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Agilité professionnelle et mobilité : comment
responsabiliser les salariés et les employeurs ?
Aujourd’hui, une vie professionnelle ne suit plus la trajectoire linéaire d’antan. Sur un marché du
travail incertain, en proie à de profonds bouleversements depuis une vingtaine d’années, la notion
« d’emploi » a laissé place à celle « d’employabilité », et les salariés ne peuvent plus faire l’économie
d’une attitude plus responsable face à leur avenir professionnel. Sont-ils vraiment prêts à prendre les
rênes de leur carrière ? Et est-ce le rôle des entreprises de les y aider ? Les premières « boîtes à
outils » des responsables ressources humaines sont apparues dans les années 90, avec la mise en
place des dispositifs de GPEC, en réponse le plus souvent à des obligations légales. Du côté des
entreprises aussi, l’heure est à la responsabilisation, et elles ont tout intérêt à se saisir de la question
du développement de leurs ressources humaines. C’est tout l’enjeu de la RSE, toujours plus au cœur
des évolutions en cours dans la fonction RH.
Des salariés plus autonomes… si on leur montre la voie
Cécile Guillois-Bouillet, directrice du développement RH et de la formation chez SFR, et Claude
Mathieu, senior VP HR chez Sagem, constatent tous deux que les salariés sont davantage conscients
qu’il leur faut prendre leur carrière en main. Mais cette évolution ne s’est pas faite spontanément : il a
fallu pour cela que les entreprises « apportent beaucoup de visibilité » à leurs salariés sur leurs
possibilités de développement professionnel, par un certain nombre d’outils et de dispositifs
(entretiens annuels, fiches métiers, parcours de mobilité, formation…).
L’accompagnement du salarié dans son évolution professionnelle est un chantier qui mobilise les
entreprises, qu’elles l’envisagent comme une obligation liée à leur responsabilité sociale – au même
titre que l’insertion professionnelle des travailleurs handicapés ou l’emploi des seniors – ou comme un
simple élément de bonne gestion : « Attention à ne pas surinvestir dans l’émotionnel, prévient Claude
Mathieu, sinon on peut se retrouver à un moment donné en porte-à-faux avec les salariés. »
Bien souvent, on le constate, la mobilité reste envisagée en large partie à l’intérieur de l’entreprise.
« Il est très difficile de faire passer l’idée que la carrière peut se faire ailleurs », précise Cécile GuilloisBouillet. Le degré de maturité sur le sujet varie selon les populations et les générations, et les attentes
des salariés et de l’entreprise ne sont pas toujours convergentes. C’est le cas par exemple dans une
entreprise de haute technologie comme Sagem : « Il s’agit de trouver les moyens de retenir les
jeunes générations, les plus à l’aise sur le marché de l’emploi, tandis que pour les populations
ouvrières, en province, l’enjeu est plutôt de les mettre en mouvement, afin qu’ils soient capables de
suivre les évolutions profondes des métiers. Un salarié qui n’est pas en mesure de revoir son
portefeuille de compétences tous les 5 à 10 ans se met en danger professionnellement. » Certes,
l’entreprise doit donner de la visibilité à ses salariés, mais ceux-ci ont « le devoir de s’informer pour
anticiper ces évolutions ».
Un paradigme différent dans la fonction publique
Dans la fonction publique, les réformes engagées ces dernières années dans le cadre de la révision
générale des politiques publiques (RGPP), qui impactent fortement les organisations territoriales, font
que la mobilité est plus souvent subie que choisie.
Randstad – L’expansion – Congrès HR’
Compte-rendu du petit-déjeuner débat du 7 Décembre 2010
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« Les perspectives d’évolution de carrière se réduisent en raison de la réorganisation des services et
de la fermeture de certaines structures », explique Hélène Eyssartier, DRH au ministère de l’Écologie,
du Développement durable, des Transports et du Logement, un ministère où les 4/5 des agents
travaillent dans les services territoriaux. Avec une baisse des effectifs de 1,5 à 2 % par an, les freins à
la mobilité sont réels, notamment pour les cadres. « Auparavant, il y avait une tradition de mobilité,
principalement géographique, qui s’accompagnait d’une progression dans le parcours professionnel.
Depuis quelques années, la contrepartie de la mobilité n’est plus visible, ni sur le plan de l’évolution de
carrière, ni sur le plan pécuniaire ».
La loi de mobilité de 2009 n’en impose pas moins à l’État de jouer pleinement son rôle d’employeur,
qui a l’obligation de proposer à chacun de ses agents un emploi adapté à ses compétences. « Notre
problématique est donc de mettre en place l’ensemble des mesures qui nous permettront d’atteindre
le plus vite possible l’organisation efficiente que visent ces réformes. » Les plateformes de mobilité
d’un ministère à un autre et les passerelles public / privé sont des voies à privilégier. Ainsi, certaines
promotions sont désormais conditionnées par une mobilité au sein de la fonction publique, et des
directions départementales interministérielles ont été créées pour favoriser la mobilité entre les
ministères. Des partenariats bilatéraux se mettent aussi en place. Les passerelles public / privé sont
plus difficiles à faire vivre : « On sait encore mal valoriser ces parcours atypiques », reconnaît Hélène
Eyssartier.
Pour encourager une approche nécessairement nouvelle de la mobilité chez ses agents, le ministère
se dite d’un certain nombre d’outils proches de ceux que l’on retrouve dans le privé : bourse de
l’emploi, aires de mobilité fonctionnelle, formations, entretiens annuels et d’orientation… « La logique
du parcours de carrière pré-écrit n’existe plus », conclut Hélène Eyssartier.
Comment structurer la capacité des salariés à développer leur agilité
professionnelle ?
Pour enrichir sa « boîte à outils », SFR a créé il y a deux ans une Direction du développement des
Ressources humaines. La stratégie RH est, d’une part, de créer des dispositifs qui vont dans le sens
de l’employabilité des salariés et de leur évolution au sein de l’entreprise, d’autre part, de donner aux
collaborateurs une visibilité sur leur parcours professionnel. « On a mis en place un certain nombre
d’actions pour parler des métiers qui recrutent et des passerelles d’un métier à l’autre », explique
Cécile Guillois-Bouillet. Des espaces métiers existent ainsi désormais sur tous les sites de SFR, où les
collaborateurs peuvent trouver quand ils le souhaitent de l’information sur les métiers, les formations,
le coaching et l’assessment. Entre 12 h et 14 h, les RRH y animent aussi des séances d’information
thématiques (le DIF, la VAE, préparer son entretien annuel…). « Nous avons aussi dé-corrélé
l’entretien annuel d’appréciation et l’entretien de développement, pour vraiment donner au
collaborateur un temps de réflexion sur son parcours professionnel, avec le manager et le RRH. »
Chez Sagem, l’accord GPEC a été conçu pour être le plus global possible, de la stratégie de l’entreprise
à la déclinaison des entretiens individuels, afin de prendre des engagements clairs auprès des salariés
mais aussi des lignes managériales : « La difficulté réside souvent dans la capacité de la ligne
managériale à animer la mobilité de proximité, qui fait en sorte qu’une entreprise, ou un site, prend
l’habitude de la mobilité : ce n’est plus un traumatisme qu’on vit tous les 10 ans, mais une bonne
gestion que l’on vit à l’année. » Parmi les dispositifs mis en œuvre, outre la classique Charte de
mobilité qui précise les droits et devoirs des salariés et managers, Sagem a constitué un réseau
interne de conseillers carrière, les « druides » : des collaborateurs seniors qui ont une bonne
connaissance de l’entreprise et qui ont été formés aux entretiens de carrière. « Ils reçoivent les
salariés avec une double casquette, métier et RH. » Ayant vécu les évolutions de l’entreprise, et s’y
étant adaptés avec succès, ils sont des exemples d’agilité professionnelle à eux seuls. Une initiative
originale qui a aussi l’intérêt de véhiculer un message rassurant auprès des salariés : « Ce que l’on a
été capable de faire par le passé, on sera capable de le faire demain. »
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D’une entreprise à l’autre : les échanges de salariés, une pratique à
développer ?
Il arrive que certaines entreprises, qu’elles soient concurrentes ou partenaires, ou tout simplement
actives sur le même bassin d’emploi, nouent des accords pour transférer des collaborateurs de l’une à
l’autre. Est-ce une voie à explorer pour promouvoir la mobilité professionnelle ? « Nous l’avons fait il y
a 2 ans, par opportunité, en raison d’un plan de départs volontaires, commente Cécile Guillois-Bouillet.
Cela a été vécu positivement par les salariés qui restaient chez SFR, qui nous ont même demandé de
continuer d’aller voir à l’extérieur, pour eux, quelles sont les entreprises qui recrutent. » Le thème est
donc désormais abordé dans les accords de partenariat ou de sous-traitance : « Les offres d’emploi
circulent ». Autre action de promotion de la mobilité externe chez SFR : la création d’une cellule
essaimage visant à accompagner les salariés dans leurs projets de création ou reprise d’entreprise.
Chez Sagem, au contraire, la culture de l’actionnariat salarié fait que « le lien affectif est extrêmement
fort », au point que toute évolution du périmètre de l’entreprise peut être mal vécue. Dans ces
conditions, la promotion de la mobilité externe est difficilement envisageable. Sauf en cas de plan de
restructuration : « La logique de bassin d’emploi est intéressante quand on doit réaffecter du
personnel et qu’une mobilité géographique sur un autre site de l’entreprise n’est pas acceptable »,
souligne Claude Mathieu.
Le regard du paléoanthropologue
Pascal Picq, paléoanthropologue au Collège de France, a apporté une dimension complémentaire aux
débats en livrant une analyse évolutionniste de l’agilité professionnelle. « Très souvent, les angoisses
par rapport à la mobilité sont liées à des acquis culturels », a-t-il rappelé, avant de pointer les deux
freins à l’agilité professionnelle qui pénalisent la France : une prédominance, dans les mentalités, de la
notion de carrière linéaire, et ce qu’il nomme « la pratique de l’épouillage », c’est-à-dire le
« présentéisme », cette obligation d’être toujours présent dans l’entreprise si l’on veut y évoluer. « La
France est un pays qui n’accepte pas trop, par exemple, que l’on prenne des années sabbatiques. » Et
cela ne date pas d’hier… mais de Louis XIV : « C’est le plus grand éthologue de tous les temps ! Il a
complètement démobilisé la noblesse en la mettant dans une prison dorée, Versailles, et les a obligés
à s’épouiller en imposant l’étiquette », des règles très strictes qui régissaient la vie de la Cour.
Non seulement cet héritage culturel très profond d’un certain immobilisme « ne favorise pas
l’innovation, les nouvelles approches », mais il se marie mal avec une vie de plus en plus longue, où
nos compétences évoluent à chaque âge. « Pendant longtemps, il y avait trois périodes de la vie.
Aujourd’hui, il y en a cinq ». De l’adolescence à la « maturescence », on perd certaines aptitudes mais
l’on en développe d’autres. « Oui, les seniors sont capables de maîtriser les nouvelles technologies,
simplement ils ne s’y prendront pas comme les plus jeunes ! » Ainsi, l’entreprise devrait faire le bilan
des compétences à sa disposition, puis raisonner en termes d’organisation, et changer éventuellement
sa structure, et non pas l’inverse comme trop souvent. « Chaque individu peut devenir source de
proposition, d’innovation. Quand on parle d’innovation, on pense toujours aux techniques. Mais 80 %
des grandes innovations sont en fait de l’ordre des réorganisations. »
Ce que l’entreprise appelle « employabilité », finalement, l’anthropologue l’appelle « adaptabilité ». À
long terme, ce ne sont ni les plus forts ni les plus intelligents qui survivent, mais les plus adaptables.
Ce qui ne va pas sans une certaine « culture de l’essai-erreur » qui n’est malheureusement pas
valorisée dans notre pays.
Il ya là un vrai défi à relever pour la fonction RH, qui doit être capable de davantage de créativité,
prendre l’habitude de gérer des publics aux besoins de plus en plus différents, et devenir un acteur à
part entière dans la quête de sens entre l’entreprise et ses salariés.
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