L`Asie émergente et la libéralisation du compte de capital
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L`Asie émergente et la libéralisation du compte de capital
Diagnostics Prévisions et Analyses Économiques N° 93 – Déc. 2005 L'Asie émergente et la libéralisation du compte de capital1 Au cours des années 1980-1990, l'ouverture du compte de capital aux investisseurs étrangers a progressivement été recherchée par un nombre croissant de pays asiatiques, l'afflux de capitaux permettant, en théorie, de réduire le coût du capital, d'accroître l'investissement et donc le taux de croissance de l'économie. Pourtant, la libéralisation financière en Asie a joué un rôle décisif dans la crise de 1997, provoquant un ajustement brutal des économies de la zone, situation qu'elles ne sont parvenues à surmonter que plusieurs années plus tard. Si la libéralisation du compte de capital n’est pas la cause des comportements inefficaces susceptibles de déclencher une crise, elle joue néanmoins un rôle central. Elle peut en effet amplifier les effets déstabilisateurs d’une régulation et d’une supervision insuffisantes du secteur financier, d’une politique macro-économique déséquilibrée ou d’une distorsion importante des mécanismes de marché. L’expérience asiatique illustre la prudence avec laquelle doit être appréhendée la question de la libéralisation des flux de capitaux. L'analyse rétrospective de cette période permet de tirer plusieurs enseignements : • Une grande ouverture aux capitaux étrangers, dans une économie dotée d'infrastructures financières peu développées, a un fort effet procyclique. La capacité d'intermédiation du système bancaire et la profondeur des marchés financiers sont des conditions nécessaires à la libéralisation des flux de capitaux. Dans le cas où ces conditions ne sont pas respectées, un contrôle temporaire des capitaux à titre de prévention ou de résolution des crises est envisageable si son objectif est d’apporter à l’économie des financements plus stables. • La crise a conduit les pays asiatiques à une défiance forte envers l'endettement extérieur, lequel a de fait diminué dans quasiment tous les pays émergents de la région. Les positions du FMI, avant et pendant la crise, restent très critiquées localement, ce qui explique en partie les stratégies de constitution de réserves de change et les progrès de la coopération financière régionale. • La nature du régime de change et son articulation avec la politique monétaire doivent être particulièrement prises en compte pour évaluer l'opportunité d'une ouverture financière plus importante : la poursuite de la libéralisation des comptes de capital et l'adoption d'une politique monétaire autonome exigent des taux de change flexibles. 1. Ce document a été élaboré sous la responsabilité de la Direction Générale du Trésor et de la Politique Économique et ne reflète pas nécessairement la position du Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie. Sommaire des derniers numéros parus Déc. 2005 n°92 • Influence de la fiscalité sur les comportements d’épargne, Maud Aubier, Frédérier Cherbonnier, Daniel Turquety Nov. 2005 n°91 • La présence française en Asie, Stéphane Cieniewski n°90 • Prix de l’Immobilier Résidentiel et Spère Financière, Sébastien Hissler n°89 • Un bilan de l’émission des obligations françaises indexées sur l’inflation, Benoît Coeuré, Nicolas Sagnes Oct. 2005 n°88 • Perspectives d’élargissement de la zone euro, Vanessa Jacquelain n°87 • Les externalités budgétaires dans la zone euro, Benjamin Carton n°86 • Le rôle du raffinage dans l’évolution récente des prix à la pompe, Julie Muro Sept. 2005 n°85 • La situation économique mondiale à l’automne 2005, Nathalie Fourcade n°84 • Taux d’actualisation public et calcul économique, Fabien Delattre, Adrien Véron n°83 • Évolution de l’emploi public en France et au Royaume-Uni depuis 1980 : éléments de comparaison, Patrick Taillepied n°82 • Pourquoi le solde commercial américain a-t-il continué de se dégrader depuis 2002 malgré la dépréciation du dollar ? Pierre Beynet, Éric Dubois, Damien Fréville, Alain Michel n°81 • Politique familiale et taille de la famille, Maryse Fesseau, Layla Ricroch Août 2005 n°80 • Y-a-t’il un excès de liquidité ? Benjamin Delozier, Sébastien Hissler Juil. 2005 n°79 • Performances de la France à l’international : état des lieux et enjeux à moyen terme, Bruno Valersteinas n°78 • La hausse du prix des matières premières vue d’Asie, Hubert Frédéric n°77 • Réforme du marché du travail : les exemples de l’Espagne et du Danemark, Stéphane Carcillo Juin 2005 n°76 • Les conditions monétaires et financières courantes et passées dans la zone euro et aux États-Unis, Mickaël Le Mestric, Fabrice Montagné n°75 • Les indicateurs de la politique monétaire, Fabrice Montagné n°74 • Mesurer l’inflation sous-jacente en zone euro, Jean-Marie Fournier 2 1. La libéralisation du compte de capital 1.1 Définition et cadre théorique Il existe plusieurs degrés d'ouverture du compte de capital. Les restrictions peuvent être levées sur l'entrée de capitaux étrangers mais aussi sur la sortie de l'épargne nationale. Elles peuvent concerner les investissements directs, les investissements de portefeuille (actions et obligations) et les prêts bancaires. L'ouverture aux investissements directs étrangers fait moins débat car, plus stable, elle porte un risque de change plus faible et contribue d'une manière plus directe à la croissance et à l'emploi. En revanche, la libéralisation des autres types de flux financiers est plus controversée car elle peut comporter un risque de retournement brutal de la balance des capitaux et d’effondrement de l'activité économique. En théorie, la libéralisation du compte de capital présente nombre d’avantages pour les pays émergents. Elle permet d’accélérer la convergence économique en donnant accès à l'épargne mondiale. Elle permet aussi d’augmenter la résistance de l'économie face aux chocs exogènes en facilitant la diversification sectorielle. Elle contribue enfin à améliorer l’efficacité du système bancaire en renforçant la concurrence et donc à baisser les coûts de financement. En outre, les investissements directs étrangers (IDE) facilitent les transferts de technologie. L’impact direct sur les résidents d’une libéralisation du compte de capital est aussi à prendre en compte car elle leur permet de diversifier leurs investissements de portefeuille et de lisser ainsi l’impact du cycle économique sur leur niveau de consommation. Cependant l’imperfection de l’information sur ces nouveaux marchés financiers combinée à des mécanismes de régulation et de supervision insuffisants favorise les comportements moutonniers aux effets amplificateurs potentiellement dévastateurs. Cela crée aussi des conditions propices à l'émergence de problèmes d'aléa moral : les investisseurs prennent des risques excessifs, anticipant que l’État viendra au secours des entreprises et des institutions financières en difficulté. La littérature a longtemps eu du mal à identifier empiriquement l'impact de la libéralisation du compte de capital sur la croissance2 car l’effet des crises financières (peu fréquentes mais à l'impact très important sur la croissance) neutralisait dans les régressions économétriques l'impact positif sur l'investissement3. Des 2. voir D. Rodrik (1998) «Who Needs Capital Account Convertibility?» in Peter Kenen (ed.), Should the IMF Pursue Capital Account Convertibility? Essays in International Finance n°207, Princeton. ainsi que B. Eichengreen (2001) «Capital Account Liberalization : What Do Cross Country Studies Tell Us ?», The World Bank Economic Review, vol 15 n°3, 341-365. 3. De plus, le caractère endogène du contrôle des capitaux couplé à la difficulté d'en faire une mesure objective ont compliqué l'exercice et souvent abouti à des résultats contradictoires. travaux plus récents4 qui utilisent des techniques économétriques plus avancées permettent de dissocier les deux effets et semblent confirmer l'impact positif de la libéralisation financière (interne et externe) sur la croissance en dehors des périodes de crises financières. L’impact théorique de la libéralisation du compte de capital a été quantifié5 grâce à un modèle d'équilibre général. L’étude conclut qu'il est positif mais modeste, conduisant à une augmentation permanente de la consommation de 1%. Les conclusions de cette littérature tendent donc progressivement à se clarifier. La recommandation adressée aux gouvernements des pays émergents est de limiter préalablement les risques de crise financière afin de garantir un impact positif (bien que vraisemblablement modéré) de la libéralisation du compte de capital sur la croissance économique. A ce stade, il convient de remarquer que la libéralisation du compte de capital n'est pas la cause des comportements inefficaces susceptibles de déclencher une crise. Elle joue cependant un rôle central car elle amplifie les effets déstabilisateurs d'une régulation et d'une supervision insuffisantes du secteur financier, d'une politique macroéconomique déséquilibrée ou d'une distorsion trop importante des mécanismes de marché (telles les subventions fournies de manière récurrente par l'État aux entreprises publiques structurellement déficitaires). L'augmentation de l'offre de capitaux combinée à la volatilité accrue de la valeur des actifs peut amplifier les déséquilibres des comptes des organismes financiers, et avoir ensuite des conséquences très néfastes sur l'économie réelle si le système bancaire vient à s'effondrer : c'est le phénomène «d'accélérateur financier». Plus précisément, l'afflux de capitaux tend à augmenter la valeur d'actifs à caractère spéculatif (actions des sociétés cotées, immobilier), lesquels sont utilisés pour garantir des emprunts bancaires. Si leur valeur s'effondre (éclatement d'une bulle spéculative, contagion financière), on assiste alors à une contraction massive du crédit et de l'économie réelle. La libéralisation du compte de capital peut, en outre, aggraver les déséquilibres macroéconomiques en permettant à un gouvernement de maintenir des niveaux de déficit public supérieurs à ceux qu'aurait permis une situation d'autarcie. Enfin, l'ouverture du compte de capital facilite la contagion financière en provenance d'autres économies. La libéralisation du compte de capital n'augmente donc l'efficacité économique que lorsqu'elle est associée à des politiques macroéconomiques équilibrées et à une stratégie visant 4. N. Loayza et R. Rancière (2005) «Financial Development, Financial Fragility and Growth», IMF Working Paper n°05/170 ainsi que A. Razin et Y. Rubinstein (2004) «Evaluation of Exchange Rate and Capital-Market Liberalization Regimes in the Presence of Sudden Stops», Working paper, Tel Aviv University. 5. P.O. Gourinchas et O. Jeanne (2003) «the elusive benefits from international financial integration», NBER working Paper 9684. 3 à limiter les dérives du système financier nées de l'imperfection de l'information. Elle doit donc être mise en œuvre par étapes et suivant une logique adaptée à la situation de chaque pays. 1.2 Les conditions théoriques de mise en œuvre La littérature a cherché à identifier les conditions de mise en œuvre permettant de limiter les risques associés à la libéralisation du compte de capital. Elles peuvent être classées en cinq catégories : • Le régime de change doit être flexible afin de permettre à l'économie de s'ajuster plus facilement à d'éventuels chocs exogènes. • L'environnement macroéconomique doit être stable car des politiques monétaire et budgétaire incompatibles avec l'équilibre de la balance des paiements engendreraient des pressions importantes sur le compte de capital. Une situation consistant à libéraliser le compte de capital dans l'espoir de compenser un déficit du compte courant serait très risquée6. • Le système financier doit être en mesure de jouer son rôle d'intermédiation et d'évaluer son exposition au risque de crédit. Pour ce faire, il doit être soumis à un niveau minimum de régulation et de supervision, à des normes strictes en matière d'audit de comptes, de transparence et de diffusion de l'information financière. Il est souhaitable de repousser l'ouverture du compte de capital si une partie importante du système bancaire est insolvable car la compétition avec les institutions financières étrangères réduirait les marges et pousserait ces banques à la faillite induisant un risque systémique et la possibilité d'une contagion au secteur réel (comme cela s'est passé pendant la crise asiatique). • Les instruments de marché doivent présenter un niveau de développement suffisant, en particulier pour la gestion de la dette publique et du marché monétaire. Les autorités doivent disposer des outils permettant d'intervenir de manière rapide et efficace afin de lisser les évolutions du marché et lutter contre les chocs exogènes. • Le contexte politique doit aussi être pris en compte. En particulier, la possibilité d'accords implicites de renflouement («bailing out») des principales banques et entreprises du pays doit être soigneusement étudiée afin d'éviter, en ouvrant le compte de capital, d'aggraver le risque d'aléa moral. La politique d'un État en matière de contrôle des capitaux doit par ailleurs être confrontée au cadre d'analyse du «triangle des incompatibilités»7. Selon la théorie développée par R. Mundell dans les années 6. Il convient d'éviter la situation des années 1990 qui a vu l'afflux de capitaux permettre à certains pays asiatiques de maintenir des déficits courants très élevés (8% du PIB en Thaïlande en 1996). 1960, la libéralisation du compte de capital implique soit la flexibilité du taux de change, soit une perte d'autonomie de la politique monétaire. La situation actuelle de la Chine, par exemple, rend difficile une libéralisation rapide et poussée : le taux de change est rigide et les canaux de transmission de la politique monétaire chinoise (encadrement du crédit et marché monétaire peu développé) fonctionnent de manière imparfaite et le système financier n’est pas en mesure de gérer efficacement l’épargne chinoise. 1.3 L'évolution de la position du FMI La libéralisation du compte de capital ne fait pas partie, contrairement à celle du compte courant, du mandat officiel confié au FMI, bien qu'une tentative ait été effectuée pour amender les statuts en ce sens dans les années 1990. L'absence de conclusions fermes de la littérature et le manque de clarté des objectifs officiels de l'institution ont contribué à brouiller le message, comme le note le rapport du Bureau indépendant d'évaluation du FMI en 2005.8 La position du FMI s'est infléchie au cours de la décennie 1990 au gré des crises et des expérimentations sur le contrôle des capitaux. Le Fonds était initialement très favorable à la libéralisation rapide du compte de capital car la discipline du marché devait s'appliquer et permettre une meilleure allocation du capital favorisant ainsi la croissance. La crise asiatique mais aussi le succès du contrôle des capitaux mis en place par le Chili en 1991 ont progressivement convaincu l'institution qu'une vision moins extrême était plus réaliste. C'est dans ce contexte qu'est apparue l'idée d'une libéralisation ordonnée du compte de capital. Elle est présentée aujourd'hui par les services comme un élément important d'une approche plus globale qui prévoit le renforcement concomitant du système financier et la mise en œuvre de politiques macroéconomiques équilibrées. La position actuelle du FMI se veut beaucoup plus pragmatique que par le passé car il est maintenant admis qu'il n'y a pas de recette miracle pour la libéralisation du compte de capital, son succès dépendant des circonstances particulières de chaque pays. Le Bureau indépendant d'évaluation relève d'ailleurs dans son rapport de 2005 que la position récente de l'institution sur cette question a varié en fonction des pays, allant de l'encouragement à libéraliser jusqu'au soutien aux contrôles temporaires des capitaux dans certains cas (Philippines). La stratégie générale prônée aujourd'hui par le FMI repose sur l'ouverture séquentielle du compte de capital. Elle consiste, dans un premier 7. Le «triangle des incompatibilités» désigne l'impossibilité pour un pays de bénéficier à la fois de la liberté de circulation des capitaux, d'un taux de change fixe et d'une politique monétaire autonome. 8. Independent Evaluation Office (2005) «IEO Report on the Evaluation of the IMF's Approach to Capital Account Liberalization». 4 temps, à libéraliser l'entrée des investissements directs étrangers puis la dette à long terme pour finir par la dette à court terme afin de limiter les risques de retournement brutal des flux de capitaux et laisser le temps aux autorités de remplir les critères énumérés dans la partie précédente. Le FMI insiste sur le fait que la libéralisation du compte de capital peut favoriser l'ouverture et la modernisation du secteur financier et que les deux peuvent donc être prudemment menés de front se renforçant l'une et l'autre. La séquence recommandée par les services du FMI se déroule en trois étapes : libéralisation des flux entrants de capitaux les moins volatils (Investissements directs) tout en réformant le système financier, puis libéralisation des flux sortants les moins volatils et des autres flux entrant pour terminer par les flux de court terme (cf. graphique 1 ci-dessous) Graphique 1 : shéma de l’ouverture séquentielle du compte de capital Libéralisation des flux d'IDE entrants Libéralisation des flux d'IDE sortants, des autres flux à LT et des certains flux à CT Libéralisation complète Réforme de la réglementation financière Amélioration des normes comptables et statistiques Renforcement des instruments de gestion de la liquidité, des opérations monétaires et de change Renforcement de la réglementation prudentielle, de la supervision et de la gestion du risque Restructuration des secteurs financier et des entreprises Développement des marchés de capitaux (intégrant les fonds de pension) 1 ère phase 2 ème phase 3ème phase Source : FMI (2002). Avant de rendre possible la libéralisation des sorties de capitaux, les autorités doivent s'assurer que les contrôles existants n'ont pas pour conséquence de maintenir artificiellement en vie un système économique inefficace. Si la sortie des capitaux est permise avant que les déséquilibres structurels ne soient résorbés, on peut assister à une fuite des capitaux et à l'effondrement du système économique initialement protégé. C'est le risque encouru aujourd'hui par la Chine où l'épargne, au demeurant très abondante, est très faiblement rémunérée afin de financer à faible coût un réseau d'entreprises publiques peu efficace. Une réflexion est actuellement menée au sein du FMI sur l'opportunité de mettre en œuvre un mécanisme innovant permettant de limiter l'impact déstabilisateur de l'entrée massive de capitaux tout en poursuivant la libéralisation progressive du compte de capital9. Il s'agirait de créer des fonds d'investissement financés par l'émission d'actions en monnaie locale. Les fonds levés seraient utilisés pour acheter à la banque centrale une partie de ses réserves de change et les réinvestir dans des actifs étrangers. En ajustant la taille des fonds 9. E. Prasad et R. Rajan (2005) «Controlled capital account liberalization: a proposal», IMF Policy Discussion Paper 05/7. d'investissement, la banque centrale pourrait ainsi compenser les entrées de capitaux par des sorties. Du point de vue monétaire, le bilan des transactions serait identique à celui d'une intervention stérilisée de la banque centrale, sans occasionner le coût des opérations de stérilisation habituelles : l'intervention étant en fait réalisée en utilisant directement l’épargne privée (via le fonds d'investissement), l'achat d'actifs étrangers détruit mécaniquement une partie proportionnelle de la masse monétaire. Outre la diminution des entrées nettes de capitaux, et donc des pressions à la hausse sur le taux de change réel, ce mécanisme permettrait aux autorités de conserver un contrôle ajustable sur les flux sortants et offrirait aux épargnants du pays concerné une opportunité de diversification de leur portefeuille au profit d'actifs étrangers. 2. L'approche asiatique de la libéralisation du compte de capital : de l'imprudence à la prudence. 2.1 Les excès de la première moitié des années 1990 Les entrées de capitaux dans les pays d’Asie du SudEst ont crû très fortement de 1990 à 1996 passant de 9 milliards de dollars (soit 3% du PIB régional) à plus de 80 milliards (14% du PIB régional). La Thaïlande et la Malaisie, en particulier, ont reçu des flux annuels représentant plus de 10% de leur PIB. Ces entrées massives de capitaux ont favorisé la surchauffe des économies (renforcée par le refus des autorités de laisser leur monnaie s'apprécier) et ont exercé des pressions spéculatives sur les marchés d'actifs (immobilier, actions). L'accélération des flux spéculatifs ne peut cependant être tenue pour seule responsable de la crise ; elle a plutôt joué un rôle d'accélérateur, confirmant le caractère procyclique des mouvements de capitaux. Les causes profondes de la dépression de 1997 sont davantage à rechercher dans des fragilités structurelles qu'Eichengreen et Hausmann ont résumées en 1999 par l'expression de «péché originel», désignant la difficulté, pour les résidents des pays affectés, à se financer en monnaie locale et à long terme. Le «péché originel» est une caractéristique commune des pays émergents durant les décennies 1980-1990. En Asie, cependant, il n'est pas imputable à un déficit d'épargne nationale (comme c'est le cas en Amérique latine), mais au sousdéveloppement des infrastructures financières locales. Dans ce contexte, le surinvestissement qui apparaît au milieu des années 1990 donne lieu à un double déséquilibre financier : de change (actifs en monnaie locale/passifs en devises) et de maturité (actifs à long terme/passifs à court terme). Plusieurs facteurs les ont ensuite aggravés. Au début des années 1990, l'accélération de la libéralisation des comptes de capital en Asie a élargi l'éventail des possibilités d'arbitrage pour les investisseurs occidentaux. Symétriquement, elle a facilité l'accès des 5 résidents aux financements étrangers. Or, la baisse prolongée des taux d'intérêt dans les pays développés et la fixité apparente des taux de change vis-à-vis du dollar ont rendu les marchés émergents plus attractifs pour les prêteurs occidentaux et japonais ; de même, ce contexte rendait les financements de ces derniers particulièrement compétitifs dans les pays émergents asiatiques où les taux d'intérêt locaux étaient particulièrement élevés. De plus, le marasme économique qu'ont traversé les pays industrialisés au début des années 199010 a poussé les investisseurs à chercher de meilleurs rendements en se déplaçant vers les zones émergentes les plus dynamiques. Graphique 2 : différentiel de croissance entre l’Asie émergente et les pays industrialisés 9 e n p ts d e P IB C ri s e a s i a ti q u e 8 7 6 5 4 3 2 1 0 80 82 84 86 88 90 92 94 96 98 00 02 04 Source : FMI. La crise de 1997-1998 a apporté une correction brutale puisque les sorties nettes de capitaux ont atteint 80 milliards de dollars en 1998 et se sont poursuivies jusqu'en 2000. Des explications différentes s'appliquent à chacune des crises ; cependant la faiblesse des systèmes financiers et les manquements en matière de gouvernance (prêts connectés) ont joué un rôle crucial dans la fuite des capitaux. En effet, les risques excessifs pris par des banques mal régulées et mal supervisées ont souvent aggravé la crise et entraîné l'effondrement des taux de change11. 2.2 L'après crise asiatique : le renforcement temporaire des contrôles de capitaux Le rôle central des flux spéculatifs lors de la crise de 1997 a relancé le débat autour de la libéralisation du compte de capital, dont la mise en œuvre trop rapide était, selon les autorités des pays touchés, en grande partie responsable de leurs difficultés. Rapidement, quatre des pays d'Asie les plus affectés (Thaïlande, Malaisie, Indonésie, Philippines) ont, à des degrés divers, resserré leur réglementation afin de stabiliser les mouvements de capitaux et d'encadrer leur «sortie ordonnée». Aux Philippines, en Indonésie et en Thaïlande, ces mesures ont pris la forme de restrictions ne visant que les transactions financières. Elles ont été en partie levées dès la mise en place des pro10. L’écart de croissance entre les pays industrialisés et l'Asie en développement atteint près de 8% en 1993 (cf. graphique 2). 11. L'importance des emprunts bancaires à court terme libellés en dollars explique à elle seule une part importante du renversement rapide des flux de capitaux. grammes FMI (1997 pour l'Indonésie et la Thaïlande, 1998 pour les Philippines). Sous l'impulsion de son Premier ministre, M. Mahatir Muhamad, la Malaisie a opté en septembre 1998 pour une politique plus radicale en décidant d'arrimer le ringgit au dollar américain à une parité fixe et en rétablissant un contrôle des changes relativement strict (en particulier, la Malaisie est le seul pays a avoir maintenu plusieurs années un contrôle des capitaux sortants). Cette dernière mesure a eu deux conséquences principales : la fin de la cotation off-shore de la monnaie nationale et l'impossibilité pour les non-résidents de rapatrier leurs investissements de portefeuille avant un an. La Corée du Sud fait figure d'exception car les autorités ont choisi de poursuivre le mouvement de libéralisation entamé à partir du milieu des années 80 et de concentrer leurs efforts sur la restructuration de sa dette externe. Le rétablissement d'un contrôle des capitaux plus ou moins marqué a pu contribuer à limiter les flux sortants et faciliter le fonctionnement des stabilisateurs automatiques12. Néanmoins, ces mesures ne pouvaient être que temporaires, les pays touchés par la crise se caractérisant par des rythmes de développement rapides nécessitant l'apport de financements extérieurs. Dès lors, dans la perspective d'une réouverture jugée inévitable à moyen terme, il importait de profiter de la relative protection offerte par le contrôle des capitaux pour engager une réforme financière permettant • dans l'immédiat, d'éviter un effondrement du crédit (credit crunch), • de réduire durablement l'endettement externe, notamment la part des engagements à court terme, • et de moderniser en profondeur les méthodes de gestion bancaire. 2.3 L'intervention des pouvoirs publics a permis de préserver les systèmes bancaires nationaux La solidité des établissements bancaires étant un facteur déterminant pour le succès de la libéralisation du compte de capital, il est important d'examiner l'évolution du secteur bancaire asiatique après 1997. D'importantes divergences sont rapidement apparues entre les pays en crise et le FMI s'agissant de la politique économique qu'il convenait d'adopter. Dans la plupart des pays, celle-ci était essentiellement dictée par la nécessité de sauver les banques locales. Prenant le contre-pied des recommandations initiales du Fonds, les gouvernements ont ainsi très tôt assoupli leur politique monétaire afin d'éviter l'effondrement 12. Dans un contexte de crise, la mise en oeuvre des stabilisateurs automatiques conduit à une politique budgétaire très expansionniste susceptible d'accroître les fuites de capitaux. En limitant les flux sortants, le contrôle du compte de capital facilite le fonctionnement des stabilisateurs. Voir à ce sujet B. Eichengreen (1999) «Toward a New International Architecture, a Practical Post-Asia Agenda», Institute For International Economics. 6 d'un système bancaire grevé de prêts non performants et insolvable en devises du fait des dévaluations. De nombreux établissements financiers ont été fermés ou fusionnés d'autorité, et tous les pays ont mis en place, plus ou moins tardivement, des structures nationales de défaisance chargées du recouvrement des mauvaises créances. Marginalement, des investisseurs étrangers ont été associés au renflouement des banques via des prises de participation ; mais les banques concernées étaient généralement de petite taille ou la part du capital offerte était minoritaire. L’injection massive de fonds publics dans le système financier (pesant lourdement durant plusieurs années sur les finances publiques) et le maintien de taux d'intérêt peu élevés ont permis aux banques locales de refinancer assez rapidement en monnaie locale une partie significative de leur dette externe et de diminuer ainsi leur exposition au risque de change (cf. graphique 3 ; la dette externe consolidée des systèmes bancaires thaïlandais, coréen, philippin, malaisien et indonésien a diminué de moitié en valeur entre 1997 et 1998). Graphique 3 : dette externe des systèmes bancaires (en milliards d’USD) 200 Mds $ Thaïlande Corée du Sud 150 Philippines Malaisie Indonésie 100 50 0 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 Source : IFS. En Indonésie et en Thaïlande, l'État a apporté sa garantie aux déposants afin d'enrayer la spirale des retraits et plafonné les taux de rémunération des dépôts pour ne pas affaiblir davantage les banques les plus menacées. Dans les cinq pays, le renforcement de la réglementation prudentielle (ratios de capitalisation, enregistrement comptable des prêts non performants, règles de provisionnement) a posé les bases d'une meilleure gestion du risque. En Corée du Sud, en Thaïlande et en Indonésie, l'indépendance de la banque centrale a été renforcée à cette occasion. Dans un environnement protégé d'éventuels nouveaux flux spéculatifs ainsi que de la concurrence des établissements étrangers, les banques ont pu assainir leur bilan et ainsi reprendre, très progressivement, leur rôle d'intermédiation. Le coût pour les finances publiques de la restructuration des systèmes financiers s'est néanmoins révélé considérable et supérieur à l'impact de la crise sur la croissance du PIB. Selon la Banque mondiale, il s'est élevé à 50% du PIB en Indonésie, 33% en Thaïlande, 27% en Corée du Sud et 16% en Malaisie. 3. La situation encore fragile du système bancaire conduit les autorités à la prudence, mais la coopération régionale pourrait accélérer l'ouverture des marchés de titres 3.1 Des systèmes financiers encore convalescents et toujours éloignés des normes occidentales Les pouvoirs publics sont parvenus à éviter la faillite complète des systèmes bancaires nationaux en déchargeant les établissements de leurs prêts non performants et en procédant à des vagues de recapitalisation massives. Les fermetures, fusions ou nationalisations des établissements ont permis de rationaliser le secteur bancaire, donnant naissance à des banques d'envergure véritablement nationale. L'assainissement du secteur bancaire a aussi largement bénéficié d'une conjoncture porteuse : cycle des nouvelles technologies en 1999-2000 puis forte progression du commerce mondial, ouverture de la Chine et développement rapide du crédit à la consommation. À partir de 2003, le crédit bancaire a de nouveau progressé dans l'ensemble des pays de la zone et les faiblesses caractéristiques du «péché originel» ont été sensiblement réduites. La sortie de crise du secteur bancaire ne marque cependant pas la disparition définitive des fragilités structurelles en partie responsables de la dépression de 1997, comme en témoigne la «crise des cartes de crédit» qui a touché la Corée du Sud en 2003. En premier lieu, la gestion du risque demeure insuffisante au regard des normes internationales et biaisée par des collusions traditionnellement fortes entre les conglomérats qui dominent l'industrie et la finance asiatiques. La crise a provoqué une forte aversion au risque de la part des banques, accentuée par des normes comptables lacunaires et le manque d'informations financières sur les entreprises non cotées. Le maintien d'une politique monétaire historiquement accommodante dans les pays émergents a contribué à restaurer la liquidité des banques. Ces liquidités ont été en grande partie investies dans Tableau 1 : part des prêts non performants dans l'encours de prêts total (%) Europe de l’ouest* États-Unis Asie émergente* Indonésie Malaisie Philippines Thaïlande 2000 N/d 1,1 14,5 34,4 15,4 24,0 17,7 2004 2,1 0,8 10,8 13,4 11,8 24,7 11,9 * Moyenne des ratios nationaux. Source : FMI, Global Financial Stability Report, août 2005. 7 des titres d'État, actifs jugés peu risqués, ce qui a permis aux gouvernements d'allonger la duration de leur dette. La sphère productive a donc peu bénéficié des capitaux réinjectés par les gouvernements, accentuant le caractère dual du marché du crédit : tandis que les grands groupes parviennent à se financer à des taux compétitifs, les PME ont toujours difficilement accès au crédit bancaire. L'allocation sous optimale du crédit dans un contexte de liquidités abondantes fait perdurer le risque d'apparition de prêts non performants. Et, de fait, si les ratios des mauvaises créances ont considérablement diminué depuis la crise, ils s'établissent à des niveaux encore nettement supérieurs à la moyenne mondiale (cf. tableau 1). Dans le contexte actuel de resserrement monétaire mondial, le FMI (2005) signale également que les banques asiatiques sont exposées à un risque de taux du fait de la part importante des titres d'État dans leurs portefeuilles d'actifs. importants en infrastructures ont en effet rendu plus pressant le recours aux financements externes. La Thaïlande constitue une bonne illustration de cette évolution. Si la réglementation n'est pas notablement plus stricte depuis la crise, dans les faits, le gouvernement a ouvertement affiché son hostilité aux financements externes et donné l'instruction à toutes les administrations de ne plus y recourir. Bien qu'elle influe fortement sur les entrées de capitaux, une telle décision, de par sa nature politique, est rarement prise en compte dans les évaluations du degré d'ouverture financière d'un pays. On note un net infléchissement depuis cette année : la politique de relance que le gouvernement thaïlandais met actuellement en place est fondée sur un vaste programme d'investissements publics (40 Mds USD), qui oblige le pays à assouplir sa position et à envisager des financements externes. L'évolution des régimes de change des pays émergents d'Asie a influé positivement sur celle du risque pays. Avant la crise, la combinaison changes fixes/ouverture du compte de capital entretenait un fort aléa moral (les résidents s'endettaient en devises sans grande préoccupation pour le risque de change, persuadés que la banque centrale défendrait la parité). Depuis 1997, la grande majorité des pays de la zone ont fait évoluer leur régime de change vers un flottement dirigé : le marché fixe le cours de la monnaie nationale, mais la banque centrale intervient pour en lisser les variations. Le transfert ainsi opéré du risque de change sur les entreprises est la principale explication du désendettement externe rapide des économies asiatiques. 3.2 L'Asie est partagée entre prudence et ouverture progressive Depuis la crise, la libéralisation du compte de capital en Asie demeure un sujet d'autant plus sensible que plusieurs leaders politiques (Malaisie, Thaïlande) l'ont exploité à des fins électorales. Dans les faits, les interdictions ont été rapidement remplacées par des plafonds sur les transactions, lesquels ont été progressivement relevés. On assiste dans l'ensemble à une ouverture graduelle dans la quasi-totalité des pays émergents d'Asie (cf. tableau 2). La réapparition de taux de croissance élevés depuis 2002 et les besoins Tableau 2 : ouverture des marchés financiers asiatiques Singapour Hong-Kong SAR Japon Corée Philippines Malaisie Taillande Indonésie Inde Chine v v v v v v v v v v v vcap v v v vcap ± X† vcap v v v v v v v v v v v vcap v v v v ± X ± ± ± v v v v v v v v v v v v X v X ± ± X ~ X v v v v v v v v vcap v vcap ± X X ± ± v v ± ± Les étrangers peuvent emprunter localement v v v vcap v v v X ± v Les résidents peuvent emprunter à l’étranger v v v v v ~ v v ~ ~ 1 - Marchés d’actions Les étrangers peuvent Acheter localement Émettre localement Les résidents peuvent Acheter à l’étranger Émettre à l’étranger 2 - Marchés obligataires Les étrangers peuvent Acheter localement Émettre localement Les résidents peuvent Acheter à l’étranger Émettre à l’étranger 3 - Marché du crédit Note de lecture : v autorisé (peut faire l’objet de plafonds ou «caps» ; ± soumis à l’autorisation ; ~ soumis à des restrictions ; X interdit ; † autorisé aux résidents srilankais. Source : FMI, Annual report on exchange arrangements and exchange restrictions. 8 3.3 L'Inde et la Chine font toutefois figures d'exception. Bien que ces pays suivent la tendance régionale vers une plus grande ouverture financière, tous deux ont maintenu des politiques de contrôle des capitaux parmi les plus restrictives en Asie (cf. tableau 1)Cette stratégie explique en partie le fait qu'ils aient été relativement épargnés par la crise de 1997 et qu'ils aient pu mettre en œuvre très tôt une politique monétaire accommodante sans craindre des fuites de capitaux, à l'inverse des pays du Sud-est asiatique13. Pour autant, l'efficacité des politiques de contrôle des capitaux est sujette à caution, a fortiori en période de forte croissance et de développement rapide du commerce international. L'intensification des échanges offre aux opérateurs un large éventail d'opportunités pour contourner la réglementation : transferts des émigrés, recettes touristiques, sous- ou surévaluation des importations ou des exportations, ajustement des prix de transfert entre filiales, décalage dans le temps du règlement des transactions commerciales. Ainsi, entre 1997 et 2000, plus de 100 Mds USD auraient quitté la Chine chaque année (Prasad, Rumbaugh & Wang, 2005). De même, contrairement à une idée largement répandue, la forte augmentation des réserves officielles chinoises entre 2001 et 2004 s'explique davantage par l'intensification des entrées de capitaux que par les excédents courants (Prasad & Wei, 2005), ce qui témoigne de la porosité du contrôle exercé par les autorités chinoises. En Inde, par ailleurs, les investissements de portefeuille expliquent 30% de l'augmentation des réserves de change en 2004. Malgré son inefficacité partielle, le contrôle des capitaux conserve certains avantages pour les autorités : il permet de limiter l'endettement externe et, en évitant une fuite de l'épargne, de disposer de ressources (abondantes et d'un coût peu élevé dans le cas de la Chine) pour financer le développement de l'économie. La libéralisation du compte de capital demeure néanmoins un objectif à terme pour la Chine comme pour l'Inde. La première l'a réaffirmé lors de ses nombreuses communications consécutives à la réforme de son système de change de juillet 2005 ; de même, la banque centrale indienne a publié dès 1997 une Road Map for Full Capital Account Convertibility, et d'importantes mesures d'ouverture ont été prises en 2002 (IEO, 2005). Dans les deux cas, la condition préalable posée par les autorités est la mise à niveau des systèmes bancaires, sans laquelle le risque d'une fuite de l'épargne nationale demeure élevé. 3.4 En accélérant la mise à niveau des infrastructures financières, la coopération monétaire régionale pourrait favoriser une ouverture plus rapide des comptes de capital asiatiques 13. À la différence des pays asiatiques les plus touchés par la crise de 1997, le système bancaire chinois n'a pas fait l'objet d'une perte de confiance massive de la part de la population, ce qui a nécessairement limité les sorties de capitaux (Prasad, Rumbaugh & Wang, 2005). L'après crise a été marqué par une accumulation sans précédent de réserves de change des pays asiatiques (cf. graphique 5 ; en juillet 2005, les réserves consolidées des dix pays figurant sur le graphique représentaient 51% des réserves mondiales), ce qui leur assure d'importantes ressources pour faire face à d'éventuelles tensions sur leur balance des paiements. Les pays membres de l'Asean+314 ont également engagé un ambitieux programme de coopération monétaire initié par les accords de Chiang Maï (mai 2000) et renforcé par la déclaration d'Istanbul (mai 2005), qui s'est matérialisé par la signature d'accords de swaps bilatéraux sur les réserves de change portant sur 55,5 Mds USD à ce jour. Graphique 5 : réserves de change/PIB Indonésie Japon Inde 2005 Philippines 2001 Corée Thaïlande Chine Malaisie Hongkong Taïwan 0% 20% 40% 60% 80% Source : banques centrales, FMI. La consolidation de la position financière externe de la région permet aujourd'hui aux autorités asiatiques d'entrevoir sous un jour plus favorable la perspective d'une libéralisation des comptes de capital. Les pays concernés ont ainsi lancé en 2002 un projet de coopération visant à intégrer les marchés obligataires nationaux (Asian Bond Markets Initiative, ABMI), présenté comme complémentaire de l'Initiative de Chiang Maï. Dans un premier temps, ce projet s'est matérialisé par la création de fonds d'investissement alimentés par les réserves officielles des pays à l'origine de l'Initiative et dont la gestion a été confiée à la Banque des Réglements Internationaux (BRI). Si leur taille (3 Mds USD cumulés) n'est pas de nature à peser significativement sur la liquidité des marchés locaux, ces fonds régionaux ont un effet d'accélérateur plus fort que prévu sur les réformes réglementaires et fiscales en cours dans chaque pays15. La part des fonds obligataires investie dans chaque pays étant pondérée selon un coefficient reflétant le degré d'ouverture des marchés nationaux, leur fonctionnement entretient l'incitation à une plus grande ouverture aux capitaux étrangers. Ce dispositif semble déjà porter ses fruits16 : l'impact sur l'ouverture des comptes de capital malaisien et thaïlandais est déjà notable. Le fonds d'investissement régional PAIF est le premier investisseur institution14. Birmanie, Brunei, Cambodge, Chine, Corée du Sud, Indonésie, Japon, Laos, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande, et Vietnam. 15. voir G. Ma et E.M. Remolona (2005) «Opening Markets Through a Regional Bond Fund: Lessons from ABF2», BIS quarterly review, juin 2005. 16. voir FMI (2005) «Global Financial Stability Report», août 2005. 9 nel étranger à s'être vu accorder un accès direct au marché obligataire interbancaire chinois. Dans l'hypothèse où cette coopération financière, réunissant le Japon et tous les pays émergents d'Asie de l'Est (ce qui en soi constitue déjà un réel progrès), contribue effectivement à la libéralisation des comptes de capital, la démarche semble d'une grande cohérence. Il s'agit • de se doter aux niveaux national et régional d'instruments efficaces (accumulation des réserves, Initiative de Chiang Maï) pour faire face à d'éventuels flux de capitaux déstabilisants • et de créer des infrastructures financières attractives (ABMI) permettant d'offrir une alternative d'investissement crédible et de recycler ainsi l'abondante épargne asiatique. La modernisation de l'offre de titres asiatiques induit déjà une évolution de la demande. En trois ans, le portefeuille de risques émergents consolidé des investisseurs institutionnels du monde entier s'est diversifié à hauteur de 10% vers des titres libellés en monnaie locale17. Par ailleurs, l'accroissement de la liquidité des marchés obligataires asiatiques permet aux pays émetteurs de réduire significativement la vulnérabilité liée à leur endettement : d'une part ils peuvent allonger les maturités de leurs émissions à moindre coût, d'autre part ils consolident leur endettement en monnaie locale, ce qui limite le risque. Cette montée en gamme des marchés financiers asiatiques accroît la probabilité d'une libéralisation poussée des comptes de capital dans un avenir proche. 4. Les enseignements de l’expérience asiatque Au total, l'expérience asiatique illustre la prudence avec laquelle doit être appréhendée la question de la libéralisation des flux de capitaux. Elle a doublement montré les limites d'une approche systématique en la matière puisque, d'une part, l'ouverture précipitée engagée à la fin des années 1980 a joué un rôle déterminant dans la crise et, d'autre part, les restrictions appliquées par les autorités après la crise, en dépit des recommandations des organisations multilatérales, n'ont pas empêché les pays émergents d'Asie de renouer rapidement avec des taux de croissance élevés. L'analyse rétrospective de cette période permet donc de tirer plusieurs enseignements : 17. L'augmentation du poids des titres libellés en monnaie locale dans les portefeuilles des investisseurs institutionnels profite également aux pays d'Europe orientale (Pologne, Hongrie) et d'Amérique latine (Brésil, Mexique, Colombie). • Une grande ouverture aux capitaux étrangers, dans une économie dotée d'infrastructures financières peu développées, a un fort effet procyclique. La capacité d'intermédiation du système bancaire et la profondeur des marchés financiers sont des conditions nécessaires à la libéralisation des flux de capitaux. • L'expérience de la crise a conduit les pays asiatiques à une défiance forte envers l'endettement extérieur, lequel a de fait diminué dans tous les pays émergents de la région (sauf aux Philippines). Les positions du FMI, avant et pendant la crise, restent très critiquées localement, ce qui explique en partie les stratégies de constitution de réserves de change et les progrès de la coopération financière régionale. • La nature du régime de change et son articulation avec la politique monétaire doivent être particulièrement prises en compte pour évaluer l'opportunité d'une ouverture financière plus importante. Conformément au «triangle des incompatibilités» de Mundell, la poursuite de la libéralisation des comptes de capital et l'adoption d'une politique monétaire autonome (par exemple de ciblage d'inflation) exigent des taux de change flexibles. Or, du fait de l'importance du commerce extérieur pour les économies asiatiques, les autorités monétaires souhaitent préserver leur compétitivité : elles ne peuvent donc sacrifier un objectif (taux de change) à un autre (taux d'inflation). Ceci explique que peu de pays de la zone aient adopté un ciblage d'inflation, contrairement à l'Amérique latine. • Dans les pays émergents où le niveau de développement des infrastructures financières est intermédiaire, il ne paraît pas fondé d'exclure a priori la mise en place d'un contrôle temporaire des capitaux à titre de prévention ou de résolution des crises, l'objectif étant d'apporter à l'économie des financements plus stables. Dans ce cas de figure, il importe que ce contrôle ne dissuade pas l'ensemble des investisseurs étrangers mais puisse être sélectif aux dépens des capitaux les plus volatils. La clarté des messages politiques est donc déterminante. Pierre MONGRUÉ Marc ROBERT Directeur de la Publication : Philippe BOUYOUX Rédacteur en chef : Philippe GUDIN DE VALLERIN Mise en page : Maryse DOS SANTOS (01.44.87.18.51) 10