Du réel au virtuel... Les prises de risque pour grandir
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2010 Si nous comprenons les violences dangereuses comme une manifestation possible de la souffrance des liens que l’enfant ou l’adolescent établit au sein de sa propre dynamique psychique comme auprès de ceux qui l’entourent, nous pouvons appréhender les conséquences déstructurantes d’une banalisation de ces pratiques. HR AFPSSU‐SIUMPPS Actes de la journée scientifique 22/01/2010 2 AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 Editions AFPSSU Ce volume regroupe l'ensemble des textes remis pour la Journée du 16 janvier 2009 à U.F.R biomédicale des saints Pères 45 rue des Saints Pères 75270 Paris cedex 06 Médecine Scolaire et Universitaire Collection de livres thématiques Direction et Rédaction de la publication : Dr Marie Claude ROMANO Dr Claude BRAVARD Secrétariat et Administration : A.F.P.S.S.U. 242 boulevard Voltaire 75011 Paris Mél. [email protected] Site : http://www.afpssu.com/ Imprimeur : Dumas imprimeur Impression n° Dépôt légal : janvier 2010 ISBN 2‐9513364‐3‐8 EAN : 9782951336438 4 Journée organisée par l’AFPSSU et le SIUMPPS Association Française de Promotion de la Santé Scolaire et Universitaire Service Interuniversitaire de Médecine Préventive et de Promotion de la Santé 22 janvier 2010 U.F.R biomédicale des Saints Pères, amphithéâtre BINET 45 rue des Saints Pères 75006 Paris cedex 06 Du réel au virtuel Les prises de risque pour grandir autrement Sous le Haut Patronage du Ministre de l’Education Nationale du Ministre de la Santé, de la Jeunesse et des Sports du Délégué interministériel aux Personnes Handicapées AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 5 Sommaire PRESENTATION DE LA JOURNEE .............................................................................................. 8 CLAUDE BRAVARD. PRESIDENTE DE L’AFPSSU JOANA ROUVIER MEDECIN DIRECTEUR DU SIUMPPS ..................................................................................................................................... 8 D U R E E L … .............................................................................................................. 10 MODERATRICES ............................................................................................................... 10 MARIE CHOQUET, PSYCHOLOGUE, EPIDEMIOLOGISTE, BIOSTATISTICIENNE, DIRECTRICE DE RECHERCHE A L'UNITE DE SANTE DES ADOLESCENTS DE L'INSERM ANNIE PERUFEL, INFIRMIERE DU SIUMPPS ......................................................................................................... 10 QUELS SENS DONNER AUX PRISES DE RISQUE ? ................................................................... 12 MICHEL REYNAUD, PSYCHIATRE ET CHEF DU DEPARTEMENT DE PSYCHIATRIE ET D’ADDICTOLOGIE. GROUPE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE PAUL BROUSSE A VILLEJUIF LAURENT KARILA ...................................................................................................................................... 12 . ........................................................................................................................................ 12 JEUX DANGEREUX ET JEUX DE MORT : QUAND LA VIE EST JOUEE A MORT .......................... 22 HELENE ROMANO, PSYCHOLOGUE CLINICIENNE, DOCTEUR EN PSYCHOLOGIE CLINIQUE, CONSULTATION SPECIALISEE DE PSYCHOTRAUMATISME. GROUPE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE HENRI MONDOR A CRETEIL ............................................................................. 22 L’ENVIE DE MOURIR, L’ENVIE DE VIVRE », UN AUTRE REGARD SUR L’ADOLESCENT SUICIDANT ..................................................................................................................................... 37 PATRICK ALVIN, PROFESSEUR DE PEDIATRIE, CHEF DE SERVICE DE MEDECINE DES ADOLESCENTS GROUPE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DU KREMLIN‐BICETRE .......................... 37 LA SANTE DES ETUDIANTS EN 2009 ...................................................................................... 48 BENJAMIN CHKROUN, EST DELEGUE GENERAL DE L'USEM, UNION NATIONALE DES MUTUELLES ETUDIANTES REGIONALES. UNIONS NATIONALE DES SOCIETES ETUDIANTES MUTUALISTES REGIONALES ...................................................................................................... 48 ETUDIANTS ET ALCOOL : SE REMPLIR, OU SE VIDER ? REFLEXIONS AUTOUR DU CONCEPT DE « BINGE DRINKING » ...................................................................................................................... 56 ETUDIANTS ET ALCOOL : SE REMPLIR OU SE VIDER ? ............................................................ 61 ANNE DELAIGUE, PSYCHOLOGUE CLINICIENNE, PSYCHANALYSTE, RESPONSABLE DU SERVICE DE PSYCHOLOGIE DE L' ECOLE POLYTECHNIQUE, VICE‐PRESIDENTE DE L'ASGE (ASSSOCIATION SANTE GRANDES ECOLES ) .............................................................................. 61 A U V I R T U E L … ................................................................................................... 69 MODERATEUR CATHERINE MOISAN INSPECTRICE GENERALE DE L’EDUCATION NATIONALE ............................................................................................................................... 69 « ABUS D’ECRAN »…UN PROJET DE PREVENTION CONSTRUIT LOCALEMENT, DANS LA DUREE ....................................................................................................................................................... 71 HELENE DAVID – SORET, .................................................................................................. 71 DIRECTRICE D’EMERGENCE ESPACE TOLBIAC ‐ PARIS XIIIEME. CENTRE DE SOINS SPECIALISES EN ADDICTOLOGIE, RATTACHE AU SERVICE DE PEDOPSYCHIATRIE DE L’INSTITUT MUTUALISTE MONTSOURIS – MUTUALITE FONCTION PUBLIQUE ............................................ 71 QUELLES INFLUENCES DES JEUX VIDEOS SUR LES PRISES DE RISQUE ................................... 77 MICHAEL STORA, PSYCHOLOGUE ET PSYCHANALYSTE, CO‐FONDATEUR DE L’OBSERVATOIRE DES MONDES NUMERIQUES EN SCIENCES HUMAINES ................................ 77 ENFANTS ET ADOLESCENTS FACE A LA CYBERCRIMINALITE .................................................. 86 CHANTAL ZARLOWSKI, COMMISSAIRE DE POLICE JUDICIAIRE. GROUPE CENTRAL DES MINEURS VICTIMES; OFFICE CENTRAL POUR LA REPRESSION DES VIOLENCES AUX PERSONNES ................................................................................................................................................. 86 LA PRISE DE RISQUE SUR INTERNET : EDUQUER AUTREMENT .............................................. 88 AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 6 SERGE TISSERON, PEDOPSYCHIATRE ET PSYCHANALYSTE, DIRECTEUR DE RECHERCHE A L’UNIVERSITE PARIS X ................................................................................. 88 PREVENIR ET PRENDRE EN CHARGE LES PRISES DE RISQUE .................................................. 96 PATRICE HUERRE PSYCHIATRE DES HOPITAUX CHEF DE SERVICE DE L'INTER SECTEUR VI DES HAUTS DE SEINE ................................................................................................................ 96 . ........................................................................................................................................ 96 A U T R E S C O M M U N I C A T I O N S .......... ERREUR ! SIGNET NON DEFINI. D O C U M E N T D ’ A R C H I V E S .............................................................. 100 1956 LA CONSOMMATION DES BOISSONS ALCOOLISEES DANS LES INTERNATS DES ETABLISSEMENTS D’ENSEIGNEMENT ET LES CANTINES SCOLAIRES ............................................. 102 R.PAUMIER .................................................................................................................... 102 PSYCHOLOGIE DE L'ADOLESCENT ........................................................................................ 112 D.ORIGLIA LIB. DOC. PSYCHIATRIE ET PSYCHOLOGIE DE L’UNIVERSITE DE MILAN. 1963 DE MILAN ..................................................................................................................................... 112 LE CONSEIL SCIENTIFIQUE DE L’AFPSSU .............................................................................. 117 AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 7 AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 8 Présentation de la journée Claude Bravard. Présidente de l’AFPSSU Joana Rouvier Médecin Directeur du SIUMPPS . AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 9 AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 10 Du réel… Modératrices Marie Choquet, psychologue, épidémiologiste, biostatisticienne, directrice de recherche à l'unité de santé des adolescents de l'INSERM Annie Pérufel, Infirmière du SIUMPPS AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 11 AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 12 Quels sens donner aux prises de risque ? Michel Reynaud, Psychiatre et chef du département de psychiatrie et d’addictologie. Groupe hospitalier universitaire Paul Brousse à Villejuif Laurent Karila . L’addiction à un produit est définie comme un trouble caractérisé par un processus récurrent, comprenant l’intoxication répétée puis l’installation progressive d’une dépendance s’accompagnant de signes de sevrage et d’un craving (1). Le caractère chronique, et l’installation d’un état émotionnel négatif lorsque l’accès au produit est impossible et l’évolution par rechutes sont caractéristiques de ce trouble (2, 3). Pour mieux comprendre les addictions, pour avoir une action efficace, tant curative que préventive, pour évaluer le risque ou la gravité de ce type de trouble, il convient toujours de prendre en compte les interactions entre un produit, un individu et son environnement (4‐6). 1. Les modalités de consommation à risque Certaines modalités de consommation sont fortement corrélées au risque d’installation d’abus ou de dépendance et à l’apparition de dommages psychiatriques, somatiques et sociaux (5). I.1. La précocité des consommations Il est clairement démontré que plus une consommation de substance psychoactive démarre tôt dans la vie, plus le risque d’apparition d’abus et/ou d’installation d’un syndrome de dépendance est important (7). Plus le nombre de consommation, quelque soit le produit psychoactif, est important, plus le temps d’exposition aux effets du produit est grand au cours de la vie, plus le risque de survenue de complications croît. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 13 I.2. Le cumul des consommations Les polyconsommations sont un facteur d’aggravation du risque d’intoxication pour toutes les substances psychoactives. Par exemple, les consommations fréquentes de cannabis sont, en général, associées et ont été précédées par la consommation de tabac et d’alcool (8). Le risque est dès lors à la fois pharmacobiologique et psychosocial (5). I.3. La consommation autothérapeutique Il est important de connaître les moments de consommation, les heures des dernières prises d’une substance psychoactive, de savoir si l’usage a lieu en groupe ou de manière solitaire et de rechercher un terrain psychopathologique sous‐jacent (4). Différents types de consommations peuvent être individualisées comme étant à visée anxiolytique en soirée ; à début matinal (traduisant souvent la dépendance) ; des consommations régulières, continues et massives pour lutter contre l’ennui, à l’origine ded troubles des conduites et du comportement (9). L’usage solitaire d’un produit psychoactif indique le plus souvent une augmentation de la consommation. Enfin, l’usage à visée anxiolytique, sédative, antidépressive du produit semble être révélateur de troubles psychopathologiques sous‐jacents chez un certain nombre de sujets (10). Cette dernière modalité doit attirer plus particulièrement l’attention des professionnels de santé. I.4. La recherche d’excès L’effet recherché par la consommation fréquente et/ou en quantités élevées d’un produit est celui d’une anesthésie, d’une recherche de « défonce ». Les ivresses cannabiques, alcooliques, les binge cocaïne, par exemple, peuvent être fréquents et importants (5). I.5. La répétition des consommations L’impossibilité de ne pas pouvoir consommer et le besoin de consommer quotidiennement, massivement ou non, une substance psychoactive sont des AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 14 indicateurs sanitaires majeurs (11). Sortir des conditions habituelles de consommation d’un produit est l’expression d’un risque important (5), la répétition des consommations traduisant l’installation de la pathologie addictive et du craving. 2. Les facteurs de risque liés au produit II.1. Le risque de dépendance Le niveau de dépendance, défini selon le DSM IV TR ou la CIM 10, varie selon les substances psychoactives (12). Les trois substances ayant un pouvoir addictif puissant sont le tabac, l’héroïne et la cocaïne. Pour une faible consommation de ces produits, il est retrouvé une dépendance moyenne ou forte chez 50 à 60% des usagers, alors que pour l’alcool, le cannabis et les amphétamines, le syndrome de dépendance ne concerne que 10% des usagers (6). II.1. Le risque de complications psychologiques et sociales. somatiques, Tous les produits psychoactifs entraînent des complications somatiques, psychologiques, sociales à court et à long terme. Même si le tabac peut être considéré comme une exception à cette affirmation, il est à l’origine surtout de complications somatiques à long terme et peut être révélateur de troubles psychologiques lors de l’arrêt de sa consommation (trouble dépressif, tentative de suicide, troubles anxieux…). Certains produits comme l’alcool, la cocaïne, le cannabis peuvent être à l’origine de dommages psychiatriques, somatiques et sociales beaucoup plus rapidement (6). II.2. Le statut social du produit Le statut social du produit dépend du caractère licite ou illicite et du type de produit. Un produit comme l’héroïne ou le crack peut entraîner une marginalisation, une désocialisation, une délinquance et des complications liées aux difficultés à se procurer le produit. La cocaïne est classiquement consommée et acceptée socialement dans certains milieux de la nuit. Enfin, l’acceptation sociale de l’alcool ou du tabac facilite et encourage sa consommation (13). AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 15 3. Les facteurs de risque individuels III.1. Facteurs neurobiologiques et génétiques Ces facteurs entrent en jeu dans la vulnérabilité aux addictions : perturbations des systèmes dopaminergique, opioïde, noradrénergique, sérotoninergique et corticotrope (14). Le rôle du stress et l’activation de l’axe corticotrope chez l’animal sont des facteurs augmentant la vulnérabilité à la prise de drogues. L’exposition à des événements stressants augmente la prise de produits chez le rat selon un phénomène similaire à celui de la sensibilisation comportementale. Le contact avec ces événements stressants peut être aversif mais en faveur d’une nette sensibilisation à la consommation de drogues. Les variations interindividuelles de sensibilité au stress et l’absence de contrôle dans un environnement donné peuvent entraîner un sujet dans l’addiction aux produits (15). D’autres facteurs de vulnérabilité comme les facteurs génétiques auraient une influence sur le métabolisme et les effets des drogues contribuent au développement de l’addiction (16, 17). Enfin, les interactions gènes ‐ environnement participent de manière indissociable à l’expression de la vulnérabilité aux drogues. III.2. Traits de personnalité, tempérament et troubles du comportement Les différents traits de personnalité pouvant être des facteurs de risque individuels d’installation d’une conduite addictive (18) sont la faible estime de soi, la timidité, l’autodépréciation, les réactions émotionnelles excessives, les difficultés face à certains événements, à avoir des relations stables et à résoudre les problèmes interpersonnels. Concernant les dimensions de tempérament, un niveau élevé de recherche de sensations, de recherche de nouveauté, de réactivité émotionnelle, un faible évitement du danger, un faible niveau de sociabilité, un retour lent à l’équilibre jouent également un rôle important dans le risque individuel d’installation d’une conduite addictive. Enfin, les troubles du comportement précoces sont fortement corrélés à un abus voire l’installation d’une dépendance à des substances psychoactives chez l’adolescent et chez l’adulte jeune (6). III.3. Les événements de vie AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 16 Les événements de vie jouent un rôle important dans la vulnérabilité individuelle à consommer des produits de manière addictive. Il peut s’agir d’un deuil, de rupture, de maltraitance, d’abus sexuels (viol, inceste…) (19), de l’absence de domicile fixe, de maladies somatiques graves (20). III.4. Les comorbidités psychiatriques L’association de troubles psychiatriques aux conduites addictives, notamment chez les enfants et les adolescents, a fait l’objet de nombreuses études. Cependant, les liens qui les unissent restent complexes (20). La survenue précoce des troubles psychiques peut, selon les études, multiplier par un facteur 2 le risque de développer un abus ou une dépendance à une substance psychoactive. Dans 70% des cas environ, ces troubles précèdent l’apparition de l’abus de substances. Il peut s’agir d’un trouble des conduites, d’une hyperactivité avec déficit de l’attention, de troubles de l’humeur (dépression, trouble bipolaire…), de troubles anxieux (TOC, trouble phobique, trouble panique, trouble anxieux généralisé, stress post traumatique….) (21, 22) (23), plus rarement de troubles psychosomatiques et de trouble du comportement alimentaire (24). Les éléments psychopathologiques liés à un trouble de la personnalité antisociale (25), borderline (26) sont des facteurs individuels facilitant l’installation de conduites addictives. 4. Les facteurs de risque environnementaux IV.1. La famille Le fonctionnement intrafamilial, les liens familiaux et le style d’éducation parentale de type négligeant, rejetant, permissif jouent un rôle important dans l’installation d’une conduite addictive. De plus, il existe des liens étroits entre une histoire familiale de dépendance à l’alcool ou à d’autres produits psychoactifs et un âge de début précoce des consommations nocives. La tolérance familiale pour l’usage de produits et pour la transgression des règles familiales sont également un facteur de risque de début des consommations de substances chez l’enfant et chez l’adolescent (13). Enfin, les événements de vie familiaux sont également à prendre en compte. III.2. Les amis AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 17 Le rôle des amis (ou pairs) est indiscutable dans l’initiation d’une consommation de tabac, de cannabis, d’alcool ou d’autres drogues (27), les différentes enquêtes annuelles ESCAPAD le montrent bien (28‐30). La dimension de transgression des règles prend ici toute sa valeur et le choix du groupe de pairs, où certaines substances sont disponibles, peut jouer un rôle renforçateur. La pression du groupe, la prédisposition de certains sujets à l’usage de drogues, la délinquance, la marginalisation, la représentation du produit par le jeune sont d’importants éléments à prendre en compte. III.3. L’environnement La perte des repères sociaux tels que le chômage, la misère, la précarité, une cellule familiale éclatée, l’absence de valeurs morales sont d’authentiques facteurs de risque. La rupture ou l’exclusion scolaire, l’absence d’encadrement pédagogique laissent l’enfant ou l’adolescent livré à lui‐même, croisant son chemin avec des pairs déviants et en proie à la recherche de nouveautés. La marginalisation, fracture avec le système social naturel su sujet, est fortement corrélée à l’usage de substances psychoactives (31). AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 18 En résumé USAGE NOCIF ET DEPENDANCE Interactions : Produit (P)x Individu (I) x Environnement (E) P = Facteurs de risque liés au Produit Dépendance Complications sanitaires psychologiques et sociales Statut social du produit I = Facteurs Individuels (de vulnérabilité et de résistance) génétiques biologiques psychologiques psychiatriques E = Facteurs d ’Environnement familiaux : fonctionnement familial, consommation familiale sociaux exposition :consommation nationale, par âge, sexe, groupe social marginalité copains Références bibliographiques 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. Volkow ND, Fowler JS, Wang GJ, Goldstein RZ: Role of dopamine, the frontal cortex and memory circuits in drug addiction: insight from imaging studies. Neurobiol Learn Mem 2002; 78(3):610‐24 Koob GF: Neurobiology of addiction. Toward the development of new therapies. 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Alcoologie et Addictologie 2004; 26(2):99‐109 OFDT: Drogues et dépendances. Indicateurs et tendances. Paris, 368p. 2002 Karila L: Prise en charge des troubles psychiques et des addictions. Paris, J.B. Baillière ‐ La Revue du Praticien, 2005 Vignau J, Karila L: [Substance abuse in adolescents]. Rev Prat 2003; 53(12):1315‐9 Ledoux S, Sizaret A, Hassler C, Choquet M: Consommation de substances psychoactives à l’adolescence: revue des études de cohorte. Alcoologie et Addictologie 2000; 22(1):19‐40 DSM‐IV: Text Revision ‐ Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Paris, Masson, 2005 Beitchman JH, Adlaf EM, Atkinson L, Douglas L, Massak A, Kenaszchuk C: Psychiatric and substance use disorders in late adolescence: the role of risk and perceived social support. Am J Addict 2005; 14(2):124‐38 Lingford‐Hughes A, Nutt D: Neurobiology of addiction and implications for treatment. Br J Psychiatry 2003; 182:97‐100 Cami J, Farre M: Drug addiction. 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AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 21 AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 22 Jeux dangereux et jeux de mort : quand la vie est jouée à mort Hélène Romano, Psychologue clinicienne, Docteur en psychologie clinique, consultation spécialisée de psychotraumatisme. Groupe hospitalier universitaire Henri Mondor à Créteil Psychologue clinicienne, docteur en psychopathologie, psychothérapeute • Cellule d’Urgence Médico‐Psychologique du SAMU 94 Hôpital H Mondor – 94000 Créteil • Consultation spécialisée de psychotraumatisme du Val de Marne Hôpital Henri Mondor – 94000 Créteil SAMU 94 – CUMP 94 Hôpital H. Mondor 51 avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny 94000 Créteil Courriel : [email protected] Résumé L’institution scolaire est régulièrement confrontée à la question de la violence : de la maternelle au lycée elle concerne les élèves contre eux‐ mêmes, la violence entre élèves, familles et enseignants mais également la violence de l’institution à l’égard des élèves comme des professionnels. Parmi ces violences une entité désignée par l’appellation « jeux dangereux » se dégage depuis une dizaine d’années. Notre propos vise à présenter les différentes manifestations de ces pratiques violentes, à mieux en comprendre les répercussions et à dégager les dispositifs susceptibles de prévenir cette violence afin d’apporter la prise en charge la plus adaptée aux élèves concernés. Mots clés Violence scolaire, jeux dangereux, conduites dangereuses, enfant, adolescent, souffrance psychique AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 23 Préambule Magali 10 ans est retrouvée pendue à l’essuie‐mains dans les toilettes de l’école ; Fouad, 13 ans, meurt sous les coups de pieds portés par ses camarades de collège alors qu’il était au sol ; Antoine 7 ans, Alice 11 ans et Bandele 13 ans, sont évacués en urgence par le SAMU après une perte de connaissance consécutive à une strangulation ; Jeremy 12 ans est victime d’un malaise dans les vestiaires : à l’issue du cours de sport il a été frappé par ses camarades parce qu’il a refusé de participer « au jeu du silence ». Autant d’élèves, autant d’histoires de vie différentes qui se terminent toutes par l’intervention en urgence des secours. Certains seront sauvés quand d’autres vont mourir. Ces actes qui conduisent des enfants ou des adolescents dans un service de réanimation ou directement à la morgue d’un institut médico‐légal, ne sont pas des accidents. Les modes opératoires sont différents, les contextes de mises en acte également, mais ces violences extrêmes ont comme point commun de nous confronter à l’indicible que représente la mort en direct. 1. « Jeux » dangereux L’appellation « jeux dangereux » est récente puisqu’elle apparaît dans les années 90 pour définir deux types de pratiques : les « jeux » d’agression et les « jeux » d’asphyxie. Certaines de ses conduites s’inscrivent dans le fonctionnement habituel de l’enfant ou de l’adolescent et font partie de son mode de vie ; d’autres marquent un passage à l’acte ou une tentative unique liée aux circonstances. Nous proposons dans un premier temps de les définir avant de discuter de la pertinence de l’usage du terme « jeux » pour des pratiques qui sont avant tout des violences graves contre soi‐même ou contre ses pairs. 1.1Les « jeux » d’agression Ils font partie des multiples violences physiques existant en établissement scolaire : bousculades, bagarres, morsures, griffures, cheveux tirés, coups, projections de chaises, agressions au gaz lacrymogène. Les violences physiques concernent aussi les violences avec armes appelées school shooters dans la littérature américaine [12] mais dont les établissements scolaires français ne sont plus protégés comme en témoigne l’agression récente dans un collège de Meyzieu près de Lyon où un collégien a poignardé en juin 2008 trois camarades et les multiples agressions à la sortie AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 24 des collèges et des lycées où l’arme blanche vient en lieu et place des habituels invectives et bagarres. Les « jeux » d’agression sont des actes de violence physique gratuite, intentionnels et qui impliquent le plus souvent un groupe d’enfants qui participent à l’agression de l’un des leurs. Plusieurs termes sont donnés selon la place du groupe et celui de la victime : le « jeu » du cercle infernal, le « jeu » du mikado, le bouc émissaire, le petit pont massacreur ou la mêlée, le jeu du jugement, le petit pont boulette, la tatane, etc. Le principe est toujours le même : initialement le groupe est solidaire et l’ensemble des élèves souhaitent participer à ce « jeu ». Au sein d’un cercle de jeu, un objet est lancé ; le joueur qui ne le rattrape pas devient la victime et est alors roué de coups par les autres joueurs. D’autres « jeux » ont une dimension de contrainte plus prononcée car dès le départ un enfant est désigné sans qu’il ait adhéré au groupe de départ. Par exemple dans le « jeu » de la cannette un enfant est désigné par le groupe comme « canette », il est bousculé, tombe au sol et frappé ; pour se protéger des coups il roule telle une cannette. Le « vainqueur » est celui qui donne le dernier coup avant que la victime ne touche un obstacle (mur, pilier etc.) Autres exemples, le « jeu » des cartons rouges, le « jeu » de la ronde, le « jeu » de la mort subite ou de la couleur : un enfant qui porte le plus grand nombre de vêtements de la couleur désignée le matin, est frappé et humilié toute la journée ; le « jeu » du taureau : un groupe d’enfants ou d’adolescents foncent, tête baissée, sur un enfant désigné ; le « jeu » de Beyrouth : des enfants demandent à un autre la capitale du Liban et s’il ne sait pas répondre à cette question, il est frappé au niveau du sexe ; le « cercle infernal » rassemble un groupe d'enfants disposés en cercle qui se passent un ballon de foot jusqu'à ce que le joueur du milieu l'attrape mais s'il n'y arrive pas, il est frappé ; le « jeu du silence » où les participants doivent faire régner ke silence dans l’obscurité sous peine de coups ; le jeu de la « gardav », abréviation de garde à vue pour décrire un « jeu » qui consiste à frapper un jeune pour le faire parler et à redoubler de violence, s’il s’exécute etc. Les « jeux » d’agression sont réalisés dans un contexte de violences psychologiques marqué par des propos et des attitudes portant atteinte à l’humanité et à la dignité de l’élève. Il peut s’agir de paroles blessantes, d’insultes, d’injures, de grossièretés, de propos et attitudes humiliantes et dénigrantes, de propos racistes, de racket, de menaces de représailles ou menaces de mort sur l’élève ou un de ses proches (frère ou sœur, parents). La AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 25 répétition de ces violences psychologiques entre élèves peut conduire à un véritable harcèlement psychologique défini par le terme school bullying. Le school bullying est une notion étudiée par les pays scandinaves depuis les années 80 puis reprise par le Canada, les Etats‐Unis, le Japon et une partie des pays européens. Il correspond à des humiliations et brimades répétées entre élèves ou de harcèlement entre pairs : « nous dirons qu’un enfant ou une jeune personne est victime de bullying lorsqu’un autre enfant ou jeune ou groupe de jeunes se moquent de lui ou l’insultent. Il s’agit aussi de bullying lorsqu’un enfant est menacé, battu, bousculé, enfermé dans une pièce, lorsqu’il reçoit des messages injurieux ou méchants. Ces situations peuvent durer et il est difficile pour l’enfant ou la personne en question de se défendre » [25]. Les notions de répétition, d’abus de pouvoir d’un plus fort sur un plus faible et d’intention délibérée de nuire, sont ici centrales. Elles peuvent conduire, chez les victimes, à des décrochages scolaires voire à des descolaristations pour lesquels le terme de « phobie scolaire » est souvent utilisé sans toujours correspondre à des processus similaires. 1.2 Les « jeux » d’asphyxie Ces pratiques de non‐oxygénation consistent, de façon volontaire, à freiner l’irrigation sanguine du cerveau par compression des carotides, du sternum ou de la cage thoracique, pour ressentir des sensations intenses et des visions pseudo hallucinatoires. La privation sévère d’oxygène entraîne des séquelles plus ou moins intenses selon la durée de l’anoxie et peut aboutir à la mort. La pratique régulière et intensive de ces pratiques de non oxygénation peut aussi conduire à une attitude de dépendance visant à retrouver les sensations furtives obtenues par l’auto‐asphyxie. Les statistiques sont difficiles à obtenir tant il existe d’amalgames entre jeu du foulard, accidents, suicides et morts violentes. L’étude réalisée en 2005 [16] par le Dr Jean Lavaud auprès des SAMU de France, a révélé 7 accidents par strangulation dont cinq décès : le plus jeune enfant avait 7 ans, le plus âgé 13 ans. Mais selon l’APEAS (Association des Parents d’Enfants Accidentés par Strangulation), cette étude ne prend en compte que les enfants ayant nécessité une prise en charge médicale et les chiffres seraient nettement supérieurs : plus de 210 enfants seraient décédés depuis 1995. Ce comportement concerne aussi bien les filles que les garçons. Si ces jeux sont initiés dans les enceintes des établissements scolaires, c’est le plus souvent au domicile que l’enfant décède. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 26 Le nom le plus médiatisé est celui de « jeu » du foulard mais d’autres noms sont donnés par les enfants et les adolescents à ces activités volontaires de non‐oxygénation ou d’asphyxie, de strangulation ou de suffocation : « trente secondes de bonheur », « rêve bleu » et « rêve indien » (couper seul sa respiration) ; « jeu du cosmos » (se faire stranguler par un camarade) ; « jeu des poumons », « jeu » de la tomate (couper sa respiration mais sans lien) ; « jeu de la grenouille » (résultat obtenu en position accroupie par hyperventilation jusqu’à l’évanouissement). Lorsque l’élève agit seul (grâce à un lien, lacet, ceinture, essuie‐main des toilettes) il existe un risque accru de conséquences dramatiques car personne n’est là pour le secourir. Le contexte scolaire peut entraîner des mécanismes d’identification et ces pratiques de strangulation peuvent aussi se produire en groupe. Dans ces contextes‐là il semble que dans la plupart des cas, il n’existe pas de victime ou d’auteur défini et que les rôles s’inversent, c’est‐à‐dire que l’étranglé peut devenir l’étrangleur. Actuellement trois types de profils d’élèves sont repérés [2] : ‐ les sujets occasionnels semblent motivés par la curiosité ou agissent sous la contrainte de l’effet d’un groupe par crainte de perdre leur place au sein du groupe ; ‐ les sujets réguliers qui recherchent surtout des sensations et sont souvent amenés à pratiquer ces activités à leur domicile. Le danger est que cette excitation entraîne, dans certains cas, l’apparition d’un certain degré de dépendance ; ‐ les sujets suicidaires et/ou ayant une personnalité fragile sont moins décrits et semblent plus rares mais, dans ce cas, le risque d’accident et de décès est très important. Ces élèves pratiquent souvent cette non‐ oxygénation volontaire plusieurs fois par semaine, voire par jour, et présentent le plus souvent une symptomatologie dépressive importante. 2. Discussion Il n’existe aucune donnée statistique spécifique pour les « jeux d’agression ». Les données épidémiologiques sont difficiles à établir car, AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 27 lorsqu’ils sont signalés, les jeux dangereux sont regroupés dans la catégorie des violences physiques [1]. En dehors des situations dramatiques ils sont rarement recensés et lorsqu’ils le sont, ils sont retrouvés dans tous types d’établissements scolaires. Le faible nombre de signalements s’explique également par le fait que ces pratiques sont difficilement repérables par les adultes car elles se manifestent hors de leur contrôle et sous le regard des seuls camarades. L’organisation des jeux agressifs se faisant très discrètement, ils sont découverts en même temps qu’ils ont lieu. Par ailleurs, le renouvellement permanent de ces conduites rend également difficile leur reconnaissance ce qui a conduit certains chef d’établissement à se constituer en réseau pour se tenir informer dès que l’un d’eux a connaissance d’un « nouveau jeu ». Ces pratiques sont en tous cas aujourd’hui un sujet d’inquiétude pour les responsables institutionnels puisqu’une brochure intitulée « les jeux dangereux et les pratiques violentes ‐ prévenir, intervenir, agir », a été transmise en 2007 par le ministère de l’éducation nationale à tous les chefs d’établissement. Au‐delà des difficultés de repérages, ces pratiques s’accompagnent le plus souvent du silence des jeunes qui ne sollicitent que rarement une aide extérieure : dans le rapport de J.‐M. Croissandeau chargé d’une mission d’inspection générale par le ministère de l’éducation nationale [11], 3% se sont tournés vers leurs parents, 6 % vers des enseignants et 18 % vers des amis. La crainte de sanctions de la part des adultes, de représailles de la part des pairs, la gêne ou/et les sentiments de honte et de culpabilité, peuvent verrouiller l’enfant dans le secret et le condamner au silence. Certaines situations sont révélées indirectement par le happy slapping (en français « joyeuses claques ») qui consiste à filmer à l’aide de son téléphone portable une agression perpétrée par surprise, puis de procéder à la diffusion de ces images via internet ou d’autres téléphones portables. Cette pratique, qui se surajoute aux violences physiques, vise également à porter atteinte à la dignité et à l’image de la victime. A noter que depuis la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance (article 222‐33‐3 du code pénal) l’happy slapping est assimilé aux violences légères et peut être puni de 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende. L’enfance et l’adolescence sont des temps d’expérimentation des comportements adultes. Prendre des risques, se mettre en danger, tester les limites de ses pairs et des adultes qui l’entourent sont constitutifs de la quête d’autonomie et de la recherche d’indépendance de l’élève [19]. Ces expérimentations se situent à l’interface entre le connu et l’inconnu, le permis et l’interdit, le licite et l’illicite. Mais comment comprendre ces « jeux » qui peuvent conduire à tant de blessures et certaines fois à la mort ? AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 28 Les jeux dangereux font violence car ils mettent en scène une violence brute dont les auteurs sont incapables de parler. Ces actes ne sont ni transformés, ni intégrés, ni élaborés dans la dynamique psychique de l’enfant et de l’adolescent et s’expriment de façon archaïque. En ce sens ils témoignent de la souffrance psychique de ces jeunes et de leur potentialité déstructurante pour leur psychisme en développement. La dangerosité de ces pratiques n’est pas reconnue ou se trouve banalisée par ces jeunes : « on fait ça pour le plaisir et on s’entraîne l’un l’autre. On savait pas que ça pouvait être dangereux, amis on savait qu’il fallait mieux éviter, alors on le faisait en cachette » ; « je le faisais même si je savais qu’il ne fallait pas, j’avais vraiment l’impression d’être ailleurs, dans un autre monde parallèle, juste une seconde de bonheur » ; « au collège on nous a informé sur ces jeux là et sur le fait que c’était dangereux, mais avec eux [les adultes] il y a des dangers partout, alors on a continué et on se disait qu’on était plus fort ». Etre plus fort que l’interdit, plus fort que la mort, pour accéder à l’illusion d’une maîtrise sur soi‐même et sur l’autre : tel semble être le principal enjeu de ces conduites dangereuses, qui fascinent tout autant qu’elles effraient. Ces « jeux dangereux » alarment, ils sont souvent dénoncés mais ils attirent irrémédiablement certains enfants et adolescents qui ne cessent d’en inviter de nouveaux. Cette fascination à approcher l’extrême limite de la mort, cette dépendance aux pratiques violentes participent à faire de ces « jeux dangereux » une conduite ordalique en ce sens où l’enfant et l’adolescent s’engagent dans une activité qui leur rappelle sans cesse leur état de mortel. Ils s’en remettent au hasard, s’abandonnent et se soumettent aux autres en ayant l’illusion qu’ils peuvent à leur niveau maintenir la maîtrise et le contrôle de leur vie. Comme l’a développé Freud dans « le cas Schreber » (1911), l’ordalie s’inscrit dans une quête identitaire permettant de rassurer l’individu sur sa place en tant que sujet. Se confronter symboliquement à la mort serait se confronter symboliquement à l’angoisse de castration refoulée par le sujet. Ces jeunes vivent dans une société où la fascination pour la mort en direct est omniprésente comme en attestent les multiples reportages télévisuels, les jeux vidéos et autres films à sensation. La fascination traumatique pour des images toujours plus crues ouvre sur l’imminence de l’objet impensable en même temps qu’elle laisse soupçonner l’horreur qu’il y aurait à reconnaître la parenté de sa propre intimité avec la réalité innommable de cet objet. La pratique de jeux dangereux pourrait alors être comprise comme une tentative d’expérimenter l’extrême pour ne plus le subir et serait alors à appréhender comme un jeu traumatique [24]. En éprouvant les limites de la vie, l’enfant et l’adolescent accèderaient symboliquement à d’autres repères et se rassureraient sur les limites dont ils ont besoin pour exister. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 29 Lorsque ces pratiques dangereuses conduisent à des violences directes sur d’autres jeunes, la plupart des élèves mis en cause ne manifestent pas de culpabilité, pas d’empathie pour leur victime et ne reconnaissent pas les conséquences de leurs actes et la violence qu’ils entraînent comme en témoignent ces propos d’enfants et d’adolescents: « il n’avait qu’à dire qu’il avait mal » ; « pourquoi il a pas arrêté » ; « c’est pas de ma faute, c’est de sa faute à lui, c’est lui qui m’a demandé [de serrer le lacet autour du cou] » ; « il avait qu’à se relever s’il avait vraiment mal » ; « ça a été lui parce qu’il était là, autrement ça aurait été un autre » ; « de toutes façon il n’a rien dit ». Ces enfants et ces adolescents qui agissent la violence sur eux‐mêmes ou contre leurs pairs, sont en panne d’élaboration et dans l’incapacité de pouvoir traduire ce qui les conduit à de tels passages à l’acte. Si l’adulte intervient, si ces enfants et ces adolescents sont pris en charge, l’attention portée est susceptible de leur permettre de mettre des mots sur leurs comportements, de traduire l’impensable et de les dégager de l’impact traumatique de ces pratiques qui les confrontent à leur propre mort [22,23]. Il est alors possible de constater que cette verbalisation autorise une élaboration de leur violence et restaure par là même leurs capacités psychiques ce qui se traduit par la reconnaissance de la gravité de ces actes et de leurs conséquences. Le recours à ces pratiques violentes n’est plus systématique car l’enfant ou l’adolescent est désormais capable de ne plus être submergé par cette violence fondamentale [3,6]. Mais nous l’avons rappelé, les adultes interviennent peu, repèrent difficilement ces pratiques et lorsqu’ils y sont confrontés, ne parviennent pas à en penser toute la dimension traumatique liée à la confrontation à la mort. Le terme « jeux » attribué à ces pratiques violentes à dimension ordalique, témoigne des défenses mises en œuvre par le monde des adultes pour lutter contre l’innommable et l’inintelligible : comment concevoir qu’un enfant puisse se détruire ou détruire l’autre ? Le même processus est aussi à l’oeuvre dans l’utilisation du terme « tournante » pour qualifier les viols collectifs entre mineurs et tenter de faire oublier qu’il s’agit de crimes. La banalisation et l’aspect ludique donné à ces pratiques violentes sont des évitements sémantiques qui témoignent des réactions défensives des adultes face à ces violences : « ils ne se bagarrent pas, ils jouent » ; « ce n’est qu’un jeu, vous n’avez qu’à les laisser, ça leur passera ». Mais si les adultes tentent de se protéger psychiquement de l’effraction que représente la confrontation à l’innommable, ce vocabulaire participe à renforcer ce type de pratiques. Face au déni des adultes à l’égard de la dangerosité de ces comportements, les multiples termes donnés à ces « jeux » par les enfants et les adolescents ne peuvent que s’enrichir puisque aucune limite n’est posée. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 30 Les « jeux » traumatiques, ne sont pas des jeux. Le jeu est un espace de l’expérience de réalité, la scène où « ça se signifie », un espace « entre‐eux‐ deux » où se déroulent les transitions entre la réalité psychique interne de l’enfant et la vie extérieure ; une scène « qui n’est pas la réalité psychique interne. Elle est en dehors de l’individu mais elle n’appartient pas non plus au monde extérieur ». S’il peut être compris comme un comportement spontané, le jeu est en fait un temps de co‐construction entre le monde fantasmatique de l’enfant et la réalité du monde extérieur qui engage des processus d’accès à la symbolisation, à l’expression de soi et à la communication : «sur cette base de structuration du psychisme, le jeu est recherche et création permanente de la réalité et du sentiment d’exister par soi‐même et du sens que prennent ces phénomènes pour l’enfant » [26]. Le jeu n’est pas que le reflet des représentations internes de l’enfant mais témoigne aussi de l’impact de l’environnement sur son développement, par sa dimension de défense contre l’effraction de la pulsion. Il n’est plus considéré comme une simple activité récréative ou uniquement ludique car il apparaît tout à la fois comme une mise en scène des tensions psychiques de l’enfant et comme un moyen thérapeutique dans le cadre de l’élaboration des liens intersubjectifs. Mais si le « jeu » participe à l’insertion sociale de l’enfant auprès de ses autres camarades, les activités dangereuses se distinguent des habituels jeux de foot, de billes, de marelles ou d’élastique par la dimension mortifère de ces pratiques puisqu’en y participant l’enfant s’expose, ou confronte un pair, à un risque important de se blesser ou de mourir. L’unique similitude avec les jeux ordinaires serait liée au fait que le jeu, délimite un cadre qui signifie que les choses qui s’y inscrivent ne doivent pas être traitées comme celles qui sont à l’extérieur. Mais ces pratiques restent le plus souvent à sens unique, sans espace de partage expérientiel et témoigne de la déliaison des interactions intersubjectives. L’enfant pris dans ce type de pratiques est hors de la scène symbolique, hors du monde. Son activité ne permet aucune réelle interaction avec ceux qui l’entoure, aucun partage ; c’est un espace à sens unique, une impasse psychique. La pétrification émotionnelle de l’enfant contamine ceux qui sont témoins de l’expression de sa souffrance et deux types de réactions sont alors fréquemment observées : soit les témoins se mettent à rejeter violemment ce qui leur est donné à voir (attitudes souvent manifestées par les adultes) ; soit ils expriment une fascination et ne parviennent pas à se dégager de l’excitation provoquée par la violence de cette mise en scène. Cette réaction que nous pourrions qualifier « d’appétence traumatique » est présente essentiellement chez les enfants AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 31 qui peuvent alors être entraînés par l’enfant auteur, sans comprendre le scénario du « jeu ». Lorsque la violence s’agit avec des comportements pouvant conduire à la mort, le terme de jeu ne peut plus y être associé. Il est nécessaire d’utiliser un autre terme et nous proposons celui de « conduites dangereuses ». Ce que nous apprennent les enfants et les adolescents impliqués dans ces violences, c’est leur fort sentiment d’insécurité à l’égard du monde des adultes perçu comme dangereux, indifférent à leur souffrance et pour certains, comme persécuteur. Nous émettons l’hypothèse que cette violence projetée sur l’autre ou sur soi‐même, traduit pour l’enfant ou l’adolescent en particulier la tentative désespérée de maintenir le lien, qu’il s’agisse du lien intrasubjectif ou du lien intersubjectif avec ses pairs comme avec les adultes de son entourage. Les violences dangereuses posent douloureusement la question de l'altérité et de la capacité de l’enfant à supporter cette rencontre avec l’autre. La scolarisation confronte l’élève au groupe et le groupe c'est d'abord l'autre, avec ce qu'il implique d'enjeux de rivalité, de conflits, de place à défendre, d'envie et de frustration. Pour l’enfant ou l’adolescent mis en cause, les multiples interactions avec leurs pairs comme avec les adultes de l’établissement, sollicitent ces différents enjeux et interrogent ses capacités à y répondre. La violence agie pourrait être comprise comme la tentative impérieuse de parer à l’échec de penser l’interaction et à l’angoisse de se trouver annihiler par l’autre. La quête de se défendre face à la menace d’anéantissement se traduit d’une volonté d’emprise et d’une illusion de contrôle sur soi‐même (pratiques d’asphyxie) ou sur les autres (agressions). Les conduites dangereuses s’inscrivent sur une scène scolaire marquée par de multiples violences [7,10,13,15,17]. Elles mettent à mal la cohérence institutionnelle et témoignent de l’effraction de l’enveloppe contenante que devrait être l’école. Cette souffrance de l’institution scolaire et celle de ses personnels a de multiples causes qui ne sont pas notre sujet, mais ce qui nous concerne c’est qu’elles conduisent à ne plus offrir aux élèves une base de sécurité suffisamment solide pour résister à leur propre souffrance. Face à des adultes et à un cadre scolaire insecure, tous les élèves n’ont pas les ressources suffisantes pour supporter un tel contexte et les enfants ou les adolescents les plus en souffrance, peuvent être psychiquement blessés, diminués et atteints dans leur capacité à gérer tous les enjeux auxquels ils AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 32 sont confrontés. Les violences dangereuses peuvent alors être comprises comme une tentative de se protéger de l’angoisse (angoisse de perte d'objet et de séparation) et comme autant de tentatives de résister à l’incorporation des identités négatives que peut représenter, pour certains élèves, l’école [14]. L’absence de réactions des professionnels ou les attitudes de défense telle que le déni, l’ironie, la banalisation ou l’évitement face à ces comportements, traduit un dysfonctionnement, une défaillance de l'enveloppe groupale qui ne peut que mettre à mal les enfants et les adolescents concernés. Prendre soin de l’enfant c’est aussi prendre soin de cette enveloppe psychique du groupe des professionnels de l’école car c’est d’elle dont dépend la capacité à contenir et à transformer ce que reçoit l’enfant. Et c’est à partir d’elle que se déploie la capacité réflexive de l’enfant, métabolisée et détoxiquée par l’adulte. Dans un contexte institutionnel insecure, face à des adultes en proie à un vacillement identitaire, l’enfant a l’illusion de sa toute puissance et comme plus rien n’est interdit, il peut agir sa violence contre lui‐même ou contre les autres. Les répercussions sur son développement psycho‐affectif peuvent être multiples et durables avec des manifestations de type d’hypervigilance (surveillance permanente des lieux et des personnes par crainte que l’agression ne se reproduise), d’épuisement (insomnie, cauchemars), d’évitement (phobies scolaires), de type anxieux et dépressif, de troubles psychosomatiques (maux de tête, maux de ventre), de dépréciation de soi (sentiment de honte, dévalorisation, culpabilité à ne pas réussir), de conduites auto‐agressives (violences contre soi‐même, série d’expériences de mise à l’épreuve de soi, conduites addictives) [5]. Mettre un terme à ces comportements violents et ces pratiques dangereuses est indispensable pour garantir à l’enfant et aux adolescents les conditions les plus sereines et leur offrir d’autres possibilités d’expérimenter les limites et d’acquérir leur autonomie sans risque de se tuer ou de tuer. Tout l’enjeu est de contenir leurs débordements pour les aider à percevoir ce qui se passe autour d’eux sans qu’ils soient submergés par un sentiment d’insécurité intérieure insurmontable. La restauration d’un sentiment de continuité psychique, d’un espace d’élaboration suffisant, de défenses minimums pour affronter l’autre ne peut s’envisager que si les professionnels et l’institution scolaire sont en mesure d’offrir à l’enfant un environnement bientraitant et « suffisamment bon » [9, 21, 27]. 3. Pour conclure AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 33 Si nous comprenons les violences dangereuses comme une manifestation possible de la souffrance des liens que l’enfant ou l’adolescent établit au sein de sa propre dynamique psychique comme auprès de ceux qui l’entourent, nous pouvons appréhender les conséquences déstructurantes d’une banalisation de ces pratiques. Ne pas les repérer et ne pas les comprendre comme des violences en les réduisant au terme de « jeux », revient à occulter leur dimension traumatique de confrontation au réel de la mort. Pour reprendre l’expression du ministère de l’éducation nationale, « prévenir, intervenir, agir » dans un tel contexte, n’est pas chose aisée mais cela devrait commencer par la reconnaissance de cette violence en tant que telle, pour ce qu’elle est et pour ce qu’elle peut entraîner : un enfant à la morgue. Cela passe sans doute également par la formation et l’information des professionnels sur les différentes manifestations de ces violences ; sur la nécessité de ne pas les réduire à ce qu’elles sont en tant qu’actes mais d’en comprendre la signification ; sur l’importance d’intervenir auprès des élèves et de ne pas banaliser ces conduites ; sur des espaces d’analyse de pratiques pour les professionnels ; sur la nécessité d’éviter tout regard normatif sur les élèves impliqués ; sur la restauration des compétences parentales au sein des établissements scolaires ; sur des interventions bientraitantes et cohérentes auprès des élèves et de leur famille ; sur l’instauration d’espaces de parole et de régulation des conflits, co‐construits par les différents acteurs de l’institution (élèves, familles, professionnels) ; sur la mise en place d’un espace de prise en charge adapté au plus près de ces violences pour les sujets qui en sont victimes ; sur le rappel aux enfants comme aux adultes de leurs droits et de leurs devoirs sur un registre qui n’est pas exclusivement centré sur la répression mais aussi sur la reconnaissance de l’élève en tant que personne et le respect de ses singularités. Prendre en charge les conduites dangereuses ne peut se faire que par le respect de l’élève en tant que sujet, c’est‐à‐dire en tant qu’enfant avec ses propres limites, ses propres capacités de telle sorte qu’il ne disparaisse plus derrière ses notes, les appréciations des enseignants et sa performance scolaire mais qu’il puisse se construire en s’investissant dans des projets, en donnant du sens à ce qu’il fait, en ayant confiance en ce qu’il est et en n’étant plus jamais seul face aux adultes. Bibliographie [1] Circulaire n°2006‐125 du 16.08.2006 sur la prévention et la lutte contre les violences en milieu scolaire. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 34 [2] Brochure du ministère de l’éducation nationale sur « les jeux dangereux et les pratiques violentes – prévenir, intervenir, agir », 2007. Téléchargeable sur le site du ministère. [3] Balier C. (1988) Psychanalyse des comportements violents. Paris, PUF ; 1995. [4] Barrère A. 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Paris, Dunod, 2005. [21] Romano H. L’institution scolaire face à la gestion d’événements traumatiques, Enfance majuscule, 2007, (92) :12‐20 AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 35 [22] Romano H. Intervention Médico‐Psychologique Immédiate. Stress et Trauma, 2007 ; 7 (1) : 45‐50. [23] Romano H. Prise en charge des enfants et des adolescents victimes d’événements traumatiques. Stress et Trauma 2006 (4) : 239‐246. [24] Romano H., Baubet T., Moro M.‐R., Le jeu chez l’enfant vitime d’événements traumatiques, Annales Médico‐psychologique, accepté à paraître 2009. [25] Smith P., Sharp S., School bullying, 1994, London, Routledge. [26] Winnicott D.W., Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975 : 150. [27] Romano H (2009) Conduites dangereuses et « jeux » dangereux à l’école, Psychiatrie de l’enfant, LII, 1, 2009 :247‐263 AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 36 AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 37 L’envie de mourir, l’envie de vivre », un autre regard sur l’adolescent suicidant Patrick Alvin, Professeur de pédiatrie, chef de service de médecine des adolescents Groupe hospitalier universitaire du KremlinBicêtre « Ainsi n’existe‐t‐il pas de solution miracle en ce qui concerne le traitement de ces adolescents. Et nous ne devons pas non plus en chercher »1. Années 1990, heure de grande écoute, la télévision traite du suicide des jeunes. Sont présents sur le plateau un certain nombre de personnalités et de témoins, dont une jeune fille « ex suicidante ». Celle‐ci ne dit mot durant toute l’émission. Sur la fin, des questions lui sont très directement posées sur son geste. Elle ne répond pas… La gêne et l’impatience deviennent de plus en plus palpables, cette jeune ne doit pas décevoir, elle est là pour que l’on comprenne. On lui demande de dire ce qu’elle a ressenti exactement à ce moment là, comment elle explique qu’elle ait pu faire ce geste... Tout le monde est suspendu à ses lèvres, comme si la grande énigme du suicide, trouvant là sa réponse, allait enfin pouvoir être levée. Après un long silence, l’adolescente lance finalement, laconique : « si je suis venue à cette émission, c’est pour dire que nous les jeunes, si on a fait des tentatives de suicide, ça ne veut pas dire qu’on est fou ». Dont acte. Plus d’un adolescent scolarisé sur dix pense souvent au suicide, près d’une fille sur dix et un garçon sur vingt rapportent avoir déjà fait une tentative de suicide. Le risque de répétition après une tentative de suicide est d’au moins un tiers. Ces chiffres sont à peu près les mêmes dans l’ensemble des pays industrialisés. En France, et ce de façon stable depuis des décennies, environ 200 jeunes âgés de 15 à 19 ans meurent chaque année par suicide. A l’adolescence, les suicides accomplis sont surtout le fait de garçons et sont beaucoup moins nombreux que les tentatives de suicide, qui elles concernent surtout des filles. 1 ‐ « Ca ne veut pas dire qu’on est fou » 1 Laufer M. Le modèle psychanalytique. In : F. Ladame, J. Ottino, C. Pawlak. Adolescence et suicide. Paris, Masson 1995 : 142‐6 AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 38 Aussi troublant que cela puisse paraître, notre jeune fille n’a pas tort. Le suicide n’est pas une « psychopathologie » au sens classique du terme et les adolescents suicidants, en particulier, défient tous les stéréotypes. Les conduites suicidaires ne figurent pas au rang des diagnostics psychiatriques2. Même si une minorité s’observe au cours de maladies mentales avérées3, elles sont au mieux un symptôme, à la fois non spécifique et « transnosographique ». Certes, il y a bien ce qu’on appelle la comorbidité et nous aurons l’occasion d’y revenir, en particulier pour ce qui concerne la dépression, l’impulsivité ou la « fragilité narcissique ». Mais il serait tout à fait simpliste de faire d’un diagnostic associé ou d’un type de personnalité la « cause » du suicide, tout comme du traitement de tel ou tel facteur psychiatrique sous‐jacent, le « traitement » du suicide. Le sujet n’en fait pas moins l’objet d’une intense préoccupation de la part des professionnels en santé mentale. Les quelques extraits suivants se passent de commentaires : L’acte suicidaire est le signe d’une tragique défaillance narcissique et objectale (Pommereau, 2005) ; Je n’ai pas connaissance de tentative de suicide d’adolescent qui ne soit ancrée dans une psychopathologie et, le plus souvent, une psychopathologie sévère (Ladame, 1981) ; Cette entreprise délicate et complexe nécessite une prise en charge spécialisée, car la plupart de ces sujets ne sont pas en mesure d’effectuer seuls un travail d’élaboration de leur souffrance (Pommereau, 2005) ; La mise en place d’un traitement psychanalytique représente une urgence… il s’agit de traitements à raison de cinq séances par semaine (Laufer, 1994) ; Les psychothérapeutes, eux, sont déjà convaincus de la nécessité du long terme pour une importante proportion de suicidants (Ladame, 1994) ; De nombreux praticiens font état de leurs difficultés à proposer une prise en charge « psy » satisfaisante (Pommereau, 2005) ; D’une manière générale, plus de la moitié des suicidants ne donnent pas suite aux propositions thérapeutiques qui leur sont faites (Hardy, 1997) ; Le suivi des suicidants est particulièrement difficile à réaliser (Le Heuzey, 2001) ; La prescription d’un traitement adéquat ne met toutefois pas à l’abri du suicide (Hardy, 1997) ; On attend (du psychiatre) qu’il 2 En nombre par ailleurs sans cesse croissant : du DSM I (1952) au DSM III (1980), la liste des diagnostics psychiatriques est passée de 100 à plus de 250. Le DSM IV (actuel) en compte presque 400 (!). 3 Sachant encore que « le suicide des jeunes malades mentaux ne peut s’expliquer par la seule maladie puisque la majorité des malades mentaux ne se suicident pas » [A. Haïm A. Les suicides d’adolescents. Paris, Payot 1969 (p.267)] AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 39 puisse donner une prédiction suicidaire exacte et instaurer une prévention (Bourgeois, 1999). Le médecin doit mettre en œuvre une énergie maximale pour faire obtenir la compliance optimale aux traitements prescrits : traitements médicamenteux et psychothérapeutiques (ou autres) en mettant en garde sur le risque de récidive si le suivi n’est pas correctement respecté (Le Heuzey, 2001). Il y aurait donc de quoi sérieusement s’inquiéter. Pour résumer : les adolescents suicidants nécessitent une approche spécialisée et intensive menée par les professionnels en santé mentale ; à y regarder de près, cette approche, tout comme chez les adultes, est au mieux aléatoire, au pire décevante ; le médecin traitant doit adresser ses jeunes suicidants chez le psychiatre, puis s’efforcer de faire appliquer les prescriptions du psychiatre... sous peine de récidive (et sous‐entendu de risque de décès). Mission impossible ou impossible malentendu? De ces jeunes décrits comme à la fois dangereux pour eux‐mêmes et contrevenants vis‐à‐vis des soins ressort une image pour le moins inquiétante, imprévisible et peu engageante. Des suicidants à secourir, certes, mais qui se « jouent » de façon bien désinvolte des principes fondamentaux de la vie et de la bienfaisance psychologique. Pourquoi ces adolescents acceptent‐t‐ils si mal les propositions thérapeutiques qui leurs sont faites ? Qui fait peur à qui ? Une des explications possibles, inspiration de cet ouvrage, est qu’à trop nous focaliser sur le suicide, sa dangerosité, sa psychopathologie supposée et le risque de récidive, nous avons fini par totalement négliger, derrière « l’adolescent suicidant », l’adolescent « normal », sa vie ordinaire, son développement et ses divers besoins de santé. Il y va sans doute en partie de nos propres défenses, comme de nos réflexes professionnels. 2‐ Des professionnels mal préparés La violence et le caractère apparemment irrationnel des comportements suicidaires ont toujours suscité toutes sortes d’attitudes défensives individuelles, familiales ou institutionnelles. Le suicide, comme tout ce qui s’y rapporte, provoque tour à tour effroi, sidération, compassion, colère, fascination, incrédulité... Vu de la psychiatrie, qui historiquement s’en est retrouvée à la fois l’héritière et le séquestre4, le suicide est d’autant plus 4 Les suicidants font la moitié des « urgences psychiatriques » hospitalières. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 40 menaçant qu’il est en effet suspendu, tel une épée de Damoclès, au‐dessus de la tête de nombreux malades mentaux5. En société, les morts par suicide et les conduites suicidaires, lorsqu’elles ne sont pas simplement maquillées en accidents, demeurent encore souvent des « secrets de famille » plus ou moins bien dissimulés. Tout cela n’est pas nouveau mais explique pourquoi les professionnels n’ont pas été bien préparés pour aborder cette problématique. D’autant qu’une fois passée la période des premiers secours, les suicidants ne se soumettent pas facilement à l’orthodoxie de la mise en « signes, diagnostic, traitement ». Au‐delà de l’émotion légitime ou de la conviction réflexe que l’affaire relève de la psychiatrie, la « marche à suivre » reste très difficile à imaginer. Avec les adolescents, chez lesquels la mortalité par suicide est la plus basse, les professionnels sont livrés à deux représentations contradictoires : identifier la conduite suicidaire à la « maladie mentale », ou à l’opposé, la réduire à une « manifestation de l’adolescence ». Ainsi peuvent‐ils penser : toutes les personnes qui attentent à leur vie sont des malades mentaux. Pourquoi ? « Parce que seules des personnes souffrant de maladies mentales peuvent commettre un suicide ». En même temps, ils peuvent se dire : les adolescents ne sont pas de « vrais suicidants ». Pourquoi ? : « Parce qu’ils n’ont pas l’air de vrais malades mentaux ». En attendant, de nombreux services hospitaliers recevant des adolescents continuent, sous couvert des meilleures intentions, à bien marquer la différence, quand ce n’est pas le clivage, entre les « TS » et les « autres ». Quant au mot « suicide », il est souvent évité par les médecins et les soignants, qui lui préfèrent des euphémismes conjuratoires6. La tentation peut être en effet très forte de minimiser les choses, de ne pas vraiment « y croire »… Ailleurs, on parle au contraire de « commettre » un suicide, ou de « récidiver » une tentative, comme on dénoncerait un acte répréhensible. Pour les adolescents suicidants, ces façons de parler sont d’autant plus déplacées que ces filles et garçons sont les premiers à se sentir « mal aimés ». Beaucoup sont carencés, victimes de violences ou issus de milieux maltraitants… 5 Le suicide est la principale cause de mortalité précoce chez les schizophrènes et globalement parlant, les patients psychiatriques ont une mortalité suicidaire multipliée par dix. Le risque de suicide, pour les patients sortis d’un service de psychiatrie depuis moins d’un mois, est multiplié par 100 pour les femmes et 200 pour les hommes… [Hardy P, La prévention du suicide. Rôle des praticiens et des différentes structures de soins. Doin (coll. Références en Psychiatrie), 1997 (p. 12)]. 6 Tentative d’autolyse ou « TA », Intoxication médicamenteuse volontaire ou « IMV », etc. (en Suisse, autre exemple, on parle de « tentamen ») AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 41 3 ‐ Des adolescents pourtant « presque » comme les autres… Pourquoi un adolescent tente‐t‐il de se suicider? Lui‐même ne saurait répondre exactement... C’est un tas de petits trucs qui s’entassent, s’entassent, Et qui finissent par former une montagne de soucis. On se sent exclu, en trop… On tente de parler mais personne ne peut nous comprendre. Nous les ados, on se croit capable d’assumer tous nos actes, On ne veut personne derrière notre dos, surtout pas les parents! Au fond d’eux‐mêmes, ils pensent nous aider, Mais ils ont tout faux, ils ne savent pas s’y prendre. A 15 ans, malgré tout, nous sommes fragiles ; il ne faut pas nous brusquer. Nous voulons, et la liberté, et la sécurité… Vous, les adultes, vous pouvez nous aider, Sans pour autant être insupportables, mais en étant patients et en nous comprenant. Texte titré : « L’envie de mourir chez les adolescents » Patricia, 15 ans, hospitalisée dans le service après TS (années 1980) Les adolescents qui pensent au suicide (les « suicidaires ») se fondent parmi les autres et sont pour la plupart méconnus. Les adolescents qui font des tentatives de suicide (les « suicidants ») ne sont quant à eux guère plus spécifiques : un adolescent suicidant demeure avant tout l’adolescent qu’il est. Comme le résument bien les auteurs d’une enquête hospitalière : « S’il s’agit surtout de filles, les suicidants sont, sur bien des points, comparables aux autres jeunes : ils ont des loisirs diversifiés et multiples, un réseau d’amis, une grande diversité sociale. Ainsi, ils n’ont pas de « stigmates » aisément perceptibles par l’entourage professionnel »7. Rappelons en outre qu’à la suite de leur geste, ces adolescents sont assez peu hospitalisés. Et lorsqu’ils le sont, la moitié « échappe » ensuite au suivi. Cette réalité est certainement difficile à admettre, mais il faut savoir la regarder en face. 4 ‐ Des questions que l’on préfèrerait ne pas se poser Comme le rappelle André Haïm, « l’intensité pulsionnelle de la jeunesse en fait le symbole de l’instinct de vie presque à l’état pur » ; en conséquence, 7 Marie Choquet M, Granboulan V. Les jeunes suicidants à l’hôpital (Inserm & Fondation de France). EDK 2004 AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 42 beaucoup d’adultes ont du mal à supporter qu’un adolescent puisse simplement « penser » à se donner la mort… Avec beaucoup d’adolescents, en fait la majorité, aborder la question du suicide n’est pas vraiment nécessaire. Ils n’y songent tout simplement pas et ne sont pas personnellement concernés. Pour autant, rien ne dit qu’ils ne le pourraient pas... Est‐il vraiment concevable de s’occuper d’adolescents, de pratiquer la médecine de l’adolescent sans être prêt à discuter un jour, le stéthoscope autour du cou, de tristesse, de colère, d’idées suicidaires ou de tentative de suicide ? Comment prétendre engager une relation de soins digne de ce nom avec un adolescent tout en étant par ailleurs, pour des raisons personnelles ou de principe, « étranger » au suicide ou trop effrayé par le sujet ? Un adolescent, qu’il soit malade ou bien portant, se demande toujours s’il est normal et attend de nous une forme de réponse à cette question. Derrière ce « suis‐je normal ? », qui peut concerner la taille, le cœur, la corpulence, les caractères sexuels, les rapports aux parents ou tout autre aspect de l’expérience pubertaire, se cache aussi une autre question : « êtes‐ vous prêts à m’accepter et à me respecter comme je suis, comme je pense, et comme je pense que je suis? ». Pour un adolescent qui va mal, cette assurance préalable est essentielle car elle concerne surtout ce qui fait mal, ce qui fait problème à la fois « en lui » et dans ses relations avec ses proches ; autrement dit ce qui le rend vulnérable, qu’il ne maîtrise pas et dont il doit naturellement « se protéger ». Cette assurance d’être respecté sans être jugé l’autorise donc à s’ouvrir sur « ce qui ne va pas », ce qui au passage peut inclure des idées suicidaires ou un antécédent de tentative de suicide. Mais surtout, elle seule pourra lui procurer le sentiment qu’il peut être entendu y compris dans ce qu’il acceptera ou non de l’aide proposée. Car paradoxalement, venir en aide à un adolescent ne va jamais de soi, a fortiori lorsqu’il se présente « en souffrance ». Etre en souffrance, même à la suite d’un « appel au secours », ne veut pas dire être passif et prêt à saisir n’importe quelle main tendue. Avoir fait une tentative de suicide, en particulier, témoigne d’un sentiment de désespoir doublé d’une affirmation, d’un mouvement de rupture hostile très actif qui n’est pas le fruit du hasard et qu’il convient avant tout de respecter comme tel, jusqu’à plus ample information. Le passage à l’acte suicidaire opère une « substitution aigue du somatique au penser »8. Disons qu’il est parfois le seul à permettre 8 Expression de Philippe Gutton AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 43 l’extinction d’une conscience devenue insupportable… De la même manière, l’acte‐suicide ne peut être tenu pour un langage9. Nous sommes d’accord. Mais à partir de là, est‐il exact de dire que les adolescents suicidants souffrent forcément de difficultés de « mentalisation » ? Ce point de vue procède du parti pris théorique et surtout expose aux malentendus dans la relation de soins. Il serait sans doute plus pertinent de dire que la tentative de suicide « a tenté de dire quelque chose par un acte, là ou la communication verbale était devenue impossible »10 ou totalement stérile. … C’est pourquoi insister sur le fait que l’urgence, à la suite d’une tentative de suicide, est de lui « donner du sens » mérite un minimum de précautions. Tout dépend de ce que l’on entend par « sens », et la manière dont on pense devoir « donner » ce sens. Pour le psychanalyste, non seulement le suicidant ignore ce qu’il fuit et ce qu’il vise à travers son geste… mais en plus, les motifs qu’il avance sont des leurres. Le problème, c’est que les adolescents suicidants ont souvent leurs propres « bonnes raisons » immédiates d’avoir fait ou d’avoir été contraints de faire ce qu’ils ont fait et entendent généralement les faire valoir. Ils ont tendance à se méfier des intervenants qu’ils jugeraient trop assurés d’un « savoir » sur ce qu’eux‐mêmes ne seraient pas censés connaître de la signification de leurs propres actes ; des bons samaritains trop à même d’envahir ou d’interpréter à leur guise leur « monde interne »11… Chez les adolescents, il est des « non‐sens » et des « sens interdit » qu’il importe absolument de savoir respecter, le temps nécessaire..., sous peine de déroutantes fins de non recevoir12. En revanche, au‐delà des particularités de son état d’humeur ou de sa personnalité, l’adolescent suicidant et ses parents se trouvent presque toujours dans une impasse relationnelle plus ou moins patente. Cette impasse est faite de ruptures de communication, d’incidents montés en épingle, de reviviscences conflictuelles d’évènements du passé, 9 Pour André Haïm, voir dans le suicide un langage serait même un « contre sens majeur » [A. Haïm, 1969. Op. cité (p.277)] 10 Pour reprendre les termes de Victor Courtecuisse 11 « A ce niveau d’intervention, l’acte de foi… peut difficilement faire l’économie d’une certaine pédagogie (pour ne pas dire séduction) : l’un sait, et l’autre est encore dans l’ignorance ! » [Ladame F. Adolescence et suicide : quelles perspectives thérapeutiques ? In : F. Ladame, J. Ottino, C. Pawlak. Adolescence et suicide. Paris, Masson 1995 (p.136)] 12 « (…) encore tout fleuri des roses vermeilles de la jeunesse et des roses blanches de l’enfance, vous avez senti des ardeurs qui vous ont effrayé ; conçu des pensées qui vous ont glacé d’horreur ; de tels rêves ont hanté vos veilles et vos nuits, que leur seule évocation vous ferait monter le rouge au visage. – Assez ! balbutia Dorian Gray, assez ! vous me bouleversez. Je ne sais que dire. Il y aurait une réponse à vous faire, mais je ne la trouve pas. Ne parlez plus. Laissez‐moi réfléchir, ou plutôt m’efforcer de ne pas réfléchir ». (Oscar Wilde, Le portrait de Dorian Gray, 1890, chap.2). AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 44 d’incompréhensions mutuelles…, le tout exacerbé par la poussée pubertaire et ses divers effets « perturbateurs ». Parfois, cette problématique est inapparente en surface, masquée par l’évènement conjoncturel déclenchant ou par les sentiments de culpabilité : c’était une « bêtise ». Parfois au contraire, elle se devine facilement derrière un : « pourquoi tu m’as (nous) a fait ça ? »... ou encore un : « ils verront maintenant de quoi je suis capable ». Ailleurs, l’adolescent « ne sait pas »… tout en étant clairement l’enjeu, la victime ou le problème désigné d’une violence ambiante ou de conflits parentaux dont il se sent responsable mais qui le dépassent. Quelle que soit la présentation, c’est finalement dans cet espace relationnel tendu, celui de l’histoire des déboires sentimentaux d’un enfant devenu grand et de sa famille, qu’il est certainement le plus intéressant et le plus utile d’intervenir sur le vif. C’est d’ailleurs bien souvent le seul à partir duquel il soit possible d’engager un travail immédiat et de faire ressortir, non tant le sens caché, que la « fonction » et d’une certaine façon la « valeur » révélatrice de la tentative de suicide en tant qu’« acte dédié », au sens positif et heuristique du terme. 5 ‐ Aider un adolescent qui va mal : les dangers de l’illusion de l’évidence « L’adolescent ressent du mal‐être ; il consulte son médecin généraliste ; ce dernier l’oriente vers un psychiatre ; à l’école, l’adolescent se sent mal en cours ; il consulte l’infirmière (ou le médecin scolaire) ; elle le réadresse vers le médecin généraliste qui lui‐même réoriente le jeune vers son psychiatre, etc. »13. Il y a encore quelques années, on dénonçait l’insuffisance de détection et de prise en compte des adolescents en difficulté, tout comme les dangers de la banalisation des tentatives de suicide. Aujourd’hui, ces mises en garde aux accents fortement comminatoires14 ayant porté leurs fruits, c’est volontiers l’inverse qui se produit. L'entourage familial ou médicosocial s’inquiète ou se retrouve en difficulté avec un adolescent. S’en suit une sur‐sollicitation anxieuse, exaspérante et finalement souvent contre‐ productive à l’adresse des « psys », eux‐mêmes embarrassés car débordés, insuffisamment formés ou tout simplement non disposés (voir chapitres 5 et 11). A défaut d’autre chose ou « en attendant », certains de ces adolescents 13 Pommereau X. L’adolescent suicidaire. Paris, Dunod 2005 (p. 173) 14 Par exemple, cette tirade étonnante : « Le concept de « crise de l’adolescence » banalisé, vulgarisé a certainement contribué à la mort de plus d’adolescents que les maladies sexuellement transmissibles » (sic !) [Le Heuzey MF. Suicide de l’adolescent. Paris, Masson (coll. Consulter prescrire), 2001 (p.31)] AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 45 se verront prescrire des psychotropes, le plus souvent inutiles et de surcroît utilisables pour une tentative de suicide… Ce climat fait d’attentes démesurées ou de dépendance « instituée » à l’égard des spécialistes de la psyché est délétère. Certes très en vogue aujourd’hui15, cette fixation sur la psychiatrie masque en réalité ici une peur, là une méconnaissance ou une paresse, là encore un rejet. Surtout, elle dissuade de toute alternative. Beaucoup de jeunes, parfois pétris d’attente mais très vite mis sur la défensive, se retrouvent ainsi de fait « lâchés » et en retour facilement désabusés. En cas de tentative de suicide, considérer que les choses relèvent au final exclusivement de la responsabilité de la santé mentale16, c’est de fait ‐ même si on s’en défend ‐ attribuer à tous les adolescents suicidants une même et inquiétante « étrangeté » pathologique. C’est surtout les réduire et les isoler durablement à leur seul comportement. C’est enfin s’en séparer au plus tôt pour les inviter, et leurs parents avec eux, à se faire soigner avec leurs problèmes supposés « ailleurs ». En caricaturant à l’extrême, ils devraient se résoudre à ne pousser qu’une seule porte, celle d’un « psy » auprès duquel il leur serait demandé de rester fidèle. Cette façon de faire n’est rendre service ni à bon nombre d’adolescents suicidants, qui tôt ou tard signifieront leur désaccord à leur manière, ni à nos collègues en santé mentale, soumis au même vice de forme et son lot de rendez‐vous manqués. Hormis la consultation dite « d’évaluation psychiatrique », un travail psychothérapeutique ne relève ni d’une prescription ni d’un choix véritablement réfléchi, mais plutôt d’un encouragement et d’une acceptation. C’est particulièrement vrai dans le domaine du suicide où l’on aurait généralement tendance à imaginer le contraire. L’erreur simplificatrice commune n’est‐elle pas de « confondre » un peu trop facilement suicide et dépression17? Et quand bien même, ne cédons pas à l’illusion de l’évidence : s’il est de notre compétence de soigner les maladies, soulager la souffrance 15 Voir par exemple le rapport thématique 2007 de la défenseure des enfants : « Adolescents en souffrance ». 16 Entre autre exemple, voir le référentiel d’observation pour le repérage précoce des manifestations de souffrance psychique et des troubles du développement chez l’enfant et l’adolescent à l’usage des médecins, édité en 2006 par la Fédération française de psychiatrie. 17 Nous ne détaillerons pas ici, dans cet ouvrage, les nombreux travaux effectués chez les adultes mais aussi les adolescents, qui ont tenté de préciser, parfois même « démontrer », les liens existant entre dépression et tentative de suicide. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 46 et comprendre le malheur, il n’existe pas pour autant de recette du bonheur18, encore moins de « traitement » univoque et éprouvé ‐ psychiatrique ou autre ‐, de la vulnérabilité suicidaire. 6 ‐ Au‐delà de l’envie de mourir… Aider un adolescent qui va mal, c’est disposer d’un certain nombre d’outils et savoir s’en servir. Mais c’est surtout être prêt à s’investir, pour peu que l’adolescent et ses parents le demandent ou y sont disposés. Cela veut dire donner de sa personne, entendre les doléances et supporter les tensions, faire un inventaire et répondre aux besoins de santé de base, être à disposition, conseiller mais ne pas se contenter d’« orienter ». Ce constant souci d’adaptation, cette nécessité de s’entendre avec l’adolescent et sa famille tels qu’ils sont, en les rejoignant d’abord là où chacun se trouve ici et maintenant, voilà ce qui caractérise la clinique médicale de l’adolescent19 (voir chapitre 11.4,5 et Conclusion), en particulier celle de l’adolescent suicidant. Voilà également ce qui mériterait d’être enseigné partout, sans limiter la question au « dépistage », à l’ « hospitalisation » ou à la seule « surveillance » d’un hypothétique traitement psychiatrique. « Il n’existe pas de solution miracle », insiste Laufer. Ce que cela implique, c’est donc d’abord de faire taire les arguments d’incompétence et comprendre que l’enjeu n’est pas tant « d’augmenter notre savoir que de diminuer nos résistances à la rencontre »20. C’est ensuite ne pas se voiler la face et accepter, sans se contenter de le déplorer, que beaucoup de ces jeunes ne bénéficieront jamais ‐ ou jamais « vraiment » ‐, d’une prise en charge par les professionnels en santé mentale. C’est enfin savoir surmonter les a priori, rester ouvert à l’inconnu et tolérer de travailler sans toujours tout « comprendre » ni tout maîtriser21. Tout omnipraticien un tant soit peu engagé et intéressé devrait sûrement se sentir autorisé à travailler auprès d’un adolescent suicidant et à 18 A propos de la recherche du bonheur, Pascal n’a‐t‐il pas déclaré: « C’est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui vont se pendre » ? (Pensées, chap. 21) 19 Alvin P. Médecine de l’adolescent : une pratique, une vocation. Neuropsychiatrie Enfance Adolesc 2007 ; 55 : 31‐4 20 Binder P. Le mal‐être des adolescents mobilise. La Revue du Praticien MG 2007 ; 21 (790) : 1117 21 André Haïm, dans le dernier chapitre de son ouvrage, évoque avec grande honnêteté la difficulté posée par les jeunes suicidants qui refusent tout traitement. « Chez eux, la susceptibilité à la blessure narcissique est extrême (…). Ils posent les problèmes les plus délicats, et parfois le moins dangereux est de ne rien faire » (nous rajouterions : ne rien faire sans pour autant abandonner…, toute la différence est là). AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 47 partir de là, aller « au contact » et tout mettre en œuvre pour créer les conditions d’une alliance réelle, tolérable et durable22. Nombre de menaces ou de crises suicidaires ‐ nonobstant leurs inévitables zones d’ombre ‐, auront ainsi le plus de chances d’être prises en compte, de révéler ce qui mérite de l’être, susciter les changements nécessaires et surtout, ne pas finir « lettre morte ». Un adolescent qui pense au suicide ou qui a fait une tentative de suicide est toujours à prendre très au sérieux. Mais c’est avant tout, la plupart du temps, un adolescent comme un autre qui réclame d’être reconnu et abordé comme tel. Au‐delà de son envie de mourir, toute réelle puisse‐t‐elle être, se cache et bien souvent coexiste une autre et « folle » envie, celle de vivre, de « vivre autrement ». 22 Binder P. Comment aborder l’adolescent en médecine générale ? Revue du Praticien 2005 ; 55 (10) : 1073‐7 AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 48 La santé des étudiants en 2009 Benjamin Chkroun, est délégué général de l'USEM, Union Nationale des Mutuelles Etudiantes Régionales. Unions Nationale des Sociétés Etudiantes Mutualistes Régionales L’ USEM (Union Nationale des Sociétés Étudiantes Mutualistes Régionales) représente les mutuelles étudiantes régionales. Elles ont trois métiers : ‐ Elles ont une délégation de service public pour la gestion du régime obligatoire de sécurité sociale étudiant. ‐ Elles proposent des couvertures complémentaires santé. ‐ Elles mènent des actions de prévention et de promotion de la santé auprès des étudiants et des lycéens. Les actions de prévention sont un des cœurs de métier des mutuelles étudiantes régionales. Tout au long de l’année, des animateurs santé formés et encadrés par des professionnels des mutuelles mènent des actions de promotion de la santé en faveur des étudiants. Ces actions traitent du tabac, de l’alcool, du stress, des infections sexuellement transmissibles et de l’équilibre alimentaire. Les animateurs santé viennent à la rencontre des étudiants dans les universités, les restaurants universitaires, les lieux de vie étudiants. L’USEM et CSA ont réalisé, avec le soutien du Ministère de la Santé la 6ème édition de l’enquête nationale portant sur la santé des étudiants. Depuis 1999, l’USEM reconduit tous les deux ans un baromètre sur « la santé des étudiants » Il a pour objectifs : • de connaître précisément l’état de santé des étudiants, • d’analyser l’évolution de la perception de leur santé par les étudiants, • d’adapter les actions de prévention en fonction des résultats. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 49 1. Modalités de l’enquête Cinq mutuelles étudiantes ont participé à cette enquête. Il s’agit de la MEP, MGEL, SMEBA, SMENO et SMEREP. Cette enquête anonyme auto‐administrée a été envoyée à 50 000 étudiants. 12070 questionnaires ont été réceptionnés, soit un taux de retour de 24,1%. Les données ont été redressées à partir du sexe et des effectifs des mutuelles étudiantes afin d’avoir un échantillon représentatif sur le sexe et l’importance de chaque mutuelle. Cette enquête a été menée en partenariat avec l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et en Addictologie (ANPAA), le Conservatoire National des Œuvres Universitaires et Sociales (CNOUS), Le Fil Santé Jeunes (Ligne d’écoute au 32 24), l’Institut National du Sommeil et de la Vigilance (INSV), l’Institut de Recherche et de Documentation en Économie de la Santé (IRDES), la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Toxicomanies (MILDT), le Ministère de l’Agriculture, le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, le Ministère de la Santé et la Société Française de Médecine Générale. 2. Résultats de l’enquête 2.1.La santé se dégrade durant la vie étudiante La majorité des étudiants en bonne santé 94,8% des étudiants considèrent que leur état de santé est « bon » ou « plutôt bon ». Les hommes estiment, significativement plus que les femmes, avoir un bon état de santé (95,5% contre 94,3%). Des chiffres légèrement en hausse par rapport à l’étude de 2007 (94,8% au lieu de 93,5%) sans toutefois atteindre le sommet de 96,0% des années 2001 et 2005. Même si des difficultés perdurent 75,0% des étudiants déclarent ressentir de la somnolence. 35,4% déclarent avoir des difficultés à gérer leur stress. 22,7% déclarent avoir des problèmes de sommeil. 8,6% ont eu des pensées suicidaires au cours de l’année écoulée. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 50 2.1.1.Le sexe, l’âge et la filière d’études influent sur l’état de santé Ce sont les femmes qui déclarent, de manière significative, être plus souvent en souffrance que les hommes. 45,1% d’entre elles déclarent mal gérer leur stress contre 23,3% des hommes. 25,6% déclarent avoir des problèmes de sommeil contre 18,9% des hommes. 9,9% ont déjà pensé au suicide contre 6,8% pour les hommes. 2.1.2.Les ingénieurs s’en sortent mieux que le reste des étudiants L’âge étant étroitement lié à l’année d’étude (moyenne d’âge de 19,8 ans en 1ère année et de 24,4 ans en 5ème année ou plus), les individus ne semblent pas s’habituer à leur vie d’étudiant. Leur mal‐ être augmente tout au long de leurs études. 11,2% des réponses montrent une vision négative de l’avenir. Les chiffres sont plus élevés pour les filières « lettres / langues » (18,5%) et « sciences humaines » ‐ comme la philosophie, la sociologie... (15,8%). La filière « sciences/ ingénieur » affiche un chiffre plus faible avec 8,8% AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 51 .Pour ce qui est du stress, 35,4% des étudiants interrogés le gèrent mal (43,3% en « lettres / langues » et 42,5% en «sciences humaines »). Là encore, avec 27,1%, la filière « sciences / ingénieur » s’en sort mieux que les autres. Sur les 8,6% des étudiants qui ont eu des pensées suicidaires au cours des douze derniers mois, 12,2% sont en filière «lettres / langues » 6,3% en filière « sciences / ingénieur ». 2.1.3. L’information sur l’orientation jugée insuffisante 45,2% des étudiants estiment ne pas avoir été suffisamment informés sur le choix de l’orientation. 2.2. Accès aux soins: La filière est déterminante 2.2.1 Une baisse de la consultation des professionnels de santé On constate une baisse des consultations des professionnels de santé entre 2007 et 2009. Le pourcentage d’étudiants ayant consulté un professionnel de santé au cours des six derniers mois est passé de 83,6% en 2007 à 80,5% en 2009. Cette baisse se répercute sur la consultation des généralistes pour l’ensemble des étudiants (84,7% en 2007 contre 80% en 2009) et des gynécologues pour les femmes (43,5% en 2007 contre 38,3% en 2009). AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 52 2.2.2. Moins de complémentaires santé que dans le reste de la population Seuls 83,7% des étudiants possèdent une complémentaire santé ce qui représente un taux de couverture plus faible que la population nationale qui est de 92%. Parmi les étudiants qui ne possèdent pas de complémentaire santé, 48,7% estiment que c’est parce qu’elles sont trop chères. 25,1% des étudiants estiment être peu ou mal informés sur les complémentaires santé. Ils citent cette raison comme motif à leur non‐adhésion. Ce taux a fortement évolué entre 2007 et 2009 passant respectivement de 15,3% à 25,1%. La difficulté des mutuelles étudiantes à entrer en contact avec l’étudiant dans l’université aggrave ce manque d’informations. Ce constat renforce la proposition des mutuelles étudiantes régionales de l’USEM auprès des pouvoirs publics visant à créer un «chèque santé étudiant» pour faciliter l’accès à une complémentaire santé pour les étudiants. 2.2.3. «Sciences et ingénieurs»se soignent mieux 18,9% des étudiants ont renoncé à des soins au cours des six derniers mois ; les femmes plus que les hommes (respectivement 23,4% contre 12,8%). Ce phénomène augmente avec l’âge et passe de 11,5% pour les moins de 21 ans à 29,2% des 23 ans et plus Les étudiants de « lettres / langues » et de « sciences humaines » renoncent significativement plus aux soins (respectivement 23,4% et 27,3%). Ils ne sont que 12,6% à renoncer dans la filière « sciences / ingénieur ». AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 53 2.3. L’impact inquiétant de la toxicomanie 2.3.1. Une consommation d’alcool excessive qui augmente avec l’âge 73,7% des étudiants déclarent consommer au moins une fois par mois de l’alcool. Les hommes consomment significativement plus que les femmes: 79,4% des hommes 69,2% des femmes 76,9% des 23 ans et plus consomment de l’alcool au moins une fois par mois contre 70,9% des moins de20 ans En 2007, 67,6% des étudiants consommaient de l’alcool contre 73,7% en 2009 soit une augmentation de 6,1%. La consommation excessive d’alcool concerne 12,5% des étudiants qui boivent 5 verres ou plus au cours d’une occasion. Là encore, la consommation d’alcool des hommes est significativement plus forte que celle des femmes: Lorsqu’ils consomment de l’alcool, 17,8% des hommes boivent 5 verres ou plus contre 8,2% pour les femmes. 2.3.2. Le nombre moyen de cigarettes fumées par jour augmente significativement avec l’âge 24,5% des étudiants se déclarent être des fumeurs dont : 9,9% sont des fumeurs occasionnels, 14,6% sont des fumeurs quotidiens. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 54 Une consommation en baisse, puisqu’ils étaient 29% en 2007 à fumer contre 24,5% en 2009. Les moins de 21 ans fument en moyenne 8,5 cigarettes par jour. Les 23 ans et plus en fument en moyen‐ ne 10,5. 7,8% des étudiants ont eu recours à des aides pour arrêter de fumer. Parmi ces étudiants, 24,7% déclarent avoir arrêté de fumer durablement grâce à ces aides. Parmi les étudiants fumeurs, 32,9% d’entre eux déclarent avoir réduit leur consommation de tabac suite à la mise en place du décret interdisant de fumer dans les lieux publics. Ils sont 1,9% à avoir arrêté de fumer et 65,2% à n’avoir rien changé à leurs habitudes. Le cannabis a été expérimenté au cours de l’année par 20,8% des étudiants. Soit un nombre de consommateurs bien plus important qu’en 2007, puisqu’il n’était que de 12,2% AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 55 La consommation des poppers est en très forte progression. Ils constituent la drogue la plus consommée après le cannabis. Ils représentent 4,4% des produits psychotropes à l’essai, suivi par la cocaïne avec 1,3% et les champignons hallucinogènes avec 1,2%. Seule la consommation des poppers a plus que doublé entre 2007 et 2009 en passant de 2,2% à 4,4%. 2.3.3. Le stress et le sommeil : deux thèmes importants pour les étudiants 50,9% des réponses montrent un intérêt pour une information sur le stress et 43,4% sur le sommeil. Apparition de deux nouveaux thèmes: violences sexuelles citées par 6,9% des étudiants et identité sexuelle citée par 5,5% des étudiants AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 56 Etudiants et alcool : se remplir, ou se vider ? Réflexions autour du concept de « Binge Drinking » Sophie Monvoisin‐Josselin, psychologue clinicienne à la résidence de L'Ecole Centrale Paris et au SIUMPPS, Alcoologue, Psychothérapeute, membre de l'ASGE. Contact : [email protected] Voilà maintenant plus de trois ans que le « binge drinking » est apparu dans les pages de nos journaux et sur les écrans de nos téléviseurs. Ce phénomène appartient aux sujets qui font à coup sûr des articles à succès. La raison en est simple : le binge drinking est sensationnel. C’est un comportement qui est à la fois mystérieux et familier, ahurissant mais finalement banal. Le binge drinking est un paradoxe, comme tout ce qui est lié à l’alcool. Essayons donc de désenchevêtrer cet agglomérat de contradictions en revenant à ses origines. Bien qu’il soit devenu un sujet « grand‐public » il y a moins de cinq ans, le binge drinking est un phénomène observable depuis bien plus longtemps. Ce terme apparait déjà en 1969 : D. Cahalan, J.H. Cisin et H.M. Crossley le définissent comme la consommation de cinq verres à la même occasion. Encore avant, en 1950, P. Fouquet parlait d’un type de consommation d’alcool s’en rapprochant, la somalcoolose, consistant en l’ingestion d’alcool très fort dans le but d’arriver à l’inconscience et où l’absorption irrationnelle de n’importe quelle boisson conduirait à un état d’ébriété immédiat. Ce qui évolue est la géographie du phénomène et l’âge décroissant du public concerné. Le binge drinking serait d’abord apparu dans les pays scandinaves, puis au Royaume‐Uni et en Irlande, et depuis une quinzaine d’années en France, en Espagne et au Portugal. Alors qu’il touchait jusqu’alors principalement les jeunes adultes, il se répand à présent parmi les plus jeunes (à partir de l’âge de 10‐11 ans) et ce quelles que soient les catégories sociales. Que nous révèle cet anglicisme ? To binge se traduit littéralement par « faire des excès ». « Excessif », donc, lorsqu’il est utilisé en tant qu’adjectif. Peut‐on appeler le binge drinking « alcoolisation excessive » ? En alcoologie, le terme excessif est plus que vague… On préfère donc à cette traduction des AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 57 expressions telles que « biture express », « chaos éthylique » ou alcool défonce », plus précises mais elles‐aussi un peu limitées. On a repéré le « binge eating » il y a quelques dizaines d’années en tant que trouble du comportement alimentaire. Il s’agit de la crise boulimique. Le binge drinking serait‐il donc une boulimie d’alcool ? La consommation peut‐ elle ici être qualifiée de compulsive et aurai‐t‐elle pour but de « remplir » le consommateur, qui trouverait alors un moyen de compenser des émotions et des sentiments qui semblent indomptables ou insurmontables ? Lorsqu’on interroge de jeunes binge drinkers, l’élaboration autour du sens de leur comportement reste très pauvre. Le but d’une alcoolisation massive serait la levée des inhibitions : ils se sentent plus drôles, plus avenants. On peut cependant déjà avoir accès à cet état lors d’une consommation modérée. Alors pourquoi ingurgiter de l’alcool jusqu’à l’inconscience ? Le black‐out est‐il volontaire ou est‐ce une mauvaise connaissance de ses limites, un manque de contrôle ? S’il s’agissait uniquement d’une mauvaise connaissance de leurs limites, les binge drinkers ajusteraient progressivement les quantités consommées. Il se peut alors que nous soyons confrontés à des « conduites ordaliques », à des relations spécifiques au plaisir, au temps et à la mort, comparables à certains comportements toxicomanes. La prise de risques peut, à certains moments et chez certains sujets, être activement recherchée, à travers un vécu d’épreuve, voire de mort et de résurrection. Il est probable par ailleurs que les générations actuelles, que les nouvelles technologies ont habituées au « tout tout de suite », aient des difficultés à différer leur désir. Il faut accéder à l’ébriété rapidement, et donc consommer vite et beaucoup. On constate également depuis plusieurs années l’encouragement des comportements absurdes. Plus un acte est absurde, plus il est supposé être drôle. Nous pouvons donner pour exemple le succès il y a dix ans des vidéos de Jackass23 ou plus récemment l’émergence du phénomène de « Happy Slapping24 ». Les comportements absurdes liés à une alcoolisation massive ne représentent donc plus un problème et sont même encouragés. 23 Jackass est une émission de télévision américaine dont les épisodes durent une vingtaine de minutes, diffusée originellement sur MTV. Produite initialement en 1999, on y voit essentiellement un groupe de jeunes adultes exécuter des cascades dangereuses et/ou stupides et ridicules, sans autre but que de « faire rire ». L’adjectif Jackass lui‐même peut se traduire par « qui manifeste un esprit lourd et pesant, un manque d'intelligence, de réflexion », « dénué de sens, de justification ; absurde... ». 24 Le happy slapping ou vidéolynchage est une pratique consistant à filmer l'agression physique d'une personne à l'aide d'un téléphone portable. Elle met en scène une personne ou un AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 58 A‐t‐on alors affaire à de nouvelles générations qui retrouvent dans les paradoxes de l’alcool le paradoxe d’une société où l’émotionnel est à la fois spectacle et refoulement ? Cela reste une piste de réflexion intéressante mais n’oublions pas que le binge drinking ne concerne pas la majorité des jeunes consommateurs. Et même pour ceux qui ont ponctuellement ce comportement, cela n’est généralement pas inquiétant. Le binge drinking, quand il a un rôle de cohésion, de rite initiatique, de passage vers l'âge adulte ou de volonté de refuser les contraintes de celui‐ci n’est pas en soi un problème. Il reste la manifestation de problématiques adolescentes. La grande majorité des consommateurs abandonnera progressivement ce type de rapport à l’alcool et n’en gardera aucune séquelle. Cependant, dans certaines situations, le binge drinking représente un réel danger : ‐ Une alcoolisation aiguë peut avoir de graves conséquences chez certains : intoxication (coma), traumatologie (AVP), accidents du travail et de la vie courante, prise de risque sexuelle, risques médico‐ légaux (violences provoquées ou subies), risques judiciaires (délinquance)... La moitié des suicides de jeunes s'accomplissent sous l'effet de l'alcool. ‐ Avec des alcoolisations excessives banalisées, les sujets les plus « à risques » (qui peuvent être n'importe qui compte tenu de la sensibilité individuelle) auront par la suite tendance à recourir à un produit dont ils connaissent bien les effets, l'alcool, pour résoudre leur anxiété, leur déprime, leur non sociabilité. On ne peut pas flirter avec des alcoolisations massives sans prendre des risques de dépendance, surtout chez un individu qui, au départ, a des fragilités biologiques ou psychiques. Alors, même si ces situations sont relativement peu fréquentes, il est indispensable de mettre en place des mesures sanitaires efficaces, opposant le sens au paradoxe. La prévention passe par une information appropriée, non moralisante, sur les dangers de l’alcool. Il est probable que la sensibilisation ne touche pas directement les sujets à risques (le déni des groupe de personnes fondant sur une cible ne soupçonnant pas l’imminence d’un assaut, pendant qu’un complice filme l’attaque à l’aide de moyens vidéos divers. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 59 problèmes est tout aussi fort dans les alcoolisations ponctuelles que dans l’alcoolisme chronique) mais elle permettra d’informer le plus grand nombre. Le tabou que représentent les problèmes d’alcool pourra alors être levé et le soin n’en sera que facilité. Car, tout autant que l’alcool lui‐même, le silence qui l’entoure peut être mortifère. Sophie Monvoisin‐Josselin est psychologue clinicienne, diplômée de l’École de Psychologues Praticiens Paris, et alcoologue. Elle a suivi plusieurs spécialisations post‐universitaires concernant les addictions, les thérapies cognitivo‐comportementales, les troubles des conduites alimentaires et les troubles cognitifs. Elle a travaillé pendant deux ans dans le service psychiatrique de l’hôpital BICHAT‐CLAUDE‐BERNARD (en alcoologie de liaison) puis à l’hôpital LARIBOISIERE auprès de la population toxicomane et pour des consultations cannabis. Elle est actuellement psychologue référente Paris IV‐La Sorbonne au SIUMPPS (Service Interuniversitaire de Médecine Préventive et de Promotion de la Santé). Elle exerce par ailleurs à la résidence des élèves de l’Ecole Centrale Paris et en libéral. Elle assure également des formations à la PJJ (Protection Judiciaire de la Jeunesse), en faculté de médecine, en grandes écoles et en IFSI (Institut de formation en Soins Infirmiers). AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 60 AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 61 Etudiants et alcool : se remplir ou se vider ? Anne Delaigue, psychologue clinicienne, psychanalyste, responsable du service de psychologie de l' Ecole Polytechnique, viceprésidente de l'ASGE (Asssociation Santé Grandes Ecoles ) Titre accrocheur, jeu de mot facile ? Pas seulement. Cette question reflète surtout l’angoisse majeure des étudiants : sont‐ils eux‐mêmes vides ou pleins ? Plongée quotidiennement dans l’écoute clinique des élèves polytechniciens, je suis entraînée avec eux dans ce double courant, provoquant souvent des tourbillons et la peur intense d’une noyade. Comment peut‐on se sentir vide alors qu’en apparence on a tout : la réussite promettant un brillant avenir, après un parcours d’excellence fait d’une suite d’épreuves difficiles remportées à chaque fois haut la main et suscitant toujours l’admiration ? Le thème du paradoxe servira de fil conducteur à quelques réflexions face à ces pratiques qui poussent les étudiants à perdre leur raison le plus vite possible dans l’alcool, eux qui se sont tant appuyés sur elle pour exister jusque là. « Depuis que je suis scolarisé, la première chose que je fais, en rentrant à la maison, c’est d’annoncer mes notes à ma mère qui n’aurait pas toléré que je n’aie pas les félicitations à chaque trimestre. Je m’en rends compte maintenant, car je vois mon petit frère qui est en 6ème en faire autant. Lui, en plus, il joue dès qu’il peut à enfiler mon bicorne et mes gants de grand uniforme, ce que je ne pouvais pas faire, étant l’aîné ». Enfiler un uniforme, c’est une contrainte bien connue des bons élèves. Bien avant d’endosser l’identité acquise à leur entrée en grande école ou en fac, quelle que soit la filière, ils décrivent comment, depuis l’enfance, ils se sont retranchés derrière cet aspect impeccable du premier de classe, qui leur a conféré une place particulière. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 62 Etre un bon élève, c’est avoir pris plaisir à l’intellectualisation, mécanisme de défense décrit par Freud qui permet de se réfugier dans l’abstraction par peur d’affronter ses pulsions trop puissantes, antagonistes et indissociables. Depuis la naissance, chacun est soumis à ce paradoxe permanent né du conflit entre nos pulsions de vie et nos pulsions de mort, moteur de l’existence. Le principe de réalité prend progressivement le pas sur le principe de plaisir, et l’enfant acquiert une estime de soi suffisante pour affronter les frustrations de la vie. De la qualité de son narcissisme dépendra sa capacité de résister aux effractions pulsionnelles ultérieures. A l’écoute de ces étudiants, je suis régulièrement frappée par le contraste majeur entre leur enfance très lisse, apparemment sans histoire et la plainte qui en découle : personne ne s’occupe de l’enfant sage qui réussit, trop bien installé à cette place, en famille comme à l’école. Paradoxe douloureux, certains regrettent de n’avoir pas plus inquiété leurs parents. Ceux‐ci pouvaient‐ils imaginer l’angoisse urgente à apaiser derrière cette façade tranquille ? Carence et insécurité reviennent massivement, d’abord à l’adolescence, puis à l’entrée en grande école. Première cause du vide à remplir ensuite ? Le paradoxe de l’enfant brillant en classe, c’est qu’il n’a jamais le droit de se plaindre puisqu’il est admiré et envié par les adultes. Souvent en avance scolairement car il a sauté une ou deux classes, il est mal intégré en cour de récréation puisqu’il est plus jeune et prend l’habitude de taire ses doutes. De ce décalage il garde ensuite une grande difficulté à mesurer ses limites, le plus souvent escamotées par l’entourage qui s’est étayé sur son aisance apparente. Pendant toute la période de latence, la sublimation lui permet de se tenir à distance de ses conflits pulsionnels au profit des acquisitions intellectuelles et le rend curieux de tout, sauf de lui‐même. Le risque majeur en ce cas est de confondre durablement « avoir des bonnes notes » et « aller bien »… Le corps, temporairement dompté par la dérivation intellectuelle de ses désirs, se remanifeste brutalement à l’approche de la puberté. « Le Moi est avant tout corporel » a écrit Freud, et notre identité se construit en dialogue permanent entre psyché et soma. Dans son ouvrage « Résultats, idées, problèmes », il déclare : « Nos meilleures vertus sont nées comme formations réactionnelles et sublimations sur l’humus de nos pires dispositions. L’éducation devrait se garder soigneusement de combler ces sources de forces fécondes et se borner à favoriser les processus par lesquels les énergies sont conduites vers le bon chemin ». AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 63 Le plus souvent pourtant, c’est à un refoulement massif de ces « sources fécondes » que l’on assiste au moment de l’adolescence chez ces élèves. Face à l’important déséquilibre hormonal qui le déstabilise, l’enfant sage en pleine mue physique et psychologique mobilise tous les mécanismes de défense qu’il a à sa disposition : il refoule, annule, rationalise, régresse, projette, se réfugie dans la rêverie… Embarrassé par ce corps encombrant, il accentue encore la transformation des afflux pulsionnels en pensées abstraites : l’affect est converti en idées, et perd sa charge angoissante. Ce mécanisme d’intellectualisation, déjà très familier, aura bien du mal à être assoupli après la réussite au concours, et retarde la prise de contact avec la richesse des émotions. Là aussi le vide s’installe, paradoxe que personne ne soupçonne chez ces adolescents en apparence si riches en connaissances et en réflexion. A ce surinvestissement intellectuel massif s’ajoute l’ascétisme, qui pousse fréquemment les adolescents à renoncer à toute jouissance corporelle, même la plus innocente, et les amène parfois à s’infliger des conditions de vie extrêmes (privations, épreuves physiques difficiles) afin de protéger le Moi contre les exigences pulsionnelles nouvelles qui sont sources d’angoisse. Bien que ce mécanisme de défense soit en théorie transitoire, on note cependant que leur apparente facilité à supporter de très importantes charges de travail facilite ultérieurement l’adaptation aux classes préparatoires. Ce fonctionnement est donc prolongé tardivement (jusqu’à l’entrée en Ecole) et leur interdit les plaisirs des jeunes de leur âge en les décalant d’autant de leur génération. Quoi de plus logique ensuite que la tentation de passer à des conduites spectaculairement inversées ? On n’avait rien le droit de faire, il faut rattraper son retard, en passant d’un extrême à l’autre. « Aidez moi madame, je n’ai pas fait ma crise », se plaignent souvent les polytechniciens. Si l’on boit, alors il faut que les quantités soient impressionnantes, pour être sûrs qu’on est enfin sortis de l’adolescence. Le retour du refoulé corporel massif est à la mesure de ce qui a été tu c'est‐à‐ dire qu’il implique la démesure, bien difficile à nuancer ensuite. Enfin, l’adolescence nécessite un retour en force de la sublimation: déjà acquise depuis l’entrée à l’école primaire, elle permet de transformer la curiosité sexuelle en curiosité intellectuelle ; sublimer, c’est dériver l’énergie d’une pulsion sexuelle vers une activité valorisée. « Grâce à la sublimation, le plaisir est tiré du travail psychique et de l’activité de l’esprit, des performances intellectuelles » écrit Freud. Mais cette curiosité sexuelle n’est donc pas prise en compte, et reste longtemps un motif d’angoisse qui AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 64 « vide » les élèves : « moi je ne saurai jamais m’y prendre, je suis trop décalé face aux filles, je ne peux pas affronter leurs regards sans avoir bu » . D’où provient cette formidable énergie qui pousse ces bons élèves à entreprendre des études si sélectives ? Il est bien difficile de démêler ce qui leur appartient en propre dans leur décision, des fantasmes de leur entourage familial et scolaire dans lesquels ils ont baigné très tôt. Déjà bien entraînés depuis l’enfance à se conformer aux attentes des adultes, ils sont passés maîtres dans l’art d’éviter leur propre questionnement, puisque notre système éducatif les y encourage. Il n’y a pas beaucoup de « parcours d’excellence », il s’agit de trouver les bonnes portes d’entrée, et de ne pas quitter ces rails. Tous leurs proches s’y consacrent, sans que les élèves y participent vraiment : on sait d’avance pour eux quelle doit être leur place. Il leur faut se maîtriser, masquer leurs besoins, canaliser leur trop‐plein d’excitations, face aux exigences extérieures : « la seule fois où j’ai un peu bavardé en classe, en 5ème, le prof m’a dit : ta crise d’adolescence, tu la fais à la maison »… Au moment des concours, c’est l’angoisse de toute la famille que les élèves doivent gérer et il arrive qu’après leur réussite, la réaction de l’entourage les glace : « tu peux nous remercier » … Ont‐ils complètement disparu ? En tous cas, ils sont nombreux ensuite à craindre d’ « être invisibles », de « ne plus avoir de consistance », « j’ai peur d’être devenu un fantôme, puisque je ne sais pas du tout qui je suis, ni ce que je veux ». Il existe dans toutes les professions des dynasties familiales, des avocats aux médecins, en passant par les grandes écoles, scientifiques ou commerciales. Très régulièrement, le bon élève hérite de cette mission héréditaire, injonction transgénérationnelle souvent inconsciente, impossible donc de s’y soustraire. Comme l’a écrit Kathleen Kelley‐Lainé dans son ouvrage « Peter Pan ou l’enfant triste » : « les paroles prononcées au‐dessus du berceau d’un bébé ont toujours une grande portée ; elles sont même parfois d’une telle force qu’elles en viennent à dominer toute la vie d’une personne ». La revue mensuelle des anciens de l’Ecole Polytechnique, « la Jaune et la Rouge », publie tous les mois son « carnet polytechnicien » qui rappelle aux élèves leur filiation depuis les origines napoléoniennes et la nécessité de la pérenniser. J’ai relevé récemment une annonce particulièrement saisissante AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 65 puisqu’elle fait part du décès d’un ancien de la promotion 1935 (donc approximativement né en 1915), dont la famille peut s’enorgueillir de polytechniciens depuis la création de l’Ecole, le trisaïeul du défunt étant de la promotion 1794 ! Avait‐il vraiment choisi d’intégrer l’X ? Et peut‐on y échapper actuellement, quand « on en a dans la famille » ? Comme pour souligner encore ce grand fossé qui existe chez les élèves entre leur parcours scolaire brillant et leurs questions identitaires, un grand cabinet de chasseurs de têtes a fait paraître une annonce dans cette même revue, à leur intention: on y voit un jeune adulte qui sourit en ouvrant les bras, loin en dessous de son bicorne, avec cette légende : « Vous avez réalisé le rêve de vos parents… Maintenant, commencez à vivre les vôtres ! » Même provoquant, l’énoncé de ce paradoxe est pour eux une évidence, le plus difficile étant précisément de savoir où sont passés leurs rêves. Après une réussite tant idéalisée qu’elle a occulté tout autre accès au futur, il est sûrement tentant d’utiliser pour cela les « paradis artificiels » qui permettent un accès rapide à l’onirique. La traversée des années de prépa ou d’études universitaires difficiles implique un renforcement de la pression, puisque les élèves ont mis en place un Idéal du Moi sévère. Ils endossent ce projet vertigineux : « faire partie de l’élite » et se trouvent aux prises avec une notion identitaire floue et violente : « être le meilleur ». Il n’y a plus aucun choix : ils sont contraints de réussir. Le sentiment de vide intérieur est une expérience fondatrice qui permet à chacun d’intérioriser ses liens à l’autre, de se saisir de sa propre pensée, d’utiliser ses ressources pour accéder à sa richesse et son originalité. Impossible dans cette longue course de fond de les laisser vides : on colmate le moindre espace intérieur, on les remplit de savoir, et on applique finalement la même stratégie que celle à laquelle plus tard ils auront recours pendant les soirées pour se rassurer : on les gave ! « Je suis comme une éponge, sans protection, j’absorbe tout, comme un petit enfant » se plaint à moi une élève, qui a encore peur du noir quand la nuit tombe. Depuis son entrée en 6ème, elle souffre d’épisodes anorexiques, surtout pendant l’été, au moment où s’arrêtait l’école qui atténuait son sentiment de vide massif. Tant qu’elle pouvait travailler à satiété, elle était capable de se remplir de bonnes notes qui calfeutraient à peu près ses brèches. A l’arrivée à l’X, son cocon a craqué, et elle s’est amaigrie spectaculairement, en se décidant heureusement à entreprendre une psychothérapie dans notre service. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 66 Bien qu’ils aient tous déjà bu pendant des soirées au lycée ou au collège, c’est à l’entrée dans la filière d’excellence que la conduite d’alcoolisation excessive se développe. A l’excitation suscitée par l’intensité des efforts fournis pendant les concours succède un effondrement dépressif , contrecoup de cette tension majeure et du clivage mis en place massivement pour ne pas être distrait dans son parcours. Ces deux phénomènes creusent régulièrement le lit de l’angoisse, et amènent un sentiment étrange d’être parfois coupé en deux. Portés depuis longtemps par l’illusion de la grande école idéalisée, beaucoup se sentent brutalisés par le retour à la réalité. Quelle que soit la réussite, elle ne peut être que décevante, face à l’infini des possibles fantasmés. Paradoxe majeur : c’est au moment où l’entourage très gratifié les imagine eux aussi grisés par leur succès qu’ils se sentent le plus vides, obligés de noyer leur chagrin, pour éloigner leur peur massive de l’avenir. « Quand j’ai appris mon intégration à l’X, j’ai été heureux une seconde, et puis je me suis dit tout de suite : et après ? Je n’ai jamais rien choisi ni échoué depuis mon enfance, que va‐t‐il se passer si j’arrête cette course ? Vais‐je perdre mon identité ? » Seul fils d’une famille modeste après deux sœurs aînées moins brillantes, cet élève est venu consulter en urgence à la veille de fiançailles qu’il ne pouvait affronter sans une intense angoisse, tant il avait peur de se tromper, lui qui n’avait jamais eu besoin de prendre une décision puisqu’il réussissait toujours tout… Pas d’alcoolisation excessive chez lui, mais une conduite addictive au travail. « Sans ma réussite scolaire, je n’étais personne à l’école, ni bon en foot, ni cool, pas de place possible dans le groupe. » La quête permanente du « encore mieux » est devenue un réflexe vital depuis si longtemps que si l’on coupe cet oxygène, le manque est vécu comme une asphyxie qu’il faudra combler au plus vite, autrement. Pour éviter la confrontation au flou induit par l’incertitude face à tous les choix qui vont se présenter, les étudiants ont recours à des rituels massivement régressifs, une oralité partagée en groupe qui leur permet de trouver un refuge facile. Le corps retrouve sa place initiale de pare‐excitations qui autorise à ne plus du tout penser. Avant la fin des concours, les anciens se chargent d’initier ceux qui passent leurs oraux à la consommation « open bar ». L’alcool permet de se rassurer et de transmettre au plus vite les nouvelles règles du jeu qui vont souder le groupe. Il faut apprendre deux choses, absolument prioritaires, si AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 67 l’on ne veut pas faire partie des « geeks », ou des « autistes », bref des boucs émissaires d’une promotion. Les nouveaux doivent s’habituer vite à ingurgiter d’énormes quantités de mélanges souvent opérés au hasard par les élèves grâce aux stocks dont les grands alcooliers proposent aimablement un approvisionnement régulier et généreux, à des tarifs qui autorisent tous les débordements. Ils doivent aussi faire croire aux autres qu’ils ne travaillent jamais, ce qui accentue encore la pression qui les coupe d’eux‐mêmes. On doit être « cool » et on ne peut toujours pas dire son inquiétude. Pendant toutes les études ensuite, il faudra cacher qu’on n’est pas tout‐puissant, qu’on n’a réussi que grâce à un énorme travail et qu’on a donc peur d’être démasqué par les autres qui eux, sont sûrement des « vraies élites », d’où leur plainte fréquemment énoncée : « je suis un usurpateur » … C’est probablement pour les rassurer que toutes les formations supérieures, universitaires, grandes écoles, IUT, professions paramédicales etc. ont inventé les fameux week‐ends d’intégration (les WEI) où l’on apprend en groupe à associer étroitement dose massive d’alcool et plaisir. Paradoxe majeur : au moment où les élèves sont enfin autorisés à être « grands » par leur entourage, ils se comportent comme des « très petits », avec des jeux et des paris qui rappellent l’école maternelle, à la différence près qu’ils se mettent en danger. « Pendant mes trois années de prépa, je ne m’autorisais qu’un documentaire animalier le samedi soir pour me distraire », m’avoue cette polytechnicienne, qui était donc bien loin du programme des festivités proposées pour souder le groupe et rattraper son retard. Parmi les grands classiques de ces week‐ends initiatiques obligés, outre les trajets saturés d’alcools à volonté qui les désinhibent rapidement, citons le « trophée Ricard » qui propose une course de relais par équipes, ponctuée à chacune des cinq étapes d’un verre obligatoire de cinq centilitres à boire cul sec, soit vingt‐cinq centilitres d’alcool fort par personne, quantité qui dépasse déjà largement les doses dites « critiques ». On apprend ensuite à compter les verres en mètres : un mètre, c’est dix verres, en général la quantité commandée pour deux, « pour commencer ». Devant la généralisation de ce phénomène, les responsables des formations étudiantes ont recherché des solutions de prévention, dont les plus adaptées sont celles organisées en partenariat étroit avec les étudiants eux‐mêmes. L’une des réponses à leur angoisse existentielle massive est certainement la possibilité d’entreprendre un travail de psychothérapie AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 68 analytique auprès d’un des services de psychologie créé à leur intention. Ouvert en 1946, celui de l’Ecole Polytechnique est à la disposition de tous élèves qui en font la demande, et leur garantit la confidentialité. De nombreuses grandes écoles ont fait ce choix, et depuis 1988 toutes les universités offrent aux étudiants ces consultations qui leur permettent enfin d’explorer et d’apprivoiser leurs limites intérieures autrement qu’en se remplissant jusqu’à saturation. Les psychologues cliniciens qui soignent cette population sont unanimes sur l’évitement systématique de la question de l’alcool dans la demande des étudiants. Ils s’alcoolisent bien sûr, souvent beaucoup, mais ils ne viennent pas pour cette raison et sont surpris qu’on le leur fasse remarquer. Le propos de ces analyses est de leur éviter de faire partie des ces « piliers du Bô‐bar » et du groupe des « alcooliques non anonymes » qui le fréquentent tous les soirs et de les aider à sortir du paradoxe tragique de se sentir « comme un kinder surprise : une coquille presque vide, et si on la casse, on me verra tout petit à l’intérieur puisque je n’ai pas assez de densité »… Nous les accompagnons dans ce travail de patience, pour qu’ils se débarrassent enfin de cette plainte terrible : « J’aimerais tellement être un imbécile heureux, qui ne se pose pas de question, croyez vous que ce soit encore possible ? » AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 69 Au virtuel… Modérateur Catherine Moisan Inspectrice Générale de l’éducation Nationale AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 70 AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 71 « Abus d’écran »…Un projet de prévention construit localement, dans la durée Hélène David – Soret, Directrice d’EMERGENCE ESPACE TOLBIAC Paris XIIIème. Centre de Soins Spécialisés en Addictologie, rattaché au service de pédopsychiatrie de l’Institut Mutualiste Montsouris – Mutualité Fonction Publique PSP, jeux vidéo en réseau ou non, télé, ciné, MSN, SMS… le quotidien des collégiens est largement occupé aujourd’hui par tous ces biens de consommation « high tech ». Leur point commun : l’écran… un écran « adosvore » ? tout‐puissant ? A l’origine du projet, un CESC inter établissements, adossé à un recueil de données CPAM/rectorat. Au moment de la relance des CESC (Comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté) par l'Académie de Paris en 2003, six collèges et un lycée du sud du XIIIe à Paris, se sont rapprochés pour créer un CESC inter‐établissements. Les actions visant la santé et la citoyenneté de 3 000 élèves y sont ainsi réfléchies en commun. Dans le même temps, le Rectorat et la CPAM de Paris concevaient conjointement un dispositif de recueil de données statistiquement fiables, indispensables pour les EPLE et leurs instances, au premier rang desquelles les CESC. Un questionnaire anonyme, administré en ligne, permet ainsi aux élèves de donner des éléments sur leur environnement de santé : l’estime qu’ils ont d’eux‐mêmes, leur alimentation et sommeil, leur environnement médiatique, la consommation de produits psycho‐actifs par exemple. Depuis trois ans maintenant, ce dispositif de « diagnostic partagé », appelé DIESE (Dispositif Informationnel sur les Environnements de Santé des Elèves), recueille de précieuses informations auprès des élèves des sept établissements, de la 6e jusqu’à la 2nde . L’analyse des données statistiques, qui croise les AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 72 différents items mais aussi les niveaux d’âge et l’évolution d’une année sur la suivante, associée à la prise en compte des programmes officiels de prévention santé, a permis de cibler les thèmes à exploiter en priorité sur l’année scolaire. Lien sommeil et consommation d’écrans. Début 2007, une utilisation abusive des outils médiatiques (ordinateurs, consoles de jeux vidéo, télévision) est constatée par les équipes éducatives de ces établissements, pour un nombre significatif d’élèves, avec un impact possible négatif sur la santé et les capacités d’apprentissage à terme. L’analyse transversale des données de la 6ème à la 3ème corrobore alors le ressenti des équipes : Elèves de 6e Plus de 3h d’écrans par jour Coucher après 22h la veille d’un Elèves de 3e Filles Garçons Filles Garçons 23 % 30 % 38 % 48 % 18 % 26 % 76 % 84 % jour scolarisé Coucher après minuit la veille d’un jour scolarisé 3 à 6 % 12 à 36 % (Variations selon les (Variations selon les collèges) collèges) Ces chiffres sont des médianes arrondies des résultats des 6 collèges du CESC inter‐établissements., sachant que le taux exploitable de résultat varie selon les collèges de 58% à 92% de leur effectif total. « Blogger », « chatter », jouer en ligne ou sur consoles, regarder en chaîne des séries, que ce soit à la télévision ou sur internet,.. Quel problème ? Les statistiques issues de DIESE montrent que l'utilisation prolongée et tardive d'écrans d'ordinateurs, induit de fait un déficit de sommeil. Ils révèlent ensuite un décalage de phase du sommeil entre les week‐ends et les jours scolarisés, certains élèves s'infligeant un « jet lag » toutes les fins de semaine. Une spirale apparaît ainsi : élèves surconsommateurs d’écrans Î Problème de sommeil, désynchronisation = élèves somnolant avec une difficulté de concentration en classe. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 73 Comment infléchir le phénomène ? Sensibiliser ces adolescents à la maîtrise du temps passé devant les écrans ? Quel moyen de prévention choisir afin d’emporter l'adhésion des élèves et ne pas verser dans la moralisation ? Est‐il possible de valoriser le rôle des parents dans cette démarche ? Deux acteurs locaux sollicités pour la réalisation du film et les séances de prévention. Naît alors en 2007 au sein du CESC inter‐établissements, l'idée de réaliser un film sur ce sujet encore peu abordé : l'abus d'écrans. Cette démarche innovante a été soutenue financièrement par le GRSP d'Ile‐ de‐France, tant pour la réalisation du film dont le titre est Over game, que pour son accompagnement auprès des élèves en séances d'éducation à la santé en 4ème (13 ans) et en seconde (15 ans) par une équipe de préventeurs connaissant cette problématique. Un travail de plusieurs mois commence donc au printemps 2007 avec deux acteurs choisis par le CESC pour leur proximité et leurs compétences dans deux domaines différents : la réalisation cinématographique d’une part et la prévention de la dépendance aux jeux vidéo d’autre part. Alexandre Lemoine de 2Aprod, un jeune réalisateur de l’arrondissement, se voit confier la réalisation du film et Emergence Espace Tolbiac l’apport en matière de prévention. Centre de soins en addictologie du XIIIe, Emergence a de fait développé une consultation « jeux vidéo » depuis fin 2005 et des outils de prévention sur ce thème. Sur proposition d’Emergence, l’idée d’un documentaire, sur le modèle d’émissions de télévision (témoignages, avis d’experts psychologues) est vite écartée. Si ce style convient aux adultes, il est souvent rejeté par les jeunes ! En revanche, un film court, reprenant de façon légèrement accentuée sans être caricaturale, leurs comportements ou ceux d’amis proches, leur permet de s’identifier aux personnages, de sourire d’eux‐mêmes. Dans le même temps et grâce à quelques ingrédients, il évite le risque principal de toute action de prévention : la diabolisation. L’impératif de ressortir du film et des séances de prévention sans une impression de jugement manichéen des écrans mais avec un désir d’apprendre à gérer leur usage fut bien AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 74 un principe de base recueillant l’unanimité auprès du CESC et la CPAM, d’Emergence et 2AProd. Nico, personnage des quatre scénettes de prévention Le film de 10 minutes met en scène un jeune de 16‐17 ans, Nico, sa petite amie qui pense avoir une rivale tant elle est délaissé, sa sœur plutôt accro aux « chat » et aux séries sur internet, ainsi que leur père, un peu dépassé mais qui tente encore de mettre un cadre… et le sacro‐saint ordinateur ! En vue des séances d’éducation à la santé dans les classes de 4ème et de 2nde qu’il permettra d’introduire, ce film est conçu pour être tout aussi bien visionné en 4 scénettes entrecoupées de discussions avec les élèves de 4ème, qu’utilisé en une seule vision auprès des 2nde et des parents. Le choix des sujets a été travaillé afin d’allier objectifs pédagogiques et faisabilité, intérêt cinématographiques. Les trois premières scénettes reprennent donc des thèmes que des jeunes joueurs ayant consulté à Emergence ont décrits comme problématiques dans leur quotidien. Puis ces éléments sélectionnés pour rejoindre tant les 4ème que les 2nde dans l’esprit choisi, les expressions à utiliser, ont été testés auprès de trois groupes de 8 élèves des deux niveaux visés. De fait, en prévention l’élément motivationnel essentiel pour modifier une habitude profondément ancrée, est bien le « prix à payer » perçu par la personne concernée, devenu supérieur au plaisir ressenti, au « bénéfice » apporté par le comportement lui‐même. Ainsi, le dérapage et la perte de la notion de temps, premier danger de l’abus de jeu vidéo, sont abordés ici par un risque de perdre la petite copine plutôt que part l’impact sur les études, même si celui‐ ci est suggéré et bien repéré par tous les élèves. Les difficultés relationnelles de Nico avec son entourage apparaissent vite comme problématiques aux yeux des lycéens. Le dialogue frère ‐ sœur suscite ainsi rires et commentaires, preuve que les filles se reconnaissent quelque par dans la situation. De fait, il fallait un clin d’œil spécifique pour le public féminin, dont les habitudes sont fort différentes en matière d’usage d’écrans. Si quelques unes jouent comme Nico aux jeux vidéo, elles sont plus nombreuses à avoir un usage tard le soir d’internet ou de SMS pour y dialoguer avec les copines. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 75 La dernière scène, fruit de la créativité du réalisateur, permet aux jeunes de finir par une touche d’humour. Nico rêve qu’ordinateurs, jeux… ont disparu, sauf dans des salles de jeux clandestins. Il se réveille, tout est en place sauf son visage : il a vieilli, les années ont défilées sans crier gare ! Outre le risque de mettre une partie de sa vie entre parenthèse, cette scènette donne l’occasion de parler du volet financier de tous ces outils actuels utilisés par les jeunes : derrière un « look » objets de jeunes, il s’agit bien de milliers de professionnels, de lobbies considérables avec un marketing bien rôdé en direction des publics adolescents qu’il convient d’accrocher… pardon : « de fidéliser » ! Le film permet encore d’aborder d’autres inconvénients liés à l’abus d’écrans, comme l’alimentation décalée, devant « l’ordi », les insomnies, l’absentéisme et le manque d’exercice ou de contact dans le réel avec de « vrais » personnages. Les interventions dans les classes Si le film ainsi conçu et réalisé est central dans les interventions (1h30 à 2h auprès de 30 classes de 4e et une heure auprès de 7 classes de 2nde), son visionnage intervient après des étapes préalables. Ainsi, comme dans toutes les actions d’Emergence, la notion de plaisir, de bénéfices apportés par le comportement pour lequel nous invitons à prendre du recul, est discuté, valorisé, sous peine de perdre en crédibilité. La prise de conscience individuelle de sa propre habitude est le deuxième objectif prioritaire. Les élèves remplissent donc un petit tableau avec le temps passé devant les écrans en semaine scolaire et durant le week‐end et, en comparaison, le temps passé aux leçons ou auprès d’amis, de proches. Le travail sur le film intervient donc après un dialogue avec les élèves sur les écrans qu’ils utilisent, la durée individuelle qu’ils y consacrent et les éléments positifs qu’ils y voient. Les risques, dangers et effets négatifs n’interviennent qu’ensuite, avec un corollaire indispensable : que faire pour éviter le débordement ? Comment apprendre à gérer ? Ainsi leur est‐il demandé en fin d’intervention de AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 76 décrire les moyens qu’ils pourraient avoir pour cadrer leur passion, leurs envies. Mettre un réveil, noter sur une semaine le temps passé devant son écran préféré, s’imposer une activité régulière hebdomadaire par exemple. Quelques conseils techniques sont également apportés, comme le positionnement de la chaise, la distance, le clignement des yeux. Ne remettant pas en cause leur désir d’écrans, ils détendent l’atmosphère et remportent un franc succès. Renouvellement du projet en 2009 Devant l’intérêt suscité par cette action et afin d’avoir une vision sur plusieurs années de leur impact sur les habitudes des élèves, les interventions seront renouvelées en 2009. Un élément nouveau de taille : une action en direction des parents. De fait, nous savons bien qu’il est illusoire de penser que le jeune de 13 ou 16 ans parviendra seul à s’imposer une limitation au jeu qui le passionne, le projette dans une aventure où son image est valorisée, idéalisée, ou à la jeune fille de renoncer elles‐mêmes aux longues conversations intimes du soir avec les copines en ligne. Le rôle des parents sera donc valorisé cette année : sans les culpabiliser, ils seront invités par un courrier à dialoguer avec leur jeune à l’occasion de la séance de prévention et à participer à une soirée‐débat s’ils le désirent sur ce thème. Organisée par Emergence, elle aura lieu dans une salle du quartier, à l’extérieur des collèges et lycées, afin de rendre plus accessible encore cette information aux parents pour qui le cadre scolaire reste impressionnant. Le projet continue d’évoluer. Observations des équipes éducatives confrontées aux analyses des données recueillies auprès des élèves, animation par des préventeurs locaux et implications des parents et proches… la dynamique se construit, au service d’une meilleure santé des élèves bien sûr. ______________________________________________________ Fin 2009, Emergence et 2A Prod réalisent un DVD de 20 mn en direction des parents d’élèves : à la fois documentaire, conseils et jeux de rôle pour aider à remettre AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 77 Quelles influences des jeux vidéos sur les prises de risque Michael Stora, psychologue et psychanalyste, cofondateur de l’Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines A travers les blogs, la crise d’adolescence devient virtuelle. Les adolescents y trouvent un lieu de révolte où l’enjeu est avant tout narcissique. L'adolescent exprime alors ce qu'il est, à travers des mots mais aussi à travers des images. Les blogs sont en effet la parfaite illustration de ce que j'appelle "penser en images" : on écrit en images, on souffre en images, on "a la rage" en images. Et les images parlent d'elles‐mêmes. A travers mes fonctions de consultant auprès de Skyrock, je vais tenter de décrypter ce que les blogs vont bouleverser du rapport à l’intime et révéler l’incroyable plateforme de créativité adolescente que représente la culture blog. Mots clés : Weblog, adolescence, narcissisme, soi. Key words: Web log, teenager, narcissism, self. Introduction: Dans un dessin humoristique du journal Le Monde 25, à la question d'un personnage : "Je peux savoir ce que tu racontes sur moi" l'autre répond :"ça ne regarde que les autres." Toujours créé pour être lu par d'autres, le blog traduit finalement « qu'on vit dans un monde où il faut se montrer fort, sans faille, et dans lequel il est difficile d'être soi‐même", comme en témoignait une 25 Dimanche 22‐Lundi 23 mai 2005, article sur "l'univers des blogs, ses habitants, ses rites, son langage". AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 78 blogueuse.26 Je considère donc cette chambre virtuelle comme un autre lieu possible de réparation narcissique. Ce n'est pas étonnant que le blog, qui est un espace à soi, convienne particulièrement aux adolescents en recherche de fusion groupale pour résister dans l'ombre aux idéaux parentaux. Le blog permet aussi des joutes verbales, l'expression de rivalités, des insultes à travers des photos retouchées, de la mise en scène de soi à travers des photos scabreuses, la sublimation de quelque chose de ses pulsions sadiques, ou encore l'expression de ses représentations mortifères, c'est‐à‐dire le sentiment que grandir c'est mourir un peu ! Beaucoup de jeunes ‐ mais aussi d'adultes‐ font des images des fétiches pour combler des angoisses de séparation. L'image deviendrait pour eux comme un moyen de rester en vie tout en exprimant des fantasmes, des pulsions agressives et des pulsions de mort. D'où leur valeur auto‐ thérapeutique : j'exprime mon mal‐être mais, au moins, j'existe par mon mal‐être ! Le blog n’est pas un journal intime. Depuis une année, je travaille comme consultant pour Skyblog. Skyblog est une plateforme ou un site regroupant des blogs. Mon rôle est celui d’être une veille et une réflexion psychologiques sur la culture blog et certaines de ses dérives. Ainsi, moins de 1 pour cent de 14 millions de blogs, selon les chiffre de Skyrock, évoque des blogs qui seraient pro‐ana (prônant l’anorexie), menace de suicide, scarifications, et à caractère sexuel. En liaison avec les modérateurs, je me permets de m’adresser à certains bloggeurs via leur adresse mail, tout particulièrement en cas de menaces de suicides. Ainsi, par l’adresse mail de ce blogueur ou bloggeuse, je faisais part de mon statut de consultant psychologue et évoquait dans un premier temps une inquiétude et dans un deuxième temps une question sur sa motivation à l’écrire de tels propos sur un blog. Les réponses furent rares mais précieuse. Elles ont mis en évidence la souffrance adolescence qui va trouver dans le phénomène planétaire d’internet, une plate forme pour une création de soi, une autofiction avec un audimat affectif, celui des clicks et des commentaires. On peut évoquer une forme de défense hystérique par 26 Dossier du journal "La Croix", 5 et 6 février 2005 : "C'est l'heure du blog". AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 79 cette mise en tension crée par le manque que va procurer le bloggeur aux lecteurs. L’hystérique va éprouver une jouissance non pas dans un passage à l’acte qui serait celle par exemple la rencontre en IRL(In Real Life) mais bien dans cette mise en scène de soi qui donne à voir ce que l’autre ne possédera pas. Cette quête de l’esthétisme en est le témoin. Certains ont ainsi évoqué une dérive qui serait celle d’un exhibitionnisme. Cela vient aussi du fait que le Weblog qui veut dire journal de bord en anglais est souvent appelé en France « journal intime ». Il n’en est rien et cette confusion de sens viendrait de notre culture du secret ou plutôt de notre culture chrétienne qui valorise une forme de culpabilité qui est celle de l’aveu. Pour illustration, une adolescente évoque son désir de suicide en l’exprimant avec un lyrisme littéraire impressionnant accentuant l’émotion du lecteur. Cet article était illustré par une photo d’une femme plongée dans une baignoire remplie de sang. Je lui envois donc mon mail et le lendemain, une réponse tombe : « ^^De quel blog parlez vous ? Ne vous inquiétez pas, celui‐ci m’a ramenée plus de 10 000 click et 400 commentaires ». Et de me donner l’adresse de deux de ses autres blogs. Je suis allé donc aller les consulter. Si le premier appartient à la grande majorité des blogs adolescents27, Le deuxième est la vitrine intime de ses aspirations à se simuler comme une femme accomplie plus proche des représentations de l’actrice du film pornographique que du personnage de Candy ! Pause langoureuse, suggestive, nous sommes sur le domaine de la découverte de la sexualité adulte naissante et de ses tâtonnements. Le quatrième que j’ai découvert plus tard, par alerte des modérateurs était ce que l’on nomme pro‐ana. On peut penser que le recours à des blogs à sensations, était à l’image de la crise narcissique que cette jeune fille devait traverser. Il lui fallait « sa dose » de click pour pouvoir peut être affronter une baisse dramatique de son estime de soi. Mais, n’oublions pas la dimension créative, même si nous avons compris la part mytho maniaque de sa démarche. Le recours au 27 À savoir des vitrines de soi, de ses amis, de son amoureux, de sa famille son chien, sa star préférée, son petit cousin, tellement beau, et parfois des poèmes appris par un prof ! Je caricature, mais la qualité créative n’est pas toujours au rendez‐vous. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 80 sensationel est semble‐t‐il une réalité qui dépasse, le phénomène blog. Que ce soit le Journal télévisé ou tout phénomène de télé réalité, la logique du sensationnel pour faire grimper l’audimat, retrouve chez certains bloggeurs un lieu d’appropriation. Nous pourrions dire que ce n’est que justice rendue avec la dimension provocatrice propre aux adolescents qui va avec. Les bloggeurs qui ne m’ont pas répondu, nous révèlent leurs difficultés à sortir de cet anonymat qui protège. Il permet à l’abri du regard de certaines de ses instances surmoïques ou de l’idéal du moi, de s’affranchir d’un réel pesant. La tyrannie de l’Idéal du moi qui exerce une pression particulièrement forte à ce moment de la vie, va diminuer considérablement l’image de soi. Cette image de soi comprend en fait plusieurs images, telle des facettes, elles cohabitent mais ne peuvent pas toujours se réfléchir. En fait, les adolescents vont explorer virtuellement certaines de ses facettes, à travers leurs différents blogs. Puis, il y a ceux qui ont annoncé leurs suicides et qui se sont réellement suicidés. Comment le sait‐on ? Par la presse qui ne va que redonner la confirmation nécessaire au passage à l’acte suicidaire chez l’adolescent mélancolique. Nous connaissons l’importance du sentiment d’élation narcissique chez le mélancolique qui veut à travers son acte, souvent des sauts dans le vide, prétendre a un corps dégagé de toute contrainte pulsionnelle. L’important est que cet acte soit reconnu par l’Autre, voir les autres. Ces blogs par contre sont étonnement vide à l’image d’une dépêche de l’AFP qui annonce sans commentaire l’information. Le blog ne sera ainsi utilisé que comme un lieu de passage en acte, où la dimension créative n’a plus sa place. Quelle place a l’adulte modérateur dans l’imaginaire de l’adolescent ? La question du suicide adolescent mise en scène sur les skyblogs ou forums (Fil Santé Jeunes, Ecoute suicide, etc..) inquiète tout un chacun et il est souvent compliqué de l’aborder sans être parasité par nos émotions. J’ai travaillé pour Fil Santé jeunes pour les aider à prendre certaines décisions concernant justement des fils de discussions autour du suicide. Ainsi, il y a un point commun entre Skyblog et Fil Santé Jeunes voire d’autres sites destinés aux AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 81 adolescents que l’on pourrait résumer par une phrase : « C’est votre espace de liberté et c’est entre vous que la modération se fait. » J’y vois un idéal enthousiasmant qui existe de toute façon dans tous groupes d’adolescents. L’empathie, la compréhension, la solidarité, la régression font partie des phénomènes groupaux qui existent entre ados. Il s’agit déjà d’un premier pas d’autonomisation par des rôles de figures parentales qu’ils peuvent avoir les uns envers les autres. Aussi, il y a une forme d’injonction paradoxale de la part des adultes responsables de ces sites. Le fossé générationnel n’existerait pas et les adultes modérateurs derrières l’écran seraient à l’image de certains « parents potes », qui pourraient dire à leurs ado : « je sais mon fils que tu veux me dire merde ! ». La décision d’arrêter ce fil de discussion sur le suicide à Fil Santé Jeunes fut pris. Sage décision, non pas d’un point de vue moral, mais d’un point de vue de la dimension implicite que soulève la prise en compte du contexte et des spécificités techniques propre aux sites destinés aux adolescents. Ce que j’entends par dispositif technique est pour exemple la personnification des adultes référents qui peuvent ou non intervenir dans un fil de discussion dans un forum. Doit‐il ou non évoquer son nom et si oui, doit il y avoir un code couleurs précis ? Doit on comme pour Skyblog mettre en place un protocole d’accueil où les coordonnées mail plus portable, seraient inscrits dans une forme de backoffice qui feraient des adultes modérateurs une confirmation que c’est un espace crée par des adultes pour des adolescents. Pour Skyblog, il ya une très grosse différence qui est celle de la créativité. Le travail de mise en page, choix de la police de caractère, retravaille de photos, etc., dans ce que l’on nomme des articles font de ces espaces des lieux de mise en scène de soi plus libres qu’un forum ou ne compte que l’écrit. L’autonomie de l’adolescent se construit avant tout contre les parents et je remarque à travers de plus en plus d’adolescents que je reçois pour des problèmes de cyberdépendance que la crise est bien là mais elle est avant tout virtuelle. L’adolescent ne va pas éviter le clash mais sa colère ne va pas s’exprimer en dehors du foyer parental par une prise de risque de sortir du foyer mais dans sa chambre face à son écran. Le claquage de la porte d’entrée de la maison est remplacé par celle de sa chambre. Sortir en dehors des limites géographiques mais aussi symboliques du refuge parental pour par exemple rejoindre ses copains ou son amoureuse permettait à l’adolescent de vivre au moins le temps de sa colère un moment de liberté et d’autonomie. On remarque que de plus en plus d’adolescent vont le vivre dans sa AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 82 chambre, parfois celle de son d’enfance. La crise d’adolescence devint ainsi virtuelle ! De plus, l’ordinateur, la connexion ADSL, voir des abonnements à des jeux en ligné sont payés par les parents. Paradoxe propre aux parents baby boomers qui ne jouent pas toujours le rôle de parent « vieux con », qui n’osent pas poser des limites mais cherchent avant tout à comprendre voir participer à cette autonomie. On retrouve d’ailleurs ce même phénomène lorsque des parents offrent un téléphone portable, forme de « doudou sans fil » qui va permettre aux parents en même temps de payer le prix d’une nouvelle forme d’autonomie mais avec la capacité des les appeler à n’importe quel moment. Mais l’ado voyant le numéro s’afficher peut alors décider ou non d’y répondre. « Blog thérapie » Ce travail auprès de Skyrock s’est enrichi par la création d’un atelier blog à la maison des adolescents d’Avicenne. Le Professeur Marie‐Rose Moreau, a bien pris conscience que les objets numériques pouvaient représenter une nouvelle forme de médiation thérapeutique. La dimension du cadre créatif permettrait par cette mise en scène de soi, un travail d’écriture, puis d’illustration et de mise en ligne et de retour des commentaires en groupe de parole. Lors de cet atelier Blog, je proposais aux adolescents de créer une dizaine d’articles avec un thème libre et 9 thème prédéfinis : L’enfance, La joie, La ville, Le corps, L’amour, Le sexe, L’art, J’aime, Je n’aime pas, Libre. Les deux premières phases m’ont permis de confirmer l’hypothèse que les lettres écrites sur l’écran de l’ordinateur sont avant tout des « images de lettres ». Le « penser en image » prend sur internet toute sa dimension. Le terme de « penser en image » est tiré du titre du livre de Temple Grandin, qui est en fait une proposition de l’éditrice Odile Jacob, car l’auteur souhaitait le nommer : « Le point de vue d’une vache. » Mais dans son livre Temple Grandin, atteinte d’un autisme d’Asperger, évoque que la sensorialité visuelle était sa manière de se représenter des choses aussi complexes que l’amour, Dieu ou des moments d’angoisse qu’elle pouvait éprouver. Ce qui nous intéresse pour cet article est plus la question de la mise en scène de l’affect en image. Ainsi, le choix de la police de caractère, sa taille, sa couleur sont autant de signes inconscients que l’adolescent va utiliser. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 83 Pour exemple, un article d’une adolescente sur Skyblog était écrit en police de caractère 5, de couleur grise sur un fond noir. En fait, elle voulait nous dire : « Pour pouvoir me connaître, il faut se pencher sur votre écran pour pouvoir me décrypter ». Ainsi pour mieux saisir le concept de penser en image, il suffit de remplacer le verbe penser par tous les verbes à résonance affective : aimer, s’amuser, se venger, se détester, etc. On le remarque d’autant plus dans les discussions qui ont lieu sur les messageries instantanées comme MSN, par exemple. Les Smileys, qui sont des dessins représentants en général des émotions de base, vont ainsi venir ponctuer implicitement des phrases qui sinon résonneraient comme du premier degré. Par exemple, il est possible de déclarer sa flamme tout en rajoutant à la fin un smiley tirant la langue ! Ainsi, les adolescents de l’atelier Blog ont passé peu de temps dans le travail d’écriture, mais par contre ont utilisés un grand nombre de séance à peaufiner leurs pages par des choix de police de caractère, de couleurs et d’illustrations. L’un d’entre eux qui souffrait d’un nanisme psychogène, pris dans une relation duelle à une mère intrusive aux tendances paranoïaques sévères se demandait s’il devait écrire le titre de son article « amour » en noir ou en rouge ? Question indispensable pour lui, même si le contenu de son article était plutôt factuel, où les affects étaient plutôt réprimés. Nous savons à quel point la défense par la répression de l’imaginaire est présente dans des moments de faille narcissique. Justement le titre comme le représentant de la « forme que l’on donne à voir » reste essentiel. Il choisit en fait la couleur rouge signe de sa capacité à exprimer son agressivité. Malheureusement, les instances décisionnaires de l’administration de l’Hôpital d’Avicenne n’ont pas donné la permission d’un accès à internet pour l’atelier Blog. La cause évoquée étant la question des dérives possibles mais surtout fantasmées de la part de personnes qui, j’imagine, sont parents d’adolescents et sentent de plus en plus que ceux‐ci leurs échappent entre autres à travers le temps passé sur internet. Les adolescents et moi‐même étions réellement déçus et naturellement peu à peu ils ont désertés l’atelier Blog. Je pense qu’il faudrait que la médiation par le blog soit étendue à d’autres structures pour adolescents. Il existait AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 84 déjà des ateliers par exemple « journal », où l’informatique était utilisée comme une médiation thérapeutique par la spécificité de l’écriture et de la mise en page qu’elle permet. Il s’agissait aussi de les aider à avoir un regard citoyen et de les inscrire dans la vie de la cité. J’ai moi‐même participé à un journal produit par des patients adultes de l’ASM 13 (Association de Santé Mentale du 13ème arrondissement) qui se nommait « Mentalo ». Malheureusement ce journal n’avait pas la couverture nécessaire pour être diffusée au‐delà des autres patients ou personnels soignants. Pourtant ce journal avait aussi pour but de changer les mentalités du tout un chacun dans sa perception des « fous ». L’atelier blog de par sa facilité de mise en ligne permet de toucher un public qui va bien au‐delà d’un quartier ! La question que l’on pourrait se poser serait de savoir si il est pertinent de specifier que ce blog soit fait dans un cadre soignant ou non ? En interrogeant les adolescents sur cette question, la plupart était d’accord avec l’idée que le label M.D.A (Maison Des Adolescents) apparaisse. On peut en déduire que si il ya honte, c’est plutôt du coté des parents qui voient dans une mise en ligne sur internet de leurs adolescents, pris en charge dans un cadre soignant, une « preuve par l’image » de leurs culpabilités parentales. Du coté des adolescents, j’y vois plutôt une reconnaissance de leurs souffrances. Je me souviens ainsi, dans le cadre d’un atelier Jeu Vidéo, une préadolescente, qui s’était incarnée dans le jeu les Sim’s, en jeune fille avec une silhouette plutôt très ronde. Je fus dans un premier temps surpris car j’avais en tête que l’avatar était en grand majorité une représentation idéalisée. Puis, je me suis souvenu du premier entretien avec les parents qui évoquaient que leur fille, depuis un accident de voiture, souffrait de cauchemars et de troubles de la concentration. Je leurs faisais remarquer que j’observais aussi une surcharge pondérale importante de leur fille. Ils rejetèrent ce problème en insistant à nouveau sur le caractère traumatique de l’accident. Pourtant, les images parlent d’elles mêmes et à travers cette personnification d’un avatar obèse elle exprimait que ce problème était essentiel, d’autant plus à un moment où l’image de soi est surinvestie. En fait, internet permet à de plus en plus d’adolescents de jouer avec des identités virtuelles, qui sont des facettes de soi, clivées, mais à chaque fois authentiques dans l’expression d’une quête identitaire. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 85 Cette forme de recherche va prendre un intérêt narcissique que s’il ya le regard de l’autre, à travers des clicks et des commentaires qui confirmer ou infirmer cette démarche. C’est là que l’interactivité prend toute sa mesure et fait des blogs ou réseaux sociaux sur la toile, une dimension auto curative. Se simuler comme un autre soi, va permettre à de plus en plus d’individus, et pas seulement des adolescents, de vérifier, parfois de manière répétitive, qu’il est possible de s’affranchir de certaines entraves et d’exister en IRL (In Real Life). Je pense surtout à l’entrave sadisante qui est celle de l’idéal du moi. Pour exemple, un patient que je recevais en libéral, souffrait de ne pas assumer et vivre pleinement son choix homosexuel. Il me raconta qu’il était allé sur un chat hétérosexuel avec un pseudo féminin. Il put ainsi, virtuellement, ressentir le plaisir d’être un objet de plaisir pour un homme à l’abri du regard de ses instances idéatoires. Puis il passa au chat gay, qui représentait pour lui un acte de « fierté homosexuelle ». Le passage en acte propre aux pathologies narcissiques trouvent dans internet un lieu d’entrainement symbolique car il ne s’agit que de mots ! Conclusion : Les espaces virtuels, représentent pour de plus en d’individus un lieu de désinhibition. Il est possible ainsi de mettre à mal ce fameux « misérable tas de secrets » et paradoxalement de mettre en scène une dérive que l’on rencontre de plus en plus dans notre société, à savoir le « tout dire et le tout montrer ». Les adolescents ne font que jouer voir montrer du doigt à travers leurs expressions sur internet les failles qu’ils repèrent dans notre société. Ils réinventent une culture qui échappe à la plupart des parents et c’est tant mieux ! De plus, face à une nouvelle forme de parents qui ou sont défaillants et font de leurs enfants les dépositaires de leurs intimité ou parce que ceux‐ci veulent rester éternellement à la page et jeunes, il fallait créer un lieu échappant à l’angoisse résurgente de l’adolescence ou ses objets d’amours Œdipiens deviennent dangereusement accessibles. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 86 Enfants et adolescents face à la cybercriminalité Chantal Zarlowski, Commissaire de police judiciaire. Groupe central des mineurs victimes; Office central pour la répression des violences aux personnes Cette intervention, aura pour but de présenter brièvement l'activité de notre unité puis, au travers d'exemples d'enquêtes réalisées par le groupe, de détailler les « techniques » employées par les utilisateurs de l'Internet pour « piéger » les enfants et adolescents. Si la durée le permet, il sera fait état des différents profils de pédophiles. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 87 AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 88 La prise de risque sur internet : éduquer autrement Serge Tisseron, Pédopsychiatre et Psychanalyste, Directeur de recherche à l’Université Paris X Serge Tisseron est psychiatre et psychanalyste, docteur en psychologie, directeur de Recherches à l’Université Paris X Nanterre. Il s’est fait connaître en découvrant le secret familial de Hergé uniquement à partir de la lecture des albums de Tintin, et cela avant que la biographie de cet auteur ne soit connue (1983). Il a publié une trentaine d'ouvrages personnels, dont plusieurs best sellers, et participé à une soixantaine d’ouvrages collectifs, Ses recherches portent sur trois domaines : les secrets de famille liés aux traumatismes et à leurs répercussions au fil des générations; les relations que nous établissons avec les diverses formes d’images, les médias et les espaces virtuels; et les relations avec les nouvelles technologies. Ses livres sont traduits dans quatorze langues. Serge Tisseron est également dessinateur de bandes dessinées et d’ouvrages pour enfants. Il tient un blog sur « squiggle.be ». Derniers ouvrages parus Virtuel, mon amour ; penser, aimer, souffrir à l’ère des nouvelles technologies, 2008, Paris : Albin Michel Qui a peur des jeux vidéo ? , 2008, Paris : Albin Michel (en collaboration avec Isabelle Gravillon) Les dangers de la télé pour les bébés, 2009,Toulouse : Eres Résumé Si nous voulons maintenir le contact avec nos enfants, il ne faut pas les inviter à connaître les dangers d’Internet pour mieux profiter des avantages, mais au contraire les inviter à mieux en connaître les avantages pour en déjouer les pièges. Cela est d’autant plus important que la nouvelle logique d’Internet oblige aujourd’hui à modifier notre attitude : il ne s’agit plus de concevoir un monde dans lequel les jeunes ne courent aucun risque, mais un monde dans lequel ils soient capables de faire face à tous les risques avec un maximum de précautions. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 89 Mais l’usage d’Internet – même accompagné – nécessite que l’enfant ait acquis les notions d’intimité et de point de vue, c'est‐à‐dire qu’il ait passé sa 7ème ou 8ème année. C’est pourquoi, de la même façon que j’ai lancé une campagne contre la télévision avant l’âge de trois ans (campagne relayée maintenant par le ministère de la santé et le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel), je propose qu’on réserve les activités numériques aux enfants de plus de six ans, Internet accompagné entre six et neuf ans, et Internet seul au moment de l’entrée au collège, c’est‐à‐dire vers la douzième année. Cette manière de faire permet en outre d’introduire les nouvelles technologies à des moments qui correspondent à des étapes scolaires, et donc de les intégrer dans de nouveaux rituels. Il y a un point sur lequel nous sommes tous d’accord, c’est que nos enfants doivent être protégés des dangers d’Internet. Pour cela, il existe des solutions technologiques, mais également des solutions éducatives. C’est de celles‐ci dont je vais parler. Elles concernent les parents, mais aussi les pédagogues et notamment les enseignants. Et, pour les uns comme pour les autres, l’essentiel est de ne pas oublier que le danger, aujourd’hui, n’est pas seulement celui des menaces nouvelles qui pèsent sur nos enfants, mais aussi celui d’une fracture générationnelle. Pour éviter que le fossé s’aggrave entre parents et enfants, il est essentiel de présenter les problèmes de la bonne façon. 1. Deux façons de présenter les dangers d’Internet aux jeunes La première de ces façons consiste à détailler les divers dangers présentés par Internet… après en avoir éventuellement dit les avantages en quelques mots. Elle risque de donner l’impression aux enfants que les adultes, et notamment leurs parents, ne comprennent pas vraiment ce qu’ils y cherchent… et même qu’ils seraient surtout occupés à leur faire peur ! Dans le même ordre d’idée il vaut mieux éviter toutes les formes de surveillance cachée qui risquent de rendre les enfants encore plus secrets et les encourager à ne plus rien dire de leurs diverses activités sur Internet… La seconde façon d’organiser la prévention autour des dangers d’Internet consiste à identifier et nommer tout ce que nos enfants y AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 90 cherchent, et tout ce qu’ils y trouvent. C’est seulement dans un second temps que les dangers encourus sont alors nommés. Cette façon d’envisager les choses permet de faire apparaître les dangers comme résultant de mésusages et préserve le dialogue générationnel autour de tous les usages possibles de l’Internet. 2. Mais que cherchent donc nos enfants sur Internet ? L’enfant, tout comme l’adulte cherche sur Internet trois choses principales. Tout d’abord, le plaisir de pouvoir avancer masqué derrière un pseudonyme ou un avatar. Sur Internet chacun aime pouvoir se cacher et se montrer à volonté, se dissimuler ou se dévoiler à son rythme personnel. Ce n’est pas mal agir qu’agir ainsi, c’est même une protection de son intimité. En second lieu les enfants, comme d’ailleurs les adultes, vont sur Internet pour valoriser leurs expériences intimes en se racontant et ‐ ou ‐ en se montrant. Il s’agit là d’une composante éternelle de l’être humain qui se raconte en utilisant des mots, mais aussi des images et évidemment des attitudes et des mimiques. La troisième caractéristique des voyages sur Internet est de confronter l’enfant et l’adulte à un monde dans lequel il est impossible de savoir ce qui est vrai et ce qui est faux. C’est un monde où chacun est invité à se laisser porter, à suspendre son jugement, et à croire ou ne pas croire selon ses goûts. Précisons maintenant chacune de ces attitudes et voyons quelle forme de prévention y répond. 3. Avancer masqué Le problème Pour l’adulte, avancer masqué est une façon de tromper. Pour l’enfant c’est plutôt une façon de se chercher. Elle a un rôle central dans la construction de soi chez le jeune aux alentours de la puberté. Le jeune tente de cerner ce que Levi‐Strauss appelait « le foyer virtuel AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 91 de la personnalité ». On peut aussi évoquer le bonheur de s’éprouver soi‐même comme un autre, ce que Paul Ricoeur a désigné « comme je comme un autre ». La prévention Tout d’abord il est important de dire aux enfants que la possibilité de se cacher sur Internet est formidable : elle permet de jouer tous les rôles et d’explorer tous les possibles. Il est également essentiel de dire aux jeunes qu’il est normal de vouloir rencontrer pour de vrai les inconnus rencontrés sur Internet. C’est une preuve de bonne santé psychique et une manière d’éviter de s’isoler dans les mondes virtuels en perdant le sens de la réalité. Mais il est évidemment tout aussi essentiel d’ajouter que le jeu avec l’identité sur Internet peut amener à rencontrer d’autres personnes que celles que l’on croyait, et que l’adulte est là pour accompagner le jeune dans les rencontres qu’il désire faire. Le problème est que si l’adulte dit au jeune de ne jamais rencontrer pour de vrai les personnes rencontrées sur Internet, c’est là qu’il risque de le faire, en cachette et dans les pires conditions. De façon générale, la nouvelle logique d’Internet oblige aujourd’hui à modifier notre attitude : il ne s’agit plus de concevoir un monde dans lequel les jeunes ne courent aucun risque, mais un monde dans lequel ils soient capables de faire face à tous les risques avec un maximum de précautions. 4. Valoriser ses expériences intimes en les racontant et en les exposant Le problème J’ai appelé « désir d’extimité » le désir qui pousse à montrer des parties de son intimité afin de les valoriser par le regard d’autrui. Là encore, cette attitude est essentielle chez l’enfant et l’adolescent. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 92 C’est en agissant de la sorte qu’il découvre comment intéresser les autres et se découvrir lui‐même. La prévention Il est donc important de dire que cette possibilité est formidable car elle multiplie le nombre d’interlocuteurs dont l’enfant dispose et lui permet donc d’augmenter ses chances de se découvrir bien au‐delà de ce que ses parents et ses proches sont capables de comprendre de lui, voire d’en accepter. Mais il est tout aussi important de signaler le danger de trop s’exposer. En pratique, il serait donc utile d’enseigner à l’école la distinction entre espace intime et espace public, car celle‐ci est constamment brouillée aujourd’hui par la téléréalité, les docu‐fictions et la politique people. Il serait également utile de mettre des bandeaux au‐dessus de tous les ordinateurs des écoles indiquant : « Tout ce que vous écrivez ici peut tomber dans le domaine public ». Enfin, il est important de valoriser auprès des enfants le droit à leur propre image en leur apprenant à toujours poser deux questions lorsqu’ils voient sortir un appareil photographique ou une camera face à eux : « Pourquoi ne m’as‐tu pas demandé l’autorisation de me photographier (ou de me filmer) ? » et « Qu’est‐ce que tu vas faire de cette image ? » D’ailleurs de ce point de vue, il est regrettable que se prenne si souvent l’habitude, dans les divers colloques, de filmer les intervenants sans demander leur avis et leur dire ce qu’on va faire de leur image… 5. Le mélange du vrai et du faux Le problème AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 93 Internet est un monde où tout ce qu’on trouve est indécidable, c’est vrai des documents d’actualité, mais aussi souvent des publicités maquillées en informations. Et c’est vrai également des sites pornographiques sur lesquelles les vidéo mélangent performances sexuelles réelles et trucages numériques sans qu’il soit possible de faire la part des unes et des autres. La prévention Il est important d’apprendre aux enfants à se méfier des publicités cachées, mais également leur apprendre à vérifier les sources des informations qu’ils trouvent sur Internet : de ce point de vue, il serait utile de donner des exercices scolaires à réaliser par groupes de trois ou quatre enfants dans lesquels chaque groupe serait convié à aller chercher ses sources sur Internet… de manière à découvrir que chacun en ramène des informations différentes sur les mêmes sujets : il ne faut jamais croire sans vérifier tout ce qu’on trouve sur Internet. Et c’est vrai aussi des images pornographiques ! Elles ne peuvent plus aujourd’hui servir de modèles, car ce qui s’y trouve montré n’a pu être que très partiellement réalisé. En conclusion, deux choses me paraissent essentielles. 1. Si nous voulons maintenir le contact avec nos enfants, nous devons modifier notre manière d’envisager la prévention. Il ne faut pas les inviter à connaître les dangers d’Internet pour mieux profiter des avantages, mais au contraire les inviter à mieux en connaître les avantages pour en déjouer les pièges. Seule cette attitude peut déjouer un risque grave de fracture générationnelle. Les dangers d’Internet sont les dommages collatéraux de ses avantages. 2. par ailleurs, tous les échanges qu’il est utile d’avoir avec l’enfant et toutes les explications qu’il est indispensable de lui donner nécessitent qu’il ait acquis une certaine maturité. Celle‐ci concerne deux domaines : la notion d’intimité et la notion de point de vue. Du point de vue de l’intimité, la distinction entre espace intime, espace public et espace privé n’est acquise qu’aux alentours de AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 94 la 7ème ou 8ème année et elle est essentielle pour la possibilité de relativiser les documents trouvés sur Internet ou décider ce qu’on peut y montrer soi‐même. Quant à la notion de point de vue, elle concerne la possibilité pour l’enfant d’accepter l’idée de comprendre que plusieurs personnes peuvent avoir des points de vue différents sur le même sujet. Là encore, cette notion est indispensable pour aller sur Internet sans danger. C’est pourquoi il est essentiel d’informer les parents sur la nécessité de respecter des âges dans l’approche des nouvelles technologies, de façon à ce qu’ils courent le moins de risque possible, même indépendamment de tout contenu dangereux. En pratique, de la même façon que j’ai lancé une campagne pour déconseiller que les enfants regardent la télévision avant l’âge de trois ans, je propose qu’on réserve les jeux numériques aux enfants de plus de six ans, Internet accompagné entre six et neuf ans, et Internet seul au moment de l’entrée au collège, c’est‐à‐dire vers la douzième année. A une époque où les jeunes manquent de rituels de passage de l’enfance à l’âge adulte, les nouvelles technologies peuvent permettre d’en introduire. Mais il faut pour cela constituer leur accès en autant de repères symboliques qui accompagnent le jeune dans le franchissement de seuils de maturité successifs. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 95 AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 96 Prévenir et prendre en charge les prises de risque Patrice Huerre Psychiatre des hôpitaux chef de service de l'inter secteur VI des Hauts de Seine . Extraits d’un article par Julie Joly, publié le 10/09/2009 18:11 Patrice Huerre, coauteur d'Alcool et adolescence. Jeunes en quête d'ivresse (Albin Michel), est chef de service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent au centre hospitalier Erasme, à Antony (Hauts‐de‐ Seine). Voici ce qu'il préconise lorsque l'ado de la famille est: Accro aux écrans (ordinateur, télé, téléphone, jeux vidéo) C'est aujourd'hui la première source de conflit entre parents et adolescents. Avant toute chose, il ne faut pas oublier les aspects positifs d'Internet. Les réseaux sociaux, les blogs, les forums permettent aux jeunes de glaner des réponses à leurs questions existentielles, de ne pas ruminer leur mal‐être. Le problème se pose quand l'ado finit par penser que le monde se borne à cet espace virtuel et qu'il se coupe de l'extérieur. Qu'il sacrifie aux écrans ses heures de sommeil, ses autres loisirs et son temps de travail. Attention, toutefois, à ne pas réagir sur un coup de tête! Un parent qui éteint brusquement l'ordinateur peut déclencher de brusques accès de violence chez son enfant, les jeunes prenant cela comme une intrusion dans leur univers personnel. La meilleure solution est d'anticiper à froid, au début de l'année scolaire, par exemple. Les parents doivent pouvoir fixer des règles, notamment sur le temps passé devant les écrans. Le contrat de départ pourra être révisé tous les mois ou trimestres, avant les vacances ou après, sur la base de critères objectifs: notes à l'école, participation à la vie de famille, respect d'autres contraintes. L'essentiel est de rendre l'adolescent coresponsable. Avec ces critères, il sait sur quoi agir pour obtenir un changement. Le contrôle des contenus vus, visités ou échangés fait AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 97 également partie du contrat de départ: il peut être implicite, mais doit être transparent. Accro à l’alcool On assiste à deux phénomènes concomitants: le rajeunissement de la première prise d'alcool et l'intensification du mode de consommation. Tous les ados sont désormais confrontés à l'alcool et les parents ne peuvent pas l'empêcher. Ils doivent toutefois impérativement rappeler les risques encourus: les relations sexuelles non désirées, les accidents, le coma éthylique... Il ne faut surtout pas banaliser l'abus d'alcool, même très occasionnel. Il y a toutes les chances que votre adolescent soit un jour confronté à une situation grave, pour lui ou pour un autre. Lui expliquer le principe de l'obligation d'assistance à personne en danger est indispensable. Passer par le jeu de rôles peut aussi aider: jouer le copain qui pousse à boire, puis inverser la situation offre à l'enfant des alternatives concrètes pour se préparer à refuser un verre sans perdre la face... Accro au cannabis, au crack, à l'ecstasy La consommation de ces substances se rapproche de celle de l'alcool, quoique les drogues comportent un attrait supplémentaire pour l'ado: la transgression. Et les parents sont d'autant moins armés pour y répondre qu'ils ne connaissent pas, ou pas bien, ces produits. Il leur faut impérativement actualiser leurs connaissances! Comme pour l'alcool, la rencontre des ados avec ces substances est inévitable. Comment en parler? Commencez par décrire leurs effets "positifs", sinon l'adolescent ne vous écoutera pas: pourquoi tant d'ados en consommeraient s'ils n'avaient que des désagréments? Evoquez ensuite tous les risques, mais aussi l'importance de la loi. On peut penser ce que l'on veut de ces drogues, la loi en interdit la consommation, les parents sont là pour le rappeler. Et donner l'exemple. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 98 Accro aux nuits blanches Le manque de sommeil des jeunes est un enjeu de santé publique largement sous‐estimé! Internet, l'alcool, la télévision, les jeux vidéo ou les échanges téléphoniques tardifs perturbent l'endormissement. Les angoisses personnelles, la pression éducative, l'abus d'excitants gênent le sommeil. Premier conseil de bon sens: ne laissez pas vos somnifères à la portée de vos ados. La meilleure façon de "recaler" un jeune dans le temps est ensuite de mesurer avec lui ses besoins de sommeil. Contrairement à ce qu'il croit, tout le monde n'a pas le même rythme biologique! Le premier de la classe peut survivre en dormant cinq heures par nuit, pas lui. Pour le convaincre, faites‐lui compter ses heures de sommeil pendant les vacances, lorsque ses réveils sont spontanés. Ce calcul lui permettra d'apprendre à mieux se connaître. Et l'encouragera à respecter ses propres besoins. et le sexe? Aujourd'hui, les ados découvrent la sexualité pendant leurs cours de biologie et... devant les images porno diffusées à la télé ou sur Internet. Imaginez le grand écart! Or faire le lien entre les sentiments et le désir exige du temps et de la maturité. Devant cette difficulté, les parents servent de modèle. La manière dont ils abordent le sujet est centrale. Si cela fonctionne mal entre eux, l'adolescent ne sera pas aidé. Certains jeunes brûlent les étapes en espérant calmer leur anxiété, d'autres se réfugient dans le virtuel ou la masturbation. Cela dit, pas d'affolement: la majorité d'entre eux va très bien! AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 99 AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 100 DOCUMENT D’ARCHIVES AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 101 AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 102 1956 La consommation des boissons alcoolisées dans les internats des établissements d’enseignement et les cantines scolaires R.PAUMIER COMITÉ CONSULTATIF NATIONAL D'H.S.U. RÉUNION DE LA SECTION D'ACTION MÉDICO‐SOCIALE LE 6 MARS 1956 M. Paulier lit son rapport ainsi qu’une communication de l'Inspecteur d'Académie des Deux‐Sèvres sur la question des boissons alcoolisées : l'Administration académique ayant interdit la consommation de toutes boissons alcoolisées dans les établissements et cantines scolaires désire être approuvée par l'Administration centrale et couverte administrativement par des textes règlementaires. M. le Dr ROBERT fait l'historique du vœu qui a été présenté récemment à l'Académie de Médecine par le Médecin Général ROUVILLOIS : C'est la Commission scolaire du Comité National de défense contre l'alcoolisme qui a pris la première l'initiative d'une telle action et émis un vœu qui fut transmis au Haut Comité d'étude sur l'Alcoolisme institué auprès de la Présidence du Conseil, après quoi l'Académie de Médecine en a été également saisie. Par ailleurs le Dr ROBERT n'est pas d'accord avec M. PAUMIER sur l'impossibilité de dresser la carte des points d'eau potable en France. Cette carte existe. A ce sujet les membres de la Section relèvent. a) que plus de 23.000 communes rurales en France manquent encore d'un réseau 'de distribution d'eau potable (Médecin Général ROUVILLOIS et ‐ que même des régions montagneuses comme l'Isère n'ont pas toujours l'eau potable (Pr SOHIER). La qualité et la quantité de l'eau potable varient‐du reste beaucoup selon les saisons de l'année b) qu'une eau dite potable est, bactériologiquement pure mais n'est pas nécessairement chimiquement pure et a souvent très mauvais goût. A noter que la question de son goût n'a aucune incidence sanitaire (M. DEMARET) ; AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 103 c) que les maladies d'origine hydrique sont en régression constante alors que les troubles provoqués par l'alcoolisme augmentent d'une façon inquiétante. Pour l'application des réformes souhaitables, les membres présents sont d'avis qu'on doit se montrer réaliste et qu'il est très important de faire l'éducation des familles. Certains membres soulignent que les solutions proposées par M. PAUMIER devront surmonter de sérieuses difficultés. L'expérience de Montgeron est certes très spectaculaire et probante, mais c'est une expérience limitée à un établissement où on reçoit des demi‐pensionnaires et qui ne saurait dans les conditions présentes être étendue à toute la France. On est cependant unanime à déclarer qu'elle représente un but vers lequel il faut tendre. Au sujet des internats, il est hors de doute que la circulaire de 1951 de la Direction de l'Enseignement du second degré demande à être révisée, mais il ne faut proposer que des solutions qui puissent effectivement être mises en pratique. Pour les enfants au‐dessous de 14 ans, M. ROUVILLOIS estime que l'interdiction de vin doit être absolue et générale. Au‐dessus de 14 ans, certaines difficultés d'ordre pratique se présentent : a) les enfants d'une même classe ont souvent des âges différents et on ne saurait à la même table, les soumettre à des régimes de boissons distincts ; b) les tables spécialisées par boisson seront peut‐être plus difficiles à organiser qu'il ne paraît ; c) la question des frères et sœurs fréquentant le même établissement pourrait susciter quelques difficultés ; d) il faut faire une étude sur le plan économique des boissons non alcoolisées à présenter aux enfants‐; e) des expériences concrètes devraient être conduites dans les lycées et collèges de dimensions diverses, et dans des régions également diverses. Enfin tous les membres présents s'accordent à reconnaître qu'un très grand effort d'éducation des familles doit accompagner cette réforme. Au sujet des conclusions à adopter, on note que pour des raisons fortuites, les deux directions d'enseignement intéressées (Premier degré et Second AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 104 degré) n'ont pas pu envoyer leurs représentants à cette séance. Il paraît donc indispensable de poursuivre cette étude en liaison avec ces deux directions. En conclusion, M. le Pr SOHLER propose de réunir une sous‐commission dont feraient partie : ‐ les représentants des directions de l'Enseignement du Premier et du Second degré et de l'Enseignement technique ; ‐ les représentants des Parents d'élèves du Premier et du Second degré ‐ M. le Dr BIANQUIS, M. PAUMIER, M. le Dr ROBERT ; cette proposition est adoptée. RÉUNION DE LA SOUS‐COMMISSION DE LA SECTION D'ACTION MÉDICO‐SOCIALE (27 AVRIL 1956) Les boissons dans les établissements scolaires et universitaires Le Dr DOUADY ouvre la séance. Il rappelle le vœu adopté à l'unanimité par l'Académie de Médecine dans sa séance du 7 février 1956, vœu. qui reprend 'et approuve les propositions du Haut Comité d'études sur l'alcoolisme auprès de la Présidence du Conseil. Pour la simplicité des débats il juge bon d'examiner successivement : — l'Enseignement du Second degré, — l'Enseignement Technique, ‐ l'Enseignement du Premier degré en retenant dans chaque cas la distribution essentielle qui résulte du vœu précité et des études effectuées jusqu'ici et en la faisant coïncider, pour la commodité du travail, avec les cycles d'études. La catégorie : enfants au‐dessous de 14 ans coïncidera avec le premier cycle. La catégorie : enfants au‐dessus de 14 ans coïncidera avec le deuxième cycle. Les élèves des classes préparatoires aux grandes écoles seront traités comme des étudiants. I. – Enseignement du second degré. Après discussion, la Sous‐commission adopte les propositions ci‐après : a) Premier cycle (enfants de moins de 14 ans) : ‐ interdiction de toute boisson de table contenant de l'alcool ; ‐ les boissons de table seront : AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 105 De l'eau, Du lait sur demande, Des jus de fruits selon les possibilités. Les parents pourront choisir la boisson de table de leurs enfants, pour une durée convenable. La Commission ajoute qu'en ce qui concerne les jus de fruits il faut prévoir la création au Ministère de l'Education Nationale d'une commission qui sera chargée d'agréer ceux qui pourront être donnés comme boisson dans les établissements d'enseignement. b) Deuxième cycle (enfants de plus de 14 ans). Il sera prévu : Consommation d'eau, de lait, de jus de fruits En outre, possibilité de donner à table des boissons ne titrant pas plus de 3° d'alcool sous forme de vin coupé d'eau, de bière légère, de cidre léger. La Sous‐Commission est unanime sur le fait de laisser aux parents la liberté d'interdire ou non toute boisson alcoolisée à leurs enfants. Des tables spéciales seront prévues à cet effet. La question du vin coupé soulève quelques objections : M. Sinn insiste sur l'avantage qu'il y aurait au point de vue éducatif à laisser les enfants couper. Eux‐mêmes leur vin, mais on rappelle aussi que le coupage a donné lieu à des abus. M. PAUMIER lui propose de donner « moins de vin, mais du bon vin ». En définitive, la Sous‐commission se rallie à la proposition présentée par M. le Médecin Général Inspecteur ROUVILLOIS et le Dr DOUADY : en règle générale, le vin sera coupé avant la consommation mais si un élève « chef de table » peut être chargé de cette responsabilité, le coupage sera fait pendant le repas, par les élèves eux‐mêmes, dans le cas où on peut leur faire confiance pour cela. c) Classes préparatoires aux grandes écoles. Il s'agit d'étudiants. Il leur sera servi de l'eau, du lait, des jus de fruits, de la bière, du cidre légers, ou enfin du vin (1/8 de litre) qui sera présenté pur et dont on laissera à ces grands élèves le soin de le couper. II. – Enseignement technique M. MEYER fait remarquer qu'il s'agit de jeunes de plus de 14 ans. En conséquence ils sont à assimiler au second cycle du second degré (cas des AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 106 centres d'apprentissage ou des collèges techniques). Quant aux élèves des grandes écoles techniques, il convient de les assimiler aux étudiants. Le Dr DOUADY préconise l'installation dans les ateliers de fontaines permettant la distribution d'eau fraîche pendant le travail. M. ROUVILLOIS et M. SIRE l'approuvent et précisent que ces fontaines devraient être prévues dans tous les établissements scolaires. — ENSEIGNEMENT DU PREMIER DEGRÉ. Cours complémentaires. — M. GALLI attire l'attention de la Sous Commission sur la nécessité d'établir une distinction car il n'est pas possible de considérer tous les enfants des cours complémentaires comme faisant partie du premier cycle (moins de 14 ans). Il est finalement entendu quo ces enfants sont assimilés au premier cycle, c'est‐à‐dire consommeront de l'eau, du lait; des jus de fruits et que les directeurs pourront éventuellement adopter le système du deuxième cycle pour les élèves de plus de 14 ans (groupés par table spéciale). b) Ecoles Normales. — M. GALLI propose (l'appliquer aux écoles normales le système des élèves des grandes clases (formule « étudiants e). Ces diverses propositions sont adoptées. c) Cantines scolaires. — Au‐dessous de 14 ans aucune boisson alcoolisée ne doit être autorisée. Cette mesure doit s'appliquer dans les cantines scolaires fonctionnant dans les locaux scolaires ou sous la responsabilité de l'Ecole. a) La Sous‐commission examine le problème qui se pose lorsque la cantine fonctionne dans un local extrascolaire. Il est indiqué, en pareil cas, d'agir par persuasion, éventuellement de faire dépendre la subvention de l'Etat de l'observation des mêmes règles qui s'appliquent impérativement lorsque la cantine fonctionne dans un local scolaire. La Sous‐commission juge qu'il y a là un moyen d'action possible. La Sous‐commission souligne également que lorsque les enfants apportent leurs paniers et qu'ils sont, placés sous la surveillance du personnel enseignant aucune boisson alcoolisée ne doit être consommée dans l'enceinte scolaire. III. Colonies de vacances. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 107 M. le Dr ROBERT propose que le Directeur Général de la Jeunesse et des Sports adresse aux divers organismes qui gèrent des colonies de vacances le texte du voeu de l'Académie de Médecine, en leur demandant de s'y conformer et en leur expliquant ce qu'il y a lieu de faire. M. le Médecin Inspecteur Général ROUVILLOIS est d'accord. Cette proposition est adoptée. IV. Questions diverses La Sous‐commission prévoit également une communication aux services du Ministère de l'Intérieur demandant qu'une surveillance efficace soit exercée dans les cafés voisins des écoles et colonies de vacances pour qu'en aucun cas les enfants n'y consomment des boissons alcoolisées. ‐Il est entendu que les conclusions de]a présente Sous‐commission seront soumises à la réunion commune de la Section permanente et de la Section d'Action Sanitaire et Sociale du Comité Consultatif National. COMITÉ CONSCLTATIF NATIONAL D'H.S.U. RÉUNION COMMUNE DES SECTIONS PERMANENTE, MÉDICO‐SOCIALE ET DU CONTROLE MÉDICAL LE 14 JUIN 1951; Consommation des boissons dans les établissements scolaires. Examen d’un projet d’instructions ministérielles M. le Pr JOANNON se déclare hostile à l'eau rougie ; le coupage du vin lui paraît représenter un retour en arrière ; il préférerait que chaque enfant ait deux verres, l'un pour du vin pur, l'autre pour de l'eau. Enfin il demande à quoi correspond « pivot » de 14 ans. M. le Pr DEBRÉ répond à ces préoccupations et après échange de vues, les diverses prescriptions du projet d'instructions présenté par l'Administration sont approuvées dans leurs grandes lignes. La discussion s'engage sur la quantité de vin que les élèves de plus de 14 ans seront autorisés à absorber, coupé d'eau, par repas. Finalement les membres présents proposent‐ d'autoriser la consommation d'un huitième de litre, par repas et par élève, de vin de bonne qualité, coupé d'eau, cette ration devant être considérée comme un maximum qui ne saurait AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 108 en aucun cas être dépassé, notamment par abandon de rations entre camarades de table. L'instruction devra préciser ce point. On évoque aussi la psychologie particulière qui existe dans certaines régions viticoles et qui s'est manifestée tout récemment à l'occasion du Congrès des Parents d'élèves de Nice. Répondant à diverses questions, M. le Pr DEBRE ne pense pas qu'il y ait lieu, dans le moment présent, de soulever le problème de l'agrément ministériel des boissons de remplacement lequel fait actuellement l'objet d'une étude d'autres organismes notamment du Haut Comité d'Etudes sur l'Alcoolisme. A la demande de plusieurs membres du Comité, il est précisé que l'action éducative vis‐à‐vis des enfants et des familles à propos des dangers de l'alcoolisme sera poursuivie avec le maximum d'intensité ; un para, graphe concernant cette éducation pourra être ajouté à la circulaire qui s'appliquera aux élèves internes des établissements de l'enseignement public et aux usagers des cantines scolaires. ‐ En ce qui concerne les colonies de vacances que le Dr ROBERT voudrait voir visées par la présente circulaire, il est décidé, après une ample discussion, que le Comité priera M. le Ministre (le l'Education Nationale de bien vouloir signer une circulaire analogue pour ces organismes. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 109 MINISTRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE DIRECTION DU SERVICE DE SANTÉ SCOLAIRE ET UNIVERSITAIRE AVANT‐PROJET de circurlaire 1956 8 à MM. les Recteurs, 3 Bureau CH S3. /Objet : Boissons de table dans MM. Les Inspecteurs d'Académie et MM. les Chefs d'établissements. les internats et cantines scolaires. Les instructions ci‐après ont pour but, d'une part de remplacer par des directives générales des instructions antérieures, parfois fragmentaires, sur la consommation des boissons alcoolisées dans certaines catégories d'établissements, d'autre part de donner dans le cadre de la politique de lutte anti‐alcoolique poursuivie par le Gouvernement depuis quelques années, les suites qui s'imposent au vœu formulé par le Haut Comité d'études et d'information sur l'alcoolisme et approuvé à l'unanimité par l'Académie nationale de Médecine le 7 février 1956. J'ai décidé en effet, après avoir recueilli l'avis du Comité Consultatif National d'H.S.U., de prendre un certain nombre de mesures concernant les boissons de table servies aux élèves internes des établissements d'enseignement de tous ordres, ainsi que les boissons consommées par les écoliers dans des cantines fonctionnant dans des locaux scolaires ou gérées. Par les organismes post et périscolaires. Ces mesures n'ont d'ailleurs pas pour objet de combattre la consommation de vin de bonne qualité dans la mesure où il en est usé modérément et à partir d'un certain âge.. Elles s'inspirent du souci de donner aux enfants et adolescents des principes de sobriété et le goût des boissons hygiéniques à la période de la vie où se créent des automatismes. L'âge (le 14 ans a été choisi par les conseillers les plus qualifiés comme celui au‐dessous duquel il faut proscrire la consommation de boissons alcoolisées, même si elles ne le sont qu'à un faible degré. Ce n'est donc qu'au delà de cet âge que l'on autorisera la consommation de boissons très légèrement alcoolisées. Pour la commodité, la démarcation entre le premier et le second cycle de l'enseignement du second degré (ou les classes équivalentes dans les autres enseignements) sera considérée en pratique AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 110 comme coïncidant avec l'âge limite de 14 ans. Enfin les élèves de grandes classes titulaires du baccalauréat ou en situation équivalente, seront considérés comme des étudiants. Les élèves des trois catégories ainsi délimitées, s'ils sont amenés à prendre leur repas dans la même salle à manger, devront être répartis autant que possible par tables séparées pour l'application des mesures ci‐après. 1° Première catégorie : élèves jusqu'à 14 ans. Pour cette catégorie on ne servira aucune boisson alcoolisée, même s'il s'agit de vin coupé d'eau, de bière ou de cidre. Les boissons de table admises sont les suivantes : eau, lait, jus de fruits, en particulier jus de raisins ou de pommes. Ces prescriptions s'appliquent à tous les internes ou demi‐pensionnaires des classes dont l'âge moyen ne dépasse pas 14 ans, dans tous les établissements d'enseignement du Premier degré (y compris les cours complémentaires) du Second degré ou de l'Enseignement technique. Elles seront également appliquées dans toutes les cantines qui fonctionnent dans des locaux scolaires, ou lorsque les repas sont apportés de l'extérieur par les écoliers, soumis à la surveillance du personnel enseignant au moment du déjeuner. 2° Deuxième catégorie : élèves de 15 ans el plus. Les boissons de table autorisées comprendront, outre celles prévues pour la première catégorie ci‐dessus, des boissons ne titrant pas plus de trois degrés d'alcool, sous forme de vin coupé d'eau, de bière légère ou de cidre léger. Les parents devront indiquer leurs préférences au moment de l'inscription annuelle dans l'établissement ; s'ils demandent qu'aucune boisson alcoolisée ne soit servie à leurs enfants, il sera accédé à leur désir. En règle générale, le vin (dans la limite d'un huitième de litre par élève) sera servi coupé d'eau. Toutefois la responsabilité du coupage pourra, si le chef de l'établissement le juge possible et opportun, être confiée à des chefs de table, étant entendu qu'en aucun cas le vin ne sera consommé pur. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 111 Ces prescriptions s'appliqueront aux élèves des classes dont l'âge moyen dépasse 14 ans, qu'il s'agisse de l'Enseignement primaire (cours complémentaires), du Second degré ou de l'Enseignement technique (collèges techniques, centres d'apprentissage). 3° Troisième catégorie : élèves assimilés aux étudiants. On servira aux élèves de cette catégorie les boissons hygiéniques autorisées ci‐dessus. Toutefois le vin sera présenté pur et le soin de le couper éventuellement sera laissé à ces grands élèves. Ces prescriptions s'appliqueront aux élèves des classes préparatoires aux Grandes Ecoles, aux élèves‐maîtres et élèves‐maîtresses des Ecoles normales primaires, aux élèves des Grandes écoles techniques. Les présentes instructions doivent être appliquées non seulement dans leur lettre mais surtout dans leur esprit, c'est‐à‐dire avec cette conviction qui est la mienne que la consommation de boissons saines et non alcoolisées, pendant l'enfance et l'adolescence, est une des meilleures mesures d'éducation sanitaire des enfants dont nous avons la charge. C'est pourquoi je demande de manière très pressante aux autorités académiques à tous les échelons, aux chefs d'établissements, aux médecins du Service de santé scolaire et universitaire, de veiller attentivement à l'application de ces mesures ; aux intendants, aux économes, au personnel enseignant et de surveillance, aux responsables des cantines scolaires de bien comprendre et de faire pleinement comprendre autour d'eux l'esprit qui les a inspirées. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 112 Psychologie de l'Adolescent D.ORIGLIA Lib. Doc. Psychiatrie et psychologie de l’université de Milan. 1963 de Milan Nous ne sommes pas sans connaissance sur l'adolescence, mais la conception que l'on en a est souvent un peu romanesque, littéraire. On en connait les troubles, les modifications qu'elle apporte au caractère, mais il faut surtout considérer ce qui se passe dans la profondeur de la personnalité. Dans nos sociétés actuelles, par suite de circonstances sociales, cette période est allongée. Elle dure environ dix ans pendant lesquels le jeune cherche à mûrir, alors que l'école, les parents empêchent celte maturation. A 14 ans l'enfant a toutes ses possibilités sexuelles ; or il sait qu'il doit attendre une dizaine d'années avant de pouvoir s'insérer vraiment dans la vie. On exige de lui qu'il fasse preuve d'un caractère vraiment personnel, à base de volonté. Or jusque‐là on avait été pour l'enfant plus coulant. Il est désormais obligé de choisir un comportement personnel. Les modèles de comportement sont très nombreux, beaucoup plus actuellement que dans les générations passées. D'où chez l'adolescent une confusion : il ne sait choisir le modèle le meilleur et préfère faire des expériences en surface sans se définir en profondeur, parce qu'il est trop éloigné de la situation qui lui permettrait de se réaliser. Vers douze ans déjà il est obligé de laisser de côté les explications d'ordre magique. Il est mis en demeure de devenir rationnel, sous la pression de l'enseignement scolaire. Celle crise intellectuelle est la plus émouvante. Cette obligation qui lui est faite de passer du monde AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 113 magique au monde rationnel fait naître en lui un double comportement de défense intérieure contre le rationnel : il s'exprime d'une façon télégraphique, le rendement scolaire baisse. Les variations du chimisme endocrinien ne jouent qu'un rôle secondaire, et ne sont pas le facteur principal du désarroi. Syndrome général de l'adolescence. M.DEBESSE y voit une crise d'originalité, qui se manifeste contre le monde environnant : opinions, idées. Le fait de ne pouvoir se réaliser dans la vie entraine une hypertrophie imaginative. Et ces deux attitudes peuvent comporter des dangers : une coupure avec le monde. On petit assister aussi à un super‐rationalisme, c'est‐à‐dire à un rationalisme morbide qui réduit les réactions émotionnelles et affectives, avec un comportement d'opposition, non seulement en paroles mais aussi en actions. Et tout cela peut constituer un cadre d'évolution psychopathologique, de petites schizophrénies. On peut assister aussi à une perte des relations objectales : l'objet perd de son importance (apragmatisme) ou bien devient d'une importance extrême. Relations avec la famille: Le monde affectif dans lequel le jeune avait jusqu'ici vécu était en rapport direct avec l'enfant. A l'adolescence tout change : les parents ne suffisent plus, et l'adolescent recherche un autre objet d'affectivité qu'il ne trouve d'ailleurs pas. Car la jeune fille du même âge a les mêmes problèmes. Elle ne cherche pas un camarade de son âge mais un homme plus mûr. D'où une haine contre les parents qui ne sont plus capables de satisfaire les nouveaux besoins affectifs. Et pour se tourner vers les nouveaux objets affectifs, il faut couper les liens anciens (fille‐père et garçon‐mère). Il ne peut se rendre libre qu'en se mettant en position (1 hostilité, et c'est une lutte épuisante. Au bout du compte il n'a rien. Alors il s'aime lui‐même. (Narcissisme anxieux). AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 114 Ce narcissisme a des conséquences psycho‐pathologiques : l'adolescent se surveille constamment et cela augmente les manifestations de sensibilité intérieure : l'anxiété ne fait que croître. Il a des phobies typiques. Il est dans une phase d'ascétisme, pas toujours religieux d'ailleurs il a besoin d'éprouver et de démontrer sur lui‐même la force de sa volonté ; il essaie de se dégager des besoins physiques, ce qui conduit encore à une situation psycho‐pathologique. Beaucoup de jeunes adolescents sont de petits schizophrènes dont les troubles vont jusqu'à l'autisme. Avenir des troubles psycho‐pathologiques de l'adolescence. On dit souvent « tout s'arrangera ». La vie actuelle donne à l'adolescence peu d'occasions de se décharger, de se défendre. Dans les générations précédentes, c'était moins grave parce que la période était moins longue, que les conditions de vie étaient de ce point de vue meilleures. C'est, la longueur de l'adolescence qui empêche le jeune de se débarrasser de ses troubles. La jeune fille est, elle, mieux protégée contre ces troubles, parce que les obligations de réussite scolaire et professionnelle sont moins impératives pour elle que pour le garçon. Le dépistage de ces troubles est primordial. Conclusion : Il faut aider l'adolescent à s'adapter en changeant à des situations qui changent. Il faut savoir garder une position élastique au lieu de l'obliger à devenir quelqu'un, quant au comportement ; il faut le laisser au contraire se réaliser de plusieurs manières dans des situations différentes. Réponses faites aux questions posées après la conférence. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 115 Envisageant le cas où les problèmes de l'adolescence passent inaperçus, M. ORIGLIA affirme qu'ils se posent après, après le mariage par exemple, pour les garçons surtout. Certaines mères insuffisamment occupées entourent trop l'adolescent : ces mères possessives créent autour de l'adolescent un climat affectif familial anormal. Comparant les étudiants et les ouvriers, M. ORIGLIA reconnait que le jeune ouvrier a moins de problèmes que l'étudiant. Mais le jeune ouvrier, entrainé par la facilité de produire quelque chose, et c'est le cas des techniciens, a tendance à ne plus s'occuper des autres facteurs de sa personnalité, d'ordre affectif par exemple, Les «blousons noirs » sont bien situés dans la profession, mais la société a oublié de développer leurs autres facultés. En somme ils sont trop hypertrophiés vers la production tandis que d'autres de leurs besoins sont insatisfaits. Les actes de violence dont ils se rendent coupables provoquent des détentes qui peuvent équilibrer en eux‐mêmes les facteurs non satisfaits. Le prix qu'ils ont payé pour s'adapter au monde social, technique est très lourd : une renonciation à l'intériorité. Au contraire, les étudiants eux sont trop intériorisés. Quant au problème du mariage les jeunes ouvriers se marient, mais ils ne sont pas de bons pères : restés trop infantiles, leur enfant n'a pas de dialogue possible avec eux. M. Clément LACNAY pose le problème des jeunes filles ouvrières qui par le travail passent, jeunes d'une famille très close à une société très ouverte. Le résultat de cette situation est souvent une initiation sexuelle précoce. M. le Dr DIATKINE attire l'attention sur le décalage qui existe au point de vue sexuel entre les besoins et la satisfaction particulièrement chez les garçons. Un garçon de 12‐13 ans a des besoins certains. Comment peut‐il leur résister ? Il est impossible à l'adolescent de lier sa vie sentimentale à sa vie sexuelle. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 116 M. le Dr KOLHER pose le problème de l'adolescent dans le monde rural. Les difficultés viennent de l'insuffisance de la formation professionnelle et les familles se trouvent souvent actuellement en pleins problèmes financiers, de remembrement, etc. AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 Le conseil scientifique de l’AFPSSU Monsieur Pierre Baligand, Inspecteur de l’éducation nationale honoraire chargé de l’adaptation et de la scolarisation des enfants handicapés, responsable du site "intégration scolaire et partenariat", Docteur Catherine Billard, neuro‐pédiatre à l’hôpital du Kremlin Bicêtre du Val de Marne. Professeur Jean.‐Jacques Detraux, professeur de psychologie et pédagogie de la personne handicapée. Département des Sciences Cognitives, faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de Liège. Professeur Jacques Fortin, pédiatre honoraire, professeur en santé publique et en sciences de l'éducation à l'université de Lille. Monsieur Bernard Gossot, docteur en psychologie, Inspecteur général honoraire de l'éducation nationale, médiateur de l'académie de Créteil, membre du haut conseil scientifique et pédagogique de l'APAJH, membre du CA de l'entraide universitaire, président du comité français pour la scolarisation des enfants et adolescents atteints dans leur santé. Docteur Virginie HALLEY des FONTAINES médecin hospitalo‐universitaire, chercheur à la faculté de médecine Pierre et Marie Curie Docteur Sophie Lemerle, pédiatre, centre hospitalier intercommunal de Créteil, responsable de la commission adolescent de la société française de pédiatrie, présidente de la société française pour la santé de l’adolescent (SFSA). Madame Laurence Levy Delpla Inspectrice d’académie, chargée de mission à la délégation interministérielle à la famille Professeur Daniel Marcelli, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, service universitaire de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent (S.U.P.E.A). Docteur Michèle Mazeau, médecin de rééducation pratiquant la neuropsychologie infantile, Paris. Docteur Xavier Pommereau, chef de service du Pôle aquitain de l’adolescent, centre Jean Abadie, CHU de Bordeaux . Professeur Jean ‐ Louis San Marco, Professeur de Santé Publique CHU de Marseille. Professeur Régine Scelles, professeur de psychopathologie, université de Rouen. Professeur Danièle Sommelet, présidente de la Société française de pédiatrie. Hôpital d’enfants, Vandœuvre‐lès‐Nancy. Docteur Anne Laurent Vannier, chef du service de rééducation des pathologies neurologiques acquises de l’enfant, hôpital Saint ‐ Maurice, Val de Marne. 118 L’AFPSSU remercie ses partenaires qui soutiennent ses actions et grâce à qui cette journée a pu être organisée Shire Human Genetic Therapies, spécialisé dans le développement de solutions thérapeutiques pour certaines maladies génétiques rares, et notamment pour la maladie de Fabry . http://www.shire.com/shire/ Notre rapprochement avec la MAIF permet de renforcer nos actions réciproques dans le domaine des activités à caractère éducatif et préventif. http://www.maif.fr/portal/maif/tous/ Sanofi Pasteur MSD est présent dans 19 pays européens. Sanofi Pasteur MSD contribue à la protection contre les maladies infectieuses, et notamment avec le vaccin GARDASIL. http://www.gardasil.fr/ Tetra pak mène deux actions clés : la défense de l'environnement et la nutrition des enfants qui construisent le monde de demain. http://www.tetrapak.fr/ L'Association Nationale pour l’Amélioration de la Vue a de multiples actions qui s'appuient sur des partenariats avec les Pouvoirs Publics ou des organismes agissant pour la même cause et notamment pour la vision des enfants, avec le Ministère de l'Education Nationale. http://www.asnav.org/ Le DERPAD est un dispositif public au service des professionnels de l’enfance et de l’adolescence en difficulté. http://www.derpad.com/ Les Editions FABERT publient des livres autour de la pédagogie, de l'orientation et de la place de l'enfant dans notre société. Les auteurs Fabert contribuent à la diffusion d’un esprit de recherche et d’interrogation par rapport à notre système éducatif http://www.fabert.com/pages/librairie‐science‐ education.php?n_1=71390&pid=71770 ANAE‐Revue de Neuropsychologie du Développement et des Apprentissages spécialisée traitant spécifiquement des troubles du développement et des apprentissages de l'enfant et de l'adolescent http://www.anae‐revue.com/ L’Association française de personnes souffrant de troubles obsessionnels et compulsifs mène des actions pour aider les malades et leur famille à mieux comprendre cette maladie http://www.aftoc.fr.st/ L’Association nationale et internationale de Loisirs, de Rencontre et d’Education pour les enfants et adolescents Précoces participe au développement des enfants et adolescents précoces par la mise en place de centres de vacances http://www.alrep.org/ AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 119 AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 120 Collection publiée par L'ASSOCIATION FRANCAISE DE PROMOTION DE LA SANTE SCOLAIRE ET UNIVERSITAIRE COLLECTION Médecine Scolaire et Universitaire Editée par l'AFPSSU FRANCE: 20 Euros Pour toute demande d'adhésion et de publication de travaux personnels ou de groupes, écrire au siège social ou contacter la Présidente sur le site. http://www.afpssu.com/ Imprimerie Vasti‐Dumas 42100 Saint Etienne Dépôt légal décembre 2009 N° d’imprimeur : Imprimé en France AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010 COLLECTION Médecine Scolaire et Universitaire 121 Editée par l'AFPSSU Du réel au Virtuel… Des prises de risque pour grandir autrement ? ‐ Parce que les prises de risque sont une des caractéristiques des comportements des enfants de plus en plus jeunes, des adolescents et des jeunes adultes, leur permettant de tester les limites, de s'autonomiser et de grandir...à condition d'être contenue…. ‐ Parce que beaucoup d’enfants, d'adolescents et de jeunes adultes recherchent en permanence leurs limites... ‐ Parce que l'expérience de la peur et son dépassement peuvent apporter de l'autosatisfaction et attirer le regard admiratif de l'autre… ‐ Parce que pour certains enfants, adolescents ou jeunes adultes la confrontation à la mort reste virtuelle, au travers des images de films, de jeux vidéo. Pour eux la mort devient alors un jeu qu'ils ont l'illusion de maîtriser… ‐ Parce que nombreux sont les enfants, adolescents ou jeunes adultes éprouvant le sentiment que tout est possible : la vie devant eux, sans limite, sans interdit, et la sensation de ne jamais en perdre le contrôle… ‐ Parce que les adultes se trouvent souvent démunis face à de tels comportements, ne sachant que dire ni comment faire… L'AFPSSU, Association Française de Promotion de la Santé Scolaire et Universitaire, et le SIUMPPS, Service Inter Universitaire de Médecine Préventive et de Promotion de la Santé, ont organisé cette journée pour tenter de mieux comprendre le sens de ces prises de risques : jeux dangereux, bitures express, conduites suicidaires... et l'influence que pourrait avoir Internet sur ces conduites. Quels impacts des jeux en ligne? Quels risques de se trouver confrontés à la cybercriminalité? Les spécialistes de ces questions ont permis de nous interroger et de réfléchir ensemble, aux enjeux pluriels à l'œuvre dans ces passages à l'acte, d’envisager les façons de les prévenir ainsi que les modalités de prises en charge de ces jeunes. 2010 AFPSSU – Du réel au virtuel…Les prises de risque pour grandir autrement – 22 janvier 2010