Fausses couches spontanées et morts fœtales in utero liées

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Fausses couches spontanées et morts fœtales in utero liées
BIOLOGIE
THÉMATIQUE
ET GROSSESSE
À TAPER
Fausses couches spontanées et morts fœtales
in utero liées à des anomalies de l’hémostase
Denis Massignona,*
RÉSUMÉ
SUMMARY
Il existe au cours de la grossesse une hypercoagulabilité physiologique
qui peut être majorée par des facteurs de risque génétiques et/ou acquis
de thrombose. Cela augmente le risque de maladie thromboembolique et
le risque de thrombose dans les vaisseaux du placenta et ainsi d’arrêt de
grossesse. Parmi les facteurs génétiques de risque de thrombose, le facteur V Leiden et le facteur II muté sont responsables de fausses couches
spontanées, tardives essentiellement. Les rares déficits en antithrombine,
protéine C et protéine S sont également impliqués. Les facteurs génétiques de risque de thrombose d’origine paternelle qui pourraient affecter
directement le fœtus ne semblent pas impliqués. C’est le syndrome des
antiphospholipides (SAPL), à l’origine de 15 % des FCSR, qui le plus fréquent avec des FCS qui surviennent à tous les stades de la grossesse,
précocement en perturbant l’invasion trophoblastique, ou tardivement
par thrombose des vaisseaux du placenta. Le traitement du SAPL chez la
femme enceinte, aspirine et héparine bas poids moléculaire, est efficace.
La production excessive de microparticules phospholipidiques, une diminution de l’annexine V à la surface des trophoblastes, le génotype 4G/4G
du PAI-1 pourraient expliquer des arrêts de grossesse.
Grossesse – perte fœtale – avortement spontané – thrombophilie –
syndrome des antiphospholipides.
1. Introduction
L’intérêt pour l’étude de l’implication des facteurs de risque biologiques prothrombotiques génétiques ou acquis
de la coagulation dans la survenue de fausses couches
spontanées (FCS) et de morts fœtales in utero (MFIU)
découle de plusieurs constats : 1/ Dans la population
générale le nombre de FCS est élevé [1] puisque 15 à 20
des femmes ayant une grossesse médicalement reconnue
ont au moins 1 perte fœtale, 5 % ont au moins 2 pertes fœtales et 1 à 2 % ont 3 FCS consécutives ou plus
avant la 20e semaine de grossesse. On parle alors de
fausses couches spontanées récidivantes (FCSR) [1].
a Laboratoire d’hématologie
Centre hospitalier universitaire Lyon Sud (Hospices civils de Lyon)
Université Claude-Bernard Lyon 1
69495 Pierre-Bénite cedex
* Correspondance
[email protected]
article reçu le 12 janvier, accepté le 28 janvier 2010.
© 2010 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.
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During pregnancy there is a hypercoagulable state that
is sometimes enhanced by genetic and/or acquired
thrombosis risk factors. This enhances the risk of
thromboembolic events and the risk of thrombosis
in the vessels of the placenta and thus pregnancy
losses. Among genetic risk factors, factor V Leiden
and prothrombin gene mutations are responsible of
spontaneous abortions, mainly late abortions. The
rare antithrombin, protein C or protein S deficiencies
are also implicated in some spontaneous abortions.
Paternal genetic risk factors of thrombosis that could
affect directly the foetus do not seem implicated in
pregnancy losses. Antiphospholipid syndrome (APS)
is the main acquired risk factor of spontaneous abortions, in 15% of cases. There are early abortions, by
impaired throphoblast invasion by lupus anticoagulant
or antiphospholipid, and late abortions by thrombosis in placental vessels. The treatment of APS in
pregnant women, with aspirin and low molecular
weight heparin, is save. An excessive generation of
phospholipidic microparticles, low levels of annexin
V on trophoblasts, the 4G/4G PAI-1 genotype could
also explain some pregnancy losses.
Pregnancy loss – spontaneous abortion – thrombophilia
– antiphospholipid syndrome.
2/ Un nombre important, 30 à 40 %, de FCSR restent
inexpliquées après les investigations courantes gynécologiques, hormonales et de caryotype [1]. 3/ Une circulation
sanguine utéro-placentaire normale est nécessaire pour
le bon déroulement de la grossesse; Cette circulation
sanguine est perturbée en cas de thrombose. 4/ Enfin
10 à 15 % de la population dite caucasienne présente un
facteur de risque génétique de thrombose [2].
Au cours de la grossesse, se produisent d’importantes modifications de l’hémostase qui entraînent un état
d’hypercoagulabilité [3]. Cette hypercoagulabilité
physiologique de la grossesse peut être accentuée par un
trouble moléculaire prothrombotique qui favorise thromboses et embolies pulmonaires et possiblement FCS,
pré-éclampsie, retard de croissance du fœtus.
Après avoir traité les variations de l’hémostase au cours de
la grossesse, nous envisagerons les thromboses pendant
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Dossier scientifique
Tableau I – Définitions
• Fausses couches spontanées récidivantes (FCSR) : 3 fausses
couches consécutives avant la 20e semaine de grossesse
ou 22e semaines d’aménorrhée (SA).
• FCS précoce = FCS du 1er trimestre (avant 15 SA).
• FCS tardive = FCS du 2e trimestre (15e-25e SA).
• Mort fœtale in utero de la 25e SA jusqu’au terme.
cette période et les différents troubles de l’hémostase à
l’origine de FCS et de MFIU. Les études sur ce sujet sont
très nombreuses, hétérogènes et le plus souvent rétrospectives. Elles varient notamment par le nombre de FCS
pris en compte pour l’inclusion des patientes, par le terme
de survenue de la FCS, par la définition des FCS précoces
ou tardives. Les auteurs ont ainsi inclus dans leurs études des femmes ayant eu 1, 2, 3 ou plus de 3 FCS à des
termes compris entre 10 et 28 semaines d’aménorrhée.
Le tableau I rapporte quelques définitions. Peu d’études
différencient les femmes qui n’ont aucun antécédent de
thrombose avant la grossesse [4] et celles qui ont une
histoire de maladie thrombo-embolique veineuse (on ne
parle de thrombophilie que si la thrombose est associée à
un facteur de risque génétique). Ces différences expliquent
un certain nombre de conclusions discordantes. Enfin, si
l’hypercoagulabilité d’origine maternelle a été beaucoup
étudiée, celle d’origine paternelle pouvant affecter le fœtus
lui-même l’a peu été. La finalité est bien sûr de préciser au
mieux les indications et les modalités (durée, posologie,
molécules) d’un traitement anticoagulant pour prévenir la
survenue d’une nouvelle FCS.
2. L’hypercoagulabilité
au cours de la grossesse
L’hypercoagulabilité est due à une augmentation de la
génération de thrombine et à des causes mécaniques.
• Il y a d’une part une augmentation pendant toute
la grossesse de certains facteurs de coagulation [3] :
fibrinogène, facteurs de la coagulation V, VII (2 à 3 fois la
normale), X, VIII, IX à l’origine d’une augmentation de la
génération de thrombine in vivo, ce que traduit une augmentation des marqueurs d’activation de la coagulation,
le fibrinopeptide A, le fragment F1+2 de la prothrombine,
les complexes thrombine-antithrombine qui atteignent en
fin de grossesse des taux comparables à ceux observés
dans les thromboses évolutives. Cette augmentation des
taux des facteurs de la coagulation est d’ailleurs responsable d’un net raccourcissement du TQ et du TCA chez
toutes les femmes en fin de grossesse. Le taux du facteur
Willebrand est multiplié par 2 à 3, permettant une correction
biologique et clinique des formes modérées de la maladie
de Willebrand pendant la grossesse et une absence de
sur risque hémorragique chez ces femmes. Au niveau du
placenta, il y a une expression très importante du facteur
tissulaire et de microparticules procoagulantes dérivées
des cellules endothéliales, des plaquettes activées et des
trophoblastes [5].
• Il y a d’autre part une diminution de la régulation de la
génération de thrombine favorisée par une baisse très
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précoce de la protéine S, à 40 % ou moins. Au cours de
la grossesse apparaît une résistance physiologique à la
protéine C activée en dehors de tout facteur V Leiden qui
est très significative en fin de grossesse chez 40 % des
femmes. Les taux d’antithrombine et de protéine C ne
sont pas modifiés.
• Enfin, concernant la fibrinolyse, il y a un triplement du
taux du PAI-1, principal inhibiteur de l’activateur tissulaire
du plasminogène (tPA) profibrinolytique, apparition d’un
2e inhibiteur du tPA, le PAI-2 produit par le placenta et
une augmentation modérée du TAFI, un autre inhibiteur
de la fibrinolyse, activé par la thrombine. Les productions
de plasminogène et de tPA augmentent également mais
le tPA est rapidement neutralisé par les PAI-1 et PAI-2. Il
existe cependant une augmentation continue du taux des
D-Dimer atteignant 1 000 ng/ml en fin de grossesse. Ceci
traduit une fibrinolyse accrue en réaction à une production
accrue de fibrine dans les vaisseaux sanguins, permettant
un maintient de l’intégrité des vaisseaux, et donc de la
circulation sanguine.
Cette activation de la coagulation suivie d’une fibrinolyse
réactionnelle salutaire peut être considérée comme une
CIVD de bas grade sans atteinte de l’endothélium vasculaire [6]. Au final, il existe un équilibre entre hémostase et
fibrinolyse, mais cet équilibre peut être rompu plus facilement qu’en dehors de la grossesse.
Des causes mécaniques propres à la grossesse majorent
l’hypercoagulabilité : il existe une stase augmentée due à
une hypervolémie, une compression des vaisseaux (veine
iliaque commune et veine cave en particulier) par l’utérus
gravide. Enfin, on note une distension veineuse, en particulier des veines para-utérines pendant la grossesse et
dans le post-partum et une diminution du tonus veineux.
Après l’accouchement il y a une baisse très rapide des
facteurs I, VIII, Willebrand et VII. L’activité fibrinolytique se
normalise en 30 minutes (chute du PAI-2 placentaire). Il y
a également une baisse de l’antithrombine et de la protéine S, une augmentation rapide des plaquettes entraînant
un risque accru de thrombose. Les différents facteurs se
normalisent en 3 à 6 semaines.
L’augmentation des thromboses au cours de la grossesse reflète bien cette hypercoagulabilité.
Il y a de 5 à 10 manifestations thromboemboliques pour
10 000 grossesses, 80 % de thromboses veineuses profondes (TVP) et 20 % d’embolies pulmonaires (EP) contre
1 pour 10 000 en dehors de la grossesse [7]. Cinquante pour
cent des manifestations thromboemboliques des femmes
de moins de 40 ans survient au cours de la grossesse ou
du post-partum. Les embolies pulmonaires constituent
l’une des premières causes de mortalité maternelle en
Europe, expliquant 20 à 30 % des cas.
La thrombose survient dans 50 à 60 % des cas avant
l’accouchement (la moitié des cas durant le dernier trimestre) et 40 à 50 % des cas dans les 6 semaines qui suivent
l’accouchement.
Les facteurs de risque les plus importants sont l’insuffisance veineuse, un poids corporel supérieur à 80 kg, la
multiparité, un âge supérieur à 35 ans, le tabagisme, les
cardiopathies (trouble du rythme…), le diabète sucré, les
troubles de l’hypertension liés à la grossesse, ainsi que
des antécédents de prothèse valvulaire dans les cas de
BIOLOGIE ET GROSSESSE
déficience cardiaque, des antécédents de thrombose.
Chez les patientes ayant un syndrome post-thrombotique
préexistant ou des antécédents personnels ou familiaux de
complications thromboemboliques, le risque de récurrence
durant la grossesse est de 9 à 12 %. Le facteur favorisant
majeur d’une TVP après l’accouchement est la césarienne;
Elle entraîne jusqu’à 20 TVP pour 10 000 et est retrouvée
dans 50 % des EP et 1/3 des TVP du post-partum. Les
troubles moléculaires de l’hémostase prothrombotiques,
tout particulièrement les plus fréquents, le FV Leiden, le
FII muté, ou l’association des deux sont impliqués [8] et
peuvent être découverts à cette occasion.
3. Place des troubles
de la coagulation à côté
des autres causes de FCS
Dans la population générale 15 à 20 % des femmes ont une
FCS, 4 % 2 FCS successives et 1 % 3 FCS successives
ou plus. Le risque de faire une nouvelle FCS est de 30 %
après 2 FCS et de 33 % après 3 FCS chez les femmes
n’ayant jamais eu de nouveau-né vivant, ce qui suggère
de faire une étude étiologique après 2 FCS [1]. Les causes
les plus reconnues de FCS figurent dans le tableau II [9].
Elles sont isolées ou associées.
Un facteur de risque génétique prothrombotique d’origine
maternelle est habituellement envisagé comme cause de
FCS plutôt à partir de la 12e ou 13e semaine de gestation
(15 SA) puisque c’est à partir de ce moment que le sang
maternel apportant les nutriments au fœtus commence
à circuler dans les espaces intervilleux du placenta [10].
Les facteurs de risque biologiques prothrombotiques à
l’origine de FCS sont héréditaires et/ou acquis [11]. Les
causes héréditaires incluent les déficits en antithrombine,
protéine C, protéine S relativement rares, la résistance à
la protéine C activée due surtout au FV Leiden, le gène
muté du FII, l’hyperhomocystéinémie due à l’allèle C677T
de la méthylène-tetra-hydrofolate réductase (MTHFR). Les
causes acquises comprennent le syndrome des antiphospholipides, l’hyperhomocystéinémie acquise par carence
d’apport en folates et vitamine B12 et la résistance à la
protéine C activée acquise, possiblement la génération
excessive de microvésicules phospholipidiques, le polymorphisme 4G/5G du gène du PAI1 et l’annexine V. Nous
allons présenter l’implication des ces différentes anomalies
dans la survenue de FCS et/ou de prématurité.
4. Faits établis sur les facteurs
de risque de thrombose
favorisant les FCS
4.1. Implication des facteurs de risque
héréditaires dans la survenue des FCS
En dépit d’une hétérogénéité des résultats des études [11],
deux méta-analyses [11, 12] montrent l’association entre
FCS et facteurs de risque héréditaire de thrombose. Dans
la plupart des études, la recherche de ces facteurs de
risque n’est effectuée que chez la mère.
Tableau II – Causes les plus fréquentes de fausses
couches spontanées récidivantes (FCSR) [9].
• Anomalies du caryotype fœtal : 3 à 60 % en fonction du terme
de la FCS : 60 % au 1er trimestre, 30 % au 2e trimestre et 3 % au
3e trimestre.
• Anomalies du caryotype des parents (2 à 4 % des FCSR).
• Infections (toxoplasmose, chlamydia, mycoplasme…).
• Malformations utérines (10 à 15 % des FCSR, essentiellement au
1er trimestre).
• Anomalies endocriniennes : insuffisance lutéale cause fréquente
de FCSR au 1er trimestre, syndrome d’ovaire polykystique fréquent,
diabète ou hypothyroïdie non contrôlés, hyperprolactinémie.
• Anomalies de la glaire cervicale.
• Anomalies immunologiques.
• Thrombophilie héréditaire et troubles acquis de la coagulation.
• Tabagisme.
• Consommation d’alcool.
FCSR : 3 fausses couches successives ou plus avant 20 semaines
de gestation.
• Facteur V Leiden ( G1691A)
C’est de loin le facteur de risque de thrombose le plus fréquent puisque la mutation hétérozygote concerne 5 % de la
population en France (jusqu’à 10 % dans l’Est de la France).
Dans une méta-analyse de 31 études, Rey [11] montre une
association significative entre le FVL et les FCSR avant la
13e semaine de gestation avec un Odd ratio et un intervalle de confiance à 95 % (OR ; IC 95 %) respectivement
de 2,01 et 1,13 à 3,58 et surtout avec les FCSR tardives
(OR : 7,83 ; IC 95 % = 2,83-21,67) ainsi qu’avec des FCS
non récurrentes tardives (OR : 3,26 ; IC 95 % = 1,82-5,83).
L’exclusion de l’étude des femmes ayant un autre facteur
de risque de FCS renforce la liaison entre FVL et FCSR. Les
FCS surviennent à tous les stades de la grossesse mais
plutôt tardivement. Grandone [13] retrouve le FV Leiden
dans 31 % des FCS des 2e et 3e trimestre et dans 7 % des
FCS du 1er trimestre et dans 4 % chez les contrôles. La
cohorte EPCOT [14] confirme le risque accru de FCS pour
le F5L (RR 1,4 ; IC 95 % = 0,4-4,7).
• L’allèle G20210A du gène de la prothrombine est
retrouvé dans 1 à 2 % de la population et entraîne
un risque de thrombose multiplié par 3. Il est associé
[10] à un risque accru de FCSR avant la 20 e semaine
(OR : 2,56 ; IC 95 % = 1,04-29) et de FCS isolées survenant
après la 20e semaine (OR : 2,30 ; IC 95 % = 1,09-4,87).
Martinelli [15] montre que le facteur II G20210A comme
le facteur V Leiden entraînent un triplement du risque de
FCS tardive.
• Déficits héréditaires en antithrombine, protéines C
et S
L’étude EPCOT [14] citée plus haut confirme un risque accru
de FCS chez des femmes sans antécédent de FCS et ayant
un déficit en protéine S (OR : 1,5 ; IC 95 % = 0,2-12,9),
en protéine C (OR : 1,5 ; IC 95 % = 0,3-7,9) et en antithrombine (OR : 1,6 ; IC 95 % = 0,3-14). Parmi ces femmes
déficitaires, le risque est accru chez celles ayant déjà eu
une FCS ou ayant plus de 35 ans entraînant un risque
relatif de 1,7 (IC 95 % = 0,6-4,6). Au moins 2 méta-analyses [11, 16] montrent que c’est le déficit héréditaire en
protéine S qui entraîne le risque le plus élevé de FCSR
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(OR : 14,72 ; IC 95 % = 0,99-218,01) et de FCS isolé tardive (OR : 7,39 ; IC 95 % = 1,28-42,63).
• Une résistance à la protéine C activée (RPCA) a été
recherchée par Sarig [17] chez 145 femmes ayant eu au
moins 3 FCS de la 7e à la 12e semaine de gestation, 2 ou
plus de la 13e à la 24e semaine et au moins une mort fœtale
in utero après la 24e semaine de gestation et chez 145 femmes ayant eu au moins une grossesse normale et pas plus
d’1 FCS au 1er trimestre. Une RPCA a été retrouvée chez
39 % des femmes avec FCS contre 3 % des contrôles
(OR : 18.0 ; IC 95 %, 7,0-53,6), la moitié seulement ayant
le FVL. Ceci est d’autant plus intéressant que le FVL et
la RPCA sont des facteurs de risque indépendants de
thrombose. La survenue des FCS se situait majoritairement au 1er trimestre. La RPCA sans FVL peut être due à
une augmentation du F VIII, FV, FII, un déficit en PS et à la
présence d’anticorps anticardiolipide ou antiphospholipide,
de lupus anticoagulant [18]. Rey confirme cette association
significative entre RPCA et FCSR avant la 12e semaine
(OR : 3,48 ; IC 95 % = 1,58-7,69) [11].
• La mutation de la MTHFR, allèle C677T, pris individuellement, n’est pas un facteur de risque de FCS même à
l’état homozygote. Cependant le génotype homozygote
augmente fortement le risque de FCS tardives chez ceux
qui ont un autre facteur biologique de risque de FCS, en
particulier déficit en protéine S, présence d’un anti-beta2
glycoprotéine1 IgG, d’un anticardiolipine IgG ou facteur V
Leiden, surtout en l’absence de supplémentation alimentaire en acide folique [4, 17].
• Un facteur génétique de risque de thrombose d’origine
paternel, présent chez le fœtus, peut-il expliquer certaines
FCS ? Les études sont peu nombreuses… et donnent des
résultats contradictoires. Cela peut expliquer la présence
de thrombi et de zones d’infarctus à l’interface fœtusplacenta dans certaines FCS comme cela a été observé
avec des fœtus porteurs du facteur V Leiden [19]. À l’inverse,
Gris [4] ne constate pas plus de FCS après la 20e semaine
de grossesse, que la normale lorsque c’est le père qui est
porteur du facteur de risque génétique.
4.2. États prothrombotiques acquis
• Le syndrome des antiphospholipides.
Les anticorps antiphospholipides (APA) et les lupus anticoagulants (LA) sont les plus fréquents facteurs de risque acquis de thrombose et ont une prévalence dans la
population générale de 1 à 5 % pour les APA et de 0,3 à
1 % pour les LA [20]. Le syndrome des antiphospholipides (tableau III) est une cause de FCS reconnue depuis
plus de 20 ans [21]. Les APA sont retrouvés chez 15 %
des femmes avec FCSR [17, 22]. Les arrêts de grossesse
surviennent à tous les stades de la grossesse et surtout
au cours des 2e et 3e trimestre [23]. Les APA perturbent
l’invasion throphoblastique et empêchent ainsi l’implantation embryonnaire dans l’endomètre, ce qui est à l’origine
de FCS de la période pré-embryonnaire ou embryonnaire
(jusqu’à la 9e semaine de gestation) [24]. D’un autre côté,
ils sont responsables d’une hyperactivation de la coagulation entraînant des dépôts de fibrine et des microcaillots
dans la circulation placentaire, et par conséquent une
hypoperfusion placentaire et des pertes fœtales. Plusieurs
mécanismes ont été proposés pour expliquer l’activation
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Tableau III – Syndrome des antiphospholipides [21].
On parle de syndrome des antiphospholipides (SAPL) uniquement
si au moins un critère clinique ET au moins un critère biologique sont
associés.
♦ Critères cliniques
• Un ou plusieurs épisodes confirmés de thrombose veineuse ou
artérielle.
• Complications de la grossesse :
- trois FCS ou plus consécutives à moins de 10 semaines
de gestation avec morphologie fœtale normale (documentée par
ultrasons ou examen anatomo-pathologique)
- une ou plusieurs morts fœtales à plus de 10 semaines
de gestation
- au moins 1 accouchement prématuré avant la 34e semaine
de gestation chez une femme présentant une pré-éclampsie
sévère, une éclampsie, un HELLP syndrome ou une insuffisance
placentaire grave.
♦ Critères biologiques
confirmés à 2 reprises à au moins 6 semaines d’écart
• Présence d’un lupus anticoagulant.
• Présence d’anticorps anticardiolipine (IgG et/ou IgM) à des taux
moyens ou élevés (> 40 GPL ou MPL ou > 99e percentile).
• Présence d’anticorps anti-β2 glycoproteine-I (IgG et/ou IgM)
à un titre supérieur au 99e percentile.
excessive de la coagulation par les APA et/ou LA : une
diminution de la production par les cellules endothéliales
de prostacycline, important agent antiagrégant et vasodilatateur, un excès de production par les plaquettes de
thromboxane, agent agrégant et vasoconstricteur, une
diminution de l’activation de la protéine C entraînant un
défaut de régulation de la génération de thrombine [25].
Enfin, les APA entraînent une diminution des taux d’annexine V présente normalement en grande quantité à la
surface des trophoblastes en contact avec le sang maternel,
et empêchant à ce niveau l’interaction avec les protéines
de la coagulation [26].
Dans une série historique, Dantal [27] montre que 280 grossesses contractées par 71 femmes porteuses du LA aboutissent à 20 naissances. Les placentas sont atrophiques et
présentent de nombreux microthrombis. Les nouveau-nés
sont prématurés et hypothrophes et les accidents thromboemboliques sont fréquents au cours de la grossesse et
du post-partum.
Les difficultés diagnostiques des LA [28], des antiphospholipides et des anti beta 2 glycoprotéine I sont réelles [29].
Des taux moyens ou élevés, fixés à une valeur supérieure
à 40 GPL ou MPL, ou supérieure au 99e percentile, sont
requis. La recherche des anticorps antiphospholipides
est réalisée en utilisant le plus souvent comme antigène
la cardiolipine. Dans une série de 866 femmes avec FCSR
ayant une recherche d’anticorps anticardiolipine négative,
la présence d’anticorps spécifiques antiphosphatidylsérine
a été retrouvée dans près de 10 % des cas [30], néanmoins la recherche de cet anticorps n’est pas effectuée
en routine.
Le traitement du SAPL chez la femme enceinte comporte de faibles doses d’aspirine (80 mg/j) commencées avant la conception en association avec l’injection journalière d’héparine de bas poids moléculaire à
titre prophylactique administrée dès que le diagnostique
de grossesse est posé [16, 31, 32]. Avec un tel traitement Rai [31] obtient 71 % de grossesse avec naissance
BIOLOGIE ET GROSSESSE
contre 42 % chez les femmes traitées par aspirine seule
(OR : 3,37 ; IC 95 % = 1,40-8,10) et 10 % de succès auparavant en l’absence de traitement anticoagulant.
• L’hyperhomocystéinémie, due à un défaut d’apport en folates, est associée aux FCSR précoces
(OR : 2,7 ; IC 95 % = 1,4-5,2) possiblement du fait d’un
défaut de vascularisation chorionique villeuse [33].
5. Développements récents
sur ce sujet
• Les microparticules phospholipidiques
Laude [34] a rapporté le premier l’association entre microparticules phospholipidiques circulantes (MP) et FCS. Les
microparticules [35] ou microvésicules sont des fragments
membranaires d’une taille inférieure à 1 micron libérés lors
de l’activation de plaquettes, de monocytes, de cellules
endothéliales ou lors de la mort de cellules apoptotiques.
La membrane plasmique des cellules est constituée d’une
double couche d’aminophospholipides répartis de façon
asymétrique, les aminophospholipides anioniques, phosphatidylsérine en particulier, étant répartis dans la couche
interne dans la cellule au repos. L’activation de la cellule
entraîne une externalisation des phospholipides anioniques
et la libération par bourgeonnement d’un fragment de la
membrane qui va devenir une microparticule sphérique. Les
MP diffusent rapidement dans les fluides biologiques et en
particulier dans le compartiment vasculaire. Elles expriment
à leur surface des antigènes membranaires caractéristiques
des cellules activées dont elles proviennent et également
les phospholipides anioniques procoagulants. Les MP du
sang circulant sont essentiellement d’origine plaquettaire
et sont riches en phosphatidylsérine qui augmente considérablement l’activité procoagulante du facteur tissulaire,
initiateur majeur de la coagulation, et est très impliqué dans
la constitution des complexes tenase et prothrombinase
de la coagulation. De plus, elles permettent les transferts
de protéines, comme le facteur tissulaire, des facteurs
activés de la coagulation, facteurs Va, VIIIa, IXa, Xa et de
lipides de cellules à cellules, comme les plaquettes activées, les cellules endothéliales, les leucocytes. Dans des
conditions physiologiques, ces MP porteuses du facteur
tissulaire sont indétectables, mais jouent un rôle important
au niveau d’une lésion vasculaire dans l’activation de la
coagulation. Les MP peuvent activer les plaquettes, stimuler l’apoptose et ainsi amplifier leur propre production.
En amplifiant et activant la cascade de coagulation, elles
peuvent entraîner des modifications pro-inflammatoires
de l’endothélium et une expression accrue du facteur tissulaire, de molécules d’adhésion, de facteur Willebrand
conduisant au final à une activation de la coagulation à la
surface de l’endothélium vasculaire. Elles sont retrouvées
à des taux élevés dans le plasma dans de nombreuses
pathologies en particulier dans les états prothrombotiques
observés dans les thrombopénies induites par l’héparine
et dans les infarctus du myocarde [35]. Pendant la grossesse, aux MP d’origine plaquettaire, endothéliale ou leucocytaire, dont le nombre augmente [5], s’ajoute des MP
exprimant le facteur tissulaire produit en grande quantité
par les trophoblastes riches en FT [36]. L’essentiel de
ces MP s’accumule dans l’espace intervilleux, exerçant un
rôle procoagulant significatif dans le placenta, une petite
partie de ces MP passe dans la circulation maternelle via
les veines déciduales. Inversement des MP produites par
la mère, éventuellement en quantité excessive, passent
dans l’espace villeux placentaire via les artères spiralées
[36]. Laude [34] a mesuré les MP chez des femmes avec
antécédents de FCS et chez des contrôles. Les prélèvements ont été réalisés au moins 2 mois après la grossesse.
Les femmes ayant eu des FCS ont été réparties en deux
groupes : un groupe de 49 femmes avec 3 FCS avant la
10e semaine de gestation et un groupe de 25 femmes avec
une FCS après la 10e semaine. La prévalence de thrombophilie héréditaire était identique à celle des témoins. Les
femmes du groupe contrôle ont eu une grossesse normale.
Des taux élevés de MP ont été trouvés chez 59 % des
femmes avec FCSR et chez 48 % des femmes avec FCS
tardive. Comme les dosages ont été réalisés à distance
de la grossesse, cela suggère l’existence d’un phénomène
chronique à l’origine de cette surproduction de MP, un état
prothrombotique acquis, qui s’exprimerait cliniquement
au cours de la grossesse. D’autres auteurs confirment
ces travaux [37, 38]. Les mécanismes responsables sont
mal connus, une inflammation chronique a été évoquée,
une sensibilité particulière des trophoblastes aux MP, des
dépôts de fibrine dans les vaisseaux du placenta. L’injection de MP contenant de la phosphatidylsérine chez des
souris gestantes entraîne des thromboses des vaisseaux
du placenta, des naissances prématurées avec des souriceaux de faible poids [39]. D’autres résultats viennent
contredire ces études, en montrant que le nombre de MP
exprimant la PS ou que les MP dérivées des plaquettes ou
des cellules endothéliales ne sont pas augmentés chez les
femmes faisant des FCSR et que la génération de thrombine
générée par ces MP n’est pas augmentée non plus [40].
Ces discordances pourraient s’expliquer notamment par le
dosage de MP d’origines différentes (plaquettes, cellules
endothéliales, trophoblastes …) et par des différences de
traitement pré-analytique des prélèvements, d’isolement
des MP, de leur technique de caractérisation. Les relations liant MP et certaines complications de la grossesse
(avortements, pré-éclampsie …) font actuellement l’objet
de nombreux travaux.
• Annexine V
L’annexine V (AV) est une protéine ubiquitaire qui a une
grande affinité pour les phospholipides anioniques et qui
est en grande quantité à la surface des trophoblastes
en contact avec le sang maternel. L’AV a des propriétés
anticoagulantes en raison de sa capacité à déplacer les
facteurs de coagulation des surfaces phospholipidiques,
et de sa capacité à diminuer l’expression du facteur tissulaire à la surface des trophoblastes. Elle assure donc un
rôle dans la thrombo-protection de l’espace placentaire
intervilleux. Le taux d’AV à la surface des trophoblastes
est diminué en présence d’antiphospholipides, d’un taux
élevé de MP, d’anticorps anti AV [41].
Un haplotype M2 du gène de l’AV a été identifié [42],
responsable d’une diminution de l’expression de cette
protéine à la surface des trophoblastes à un taux de 37 à
42 % de la normale, et associé à un risque accru de FCS
(OR : 2,42 ; IC 95 % = 1,27-4,58).
REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - AVRIL 2010 - N°421 //
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Dossier scientifique
• L’implication du polymorphisme 4G/5G du promoteur
du gène du PAI1 dans la survenue des FCS a été étudiée.
Le génotype 4G/4G, est associé à un taux plasmatique
élevé de PAI-1 responsable d’une hypofibrinolyse et d’un
nombre accru de thromboses, Dans l’étude de Ghosh
portant sur 430 FCS ce génotype, retrouvé chez 20 % des
femmes contre 9 % des contrôles, est associé à un risque
accru de FCS (OR : 2,3 ; CI 95 % = 1,2-4,7) et de thrombose
pendant la grossesse (OR : 6,1 ; IC 95 % = 2,3-15,8) [41].
Les arrêts de grossesse surviennent à tous les stades de
la grossesse [43].
6. Conclusion
Alors que 90 % des premières FCS sont dues à une anomalie chromosomique du fœtus [14], survenant essentiellement au cours du 1er trimestre, plus de 50 % des FCS
répétées sont dues à un trouble de la coagulation. Le
lupus anticoagulant et les anticorps antiphospholipides
sont les plus incriminés dans la survenue de FCS. Parmi
les facteurs de risque génétique, le facteur V Leiden et
l’allèle 20210A du facteur II, fréquents dans la population,
sont maintenant incriminés de même que les rares déficits
en AT, PC et PS. Les arrêts de grossesse surviennent à
tout moment de la grossesse, mais plus souvent tardivement. Des études ultérieures sont nécessaires pour
confirmer le risque lié à une résistance à la protéine C
activée et aux polymorphismes du promoteur du PAI-1.
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À l’hypercoagulabilité systémique physiologique de la
grossesse, éventuellement majorée par d’autres facteurs de
risques, il faut ajouter une hypercoagulabilité locale potentielle, due à une production excessive de microparticules
phospholipidiques dont l’étude est en plein essors.
Un bilan biologique de dépistage des facteurs de risque
biologique de thrombose est recommandé pour les femmes ayant eu au moins 3 FCS successives au cours du
1er trimestre, 2 FCS ou plus au cours du 2e trimestre, 1 mort
in utero ou plus au cours du 3e trimestre [44].
Des traitements par anticoagulants, le plus souvent une
héparine à bas poids moléculaire, pour prévenir les FCSR
ont été évalués dans un grand nombre d’études en particulier
chez des femmes atteintes d’un syndrome des antiphospholipides ou porteuses d’un facteur V Leiden, facteur II 20210A
ou d’un déficit en antithrombine, protéine C ou protéine S
[16]. Dans le SAPL, l’association aspirine et HBPM a fait la
preuve de son efficacité et diminue significativement le risque d’arrêt de grossesse. Des résultats favorables, jusqu’à
86 % de succès [45] ont été obtenus, mais d’autres études
prospectives randomisées sont nécessaires pour préciser
au mieux les modalités thérapeutiques.
Remerciements
L’auteur remercie le Professeur Olivier Dupuis, Service de gynécologie
obstétrique du Centre hospitalier Lyon Sud, pour son travail de relecture
et ses commentaires très intéressants.
Conflit d’intérêt : Aucun
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