Sanctions très policées pour les flics de la BAC nord de Marseille
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Sanctions très policées pour les flics de la BAC nord de Marseille
Lu pour Vous Sanctions très policées pour les flics de la BAC nord de Marseille Le conseil de discipline n’a proposé que des mesures de suspension à l’encontre de huit fonctionnaires. L’affaire des ripoux de la BAC nord de Marseille qui a éclaté le 5 octobre 2012 paraît retomber comme un soufflé, sous un couvercle en acier que le droitier syndicat Alliance et l’administration policière semblent pressés de refermer. Certes, sur les seize policiers mis en examen pour «vols et extorsions de fonds en bande organisée, et infraction à la législation sur les stupéfiants», huit - qui sont sous contrôle judiciaire mais n’ont pas goûté à la prison - ont comparu cette semaine devant le conseil de discipline. Ces gardiens de la paix et gradés ont dû répondre de «manquements à la probité pour les vols et à la loyauté pour n’avoir pas fait de PV ou de compte rendu de saisies». Selon un membre de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), ils ont«commis des fautes graves»mais sont «moyennement impliqués». Ces ripoux présumés de la BAC nord, dont deux chefs de groupes qui recelaient des cigarettes de contrebande, de l’argent ou de la résine de cannabis pris sur des délinquants, et participaient à ce «système institutionnalisé de vol, Le Bureau National racket, trafic de stupéfiants» selon les mots du procureur de Marseille Jacques Dallest, s’en sortent à bon compte. ces flics n’ont ni gardé ni fumées ces cigarettes mais, altruistes,«les ont données à des gens et des gardés à vue». Les sanctions administratives proposées par le conseil de discipline de Marseille au directeur général de la police nationale vont de sept jours de suspension avec sursis contre un gardien de base à neuf mois, dont trois fermes, contre un brigadier chef censé tenir ses troupes. Pour le syndicat Alliance qui les soutient unilatéralement, c’est déjà «sévère». Quant au shit retrouvé dans leurs affaires, «juste deux vieilles boulettes de cannabis qu’un policier avait oubliées dans son vestiaire, et de 4 à 25 grammes de résine maximum» destinés à «rémunérer leurs indics». Car ces «chasseurs», selon David- Olivier Reverdy (alias Davido) du syndicat Alliance, «ne vont pas payer les tontons avec leur argent». Comme dit le délégué de la région Paca Jean-Marie Allemand, «cette histoire a été gonflée comme une montgolfière, et redevient maintenant un petit ballon de foire». Et comme en sécurité publique, a fortiori à la BAC, «on n’a pas le droit d’avoir des sources officielles payées comme en PJ, c’est pour ça qu’ils gardent des barrettes pour récompenser leurs indics». Car pour ce leader d’Alliance, qui ne manque pas d’air, ce n’est quand même pas de la faute de ces Baqueux si les voleurs s’enfuient devant eux en«jetant les paquets de cigarettes de contrefaçons par terre» . «Ce n’est pas du vol car il n’y a pas de plainte. Ces collègues les ont ramassés sur la voie publique», poursuit le délégué. A quelle fin ? Bien entendu, A en croire Davido, les seize de la BAC nord qui ont des ennuis avec la justice sont «tous des super flics qui ont fait de belles saisies de kalachnikov et arrêté des braqueurs, ce sont tous des guerriers». C’est juste «parce qu’à un moment, ils ont employé des méthodes inhabituelles en BAC» qu’ils ont plongé. Pourtant, sept mis en examen ( 1 www.alliancepn.fr & www.facebook.com/alliancepolicenationale 18 juin 2013 Lu pour Vous sur les 16) ont passé plus de deux mois en détention. Et paraissent bien plus «accrochés» par les juges d’instruction Patricia Krummenacker et Caroline Charpentier qui préfèrent d’ailleurs boucler leur dossier et les renvoyer devant le tribunal, avant de donner des éléments judiciaires à l’IGPN. Ainsi, les ripoux supposés «les plus impliqués» selon l’IGPN - que nous surnommons «Grand Seb», «Chipeur», «Pluto», «Le Poulpe», «Cheveux longs», «Petit Jean» et «Gégé» -, risquent de comparaître en conseil de discipline au début de l’automne, avant de répondre en correctionnelle de vols, racket en bande organisée, et trafic de stups. Les perquisitions dans leurs casiers au commissariat et les sonorisations de leurs véhicules de service ont permis de révéler des pratiques «accablantes» selon le procureur de la République de Marseille et «tout un catalogue d’agissements inacceptables». «Quand on lit les retranscriptions synthétiques des conversations tenues par les fonctionnaires de la BAC dans les véhicules, c’est assez instructif sur les pratiques délictueuses en cours chez les intéressés, avec des fonctionnaires que l’on retrouve nombreux à être dans ce que je considère comme un système organisé de vol, de racket, de trafic de drogue. Tout y passe et de façon répétée dans le temps», assénait Jacques Dallest le 5 octobre. Aujourd’hui, un commissaire de l’IGPN relativise : «On a mis six mois avec des moyens colossaux pour les faire tomber. On a découvert des pratiques inadmissibles, mais pas d’enrichissement personnel et pas de quoi les envoyer à la guillotine. C’est grave car il s’agit Le Bureau National d’un système mais individuellement, on ne peut les juger que sur des choses que l’on peut prouver.» Quinze Baqueux passifs qui ont tout vu, tout su, mais se sont tus, recevront un simple blâme ou un avertissement. Les 16 mis en examen ont tous été réintégrés dans la police, pas à Marseille et pas en BAC, mais recasés dans des commissariats à Manosque, Nice, Antibes, Nîmes, Aix, ou Toulon. BAC nord de Marseille : des charges fragiles Huit policiers de la brigade anticriminalité, soupçonnés de dérives, sont passés en conseil de discipline, du 3 au 5 juillet Les premiers conseils de disciplines sont passés, mais l’incompréhension demeure. Huit policiers de l’ex-brigade anticriminalité de la division nord (BAC-Nord) de Marseille ont été sanctionnés, du mercredi 3 au vendredi 5 juillet. Quatre d’entre eux ont pris entre un et deux mois de suspension ferme. Il s’agit de ceux qui sont mis en examen depuis octobre 2012 pour «vol en bande organisée, extorsion en bande organisée, acquisition, détention, et transport non autorisé de stupéfiants». Les autres ne sont pas concernés par la procédure judiciaire : trois ont été punis de sept ou quinze jours de suspension avec sursis ; un seul de sept jours ferme. Le ministère de l’intérieur doit encore valider ces sanctions. qui frappait la police marseillaise, qui a poussé à la dissolution inédite d’une unité de 60 policiers, en octobre 2012, s’est muée en une série de fautes individuelles. Cette première vague en appelle d’autres : au total, quinze policiers ont été mis en examen, dont sept ont passé six semaines en détention provisoire. Mais les centaines de pages du dossier disciplinaire monté par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), que Le Monde a pu consulter, témoignent de la fragilité des charges, judiciaires ou administratives, qui pèsent sur ces fonctionnaires. A commencer par le principal pilier de l’enquête, les sonorisations de véhicules, utilisées dans le cadre des deux procédures. Elles ont concerné six véhicules de la BAC, après l’ouverture d’une information judiciaire, en février 2012. Seules les retranscriptions écrites sont disponibles, et la qualité est très mauvaise. «Tiens, sens» devient «cinq cents», par exemple, et une phrase qui apparaît pour l’IGPN, «le mieux c’est d’être seul», disparaît purement et simplement lorsque l’enregistrement est soumis à la contre-expertise du laboratoire de police scientifique. Chaque bribe de conversation devient suspecte, chaque expression est disséquée. L’audition des policiers, qui doivent s’expliquer sur trois minutes de conversation échangée plusieurs mois aupa- La bande organisée, la «gangrène» 2 www.alliancepn.fr & www.facebook.com/alliancepolicenationale 08 juillet 2013 Lu pour Vous ravant, tourne à la leçon d’argot. «A quoi est-il fait allusion quand l’un de vous dit (...) que «des gros coups, il n’y en a pas beaucoup, et il faut pas les gâcher» ?», demande le commissaire de l’IGPN. «BOUFFONNERIES» ET GALÉJADE MARSEILLAISE» – «Il fait allusion à des belles affaires réalisées», répond le policier, qui fait partie des mis en examen. – Un gros coup, en jargon policier, ça n’est pas une belle interpellation, ou une belle saisie. Le policier parlera d’une belle affaire. Les «gros coups», c’est généralement les voyous qui les font... non ? – «Gros coup», pour moi, c’est assimilé à une belle affaire avec une saisie importante. J’ai souvent entendu des policiers utiliser l’expression un «bon coup»», conclut, interloqué, le policier marseillais. Les fonctionnaires parlent de «bouffonneries», de «joute verbale», de «délires» ou encore de «galéjade marseillaise» dans des voitures où ils peuvent passer des heures sans bouger. Mais plus ils se défendent, plus ils sont coupables : ces «allégations (...) ne peuvent par leur nombre que faire douter de la loyauté de ceux qui les avancent «, estime l’IGPN. Parfois, les enquêteurs doivent bien reconnaître la réalité de l’argument. Ainsi d’une discussion incriminante sur le papier, où le brigadier-chef E. se lance dans un grand récit épique sur une interpellation «aux Morilles» et finit par : «Et j’ouvre la sacoche, je regarde, mais bon, il y avait 2 500 euros, j’ai régalé cinq collègues.» Sauf que la cité des «Morilles» est imaginaire, comme le reste de l’histoire. Le brigadier-chef n’a pas été mis en examen, et il a été sancLe Bureau National tionné, mercredi, de sept jours de suspension avec sursis. Au final, deux pratiques non déontologiques constituent l’essentiel du dossier : la «destruction administrative» des petites quantités de cannabis plutôt que de rédiger une procédure, et la récupération de stupéfiants abandonnés lors de course-poursuite dans le but de rémunérer des indics. «La course au chiffre était une priorité par rapport à tout le reste», assure un policier. Le commissaire Christophe Groult, qui a pris la tête de la division Nord en 2010, a ainsi hérité d’objectifs «irréalisables «, qu’il a décidé de baisser. S’y ajoutaient les deux «plans stups» hebdomadaires demandés par la direction départementale. L’IGPN, LA «POLICE DES POLICES», N’ACCORDE AUCUNE CIRCONSTANCE ATTÉNUANTE sion dont 7 ferme pour avoir rémunéré un informateur avec du cannabis. Une pratique qui lui avait valu, d’une certaine manière, une notation élogieuse en 2012 et des lettres de soutien des différents services. Sa hiérarchie décrivait un fonctionnaire «très impliqué dans la recherche d’interpellation et d’information, a permis l’interpellation d’individus recherchés. a rédigé plusieurs procès-verbaux à l’attention de la police judiciaire dans le cadre d’affaires médiatiques.» C’est peine perdue, l’IGPN n’accorde aucune circonstance atténuante. Les policiers de la BAC-Nord sont coupables collectivement. Sur les fiches de comparution individuelle devant le conseil de discipline, la «police des polices» a tout simplement fait un copier-coller de son résumé de l’affaire – qui mêle rumeurs et faits – quel que soit le degré d’implication éventuel du policier. Quant à l’utilisation d’indics, elle a convenu, pendant des années, à une hiérarchie qui ne se posait pas «Comment expliquez-vous que de question dérangeante sur les ces faits aient pu durer aussi longsources d’information de ses politemps ?», a donc demandé, natuciers. Le gardien de la paix C. a été rellement, un enquêteur au chef sanctionné de 15 jours de suspen3 www.alliancepn.fr & www.facebook.com/alliancepolicenationale 08 juillet 2013 Lu pour Vous de la division nord de 2007 à 2010. «Je n’ai rien à répondre à cette question qui part du principe que les faits sont établis. Pour moi, jusqu’au jugement, bénéficient de la présomption d’innocence. Cette question n’a pas lieu d’être», l’a repris, sèchement, le commissaire Jean-François Jaffuel. Derrière l’affaire de la BAC nord de Marseille, une guerre des chefs qui ne dit pas son nom Sur le coup, le brigadier-chef H. a été un peu surpris. Courant 2012, ce fonctionnaire du cabinet d’audit et de discipline de la direction de la sécurité publique (DDSP) des Bouches-du-Rhône reçoit un appel urgent chez lui. A cette époque, les soupçons sur la brigade anticriminalité Nord (BAC-Nord) de Marseille ont fuité dans la presse, mais l’affaire n’a pas éclaté. Le préfet délégué à la sécurité, Alain Gardère, veut avoir au plus vite une copie du rapport que le brigadier-chef avait réalisé en avril 2010 sur un gardien de la paix fraîchement éjecté de la BAC. Ce dernier, Sébastien Bennardo, avait dénoncé des «vols répétés sur des vendeurs de drogue» au sein de l’unité, au détour d’une audition disciplinaire. Quelques jours après, nouvelle surprise pour le policier, qui a raconté la scène à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) : «En pleine rue, je tombe de manière inopinée sur G. T. qui me demande de but en blanc si j’ai bien fait un rapport suite aux déclarations de Bennardo. Je lui ai répondu que cela ne le regardait pas et il m’a rétorqué que Bennardo était son «arme par destination» à l’encontre du directeur, Pascal Lalle. Il estimait ce dernier responsable de Le Bureau National sa mise en retraite brutale.» G. T., dont la réputation sulfureuse a fait le tour de Marseille, avait lui aussi été viré de la BAC-Nord, avant d’être mis à la retraite d’office. L’anecdote résume tout des débuts de l’affaire de la brigade anticriminalité de la division Nord (BAC-Nord) de Marseille. En haut, une guerre des chefs qui ne dit pas son nom, avec un préfet qui gère le dossier au plus près, sans passer par la voie hiérarchique, c’est-àdire son DDSP, Pascal Lalle. En bas, quatre fonctionnaires qui ont leur lot de casseroles, mais qui n’ont pas supporté leur éviction du service. Ils se répandent auprès de qui veut bien les écouter. Ils ont d’abord misé sur la sûreté départementale, en rivalité avec la BAC sur les affaires de stupéfiants, mais ça n’a rien donné. Ce sera donc, finalement, Alain Gardère, arrivé en août 2011. Cette figure de la Sarkozye policière, précédemment directeur de cabinet adjoint de Claude Guéant, tiens là la grosse affaire qui le sauvera en cas de retour de la gauche au pouvoir. «ARME PAR DESTINATION» A ce jeu, chaque homme peut devenir une «arme par destination». Les quatre dénonciateurs, d’abord. Le chef de la délégation interrégionale de l’IGPN (la «police des polices»), Didier Cristini, les qualifie de «sources distinctes, concordantes et crédibles», le 7 novembre 2011, lorsqu’il rend compte au procureur de la République des «pratiques crapuleuses» au sein de l’unité. L’enquête permet d’établir que si les sources étaient «concordantes», elles n’étaient pas très «distinctes», mais plutôt franchement concertées. L’objectif est clair : faire tomber la BAC-Nord et sa hiérarchie. Et obtenir un meilleur poste, ou une réintégration. Sébastien Bennardo est la vitrine du petit groupe. Il est venu dans le bureau de M. Gardère pour raconter ses histoires. Depuis, à chaque audition, il répète : «Compte tenu de mes déclarations au préfet, je sollicite que ma révocation soit commuée.» Au niveau supérieur non plus, Pascal Lalle n’a pas que des amis. Alain Gardère s’en serait bien débarrassé à son arrivée mais il n’a pas eu les mains libres. Les relations entre les deux hommes sont fraîches. Elles ne sont pas meilleures avec le commissaire Cristini : M. Lalle s’est ouvert à la hiérarchie parisienne d’insuffisances des procédures administratives de la «police des polices» marseillaise. «Entre 2011 et 2012, dans deux ou trois cas, le conseil de discipline n’a pas pu statuer à partir de l’enquête. Plusieurs dossiers ont même été renvoyés pour un complément d’enquête», explique un fonctionnaire présent lors des audiences. Dès l’éclatement de l’affaire, le 2 octobre 2012, la hiérarchie de la sécurité publique est pointée du doigt. En vain. M. Lalle a déjà été promu directeur central (DCSP) par Manuel Valls en juillet, et il sauve sa tête. Pour M. Gardère, le bilan est plus mitigé. Il ne parvient pas à rester à Marseille, mais, au contraire d’autres flics-préfets de droite, on lui trouve un poste, à Roissy. M. Cristini, lui, a été chargé de créer l’antenne de la délégation de Marseille à Nice. Cette rétrogradation fait jaser dans le microcosme. «Ça peut paraître étrange, reconnaît un haut fonctionnaire de l’IGPN, mais il souhaitait prendre ce poste par convenance personnelle. Il est très sérieux, loyal et il n’y a rien à lui reprocher.» Les quatre dénonciateurs, eux, sont parvenus à faire exploser la BACNord, comme ils l’avaient promis. 4 www.alliancepn.fr & www.facebook.com/alliancepolicenationale 08 juillet 2013