Ganglion sentinelle et cancer colorectal – Sentinel lymph
Transcription
Ganglion sentinelle et cancer colorectal – Sentinel lymph
MISE AU POINT Ganglion sentinelle et cancer colorectal Sentinel lymph node in colorectal cancer I. Elghissassi*, O. El Mesbahi*, H. Inrhaoun*, S. Vignot**, H. Errihani* Méthodes Cette revue de la littérature, issue des réflexions en vue du développement des techniques d’analyse des ganglions sentinelles à l’Institut national d’oncologie de Rabat, a été réalisée à partir d’une recherche bibliographique sur Medline. Les mots-clés choisis sont sentinel lymph node et colorectal cancer. Les articles originaux présentant les techniques chirurgicales, les résultats de faisabilité et les données d’évaluation du pronostic ont été préférentiellement sélectionnés. Seuls les articles de langue française ou anglaise ont été retenus. Intérêt stratégique du prélèvement du ganglion sentinelle * Service d’oncologie médicale, Institut national d’oncologie, Rabat, Maroc. ** Service d’oncologie médicale, groupe hospitalier Diaconesses-CroixSaint-Simon, Paris. Le carcinome colorectal est le cancer digestif le plus fréquent (36 200 nouveaux cas en France en 2000 [1]). Outre l’atteinte de la paroi et la présence d’emboles veineux, l’envahissement ganglionnaire est un élément pronostique significatif dans les cancers colo-rectaux. Alors que les patients classés stade I de l’American Joint Committee on Cancer (AJCC) ont une survie à 5 ans de 90 %, ce taux descend à 75 % pour les stades II, et à 50 % pour les stades III avec atteinte ganglionnaire (2). Toutefois, un tiers des patients sans atteinte ganglionnaire à l’examen anatomopathologique standard présenteront une récidive métastatique (3). Cette donnée, potentiellement corrélée à d’autres marqueurs d’agressivité, pourrait également indiquer une insuffisance de l’analyse histologique de routine, qui sous-estimerait les métastases ganglionnaires. Celles-ci sont souvent 314 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVII - n° 7 - septembre 2008 localisées au niveau des sinus sous-capsulaires du ganglion lymphatique et peuvent passer inaperçues aux examens anatomopathologiques conventionnels limités à une ou deux sections (4). La détermination de l’envahissement ganglionnaire dans les cancers colorectaux est non seulement un facteur pronostique prédominant, mais aussi un élément décisionnel pour la chimiothérapie adjuvante. Il devient alors important d’augmenter la sensibilité des techniques de détection, en augmentant le nombre de coupes réalisées par ganglion ou en utilisant des techniques d’immunohistochimie ou de biologie moléculaire. Ces procédures sont toutefois longues et coûteuses quand elles doivent concerner l’ensemble des prélèvements ganglionnaires de la pièce opératoire (5, 6). La technique du ganglion sentinelle, initialement développée dans la prise en charge des cancers péniens (7) et des mélanomes (8) puis des cancers du sein (9), pourrait permettre en chirurgie colorectale un examen ciblé conduisant à une approche plus efficace et moins coûteuse de la détection de l’envahissement ganglionnaire. Elle ne se présente pas comme une alternative moins invasive au curage standard, comme cela a été rapporté dans les cas du mélanome et du cancer du sein. En effet, la morbidité surajoutée du curage ganglionnaire dans la prise en charge des cancers colorectaux est faible. La technique du ganglion sentinelle pourrait également être utilisée pour identifier un drainage lymphatique aberrant, ce qui arrive dans 2 % à 14 % des cancers colorectaux (10). Le ganglion sentinelle résultant d’un drainage lymphatique anormal pourrait être le seul ganglion positif alors que les ganglions du curage classique sont négatifs (11). Cette donnée peut également devenir essentielle lorsqu’on envisage une chimiothérapie adjuvante. Résumé La technique du ganglion sentinelle, développée initialement dans la prise en charge des cancers péniens et des mélanomes puis dans celle des cancers du sein, s’étend maintenant à d’autres localisations tumorales. Son prélèvement, par une technique peu invasive, et son analyse histologique ciblée pourraient permettre une amélioration de la stadification, tout en réduisant la morbidité liée au curage ganglionnaire. Pour les cancers colorectaux non métastatiques, l’importance de la notion d’envahissement ganglionnaire dans la décision d’instaurer une chimiothérapie adjuvante pourrait justifier l’utilisation de cette technique afin de mettre en évidence, grâce à un examen plus ciblé, d’éventuelles micrométastases ayant échappé aux méthodes usuelles. Cette revue de la littérature propose de détailler les modalités de prélèvement du ganglion sentinelle dans la chirurgie des cancers colorectaux et de présenter les premiers résultats de faisabilité de cette technique. Les données actuelles permettent maintenant de définir les techniques les plus appropriées en vue de l’analyse des ganglions sentinelles, tant sur le plan des modalités de prélèvement chirurgical que sur celui de l’analyse histologique moléculaire, mais l’impact potentiel de cette approche sur la stratégie de traitement adjuvant reste à définir. Techniques de prélèvement du ganglion sentinelle Techniques chirurgicales ◆◆ Détermination peropératoire A.B. Bilchik et al. ont décrit la méthode permettant le prélèvement des ganglions sentinelles pendant l’intervention chirurgicale. Après vérification de la résécabilité de la tumeur au cours de l’exploration abdominale, le segment colique considéré est immobilisé. À l’aide d’une seringue à tuberculine, 1 ml de bleu d’isosulfan est injecté en sous-séreux au niveau des quatre quadrants à la périphérie de la tumeur. Depuis le site d’injection, en parcourant les vaisseaux lymphatiques, le colorant atteint le ganglion sentinelle en 30 à 60 secondes. Il peut être nécessaire de réaliser une dissection fine du mésocôlon pour repérer les trajets lymphatiques aboutissant aux ganglions sentinelles. La colectomie est alors réalisée par chirurgie conventionnelle ou sous laparoscopie, tous les ganglions repérés auparavant par un fil étant emportés. On retrouve habituellement 1 à 4 ganglions sentinelles (12). ◆◆ Détermination après résection, sur la pièce isolée Le prélèvement des ganglions ex vivo (colorant injecté et repérage effectué après la résection de la pièce de colectomie) peut être fait d’emblée ou après échec de l’identification du ou des ganglions sentinelles en peropératoire. Cette technique présente l’avantage d’injecter directement le colorant sous contrôle visuel, et évite ainsi certains échecs en rapport avec des injections intraluminales. Aussi, contrairement à la détermination peropératoire, la durée de la procédure chirurgicale n’est pas augmentée par le prélèvement ex vivo des ganglions sentinelles, ce qui pourrait permettre d’éviter une morbidité potentielle et une élévation du coût. Cependant, l’inconvénient majeur de cette technique est qu’elle ne permet pas de détecter un éventuel drainage lymphatique aberrant situé en dehors de la pièce de résection. Après ouverture de la pièce opératoire, 0,5 à 2 ml de bleu d’isosulfan sont injectés en sous-séreux ou en sousmuqueux à la périphérie de la tumeur. Le colorant est visualisé à travers les vaisseaux lymphatiques jusqu’à identification des ganglions sentinelles avant que soit réalisée la fixation du spécimen chirurgical (13, 14). ◆◆ Apport de la coloscopie Une procédure alternative d’identification et de prélèvement du ganglion sentinelle a été décrite pour un repérage lors d’une coloscopie dans une approche de résection laparoscopique des cancers colorectaux. À l’aide d’un coloscope, 0,5 à 1 ml de bleu d’isosulfan sont injectés dans la sous-muqueuse péritumorale. La coloration bleue du site d’injection et des trajets lymphatiques efférents jusqu’au premier relais ganglionnaire peut tout à fait être visualisée avec le laparoscope. Chaque ganglion est alors repéré à l’aide de fils ou de clips. La résection anastomose est effectuée, emportant tous les ganglions bleus marqués. Cette technique est parfaitement réalisable en pratique et n’ajoute en moyenne que 15 à 20 minutes à la résection colorectale laparoscopique (11). Une technique alternative a été développée, fondée sur un tatouage préopératoire de la tumeur par coloscopie permettant son repérage lors de la laparoscopie. L’injection de bleu se fait alors par voie percutanée, avec une aiguille de rachianesthésie, sous contrôle vidéo (11). Colorant ou lymphoscintigraphie ? La plupart des études ont été menées en utilisant exclusivement le colorant bleu d’isosulfan. Cependant, certains patients pouvant avoir un drainage lymphatique difficilement détectable, certains auteurs ont utilisé également un radiotraceur afin d’améliorer les taux d’identification (15). En pratique clinique, dans la chirurgie des cancers colorectaux, l’utilisation d’un colloïde radioactif poserait des problèmes. Les contraintes de radioprotection rendent les injections péritumorales difficiles (coloscopie préopératoire à réaliser en service de médecine nucléaire), alors que le bleu d’isosulfan est peu coûteux, facile à employer et aisément repérable en peropératoire, car il circule dans les vaisseaux lymphatiques mésentériques. La tendance actuelle est donc à l’utilisation exclusive du bleu (10). Mots-clés Cancer colorectal Ganglion sentinelle Micrométastases Highlights Sentinel lymph node biopsy was initially developed in penile cancer and melanoma then in breast cancer and is now considered for other cancer types. The sentinel lymph node detection and the targeted pathological examination could improve cancer stadification and decrease the morbidity of lymph node dissection. For nonmetastatic colorectal cancers, the importance of nodal involvement on the decision of adjuvant chemotherapy could justify this procedure. Sentinel lymph node detection allows more precise pathological examination and could reveal micrometastases which are not detected with usual techniques. This review of the literature details the methods of sentinel lymph node biopsy in colorectal cancer surgery and presents the feasibility results of this technique. Current data allow defining the most accurate techniques for sentinel lymph node analysis in colorectal cancer, considering surgical methods as well as pathological analysis, but the potential impact of this approach on adjuvant treatments remains to be defined. Keywords Colorectal cancer Sentinel lymph node Micrometastasis La Lettre du Cancérologue • Vol. XVII - n° 7 - septembre 2008 | 315 MISE AU POINT Ganglion sentinelle et cancer colorectal Analyse anatomopathologique L’intérêt théorique de la technique du ganglion sentinelle dans le cancer colorectal est de mettre en évidence, grâce à un examen anatomopathologique plus ciblé, des métastases occultes éventuelles ayant échappé aux méthodes usuelles. Les métastases occultes comprennent, d’une part, les micrométastases définies par des cellules tumorales dont le diamètre est compris entre 0,2 mm et 2 mm et, d’autre part, les cellules tumorales isolées qui peuvent être soit un groupement cellulaire de moins de 0,2 mm, soit des cellules tumorales solitaires (16). En se focalisant sur l’analyse des ganglions sentinelles, certaines techniques d’immunohistochimie et de biologie moléculaire deviennent plus accessibles en termes de temps et de coût. Ces tests augmentent considérablement le taux de détection des métastases occultes. R.R. Turner et al. ont rapporté que l’immuno histochimie des cytokératines permet d’identifier des cellules malignes dans 10 % des ganglions sentinelles qui étaient négatifs en coloration standard. Ils recommandent cependant la prudence lors de l’interprétation des résultats de cellules qui ne sont positives qu’en immunohistochimie, car celles-ci peuvent occasionnellement correspondre à des cellules épithéliales bénignes ou à des cellules mésothéliales hyperplasiques (17). J.H. Wong et al. considèrent que, si l’examen histologique des ganglions sentinelles est négatif en coloration standard et en immunohistochimie, la probabilité d’une atteinte des ganglions non sentinelles est très faible (18). Dans leur étude récente, W. Kelder et al. ont signalé un taux nul de faux négatifs (ganglion sentinelle négatif alors qu’au moins un des ganglions non sentinelles est atteint) quand la RT-PCR est employée pour détecter l’ARNm de l’antigène carcino-embryonnaire (ACE) [19]. D’autres études ont rapporté que des ganglions sentinelles histologiquement négatifs selon les techniques de coloration traditionnelles pourraient contenir des métastases occultes détectables par RT-PCR identifiant une expression de guanylate cyclase C (GCC), de cytokératine 20 (CK-20) ou de guanylyl (mesures qualitatives) [12]. Cependant, ces gènes peuvent être exprimés dans certains tissus normaux, et l’analyse peut aboutir à des faux positifs en l’absence de seuils de niveau d’expression identifiés. Afin d’augmenter la performance de la technique, la mise en place d’un système de multimarqueurs semble nécessaire pour la détection des micrométastases, permettant de tenir compte de l’hétérogénéité tumorale, de la variabilité clonale et de l’expression variée de différents gènes. Ces associations de marqueurs (immunohistochimie et/ou biologie moléculaire) restent à définir. Discussion Faisabilité de la technique Les excellents taux d’identification du ganglion sentinelle rapportés dans les tumeurs mammaires et dans le mélanome ont motivé le test de la faisabilité de cette technique dans d’autres localisations tumorales, notamment le cancer de la vulve (20), le cancer du col (21) et le cancer colorectal. Afin de comparer, dans les cancers colorectaux, la stadification ganglionnaire obtenue par la chirurgie conventionnelle ou par la technique du ganglion sentinelle, S. Saha et al. ont mené une étude multicentrique non randomisée portant sur deux groupes de patients atteints de cancer colorectal entre 1996 et 2004. Dans le groupe B, 368 patients ont subi une résection chirurgicale conventionnelle avec examen anatomopathologique tandis que, dans le groupe A, 500 patients ont été opérés avec une technique de repérage du ganglion sentinelle par injection de 1 à 3 ml de bleu d’isosulfan dans la sous-séreuse péritumorale. Les 4 premiers ganglions bleus identifiés dans les cinq minutes étaient considérés comme des ganglions sentinelles, et étaient alors prélevés au cours d’une résection chirurgicale standard. L’analyse focalisée des ganglions sentinelles comprenait l’étude de coupes sériées de 20 à 30 μm d’intervalle en coloration standard et en immunohistochimie (CK). Les ganglions non sentinelles étaient examinés selon les techniques standard. L’identification des ganglions sentinelles était réussie chez 98 % des patients. Même s’il s’agit d’une étude non randomisée, on notera que le nombre médian de ganglions prélevés pour chaque patient était de 15 dans le groupe A versus 12,2 dans le groupe B (p = 0,0001). L’analyse des ganglions sentinelles permet une augmentation significative du taux de détection d’une atteinte ganglionnaire quel que soit le stade de la tumeur (tableau I). Les métastases ont été détectées uniquement par l’analyse conventionnelle des ganglions sentinelles (mais avec des coupes sériées plus nombreuses) dans 43 % des cas et seulement par l’immunohistochimie dans 17 % des cas (22). Une autre étude, menée par A.J. Bilchik et al. (12), a concerné 100 patients présentant un carcinome ▸▸▸ / ▸▸▸ 316 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVII - n° 7 - septembre 2008 MISE AU POINT ▸▸▸ / ▸▸▸ colorectal primitif (tableau II). Son objectif était d’évaluer la sensibilité, l’exactitude et la faisabilité de la stadification de ces patients par un examen ciblé et une analyse moléculaire des ganglions sentinelles. Ceux-ci ont été repérés par injection péritumorale de 1 ml de bleu d’isosulfan. Cette cartographie était réussie dans 97 % des cas. L’ensemble des ganglions de la pièce opératoire a été examiné par la coloration de routine, tandis que les ganglions sentinelles ont été analysés par des coupes sériées, des techniques d’immunohistochimie et/ ou de RT-PCR afin d’identifier les micrométastases. Vingt-six patients présentaient des ganglions considérés métastatiques selon la technique standard. Sur 74 patients N–, 18 (24 %) présentaient des micrométastases ganglionnaires non diagnostiquées par l’examen courant mais détectées par l’analyse histologique ciblée des ganglions sentinelles. On notait 5 faux négatifs liés aux tumeurs T3/T4. Une PCR étudiant les marqueurs ARNm (BHCG, C-Met et uMAGE) a été réalisée chez 40 patients, dont 26 étaient considérés comme négatifs selon les techniques classiques et l’immunohistochimie. Pour 12 de ces 26 patients (46 %), la biologie moléculaire a permis d’identifier des cellules évocatrices de micrométastases. La première étude prospective randomisée comparant l’évaluation de la procédure du ganglion sentinelle et l’évaluation pathologique standard dans les carcinomes coliques a été publiée récemment par A. Stojadinovic et al. (23). Cet essai multicentrique a porté sur 161 patients présentant un cancer colique primitif non métastatique durant la période 2002-2006. Dans le premier bras, une résection chirurgicale conventionnelle suivie d’une évaluation histopathologique standard était réalisée alors que, dans le deuxième bras, la technique du ganglion sentinelle utilisant un colorant bleu ex vivo était réalisée immédiatement en postopératoire, ainsi qu’une analyse anatomopathologique par sections multiples à 40 µm et une étude immunohistochimique. Un ganglion sentinelle était considéré comme positif en cas d’identification de cellules tumorales isolées ou de groupement cellulaire à l’examen histologique standard ou immuno histochimique. Les résultats étaient en faveur de la procédure du ganglion sentinelle, puisque cette dernière a permis d’identifier plus de ganglions envahis que dans le groupe contrôle (57,3 % versus 38,7 % ; p = 0,019) soit un ultrastaging de 19 %. Les métastases ganglionnaires ont été détectées uniquement par l’analyse conventionnelle avec sections multiples dans 10,7 % des cas. On note que, dans Tableau I. Pourcentage d’envahissement ganglionnaire selon la taille de la tumeur (22). Groupe A Technique conventionnelle Groupe B Repérage du ganglion sentinelle Stade n Atteinte ganglionnaire (%) n Atteinte ganglionnaire (%) p T1 53 9,4 39 5 < 0,01 T2 85 28,2 61 13 < 0,01 T3 255 63,5 248 39 < 0,001 T4 25 64 20 40 < 0,001 Total 418* 49,5 368 34,7 < 0,001 * Soixante et onze patients classés Tis et T0 ont été exclus, de même que 11 patients en échec de la technique du ganglion sentinelle. Tableau II. Apport de l’analyse des ganglions sentinelles selon le stade tumoral (12). Stade n N+ Analyse standard N+ Analyse ciblée des ganglions sentinelles N+ Total T1 25 0 1 1 T2 23 2 5 7 T3 46 19 12 31 T4 6 5 0 5 Total 100 26 18 44 cette étude, le taux de détection de la technique du ganglion sentinelle était de 97,6 % et le taux de faux négatifs de 9,8 %. Ces travaux montrent que la technique du ganglion sentinelle est faisable et qu’elle permet d’augmenter le taux de détection de l’envahissement ganglionnaire, ce qui conduit potentiellement à une meilleure stadification pronostique. Toutefois, aucune de ces trois études ne présente de données relatives à la survie permettant de déterminer l’impact pronostique de l’envahissement micrométastatique. Le tableau III montre les résultats, dans les études récentes, des taux de détection et de faux négatifs de la technique du ganglion sentinelle dans les cancers colorectaux. Limites ◆◆ Limites techniques Alors que les études princeps présentent des taux élevés de réussite de la cartographie lymphatique par injection de bleu d’isosulfan, en pratique, le taux d’identification des ganglions sentinelles varie parmi les différentes observations de la littérature. Pour certains auteurs, il ne dépasse pas les 71 % (10), taux certainement inférieur aux 97 % ou 98 % La Lettre du Cancérologue • Vol. XVII - n° 7 - septembre 2008 | 319 MISE AU POINT Ganglion sentinelle et cancer colorectal Tableau III. Taux de détection et de faux négatifs dans les principales études récentes. Nombre de patients Taux de détection Méthode d’analyse du ganglion sentinelle Taux de faux négatifs (%) Métastase retrouvée uniquement dans le ganglion sentinelle (%) Joosten (1999) [24] 50 35/50 (70 %) IHC 60 n.c. Paramo (2002) [5] 55 45/55 (82 %) Sections multiples et IHC 3 16 Bilchik (2002) [12] 100 97/100 (97 %) IHC et PCR 5 19 Turner (2003) [17] 51 51/51 (100 %) IHC 13 19,6 Dan (2004) [25] 120 119/120 (99 %) Sections multiples à 20-40 µm et IHC 4,2 n.c. Bell (2005) [26] 58 56/58 (96,5 %) Sections multiples et IHC 16 6,9 Saha (2006) [22] 500 489/500 (97,8 %) Sections multiples à 20-30 µm et IHC 10,1 41,1 Stojadinovic (2007) [23] 84 82/84 (97,6 %) Sections multiples à 40 µm et IHC 9,8 10,7 Auteur IHC : immunohistochimie, PCR : Polymerase Chain Reaction, n.c. : non communiqué. rapportés initialement (12, 22). Une étude prospective réalisée par J.J. Joosten et al. en 1999 tend également à limiter la place du ganglion sentinelle dans la prise en charge des cancers colorectaux. Sur une population de 50 patients, tous les ganglions du curage faisaient l’objet d’un examen anatomopathologique standard (coloration hémalun-éosine [HE]), et une étude immunohistochimique était réalisée pour les ganglions sentinelles négatifs. Avec un taux d’identification des ganglions sentinelles de seulement 70 %, l’analyse retrouvait un taux élevé de faux négatifs (60 %) [24]. Dans leur étude multicentrique retrouvant un taux de faux négatifs de 54 %, M. Bertagnolli et al. ne recommandaient pas l’utilisation en routine de la technique du ganglion sentinelle dans le cancer colorectal (27). Le faible taux de détection pourrait s’expliquer par la nécessité d’une phase d’apprentissage assez importante pour maîtriser la technique, en particulier à cause de la difficulté d’effectuer une injection complètement circulaire autour de la tumeur, mais aussi dans le cas des grandes tumeurs, qui nécessitent plus de colorant afin de réaliser une injection péritumorale complète. Le taux élevé de faux négatifs, généralement lié aux tumeurs T3/T4, l’envahissement ganglionnaire massif, la technique d’identification, la méthodologie de l’examen anatomopathologique et le nombre de ganglions sentinelles évalués (28), posent également un certain nombre de questions quant à l’apport de cette approche. Par ailleurs, la réalisation de la technique du ganglion sentinelle dans les localisations rectales sous-péritonéales serait moins fiable que dans le cas des cancers coliques (29, 30). En effet, l’injection du colorant bleu est techniquement difficile en raison de la situation anatomique profonde dans le pelvis du rectum. Une vision claire du site d’injection n’est 320 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVII - n° 7 - septembre 2008 pas toujours possible, l’injection manuelle du colorant dans le tissu gras périmusculaire reste gênante et l’observation en temps réel du transit du bleu est pratiquement impossible (31). Dans leur étude portant uniquement sur des patients atteints d’un cancer rectal, A. Bembenek et al. rapportent un taux de faux négatifs de 56 %. Ce taux très élevé pourrait être lié au pourcentage important de tumeurs localement avancées (90 %) ayant reçu une radiochimiothérapie néo-adjuvante (86 %) [30]. Actuellement, pour contourner ces limites, certains auteurs proposent l’injection du colorant ex vivo (13), ou encore l’utilisation en préopératoire, à travers l’endoscopie, d’un radiotraceur (32) ayant un temps de transit plus long et ne nécessitant pas une observation en temps réel. Le choix des indications comportant les tumeurs rectales localisées et n’ayant pas reçu de thérapeutiques néo-adjuvantes semble également important. ◆◆ Intérêt de la détection des micrométastases ? Afin de déterminer la pertinence de l’utilisation de la technique du ganglion sentinelle dans la chirurgie des cancers colorectaux, il est important de savoir si la présence de micrométastases a la même valeur pronostique qu’un envahissement ganglionnaire détecté par les techniques conventionnelles. R. Cutait et al. ont réexaminé, par immunohistochimie avec des anticorps anti-CK et anti-ACE, des ganglions considérés N0 prélevés chez 46 patients opérés pour un cancer colorectal non métastatique. Ils ont alors retrouvé des micrométastases chez 12 patients (26 %) [33]. De même, M.D. Jeffers et al. ont détecté rétrospectivement par immuno histochimie (anti-CK) des micrométastases chez 25 % des patients d’une série de 77 patients atteints de cancer colorectal initialement considérés N0 (34). MISE AU POINT Dans ces deux cas, l’analyse des données en termes de survie n’a pas retrouvé d’impact significatif sur la survie à 5 ans. Il s’agit toutefois d’études sur des effectifs limités. Dans une étude portant également sur une population réduite (26 patients, 192 ganglions disponibles, initialement considérés N0), G.J. Liefers et al. ont rapporté un taux de survie à 5 ans de 50 % pour les patients dont les ganglions sentinelles exprimaient l’ACE contre 91 % pour ceux qui ne l’exprimaient pas (35). De même, J.K. Greenson et al. ont analysé par immunohistochimie (anti-CK) les ganglions prélevés chez 50 patients (568 ganglions) atteints d’un cancer du côlon N0. Dans 28 % des cas, l’immunohistochimie retrouve des cellules tumorales. Ces patients ont une survie à 66 mois significativement inférieure à celle des patients CK-négatifs : 57 % versus 97 % (p = 0,0013) [36]. Ces données divergentes peuvent en partie être expliquées par le caractère rétrospectif de ces études portant sur des populations hétérogènes et de faible taille. Il faut également tenir compte de l’absence de standardisation des techniques utilisées, que ce soit en analyse conventionnelle ou en biologie moléculaire. Conclusion L’identification des ganglions sentinelles dans les cancers coliques est réalisable, peu coûteuse et ne modifie pas la morbidité opératoire. Les techniques commencent à être définies de façon précise, tant sur le plan chirurgical qu’en ce qui concerne les analyses anatomopathologiques envisageables. L’intérêt de cette approche mérite toutefois d’être précisé, car, s’il semble assuré que la détection de l’envahissement ganglionnaire peut être réalisée plus exactement, son impact pronostique doit être validé par des études prospectives avant de définir si les indications de traitement adjuvant doivent tenir compte des résultats issus d’une analyse des ganglions sentinelles. Il faudra être particulièrement vigilant dans les travaux à venir sur l’interprétation des données en termes de survie prenant en compte l’envahissement micrométastatique ganglionnaire, car le fait de considérer ces patients comme des patients N+ suffit mathématiquement à améliorer le pronostic à la fois des patients N– et N+ (phénomène de Will Rogers) [37]. ■ Retrouvez les références bibliographiques “Pour en savoir plus...” sur le site www.edimark.fr Références bibliographiques 1. Hill C, Doyon F. La fréquence des cancers en France en 2000 et son évolution depuis 1950. Bull Cancer 2005;92:7-11. 2. Greenlee RT, Murray T, Bolden S, Wingo PA. Cancer statistics, 2000. CA Cancer J Clin 2000;50:7-33. 3. Jemal A, Siegel R, Ward E et al. Cancer statistics, 2006. CA Cancer J Clin 2006; 56(2): 106-30. 4. Saha S, Nora D, Wong JH, Weise D. Sentinel lymph node mapping in colorectal cancer – a review. Surg Clin North Am 2000;80:1811-9. 5. Paramo JC, Summerall J, Poppiti R, Mesko TW. Validation of sentinel node mapping in patients with colon cancer. Ann Surg Oncol 2002;9:550-4. 6. Broll R, Schauer V, Schimmelpenning H et al. Prognostic relevance of occult tumor cells in lymph nodes of colorectal carcinomas. Dis Colon Rectum 1997;40:1465-71. 7. Cabanas RM. An approach for the treatment of penile carcinoma. Cancer 1977;39:456-66. 8. Morton DL, Wen DR, Wong JH et al. Technical details of intraoperative lymphatic mapping for early stage melanoma. Arch Surg 1992;127:392-9. 9. Guliano AE, Kirgan DM, Guenther JM, Morton DL. Lymphatic mapping and sentinel lymphadenectomy for breast cancer. Ann Surg 1994;220:391-8. 10. Paramo JC, Summerall J, Wilson C et al. Intraoperative sentinel lymph node mapping in patients with colon cancer. Am J Surg 2001;182:40-3. 11. Wood TF, Spirt M, Rangel D et al. Lymphatic mapping improves staging during laparoscopic colectomy for cancer. Surg Endosc 2001;15:715-9. 12. Bilchik AJ, Nora D, Tollenaar RA et al. Ultrastaging of early colon cancer using lymphatic mapping and molecular analysis. Eur J cancer 2002;38:977-85. 13. Van Schaik PM, Van der Linden JC, Ernst MF et al. Ex vivo sentinel lymph node “mapping” in colorectal cancer. Eur J Surg Oncol 2007;33(10):1177-82. 14. Smith J, Hwang H, Wiseman KW et al. Ex vivo sentinel lymph node mapping in colon cancer: improving the accuracy of pathologic staging? Am J Surg 2006;191(5):665-8. 15. Trocha SD, Nora DT, Saha SS et al. Combination probe and dye-directed lymphatic mapping detects micrometastases in early colorectal cancer. J Gastrointest Surg 2003;7(3):340-5. 16. Hermanek P, Hutter RV, Sobin LH, Wittekind C. International Union Against Cancer. Classification of isolated tumor cells and micrometastasis. Cancer 1999;86:2668-73. 17. Turner RR, Nora DT, Trocha SD, Bilchik AJ. Colorectal carcinoma nodal staging: frequency and nature of cytokeratin-positive cells in sentinel and nonsentinel lymph nodes. Arch Pathol Lab Med 2003;127:673-9. 18. Wong JH, Johnson DS, Namiki T, Tauchi-Nishi P. Validation of ex vivo lymphatic mapping in hematoxylin-eosin node-negative carcinoma of the colon and rectum. Ann Surg Oncol 2004;11:772-7. 19. Kelder W, Braat A, Van den Berg A et al. Value of RT-PCR analysis of sentinel nodes in deter mining the pathological nodal status in colon cancer. Anticancer Res 2007;27(4C):2855-9. 20. Carcopino X, Houvenaeghel G, Buttarelli M et al. Faisabilité et morbidité du prélèvement du ganglion sentinelle pour les carcinomes épidermoïdes vulvaires. Bull Cancer 2005;92(5):489-97. 21. Atallah D, Rouzier R, Camatte S et al. Le ganglion sentinelle dans les cancers gynéco logiques. Bull Cancer 2002;89:681-8. 22. Saha S, Seghal R, Patel M et al. A multicenter trial of sentinel lymph node mapping in colorectal cancer: prognostic implications for nodal staging and recurrence. Am J Surg 2006;191(3):305-10. 23. Stojadinovic A, Nissan A, Protic M et al. Prospective randomized study comparing sentinel lymph node evaluation with standard pathologic evaluation for the staging of colon carcinoma: results from the United States Military Cancer Institute Clinical Trials Group Study GI-01. Ann Surg 2007;245(6):846-57. 24. Joosten JJ, Strobbe LJ, Wauters CA, Pruszczynski M, Wobbes T, Ruers TJ. Intraoperative lymphatic mapping and the sentinel node concept in colorectal carcinoma. Br J Surg 1999;86:482-6. 25. Dan AG, Saha S, Monson KM et al. 1% lymphazurin vs 10% fluorescein for sentinel node mapping in colorectal tumors. Arch Surg 2004;139(11):1180-4. 26. Bell SW, Mourra N, Fléjou JF, Parc R, Tiret E. Ex vivo sentinel lymph node mapping in colorectal cancer. Dis Colon Rectum 2005;48(1):74-9. 27. Bertagnolli M, Miedema B, Redston M et al. Sentinel node staging of resectable colon cancer: results of a multicenter study. Ann Surg 2004;240(4):624-8. 28. Stojadinovic A, Allen PJ, Protic M et al. Colon sentinel lymph node mapping: practical surgical applications. J Am Coll Surg 2005;201:297-313. 29. Tsioulias GJ, Wood TF, Morton DL, Bilchik AJ. Lymphatic mapping and focused analysis of sentinel lymph nodes upstage gastrointestinal neoplasms. Arch Surg 2000;135(8):926-32. 30. Bembenek A, Rau B, Moesta T et al. Sentinel lymph node biopsy in rectal cancer-not yet ready for routine clinical use. Surgery 2004;135(5):498-505. 31. Doekhie FS, Peeters KC, Kuppen PJ et al. The feasibility and reliability of sentinel node mapping in colorectal cancer. Eur J Surg Oncol 2005;31(8):854-62. 32. Kitagawa Y, Watanabe M, Hasegawa H et al. Sentinel node mapping for colorectal cancer with radioactive tracer. Dis Colon Rectum 2002;45:1476-80. 33. Cutait R, Alves VA, Lopes LC et al. Restaging of colorectal cancer based on the identification of lymph node micrometastases through immunoperoxidase staining of CEA and cytokeratins. Dis Colon Rectum 1991;34:917-20. 34. Jeffers MD, O’Dowd GM, Mulcahy H, Stagg M, O’Donoghue DP, Toner M. The prognostic significance of immunohistochemically detected lymph node micrometastases in colorectal carcinoma. J Pathol 1994;172:183-7. 35. Liefers GJ, Cleton-Jansen AM, Van de Velde CJ et al. Micrometastases and survival in stage II colorectal cancer. N Engl J Med 1998;339:223-8. 36. Greenson JK, Isenhart CE, Rice R, Mojzisik C, Houchens D, Martin EW Jr. Identification of occult micrometastases in pericolic lymph nodes of Duke’s B colorectal cancer patients using monoclonal antibodies against cytokeratin and CC49. Correlation with long-term survival. Cancer 1994;73:563-69. 37. Feinstein AR, Sosin DM, Wells CK. The Will Rogers phenomenon. Stage migration and new diagnostic techniques as a source of misleading statistics for survival in cancer. N Engl J Med 1985;312:1604-8. MISE AU POINT Ganglion sentinelle et cancer colorectal ... p. 314 Pour en savoir plus... • Baxter NN, Virnig DJ, Rothenberger DA, Morris AM, Jessurun J, Virnig BA. Lymph node evaluation in colorectal cancer patients: a population-based study. J Natl Cancer Inst 2005;97:219-25. • Bertoglio S, Sandrucci S, Percivale P et al. Prognostic value of sentinel lymph node biopsy in the pathologic staging of colorectal cancer patients. J Surg Oncol 2004;85:166-70. • Compton CC, Fielding LP, Burgart LJ et al. Prognostic factors in colorectal cancer: College of American Pathologists consensus statement 1999. Arch Pathol Lab Med 2000;124:979-94. • Conférence de consensus : prévention, dépistage et prise en charge du cancer du côlon Gastroenterol Clin Biol 1998;22:S1-295. • Goldstein NS. Lymph node recoveries from 2,427 pT3 colorectal resection specimens spanning 45 years: recommendations for a minimum number of recovered lymph nodes based on predictive probabilities. Am J Surg Pathol 2002;26:179-89. • Maurel J, Launoy G, Grosclaude P et al. Lymph node harvest reporting in patients with carcinoma of the large bowel: a French population-based study. Cancer 1998;82:1482-6. • Pocard M, Elias D, Lasser P et al. Ganglions sentinelles dans les cancers du rectum : intérêt du repérage ex vivo. Gastroenterol Clin Biol 2003;27 HS1:0399-8320. • Saha S, Dan AG, Wiese D et al. Comparative analysis of nodal staging between sentinel lymph node mapping and conventional surgery in colon cancer: a prospective multicenter trial. Proc Am Soc Clin Oncol 2003;22:296 (abstract 1187). La Lettre du Cancérologue • Vol. XVII - n° 7 - septembre 2008 | 361