La réadaptation professionnelle des personnes handicapées

Transcription

La réadaptation professionnelle des personnes handicapées
La réadaptation professionnelle des personnes
handicapées : un tremplin vers l’emploi
M. Alain Zumbrunnen
Directeur du centre de formation professionnelle Oriph de Morges
« Dans mon intervention, je vais tenter de vous apporter un éclairage sur l’un des aspects de l’assurance invalidité, à
savoir : la réadaptation professionnelle.
Permettez-moi, dans un premier temps, de vous présenter brièvement l’Oriph, « Organisation Romande pour
l’Intégration professionnelle des Personnes handicapées ».
L’association Oriph a été créée en 1948 à Lausanne par le Professeur Placide Nicod. Ce qui avait été fait, pendant la
guerre, pour les enfants étrangers victimes des hostilités devait l’être aussi pour les enfants suisses atteints à la naissance
d’un handicap. M. Nicod, médecin, ainsi que d’autres personnalités ont fondé ce qui s’appelait à l’époque le « Centre
d’observation professionnelle pour infirmes ».
Les spécialistes des assurances sociales constateront que la naissance de l’Oriph est antérieure à l’assurance invalidité,
qui est entrée en vigueur en 1960 seulement !
En étroite collaboration avec les Offices de l’assurance invalidité de Suisse Romande, l’Oriph a pour mission de
·
créer et gérer des structures adaptées à la population prise en charge et répondant aux mandats des services
placeurs
·
d’offrir des prestations d’observation et/ou d’orientation professionnelle
·
de dispenser des formations de qualité répondant aux besoins des entreprises
·
et enfin de favoriser l’intégration professionnelle et collaborer étroitement avec l’économie.
Tout en répondant aux besoins de toute la Suisse Romande, l’association Oriph est active dans les cantons de Vaud, du
Valais et du Jura. Plus précisément :
·
à Morges pour le reclassement d’adultes dans le domaine secondaire—nous y reviendrons par la suite
·
à Pomy sur Yverdon pour le reclassement de jeunes adultes et d’adultes dans le domaine tertiaire — commerce,
secrétariat, informatique, chimie, etc
·
à Sion pour des jeunes en formation professionnelle initiale
·
à Delémont pour le reclassement d’adultes en mécanique de précision
·
et enfin à Yverdon pour des expertises, soit de déterminer si des chances de réadaptation sont envisageables ou si
l’assuré s’achemine vers une rente de l’assurance invalidité en raison de son état de santé.
Ce dernier élément me permet de rappeler un objectif essentiel de l’assurance invalidité à savoir que
La réadaptation
prime la rente
En d’autres termes empruntés à la loi AI :
… la rente doit céder le pas aux mesures
de réadaptation qui visent à rétablir, à
développer ou à sauvegarder la capacité
de gain. Le droit à la rente revêt ainsi un
caractère subsidiaire dans la mesure où
elle ne peut être allouée que si la
réadaptation n’est pas possible ou ne l’est
que d’une manière insuffisante …
Les Offices AI ont donc pour mission,
entre autres, de déterminer si l’assuré va
être au bénéfice d’une rente ou si un projet
de réadaptation est envisageable. Dans le
deuxième des cas, le collaborateur de
l’assurance invalidité favorisera une
réadaptation professionnelle directement
avec les entreprises ou alors fera appel à
un centre de formation professionnelle.
A cette étape du projet de réadaptation, lorsque l’Office AI sollicite les services d’un centre de formation
professionnelle, il y a fort à parier que l’assuré n’est pas en mesure de réinsérer professionnellement sans une aide
extérieure. Les raisons sont multiples :
·
Une trop longue durée d’inactivité professionnelle
·
L’incertitude quant à la réussite d’un projet de réadaptation d’où le besoin d’une phase initiale d’observation
·
Le besoin d’effectuer une orientation professionnelle avant de débuter une formation en centre ou en entreprise
·
La nécessité d’un encadrement social pour une période limitée dans le temps
·
Un ré-entraînement au travail dans un milieu adapté
·
Et d’autres raisons encore …
Je vais aborder maintenant les prestations offertes par le centre Oriph de Morges, prestations que vous trouverez
également dans les autres centres Oriph, ainsi que dans les centres de formation spécialisée tels que Le Requis à
Grandson ou encore le CIP «Centre d’Intégration Professionnelle» à Genève. Les différences entre les centres se situent
au niveau de la population accueillie, du choix des prestations de base - observation, orientation, formation - ou encore
des métiers dispensés.
A l’Oriph de Morges, plus de 90 places de stages sont à disposition des assurés. Ces derniers proviennent de toute la
Suisse Romande bien qu’en majorité du canton de Vaud. La moitié environ sont de nationalité Suisse, l’autre moitié du
bassin méditerranéen dont un pourcentage important de Portugais. En fait, la nationalité suit très souvent les
mouvements migratoires.
La moyenne d’âge est de 35 à 37 ans, des hommes en très grande majorité. Environ 50% des assurés souffrent de
problèmes lombaires et un tiers de problèmes à un membre inférieur ou supérieur. Il n’est pas rare qu’un handicap
ajouté, reconnu ou pas par l’AI, à caractère psy ou pas, soit également présent.
Un point commun qui n’a pas frontière, pas d’âge et pas de sexe, relie presque tous les assurés. Il s’agit de la douleur.
Pour les personnes accueillies, le centre Oriph de Morges peut offrir la palette complète des prestations de réadaptation.
A savoir :
Þ
Une observation professionnelle qui a pour but d’évaluer les compétences et les acquis de l’assuré. De découvrir
et d’exploiter ses capacités résiduelles de travail. Et surtout de pratiquer une ou plusieurs activités
professionnelles dans un domaine technique.
Þ
Nous dispensons également des prestations d’orientation professionnelle qui doivent déboucher sur le choix
d’un métier adapté au handicap, à l’intérêt et aux compétences de l’assuré. Par une mise en situation pratique, ce
dernier effectue des stages internes dans le centre et/ou externes dans des entreprises.
Þ
Un autre volet essentiel de la réadaptation est la formation professionnelle. Plusieurs métiers répondant aux
critères économiques sont dispensés dans le centre : nous formons des mécaniciens, des dessinateurs, des
gestionnaires en logistique, des monteurs de tableaux électriques, des soudeurs - serruriers et des concierges -.
Dans la suite de l’exposé, je reviendrai sur quelques éléments en lien avec la formation.
Þ
Enfin, la dernière des prestations et sans doute la plus importante concerne l’intégration professionnelle des
assurés. Il est à relever qu’il n’est pas officiellement du ressort des centres, selon le mandat des Offices AI, de
favoriser le placement d’une personne réadaptée dans une entreprise. Mais c’est le choix éthique et stratégique
de la majorité des centres de formation.
Þ
Avec un assuré acteur de son projet de réadaptation, il est de notre responsabilité de tout mettre en œuvre pour
qu’un emploi soit l’aboutissement de notre travail. Les formateurs, l’encadrement social et le service
d’intégration professionnelle œuvrent dans ce sens.
Mais revenons à la formation dispensée dans le centre.
Afin de répondre aux besoins de chaque stagiaire adulte et de prendre en compte les particularités de chacun, un cadre
général de formation est défini, à l’intérieur duquel un programme individualisé est établi, basé sur le projet de
réadaptation. De ce fait, nous sommes en mesure d’accueillir des nouveaux stagiaires toutes les semaines.
La durée des mesures, soit les mandats des Offices AI, s’étendent de 3 semaines pour un stage probatoire à environ 24
mois pour une formation Oriph. Les stages d’observation et d’orientation sont de 3 mois. La durée des stages est
devenue le maillon faible de la réadaptation. Je m’explique : la loi AI est basée sur une notion d’équivalence. C’est à
dire qu’une personne au bénéfice d’un CFC —certificat fédéral de capacité - obtenu après 4 ans de formation aura la
possibilité d’acquérir un nouveau CFC d’une même durée et dans un métier adapté à son problème de santé. La notion
12
d’équivalence concerne également les revenus : un salaire de CHF 5’600.– par mois permettra une réadaptation de
longue durée afin que l’assuré gagne, à terme, un salaire identique.
Situation à la sortie du centre
Toutes durées confondues (125 assurés en 2003)
37 assurés
Emploi, stage en vue d’un emploi
30 %
%%
20 assurés
CFC entreprise et formation centre
16 %
18 assurés
Recherche d’un emploi
14 %
38 assurés
Réorientation
30 %
12 assurés
Stage probatoire, incapacité, divers
10 %
Afin d’assurer au mieux notre rôle de tremplin entre le centre et les entreprises, plusieurs types de formation sont
proposés en fonction des compétences acquises et du projet professionnel de l’apprenant :
P
des formations en centre avec un statut d’externe ou d’interne selon le lieu de provenance
P
des formations en entreprises organisées sous la responsabilité socioprofessionnelle et administrative du centre
P
des formations mixtes, à savoir 4 jours en entreprise pour la pratique et 1 jour en centre pour les cours
théoriques.
Abordons maintenant un autre aspect du travail de réadaptation, à savoir les certifications. Comme je l’ai déjà indiqué,
une approche individualisée est pratiquée dans le centre. Il en résulte des certifications différenciées.
P
Le titre le plus élevé est le CFC. Pour favoriser la réinsertion de l’assuré et limiter les frais de réadaptation, nous
réalisons la première année d’apprentissage en centre et les 2 ou 3 suivantes directement en entreprise.
P
Un certificat Oriph est décerné aux assurés après une formation de 18 à 24 mois selon les métiers—après
examens.
P
Sur une durée légèrement plus courte, un certificat Oriph de praticien peut être délivré pour les personnes
limitées au niveau théorique
P
Enfin, deux types d’attestations sont également remis. L’attestation de compétence pour les stages d’environ une
année qui n’aboutissent pas à une certification et les attestations de stage pour les courtes durées.
Enfin, je terminerai cette partie consacrée à la formation par des prestations parallèles offertes aux assurés. Ces services
annexes à la formation revêtent une grande importance afin d’aboutir à un reclassement.
Une petite équipe de travailleurs sociaux a pour mission d’accompagner les assurés et de répondre à leurs besoins en
qualité de ressource. Trop souvent, des facteurs extérieurs peuvent interférer dans leur formation, comme : un
endettement, la compréhension et la gestion de leur situation dans la jungle des assurances sociales, des tensions
familiales, de grandes difficultés à gérer leur douleur ou encore faire le deuil de leur ancien métier. Le service social
apporte également sa contribution dans le cadre de bilan, de cours de technique de recherche d’emploi, c’est-à-dire la
rédaction d’un CV ainsi que des entretiens de recrutement fictifs.
L’aspect santé est pris en compte mais nous veillons à ne pas nous substituer au médecin. Le service santé apporte des
conseils quant à la posture sur la place de travail, l’utilisation de moyens auxiliaires et surtout un encouragement à
reprendre des activités physiques adaptées au problème de santé.
Sur la base de quelques statistiques 2003- situation à la sortie du centre -, je vais aborder quelques résultats de notre
action dans le cadre du reclassement de personnes handicapées, de notre rôle de tremplin entre le centre et les
entreprises. A noter que ce transparent présente toutes les sorties de l’année 2003, soit les stages probatoires de 3
semaines, les stages d’observation ou d’orientation de courte durée, tout comme les formations plus longues.
13
Tout d’abord, de nombreux facteurs doivent être favorables pour que nous puissions considérer notre objectif comme
atteint : soit l’acquisition d’un nouveau métier et/ou un emploi dans une entreprise. Parmi les facteurs négatifs qui
peuvent porter préjudice au projet de réadaptation, je mentionnerai :
·
Une trop longue période d’inactivité avant le début de la réadaptation
·
Un niveau scolaire insuffisant et une progression trop faible
·
Une durée de réadaptation trop courte - notion d’équivalence –
·
Un manque de motivation et de volonté de l’assuré
·
Ou encore, ce qui est malheureusement trop souvent le cas, un état de santé trop péjoré pour qu’un espoir de
réadaptation soit envisageable.
Ces éléments, ainsi que le type de mandat donné par l’Office AI—observation professionnelle par exemple—peuvent
expliquer le nombre important de personnes figurant sous la rubrique «réorientation ».
Par contre, les résultats peuvent être considérés comme positifs pour 46% des assurés sortis en 2003 car le projet de
reclassement a abouti à un emploi ou à la poursuite de la formation en entreprise.
A noter enfin qu’un assuré sur six était à la recherche d’un emploi à sa sortie du centre. Parmi ceux-ci se trouvaient des
personnes qui avaient bénéficié de très courtes mesures de réadaptation d’où la difficulté de trouver un emploi.
Reprenons les mêmes éléments statistiques, mais en ne considérant que les assurés qui ont effectué un stage de 10 mois
ou plus dans le centre, donc le temps nécessaire minimum pour entreprendre une formation et envisager un projet de
réadaptation.
Dans un premier temps, nous constatons que le nombre de sorties lors de l’année écoulée a passé de 125 à 38. Ce qui
veut dire que moins d’un assuré sur trois bénéficie d’une mesure pouvant être considérée comme de «moyennee
durée ».
Dans ce cas de figure, 58 % des assurés ont transité du centre à une entreprise, avec un emploi ou une poursuite de
formation à la clé. Ce résultat peut être considéré comme très bon vu la morosité du marché du travail et la réticence de
certains employeurs à engager des personnes réadaptées mais tout de même handicapées !
A noter également qu’une personne sur quatre était encore à la recherche d’emploi le jour de sa sortie du centre. Mais
un complément d’enquête effectué pour les sorties de l’année 2001 a démontré que la grande majorité des personnes
réadaptées ont obtenu un emploi dans les 3 mois suivant leur départ du centre. Soyons donc optimistes et confiants !
Ces quelques éléments statistiques, forts
semblables d’année en année, démontrent
deux évidences :
Utopie ou Avenir ?
1)
que
l’important
investissement
financier lié à un projet de
réadaptation porte généralement ses
fruits. Au lieu d’une rente à vie,
l’assuré devient travailleur et l’Office
AI peut classer le dossier;
2)
que l’investissement financier doit se
faire sur une durée raisonnable si l’on
veut s’assurer un taux de réinsertion
plus important. Nos chiffres et notre
expérience le prouvent chaque année.
Entreprises partenaires
Réimporter des emplois simples
Développer les entreprises sociales
Politiciens engagés
Au-delà du grand débat actuel sur les finances de l’assurance invalidité, il est encourageant de voir que la 4ème et le
projet de 5ème révision de la loi sur l’assurance invalidité veulent favoriser la réadaptation afin de limiter les rentes. Que
ces perspectives deviennent réalité, c’est mon vœu le plus cher, mais n’oublions pas qu’une réadaptation professionnelle
a aussi un coût. Des économies dans ce domaine seront à coup sûr contre productives !
En tenant compte de tous les efforts qui sont faits par les Offices AI et les centres de formation professionnelle, un
nombre trop important de personnes restent sur le carreau. Malgré toute leur bonne volonté et leur envie d’être actif, le
marché du travail leur est fermé car ils ne répondent plus à toutes les exigences actuelles des employeurs. Que faire face
à ce sombre avenir ?
14
Comme il me reste encore quelques minutes, et partant de l’hypothèse que je n’ai pas à vous prouver la nécessité d’être
actif professionnellement, je me permets de proposer quelques stratégies, peut-être utopiques, afin d’améliorer la
situation actuelle. Car, à mon avis, le nombre de personnes inactives sera un drame du XXIème siècle.
Sans les entreprises, la réadaptation professionnelle n’est pas possible. Alors, arrêtons de culpabiliser les entrepreneurs
en invoquant leur responsabilité sociale. N’utilisons pas la pénalisation, comme en France, pour favoriser l’engagement
de personnes handicapées. Mais encourageons, par des défalcations fiscales «officielles » ou autres soutiens financiers,
les PME et les multinationales à employer des personnes reconnues comme moins performantes. J’ai la certitude qu’un
encouragement sous cette forme sera plus productif qu’une pénalisation.
Les emplois simples et aux actions répétitives de ces dernières années ont été automatisés ou exportés sous des cieux
financièrement plus avantageux. Pourquoi ne pas réimporter ces emplois dans les entreprises helvétiques ? Et ensuite
proposer ces fonctions à des personnes atteintes dans leur santé et au rendement diminué. Et une fois encore, il faudra
trouver des arrangements financiers entre le gouvernement et les entreprises afin que ces dernières trouvent un intérêt à
modifier leur stratégie de production.
Par ailleurs, en raison d’un rendement trop faible ou la nécessité de s’allonger deux fois 30 minutes par journée, le
marché de l’emploi est bouché pour une catégorie de personnes, Rentières ou pas. Comme nous savons déjà le faire
avec les produits Max Havelaar, favorisons la création d’entreprises sociales et surtout l’acquisition de biens portant le
label «réalisé dans une entreprise sociale ». Même rentière (quart, demi ou trois-quarts de rente), une personne active
sera reconnue dans notre société et coûtera certainement moins cher à la collectivité ! Cet argument manque de noblesse
mais il est de notre réalité.
Enfin, il faudra faire un choix de société et ceci est du ressort de nos politiciens. Dans les années à venir, il y aura de
plus en plus de personnes âgées. Et il y aura de moins en moins de jeunes. Et il y aura de plus en plus de personnes
exclues du monde du travail. Sur quoi pouvons-nous agir ?
Þ
Nous n’allons pas forcer nos femmes et nos filles à enfanter pour le bien de la collectivité :
Þ
Nous n’allons pas nous séparer de nos aînés sous prétexte de rentabilité et d’économie !
Þ
Par contre, nous pouvons agir pour que l’hémorragie des exclus du travail diminue et, rêvons encore, s’arrête un
jour !
Réadaptation à
l’Oriph :
Passer du statut
de « bénéficiaire
de mesures de
l’assurance
invalidité » à celui
de « travailleur »
Centre de Morges
15