Dans les camps d`extermination, nier l`homme pour le détruire plus

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Dans les camps d`extermination, nier l`homme pour le détruire plus
CNRD 2017
La négation de l’homme dans l’univers concentrationnaire nazi
Dossier du Musée de la Résistance nationale
Partie 3 – Dans les camps d’extermination,
nier l’homme pour le détruire plus facilement (1941-1945)
Informations et documents complémentaires
Les textes non référencés sont des productions du MRN.
2 - La création et le fonctionnement des centres de mise à mort
Extrait du protocole final de la conférence de Wannsee
« L’émigration a désormais cédé la place à une autre possibilité de solution : l’évacuation des Juifs vers
l’est, solution adoptée avec l’accord du Führer […] La solution finale du problème juif en Europe devra être
appliquée à environ 11 millions de personnes […]. Dans le cadre de la solution finale du problème, les Juifs
doivent être transférés sous bonne escorte à l’Est et y être affectés au service du travail […] Il va sans dire
qu’une grande partie d’entre eux s’éliminera tout naturellement par son état de déficience physique. Le
résidu qui subsistera en fin de compte – et qu’il faut considérer comme la partie la plus résistante – devra
être traité en conséquence. En effet, l’expérience a montré que, libérée, cette élite naturelle porte en
germe les éléments d’une nouvelle renaissance juive. En vue de la généralisation pratique de la solution
finale, l’Europe sera balayée d’ouest en est […] »
Signé : Heydrich
Le camp de Treblinka
Maquette du camp de Treblinka réalisée par Yankel Wiernik, photographie des années 1960
(coll. Maison des combattants des ghettos, Israël)
« Le chemin du ciel »
Sous ce nom, les SS désignent le Schlauch, le couloir qui mène de la baraque de déshabillage aux chambres
à gaz de Treblinka.
Planté d’arbuste, il ressemble à l’allée d’un jardin public. Les gens qui l’empruntent doivent courir, nus.
Personne n’en revient. Ils sont violemment matraqués et piqués à coups de baïonnette, si bien qu’une fois
qu’ils sont passés, cette allée de sable blanc est couverte de sang.
Une brigade spéciale, la « brigade du Schlauch », intervient après chaque convoi pour le nettoyer et
répandre du sable propre afin que les victimes nouvellement débarquées ne se rendent compte de rien. […]
Au bout du Schlauch, on entre dans un bâtiment blanc marqué d’une grosse étoile de David. Un Allemand
se tient sur les marches, il montre l’entrée et dit en souriant ; « Je vous en prie ! » Ces quelques marches
mènent à un couloir décoré de fleurs. Contre les murs pendent de longues serviettes.
La chambre à gaz mesure sept mètres sur sept. Au milieu, il y a des pommeaux de douce, par lesquels le
gaz arrive. Un tuyau court le long d’un mur pour extraire l’air. Les portes sont entourées de rembourrage.
Le bâtiment compte dix chambres à gaz comme celle-ci. Un peu plus loin, une construction plus petite en
abrite trois autres.
A la porte, des SS poussent les gens vers l’intérieur. Ils agitent les bras sans répit et hurlent de leur voix
démoniaque : « Schneller, schneller, los, plus vite, plus vite, ça suffit. »
Chil Rajchman, Je suis le dernier Juif, Les Arènes, 2009, pages 38-39
« Est-ce la fin ? »
Chil Rajchman est déporté à Treblinka en 1942. Sous la surveillance de gardes ukrainiens, il doit couper les cheveux
des femmes qui vont être gazées.
Nous sommes pétrifiés. Au bout de quelques minutes, on entend des cris de détresse. Des femmes nues
apparaissent. Dans le couloir, un assassin leur indique de courir dans notre direction. Il fouette sans merci
et crie : « Schneller, schneller, plus vite ! »
Je regarde ces pauvres femmes et n’en crois pas mes yeux. Chacune d’elle s’assied devant un coiffeur.
Une jeune femme s’avance vers moi. Mes mains sont paralysées, je ne peux plus bouger les doigts. Elles
nous font face et attendent que nous coupions leurs belles chevelures. Leurs pleurs sont déchirants.
Mon camarade, à côté, me dit : « Souviens-toi que si tu travailles trop lentement, un assassin s’en rendra
compte et tu seras perdu. »
J’ouvre els doigts de ma main crasseuse, je coupe les cheveux de cette femme et les jette dans la valise.
Tous les autres font de même. La femme se relève. On voit qu’elle a été sonnée par les coups qu’elle a
reçus. Elle me demande où elle doit aller ensuite et je lui montre la deuxième porte. J’ai à peine le temps de
me retourner qu’une deuxième femme est déjà assise devant moi, elle me prend la main et veut
l’embrasser : « Dites-moi, que vont-ils faire de nous ? Est-ce la fin ? »
Elle pleure et me demande si c’est une mort pénible, si ça dure longtemps, si on est gazé ou électrocuté.
Je ne lui réponds pas. Elle insiste, elle veut que je le lui dise car elle sait qu’elle est perdue. Je ne parviens
pas à lui avouer la vérité et je la réconforte. Cet échange n’a pas duré plus de quelques secondes. Je tourne
la tête car j’ai honte de la regarder dans les yeux. Un assassin hurle à côté de moi : « Allez, il faut couper
plus vite ! »
La femme est totalement déboussolée. Après un instant, elle se reprend et sort en courant.
Chil Rajchman, Je suis le dernier Juif, Les Arènes, 2009, pages 52-53
Le camp d’Auschwitz-Birkenau
Photographie aérienne du camp d’Auschwitz-Birkenau prise par un avion britannique, 25 août 1944
(coll. Imperial War Museum, Londres)
Biographie
Filip Müller (1922-2013)
Né en Slovaquie, il est arrêté et déporté à Auschwitz, en avril 1942, dans un convoi de mille déportés dont
il est l’un des dix seuls rescapés. Il est rapidement affecté au Kommando du Krematorium I avant d’être
ensuite transféré au camp de Monowitz. Très affaibli par les conditions de travail, il parvient à survivre,
avant d’être reconnu par un SS qui l’affecte à nouveau au Kommando chargé des installations de mise à
mort. Il intègre le Sonderkommando du K IV puis celui du K V. Témoin de l’extermination des juifs d’Europe,
il transmet des informations précises à Alfred Wetzler avant son évasion réussie. Il assiste à la révolte du
Sonderkommando et à sa répression en octobre 1944. N’ayant pas été impliqué dans le soulèvement, il fait
partie des détenus maintenus en vie pour faire fonctionner le K V jusqu’à son démantèlement. En janvier
1945, dans la confusion, il se mêle avec une centaine d’autres membres du Sonderkommando aux détenus
évacués d’Auschwitz devant la progression des troupes soviétiques. Il survit aux marches de la mort et est
libéré à Gusen, camp annexe de Mauthausen le 5 mai 1945.
Rentré en Tchécoslovaquie, mais gravement malade, il donne pourtant un premier témoignage dès 1946.
Il témoigne au procès de Francfort en 1964. Installé en Allemagne et constatant la méconnaissance des
Sonderkommandos, il raconte son expérience dans le film Shoah de Claude Lanzmann et dans son livre Trois
ans dans une chambre à gaz d’Auschwitz (Pygmalion, 1980).
Réalisation : Eric Brossard, professeur relais au Musée de la Résistance nationale, 2016