Article N°1 - UFR Lettres, Langues et Sciences Humaines, Sport

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Article N°1 - UFR Lettres, Langues et Sciences Humaines, Sport
Productions Méthodologiques et Thématiques en Education – N° 1 – Juin 2008
1 . Le jeu : cet outil de
socialisation au service de
l’école.
Département STAPS de Tarbes
Université de Pau et des Pays de l’Adour
En France, l’utilisation du jeu est relative comparée aux autres pays européens (exemple
du projet DANT en Italie) 1 . Les institutions veillent à ce que les élèves acquièrent des valeurs
susceptibles de favoriser les apprentissages et construire le citoyen de demain. Ainsi il est
naturel de se demander si la France devrait donner une place plus importante au jeu au sein de
son système éducatif.
Nous définirons le jeu d’après le Bulletin Officiel du 14/02/2002, comme « l’activité
normale de l’enfant, il conduit à une multiplicité d’expériences sensorielles, motrices,
affectives, intellectuelles ». Sachant que le jeu « est le point de départ de nombreuses
situations didactiques proposées par l’enseignant », quelle(s) position(s) peut prendre
l’enseignant pour faciliter l’apprentissage de ses élèves par l’activité ludique ? Il faut aussi
noter que l’enfant construit certaines de ses acquisitions fondamentales par le jeu. Ainsi, est-il
possible de transmettre des valeurs qu’il serait impossible de donner dans d’autres situations
pédagogiques ou par d’autres moyens ? Sans oublier que le jeu « permet l’exploration des
milieux de vie, la communication dans toutes ses dimension, verbales ou non verbales » 2 ;
comment alors, mettre en corrélation le jeu et l’insertion et/ou la réinsertion de l’individu lui
permettant de s’adapter et de vivre en société ?
Le jeu permet la socialisation de l’individu en le confrontant à d’autres personnes dans
des situations qu’il pourra vivre dans son futur. Mais cela n’est possible que si le professeur
adapte son attitude ou sa manière d’enseigner face à l’hétérogénéité des élèves pour un bon
déroulement du jeu.
1
Les projets DANT et The Consolarium ont été conçus en tant que test, sur quatre ans à partir
de 2005, pour évaluer l’impact de l’utilisation de jeux électroniques sur les compétences des
élèves dans des matières ciblées. Ils mettent dès lors en œuvre des méthodologies de
recherche adaptées à leur objectif (groupes d’utilisateurs et groupes de contrôle, mesure des
compétences avant et après l’usage des jeux, analyses statistiques des résultats, etc.). Quels
usages pour les jeux électroniques en classe ? Mai 2009 par Wastiau P. - Kearney C - Van den
Berghe W.
2
Bulletin Officiel du 14/02/2002.
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Pour justifier notre analyse nous traiterons dans une première partie du jeu éducatif et de
son impact bénéfique sur les apprentissages à l’école et plus précisément sur leurs
acquisitions. Puis dans une seconde partie nous parlerons de la participation du jeu dans la
socialisation de l’individu et plus particulièrement pour les enfants handicapés ou les élèves
en difficulté.
Certains pensent que l’école, n’est pas le lieu pour les jeux. Pourtant, ces pratiques
ludiques comme l’action ont une légitimité inscrite dans les textes officiels 3 . Les adultes sont
désorientés car ils ont du mal à trouver leur place par rapport aux jeux et particulièrement le
jeu libre (c’est-à-dire suivant la nomenclature piagétienne les jeux sensori-moteurs, les jeux
de construction et les jeux symboliques) 4 . Ainsi les jeux sont souvent dépréciés par les
éducateurs (parents, enseignants, animateurs...) alors qu’il est important de les valoriser. Ils
pensent que leur rôle se résume à de la garderie et à de la surveillance. Ils sont pourtant des
moments d’observation et d’évaluation des représentations des élèves, que nous considérons
comme un moteur de leur investissement, très intéressants et forts utiles pour la construction
des apprentissages. Les professeurs ont pourtant un rôle fondamental dans l’organisation
efficace de la tâche, car il est celui qui pense à l’aménagement de l’espace mis à la disposition
des enfants. C’est celui qui doit réfléchir à ce qu’il veut induire, pour rend le lieu le plus riche
possible et le plus porteur d’émotions et de questionnements. C’est dans ce lieu que le maître
va construire une culture commune réutilisable ultérieurement pour des acquisitions de
savoirs plus complexes. L’enseignant peut non seulement réduire l’hétérogénéité de ses élèves
en leur fournissant un point de départ commun vécu dans la classe, mais surtout éviter l’ajout
d’un handicap supplémentaire dû à une pédagogie qui reposerait sur un implicite acquis
d’ailleurs. L'enseignant va s'adapter aux élèves en leur proposant un enseignement
différencié 5 selon le vécu de l'individu (les jeux étant avant tout sélectionnés par l’enseignant
en fonction de leurs diverses qualités). Il sélectionne et privilégie les jeux qui autorisent une
différenciation des apprentissages (chacun apprend à sa manière et à son rythme), et rendent
visible leur progression vis-à-vis de l’apprenant (pédagogie classique).
Les enseignants choisissent les jeux pour leur valeur pédagogique et donnent en général
un compte-rendu (feed-back) 6 à l’élève sur les choix et les stratégies qu’il a mis en place. Cet
élément est perçu par l’enseignant comme formateur pour l’élève parce ce qu’il favorise sa
compréhension sur sa propre manière d’apprendre. Le fait que ce compte-rendu fasse partie
intégrante du jeu et ne soit pas un dispositif à part, au contraire de ce qui se passe dans une
situation d’enseignement classique, est également considéré comme très positif par les
enseignants. Au-delà de cet aspect très performant de l’usage l’activité ludique dans la
pédagogie au jour le jour, le jeu s’utilise en classe de façon flexible selon l’objectif
pédagogique recherché. Son usage peut être collectif (toute la classe, ou en équipes de deux et
souvent plus), et parfois en tandem avec une équipe de même taille dans une autre classe ou
école. Mais le jeu peut aussi être utilisé à titre individuel, notamment dans les situations de
soutien aux élèves en difficulté. Dans tous les cas, après la session de jeu, des échanges sont
organisés avec les autres élèves sur les stratégies utilisées par exemple, et avec l’enseignant
sur les difficultés rencontrées et la manière de les résoudre. Les difficultés des élèves sont
donc mises en évidence et peuvent être dues à l’incompréhension des outils pédagogiques mis
en place.
3
Valiant C. Un outil pédagogique particulier : LE JEU. 2006
Piaget J. & Inhelder B. La psychologie de l'enfant. 2004
5
Le Grand L. Trois grandes sources de différenciation. 1997
6
Piéron M. Pédagogie des activités physiques et du sport. 1992
4
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Aujourd’hui, des pratiques axées sur les jeux et plus particulièrement les jeux
électroniques, réhabilitent ces outils pédagogiques plus traditionnels auprès des élèves. En
effet, en classe ils sont régulièrement associés à des supports pédagogiques plus traditionnels
avant la phase de jeu proprement dite. Les jeux de loisirs inspirés par un personnage célèbre
et/ou qui entraînent le joueur dans une période de l’histoire ancienne sont très souvent
introduits par l’enseignant dans la classe après que les élèves aient lu les livres se rapportant
au thème du jeu. Dans ce cas, les enseignants font souvent état d’une motivation accrue ou
inhabituelle chez leurs élèves pour ces lectures. Cette motivation est plus grande lorsque les
jeux sont intégrés dans le processus éducatif. Cela peut s’expliquer, par le fait que les élèves
semblent apprécier le fait que cette approche prenne en compte leur réalité quotidienne
(apprendre le français avec Harry Potter de J.K. Rolling permet à l’enseignant de capter plus
aisément l’attention de ses élèves plutôt que de travailler sur le livre Madame de Bovary de
Gustave Flaubert). Ainsi cette approche utilise des moyens qui sont encrés dans leur vie,
amenant une compréhension et un intérêt accrus qui favorise l’apprentissage en effaçant les
aspects contraignant que demande normalement le travail. Ils apprécient le côté ludique des
jeux en contradiction avec l’esprit sérieux de l’école, mais il ne faut pas oublier que le jeune
qui s’adonne à ces jeux ludiques cherche avant tout à s’amuser. Les élèves sont ainsi sensibles
au fait que le jeu donne une finalité concrète aux travaux qui leur sont demandés (apprendre
une partie de l’Histoire pour en faire un scénario de jeu, être un marchant en Grèce lors de
l’Antiquité), et leur permet d’être actifs dans leur apprentissage.
La compréhension des actions et de leurs utilités finales est primordiale pour l’élève,
nous pouvons citer une parole de Develay, l’un des grands défenseurs de l’apprentissage utile
« apprendre pour apprendre ne mène à rien 7 ». Comprenant les finalités concrètes de leur
travail, les élèves pendant et/ou après l’usage d’un jeu, s’enthousiasment volontiers pour la
rédaction de textes, de journaux, de contenus éditoriaux pour un site Web, la réalisation de
dessins et/ou de photographies, etc. Leur motivation réside dans le fait de garder une trace de
ce qu’ils ont fait et appris à travers le jeu, et de communiquer avec d’autres élèves ou un
environnement plus large à propos de leur projet dans son ensemble. Ce qui est vraiment
intéressant c’est qu’en raison du contenu éducatif du jeu, il acquiert de nouvelles
connaissances ou met en pratique celles qu’il possède déjà sans avoir l’impression de réaliser
une activité uniquement « scolaire » et donc favorise sa motivation 8 et plus particulièrement
son estime de soi. Le jeu facilite entre autre, l’expression des capacités en débloquant des
attitudes réticentes devant des contextes d’exercices apparaissant comme plus « réels ».
En effet le jeu place l’élève comme acteur et auteur principal d’une situation modélisée
et l’implique dans un projet qui lui permet de développer un rôle actif et participatif,
rejoignant ainsi les méthodes éducatives actives9 . Très simplement, il détourne le sérieux de
l’apprentissage par sa double caractéristique de réalité et de fiction. La fiction vient du
contexte qu’il propose, tandis que la réalité apparaît dans l’activité des l’élèves. Prenons
l’exemple des échecs. Lorsque deux personnes jouent aux échecs, le contexte de leur activité
est fictif : il est pure simulation, mais leur activité, elle, est bien réelle. Effectivement, ils
mobilisent réellement leurs capacités de réflexion, de calcul et d’anticipation. L’exercice ou
l’utilisation de ces capacités dans le cadre d’un jeu permet, au même titre que pour tout autre
« exercice » pédagogique, d’en développer l’apprentissage et la maîtrise et d’en attendre le
transfert 10 dans d’autres situations concrètes. Il reste que précisément par son aspect de
fiction, et par la mise en situation de projet, le jeu facilite l’implication et la motivation de
7
Develay M. Donner du sens à l’école : rapport au savoir, rapport à la loi et altérité.1996
Lieury A. Motivation et réussite scolaire. 1996
9
Freinet C. Les techniques Freinet de l’Ecole moderne. 1964
10
Tardiff J. Le transfert des apprentissages. 1999
8
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l’élève. La situation de jeu constitue un contexte proposé au joueur (et la plupart du temps
librement choisi par celui-ci) qui l’amène à développer un comportement final que nous
pouvons désigner par le terme de projet (sens large intégrant à la fois l’intention et l’action).
Le contexte dans lequel se développe ce projet est défini par les règles 11 et le matériel du jeu,
ainsi que par les objectifs qu’il fixe à chaque élève. Il est toujours à la fois cognitif (par les
règles d’action) et social (par la présence d’autres élèves) obligeant l’enfant à le maîtriser
dans ces deux dimensions. Il ne s’agit pas seulement, comme dans une résolution de
problème, de trouver la suite des actions qui mèneront à l’objectif, mais de tenir compte de
l’action constante des autres enfants, le plus souvent en divergence avec cet objectif. En plus
de maîtriser ces deux contextes l’élève doit aussi articuler son action et la finalisation de celleci : savoir prendre une décision, planifiée, adaptée, tenir compte des « feed-backs ». Il s’agit
bien d’un comportement complexe tout à fait semblable à celui que développe tout acteur
social (les humains) dans un contexte (la société) où il doit atteindre un objectif bien défini tel
que la transmission de valeur civique comme la solidarité, responsabilité et l’autonomie, que
nous retrouvons dans les textes officiels 12 comme nous pouvons le voir dans cet extrait : le
jeu « permet l’exploration des milieux de vie, la communication dans toutes ses dimension,
verbales ou non verbales » 13 . Reconnu comme modèle d’une situation, le jeu sert ainsi de
prétexte à la mise en œuvre de comportements réels, donc au développement d’apprentissage :
de la découverte à la maîtrise d’un jeu, d’un jeu à un autre, la répétition de l’action va
permettre l’évolution du comportement dans toutes ces dimensions. Le jeu intéresse
également les professionnels de la pédagogie de part son rôle dans l’acceptation de la réalité.
En permanence l’enfant qui pénètre dans le système scolaire va découvrir la frustration dans
des situations qu’il ne comprend pas. Donald Winnicott 14 suppose que cette tension peut être
soulagée par l’existence d’une aire intermédiaire d’expérience dans laquelle il place le jeu...
C’est en jouant que l’enfant parviendra à mieux comprendre puis à contrôler les situations
qu’il subit. L’acquisition de la fonction symbolique passe par l’utilisation « de l’objet
transitionnel » (le fameux doudou), symbole de l’union mère-bébé. Ainsi, l’enfant va vers la
symbolisation de la séparation. Il l’accepte, en souffre moins et va même en bénéficier. Cet
« espace transitionnel » l’investi et le libère pour aller vers la socialisation, sa projection étant
alors son organisation du monde extérieur à partir du monde intérieur. C’est ce que font les
enfants lorsqu’ils jouent à faire semblant. Ils se représentent des situations de la vie
quotidienne pour s’en éloigner et apprendre à les maîtriser. Ici, l’enfant joue les conflits de
son développement. C’est par exemple ainsi qu’il va construire une notion fondamentale : la
différence des sexes. Le jeu répond toujours à une préoccupation, à un questionnement, à une
situation-problème. L’enfant qui joue est en état de retrait, il se concentre sur son jeu. C’est
cette attitude de concentration que nous retrouverons plus tard chez les adultes, qui ont pu
utiliser correctement cet espace. Il nous faut donc une pédagogie qui situe les apprentissages
dans un contexte culturel où l’enfant est pris en compte dans sa globalité, dans ses dimensions
cognitives, affectives et sociales.
Cependant deux conditions sont essentielles pour l’effet bénéfique du jeu : d’une part le
plaisir, qui doit être apprécié et utilisé par le pédagogue comme un moyen de renforcement
des conduites qu’il cherche et non comme déviation de l’objectif. L’attitude ludique étant un
savoir être intéressant pour les apprentissages. D’autre part l’entrée libre dans le jeu, même si
elle n’est que suggérée, reste notamment essentielle pour une meilleure efficacité du jeu.
11
Bertone S. & Méard J.A. L'autonomie de l'élève et l'intégration des règles en éducation
physique. 1998
12
Bulletin Officiel du 14/02/2002
13
Bulletin Officiel du 14/02/2002.
14
Winnicott D. Jeu et réalité, l'espace potentiel. 1975
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Ainsi la diversité des choix proposés (activités libres) par l'enseignant, qui organise à
son gré ces jeux libres dans le respect des règles de la classe, représentent des points de départ
pour un travail plus structuré. Mais pouvons nous envisager la même approche face à un
public en difficulté, hétérogène en son sein, ou bien handicapé ? Même si le jeu comporte une
notion de socialisation peut-il être un atout pour aider ce public en difficulté ?
Le « jeu » est l’activité principale de l’enfant qui est indispensable à son développement
et lui permet de développer des acquisitions dans tous les domaines. Ainsi, les jeux permettent
la socialisation, l’insertion et la réinsertion d’un public difficile. Comme le disait si bien
Weber, « la socialisation correspond au processus par lequel l'individu s'approprie les règles
d'une organisation, à l'ensemble des interactions par lesquelles se construit l'identité
sociale » 15 . Cela signifie que grâce à certaines activités comme le jeu, l'individu, et donc ici
l'enfant, va réussir à adopter des comportements conformes à la société dans laquelle il
évolue. Une de ces activités socialisantes est notamment le jeu à règles. Il est un formidable
vecteur de socialisation et un support d’apprentissage très motivant. Les jeux de coopération
tels que « poules-vipères-renard » introduisent quant à eux la notion de solidarité, de
responsabilité de chacun au sein du groupe. Ils proposent de ne pas créer une opposition entre
les joueurs et ne valorisent donc pas le plus fort, le plus performant, le plus chanceux ; mais
veulent simplement fonder le plaisir de jouer en équipe. Ainsi la relation à l’autre peut se
décliner autrement que dans la compétition. De plus, nous pouvons ajouter que les jeux de
société font écho aux jeux collectifs en EPS et peuvent déboucher sur des séances de langage
dans le domaine du « vivre ensemble » 16 .En effet rien de mieux pour créer la cohésion de
groupe que de faire un jeu de coopération imposant ainsi au élèves de communiquer entre
eux pour réussir à atteindre le but fixé (exemple du jeu du drapeau). L’utilisation de jeux en
classe regroupe non seulement les élèves mais aussi les enseignants en communauté de
pratique, l’ensemble de la communauté éducative et les parents autour des réalisations des
élèves. Même si l’existence de ces pratiques est encore peu répandue à l’école, elle représente
toutefois une certaine importance en termes de nombre d’enseignants et d’élèves concernés.
Les enseignants impliqués dans ces pratiques ne laissent d’ailleurs aucune place à
l’improvisation sur le plan pédagogique et mettent au contraire en œuvre une préparation
rigoureuse. Le jeu est également important pour la socialisation des enfants handicapés car il
permet d’apprendre, de communiquer et d’avoir des échanges affectifs. De plus il constitue un
intérêt pour l’éveil des enfants, au-delà de la rééducation. Il permet de modifier le rapport
entre les gens dit « normaux » et les personnes en situation de handicap, mais aussi de mieux
connaître les différents types de handicaps et leurs impacts en situation de vie quotidienne. Le
jeu nous fait sortir de nos représentations, croyances ou peurs sur le handicap, tout en nous
permettant d’acquérir les attitudes appropriées pour bien vivre la relation avec des jeunes en
situation de handicap. Le jeu est construit dans une volonté d’enrichissement et de prise de
conscience pour changer les représentations de chacun à propos du handicap.
Le jeu KESKI 17 représente un exemple de jeu favorable à ces évolutions. En effet, il
s'agit d'un jeu de formation pour faciliter l'intégration des jeunes handicapés dans certains
milieux comme les entreprises ou bien l'école. Ce jeu révèle que l’un des obstacles principaux
à l'intégration des handicapés est bien la méconnaissance de ce sujet ou encore la peur que les
15
Weber Economie et société, 1971
Mission « vivre ensemble » juin 2006 (mobilisation des institutions culturelles en faveur de
la tolérance, du respect des différences et du désir de vivre ensemble) 17
KESKI HANDICAP crée par Benoît Carpier : « jeu de plateau qui a pour objectif de
faciliter le contact, abolir la gêne face au handicap et changer les regards parfois lourds de
pitié en regards compréhensifs » 16
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gens ont de l'affronter. Le jeu est une aide à la socialisation mais stimule aussi l’ensemble des
sens de l’enfant (handicapé, normal). En effet, le jeu agit sur nos sens de différentes
manières : la vue (jeux basés sur les couleurs, les formes), l’ouïe (jeux sonores, musicaux,
chansons, comptines), le toucher (jeux de matières, massages, jeux de nourrice, jeux de
doigts, comptines, loto des textures), l’odorat (loto des odeurs), le goût (atelier cuisine). Par le
jeu, nous pouvons susciter chez l’individu des réactions l’amenant à de nombreux
apprentissages. Prenons l’exemple d’un enfant âgée de 18 mois présentant un syndrome
d’immaturité du tronc cérébral avec un vécu hospitalier dès ses premiers mois de vie et des
rééducations dès son retour à domicile. Cet enfant manifestait d’emblé une grande réticence à
être en relation avec son médecin, il y a une crainte de sa part. Après quelque temps, en lui
laissant la liberté de se laisser aller au jeu, il accepte petit à petit d'être en relation.
Aujourd’hui, il est très à l’aise et montre de bonnes capacités et un fort intérêt pour le jeu. Il
est important de permettre à l’enfant de jouer dans une recherche de plaisir, sans culpabilité
(souvent ressentis par les parents de ces enfants porteurs de handicap) ni crainte de « perte de
temps ». De plus, selon George H. Mead 18 , les jeux sont comme des métaphores du « vrai »
jeu social. C'est donc en s'intéressant aux « petits » qu'il est sans doute possible de
comprendre les « grands ». Ainsi, à travers les jeux et les conversations se transmet toute une
culture enfantine faite de règles sociales et d'apprentissage par les pairs grâce auquel chaque
enfant est à même de construire son identité.
Nous pouvons affirmer que le jeu est un moyen d’apprentissage très efficace pour que
l’enfant puisse s’expérimenter pour apprendre, qu'il s’approprie à son rythme la réalité du
monde. Le développement de l’enfant a besoin de s’appuyer sur le monde extérieur 19 . Le jeu
permet d’évaluer les notions spatio-temporelles : dedans/dehors, trois dimensions, rythmes,
cadre, permanence de l’objet, les notions d’attention, de concentration, de « chacun son tour »
(jeux de précisions, jeux de société). Par le jeu, l’enfant tente de résoudre des énigmes et de
s’y adapter. Par la répétition, l’enfant va assimiler un raisonnement, des solutions qu’il va
s’approprier (jeux d’élaboration, à mécanismes, à énigmes). L’expérience réussie avec les
jouets va augmenter la confiance et la puissance du « moi » 20 , autorise et amène l’enfant à
recommencer. Par imitation, l’enfant va mettre en application ce qui est vécu dans son
quotidien, de manière à l’assimiler (jeux d’imitations, dînette, mallettes de docteur, de
mécanicien, poupons). Le jeu privilégie l’accès à des choses contraignantes comme le rapport
au cadre et aux limites. Il facilite les périodes de transition où il y a séparation et permet à
l’enfant de mieux les vivres. En ciblant son intérêt sur le jeu, l’enfant sera moins envahit par
l’angoisse que suscite la séparation sans que celle-ci lui soit cachée. Nous avons pu le
remarquer dans le cas d’un enfant âgé de 2 ans et demi, qui présentait un polyhandicap qui
limite de manière conséquente ses possibilités. Sur son visage on passe un foulard très doux,
cela provoque chez lui un sourire de contentement. Il est attiré par cet objet et aura ensuite des
mouvements volontaires pour tenter de l’attraper.
Le jeu permet ainsi de multiples découvertes. Il est attractif et permet à l’enfant « d’aller
vers » car il stimule son envie dans la recherche d’un bien-être. L’enfant limité dans ses
possibilités de déplacements peut, par l’attirance que suscite le jeu, augmenter ses possibilités
et accéder à son environnement. Avant tout, c’est la découverte de lui-même : l’enfant
commence par jouer avec son propre corps 21 , par le jeu il découvre et prend conscience des
différentes parties de son corps (joue avec ses mains, avec ses pieds, jeu de miroir), puis par la
18
Mead G. H. L'esprit, le soi et la société. juin 2006 Winnicott D. Jeu et réalité, l'espace potentiel. 1975 ou j’ai aussi L'enfant et le monde
extérieur, Payot, 1988
20
Caillois R. Les jeux et les hommes. 1967
21
Freud S. Essai « l’Organisation génitale infantile » 1923
19
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suite il prend conscience de ses possibilités par l’action qu’exerce son corps sur son
environnement (jeux de manipulations).
Mais, l’enfant utilise également le jeu comme « langage secret » pour nous
communiquer ses envies, ses préoccupations, ses difficultés (jeux d’expression artistique,
peinture, modelage, dessin, activités manuelles, jeux de création, jeux de mise en scène,
personnages, playmobiles, marionnettes, déguisements,…). Par le jeu, les tensions affectives
peuvent se libérer sans danger. Le jeu symbolique permet aussi de compenser les frustrations.
A travers lui, l’enfant trouve son équilibre entre les contraintes de la réalité et la maîtrise qu’il
peut en avoir : le jeu a une fonction « exutoire »car il permet de se libérer du monde réel. Par
exemple, il est possible de rejouer ce qui est difficile à vivre ou des fantasmes irréalisables. Le
jeu est un support à la relation par la mise en place d’un climat de confiance mutuelle. Dès les
premiers mois de vie, l’adulte entre en relation avec l’enfant par le jeu : jeux de nourrice,
massages, jeux de « cache-cache », comptines...
Le jeu est un médiateur des interactions, il permet d’établir la relation entre les individus
et représente même un tiers dans celle-ci. Cette notion est très importante sachant que la
relation professeur/élèves est d’une grande importance à l’école. L'élève peut utiliser le jeu
pour communiquer ses émotions, ses ressentis, ses envies, ses désirs. Le jeu est un outil de
communication indispensable pour un jeune élève (maternelle) ne possédant pas encore le
langage oral. Par exemple, nous avons observé qu'un enfant âgé de 4 ans dont l’audition est
défaillante et qui ne possède pas de langage oral, accroche notre regard et se met à imiter ce
que nous faisons. Il appelle alors par le jeu d’imitation à une entrée en contact.
L’utilisation du jeu permet ainsi d’aider les élèves en difficulté. En effet, le jeu
électronique pour sa part est utile avant tout pour des élèves rencontrant des difficultés
d’apprentissage cognitif, méthodologique ou social (lenteur dans l’apprentissage, manque
d’organisation dans le travail, refus des règles et de l’évaluation,…). L’enseignant choisit le
jeu électronique ou informatique car il réconcilie l’élève avec l’apprentissage scolaire,
identifie les erreurs de façon non traumatisante, permet à l’élève d’accepter plus facilement
les règles du jeu et l’aide à comprendre sa façon d’apprendre (exemple du jeu « Sim City »).
Il s’adresse à tous les élèves sans distinction. Globalement, l’opinion des enseignants qui
utilisent les jeux électroniques est positive quant à l’impact sur l’apprentissage de leurs
élèves. L’effet sur la motivation arrive en tête, suivi de très près par l’appui effectif aux élèves
en difficulté.
Nous pouvons donc affirmer que par le jeu il est possible d'aider les élèves en difficulté
(handicapés, élèves exclus, marginaux,...) en facilitant l'accès à l'apprentissage et aux savoirs
faire sociaux leur permettant de vivre en société.
Pour conclure, nous pouvons affirmer que le jeu est un vecteur incontestable de
motivation chez les élèves, menant au développement de la motricité et de bien d’autres
domaines de la personnalité de l'enfant ; qu’il soit normal, en situation difficile ou bien
handicapé, de par son aspect éducatif et sa diversité. Les jeux sont ainsi très bénéfiques dans
l’apprentissage scolaire, à condition qu’il y ait un avant-jeu et un après-jeu.
De plus, le jeu apparaît comme un moyen imparable pour socialiser tous les enfants,
qu’ils soient déficients ou non. Le jeu aide beaucoup les enfants handicapés car il stimule
l’ensemble de leurs sens. C’est un moyen d’apprentissage, d’expression, de communication
(essentiel chez le jeune enfant), de découverte, mais aussi un support à la relation
(socialisation).
Le jeu est également facilitateur car il permet de contourner l’aspect contraignant de
l’apprentissage des contenus d’enseignement à l’école. Le professeur doit alors adapter sa
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façon d’enseigner en fonction du type d’enfants dont il s’occupe (enfant normal, perturbé,
handicapé,…) de façon à ce que tout le monde acquiert les mêmes compétences pour vivre en
société. Ces objectifs ne peuvent être atteints que grâce aux diverses approches du jeu.
Nous pouvons alors nous demander si le jeu pourra, un jour, sortir de ses carcans de
frivolité en contradiction avec le sérieux de l’école afin d’intégrer à part entière les
programmes scolaires ? Ou au contraire est-il voué à n’être qu’un élément de secours
permettant de susciter la motivation chez les élèves en classe ?