Clause compromissoire inapplicable en procédures collectives

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Clause compromissoire inapplicable en procédures collectives
Revues
Lexbase La lettre juridique n˚636 du 10 décembre 2015
[Entreprises en difficulté] Jurisprudence
Clause compromissoire inapplicable en procédures
collectives
N° Lexbase : N0316BWM
par Bastien Brignon, Maître de conférences — HDR à l'Université
d'Aix-Marseille, Membre du Centre de droit économique (EA 4224),
Directeur du master professionnel ingénierie des sociétés
Réf. : Cass. com., 17 novembre 2015, n˚ 14-16.012, F-P+B (N° Lexbase : A5365NXY)
Tandis que les modes alternatifs de règlement des différends (MARD), au premier rang desquels se trouvent
la médiation et la conciliation, ne cessent de croître, en particulier en France depuis le décret n˚ 2015-282
du 11 mars 2015, relatif, notamment, à la résolution amiable des différends (N° Lexbase : L1333I8U) et l'ordonnance n˚ 2015-1033 du 20 août 2015, relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation
(N° Lexbase : L3397KGW), transposant la Directive européenne en matière de litige consumériste (Directive
2013/11 du 21 mai 2013 N° Lexbase : L5054IXH), la Cour de cassation vérifie, depuis quelque temps, l'arbitrabilité de certains de nos textes ou de certaines de nos matières. Ainsi par exemple, l'article L. 442-6, I,
5˚ du Code de commerce (N° Lexbase : L1769KGM), afférent à la rupture brutale de relations commerciales
établies, a-t-il été considéré comme un texte arbitrable, tant en droit international (1) qu'en droit interne (2).
Il en a été de même en matière de brevet d'invention.
Dans le domaine des procédures collectives, alors que l'on pensait les clauses compromissoires inapplicables à la matière, compte tenu de la spécificité de la matière, souvent dérogatoire à tous les autres droits,
la Cour de cassation a jugé, dans une décision remarquée du 1er avril 2015 et pour la première fois, qu'une
telle clause était parfaitement valable et qu'en conséquence elle s'imposait au mandataire à la liquidation
et ce, au terme d'un attendu qui a, à peu près, emporté l'adhésion de la doctrine sur le fond mais pas sur
la motivation : "ayant relevé que le liquidateur avait usé de la faculté de poursuivre l'exécution des contrats avec
tous les droits et obligations qui s'y rattachaient, ce qui impliquait l'observation de la clause compromissoire qui y
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était stipulée, et retenu que la discussion, au cours de la procédure de déclaration de créance, ne portait que sur
la régularité de la déclaration et la forclusion, la cour d'appel a retenu, par une décision motivée et hors de toute
dénaturation, que les demandes du liquidateur devant la juridiction consulaire étaient irrecevables, faute d'avoir
respecté la procédure d'arbitrage" (3).
Toutefois, dans un arrêt du 17 novembre 2015, la Cour de cassation juge, au contraire qu'une telle clause
ne s'impose pas au mandataire à la liquidation.
En l'espèce, par un acte du 4 novembre 2008 comportant une clause compromissoire, les parties à un contrat de
franchise étaient convenues de sa résiliation sans indemnité de part et d'autre. Le franchisé a été mis en liquidation
judiciaire. La date de cessation des paiements ayant été fixée au 30 juin 2008, le liquidateur a assigné le franchiseur devant le tribunal de la procédure collective en nullité de la convention de résiliation sur le fondement de
l'article L. 632-1, I, 2˚ du Code de commerce (N° Lexbase : L7320IZ7), estimant qu'il s'agissait d'un contrat commutatif dans lequel les obligations du débiteur excédaient notablement celles du franchiseur (4). Celui-ci, se prévalant
de la clause compromissoire, a soulevé l'incompétence du tribunal ayant ouvert la liquidation judiciaire au profit du
tribunal arbitral ; cette exception ayant été rejetée, il a formé un contredit que la cour d'appel d'Amiens a rejeté (5).
Et la Chambre commerciale de la Cour de cassation confirme cet arrêt, rejetant à son tour le pourvoi du franchiseur :
le liquidateur qui demande, à titre principal, la nullité d'un acte sur le fondement des dispositions de l'article L. 632-1,
I, 2˚ du Code de commerce ne se substitue pas au débiteur dessaisi pour agir en son nom mais exerce une action
au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers de sorte qu'une clause compromissoire stipulée à l'acte litigieux est
manifestement inapplicable au litige.
On voit ainsi que l'argument qui avait été invoqué par le liquidateur dans l'arrêt du 1er avril 2015, et qui avait été
rejeté à l'époque par la Cour de cassation, à savoir qu'une clause compromissoire n'est opposable aux organes
de la procédure collective que tant qu'ils agissent en représentation du débiteur et non lorsqu'ils agissent au nom
des créanciers, est en revanche aujourd'hui avancé par la Cour de cassation pour rejeter le pourvoi du franchiseur
cocontractant. En effet, autant lorsque le liquidateur se substitue au débiteur, au regard du principe de dessaisissement, il doit respecter le contrat (I), autant lorsqu'il agit dans l'intérêt des créanciers, par exemple dans le cadre
d'une action en nullité des actes de la période suspecte, il peut en faire l'économie (II). Cette ligne de partage, posée
par la Cour de cassation, n'est cependant pas exempte de critique (III).
I — Le respect du contrat par le liquidateur substitué au débiteur
L'arrêt du 1er avril 2015 avait considéré que le liquidateur qui optait pour la continuation des contrats en cours,
en l'occurrence des contrats de sous-traitance, et qui initiait une procédure à l'encontre du donneur d'ordre pour
récupérer des sommes dues, devait respecter la clause compromissoire. Autrement dit, il devait assigner le donneur
d'ordre devant le tribunal arbitral avant de l'assigner, en cas d'échec de la procédure d'arbitrage, devant le tribunal
de commerce.
Sa motivation avait été critiquée car elle laissait entendre que si le liquidateur n'avait pas opté pour une telle continuation, il aurait pu ne pas respecter la clause compromissoire. La critique était fondée, tout comme la solution. Il
fallait en déduire que lorsque le liquidateur se substitue au débiteur, à son administré, par exemple dans le cadre
de l'exécution d'un contrat, il faut qu'il respecte le contrat, dans toutes ses stipulations. Si donc un contentieux
découle de tel ou tel contrat, et que ledit contrat contient une clause compromissoire, il faut que le liquidateur soit
respectueux de celle clause, peu important qu'il ait opté ou pas pour la continuation du contrat en cours, excepté
le cas où ladite clause serait illégale (6).
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le droit des entreprises en difficulté est assez respectueux du droit
des contrats, du moins pour la période postérieure à l'ouverture de la procédure collective : s'il permet en effet de
blanchir le passé du cocontractant débiteur, il ne permet pas, après le jugement d'ouverture, de ne pas suivre le
contrat à la lettre.
Néanmoins, si le contentieux ne découle plus vraiment du contrat, de telle sorte que le liquidateur n'interviendrait
pas à la place du débiteur, mais plutôt en sa qualité de représentant des créanciers, alors il se trouve libre de ne
pas respecter le contrat, d'autant plus si le contrat a été résilié.
II — L'inapplicabilité de la clause compromissoire en cas d'action en nullité de la période suspecte initiée
par le liquidateur
Le liquidateur est un organe de la procédure collective juridiquement schizophrène : il représente le débiteur, en
raison du principe de dessaisissement, sauf pour ce qui relève de l'extrapatrimonial. Il représente également les
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créanciers. C'est le cas précisément dans le cadre d'une action en nullité contre un acte passé en période suspecte.
Dans l'affaire commentée, le liquidateur d'un franchisé assignait le franchiseur de ce dernier en nullité d'un contrat
de résiliation, qu'il qualifiait de commutatif car passé en pleine période suspecte, en raison de l'absence d'indemnité.
Et il l'assignait devant le tribunal ayant ouvert la liquidation judiciaire. Malgré la clause compromissoire, la Cour de
cassation rejette le pourvoi du franchiseur qui plaidait la compétence de l'arbitre.
Le raisonnement de la Cour de cassation, et celui des juges du fond, est placé non pas sous l'angle du contrat,
mais sous celui de l'action en nullité ou plus largement de l'intérêt collectif des créanciers.
Les juges pouvaient-ils se détacher ainsi du contrat ? Oui. D'une part, les actions en nullité de la période suspecte,
si elles ont souvent pour point de départ une convention, elles ont pour objectif de reconstituer l'actif du débiteur. La
question n'est, par conséquent, pas celle de l'exécution ou de l'inexécution d'un contrat, mais celle du respect de
l'intérêt général des créanciers en vue d'apurer le passif. Cet intérêt supérieur justifie de détacher le raisonnement
du contrat. D'autre part, les actions en nullité sont des actions attitrées : elles ne peuvent être exercées que par
certaines personnes, tels les mandataires judiciaires, et non le débiteur ou les créanciers.
Par ailleurs, on peut s'interroger sur la localisation de la clause compromissoire. Elle était visiblement stipulée dans
la convention de résiliation qui serait ici un contrat déséquilibré. Si elle avait été stipulée dans le contrat de franchise
ou dans les conditions générales le régissant, la solution aurait-elle été différente ? Certainement, du moins si la
Cour de cassation avait appliqué la solution de l'arrêt du 1er avril 2015.
En outre, quelle portée faut-il donner à l'arrêt du 17 novembre 2015 car il a été pris dans un contexte très particulier, celui d'une action en nullité de la période suspecte et d'un contrat de résiliation contenant une clause
d'arbitrage ? Faudrait-il lui donner une large portée, si bien qu'à chaque fois que le liquidateur interviendrait au nom
des créanciers, il pourrait ne pas respecter le contrat, les créanciers renonçant en quelque sorte tacitement à la
clause compromissoire en s'abstenant de la soulever ? Peut-être... Mais, si cette portée là devait être affirmée à
l'avenir, elle serait lourde de conséquences car elle pourrait permettre de priver d'efficacité bon nombre de clauses
compromissoires en cas de procédure collective. Hormis l'action en nullité des actes de la période suspecte, on
pense par exemple aux actions en sanction, dont celle pour insuffisance d'actif qui pourraient donc échapper, du
moins dans un premier temps, à la compétence du tribunal ayant clôturé la procédure, ce qui est assez choquant
et assez déstabilisant...
III — Les difficultés posées par la solution
Le premier grief que l'on peut faire à l'arrêt est la violation du principe de "compétence-compétence " selon lequel,
en principe, l'arbitre est le seul à pouvoir se prononcer sur sa compétence, même lorsque le contrat est résilié ou
résolu.
La seconde critique est placée sous l'angle du contrat. La clause compromissoire contenue dans la convention de
résiliation a été écartée parce qu'il s'agissait d'une action en nullité de la période suspecte et qu'ainsi le liquidateur
agissait non pas en tant que représentant du débiteur mais dans l'intérêt collectif des créanciers. Or, un contrat,
même déséquilibré, même passé en période suspecte, et même de résiliation, n'en reste pas moins un contrat.
Certes, le liquidateur ne se substitue pas au débiteur dans une action en nullité de la période suspecte car le
débiteur ne peut pas agir, tout comme les créanciers. Mais il se substitue à ces derniers. Or, s'il se substitue à
ces derniers, qui ne peuvent pas agir non plus, c'est au regard du contrat de résiliation passé entre le franchiseur
et le franchisé. Autrement dit, et dans le fond, d'un point de vue juridique, il n'y a pas plus de raison d'exclure la
compétence de l'arbitre que de reconnaître son intervention.
Cela étant, en opportunité, exclure la compétence de l'arbitre présente au moins deux avantages : d'abord, reste
compétent le tribunal qui a ouvert la procédure, pour toutes ses ramifications, ce qui permet de ne pas trop changer
les habitudes, ensuite et surtout, est évitée l'intervention d'un tribunal arbitral qui est souvent onéreuse. Or, la
liquidation judiciaire supporte assez mal un surcroît des coûts, étant précisé néanmoins que l'impécuniosité d'une
partie n'est pas un cas d'inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire (7).
En conclusion, la question de savoir si la clause compromissoire doit s'opposer à la compétence du tribunal de la
procédure collective est très loin d'être tranchée. L'arrêt du 17 novembre 2015 est important et juridiquement fondé.
Mais rien n'est moins sûr quant à ses suites. Les questions restent entières.
Imaginons par exemple une rupture brutale de relations commerciales établies en pleine période suspecte, pendant
la période d'observation ou encore pendant l'exécution d'un plan. Si le contrat contient une clause compromissoire,
faudra-t-il la respecter ou au contraire le tribunal de la procédure collective sera pleinement compétent ?
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Qu'en est-il encore du cas, au-delà de la clause compromissoire, du préalable désormais obligatoire de conciliation
ou de médiation, en matière de procédure collective ? En effet, les articles 56 (N° Lexbase : L1441I8U) et 58
(N° Lexbase : L1442I8W) du Code de procédure civile disposent dorénavant que "sauf justification d'un motif légitime
tenant à l'urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu'elle intéresse l'ordre public", l'assignation, la
requête ou la déclaration qui saisit la juridiction de première instance précisent les diligences entreprises en vue de
parvenir à une résolution amiable du litige. On comprend que si l'urgence de la procédure collective devrait permettre
au créancier qui assigne un débiteur en liquidation judiciaire d'être dispensé d'un tel préalable, elle pourrait dans
un avenir proche ne plus empêcher un cocontractant de plaider la compétence d'un juge privé, avant celle du juge
étatique.
Le chantier qui attend la Cour de cassation, voire le législateur, est d'envergure.
(1) Cass. civ. 1, 8 juillet 2010, n˚ 09-67.013, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1247E4X), Bull. civ. I, n˚ 156 ; D., 2010, p.
2884, obs. X. Delpech ; D., 2010, p. 2884, obs. M. Audit et O. Cuperlier ; Gaz. Pal., 31 août 2010, p. 16, note G.
Bertrou et O. Attias ; Gaz. Pal., 9 novembre 2010, p. 13, obs. D. Bensaude ; JCP éd. E, 2009, 1739, obs. G. Decocq ;
Rev. arb., 2010, p. 513, note R. Dupeyré ; Rev. crit. DIP, 2010, p. 743, note D. Bureau et H. Muir-Watt.
(2) Cass. civ. 1, 21 octobre 2015, n˚ 14-25.080, F-P+B (N° Lexbase : A0244NUL), JCP éd. G 2015, 1128, note
L. Weiller.
(3) Cass. civ. 1, 1er avril 2015, n˚ 14-14.552, F-P+B (N° Lexbase : A1011NGK), LEDEN, 2 mai 2015, p. 1, n˚ 081,
obs. F. — X. Lucas ; JCP éd. E, 2015, 1273, note Ch. Lebel ; JCP éd. G, 2015, 691, note L. Weiller ; Rev. proc. coll.,
mai 2015, p. 9, obs. F. Petit ; Les Cahiers de l'arbitrage, 2015-2, p. 303 et s., S. Achille ; D. Actualité, 21 avril 2015,
obs. X. Delpech.
(4) Les juges ont déjà reconnu le déséquilibre des prestations au terme d'une transaction conclue au cours d'une
période suspecte : CA Paris, 10 juillet 1984, DS, 1084, inf. rapp. 399 ; CA Paris, 12 novembre 1992, Rev. proc. coll.,
1994, 250, obs. B. Lemistre.
(5) CA Amiens, 20 février 2014, n˚ 13/02 165 (N° Lexbase : A6624ME3)
(6) Si, par exemple, l'une des deux parties n'est pas un professionnel.
(7) Note L. Weiller, sous Cass. civ. 1, 1er avril 2015, préc..
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