Chicken Run
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Chicken Run
Chicken Run Un film d'animation américain de Peter Lord et Nick Park (2000). © TM & DreamWorks Scénario : Karey Kirkpatrick, d'après une histoire originale de Peter Lord et Nick Park Directeur de la photographie : Dave Alex Riddett Musique : John Powell et Harry Gregson-Williams Production : DreamWorks Durée TV : 1 h 22 min lundi 23 décembre, 21 h 00 Rediffusions : dimanche 29 décembre, 10 h 55 ; lundi 30 décembre, 15 h 30 ; mercredi 1er janvier, 22 h 55 (en VOSTF) ; samedi 4 janvier, 10 h 55 ; dimanche 5 janvier, 18 h 00 ; dans la nuit du lundi 6 au mardi 7 janvier, 5 h 15 ; mercredi 8 janvier, 9 h 00 Le film Le contexte Les créations du studio Aardman ayant été récompensées par de nombreux oscars, le long métrage d'animation Chicken Run est un événement cinématographique attendu par le grand public en décembre 2000. En France, le film a attiré 3 135 096 spectateurs (Écran Total, 14/11/01). Au début des années 1990, Jeffrey Katzenberg, alors directeur des studios Disney, avait déjà approché les réalisateurs Nick Park et Peter Lord pour les convaincre de coproduire avec le numéro 1 de l'animation. Ils avaient rejeté sa proposition par crainte de se voir broyés. Or, en 1994, à la suite d'un différend concernant le versement de royalties du film Le Roi Lion, Katzenberg claque la porte de Disney et rejoint Spielberg pour fonder DreamWorks. Depuis lors, la guerre financière et artistique fait rage dans le domaine de l'animation. DreamWorks sort FourmiZ (1997), peu avant 1001 Pattes (1998), et Le Prince d'Égypte en même temps que Mulan (1999), production Disney. C'est dans ce contexte de rivalités artistique et commerciale que naît le projet de coopération DreamWorks/Aardman. En 1997, Park et Lord approchent Katzenberg. Affichant la volonté de DreamWorks de se distinguer sur le marché international par une technique d'animation originale, le célèbre producteur finance la production du premier long métrage en pâte à modeler qui ne doit ressembler en rien à un Disney. Le soutien du coq gaulois Pathé confirme cette orientation. Rocky le coq américain et Ginger la poule anglaise actualisent la relation DreamWorks/Aardman. L'histoire Les Tweedy élèvent des poules en batterie. Soumis aux travaux forcés de ponte, les gallinacés cherchent à s'évader de leur poulailler-stalag. Ginger, cerveau des multiples tentatives d'évasion, est dans la ligne de mire du fermier qui, régulièrement, la rattrape et la jette au mitard. Tweedy tente de convaincre son Kapo d'épouse que les poules fomentent une évasion massive. La mégère n'y croit pas. La discipline intérieure, condition nécessaire à l'évitement des représailles fermières, est organisée par Poulard, un vieux coq, ancienne mascotte de la RAF. Rocky Rod, un jeune « coq-boy » américain atterrit accidentellement dans le poulailler. Il prétend pouvoir entraîner les gallinacés au vol. Mrs Tweedy décide de se livrer à la fabrication industrielle de tourtes au poulet. Elle passe commande d'une machine. Une fois montée, elle est « inaugurée » par Ginger, la réfractaire ! Rocky se porte à son secours et le duo détraque provisoirement le mécanisme infernal. De retour au poulailler, Ginger dévoile le plan d'extermination imaginé par les Tweedy. La résistance s'organise : les prisonnières construisent un engin volant et, in extremis, parviennent à faire décoller la machine avec la totalité du poulailler. Ayant gagné une île loin des hommes, les gallinacés y vivront heureux. La démarche On peut aborder un film de fiction par une entrée qui ne concerne pas l'expression cinématographique dans toute la complexité de ses substances (images mobiles, paroles, bruits, musique, mentions écrites). Sans vouloir éluder l'analyse du langage dans sa spécificité (plans, montage, genre), on commencera par s'intéresser à l'histoire racontée, aux personnages qui la jouent, à leurs dialogues. Le film d'animation Chicken Run est une fable cinématographique aux personnages cocasses doués d'un sens aigu du dialogue. Les contenus thématiques qui émergent de la fiction deviennent prétextes à des réflexions sur des sujets historiques et sociétaux : le film traite comiquement de questions sérieuses. Toutefois, il convient de ne pas oublier le medium en soi : Chicken Run n'est pas une œuvre littéraire, une opérette ou une bande dessinée, mais un film coécrit par un scénariste et deux réalisateurs qui ont dirigé une formidable équipe. Un scénariste, un réalisateur le deviennent par amour du cinéma et se ressourcent à son histoire. Ceux de Chicken Run se réclament de films d'anthologie, qui ont fait les délices de leur jeunesse cinéphile. Par le biais des rappels métacinématographiques, le spectateur accède ainsi à leur culture et à l'histoire du cinéma. La presse joue un rôle non-négligeable dans la cinéphilie en pointant les sources d'inspiration : titres des films convoqués, dates de sortie, noms des réalisateurs dont les séquences sont pastichées, parodiées, citées... Certains titres d'articles jouent sur les mots en parodiant d'autres titres de films : « Nuits et poulardes » (Les Inrockuptibles, 12 décembre 2000), « Vol au dessus d'un nid de cocottes » (L'Humanité, 13 décembre 2000), « Un poulailler en folie » (JDD, 10 décembre 2000). Une galerie de personnages en pâte à modeler Pourquoi mettre en scène des poules alors que ces volatiles passent pour des animaux stupides ? Pour quelles raisons ce film peut-il être comparé à une fable cinématographique ? Montrer que la réalisation matérielle de ces personnages (poules, coqs, rats) les rend plus humains que les éleveurs : caractériser Ginger, Babette, Mac Bec, Bernadette, Rocky, Poulard, Ric et Rac, Mrs et Mr Tweedy, en relevant certains détails : les expressions de « visage », la silhouette, la gestuelle, les postures, la démarche, les vêtements et bien entendu les motivations qui les font agir. Compléter l'analyse par un travail sur les dialogues. Analyser l'évolution des rapports Ginger/Rocky. Chaque personnage en acte est caractérisé par son physique censé traduire son épaisseur psychologique. La pâte à modeler (plasticine) permet de sculpter les corps et les visages. Tous les spectateurs ont fait dans leur enfance l'expérience du modelage : la matière même de ces personnages de fiction les leur rend encore plus attachants. En outre, elle renvoie également à la mythologie de la Genèse et à la tradition juive du golem. Peter Lord déclarait à Première : « L'animation en pâte à modeler est un procédé tactile, manuel et vivant » (décembre 2000). Les « visages » des poules se transforment selon les émotions qu'elles ressentent : les animateurs se sont filmés afin de pouvoir reproduire ces changements morphologiques. C'est cette technique de la plasticine poussée à son plus haut degré de sophistication qui a fait la renommée du studio Aardman. Cet art confirmé réside également dans une science des détails infimes qui renforcent le réalisme de l'animation. Quelques indices pour amorcer l'analyse : Ginger, extraite du mitard, a le croupion noirci au charbon. Sur le toit, elle regarde un vol d'oies sauvages et verse une petite larme qui brille dans la lumière crépusculaire. Rocky, le Yankee, porte un « bandana » autour du cou. Mac Bec, l'ingénieur, porte des lunettes épaisses de « nerd » (petit génie incollable et binoclard). Elle dessine plan d'évasion après plan d'évasion. La sinistre mère Tweedy est cupide, violente, cruelle. Son physique de manche à balai renforce ce descriptif psychologique : c'est un véritable épouvantail. Son époux soumis l'appelle néanmoins « mon poussin » alors qu'elle le traite d'« abruti » ! Pour la quatrième tentative d'évasion, les poules construisent une effigie caricaturale de la taulière. Mr Tweedy, pleutre, simplet, est sculpté le dos voûté, la tête dans les épaules. On remarquera que leurs expressions faciales et leur allure sont plus limitées et caricaturales que celles des poules : les humains du film sont moins humains que leurs prisonnières ! Poulard, prétentieux et acariâtre, faux retraité de la RAF, est campé bien droit, bombant le torse, une canne de Major sous le bras. Poulard pastiche la raideur très british de Jack Hawkins dans Le Pont de la Rivière Kwaï (1957). Rocky qui se présente comme un « coq-boy » imite la démarche de John Wayne dans ses westerns et lorsqu'il se fait dorloter par des « poulettes », il rappelle Walter Huston dans Le Trésor de la Sierra Madre (1948). Les individualités Ginger et Rocky, d'abord adversaires, forment un duo forcé dans la machine à broyer et enfin un couple dans le phalanstère idéal. On peut les comparer à Katherine Hepburn (Rose Sayer) et Humphrey Bogart (Charlie Allnut) dans The African Queen (1951). Ginger et Rocky rendent ainsi hommage à ce duo d'anthologie. Les dialogues dans le bec des gallinacés Comment certains dialogues teintés d'humour traduisent-ils l'absurdité des situations ? Pourquoi certaines phrases utilisées au service d'un comique de mots nous touchent-elles par leur tragique implicite ? Rechercher les équivalents anglais des expressions utilisées par Rocky et Ric et Rac. Fonctionnent-ils de la même manière en version originale ? Quelles sont les phrases dénotant une réflexion philosophique profonde qui amènent le spectateur à réfléchir sur des concepts importants ? Quelles sont les phrases qui font allusion à des faits historiques et civilisationnels avérés ? Le poulailler d'un « camp de travail » devient un « camp d'extermination » : l'artiste a-t-il le droit de détourner par la comédie des réalités historiques et leur cortège de drames ? Le titre du film a un double sens : « chicken run » signifie d'abord « poulailler », mais aussi « évasion de poulets » ! D'emblée, ce jeu sur les mots fixe le registre humoristique de la plupart des actes de paroles. Cette orientation autorise les débutants en analyse filmique à travailler sur des dialogues vecteurs de commentaires « extra-cinématographiques » : la stylistique, l'argumentation, l'histoire seront mobilisés. Les dialogues abondent en exemples à relever et commenter. S'il y a des gags visuels dans ce film (comique de situation), il y a également de véritables gags langagiers (comique de mots). Rocky, sûr de lui en façade, file la métaphore du poulailler - il faudrait dire « enfile », tellement les expressions toutes faites sont nombreuses dans son bec ! Ric et Rac en rajoutent. Rocky se dit « Coq-Boy » et la poule à lunettes se prénomme « Mac Bec » ! On pourra rechercher leur équivalent en langue originale. Babette, la tricoteuse, est championne toutes catégories confondues... docteur ès absurdité ! Toutefois, sous le vernis du comique langagier émergent des allusions à de situations graves, à des faits historiques. Ginger sermonne ses compagnes qui finalement s'accommoderaient de leur tragique situation et « pond » une phrase qui pourrait devenir un sujet de philosophie sur la liberté. Pendant le générique de fin, Ric et Rac semblent réfléchir sur « la question philosophique de basse-cour » : lequel, de la poule ou de l'œuf, est apparu en premier... Poulard se moque de l'entrée tardive des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale (en fait toutes les guerres...). On rappellera la pression exercée par Charlie Chaplin et quelques artistes et intellectuels sur l'administration Roosevelt pour la forcer à entrer en guerre contre les nazis, ainsi que la fonction du Comité des activités anti-américaines qui, entre 1938 et 1941, tracassait un Hollywood « va-t'en guerre ». On fera allusion aux ennuis de Chaplin entre 1938 et 1940 pendant la préparation du film Le Dictateur. Ces allusions à l'histoire et à la civilisation américaines permettront d'aborder, par l'histoire, l'histoire du cinéma. On évoquera enfin la place symbolique de l'Écosse au sein du Royaume-Uni : alors que Rocky se présente comme originaire du pays de la liberté, de la terre des braves, une poule en conclut qu'il s'agit de l'Écosse ! À ce sujet, on pourra rappeler la récente croisade politique de l'acteur Sean Connery en faveur de l'autonomie de la terre de ses ancêtres. Parodies, pastiches, clins d'œil, hommages et autres allusions Qu'est-ce que « Chicken Run » doit au film « La Grande Évasion » (1963) dont Peter Lord et Nick Park se réclament ? Qu'est-ce qu'une parodie ? Un pastiche ? Relever les clins d'œil, les allusions, les hommages à d'autres films célèbres qui ne sont pas spécifiquement des films de guerre. Connaissez-vous d'autres réalisateurs qui ponctuent leurs films de références à d'autres films ? Qu'est-ce qu'un remake ? Est-ce que « Chicken Run » est un remake ? Dans les interviews qu'ils ont accordées à la presse, les réalisateurs de Chicken Run citent les références cinématographiques qui fondent leur œuvre : en première place, le film de John Sturges, La Grande Évasion (1963), est convoqué, mais il ne constitue pas l'unique titre. La première partie de La Grande Évasion est une comédie et la deuxième est dramatique. Le générique nous apprend que l'histoire racontée est fondée sur des faits réels. Rien de tout cela dans la comédie Chicken Run qui est donc une parodie, c'est-àdire la réécriture d'une œuvre sérieuse sous le régime ludique. Ce film ne constitue pas une énième version de La Grande Évasion : il n'est pas son remake. La réécriture ne saurait être terme à terme : l'évasion héroïque du film de Sturges coûtait la vie à 50 militaires prisonniers du stalag. On peut établir certaines similitudes entre les deux fictions, dans le titre original par exemple (... Run). Au mitard, Ginger imite Hilts, « le roi du frigo » (Steve McQueen), en occupant le temps par le lancer têtu d'une balle de baseball. L'entrée du tunnel se trouve sous un chauffage à alcool et le patin à roulettes qui sert à Ginger pour se déplacer dans le boyau ressemble étrangement au chariot confectionné par les prisonniers du stalag. Ginger creuse un tunnel trop court, trop proche de l'enclos, comme celui de Danny (Charles Bronson). Une des autres sources citées par les réalisateurs est le film de Billy Wilder, Stalag 17 (1953). Park et Lord rendent hommage à ce film : les poules se réunissent dans la baraque 17 ! Coïncidence (?) : Danny dans La Grande Évasion en était à son dix-septième tunnel. Certains critiques considèrent que Stalag 17 a largement influencé les autres films de guerre : La Grande Évasion, Docteur Folamour (1964), M*A*S*H (1970), Good Morning Vietnam (1987). On ne doit cependant pas oublier ceux qui l'ont précédé : La Grande Illusion (1938) et Le Dictateur (1940), ce dernier en particulier pour la séquence du camp d'internement. Si Chicken Run s'inspire de plusieurs films de guerre, il rend également hommage à de nombreuses comédies : Rocky vole dans le ciel dans un costume de Superman. Il improvise une soirée dansante (La Fièvre du samedi soir, 1977). Ginger et Rocky traversent la machine infernale (Indiana Jones et le Temple maudit, 1983). Les rebelles construisent un avion abracadabrant (Ces merveilleux fous volants dans leurs drôles de machines, 1964). Parodies, pastiches, allusions, fous volants dans leurs drôles de machines, 1964). Parodies, pastiches, allusions, clins d'œil, hommages à d'autres films classiques enrichissent Chicken Run. Une allusion : d'un studio, l'autre Après lecture du paragraphe plus haut sur le contexte de réalisation du film, dégager quelques éléments qui montrent les similitudes entre l'histoire du poulailler de « Chicken Run » et l'histoire même de la production du film. Comment est allusivement exprimée l'alliance entre les studios Aardman et DreamWorks ? Comment est exprimée la concurrence qui les oppose au rival Disney ? Relever quelques détails communs à « Chicken Run » et aux films disneyens contemporains que sont « 1001 Pattes » et « Les Dinosaures ». Comme il est signalé dans la présentation du contexte de production, on peut voir dans le film une allusion à l'association des studios DreamWorks et Aardman : Rocky le jeune coq qui sait si bien danser mais non voler, le hâbleur, le dragueur de poulettes est américain. Il fuira afin d'éviter d'être démasqué, puis il se reprendra. Entraîné dans la dynamique de l'évasion, il se surpassera. Ginger, la poule britannique est animée par un fort sentiment de révolte contre l'injustice que sa communauté subit (dans un autre temps et un autre contexte, elle aurait manifesté comme une suffragette britannique). Elle n'a pas le temps de se faire courtiser par Rocky : le studio Aardman courtisé par les studios américains ? À la fin, elle sera conquise par son courage et leur couple donnera naissance à de nombreux poussins : en 1999, Aardman a signé un contrat portant sur cinq longs métrages. Mais on peut également voir une allusion à la concurrence que se livrent DreamWorks et Disney. Étranges ressemblances : coïncidence ou espionnage industriel ? Les poules de Chicken Run sont les esclaves des fermiers : les fourmis de 1001 Pattes (1999) sont les esclaves des criquets. L'avion-oiseau construit par les poules afin de s'évader ressemble étrangement à l'appeau construit par les fourmis pour effrayer les criquets. Rocky est une bête de cirque, comme les neufs « bébêtes » de cirque engagées par les fourmis disneyennes ; comme elles, il fuira dans un premier temps puis se reprendra et se conduira en héros. Si Chicken Run est une parodie de La Grande Évasion de John Sturges, 1001 Pattes est une parodie des Sept Mercenaires (1960) du même réalisateur ! Sans compter que Les Sept Mercenaires est un remake du film d'Akira Kurosawa Les Sept Samouraï (1954). Les gallinacés couleront des jours idylliques dans un phalanstère sur une île, comme la fourmilière disneyenne. Les Dinosaures de Disney (2000) n'aboutissentils pas dans une oasis, « terre promise » dès le début du film ? La séquence La vraie nature de Rocky Rocky, fatigué de mentir, a quitté le poulailler, non sans avoir flirté sous les étoiles avec Ginger. Au matin, Ginger vient le chercher et découvre la supercherie : Rocky est un coq de cirque ! Il ne sait voler que propulsé par un canon ! Le coq lui en a laissé les preuves en forme d'adieu : le bas de l'affiche et ses mentions écrites, cette portion qui manquait... Ginger l'apporte pour l'ajouter à ce qu'elle venait de clouer sur une baraque. Les poules sont agglutinées devant celle-ci et fantasment apparemment sur leur évasion future. Ginger fend la foule et se dirige vers l'affiche... On montrera le subtil travail de modelage des faces des personnages, de celui de Ginger en particulier. De plus, les réalisateurs se livrent à un découpage savant digne des meilleurs films classiques. En 42 secondes, les douze plans qui constituent cette scène (une action filmée dans l'intégralité de son déroulement) alternent les visions subjectives de Ginger et les contrechamps narrativodescriptifs sur la société des poules qui comprennent soudain qu'elles ont été bernées par Rocky. Ginger est toujours au premier plan. L'orage qui finit par balayer l'assemblée ajoute à l'atmosphère dramatique ; toutefois il n'est pas seulement un accessoire ou un facile cliché : en effet, il apparaît comme un tour du narrateur filmique qui s'abstient d'afficher ostensiblement la sensibilité de Ginger au spectateur : ses pleurs légitimes sont alors noyés par les gouttes de pluie. On insistera enfin sur l'écoute subjective : le spectateur non seulement voit avec les yeux de Ginger mais il n'entend pas le caquetage de ses congénères (premiers plans). Les sons ambiants sont étouffés. [1] Ginger, « sonnée » par ce qu'elle vient de découvrir, fend la foule. Ses compagnes regardent dans sa direction, leurs expressions changent au fur et à mesure qu'elle avance vers l'affiche. Le plan-séquence, en légère contre-plongée, est en demi-ensemble. Le travelling avant exprime la vision subjective. Le son ambiant est étouffé, presque absent : il s'agit donc d'une écoute, comme la vision, subjective. La musique étire une note sourde ; elle montera en intensité au cours de l'action. La fin du travelling cadre l'affiche déchirée incomplète : Rocky, the Flying Rooster... Chicken spectacular ! [2] Contrechamp : Ginger, en plan rapproché et en légère contre-plongée, tient le morceau manquant et regarde en l'air (en fait, l'affiche qui est dans ce que l'on désigne par la 5e portion du hors-champ, c'est-à-dire derrière l'appareil de prises de vues. [3] En une plongée intégrale, Ginger semble vue par « en-dessus ». Elle s'avance et s'apprête à plaquer le morceau manquant au bas de l'affiche placardée. Elle semble seule devant ce puzzle qu'elle va reconstituer. [4] Contrechamp : en plan rapproché, les poules regardent avec effarement ce qu'elle fait. [5] En très gros plan et en plongée, qui expriment la vision subjective de Ginger, cette dernière fait coïncider les deux morceaux de l'affiche. Le canon lanceur apparaît alors. On peut lire : Seeing is believing. Des éclairs frappent le canon, comme si cette image de « coup » devenait réelle ! Un coup de tonnerre achève de porter l'action à son paroxysme. [6] Contrechamp sur le poules. En plan rapproché, les éclairs illuminent leurs faces éberluées. La musique se fait lyrique, empathique, traduisant l'émotion de l'assemblée. [7] En plan américain et en contre-plongée, Ginger, vue de dos, tient l'affiche. On distingue le nom du cirque : Spoon's Circus. On peut lire : IN TOWN for one week only ! Les éclairs l'illuminent. Quelques gouttes de pluie mouillent la façade. Ginger recule et disparaît hors du champ. L'affiche seule reste à l'écran. Il pleut. [8] Saisi en gros plan, le visage de Ginger est ravagé par l'émotion. Quelques larmes perlent. [9] En très gros plan, le coin inférieur droit de l'affiche montre le canon. [10 ] Gros plan sur l'affiche, cadrée aux trois-quarts, tandis qu'il pleut. Les plans 9 et 10 sont filmés en plongée très accentuée avec un cadrage oblique ; le spectateur ne regarde plus avec les yeux de Ginger mais avec ses émotions : le nouvel univers de celle-ci bascule. [11] Contrechamp. En plan rapproché, Ginger, au premier plan de la scène, contemple l'affiche hors champ. Les autres poules sont figées par l'étonnement et la déception. La pluie zèbre l'écran, noyant les larmes de Ginger. [12 = 3] Ginger se tient devant l'affiche, ses compagnes forment un arc de cercle derrière elle. Il pleut, les éclairs illuminent l'espace. Un travelling arrière en spirale conclut la séquence : alors que la pluie d'orage s'abat lourdement sur terre, ramenant les prisonnières à leur pesante réalité, la caméra monte vers le ciel, comme pour rappeler leurs aspirations à s'envoler. Cette élévation esthétique est anticipatrice : les codes de la fiction impliquent une fin heureuse. Mais à ce moment de l'histoire, comment les poules vont-elles s'en sortir ? Le plan suivant évoquera très elliptiquement la fuite de Rocky : un trou creusé sous le grillage et une cuillère abandonnée. La séquence qui suit le montre libre s'éloignant de la une cuillère abandonnée. La séquence qui suit le montre libre s'éloignant de la ferme. Les thèmes L'animation en volume L'animation en plasticine ou plastiline, une pâte à modeler spéciale, est la spécialité des studios Aardman. On peut, à propos de ce procédé, parler de « claymation » (« clay » = glaise). Les corps des personnages sont des armatures articulées recouvertes de silicone. Les têtes, les ailes, les pattes, les jambes, les mains sont en plasticine. Des foulards dissimulent les jonctions de la tête en plasticine et du cou en silicone. On a fabriqué une panoplie de becs de rechange afin de créer une gamme d'expressions : « Plutôt que de modeler un visage complet pour chaque mot prononcé, on dispose d'une série de becs ou bouches de rechange représentant les formes qui correspondent à des sons spécifiques. L'animateur loge le bec sur le visage, étale la pâte, expose une image du film, ôte le bec sur le visage, le remplace et répète l'opération » (in L'Éclosion d'un film). Un procédé d'écriture filmique : le hors-champ Au cinéma, le hors-champ, ce réservoir d'apparitions et de disparitions, a autant d'importance que le champ : le cadre de l'image est à la fois fenêtre et cache. Ce hors-champ se décline en trois régimes : celui du passage (entrées et sorties de champ), celui de l'adresse (visuelles et orales) et celui de l'empreinte (ombre ou reflet). Dans Chicken Run, le seul événement tragique est la mort d'Edwidge. Son supplice par décapitation est traité en partie dans le régime de l'ombre : celle de Mrs Tweedy qui lève un bras armé d'une hache (en caméra subjective collective, c'est-à-dire en « spectacle » vu par les autres poules). Le plan qui succède (contrechamp) montre leurs regards tristes et le bruit de la lame sur le billot est entendu hors champ. En deux plans tout est dit efficacement sans que cela soit montré, sans indécence. La présence d'une carcasse de poulet sur la table de la salle à manger des fermiers rappelle aux spectateurs le sinistre destin d'Edwige : parmi eux, les mangeurs de poulets qui prennent fait et cause pour ce poulailler en révolte ont-ils le temps d'avoir mauvaise conscience ? Le document Image narrative et narration de la réalisation Contrairement à l'industrie de la télévision qui se caractérise par une forte production de séries et de feuilletons et un degré plus faible de téléfilms se rapprochant du référent cinématographique, l'industrie du cinéma mise sur l'œuvre individuelle, prototypique. Les distributeurs fournissent aux médias écrits et audiovisuels du matériel publicitaire relatif au film à venir, matériel censé promouvoir une image anticipée de la fiction et nommée « image narrative ». Cette image narrative est en train d'évoluer, elle ne se contente pas d'évoquer les contenus fictionnels ou le genre cinématographique, elle livre également une narration des coulisses de la réalisation : celles des films affichant nombre d'effets spéciaux et des films d'animation en premier lieu. Sans oublier les montants des budgets chargés d'impressionner les futurs spectateurs, en particulier les plus jeunes. Les médias offrent un matériel riche de textes annexes que l'institution scolaire ne saurait ignorer, marquant en cela l'intérêt qu'elle porte aux textes sociaux ainsi qu'aux compétences des jeunes lecteurs (et spectateurs) de ces médias. On pourra parcourir la presse écrite et analyser certains titres et sous-titres d'articles critiques ou bien quelques expressions extraites du corps du texte. Jouer sur les mots est pour le professionnel de la critique l'exercice de style par excellence lui permettant de communiquer son humeur du moment ; il faut reconnaître que Chicken Run lui donne licence d'humour. Les expressions employées dans les citations qui suivent abordent le programme narratif du film, le genre cinématographique, les coulisses techniques de l'animation, etc. Les titres « Des poules se font la belle » (La Croix, 13 décembre 2000) « Les poules qui ont dit non » (Vocable, 14-27 décembre 2000) « Un poulailler en folie » (JDD, 10 décembre 2000) « Un coq-boy yankee dans le poulailler » (La Tribune Desfossés) « Poules en glaise et coq en pâte (à modeler) » (Positif, janvier 2001) « Pool aux œufs d'or » (Libération, 11 décembre 2000) « Cocorico anglais » (Figaroscope, 13 décembre 2000) « Fable et parodie » (Le Figaro, 13 décembre 2000) « Nuits et poulardes » (Les Inrockuptibles, décembre 2000) « Sur le tournage de « Ginger & Rocky », aux studios Aardman... Silence on couve » (Télérama, 15 décembre 1999) « Wallace et Gromit se mettent au poulet » (Synopsis, le magazine du scénario, janvier-février 2001) « Peter Lord et Nick Park en poule position » (Cinélive, janvier 2001) Avant-titres, titres et sous-titres « Un pool de cinéastes anglais, connu pour ses héros en pâte à modeler, sort un premier long métrage d'animation à l'humour volatile. Vol au dessus d'un nid de cocottes » (L'Humanité, 13 décembre 2000) « Avec un budget de 43 millions de dollars et après quatre années de travail, Peter Lord et Nick Park signent une comédie caquetante, Chicken Run. Deux Anglais dans une basse-cour » (Le Figaro, 13 décembre 2000) « Chicken Run cocoricoqen pâte Après Wallace et Gromit Nick Park et Peter Lord élèvent des poulets. » (première de couverture de Première, décembre 2000) « Les poules ont des dents. Après les aventures de Wallace et Gromit, Nick Park et Peter Lord ont remis la main à la pâte à modeler pour Chicken Run, leur premier long métrage plein de poules. » (pages intérieures) « Les poules ont des dents ! Chicken Run, une "folie" hilarante produite par Spielberg et réalisée par les parents de Wallace et Gromit. » (France-Soir, 13 décembre 2000) « 22, v'là les poulets ! Chicken Run est le stade ultime de la plus-value animalière : quarante animateurs se sont succédé pendant 3 ans pour fabriquer une demi-seconde de film par jour. Du grand art ! » (Le Nouvel Observateur, 7 décembre 2000) « Une poule bien modelée Nick Park et Peter Lord, grands animateurs, ont mis quatre ans à réaliser Chicken Run. Le succès, lui, fut immédiat. » (L'Express, 13 décembre 2000) « Quatre ans de couveuse Pour leur premier vrai long métrage, les as d'Aardman ont profité des moyens d'une grosse production. » (Libération, 13 décembre) « Des poulets bonne pâte Avec Chicken Run, un long-métrage d'animation, Nick Park et Peter Lord ont dépassé la prouesse technique. Ils sont les dignes héritiers d'un humour incorrect et corrosif de Tex Avery. » (Le Point, 8 décembre 2000) « La révolte des poulets contre les machines à broyer Au-delà de la prouesse technique, le film de Peter Lord et Nick Park donne naissance à un monde parallèle, métaphore du nôtre. » (Le Monde, 13 décembre 2000) « Chicken Run Les auteurs de Wallace et Gromit sont de retour. Avec des poules avides de liberté. Hue cocottes ! » (Télérama, 13 décembre 2000) « Nous sommes tous des poulets anglais voués à l'abattage. Dans Chicken Run, les poules n'ont pas que des dents. Elles ont aussi de l'humour et des les poules n'ont pas que des dents. Elles ont aussi de l'humour et des sentiments. » (Marianne, 18 décembre 2000) « Poule d'anthologie Chicken Run... par les auteurs de Wallace et Gromit, un long métrage où les poules n'ont pas de dents, mais beaucoup d'obstination, de courage et d'humour. Succulent. » (Les Échos, 13 décembre 2000) Dans le corps du texte Le Canard Enchaîné termine sa critique par : « Humour britannique et ingéniosité en glaise » (13 décembre 2000). Celle de La Tribune Desfossés s'achève par : « Aux États-Unis, Chicken Run, qui a coûté un peu plus de 42 millions de dollars, en a déjà rapporté près de 107 millions, une véritable poule aux œufs d'or pour ses producteurs » (13 décembre 2000). Pour en savoir plus SIBLEY Brian, Chicken Run, l'éclosion d'un film, La Martinière, 2000. LORD Peter, SIBLEY Brian, Wallace & Gromit, l'album de famille. L'animation en volume selon le studio Aardman, Ed. Hoëbeke (Paris), 1999. Deux ouvrages (d'art) sur l'art de l'animation des studios Aardman pour les amateurs des coulisses des films. GENETTE Gérard, Palimpsestes, la littérature au second degré, Seuil, coll. « Points essais », 1992. Pour les définitions des pratiques de réécriture littéraire, les outils théoriques peuvent servir à l'analyse filmique. Un sous-chapitre du livre en particulier (pp. 175-177) dans lequel Genette montre que les rapports qu'entretient la comédie Play it again, Sam de Herbert Ross (1972) avec Casablanca, le drame de Michael Curtiz (1946) sont de nature hypertextuelle ; il forge les termes hypofilm/hyperfilm sur le modèle littéraire hypotexte/hypertexte. SERCEAU Michel (sous la dir. de), « Le remake et l'adaptation », CinémAction, n ° 53, Corlet, 1989. JENN Pierre, Techniques du scénario, Fémis, 1991. Un petit ouvrage très clair sur l'écriture scénaristique. « Le cinéma d'animation », TDC n° 834, 15 avril 2002. Chicken Run, Pathé/Studio Canal, VHS ou DVD proposant les « bonus » désormais habituels sur les coulisses du film. Le site français Écran Noir propose un dossier sur le film et un lien vers le site officiel. www.ecrannoir.fr/ Le site officiel des studios Aardman. www.aardman.com/ Le site de l'Association française du cinéma d'animation. www.afca.asso.fr/ Le site officiel du jeu vidéo Chicken Run, à ne pas négliger. www.chickenrungame.com/ André Menguy, professeur à l'IUFM de Nice © CNDP - Images, écrans, réseaux / Télédoc Décembre 2002 - Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, privé ou scolaire.