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LLe E DROIT EN PRATIQUE droit en pratique Nathalie Guillemy, de l’assistance juridique à l’INRS La loi du 10 juillet 2000 marque la volonté de “dépénaliser” les fautes les moins graves ; mais elle entend également éviter que cette “dépénalisation” ne s’accompagne de l’impossibilité, pour la victime, d’obtenir la réparation de son dommage. La répression des délits non-intentionnels en hygiène et sécurité du travail Adoptée il y a un an, la loi du 10 juillet 2000 s’inscrit dans le prolongement des précédentes tentatives menées, depuis la réforme du code pénal, pour “dé-pénaliser” certaines fautes retenues pour la caractérisation des délits non intentionnels, et notamment celles que la doctrine appelle les “poussières de faute”. Déjà, en 1996, à l’initiative du sénateur Pierre Fauchon, la loi du 13 mai avait modifié l’article 121-3 du code pénal et tenté de limiter la caractérisation des délits non intentionnels aux seules fautes pour lesquelles il était établi que leur auteur n’avait pas accompli “les diligences normales, compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait”. Cette modification, en rappelant la nécessaire appréciation in concreto (c’est-à-dire en fonction de chaque cas d’espèce) de la faute pénale, devait supprimer toute tentation de caractériser une infraction par son seul élément matériel, sans recherche de l’élément moral indispensable ; elle fut cependant de peu d’effet sur le contentieux pénal en matière de sécurité au travail. La nouvelle modification de l’article 121-3, introduite par la loi du 10 juillet 20001, vise également à limiter la caractérisation d’infractions qui trouvent leur origine dans une faute sans gravité. Nous essaierons ici de présenter, de façon synthétique, ses principales dispositions mais aussi son application, à la lumière des décisions rendues sur son fondement depuis un an. Le contenu de la loi On l’a dit, la loi du 10 juillet 2000 marque la volonté de “dé-pénaliser” les fautes les moins graves ; mais elle entend également éviter que cette “dé-pénalisation” ne s’accompagne de l’impossibilité, pour la victime, d’obtenir la réparation de son dommage. Le texte s’articule notamment autour de deux modifications essentielles : -– la prise en compte du lien de causalité existant entre la faute et le dommage pour caractériser l’infraction, -– la fin de l’unité des fautes civiles et pénales. La prise en compte du lien de causalité existant entre la faute et le dommage La nouvelle rédaction de l’article 121-3 du code pénal permet désormais de prendre en considération, pour la répression, non seulement les effets d’un comportement (c’est-à-dire le dommage qui en résulte) mais aussi la gravité de la faute à l’origine du dommage. Comme le souligne la circulaire du 11 octobre 2000, du ministre chargé de la Justice2,“le caractère fautif et blâmable d’un comportement est lié à la plus ou moins grande prévisibilité de ses conséquences dommageables”. Ainsi, l’article 121-3 du code pénal prévoit qu’en cas de causalité indirecte entre la faute et le dommage, le délit n’est constitué que si la personne physique a commis : – une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, – une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité que l’auteur de la faute ne pouvait ignorer. La loi, dans son article premier, définit ce qu’il convient d’entendre par causalité indirecte ; sont visés les cas où la personne physique n’a pas causé directement le dommage, mais a créé ou contribuer à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter. On notera que cette «dé-pénalisation» ne vise que les fautes commises par des personnes physiques, les personnes morales pouvant toujours être poursuivies pour des fautes simples, que la causalité entre la faute et le dommage soit directe ou indirecte. Des modifications introduites par la loi du 10 juillet 2000, il résulte ainsi que la faute simple commise par une personne physique n’est désormais punissable, au regard des délits non intentionnels, qu’en cas de causalité directe entre cette faute et le dommage. La fin de l’unité des fautes civiles et pénales En dépénalisant certaines fautes simples, la loi a cependant voulu éviter que les victimes ne se re- trouvent privées de toute indemnisation. L’unité existant jusqu’ici entre les fautes pénales et civiles pouvait en effet faire craindre que la relaxe au pénal, constatant l’absence de faute pénale, n’empêche la victime de se prévaloir d’une faute civile justifiant son indemnisation. L’article 2 de la loi entend ainsi clairement préserver l’intérêt des victimes et pose nettement le principe de la distinction entre fautes civiles et pénales, en soulignant que l’absence de faute pénale non intentionnelle ne fait pas obstacle à l’exercice d’une action devant les juridictions civiles, sur le fondement de l’article 1383 du code civil, ou en application de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale relatif à la faute inexcusable. L’application de la loi Un an après sa promulgation, il est déjà possible d’évaluer les conséquences de cette loi nouvelle au travers des premières décisions rendues sous son emprise. En effet, s’agissant d’une loi visant à “dé-pénaliser” certaines fautes, elle est bien sûr considérée comme une loi pénale plus douce et, conformément aux dispositions de l’article 112-1 du code pénal, elle peut être immédiatement appliquée pour la répression des infractions commises avant son entrée en vigueur, mais pour lesquelles aucune condamnation définitive n’a encore été prononcée. Sur la notion de causalité indirecte, une chronique de jurisprudence, parue récemment dans la Revue de science criminelle, analysant notamment 2 arrêts rendus par la Cour de Cassation en septembre et octobre 2000, notait que la Cour semblait plus s’attacher à la qualité de l’auteur de la faute qu’à son comportement effectif pour apprécier la nature du lien de causalité ; le chef d’entreprise est généralement considéré comme auteur indirect tandis que le simple salarié est auteur direct3. Il reste que, comme l’auteur de cette chronique le souligne, cette approche “s’inscrit parfaitement dans l’esprit de la loi, selon lequel l’auteur indirect est un décideur”. En ce qui concerne la notion de faute caractérisée, il ressort clairement, de toutes les décisions ren- dues en matière d’accidents du travail, que la faute caractérisée semble constituée du seul fait d’une violation ou d’un manquement aux règles de sécurité. La circulaire d’octobre 2000 l’avait rappelé, le législateur a entendu éviter certaines condamnations paraissant injustifiées, mais “il a toutefois voulu éviter que dans des domaines sensibles, comme en matière de droit du travail (…) les modifications apportées à notre droit aboutissent à un affaiblissement de la répression et de la prévention des dommages”. Sur ce point, la jurisprudence postérieure à la loi ne laisse présager d’aucun “affaiblissement de la répression”. Aucun des arrêts rendus par la Cour de Cassation, à la lumière des dispositions nouvelles, ne revient sur les condamnations prononcées, à l’encontre des chefs d’entreprise, par les cours d’appel. Dans tous les cas4, la Cour retient effectivement que le chef d’entreprise (ou son délégataire) n’est qu’auteur indirect du dommage, mais dans tous les cas, elle considère que la méconnaissance des règles spéciales ou générales de sécurité, édictées par le code du travail, constitue une faute caractérisée au sens du nouvel article 121-3 du code pénal. Il semble donc qu’en ce qui concerne les “décideurs privés” au moins, la loi du 10 juillet 2000 aura peu d’effets sur la répression des délits non intentionnels en matière d’hygiène et de sécurité du travail. Nathalie Guillemy 1 - La loi 2000-647 du 10 juillet 2000 résulte également d’une proposition déposée par le sénateur Pierre Fauchon. 2 - Circulaire CRIM-00-9/F1 du 11 octobre 2000 (publiée au Bulletin Officiel du ministère de la Justice n° 80 - 01/10 au 31/12/2000) 3 - “Accidents du travail et loi du 10 juillet 2000, Crim. 12 septembre 2000 et Crim. 24 octobre 2000”, Agnès CerfHollander, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé (2), avril-juin 2001, pp. 399-404. 4 - Cf. notamment : Crim. 12 septembre 2000, Crim. 10 octobre 2000, Crim. 24 octobre 2000, Crim. 16 janvier 2001, Crim. 30 janvier 2001, Crim. 13 février 2001… T.S. 11 - 01 11