La socialisation : un long fleuve tranquille ?
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La socialisation : un long fleuve tranquille ?
Pédagogie La socialisation : un long fleuve tranquille ? Jérôme CROZAT, professeur certifié de SES aux lycées Balzac et Jean-Monnet de Tours, et Paul VINACHES, professeur agrégé de SES au lycée Monteil de Rodez Autour et à partir du film d’Étienne Chatilliez, La Vie est un long fleuve tranquille, un projet destiné à élaborer un cours de sociologie en classe de première a été expérimenté pendant trois ans. Ce travail a permis de motiver les élèves et de rendre plus facilement accessible une certaine réalité sociale. S orti dans les salles en 1988, le premier film d’Étienne Chatilliez, La Vie est un long fleuve tranquille…, a bénéficié d’un réel succès public. L’expression « c’est lundi c’est raviolis » est restée dans toutes les mémoires. À la fois tendre et décapante, drôle et sévère, caricaturale mais minutieusement observée, la situation imaginée par les scénaristes permet de faire voler en éclat deux cellules familiales figées. Le film, riche en dérision, raconte l’histoire de deux familles du Nord : les « Le Quesnoy », bourgeois, catholiques, conservateurs, et les « Groseille », chômeurs, athées et débrouillards. Alors même que tout les sépare leurs destins vont se trouver mêlés. Par dépit amoureux, Josette, la sage-femme qui accouche successivement Mmes Le Quesnoy et Groseille, tente une expérience singulière. Constatant l’inégalité des chances à leur naissance, elle intervertit les enfants des deux familles. La suite du film raconte les péripéties qui vont marquer, douze ans plus tard, le retour du fils Le Quesnoy dans sa famille biologique, la vie des Le Quesnoy et celle des Groseille… Souvent drôle, parfois cruelle, réactionnaire pour certains, bien vue pour d’autres, cette fiction nous a paru être un outil original et efficace pour aborder certaines notions du programme de première. Au cœur de notre démarche, une conviction : la projection d’un film de fiction ne saurait jouer un simple rôle d’illustration de thèmes traités dans un chapitre mais elle peut en constituer un véritable appui. Le film nourrira le cours en permettant d’aborder et d’illustrer certaines notions et mécanismes puis de vérifier s’ils ont été correctement saisis. Pour ce faire, certains plans, dialogues, anecdotes ou métaphores vont faire l’objet d’une décomposition. Bien plus, d’un bout à l’autre du film, la trajectoire des principaux personnages sera reconstituée à travers différents exercices. Ce travail, mené depuis trois ans, a fait l’objet de nombreuses discussions, il s’enrichit chaque année d’idées et de critiques nouvelles. Nous vous livrons ici sa philosophie et son contenu, forcément provisoires. LA DÉMARCHE Observations et constat Quel que soit le jugement porté sur ce postulat, la télévision fait partie de notre quotidien et nos élèves ont une véritable culture télévisuelle. Au moment où l’on promet l’ère du multimédia, la télévision et plus largement l’audiovisuel n’ont qu’une place réduite, illustrative mais souvent statique. L’image continue d’être considérée ou utilisée comme un réservoir d’informations parcellaires ou comme une « boîte à spectacles ». Cependant, nier l’existence de la télévision revient à lui laisser le monopole des sphères sociales extérieures à l’école. Inversement, laisser intacte la logique du document audiovisuel diffusé aboutit à un résultat insatisfaisant. Démarche Trois idées principales ont guidé nos réflexions : – la première refuse le cloisonnement des activités s’appuyant sur l’audiovisuel dans l’enseignement des sciences économiques et sociales. Au-delà de l’intérêt illustratif, se contenter d’agrémenter un cours avec quelques images est certes « pratique » mais insatisfaisant, une simple juxtaposition étant faite par les élèves entre le document et la partie de cours qui s’y rapporte. En tentant de dépasser la frontière entre « forme traditionnelle » du cours et séquence audiovisuelle, nous avons essayé de DEES 109 / OCTOBRE 1997 . 15 faire jouer à un film de fiction un rôle central dans la construction du cours et non plus un jeu d’appoints souvent perçu par les élèves comme un simple moment de distraction ; – la deuxième idée est relative à la spécificité du document audiovisuel utilisé. Le choix d’un film de fiction repose sur quelques hypothèses de travail, en grande partie vérifiées par la mise en pratique du projet. Prendre ses distances avec le film documentaire, souvent reflet d’une situation assimilée à une certaine « réalité sociale », semble plus judicieux qu’on ne pourrait le penser a priori. Si l’analyse des documents d’information requiert souvent un travail de décryptage de l’image et de questionnement sur les effets de la construction de l’information (un travail essentiel qui retient souvent notre attention), notre objectif était plutôt d’intégrer un document audiovisuel au cours. Le choix d’un film de fiction, souvent connu et apprécié de nos élèves, présentait au moins deux avantages : - le parti pris caricatural de la mise en scène permet, grâce à l’humour et au comique déployés, de se distancier davantage de situations difficiles que peuvent vivre certains de nos élèves et dont la mise en exergue par le travail sociologique peut s’avérer douloureuse. En effet, une fiction n’a pas pour ambition première de faire pénétrer l’actualité dans la classe, elle est le résultat de la mise en scène d’une histoire constituée de situations particulières et de valeurs issues d’un ou de plusieurs systèmes culturels. Le réalisateur veut montrer sa propre perception de la réalité ; contrairement aux reportages, documentaires et autres journaux télévisés, le film ne prétend pas à l’objectivité ou du moins n’est pas présenté comme tel, - l’analyse d’une situation fictive est renforcée par la dimension caricaturale du film qui ne trompe pas les élèves (le bilan écrit effectué à la fin de la séquence ne laisse aucun doute sur ce point). En ne cherchant pas la véracité des faits, la déconstruction des principales logiques sociales à l’œuvre dans 16 . DEES 109 / OCTOBRE 1997 le film est facilitée, (un travail sur le dossier de presse du film permet de plus d’aborder en fin de séquence la critique du scénario et de ses sousentendus) ; – enfin, la troisième idée tient à la dialectique image/écrit. En effet, tout se passe comme si l’audiovisuel restait prisonnier d’une logique de l’écrit. Tant que l’image est utilisée comme une illustration, elle est vécue par les élèves comme une échappatoire aux formes habituelles de l’enseignement. La production d’un travail écrit à l’issue de la diffusion du film peut permettre à l’élève de considérer l’image et le texte comme des moyens d’apprentissage et non comme une fin. L’élaboration d’un travail de ce type, pas nécessairement individuel, renforce aussi chez certains élèves les capacités d’initiative et/ou de valorisation du travail scolaire notamment pour ceux qui n’intériorisent en général qu’échecs et déceptions. Le rapport à l’image étant proche de leur univers, ils prennent plus facilement la parole. Remarques et limites de la démarche La transposabilité de ce travail n’est pas automatique, l’ordre de traitement des thèmes variant selon la méthode de chacun. La conception et la mise en œuvre d’un travail de cette nature demandent beaucoup de temps ; la systématiser semble donc difficile. Bien que l’audiovisuel nous semble devoir mériter une meilleure place dans notre enseignement, il ne s’agit pas pour autant d’en faire l’apologie. La multiplication des séquences audiovisuelles ne résoudrait aucun problème si elles étaient reléguées au statut de « boîtes à exemples ». Enfin, comme souvent, certaines notions ou mécanismes mis en valeur suite au travail sur le film peuvent se voir réduit aux exemples que développe É. Chatilliez (travers que l’on retrouve également avec d’autres types de documents). À nous de veiller à élargir et diversifier les exemples. Conditions de réalisation du projet L’intégration du film dans le chapitre consacré à la socialisation est un choix délibéré. L’étude des cultures et des hiérarchies sociales abordée dans le film ne sera traitée que plus avant dans le cours. Il nous a semblé important de bien séparer le travail autour du film des cours relatifs à l’analyse des classes sociales situés plus loin dans le programme. Ceci afin d’éviter tout risque d’amalgame entre les familles dont le mode de vie est traité dans la fiction et les classes sociales en général, le mode de vie des Groseille ne devant pas être assimilé par les élèves à la culture ouvrière dont nous savons qu’elle a des caractéristiques bien différentes. DÉROULEMENT DE LA SÉQUENCE La durée totale de réalisation du projet varie entre six et huit heures. Il est envisageable (en ayant préalablement présenté le synopsis) de ne sélectionner que les principaux passages du film, notamment ceux décrivant le mode de vie des deux familles. On pourra éventuellement les visionner plusieurs fois avant la réalisation de l’exercice ou après, pour confronter les réponses avec l’extrait choisi1. Le processus de socialisation Analyse du processus de socialisation Cette partie a pour objet le traitement du processus de socialisation entendu dans une acception large2. Il s’agit d’aborder sa dynamique grâce à l’utilisation d’exemples tirés du film. Le but est de cerner au mieux un processus qui est souvent saisi de façon partielle sans le contenir dans une ❚ 1. Sur les problèmes spécifiques des droits d’auteur, cf. DEES, n° 94, décembre 1993, p. 56. 2. Sur les problèmes relatifs au concept de socialisation et à sa présentation, cf. DEES, n° 108, juin 1996, p. 52. définition trop étroite. Il s’agira alors de rendre compte des différentes conceptions de la socialisation et notamment de son aspect permanent et non mécanique. Aborder la définition de la socialisation peut conduire à traiter les notions de statut, norme, rôle et valeurs 3. La socialisation suppose l’intériorisation de normes et de valeurs ● Premier exercice Objectif Les élèves ne doivent pas se conten- ter de connaître la définition des principales notions rattachées au processus de socialisation mais sont amenés à les manipuler. Ce premier exercice doit permettre l’apprentissage des notions de statut, rôle, valeur et normes. Activité Complétez le tableau suivant en précisant si les exemples cités correspondent plutôt à la définition de statut, rôle, valeur ou norme (les réponses sont en italique). Exemples Notion Mme Groseille est mère de famille. Statut Les enfants Le Quesnoy doivent se laver les mains avant de passer à table. Norme Ahmed est l’épicier de quartier des Groseille. Statut Le curé prône la fraternité. Ahmed et Maurice entretiennent des relations d’amitié. Rôle et valeur Valeur M. Le Quesnoy initie Maurice à la voile. Rôle que lui confère son statut de père Second exercice possible Objectif Cet exercice requiert la maîtrise des notions de valeur, norme, statut et rôle. Activité Les réponses sont données en italique après chaque question. – Les parents Le Quesnoy sont très attachés à certaines valeurs. Citez ● celles qui vous paraissent les plus importantes pour eux. Charité, ordre, fidélité… – Quel est le statut de M. Groseille ? Un statut de père de famille mais il ne joue pas le rôle souvent attaché à ce statut. – Après avoir distingué les principales valeurs et normes dans chaque famille, expliquez pourquoi ces deux notions sont interdépendantes. Exemple pour les Le Quesnoy : – ordre (valeur) → hygiène, ponctualité (normes) – réussite sociale (V) → caractère impératif du travail scolaire (N) – morale chrétienne (V) → participation aux activités religieuses. Les normes et les valeurs intériorisées : les rôles Objectif La distinction entre statut et rôle n’étant pas toujours facilement assimilée, il semble opportun de souligner qu’à un statut spécifique ne correspond pas un ou des rôles définis a priori. On pourra à ce sujet montrer que les définitions du mécanisme de la socialisation diffèrent selon les traditions sociologiques. Une vision qualifiée de déterministe mettra l’accent sur le conditionnement inhérent au processus. D’autres approches s’efforcent de dépasser les clivages traditionnels et « considèrent la socialisation comme une transaction entre des systèmes définis par des règles et des valeurs, et des individus développant leur propre stratégie »4. ❚ 3. Il semble opportun d’insister sur « Le rôle comme composante dynamique du statut », cf. Jean Étienne, Dictionnaire de sociologie, Hatier, 1995. 4. Cf. C. Dubar, La Socialisation, construction des identités sociales et professionnelles, A. Colin, 1991. Cités in G. Férréol et alii, Dictionnaire de sociologie, Cursus, 1991. Lieu Comportements attendus Comportements effectifs Dans la famille Groseille Débrouillardise/Affection… Débrouillard Une fois chez les Le Quesnoy Adaptation à de nouvelles pratiques (langage, manière de se tenir à table, etc.) Bonne volonté Respect des règles : ordre, propreté, respect. Modification de son comportement, de son langage, etc. en fonction et conformément aux règles prescrites par sa nouvelle famille. Mais maintien d’un comportement déviant par rapport à ces nouvelles normes: vol, escapades au bord de la rivière, absorption de boissons alcoolisées. À l’école Rigueur, ponctualité, attention respect… – Quand Maurice est Groseille : école buissonnière, irrespect. – Quand Maurice est Le Quesnoy : il se met dans la peau (pour se conformer à son nouveau rôle) de l’écolier modèle sans montrer qu’il n’y adhère pas. DEES 109 / OCTOBRE 1997 . 17 Activité Pour les différents milieux que Maurice fréquente, vous préciserez ce qu’on attend de lui selon vous, et comment Maurice se conforme ou non à ces attentes. Utilisez le tableau page précédente (les réponses figurent en italique). Le cas de Maurice semble tout désigné pour répondre à l’objectif fixé et pour aborder l’importance de l’interprétation. On pourra, par exemple, commenter la scène ou Maurice change sa coiffure quand il revient dans les beaux quartiers et qu’il va réinterpréter le rôle du petit Le Quesnoy5. (Ce point sera développé plus systématiquement par la suite.) On peut également réaliser un exercice sur les comportements attendus et les comportements effectifs face aux différents acteurs du système éducatif. Instance de socialisation et formes d’apprentissage Les instances de socialisation : repérage Objectifs Cette partie a pour objet de repérer les différentes instances de socialisation perceptibles dans le film et de mettre en évidence la prééminence de certaines dans les premières périodes de la vie. Démarche Il est tout à fait possible de demander aux élèves quels sont les différents milieux dans lesquels évoluent Bernadette et Maurice. La période de socialisation dite primaire repose essentiellement sur la famille et l’école. Il semble d’ailleurs opportun de préciser que « la prise en charge par l’école d’un âge auparavant laissé entièrement à l’inculcation familiale ne signifie pas nécessairement la dépossession de la famille. Le groupe primaire de socialisation peut néanmoins être étendu à d’autres instances (groupes de pairs médias) qui, sans jouer un rôle prééminent, participent à la construction de l’identité »6. Les instances de socialisation ne sont 18 . DEES 109 / OCTOBRE 1997 pas, de plus, étanches les unes par rapport aux autres. Insister sur ce « décloisonnement » semble donc nécessaire si l’on veut éviter une vision réduite et mécanique de cette période de socialisation primordiale. Activité Répondez aux questions suivantes de manière argumentée (réponses en italique). – Quels sont les différents milieux dans lesquels évoluent les enfants Le Quesnoy, les enfants Groseille ? Famille, école, groupe d’amis, association de la paroisse, etc. Si la socialisation secondaire s’appuie sur des formes d’apprentissage qui ne se confondent pas avec celles qui caractérisent particulièrement la socialisation primaire (voir infra), il semble important de ne pas cloisonner socialisation primaire et secondaire. (N.B. La famille joue d’ailleurs un rôle important au cours des différentes périodes de la vie, y compris du point de vue économique ; ces rapports intergénérationnels créent de nouveaux liens qui facilitent les transitions entre les différentes tranches de vie.) Ce faisant, on insiste sur la permanence du processus de socialisation. – Quels sont les groupes qui ont un poids déterminant sur la vie des enfants dans le film ? Insistez sur l’influence de la famille, sur l’attitude vis-à-vis du milieu scolaire ou associatif, des pairs. (Commentaire sur la scène de la baignade.) – (Éventuellement) Discutez cette citation « L’éducation consiste en une socialisation méthodique de la jeune génération » (Émile Durkheim). On pourra montrer, dans le commentaire, l’aspect déterministe et volontariste de la définition de Durkheim en la replaçant dans son contexte. Sa conception de la socialisation est autoritaire : sa fonction essentielle vise à perpétuer et renforcer l’homogénéité de la société. Le sociologue, profondément républicain, voulait arracher l’enfant à sa famille et donner la primauté dans l’éducation à l’école. Complémentarité et/ou spécificité des formes d’apprentissage selon les instances de socialisation Objectif Il s’agit de montrer qu’en dépit du rôle joué par la famille, agent principal de socialisation utilisant certains modes d’apprentissage spécifiques (contrainte, répétition…) durant l’enfance, il n’existe pas un moyen d’apprentissage réservé à une instance de socialisation particulière. Démarche Après avoir expliqué les deux principaux modes de socialisation, explicite et implicite, on demande aux élèves de dégager les types d’actions ou d’influences des familles puis de l’école et des groupes de pairs pour faciliter l’intégration de leurs enfants à la société. On pourra, à ce sujet, revenir sur les débats relatifs au mécanisme de la socialisation : socialisation = inculcation chez un agent passif, socialisation = processus interactif qui comporte une part de résistances et d’innovations. Activité – Quels sont les moyens qu’utilisent les familles pour modifier ou influencer le comportement de leurs enfants ? Classez les réponses selon qu’elles correspondent plutôt à des modes d’actions manifestes ou plutôt à des actions plus implicites. N.B. On entend par « socialisation explicite » les formes d’apprentissage qui privilégient le renforcement et le conditionnement, qui sont manifestes. La « socialisation implicite » met davantage l’accent sur les capacités d’interprétation et d’innovation suite à l’importance de l’observation et de l’accommodation, elle est davantage latente. Utilisez le tableau suivant (les réponses sont données en italique). Cet exercice peut être poursuivi en ❚ 5. À ce sujet, on pourra faire référence aux travaux d’E. Goffman. 6. Cf. F. Teulon, Sociologie et histoire sociale, Puf Major, 1996. Lieu Socialisation « explicite » Famille Le Quesnoy Contraintes : se laver les mains, ordre, ponctualité… Dialogue : discussion avec Maurice sur les visites chez les Groseille. Observation/imitation : Maurice à table. Imprégnation/accommodation : vouvoiement envers le père. Apprentissage de la boisson au contact avec les Groseille. Les enfants semblent davantage livrés à eux-mêmes mais leur éducation valorise l’apprentissage d’un système D. Observation/imitation : langage. Système D : résulte d’un conditionnement familial certes, mais qui les prépare à innover dans de nombreuses situations Famille Groseille prenant appui sur d’autres instances de socialisation : école, groupes d’amis, etc. – À partir du moment où Maurice intègre sa « famille biologique », qu’est-il obligé de faire ? De se conformer à de nouvelles règles de vie. – Comment fait Maurice pour paraître relativement à l’aise dans son nouvel environnement ? Justifiez votre réponse en la reliant directement à l’exercice précédent, utilisez les termes de valeur, normes et rôles. Maurice intègre très vite les normes de la famille Le Quesnoy pour mieux les contourner. Ayant compris que « l’affaire » a créé un séisme chez les Le Quesnoy, il joue un double rôle presque parfait. Il a en effet bien saisi les différences de valeurs entre les deux familles et les attentes qu’elles peuvent avoir à son égard. L’impact de la socialisation dans la construction des modes de vie Cette seconde partie est toujours centrée autour des items relatifs à la socialisation. Elle peut également permettre d’aborder certaines notions du programme notamment « Genre et style de vie » contenu dans l’item relatif aux phénomènes culturels. Quel impact ? L’étude portera sur le lien entre milieu social et modes de vie dans la Socialisation « implicite » construction de l’identité. Des pratiques différentes Objectif Cette partie a pour ambition d’analyser l’influence du groupe primaire sur la construction de la personnalité sociale de l’individu et de mettre en particulier l’accent sur l’usage et la perception des pratiques de la vie courante suivant le milieu social École Piano Jeux de cartes TV Cours particulier Famille Le Quesnoy Initiation voile Fête religieuse TV familles. d’appartenance. Démarche Il est demandé aux élèves de distinguer les pratiques et les comportements observés dans les deux familles et de chercher la signification de pratiques semblables ou identiques. Activité Indiquez les pratiques et comportements observés dans les deux Famille Groseille Sorties au supermarché Vol Coiffure, maquillage Des usages sociaux différents Objectif L’objectif est atteint si les élèves, audelà de la distinction qu’ils font des pratiques entre les deux familles, perçoivent les différences dans l’usage social des pratiques. Activité Y a t-il des pratiques apparemment semblables ? Qu’est-ce qui les différencient ? On pourra prendre l’exemple de la télévision. Elle est présente dans les deux familles mais avec des programmes très dissemblables (TF1/France 3 région) qui traduisent des usages sociaux, des fonctions bien différentes attribuées au média. On peut également développer DEES 109 / OCTOBRE 1997 . 19 d’autres exemples comme celui de l’usage du magnétoscope qui permet à certains une consommation TV plus sélective et à d’autres une consommation plus intensive. D’autres exercices peuvent être effectués sur les styles de vie et leurs attributs en utilisant par exemple des photos du film. Il est possible d’en trouver dans les articles de presse parus à l’époque (voir infra) ainsi que dans certains de nos manuels (Belin 1re, p. 146, 147, 190). On peut pousser plus loin l’analyse en montrant la convergence au-delà des apparences entre les rôles des deux mères toutes deux très présentes dans leurs univers familial où le statut des deux pères dépendant d’elles. Le débat inné/acquis Présentation Cette partie boucle la séquence proprement dite en revenant sur un débat qui fait réapparaître le terme polysémique de culture. Cf. à ce sujet la définition qu’en donne Clyde Kluckoln7 : « Une culture est acquise par des individus du fait qu’ils appartiennent à un groupe donné ; elle constitue cette partie du comportement acquis que l’on partage avec d’autres. Elle est notre héritage social, opposé à notre hérédité organique. Elle est un des facteurs importants qui nous permet de vivre ensemble dans une société organisée, en nous fournissant des solutions toutes prêtes à nos problèmes, en nous aidant à prédire la conduite des autres, en mettant les autres à même de savoir ce qu’ils peuvent attendre de nous. une culture est donc un ensemble de techniques qui doivent permettre de s’adapter à la fois au milieu extérieur et aux autres hommes. » Cette définition diffère donc bien d’autres visions plus biologiques de l’inné : « Ce que l’on porte en soi à la naissance, avant toute expérience de la vie » 8. Les comportement des enfants Le Quesnoy / Groseille : inné/acquis ? Objectif Travailler sur le débat inné/acquis en montrant quelle thèse est valorisée dans le film. Le travail critique peut être abordé ici, il servira de support pour la conclusion de la séance. Activité – On peut partir d’une réplique du film, notamment celle où le médecin accoucheur face aux deux enfants lance : « Les deux Jésus, ils ne partent pas avec les mêmes chances dans la vie », et demander aux élèves de l’interpréter. On pourra mettre l’accent sur l’inégalité des chances, l’importance de la famille, mais aussi de manière plus positive, le sujet pouvant être délicat, sur le rôle de l’école, ou sur la vision déterministe de la réplique. Cf. phase finale du travail. 20 . DEES 109 / OCTOBRE 1997 – Y a-t-il des événements, des situations dans le film qui vous semblent valider la thèse de l’inné ? Qu’en pensez-vous ? Attitude de Bernadette lorsqu’elle se maquille. (Sur ce point très critiquable, voir l’interview de l’auteur dans la dernière partie du travail). L’attitude de Maurice qui reproduit le même tic (mouvement de l’épaule) que son père (particulièrement perceptible lors du premier contact entre le père biologique et le fils) Si la première attitude fait référence à la culture, elle est sociale, la seconde se veut davantage un clin d’œil à la nature (elle est « biologique »). – À quels moments voit-on que le comportement de Maurice reste imprégné, marqué par la première famille qu’il a connu ? (famille Groseille) L’absorption de bière, baignade, escapade de l’école, vente du service de table… – Cherchez des signes d’adaptation de Maurice à son nouvel environnement. Langage/posture à table. En guise de conclusion Avant l’évaluation du travail et en guise de conclusion, il nous semble possible d’aborder avec les élèves le concept d’habitus9. Épilogue Objectif Avant de clore le travail, il nous a paru important de porter avec les élèves un regard critique sur le film et les idées qui le soustendent mais aussi sur l’intérêt qu’ils ont trouvé à l’exer- ❚ 7. Initiation à l’anthropologie, Dessart, 1966. 8. J.-C. Gehanne, Dictionnaire thématique de sciences économiques et sociales. 9. Désireux de dépasser l’alternative classique qui considère l’individu comme le simple support d’une structure sociale préétablie ou qui érige l’acteur en stratège rationnel, le concept d’habitus, tel que le développe la sociologie de P. Bourdieu, permet de rendre compte comment l’ensemble des dispositions et des pratiques à l’œuvre dans la vie quotidienne peuvent être le produit d’une histoire individuelle mais aussi collective que chacun d’entre nous a pu intérioriser lors du processus de socialisation. cice. Une telle évaluation semble offrir plusieurs avantages : – elle favorise d’abord un dialogue qui permet aux élèves en nous livrant leur vision de se réapproprier une partie du savoir ; – elle permet également d’exercer un indispensable travail de critique sur le support utilisé, travail qui permet de montrer aux élèves les précautions que doit prendre le sociologue par rapport au matériau dont il dispose. Démarche Cette activité a été réalisée lors d’une séance de module. Un groupe était chargé de trouver des arguments afin de critiquer la vision de la réalité sociale développée par le film et les limites du travail mené. Un autre groupe devait trouver des éléments de défense. La recherche de l’argumentaire est facilitée par la taille restreinte de l’effectif en module (les élèves prennent plus facilement la parole). Afin de compléter leurs arguments, un dossier documentaire où sont insérés critiques du film et interviews du réalisateur a été fourni aux élèves. Dossier documentaire Quelques critiques du film I l y en a du ça de l’inné et de l’acquis en déroute dans La Vie est un long fleuve tranquille ! Le plus étonnant est qu’on l’on en rie sans la moindre arrière-pensée amère. Sans le sentiment culpabilisateur de se défouler. Non, La Vie est un long fleuve tranquille est une comédie aux sarcasmes qui n’insultent pas. Chaque séance en contient un, mais, effet du montage sec et elliptique, il ne dégouline pas en méchanceté complaisante. Françoise Aude, Positif, mars 1988 C hatilliez, pris dans son propre piège, s’enlise à force d’accumuler et use, trop vite, l’effet qu’il croyait pouvoir faire durer […] Deux [acteurs] Mme Le Quesnoy et le petit Momo pourraient nourrir le film de leur ambiguïté. Mais la caricature de l’une et la fadeur de l’autre font échouer l’entreprise. Dommage que Étienne Chatilliez, victime de sa virtuosité, ait tant de mal à les rendre attachants, à briser leur moule. Lorsqu’il y parvient, notamment dans la belle séquence de la baignade des gosses dans la rivière, il laisse espérer que sa mutation cinématographique est proche. F.S., Cahiers du cinéma, mars 1988 le film] l’hypocrisie est vain[Dans cue par la roublardise, la culture en brosse envahie par les hautes Arguments défavorables Danger d’assimilation classe ouvrière/Groseille. Vision réactionnaire. Vision trop caricaturale. Vision trop dure vis-à-vis des Groseille. Risque d’assimilation : « les pauvres sont sales et intéressés ». Film difficile car on peut se reconnaître dans certains personnages. herbes de la nature en friche et l’acier du devoir miné par la paille du plaisir. Ça à l’air drôle et en plus c’est très marrant. Alain Schifres, Le Nouvel Observateur, n° 2228 T out est vrai et tout est trop […] Les Le quesnoy et les Groseille ne sont pas des personnages qui ressemblent à des gens. Ce sont des gens qui ont l’air de personnages. […] Pas des cadres ni des travailleurs, mais des bourges et des prolos, des vatala et des lumpen, c’est-à-dire quasiment des mythes pour l’immense classe moyenne qui fait le public des cinémas. Gérard Lefort, Libération, 3 février 1988 U ne exploration tout en subtilité qui finit par sortir ses griffes quand il s’agit de mettre bas les petites Arguments favorables Le réalisateur défend le métissage. C’est un film, la caricature et l’humour permettent de prendre de la distance. L’auteur, en faisant de Momo le héros, défend le métissage. Le film n’est pas moral, il critique tout le monde. CONCLUSION Enseigner la socialisation n’est pas un long fleuve tranquille ! Le processus soulève de nombreuses questions et suscite des débats d’autant plus passionnés qu’ils renvoient à nos conceptions de la liberté et à la place que nous accordons au libre arbitre. L’exercice proposé n’est sans doute pas exempt de prénotions. Cependant, au-delà du travail qu’il permet de produire, la projection du film et les activités développées ont occasionné des moments réjouissants qui augurent bien d’une année à passer ensemble ! ■ DEES 109 / OCTOBRE 1997 . 21
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