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Socio-anthropologie 11 | 2002 Attirances Le jeu du « chat » et de la souris dans un cybercafé Parisien Elodie Raux Éditeur Publications de la Sorbonne Édition électronique URL : http://socioanthropologie.revues.org/137 ISSN : 1773-018X Édition imprimée Date de publication : 15 juin 2002 ISSN : 1276-8707 RÉFÉRENCE ÉLECTRONIQUE Elodie Raux, « Le jeu du « chat » et de la souris dans un cybercafé Parisien », Socio-anthropologie [En ligne], 11 | 2002, mis en ligne le 15 novembre 2003, consulté le 01 octobre 2016. URL : http:// socio-anthropologie.revues.org/137 Ce document a été généré automatiquement le 1 octobre 2016. © Tous droits réservés 2 Le jeu du « chat » et de la souris dans un cybercafé Parisien Le jeu du « chat 1» et de la souris dans un cybercafé Parisien Elodie Raux 1 Depuis son arrivée en France il y a cinq ans, Internet est devenu un enjeu important dans l’éternelle question de ce qui lie les hommes entre eux. En effet, les représentations communes autour de cette nouvelle technique de communication associent une idéologie techniciste, selon laquelle la science est forcément synonyme de bonheur en société, et l’utopie de la communication comme garant contre l’entropie et l’atomisation. 2 Ainsi, en offrant la possibilité d’une communication virtuelle, instantanée et à distance entre un grand nombre d’individus, sans limites géographiques et temporelles (notamment grâce à l’IRC2), Internet fait l’objet d’un débat opposant technophiles et technophobes. Pour les premiers, comme le philosophe Pierre Lévy, le troisième millénaire sera celui de l’esprit, et Internet permet « la reconnexion globale de l’espèce avec elle-même », constituant l’humanité « en noosphère, en monde d’idées3 ». Les autres, comme Paul Virilio, mettent en garde contre l’idée de relations sans corps qui pourraient aboutir à une désincarnation, voire à une rupture du lien interhumain4. 3 Il est certain que ces nouvelles techniques sont devenues l’un des modes d’expression du lien social et qu’elles cristallisent les interrogations quant à son éventuelle fragilisation 5. Mais comment interpréter sociologiquement cet engouement ou cette réticence à la communication virtuelle ? Désespoir ou amusement, manque de liens sociaux ou peur croissante du contact physique avec l’Autre ? Avant de conclure à l’inutilité, voire au danger de ces techniques, ou de s’extasier naïvement devant leur potentiel théorique, le socio-anthropologue étudiera en détail leurs caractéristiques et s’intéressera aux gens qui les utilisent. Le cybercafé, comme rare espace où les internautes peuvent avoir des échanges virtuels en présence physique d’autres usagers auxquels ils peuvent s’adresser, nous a semblé fournir un cadre d’observation intéressant. 4 EasyEverything est le premier cybercafé géant, ouvert de jour comme de nuit, à s’installer en France, à Paris. Avec une capacité d’accueil de 375 internautes, il propose pour la première fois un accès bon marché à la Toile. Les concepteurs ont pris leurs précautions Socio-anthropologie, 11 | 2003 1 Le jeu du « chat » et de la souris dans un cybercafé Parisien pour limiter l’effet de sélection de la clientèle dans un souci de rentabilité à l’américaine (prix bas, facilité d’accès de jour comme de nuit et simplicité esthétique). Leur politique « discount » laisse a priori peu de place à la convivialité. Les internautes bénéficient pour dix francs (un euro cinquante) d’une connexion sans aucune assistance (de vingt minutes à six heures selon le taux de remplissage du magasin), dans un cadre fonctionnel épuré aux allures de bibliothèque universitaire, alignant les rangées d’écrans. Au moment de notre enquête, à peine un mois après son ouverture, cet endroit dépaysant suscitait encore curiosité et enthousiasme aussi bien pour le service nouveau qu’il propose que par son organisation atypique. Les files restaient interminables à l’entrée de cet « hyper 6 marché du Net ». Malgré cela, un article alarmiste, paru dans Libération , dépeignait ce cybercafé proche de la rue Saint-Denis comme un obscur espace de squatte où se pratiquait une drague « sauvage ». Imprécis comme approximatif, il visait les pratiques spécifiques d’une population majoritairement jeune et de classe populaire, voire moyenne, composée pour une partie d’une clientèle locale de bandes errantes paradant au Forum des Halles. Adolescents et « adultescents », âgés de 16 à 30 ans, à la recherche de conquêtes amoureuses ou tout simplement d’occupations, ont trouvé en ce cybercafé aux allures de fast-food, un lieu à bas prix où s’asseoir au chaud et une activité qui rythmera leurs journées : le « chat ». 5 Le « chat » est un des usages d’Internet qui consiste en une discussion sous forme écrite, en temps réel, entre un nombre illimité de personnes connectées simultanément par l’intermédiaire du Web et d’un logiciel adapté7. Par rapport au Minitel, il offre la caractéristique nouvelle (en plus d’une importante baisse des coûts) de mettre en relation des individus éloignés sans limites géographique, voire culturelle et sociale. Cependant, l’interaction permise par ces canaux de discussion reste très particulière puisqu’elle s’effectue uniquement à travers du texte. Il s’agit alors d’une communication dépouillée de tout ce qui permet aux interlocuteurs de percevoir le non-dit, les émotions, et de se reconnaître ou non un éventuel corpus culturel. Les participants peuvent se joindre au bavardage collectif ou envoyer un message particulier à la personne de leur choix, à l’issue duquel ils pourront décider de s’isoler pour un dialogue à deux. Ce dispositif sociotechnique de communication médiatisé par ordinateur offre à l’internaute un nouvel espace d’échange mettant provisoirement en contact des individus – a priori seuls devant leurs écrans – ignorent souvent tout les uns des autres. 6 On peut distinguer trois logiques d’utilisation du « chat » qui ne sont pas étanches (Draelants, 2000). Un même individu peut recourir à plusieurs d’entre elles. La première est une logique de socialisation : le salon virtuel apparaît comme une scène pour expé rimenter certains comportements asociaux sous couvert d’anonymat. Dès son arrivée, l’utilisateur indique, selon son bon vouloir, un profil personnel qui sera à la disposition de tous. Il abandonne ensuite son identité pour choisir un pseudonyme afin d’être identifié. Sorte de masque qui cache – ou révèle la profondeur de l’être dirait Hérodote – le « pseudo » est un bricolage identitaire soigneusement élaboré par l’internaute. Il lui faut en effet symboliser ce qu’il veut que les autres pensent qu’il est, pour le temps d’une ou de plusieurs discussions. Ce dernier peut collectionner autant d’identités qu’il le souhaite tout comme il peut choisir de dévoiler la véritable. L’absence de visage et d’engagement dans l’interaction, à laquelle on peut se soustraire définitivement à tout moment, libère alors les fantaisies sexuelles et les jeux d’identité. Les salons de discussion virtuelle sont les terrains de jeu d’un déchaînement d’insultes, d’un relâchement et d’un abandon des Socio-anthropologie, 11 | 2003 2 Le jeu du « chat » et de la souris dans un cybercafé Parisien rôles8. La motivation est d’expérimenter ce que la vie réelle interdit : des hommes se faisant passer pour des femmes auprès d’autres hommes, etc. 7 Une logique plus instrumentale consiste à utiliser le « chat » comme un nouveau moyen plus performant de provoquer la rencontre amoureuse ou sexuelle (comme précédemment le Minitel Rose). L’effet désinhibiteur de l’anonymat peut aussi servir une logique plus « constructive » de sociabilité, laquelle permet de tisser des réseaux de relation entre des acteurs en recherche de convivialité et d’appartenance à un groupe. 8 Les jeunes d’EasyEverything – ne venant qu’à la sortie des cours ou pendant leur temps libre pour les moins âgés et à tout moment du jour et de la nuit pour les autres – sont aussi bien en recherche de jeux d’identité que de jeux de séduction dans le but, souvent, de faire des rencontres dans le réel, de « concrétiser » comme ils disent. Certains même, plus âgés, recherchent à appartenir à un groupe. Ils développent une nouvelle pratique du « chat », qui ne se réduit plus à l’usage personnel en ligne initialement pensé par les concepteurs. Consistant à raconter, commenter et partager hors ligne dans le cybercafé ce qu’ils vivent dans le cyberespace, cette pratique s’exerce simultanément sur deux espaces : le virtuel et le réel. Le « chat » cesse d’être un acte solitaire, s’effectuant seul chez soi devant son ordinateur, pour devenir une pratique de groupe qui se partage avec d’autres chatteurs face à leurs propres écrans. 9 Il nous semble qu’en plus de la désinhibition produite par l’anonymat des relations virtuelles et le fait que le cybercafé rassemble physiquement des individus partageant une même occupation, le cadre d’EasyEverything comporte des caractéristiques spécifiques interdépendantes qui vont favoriser l’émergence d’une sociabilité autour de cette utilisation originale du « chat ». 10 Tel le « non-lieu » (Augé, 1992), cet endroit impersonnel et dépersonnalisant est un espace de passage qui provoque une certaine impression de dépaysement. Son appartenance à une chaîne internationale et le service qu’il propose, encore peu habituel en France au moment de l’enquête, lui confère une dimension d’étrangeté. Internet est souvent associé dans l’inconscient collectif au lointain et au nomadisme, dans la mesure où il transcende les barrières géographiques et attire une clientèle cosmopolite. En jouant sur un imaginaire étranger à forte connotation positive en rupture avec le modèle dominant des bars parisiens, EasyEverything procure un sentiment de liberté par rapport aux normes dominantes françaises. Cette impression de décalage est renforcée par son organisation faiblement régulée, marque d’originalité par rapport aux cafés parisiens. Une quasi-absence de personnel et de contraintes réglementaires – particulièrement la nuit, pendant laquelle un unique agent de sécurité encadre les 375 internautes répartis sur 1000 m2 – laisse une large marge d’autonomie aux clients. Elle leur donne l’impression de pouvoir se comporter comme bon leur semble et d’échapper aux normes sociales. 11 L’effet de parenthèse par rapport au monde extérieur est accentué par l’originalité spatiotemporelle du cybercafé. En plus de son enfermement architectural dans les soussols, il marque un temps d’arrêt au centre des flux urbains. Sa temporalité est le strict envers de la vie sociale dans la mesure où son ouverture en continu produit un temps linéaire non structuré qui s’oppose à la routine et à la répétition des rythmes du quotidien. 12 Microcosme enclavé et décalé, EasyEverything donne l’impression de pouvoir chavirer dans un monde à part, plus libre et convivial, temporaire et lointain. Cette prise de distance vis-à-vis des normes extérieures est accentuée par le côté inclassable de cet Socio-anthropologie, 11 | 2003 3 Le jeu du « chat » et de la souris dans un cybercafé Parisien espace intermédiaire, situé entre public et privé, individuel et collectif, anonymat et sociabilité. Lieu public avec sa capacité d’accueil inégalée pour un café, il nous fait pourtant entrer dans un monde plus intime en rupture avec celui que nous quittons : la rue, l’extérieur. Ne rentrant dans aucune catégorie prédéfinie à laquelle correspondrait un corpus de comportements à adopter, il place l’usager en situation productrice et non de reproduction ; les normes d’usage y sont en devenir. S’y juxtapose une scène interactionnelle virtuelle répondant à des codes différents et au sein de laquelle le brouillage du cadre spatiotemporel, entraîne celui des identités. 13 Pris dans ce microcosme suspendu dans le temps et l’espace, les individus, peuvent se livrer collectivement à une certaine absence de retenue. La simplicité d’un décor qui s’efforce de ne pas laisser transparaître de sceau trop sélectif favorisera l’appropriation de l’espace par les clients livrés à eux-mêmes. Ces derniers construiront le cybercafé comme un « chez soi » où ils pourront s’adonner à des pratiques plus ou moins intimes en décalage avec la norme de rigueur dans les lieux publics (fumer, consommer sa nourriture personnelle, dormir devant les écrans) « Ici c’est un accès à Internet, tu donnes dix francs, tu rentres. C’est comme une maison, vous devez acheter la clé, on vous la donne, et, à l’intérieur, derrière la porte, vous faites ce que vous voulez. (…) On sait très bien qu’il y a des mecs qui serrent des filles dans les toilettes ou qui se masturbent mais on les laisse faire, parce que, entre minuit et cinq heures, il y a une tendance à laisser-aller. C’est l’équipe de nuit, et eux, vraiment ils sont calmes, parce que là, c’est pas prise de tête comme l’après-midi où je dois être chiant : si je te vois à deux sur un poste ou en train de fumer, je te fous dehors ; des trucs que je ne ferais pas la nuit parce que je sais que le mec est fatigué. » (Manu, assistant à EasyEverything) 14 Ce défoulement général et en groupe résulte aussi du partage d’une même pratique, à visée relationnelle, par un grand nombre d’individus qui ne se connaissent pas forcément mais se trouvent très proches physiquement. Soit les individus viennent directement en groupe, soit ils se voient intégrer à l’un d’eux. L’effet de foule transcende la gêne et libère de la retenue normative propre aux lieux publics pour fondre les clients dans un « ensemble populationnel éphémère » (Bouvier, 1995) qui n’aura d’existence qu’hic et nunc dans le cybercafé. « Les gens se parlent parce que tu n’as pas une rangée de deux ordinateurs, mais des rangées immenses de vingt à trente écrans, donc une personne peut rigoler et un mec va venir, va rigoler avec, et voilà. C’est le nombre qui fait la différence : “ Plus on est de fous, plus on rit. ” Il y a plus de gens que dans un cybercafé où il y a vingt postes ; c’est pas la même chose, ici, on peut venir à plusieurs, venir en groupe, plein de trucs qu’on ne peut pas faire dans un cybercafé normal. Les gens cherchent et trouvent ici le mouvement de masse, de gens, c’est le groupe. » (Ben, assistant) 15 Le « chat » crée du lien social sur un mode informel. Il permet une fusion temporaire hors des conventions établies. 16 Comment s’établissent les contacts dans cette plate-forme intermédiaire, ni privée ni publique ? Les règles de sociabilité y sont des plus souples et se réduisent à « tu me fais pas chier, je te fais pas chier, et tout ira bien ». Ce sentiment de faible contrainte permet de développer des stratégies de rencontre. Elles sont d’autant plus aisées que l’espace est constitué en grandes salles garantissant transparence et publicité en vue de contacts collectifs, mais aussi en multiples recoins permettant retrait et isolement. L’absence de personnel permet aux usagers de se comporter comme ils le désirent sans être trahis par une interconnaissance trop profonde avec les assistants, ni avoir l’impression d’être Socio-anthropologie, 11 | 2003 4 Le jeu du « chat » et de la souris dans un cybercafé Parisien placés sous leur regard stigmatisant. De plus, l’individu n’est pas cloisonné dans l’espace, il se sent libre de s’y déplacer. Il s’assoit le long des grandes rangées d’ordinateurs, à côté de personnes qui lui sont étrangères, selon un choix qui lui revient dans la limite du disponible. Cette situation concourt à créer les conditions d’un contact souple et informel. Certains même utilisent l’aléatoire du placement comme tactique de rencontre improvisée. En choisissant une place, ils ne se sentent pas jugés par les autres. Cela entraîne une faible division sexuelle de l’espace qui autorise un homme à s’installer à côté d’une femme avec parfois le prétexte de ne pas avoir d’autre possibilité en cas de grande affluence. (Dans le cas inverse, l’établissement ferme d’ailleurs certaines salles pour circonscrire les usagers et accentuer le sentiment de foule). Les clients peuvent donc adopter des stratégies de rencontre plus spontanée qu’ils n’oseraient pas mettre en œuvre dans un autre lieu plus conventionnel. 17 Venir communiquer par Internet constitue un alibi pour l’individu, lequel ne sera pas désigné comme : « individu solitaire et insociable prêt à tout pour faire des rencontres 9 ». On se trouve ici à l’inverse du fait de venir seul dans un café normal ou d’avoir recours à l’usage du Minitel. Etre devant un écran donne aussi une certaine contenance, comme la cigarette ou le téléphone portable. Dans cette situation de côtoiements interpersonnels, il facilite aussi la prise de contact. Exposé et laissé à la vue de tous, il dévoile des extraits de vies privés, sans divulguer d’éléments rendant identifiable. Sorte de projection de soi, il est un indicateur de goûts qui donne l’occasion de se reconnaître des affinités et d’engager une conversation à partir d’un sujet tout prêt (il constitue une sorte de « prêtà-parler »). 18 Le rire, contagieux, est un autre vecteur de sociabilité. Manifestation extérieure et hors ligne suscitée par le ressenti intérieur d’une expérience en ligne, il peut attiser les intérêts et les interrogations des voisins, donnant parfois l’occasion de partager un instant de connivence. Il permet le passage de la pensée privée à l’expression publique et place les individus à l’interstice entre le cyberespace et l’espace du cybercafé. 19 Le cybercafé produit donc un équilibre entre anonymat et intimité qui écartèle l’individu entre identité sociale et identité biographique. Socialement anonyme, celui-ci, publiquement désengagé, peut révéler une part de son intimité. La part d’histoire qu’il révèle n’engage pas son personnage quotidien dans la mesure où l’anonymat lui laisse le choix de sa présentation et la possibilité d’adopter un rôle autre. 20 L’unité de temps, de lieu et d’action, l’effervescence de la promiscuité et des frottements interindividuels, à quoi s’ajoute l’anonymat, sont donc les ingrédients d’une alchimie débridante qui favorise l’autorégulation par le groupe, la baisse du degré d’autocontrôle individuel et de contrôle social collectif. La pratique du « chat » n’y est donc pas un acte solitaire entre deux interactants en présence virtuelle par le biais de leurs écrans. Ici, les individus recherchent souvent le contact physique et parfois le trouvent. Un glissement s’opère rapidement et le réel reprend ses droits. Exercer au même moment, au même endroit, une même pratique, dont le but est d’avoir un échange avec d’autres individus, devient prétexte à engager une conversation hors du cadre de cette pratique.. L’échange en ligne se fait vecteur d’échange hors ligne, et le cybercafé devient le terrain de jeux de séduction. 21 A EasyEverything, lieu consacré « endroit de drague » par Nova magazine une référence réputée en matière de nuits parisiennes, 80 % de la clientèle écument les salons de conversation virtuels de Caramail.com ou d’Amour.fr. Socio-anthropologie, 11 | 2003 5 Le jeu du « chat » et de la souris dans un cybercafé Parisien 22 Les jeunes, principalement des garçons en groupe, ne viennent pas y chercher la partenaire de leur vie, mais celle d’une nuit. Ils veulent prolonger le carnaval hors ligne et multiplier les expériences. « Le but, c’était de faire le maximum de rencontres. C’est comme un jeu en fait, si les filles sont à Paris, alors je veux faire le maximum de conquêtes. » (Richard, 25 ans) 23 Principalement les vendredis et samedis soir jusqu’à 1 heure du matin, certains viennent chercher sur le « chat » et/ou dans le cybercafé des partenaires pour sortir en boîte de nuit ou pour agrémenter une soirée. « Les gens ne viennent pas pour consulter des sites porno ; ils ne sont pas intéressés par ça. C’est le “ chat ” qu’ils veulent encore plus la nuit, c’est pire, parce que le but, c’est de concrétiser par une relation sexuelle. Les gens viennent ici pour du concret, pas pour du superficiel. Ils se rencontrent aussi bien sur le Net que dans le cybercafé. En fait, à la base, les gens sont reliés ici en premier et après ailleurs. Donc la moitié des gens se connectent ici et parlent entre eux. Ils ont 375 personnes s’ils veulent chatter. C’est-à-dire que si tu vas chatter sur Caramail, tu vas être mis en relation avec une autre personne en train de chatter dans le même périmètre que toi. Donc tu as 50 % de chances de chatter avec une personne qui est dans la salle, dans tous les cas. C’est pas fait exprès, c’est le réseau qui fonctionne comme ça. » (David, assistant) 24 Lors des échanges virtuels se mettent en place les termes d’un contrat implicite entre partenaires. Les chatteurs ne viendront éventuellement à la rencontre physique qu’après avoir trouvé un terrain d’entente. « Le principe est tout simple je crois, c’est : “ On se rencontre, tu me plais, je te plais, on baise un coup. ” Et voilà. Maintenant, est-ce qu’on peut fonder quelque chose de sérieux par rapport à ça ? Je n’y crois pas personnellement. » (Franck, 31 ans) 25 Dans le cybercafé, les filles se transforment aux yeux des garçons, du seul fait de leur présence, en véritables souris. Pour les chats, le fait qu’elles viennent seules, le soir, chatter à EasyEverything signifie qu’elles acceptent de se prêter au jeu des rencontres et de la séduction, de s’offrir à la chasse amoureuse. 26 L’objectif du jeu est d’obtenir une adresse mèl, un numéro de téléphone portable ou mieux encore un rendez-vous. La plus belle réussite, performance très évoquée mais des plus rares, sorte de « pompon » stimulant mais quasi inaccessible, est de rencontrer une personne directement dans le cybercafé et de conclure par une relation sexuelle sur place. 27 Une fois repérée la proie dans la jungle des écrans, la stratégie consiste à effectuer, avec la plus grande discrétion, les opérations requises pour relever le pseudonyme qu’elle utilise et le salon sur lequel elle chatte. Cela ne va pas sans difficultés, à moins d’être aidé par un membre du personnel connaissant bien sa clientèle et prêt à jouer le rôle d’entremetteur. « Souvent y’a des mecs qui viennent me demander le pseudo d’autres nanas, parce qu’ils savent que je connais bien les filles ; moi, je le donne, ça me dérange pas, c’est qu’un “ chat ”. » (Max, assistant) 28 Une fois entré en dialogue virtuel avec la personne choisie, il s’agit de faire apparaître avec finesse, au fil de la conversation, le fait que les deux interactants sont physiquement au même endroit, prélude à une drague in situ. Le jeu de cache-cache peut commencer. Socio-anthropologie, 11 | 2003 6 Le jeu du « chat » et de la souris dans un cybercafé Parisien 29 Au début, les garçons étaient les principaux investigateurs de cette pratique. Mais, très rapidement, les souris ont pris les chats à leur propre piège. Alors que ces derniers en viennent très rapidement à l’idée de rencontre, les filles peuvent faire en sorte que la parade séductrice n’aboutisse jamais. Pour elles, tout le jeu consiste à dévoiler certains éléments pour être repérables, mais pas assez pour être repérées. On peut croiser un chat errant dans les allées, parfois aidé de ses complices, à la recherche de l’écran où apparaîtrait le pseudo de l’élue qui se cache. 30 Cette chasse fut en effet à l’origine de la formation d’un ensemble populationnel spatialement localisé dans le cybercafé, dont les membres, y compris les rares filles, plus « adultescents » qu’adolescents, « accros du Net » et avides de rencontres, étaient fédérés autour d’une pratique compulsive du « chat ». Elle pouvait se prolonger sur plusieurs jours, entrecoupée de siestes devant l’écran et de quelques en-cas (sandwichs10 et sucreries), le corps reprenant ses droits. 31 Régie par une logique de jeu, la cohésion du groupe reposait sur deux défis : celui de tenir le plus longtemps sans interruption, moyen de tester et d’attiser la motivation des membres, et celui de faire le plus de rencontres – avec si possible une conclusion physique. Ces activités devaient rester communautaires et sous le regard des autres, l’excitation suscitée par l’effet de groupe retombant individuellement. Comparables aux effets d’un psychotrope, ces transes cyberdépendantes donnaient naissance à de grandes parties de cache-cache pour retrouver une personne rencontrée sur le « chat ». 32 « Je suis la petite brune derrière toi » avait écrit à José une chatteuse avec qui il avait l’habitude de converser. Tout le groupe aux aguets avait immédiatement cessé toute activité pour partir rechercher la chatteuse à travers les allées du cybercafé : « C’est une nana qui vient tous les jours pour chatter sur Caramail, et puis je discutais avec elle. On se parle, on se dit qui on est, et moi je lui dis que je me trouve dans un cybercafé, elle aussi. Mais quel cybercafé ? Elle dit Easy, elle aussi, donc on a fait un jeu, c’est-à-dire qu’elle a joué avec moi. Elle voulait pas vraiment dire où elle était, et je pensais qu’elle devait être chez elle, et puis, en fin de compte, j’ai su où elle était. Avec mes potes on regardait tous les PC, on regardait tous les pseudos pour savoir c’était qui, et puis j’ai découvert, comme ça, qui elle était. C’est moi qui ai trouvé, parce que tous mes potes pensaient qu’elle était black, et moi j’ai découvert que c’était une blonde. C’est juste une amie, y’a pas de… Je la vois souvent, le soir, le matin, quand je viens, on se fait la bise. » (José, 27 ans) 33 Rappelons que ce jeu est surtout le fait d’une tranche d’âge en pleine période de socialisation. Elle correspond à un moment de passage vers le statut d’adulte, lequel ne se fait plus aujourd’hui dans l’espace temps limité et ponctuel du rite de passage (Van Gennep, 1909) « mais au contraire sur une période plus longue, comprenant un certain nombre de conduites et d’attitudes associées à des micro-rites réalisés dans des contextes variés11 », pouvant prendre l’aspect d’une remise en cause des normes sociales dominantes. On retrouve cependant certaines similitudes avec les formes traditionnelles des rituels de passage et d’initiation, notamment à travers la mise à l’épreuve des capacités physiques et morales. Le but des jeux de séduction que nous avons décrits est de tester les capacités à plaire et à se socialiser. Celui du jeu de « celui-qui-tient-le-pluslongtemps-au-cybercafé-sans-rentrer-chez-lui », développé par les membres de l’ensemble populationnel, est de tester les capacités de résistance physique et de prise de distance par rapport aux exigences sociales extérieures. 34 De plus, les individus se retrouvent toujours avec le groupe de pairs dans un espace à l’écart de la société globale, quasiment hors de la présence des aînés. En ce sens, le Socio-anthropologie, 11 | 2003 7 Le jeu du « chat » et de la souris dans un cybercafé Parisien cybercafé est une sorte de maison initiatique dans laquelle l’individu pourrait mettre à l’épreuve des limites individuelles et sociales à ne dépasser qu’avec le « chat ». Le salon virtuel est le terrain de micro-rites d’inversion qui favorisent l’intégration des normes sociales. En permettant un désordre virtuel, qui reste de l’ordre du symbolique et ne relève pas du passage à l’acte, il participe au maintien de l’ordre social. C’est en s’opposant que les individus prennent mieux conscience des règles. Le cybercafé est alors un espace tampon entre le monde social dominant incarnant l’ordre, et le cyberespace, scène de carnaval par excellence, de retournement des valeurs engendrant des pratiques hors norme d’un point de vue global. 35 Cette inversion permet aux jeunes de se libérer des contraintes quotidiennes. Elle garantit la santé mentale des individus, car se défouler permet de mieux supporter l’ordre social. Or, la liberté est possible dans le cybercafé uniquement parce que la population a intériorisé une partie des normes qui fondent la vie en société. Si le cybercafé se présente à première vue comme un défouloir anarchique, hors des routines du quotidien, où les gens se côtoient librement avec peu de codes à respecter, il est néanmoins régi par un ensemble de règles de comportements non explicites qu’il ne faut pas enfreindre. 36 Il favorise le développement de relations anonymes et ponctuelles dont l’objectif est de préserver l’intimité de chacun tout en favorisant la rencontre sans risque d’engagement. Il permet donc de lever les barrières qui limitent les rencontres dans la vie quotidienne tout en réduisant la profondeur de la relation avec une personne inconnue. A tout moment, l’individu peut s’engager ou se retirer de la relation. Les relations interindividuelles qui s’y créent renvoient au code de la superficialité. 37 De même, on remarque une division sexuelle « classique » dans les situations de drague. Dans le cybercafé, le plus souvent, ce sont les hommes qui chassent et les femmes qui sont chassées. Les femmes participent ainsi de façon plus indirecte aux jeux de séduction car elles sont souvent l’objet de la convoitise et non l’inverse. Elles ne se risquent à la chasse que dans le cyberespace où elles se sentent totalement dégagées des contraintes de rôle. Dans le cybercafé, elles ne formulent pas la demande de rencontre car ce serait au risque d’être perçues négativement par leur entourage, en adoptant, alors, une stratégie habituellement réservée aux hommes. Non seulement elles ne doivent pas adopter certaines conduites, mais elles ne devraient même pas fréquenter le cybercafé sans être accompagnées. Le faire est déjà contraire à la retenue incombant traditionnellement au rôle féminin et constitue aux yeux des hommes un signe d’ouverture aux rencontres. 38 Le succès d’EasyEverything auprès des jeunes ne tient pas tant au fait qu’il laisse toute liberté à sa population mais plutôt au fait que cette population peut choisir ses propres normes sans craindre les conséquences négatives de la stigmatisation sociale, symbolisée par le café français. Finalement, la jeunesse conteste, tout en permettant le maintien de l’ordre. 39 Par ailleurs, il est très rare que le jeu aboutisse au résultat escompté. Quand il y a rencontre physique, elle s’accompagne souvent de la déception de l’un des partenaires. Si les membres masculins de l’ensemble populationnel font preuve d’un plus grand acharnement, rares sont les défis relevés en matière de conquêtes féminines. Abonnés au « plan-carotte », les « chauds lapins » ne reviennent qu’exceptionnellement et partiellement victorieux. « On peut se fixer des rendez-vous dans les soirées avec des gens avec qui on a chatté mais que l’on ne connaît pas, ça m’est arrivé hier, mais la personne n’est pas Socio-anthropologie, 11 | 2003 8 Le jeu du « chat » et de la souris dans un cybercafé Parisien venue, et aujourd’hui non plus. J’ai voulu jouer perso, j’ai voulu en faire qu’à ma tête. Il faut jouer en équipe sinon ça foire. Plan-carotte, moi j’appelle ça. Je suis abonné à ça, je ne sais pas pourquoi. J’ai déjà rencontré des nanas, mais la majorité des nanas que je rencontre, c’est juste amitié. » (José, 27 ans) 40 La dynamique du jeu et de la compétition, élément fédérateur qui permet d’entretenir le lien, s’est donc vue menacée par le nombre de défaites. Le jeu peut s’essouffler et l’ensemble populationnel se désagréger (ponctuellement ou définitivement ?). Divertissement passager, ce nouveau jeu en vogue, pour l’instant, semble n’être qu’éphémère. Au bout d’un moment, les joueurs se lassent. Parmi les enquêtés, certains ont signalé vouloir mettre fin à leur omniprésence au cybercafé. Ce changement de pratique, inversé par rapport aux débuts d’une fréquentation effrénée, signifie la fin du passage. Il symbolise la possible sortie d’une période transitoire, certains se soumettant enfin à un mode de vie plus conforme aux normes dominantes. 41 Si les échanges virtuels peuvent déboucher sur la formation de véritables amitiés, de couples ou de groupes, sur notre terrain, les relations observées restent fragiles, car même l’ensemble populationnel d’ultra-compulsifs en recherche de relations était en cours de désagrégation au moment où nous achevions notre enquête. La sociabilité autour d’Internet dans le cybercafé exprime une tension entre distance et proximité. D’un côté, les individus peuvent pousser la fusion interactionnelle jusqu’à des relations dans les toilettes, et, d’un autre côté, cette proximité n’est permise que par la distance de facto imposée par l’anonymat. Ainsi, les membres de l’ensemble populationnel pouvaient rester plusieurs jours d’affilée sans rentrer chez eux, dormir les uns à côté des autres et parler de choses très intimes, alors qu’ils méconnaissaient tout de leur vie sociale hors du cadre du cybercafé. « On s’est tous rencontrés ici, et on ne se voit qu’ici, jamais en dehors, chacun son problème. On se retrouve qu’ici, on ne s’éclate qu’ici, sauf pour les soirées organisées par Caramail. Parce qu’on se voit tous les jours au cyber et je ne vois pas pourquoi se voir encore après, on a d’autres choses à faire que le cyber, on a chacun nos vies et il faut faire avec, si après tu te mets à squatter la maison du pote. (…) Je ne sais pas trop ce que font exactement les autres, quand on est là, on se raconte des trucs à propos de là, c’est tout. » (José, 31 ans) 42 Dans le cybercafé, les individus élaborent des tactiques qui visent à fournir une efficacité aux rencontres comme à leurs évitements ponctuels. L’autre est recherché autant que fui, comme le montre le jeu de cache-cache décrit plus haut. Les filles aiment être courtisées, tout en restant inaccessibles. Les sociabilités observées reposent sur un besoin contradictoire d’être-ensemble et d’agrégation d’une part, et, d’autre part, sur une recherche de mise à distance au profit d’une indépendance, c’est-à-dire d’une absence totale d’engagement. Elles passent par une recherche d’anonymat qui s’appuie sur une divulgation des éléments révélateurs de l’identité sociale et un refus de rencontre physique en s’en tenant à un mode de relation virtuel. 43 On pourrait parler d’« être-seul-ensemble » pour décrire cette forme d’« existerensemble » (Bouvier, 2000) qu’on retrouve dans les balades à rollers : les individus sont les uns à côté des autres, chacun dans leur monde, mais tous réunis par la pratique d’une activité commune qui sera l’unique prétexte de sociabilité agrégeante reposant sur une logique affinitaire, hors du cadre de laquelle les individus ne partagent plus rien. Ce régime de distance/proximité est un mode d’existence du lien social typiquement urbain (déjà décrit par Simmel à travers la figure de l’étranger12) : chacun, une fois inscrit dans un univers singulier isolé, peut échanger intimement et intensément avec autrui sans se Socio-anthropologie, 11 | 2003 9 Le jeu du « chat » et de la souris dans un cybercafé Parisien mettre en danger. Kant parle d’« insociable sociabilité » pour illustrer le fait que les hommes sont à la fois attirés et repoussés par autrui13. EasyEverything nous renvoie à la double nature paradoxale du lien social. BIBLIOGRAPHIE Bouvier P. La socio-anthropologie. Paris, Armand Colin, 2000. Bouvier P. Socio-anthropologie du contemporain. Paris, Galilée, 1995. Breton P. Le culte de l’Internet. Une menace pour le lien social ? Paris, La Découverte, 2000. Desjeux D., Jarvin M., Taponnier S. (dirs.). Regards anthropologiques sur les bars de nuit. Espaces et sociabilités. Paris, L’Harmattan, 1999. Draelants H. « “ Le chat ” : analyse sociologique d’un dispositif sociotechnique de communication médiatisée par ordinateur ». Mémoire, Université catholique de Louvain, 2000. Dubey G. Le lien social à l’ère du virtuel. Paris, PUF, 2001. Dubey G « La simulation informatique à l’épreuve de l’altérité », Socio-Anthropologie, n° 3, 1998. Simmel G. « Digressions sur l’étranger », in L’Ecole de Chicago. Naissance de l’écologie urbaine, Yves Grafmeyer et Isaac Joseph (eds.) Paris, Aubier, 1984. Van Gennep A. Les rites de passage [1909]. Paris, Picard, 1981. NOTES 1. Ce vocable anglo-saxon, tiré du verbe « to chat », qui signifie bavarder, n’a pas encore achevé sa francisation. On le retrouve par conséquent sous des formes multiples « chat », « chate » ou encore « chatte », et il se prononce « tchatte » (prononciation et sens qui sont proches du terme d’origine nord-africaine : « la tchatche »). Il s’est imposé au cours des dernières années comme le terme générique pour désigner tout système de communication synchrone médiatisé par ordinateur. De même, les groupes de discussion virtuelle synchrones sont-ils couramment appelés chat groups. 2. IRC est l’abréviation d’Internet Relay Chat, dispositif sociotechnique qui se présente comme un système de téléconférence textuelle et synchrone assisté par ordinateur. C’est probablement l’application la plus largement utilisée par les usagers d’Internet pour pratiquer le « chat » dans des salons virtuels où ils peuvent rencontrer d’autres internautes et discuter avec eux en temps réel. 3. Pierre Lévy, World Philosophie, Paris, Odile Jacob, 2000, pp. 20 et 211. 4. Paul Virilio, Cybermonde, la politique du pire, Paris, Textuel, 1996. 5. Gérard Dubey, « Les relations sociales à l’aune de la réalité virtuelle », Quaderni, n° 28, 1996, p. 37-46. 6. François Aube, « Boulevard des cybernoctambules », in Libération, 17-18 février 2001. Socio-anthropologie, 11 | 2003 10 Le jeu du « chat » et de la souris dans un cybercafé Parisien 7. Par rapport à d’autres applications internet axées sur la communication interpersonnelle synchrone, le « chat » a pour particularité de rester encore fondé sur la communication écrite, à l’heure où Internet devient de plus « multimédia ». Il existe aussi une forme de communication virtuelle « téléphonique », où l’on peut dialoguer oralement, et « visiophonique », au cours de laquelle, par l’intermédiaire d’une webcam, les interactants peuvent se voir mutuellement. Cependant, ces types d’utilisation sont plus rares et concernent principalement des individus se connaissant déjà dans la vie réelle. Dans le cas des rencontres virtuelles, parvenir à ce type d’échange est le signe d’un degré supérieur d’implication dans la relation aux dépens d’une perte d’anonymat. 8. Cependant toute personne perturbant le bon déroulement des interactions risque l’exclusion. 9. Traditionnellement, les célibataires ont été suspectés d’être incapables de vivre en groupe, conséquence d’une sociabilité déficiente tenant à des traits de caractère (égoïsme, mauvais caractère, rigidité, etc.). 1.0 Lord Sandwich avait d’ailleurs inventé l’en-cas qui porte son nom à l’occasion d’interminables séances de jeu. 1.1 Magdalena Jarvin, « La sociabilité dans les bars de nuit : un ensemble de pratiques ritualisées participant à la période de la jeunesse », in Regards anthropologiques sur les bars de nuit, Paris, L’Harmattan, 1999. 1.2 Georg Simmel, « Digressions sur l’étranger », in Yves Graftmeyer et Isaac Joseph (eds.), L’Ecole de Chicago. Naissance de l’écologie urbaine, Paris, Aubier, 1984, p. 53-59. 1.3 Emmanuel Kant, « Quatrième proposition », in Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, (1784), Paris, Nathan, 1981, p. 36 : « J’entends ici par antagonisme l’insociable sociabilité des hommes, c’est-à-dire leur inclination à entrer en société, inclination qui est cependant doublée d’une répulsion générale à le faire, menaçant constamment de désagréger cette société. » AUTEUR ELODIE RAUX Université de Paris X – Nanterre Socio-anthropologie, 11 | 2003 11