le droit à l`image - Site de la Médiathèque de Seine-et
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Le cinéma, le juriste, la médiathèque – 3 – le droit à l’image 3- Le "droit à l'image" Ce droit s'appuie sur un ensemble de textes assez disparate, mais sur une jurisprudence importante, quoique assez mouvante. L’article 9 du Code Civil dispose que « chacun a droit au respect de sa vie privée ». La loi du 17 juillet 1970 introduit des infractions nouvelles : délit de captation de parole ou de l’image d’une personne. Sont punissables l’écoute, l’enregistrement ou la retransmission, au moyen d’appareils quelconques, des parles ou de l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé, sans le consentement de celle-ci, en vue de porter atteinte à l’intimité de sa vie privée. L’article 1382 dispose que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». L’article 226-1 du nouveau Code pénal sanctionne le « fait, au moyen d’un procédeé quelconque, volontairement, de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui (…) en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé ». L’article 544 du Code Civil dispose, lui, que la « propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlements ». Il n’y a donc pas de texte général et spécifique relatif au droit à l’image. Il s’agit d’une difficulté majeure que rencontrent les professionnels de l’image. De quoi s’agit-il ? Chacun a droit au respect de son image et de sa vie privée. L’utilisation d’une photographie ou d’une séquence animée représentant un individu ou, dans certains cas, de l’un de ses biens (par exemple, sa maison) ne peut se faire que dans le respect de ce droit. Toutefois, l’autorisation n’est pas nécessaire si les images ont été faites au vu et au su des intéressés sans qu’ils s’y soient opposés alors qu’ils étaient en mesure de le faire : leur consentement est alors présumé. 1 Jean-Yves de Lépinay – Octobre 2014 Le cinéma, le juriste, la médiathèque – 3 – le droit à l’image Deux cas particuliers : les détenus présumés innocents ne peuvent pas apparaître menottés sur l’image, et les visages des mineurs ne peuvent pas être reconnaissables sans l’accord parental. Il existe des exceptions à cette règle : - l’image photographiée ou filmée dans un lieu public n’impose pas l’accord de toutes les personnes figurant dans le champ de l’objectif. Cependant, il faudra l’autorisation des personnes individualisables, reconnaissables. Ce sera notamment le cas si une personne (ou son bien) est le sujet de la photographie. - l’autorisation ne sera pas nécessaire pour utiliser l’image d’une personne publique filmée dans un lieu public, et particulièrement dans le cadre de fonctions publiques. Histoire : Ce droit à l’image est ancien, et fait l’objet depuis longtemps d’une véritable exploitation commerciale. La première décision de justice sur le droit à l’image daterait de 1858. Il s’agit du visage de la comédienne Rachel sur son lit de mort. Mais c’est dans les années 60 puis 70 que les procès se sont multipliés. Par exemple, à la naissance de la princesse Caroline de Monaco, le prince Rainier a organisé une vente aux enchères des photos du bébé, adjugées au journal « France-Soir »… Brigitte Bardot, après la sortie du film de Vadim « Et Dieu créa la femme », qui fut victime d’un véritable harcèlement des photographes, et a demandé et obtenu une protection juridique. Il est arrivé que les tribunaux jugent sévèrement ce type d’attitudes. Ainsi, en 1999, le tribunal de Paris a-t-il statué en indiquant que « la complaisance d’Ophélie Winter à l’égard des médias et sa volonté constante d’exploiter sa plastique ainsi qu’il résulte des publications consenties de photographies analogues intervenues concomittamment et postérieurement aux fait litigieux, sont de nature à faire présumer que la publication litigieuse n’a eu aucune répercussion morale sur l’intéressée ». En ce qui concerne l’image des biens, le développement des procédures date de la fin des années 90. Quelques jurisprudences intéressantes : 2 Jean-Yves de Lépinay – Octobre 2014 Le cinéma, le juriste, la médiathèque – 3 – le droit à l’image - le premier signal a été donné par « l’affaire de la petite maison en Bretagne », en 1998. . Le tribunal a considéré que l’image publiée massivement avait provoqué un afflux massif de touristes. - l’affaire du volcan du Pariou : les propriétaires privés regroupés en association, « Union des propriétaires de la chaîne des Dômes », attaquent une photothèque, une agence du pub et Géant-Casino. Ils se plaignent que l’utilisation de la photo dans une campagne publicitaire pour les produits auvergnats aurait incité à la surfréquentation du site par les touristes, et entendent donc percevoir les fruits de leur droit de propriété. Ils ont fini par être déboutés, au grand soulagement des photographes et des agences photo, en janvier 2002. Le tribunal a considéré que les plaignants n’établissaient pas en quoi l’exploitation de cette photographie d’un paysage de montagne portait un trouble à leur droit de jouissance de leur propriété. L’Express a été condamné en 2002 à payer 1 500 euros à deux participantes aux JMJ (Journées mondiales de la jeunesse) pour avoir publié leur photo dans un contexte jugé dévalorisant. En effet, l’hebdomadaire avait publié cette photo pour illustrer un article titré « Dieu est-il misogyne ? » et consacré aux « offenses faites aux femmes au nom de Dieu » dans certaines religions. Un photographe a pris, sur une plage de Collioure, une image sur laquelle apparaît une barque catalane. La photo est éditée en carte postale, et éditée en poster. Le propriétaire de la barque assigne en justice, réclamant au total au photographe et aux éditeurs la somme de 400 000 francs. A cette occasion, l’union des professionnels de la carte postale a publié un ensemble de revendications dont ses membres ont été victimes : une carte prise des hauteurs des calanques à Marseille, où l’on aperçoit un bateau minuscule dans le fond : le propriétaire réclame des droits. Un berger se reconnaît, de dos et de loin, sur un paysage. Des skieurs sur un paysage enneigé. De nombreuses affaires ont abouti à des condamnations pour ce motif : utilisation de la photo d’un château pour une carte postale, sans l’autorisation de son propriétaire ; photo d’un comédien célèbre extraite d’un film utilisée sans son accord pour une campagne publicitaire ; images d’un handicapé mental filmé dans le cadre d’un reportage télévisé sur un hôpital sans l’autorisation de son tuteur... Marchandisation de l’espace public : 3 Jean-Yves de Lépinay – Octobre 2014 Le cinéma, le juriste, la médiathèque – 3 – le droit à l’image Quelques exemples : La RATP demande des droits à un photographe pour autoriser un reportage dans les couloirs du métro. Une loi de 1921 instaure une redevance pour peindre, photographier et filmer dans l’espace public. 457 euros la journée dans le Parc de Versailles, 914 euros pour une vue extérieure de la cathédrale de Quimper,... A Cassis, une délibération du Conseil municipal en 1988 a même défini le tarif des « prises de son » dans les calanques : 24 euros par jour. Entre juin 2001 et juin 2002, la RMN a tenté d’appliquer aux photographes des tarifs de 5 000 à 16 000 euros par tableau pour la prise de vue. Devant le tollé général de la part des éditeurs, elle est revenue à un tarif de 50 euros le tableau pour les usages culturels et éditoriaux. Etat de la jurisprudence : On a connu ces dernières années une inflation de procédures dans ce domaine. Le propriétaire d’un immeuble de Lille réclame une grosse somme à un hebdomadaire parce que son bien est reproduit en couverture d’un numéro « spécial immobilier ». La propriétaire d’une moto réclame 15 200 euros à un éditeur de carte postale parce que sa moto est visible sur une carte de Saint-Tropez, alors que la plaque d’immatriculation n’est même pas visible. Certains photographes ont rapporté des comportements aberrants : victimes de brutalités policières qui poursuivent des photographes en portant plainte contre des articles destinés à les défendre ; contestation de photos prises lors de la montée des marches du palais des festivals à Cannes ; personnes qui téléphonent depuis leur portable à leur avocat pour connaître le prix qu’ils peuvent exiger pour se placer dans l’axe de l’objectif d’un photographe ; rescapés d’accidents de montagne qui monnayent les photos de leur sauvetage… En 1999, la Cour de cassation avait tranché en faveur des propriétaires du café Gondrée à Bénouville, en déclarant que « le propriétaire a seul le droit d’exploiter son bien sous quelque forme que ce soit ». Heureusement, la fameuse affaire du volcan du Pariou en Auvergne a permis de clarifier un peu les choses. Aujourd’hui, lorsque le bien est exposé à la 4 Jean-Yves de Lépinay – Octobre 2014 Le cinéma, le juriste, la médiathèque – 3 – le droit à l’image vue de tous, le propriétaire ne peut s’opposer qu’à l’exploitation abusive et préjudiciable d’une image. En octobre 2004, la SNCF est déboutée de ses poursuites contre des magazines « Graff It », Graff Bombz, et Mix Grill, qui avaient reproduits des wagons tagués, ainsi que contre un fabricant de bombes de peintures, Polimex International, qui avait reproduit des photos de wagons couverts de tags sur un dépliant publicitaire. Mais les attendus du jugement sont ambigus puisque le tribunal a estimé que ce n’était pas, dans ce cas, le code civil qui devait s’appliquer, mais la loi de 1881 sur la presse, qui a pour objet de sanctionner les éventuels abus dans ce domaine. C’est donc le « droit à l’information » qui prime. En ce qui concerne le dépliant publicitaire, il a estimé qu’il n’était pas prouvé que le wagon reproduit sur le dépliant litigieux appartienne à la SNCF… Ce qui revient à reconnaître, a contrario, que la plainte aurait été recevable dans le cas contraire. Aujourd’hui la jurisprudence s’est stabilisée. Les images des personnes prises dans un contexte public, d’actualité, culturel, artistique,… ne posent pas de problème de diffusion si l’on respecte ce contexte, et si le texte qui accompagne la publication n’est pas dépréciatif. Les décharges d’utilisation par les personnes photographiées ne résolvent pas le problème de la réutilisation, puisqu’on n’en connaît pas le contexte au moment de la prise de vue. Droit à l’information, droit du créateur : La famille du préfet Erignac, assassiné en Corse, a obtenu gain de cause et interdit la publication de photos du corps du préfet étendu sur le trottoir avec une balle dans la tête, le tribunal la jugeant « attentatoire à la dignité de la personne humaine ». Affaire Aznavour contre Depardon pour « 1974, une partie de campagne ». Aznavour refuse que figure une séquence où on le voit chanter dans un meeting de soutien à Giscard d’Estaing. Dans un premier temps, Depardon avait ôté la bande son, afin que la chanson ne soit pas audible (respect du droit d’auteur et d’interprète). Cela n’a pas suffi à Aznavour qui réclame, au nom du droit à l’image, la suppression du passage litigieux. On peut aussi considérer que ce droit vient à l’encontre du droit de création : toute l’œuvre de Robert Doisneau ou de Cartier-Bresson serait aujourd’hui pratiquement impossible à réaliser… 5 Jean-Yves de Lépinay – Octobre 2014 Le cinéma, le juriste, la médiathèque – 3 – le droit à l’image Aujourd’hui, on voit se développer une esthétique plus ou moins volontaire de bandeaux sur les yeux, de flous sur les visages, dont on peut se demander quelles sont les conséquences sur les représentations du monde… Ailleurs : A noter que la France est probablement le pays au monde où ce droit à l’image est le plus développé. En l’absence d’un texte qui limiterait les prétentions dans ce domaine, on peut se demander si ce « droit à l’image » n’est pas une sorte de « censure moderne », qui s’opposerait au « droit à l’information », et à la liberté d’expression, par ailleurs reconnue à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Sensibles à cet argument, certains tribunaux ont reconnu une exception d’actualité – donc dans le cadre d’une publication de presse proche de l’événement. Cependant, la Cour de cassation a admis l’exception d’actualité dans le cas d’un tract représentant un lieutenant de police dans l’exercice de ses fonctions lors de l’expulsion de l’Eglise Saint-Bernard en 1996. Les magistrats ont estimé que « le tract, diffusé quelques jours après l’événement, en était l’écho (…). La publication litigieuse était légitime comme étant en relation directe avec l’événement. On pourrait interpréter cette décision comme interdisant la publication de cette photo dans un ouvrage publié aujourd’hui… Dans d’autres pays d’Europe, en Italie, en Allemagne ou en Espagne, il existe par exemple des réglementations qui limitent le droit à l’image. Dans la pratique, il faut donc être très prudent dans l’utilisation des images. Comme il n’est pas toujours possible d’obtenir une autorisation de la part de toutes les personnes représentées ou tous les propriétaires des biens représentés, il faut envisager une certaine prise de risque. Il faut éviter bien sûr toute publication pouvant être jugée génératrice d’un trouble, et, lorsqu’on pense qu’une réclamation pourrait être justifiée, conserver les traces des recherches effectuées, voire constituer des provisions. Le photographe ne doit pas accepter – de même que le cessionnaire de la photo, agence, centre de documentation, en acceptant une clause selon laquelle il assumerait toute la responsabilité vis-à-vis des tiers représentés, surtout s’il ne peut pas être maître de la ligne éditoriale ou du légendage de la photo lors de la publication. 6 Jean-Yves de Lépinay – Octobre 2014