Des assurés pris au piège du détecteur de mensonges

Transcription

Des assurés pris au piège du détecteur de mensonges
www.option-consommateurs.org
Des assurés pris au piège du détecteur de mensonges
Par Maryse Guénette
Sans doute avez-vous déjà entendu parler du polygraphe, aussi appelé détecteur
de mensonges. Mais savez-vous qu’il est utilisé chez nous ? Et que l’on s’en sert
notamment dans le domaine de l’assurance ? Selon le Bureau d’assurance du
Canada (BAC), il s’agirait là d’un moyen “ pertinent et légitime ” de freiner le
phénomène de la fraude dont sont victimes les compagnies d’assurance. Selon la
Coalition canadienne contre la fraude à l’assurance, au Canada, en 1997, les
pertes liées à la fraude dans le domaine de l’assurance étaient évaluées à 1,3
milliard de dollars. On peut comprendre que l’on cherche des moyens de contrer
une telle situation. Mais cela ne nous empêche pas d’être inquiet. L’utilisation du
polygraphe par les compagnies d’assurances soulève de nombreuses questions,
notamment quant à la fiabilité des données obtenues grâce à l’appareil et aux
conséquences que cela peut avoir pour l’assuré. Consommation s’est penché sur
la question.
Une mesure exceptionnelle
Dans le cours de notre recherche, nous avons communiqué avec une dizaine de
compagnies d’assurances. Une seule nous a dit ne pas utiliser le test du
polygraphe ; les autres nous ont affirmé y avoir recours, mais très rarement. Au
BAC, dont sont membres 99 % des compagnies d’assurances du Québec, on nous
a aussi dit qu’il s’agissait d’une procédure extrêmement rare. En fait, selon André
Beauchamp, directeur du service d’enquête du BAC, on n’utiliserait cet outil que
dans 2 à 3 % des cas sous enquête ; et moins de 1 % des réclamations feraient
l’objet d’une enquête.
On se tourne vers le test du polygraphe lorsque, même après avoir effectué une
enquête (celle-ci est réalisée soit par la compagnie d’assurances, soit par le BAC),
on n’a pas suffisamment d’éléments pour décider si le consommateur a droit à une
indemnisation. “ C’est le cas lorsqu’il y tellement d’éléments nébuleux au dossier
que l’on est incapable de s’expliquer ce qui s’est réellement produit, dit M.
Beauchamp. Mais aussi lorsque l’on soupçonne que l’assuré a participé d’une
manière ou d’une autre au sinistre ”.
Au BAC, on nous assure que, lorsque le test du polygraphe est demandé, tout se
fait dans le respect de l’assuré. En 1997, à la demande de l’Inspecteur général des
institutions financière, le BAC élaborait d’ailleurs, à l’intention de ses membres, un
Guide d’utilisation du polygraphe. Il s’agit en quelque sorte d’un code de
Option consommateurs - Dossiers___________________
Des assurés pris au piège du détecteur de mensonges – Avril 2002, 10 pages
déontologie, d’un outil de référence pour les assureurs. On y mentionne
notamment que l’assuré doit être libre d’accepter ou de refuser ce test, que ce
dernier doit être administré par un expert compétent, que la séance doit être
enregistrée sur support audio et vidéo, que l’assuré doit être informé du résultat du
test, et que ce dernier doit permettre de fermer le dossier.
Des opinions divergentes
Le Guide du BAC est certes une heureuse initiative. Mais elle ne suffit pas pour
rassurer les consommateurs. Car il y a un autre problème. Et il est de taille. C’est
que l’on ne sait pas encore si le test du détecteur de mensonges est vraiment
fiable. D’après le professeur Pïerre Patenaude, de la faculté de droit de l’Université
de Sherbrooke, pour déterminer si le test du polygraphe a une valeur scientifique, il
faut d’abord se demander si le principe qui est à la base de ce test est vrai. Ainsi, il
ne faut pas seulement vérifier si l’appareil enregistre bien les signaux qu’il est
censé enregistrer (pulsations cardiaques, sudations, rythme de la respiration). Il
faut aussi s’assurer que les gens ont des réactions physiologiques différentes
selon qu’ils mentent ou qu’ils disent la vérité, et cela en tenant compte de l’état de
nervosité dans lequel ils se trouvent au moment de subir le test dans des
conditions normales.
En jetant un coup d’œil sur les études, on s’étonne de constater à quel point les
résultats sont différents. Dans le volume 1 du livre Modern Scientific Evidence —
The Law and Science of Expert Testimony, publié aux Etats-Unis en 1997, un
chapitre est consacré aux détecteurs de mensonges. Plusieurs chercheurs
reconnus y exposent leur point de vue. Les plus critiques affirment que le test du
détecteur de mensonges n’est pas scientifique, notamment parce que trop
d’éléments incontrôlables sont susceptibles d’influencer les résultats ; l’état de la
personne au moment de subir le test et l’attitude du polygraphiste sont de ceux-là.
De plus, vérifier la validité du test est extrêmement difficile, car il est quasi
impossible de reproduire, en laboratoire, les conditions dans lesquelles se
trouvent, dans la vie réelle, les personnes qui ont à subir ce test. Et même lorsque
l’on réalise des études sur le terrain, on n’est jamais tout à fait sûr que les
participants ont effectivement, comme ils le prétendent, menti ou dit la vérité. En
fait, les seuls cas où les experts sont certains du résultat sont ceux où les
participants, après avoir échoué au test, font des aveux.
L’homme derrière l’appareil
M. John Galianos est polygraphiste indépendant et propriétaire de Galianos
Polygraphiste Expert, une firme qui a pignon sur rue à Laval. On s’en doute, M.
Galianos est un fervent défenseur du détecteur de mensonges. Selon lui, la fiabilité
de ce test varie entre 95 % et 98 %, “ lorsqu’il est bien fait ”.
“ Lorsqu’il est bien fait… ”, voilà qui laisse perplexe. D’autant plus que cette
nuance a été apportée par à peu près toutes les personnes que nous avons
interviewées. Pourquoi est-ce si important ? C’est que, en matière de polygraphie,
l’attitude du polygraphiste y est pour beaucoup. Vous vous imaginez que le test
débute au moment où on branche le participant à l’appareil? En fait, il commence
bien avant.
Option consommateurs - Dossiers___________________
Des assurés pris au piège du détecteur de mensonges – Avril 2002, 10 pages
Le polygraphiste rencontre d’abord le participant, histoire de lui expliquer le
fonctionnement de l’appareil et de lui faire signer une autorisation. À cette étape, il
doit aussi
s’informer de son état. “ Les personnes qui souffrent de maladie mentale avancées
ainsi que celles qui n’ont pas conscience du bien et du mal ne peuvent pas subir le
test du polygraphe, dit M. Galianos. Il en est de même des personnes qui sont
extrêmement fatiguées, qui viennent de vivre une épreuve, qui prennent des
médicaments ou qui sont très malades. Par exemple, une personne qui ressent
des douleurs ne peut pas subir le test. Comme il s’agit d’un test
psychophysiologique, l’appareil enregistrerait les spasmes de la personne, ce qui
aurait évidemment une influence sur les résultats. ”
Tout au long de la rencontre, le polygraphiste doit porter attention à ce qui pourrait
être anormal chez le participant. Cela est d’autant plus important que les
personnes qui désirent fausser les résultats disposent de plusieurs moyens pour
ce faire — il suffit de naviguer sur Internet pour s’en convaincre. “ Certaines
méthodes fonctionnent, admet M. Galianos. Mais nous les connaissons. Et dans
bien des cas, nous sommes en mesure de les déjouer. ”
Avant d’installer son appareil, le polygraphiste propose au participant de rédiger
trois des questions qui lui seront posées. Il lui montre également l’ensemble des
questions qu’il a lui-même préparées après avoir rencontré l’enquêteur de la
compagnie d’assurance. “ C’est pour éviter que le participant réagisse à une
question parce qu’il est surpris ou parce qu’il a du mal à en comprendre le sens,
explique M. Galianos. Dans les deux cas, cela pourrait fausser le résultat du test. ”
Enfin, c’est le polygraphiste, et non l’appareil, qui détermine si la personne a menti
ou dit la vérité. “ Ce que nous fournit la machine, ce sont des tracés indiquant les
différentes réactions physiologiques du participant à chacune des questions,
explique M. Galianos. On y voit des pics et des creux. Bien que l’appareil soit doté
d’un logiciel qui nous aide à effectuer cette partie du travail, c’est nous qui étudions
les tracés et faisons l’analyse des résultats. Cette opération nous permet de
déterminer si la personne a menti ou dit la vérité. ” Si bien qu’en matière de
polygraphie, selon M. Galianos, “ un bon résultat dépend à 20 % de la machine,
mais à 80 % du polygraphiste ”!
Un expert compétent ?
Une autre question se pose : peut-on être certain que tous les polygraphistes ont
une attitude correcte en tout temps, et qu’ils agissent toujours selon les règles de
l’art ? Selon M. Galianos, il n’y a pas de raison de craindre un quelconque
dérapage. “ Il y a seulement une dizaine de polygraphistes au Québec, dit-il.
Comme moi, ce sont tous d’anciens policiers et, à part moi, ils ont tous été formés
à la même école.”
L’école en question, c’est le Collège canadien de police, une institution administrée
par la Gendarmerie royale du Canada. La formation qui s’y donne est de 560
heures étalées sur 14 semaines, soit l’équivalent de ce qui est donné au
Department of Defense Polygraph Institute, aux États-Unis — selon M. Galianos, il
s’agit là de la meilleure école au monde, et le Collège canadien de police serait
sensiblement du même niveau. Pour y avoir accès, il faut notamment être policier
Option consommateurs - Dossiers___________________
Des assurés pris au piège du détecteur de mensonges – Avril 2002, 10 pages
ou membre des Forces armées canadiennes et avoir cinq ans d’expérience en
enquêtes criminelles.
Mais les polygraphistes sont-ils tous pour autant compétents ? “ C’est comme dans
tous les domaines, il peut aussi y avoir des prostitués ”, admet M. Galianos.
D’ailleurs, quelqu’un qui voudrait devenir polygraphiste sans passer par le Collège
canadien de police pourrait aller étudier la polygraphie aux États-Unis, revenir ici et
ouvrir son bureau. “ Pour l’instant, cela ne se fait pas. Je suis le seul polygraphiste
a avoir reçu une formation de base aux États-Unis. Je l’ai reçue en 1976 et, à
l’époque, il n’y avait pas de formation ici. ”
Il n’existe pas d’association regroupant les polygraphistes québécois, mais ceux-ci
seraient membres de la Canadian Association of Police Polygraphists, et
adhéreraient au code de déontologie de cette association. “ Les personnes
insatisfaites des services d’un polygraphiste peuvent d’ailleurs porter plainte
auprès de l’association, dit M. Galianos. Et puis, il y a également une certaine
surveillance dans le milieu même. Cela ne se fait pas de manière formelle, mais si
une compagnie d’assurance met en doute les résultats d’un test, elle les fera voir
par un autre polygraphiste. Vous savez, nous n’avons pas intérêt à bâcler notre
travail, car cela aurait tôt fait de se savoir. ”
Votre compagnie d’assurances vous a demandé de subir le test du polygraphe et
vous êtes inquiet ? Assurez-vous que le polygraphiste enregistre la séance sur une
cassette vidéo. Selon André Beauchamp, du BAC, cette manière de faire est
aujourd’hui la norme. “ Cela a pour effet de nous protéger ”, dit M. Galianos. Cela a
aussi pour effet de protéger les participants. “ Le polygraphiste nous remet le
résultat du test, mais conserve les cassettes vidéo, assure André Beauchamp. En
cas de litige, on peut demander à les voir et ainsi vérifier si le test s’est déroulé
comme il se doit. ” Rien n’empêcherait un assuré qui poursuivrait sa compagnie
d’assurances de faire de même…
Devant les tribunaux
Avant d’accepter ou de refuser de passer le test du polygraphe, sachez que tout ce
que vous direz pourrait être retenu contre vous, tant par une compagnie
d’assurances que par un tribunal. Car contrairement à ce qui se produit en droit
criminel, il arrive que les tribunaux civils acceptent de tenir compte du test du
polygraphe, cela depuis la célèbre décision de la Cour d’appel dans l’affaire de
l’Hôtel Central de Victoriaville contre la compagnie d’assurances Reliance, en juin
1998. “Il s’agissait d’un incendie causé volontairement, raconte Me Patrick Henry,
avocat chez Robinson Sheppard Shapiro. C’est l’assuré qui avait demandé à subir
le test du polygraphe. Il l’a réussi, puis il a voulu le présenter en cour. Le tribunal
de première instance a refusé. L’affaire s’est rendue en Cour d’appel, où on a
accepté que le test soit mis en preuve. On a par la suite permis à la compagnie
d’assurances de montrer le test à son propre polygraphiste, afin qu’il puisse en
faire l’analyse. ”
M. Galianos témoigne souvent en cour. Il présente alors les résultats du test qu’il a
fait subir à un assuré. Il se prononce aussi sur l’attitude de celui-ci au moment où il
l’a rencontré. “ Le comportement du participant nous donne de petits indices quant
à sa culpabilité, dit-il. Par exemple, les gens qui sont innocents ont hâte de passer
Option consommateurs - Dossiers___________________
Des assurés pris au piège du détecteur de mensonges – Avril 2002, 10 pages
le test, et ils suggèrent des questions directes qui concernent leur présumée
participation au sinistre. À l’inverse, ceux qui ont quelque chose à cacher
hésitent à se soumettre au test et suggèrent des questions vagues. Je peux aussi
parler de cela en cour. ”
Selon Me Éric Fraser, du cabinet Sylvestre, Charbonneau, Fafard, la cour ne
devrait pas admettre le témoignage d’un polygraphiste lorsqu’il va au-delà de son
expertise, qui se limite au test du polygraphe. “ Ce n’est pas avec leur formation de
quelques semaines que les polygraphistes peuvent se prononcer sur les réactions
d’une personne, dit-il. Ce ne sont ni des psychologues, ni des psychiatres ”.
Me Patrick Henry se fait rassurant. “ Vous savez, on ne pourra jamais faire
condamner quelqu’un seulement avec le résultat d’un test du polygraphe. D’autant
plus que le test n’est pas valable à 100 %. Et même s’il ne restait que 1 % de
chances que quelqu’un qui ment apparaisse comme disant la vérité ou, pire, que
quelqu’un qui dit la vérité soit pris pour un menteur, ce serait vraiment quelque
chose de catastrophique…. ” Après un moment de silence, il ajoute. “ Le résultat
du test du polygraphe n’est qu’un des éléments de preuve. Il y a bien d’autres
éléments qui sont mis dans la balance. Sans compter que, devant la cour, c’est le
juge qui décide. ”
Des consommateurs pris au piège
Admettons que, lorsque le cause se rend devant le tribunal, il n’y a pas de
problème. Mais voilà ! Tous les litiges ne sont pas soumis à la cour. Généralement,
c’est la compagnie d’assurances qui demande à l’assuré de subir le test du
polygraphe, et c’est elle, directement ou par le biais du BAC, qui fait affaire avec le
polygraphiste. De là à flairer un conflit d’intérêt… “ Je ne vois pas les choses
comme ça, rétorque Me Henry. L’assureur est capable de rendre un jugement
objectif. Et, contrairement à ce que la plupart des gens pensent, son but n’est pas
de ne rien payer, c’est de payer ce qui doit être payé. ”
Me Jacques Castonguay, du cabinet Mercier Leduc, reçoit parfois des
consommateurs auxquels des compagnies d’assurances ont demandé de subir le
test du polygraphe. “ Ils trouvent cette demande très difficile, dit-il. Souvent, cela
fait quelques mois qu’ils ont été victimes d’un sinistre. Ils étaient assurés, ils
croyaient que l’assureur allait leur verser une indemnisation, et ils continuaient à
payer leur créancier en attendant de la recevoir. Puis, à un certain moment, ils se
rendent compte que quelque chose ne va pas. Alors, ils se sentent perdus,
impuissants. ”
Que dit Me Castonguay à ses clients ? “ Je leur suggère toujours de refuser le test,
dit-il Vous parliez de conflit d’intérêt ? Selon moi, il n’y en a pas. L’intérêt est clair
et identifié. Les polygraphistes travaillent pour les assureurs et ils sont payés par
eux. Ils ne travaillent pas du tout pour les assurés. ” Selon M. Galianos, cela
n’empêche pas les polygraphistes de faire du bon travail. “ J’aurais l’air de quoi si
je faussais les résultats d’un test, que l’assuré était innocent, et que les policiers
arrêtaient le vrai coupable ? ”, demande-t-il.
Il y a aussi autre chose qui agace les juristes : l’attitude des assureurs.
“ Récemment, j’ai reçu un jeune homme à qui une compagnie d’assurances voulait
faire subir le test du polygraphe, raconte Me Fraser. Les enquêteurs n’avaient
Option consommateurs - Dossiers___________________
Des assurés pris au piège du détecteur de mensonges – Avril 2002, 10 pages
aucune preuve contre lui. Mais visiblement, ils s’étaient fait une opinion. C’était un
jeune, il ne payait pas ses comptes…”
Me Castonguay, pour sa part, dénonce le manque de transparence des
compagnies d’assurances. “ Lorsque j’essaie de connaître quels éléments sont
dans leur dossier, elles ne collaborent pas du tout, dit-il. Et elles ne sont jamais
capables d’affirmer que, si mon client réussit le test, elles l’indemniseront. ” Nous
avons posé la question à André Beauchamp, qui a donné la réponse suivante : “ Si
on demandait à un client de passer le test du polygraphe et qu’il le réussissait, on
aurait l’air fou de ne pas l’indemniser… ”. Alors, pourquoi ne pas le
dire clairement?
Vous vous demandez ce que vous devriez faire si, un jour, votre compagnie
d’assurances vous demandait de passer le test du polygraphe? Voilà une question
à laquelle il est bien difficile de répondre. Si vous refusez, les assureurs verront
peut-être dans votre décision un indice que vous avez quelque chose à cacher.
Par contre, si vous acceptez, vous serez peut-être blanchi. Mais comme le test
n’est pas fiable à 100 %, le risque qu’une erreur se produise existe toujours. Et
alors, pour vous, la pente sera plus dure à remonter que si vous aviez refusé...
Sans compter que les policiers, s’ils ont vent du résultat du test, pourraient rouvrir
leur enquête. Voilà, c’est le moins qu’on puisse dire, une situation dans laquelle les
consommateurs sont pris au piège…
Selon Me Fraser, les personnes aux prises avec un tel dilemme devraient toujours
consulter un avocat. “ Cette démarche leur facilitera grandement les choses, dit-il.
L’avocat évaluera la qualité de leur dossier, les éclairera sur leur situation et leur
proposera des stratégies à adopter. De plus, lorsqu’un avocat intervient dans un
dossier, en général, l’attitude de la compagnie d’assurances change. ” Que se
passe-t-il alors ? “ Tout dépend de la situation, répond Me Fraser. Dans certains
cas, il est possible de négocier ; dans d’autres, le consommateur doit entamer des
poursuites. Il s’agit d’une procédure longue et fastidieuse. Mais il faut savoir que, la
plupart du temps, un règlement survient avant que la cause ne se rende devant le
tribunal… ”
Les deux tests les plus utilisés chez nous
Selon le polygraphiste John Galianos, voici les deux tests de détecteurs de
mensonges les plus utilisés chez nous à la suite d’une réclamation d’assurance
contestée.
Le Control Question Test (CQT)(ou test des questions de comparaison) Ce test se
déroule en deux parties. Lors de la première partie, on pose à l’assuré une série
de questions dont on connaît la réponse. S’il disait toujours la vérité, il répondrait
tantôt par l’affirmative, tantôt par la négative. Mais voilà, on insiste pour qu’il donne
toujours la même réponse. Ainsi, on peut vérifier si l’appareil enregistre des
réactions différentes quand il ment et quand il dit la vérité. Cela permet au
polygraphiste de vérifier si tout fonctionne bien.
C’est le cas ? On passe à la deuxième étape. Les questions portent alors sur le
sinistre et on tente de savoir si l’assuré y a participé. Dans le cas d’un vol de
voiture, par exemple, on lui demandera s’il a volé sa voiture, s’il a comploté afin de
Option consommateurs - Dossiers___________________
Des assurés pris au piège du détecteur de mensonges – Avril 2002, 10 pages
faire voler sa voiture, s’il savait que sa voiture serait volée, etc. Ces questions sont
entrecoupées d’autres questions d’un type particulier.
Le Guilty Knowledge Test (GKT) (ou test de connaissance des faits). Ici, on
présume que le participant, s’il est impliqué dans l’événement, connaît des faits
qu’il ne connaîtrait pas autrement. On lui pose donc une série de questions sur un
élément précis qui a été découvert durant l’enquête et que les policiers n’ont pas
rendu public. Par exemple, si l’assuré a fait une demande d’indemnisation pour un
incendie qui s’est avéré de nature criminelle et qu’un bidon d’essence a été trouvé
sur les lieux de l’incendie, on présume que, si l’assuré est coupable, il connaît
probablement la couleur de ce bidon d’essence. On lui demande donc si le bidon
d’essence est bleu, puis s’il est vert, s’il est rouge, et ainsi de suite. Si le participant
a toujours des réactions physiologiques particulières lorsque l’on mentionne une
couleur donnée, et que c’est bel et bien la couleur du bidon d’essence qui a été
retrouvé, il devra s’expliquer.
À noter : Dans un test comme dans l’autre, chaque question est répétée trois fois,
et chaque fois, on change l’ordre des questions ; entre chaque question, il y a un
délai de 25 secondes.
Quelques résultats
Les résultats dont nous faisons état ici ont été colligés dans le livre Modern
Scientific Evidence — The Law and Science of Expert Testimony, dont le premier
tome a été publié aux États-Unis en 1997. Si nous avons choisi de vous présenter
ces résultats plutôt que d’autres — les études sur les polygraphes ne manquent
pas ! —, c’est qu’ils proviennent d’études effectuées par des chercheurs
reconnus1. Et que certains d’entre eux se prononcent ouvertement pour l’utilisation
du test du polygraphe, alors que d’autres s’y opposent.
En observant ces tableaux, on réalise que la personne qui n’a rien à se reprocher
prend un risque considérable en acceptant de subir le test du polygraphe. Si on se
fie aux résultats des études effectuées sur le terrain et portant sur le test CQT, elle
n’aurait qu’une chance sur deux de démontrer ainsi son innocence. Et 16 % de
risque que le test la désigne comme coupable…
Le Control Question Test (CQT) (ou test des questions de comparaison)
(Les chiffres représentent les résultats compilés de 8 études effectuées en
laboratoires publiées entre 1978 et 1994, et de 4 études effectuées sur le terrain
publiées entre 1988 et 1994.)
Études effectuées en laboratoire
Test fiable Test non Test non
fiable
concluant
… sur des personne coupables
77 %
10 %
13 %
… sur des personnes innocentes
84 %
8%
8%
Option consommateurs - Dossiers___________________
Des assurés pris au piège du détecteur de mensonges – Avril 2002, 10 pages
Études effectuées sur le terrain
… sur des personne coupables
Test fiable Test non
fiable
86 %
1%
Test non
concluant
13 %
… sur des personnes innocentes
49 %
35 %
16 %
Le Guilty Knowledge Test (GKT) (ou test de connaissance des faits).
(Les chiffres représentent les résultats compilés de 5 études effectuées en
laboratoire publiées entre 1959 et 1994, et de 2 études effectuées sur le terrain
publiées entre 1990 et 1992.)
Études effectuées en laboratoire
Test fiable Test non
fiable
Test non
concluant
… sur des personne coupables
86 %
14 %
—
… sur des personnes innocentes
99 %
1%
—
Études effectuées sur le terrain
Test fiable Test non
fiable
Test non
concluant
… sur des personne coupables
47 %
53 %
—
… sur des personnes innocentes
98 %
2%
—
1. Les chercheurs qui se prononcent en faveur de l’utilisation du test du polygraphe
sont notamment David C. Raskin et John C. Kircher, tous deux professeurs à
l’Université de l’Utah, ainsi que Charles R. Honts, professeur à l’Université de
Boise. Ceux qui se prononcent contre l’utilisation de ce test sont notamment David
Lykken et William J. Iacono, tous deux professeurs à l’Université du Minnesota.
Option consommateurs - Dossiers___________________
Des assurés pris au piège du détecteur de mensonges – Avril 2002, 10 pages
D’autres utilisations du détecteur de mensonges
En matière criminelle
Rejeté par les tribunaux dans les affaires de nature pénale, le test est utilisé par
des avocats de la défense qui veulent se faire une idée de la culpabilité de leur
client et par des policiers dans le cadre de certaines enquêtes criminelles. Dans
les deux cas, les résultats du test ont une influence sur la suite des événements. Si
le suspect échoue au test, l’avocat modifiera son approche, et le policier se servira
du résultat pour tenter d’obtenir des aveux. En revanche, si le suspect réussit le
test, on présentera le résultat à la couronne, qui en informera ses témoins. Il arrive
alors que ceux-ci avouent avoir tout inventé, et que le suspect soit blanchi…
En matière d’emploi
Certains employeurs retiennent les services d’un polygraphiste au moment de
l’embauche de nouveaux employés. Ils le font également en cours d’emploi, afin
de vérifier l’honnêteté de leurs employés, ou lorsqu’un problème de sécurité
survient. Cette manière de faire est fortement contestée. “ En matière de préembauche, les questions posées peuvent porter sur l’ensemble de la vie d’un
individu, déplore le professeur Pierre Patenaude, de la faculté de droit de
l’Université de Sherbrooke. Et les conséquences peuvent être extrêmement
graves. ” “ Sans compter que le fait de poser certaines questions peut être
carrément illégal !, ajoute Me Anne Pineau, du service juridique de la
Confédération des syndicats nationaux (CSN). En vertu de la Charte des droits et
libertés de la personne, aucune question ne devrait porter sur ce qui n’a pas de
lien direct avec l’emploi. ”
En 1985, la Commission des droits de la personne s’est penchée sur le problème.
Dans son rapport intitulé “ L’utilisation du polygraphe (détecteur de mensonges)
dans le domaine du travail ”, elle mentionnait que “ cette pratique aurait pu être
considérée comme une faute civile, même antérieurement à l’adoption de la
Charte, si elle avait été appliquée sans le consentement exprès de la personne
concernée ”. Or, la pratique serait de faire signer une autorisation au candidat à
l’emploi ou à l’employé avant de faire passer le test. “ Avec le consentement de la
personne concernée, un acte considéré comme illicite, parce que violant les
libertés fondamentales, peut devenir légal ”, peut-on lire dans le rapport. Par
ailleurs, la Commission s’interroge sur la validité d’un tel consentement. “ Peut-on
parler d’un consentement donné librement ?, demande Me Pineau. Les personnes
auxquelles on demande de passer le test du polygraphe ont-elles vraiment le
choix ? ”
Option consommateurs - Dossiers___________________
Des assurés pris au piège du détecteur de mensonges – Avril 2002, 10 pages