat en cours l’avait
placé dans l’impossibilité de formuler sa demande en
revendication.
Sur le premier point, la Cour, à bon droit, rappelle que seule
la demande en revendication permet de faire reconnaître le
droit de propriété du propriétaire, aux fins d’opposabilité à
la procédure collective. Dès lors, la décision de poursuite
d’un contrat en cours, en l’espèce de location, dans le
respect des dispositions de l’article L. 622-13 du Code de
commerce, ne saurait constituer une solution alternative de
nature à faire reconnaître ce droit et, partant, à ouvrir la voie
de la demande en restitution, enfermée dans aucun délai.
Sur le second point, la Cour rejette le moyen soulevé par le
propriétaire rappelant que la finalité de l’action en
revendication n’est pas, en premier lieu, d’obtenir la
restitution du bien meuble, mais de faire reconnaître le droit
de propriété, afin de le rendre opposable à la procédure
collective. Dès lors, le propriétaire ne pouvait soutenir que
la poursuite du contrat en cours conduisait à la
conservation par le locataire des biens meubles et que ce
dernier ne pouvait, dans ce contexte, revendiquer, puisque
la revendication tendait, selon lui, à obtenir la restitution.
Au surplus, si en principe, la demande en revendication
emporte, de plein droit, demande en restitution, l’article L.
624-10-1 du Code de commerce réserve l’hypothèse où le
bien meuble fait l’objet d’un contrat en cours.
Dans cette hypothèse spécifique, le propriétaire doit faire
reconnaître son droit de propriété, conformément à l’article
L. 624-13 du Code de commerce. La demande en
revendication emporte demande de restitution, mais l’article
L. 624-10-1 du Code de commerce précise que la
restitution effective interviendra au jour de la résiliation ou
du terme du contrat.
rendant impossible la revendication dans les délais légaux.
L’occasion est ici donnée de rappeler que contrairement à
la commune opinion, l’action en revendication ne tend pas
à obtenir la restitution du bien meuble, mais tend à rendre
opposable à la procédure collective les droits du
propriétaire.
Faute de revendication dans les délais, la Cour précise à
juste titre que le droit de propriété est devenu inopposable,
comme le droit de créance d’un créancier qui n’a pas
déclaré valablement dans les délais sa créance au passif et
que, partant, les biens meubles sont devenus le gage
commun des créanciers, sans que le propriétaire ne puisse
prétendre au moindre droit particulier.
La sanction de l’absence de revendication n’est donc pas la
perte du droit de propriété, mais l’inopposabilité de ce droit
à la procédure collective.
Charles Croze
Avocat au barreau de Lyon
[email protected]
PRINCIP AUX ATTE NDUS
« Attendu que l’article L. 624-9 du Code de commerce dans sa
rédaction issue de l’ordonnance du 18 décembre 2008 seule
applicable à l’espèce, dispose que la revendication des meubles
ne peut être exercée que dans le délai de trois mois suivant la
publication du jugement ouvrant la procédure, alors que l’article L.
624-10-1 du Code de commerce prévoit que lorsque le droit à
restitution a été reconnu dans les conditions prévues aux articles
L. 624-9 et L. 624-10 et que le bien fait l’objet d’un contrat en cours
au jour de l’ouverture de la procédure, la restitution effective
intervient au jour de la résiliation ou du terme du contrat. ».
Cour d’appel de Lyon, 3ème Chambre A,
23 mai 2013, n°12/00988
La poursuite du contrat en cours n’est donc pas un obstacle
Du pouvoir du juge-commissaire en cas de contestation d’une
créance déclarée
Cour d’appel de Lyon, 3ème Chambre A, 4 avril 2013, R.G. 11/07930
EXPOSE DES FAITS
Une société a fait l’objet d’un redressement judiciaire. Sa
banque a déclaré sa créance, correspondant à un
découvert en compte courant et à un prêt. Dans le cadre de
la vérification des créances sous l’égide du mandataire
judiciaire, le débiteur a contesté la créance de la banque en
invoquant l’irrégularité du taux effectif global (TEG). Par
ordonnance, le juge-commissaire a dit que la clause
d’intérêt conventionnel entre dans les champs de ses
pouvoirs juridictionnels et a fixé la créance. Le débiteur a
formé appel, au motif notamment que la banque ne l’a pas
informé sur le TEG pratiqué sur l’ouverture du compte
courant et que des frais n’avaient pas été compris, rendant
le TEG affiché erroné.
Dans le cadre de la mise en état, le conseiller a enjoint aux
parties d’avoir à conclure sur l’article L.624-2 du code de
commerce et sur les limites du pouvoir juridictionnel du
juge-commissaire à cet égard. La question portait donc très
précisément sur ce point : le juge-commissaire est-il
compétent, à l’occasion de sa mission relative à l’admission
Supplément au journal
15
des créances, pour statuer sur la régularité d’un TEG ? A
défaut, doit-il surseoir à statuer et laisser le juge « naturel »
trancher le litige ? Infirmant l’ordonnance déférée, la Cour
d’appel de Lyon a sursis à statuer jusqu’à la décision
définitive sur le montant des créances par le juge du fond.
OBSERVATIONS
Cet arrêt, dont la solution n’est pas nouvelle mais
manifestement mal connue, est d’une grande importance
pratique, tant pour les magistrats consulaires que pour les
parties. Un autre arrêt rendu quelques semaines plus tard
(CA Lyon, 3 ch. A, 30 mai 2013, RG : 12/02894) sur le
même sujet montre qu’au-delà de la solution, la ligne de
partage entre ce qui relève du juge commissaire et ce que
n’en relève pas n’est pas toujours facile à distinguer.
1. Rappel de la mission du juge-commissaire
L’article L 624-2 du code de commerce dispose : « Au vu
des propositions du mandataire judiciaire, le juge-
commissaire décide de l’admission ou du rejet des créances
ou constate soit qu’une instance est en cours, soit que la
contestation ne relève pas de sa compétence ».
Selon une jurisprudence constante, à l’exception des
créances salariales, le juge-commissaire est seul compétent
pour statuer sur la déclaration de créance. Toutefois, cela ne
doit pas occulter le fait que si, en définitive, le jugecommissaire fixe la créance, ce n’est pas lui qui tranchera le
fond du litige. En d’autres termes, le juge-commissaire
déterminera le quantum de la créance. Mais, il n’aura pas
pouvoir de se livrer à un examen de fond du droit lorsque le
différend lui paraîtra relever d’une autre instance
juridictionnelle plus ou moins spécialisée.
Toute la question est de savoir où commence son pouvoir et
où il s’arrête lorsque la créance est contestée.
2. La solution de la Cour
Après avoir rappelé l’article L. 624-2 du code de commerce,
la Cour d’appel indique avec raison que « la procédure de
vérification et d’admission des créances ne tend qu’à la
détermination de l’existence, du montant et de la nature de
la créance. Ainsi, le juge-commissaire est dépourvu du
pouvoir juridictionnel pour connaître du fond de la créance ».
En l’espèce, la Cour s’explique : la détermination du
montant des créances de la banque nécessite que soit,
préalablement, tranchée la question litigieuse de la
régularité du TEG appliquée sur le compte courant et le prêt.
Pour la Cour, cette question excède donc le pouvoir
juridictionnel du juge-commissaire, et, par là-même, celui de
la Cour saisie du recours afférent.
Dans une sorte d’obiter dictum, la Cour apporte un éclairage
procédural utile pour les praticiens : « le fait que la demande
excède les pouvoirs du juge-commissaire constitue une fin
de non recevoir qui doit être relevée même d’office, y
compris en cause d’appel ». Cela justifie un sursis à statuer
dans l’attente de la solution au fond.
détermination de la validité de la cause de la créance (ex.
redevance d’un brevet, d’une marque qui requiert
d’apprécier l’existence du brevet…), fixation d’un
mécanisme procédural pour déterminer la créance (ex.
renvoi à l’arbitrage).
Lorsque le juge-commissaire ne sera pas compétent, il ne
suffira pas de soulever cette incompétence et demander un
sursis à statuer. Encore faudra-t-il saisir la juridiction
compétente. A défaut, la contestation ne sera pas fondée
car l’objet du sursis manquera. Dans les affaires visées, la
Cour a pu ordonner un sursis à statuer dans l’attente
d’instances à engager. A priori, le délai pour ce faire est celui
de la prescription, en l’absence d’autres impératifs. Il serait
bon de fixer un délai limite car il est opportun que le débiteur
(et le tribunal) soit fixé sur son passif dans la perspective
d’un éventuel redressement. Si l’action n’était pas engagée
dans ce délai, le sursis tomberait. De plus, la fixation rapide
du passif est importante pour que soient calculées
précisément les sommes qui devront être réglées dans le
cadre du plan.
L’obstacle majeur est souvent l’absence de fonds des
mandataires, mais dans ce cas, l’intérêt est moindre dans la
mesure où, de toute façon, le créancier risque de ne rien
percevoir, ou si peu.
Quoi qu’il en soit, il sera rappelé que si la déclaration de
créance est une condition pour participer au règlement du
passif, sa contestation devra être faite devant le mandataire,
puis le juge commissaire le cas échant à peine
d’irrecevabilité. Si le juge-commissaire aura le dernier mot
pour le quantum, il devra néanmoins se déclarer
incompétent et surseoir à statuer quand une question de
droit devra préalablement être réglée.
Bertrand de BELVAL
Avocat au barreau de Lyon
Selarl Colbert
[email protected]
Dans l’autre arrêt précité, la Cour d’appel de Lyon a repris la
même argumentation et formulation.
PRINCIPAUX AT TENDUS
3. Conseils pratiques
« La procédure de vérification et d’admission des créances ne
tend qu’à la détermination de l’existence, du montant et de la
nature de la créance.
La contestation de créance ne concerne en principe que le
débiteur. Ce sera par conséquent à lui d’engager, le cas
échéant, un contentieux au fond si le problème soulevé
apparait au-delà de la mission du juge-commissaire. Le
créancier peut aussi avoir intérêt à saisir la juridiction de
fond pour éviter des délais, s’il a, par exemple, besoin de
voir fixer des préjudices (impliquant de prendre position sur
des responsabilités), déterminer des droits patrimoniaux
(loyers, redevances)…
« Ainsi, le juge commissaire est dépourvu de pouvoir juridictionnel
pour connaitre du fond de la créance
« La détermination du montant de la créance [de la banque ]
nécessite que soit, préalablement tranchée, la question litigieuse
de la régularité du TEG… »
Cour d’appel de Lyon, 3ème Chambre A,
4 avril 2013, R.G. 11/07930
Pour déterminer la ligne de partage entre ce qui dépend du
pouvoir du juge-commissaire ou non, il convient de se
demander si la détermination du montant de la créance
implique ou non un examen du fond de cette créance :
interprétation d’un contrat, examen de la régularité de la
créance au regard de textes impératifs (ex. le TEG),
Contenu rédactionnel élaboré en partenariat avec l’Ordre des Avocats
du Barreau de Lyon
Sous la responsabilité de Maître Jean-Philippe KAPP,
Avocat au Barreau de Lyon.
Supplément au journal
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