Quelques repères chronologiques

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Quelques repères chronologiques
Université de Sao Paulo, 14, 16 et 18 avril 2008.
Julien Théry (Université de Montpellier III) : Les hérésies médiévales, de l'An Mil au début du XIV e s. Vue d'ensemble et présentation des
renouvellements historiographiques.
Quelques textes
1. Un épisode d'hérésie en Champagne vers l'an mille selon Raoul Glaber
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Vers la fin de l'an mille vivait en Gaule, dans le village de Vertus au pays de Châlons, un homme du peuple
nommé Leutard, qui, comme le prouve la fin de son aventure, peut être pris pour un envoyé de Satan. Son
audacieuse folie prit naissance de la façon suivante. Il se trouvait un jour seul dans un champ, occupé à quelque
travail de culture. Cédant à la fatigue, il s'endormit, et il lui sembla qu'un vaste essaim d'abeilles pénétrait dans son
corps par sa secrète issue naturelle ; puis elle lui ressortirent par la bouche en un énorme bourdonnement, lui
faisant mille piqûres ; et après avoir été longtemps fort tourmenté par leurs aiguillons, il crut les entendre parler et
lui ordonner de faire toutes sortes de choses impossibles aux hommes. Enfin, épuisé, il se lève, rentre chez lui et
chasse sa femme, prétendant divorcer en vertu des préceptes évangéliques. Puis il sort comme pour se rendre à
l'église, arrache le crucifix et brise l'image du Sauveur. À cette vue, tous furent frappés de terreur et crurent à bon
droit qu'il avait perdu la raison ; mais il réussit à persuader ces faibles cervelles campagnardes qu'il n'avait agi que
sur la foi d'une étonnante révélation divine. Il se répandit en d'innombrables discours vides d'utilité comme de
vérité et, en tentant de se faire passer pour un docteur, faisait oublier le vrai Maître de toute doctrine. Payer les
dîmes était, à l'entendre, une coutume tout à fait superflue et vide de sens. Et alors que les autres hérésies, pour
tromper plus sûrement, se couvrent du manteau des saintes Écritures dont pourtant elles sont la négation, celui-ci
prétendait que dans les récits des prophètes, les uns sont bons à prendre et les autres ne méritent aucune créance.
Cependant, sa trompeuse renommée d'homme plein de sens et de piété lui gagna en peu de temps une
considérable partie du peuple. Ce que voyant, le très savant Gébuin, le vieil évêque du diocèse dont dépendait notre
homme, ordonna qu'on le lui amenât. Il l'interrogea sur tout ce qu'on rapportait de son langage et de sa conduite ;
l'autre entreprit de dissimuler sa pernicieuse infamie, essayant, malgré son ignorance en la matière, d'invoquer à
son profit des témoignages tirés des saintes Écritures. Le pénétrant évêque jugea qu'ils ne faisaient rien à l'affaire et
rendaient le cas aussi condamnable que honteux. En montrant comment la folie de cet homme l'avait conduit à
l'hérésie, il fit revenir de cette folie le peuple en partie trompé et le rendit tout entier à la foi catholique. Et notre
homme, se voyant vaincu et frustré dans ses ambitions démagogiques, se donna lui-même la mort en se noyant
dans un puits.
Raoul Glaber, Histoires, I, III, IV, V ; trad. du latin par E. Pognon, L'An mille, Paris, 1947, p. 78-79.
2. Les débuts de la Pataria à Milan (1056) d'après Bonizo da Sutri
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Au temps dudit pontife romain, Gui causait la ruine de l'Église milanaise : illettré, concubinaire, c'était
aussi un simoniaque sans vergogne. Au temps de ce Gui, deux clercs vivaient dans ladite cité : l'un, né d'une
puissante lignée, s'appelait Landulf ; c'était un homme aimable et d'une très grande éloquence. L'autre avait nom
Ariald, il tirait sa naissance d'une famille chevaleresque ; c'était dans les arts libéraux un homme de toute première
compétence ; il reçut par la suite la couronne du martyre. Ces hommes, donc, qui fréquentaient assidûment les
livres sacrés, en premier lieu ceux du bienheureux Ambroise, comprirent à quel point il est criminel de cacher le
talent qu'on vous a confié. C'est pourquoi un beau jour, se recommandant à Dieu et au bienheureux chef des
apôtres, ils adressèrent au peuple, forts de la grâce divine, la parole de la prédication. Et les voilà étalant devant le
peuple les fraudes vénales de la simonie ; lui démontrant avec une clarté plus que lumineuse combien il est honteux
pour des prêtres et des lévites concubinaires de célébrer les sacrements ; affirmant, sur le témoignage du
bienheureux Ambroise, que le refus d'obéissance à l'Église de Rome est une hérésie.
Parmi les auditeurs, ceux qui étaient prédestinés à la vie éternelle firent à cette déclaration un accueil favorable ; les pauvres, surtout les accueillirent favorablement, ces pauvres que Dieu a choisis pour confondre les forts.
Mais les clercs, dont la foule, dans ladite église, est aussi innombrable que le sable de la mer, excitèrent les
capitaines et les vavasseurs, qui trafiquaient les églises et que des liens de parenté unissaient à leurs concubines. Le
but de ces efforts était, d'imposer silence à ces deux hommes à la faveur de l'émeute. Mais leurs espoirs furent
déçus. C'est devant un nombre tous les jours croissant de fidèles que ces admirables athlètes de Dieu se dépensaient
plus vigoureusement en prédications ; leur malice étalée devant tous, les ennemis de Dieu, au contraire, étaient
tous les jours surclassés et ridiculisés (...).
Présents à tout cela, mais bien incapables de tenir tête à la vérité ni à une telle foule, les simoniaques
étaient couverts de honte ; d'où ce grief de pauvreté qu'ils lançaient à nos gens, les appelant « patarins », c'est-àdire loqueteux. Mais ce faisant, eux qui disaient à leurs frères « Racca » – racos est un mot grec qui veut dire loque
–, ils étaient passibles de jugement ; bienheureux les autres au contraire, eux qui étaient dignes de subir des
affronts pour le nom de Jésus. Que dire de plus ? Si vive était, jour après jour, la croissance de leur groupe que les
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« patarins » décidèrent d'envoyer à Rome des gens de bien chargés de demander au pape, le bienheureux Étienne,
qu'il envoie avec eux de saints évêques, avec la mission de reconstruire leur Église depuis ses fondations. Dans cette
27 si vaste, dans cette innombrable foule de clercs, en effet, c'est à peine si, sur mille, on pouvait en trouver cinq qui ne
fussent pas ligotés dans les mailles de l'hérésie simoniaque. Cette requête réjouit le pape ; il fit aussitôt partir des
évêques, pris parmi ceux qui l'entouraient, et, parmi eux, l'archidiacre Hildebrand, cher à Dieu. À leur arrivée à
30 Milan, ils n'y trouvèrent pas l'archevêque : sa conscience l'accusait et il avait fui leur présence. Mais le peuple,
comme il se devait, les reçut avec les plus grands honneurs. Ils restèrent plusieurs jours à fortifier par des prédications soutenues la résolution des fidèles.
Bonizo da Sutri, Liber ad amicum, livre VI, éd. M.G.H., Libelli de Lite, t. I, p. 591-592,
trad. dans Ch.-M. de La Roncière, P. Contamine, R. Delort, M. Rouche, L'Europe au Moyen Age, t. II, Fin IXe-fin XIIIe,
Paris, 1969, p. 278.
3. Les hérétiques de Bucy selon Guibert de Nogent (1114)
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Précisons qu'un paysan nommé Clément, qui, avec Évrard, son frère, habitait Bucy, village proche de
Soissons, passait pour être un des chefs de cette hérésie. Dans son infamie, le comte déclarait qu'il n'aurait pu
trouver personne de plus sage que lui.
L'hérésie dont je parle n'est point de celles dont les adhérents défendent ouvertement leur doctrine, mais
elle rampe dans la clandestinité, dénoncée par ses perpétuels bruissements. En voici l'essentiel, selon ce que l'on en
rapporte. Ils considèrent comme une illusion l'incarnation du Fils de la Vierge; ils récusent le baptême des petits
enfants encore inconscients, quels que soient les parrains. Pour eux, le verbe de Dieu, c'est leur propre discours,
engendré par je ne sais quelle longue répétition de paroles ; le mystère qui pour nous s'accomplit sur l'autel, ils l'ont
en horreur, au point qu'ils appellent bouche d'enfer la bouche de n'importe quel prêtre. Que si parfois, pour voiler
leur propre hérésie, ils se mêlent aux autres et reçoivent nos sacrements, ce jour-là ils se tiennent pour tenus à la
diète et ne prennent aucun aliment. Ils ne font nulle distinction entre la terre sacrée des cimetières et d'autres
terrains, ils condamnent mariage et procréation. Éparpillés à travers le monde latin, on les voit, hommes et
femmes, cohabiter sans aucune règle conjugale. Même ainsi, ils ne demeurent point fidèles l'un à l'autre. On sait
encore que des hommes couchent ensemble, que des femmes agissent de même : selon eux l'union de l'homme avec
la femme est un crime. Les fruits qui naissent de leurs accouplements, ils les suppriment.
Dans des caveaux ou dans des endroits souterrains bien dissimulés, ils tiennent leurs conciliabules. Là, les
deux sexes confondus, ils allument des chandelles et ils s'en viennent les présenter, de dos, à une donzelle qui,
prosternée, offre à la vue de tous ses fesses dévoilées. C'est là ce que l'on dit. Peu après, ils éteignent ces flambeaux,
ils se mettent à crier de tous côtés : « Chaos ! ». Aussitôt, chacun se précipite pour posséder la première partenaire
qui lui tombe sous la main. Si, à la suite de cela, une femme devient grosse, ils retourneront au même endroit après
l'accouchement : on allume cette fois un grand feu, les gens assis tout autour se passent l'enfant de main en main,
puis le jettent dans les flammes où il va se consumer. Lorsqu'il se trouve réduit en cendres, ils fabriquent avec ces
cendres un pain dont un morceau est distribué à chacun. Un hérétique ne vient presque jamais à résipiscence
lorsqu'il a participé à cette espèce d'eucharistie.
Si vous relisez l'énumération qu'Augustin a opérée des hérésies, vous verrez que tout cela s'applique, mieux
qu'à aucune autre, à celle des manichéens. Une telle doctrine fut jadis élaborée par des hommes très savants, puis
elle a filtré pour aboutir jusque chez des rustres qui, se targuant de mener une vie de type apostolique, se sont
attachés uniquement à en lire les Actes.
Ainsi donc le seigneur évêque Lisiard de Soissons, homme fort illustre, cita devant lui aux fins d'enquête les
deux personnages ci-dessus nommés. Ce prélat commença par mettre à leur charge le fait de tenir des réunions en
dehors de l'église, rappelant que, autour d'eux, on les qualifiait d'hérétiques. À cela, Clément, répliqua :
« Monseigneur, n'avez-vous pas lu dans l'Évangile le passage où il est dit : Beatis eritis ? En effet cet homme, ne
sachant pas le latin, croyait que eritis voulait dire « hérétiques », et il croyait en outre que heretici devait s'entendre
au sens de « héritiers », héritiers, évidemment, de Dieu. Ensuite, on les interrogea au sujet de leurs croyances, et ils
répondirent de manière absolument chrétienne. Toutefois, ils ne nièrent pas qu'ils avaient des conciliabules.
Comme le propre de telles gens est de toujours nier, tandis que secrètement ils séduisent les coeurs des hommes
simples, ils furent assignés au jugement par l'eau exorcisée.
Tandis que l'on procédait aux préparatifs, l'évêque me demanda de leur soutirer discrètement ce qu'ils
pensaient. Je les mis à l'épreuve à propos du baptême des petits enfants, et ils me dirent: : « Quiconque aura cru et
aura été baptisé sera sauvé ». Je compris que, sous une citation en soi excellente, se dissimulait de leur part une
insigne malignité. Aussi leur demandai-je de me dire ce qu'ils pensaient de ceux qui reçoivent le baptême sous
garantie de la foi d'autrui. Ils me répondirent: « Au nom de Dieu, ne cherchez pas à nous sonder aussi
profondément ! ». Et de la même manière ils s'exprimèrent sur chaque autre point, ajoutant : « Pour nous, nous
croyons tout ce que vous dites ». Ce fut alors que, me remémorant la fameuse formule à laquelle s'étaient jadis
ralliés les priscillianistes : « Jure ou parjure-toi, mais veille à ne point trahir le secret », je dis à l'évêque : « Puisque
les témoins qui les entendirent proférer une telle doctrine nous font défaut, soumettez-les à l'épreuve qui vient
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d'être préparée ». En fait de témoins, il s'agissait d'une dame à laquelle Clément, depuis un an, avait troublé la
48 raison, ainsi que d'un diacre qui, de sa bouche même, avait entendu d'autres phrases pleines de perversité.
L'évêque célébra donc la messe et ils reçurent l'eucharistie de ses mains, tandis qu'il ajoutait : « Que
le Corps et le Sang du Seigneur vous serve aujourd'hui d'épreuve ! ». Après quoi le très saint évêque s'avance vers le
51 récipient d'eau, accompagné par l'archidiacre Pierre, homme parfaitement intègre quant à la foi, lequel avait
repoussé les avances qu'ils lui faisaient en vue de n'être pas soumis à l'ordalie. L'évêque, non sans verser beaucoup
de larmes, entonna la litanie, puis procéda à l'exorcisme, à la suite de quoi les inculpés jurèrent qu'ils n'avaient
54 jamais cru ni enseigné rien de contraire à notre foi. Clément, plongé dans le baquet, se met à surnager comme un
fétu. À cette vue, toute l'assemblée est transportée d'une joie sans bornes. Il faut dire en effet que cette affaire avait
provoqué la venue d'une si grande foule des deux sexes que, de mémoire de présent, nul n'en avait jamais tant vu.
57 Le complice de Clément confessa son erreur mais sans faire pénitence. Avec son frère démasqué il fut jeté au
cachot. Deux autres hérétiques tout à fait avérés, originaires du village de Dormans, qui étaient venus assister au
spectacle, furent également incarcérés.
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Nous nous rendimes alors à Beauvais pour consulter les évêques, assemblés en synode, sur ce qu'il
convenait de faire. Mais entre temps le peuple croyant, qui redoutait un manque de fermeté chez les clercs, se
précipita vers la prison, enleva les captifs et alluma hors ville un bûcher dans lequel il les fit brûler. Ce fut ainsi que
63 le peuple de Dieu, pour éviter que ce chancre ne se propageât, exerça à leur encontre le zèle de sa propre justice.
Guibert de Nogent (1053-1124), Autobiographie (De Vita sua), éd. et trad. E.-R. Labande, Paris, Les Belles Lettres,
1981, p. 429-435.
4. L'hérésie de Pierre de Bruys (v. 1120) selon le traité Contra Petrobrusianos de l'abbé de
Cluny Pierre le Vénérable (v. 1135)
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Aux Seigneurs et Pères maîtres de l'Église de Dieu les archevêques d'Arles et d'Embrun et les évêques de
Gap et Die, frère Pierre, humble abbé de Cluny, salut et respect.
Je vous ai écrit récemment une lettre discutant contre les hérésies de Pierre de Bruys, mais d'innombrables
et importantes affaires m'ont retardé jusqu'à aujourd'hui. Je vous l'envoie maintenant pour qu'elle vous mette en
garde contre les hérétiques au sujet desquels elle est écrite et aussi parce qu'elle pourrait être utile aux catholiques.
Je vous l'envoie parce que dans vos régions ou autour, cette hérésie impie et stupide, comme une peste (more
pestis), a massacré beaucoup de gens valides et en a infecté plus ; mais grâce à Dieu et à votre aide, elle a quitté vos
régions il y a peu. Cependant elle a gagné, à ce que j'ai entendu, des régions assez proches des vôtres, et, expulsée
par vous de Septimanie, elle aménage ses repères (foveas) dans la province de Novumpopulana, qu'on appelle
vulgairement la Gascogne, et dans les régions voisines. Où, tantôt se cachant avec crainte, tantôt se portant en avant
avec audace, elle trompe qui elle peut, elle corrompt qui elle peut, elle innocule son venin mortel tantôt à ceux-ci,
tantôt à ceux-là. Il vous revient donc à vous, tant par votre office que par votre savoir, qui avez le soin de l'Église de
Dieu, tels des colonnes, il vous revient, dis-je , de l'extirper de ses cachette par la prédication, ou bien, si nécessaire,
par la force des armes laïques. Mais parce que c'est une plus grande œuvre de les convertir que de les exterminer et
qu'il convient de montrer de la charité chrétienne, mettez-leur en avant l'autorité et montrez-leur la raison, de sorte
que ceux qui veulent rester chrétiens cèdent à l'autorité et ceux qui veulent être des hommes à la raison.
Peut-être leur serait-il utile, s'ils veulent bien, de lire dans ma lettre ce que je vous ai écrit contre leurs
erreurs. Et s'ils veulent bien refuser d'être satisfaits d'eux-mêmes et obstinés, après avoir lu ma lettre, même s'ils
ont beaucoup erré, ils peuvent revenir sur tant de stupidité. Mais s'ils se sont donnés au sens réprouvé, s'ils
choisissent de perdre l'esprit plutôt que de savoir, de périr plutôt que d'être sauvé, de mourir plutôt que de vivre,
peut-être que la lecture de la lettre satisfera les réflexions cachées de quelques catholiques, les guérira d'une foie
inconnue et pourra prémunir leurs esprits contre ceux dont le prophète dit que la langue est acérée comme le
glaive. Ceci, que je mets en dernière place, a été pour moi la plus grande raison d'écrire, de sorte que même si cet
écrit ne puisse servir aux hérétiques, il serve aux membres de l'Église de Dieu. Car l'Église, comme votre sagesse le
sait, a toujours fait en sorte par les siècles passés de ne jamais passer sous silence les hérésies variées qui tentèrent
fréquemment de la toucher et s'est purgée des blasphèmes de tous les hérétiques, pour sa sécurité et pour
l'instruction de tous, en matière d'autorités sacrées et de raison. C'est pourquoi moi, malgré ma petitesse, membre
du corps de l'Église, j'ai eu besoin de faire écrire ces choses, pour que ce que j'ai écrit puisse être utile aux
hérétiques, si la chose est possible, et rende les catholiques entre les mains desquels cela tombera plus prudents
devant les doctrines abominables (nefanda dogma) et autres semblables.
Et parce que les premières graines de la doctrine erronée semée par Pierre de Bruys il y a vingt ans ont
produit principalement cinq plantes vénéneuses, j'ai agi principalement contre elles, pour que l'âme et la parole
s'occupent le plus intensément d'elles, là où la foi se trouve en grand péril et grand dommage. C'est pourquoi,
puisque cet ouvrage est diffusé, mais qu'à cause des affaires de l'Église vous n'avez pas beaucoup de temps pour
lire, j'ai résumé brièvement les chapitres où les erreurs sont longuement exposées dans la lettre.
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Le premier des chapitres hérétiques nie que les petits enfants qui n'ont pas l'âge de raison puissent être
sauvés par le baptême du Christ et que la foi d'un autre puisse leur être utile, parce que, d'après eux, ce n'est pas la
foi d'un autre, mais la sienne propre, qui sauve avec le baptême, le seigneur ayant dit : « Qui croira et sera baptisé
sera sauvé, qui ne croira pas sera condamné » (Marc, 16).
Le second chapitre dit qu'on ne doit pas faire construire des églises ou des temples, qu'il convient de
détruire ceux qui sont construits, qu'il n'est pas nécessaire aux chrétiens d'avoir des lieux sacrés pour prier,
puisque, que ce soit à la taverne, à l'église, au marché, au temple, devant l'autel ou devant une étable, Dieu entend
celui qui l'invoque et exauce celui qui le mérite.
Le troisième chapitre ordonne de briser et brûler les croix sacrées parce que leur vue, ainsi que celle des
instruments qui ont torturé si durement le Christ et l'ont si cruellement tué, n'est pas digne de vénération,
d'adoration ou de supplique. Au contraire, pour venger ses tourments et sa mort, il faut les déshonorer, les briser
avec le glaive, les brûler dans le feu.
Le quatrième chapitre non seulement nie que la vérité du corps et du sang du Christ est tous les jours et
continument offerte à l'Église par le moyen des sacrements, mais déclare que cela n'est rien et ne doit pas être offert
à Dieu.
Le cinquième chapitre se moque des sacrifices, des oraisons, des aumônes et des autres biens faits par les
fidèles vivants aux fidèles morts et affirme qu'ils ne peuvent en rien aider celui qui est mort.
J'ai répondu à ces cinq chapitres, comme Dieu me l'a donné, dans la lettre envoyée par moi à votre sainteté.
Et je me suis efforcé de faire en sorte que l'impiété des perfides fusse ou convertie, ou confondue, et que la croyance
des pieux fusse affermie.
Mais après la destruction de Pierre de Bruys, que le zèle des fidèles, à Saint-Gilles, a fait brûler dans les
flammes qu'il avait lui-même allumées pour brûler la croix du Seigneur, après que cet homme impie fut passé de ce
feu au feu éternel, l'héritier de sa méchanceté (nequitia), Henri, n'a pas amendé sa doctrine diabolique, mais y a
changé je ne sais combien de chapitres et a édité non seulement cinq chapitres, mais plusieurs autres, dans un
volume que j'ai vu écrit et que l'on dit avoir été dicté de sa bouche. Contre ceci, l'esprit est tenté de réagir et de
répondre aux paroles démoniaques par des phrases divines. Mais parce que personne ne m'a pleinement assuré que
telle était bien sa pensée et sa prédication, j'ai répoussé ma réponse jusqu'à l'heure où j'en aurai la certitude (... ).
Éditions : Epistola sive tractatus adversus petrobrusianos hereticos, dans Patrologie Latine, éd. Migne, t. 189, col.
79-724 ; et (meilleure) Pierre le Vénérable, Contra Petrobrusianos hereticos, éd. Fearns, Turnhout, 1968. Traduction M. Zerner
(avec retouches de J. Théry).
5. L'hérétique Henri (vers 1116-1119, puis 1134) d'après la Geste des évêque du Mans
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En ce temps de foire surgit des régions voisines un homme dont l'hypocrisie, les actions,les mœurs
perverties, les enseignements détestables, montrent qu'il mérite les supplices des scorpions sacrilèges et des
parricides. Cet homme, en effet, cachait sous la défroque d'une brebis sa fureur de loup rapace, semblable à la mer
naufrageuse par l'excitation de son visage et de ses yeux, les cheveux attachés, barbu, le corps grand, infatigable à la
marche, les pieds nus même en hiver, la démarche sinueuse, la parole facile, la voix terrible, jeune en âge. Aucun
ornement dans ses vêtements, sa manière de vivre bizarre... (...) Quoi d'autre ? Sa réputation de sainteté et de savoir
reposait non sur les mérites de son caractère mais sur le mensonge, non sur ses mœurs et sa piété mais sur
l'opinion. Même les matrones et les garçons impubères prenaient plaisir à ses excès, car il usait de charme à l'égard
des deux sexes... (...)
Sa réputation grandissant dans notre région, le peuple, applaudissant, à son détriment, avec la légèreté qui
lui est propre, jour après jour soupirait après sa venue et ses réunions d'illusions, par quoi il pût au plus vite devenir
compagnon de son hérésie. (...) Cet homme envoya à l'évêque deux de ses disciples qui lui étaient semblables par le
mode de vie et l'apparence, tel le Sauveur. Ils atteignirent les faubourgs de notre cité le jour des Cendres. Et tout le
peuple, dans sa ferveur devant ses mauvais propos, les accueillit comme les anges du Seigneur. Comme il est
d'usage chez les doctes, ils portaient des enseignes, l'étendard de la croix attaché à une tige de fer, affectant la
pénitence... (...) L'évêque, homme d'une grande piété, les accueillit avec joie et générosité, leur montra un visage
amical et heureux, sans craindre la ruse du cheval d'Argos. Et bien qu'il allait partir à Rome, il ordonna à ses
archidiacres de permettre au faux ermite Henri (car c'était le nom de l'hérétique) d'entrer dans la cité et de prêcher
le peuple.
Quand il entra à l'intérieur des murs de la cité, le peuple, avec sa folie habituelle, applaudit à la nouveauté.
(...) Des clercs, égarés dans ce schisme par des factions et des donations privées, apportèrent leur aide à ses
déclamations, préparèrent une tribune d'où le démagogue pourrait haranguer la foule prosternée devant lui. En
outre, quand il faisait une oraison au peuple, les clercs s'installaient à ses pieds et pleuraient, son discours résonnait
comme si des légions de démons parlaient par sa bouche. Il était assurément d'une éloquence remarquable. (...)
Cette hérésie fit verser le peuple dans une fureur contre le clergé telle que les clercs craignirent d'être
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massacré par leurs domestiques, qu'on ne voulait plus rien leur vendre ou leur acheter, les traitant comme des
27 Gentils ou des Publicains. En outre, non content de mettre bas leurs maisons ou de jeter au loin leurs biens, le
peuple les aurait lapidés ou mis au pilori si le comte et les grands ne les en avaient empêchés par la force (car on ne
raisonne pas un monstre). Quelques-uns des clercs résidant dans la ville, à savoir Hugues d'Osello, Guillaume Qui30 ne-boit-pas-d'eau et Payan Aldric vinrent un jour vers lui pour demander grâce et ils furent violemment assaillis,
couverts de boue ...
[Un chanoine vint apporter une lettre du clergé dénonçant Henri - qui a appporté la colère au lieu de la
33 paix, la malédiction au lieu de la bénédiction, qui a dit du clergé qu'il était hérétique, qui a dit des choses contraires
à la foi catholique, etc. , auquel il est désormais interdit de prêcher dans l'évêché du Mans sous peine
d'excommunication - , qu'il lut à haute voix sous la protection du sénéchal du comte, et à chaque phrase Henri
36 hocha la tête et dit « vous mentez »]
Peu après, il organisa des assemblées sacrilèges à Saint-Germain et Saint-Vincent, où il enseigna de
nouveaux dogmes, selon lequels les femmes qui n'avaient pas vécu chastement devaient se dévêtir et brûler devant
39 tous leurs vêtements avec leurs chevelures; et personne ne devait recevoir d'or, d'argent, de bien. Pas de sponsalitio
qui parte en fumée avec une femme, pas de dot conférée à l'homme ; l'homme nu devait épouser la femme nue, le
malade la malade, le pauvre la pauvresse, sans se soucier si le convolage était chaste ou incestueux. Pendant qu'on
42 faisait comme il avait dit, il admirait la beauté des femmes et discutait de laquelle avait le plus beau teint, ou le plus
beau corps. Cependant, le peuple agissait en tout selon son ordre. S'il l'avait voulu, l'or et l'argent auraient coulé
vers lui en telle quantité qu'à lui seul il aurait semblé posséder les richesses de tous. Bien qu'il en reçut ouvertement
45 beaucoup, il retint sa cupidité de peur de paraître trop intriguant; en fait, il en retint pour lui beaucoup et en donna
un peu pour refaire les draps qui avaient été brûlés comme on l'a dit. Sur son conseil, beaucoup de jeunes
épousèrent des femmes corrompues auxquelles il achetait des draps de quatre sous, juste assez pour couvrir leur
48 nudité. Mais le vrai Juge, après avoir détruit les œuvres de l'hérétique, montra aux autres de quelle sorte était
l'arbre, qui portait des feuilles mais ne donnait pas de fruit ...
Pendant que ces choses se passaient, l'évêque, entouré d'un grand nombre de ses clercs, arrivé dans les
51 faubourgs de la cité, fit le signe du Dieu vivant sur son peuple avec une sollicitude paternelle; mais le peuple tourna
son cœur et ses paroles contre le Créateur et rejeta son signe épiscopal et sa bénédiction: « Nous ne voulons pas,
dirent-ils, des chemins de ton savoir, nous ne voulons pas ta bénédiction et ta communion, nous avons notre père,
54 notre pontife, notre avoué, qui te surpasse en autorité, en honnêteté et en savoir. Tes clercs iniques, indignes, sont
ses adversaires, contredisent son enseignement, le détestent et le refusent en le tenant pour sacrilège, redoutant
qu'il ne mette à jour leurs crimes grâce à son esprit prophétique, et, forts d'une lettre, condamnent son hérésie et
57 son incontinence. Mais tout ceci va bientôt retomber sur leurs têtes, eux qui ont eu la présomption d'interdire au
saint Dieu la voix de la céleste prédication, par nous ne savons quelle audace ».
L'évêque eut pitié des erreurs et de l'ignorance de son peuple et supporta les insultes avec calme, priant le
60 Dieu de majesté de réduire ce mélange d'hérésie et d'excitation et de l'empêcher de faire un schisme qui partagerait
son église. Mais, selon la parole du psalmiste priant pour le salut des pécheurs : « Seigneur, couvre leurs faces de
leur ignominie et qu'ils invoquent ton nom », le Seigneur Dieu permit qu'un incendie ravageât une grande partie
63 des faubourgs de la cité, afin qu'ils abandonnassent leur mauvais propos, du moins à cause de ces dommages
temporels.
Quelques jours plus tard, l'évêque, retenant la parole du prophète qui dit : « combien grande est ta douceur,
66 Seigneur, envers ceux qui te craignent », alla vers le séducteur et mit fin à son impiété par la divine autorité.
Comme ils commençaient à parler, l'évêque chercha à savoir sur quel mérite s'appuyait sa « profession », mais
celui-ci ne savait pas ce qu'était une « profession » et resta silencieux. Essayant à nouveau, l'évêque lui demanda de
69 quel ordre était son office et il dit: « je suis diacre ». L'évêque : « dis-moi donc si aujourd'hui tu as assisté aux
mystères ». Il répondit : « non ». « Chantons-donc ensemble les hymnes de matines ». Après avoir commencé,
Henri reconnut ignorer ceux du jour. L'évêque, cependant, voulant faire ressortir toute son ignorance, commença à
72 chanter les psaumes habituels de la mère de Dieu. Henri n'en connaissait ni le ton ni les mots. Ainsi, confondu de
honte, il confessa sa façon de vivre, le genre de son enseignement et sa présomption... (...)
L'évêque, sachant la légèreté et l'impiété d'Henri, au nom de l'autorité apostolique, lui interdit de rester
75 plus longtemps dans son diocèse, pour qu'il épargne les nôtres et parte ailleurs. Et lui, vaincu par le zèle de l'évêque,
s'enfuit secrètement et perturba de la même façon d'autres régions, si la rumeur n'est pas fausse... j'ai noté tout ceci
sur Henri et l'ai inséré dans la Geste d'Hildebert, pour l'utilité et l'enseignement des pasteurs, pour qu'ils prennent
78 garde que l'Église du Christ ne soit une autre fois perturbée par ce genre d'erreurs. Enfin, Hildebert chercha à
calmer autant par l'humilité que par la raison la fureur du peuple qu'Henri avait séditieusement excité contre le
clergé. Car Henri s'était si bien attaché le peuple qu'encore aujourd'hui sa mémoire et l'amour pour lui peuvent à
81 peine s'effacer des cœurs.
[1134]
En ce temps-là, le faux ermite sur lequel nous avons écrit plus haut commença à répandre le virus de son
84 hérésie dans des régions éloignées et à corrompre l'Église de Dieu. Il adaptait à ses besoins bien des écrits des
prophètes et enseignait des doctrines perverses (...). Mais par la miséricorde divine, qui toujours répond aux
humbles prières, Henri fut pris par l'archevêque d'Arles et présenté devant le pape Innocent [II] à l'authentique
87 concile de Pise [1134]. Et là, il fut de nouveau confondu et désigné comme hérétique et ensuite emprisonné. Mais
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renouvellements historiographiques.
plus tard, après qu'on lui eût permis de partir dans une autre province, il prit un nouveau chemin dans la faute,
avec une nouvelle secte, dans un nouvelle démarche. Il causa tant de troubles que les chrétiens n'entrèrent presque
90 plus dans les églises, mais, méprisant le divin mystère, les oblations aux prêtres, les prémisses, les dîmes, les visites
aux malades, se refusèrent désormais à la révérence accoutumée...
Geste des évêques du Mans (éd. Bouquet, Recueil des Historiens des Gaules et de la France, t. XII, traduit du latin par
M. Zerner.
6. Les actes de la rencontre de Lombers entre prélats et bons hommes hérétiques (1165)
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L'évêque de Lodève, sur l'ordre de l'évêque d'Albi et de ses assesseurs, interrogea ceux qui se faisaient
appeler « bons hommes ».
Il leur demanda, primo, s'ils acceptaient la foi de Moïse, les prophètes, les Psaumes, l'Ancien Testament et
les docteurs du Nouveau Testament. Ils répondirent, face à toute la foule, qu'ils n'acceptaient pas la loi de Moïse, ni
les Prophètes, ni les Psaumes, ni l'Ancien Testament, seulement les Evangiles, les Epîtres de Paul, les sept Epîtres
canoniques, les Actes des Apôtres et l'Apocalypse.
Secundo, il les interrogea sur leur foi, pour qu'ils l'exposent, et ils dirent en réponse qu'ils ne diraient rien
sans y être forcés.
Tertio, il les interrogea sur le baptême des petits enfants, s'ils étaient sauvés par le baptême. Ils répondirent
qu'ils ne diraient rien, mais qu'ils répondraient sur l'Évangile et les Épîtres.
Quarto, il les interrogea sur le corps et le sang du Seigneur, où et par qui il était consacré, qui le recevait, s'il
valait mieux qu'il soit consacré par le bon que par le méchant. Ils répondirent que celui qui le recevait dignement
était sauvé et celui qui le recevait indignement damné ; et ils dirent que tout homme de bien, qu'il soit laïc ou clerc,
pouvait le consacrer. Et ils ne répondirent rien de plus car ils ne devaient pas être forcés à répondre sur leur foi.
Quinto, il les interrogea sur les pénitences, leur demandant si elles apportaient à la fin le salut, et si les
chevaliers blessés mortellement étaient sauvés s'ils faisaient pénitence, et si chacun devait confesser ses péchés aux
prêtres et aux ministres de l'Église, ou à un laïc, et de qui parlait saint Jacques quand il disait : « Confessez-vous les
uns les autres ». Ils dirent en réponse qu'il suffisait que les malades se confessent à qui ils veulent ; mais des
chevaliers, ils ne voulurent rien dire parce que saint Jacques n'a parlé que des malades. Il leur demanda aussi si la
contrition seule du cœur suffisait, ainsi que la confession à l'oreille, ou s'il était nécessaire de donner satisfaction
après la pénitence, par des jeûnes, des aumônes, des peines, en se lamentant sur ses péchés, si l'on récupérait ses
facultés. Ils répondirent et dirent que saint Jacques n'a rien dit de plus que ce qu'ils ont confessé, et que 'est ainsi
qu'on est sauvé ; qu'ils ne voulaient pas être meilleurs que l'apôtre. Ils dirent aussi qu'on ne pouvait beaucoup les
interroger, qu'ils ne devaient en aucun cas jurer sur un sacrement, comme le disait Jésus dans l'Évangile et Jacques
dans son Épître. Il dirent aussi que Paul dit dans son Épître quels doivent être ceux qu'il faut ordonner prêtres ou
évêques ; et s'ils ne sont pas ordonnés comme le voulait Paul, ils ne sont ni des prêtres ni des évêques, mais des
loups rapaces hypocrites et séducteurs, amoureux des salutations sur la place publique, des premières chaires, des
premières places à table, voulant se faire appeler rabbi et maîtres contre l'enseignement du Christ, portant des
vêtements blancs éclatant, des bagues d'or et des pierres précieuses aux doigts, ce que ne leur a pas enseigné leur
maître Jésus ; et beaucoup d'autres injures. Et pour cela, parce qu'ils n'étaient ni prêtres ni évêques, mais de ceux
qui ont trahi Jésus, ils ne devaient pas leur obéir, car ils étaient mauvais, des mercenaires, non pas des bons
docteurs.
[Après des réponses argumentées des prélats présents, l'évêe de Lodève prononce la condamnation des
hérétiques sous la forme d'une réfutation en six points. Puis les hérétiques reprennent la parole.]
Les hérétiques répondirent que l'évêque qui avait porté le jugement était hérétique et non pas eux ; qu'il
était leur ennemi, qu'il était un loup rapace, un hypocrite, un ennemi de Dieu, et qu'il n'avait pas bien jugé. Et ils
refusèrent de répondre sur leur foi parce qu'ils le craignaient comme l'enseigne le Sauveur dans l'Evangile :
« Attention aux faux prophètes qui viennent à vous vêtus en brebis alors qu'ils sont des loups rapace s » ; et qu'il
était leur persécuteur frauduleux, et qu'ils étaient prêts à montrer à travers les Évangiles et les Épîtres qu'il était un
mauvais pasteur, lui de même que les autres prêtres ou évêques, et qu'ils étaient des mercenaires.
L'évêque répondit que le jugement était porté selon le droit, et qu'il était prêt à prouver davant la cour du
Seigneur Pape catholique Alexandre, la cour du roi de France Louis, la cour du comte de Toulouse Raimond, ou de
sa femme qui était présente, ou de la cour de Trencavel, présent, que le jugement était de bon droit et qu'ils étaient
des hérétiques. Et il leur promit de les accuser d'hérésie devant toutes les cours catholiques et de s'exposer à leur
jugement.
Se voyant convaincus, ils se tournèrent vers tout le peuple en disant : « Écoutez, bonne gens, notre foi que
nous confessons grâce au peuple ». L'évêque susdit répondit : « Vous ne dites pas grâce au Seigneur, mais grâce au
peuple ». Et ils dirent : « Nous croyons en un seul Dieu vivant et vrai, un et triple, Père, Fils et Saint Esprit, et le fils
de Dieu a souffert dans sa chair, a été baptisé dans le Jourdain, a jeûné dans le désert, a prêché notre salut, a
souffert, est mort, a été enterré, est descendu aux Enfers, est ressucité le troisième jour, est monté au ciel, a envoyé
le Saint-Esprit sur ses disciples le jour de la Pentecôte et viendra au jour du Jugement des vivants et des morts, et
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nous serons ressucités. Nous croyons aussi que ce que nous croyons dans notre cœur, nous devons le confesser à
voix haute. Nous croyons que n'est pas sauvé celui qui ne mange pas le corps du Christ ; nous croyons qu'on ne peut
54 pas être sauvé sans être baptisé, et que les petits enfants sont sauvés par le baptême. Nous croyons aussi que
l'homme et la femme sont sauvés bien qu'ils se lient charnellement, que chacun doit faire pénitence dans son cœur
et à haute voix et être baptisé à l'église par un prêtre ». Et que si davantage pouvait être montré à travers les
57 Évangiles et les Épîtres, dans l'Église, ils le croieraient et le confesseraient.
L'évêque leur demanda de jurer que telle était leur foi et qu'ils y croyaient. (…)
Ils dirent en réponse qu'ils ne jureraient en aucune façon parce que c'était contraire à l'Évangile et aux
60 Épîtres.
Traduit du latin par M. Zener- Chardavoine, La croisade albigeoise, Paris, Julliard (coll. « Archives »), 1979, p. 22-26.
7. Les débuts de Valdès à Lyon (v. 1170) d'après la chronique anonyme de Laon (début
XIIIe s.)
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Au cours de l'année 1173 vivait à Lyon, en Gaule, un citoyen appelé Valdès, qui par le moyen inique de
l'usure avait amassé une grosse fortune. S'étant un dimanche mêlé à la foule rassemblée autour d'un jongleur, il fut
vivement frappé par les paroles de ce dernier et l'emmena chez lui pour l'écouter avec plus d'attention. Celui-ci était
au point de son récit où saint Alexis trouve une fin heureuse dans la maison de son père. Au matin, notre homme se
rendit en toute hâte à l'école de théologie prendre conseil pour le salut de son âme. Instruit des nombreux moyens
d'aller à Dieu, il demanda au maître quelle était la voie la meilleure et la plus sûre. Le maître lui cita ce précepte du
Seigneur : « Si tu veux être parfait, va-t-en et vends tout ce que tu possèdes, etc. ». Revenant près de son épouse, il
lui donna à choisir ce qu'elle voulait garder entre ses biens mobiliers et tout ce qu'il possédait en terres et en eaux,
bois, prés, maisons, redevances, vignes, fours et moulins. Bien que très affligée d'avoir à faire ce choix, sa femme se
décida pour ses immeubles. Sur le reste de ses biens, il fit des restitutions à ceux dont il les avait acquis
injustement, mais il attribua une grande partie de son argent à ses deux petites filles qu'il confia, à l'insu de leur
mère, à l'ordre de Fontevraud. La part la plus grosse, il la dépensa en aumônes.
Une terrible famine sévissait alors dans toute la Gaule et la Germanie. Trois jours par semaine, depuis la
Pentecôte jusqu'à la Saint-Pierre-aux-Liens, Valdès distribuait à tout venant du pain, de la viande, etc. Le jour de
l'Assomption de la bienheureuse Vierge Marie, il parcourut la ville, répandant parmi les pauvres une grosse somme
d'argent et criant : « Personne ne peut servir deux maîtres, Dieu et Mammon ». Les gens s'attroupaient sur son
passage, croyant qu'il avait perdu la raison. Mais lui, parvenu à un lieu plus élevé, leur dit : « Non, mes amis, je ne
suis pas fou comme vous le pensez ; mais je me venge des ennemis qui m'avaient asservi, pour que j'eusse plus de
souci de l'argent que de Dieu ; je servais plus la créature que le Créateur. Je sais que le plus grand nombre me
blâmera de ce que j'ai fait publiquement. Mais c'est pour moi-même et pour vous que j'ai agi ainsi ; pour moi, afin
que ceux qui désormais me verraient posséder de l'argent me tiennent pour insensé ; pour vous aussi, en partie, afin
que vous appreniez à mettre votre espoir en Dieu et non dans les richesses ».
Le jour suivant, au sortir de l'église, il demanda à un citoyen de ses amis de lui donner à manger pour Dieu.
Celui-ci, le menant à son logis, lui dit : « Tant que je vivrai, je vous donnerai le nécessaire ». La chose étant venue à
la connaissance de son épouse, elle n'en fut pas médiocrement fâchée. Devenue comme folle, elle courut trouver
l'archevêque et, se plaignant que son mari ait mendié son pain à d'autres qu'à elle-même, elle toucha jusqu'aux
larmes tous ceux qui entouraient le prélat. Sur l'invitation de ce dernier, le bourgeois en question lui amena son
hôte. Alors l'épouse, saisissant son mari par ses vêtements, s'écria : « Ne vaut-il pas mieux, ô homme, que ce soit
moi qui rachète mes péchés par des aumônes en ta faveur plutôt que des étrangers ? » L'archevêque interdit
désormais à Valdès de prendre ses repas en ville avec d'autres qu'avec sa femme (...).
Le citoyen de Lyon dont il a été parlé plus haut, ayant fait à Dieu le voeu de ne posséder, de tout le reste de
sa vie, ni or ni argent, et de ne plus songer au lendemain, commença à avoir des imitateurs qui, donnant tous leurs
biens aux pauvres, faisaient spontanément profession de pauvreté. Ils se mirent peu à peu, tant en public qu'en
particulier, à accuser leurs péchés, enjoignant aux autres d'avouer les leurs (...).
Quant à Valdès, le pape le serra dans ses bras, approuvant le voeu qu'il avait fait de pauvreté volontaire,
mais lui défendant, ainsi qu'à ses compagnons, de se mêler de prêcher, si ce n'est sur la demande des prêtres. Cette
défense, ils l'observèrent quelque temps ; puis, du jour où ils cessèrent d'en tenir compte, ce fut pour beaucoup une
occasion de scandale et pour eux-mêmes la cause de leur perte.
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Chronique anonyme de Laon (début XIIIe siècle), éd. MGH, Scriptores, t. XXVI, p. 447 et suivantes., traduction du latin
(ici revue) par P. Pouzet, « Les origines lyonnaises de la secte des Vaudois », Revue d'histoire de l'Église de France, 1936, p. 8-10.
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8. Valdès et les « pauvres de Lyon » au concile de Latran III (1179) selon Walter Map
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31. De la secte des vaudois
Au concile romain, sous le fameux pape Alexandre III, nous avons vu des vaudois: ce sont des hommes
ignorants [ydiotas], des illettrés [illiteratos], dits d'après le premier d'entre eux, Valde, habitant de Lyon sur le
Rhône, qui présentèrent au seigneur pape un livre écrit en langue gallicane, contenant le texte et les gloses du
psautier et de nombreux livres des deux Lois. Ils demandaient avec une grande insistance que leur soit confirmée
l'autorité de prêcher, parce qu'ils se croyaient experts alors qu'ils étaient à peine des petits connaisseurs. Et en effet,
il est d'usage que les oiseaux, qui ne voient pas les fins lacets ou les filets croient eux-mêmes que le passage est libre
de tous côtés [...]
Moi qui suis le plus petit des nombreux milliers appelés [au concile], je me riais d'eux à la pensée qu'il put y
avoir une discussion ou même une hésitation à propos de leur demande, quand je fus appelé par un grand prélat, à
qui ce très grand pape avait donné aussi la charge des confessions; et le siège sur lequel je m'assis était une véritable
cible pour des flèches, à cause du nombre de connaisseurs en droit experts et sages: on m'amena deux vaudois qui
semblaient importants dans leur secte, pour disputer avec moi de la foi, non pour l'amour de la recherche de la
vérité, mais pour que je ferme ma bouche, confondu, comme celui qui dit des paroles iniques. C'est timidement, je
l'avoue, que je pris place, de peur que, à cause de mes péchés, la grâce du discours ne me fût refusée dans une si
grande assemblée. Le prélat m'invita à éprouver mes forces contre eux et je me préparai à répondre. J'avançai donc
d'abord des questions très simples dont personne ne peut ignorer la réponse [...]: "croyez-vous en Dieu le Père?" Ils
répondirent: "nous croyons". "Et en l'Esprit Saint?" Ils répondirent: "nous croyons". Je repris: "Et en la mère du
Christ?" Et eux de la même façon: "nous croyons". Alors ils furent raillés par tous les assistants dans une clameur
grandissante, et se retirèrent dans la confusion et à juste titre car ils n'étaient dirigés par personne et cherchaient à
être des dirigeants, à l'exemple de Phaëton qui ne connaissait même pas les noms des chevaux [citation des
Métamorphoses d'Ovide].
Ces gens-là n'ont nulle part des domiciles fixes, ils vont deux par deux, nu-pieds, vêtus de vêtements de
laine, ne possédant rien mais ayant tout en commun entre eux comme les apôtres, suivant nus le Christ nu. Ils
commencent donc d'une façon très humble parce qu'ils refusent de porter le pied en avant, mais si nous les laissons
aller, nous serons chassés.
Que celui qui ne le croit pas écoute ce que j'ai dit plus haut sur des hommes du même genre. Il y a certes à
notre époque des hommes, que nous avons pourtant condamnés et raillés, qui veulent sauvegarder la foi, et s'ils
devaient rendre des comptes comme autrefois, ils rendraient leurs âmes pour leur pasteur le seigneur Jésus; mais je
ne sais quelle folie nous guide et avilissent nos temps comme s'ils étaient de fer; et nous aimons les temps anciens
comme si l'or les faisait briller. Nous possédons des histoires rapportées depuis l'origine jusqu'à nos jours, nous
lisons aussi des légendes et notre sens mystique nous apprend pourquoi elles doivent nous plaire. Regardez Caïn le
jaloux, les citoyens de Sodome et Gomorrhe, je ne dis pas un mais tous dégoulinant de débauche, Joseph vendu, le
pharaon puni par tant de plaies, le peuple qui avec l'idole du veau d'or se rebelle contre Dieu et l'élu du Seigneur
[...] mais parce que sentir les maux est plus pénible que les entendre raconter, nous nous taisons sur ce que nous
entendons et nous nous lamentons sur ce que nous souffrons; au moins, pensons à ce qui a été pire.
Gautier Map, De nugis curialum, éd. M. R. James (Anecdota Oxoniensia, 14), trad. du latin par M. Zerner.
9. L'hérésie devient « crime de lèse-majesté éternelle » : la bulle Vergentis in senium
d’Innocent III contre les hérétiques de Viterbe (25 mars 1199)
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Au clergé, aux consuls et au peuple de Viterbe. (…)
Pour que nous – qui (…) sommes député par le Père de famille évangélique (…) au commandement des
ouvriers de la vigne du Seigneur Sabaoth, et à qui les brebis du Christ sont commises de par notre office pastoral –,
ne paraissions pas échouer à attraper les renards qui détruisent la vigne du Seigneur et à interdire aux loups
d’approcher les brebis (…), nous avons décidé de statuer plus sévèrement contre les défenseurs, les hôtes, les
partisans et les croyants des hérétiques, afin que ceux qui ne peuvent être eux-mêmes ramenés à la voie de
rectitude soient du moins confondus en leurs défenseurs, hôtes, partisans et croyants et, lorsqu’ils se verront évités
par tous, désirent être réconciliés à l’unité de tous. Du commun conseil de nos frères et avec l’assentiment des
archevêques et évêques se trouvant auprès du Siège apostolique, nous interdisons donc strictement que quiconque
ose recevoir ou défendre des hérétiques de quelque manière que ce soit ou ose leur venir en aide ou croire en eux en
quelque façon que ce soit, et nous statuons fermement par le présent décret que celui qui aura l’audace de faire
l’une de ces choses, s’il n’a soin d’y renoncer après avoir été averti une première ou une seconde fois, sera ipso jure
fait infâme et ne sera pas admis aux offices publics ni aux conseils des villes ni à élire quiconque à ces derniers ni à
témoigner ; qu’il soit aussi incapable de tester et n’accède pas aux successions ; en outre, que personne ne soit
contraint de comparaître pour lui faire droit dans quelque affaire que ce soit. Et s’il est juge, que sa sentence n’ait
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aucun effet et qu’aucune cause ne soit déférée à son audience ; s’il est avocat, qu’il ne soit pas admis à défendre en
justice ; s’il est tabellion, que les instruments confectionnés par ses soins n’aient aucune valeur et soient cassés en
justice comme est condamné leur auteur ; et pour les situations du même type, nous ordonnons d’observer les
mêmes mesures. S’il est clerc, qu’il soit déposé de tout office et bénéfice, pour que soit plus lourd le châtiment de
celui dont la faute est plus grande. Et si quiconque se refuse à éviter de tels individus après qu’ils auront été
désignés par l’Église, qu’il sache qu’il encourt la sentence d’anathème.
Sur les terres soumises à notre juridiction temporelle, nous statuons que les biens de ces coupables seront
remis à l’autorité publique ; et, ailleurs, nous ordonnons que la même mesure soit appliquée par les magistats et
princes séculiers – et nous voulons et mandons que ces derniers soient contraints de la mettre à exécution par
censure ecclésiastique, après avertissement, s’ils venaient à se montrer négligents. Et que les biens de ces coupables
ne leurs soient pas restitués par la suite – à moins qu’il se trouve quelqu’un pour vouloir les prendre en pitié une
fois qu’ils seront revenus à leurs cœurs et auront renoncé à leurs relations avec les hérétiques –, afin qu’une peine
temporelle, du moins, frappe celui que la discipline spirituelle ne corrige pas. En effet, puisque, selon les sanctions
des lois, une fois les coupables de lèse-majesté punis de leur tête, leurs biens sont confisqués et la vie de leurs
enfants n’est épargnée que par miséricorde, ô combien plus ceux qui offensent Dieu Jésus Christ, fils de Dieu, en
errant dans la foi, doivent-ils être séparés de notre tête, qui est le Christ, par la rigueur ecclésiastique, et dépouillés
de leurs biens temporels – puisqu’il est bien plus grave de léser la majesté éternelle que la majesté temporelle ! Et
même l’exhérédation des enfants orthodoxes ne doit pas, au prétexte d’une quelconque commisération, conduire à
diminuer la sévérité de cette censure, puisque, selon le jugement divin aussi, dans de nombreux cas, les enfants
sont punis au temporel pour leurs pères et, en vertu des sanctions canoniques, il arrive que le châtiment frappe non
seulement les auteurs des crimes, mais aussi la descendance des condamnés. (…)
Traduit du latin par J. Théry d’après le texte édité par O. Hageneder, J. C. Moore et alii, Die register Innocenz'III.
2. Pontifikatsjahr, 1199/1200, Rome, Vienne, 1979-1983.
10. Les disputationes entre Dominique et les bons hommes hérétiques (v. 1207) d'après
Guillaume de Puylaurens (v. 1275)
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De Diegue, évêque d'Osma, et son compagnon saint Dominique, envoyés prêcher contre les hérétiques .
Dans ces mêmes jours aussi, Dieu, qui conserve des flèches choisies dans le carquois de sa providence, fit
sortir d'Espagne pour cette œuvre deux athlètes de choix, le seigneur Diègue, évêque d'Osma et homme pieux, et
son compagnon Dominique, chanoine régulier de son église, par la suite déclaré saint. Portant la main aux tâches
ardues, ayant rejoint les abbés de l'ordre de Cîteaux et autres hommes bons, ils commencèrent à attaquer la
superstition des hérétiques qui se glorifient dans l'élévation de Satan. Ils agirent non dans la pompe et au milieu de
la foule des cavaliers, mais sur les sentiers des piétons, se déplaçant pieds nus, de castrum en castrum, pour se
rendre à des disputes (disputationes) pour lesquelles ils avaient pris date. Un des premiers rassemblements eut lieu
à Verfeil, où beaucoup d'hérésiarques, à savoir Pons Jourda, Arnaud Arrufat et d'autres, se rendirent. [...] Il y eut
une autre dispute à Pamiers, où la sœur de Raymond Roger, comte de Foix, protégeait ouvertement les hérétiques.
Frère Étienne de la Miséricorde lui dit : « Allez, dame, filer votre quenouille ; il ne vous appartient pas de parler
dans un débat de ce genre ». Là, il fut disputé contre les vaudois devant maître Arnaud de Campranhano, alors clerc
séculier, choisi comme arbitre par les deux parties. Il leur donna tort ; et quelques-uns, faisant retour sur euxmêmes, allèrent au Siège apostolique, firent pénitence et reçurent le droit de vivre sous une règle, comme je l'ai
entendu dire. Durand de Huesca fut leur prieur et composa des écrits contre les hérétiques. Et ainsi, ils vécurent
beaucoup d'années quelque part en Catalogne, mais par la suite disparurent peu à peu. [...]
De la dispute importante tenue à Montréal après remise d'écrits à des juges laïcs.
Ensuite, des nombreuses disputes qu'il y eut avec des hérétiques en divers lieux, fut plus importante que les
autres celle de Montréal où étaient présents nos athlètes [l'évêque d'Osma et Dominique], le vénérable homme
Pierre de Castelnau, nouvellement légat, et son collègue maître Raoul, ainsi que plusieurs autres hommes bons, et
d'autre part l'hérésiarque Arnaud Oton, Guilhabert de Castres, Benoît de Termes, Pons Jourda et beaucoup d'autres
dont les noms ne sont pas inscrits dans le Livre de Vie, l'an du Seigneur 1207. On disputa par le moyen d'écrits
durant plusieurs jours devant des arbitres choisis par les deux parties, à savoir les chevaliers Bernard de Villeneuve
et Bernard d'Arzens, et les bourgeois Raymond Godi et Arnaud Riberia, auxquels les parties avaient remis leurs
écrits. L'essentiel de la dispute, de la part des hérétiques porta sur ceci : Arnaud Oton disait de l'Église romaine
défendue par l'évêque d'Osma qu'elle n'était ni sainte, ni l'épouse du Christ, mais église du diable et doctrine des
démons, la Babylone que Jean dans l'Apocalypse disait être la mère de la fornication et l'abomination, ivre du sang
des saints et du martyre de Jésus Christ, que l'ordination qui en provenait n'était ni sainte, ni bonne, ni instituée
par le Seigneur Jésus Christ, et que jamais le Christ ni les apôtres n'avaient ordonné ou mis en place l'ordre de la
messe comme elle est ordonnée aujourd'hui. Pour prouver le contraire, l'évêque apporta avec lui les autorités du
Nouveau Testament. Quelle douleur qu'entre chrétiens, l'état de l'Église et de la foi catholique se fût avili au point
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renouvellements historiographiques.
33 d'avoir la honte d'être obligé de recourir au jugement de laïcs ! On remit les susdits écrits aux laïcs, auxquels les
parties donnaient l'autorité de conclure. Ceux-ci refusèrent de délibérer et se séparèrent en laissant l'affaire
inachevée. Mais moi, des années après, j'ai enquêté auprès du seigneur Bernard de Villeneuve pour savoir ce qui
36 avait été fait des dits écrits et si la dispute avait été conclue. À quoi il me répondit qu'il n'en sortit pas de conclusion.
Car les écrits se perdirent à l'arrivée des croisés, quand tous s'enfuirent de ce castrum et des autres. Il dit toutefois
qu'environ cent cinquante hérétiques se convertirent après avoir compris ce qui avait été dit. Mais moi, je
39 soupçonne que certains de ses semblables qui favorisaient les hérétiques s'étaient emparés de ces écrits.
Guillaume de Puylaurens, Chronique, éd. et trad. (ici revue) J. Duvernoy, Paris : Éditions du CNRS, 1976, p. 46-51 .
11. Innocent III lève les sanctions canoniques contre la commune de Bergame après six
années d'interdit (5 avril 1209)
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À l’abbé de Saint-Ambroise et à l’archidiacre de Milan.
Est parvenu à nos oreilles par les lettres de notre vénérable frère l’évêque de Bergame et de nos fils aimés
du chapitre de Bergame que, cette cité étant soumise depuis longtemps à l’interdit ecclésiastique pour avoir infligé
des exactions injustifiées aux églises et aux clercs et s’être efforcée de leur imposer le joug d’une servitude indue au
regard de la liberté ecclésiastique, ses citoyens étaient devenus encore plus infidèles à cause de la suppression des
offices divins et s’endurcissaient encore davantage. Défenseurs effrontés de la dépravation hérétique, ils proposent
plus librement ses faux dogmes remplis d’erreurs. Et puisqu’il y a peu, le noble homme Lambertino, podestat de la
ville nous a apporté réparation sur les affaires précédentes en demandant notre miséricorde et que les susdits
évêque et chapitre n’avaient pas voulu accepter cette réparation sans notre autorisation spéciale, nous vous
mandons par l’autorité des présentes lettres, puisque nous devons personnellement intervenir dans cette cité et que
nous y sommes conduit par les exhortations pressantes de ses citoyens en vue de l’unité dans la concorde, de
recevoir, selon la forme qui vous paraîtra expédiente, du podestat et des citoyens susdits la réparation convenable
des dommages susdits, en annulant ensuite la sentence d’interdit, et pour cela même, en excommuniant ceux qui
s’opposent au bénéfice de l’absolution.
Donné au Latran, aux nones d’avril, la treizième année de notre pontificat.
Traduction P. Gilli, J. Théry, d'après l'éd. de J.-P. Migne, Patrologie latine, Paris, 1844-1855, t. 216, c. 230.
12. Confessions d'hérétiques devant l'Inquisition en Quercy (1244)
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L'an du Seigneur 1244, le 5 mars, Guillaume d’Elbes, dont le nom propre est Guillaume Donadieu, de
Mazerac au diocèse de Cahors, requis de dire la vérité, sur lui et sur les autres, vivants ou morts, sur le crime
d'hérésie et de valdéisme, témoin juré, dit avoir vu à Najac dans le diocèse de Rodez, Pierre de Caussade et Grimaud
Donadieu, son frère, et Pierre de Campo, hérétiques, dans la maison qu'y tenaient publiquement lesdits hérétiques,
et ledit témoin y mangea alors, de ce que les mêmes hérétiques lui donnèrent, et après le repas lui-même partit et
prit sa route, il y a de cela vingt ans...
De même il dit que, lorsqu'il vint au castrum de Najac, Pierre de Aussedac et Raymond Aussedac, frères,
cordonniers, le conduisirent dans la maison de Hugo de Muret, et lorsqu'ils s'y trouvaient, arrivèrent Guillaume de
Caussade et trois autres hérétiques avec lui. Et il y avait là Hugo de Muret, ces hérétiques, Hugo Messella et
Raymond de Cambelas de Najac, et Raymond de Viridario. Et là, le témoin et tous les autres adorèrent ces
hérétiques, comme on dit, et, cela fait, ledit témoin et les frères cordonniers repartirent et quittèrent les hérétiques,
il y a environ seize ans...
De même il dit que lui-même, le témoin, et Etienne Garrigues de Najac, aux prières de Guillaume de
Caussade hérétique, conduisirent en Lombardie les femmes hérétiques Garsende et sa fille Guilhelma, au temps du
carême, et les laissèrent dans la cité de Crémone ; et pour cela le témoin et Etienne Garrigues reçurent de ces
hérétiques cents sous de Cahors. Il y a de cela environ quinze ou seize ans. Il ajouta aussi qu'en route... ils
trouvèrent Raymond Bruguier, barbier de Najac, qui revenait de Lombardie... Il dit aussi que dans la cité de
Plaisance, ils séjournèrent en compagnie de Giovanni Capellano, citoyen de Plaisance, qui reçut les dites femmes
hérétiques, ledit témoin et Etienne Garrigues...
De même il dit que son père, Arnaud Donadieu, quand il devint vieux, alla au castrum de Najac et là se fit
hérétique et finit ses jours au milieu des hérétiques. Il est vrai que le témoin n'était pas là quand il reçut le
consolamentum, il y a de cela environ seize ans...
De même, il dit que lui-même, le témoin, vint à Cahors chez frère Pierre Selha, inquisiteur, pour se
confesser ; requis par ce dernier de dire pleinement la vérité sous serment, il cacha sciemment la vérité sur bien des
points et se parjura sciemment, il y a de cela trois ans. En outre, il dit que lui-même, le témoin, requis sous serment
par un clerc de frère Bernard de Caux, inquisiteur, à Montpellier où il était retenu prisonnier, cacha sciemment
beaucoup de choses, et se parjura sciemment dans la confession qu'il lui fit. En outre, il dit et reconnut qu'il avait
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été croyant des hérétiques il y a de cela dix-huit ans, de sorte que, s'il venait à mourir parmi eux, dans leurs mains
et dans leur foi, il croyait être sauvé, et depuis le temps où il se confessa au susdit Pierre Selha, il ne crut plus dans
30 les hérétiques.
Il a déclaré tout ce qui précède en présence de frère Pierre Durant, qui lui en a donné lecture, à Lagrasse, au
monastère. Témoins : Bernard, chapelain su seigneur évêque d'Albi ; Raymond Codainh ; Bonum Mancipium ; et
33 Giraud Trepati, notaire public, qui a écrit.
Édition Y. Dossat, « Les cathares au jour le jour. Confessions inédites de cathares quercynois », dans Cathares en
Languedoc, Cahiers de Fanjeaux n° 3, Toulouse, 1968, p. 290-297 ; traduction M. Zerner-Chardavoine, La Croisade albigeoise ,
coll. Archives, Paris, 1979, p. 210-211.
13. Innocent IV dépose l'empereur Frédéric II, « suspect d'hérésie », au concile de Lyon II
(17 juillet 1245)
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En présence du saint concile, pour mémoire perpétuelle.
Elevé, bien qu’indigne, au sommet de la dignité apostolique par la bonté de la majesté divine, nous devons
prendre en charge le soin de tous les chrétiens avec un vigilant et exact discernement, déterminer avec l’œil de
notre intime réflexion les mérites de chacun et les peser sur la balance d’une délibération avisée, afin d’élever par
les faveurs qui conviennent ceux que la rigueur d’un juste examen démontre dignes et rabaisser par les peines dues
ceux qui s’avèrent coupables, en posant toujours mérite et récompense sur le même plateau d’équité pour rétribuer
chacun d’une quantité de peine ou de grâce conforme à la qualité de ses œuvres. Et alors que les funestes troubles
de la guerre avaient longtemps affligé plusieurs provinces de profession chrétienne, nous, désirant de tout notre
coeur la tranquillité et la paix de la sainte Église de Dieu et généralement pour l’ensemble du peuple chrétien, nous
avons envoyé au premier des princes séculiers, fauteur de ces discordes et tribulations, lié d’anathème en raison de
ses excès par notre prédécesseur le pape Grégoire d’heureuse mémoire, des messagers spéciaux (…) et nous lui
avons par eux fait savoir que nous et nos frères, pour autant qu’il en dépendait de nous, souhaitions être en paix
avec lui pour tout, ainsi qu’avec tous les hommes, et étions prêts à lui donner paix et tranquillité ainsi qu’au monde
entier.
(…) Après plus d’un an, il n’a pu être ramené dans le sein de l’Église et ne s’est pas soucié de donner
satisfaction des dommages et atteintes aux droits qu’il a portés contre elle, bien qu’il en ait été requis. C’est
pourquoi, ne pouvant sans grave offense au Christ tolérer plus longtemps ses iniquités, nous sommes contraint,
pressé par notre conscience, de sévir avec justice contre lui.
Et, pour ne rien dire présentement de ses autres crimes, il en a commis quatre très graves, qui ne peuvent
par aucune tergiversation être tenus cachés : il s’est parjuré à de nombreuses reprises ; il a violé la paix jadis établie
entre l’Église et l’Empire ; il a aussi perpétré un sacrilège en faisant capturer des cardinaux de la sainte Église
romaine et des prélats et des clercs réguliers et séculiers d’autres églises qui venaient au concile que notre même
prédécesseur avait convoqué ; il est aussi suspect d’hérésie, en vertu d’arguments non pas douteux ni légers, mais
patents et accablants.
(…) C’est en outre à juste titre que le soupçon de dépravation hérétique s’est élevé contre lui, puisqu'après
avoir encouru la sentence d'excommunication des susdits J[acopo], évêque de Sabine, et T[homas], cardinal, et
après que ledit pape Grégoire l’a lié du lien d’anathème, et après la capture des cardinaux de l’Église romaine, des
prélats et des clercs et d’autres encore, à divers moments, qui se rendaient auprès du Siège apostolique, il a méprisé
et méprise les clés de l’Église en faisant célébrer, ou plutôt, autant qu’il l’a pu, en faisant profaner le service divin ;
et il a constamment affirmé, comme il est exposé plus haut, qu’il ne craint pas les sentences du susdit pape
Grégoire. De plus, lié aux Sarrasins par une détestable amitié, il leur a envoyé des messagers et des présents à de
nombreuses reprises et en a reçu en retour de leur part avec grands honneurs et joie ; et il a adopté leurs usages et
les tient honteusement auprès de lui pour son service quotidien ; et, selon leurs mœurs, il n’a pas rougi même de
donner pour gardiens aux épouses qu’il a eues, issues de lignées royales, des eunuques, qu’il a même, selon des
rapports dignes de foi, fait castrer à cette fin. Et, chose plus exécrable encore, tandis qu’il se trouvait jadis outre
mer, il a permis, par une composition – qu’il est plus juste d’appeler collusion – faite avec le sultan, que le nom de
Mahomet soit publiquement célébré jour et nuit dans le Temple du Seigneur. Et récemment, après que ce même
sultan de Babylonie a infligé à la Terre Sainte et aux chrétiens qui l’habitent de gravissimes dommages et
inestimables atteintes à leurs droits, il a, à ce que l’on rapporte, fait recevoir avec honneur et traiter
magnifiquement ses envoyés dans le royaume de Sicile, avec des louanges pour l’exaltation de ce même sultan.
Usant aussi des dangereux et abominables services d’autres infidèles contre des fidèles et oeuvrant à s’unir par
l’alliance et par l’amitié à ceux qui, méprisant damnablement le Siège apostolique, ont quitté l’unité de l’Église, il a
fait tuer par des assassins, au mépris de la religion chrétienne, comme on le rapporte avec certitude, le duc de
Bavière d’illustre mémoire, zélé et spécial serviteur de l’Église romaine, et il a donné sa fille pour épouse à Vatatzès,
ennemi de Dieu et de l’Église, qui a été solennellement séparé de la communion des fidèles par une sentence
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d’excommunication avec ses serviteurs, conseillers et partisans. Méprisant les mœurs et les actions des princes
catholiques, négligeant son salut et sa renommée, il ne recherche pas les œuvres de piété. Et, pour ne rien dire de
ses dérèglements, il ne se soucie pas de soulager miséricordieusement les opprimés, mais opprime continuellement,
ni ne tend sa main, comme il convient à un prince, pour les aumônes, mais s’adonne à la destruction des églises et
écrase d’un joug d’affliction les religieux et les autres ecclésiastiques ; et l’on ne voit pas qu’il ait construit d’église ni
de monastère ni d’autre lieu pieux. Ne sont-ce pas là des arguments non pas légers, mais décisifs, pour le
soupçonner d’hérésie ? Car le droit civil affirme que ceux dont on découvre, même en vertu d’arguments légers,
qu’ils se sont éloignés du bon jugement et du droit chemin de la religion catholique, relèvent du nom d’hérétiques et
tombent sous le coup des sentences lancées contre ces derniers.
C’est pourquoi nous, après avoir délibéré diligemment avec nos frères et le saint concile au sujet des choses
susdites et de ses très nombreux autres excès, puisque, bien qu’indignes de cette tâche, nous représentons Jésus
Christ sur terre et qu’il nous est dit, en la personne du bienheureux apôtre Pierre, « Tout ce que tu lieras sur terre,
etc. », déclarons et faisons savoir que ledit prince – qui s’est rendu si indigne de l’Empire et de ses royaumes et de
tout honneur et dignité et que Dieu a rejeté en raison de ses iniquités pour qu’il ne règne ni ne détienne l’Empire –,
est lié et rejeté en raison de ses péchés et privé de tout honneur et dignité, et nous l’en privons par sentence ; et
nous délions de leurs serments tous ceux qui sont tenus envers lui par des serments de fidélité, en interdisant
strictement, de par l’autorité apostolique, que quiconque dorénavant lui obéisse ni ne le considère comme
empereur ou roi ; et nous décrétons que tous ceux qui désormais lui prêteront conseil ou aide ou soutien en tant
qu’empereur ou roi seront ipso facto enserrés du lien d’excommunication. Et que ceux auxquels, en Empire, revient
l’election de l’empereur élisent librement son successeur. En ce qui concerne le royaume de Sicile, nous aurons soin
d’y pourvoir comme nous le jugerons bon avec le conseil de nos frères.
Donné à Lyon, le 16 des calendes d’août, la troisième année.
Traduit du latin par J. Théry d’après le texte édité par C. Rodenberg, Epistolae s. XIII e regestis pontificum
romanorum, II, Berlin : Weidmann (MGH, Epistolae saeculi XIII e regestis pontificum romanorum selectae), 1887, p. 88-94.
14. La répression de l’hérésie dans les communes italiennes et l'autorisation de la torture :
la bulle Ad extirpanda d’Innocent IV (15 mai 1252)
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Innocent IV, serf des serf de Dieu, à ses aimés fils les podestats, recteurs, conseils et communautés des cités
et des autres lieux de Lombardie, Romagne, Marche de Trévise, salut et bénédiction apostolique.
Pour extirper du peuple chrétien l’ivraie de la dépravation hérétique, qui a repoussé plus abondamment
encore qu’à l’accoutumée, car l’ennemi de l’homme la sème plus librement de nos jours, nous avons pour dessein de
nous engager avec d’autant plus d’ardeur […] qu’il serait très funeste de la laisser se répandre et tuer la semence
catholique. Voulant en effet que contre les ouvriers du mal se dressent et se tiennent avec nous les fils de l’Église
[…], nous avons publié des constitutions pour l’extirpation de la peste hérétique que vous devrez […] observer avec
une diligence scrupuleuse […]. C’est pourquoi nous vous ordonnons à tous par ces lettres apostoliques de faire
enregistrer dans vos statuts, chacun d’entre vous, ces mêmes constitutions, qui ne pourront en aucune circonstance
être abolies […] ; sans quoi nous donnons ordre par nos lettres à nos aimés fils le prieur provincial et les frères
inquisiteurs de la dépravation hérétique, de l’ordre des Prêcheurs […] d’y contraindre chacun de vous par
l’excommunication des personnes et l’interdit sur les terres, tout appel étant rejeté.
Ces constitutions sont les suivantes :
1. Nous statuons que le podestat ou le recteur qui dirige présentement une cité ou un autre lieu ou en
dirigera à l’avenir […] jurera sans restriction […] de faire observer par tous, pendant tout le temps de son
gouvernement, […] toutes et chacune des constitutions […] publiées contre la dépravation hérétique, et qu’il recevra
de quiconque lui succèdera […] au gouvernement le serment de les respecter sans condition. Et que ceux qui ne
voudraient pas prêter ce serment ne soient pas considérés comme podestats ou recteurs et que tout ce qu’ils feront
comme podestats ou recteurs soit sans aucune valeur […].
2. Que ce même podestat ou recteur […], au début de son gouvernement, lors de l’assemblée publique
réunie habituellement, soumette au ban de la cité ou du lieu, comme pour un crime, tous les hérétiques des deux
sexes, de quelque nom qu’on les appelle […]. Et surtout, qu’aucun ou aucune hérétique désormais n’habite, ne
demeure ni ne subsiste dans la cité ou dans aucun lieu de sa juridiction ou de son district ; et que quiconque en
trouvera un ou une le ou la fasse prisonnier librement et puisse le ou la faire prisonnier sans encourir de peine et se
saisir en toute liberté de tous ses biens […].
3. Que ce même podestat ou recteur, dans les trois jours suivant son entrée en charge, soit tenu d’instituer
douze hommes probes et catholiques, deux notaires et deux serviteurs ou autant que nécessaire, qui seront choisis
par l’évêque […] et par deux frères Prêcheurs et deux frères Mineurs délégués à cette fin par leurs prieurs […].
4. Et que ceux qui auront été ainsi institués et élus puissent et doivent faire prisonniers les hérétiques […]
et se saisir de leurs biens […] et faire remettre les hérétiques au pouvoir de l’évêque ou de ses vicaires.
5. Et que le podestat ou tout recteur soit tenu de faire conduire les hérétiques ainsi capturés […] là où
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l’évêque […] ou les inquisiteurs […] voudront […].
6. Pour toutes les questions qui relèvent de leur office, que les décisions des officiers susdits fassent autorité
[…] ; et aucune preuve ne pourra leur être opposée lorsque deux, trois ou davantage d’entre eux seront présents.
8. Et qu’aussi bien les douze susdits que les serviteurs et notaires mentionnés, ensemble ou séparément,
aient plein pouvoir de commandement […].
11. Et que ces officiers ou leurs héritiers ne puissent à aucun moment être inquiétés pour ce qu’ils auront
fait ou pour ce qui relève de leur office […].
12. Que leur office dure six mois seulement ; et, une fois cette période passée, que le podestat soit tenu de
les remplacer […] par le même nombre d’autres officiers, lesquels devront exercer ledit office selon les mêmes
modalités pendant les six mois suivants.
19. […] En outre, que quiconque soit tenu […] de donner conseil et aide à ces officiers […] lorsqu’ils
voudront capturer ou dépouiller de ses biens ou enquêter sur un ou une hérétique, ou pénétrer dans quelque
maison ou lieu ou entrer quelque part pour capturer des hérétiques, sous peine ou ban de 25 livres impériales, et
que toute université de bourg soit astreinte aux mêmes obligations […].
20. Et que quiconque osera retirer un ou une hérétique prisonnier ou prisonnière des mains de ceux ou de
celui qui l’ont capturé, ou osera le ou la défendre […], conformément à la loi promulguée à Padoue par Frédéric,
alors empereur, soit perpétuellement banni, tous ses biens étant confisqué ; et […] qu’alors, en raison de cet […]
empêchement spécial, le bourg paye à la commune une composition de 200 livres, le village de 100 livres et le
voisinage, aussi bien du bourg que de la cité, de 50 livres impériales, s’ils ne présentent pas personnellement
prisonniers au podestat, sous trois jours, ce ou ces défenseurs des hérétiques.
21. En outre, que tout podestat ou recteur soit tenu de faire garder, aux frais de la commune de la ville ou
du lieu, par des hommes catholiques choisis à cette fin par l’évêque, s’il est présent, et les frères susdits, tous les
hérétiques, hommes ou femmes, qui seront dorénavant capturés, dans une prison spéciale, bien défendue et sûre
[…].
25. Que le podestat ou recteur soit en outre tenu de contraindre tous les hérétiques qu’il tiendra
prisonniers, en-deçà de la perte de membre et du péril de mort, comme véritables larrons et homicides des âmes et
voleurs des sacrements de Dieu et de la foi chrétienne, à dire expressément leurs erreurs et accuser les autres
hérétiques qu’ils connaissent et dénoncer leurs biens et leurs croyants, hôtes et défenseurs, tout comme les larrons
et voleurs de biens temporels sont contraints d’accuser leurs complices et de dire les crimes qu’ils ont commis.
27. Et que quiconque sera pris à donner conseil ou aide ou faveur à aucun ou aucune hérétique,
indépendamment d’une autre peine mentionnée ci-dessus et ci-dessous, soit dès lors ipso jure fait infâme à
perpétuité et ne soit pas admis aux offices publics ou aux conseils ou à élire quiconque à ces derniers ni à témoigner
[…].
28. Que le podestat ou recteur soit encore tenu de faire enregistrer les noms de tous les hommes qui auront
été déclarés infâmes ou bannis pour hérésie dans quatre livres identiques, dont un sera en possession de la
commune de la cité ou du lieu, l’autre en possession de l’évêque, le troisième des frères Prêcheurs et le quatrième
des frères Mineurs ; et qu’il fasse solennellement lire les noms de ces hommes trois fois par an, en assemblée
publique.
29. Que le podestat ou recteur soit aussi tenu de rechercher avec diligence les fils et petits-fils des
hérétiques et de leurs hôtes, défenseurs, et partisans, et de ne plus les admettre à aucun office public ni conseil à
l’avenir.
30. Que le podestat ou recteur soit en outre tenu d’envoyer l’un de ses assesseurs, que l’évêque aura choisi
[…] ou les inquisiteurs susdits […], pour accompagner ces derniers chaque fois qu’ils le voudront dans la juridiction
de la cité […] ; lequel assesseur, selon ce qui semblera opportun aux susdits inquisiteurs, devra sur place
contraindre trois hommes de bonne réputation ou plus ou tout le voisinage, si les inquisiteurs le jugent utile, à jurer
que, s’ils connaissent des gens du lieu qui sont hérétiques ou des biens leurs appartenant ou des gens qui assistent à
des conciliabules secrets ou qui s’écartent par leurs vies et mœurs de la conduite commune des fidèles ou qui sont
des croyants ou défenseurs ou hôtes ou partisans des hérétiques, ils auront soin de les indiquer auxdits inquisiteurs
[…].
32. Qu’aucune condamnation ou peine qui aura été prononcée pour cause d’hérésie ne puisse être révoquée
par l’assemblée publique, par le conseil ou par la voix du peuple, en aucune manière ou de quelque façon que ce
soit, en aucune circonstance.
33. Et que le podestat ou recteur soit tenu de diviser tous les biens des hérétiques qui auront été saisis ou
trouvés par lesdits officiers, ainsi que les sommes perçues au titre des condamnations, de la manière suivante :
qu’une part revienne à la commune de la cité ou du lieu, qu’une deuxième soit donnée, au bénéfice et pour
l’accomplissement de leur office, aux officiers qui auront mené à bien ces affaires, qu’une troisième soit déposée en
quelque lieu sûr à choisir par lesdit évêque et inquisiteurs, pour être conservée et dépensée selon leur conseil en
faveur de la foi et pour l’extirpation des hérétiques […].
37. Par ailleurs, que le podestat ou recteur de toute cité ou lieu soit tenu de supprimer ou effacer
complètement des statuts ou recueils des lois de la commune tout statut institué […] qui sera trouvé en
contradiction avec les présentes constitutions […] ; et qu’il soit tenu de faire lire solennellement les présentes
constitutions […], au début et au milieu de son mandat de gouvernement, en assemblée publique et aussi dans
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d’autres lieux hors de sa cité ou de son lieu, comme il semblera expédient à l’évêque ou aux inquisiteurs et frères
susdits.
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38. Enfin, tous ces statuts ou constitutions et lois et les autres qui pourraient à l’avenir être institués contre
les hérétiques et leurs complices par l’autorité du Siège apostolique devront être enregistrés dans quatre livres
identiques, dont l’un sera dans le registre des statuts de la commune de chaque cité, le second en possession de
99 l’évêque, le troisième en possession des frères Prêcheurs, le quatrième en possession des frères Mineurs. Qu’ils
soient conservés en toute intégrité, pour qu’ils ne puissent en rien être altérés par des faussaires.
Traduit du latin par J. Théry.
15. La canonisation de l’inquisiteur Pierre de Vérone, martyrisé par des hérétiques (bulle
d’Innocent IV, 24 mars 1253)
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Innocent, évêque, serf des serfs de Dieu, à nos vénérables frères archevêques et évêques et à nos aimés fils
abbés, prieurs, archiprêtres, doyens, archidiacres et autres prélats auxquels ces lettres parviendront, salut et
bénédiction apostolique.
Manifestée par de nombreux et fréquents miracles, la rectitude de la foi chrétienne, désormais ornée du
nouveau martyre d’un nouveau saint, brille de l’éclat de signes récents ; renforcée jusqu’ici par maintes merveilles,
elle est maintenant confirmée par des miracles sans pareils. Voici que de nouvelles joies proviennent d’un moderne
et présent lutteur de la foi, que des signes triomphaux se font voir, que la voix du sang répandu retentit, que la
trompette d’un glorieux martyre sonne, que la terre ne reste pas silencieuse, inondée par l’aspersion du sang versé,
que le pays du noble guerrier résonne et se proclame lui-même glaive du parricide. (…)
Le bienheureux Pierre, de l’ordre des frères Prêcheurs, lombard d’origine, considérant sagement les
artifices de ce monde trompeur et les erreurs d’un siècle qui touche à son tarissement – dont les flatteries blessent
celui qu’elles caressent –, s’en tint judicieusement à l’écart pendant les années de sa jeunesse, choisissant une voie
de vie plus sûre. Pour que, son pied prudemment éloigné des lieux glissants, il puisse avancer d’un pas ferme, il se
donna totalement au service de Dieu, vouant tous ses efforts et destinant toutes ses actions à l’observance de
l’enseignement évangélique en suivant le droit et lumineux chemin qu’est la salubre règle de ce même ordre des
Prêcheurs, par laquelle il pourrait être gouverné et dirigé, et même conduit et entraîné, jusqu’au repos espéré après
le labeur.(…)
Fervent amant de la foi, qu’il honorait de façon extraordinaire et dont il était un combattant très ardent, il
en avait pénétré son esprit de telle sorte, il s’était tout entier donné à son service de telle manière que toutes ses
paroles et ses œuvres de foi, quelles qu’elles soient, exhalaient l’odeur de la vertu ; et sa langue, qui distillait
abondamment la douceur de la foi comme un opulent rayon d’abeilles le miel, en offrait toujours les délicieux
enseignements. Désirant pour elle, dis-je, subir la mort, il est prouvé qu’il demandait avant tout au Seigneur, par de
pressantes et fréquentes supplications, de ne pas permettre qu’il quittât la lumière de ce monde sans avoir bu le
calice de la passion. (…)
Aussi, parce qu’un tel athlète mérita de rapporter d’un combat mené avec tant de vaillance une palme
spéciale et d’entrer dans la patrie céleste couronné d’une guirlande de roses, tandis qu’il se rendait depuis la ville de
Côme – où il était prieur des frères de son ordre qui y résidaient – vers Milan, pour effectuer une inquisition contre
les hérétiques à lui confiée par le Siège apostolique, ainsi qu’il l’avait prédit dans un prêche public, un des croyants
de ces mêmes hérétiques, à leur demande et contre argent, l’attaqua funestement sur le chemin de cette entreprise
salutaire. Comme le loup l’agneau, le féroce le doux, le pieux l’impie, l’enragé le paisible, le déchaîné le réservé, le
sacrilège outrage le saint, s’acharne sur lui, lui administre la mort. Après avoir cruellement frappé du glaive sa tête
sacrée, lui avoir infligé de terribles blessures et couvert son épée du sang du juste, il laissa cet homme vénérable,
dont l’esprit gagna les cieux, mort sur le lieu de sa passion – lui qui n’avait pas cherché à échapper à l’ennemi mais
s’était offert immédiatement comme une hostie et avait enduré avec patience les coups sauvages du bourreau. Et
tandis que le sacrilège perçait de part en part le corps du ministre du Christ, celui-ci ne se plaignait pas d’une voix
gémissante, mais supportait tout patiemment en remettant son esprit au Seigneur, disant : « Entre tes mains,
Seigneurs, je remets mon esprit ». Il commença même à dire le symbole de la foi – dont il ne renonça pas plus en ce
moment-là que dans les autres à être le héraut – comme l’ont rapporté ensuite l’abominable criminel lui-même, qui
fut capturé par les fidèles, et feu frère Dominique, qui accompagnait le saint et, frappé par le même licteur, survécut
quelques jours. (…)
Que toute la société des fidèles se réjouisse donc et chante à haute voix pour Dieu des hymnes de louange,
puisque les siens, en tant que co-héritiers du Christ, entrent en possession de demeures célestes ; que la mère Église
exulte, puisque la palme qu’elle avait plantée et cultivée dans le champ de la foi a été transportée dans la plantation
des cieux ; que se réjouisse aussi l’éminent ordre des frères Prêcheurs, puisqu’a jailli de son sein une étoile
scintillante dont les rayons éclatants se répandent ici-bas pour éclairer les voyageurs de cette vie terrestre. Que les
fallacieux hérétiques, faussaires de la vérité évangélique, rougissent de honte, puisque leurs interprétations
mensongères sont démenties et reprennent vigueur les enseignements catholiques et apostoliques ; que leurs lèvres
trompeuses se taisent et que leurs fronts impudents s’abaissent désormais pleins de confusion, puisque celui dont
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ils ont rejeté les instructions de vérité et les avertissements salutaires, à qui ils ont infligé un supplice de mort,
règne désormais aux cieux parmi la multitude des bienheureux. Et c’est merveille – puisqu’ils voient clairement que
l’Église de Dieu est soutenue par de telles colonnes, enceinte de telles murailles, se redresse avec de tels renforts,
qu’elle est gardée par de tels remparts, défendue par de tels protecteurs, illustrée par de tels miracles – qu’ils
avancent néanmoins dans les ténèbres de la nuit et dans l’obscurité de la mort et ne retirent pas de leurs yeux les
écailles de la cécité pour voir et suivre la vraie lumière.
Aussi bien, parce qu’il convient que le monde honore celui que Dieu magnifie dans les cieux, nous avons
fait enquêter diligemment sur la sainteté de la vie et sur la vérité des miracles de ce martyr ; et, parce que (…) nous
avons découvert à son sujet plus de choses encore, et de plus grandes, que celles qui avaient été rapportées, du
commun conseil et assentiment de nos frères et de tous les prélats qui se trouvaient alors auprès du Siège
apostolique, confiants dans la vertu de Dieu tout-puissant et par l’autorité de ses apôtres les bienheureux Pierre et
Paul et par la nôtre, nous l’avons inscrit au catalogue des saints martyrs. C’est pourquoi nous vous enjoignons
instamment et vous exhortons, vous ordonnons par ces écrits apostoliques et vous mandons de célébrer pieusement
et solennellement sa fête le trois des calendes de mai 1 et de la faire célébrer avec le respect qui convient par ceux qui
vous sont soumis, afin que, par sa sainte intercession, vous puissiez être ici-bas protégés des hommes mauvais et
gagner dans le futur les joies éternelles. Et pour que la multitude du peuple chrétien conflue plus ardemment et
plus abondamment vers son vénérable tombeau et que la fête de ce martyr jouisse d’une plus grande renommée,
confiants dans la miséricorde de Dieu tout-puissant et dans l’autorité de ses apôtres les bienheureux Pierre et Paul,
nous remettons miséricordieusement à tous les véritables pénitents et confessés qui s’y rendront chaque année
pour cette même fête afin de demander ses suffrages une année et quarante jours de la pénitence qui leur aura été
infligée, et quarante jours à ceux qui viendront au même sépulcre tous les ans pendant la quinzaine de cette même
fête.
Traduit du latin par J. Théry.
16. Innocent IV déclare le seigneur gibelin Ezzelino da Romano hérétique et l'excommunie
(9 avril 1254)
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Pour mémoire perpétuelle.
Il peut sembler indigne que l’humaine société, instituée pour briser les perverses tyrannies des mauvais
puissants, ait enduré la rage féroce et cruelle barbarie d’un homme inhumain, Ezzelino da Romano, que l’énormité
de sa funeste malignité a fait insigne et qu’a fait éminent la multitude de ses forfaits atroces, dont le monde n’est
pas sans avoir connaissance – mais il est hors de doute que c’est de façon plus indigne qu’elle les a engendrées. Car
celui-là, possédant une âme de Belial sous les dehors d’un visage humain, assoiffé de sang chrétien et dressé par des
forces étrangères à la foi, porte une guerre inextinguible contre les lois communes de l’humanité. Non seulement il se
livre avec une fureur de bête sauvage à la destruction des hommes dans leurs corps, mais, non content du flot de sang
versé, il travaille aussi, au-delà de tout mode, mesure et nombre, à la ruine de la vie spirituelle, pour la perte des âmes,
par l’intermédiaire des corrupteurs de la foi catholique. Assurément, si par ses atrocités étaient mises en œuvre ses
propres haines contre ses ennemis ou celles héritées de son père, en lui la sauvagerie brûlante aurait déjà cessé de
bouillir, calmée par le soulagement du châtiment accompli contre ceux qu’il paraît avoir eu en détestation. Mais sa
cruauté furieuse s’embrase contre tous, au point qu’elle n’épargne ni la fortune ni la vie de ses amis mêmes, ni ne
prend en pitié en quiconque le sexe ni l’âge, ni ne défère à l’honneur d’aucune religion ou ordre, aveuglant les enfants
innocents, faisant méchamment mourir les adultes en leur infligeant diverses sortes de tortures de son invention et,
chose qui fait honte à penser ou à dire, ôtant les moyens de la génération par l’épouvantable couteau d’une amputation
impie aussi bien aux femmes, à ce que l’on dit, qu’aux hommes, tuant l’espoir d’une future descendance chez les
survivants de ceux qu’il a tués, pour en quelque manière se faire par l’intention l’homicide aussi de ceux que la nature
n’a pas encore produit des reins de leurs parents. Qui pourrait donc douter qu’en les hommes il ne persécute pas tant
les personnes que la nature ? Qui pourrait douter qu’il est, comme s’il n’était pas homme, l’ennemi public du genre
humain ?
En raison de sa famille, puisqu’il est fils d’un hérétique publiquement condamné et parent d’hérétiques, en
raison de sa conduite aussi, car ses actions contraires aux prescriptions de la foi chrétienne manifestent sa perfidie,
nous avons eu la présomption, partageant l’avis de l’opinion publique, que celui-là est un des perfides petits renards
qui ne cessent de dévaster la vigne du Seigneur Sabaoth et corrompent le testament de l’évangile éternel. Pour
parvenir à cette fin très néfaste, il a suivi une voie habile consistant à dépouiller ceux qu’il a pu du bien de leur vie
par des meurtres impies et à réduire en enfance par la peur de la mort corporelle, qui survient presque toujours
chez les braves, les autres hommes de sa région, pour que, dépourvus de leur force d’esprit, du privilège de liberté et
de la parole de vérité, ils se laissent plus facilement suggérer les doctrines perverses de l’infection hérétique par les
maîtres d’erreurs qui sont apparus en public dans la Marche de Trévise, sous la protection du susdit Ezzelino, pour
subvertir les esprits des fidèles. Exécrant, en outre, le sacrement de mariage commun à tous les peuples et cher au
Christ et à l’Église – qui n’a pas été établi par une invention d’humaine volonté, mais qu’impose l’autorité d’une
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C'est-à-dire le 29 avril.
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33 institution divine, que la naissance du Sauveur issu de l’homme a honoré dans le siècle et que l’ordre de la nature qui
est enraciné en eux inspire à presque tous les êtres animés –, il sépare, contre l’interdit de la loi évangélique, avec une
audace et présomption odieuses qui procèdent de l’arrogance de l’abomination hérétique, des personnes que Dieu a
36 légitimement unies par le lien conjugal ; et il fait entre ses complices des unions repoussantes et des conjonctions
adultérines dont sont issus de ‘proliférants rejetons bâtards qui ne jetteront pas les racines profondes’ d’une heureuse
postérité.
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C’est pourquoi nous – que le suprême pasteur des fidèles a voulu placer, bien que nous ne le méritions pas, à
la tête de son Église pour protéger le troupeau rédimé par le sang du Christ des assauts des bêtes sauvages qui lèsent le
salut et la vie du peuple chrétien et pour rechercher par des rondes constantes et capturer ces petits renards –, mû par
42 la grande plainte du sang chrétien dont ce même Ezzelino a recouvert la terre et non moins par le péril de la foi
évangélique qu’il s’efforce de supprimer, avons eu soin de ‘descendre pour voir’ par l’intermédiaire d’hommes pieux si
ce même Ezzelino s’avèrait être effectivement le naufrage de la foi que font connaître ses œuvres détestables et
45 qu’annonce sa mauvaise renommée. Et lorsque ces mêmes hommes pieux, enquêtant à ce sujet avec diligence, ont
découvert par de valables indices qu’il doit être tenu suspect d’opinions déviantes concernant la foi du Christ, celui-ci
a dépêché des envoyés auprès du Siège apostolique, auxquels nous avons accordé comme auditeur l'évêque de
48 Sabine de bonne mémoire, et qui, devant ce dernier, se sont offerts pour prêter serment au sujet de l’âme de ce
même Ezzelino et jurer qu’il croit concernant Dieu et la foi catholique conformément à ce que tient l’Église et à ce
qu’elle enseigne de croire. Mais, puisqu’une telle purgation n’a été admise ni par ledit évêque ni par nous, car pour
51 un si grand crime une purgation doit être effectuée devant nous non par des envoyés, mais en personne, nous lui
avons fixé un terme auquel se présenter à la vue apostolique afin de faire, concernant ces choses, ce que l’ordre de
raison imposerait – après lui avoir offert pleine garantie de sécurité de sa personne pour l’aller et le retour. Et
54 comme il ne s’est soucié ni de venir ni d’envoyer des représentants au même terme ou après celui-ci, nous l’avons
lié, lui qui était par ailleurs pris dans les nœuds de nombreuses excommunications, du lien d’anathème, et lui avons
assigné un autre terme auquel comparaître en notre présence pour obéir aux ordres de l’Église concernant ces
57 choses, et nous avons annoncé publiquement que s’il ne le faisait pas sous ce même terme, nous procéderions alors
plus durement contre lui, conformément aux sanctions des lois et des canons.
Et comme, bien qu’attendu longtemps après ce terme, il a avec une condamnable obstination dédaigné de
60 venir ou d’envoyer un représentant et a enduré avec mépris ledit anathème non seulement pendant un an, mais
pendant deux, bafouant les clefs de l’Église, nous – parce que nous ne devions pas différer davantage le jugement
canonique contre lui, qu’une si longue dérobade et un si dur entêtement montraient coupable d’un si grand crime, et
63 surtout parce que le retardement de ce jugement pouvait donner une dangereuse audace à certains et parce que que
l’ajournement de la peine pouvait susciter le relâchement de ceux que, promptement infligée, elle tiendrait éloignés
des mauvaises actions –, réputant ce même Ezzelino hérétique, nous l’avons décrété, après avoir pris le conseil de nos
66 frères, passible des sanctions promulguées contre les hérétiques, à moins qu’il n’ait soin de comparaître devant nous
avant les calendes d’août suivantes pour obéir sans condition à notre volonté et à celle de l’Église ; lequel terme nous
lui avons alors accordé en vertu de la très grande bienveillance du Siège apostolique, parce que nous voulons qu’il
69 soit sauvé, plutôt qu’il périsse. Et celui-ci, ‘tenant tendu son cou’ de rébellion contre Dieu et les hommes et persistant
dans son esprit de totale désobéissance envers la foi chrétienne, comme précipité dans l’abîme de désespoir, entêté à
dédaigner l’inspiration d’humanité, le jugement divin et le conseil salutaire, méprisa tous les périls qui s’annonçaient
72 pour lui et, choisissant d’être perdu plutôt que d’obéir, n’eut soin de venir ni au terme à lui accordé par la grande bonté
de la miséricorde ecclésiastique ni par la suite, bien qu’il ait été longtemps attendu. Et nous, compatissant à son péril,
avons encore voulu, avec l’accoutumée bienveillance du Siège apostolique, adoucir sa dureté de cœur, au cas où serait
75 demeurée en lui quelque étincelle de plus sage conseil qui lui fasse accepter un remède de salut, et, après l’avoir
convoqué non pas une ou deux fois, mais plus, et même à de nombreuses reprises, par des édits légitimes, nous l’avons
attendu pendant de très longues périodes, pour démontrer sa coupable malignité ; mais, bouchant ses oreilles à toute
78 voix venue l’avertir, tel un fils du très sourd aspic, il a déjà abusé pendant six ans et plus de la patience qui fut celle
de notre convocation, de notre longanimité et de notre attente.
Ainsi nous, considérant au vu de tout ceci qu’une plus longue bienveillance et patience à l’égard du même
81 Ezzelino pourrait entraîner la perte commune d’un grand nombre et qu’une plus longue attente n’aurait aucun effet
sur lui sinon la contumace et le mépris, afin qu’un si grand mal longtemps toléré au milieu du peuple chrétien ne se
répande pas plus largement, du conseil de nos susdits frères, en présence du peuple des fidèles qui, selon la coutume,
84 a afflué depuis les diverses régions du monde vers le Seuil des apôtres le jour de la Cène du Seigneur, nous avons jugé
par sentence ledit Ezzelino hérétique manifeste et, excommunié et anathémisé, nous l’avons rangé au nombre des
hérétiques condamnés et l’avons destiné à recevoir le salaire de damnation qui leur est réservé. Et s’il vient à nous en
87 personne d’ici la prochaine fête de l’Ascension du Seigneur, nous l’entendrons, mesure que nous ajoutons du fait de la
très abondante clémence du susdit Siège.
Donné au Latran, le 5 des ides d’avril, la onzième année.
Trad. du latin par J. Théry d’après l’édition de C. Rodenberg, Epistolae s. XIII e regestis pontificum romanorum, III,
Berlin : Weidmann (MGH), 1894, p. 242-244.
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Julien Théry (Université de Montpellier III) : Les hérésies médiévales, de l'An Mil au début du XIV e s. Vue d'ensemble et présentation des
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17. Clément IV confirme les statuts de la « ligue de paix et de foi » (consortium fidei et pacis)
instituée par ses légats dans la commune de Crémone pour la maintenir dans le parti guelfe (31
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Clément, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à nos aimés fils maîtres Bernard de Castanet et
Bartolomeo abbé de Trévi, nos chapelains, ainsi qu’aux capitaines, gonfaloniers, sages, et à tous ceux de la ligue de
Crémone, salut et bénédiction apostolique.
Nous espérons que c’est par l’action du Seigneur, qui féconde les cœurs des fidèles de l’illumination de son
esprit, que, tournant vos pensées vers Lui comme des fils de bénédiction, vous avez institué une association de la
paix et de la foi dans la cité de Crémone, par laquelle le culte de la foi catholique y augmentera en vigueur et cette
même cité, qui a longtemps été agitée par les dissensions intestines, parviendra, avec l’aide de la clémence divine, à
un état pacifique. Et vous, nos fils capitaines, gonfaloniers, sages et autres, avez promis d’observer perpétuellement
les chapitres de cette association, rédigés officiellement en une série d’articles, en vous y astreignant par serments
corporels, comme il est plus complètement indiqué dans les lettres alors rédigées. Voulant donc qu’une œuvre si
profitable et utile acquière force de perpétuelle validité, nous confirmons par l’autorité apostolique et renforçons
par le soutien du présent acte ladite association et tout ce qui est contenu dans son texte, en faisant insérer mot à
mot dans les présentes la teneur des susdites lettres, qui est la suivante :
« Pour combattre les tromperies des perfides petits renards qui travaillent à détruire la vigne du Seigneur
Sabahot par de fourbes machinations et affichent non sans hypocrisie les apparences d’une sainteté mensongère
par des œuvres auxquelles manquent les fondements de la foi droite et catholique afin de pouvoir répandre avec
plus d’audace le poison de leur doctrine perverse dans les hommes d’ignorante simplicité et dans ceux qui n’ont pas
encore reçu pleine connaissance de la vraie foi, l’esprit et l’intention de tous les fidèles doivent être excités, pour
que, étant invoquée là-haut l’aide de Celui qui ramène dans le droit chemin d’une verge de fer, s’ils n’abandonnent
pas toute erreur pour amener leurs âmes à Sa connaissance et au culte de la vraie foi et ne se repentent pas de leur
folie, ceux qui sont séduits par les abominables conseils de l’ennemi du genre humain soient alors brisés comme un
vase d’argile et réduits à néant comme la boue fétide des rues. C’est pourquoi nous, maître Bernard de Castanet,
chanoine d’Orléans, et Bartolomeo, abbé de Saint-Théodore de Trevi, chapelains du pape et ses envoyés, avec le
conseil d’hommes pieux et l’assentiment exprimé par la Commune de Crémone, avec l’aide de Dieu tout-puissant,
confiants en l’intercession de la glorieuse Vierge, nous ordonnons l’établissement, pour la louange et gloire de ce
même Dieu et de la susdite Vierge et pour l’honneur de notre seigneur le pape Clément IV et de la sainte Église
romaine et pour l’augmentation du culte de la foi chrétienne dans la cité de Crémone, d’une association qui sera
appelée « association de la foi et de la paix » ; et cette association, avec l’assistance de Dieu, doit perdurer pour des
temps perpétuels.
1. Ce sera en effet le principal office de tous et chacun de ladite association que de poursuivre et d’arrêter les
hérétiques, leurs croyants, leurs hôtes, leurs défenseurs et tous et chacun de ceux qui les soutiennent de quelque
façon que ce soit, quel que soit le nom dont on les désigne, dans la cité et le district de Crémone, conformément au
contenu du serment, donné plus bas, que prêtera chacun de ladite association.
2. Ce sera aussi leur office que de maintenir la cité et le district de Crémone dans la dévotion et l’obéissance
à la sainte Église romaine et à notre seigneur le pontife suprême et à ses successeurs canoniquement élus, ainsi que
de résister à quiconque voudra faire dans lesdites cité et district sédition ou tumulte ou enfreindre en quoi que ce
soit la paix restaurée ou même à restaurer à l’avenir par l’autorité du Siège apostolique ; et de donner
infatigablement conseil, aide et soutien au podestat en charge, pour toutes les choses susdites et les autres qui
touchent au bon gouvernement.
3. Que ne soient reçus dans la susdite association que des hommes catholiques, qui désirent le bon état de
leur cité. Et s’il arrivait que quelqu’un qui soit marqué de la réputation du crime d’hérésie ou même suspect de ce
crime demandait à être reçu, qu’il ne soit pas reçu avant de s’être purgé à la connaissance des inquisiteurs ou de
l’inquisiteur de cette même dépravation hérétique qui sera alors député par le Siège apostolique, ou avant d’avoir
accompli à la connaissance des mêmes inquisiteurs ou inquisiteur, en toute soumission, une salutaire pénitence
pour ce crime.
4. Tous et chacun de la susdite association seront, comme les autres citoyens de Crémone, soumis au
podestat de la cité de Crémone, conformément à Dieu et à la justice et à l’état pacifique et tranquille de leur dite
cité.
5. Et que ladite association soit gouvernée par vingt-quatre capitaines, à savoir six par porte, et huit
gonfaloniers, à savoir deux par porte, hommes catholiques de bonne et louable opinion, qui seront élus par cette
même association en toute égalité aux calendes de mars, en présence et avec le consentement du prieur des frères
Prêcheurs alors en charge et du custode des frères Mineurs alors en charge ou de leur gardien, si le custode est
absent.
6. Et l’ensemble de l’association et lesdits capitaines et gonfaloniers feront et disposeront pour les affaires
majeures ce qui devra être fait et disposé, et avec le conseil et assentiment desdits frères.
7. Et si quelqu’un de ladite association était découvert croyant, partisan ou défenseur, hôte ou soutien en
quelque manière de quelque secte d’hérétiques que ce soit, dès que cela sera porté par l’inquisiteur ou les
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inquisiteurs alors députés par le Siège apostolique à la connaissance desdits capitaines et gonfaloniers, et par ces
derniers à la connaissance de ladite association, tous et chacun, avec le podestat alors en charge, feront en sorte et
veilleront à ce que celui-là, qui qu’il soit, soit dépouillé de tous ses biens et frappé, sans espoir de pardon, par une
condamnation à l’exil perpétuel.
8. Nous disposons aussi que si quelqu’un de ladite association a la téméraire audace d’oser susciter des
rixes avec un quelconque de ses voisins ou d’autres dans la cité ou le district de Crémone, s’il néglige, tout délai
étant écarté, de s’en amender à la connaissance et entière volonté desdits frères, ou s’il fait un tumulte ou sédition,
et si cela est suffisamment établi par des preuves évidentes, il soit immédiatement expulsé pour toujours de cette
association et par ailleurs puni par le podestat de la Commune de la manière dont il apparaîtra devoir être
justement puni selon le conseil des jurisconsultes. Nous ne voulons pas en effet que ceux qui sont chargés
d’empêcher les autres de se livrer aux tumultes, rumeurs et atteintes aux droits deviennent les auteurs de ce que,
par leur seule participation à l’association, ils paraissent réprouver chez eux et chez les autres.
9. En outre, tous et chacun de ladite association viendront, sans armes, emplir la place de la Commune aux
trois coups de la grande cloche sonnés en tirant la corde par le tourier, et en armes, chaque fois que ladite cloche
sera sonnée au marteau, sauf s’ils sont empêchés par une cause légitime.
10. Et tous et chacun de ceux qui voudront être admis à se joindre à ladite association jureront de la façon
suivante :
‘Je jure sur ces saints évangiles de Dieu que je tiens entre mes mains de maintenir et défendre tant que je
viverai la foi droite et catholique que la sainte Église romaine croit et prêche ; tant que je vivrai, de tout mon
pouvoir, de poursuivre les hérétiques, quel que soit le nom dont on les désigne, et leurs croyants, hôtes, partisans,
soutiens, et ceux qui les défendent de quelque façon que ce soit, et d’arrêter les hérétiques parfaits autant qu’il sera
en mon pouvoir et de donner conseil et aide et soutien pour les arrêter, où que je me trouve, dans toute la cité et le
district de Crémone. J’assisterai l’inquisiteur ou les inquisiteurs de la dépravation hérétique alors députés par le
Siège apostolique, par le cœur, la parole et les œuvres, du mieux et le plus ardemment que je pourrai et que le
Seigneur disposera, pour que l’office d’inquisition soit à jamais accompli librement et sans aucune entrave contre
les hérétiques, leurs croyants, hôtes, partisans, soutiens, défenseurs et tous les autres opposants à la foi catholique,
et pour que soient observées contre tous et chacun de ceux qui doivent être punis [les mesures prévues] par tous les
statuts, ordonnances, constitutions canoniques et impériales promulguées et à promulguer qui sont ou seront
approuvées par le Siège apostolique.
Je jure aussi qu’autant qu’il est en mon pouvoir je ferai en sorte et veillerai à ce que la cité et le district de
Crémone soient pour toujours dans la dévotion et l’obéissance à la sainte Église romaine et au seigneur pape
Clément IV et à ses successeurs canoniquement élus ; et à ce que personne de la susdite cité et du district ne
manque aux dites dévotion et obéissance ; et à ce que la paix et réformation de la paix soit observée
perpétuellement dans lesdits cité et district de Crémone, conformément à ce qui est ou sera établi par l’autorité du
Siège apostolique ; et je jure que je résisterai à quiconque voudra faire dans ladite cité et dans le district sédition et
tumulte ou enfreindre en quoi que ce soit la paix susdite ; et de donner conseil, aide et soutien au podestat en
charge pour toutes les choses susdites et les autres qui touchent au bon gouvernement ; et que [vouerai] obéissance
aux capitaines et gonfaloniers de ladite association qui seront en charge, surtout en ce qui concerne les choses pour
lesquelles ces derniers auront le conseil et assentiment du prieur des frères Prêcheurs et du custode ou du gardien
des frères Mineurs de Crémone alors en charge ; je viendrai aussi en armes et sans armes au son de la cloche
conformément à ce qui est disposé, autant de fois qu’il sera nécessaire ; et je jure qu’en faisant, maintenant,
accomplissant les choses susdites et chacune d’elles et en veillant à ce qu’elles soient accomplies, j’observerai
seulement l’équité et la justice et renoncerai à toute faveur spéciale et amour et haine et rancœur dans toutes et
chacune des choses susdites à observer ; et je [veillerai à ce] que le clergé jouisse de sa due liberté.
Je jure aussi que si l’inquisiteur ou les inquisiteurs de la dépravation hérétique députés par le Siège
apostolique ou à déléguer découvrent que quelqu’un de cette association est croyant, partisan ou soutien en quelque
façon que ce soit d’une quelconque secte d’hérétiques, de quelque nom que l’on les désigne, je ferai en sorte et
veillerai à ce que celui-ci soit totalement exclu de ladite association et à ce que le podestat de Crémone alors en
charge le dépouille de tous ses biens et le frappe d’une condamnation à l’exil perpétuel sans espoir de pardon, étant
réservé à ces inquisiteurs ou inquisiteur le pouvoir de le punir davantage à leur discrétion, selon ce qui leur
semblera bon.
Je jure aussi que je ne permettrai jamais, autant qu’il sera en mon pouvoir, que soient faits d’autres
nouvelles associations ou sociétés ou communautés de quelques personnes que ce soit dans la cité ou le district de
Crémone, à moins qu’elles ne fassent partie de la présente association et lui soient soumises – laquelle présente
association a seule lieu d’être dans le diocèse et le district ; ni ne permettrai qu’une nouvelle seigneurie soit établie
ni donnée à quiconque ; et je jure que j’obéirai aux légats et envoyés du Siège apostolique présents et futurs et leur
donnerai aide, conseil et soutien avec des forces infatigables dans les choses pour lesquelles je serai requis par ces
derniers ou par l’un d’entre eux ; et que je ne permettrai pas, autant qu’il sera en mon pouvoir, que soient jamais
faits aucuns statuts ou ordonnances contre la liberté ecclésiastique dans la ville et le district de Crémone – je ferai
aussi en sorte et veillerai à ce que ceux qui sont déjà faits, si l’on peut en trouver de tels, soient totalement
supprimés des statuts de la ville de Crémone ; et je veillerai à ce que [ladite association] perdure pour des temps
perpétuels et soit gouvernée conformément à l’ordonnance des vénérables hommes les seigneurs maître Bernard de
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renouvellements historiographiques.
120 Castanet, chanoine d’Orléans, et Bartolomeo, abbé de Trévi, chapelains du seigneur pape et envoyés du Siège
apostolique, sauve en tout la volonté du Siège apostolique et de la sainte Église romaine d’y ajouter, d’y retirer et de
la modifier ; et pour ce qui relève de l’office d’inquisition, je me conformerai aux ordres de l’inquisiteur ou des
123 inquisiteurs de la dépravation hérétique perpétuellement et dans les temps à venir, sans attendre le conseil du
seigneur évêque de Crémone ou d’un autre.
Je jure aussi que je ferai en sorte et veillerai à ce que toutes les choses susdites soient solennellement
126 promises par serment corporel par chacun de l’association tous les ans après l’élection des capitaines, des
gonfaloniers et des jurisconsultes. Je jure en outre que je ne me rendrai pas, avec armes ou sans armes, en la
maison de qui que ce soit pour un rassemblement ni ne me joindrai à quelques autres que ce soit sur quelque place
129 que ce soit ou dans quelque rue ou portique que ce soit pour un parti ou à l’occasion d’un parti ou en soutien à un
parti, ni ne prêterai davantage l’oreille à aucun parti, et je serai au contraire égal pour tous, renonçant à tout parti et
au soutien d’un parti, et je ne prêterai l’oreille qu’au seul état de toute la Commune ; et je jure que je ne ferai à
132 aucun moment de serment qui entre en contradiction en quoi que ce soit avec toutes et chacune de choses susdites.
Et si une rumeur ou tumulte est faite par certains, je m’opposerai à eux et dès qu’elle retentira, laissant toutes
autres affaires, je viendrai à la place de la Commune pour faire ce que les capitaines et gonfaloniers de ladite
135 association, avec le conseil dû, ordonneront de faire. Et si je fais le contraire, en tout ou partiellement, je veux à
partir de maintenant et donne mon accord pour – si je néglige, après avoir été requis trois fois par les capitaines et
gonfaloniers, d’amender à leur connaissance ce en quoi il me sera arrivé d’avoir péché – être dépouillé de tous mes
138 biens sans espoir de pardon et être condamné sans dispense aucune par le podestat de la Commune comme
coupable de haute trahison envers Dieu et la sainte Église romaine et comme subvertisseur de ma patrie’.
11. Les capitaines, gonfaloniers et sages, après avoir été élus, jureront ainsi devant toute l’association :
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‘Je jure sur les saints évangiles de Dieu que je tiens entre mes mains de gouverner bien et fidèlement cette
association et d’ordonner et disposer toutes et chacune des choses importantes qui seront à disposer avec le conseil
et assentiment du prieur des frères Prêcheurs et le custode des frères Mineurs de Crémone ou leur gardien, si le
144 custode est absent, [et] de l’inquisiteur ou des inquisiteurs de la dépravation hérétique qui sont ou seront alors
députés par le Siège apostolique, pour ce qui touche à l’office d’inquisition. Je jure aussi que je ferai en sorte et
veillerai à ce que, pour ce qui concerne le gouvernement de ladite association, l’ordonnance faite par les vénérables
147 hommes maître Bernard de Castanet, chanoine d’Orléans, et Bartolomeo, abbé de Trévi, chapelains et envoyés du
seigneur pape, soit en tout observée ; et que, autant qu’il sera en mon pouvoir, je ferai en sorte et veillerai à ce que
tous et chacun de ladite association fassent et observent tout ce qu’ils auront promis et juré d’observer
150 perpétuellement, sauve en tout la volonté du pontife suprême et de la sainte Église romaine’.
12. Au nom de notre Seigneur Jésus Christ et de la bienheureuse Vierge Marie sa mère, pour l’honneur de
cette dernière et de la sainte Église romaine et du seigneur le pape Clément IV et pour l’état pacifique et tranquille
153 de la ville de Crémone, nous, maître Bernard de Castanet, chanoine d’Orléans, et Bartolomeo, abbé de SaintThéodore de Trévi, chapelains du seigneur pape et ses envoyés, décidons et ordonnons, par l’autorité du seigneur
pape dont nous sommes investis en la matière, que tous les confinés de la ville et du diocèse de Crémone reviennent
156 chez eux librement et sans empêchement aucun, sous réserve que ceux qui étaient de la cité viennent à nous lors de
leur première entrée pour nous donner une caution convenable en garantie de l’observation, sous la peine que nous
voudrons, de la paix qui a été établie par nous avec l’autorité du Siège apostolique ; et ceux qui étaient du district
159 feront la même chose lorsqu’ils en seront requis par nous. Nous ordonnons aussi que tous les prisonniers
crémonais [qui] ont été arrêtés pour un parti ou à l’occasion d’un parti, où qu’ils soient détenus dans la cité ou le
district de Crémone, soient librement, sans empêchement aucun, libérés des prisons, de telle sorte que lorsqu’ils
162 seront libérés, ceux qui demeuraient hors de la cité ne rentrent pas dans la cité, sinon avec notre autorisation
spéciale et à notre volonté, après avoir donné des otages pour la conservation de la paix ; qu’ils nous donnent en
outre lors de leur première entrée une caution convenable [pour] l’observation de la paix sous la peine que nous
165 voudrons. Et nous cassons, annullons et déclarons désormais sans aucune validité ni valeur les bans de tous les
bannis qui ont été bannis pour un parti ou à l’occasion d’un parti – à l’exception de ceux qui seront convaincu
d’avoir rompu la trêve instituée par nous –, et nous ne voulons pas qu’ils reviennent dans la ville de Crémone, sinon
168 avec notre autorisation spéciale et à notre volonté, après avoir donné des otages pour la conservation de la paix ; et
qu’ils nous donnent aussi lors de leur première entrée une caution convenable pour l’observation de la paix sous la
peine que nous voudrons ; que leurs femmes et enfants – les garçons de moins de quinze ans et les filles de tout âge
171 –, reviennent désormais dans la cité quand ils le voudront. Et en prenant ces mesures, nous ordonnons que les
confinés, prisonniers et bannis viennent, lorsqu’ils viendront, sans étranger et sans rumeur ni armes, non pas
ensemble mais séparément, et par groupe de deux ou trois ou quatre au plus ; et que lesdits prisonniers et bannis,
174 lors de leur première entrée, après nous avoir remis les cautions susdites, viennent auprès du podestat de la
Commune pour jurer d’obéir à ses commandements et à ceux de la Commune. Et nous voulons et ordonnons qu’à
partir de cette heure et à l’avenir il y ait entre vous, les intrinsèques et tous les susdits confinés, emprisonnés et
177 bannis, bonne et perpétuelle paix et unité de volonté. Nous remettons de part et d’autre les dommages infligés aux
personnes et aux biens et toutes les atteintes aux droits des personnes ; nous nous réservons de statuer en toute
modération au sujet des biens meubles et des créances confisqués auxdits prisonniers et bannis. Nous disposons,
180 voulons et ordonnons que toutes ces choses soient observées par l’un et l’autre parti en vertu du serment prêté et
sous peine de vingt mille marcs d’argent, sauve la volonté de notre seigneur le pontife suprême et de la sainte Église
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Université de Sao Paulo, 14, 16 et 18 avril 2008.
Julien Théry (Université de Montpellier III) : Les hérésies médiévales, de l'An Mil au début du XIV e s. Vue d'ensemble et présentation des
renouvellements historiographiques.
romaine. Et cette réformation a été approuvée immédiatement après sa lecture par tous les Crémonais réunis pour
183 l’arengo ou parlement public sur la place de la Commune ».
Qu’il ne soit donc permis à personne parmi les hommes d’enfreindre cet acte de confirmation émis par
nous ou d’aller par une téméraire audace à son encontre. Si quiconque ose commettre une telle infraction, qu’il
186 sache qu’il encourra l’indignation de Dieu tout-puissant et de ses apôtres les bienheureux Pierre et Paul.
Fait à Viterbe, le deux des calendes d'avril, la troisième année de notre pontificat.
Traduit du latin par J. Théry d'après l'éd. de J. F. Böhmer, Acta imperii selecta. Urkunden deutscher Könige und
Kaiser 928-1398 mit einem Anhang von Reichssachen, Innsbruck, 1870, no 984, p. 686-690.
18. Le pape Boniface VIII accusé d'hérésie par le roi de France Philippe le Bel : discours de
Guillaume de Plaisians devant le conseil royal (14 juin 1303)
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Moi, Guillaume de Plaisians, chevalier, je dis, propose et affirme que Boniface, qui occupe maintenant le
Siège apostolique, est hérétique accompli en raison de nombreux et énormes faits d’hérésie et des opinions
perverses ci-dessous exposées, que je crois être vrais et crois pouvoir prouver, ou ceux d’entre eux qui suffiront à
prouver qu’il est un hérétique accompli, en lieu et temps voulu et devant ceux auprès desquels le droit commandera
de se tourner pour cela, et je jure tout cela sur les saints Évangiles de Dieu, que je touche.
En premier lieu, il ne croit pas à l’immortalité et à l’incorruptibilité des âmes des justes, mais croit que
l’âme du juste se corrompt avec le corps.
Item, il ne croit pas qu’il y aura une vie éternelle ni que, finalement, un repos puisse venir pour les
hommes, mais il croit que toutes les formes de consolation et de joie sont de ce monde ; et, pour cela, il affirme que
réjouir son corps de tous délices n’est pas un péché. Et, parmi un grand nombre de ferments de cette sorte, il n’a
pas rougi de dire et de prêcher en public qu’il préférerait être un chien ou un âne, ou quelque animal sauvage que ce
soit, plutôt qu’être Français et qu’il n’aurait pas dit cela s’il croyait qu’un Français ait une âme qui puisse mériter la
béatitude éternelle (…). Item, sur toutes ces choses, l’opinion publique s’élève contre lui (…).
Item, on rapporte qu’il a dit que la fornication n’est pas un péché et non plus la masturbation ; et cela est un
bruit répandu dans le public (…).
Item, pour conserver à perpétuité sa mémoire damnée, il a fait ériger dans les églises des statues argentées
le figurant, induisant ainsi les hommes à l’idolâtrie.
Item, il a un démon privé, dont il utilise le conseil pour toutes choses et en toutes choses. Et il a dit une fois,
que si tous les hommes du monde formaient un parti et lui était seul en face, ils ne pourraient le surprendre, ni en
droit ni en fait ; chose qui serait impossible, s’il n’utilisait un artifice démoniaque. Et de cela il est publiquement
diffamé.
Item, il pratique les sortilèges, consultant devins et devineresses. Et de cela il est publiquement diffamé.
Item, il a prêché publiquement que le pape romain ne peut commettre la simonie (…) et il fait commerce
des prélatures majeures, des personnats, des dignités et des bénéfices ecclésiastiques (…) et des absolutions et
dispenses (…).
Item, (…) parce que la nation gallicane, nation notoirement très chrétienne, ne suit pas ses erreurs dans la
foi, il répute et proclame tous les Français patarins.
Item, il pratique le crime de sodomie, tenant avec lui des concubins. Et de cela il est publiquement et très
largement diffamé.
Item, il ordonna et fit accomplir en sa présence plusieurs homicides, même de clercs (…).
Item, il a poussé des prêtres à lui révéler des confessions (…).
Item, il méprise et il abaisse l’ordre des cardinaux et l’ordre des moines noirs et blancs, des frères Mineurs
et Prêcheurs, desquels il a dit souvent que le monde se perdait par eux et qu’ils étaient faux et hypocrites (…).
Il a confirmé le roi d’Allemagne comme futur empereur et il a prêché qu’il faisait cela pour détruire la
nation des Français, qu’il appelle orgueilleuse, parce qu’ils disent n’être soumis à personne au temporel (…).
Item, il est publiquement diffamé du fait que la Terre sainte a été perdue par sa faute (…).
Item, il est publiquement diffamé d’avoir traité inhumainement son prédécesseur Célestin, homme de
sainte mémoire, menant une vie sainte (…), et de l’avoir fait mourir rapidement et secrètement (…) ; et il a fait jeter
et mourir en prison plusieurs grands lettrés (…) qui disputaient entre eux sur la question : « Est ce que Célestin
pouvait se démettre ? » (…).
Je jure de soutenir contre lui tous ces points dans un concile général (…) pour l’honneur de Dieu et
l’exaltation de la foi chrétienne, le droit, l’honneur et le statut du saint Siège apostolique étant toujours saufs, en
toutes choses ; et c’est pourquoi je vous requiers instamment et avec révérence, à vous sire roi, à qui appartient la
défense de notre sainte mère l’Église et de la foi catholique (ce dont vous rendrez raison lors de l’examen du dernier
jour) et à vous, seigneurs prélats, qui êtes les colonnes de la foi (…), de faire en sorte que soit rassemblé en un lieu
convenable et sûr et en temps opportun un concile général devant lequel les choses susdites puissent être
proposées, prouvées et examinées en procès contre le susdit Boniface (…).
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Université de Sao Paulo, 14, 16 et 18 avril 2008.
Julien Théry (Université de Montpellier III) : Les hérésies médiévales, de l'An Mil au début du XIV e s. Vue d'ensemble et présentation des
renouvellements historiographiques.
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[Le roi adhère à cette proposition et convoque le concile universel, puis de nombreux évêques et abbés
donnent leur consentement à cette convocation].
Traduit du latin par J.-L. Biget, P. Boucheron, La France médiévale, t. II (coll. L'Histoire par les sources), Paris,
Hachette, 2000, p. 58-60.
19. Confession d'une hérétique de l'Ariège devant le tribunal d'Inquisition de Pamiers
(1308)
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…Alors son mari leur dit [aux hérétiques] qu’ils devaient se convertir à notre foi chrétienne. Et ceux-ci
répondirent qu’ils ne le feraient pas, parce qu’ils avaient choisi et suivaient une meilleure foi et voie de salut […].
Interrogée sur ce qu’elle a fait avec eux ou leur a dit, elle répondit que, instruite par eux, elle leur a fait une
révérence et les a adorés en fléchissant les genoux trois fois devant eux, en disant à chaque génuflexion : « Bons
chrétiens, la bénédiction de Dieu et de vous autres [en occitan dans le texte] ». Et les hérétiques répondaient :
« Que Dieu vous donne de son bien et vous conduise jusqu’à une bonne fin ». […] Item, elle a dit que, incitée par ces
mêmes hérétiques, elle leur a promis qu’elle voulait mourir dans leur foi et être reçue dans leur foi et dans leur secte
lors de sa fin et que, s’il lui arrivait de tomber malade et d’être en péril de mort, elle enverrait les chercher et les
recevrait, si elle le pouvait en quelque façon, pour qu’ils l’hérétiquent et la reçoivent dans leur foi. Interrogée pour
savoir si quelqu’un était présent quand elle fit cette convention avec lesdits hérétiques, elle dit que non, sauf les
mêmes hérétiques et elle-même qui parle.
[…] Interrogée pour savoir si elle a entendu lesdits hérétiques dire des choses contre l’Église romaine ou la
foi catholique au sujet des sacrements ecclésiastiques, c'est-à-dire du baptême, du mariage, du sacrifice de la messe
et du corps du Christ, ou toute autre chose qui soit contre la foi de l’Église romaine, elle dit que oui. Et ils disaient, à
ce qu’elle dit, que l’Église romaine ne peut rien ni n’a aucun pouvoir auprès de Dieu, parce qu’elle ment et tue et
soutient tous les maux et tous les péchés, et que personne qui se trouve dans le péché n’a le pouvoir d’absoudre et
de remettre les péchés, mais qu’eux seuls, qui suivent, à ce qu’ils disaient, la voie de Dieu et ne mentent pas et sont
sans péché, sont l’église de Dieu et ont le pouvoir d’absoudre et de sauver les âmes, et que personne, s’il ne passe
entre leurs mains, ne peut arriver au salut.
[…] Interrogée pour savoir si elle a cru que les hérétiques sont de bons et saints hommes et qu’ils suivent la
bonne voie et la bonne foi et que l’homme peut être sauvé par eux et dans leur foi, et si elle a cru en leurs erreurs
[…], elle dit que oui. Et elle est demeurée dans cette croyance, à ce qu’elle dit, depuis le moment où elle fit ladite
convention avec lesdits hérétiques jusqu’à celui où elle a été faite prisonnière par les inquisiteurs ; mais ensuite elle
a reconnu son erreur et son péché et le Seigneur l’a éclairée et elle a compris qu’elle perdait corps et âme et a eu la
volonté et l’intention d’avouer et d’abandonner cette mauvaise voie et croyance des hérétiques dans laquelle elle se
trouvait. Et elle fait grande pénitence et regrette, à ce qu’elle dit, d’avoir cru les hérétiques et leurs erreurs par le
passé ; et maintenant, à ce qu’elle dit, elle ne les croit plus, et ne les croira plus à l’avenir ; au contraire elle veut
vivre et mourir dans la foi que tient et prêche l’Église romaine ; et elle demande pardon, absolution et miséricorde
pour les choses susdites commises par elle.
Trad. du latin (ici revue) par Annette Pales-Gobilliard, L'inquisiteur Geoffroy d'Ablis et les cathares du comté de Foix
(1308-1309), Paris, CNRS, (Sources d'histoire médiévale
publiées par l'IRHT),1984, p. 215-217, 229-231.
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Université de Sao Paulo, 14, 16 et 18 avril 2008.
Julien Théry (Université de Montpellier III) : Les hérésies médiévales, de l'An Mil au début du XIV e s. Vue d'ensemble et présentation des
renouvellements historiographiques.
Liste des textes
1. Un épisode d'hérésie en Champagne vers l'an mille selon Raoul Glaber
2. Les débuts de la Pataria à Milan (1056) d'après Bonizo da Sutri
3. Les hérétiques de Bucy selon Guibert de Nogent (1114)
4. L'hérésie de Pierre de Bruys (v. 1120) selon le traité Contra Petrobrusianos de l'abbé de Cluny
Pierre le Vénérable (v. 1135)
5. L'hérétique Henri (vers 1116-1119, puis 1134) d'après la Geste des évêque du Mans
6. Les actes de la rencontre de Lombers entre prélats et bons hommes hérétiques (1165)
7. Les débuts de Valdès à Lyon (v. 1170) d'après la chronique anonyme de Laon (début XIIIe s.)
8. Valdès et les « pauvres de Lyon » au concile de Latran III (1179) selon Walter Map
9. L'hérésie devient « crime de lèse-majesté éternelle » : la bulle Vergentis in senium d’Innocent III
contre les hérétiques de Viterbe (25 mars 1199)
10. Les disputationes entre Dominique et les bons hommes hérétiques (v. 1207) d'après Guillaume
de Puylaurens (v. 1275)
11. Innocent III lève les sanctions canoniques contre la commune de Bergame après six années
d'interdit (5 avril 1209)
12. Confessions d'hérétiques devant l'Inquisition en Quercy (1244)
13. Innocent IV dépose l'empereur Frédéric II, « suspect d'hérésie », au concile de Lyon II
(17 juillet 1245)
14. La répression de l’hérésie dans les communes italiennes et l'autorisation de la torture : la bulle
Ad extirpanda d’Innocent IV (15 mai 1252)
15. La canonisation de l’inquisiteur Pierre de Vérone, martyrisé par des hérétiques (bulle
d’Innocent IV, 24 mars 1253)
16. Innocent IV déclare le seigneur gibelin Ezzelino da Romano hérétique et l'excommunie
(9 avril 1254)
17. Clément IV confirme les statuts de la « ligue de paix et de foi » (consortium fidei et pacis)
instituée par ses légats dans la commune de Crémone pour la maintenir dans le parti guelfe
(31 mars 1267)
18. Le pape Boniface VIII accusé d'hérésie par le roi de France Philippe le Bel : discours de
Guillaume de Plaisians devant le conseil royal (14 juin 1303)
19. Confession d'une hérétique de l'Ariège devant le tribunal d'Inquisition de Pamiers (1308)
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