Focus sur le Jeans par le magazine VD

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Focus sur le Jeans par le magazine VD
Focus sur le Jeans par le magazine VD
20/10/2013
Par jeans, nous entendons la réunion du fond et de la forme. Le fond est un sergé de coton tissé d'un fil teinté
et d'un fil clair non teinté : le denim. La forme, pour les puristes, est un pantalon surpiqué, à 5 poches, doté
d'une ceinture à passants, de renforts aux points de pression souvent matérialisés par des rivets, une braguette
zippée ou boutonnée.
Le denim, étoffe de grande résistance, est utilisé depuis des siècles dans la confection de vêtements solides.
Courant XIXème aux Etats-Unis, cette étoffe est utilisée pour la confection de tenues pour les travailleurs des
champs - notamment les esclaves - pour les mineurs, les charretiers, les dockers. Fin XIXème, la révolution
industrielle engendre une classe ouvrière importante : les fabricants de vêtements de travail se multiplient et
proposent des ‘overalls', littéralement ‘vêtements de dessus' portés pour protéger ses habits personnels. Les
‘bib overalls' sont des salopettes, et les ‘waist overalls' de larges pantalons droits à martingale en denim ou en
jean, de tons bruns ou bleus.
Ce sont ces pantalons que Jacob Davis, tailleur, aura l'idée de renforcer aux poches et à l'entrejambe grâce à
des rivets. Le brevet protégeant cette invention sera financé par Levi Strauss, son fournisseur de tissus.
De l'utilitaire au symbole
La recherche identitaire d'une Amérique moderne naissante permet l'émergence évidente du mythe de l'Ouest,
et de son incarnation, le cow-boy. L'overalls Levi's ou Lee fait également partie de sa panoplie, habillant le
courage, la morale, l'indépendance qui l'habite. Littérature et cinéma érigent le cow-boy en emblème, si bien
que dans les années 20 et 30, c'est une classe moyenne américaine qui désire un peu de ce mythe, au travers
du jeans, qui l'adopte dans leurs
loisirs, leurs travaux d'intérieurs ou ménagers, à la chasse, à la pêche.
De vêtement de travailleurs de force, puis vêtement de travail post-industriel de la classe ouvrière, le jeans
devient habit de détente bon chic bon genre. Il reste traditionnel droit, ou bootcut plus confortable avec les
bottes, mais se féminise volontiers, avec une fermeture éclair sur le côté.
Les enfants de cette classe moyenne des années 40, portant ces solides pantalons pendant leurs jeux,
deviennent les adolescents des années 50. Dans un climat post-conflit délétère, de guerre froide et de
maccarthysme, un fossé culturel se creuse entre les adolescents et leurs ainés. Nouvelles musiques, nouveaux
langages, nouveaux symboles, notamment vestimentaires. Ceux qui ne veulent pas devenir ces adultes, ne pas
‘grandir' dans ces conditions, gardent le jeans de leurs jeux et portent le denim comme une rébellion, celle
des rockers.
Telle une parabole, le jeans est comme le rock une fusion du rythm'n'blues et du country. C'est également
l'époque de la fronde des bikers, la plupart démobilisés, et révoltés contre les ‘ planqués' de l'establishment.
Vêtus de Levi's et de blousons de cuir, ils contribueront à imprimer le mot ‘révolte' sur le désormais
emblématique denim.Parallèlement, et c'est là toute sa singularité, le jeans reste le vêtement de détente bon
genre de l'Amérique bon ton...
A chacun son denim
Le jeans s'européanise. Outre atlantique, les cousins britanniques des hipsters, les modernists, apparaissent à
la fin des années 50. Rivaux par essence des rockers, les mods portent pourtant également des jeans. Soul
contre rock, Vespa contre Harley, raie sur le côté contre banane, amphét',contre alcool, mais unis dans le
denim.
Les coupes de jeans mods recherchent l'élégance, volontiers slim, des coupes cigarettes / drainpipes, des
teintes blanches, des sta-prest, mais aussi des 501 comme leurs ennemis gominés.
Au cours des années 60, le jeans s'intellectualise. La rigidité des valeurs traditionnelles du début du siècle,
mais aussi celle plus récente du communautarisme des années 50 laisse place à un désir de profiter de la vie,
simplement, sans préjugés.
Au travers de la beat generation, des expressionnistes abstraits ou des scènes folks ou jazzies, les jeans
gagnent un galon artistique, tout en retrouvant leurs racines empreintes de prolétariat. De Pollock à Dylan, de
Kerouac à Picasso, l'anti conformisme revêt quasi exclusivement Levi's ou Lee à large revers. Avec le
mouvement hippie des années 60 et 70, le jeans entre clairement dans une période foisonnante
d'expérimentations. Plus qu'une évolution, c'est une rupture, notamment avec la société de consommation. La
tendance au DIY (Do-It-Yourself) engendre une créativité sans bornes. La jambe s'élargit, la taille se
réhausse ou s'abaisse, le tour de cuisses et de hanche se rétrécit, les accessoires, les poches se multiplient.
Quasiment toutes les coupes contemporaines sont expérimentées à cette époque.
Le matériau d'expression des mouvements socio-culturels
Le jeans devient un matériau que l'on rapièce, brode, peint, teint, effiloche à son gré, dans un élan de rejet du
matérialisme.
La fameuse patte d'éph. est mythique, inspirée de l'Orient. Les hippies qualifient les autres de ‘straight' en
référence à leur mentalité : du ‘straight' au ‘flare', aussi, pour leurs jeans...
Là où le hippie rapièce, pastellise, le punk déchire, violente, profane volontairement le symbole, accessoirise,
pour provoquer, à l'aide d'épingles, de clous. C'est le denim destroy. Il donne également naissance au jeans
skinny.
L'engouement pour les pantalons très étroits est accentué par la généralisation des fibres élastiques. Le denim
skinny stretch est adopté par la scène hard rock et métal dans les années 80 et 90, puis sporadiquement dans
le mouvement electro.
Le jeans devient encore plus sexy lorsque Guess propose notamment dans les années 80 un modèle capri ultra
moulant : le ‘3 zip Marylin'.
Mode et musique contribuent une fois de plus à populariser un modèle de jeans, le baggy, coupe droite et
ample comme aux premières heures du denim, mais taille et fourche basses, poches arrières
surdimensionnées. Les rappeurs les portent low-set, fin 90, à la manière des bagnards que l'on a privé de
ceinture. Le besoin d'aisance purement pratique des skaters, destinataires initiaux de ce type de coupes, se
transforme ici en posture plus militante et provocatrice.
L'heure des créateurs
Les années hippies permettent l'émergence d'un véritable jeans de mode : jusqu'alors, il est resté
conventionnel dans son maintien malgré son appropriation par les rockers. Dès lors, on ose bousculer le
symbole, le transformer, le libérer. Durant ces années de foisonnement créatif, Marithé et François Girbaud
contribuent de manière inégalée à l'évolution de ce pantalon par des innovations fonctionnelles et des
procédés de transformation qui permettent aux couturiers de disposer d'outils de création qu'ils mettent en
œuvre dans les années 80.
Auparavant, le denim est employé sans référence aux jeans, mais comme un tissu inédit dans le monde du
luxe, qui pourrait bousculer le conformisme bourgeois et attirer un public plus jeune. C'est en tout cas ainsi
que l'envisage Yves Saint-Laurent en 1970, en proposant jupes et tailleurs confectionnés dans ce matériau
bon marché. Le même esprit anime JP Gaultier quelques années plus tard lorsqu'il propose son blouson
imitation jean en plastique. En 1984, Karl Lagerfeld décline le tailleur Chanel en denim. En 1986, Chantal
Thomass marie le jean avec le vison dans un manteau réversible, et Azzedine Alaïa dompte la rugosité de la
toile par des zips opportuns sur ses robes et blousons en denim.
La première véritable incursion des créateurs est celle de Calvin Klein en 1978 qui propose une ligne de jeans
lancée par une campagne publicitaire bien connue incarnée par Brooke Shields. Mais la démarche n'est pas
véritablement créative, Calvin Klein apposant simplement sa griffe à un design vieux d'un siècle, comme un
geste d'anoblissement par lettres.
Gloria Vanderbilt élève encore plus le sujet un an plus tard. Les créateurs italiens proposeront ensuite des
collections de jeans, en 1981 pour Armani, 1984 pour Valentino, 1986 pour Moschino ou 1991 pour Versace.
Pas une maison de couture n'omet aujourd'hui d'introduire dans sa collection un zeste de denim, souvent
associé à des matières plus prestigieuses, comme la soie, le lin ou le cuir, pour accompagner le bad boy du
textile.
Kenzo lance une ligne de jeans en 1986, dominée par les motifs floraux. Des créations similaires
réapparaissent en 2013 : le jeans se pare de toutes les couleurs de la palette, fleurit, se bigarre, ou s'animalise
au gré des imprimés. En matière de denim plus que dans d'autres, le rôle avant-gardiste des maisons de
couture est largement disputé par les labels de prêt-à-porter. Bien malin qui pourrait revendiquer la coupe
tapered, fuselée mais loose aux cuisses et aux hanches, volontiers dotée de fourches basses, qui semble être
l'avenir immédiat du jeans, mais n'a pas encore trouvé la tribu qui pourrait le représenter symboliquement.
Chargé de symboles, le jeans conquiert aujourd'hui d'autres univers que le vestimentaire, habillant de sa toile,
ou colorant de son indigo, mobiliers, cosmétiques (OPI), horlogerie (Hublot) et bien d'autres accessoires de
mode dans un élan créatif sans borne.
Jérome Vallet
http://www.jeansdenim.fr
http://blog.jeansdenim.fr
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