Jules Munsch - Association Française du TITANIC
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Jules Munsch - Association Française du TITANIC
Le témoignage de Jules Munsch par Antoine Resche et Franck Gavard-Perret A l’occasion du centième anniversaire du naufrage du Titanic, de nombreux ouvrages – de longueurs et de qualités inégales – ont été publiés en France. L’un d’eux s’intitule « Titanic : l’histoire, le mystère, la tragédie », dont le texte est signé Patrick Mahé et Corrado Ferruli. Ce dernier avait déjà travaillé sur le même thème pour les éditions Hachette en 2003. Près d’une décennie plus tard, l’ensemble présente un peu moins d’erreurs qu’auparavant (l’intervention d’Olivier Mendez n’est probablement pas étrangère à cette amélioration), bien que des informations restent passablement obsolètes voire erronées. Cependant, le livre mérite une sérieuse attention pour ses deux annexes. D’une part, la liste des personnes embarquées à Cherbourg a été mise à jour et publiée intégralement. Ainsi, les Nomadic et Traffic auraient transbordé 281 passagers, et non 274. D’autre part, un document jusqu’alors inconnu est publié aux pages 302-305. Il s’agit d’un curieux témoignage rédigé par le dénommé Jules Munsch C’est à celui-ci que cet article est consacré. I/ Qui était Jules Munsch ? Jules Robert Munsch est né à Cherbourg le 8 octobre 18931. A 28 ans, alors qu’il prépare l’Ecole Normale de Rouen pour devenir instituteur, il passe les vacances de Pâques 1912 chez ses parents domiciliés à Cherbourg. Selon des sources familiales, Munsch serait parvenu à prendre place à bord du Traffic grâce à des relations locales. Son oncle travaillait pour le port de commerce, et son père était « officier de marine »2. 1 - Archives départementales de la Manche, 5 Mi 2137 1893, p.189. 2 - www.aurede.fr/files/titanic.html L’acte de naissance de Jules Munsch indique que son père – également prénommé Jules – est « maître mécanicien » c’est-à-dire responsable du personnel d’exécution du service machine. Ainsi son rang se situait entre l’équipage et les officiers. Ses mécaniciens assuraient la maintenance et l’entretien des moteurs de propulsion, ainsi que de tous les appareils du bord tels les treuils, les portiques, les ancres et les chaînes. Jules Musnch (père) est né le 13 mars 1871 à Rothau dans le Bas-Rhin. Entré dans la Marine en 1889, il était « mécanicien principal » à Cherbourg en 1903, lorsqu’il servait sur le croiseur cuirassé Sully. Le 20 janvier 1910, il est « mécanicien principal de 1ère classe », grade qu’il occupait encore en 1914 comme « chef d’atelier » de l’atelier central de la flotte. Ce centre était commandé par le Mécanicien en chef Léon Millot Ainsi, même si son poste faisait de lui l’un des hommes les plus importants au sein d’un équipage d’un navire, Jules Munsch n’était pas un « officier de marine » en 1912. Toutefois, son emploi, qui avait dû lui apporter une modeste renommée locale, a effectivement pu faciliter l’accès à son fils sur le Traffic. Jules Munsch (le fils) aurait publié son témoignage en mai 1912 dans les Cahiers de l’Ecole Normale de Rouen. Malheureusement, aucun exemplaire de ce journal – probablement édité à un tirage très limité – n’a été retrouvé par les auteurs. Il semblerait que son récit n’ait été publié dans aucun autre journal. En 1914, Munsch rejoint le 36ème régiment d’infanterie pour servir l’armée française. Il est tué à l’ennemi le 8 juin 1915 à Neuville-Saint-Vaast, dans le Pas-de-Calais. Son témoignage sur l’unique escale cherbourgeoise du Titanic a été conservé par sa famille pendant un siècle. II/ La collision évitée du Nomadic Quelques détails véridiques attestent que Munsch se trouvait bien à Cherbourg le 10 avril 1912 et qu’il se trouvait probablement à bord du Traffic. Ainsi, il est exact que « à cinq heures, on ne parlait toujours pas du vaisseau » car le Titanic avait été retardé par un incident à Southampton. Selon Munsch, le paquebot fut annoncé en approche vers 17h15, soit 1h20 avant le début des opérations de transbordement. Ces repères temporels paraissent fiables. Munsch relève également une anecdote étonnante. Le capitaine de frégate Leloup aurait dû embarquer sur 35 sur le Nomadic pour visiter le Titanic, mais avait raté le départ et s’était retrouvé sur le Traffic. C’est tout à fait probable, le Nomadic ayant en effet servi à transporter les invités de ce genre. Arrivés à la coupée, Leloup demande à embarquer. Munsch rapporte alors que l’officier « Murdock » [mauvaise orthographe du nom de William Murdoch] aurait rejeté sa demande. Il précise que le capitaine Smith lui-même a dû intervenir pour remplacer ce qui était un manquement à « l’un des principaux règlements maritimes » . Comment Munsch pouvait-il connaître le nom de l’officier Murdoch ? Le jeune homme a éventuellement recherché le nom d’un officier pour donner du corps à son histoire et le suicide supposé de Murdoch, évoqué dans la presse, peut expliquer ce choix. Cependant, il est probable que l’officier ait réellement été là : sa dernière photographie connue a été prise le lendemain à Queenstown, alors qu’il se tient à une porte de coupée aux côtés de Charles Lightoller. Ainsi n’est-il pas impossible qu’il ait occupé le même poste aux deux escales. Son refus est plausible et s’explique éventuellement par l’énervement provoqué par l’incident du port de Southampton et le retard engendré3. À l’inverse, l’intervention de E.J. Smith est vraisemblablement fantaisiste. En effet, à chaque escale, le commandant se trouvait à la passerelle auprès du pilote affrété pour les manœuvres en rade. III/ L’orchestre a-t-il joué La Marseillaise ? Dans son témoignage, Munsch écrit que « Le Titanic abaisse et remonte trois fois son pavillon national, et son orchestre, massé sur le pont, attaque La Marseillaise ». Cette performance musicale qu’a entendue le témoin est-elle authentique ? Parmi les morceaux que l’orchestre de bord devait connaître parfaitement figuraient plusieurs hymnes nationaux. Certes, le violoncelliste Roger Bricoux, de nationalité française, savait sans aucun doute jouer La Marseillaise. Néanmoins, le répertoire de la White Star Line ne comprenait pas l’hymne français. En conséquence, il est très peu probable que l’orchestre de bord connaissait la partition. En outre, sur les paquebots de la White Star, il n’était pas dans les habitudes des musiciens de s’installer en extérieur pour interpréter un hymne ou tout autre morceau. 3 - Après étude du texte, Tiphaine Hirou et Dan Parkes (webmaster du site Murdoch, the Man, the Mystery, http://www. williammurdoch.net/), tous deux spécialistes de Murdoch, ne jugent pas l’histoire improbable. Aucun rescapé ou journaliste n’a confirmé cette information, pas plus en France que pour l’escale irlandaise. À l’inverse, le passager Adolphe Saalfeld écrit dans une lettre, vraisemblablement postée à Queenstown, qu’il avait pu écouter l’orchestre à l’heure du thé alors qu’il était attablé au café véranda. De plus, dans son livre The Band that played on, Steve Turner soutient que les musiciens ont certainement joué en salle de réception pour le thé et l’avant dîner, précisément à l’heure où les transbordeurs effectuaient leur ballet4. En conséquence, l’orchestre n’a pas joué La Marseillaise lorsque le Titanic est entré en rade de Cherbourg. Pourquoi Munsch aurait-il donc imaginé ce curieux détail ? En 1912, le témoin poursuivait une formation d’instituteur, un corps de métier auquel la IIIème République (1870-1940) accordait un profond attachement. Le régime se forgeait sur des valeurs telles la langue, l’éducation et les principes de liberté, égalité, fraternité et laïcité. Elle transmettait notamment ses codes par d’importants symboles comme le drapeau, Marianne et bien entendu l’hymne national, que les écoliers chantaient en classe. Ainsi, Munsch avait appris La Marseillaise à l’école élémentaire et, s’il devenait instituteur, il avait pour devoir d’inculquer ce chant patriotique à ses élèves. IV / Munsch est-il monté sur le Titanic ? Munsch raconte également une longue visite à bord du Titanic dont l’examen ne peut que prêter à suspicion. Son récit est en effet truffé d’incohérences. Après avoir relaté sa visite des cabines de première classe, il explique n’avoir eu le temps de visiter que le salon des premières classes la et passerelle de navigation. Cette dernière n’étant pas accessible à un passager « régulier » effectuant la traversée, il est difficilement imaginable qu’un officier ait accordé une visite exceptionnelle au visiteur Munsch. Qui plus est, ce constat appelle une deuxième incohérence : Munsch parle des « quatre heures d’escale », alors que le passage du Titanic à Cherbourg n’a duré qu’1 heure 35. Le réalisme de la visite de Munsch est déjà atteint. Les failles du texte de Musnch sont multiples. De façon générale, l’élève semble se trouver partout à la fois, précisément dans les lieux où la providence lui permet de croiser les plus illustres personnalités du Titanic. 4 - Steve Turner, The Band that played on, Thomas Nelson, 2011, p. 127 36 Ainsi, au sein d’un groupe de visiteurs, Munsch pénètre dans le salon de la première classe située au pont A, dont sa description est très artificielle et manque de vie, comme s’il décrivait la pièce à partir d’une photo promotionnelle. Aussitôt entré, il aperçoit un couple de passagers : le couple Astor. Il s’agit d’autant plus d’un heureux hasard que les Astor, embarqués à Cherbourg, devaient probablement prendre leurs marques dans leur suite située au pont C (C6264). De même, le groupe de visiteurs croise Bruce Ismay que Munsch reconnaît au premier coup d’œil. Le président de la White Star Line était-il si connu des Normaliens français ? L’apothéose de cette visite est une rencontre avec le capitaine Smith qui, n’ayant aucune fonction à assurer lors de l’escale, invite le groupe à le rejoindre sur le pont des embarcations. Une question fort à propos est alors posée au Commodore au sujet du nombre de canots de sauvetage, car le groupe de français est préoccupé par les règles du Board of Trade à quatre nuits du naufrage. La réponse pleine de suffisance de Smith semble trop caricaturale pour être authentique : « Il est inutile de s’encombrer d’un matériel superflu. Nous avons bien de grands radeaux démontables, mais il est hors de doute qu’à fond de cale ils sont mieux que sur le pont ! » Cette référence aux canots « à fond de cale » est-elle un trait d’humour, ou une nouvelle erreur de Munsch ? Il est en tout cas certain qu’aucun canot n’était gardé dans les cales, et que Smith ne pouvait que le savoir. Ce témoignage, trop prémonitoire pour être honnête, est une fois encore fictif. Il semble donc certain que Munsch invente ses péripéties à bord du Titanic. A l’inverse, son témoignage concernant le transbordement en rade de Cherbourg est beaucoup plus fiable. En conséquence, il est fort probable qu’il soit resté sur le Traffic et n’ait jamais mis les pieds sur le paquebot. Le contraire serait d’ailleurs étonnant : le Titanic déjà en retard, son équipage n’avait pas de temps à perdre, et il était très certainement hors de question de ralentir les opérations pour permettre à un élève curieux de l’École Normale de visiter le navire. V/ Une information capitale Malgré ses nombreuses incohérences et ses fantaisies, le récit de Munsch fournit un détail intéressant concernant les manœuvres de transbordement opérées en rade de Cherbourg. En effet, il écrit que « le Traffic avançait à bonne allure vers la coupée tribord du bâtiment » et que « le Nomadic, accosté à bâbord, transbordait les premières et secondes classes. » Cette information est authentique. Le Titanic est entré en rade de Cherbourg en passant le Fort de l’Ouest, peu après 18h30, avec une heure de retard en raison de la collision évitée à Southampton. Un jeune agent de la Norddeutscher Lloyd a immortalisé l’instant en photographiant le paquebot depuis un transbordeur ou le fort Chavagnac. Ce cliché montre les portelones ouverts à tribord, à hauteur du pont E, ce qui atteste que le Traffic s’apprêtait à transborder les passagers de 3ème classe et les bagages à tribord. Par ailleurs, sur le second cliché connu du Titanic à Cherbourg, montrant la coupée bâbord du paquebot, prouve que les portelones du pont D ont également été ouverts. En conséquence, les passagers de 1ère et 2ème classes embarquèrent sur le Titanic par bâbord, tandis que les passagers de 3ème classe étaient transférés sur tribord. Cette double manœuvre, réalisée en simultané, visait éventuellement à rattraper le retard engendré par l’incident du New York à Southampton. Conclusion Deux questions s’imposent pour formuler une conclusion. Jules Munsch a t-il véritablement assisté à l’escale du Titanic à Cherbourg ? Pour plusieurs raisons, sa présence en rade ne fait aucun doute. D’une part, il semble maîtriser les manœuvres d’un paquebot de dimensions semblables au Titanic. D’autre part, s’appuyant sur ses souvenirs ou en extrapolant, il est néanmoins parvenu à identifier l’officier William Murdoch. Enfin, l’accostage des transbordeurs est suffisamment authentique pour attester de sa présence en rade de Cherbourg au soir du 10 avril 1912. Cependant, pourquoi Munsch a-t-il volontairement ponctué son récit d’éléments aussi fantaisistes que grotesques ? Au lendemain du naufrage, le monde agissait comme si tout ce qui était lié au Titanic devait être exceptionnel. Il est fort à parier que Jules Munsch n’a pu s’empêcher de raconter, alors que le paquebot était sur toutes les lèvres, qu’il l’avait vu à Cherbourg. Mais seulement vu… Aussi, lorsque l’occasion de consigner son récit se présenta, Munsch réalisa-t-il que son récit, trop faible, devait être étoffé. En conséquence, en s’appuyant probablement sur des articles de presse, il a imaginé ses rencontres extraordinaires avec les Astor, Smith, Ismay et la conversation bien opportune au sujet des canots. Sans pour autant remettre en doute la bonne foi de son auteur sur plusieurs détails, ce récit demeure donc une source peu fiable pour le chercheur. 37
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