Grossesse et accouchement après chirurgie du prolapsus et de l
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Grossesse et accouchement après chirurgie du prolapsus et de l
m i s e a u p o i n t Grossesse et accouchement après chirurgie du prolapsus et de l’incontinence urinaire ! B. Fatton* L a littérature internationale est assez confidentielle sur un sujet pourtant d’actualité : le développement des techniques chirurgicales minimally invasives, la banalisation sociale des concepts d’incontinence et de troubles de la statique pelvienne, la prise en compte essentielle des paramètres de qualité de vie, expliquent des demandes de prise en charge émanant de femmes de plus en plus jeunes chez qui se posent bien sûr les questions de la sexualité postopératoire mais aussi celles du respect de la fonction de procréation et du pronostic obstétrical. Tableau I. Fréquence de l’incontinence urinaire chez les nullipares. Auteurs Population d’étude Étudiantes nullipares Méthodologie Beck (1965) (3) Préménopause Questionnaire 1 000 313 Scott (1969) (38) Étudiantes nullipares Questionnaire anonyme 356 144 Wolin (1969) (44) Grosse (1989) (18) Nullipares Multicentrique Questionnaire Questionnaire anonyme Questionnaire anonyme 4 211 Crist (1972) (6) Étudiantes nullipares Nullipares Sengler (1995) (39) Nullipares 2 questionnaires 195 Némir (1954) (30) Questionnaire anonyme Nb total Nb cas IUE de cas 1 327 695 695 215 409 260 toutes IU % IUE chez nullipares* 52,4 % occasionnelles : 95 % fréquentes : 5% 4,3 %/13,7 % 40,4 % occasionnelles : 98 % fréquentes : 2 % 16,2 % IUE journalière 34,5 % IUE occasionnelle 31 % 53,6 % occasionnelles : 97,3 % fréquentes : 2,7 % 120 IUE pure 29 %/46 % ? 12,8 %/? * Lorsque les résultats mentionnent 2 pourcentages, le 1er chiffre correspond à la fréquence par rapport à la population totale de l’étude et le second chiffre exprime la fréquence par rapport au seul groupe des incontinentes. * Unité d’urogynécologie, maternité, Hôtel-Dieu, CHU Clermont-Ferrand. e-mail : [email protected] 36 PROLAPSUS ET INCONTINENCE DE LA FEMME JEUNE : UNE FRÉQUENCE NON NÉGLIGEABLE ET QUELQUES PARTICULARITÉS PHYSIOPATHOLOGIQUES ! Si l’incontinence urinaire et le prolapsus génital restent l’apanage de la femme après la ménopause, il ne faut pas sous-estimer la fréquence et encore moins négliger l’impact de telles pathologies chez la femme jeune. L’attitude longtemps admise dans la communauté médicale d’attendre “l’âge de raison” de la chirurgie, c’est-à-dire après avoir renoncé à tout autre désir de grossesse, est aujourd’hui totalement obsolète : l’influence néfaste de ces troubles fonctionnels tant au plan personnel (dépréciation de soi, altération de l’image féminine), au plan du couple (retentissement sexuel, renoncement à la maternité) qu’au niveau social (handicap professionnel, repli sur soi) ont induit des écoutes plus attentives, des solutions plus adaptées, voire plus agressives quand elles sont justifiées. Prolapsus et incontinence urinaire existent chez la nullipare : de nombreuses études épidémiologiques étayent cette affirmation. Cette constatation n’est d’ailleurs pas récente puisque plusieurs de ces travaux sont vieux de quelques décennies. Nous avons colligé dans le tableau I le taux d’incontinence urinaire chez la nullipare selon les auteurs. Conséquence directe d’une faiblesse du support fibromusculaire pelvien, le prolapsus génital reste bien sûr, l’apanage des femmes ayant accouché (13), chez qui il serait retrouvé, à des degrés variés, dans 50 % des cas ; cependant, seulement 10 à 20 % d’entre elles seraient symptomatiques (41). Néanmoins, l’existence de prolapsus documentés chez la nullipare suggère des prédispositions constitutionnelles dépendantes notamment de la qualité du soutien conjonctif. Plusieurs auteurs ont pu mon- Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 3, vol. I - 3e-4e trimestres 2001 trer des relations entre hyperlaxité ligamentaire (32), pathologie herniaire ou encore certaines maladies telles que le syndrome de Marfan ou la maladie d’Ehlers-Danlos (28) et le prolapsus génital. De même, il a été identifié des anomalies à la fois dans la structure et dans la répartition du collagène chez les femmes incontinentes et/ou porteuses d’un prolapsus (20). L’existence de prolapsus congénitaux (dont l’association est fréquente avec le spina bifida : 82 à 86 % [14] ) est un argument supplémentaire pour le rôle essentiel de la qualité du conjonctif : depuis 1723, date à laquelle Conovius rapporte le premier cas de prolapsus génital chez un nouveau-né, la littérature s’est enrichie de nombreuses observations (25) et la fréquence estimée du prolapsus utérin chez l’enfant et la nullipare varie, d’après Findley (14) de 3,45 à 13,15 % de l’ensemble des prolapsus. Pour Nichols (31), 2 % des prolapsus surviennent chez des nullipares avec un rôle aggravant du “style de vie” (efforts physiques professionnels ou domestiques, efforts de poussée répétés ou violents). Tableau II. Les interventions par voie vaginale. Auteurs Williams (1966) (43) Chaudhuri (1979) (5) Chaudhuri (1979) (5) Chaudhuri (1979) (5) Kovac (1993) (24) Jacquetin (1996) (21) Interventions nb cas Désir de Nombre de grossesses grossesse à terme avort. ? 6 1 Plicature US en AR + cardinaux en AV Manchester 19 42 21 3 4 Vaginal sling 6 3 2 0 colporraphie simple sacrospinofix. 10 7 3 17 ? sacrospinofix. 36 ? 6 (5 parturientes) 3 % accouchements VB 0 0 6/6 (100 %) 1/3 33,3 % 2/2 100 % 2/3 66,6 % 6/6 100 % 3/3 100 % Tableau III. Les interventions par voie abdominale. Auteurs Nassar (1966) (29) Intervention Fronde aponévrot. (oblique ext.) Durfee (1966) (11) Suspension prothétique à la paroi (dacron) Dastur (1967) (9) Ant. Shirodkar sling (oblique int.) Post. Shirodkar sling (oblique int.) Chaudhuri (1979) (5) Abdominal sling Joshi (1993) (23) Uterine suspension to pectineal ligaments nb cas 11 Désir gross. ? Nb de grossesse à terme avort. 2 1 28 ? 5 ? 9 (7 parturientes) 2 82 ? 26 46 20 30 9 17 5 + 2 en cours Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 3, vol. I - 3e-4e trimestres 2001 % acc VB 1/2 4/9 0 26 2 15/17 0 5/5 PRISE EN CHARGE DU PROLAPSUS CHEZ LA FEMME JEUNE : DES OBJECTIFS PRÉCIS ! Le traitement du prolapsus chez la femme jeune se doit de répondre à un double objectif : une obligation de résultats et la préservation de la fonction de procréation qui reste la priorité. Si l’on exclue l’abstention totale pour les raisons exprimées plus haut et le recours à un pessaire peu accessible à une utilisation à long terme (25), la chirurgie reste la solution de choix chez la femme jeune. Les résultats devront s’exprimer à la fois en termes de résultats anatomiques mais aussi en pourcentage de fertilité et en taux de grossesses menées à terme. Les tableaux II, III et IV rapportent les résultats disponibles dans la littérature en précisant que peu d’études disposent de données complètes ne précisant pas toujours notamment le taux de stérilisation tubaire associée et ne faisant pas de distinction entre les femmes “potentiellement” fertiles et celles ayant véritablement un désir d’enfant. Malgré ces insuffisances et pour permettre au lecteur une comparaison rapide entre les différentes techniques en termes de fertilité et de pronostic obstétrical, nous avons défini un taux de fertilité – nombre de femmes gravides/nombre de femmes avec un désir d’enfant –, lequel pourcentage a parfois dû être extrapolé en raison d’informations partielles et nous avons alors retenu le rapport nombre de femmes gravides/nombre de patientes en âge de procréer. Nous avons aussi relevé le pourcentage d’accouchement par les voies naturelles – nombre d’accouchements par voie vaginale/nombre de grossesses à terme –, en précisant, en cas de césarienne, si cette dernière est imputable à une cause obstétricale ou imposée par la chirurgie du prolapsus. Si les paramètres, quelque peu arbitraires, que nous avons retenus peuvent tout à fait prêter à discussion (biais méthodologiques certains !), ils ont le mérite d’essayer de rendre compte de la fiabilité des interventions, des conséquences qu’elles induisent au plan gynécologique et obstétrical. Il est évident cependant que seuls des travaux prospectifs et randomisés pourraient se prévaloir d’une quelconque rigueur scientifique et de conclusions véritablement établies ! La classique technique de Manchester, décrite par Donald (10), réalise une plicature des utérosacrés et des cardinaux associée à une amputa- 37 m i s e a u tion partielle du col utérin. Cependant cette technique est controversée, à l’origine pour beaucoup d’une diminution de la fertilité (10 à 20 % de grossesse seulement pour Fischer (15)) et expose à un taux d’avortement et de prématurité majoré et à un risque accru de dystocie (20 à 55 % de césarienne [22]). L’étude rétrospective de Fischer (15), en 1951, apporte un argument fort contre l’amputation du col chez la femme jeune. Sur une série de 7 femmes évaluées avant et après l’amputation du col, le nombre total de grossesses obtenues est de 23 avant contre 14 après avec un taux de grossesses menées à terme qui passe respectivement de 91 % à 21,5 % ; ces chiffres sont préoccupants même si le biais dû au facteur âge est évident et majore probablement l’effet néfaste de l’amputation. Tableau IV. Fertilité et mode d’accouchement selon les techniques. Auteurs Chir. VH ou VB Nb cas désir grossesse % fertilité Nassar (1966) (29) VH ? suivi : 11 cas Durfee (1966) (11) VH ? suivi : 28 cas mais extrapolé 3/11 27,3 % extrapolé 7/18 38,8 % Williams (1966) (43) VB Dastur (1967) (9) VH Chaudhuri (1979) (5) Chaudhuri (1979) (5) VB Manschester VH abdom. sling Chaudhuri VB (1979) (5) vag. sling Chaudhuri VB (1979) (5) colporraphie Kovac VB (1993) (24) Joshi (23) (1993) VH 10 › à 37 ans nb retenu : 18 ? 16 patientes suivies ? 100 patientes suivies 21 30 3 7 ? suivi : 17 9 Accouchement Césarienne Cause Cause obstét. chir. prolapsus 1 1 Ut. bicorne P. transverse ? ? mais 3 césariennes 4 prophylact. POUR 1 a accouché colposuspension 2 fois associée 5 césariennes (1 patiente a eu 2 césariennes) 6 Voies naturelles extrapolé 6/16 37,5 % extrapolé 28/100 28 % 7/21 33,3 % 20/30 66,6 % 2/3 66,6 % 3/7 42,8 % extrapolé 4/17 23,5 % 1 gravide en pré-op. 7/9 77,7 % % accoucht VB 1/2 50 % 4/9 44,4 % 6/6 100 % 26 (sling post.) 2 (après sling ant.) 1 2 Sling post. : 100% Sling ant. : 0% 1/3 33,3 % 15/17 88 % 1 ATCD cure d’IUE 2/2 100 % 2/3 66,6 % 6/6 100 % 15 2 (1 placenta praevia 1 toxémie) 2 2 6 (5 accouchées) 5 5/5 100 % Les chiffres en italique sont extrapolés et donc entachés d’une marge d’erreur en défaveur de la technique puisque le nombre de patientes suivies ne reflète pas le nombre de femmes désireuses de grossesse, a priori moins important. 38 p o i n t Outre l’effet délétère de l’intervention de Manchester sur la fertilité, on lui reproche aussi le pourcentage non négligeable de récidives de prolapsus et l’apparition secondaire d’élytrocèles, ce qui a conduit nombre de chirurgiens à proposer des modifications au procédé originel. Shirodkar (40) respecte le col utérin et réalise une plicature et un raccourcissement des utérosacrés en avant mais ne dispose d’aucun résultat à distance (36). Williams préserve aussi le col utérin et choisit une plicature des cardinaux en avant et des utérosacrés en arrière. O’Leary (33), pour prévenir les risques de récurrence, préconise l’excision du sac péritonéal et l’exclusion haute du Douglas. Plus récemment Richardson (36) puis Kovac et Cruikshank (24) ont proposé la sacrospinofixation utérine dont nous nous sommes faits les avocats (21) : à condition de ne réaliser qu’une fixation unilatérale (afin d’éviter des phénomènes de constipation et des difficultés d’exonération postopératoires), il s’agit d’une intervention fiable, respectant la fertilité et autorisant l’accouchement par voie vaginale. Une variante à la technique originelle qui réalise la fixation non plus directement au niveau de l’insertion des utéro-sacrés mais par l’intermédiaire d’une bandelette de vagin postérieur, préserve, dans notre expérience, des risques de dyspareunies postopératoires ce qui est essentiel chez la femme jeune. Les tableaux II et IV rapportent les résultats des différentes techniques par voie vaginale dont nous disposons dans la littérature. Si les suspensions à la paroi abdominale antérieure (5, 11, 29) ont eu leur succès, on sait aujourd’hui que la modification de l’axe vaginal qui en résulte expose, avec une grande fréquence, à l’entérocèle secondaire. Des variantes à ces techniques, dont certaines prennent en compte ces constatations en y associant notamment des exclusions du Douglas, sont actuellement réalisées par voie cœlioscopique mais n’ont pas, à notre connaissance, fait l’objet de publication en termes de pronostic obstétrical. Plus classique, la sacrocolpopexie reste actuellement la technique de référence par voie abdominale. Par laparotomie ou par abord cœlioscopique, elle garde encore la préférence de beaucoup chez la femme jeune. La fixation, qu’elle se fasse au niveau de la concavité sacrée ou plus habituellement au niveau du Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 3, vol. I - 3e-4e trimestres 2001 promontoire, a montré toute sa fiabilité. De nombreuses publications font état de séries assez conséquentes évaluées sur le long terme mais si l’on dispose de données assez étayées sur la sexualité postopératoire, peu de travaux, en fait, rapportent la survenue de grossesses et leurs conséquences sur le montage chirurgical. Ceci se vérifie tout à fait pour la promontofixation selon Scali (37), qui reste pour beaucoup le gold standard de la chirurgie du prolapsus chez la femme jeune et pour laquelle on dispose de peu d’informations sur la grossesse et le postpartum. Aboulghar (1), qui réalise une fixation sacrée, rapporte une grossesse sur une série de 14 patientes. Shirodkar (40) et Dastur (9) utiliTableau V. Récidive de prolapsus chez la femme jeune selon les techniques chirurgicales. Auteurs Chirurgie Williams Manchester (1966) (43) Modifié Durfee (1966) (11) Nb cas âge 19 ‹ 37 ans Recul (an) % global Réinterv. Type récidive Nb (parfois associées) accouchées récidive 3/19 ? mais récidive à 15,8 % 3, 4, 6 mois 3/19 R U V ? ? 3 ? 28 18 ‹ 37 ans ? ? Nassar Fascial sling (1966) (29) (oblique ext.) 11 ‹ 31 ans ‹1 0 Dastur (1967) (9) Shirodkar post-sling 82 ‹ 40 ans ›6m 6m- 4a 5/82 6% 1 Chaudhuri (1979) (5) Manchester 42 ‹ 35 ans 1-12 14/42 33,3 % Chaudhuri (1979) (5) Abdominal sling 46 ‹ 35 ans 1-12 Chaudhuri (1979) (5) Vaginal sling 6 ‹ 35 ans Chaudhuri colporraphie (1979) (5) Dacron suspension (ligts ronds) C 6 0 7 9 naissances 0 2 0 recul 1 1/2-10 ans 4 1 0 4/42 9,5 % 10 6 4 2 3/46 6,5 % 1/46 2% 1 2 1 1 20 2 rectocèles modérées 1-12 1/6 16,6 % ? 1 1 0 0 2 1 10 ‹ 35 ans 1-12 ? ? 2 1 1 0 3 ? Richardson SSF utérine (1989) (36) 5 ‹ 31 ans 6m-2 0 0 0 Kovac SSF utérine (1993) (24) 17 ‹ 37 ans 3,1 3/17 17,6 % 2 5 2/5 : 40 % 1 réintervention 0 5 0 Joshi 20 6-30 mois Suspension (1993) (23) pectineal lig. moy 27,5 ans Jacquetin (1996) (21) PF utérine 8 ‹ 40 ans 2 1/2-8ans 0 Jacquetin (1996) (21) SSF utérine 36 ‹ 40 ans 1-5 a 4/36 11 % 0 Récidive post-partum 1 0 1 2 0 C = cystocèle, R = rectocèle, H = hystérocèle, V = prolapsus fond vaginal, lig = ligament, SSF = sacrospinofixation, PF = promontofixation, A = an, m = mois. Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 3, vol. I - 3e-4e trimestres 2001 sent une fronde autologue (fascia lata) ou prothétique (nylon) fixée au niveau de la 5e vertèbre lombaire. Les résultats de ces interventions par voie haute sur la gravidité et les conséquences obstétricales sont colligés dans les tableaux III et IV. Même si les approximations que nous avons dû consentir à l’analyse des différents travaux dont nous disposons introduisent inévitablement une marge d’erreur, nous avons essayé, sur les bases du tableau IV, de comparer interventions par voie vaginale et interventions par voie haute en termes de fertilité et de conséquences obstétricales. L’effectif global voie haute (VH) est de 168 femmes, contre 64 dans le groupe voie basse (VB), ce qui induit un autre biais. De façon mathématique, on obtient donc un pourcentage de fertilité de 38,7 % (65/168) dans le groupe VH pour 34,3 % (22/64) dans le groupe VB. Par un raisonnement équivalent, on arrive à un taux d’accouchement par voie vaginale de 83,6 % (51/61) dans le groupe VH contre 85 % (17/20) dans le groupe VB. En gardant un esprit critique sur ces conclusions, force est d’admettre qu’elles ébranlent un peu certains de nos dogmes passés : – le respect de la fertilité n’est pas le seul fait des interventions par voie haute ; les efforts consentis par les “vaginalistes” pour faire évoluer une chirurgie trop longtemps considérée comme palliative ou à réserver à la femme âgée ont été suivis d’effets ; – le recours à l’accouchement par voie vaginale est tout à fait possible après certaines interventions par voie haute. Néanmoins, la philosophie de l’accouchement “voie vaginale à tout prix” doit bien sûr être tempérée par les risques de récidive en post-partum. Il semble que la fiabilité plaide davantage pour les interventions par voie haute même si les causes d’échec sont multifactorielles (effet grossesse, recours à l’extraction instrumentale, causes associées…). Il importe aussi de mentionner que les résultats anatomiques dont nous avons fait une synthèse dans le tableau V sont de comparaison parfois difficile, certains auteurs ayant considéré la récidive sur l’étage moyen uniquement, d’autres ayant retenu la statique pelvienne dans sa globalité. Par ailleurs, si certaines interventions sont “isolées”, d’autres sont intégrées à une prise en charge complète du prolapsus et/ou de l’incontinence, ce qui fausse bien sûr l’interprétation des résultats. 39 m i s e a u GROSSESSE APRÈS CHIRURGIE DE L’INCONTINENCE URINAIRE Situation générale La littérature est en fait assez pauvre sur la question. Pendant longtemps, en effet, l’abstention chirurgicale et le recours à une prise en charge non invasive étaient la règle chez la femme jeune. Cependant, à partir des années 90, le développement de techniques fiables telle la colposuspension selon Burch et plus récemment l’essor de la TVT d’Ulmsten, ont conduit bon nombre de chirurgiens à proposer ce type d’intervention à leurs jeunes patientes. Il reste que les seules recommandations obstétricales disponibles dans la littérature sont le fait de simples case report et que l’on ne dispose pas d’études plus importantes. On retiendra néanmoins l’initiative de Dainer (8) qui a collecté auprès des membres de la société américaine d’urogynécologie ayant eu à prendre en charge l’incontinence urinaire de femmes jeunes en âge de procréer, les informations concernant : – d’une part leur choix technique en pareille situation, – d’autre part leur pratique obstétricale après la chirurgie. On retiendra de cette enquête : – que la colposuspension selon Burch a la préférence des opérateurs, le recours à “la sling” arrivant loin derrière ; – que l’intervalle habituellement recommandé entre la chirurgie et la grossesse est de 6 mois à 1 an ; – le pourcentage de continence en fonction du mode d’accouchement : selon que l’accouchement a lieu par voie basse spontanée, forceps, première césarienne ou césarienne itérative, les chiffres sont respectivement de 77,8 %, 33 %, 96,3 % et 90 % ; – que, d’une manière générale, la césarienne semble avoir un effet protecteur avec un taux global de continence de 95 % contre 73,3 % après accouchement par voies naturelles (statistiquement significatif selon le Fischer test) sur des effectifs respectifs de 30 et 37 femmes ; – que, néanmoins, cet effet n’est pas absolu puisque dans une même série, le pourcentage de continence est de 100 % en cas de 1re césarienne contre 71 % en cas de césarienne itérative ; – que ces résultats sont évidemment sujets à caution puisque le choix VB/VH est le plus sou- 40 p o i n t vent empirique ou au contraire influencé par des paramètres dont nous ne disposons pas à la lecture de l’article ; – que seul un travail prospectif pourrait se prévaloir d’une légitimité scientifique et objective. Tableau VI. Continence urinaire en fonction du mode d’accouchement selon l’enquête de Dainer (8). Continentes IUE Total % continentes par mode d’accouchement Accouchement par voie vaginale 22 (33 %) 8 (12 %) 30 (45 %) 22/30 (73,3 %) Césarienne Total 35 (52 %) 57 (85 %) 2 (3 %) 10 (15 %) 37 (55 %) 67 (100 %) 35/37 (95 %) Les colposuspensions classiques Les quelques données retrouvées dans la littérature sont le plus souvent le fait de quelques cas disparates issus de séries évaluées sur le long terme (2, 27) ou de la description ce cas isolés (7, 17, 19). Sur une série de 88 cas de colposuspension selon Burch modifié, Abu-Heija (2) fait état de 3 récidives sur 5 accouchements par voie vaginale. Pour l’auteur, grossesse et accouchement seraient la 2e cause de récidive (30 %) derrière les antécédents de chirurgie urinaire (70 %). Casper (4) rapporte sur une période de 1990 à 1997, 4 cas de grossesse après colposuspension par voie suspubienne (2 interventions de Burch et 2 interventions de Marschall-Marchetti-Krantz [MMK]). La grossesse est survenue dans un délai de 3 mois à 4 ans après la chirurgie. Alors que toutes les patientes étaient continentes après la chirurgie, 3 d’entres elles ont vu récidiver l’incontinence au 3e trimestre de la grossesse, une sur un mode occasionnel, 2 de façon régulière. Ces 4 patientes ont bénéficié de manière systématique d’une césarienne prophylactique puis d’une rééducation périnéale en post-partum. Sur le 1er questionnaire d’évaluation à 6 mois, l’incontinence était persistante chez 2 d’entre elles alors que toutes seront continentes à l’évaluation à un an. Cette observation rend bien compte des difficultés d’évaluation de la continence urinaire pendant et après la grossesse : d’une part, il existe un “effet grossesse” aujourd’hui reconnu et, d’autre part, il existe une évolution spontanément favorable en post-partum de l’incontinence apparue pendant la grossesse dans près de 80 % des cas (12) ; néanmoins, cette récupération est probablement “ temps-dépendante”, (atteignant Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 3, vol. I - 3e-4e trimestres 2001 notamment 63,6 % en post-partum immédiat contre 90 % à 3 mois pour Viktrup [42]) ce qui induit inévitablement un biais en fonction de la période d’étude. Difficile, dans cet imbroglio, d’évaluer encore le rôle du mode d’accouchement et l’influence spécifique du geste chirurgical et de sa dégradation éventuelle ! sphincter à mettre sur le compte de la grossesse ou de l’accouchement. Il a été recommandé avec ces modèles antérieurs à l’AMS 800 (qu’il n’est pas possible de désactiver) de dégonfler la manchette fréquemment pour réduire les risques d’hyperpression vésicale. Depuis le développement de l’AMS 800, la désactivation est prônée durant le 3e trimestre (35). La TVT et autres “slinge” sous-urétrales Deux cas de grossesse sur TVT ont été rapportés à ce jour, à notre connaissance, dans la presse internationale (17, 19). La position de la bandelette ne serait pas modifiée au cours de la grossesse comme semblent le confirmer les données échographiques (17). Dans ces deux cas, les patientes sont restées continentes durant la grossesse. Une césarienne prophylactique a toujours été décidée et les patientes sont restées continentes en post-partum avec un contrôle respectif à 3 et 6 mois. On dispose aussi de l’observation de Papa Petros (34) qui publie le cas d’une grossesse gémellaire après intravaginal sling operation combinée : après la 12e semaine, les symptômes d’urgence et d’incontinence à l’effort sont réapparus sur un mode aggravé par rapport à l’état initial ; une césarienne prophylactique a été réalisée à 38 semaines suivie d’une disparition rapide de toute symptomatologie urinaire et notamment de l’incontinence. A contrario de ces bons résultats, Lynch (26) évoque le cas d’une 3e pare de 26 ans ayant bénéficié de la mise en place d’une fronde sous-urétrale de type Vésica (après un échec d’urétropexie selon Pereyra) et qui a présenté, pendant la grossesse, des épisodes obstructifs intermittents nécessitant le recours à une sonde de Foley et assortis de pyélonéphrite aiguë. En post-partum, il signale la récidive de son incontinence (évaluation réalisée 3 mois après une césarienne prophylactique). La situation particulière du sphincter artificiel Fishman (16) rapporte 9 grossesses survenues chez 7 patientes porteuses d’un sphincter artificiel. Pendant la grossesse, 6 patientes sont restées continentes alors que la dernière a constaté une incontinence modérée. Cinq accouchements se sont déroulés par voie vaginale et 4 fois la césarienne a été préférée (dont 1 itérative). Il n’a pas été constaté de dysfonctionnement du Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 3, vol. I - 3e-4e trimestres 2001 CONCLUSION Si la question est d’actualité, cette mise au point sur le devenir de nos interventions après la grossesse et l’accouchement rend compte pourtant du peu d’arguments objectifs à opposer à nos jeunes patientes. Force est de constater (et d’admettre) que nos attitudes sont le plus souvent empiriques, ne reposant sur aucun fondement scientifique et professées pourtant avec conviction ! Cette remarque n’est d’ailleurs pas sans me rappeler nos débats récents sur la légitimité de l’épisiotomie ! L’incontinence urinaire dont on ne cesse de rappeler l’impact social et psycho-affectif et pour laquelle la communauté médicale revendique une prise en charge précoce et efficace, est le “parent” pauvre de cette revue, les cas de grossesse et d’accouchements ne faisant l’objet que de publications éparses. Le développement considérable des techniques dites de “stabilisation” urétrale relance la polémique sur la légitimité d’un accouchement par voie basse. On ne peut que se féliciter des initiatives récentes de création d’un registre national des grossesses après TVT. Néanmoins, ces données seront probablement insuffisantes pour pouvoir établir une véritable ligne de conduite qui relève davantage aujourd’hui de la perception intuitive que de la rigueur scientifique. La systématisation prudente de la voie haute a-t-elle un fondement ? La voie basse induit-elle un effet délétère sur les résultats de la chirurgie ? Autant de questions auxquelles il est actuellement impossible de répondre. Oserai-je vous communiquer, de façon très confidentielle, cette information récente (que je tiens d’un de nos confrères quelque peu téméraire !) selon laquelle une jeune patiente porteuse d’une TVT a accouché récemment par voie vaginale et qu’elle est toujours parfaitement continente à 2 mois de postpartum ! Encore un cas isolé, me direz-vous, certes mais peut-être en connaissez vous d’autres ?… de quoi relancer la polémique ! ! 41 m i s e RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Aboulghar MA, El-Kateb Y. Treatment of uterine prolapse in young women. Sacral cervicopexy by polyvinyl alcohol sponge. J Egypt Med Assoc 1978 ; 61 : 127-34. 2. Abu-Heija AT. Long term results of colposuspen- a u 15. Fisher JJ. The effect of amputation of the cervix uteri upon subsequent parturition. A preliminary report of seven cases. 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