Contes du Bénin
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Contes du Bénin
CONTES DU BENIN Ouvrage collectif d'enseignants franco-béninois Editeur : Solidarité Laïque Seine Maritime 1 LE FER, LA PERLE ET L’ARGENT Mon conte roule, roule, roule et tombe sur une mère qui a eu trois enfants. Cette femme s’était mariée à un homme et ils avaient fondé un ménage qui n’avait pas de grands moyens. Durant leur vie conjugale, ils ont eu successivement trois enfants : l’aîné avait pour nom OGAN qui signifiait le fer, le cadet s’appelait ODJE qui signifiait la perle et le benjamin se nommait AKOUE qui signifiait l’argent. Ils vivaient modestement mais heureux jusqu’à la mort du père après une courte maladie. C’est alors que la misère s’installa dans ce foyer paisible. Les enfants grandissaient ... Manger était le problème de chaque jour. Le plus souvent, ils n’avaient, pour tout repas, que les amandes extraites des noix de palme que la maman allait glaner dans les champs. Les jours heureux, elle parvenait à ajouter du gari qu’elle obtenait en vendant des amandes. Un jour, l’aîné, ayant beaucoup réfléchi, décida de partir à l’aventure. Et il le fit... Ce fut une bonne idée puisqu’il fit fortune et devint roi. Le cadet qui suivit l’exemple de son frère s’enrichit à son tour et devint roi dans un autre pays... Le benjamin, après maintes hésitations, quitta sa mère et partit lui aussi. La mère se retrouva donc seule et dans la misère. Quelques années plus tard, elle apprit par des marchands ambulants que OGAN, l’aîné de ses fils, était devenu roi dans une contrée lointaine. Elle décida d’aller le voir. Elle arriva sur les lieux au milieu de la nuit et dormit à la belle étoile. Le lendemain, son fils qui sortait de son palais accompagné de son escorte royale la rencontra et la reconnut comme sa mère. Mais il 2 Notes Notes n’en fit rien voir car, elle était si crottée, qu’il en fut indigné et la fit chasser. Elle retourna alors dans son village, très malheureuse. A quelques temps de là, un autre marchand lui apprit que ODJE, son fils cadet, lui aussi, était devenu roi d’un domaine très éloigné. Elle tenta de rencontrer ce fils. Comme OGAN, il la chassa. Profondément attristée, elle ne sut que regagner son village où elle continua de vivre misérablement. Plus tard, un troisième marchand lui raconta que son benjamin, AKOUE, était également roi. Mais craignant d’être traitée de la même manière que précédemment, elle préféra rester au village. Enfin, devant l’insistance du marchand et du chef de village, elle consentit à reprendre la route pour aller voir AKOUE. C’est encore au milieu de la nuit qu’elle atteignit le pays. Le lendemain était un jour où le roi devait sortir pour ses affaires. De loin, il reconnut tout de suite sa mère malgré son état misérable. Contrairement à ce qu’avaient fait ses frères et, à la surprise générale de ses sujets, il descendit promptement de son cheval pour l’accueillir à bras ouverts, très heureux de l’avoir retrouvée. Alors, il désigna quelques uns de ses sujets et leur ordonna, ainsi qu’à l’une des reines, de l’accompagner au palais et de l’entourer de tous les soins. Le roi reprit le chemin de sa tournée. Ses ordres furent exécutés et, quand il revint, il trouva sa mère toute rayonnante. Cette réception inattendue fit renaître la joie dans le coeur de la mère et de son fils. Ce fut le grand moment des retrouvailles et la nuit fut trop courte pour qu’ils se racontent tout ce qu’ils avaient vécu depuis leur séparation. Néanmoins, elle prit le temps de porter un jugement sur chacun de ses enfants : « OGAN m’a vue toute crottée devant son palais et il m’a chassée. Qu’il soit, pour toujours, chauffé à blanc et martelé à grands coups !... Sans le moindre ménagement, ODJE me rejeta lui aussi. Qu’il soit enfilé pour toujours et perde ainsi toute liberté jusqu’à la fin de ses jours!... Mais toi, AKOUE, tu m’as accueillie et honorée. Reçois ma bénédiction : tu seras recherché par tous jusqu’à la fin des temps!...» Et il en fut ainsi... 3 TABLE DES MATIÈRES LE PAGNE DE MOUCHES LE FER, LA PERLE ET L’ARGENT .................................................................. 2 LE PAGNE DE MOUCHES ................................................................................ 4 LE PRINCE ET L’AMOUR DE SIKA .................................................................. 7 LA PUISSANCE D'UN SOBRIQUET ............................................................... 10 L’HUILE ROUGE, L’IGNAME ET LA PANTHERE ............................................ 13 L’ARAIGNEE, LE MOUTON ET LE BOUC ...................................................... 15 Il était une fois un caméléon et un lièvre. Le caméléon avait un grand champ de mil. Le plus beau de tout le village !.. Au cours d’une promenade, le lièvre découvrit le champ et décida de jouer un mauvais tour au propriétaire. Alors, il traça un chemin conduisant de sa maison à ce champ. Des jours passèrent sans qu’il vît la moindre personne dans cet endroit. UNE PROMESSE TROP BIEN TENUE .......................................................... 19 GBETO VIVI (L’HOMME) ............................................................................... 21 LE VIEILLARD ET LES SEPT LIONS ............................................................. 23 L'IMPATIENCE DU CHASSEUR SOLITAIRE .................................................. 25 LE TROISIEME FOU ....................................................................................... 27 LA PANTHÈRE ET LA RUSE DU CHAT.......................................................... 29 LES DEUX AVEUGLES ................................................................................... 33 PLUS MALIN QUE LE CHEF... ........................................................................ 35 TEL EST PRIS QUI CROYAIT PRENDRE ...................................................... 38 Mais enfin, il découvrit un jour que c’était le caméléon qui le travaillait et qu’il n’avait aucun chemin pour s’y rendre, si bien qu’il passait toujours inaperçu. Quand vint le moment de la récolte, les deux animaux se rencontrèrent, pour la première fois, dans le champ. Alors le lièvre s’empressa de demander au caméléon l’objet de sa visite dans le champ d’autrui. Le caméléon, tout étonné, risposta vivement en répondant qu’il en était le véritable propriétaire. LE DIABLE DUPE ........................................................................................... 41 LES RETROUVAILLES DES DEUX FRERES ................................................. 43 LES AVENTURES DE TINYEKPON ................................................................ 45 LE STRATAGEME DE LA TORTUE ................................................................ 47 UN CHASSEUR INGRAT ............................................................................... 48 LE VOLEUR GOURMAND .............................................................................. 50 LA CONVOITISE D’UNE COEPOUSE ............................................................ 52 LA MECHANTE FETICHEUSE ....................................................................... 54 L’ORIGINE DE MAMI WATA ........................................................................... 56 LA COLONNE VERTEBRALE ......................................................................... 57 Une vive dispute s’engagea entre eux sans qu’ils puissent trouver un accord, bien entendu. C’était ce que le lièvre prévoyait. Ils se rendirent donc chez le chef du village pour demander justice. Le chef les pria de s’expliquer chacun à son tour. 4 A CHACUN SELON SON DESTIN .................................................................. 59 LE BOA ET LA TORTUE ................................................................................. 61 LA TEMERITE RECOMPENSEE ................................................................... 64 LE PRIX D’UN ENTETEMENT ........................................................................ 67 LA POULE ET L’EPERVIER ............................................................................ 71 73 ne la reverrait pas avant trois semaines. Elle s’installa alors sur son nid et se mit à couver. Lorque l’épervier s’inquiéta du silence de la poule, il revint vers sa maison et demanda à ses voisins où elle était. Ils lui répondirent qu’elle était partie pour au moins trois semaines. Bien qu’un peu surpris par le départ imprévu de son amie, l’épervier repartit chez lui sans attendre plus longtemps. Quand il revint trois semaines plus tard, les voisins de la poule lui dirent qu’elle n’était toujours pas revenue. Il commençait à s’impatienter mais il ne pouvait se rendre seul chez le féticheur car c’était la poule qui avait tout ce qu’il devait donner pour obtenir la tisane et c’était elle qui connaissait bien le chemin pour s’y rendre. Il continua donc à l’attendre... Cependant une aussi longue absence commençait à lui paraître bizarre et il décida de rester près de la case de la poule. Il se percha donc sur un arbre et guetta son retour... Il n’était pas là depuis très longtemps lorsqu’il fut bien étonné de voir la poule sortir tranquillement de sa maison suivie de beaux poussins bien dodus et il comprit qu’il avait été trompé. Jusqu’à ce moment, il avait cru que la poule était toujours son amie. Alors il entra dans une colère terrible et, sans réfléchir, il fondit sur elle et sa nichée et tua tous les poussins... C’est depuis ce jour-là que les éperviers sont devenus les grands ennemis des poules et qu’ils mangent leurs poussins... Conte dit et traduit par les enfants de l’école de Sobè - Ifangni. 72 Prenant le premier la parole, le lièvre somma le caméléon de lui décrire le chemin par lequel il se rendait à son champ pour aller y travailler. Le caméléon expliqua qu’il se faufilait au plus court, à travers la brousse, pour ne pas perdre de temps. Alors, le lièvre, rusé comme toujours, enchaîna : " Comment, dans ces conditions, es-tu arrivé à labourer ton champ? - Mais, comme chaque année, commença le caméléon. - Impossible!.. coupa le lièvre. Puis il continua: « Quant à moi, j’ai tracé, depuis ma maison jusqu’au champ, une piste par laquelle je vais travailler régulièrement avec toute ma famille." Le chef ayant écouté les deux antagonistes réfléchit un moment et attribua le champ au lièvre. D’abord abasourdi par la décision qu’il venait d’entendre, le caméléon resta sans voix et le lièvre en profita pour partir au plus vite. Mais le caméléon décida bientôt de se venger de la malhonnêteté du lièvre... Pour ce faire, il confectionna un joli pagne de mouches vivantes, très couteux et très séduisant car il connaissait bien, maintenant, le caractère du lièvre. Dès que le lièvre vit le pagne, il décida de l’acheter à n’importe quel prix, tant il le trouvait magnifique. Le caméléon avait vu juste et répliqua aussitôt qu’il ne le céderait qu’en échange d’ un canari de mil. Le lièvre ricana, sûr qu’il était de l’obtenir. Pour mener à bien sa vengeance, le caméléon fit creuser un grand trou au-dessus duquel il posa son canari dont le fond était percé. Au moment convenu, le lièvre se mit à l’oeuvre pour remplir le canari. Tout seul d’abord, puis avec toute sa famille. Il était si absorbé par sa tâche qu’il ne voyait pas sa récolte diminuer, diminuer. Elle fut bientôt épuisée mais... le canari n’était toujours pas plein. 5 Furieux, il s’endetta pour le remplir... Enfin, il réussit et reçut donc le pagne comme il était prévu. Il lui fallait maintenant chercher une bonne occasion pour l’exhiber. C’est ainsi qu’il alla voir le chef du village et lui proposa de programmer une fête des récoltes. Le chef accepta et fit gongoner* pour annoncer l’évènement et la date choisie pour le célébrer. Le jour de la fête arriva. Le lièvre, vêtu de son magnifique pagne de mouches vivantes, s’y rendit le dernier pour se faire remarquer. D’un air hautain, il avançait au son des tam-tams qui résonnaient. Certains spectateurs étonnés de voir le lièvre, dans ce costume si original, mieux habillé que le chef du village, se chuchotaient des mots à l’oreille. D’autres l’acclamaient et les joueurs de tam-tam le louaient très fort. Transporté de joie par cet accueil extraordinaire, le lièvre dansait, éperdu de bonheur. Le caméléon, toujours sur sa faim de vengeance, avait pris soin de prendre avec lui une gourde de miel. Quand le lièvre, narquois, s’approcha de lui, il ouvrit sa gourde toute grande. Alors, ce qu’il avait prévu se réalisa: les mouches, attirées par l’odeur du miel, quittèrent le pagne en un instant pour se précipiter vers le miel. Dépossédé de son vêtement, le pauvre lièvre se retrouva tout nu au milieu de la foule. Honteux, il détala à toutes jambes vers son domicile suivi des rires des spectateurs encore tout ébahis par ce qu’ils venaient de voir... *gongoner: sonner le gong. 6 LA POULE ET L’EPERVIER Il y a longtemps, très longtemps, la poule et l’épervier étaient des amis sincères. Si la poule ne trouvait pas l’épervier, elle ne mangeait pas. Si l’épervier ne trouvait pas la poule, il ne dormait pas. Et tout allait bien ainsi... Un jour, cependant, les deux amis s’aperçurent que les autres oiseaux avaient tous des enfants alors qu’eux-mêmes n’en avaient pas. Ils décidèrent donc de tout faire pour en avoir et se rendirent chez le féticheur. Celui-ci consulta l’oracle et leur dit ce qu’il fallait acheter pour obtenir satisfaction. Puis il ajouta : " Lorsque vous aurez tout ce que je vous ai demandé, vous reviendrez et je préparerai la tisane. Vous la boirez et vous aurez bientôt des enfants. " L’épervier est un oiseau puissant et il peut voler longtemps. Il peut voler jusqu’au Gabon ou même jusqu’en Côte d’Ivoire. Il trouva donc rapidement tous les produits demandés par le féticheur. Mais la poule vole mal et doit se contenter des vers dans les tas d’ordures. Et lorsque l’épervier revint, elle n’avait pas encore réussi à rassembler tout ce qui était nécessaire. Elle demanda donc à l’épervier de l’attendre un peu avant de retourner chez le féticheur. L’épervier accepta et, confiant, il laissa tout ce qu’il avait trouvé chez la poule et repartit attendre chez lui. C’est alors que la poule se précipita chez le féticheur avec tous les produits et fit faire la tisane pour elle seule. Puis elle revint chez elle, pondit ses oeufs, annonça à son entourage qu’on 71 C’est alors que l’ami d’Akouegnon, Gbetognon(2), résolut de se rendre chez le marchand et de délivrer son ami de cette misère maintenant qu’il savait où le trouver. Il partit au plus vite et se présenta au marchand en lui disant : " Je veux une tête. " Sans autre précision. La négociation aboutit à dix sous la tête. Gbetognon paya et réclama sa marchandise. Mais comme la tête désirée n’avait pas été précisée au départ, c’était la tête du vendeur que Gbetognon exigea. Le marchand réalisant le danger qu’il courait, conduisit son acheteur chez l’autorité locale où, après une longue palabre, il fut décidé que c’était l’acheteur qui avait raison et qui devait obtenir la tête du marchand. Ce dernier supplia Gbetognon de lui laisser la vie sauve. Alors le jeune homme lui demanda toute sa fortune pour sauver sa tête. Le marchand accepta avec empressement et Gbetognon emmena tout, y compris le cheval et surtout son ami Akouegnon. Sur le chemin du retour, il chantait joyeusement : " Akouegnon ja ! Gbetognon ja ! " ce qui signifie : " Akouegnon arrive ! Gbetognon arrive ! " Toute la population accourait pour les saluer. C’était la grande joie et le riche convint enfin que l’homme était supérieur à l’argent... 1- Akouegnon : ce mot signifie, en langue locale, " l’argent est une bonne chose» ou encore « on a toujours besoin d’argent " 2- Gbetognon , en langue locale, veut dire à peu près " l’homme est bon " ou encore " on a toujours besoin de l’homme " 70 LE PRINCE ET L’AMOUR DE SIKA Il était une fois un roi qui n’avait pas d’enfant. Il consultait les vodouns* à tous moments, faisait des sacrifices tous les jours et implorait Dieu aussi souvent qu’il lui était possible. Enfin, Dieu exauça ses prières et sa femme tomba enceinte. Neuf mois plus tard, elle accouchait d’un très beau garçon. Dans ce royaume, après chaque naissance, il fallait consulter le Fâ* qui déterminait les interdits aux nouveau-nés. D’après les révélations du Fâ , il serait interdit au petit prince de rencontrer une femme dès qu’il aurait atteint l’âge de cinq ans et ceci jusqu’à la fin de ses jours. Aussitôt, le roi fit construire une grande maison entourée de hautes murailles. La place réservée au prince était perdue dans l’immensité de cette propriété et le chemin pour s’y rendre était très compliqué. Mais le roi mettait ainsi tout en oeuvre pour respecter les messages du Fâ . Le roi et la reine entouraient leur enfant de toute leur affection et le gardait jalousement car c’était leur unique héritier. Quand le petit prince eut cinq ans, il fut effectivement isolé dans la maison qui lui était destinée. Il vécut désormais seul. Chaque matin, un des sujets du roi lui apportait à manger. Le roi engagea un sculpteur pour lui apprendre à travailler le bois et le distraire un peu. Il vécut ainsi jusqu’à l’adolescence en s’occupant à fabriquer quelques objets en bois. Mais dans ce pays, il y avait aussi une très belle jeune fille appelée Sika. « Sika» , dans la langue de ce pays, désignait l’or. 7 Sika repoussait toutes les avances des jeunes gens de la région car aucun ne l’intéressait. Tous les matins, elle allait au marché et passait devant la maison du prince sans savoir qui l’occupait. Cependant, à chaque passage, elle entendait des bruits bizarres qui venaient de l’intérieur du palais et qui l’intriguaient chaque jour davantage... Un soir, poussée par la curiosité, la jeune fille décida d’aller voir ce qui se passait dans cette maison en rentrant du marché. Elle déposa son panier près du portail et entra. Elle se trouva bientôt dans un labyrinthe si compliqué qu’elle ne parvint pas à atteindre le lieu d’où venait le bruit. Elle rebroussa chemin pour ne pas se mettre en retard. Le lendemain, au retour du marché, elle tenta une deuxième fois d’aller jusqu’à la source du bruit qui suscitait sa curiosité. Mais ce fut encore en vain. Le troisième jour, elle n’alla même pas au marché. Bien décidée d’atteindre son but ce jour-là, elle déposa son panier d’akassa* au pied du portail et rentra dans le labyrinthe. Elle marcha, marcha, marcha un long moment sans se décourager. Tout à coup, elle arriva devant la salle d’où venait ce bruit qui aiguisait sa curiosité depuis si longtemps. Sans faire le moindre bruit, elle poussa la porte et... que vit-elle? Un jeune homme dont la beauté extraordinaire l’immobilisa. Ayant senti une présence non loin de lui, le prince se retourna et fut émerveillé, lui aussi, par la beauté de Sika. Mais hélas! il dut lui demander de s’éloigner. Comme elle ne bougeait pas, il ajouta : " Le Fa* m’a interdit de voir toute femme depuis que j’ai atteint l’âge de cinq ans". Médusée par le spectacle qu’elle avait sous les yeux, la jeune fille ne bougeait toujours pas. Et soudain, le beau prince s’effondra inanimé. Sika prit peur et détala aussi vite qu’elle put. Le lendemain matin, le valet qui lui apportait à manger constata la mort du prince et courut chez le roi annoncer l’affreuse nouvelle. Le roi informa la reine et tous deux fondirent en larmes. 8 Pendant ce temps, son père et sa mère, bouleversés par la longue absence de leur fils se mirent à le chercher et promirent une forte récompense à toute personne pouvant leur donner des renseignements sur les chemins qu’il avait pu suivre. Mais les recherches furent vaines. Au marché, Akouegnon continuait de chercher quelque chose à manger mais, sans argent, il ne pouvait rien obtenir. Il s’approcha donc d’un marchand d’animaux et, désespéré, il lui demanda s’il voulait lui acheter son cheval. Comme la pauvre bête n’avait plus que la peau sur les os, le marchand lui proposa dix sous. Sans autre commentaire, Akouegnon accepta dix sous et allait descendre de son cheval pour le remettre, la mort dans l’âme, à son nouveau propriétaire. Mais à ce moment, celui-ci reprit la parole pour lui dire : " Vous étiez sur le cheval quand nous avons convenu du prix à payer. C’étaient donc cavalier et cheval qui, pour moi, valaient les dix sous annoncés ! " La discussion dura longtemps malgré l’état d’Akouegnon et elle les conduisit chez l’autorité de la localité qui, finalement, donna raison au marchand. Ainsi, le jeune et le cheval furent menés chez cet homme qui utilisa, à longueur de journées, les forces du garçon comme celles de son cheval. Et le temps passait... Enfin, la nouvelle parvint au père d’Akouegnon que son fils vivait dans ce village. Il partit aussitôt et arriva aussi vite qu’il put chez le marchand qui employait Akouegnon et lui annonça qu’il venait reprendre son fils. Il alla jusqu’à lui promettre la moitié de sa fortune mais le marchand refusa toutes ses offres et il dut repartir sans son enfant. D’autres interventions ne modifièrent pas davantage la position du marchand. 69 che pouvant être considérée comme avilissante pour lui. Mais, finalement, il se décida à suivre le conseil de ses amis et se rendit chez le pauvre. Il lui demanda quel était son secret et lui promit la moitié de sa fortune si sa femme arrivait à concevoir un enfant. Sagement, le pauvre rejeta cette belle promesse, dit qu’il tenterait le traitement et qu’on verrait bien le résultat. Il prépara donc l’infusion comme la première fois et la servit à la femme du riche. Elle la but et tomba bientôt enceinte. Neuf mois plus tard, c’est aussi à un fils qu’elle donna naissance pour la plus grande joie de son mari. Des années passèrent... Et les deux enfants, celui du pauvre et celui du riche, devinrent des amis sincères. Etant enfant unique et garçon, l’enfant riche avait tout ce qu’il désirait : costumes, parures, appartements et surtout un cheval pour ses promenades. Ayant constaté que son ami n’avait rien de tout cela et qu’il faisait tous ses déplacements, même les plus longs, à pied, il en fut ému et demanda à son père de bien vouloir lui acheter un cheval à lui aussi. Malgré de multiples demandes, le père refusait toujours de satisfaire le souhait de son fils. Et un jour celui-ci lui annonça : " Comme tu refuses toujours l’achat du cheval pour mon ami, j’ai honte de vivre dans ta maison et j’ai décicé de partir définitivement de chez toi. " Bien qu’il adorât son fils , le riche ne changea pas sa position... Donc, un matin, le fils du riche qui se nommait Akouegnon(1), sella son cheval et quitta son père pour une destination inconnue... Il chemina de longs jours et de longues nuits et fut bientôt assailli par la faim et la fatigue. Comme il arrivait dans un village, il se dirigea vers le marché en pensant qu’il trouverait bien quelque chose à se mettre sous la dent et sous celles de son bon cheval. 68 Revenu de son émotion première, le roi fit appeler le devin. Informé de la situation, celui-ci annonça que tout espoir n’était peut-être pas perdu. D’abord, il demanda la convocation de l’assemblée du peuple. Puis il fit creuser une fosse au milieu de la place publique et la fit remplir de tout ce qu’il fallait pour faire du feu. Tout cela fut fait promptement. Comme d’habitude, tout le monde était au rendez-vous. Alors, le devin fit allumer le feu et réclama le corps du prince qu’il fit jeter dans les flammes. Puis il invita le couple royal à rejoindre leur fils bienaimé dans le brasier. Le roi et la reine refusèrent catégoriquement en ajoutant qu’ils préféraient vivre pour faire d’autres enfants. Alors, à la surprise générale, une jeune fille se détacha de la foule et se dirigea vers la fosse embrasée en chantant. C’était Sika et son chant disait: «Honte, honte, honte, C’est une honte ! Avez-vous vu ? C’est une honte ! Le père qui a cherché les feuilles la nuit ne s’est pas jeté dans le trou. La mère qui a préparé la tisane la nuit ne s’est pas jetée dans le trou. Honte, honte, honte...» A ce moment, comme elle était arrivée au bord de la fosse, elle se précipita dans le feu. Un silence de mort plana sur toute la foule jusqu’à ce que tout fut consumé. Alors, dans le recueillement général, le devin s’approcha de la fosse et, d’un geste majestueux, aspergea les cendres d’un liquide magique. Et, brusquement, dans un tourbillon extraordinaire, tout le monde vit apparaître au bord de la fosse Sika et le prince plus rayonnants de beauté que jamais personne n’aurait pu les imaginer... Les vodouns : les dieux, les fétiches dans la religion animiste du Bénin. Le Fâ : l’oracle L’akassa : La pâte de maïs 9 LA PUISSANCE D'UN SOBRIQUET LE PRIX D’UN ENTETEMENT Mon conte se porte sur un riche et un pauvre qui habitaient dans la même localité... Il était une fois un jeune pêcheur qui avait deux femmes et qui se nommait : «Meïtchi-Boro "c’est-à-dire : " Si Dieu n’a pas décidé de ton sort, personne d’autre ne peut t’arracher à la vie ". De bouche à oreille, ce nom extraordinaire parvint jusqu’au roi qui s’indigna de cette appellation car il pensait qu’elle pourrait nuire à son autorité. Donc, un jour, il fit venir le jeune pêcheur à la cour et lui confia une bague qu’il dit sacrée et objet de la puissance du royaume en lui demandant de la garder précieusement. Le stratagème du roi jaloux se mettait en place. Quelques années s’écoulèrent... Et un jour, le roi invita la seconde épouse de Meïtchi-Boro à venir le voir. Il savait qu’elle était la confidente du pêcheur et lui promit monts et merveilles si elle arrivait à lui rapporter la bague. Séduite par les promesses du roi et pour en finir avec la misère qui l’épuisait, elle se décida finalement à lui rendre ce service, consciente cependant qu’elle allait livrer son mari au danger. Et, comme tout le monde pouvait s’y attendre, entre époux, au lit, pas de résistances aux palabres ni aux tentations; même les plus grands secrets de leur vie pouvaient être dévoilés en ces instants d’intimité .C’est ce qui arriva à notre jeune pêcheur qui, aveuglé par l’amour éperdu qu’il portait à sa seconde épouse, lui indiqua l’endroit où il cachait la bague que le roi lui avait confiée. 10 Un jour, le pauvre se maria selon les rites du village et selon ses possibilités. Peu de temps après, le riche célébra son mariage avec tout le faste que sa position requerrait. Ils vivaient bien ainsi mais aucune des deux femmes ne tomba enceinte. Ce qui était très triste dans cette contrée... Un ami du pauvre, peiné de sa situation , promit de lui faire connaître une infusion qui devait favoriser la conception. Il repartit chez lui et lui communiqua bientôt cette recette tant attendue par le couple. Les plantes nécessaires à la fabrication du remède furent vite rassemblées, l’infusion préparée et la femme subit le traitement. Peu de temps après, elle fut enceinte et, neuf mois plus tard, elle donna naissance à un garçon qui fut la joie et la richesse du couple. Pendant ce temps, le riche avait mené son épouse chez tous les gynécologues de la région et même d’Europe. Hélas ! sans aucun résultat. C’est à ce moment que ses proches lui conseillèrent de rencontrer le pauvre pour s’inspirer de son expérience. D’abord, il fut gêné par cette proposition car un riche ne devait jamais imiter un pauvre. Il hésita longtemps, cette démar- 67 trait le reste de sa bouteille. La reine en fit autant avec la sienne. Puis chacun attaqua le second flacon. Mais, petit à petit, l’alcool faisait son effet sur Djehossou qui, bientôt, glissa de son fauteuil et tomba dans un profond sommeil avant d’avoir rien découvert de la supercherie de son épouse. C’était, bien sûr, ce que la reine avait prévu. Alors sans perdre une minute, elle s’empara du couteau qu’elle avait préparé et, à son tour, coupa la tête du roi sanguinaire, cet affreux mari qu’elle avait dû si longtemps supporter et elle la déposa dans un panier. Ensuite, elle rassembla tout ce qu’elle pouvait porter et partit avec ses enfants vers son village natal. Elle tenait, dans sa main droite, le panier qui contenait la tête de sa mère assassinée par son cruel mari et, dans sa main gauche, celui qui contenait la tête du mari qu’elle venait de tuer pour venger cette mère qu’elle regrettait tant de ne pas avoir revue. Et ses enfants portaient le reste... Ainsi, au pas cadencé et rythmé par une chanson guerrière, tout le groupe se dirigea vers la maison paternelle. La chanson disait : «Mon mari a coupé la tête de ma mère; Il l’a mise dans un canari, canari ! canari ! Moi aussi, j’ai coupé la tête de mon mari Que j’ai mise dans un panier, panier ! panier ! Oh, ma mère ! Oh, mon mari ! Que je suis malheureuse !...» D’abord surpris par cet étrange cortège, tous les gens regardaient silencieusement ce défilé. Puis certains écoutèrent ce que disait les paroles de la chanson. Comprenant soudain ce qui s’était passé, tout le monde se mit à applaudir cette brave femme qui venait de les délivrer de Djehossou, le roi barbare. Elle fut portée en triomphe jusqu’au palais de son père où elle reçut en récompense la moitié des biens de celui-ci. Alors elle s’installa avec ses enfants dans son village natal où tous vécurent heureux jusqu’à la fin de leurs jours... * le sodabi est un alcool fabriqué par les paysans béninois. 66 La vilaine femme ayant obtenu le renseignement nécessaire prit le bijou et se rendit aussitôt chez le roi pour lui remettre la fameuse bague. Celui-ci la reconnut immédiatement. Il la prit vivement sans même remercier la traîtresse. Sûr qu’il était maintenant de pouvoir se venger de ce pêcheur prétentieux, il se rendit au bord de la rivière et, à l’insu de tout le monde, jeta la bague dans les flots. Mais, curieusement, cette bague fut aussitôt avalée par un poisson qui la prit pour une de ses proies favorites. Le stratagème évoluant comme il croyait, le roi convoqua MeïtchiBoro dès le lendemain et lui réclama sa bague afin de s’en servir " à des fins utiles ", dit-il, " et dans l’intérêt de son peuple ". Le pêcheur, confiant, revint sereinement à la maison où il mena des recherches vaines. Il retourna voir le roi qui ne voulut rien entendre de ses explications: " Ou tu me rends la bague ou tu perds la vie " finit-il par déclarer jouissant de la réussite de son idée. Meïtchi-Boro repartit chez lui très soucieux. Néanmoins, dès qu’il fut rentré, il reprit ses recherches dans tous les coins et les recoins de sa maison. Mais, bien sûr, ce fut en vain. Le jour de la remise de la bague était fixé. Elle devait avoir lieu sur la place publique et en présence de tout le peuple. Le jeune homme réfléchit des jours durant sans trouver la moindre réponse à son problème. La veille du jour prévu pour la remise de la bague, il décida d’aller pêcher pour oublier un moment son malheur. Il eut de la chance et rapporta beaucoup de poissons qu’il vendit, se réservant le plus gros pour lui-même. Rentré à la maison, il demanda à sa première épouse de lui préparer ce magnifique poisson pour son dernier repas car, n’ayant pas retrouvé la bague, il devait se préparer à mourir. Pouvez-vous deviner la suite ?... Pendant que la femme vidait le poisson, une bague tomba 11 de ses entrailles. Le pêcheur, assis non loin de là, pensif, fut alerté par le bruit du métal tombant sur le sol dur. Il leva les yeux vers son épouse qui lui tendit, étonnée, la bague qu’elle venait de ramasser. Quelle ne fut pas la surprise de Meïtchi-Boro, c’était le fameux bijou !... Le vaillant pêcheur se leva sans laisser paraître sa joie et remercia le seigneur de lui avoir sauver la vie. Le comportement du mari étonna bien la seconde épouse, auteur de la trahison, mais elle ne sut que penser car elle n’avait rien vu ni rien entendu. Hormis cette dernière, toute la maisonnée préparait le deuil de veuvage et d’orphelinat tel que la coutume le voulait. Le lendemain matin, très tôt, la place publique était noire de monde. Chacun se demandait ce qui allait se passer si le pêcheur ne remettait pas la bague au roi. Les commentaires circulaient à propos du sobriquet. Soudain, tous se turent. Un silence de mort s’étendit sur la place et la voix du roi retentit par celle de son porte-parole. L’angoisse planait. Le bourreau, debout, attendait l’ordre du roi. Alors le pêcheur se détacha de la foule, avança lentement et fièrement vers le roi, le fixa un instant et lui tendit la bague. Grande fut la surprise de sa majesté et de tout le public. " Comment a-t-il bien pu retrouver cette bague ? " se demanda le roi Dieu et Meïtchi-Boro, seuls, le savaient... Toute la foule sidérée, trempée de sueur froide, admira le pêcheur pour sa chance et son sang-froid. Le roi, ahuri, fut bien obligé de le remercier et, en récompense, il lui donna la moitié de ses biens, convaincu, depuis ce jour, que certains sobriquets révélaient des capacités incontestables... 12 Elle ne laissa donc rien paraître de son émotion afin de prendre tout le temps nécessaire pour élaborer son plan de vengeance. Un jour que le roi Djehossou était de bonne humeur, la reine jugea le moment favorable à l’exécution de ce plan et elle lui fit la proposition suivante : " Dada-Segbo, je te vois de joyeuse humeur et j’ai envie de te lancer un défi. " Surpris, le roi ricana longuement et déclara : " Depuis quand l’eau devient-elle feu ? " Mais sa femme l’interrompit et continua : " Voici ce que je te propose : Essayons de voir qui de nous deux résistera le mieux à boire deux litres de sodabi * sans être ivre. " Djehossou recommença à rire. Il riait aux larmes en disant : " Toi, ma femme, te mesurer à moi ? Et ceci à propos de sodabi ? Eh bien nous verrons bien ça ! " Le rendez-vous fut pris et ils convinrent qu’ils seraient les seuls témoins de cette aventure. Au jour dit, la reine avait fait ses provisions : deux bouteilles étaient remplies de sodabi mais deux autres bouteilles ne contenaient que de l’eau. Cela prêt, il s’agissait pour elle de bien mener la suite des opérations. Quand le roi arriva, elle s’avança vers lui en disant : " Oh! puissant roi , daignez prendre vos bouteilles et mettons-nous à l’épreuve. " La malicieuse femme avait placé les bouteilles de manière à ce que le roi prit bien celles qui étaient pleines de sodabi. Très sûr de lui, le roi s’empara des flacons qui lui étaient destinés et commença à boire goulûment. Un quart de la bouteille avait déjà disparu quand la reine, voyant que son stratagème se déroulait comme prévu, se mit à boire elle aussi. Mais elle, c’est la moitié de sa première bouteille qu’elle avala d’un trait et sans la moindre difficulté. Blessé dans son amour propre en constatant que sa femme avait déjà avalé deux fois plus de liquide que lui, le roi vida d’un 65 LA TEMERITE RECOMPENSEE L’HUILE ROUGE, L’IGNAME ET LA PANTHERE Mon conte roule, roule et tombe sur un puissant roi dont la méchanceté était telle que tous ses sujets le détestaient. Son seul nom de Djehossou faisait frémir même les autres rois des alentours. Néanmoins, comme la coutume l’obligeait à épouser une princesse, il réussit à convaincre l’un de ces rois à lui donner sa fille en mariage. Mais le mariage ne rendit pas Djehossou meilleur et aucun jour ne passait sans que cette princesse, devenue reine, ne soit battue jusqu’au sang. Personne ne pouvait intervenir en sa faveur, pas même son père qui était pourtant roi lui-même. Tout le monde avait si peur de sa cruauté que Djehossou ne recevait aucune visite. Cependant, l’amour maternel restant très fort, sa belle-mère décida un jour de rendre visite à sa fille. Malheureusement celleci était absente ce jour-là et elle ne put la rencontrer. Furieux de cette visite inopinée, le roi Djehossou se jeta sur sa belle-mère et lui trancha la tête. Il déposa la tête dans un canari à couvercle qu’il cacha soigneusement dans sa chambre et le reste du corps fut enterré le plus discrètement possible loin de sa maison. Ainsi, Djehossou pensait garder secret ce nouveau méfait. Mais c’était sans compter avec ses propres enfants qui, dissimulés derrière un buisson, avaient suivi toute l’horrible scène. Dès son retour, la reine fut secrètement informée du sort de sa malheureuse mère par ses enfants apeurés. Hélas ! elle ne pouvait plus rien faire pour sa pauvre mère. Mais après ce nouveau crime, elle était fermement décidée à faire chèrement payer, à ce mari cruel, la mort de sa mère bien aimée. L’Huile Rouge (1), l’Igname (2) et la Panthère étaient devenues de très bonnes amies. Tous les cinq jours, elles allaient ensemble au marché. Sur le chemin, il y avait un gros arbre bien touffu. A chacun de leur voyage, lorsqu’elles arrivaient près de cet arbre, elles enlevaient leurs peaux qu’elles accrochaient aux branches et alors, elles se transformaient en femmes pour aller vendre leurs produits. Au retour, elles reprenaient leurs peaux et retrouvaient leurs formes initiales. Et cela durait depuis bien longtemps... Mais un jour, un chasseur nommé Dossou s’était caché dans l’arbre et les surprit dans leur transformation. Il ne se montra pas mais, après leur départ, il sauta à terre, saisit les peaux et les cacha. Puis il regagna sa cachette en attendant le retour des femmes. Lorsqu’elles eurent fini leur vente, elles revinrent, comme chaque fois, sous l’arbre et, ce jour-là, elles s’aperçurent que leurs peaux avaient disparu. Elles cherchèrent, cherchèrent, cherchèrent encore jusqu’à ce que l’homme descendit de l’arbre. Il leur demanda : -" Qu’est-ce que vous regardez comme ça , sous cet arbre ?" Nous cherchons ce que nous avions accroché ici. " Si je vous le retrouvais, qu’est-ce que vous me promettriez en échange ? " Oh, tout ce que tu voudras ! répondirent-elles en choeur. " Alors, vous allez devenir mes femmes ! " Elles acceptèrent mais elles demandèrent à Dossou : -" As-tu déjà une femme ?" Oui, répondit-il " S’il en est ainsi, tu dois t’engager à ne jamais dévoiler notre secret. " Il promit et il les emmena chez lui où la première femme les accueillit gentiment pensant qu’elles étaient de simples visiteuses. Mais, à sa grande surprise, elles restèrent longtemps. Si longtemps qu’elles purent faire, chacune, plusieurs enfants. Avec le temps, la première femme devint jalouse et demanda des 64 13 explications à Dossou car elle en avait assez de ne plus pouvoir cuisiner ce qu’elle avait l’habitude de préparer pour les repas avant leur arrivée. Dossou, lassé par ses qestions incessantes, finit par lui dire la vérité : " La femme qui a le teint clair est l’Huile Rouge. Et c’est à cause d’elle qu’on ne mange plus d’huile rouge dans notre maison depuis son arrivée. La géante, c’est l’Igname. C’est à cause d’elle qu’on ne mange plus d’igname non plus. La troisième est la Panthère et c’est à cause d’elle qu’on ne mange plus de viande depuis qu’elle est là". Après avoir dévoilé ses secrets, Dossou partit à la chasse comme si rien n’avait changé. Mais dès qu’il eut tourné les talons, la première femme se précipita au marché pour acheter de l’huile rouge, des ignames et de la viande comme elle le faisait autrefois, avant l’arrivée de ces trois femmes. Dès son retour, elle mit la viande sur le feu mais la viande ne grilla pas. Alors elle se fâcha et la renversa. Puis elle mit l’huile rouge à chauffer mais l’huile ne blanchit pas. Alors elle se fâcha de nouveau et la jeta. Enfin, elle essaya de cuire les ignames mais elle ne réussit pas non plus. Alors elle se fâcha encore et les jeta aussi. Puis elle commença à injurier les trois amies. Quand elle fut un peu calmée, elle partit faire sa toilette. A sa sortie, les trois femmes se ruèrent sur elle, la tuèrent, la brûlèrent et la mirent dans une bouteille sur laquelle elles inscrivirent que ces cendres étaient celles de la première femme de Dossou. Puis elles s’emparèrent de leurs peaux dont elles avaient découvert la cachette et se sauvèrent. A son retour de la chasse, Dossou chercha partout et ne retrouva aucune de ses femmes. Mais, dans la cour, il aperçut bientôt une bouteille portant une inscription. Il s’approcha et, comme il savait lire, il comprit tout de suite ce qui s’était passé. Alors, il se précipita dans la rue et appela : " Au secours ! Au secours ! " Tous les voisins accoururent et le virent tout en larmes mais ils ne purent que constater la situation. C’est pour éviter de telles déconvenues qu’il faut savoir garder un secret... Après les avoir écoutés attentivement raconter leur histoire, le lièvre s’enquit encore : " Comment toi, si petite, as-tu pu retirer ce gros boa d’un piège ? Je n’arrive pas à imaginer comment tu as pu le faire... Pour te croire, il faudrait que je voie comment les faits se sont réellement déroulés depuis le début. - Alors il faudrait que nous retrouvions le trou et le piège, " reprit la tortue. Le boa n’osait s’attaquer à sa proie en présence du lièvre car il avait un peu honte de son attitude. Il écoutait le lièvre et la tortue. " Eh bien, retournons au bord de la rivière et remettez-vous chacun dans la position que tu as décrite. " dit le lièvre. Approuvant la sagesse du lièvre et pressé de se débarrasser de lui, le boa consentit à rebrousser chemin avec la tortue pour montrer au lièvre ce qui s’était passé. Ils retrouvèrent le piège. Le lièvre l’ouvrit et demanda au boa de se remettre à l’intérieur. Et, lorsque le serpent fut à nouveau bien serré, le lièvre, s’adressant à la tortue, dit : " Est-ce bien ainsi que tu as trouvé le boa ? - Bien sûr que c’est ainsi, lui répondit la tortue. - Et c’est là qu’il t’a promis de ne pas te manger si tu le délivrais ? - Oui, c’est ce qu’il a dit. - Eh bien, reprit le lièvre, maintenant que le boa a repris sa place et que tu ne cours plus aucun danger, reprend tranquillement ton chemin et laisse-le là où il est. " Et la tortue suivit le bon conseil du lièvre... 1 - l’huile rouge : c’est l’huile de palme non raffinée utilisée pour la cuisine et au cours de certaines cérémonies dans la religion animiste. 2 - l’igname : c’est une plante cultivée dans les régions tropicales pour ses tubercules qu’on utilise comme des pommes de terre. 14 63 Un peu plus tard, une tortue vint à passer près de l’endroit où le boa était captif. Dès qu’il la vit, le boa lui demanda son aide : " Sauve-moi, chère tortue, je t’en supplie. Vois comme je suis malheureux prisonnier de ce piège ! " Insensible à ses plaintes, la tortue lui répondit : " Tu es un danger pour moi. Si je te sauvais, je suis sûre que tu me mangerais ! " Mais le boa trouva les mots qu’il fallait pour rassurer la tortue et affirma qu’il ne la mangerait pas si elle le faisait sortir de sa prison. Convaincue par les bonnes paroles du serpent, la tortue consentit à ouvrir le piège et le boa se dégagea le plus vite qu’il put. Bien sûr, dès qu’il fut libre, il oublia ses promesses et dit à la tortue : " Voilà deux mois que je n’ai rien pu avaler. Je suis terriblement affamé et il faut que je te mange !..." A peine eut-elle entendu ces derniers mots que la tortue s’écarta aussi vite qu’elle put en s’écriant : " N’est-ce pas ce que j’avais d’abord prévu ? Vraiment, personne ne peut te faire confiance ! Mais je ne me laisserai pas faire, crois-moi ! " Et elle détala comme on n’avait jamais vu une tortue le faire. Le boa se mit aussitôt à la poursuivre quand ils rencontrèrent l’hyène. Etonnée de cette étrange poursuite, elle demanda ce qui leur arrivait. " J’ai trouvé le boa pris dans un piège depuis deux mois, expliqua la tortue, je l’ai délivré et maintenant il veut me manger ! - Eh, bien laisse-le faire, dit froidement l’hyène et elle reprit son chemin. L’ARAIGNEE, LE MOUTON ET LE BOUC Mon conte roule, roule, roule et tombe sur l’Araignée, le Mouton et le Bouc. L’Araignée, le Mouton et le Bouc étaient de bons amis. Un jour, l’Araignée voulant rendre visite à sa belle-mère, dans un village situé à plusieurs jours de marche de sa maison, demanda au Mouton de l’accompagner. Celui-ci accepta, pensant qu’il en tirerait sûrement quelques avantages. En partant, l’Araignée remit à son compagnon un gros sac contenant des assiettes et des bols et elle prit sa canne en main. Puis elle recommanda au Mouton de déposer un bol ou une assiette au bord de la route à chaque fois qu’elle pointerait sa canne en terre. Et ils partirent... L’Araignée marchait et le Mouton la suivait. A chaque coup de canne de l’Araignée, le Mouton déposait au bord de la route soit un bol soit une assiette comme il avait été convenu. Il exécuta si bien la consigne que toute la collection de bols et d’assiettes fut bientôt épuisée alors que les deux compères étaient encore à une demi-journée de marche du village de la belle-mère. Toute éberluée par la réponse de l’hyène, la tortue reprit sa course car le boa arrivait à toute vitesse. C’est alors que le lièvre, toujours curieux, voulut savoir les raisons de cette course effrénée : " Où allez-vous ainsi ? Que se passe-t-il ? " Quand ils arrivèrent chez elle, on servit à manger. Mais l’Araignée demanda alors au Mouton de lui donner une assiette pour avoir sa part de nourriture. Le Mouton ne comprenait pas bien car toute la vaisselle avait été déposée sur le bord du chemin comme l’Araignée avait dit. Celle-ci justifia sa demande par le fait que sa belle-mère ne comprendrait comment 62 15 elle, personnage si important dans le village, pourrait manger dans le même plat qu’un Mouton. Sans rien dire, le Mouton retourna chercher la dernière assiette qu’il avait déposée sur le chemin. Mais bien avant son retour, le repas était terminé et l’Araignée ordonna à son "ami " d’aller remettre l’assiette à sa place puisqu’il n’y avait plus rien à manger. Cette scène se répéta plusieurs fois pendant la semaine du séjour si bien que le Mouton, penaud, décida de rentrer chez lui. Sur le chemin du retour, il trouva, dans un champ, du vin de palme qui, seul, pouvait lui rendre sa bonne humeur. Mais il s’en remplit tant la panse qu’il dut se boucher l’anus avec une feuille pour pouvoir rentrer. Arrivé à la maison, ses enfants réclamèrent à manger. Il décida de leur cueillir des papayes*. Mais pendant qu’il grimpait au papayer*, un enfant voulut enlever la feuille qui, pensait-il, gênait son père et tout le vin que ce dernier avait bu s’écoula. Alors le Mouton s’évanouit et trépassa... Une autre fois, ce fut le Bouc que l’Araignée sollicita pour l’accompagner chez sa belle-mère. Mais ce dernier n’était pas bête comme le Mouton. Et il le montra... Au moment de partir, l’Araignée donna au Bouc les mêmes instructions qu’au Mouton, à savoir : déposer un bol ou une assiette sur le bord du chemin à chaque endroit où elle pointerait sa canne. En cours de route, l’Araignée fit comme elle avait dit mais le Bouc n’exécuta pas la consigne car il soupçonnait quelque ruse. Quand l’autre pointait sa canne quelque part, il remuait le sac, prenait un bol qu’il tapait sur le sol. Puis il le remettait dans le sac. Ainsi il put tout conserver et, dès son arrivée chez la belle- 16 LE BOA ET LA TORTUE Voici mon conte. Qu’il aille et qu’il vienne !... Il était une fois, au pays des animaux, un boa et une tortue qui vivaient sans ennuis... Mais un jour, la famine s’installa dans ce pays et nos deux compères ne trouvèrent rien à manger... Alors le serpent se rendit au bord de la rivière et se cacha dans un trou à l’affût de toute proie. Ainsi, il tua tous les animaux qui passèrent à sa portée et les mangea. Un chasseur apprit bientôt la conduite du boa et décida de débarrasser le pays de ce cruel animal. Quand il eut découvert sa cachette, il plaça un piège juste à l’entrée du trou de telle manière que le boa serait pris dès sa première sortie. Ce qui arriva presque aussitôt. Prisonnier de ce piège, le serpent trouvait le temps long car il était à nouveau dans l’impossibllité de se nourrir. Une petite souris qui passait par là en revenant de sa promenade quotidienne découvrit le boa qui la supplia : " Oh , petite souris ! Je t’en supplie ! Délivre-moi de ce piège affreux ! " Mais connaissant bien le serpent, la souris répliqua: " Si je te sauvais, tu me mangerais. J’en suis sûre ! " Et elle continua son chemin. 61 Le père était désespéré. Il s’arma d’un coupe-coupe et retourna chez la mort bien décidé à se venger de Okou qui ne tenait pas ses promesses. Face à lui, il leva son coupe-coupe mais son bras resta suspendu et ne put redescendre sur OKOU, qui, surpris, lui demanda : "Que veux-tu faire ? - Je suis venu pour te tuer parce que deux de mes enfants sont morts depuis tu m’as fait la promesse qu’aucun ne mourrait plus désormais ! " Alors OKOU l’invita à le suivre jusqu’au bord de la rivière où il y avait un grand arbre. Là, il lui demanda de grimper dans l’arbre pour observer ce qui allait se passer. Un certain temps s’écoula. Puis notre homme vit arriver un piroguier amenant une jeune fille. Celle-ci se présenta à un secrétaire qui enregistra ses voeux. Elle déclara : " Je veux que ma mère meure au moment de ma naissance ! " Aussitôt après, c’est un jeune homme qui se présenta et qui souhaita vivre immensément riche et heureux. Il désirait, lui, que la mort le surprenne par accident au cours d’un voyage. Puis un troisième demanda que, le jour de son baptème, un incendie détruise toutes les richesses de ses parents. Enfin, un quatrième formula le voeu que ses parents aient quarante et un enfants avec beaucoup de richesses et sans maladie ni décès. Perché sur son arbre, l’homme n’en croyait pas ses oreilles. Il en descendit et rejoignit OKOU qui lui expliqua ce qu’il venait de voir : " Les gens que tu as vus sont des candidats à la naissance et ils ont dit ce qu’ils désiraient vivre !.. Voilà la vérité et rien de plus... " L’homme était très troublé lorsqu’il retourna dans son village. Mais à son retour, il apprit qu’une maman était morte en accouchant et que, le jour d’un baptème, un incendie s’était déclaré dans une autre famille et qu’il avait détruit tous les biens de ces genslà. Les autres prédictions se réalisèrent aussi un peu plus tard. Il en conclut que la Mort n’avait pas menti et se résigna à accepter la disparition de ses chers enfants... *Le goun est une des langues parlées au Bénin 60 mère, il cacha le sac derrière la maison. Lorsque le moment du repas arriva, l’Araignée envoya le Bouc chercher un bol pour recevoir sa part de nourriture. Prestement, le Bouc courut derrière la case et revint presqu’aussitôt avec un bol. Surprise et dépitée à la fois, l’Araignée ne put que lui donner ce qui lui revenait. Trois jours de suite, le Bouc réussit à apporter le bol à temps et l’Araignée, de plus en plus fâchée, était obligée de le laisser manger. Tout de même, le quatrième jour, elle trouva une autre idée : elle envoya le Bouc à la chasse pour le compte de sa bellemère et profita de son absence pour dire à celle-ci : " Ne nous servez plus le repas le jour. Attendez la nuit. Je me coucherai au plus près de la porte et me couvrirai du drap blanc. Vous me porterez vous-même la nourriture à la bouche et quand je dirai " Ton, ton, non ! vous me ferez boire. " Malheureusement pour l’Araignée, le Bouc s’était caché derrière la case au lieu d’aller chasser et il avait entendu tout le complot. Alors, la nuit venue, il attendit que l’Araignée fut endormie pour s’introduire dans la pièce où elle dormait puis il la poussa tout doucement et prit sa place sous le drap blanc. Au milieu de la nuit, la belle-mère arriva avec le repas et fit manger le Bouc en croyant faire manger l’Araignée. Entendant : " Ton, ton, non ! " elle lui donna à boire et repartit. Le lendemain, après que le Bouc fut envoyé une nouvelle fois à la chasse, l’Araignée demanda à sa belle-mère pourquoi elle n’était pas au rendez-vous de la nuit. Bien sûr, elle répondit qu’elle y était. Alors, toutes deux comprirent que le Bouc les avaient eues. Mais l’Araignée avait un autre tour dans son sac : elle décida de quitter sa belle-mère avant le retour de son compagnon afin 17 de garder pour elle seule l’arachide grillée que leur hôtesse devait leur offrir. C’était, bien sûr, sans compter avec la ruse du Bouc qui, encore une fois caché derrière la maison, avait tout entendu. Bien décidé à se venger d’une amie aussi ingrate, le Bouc partit avant le réveil de l’Araignée et il courut l’attendre sur le chemin du retour. Quand il l’aperçut, il se transforma en un joli foulard car il était un peu magicien. L’Araignée trouva le foulard à son goût, le ramassa et en couvrit son arachide grillée dans le sac. Quelques instants plus tard, elle entendit une chanson dont elle chercha en vain la provenance. Elle comprenait : "Clu, clu, clu, c’est très doux Clu, clu, clu, c’est très doux Rien de plus doux que Ce que la belle-mère a donné. " Mais sans savoir ce que cela signifiait. Or c’était le Bouc qui chantait en mangeant les arachides grillées dans le sac. Mais l’Araignée ne s’apercevait de rien. Arrivée à la maison, elle invita ses enfants à prendre ce qu’elle leur avait ramené de son voyage. Ceux qui se présentèrent avec de petits bols furent sévèrement châtiés car ils doutaient de la générosité de leur aïeule et ceux qui avaient apporté des bassines furent félicités. Mais, à l’ouverture du sac, ce furent de grosses abeilles qui sortirent du sac et qui tuèrent toute la famille de l’Araignée... * le papayer est un arbre des régions tropicales dont les fruits s’appellent des papayes et qui ressemblent à des melons. 18 A CHACUN SELON SON DESTIN Mon conte roule, vole, plane et tombe sur la mort... Il y a bien longtemps, un homme habitait dans une maison isolée. Il s’appelait OKOU, ce qui signifie " la mort " en goun*. Il ne parlait à personne et sa vie paraissait bien mystérieuse aux gens du village... Un jour, dans un autre village très éloigné, un père qui avait perdu successivement dix de ses enfants se plaignait amèrement. Voyant son chagrin, ses voisins lui conseillèrent alors d’aller consulter OKOU. Il demanda le chemin et partit... Arrivé chez la Mort, il l’interrogea : " Peux-tu me dire pourquoi mes enfants meurent ainsi dans ma maison ! " OKOU rit longtemps de cette question et demanda à son tour : " Crois-tu vraiment que c’est moi qui suis l’auteur de la mort de tes enfants ?..." Et il ajouta : " Je te propose de devenir mon ami et je te promets que désormais aucun de tes enfants ne mourra plus. Combien d’enfants te reste-t-il ? - Huit, répondit l’homme. - Eh, bien ! plus aucun ne disparaîtra ! " Rassuré, l’homme rentra dans son village. Mais quelques mois plus tard, un enfant attrapa la fièvre. Le père fut à nouveau plein d’inquiétude et il retourna chez OKOU : " Comment se fait-il que j’ai encore un enfant malade chez moi malgré notre accord ? " OKOU, la mort, le rassura et confirma que personne ne mourrait chez lui. Alors l’homme regagna son logis. En dépit des promesses de OKOU, l’homme vit mourir son petit malade et un autre de ses enfants attrapa la même fièvre et mourut aussi. 59 Le lion répliqua avec ironie : " Tu es fatiguée ? Alors vraiment ça, ça m’est complètement égal... Allez pousse ! Pousse encore ! Tant pis pour toi ! " UNE PROMESSE TROP BIEN TENUE Elle se remit donc à le pousser et cela pendant encore un long moment car elle n’osait pas déplaire à ce gros lion... Enfin, n’y tenant plus, elle choisit le moment où le lion était le plus haut et elle se sauva à toutes jambes. Aussitôt, le lion descendit de la balançoire et courut derrière elle. Il la poursuivit jusqu’au portail de sa maison... Et là, il lui asséna un grand coup de griffes qui la blessa profondément dans le dos mais elle réussit tout de même à lui échapper. Cette blessure lui laissa une cicatrice longue et creuse tout le long de son dos. C’est, dit-on, ce qui devint plus tard, beaucoup plus tard, notre colonne vertébrale. Texte de BOCO Débora - CM2 réécrit par les stagiaires. 58 Il était une fois un chasseur, un pauvre chasseur qui hérita d’une poignée d’or, qu’il enterra sous son lit pour bien la protéger contre les voleurs. Un jour, alors que le gibier devenait rare dans les environs, il entreprit d’aller chasser dans un lointain pays. Le matin de son départ, il s’entretenait avec sa femme, sa douce Sèché toute en pleurs : "Ne pleure pas, Sèché, je reviendrai dans trois mois. Voilà notre fortune enterrée sous le lit. Garde-la bien, c’est tout ce que nous possédons. Et pour t’aider, voici mon Yayangan ! " Il lui tendit une lourde épée recourbée. " Tu en auras sûrement plus besoin que moi. Quiconque tentera de te surprendre la nuit aura les os brisés par cette arme si tu lui en assènes un coup sur le dos. Et surtout, pas d’hospitalité ! " A toutes ces recommandations, Sèché répondit le visage noyé de larmes : " Oui, mon chéri, je ferai selon ta volonté. Mais j’espère que tu feras aussi selon la mienne, c’est-à-dire que tu reviendras vite, n’est-ce pas ? " Il ne dit rien de plus. Il semblait aussi avoir du chagrin à l’idée de quitter sa femme. Pourtant, il cacha sa souffrance pudiquement et sauta en selle en essayant de réprimer un sanglot... Et voilà, il était parti... Sèché regarda un instant sa silhouette s’effacer à l’horizon. Puis elle revint s’enfermer solitairement dans sa chambre afin de retrouver un peu de calme dans ses soupirs... Cependant, la nuit suivante, alors qu’elle était encore souffrante, elle entendit le grincement d’une clé qu’on essayait d’intro- 19 duire dans la serrure. Elle se leva promptement, attrapa le yatangan qu’elle leva au-dessus de sa tête prête à frapper et cria : " Qui est là ? - Un blessé quelconque, répondit une voix d’homme à la porte. Je suis poursuivi. Vous ne m’abriterez pas ? - Pas d’abri possible, mon cher, décampez ! " Et elle n’entendit plus rien d’autre que les pas de l’homme qui s’éloignait en jurant... Pourtant, à quelques temps de là, elle entendit de nouveau le bruit d’une clé dans la serrure. Mais cette fois la porte s’ouvrit. Elle se précipita sur le yatangan et le brandit bien haut. Son coeur bondissait dans sa poitrine. Elle vit alors se dessiner l’ombre d’un homme dans l’entrée de sa maison. Il était masqué ce qui accroissait encore la peur de Sèché. L’homme s’avançait d’un pas imposant, comme fier de luimême, et justement, il se dirigeait vers la chambre où se trouvait l’or. Sans attendre davantage, Sèché le rejoignit d’un bond et lui assena un coup de yatangan sur le dos, comme elle l’avait promis à son mari. Elle frappa si fort que l’épée atteignit le coeur qu’elle trancha net. L’homme chancela et s’effondra lourdement sur le sol. Alors, Sèché alluma sa lampe et enleva le masque de l’individu. Quelle ne fut pas sa surprise !... Sèché était médusée par ce qu’elle voyait... Elle regarda plus attentivement le visage de cet homme qui gisait là, sous ses yeux... Eh bien, oui ! Elle ne pouvait plus en douter. Cet homme était son mari, son mari qu’elle croyait parti pour un pays lointain et qui était venu se voler lui-même ! Et pourquoi ? Elle ne sut jamais répondre à cette question. Et pour tout le reste de sa vie, ce logis devint une galère et ses deux joues furent deux lits où des fleuves de larmes brûlantes coulaient sans cesse... 20 LA COLONNE VERTEBRALE Une femme vivait seule avec sa fille. Comme elle voulait aller seule faire ses courses, elle recommanda à sa fille : " Ne bouge pas de la maison avant que je revienne. " La petite promit d’être obéissante. Mais dès que sa mère eut tourné le dos, elle commença par s’assurer que sa mère était bien partie. Puis elle se rendit chez ses amies voisines pour s’amuser. Toutes trois décidèrent d’aller dans la brousse jouer à la balançoire qui était installée à la grosse branche d’un arbre. Làbas, en toute liberté, elles s’amusèrent beaucoup presque jusqu’au soir. La fillette était si accaparée par le jeu qu’elle ne s’aperçut même pas que ses amies lui avaient faussé compagnie. Elle se balançait et elle se balançait encore, sans se lasser et sans s’occuper de ce qui se passait alentour. Elle continua encore, jusqu’à ce qu’un lion survint. Tenté par ce jeu, il lui demanda de descendre pour le laisser jouer à son tour. Elle descendit donc et le lion prit sa place mais il lui demanda aussi de le pousser. Elle le poussa un certain temps mais ce n’était plus du tout amusant et bientôt elle sentit la fatigue l’accaparer. Alors, elle dit : " Oh ! lion, je suis à bout de souffle ! Oh ! lion, je suis à bout de souffle ! " 57 L’ORIGINE DE MAMI WATA Il y a bien longtemps un homme et une femme vivaient dans un village lointain près de la mer. Régulièrement, le mari donnait de l’argent à sa femme pour nourrir la famille et entretenir la maison. Mais comme elle était très gourmande, elle mangeait tout ce qu’elle préparait. C’était devenu une véritable maladie. Un jour, la femme accoucha de leur premier enfant. Pour la cérémonie célébrant sa sortie, le mari avait été très généreux pour couvrir les frais du bon repas qu’il voulait offrir à ses invités. Il avait pu constater que sa femme avait préparé beaucoup de mets et il en était très heureux. Hélas ! comme c’était devenu une habitude chez elle, elle ingurgita tout. La cérémonie se déroula selon le rituel convenu et le moment du repas arriva. Et là, quelle surprise pour le mari ! Il n’y avait rien à manger. Profondément vexé, le mari dut organiser un repas frugal pour sauver les apparences et cacher le défaut de sa femme qui l’inquiétait de plus en plus. Dans les jours qui suivirent, il alla trouver un guérisseur pour connaître le remède capable de guérir sa femme. Il expliqua clairement la maladie de son épouse et le guérisseur l’écoutait attentivement. Puis il déclara : " Voici une poudre magique dont vous saupoudrerez la nourriture qu’elle aura préparée. " Le mari confiant prit la précieuse poudre et rentra chez lui. Avant le repas suivant, il suivit scrupuleusement les consignes du guérisseur et retourna à son travail. Dès qu’elle s’est retrouvée seule, la femme éprouva le besoin de manger comme à son habitude. Joyeuse, elle commença à chanter en voulant prendre le plat qu’elle désirait manger. Mais à chaque fois qu’elle tendait la main pour le prendre, celui-ci s’éloignait, s’éloignait, s’éloignait et ainsi jusqu’à la mer. Bientôt le plat disparu dans les flots et la femme le suivit jusqu’à disparaître elle aussi sans jamais revenir... Elle est devenue par la suite la sirène que nous appelons Mami Wata !... D’après MEDENOU Jéronime - CM2. 56 GBETO VIVI (L’HOMME) Edjo, le serpent, et Ekou, la souris, étaient deux amis inséparables. Ils vivaient même en bonne intelligence avec les autres bêtes de la forêt. Mais la souris, comme tous les rats des champs, craignaient les oiseaux de proie et elle décida un jour de quitter son ami Edjo pour aller chercher asile au village, dans une chaumière de l’homme. Au renouveau, quand, après une longue saison sèche et le rude harmattan*, les premières pluies eurent lavé la pioche, Ekou, la souris, retourna dans la forêt voir son ami Edjo devenu solitaire depuis l’exil de sa compagne. Ce fut un évènement et ils fêtèrent leurs retrouvailles. Comme Ekou racontait sa nouvelle vie, le serpent s’étonna que la souris ait pu s’adapter aussi bien chez l’homme, ce rusé qui fait la chasse aux bêtes : " Dis-moi, Ekou, vas-tu retourner au village ? - Tu en doutes, Edjo ? Je m’y plais bien et je suis sûre que tu peux m’y rendre visite sans aucun risque. - Te sens-tu en sécurité ? reprit Edjo, sceptique. Je te comprends mal, tu as peur de la mort et tu te caches dans le fourreau de l’épée. - Tu exagères, rétorqua la souris, à ma connaissance, il n’y a rien de plus "doux " que l’homme. Je suis chez lui à l’abri des hiboux et de tous les autres oiseaux de jour et de nuit qui me persécutaient ainsi que tous les miens. Je mange gratuitement du fromage, de la moutarde. Je grignote des noix à volonté. L’homme est " doux ", " doux ", te dis-je. C’est le moins que je puisse dire. Dans sa chaumière, je trouve à me marier sans peine, je fais des enfants et toute ma progéniture mange à sa faim. Et ce n’est pas tout : mes frères et toute la gente ailée, les perdrix, les pintades et tous les autres vivent aux dépens de l’homme. Oui vraiment, je te le répète, l’homme est "doux". 21 Cette apologie intrigua le serpent car tout ce qu’il avait entendu de la souris était contraire à tout ce qu’il savait de l’homme jusqu’alors. Il accompagna donc la souris pour en savoir plus long. Accroché aux branches d’un arbre, le reptile se mit à l’affût et, toute la nuit, il attendit que l’homme passa sur le chemin juste au-dessous de lui. Au petit matin, le serpent en vit un qui, se rendant à son labeur quotidien, s’approchait d’un pas alerte. D’un saut, Edjo se jeta sur lui et lui planta ses crochets dans le gras du dos pour goûter la douceur de l’homme et vérifier ainsi les dires de la souris. Coup fatal pour l’homme car le venin du serpent était mortel et il s’écroula terrassé. La nouvelle de la mort du laboureur se répandit comme une traînée de poudre. Parmi les rats et tous les autres parasites de l’homme, ce fut la consternation. On s’arrachait les cheveux. Ekou alla se plaindre au Lion, le roi de la forêt, toute en larmes et toute défaite. Le roi convoqua sa cour, puis toute la population et l’on jugea le serpent. "Le serpent doit répondre de son forfait ! " s’écria la souris. Les bourreaux étaient déjà prêts à ligoter le coupable quand le sage Lion ordonna d’écouter d’abord l’accusé. " Sire, dit alors le serpent, c’est mon amie la souris qui m’a trompé. Elle m’avait dit que l’homme était " doux " alors j’ai voulu le goûter. - Doux ? - " Doux ", Sire. Un grand brouhaha parcourut la foule et les jurons fusèrent de tous les côtés vers Edjo car sa sottise apparaissait aux yeux de tous. "C’est idiot, s’écria la souris. Ce n’est pas ce que je voulais dire ! -Tais-toi ! gronda le roi des animaux. Le serpent est bien long mais il a les idées courtes ! " Et il poursuivit : " A partir de ce jour, j’ordonne que tout ce qui respire apprenne à parler sans équivoque ! Qu’on s’en souvienne !..." Et l’assemblée se dispersa, chacun retournant à ses occupations. Mais c’est depuis ce jour-là que les serpents mangent les souris... *L’harmattan : C’est un vent qui souffle pendant la saison sèche en Afrique occidentale 22 que le garçon demandait à le voir. Intrigué par les paroles de ses différents serviteurs, le roi décida de se rendre auprès de cet enfant. Conscient de la gravité de sa situation car on ne faisait pas déplacer un roi sans risque, le garçon se remit à pleurer dès qu’il aperçut le roi et recommença sa chanson : " Les messagers du roi, attendez là, j’ai quelque chose à vous dire ; (bis) J’avais mangé beaucoup d’ablo, Quand je rencontrai Achivi, la féticheuse. Achivi, donne-moi de l’eau ! Achivi refusa de me donner de l’eau. Je jetai alors un peu de sable sur son corps . Achivi Ogouton ! Achivi Ogouda ! Achivi brisa le canari, Achivi le jeta ! " Bouleversé par l’état de l’enfant et par l’attitude de la féticheuse, le roi l’emmena au palais et le fit soigner. Quelques jours après, il était guéri. Alors, le roi fit appeler la féticheuse et s’écria : " Tu as menti ! Tu seras punie !.. " Et la féticheuse fut tuée et son sang fut versé sur le fétiche. C’est depuis ce jour-là qu’on donne du sang au fétiche, qu’on évite de mentir et qu’on ne refuse jamais de donner de l’eau au passant... Texte de BADJI Eusèbe - CM2 , réécrit par les stagiaires. 1 - les féticheuses sont des femmes qui reçoivent une formation secrète pour célébrer les fétiches. 2 - les fétiches sont des objets ou des animaux auxquels on attribue des propriétés magiques et qu’on honore au cours de cérémonies rituelles encore très suivies dans toute l’Afrique de l’Ouest. 3 - le canari est un récipient dans lequel on peut mettre différentes choses : eau, grains farines. Sa taille est variable et il se porte souvent sur la tête. 4 - Chicotter, c’est frapper avec une chicotte qui est une badine cinglante. 55 LA MECHANTE FETICHEUSE Il était une fois un roi qui avait des féticheuses (1). Elles allaient régulièrement chercher de l’eau au marigot pour les fétiches (2). Un jour qu’une féticheuse revenait du marigot, elle rencontra un pauvre garçon galeux et malpropre. Voyant le canari (3) d’eau qu’elle portait sur la tête, il lui demanda : " Donne-moi de l’eau que je me désaltère. J’ai mangé "ablo" et il a mal passé. - Te donner de l’eau, moi ? A toi, un galeux ? Non, je n’ai pas d’eau pour toi. Et d’ailleurs, dans quoi te la servirai-je ? " Déçu et vexé, le garçon prit une poignée de sable et le lui jeta. Outrée par ce geste irrespectueux envers une féticheuse, celle-ci jeta son canari et enleva tout se qu’elle portait : pagne, collier de perles, cauris et se présenta chez le roi à qui elle raconta : " En revenant du marigot, j’ai rencontré un garçon qui m’a demandé de l’eau pour se désaltérer. Comme je lui refusais, il m’a sérieusement chicottée (4) si bien que j’arrive dans cet état ! " LE VIEILLARD ET LES SEPT LIONS Pour la troisième fois de la saison, les troupeaux de buffles avaient ravagé les plantations de coton des habitants d’un petit village. Ni les prières, ni les sacrifices à Dieu n’avaient pu éloigner ce troupeau malfaisant. Alors, le chef du village ordonna à tous de quitter les lieux pour rebâtir leurs maisons dans un endroit mieux protégé. Chacun s’affaira à préparer ses bagages. On démonta les meubles, on roula les carpettes qui faisaient office de lits, on enveloppa la vaisselle, les cruches, les poteries et les bibelots. On chargea les ânes. On emplit les chariots. Or dans le royaume, personne ne doit en aucun cas frapper une féticheuse. Le roi entra dans une grande colère et ordonna à ses serviteurs de chercher ce garnement et de se débarrasser de lui. Dès qu’il aperçut les serviteurs royaux, le garçon commença à chanter en disant ce qui s’était passé réellement. Etonnés par le récit du garçon, ils retournèrent au palais, racontèrent au roi ce qu’ils avaient entendu et ils ajoutèrent qu’on ne pouvait pas tuer cet enfant. Un autre groupe fut envoyé près du garçon et il confirma les dires des premiers messagers. L’un d’entre eux avaient été si ému par l’état de cet enfant qu’il pleurait en disant au roi Mais il y avait, dans ce village, un vieil homme seul et perclus de rhumatismes. Ses fils, mariés, étaient partis vivre à la ville et n’étaient jamais revenus. Ce vieillard se trouvait dans l’impossibilité d’emporter ses bagages. Il appela ses voisins pour l’aider. Mais comme ils étaient tous très occupés à préparer les leurs, ils lui répondirent : " Laisse-nous tranquilles ! Tu vois bien que nous n’avons pas terminé nos colis ! " Quand ils eurent fini de bâter leurs ânes, le vieillard revint poliment à la charge : " Ne pouvez-vous pas mettre mes bagages dans un coin de votre chariot ? " Ils éclatèrent de rire : " As-tu besoin, Grand-Père, d’emporter tout cela ? Il te reste si peu de temps à vivre ! " Et la caravane démarra... 54 23 Le vieil homme, ne voulant pas abandonné ses biens, resta seul sur le seuil de sa demeure, maudissant l’égoïsme de ses voisins. De là, il vit bientôt apparaître, au tournant de la piste, une famille Lion en file indienne qui cherchait aventure. Les bêtes avaient observé, dissimulées dans la verdure, le départ des villageois et espéraient découvrir quelques restes de nourriture pour agrémenter leurs repas habituels. Ils étaient sept : le Lion, la Lionne et cinq lionceaux. Ils tournaient autour des cases abandonnées et le vieillard fut saisi de crainte. Il rentra précipitamment dans sa case. C’est alors qu’il eut une idée qui lui parut bonne. Sachant que tout ce qu’il possédait comme nourriture ne pouvait suffire même au plus jeune de ces animaux, il les appela pour leur compter ses déboires. Le Lion, roi des animaux, l’écouta de bonne grâce et lui proposa de porter ses bagages pour l’aider à rejoindre le convoi. Ce qui fut dit fut fait. Lorsqu’ils virent le vieillard suivi des sept lions, les villageois n’en crurent pas leurs yeux. Puis, sûrs de ce qu’ils voyaient, ils détalèrent au plus vite abandonnant tous leurs biens. " Voyez-vous, leur cria le vieillard, les lions ont été moins cruels que vous ! " Les lions lui léchèrent les mains en guise d’adieu et rejoignirent la forêt. Alors, les voisins du vieil homme comprirent que c’était là un signe du ciel pour leur montrer leur lâcheté et ils revinrent se prosterner aux pieds du sage et implorer son pardon. Tout le village s’était réuni pour entendre la sentence du roi. Le roi ordonne alors que la foule entonne un chant au rythme duquel les cailloux devront être lancés. La jeune fille est très anxieuse. La foule se met à chanter et observe ce qui se passe. En chantant, la fillette ramasse le premier caillou, vise et atteint le premier poteau sans peine. Elle recommence avec le deuxième caillou, elle réussit encore. Puis elle lance le troisième et les trois poteaux sont à terre. L’épreuve est réussie, tout le monde se détend et les villageois applaudissent la fillette. Comme il l’avait promis , le roi lui donne la moitié de ses biens, récompense aussi la mère et elles rentrent chez elles émerveillées par leur nouvelle situation. Presque toute la maisonnée est là pour les accueillir et les féliciter. Mais la coépouse de la mère, les voyant ainsi comblées, devient très jalouse et pense qu’elle doit pouvoir obtenir les mêmes richesses pour sa propre fille. Peu de temps après, elle organise donc la même aventure et sa fille part vers la rivière avec une spatule à laver. Elle exécute du mieux qu’elle peut les consignes de sa mère mais, elle, c’est volontairement qu’elle tue la mouche et elle n’en a pas de chagrin. Alors, elle se met un peu de salive au coin des yeux pour faire croire qu’elle a pleuré et elle rentre chez elle. La mère qui la guettait en fait autant et elles se rendent toutes deux chez le roi. Celui-ci la soumet à la même épreuve que sa soeur. Mais elle ne réussit à faire tomber aucun poteau et la sanction tombe. La pauvre fillette est exécutée comme il avait été décrété et sa mère, toute éplorée, est bien punie de sa convoitise... Puis ils le conduisirent avec le plus grand respect dans un de leurs chariot jusqu’au lieu prévu pour la construction du nouveau village où ils lui bâtirent une belle maison. 24 53 LA CONVOITISE D’UNE COEPOUSE Dans une contrée très lointaine, un roi avait décrété qu’aucune mouche ne devait être tuée dans son royaume... sous peine de mort. Un jour, après avoir préparé la pâte, une maman demande à sa fille d’aller laver la spatule à la rivière. La fillette le fait et par imprudence, elle écrase une mouche. Consciente des conséquences de son acte, elle pleure tout le long du chemin qui la ramène à la maison. Elle informe sa mère qui se met à pleurer elle aussi. Elles décident d’aller avertir le roi de cet acte malencontreux pensant qu’il était préférable que ce soient elles qui le mettent au courant plutôt qu’il l’apprenne par un étranger à l’affaire. Et les voilà parties ... Le roi les accueille, les écoute attentivement, réfléchit et leur demande de revenir dans trois jours pour connaître sa sentence. Confiantes en la clémence du roi, elles rentrent chez elles. Au jour fixé, elles retournent chez le roi qui a décidé de soumettre la fillette à une épreuve : elle doit faire tomber trois poteaux en lançant, sur chacun d’eux, un gros caillou. Si elle réussit, elle sera grâciée et recevra la moitié des biens royaux en cadeaux. Si elle échoue, elle sera châtiée comme il avait été décrété. 52 L'IMPATIENCE DU CHASSEUR SOLITAIRE Il y était une fois un homme qui aimait beaucoup la solitude. Pendant plusieurs années, il vécut seul dans la forêt immense avec son chien, passant ses longues journées à chasser. Son plaisir était de rivaliser de ruses avec les animaux sauvages. Lorsqu’il fut marié, sa femme vint vivre avec lui dans la modeste cabane qu’il avait bâtie au milieu du bois. Un an passa sans histoire... Au milieu de la deuxième année, sa femme mourut, lui laissant un bébé de quelques mois. Notre homme n’avait donc plus, comme compagnie, que son bébé, sa carabine de chasse et son fameux chien- loup toujours fidèle. Un jour, comme il en avait pris l’habitude, notre homme coucha le bébé, le couvrit chaudement, ferma sa porte et partit à la recherche de gibier. Le soir venu, il revint chez lui, fatigué mais heureux car la chasse avait été très bonne. En approchant de sa maison, il s’aperçut que la porte était entrebaillée et une grande inquiétude l’envahit soudain. Comment avait-il pu oublier de fermer cette porte avec précaution ? Il savait pourtant que les loups affamés étaient audacieux... Il se précipita vers sa cabane en pensant à son enfant qui était peut-être sans vie. Couché près de la porte, les yeux mi-clos, le chien semblait calme et content. Mais, dans le lit, plus d’enfant. Il interrogea le chien du regard et aperçut des traces de sang sur les babines de l’animal. Il crut comprendre... 25 Alors le chasseur entra dans une grande colère, prit sa carabine et la pointant vers la tête du chien lui cria : «Maudit chien, tu es donc redevenu loup, comme tes frères. Tu as dévoré mon enfant qui était ma seule raison de vivre. Tu ne lui survivra plus longtemps. « Et il tira deux fois sur la bête qui mourut sans lâcher une seule plainte. Le chasseur, accablé, pleurait, pleurait sur son triste sort : le même jour, il croyait avoir perdu tout ce qu’il avait de plus cher, son enfant et son chien. Assis près du feu qu’il venait de rallumer, il essayait d’imaginer dans quelles douleurs atroces son enfant avait péri. La nuit était tombée, les loups rôdaient alentours et hurlaient. C’est à ce moment qu’il entendit un faible gémissement derrière lui. Le bruit venait de sous le lit. Il s’accroupit pour mieux voir et aperçut alors son petit enfant, bien caché et qui venait de se réveiller pour réclamer à boire et à manger. Dans la joie d’avoir retrouvé son enfant, le chasseur ne se posa plus de question. Mais, un peu plus tard, quand il sortit pour aller enterrer son chien, il découvrit, derrière la maison, le cadavre d’un loup dont la gorge était déchirée à plusieurs endroits. Il comprit alors tout ce qui s’était passé : son chien était bien l’ami fidèle qu’il pensait. A l’arrivée du loup, il avait poussé l’enfant sous le lit et l’avait défendu avec courage contre le loup cruel. Le chasseur avait compris mais il était trop tard pour rendre la vie à celui qui l’avait si bien servi. Désormais, le grand regret de sa vie sera toujours de ne pas avoir pris le temps d “essayer de comprendre ce qu'avait bien pu faire son chien pour avoir ces traces de sang sur le museau. Pendant ce temps, les deux jumeaux font appel à tout le village pour les aider à découvrir le chat et chacun fouille tous les recoins qui peuvent abriter un animal de cette taille. Lorsque le lièvre s’approche du puits, il entend un chant extraordinaire qui l’effraie et il détale au plus vite. C’est alors que le lion s’approche lui aussi du puits pour savoir ce qui a fait si peur au lièvre. Du fond du puits, le chat, sentant l’odeur du lion, reprend son chant. Et le lion est effrayé à son tour. Personne désormais ne veut plus s’approcher du puits... Mais les jumeaux veulent à tout prix retrouver le chat. Alors ils décident de lui tendre un piège à un endroit où ils sont sûrs qu’il passera et dans lequel ils sont sûrs qu’il tombera. Pour cela, ils fabriquent une statue collante qui a la forme d’un homme et la placent à l’endroit prévu sur le chemin que doit prendre le chat. Puis ils se cachent et attendent... Le silence étant revenu, le chat sort du puits et, très vite, aperçoit la statue. Croyant que c’est une personne, il reprend son chant pour l’effrayer mais la statue ne semble pas s’émouvoir le moins du monde. Le chat s’approche et lui dit : "Qui es-tu toi qui n’es pas effrayé par mon chant ? " Comme l’autre ne bouge pas, il la frappe de la main et comme les jumeaux l’avaient prévu, sa main reste collée sur la statue. Dépité, il la gifle avec l’autre main qui reste collée elle aussi. De plus en plus irrité, il frappe de la tête, des pieds, du ventre tant et si bien qu’il se voit entièrement collé à la statue, incapable de bouger. C’est ainsi que fut pris notre voleur gourmand... D’après SOUDE Nina - CE2 * l'akassa : c'est la pâte de maïs 26 51 LE VOLEUR GOURMAND LE TROISIEME FOU Mon conte roule, roule et tombe sur deux jumeaux, Zinsou et Sagbo, et leur chat. Zinsou et Sagbo ont acheté de la viande au marché quand ils s’aperçoivent qu’il leur manque l’akassa* pour l’accompagner. " Qui va surveiller la viande pendant que deux d’entre nous iront acheter l’akassa ? dit Zinsou. - C’est moi qui resterai " , répond Sagbo Mais Zinsou et le chat désirent aussi rester à garder le morceau de viande. Ils se mettent enfin d’accord et c’est le chat qui est désigné pour rester. Confiants, les deux jumeaux s’en vont tranquillement... Le chat s’assure alors qu’il est bien seul. Il regarde à droite, il regarde à gauche, devant, derrière et comme il ne voit personne, il commence par soulever le couvercle et sent la bonne odeur de cette belle viande. Il en goûte un petit peu, puis encore un peu , puis finalement, comme il trouve que les jumeaux sont bien longs à revenir, il décide de tout manger. Quand il ne reste plus rien dans la jatte, le chat s’enfuit dans la brousse. Peu de temps après, les jumeaux reviennent en pensant au bon repas qu’ils vont faire. Mais, revenus dans la case, ils commencent par découvrir que le chat n’est plus là. Ils se précipitent alors vers la jatte dans laquelle ils avaient mis la viande et, bien sûr, ils la trouvent parfaitement nettoyée. Ils se précipitent donc à la recherche du chat... Ils cherchent, ils cherchent, ils passent même très près du puits. Mais dès que le chat les entend s’approcher un peu trop près de sa cachette, il en sort discrètement pour se précipiter dans le puits. Il était une fois un roi qui fit venir l’un de ses sujets et lui demanda de lui amener trois fous. Puis il ajouta : " Si tu ne trouves pas ces trois fous, tu seras décapité. " Après avoir beaucoup cherché, mais en vain, notre homme rencontra des gens qui lui conseillèrent d’aller chez Dame Samia car elle s’occupait, disaient-ils, de surveiller les fous. Il demanda alors à deux amis de l’aider dans sa recherche et ils se rendirent à l’endroit indiqué. 50 27 Ils rencontrèrent Dame Samia. " Le Roi m’envoie chercher trois fous et, si je ne les trouve pas, je serai décapité, lui dit l’homme. Voulez-vous m’aider ? " - Vous cherchez des fous ? Eh bien, je vais vous indiquer un endroit où vous serez sûrs d’en trouver. " Elle le fit et elle ajouta : " Quand vous les aurez trouvés, je vous donne rendez-vous à Avessan et nous irons ensemble chez le Roi. " Les trois amis se mirent d’accord et chacun partit de son côté à la recherche d’un fou. Le premier s’arrêta sous un gros arbre et vit une vieille femme qui chargeait des fagots de bois sur son plateau et dont la conduite l’intriguait. Au moment de le charger sur sa tête, elle s’exclamait : " Que c’est lourd ! " et elle le reposait par terre mais alors, au grand étonnement de l’homme qui l’observait, elle le chargeait davantage. L’homme en conclut qu’elle devait être folle et il l’attrapa pour la conduire au lieu de rendez-vous. Pendant ce temps, le deuxième s'intéressait à un homme qui semblait vouloir cueillir une orange. Celui-ci faisait un noeud coulant avec une corde, grimpait à l'arbre, accrochait la corde à l'orange, commençait à tirer et la corde quittait l'orange. Il répéta trois fois la même opération sans le moindre succès. Le guetteur se dit alors : " S'il ne prend pas l'orange avec sa main lorsqu'il est dans l'arbre, cet homme est sûrement fou ! " Il le prit par la main et lui dit : " Le Roi a dit de t'amener jusqu'à lui." Flatté, le "fou" se laissa faire et notre homme le mena au lieu de rendez-vous. Le troisième, consterné, rejoignit les autres sans avoir trouvé quiconque à ramener. Samia ne s'étonna pas et leur dit : " Allons chez le Roi et nous y trouverons le troisième fou." Rassurés, ils se dirigèrent vers le palais en chantant, à la demande de Samia. Bien entendu, leur chant attira la foule qui les suivit pour voir ce qui allait se passer. Arrivés devant le palais, ils crièrent pour appeler le Roi selon les conseils de Samia. Les reines accoururent aussitôt, étonnées d'entendre ces cris. Les trois hommes répétèrent leur demande. Les femmes répondirent que le Roi prenait sa douche mais, intriguées par cette foule qui se massait devant le palais, elles se précipitèrent pour informer le Roi que les fous étaient arrivés. Sur le champ, le Roi apparut. Mais au grand étonnement de tous il était entièrement NU, sans slip et tout couvert de savon. Alors Samia prit la parole et dit en montrant le Roi : " Voilà le troisième fou ! ". Un brouhaha parcourut la foule et le premier homme s'adressa à la foule en disant :" Le Roi m'avait dit qu'il me couperait la tête si je ne lui ramenais pas trois fous, les voilà !..." Des rires fusèrent mais l'homme continua : " Comme c'est lui le troisième fou, on ne peut pas garder un fou comme Roi. Qu' allons-nous faire ?" Le soir de la quatrième lune, ils atteignirent enfin le village où la famille s’inquiétait de la longue absence du chasseur. Dans la joie des retrouvailles, personne ne s’occupa de l’étranger qui dut seul décharger le colis de viande boucanée qu’il avait sur le dos. Et quand ce fut le moment de prendre congé, le chasseur le laissa partir sans le moindre remerciement. Alors, juste au moment de le quitter, l’étranger, sans rien montrer de ce qu’il pensait mais en ponctuant bien ses paroles, dit au chasseur : « TU TE SOUVIENDRAS DE MOI !... » Et il disparut. Dès cet instant, la phrase de l’étranger accapara l’esprit du chasseur. Elle devint même une véritable obsession. Il était seul à l’entendre mais le phénomène s’amplifiait de jour en jour. Bientôt, ce fut l’étranger lui-même qui apparut au chasseur et ne lui laissa plus de repos. Il alla donc consulter le Fâ *et le devin lut l’oracle : " Tu es toi-même la cause de ton malheur. Le Fâ t’a vu si malheureux dans la brousse qu’il t’a envoyé une aide et, pour le remercier, tu t’es conduit comme un ingrat !... Pour apaiser le Fâ, tu dois acheter une hachette neuve, un couteau neuf et immoler deux taureaux qu’il te faudra boucaner et transporter jusqu’au pied de la termitière près de laquelle tu avais rencontré l’étranger. " Le chasseur fit tout ce que le Fâ avait exigé et lorsqu’il arriva près de la termitière, le jeune homme était là et il l’aida à décharger son fardeau. La leçon avait été dure , mais le chasseur était enfin rasséréné... Tout le monde répondit d'une seule voix : " C'est à lui qu'on va couper la tête !.. " Ainsi fut fait et l'on chercha un nouveau Roi plus raisonnable... 28 *Boucaner : autrefois il fallait boucaner la viande pour qu’elle se garde malgré la grande chaleur. *Le Fâ : c’est l’oracle 49 UN CHASSEUR INGRAT LA PANTHÈRE ET LA RUSE DU CHAT Un chasseur était dans la brousse depuis près de trois lunes et il n’avait encore rien tué. Aucun gibier n’était en vue. Ses provisions étaient épuisées et son village était si loin qu’il ne pouvait l’atteindre sans risquer de mourir de faim. Assis sur une termitière, il réfléchissait désespérément quand un inconnu vint à passer. C’était un jeune homme qui semblait se trouver là par hasard. Le chasseur lui conta son infortune et l’étranger lui dit : " A quelques pas de là, dans une clairière, près de l’abreuvoir, tu trouveras un groupe de biches qui résoudra ton problème. " Le chasseur se dirigea, accompagné du jeune homme, vers l’endroit indiqué et aperçut bientôt les biches. Il visa, tira et en abattit une. C’est alors qu’il constata qu’il n’avait rien pour la dépecer. Comprenant sa déconvenue, le jeune ouvrit son sac et sortit un couteau et une hachette. Puis il dépeça lui-même la bête, mettant de côté la tête, les pattes et la queue qui constituaient le trophée que le chasseur se devait de rapporter au village. Il prépara aussi le foyer et découpa la viande pour la faire boucaner*. Cette besogne n’était pas terminée que le chasseur tira à nouveau et abattit un antilope. L’étranger se remit à la tâche... La viande étant boucanée, il fallait maintenant la transporter jusqu’au village. Mais la charge était trop lourde pour seulement deux personnes. Ils allèrent donc en vendre une partie dans les villages alentour et quand il ne resta plus que deux colis, le jeune homme proposa au chasseur de l’aider à porter sa viande jusque chez lui... Voici mon conte; qu’il aille et qu’il vienne... C’était jadis, à l’époque où les animaux vivaient tous en bonne harmonie. Le Chat et la Panthère étaient donc de très bons amis. Ils avaient chacun huit enfants qu’ils nourrissaient sans trop de peine 48 29 Mais un jour, une grande sécheresse provoqua la famine dans toutes les familles. Nos amis n’échappèrent pas à cette triste situation et le jour arriva où, ayant glané tout ce qui restait dans leur champ, il ne leur resta vraiment plus rien à manger. Une nuit où les deux familles avaient dormi le ventre vide, la Panthère avait remué toutes ses méninges pour chercher une solution à cette terrible famine dont personne ne voyait la fin. Le lendemain matin, elle se réveilla presque joyeuse car elle pensait avoir une bonne idée et elle alla voir le Chat.". Mon cher ami, lui dit-elle, la situation est grave. Nous n’arrivons plus à nourrir nos enfants et nous allons tous mourir de faim. Pour ne pas en arriver là, j’ai eu, cette nuit, une terrible idée mais elle nous permettra, si tu es d’accord, de ne pas tous disparaître. Alors voilà je propose, qu’à tour de rôle, nous égorgions l’un de nos enfants pour nous le partager et le manger, en espérant que la prochaine arrivée de la pluie en épargnera le plus grand nombre. " D’abord effrayé par cette horrible idée de la Panthère, le Chat réfléchit beaucoup à tous les aspects de leur situation et, finalement, accepta la proposition de son amie, la Panthère. Il posa tout de même une condition : la Panthère devait commencer la première. Cette dernière, pour montrer sa bonne foi, décida de commencer le jour même. En secret, car elle avait honte, elle tua donc l’un de ses enfants et en fit envoyer la moitié chez le Chat. Le chat fut muet sur l’accord qu’il avait passé avec la Panthère et il prit soin de ne donner à manger à sa famille que le tiers du gros gigot de panthère qu’il avait reçu. Le second jour, c’était au Chat d’envoyer sa part à la Panthère. Mais, au lieu de tuer l’un de ses enfants, il envoya l’un des tiers restants du gigot de la veille et il alla cacher un enfant dans un arbre. La Panthère, consciente qu’un chaton n’était pas aussi gros qu’une petite panthère, ne se plaignit pas de la quantité de viande qui lui était envoyée. Pour mieux cacher sa ruse, le Chat avait cuisiné la viande avec un peu de sel et de piment, ce qui l’avait rendue plus appétissante pour la Panthère. Et ce fut ainsi, régulièrement, jusqu’à ce que la Panthère ait fini de tuer tous ses petits. Quant au Chat, il avait caché tous les siens dans l’arbre. Dans la journée, ils ne mettaient jamais plus le nez dehors et c’était le Chat qui allait glaner quelques grains pour accompagner la viande de panthère. Heureusement, les pluies commencèrent enfin à tomber. On pouvait donc retourner aux champs pour travailler la terre et préparer la récolte suivante. Le Chat ne pouvait travailler seul et, théoriquement, il n’avait plus d’enfants pour l’aider. Il lui fallait trouver un moyen pour faire descendre ses enfants de leur arbre sans éveiller les soupçons de la Panthère. Il se rendit chez elle et lui dit : " Le temps des semailles est proche et il nous faut labourer la terre. Demain, je ferai venir mes neveux pour m’aider car je me sens très fatigué après ces terribles épreuves et je ne peux travailler seul. " Ainsi, le lendemain, le Chat fit descendre cinq de ses petits qui l’accompagnèrent au champ. La Panthère fut très surprise de la ressemblance entre les enfants du Chat et ses neveux et elle posa de multiples questions auxquelles le Chat répondit sans bégayer. Cependant la Panthère doutait de la sincérité de son ami et 30 LE STRATAGEME DE LA TORTUE Depuis plusieurs mois, la tortue n’a pas payé la nourriture qu’elle a achetée à crédit chez le porc. Et un jour le porc lui réclame son argent : " J’ai assez attendu maintenant; il faut que tu me payes tes dettes ! - C’est entendu, demain tu peux venir, ce sera prêt, " répond la tortue. Le lendemain, le porc se rend chez la tortue. Mais dès qu’elle l’aperçoit, elle recroqueville sa tête, ses membres, sa queue et se cache à l’intérieur de sa carapace. Ainsi, elle ressemble à une pierre. Immédiatement, sa femme verse du maïs sur son dos et commence à écraser les grains sur la " pierre " comme sur une meule... Quand le porc s’approche et la salue, elle ne répond pas. Le porc, pensant que cette attitude est encore un moyen imaginé par la tortue pour ne pas le payer, se fâche : " Est-ce que tu m’as bien entendu ? " Et en criant ainsi, il attrape la " pierre " de madame Tortue et la jette dans la brousse. C’était bien ce qui était prévu. Aussitôt elle s’écrie : " Mais qu’est-ce qui te prend de crier aussi fort ? Et puis, il y a mon argent dans la pierre que tu as jetée ! Si tu veux que je te paie, il faut que tu ailles récupérer cette pierre ! Alors je te donnerai ce que mon mari te doit. " Crédule, le porc va chercher ses parents pour l’aider car il n’a pas regardé où il lançait cette pierre et la brousse est vaste. Toute la famille se met à fouiller partout, retournant toutes les pierres en lui demandant à chaque fois s’il s’agissait de celle qu’on cherchait. Bien sûr, on ne la retrouva pas car monsieur Tortue avait vite ressorti toutes membres et était allé se cacher très loin de sa maison. Après un long moment de recherches vaines le porc s’est lassé et il est bel et bien parti comme l’avait imaginé monsieur Tortue et sa femme... C’est depuis ce jour-là que les porcs fouillent le sol avec leur groin à la recherche de la pierre introuvable. Et cela dure toute leur vie... Texte de BADOU Julienne - CE2 - réécrit par les stagiaires. 47 - Je pensais vous apporter du gibier pour les travailleurs. Je suis donc parti à la chasse . Quand l’herbe a bougé, j’ai tiré et quand je me suis approché pour ramasser le gibier et j’ai vu un homme. Malheur à nous, j’ai tué un homme ! - Ne dis pas malheur à nous, mais plutôt, malheur à toi seul, corrigea le beau-père. T’ai-je envoyé à la chasse ? Ne t’ai-je pas convié aux travaux champêtres de demain ? Et voilà que tu t’en vas tuer ton prochain. Sors d’ici ! Va répondre de tes actes ! Sans toi, mon champ sera labouré ! " Tinyekpon prit un air très affligé pour sortir de chez son beau-père et se rendit chez son Bokonon. Là, il reprit les mêmes propos et le Bokonon lui tint le même langage. Il ne lui restait qu’à aller voir son ami. Il le trouva dans son jardin et lui conta la même histoire. Son ami lui demanda : " Quelqu’un t’a-t-il vu ? Est-ce qu’on a pu entendre le coup de fusil ? - Non, je ne le pense pas. " Alors l’ami lui offrit à boire en disant : " Réconforte-toi pour commencer, et d’ajouter, attends-moi un instant. " Il revint bientôt avec une houe, un coupe-coupe et une pioche. Puis il cria à sa femme : " Nous nous rendons dans la brousse pour chercher des racines médicinales." Tous deux se rendirent alors près de l’endroit où le corps devait être. L’ami se mit à creuser et Tinyekpon le regardait faire . " Allons prendre la mesure de ce corps pour adapter le trou à la bonne taille." Tinyekpon lui montra l’endroit et l’autre s’avança seul. Mais soudain, il s’écria : " Tu t’es trompé ! Ce n’est pas un homme que tu as tué c’est une antilope ! " Alors Tinyekpon répondit : " En effet, c’est bien une antilope et tu la mangeras seul avec ta femme et tes invités. " Et il lui raconta le stratagème qu’il avait imaginé pour résoudre le problème des trois invitations simultanées. Puis il conclut : " C’est dans le malheur qu’on connaît ses vrais amis. " *Tin yè kpon signifie " Mets-les à l’épreuve" en fon qui est une langue nationale parlée dans le Sud du Bénin. 46 elle lui demanda de lui prêter l’un de ses enfants pour l’aider dans son propre champ, ajoutant qu’en retour elle l’hébergerait et le nourrirait. Elle pensait ainsi pouvoir continuer son investigation après du chaton en dehors de la présence du père. Le Chat se sentit obliger de le lui promettre pour le lendemain matin et il partit. Rentré à la maison, il tint un conseil de famille car il savait que le risque serait grand d’être dévoré pour celui de ses enfants qu’il enverrait chez la Panthère. " Lequel d’entre vous sera capable de déjouer le plan de la Panthère ? - Moi ! dit le benjamin des chatons. Je peux braver la Panthère mais je ne pourrais pas courir assez longtemps si elle me poursuivait. - J’y ai pensé, répondit le Chat. Si c’est toi qui va aider la Panthère, tu suivras bien toutes les directives qu’elle te donnera jusqu’à ce que tu sois dans son champ. Là, il te faudra guetter le meilleur moment pour prendre la fuite et, sur ton chemin, tu trouveras une corde pendant d’un arbre ; dès que tu le pourras, tu la saisiras et nous la tirerons pour te hisser dans l’arbre aussi vite que nous pourrons. Quant à la Panthère, nous lui réservons une surprise désagréable. " Toute la famille resta un instant silencieuse puis le plan diabolique fut mis en place très soigneusement car le sort de Petit Chaton était en jeu... Le lendemain, ce dernier se rendit chez la Panthère comme il était convenu. Il l’accompagna au champ mais, à aucun moment, il trouva le moyen de s’enfuir. Le soir, il rentra donc avec la Panthère qui remplit une marmite d’eau qu’elle mit à chauffer sur le feu. Elle demanda au chaton de surveiller l’eau et de la prévenir lorsqu’elle commencerait à bouillir; puis elle rentra dans sa case en se disant qu’au moment où le chaton entrerait pour lui dire que l’eau bouillait elle 31 l’attraperait et le jetterait dans la marmite. «Cela me fera enfin un bon repas après cette dure journée de travail ! " murmura-t-elle dans ses babines." Petit Chaton, blotti dans son coin, avait deviné le plan de son hôte. Il lui fallait vite trouver une parade. Il laissa passer un moment ; puis il jeta l’eau de la marmite et, vite, la remplaça par de la froide. Aussitôt, il prévint la Panthère que l’eau était comme elle avait dit. Celle-ci le saisit et le jeta précipitamment dans la marmite sans rien vérifier. Dès qu’elle eut tourné le dos, le chaton sauta hors de la marmite et, tout trempé, courut aussi vite qu’il put vers sa maison. La Panthère entendit bien un bruit mais lorsqu’elle réalisa ce qui se passait, le chaton était loin et il apercevait déjà la corde dont son père lui avait parlé la veille. Il la saisit bientôt et la Panthère le vit de loin s’élever au bout de la corde jusque dans l’arbre. Lorsqu’elle arriva au pied de cet arbre, la corde pendait à nouveau, elle s’en saisit et se sentit aussitôt tirée vers le haut mais, à mi-hauteur, c’est elle qui reçut l’eau bouillante. Sous la douleur, elle lâcha prise et retomba lourdement sur le sol. Alors, prenant ses jambes à son cou, elle se mit à courir si vite que même un éléphant n’aurait pu l’arrêter. Elle s’enfonça loin dans la brousse et ne revint plus jamais dans les parages. C’est depuis ce temps-là que la panthère est devenue un animal sauvage et qu’elle vit loin des villages et des hommes... 32 LES AVENTURES DE TINYEKPON Il était une fois un jeune homme du nom de Tinyekpon * qui vivait sans souci dans son village. Un jour, il reçut une invitation de son ami intime. Celui-ci l’informait que les jeunes de son village viendraient l’aider à travailler son champ dans neuf jours et il ajoutait qu’il serait heureux de le voir se joindre à eux. Le lendemain, il eut une invitation semblable de son "Bokonon ", c’est-à-dire son protecteur, qui lui demandait de venir, huit jours plus tard, l’aider à labourer son champ. Et le surlendemain, c’était de son beau-père qu’il recevait la même demande à faire les mêmes travaux, sept jours plus tard. Tinyekpon se mit à réfléchir : " Voilà trois personnes qui me sont chères et qui me fixent une même date pour les aider dans trois champs différents ! Comment faire ? Si je ne vais pas dans le champ de mon ami, il sera vexé. Si je ne vais pas dans celui de mon Bokonon, j’aurai des ennuis. Et avec mon beau-père, ce sera très grave si je le mécontente. " Tinyekpon était vraiment très embarrassé. Et il continua à réfléchir... La veille du fameux jour, il eut une bonne idée. Au premier chant du coq, il se leva, prit son fusil et s’en alla dans la brousse... A l’endroit qu’il jugea favorable, il se mit à l’affût derrière un buisson et, bientôt, visa et tira. Alors, il courut chez son beau-père et lui dit, d’un air affolé : «Dah, je viens de commettre un horrible crime. Je suis perdu, je suis déshonoré. - Qu’as-tu fait de si mauvais ? questionna le beau-père. 45 Tous les esclaves travaillaient comme il fallait sauf un qui était sous un arbre. Quand le prince s’approcha de lui, l’homme se mit à chanter quelque chose qui était tout à fait inconnu de lui. Intrigué par l’attitude de l’esclave et les paroles de sa chanson, le prince retourna voir son père et lui expliqua ce qu’il avait vu et entendu. Le roi fut bouleversé par les paroles que lui rapporta son fils et il décida d’aller lui-même voir cet esclave. Dès que le roi s’approcha de lui, l’esclave se reprit sa chanson : " O nou sa é; O nou sa ; O nou sa lo o ; O nou sa Midjé yi guélégbé non vi sa ; Midjé yi guélégbé to don sa ! Gbè wa gnon nawé bo a do ; Non ho anonwé vi tché sa ! Tovi yé sa ; Non vi yé sa !..."Ce qui peut se traduire par : " chose vendue ; chose vendue ; ah ! chose vendue... On allait au champ. Frère vendu ! On allait au champ là-bas, vendu !... Comblé de bonheur, tu oses acheter ton frère ? Vendu ! Fils de ton père, Vendu ! Fils de ta mère, Vendu !..." La chanson terminée, l’esclave dit : " Adanzan ! " et le roi répondit : " Djonkè ! " car c’était lui, le frère qui avait été capturé par les guerriers. Les deux frères s’étaient reconnus. Le roi ramena son frère au palais et le traita comme il le devait. Le quatrième jour, le roi fit gongoner pour rassembler la population et annoncer la cérémonie du lendemain. Alors Adanzan présenta son frère au peuple et l’informa qu’il avait décidé de partager son royaume entre son frère et lui... Texte de TIVIGNON Zinsou Luc CM2 , réécrit par les stagiaires. 44 LES DEUX AVEUGLES Dans un village, vivaient deux aveugles qui ne s’étaient jamais rencontrés. Ils avaient chacun, pour repas, le fruit de ce qu’ils recevaient en aumônes et s’habillaient des vêtements qu’on leur donnait. Au début tout allait pour le mieux et ils ne se plaignaient pas. Leur unique souci était de ne rien voir. Un jour, le hasard fit qu’ils vinrent tous deux en même temps sur la place publique. Par les conversations des uns et des autres, chacun comprit qu’il n’était pas seul de son état dans les parages et sa peine en fut allégée. Ils se rapprochèrent l’un de l’autre et se lièrent d’amitié. Et la vie à deux commença... Ils devinrent bientôt des amis inséparables, mendièrent ensemble et avaient moins de peine à vivre. Le temps passait... Mais, au fil des jours, la générosité des donnateurs tarissait et leurs moyens de subsistances diminuaient de manière inquiétante. " Que nous réserve l’avenir ? " se demandaient-ils. A leur misère, s’ajoutaient les mauvais tours des gamins qui, parfois, leur donnaient des cailloux en guise d’aumônes. La question de leur survie devenait de plus en plus préoccupante, au point qu’ils se demandaient si vivre valait encore la peine. Ils cherchèrent longtemps une solution mais, n’en trouvant pas, ils décidèrent ensemble de mettre fin à leurs jours en pensant que peut-être la vie dans l’au-delà leur serait plus favorable et qu’ils y retrouveraient tout ce qu’ils avaient perdu sur cette terre inhospitalière. Cependant, l’idée d’une mort violente leur était insupportable. C’est alors que le plus âgé proposa la mort par noyade dans 33 le marigot du village. Le second approuva et ils fixèrent le jour et le lieu précis de l’évènement. Le moment venu, plusieurs jours avaient passé et chacun, en son for intérieur, n’était plus décidé à se suicider mais il n’osait l’avouer à l’autre. Alors, ils se munirent tous deux d’une grosse pierre et se rendirent au bord de l’eau sans s’informer mutuellement de leur stratagème. Au moment décisif, le plus jeune dit à son ami : " C’est toi qui a trouvé l’idée de cette mort douce, c’est donc à toi de te jeter à l’eau le premier. " Le vieux rétorqua que le mieux lui semblait être de se jeter ensemble dans le marigot. Et c’est ce qui fut décidé. Au signal du vieux, on entendit le bruit de deux grosses choses tombant dans l’eau comme pouvaient le faire deux corps d’hommes. Un silence de mort régna soudain au bord de la rivière.... Chacun des deux aveugles se réjouissant de son stratagème, remonta la pente et reprit le chemin du village en chantonnant. " Qu’est-ce que j’entends ? marmonna le vieux. N’est-ce pas la voix de mon ami ? " L’autre ricanant lança : " Sommes-nous déjà dans l’au-delà, puisque nous nous sommes retrouvés ? " Un grand rire éclata des deux côtés du chemin, ils se cherchèrent des mains et, se retrouvant, s’embrassèrent chaleureusement sans plus de commentaires... LES RETROUVAILLES DES DEUX FRERES Voici mon conte. Adanzan et Djonkè étaient deux jeunes frères qui cultivaient la terre avec leur père et leur mère... Un jour, le père mourut ; cinq jours plus tard, ce fut la mère qui disparut. Et les deux enfants restèrent seuls à travailler. Un matin, en allant au champ, ils entendirent qu’on parlait d’une guerre prochaine. Dès le lendemain, elle éclata. Dans la débandade, Adanzan put s’enfuir mais son jeune frère fut capturé par l’ennemi. Adanzan courut longtemps, très longtemps et il arriva enfin dans un village paisible où il s’installa. Il obtint la confiance de tous les villageois... Et des années plus tard, il devint roi. Il vivait richement et s’achetait des esclaves. Un jour, longtemps après, il s’acheta des esclaves parmi lesquels il y avait Djonkè. Mais Adanzan ne le reconnut pas car il avait beaucoup grandi et beaucoup souffert. Et Djonkè ne fit rien pour se faire reconnaître. NB : Ce conte est le sujet d’une chanson très populaire au Bénin : " E mon non tin min nou min " ce qui peut se traduire par " Cela ne s’explique pas. " A quelques temp de là, Adanzan fit ordonner à ses esclaves d’aller chasser les oiseaux dans son champ de maïs. Djonkè fut de ceux-là et ce fut le propre fils du roi qui fut chargé de surveiller le travail des esclaves. 34 43 Pour la prochaine récolte, tu n’auras que ce qui aura poussé sous la terre et c’est moi qui prendrai tout ce qu’il y aura dessus. " Et il repartit. PLUS MALIN QUE LE CHEF... Cette fois le rusé paysan planta des patates... Quand il s’est agi de récolter, le diable et sa famille coupèrent toutes les feuilles, les mirent en paquets pour les vendre pendant que le paysan arrachait les patates qui avaient poussé dans la terre et ils partirent ensemble au marché. Naturellement , le paysan vendit très facilement toutes ses patates mais le diable ne vendit rien. Et tout le monde éclatait de rire quand il proposait ses feuilles... " Ce paysan est vraiment très rusé " , pensa le diable fou de rage de s’être laissé ridiculiser par un vulgaire paysan. Il poussa un cri horrible et disparut à tout jamais... texte de ZEGUE Salomé - CM1 réécrit par les stagiaires Il était une fois une contrée du nom de Dondougou dont le roi était très puissant et très jaloux de son pouvoir. Ainsi ordonna-t-il qu’à la naissance de chaque enfant, son nom lui soit communiqué afin de bien connaître tous ses sujets. Un jour, un enfant naquit dans une famille modeste. Le papa, soucieux de préparer le meilleur avenir à ce petit, alla consulter le devin pour que celui-ci demande aux ancêtres le nom qui lui conviendrait le mieux. Le devin annonça que l’enfant se nommerait TCHOBERE BISSA KPEI ce qui veut dire, en langue dendi : "Plus malin que le chef ". Ayant pris connaissance du nom de son nouveau sujet, le roi s’indigna fort de cette hardiesse. Il ne pouvait supporter que son pouvoir fût mis en cause ; même par le nom d’un nouveauné. Alors il résolut tout simplement de se débarrasser de ce petit gêneur. Il réfléchit longtemps pour trouver un bon moyen. Des années s’écoulèrent... Puis un jour, il convoqua tous les enfants qui avaient le même âge que Tchobere Bissa Kpei et leur annonça : " J’ai décidé d’offrir à chacun de vous une belle vache mais, dans deux ans, vous devrez me rapporter la génisse qu’elle aura mis au monde et que vous aurez bien soignée. Attention, celui qui ne me la ramènera pas sera sévèrement puni. " 42 35 Et chacun retourna chez lui avec sa vache mais, en réalité, à Tchobere Bissa Kpei, c’était un taureau qu’il avait offert... Au bout d’un an , tous les enfants avaient déjà une génisse à rapporter au roi, sauf Tchobere Bissa Kpei qui se rendit compte que l’animal qu’il avait reçu était un mâle et qu’il ne pourrait jamais rapporter au roi la génisse qu’il avait exigée. Il comprit alors que le roi cherchait à lui nuire et décida de déjouer la supercherie. Une nuit, il se rendit dans la cour du palais, grimpa dans le grand baobab qui abritait les palabres et se mit à couper des branches. Réveillé par le bruit, le roi envoya un garde s’informer sur l’origine de ce bruit. Celui-ci ramena bientôt l’enfant devant le roi qui l’interrogea : " Que fais-tu dans cet arbre en pleine nuit ? - Je cueille les fruits du baobab, Sire. " Le roi l’interrompit pour ajouter : " Comment ? Ai-je bien entendu ? Qu’as-tu donc de si important à faire pour oser voler les fruits de mon baobab? Sans s’émouvoir, Tchobere Bissa Kpei répondit : " C’est pour préparer la bouillie nécessaire à mon père qui vient d’accoucher." - Tu te moques de moi ! Depuis quand les hommes sontils capables d’accoucher ? - Mais, Sire, depuis que tu m’as donné un taureau en exigeant que je te rapporte la génisse qui devait en naître. " Le roi comprit que cet enfant était très malin et il le laissa partir. Néanmoins, il restait décidé à se débarrasser de lui et chercha un autre moyen. A quelque temps de là, le roi fit creuser un puits très profond qui fut aussitôt recouvert d’une natte. Puis il organisa une fête au cours de laquelle " Plus malin que le chef " serait à l’honneur. 36 LE DIABLE DUPE Un jour un cultivateur qui cultivait son champ vit arriver le diable. " Que fais-tu là ? Lui demanda le diable brusquement - Je prépare la terre pour semer, répondit le paysan. - Ce champ n’est pas à toi. Il est à moi comme tous les champs. De quel droit le cultives-tu ? - Pardonnez-moi, mais il me faut bien cultiver pour vivre !... " Bien entendu, le diable avait une idée derrière la tête. Il reprit : " Ecoute ! Voici ce que je te propose : je consens à ce que tu cultives ce champ et nous partagerons la récolte. Pour cela nous ferons deux tas, l’un avec ce qui poussera sur la terre, l’autre avec ce qui poussera dessous. Comme je suis le diable et que tu n’es qu’un paysan, c’est à moi de choisir et je choisis ce qui poussera dans la terre. Toi, tu auras ce qui poussera dessus.» Ayant dit cela, il disparut sans attendre la réaction du paysan. Mais cet homme était un malin et il sema du mil... Le moment de la récolte arriva et le diable vint avec ses diablotins. Le cultivateur coupa son mil, le fit battre, le vanna et le mit dans des paniers pour aller le vendre au marché. Alors, les diables arrachèrent, comme il était convenu, ce qui était dans le sol. Mais quand ils voulurent vendre au marché ce qu’ils venaient de récolter tous les gens se moquèrent d’eux. Le diable était très en colère de s’être fait berner par le paysan. Il le fit venir et lui dit : " Tu t’es moqué de moi cette fois, mais je vais me venger. 41 paraître, car toute femme qui en mangera, sur le champ, deviendra un homme. " Dansi n’avait plus aucune raison de se cacher maintenant. Elle retourna donc au palais, toute joyeuse. Le lendemain, pour manifester sa joie, Dansi chantait en pelant le manioc du prochain repas. Ses chansons parvinrent jusqu’aux oreilles d’Alougba qui accourut bien vite, étonnée qu’elle était en voyant Dansi aussi gaie malgré l’annonce de la cérémonie qui devait la mettre dans le plus grand embarras. " Que fais-tu là ? demanda-t-elle. - Je pèle du manioc que mon père m’a envoyé, répondit Dansi. En veux-tu ? " La vieille ne se fit pas prier et accepta le tubercule que Dansi lui tendait. Alougba le prépara pour son repas. Mais dès qu’elle eut commencé à le manger, elle sentit des démangeaisons dans les parties intimes de son corps. Elle se gratta, mais à mesure qu’elle se grattait, elle sentait se former, sous sa main, des organes génitaux masculins. Quelques moments plus tard, elle était devenue en tout point semblable à un homme... Vint le jour des cérémonies. Toutes les reines soigneusement toilettées, se joignirent à Dansi pour défiler devant le roi. Dada-Segbo les observait une à une et s’étonna bientôt de ne pas voir Alougba. On tendait vers la fin de la cérémonie, quand le roi, impatient, l’envoya chercher. Il fallut fouiller tout le palais avant de trouver Alougba, blottie dans un coin et poussant des gémissements dont elle ne voulait pas dire la cause. Lorsqu’elle fut devant le roi, il fallut l’obliger à ouvrir son pagne comme c’était la coutume. A la vue de son état, le roi entra dans une terrible colère : " Menteuse, s’écria-t-il. Infâme calomniatrice qui voulait me faire perdre ma chère Dansi. Tu serviras d’exemple aux autres ! " Heureusement, Tchobere Bissa Kpei était bien informé et il chercha le moyen d’échapper une seconde fois au plan diabolique du roi. En grand secret, il fit creuser un trou dans le sol de sa maison, puis une galerie qui menait jusqu’au fond du puits que le roi avait fait préparer quelques jours plus tôt. Et le roi ordonna qu’on lui trancha la tête et que toutes les reines marchent dans son sang pour retourner au palais . Quand il apprit cela le roi entra dans une terrible colère. Finalement, confondu par l’esprit malin du jeune garçon, il se donna la mort. Et Tchobere Bissa Kpei devint roi à sa place sur toute la contrée de Dondougou... Tel est pris qui croyait prendre... 40 Le jour de la fête arriva. " Plus malin que le chef " se présenta le dernier sur les lieux de la cérémonie. Dès qu’il le vit, le roi l’invita à s’installer sur la natte étendue au-dessus du puits. Tchobere Bissa Kpei demanda : " Pourquoi est-ce à moi qu’on fait tant d’honneur ?" Et, sans attendre la réponse, il voulut s’installer là où le roi l’invitait à le faire. Mais, patatras ! la natte s’effondra et il se retrouva au fond du puits qu’il quitta au plus vite en suivant la galerie pour rejoindre sa maison. Dès que le jeune garçon eut disparu, le roi fit verser la bassine de boisson bouillante qui était toute prête, espérant ainsi éliminer le garçon.Mais au fur et à mesure que le liquide était versé dans le puits, Tchobere Bissa Kpei le récupérait dans des jarres au bout de la galerie. Bien sûr, les invités n’avait rien vu de la scène. Ils purent donc commencer à festoyer dès que le roi l’autorisa ; ce dernier, lui, se réjouissant de la fin tragique du garçon. Le lendemain, Tchobere Bissa Kpei invita tout le village à continuer la fête chez lui et il distribua la boisson qu’il avait récupérée au fond de la galerie. 37 TEL EST PRIS QUI CROYAIT PRENDRE Bien longtemps avant la fondation du Danhomè, il existait un roi riche et puissant qui se nommait Dada-Sègbo. Un jour, comme il revenait de l’une de ses tournées, il passa le long du marché. Il y remarqua un garçon d’une telle beauté et dont les formes étaient si harmonieuses qu’il le prit pour une fille. Il décida sur le champ de la demander en mariage à son père. Celui-ci, de peur de contrarier le roi et imaginant le grand honneur que ce mariage lui amènerait, n’osa avouer la vérité au roi. Il consentit donc à donner son garçon en mariage à Dada-Segbo sous le nom de Dansi mais il ajouta une condition : la nuit de noce ne serait consommée qu’un an plus tard et elle vivrait isolée de ses coépouses. Ce que le roi accepta sans difficulté. Dès son retour au palais avec sa nouvelle épouse, Dada-Segbo ordonna à ses sujets d’élever des murs à l’intérieurdesquels Dansi pourrait se laver à l’abri des regards de ses compagnes qui n’avaient, elles, pour abriter leur bain, que des palissades en feuilles de palmiers. Au début, tout allait bien. Mais la façon dont Dada-Segbo traitait Dansi et les nombreux cadeaux qu’il lui faisait ne tardèrent pas à déclencher la jalousie des autres femmes. Alougba, la première et la plus âgée des reines à qui toutes les autres devaient obéissance s’en était particulièrement irritée. Un jour, elle décida de chercher à savoir pourquoi Dansi devait se laver à l’abri des regards de ses co-épouses et même du sien, bien qu’elle soit la «Houénon» c’est-à-dire la première femme du roi. Elle se doutait de quelque chose... Alors, dans le plus grand secret, elle fit un trou dans l’un des murs qui entouraient la douche de Dansi. Le moment venu, elle s’assura que personne ne pouvait la voir, elle appliqua son oeil au trou et découvrit que la nouvelle venue était ...un garçon. 38 Aussitôt, Alougba alla chez le roi pour l’informer de sa découverte. Mais le roi ne la crut pas. Alors, face à son incrédulité, elle lui proposa : " Ordonne à tes femmes d’aller à la source quérir l’eau pour tes fétiches et tu pourras vérifier toi-même la vérité de mes propos. " Or, pour cette cérémonie, toutes les reines passaient devant le roi installé près de la grande porte du palais. Elles faisaient grande toilette ce jour-là , s’enduisant le corps de beurre de karité, se couvrant le cou et les bras de poudre et portant, sur leur pagne, leurs plus belles perles autour des hanches. Arrivées devant le roi et, pour lui seul, chacune d’elles devait ouvrir l’unique pagne qu’elle portait. A l’annonce de cette cérémonie, Dansi se sentit perdue car le roi allait découvrir son véritable état et elle serait châtiée sévèrement. Cela ne faisait aucun doute. Immédiatement, elle résolut de s’enfuir. Mais il lui fallait franchir les quarante portes gardées chacune par un chien. Elle prépara donc quarante boules de pâte de farine de maïs qu’elle mit dans une calebasse. La nuit venue, elle sortit silencieusement. Chaque fois qu’elle arrivait à une porte, elle donnait une boule au chien pour l’empêcher d’aboyer. Elle réussit ainsi à sortir du palais et à gagner la brousse sans grandes difficulés, même si elle avait eu très peur. Elle marcha, marcha longtemps et rencontra l’hyène : " Hyène, dévore-moi, dit-elle, je suis trop malheureuse ! " Mais l’hyène refusa et continua son chemin. Un peu plus loin, elle rencontra la panthère : " Panthère, mange-moi, je suis trop malheureuse ! " Elle aussi refusa et, plus loin encore, c’est la Mort qu’elle rencontra : " Emporte-moi, implora-t-elle, je n’ai plus envie de vivre ainsi ! - Mais pourquoi te lamenter pareillement, lui répondit la Mort, je connais la cause de ton chagrin et je peux t’aider car je sais te changer en fille. " Ayant parlé et sans attendre de réponse, elle trancha net le sexe du garçon et souffla dessus le transformant immédiatement en un tubercule de manioc qu’elle remit à Dansi. Ainsi, sans le moindre mal, Dansi était devenue une femme... " Garde-toi bien de manger ce manioc, ajouta-t-elle avant de dis- 39