Pierre Beloüin / P.Nicolas Ledoux
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Pierre Beloüin / P.Nicolas Ledoux
|25 Pierre Beloüin / P.Nicolas Ledoux ¬ Raphaël Brunel et Anne-Lou Vicente Parallèlement à leurs activités artistiques respectives, Pierre Beloüin et P. Nicolas Ledoux élaborent des projets communs. Leurs propositions, souvent critiques, interrogent notamment les notions de valeur et de signature et se nourrissent de la culture musicale, dont ils déplorent néanmoins la « récupération » dans le champ de l'art contemporain. Nous revenons avec eux sur ces questions à partir d'une installation montrée dans l'exposition collective « Musique plastique » à la galerie agnès b. à Paris, et de leur exposition « Vague froide » au Wharf - Centre d'art contemporain de BasseNormandie, en 2011. In tandem with their respective artistic activities, Pierre Beloüin and P. Nicolas Ledoux work together on shared projects. Their often critical ideas question, in particular, the notions of value and signature, and are informed by the musical culture, although they lament the way it is being “recycled” in the contemporary art arena. With them, we reconsider these issues using an installation on view in the group show “Musique plastique” at agnès b. gallery in Paris, and their exhibition “Vague froide” at the Wharf - Centre d’art contemporain de BasseNormandie, in 2011. Pierre Beloüin & P. Nicolas Ledoux PLV 01 | 2010-2011 (au sol) Pierre Beloüin Bas-Relief (Pour Claude Lévêque) | 2010-2011 (au mur) Décor découpé : impression collée sur panneau de bois, 360 x 230 cm Grillage, canettes de bière vides, 2100 x 260 cm Vue de l'exposition au Wharf-Centre d'art contemporain de Basse-Normandie Vue de l'exposition au Wharf-Centre d'art contemporain de Basse-Normandie Photographie originale de Pascal Béjean Crédits : Pierre Capiémont Crédits : Pierre Capiémont 26| « Musique 1 plastique », Galerie du jour agnès b., du 28 janvier au 2 avril 2011. Au même moment s’est tenue l’exposition « Echoes » au Centre culturel suisse. Ces deux expositions cherchaient à rendre compte, selon des modalités très différentes, des multiples liens entre musique et arts plastiques. « Vague froide », 2 de Pierre Beloüin et P. Nicolas Ledoux, Wharf - Centre d’art contemporain de Basse-Normandie, du 15 octobre au 30 janvier 2011. Prenons comme point de départ de cet entretien la pièce que vous avez montrée dans la « project room » de la Galerie du jour agnès b. dans le cadre de l’exposition « Musique plastique »1. The Ultimate Exhibition of Definitive Black Rock Core! est une installation réunissant un ensemble d’objets divers – vinyles, affiches, flyers, ordinateur portable, cadavres de bouteilles, revues, t-shirts, DVD’s, CD’s, livres, badges, etc. – littéralement « passés au noir » et tombant de cette manière dans le plus sombre anonymat. No logo. Juste une accumulation d’objets clairement identifiables venant souligner et contester, par leur mutisme tant sonore que visuel, le « caractère fétiche de la musique », réifiée, dérivée en produits de toutes sortes et « recyclée », notamment dans l’art contemporain. Pouvez-vous revenir sur ce qui vous a motivé à réaliser cette installation dans un tel contexte? Nous sortions d’une exposition dense et complexe – « Vague Froide »2 – qui s’intéressait notamment au travail de mémoire et à la manière dont l’histoire de l’art s’écrit et tisse d’étranges fictions, perforées de vraies-fausses vérités, cousues de petits lambeaux de nostalgie, voire de mélancolie… Nous voulions projeter et travailler cette matière accumulée depuis des années, déformée par le prisme du temps et de nos propres sentiments, en faire quelque chose qui ne soit pas une (re)lecture romantique et esthétisante. Extraire de ce profond magma formes et concepts qui viendraient nourrir et éclairer les questions que nous nous posons aujourd’hui sur la possibilité de faire encore de l’art. Il y avait cette volonté de se servir de la musique – ici de la cold wave, mouvement neurasthénique, éclair et postpunk anglo-franco-américain – pour braconner sur le territoire officiel de l’exposition classique en centre d’art. Déjouer certains de ses usages, détourner ses protocoles par transfert de codes, de symboles. Nous avons posé une surface pour travailler en sous-face, cacher la forme dans le concept – le concept dans une forme leurre – ouvrant alors à des territoires et des questions plus complexes : la mainmise de l’économie et la financiarisation du monde de l’art, les notions de signature, de valeur, etc. L’emballage ressemblait à une parfaite exposition, l’intérieur moins. Nous demandions beaucoup au visiteur : du temps mais aussi une certaine résistance à ce qui était vu – au risque de ne pas être compris. Cela a été une expérience très |27 enrichissante, mais uniquement possible parce que nous contrôlions le moindre détail : de la conception à l’accrochage, en passant par les supports de communication et les éditions. Comment avez-vous adapté cette « stratégie » dans le contexte d’une exposition collective comme « Musique Plastique », qui réunissait les œuvres d’artistes ayant pour la plupart une pratique à la fois plastique et musicale ? Il est très important pour nous de travailler en fonction du contexte d’une exposition afin que notre pièce soit juste et précise – qu’elle vienne à la fois réagir à notre histoire mais aussi à celle de l’événement qui l’accueille. Quand JeanFrançois Sanz nous a proposé de participer à « Musique Plastique » nous étions alors dans une tout autre position que pour « Vague froide » : notre production serait placée au milieu d’autres œuvres que nous ne connaissions pas. Le thème nous tenait très à cœur, mais nous étions réticents quant à sa spectacularisation et l’effet très people de certains artistes sélectionnés… Il connaissait notre point de vue vis-à-vis de ce genre de manifestation. Impossible de ne pas profiter de l’occasion pour infiltrer nos positions. Nous lui avons soumis un projet détaillé en forme de manifeste, qui prenait sa source dans l’exposition, en exploitait le contenu mais en constituait en quelque sorte le trou noir, le versant obscur. Il a accepté et a judicieusement décidé de placer notre pièce en introduction/conclusion de l’exposition – entre poing levé et point d’interrogation… Il a par a ailleurs proposé de publier notre projet dans le catalogue réalisé sur le mode du fanzine. Nous avons alors remanié notre texte pour nous emparer du style de ce type de publication, provoquer, et introduire nos idées ainsi que notre manière de faire dans tous les espaces mis à notre disposition. L’ambigüité d’une stratégie d’infiltration permet-elle d’échapper à l’ « assimilation » ? N’est-ce pas risquer de se retrouver fondus dans le propos général de l’exposition ? Participer à une exposition collective, c’est de fait accepter d’être « fondu » dans le propos général du commissaire. L’infiltration est une stratégie de survie : un art en dehors de l’art est-il encore de l’art ? Nous aimons passer les frontières – dans les deux sens –, apparaître et disparaître, “Musique 1 plastique”, Galerie du jour agnès b., from 28 January to 2 April 2011. Let’s take as this interview’s point of departure the piece you showed in the “project room” at the Galerie du jour agnès b., as part of the exhibition “Musique plastique 1”. The Ultimate Exhibition of Definitive Black Rock Core! is an installation bringing together a selection of miscellaneous objects – records, posters, flyers, laptop, empties, magazines, T-shirts, DVDs, CDs, books, badges, and the like – painted in black and accordingly tumbling into the darkest anonymity. No logo. Just an accumulation of clearly identifiable things which, through their acoustic and visual silence, emphasize and dispute the “fetish-character in music”, reified, branching out as every manner of product, and “recycled”, especially in contemporary art. Could you tell us about what prompted you to produce this installation in such a context? We were winding up a dense and complex exhibition – “Vague Froide”2 [Cold Wave] – which had to do, in particular, with the work of memory and the way art history is written, and weaves strange fictions, run through by true-false truths, stitched together with little snippets of nostalgia, not to say melancholy… We wanted to protect and work that matter accumulated over years, deformed by the prism of time and our own feelings, do something with it that wasn’t a romantic and aesthetically-inclined (re)reading. Taking from that deep magma forms and concepts that would fuel and shed light on the questions we’re asking ourselves today about the possibility of still making art. There was that wish to make use of music – here cold wave, an Anglo-Franco-American neurasthenic, postpunk flash movement – to poach on the official turf of the classic show in an art centre. Thwarting some of its uses, diverting its procedures by transferring codes and symbols. We laid down a surface to be worked on the underside, hiding form in concept – concept in the form of a decoy – thus opening onto more complex territories and issues: the grip of the economy and the financialization of the art world, the notions of signature, value and so on. The packaging looked like a perfect exhibition, the inside less so. We made a lot of demands on visitors: in terms of time, but also with regard to a certain resistance to what was seen – at the risk of not being understood. That was a very rewarding experience, but only possible because we were in control of every tiny detail: from conception to hanging, by way of communication media and publications. Pierre Beloüin & P. Nicolas Ledoux The Ultimate Exhibition of Definitive Black Rock Core! | 2011 Impressions numériques, objets divers, peintures noires, bande sonore, etc. Vue de l'exposition "Musique plastique" - Galerie du jour, agnès b., Paris Crédits : Laura Morsch At the same time, the exhibition “Echoes” was held at the Centre culturel suisse in Paris. These two shows sought to describe, in very different ways, the many links between music and visual art. “ Vague froide”, 2 by Pierre Beloüin and P. Nicolas Ledoux, Wharf - Centre d’art contemporain de Basse-Normandie, from 15 October to 30 January 2011. |29 How did you adapt this “strategy” in the context of a group show like “Musique plastique”, which brought together the works of artists mostly involved in at once visual and musical activities? It’s very important for us to work in relation to an exhibition context, so that our piece will be spot-on and precise – so that it can react both to our (hi)story and to that of the event playing host to it. When Jean-François Sanz proposed that we take part in “Musique plastique”, we were at that time in a position quite different to “Vague froide”: our production would be placed in the midst of other works we weren’t acquainted with. We were very keen on the theme, but we had reservations about its spectacularization and the very celeb effect of some of the artists selected… He was aware of our point of view about this kind of event. Impossible not to make the most of the opportunity to infiltrate our positions. We submitted a detailed project to him in the form of a manifesto, which drew from the exhibition, making use of its content, but in a way representing the black hole, the dark side. He accepted the idea and wisely decided to use our piece as the introduction/conclusion to the show – somewhere between raised fist and question mark… What’s more, he suggested publishing our project in the catalogue, which was produced like a fanzine. So we reworked our test to tally with the style of that kind of publication, to be provocative, and to introduce our ideas as well as our modus operandi in all the area made available to us. Vue de l'exposition "Musique plastique" - Galerie du jour, agnès b., Paris Crédits : Laura Morsch Chemarin project (P. Nicolas Ledoux and Damien Beguet) : http:// www.ludovicchemarin.com or the Ultralab™ Does the ambiguity of a strategy of infiltration help to sidestep “assimilation”? Isn’t it risky to find yourself merged in the exhibition’s general idea? Taking part in a group show means in fact agreeing to be “merged” in the curator’s general idea. Infiltration is a survival strategy: is an art outside art still art? We like to cross boundaries – in both directions –, appearing and disappearing, poaching on institutional turf. We advocate the decoy technique, which consists in disguising a critical practice in more classical art objects, and the fact of being able to activate them when and how we want3. It’s important to occupy the performative, symbolic and “reputational” space: persisting for want of resisting – “When everybody is ‘resisting’, like today, perhaps the first step is to refuse this game, and see that Pierre Beloüin & P. Nicolas Ledoux The Ultimate Exhibition of Definitive Black Rock Core! | 2011 (détails) Impressions numériques, objets divers, peintures noires, bande sonore, etc. Ludovic 3 group’s affair with the booby-trapped boxes (which P.N.L. belongs to) : http://www. ultralab-paris. org/1999-cartons/ 30| NOUS ÉTIONS DÉJÀ MORTS DANS LES ANNÉES 80. Projet Ludovic 3 Chemarin (P. Nicolas Ledoux et Damien Beguet) : http:// www.ludovicchemarin.com ou l’affaire des cartons piégés du groupe Ultralab™ (auquel appartient P.N.L.) : http:// www.ultralabparis.org/1999cartons/ Le Monde, 4 7 avril 2006. braconner sur les territoires institutionnels. Nous prônons la technique du leurre qui consiste à dissimuler une pratique critique dans des objets d’art plus classiques, et le fait de pouvoir les activer quand et comme nous le voulons3. Il est important d’occuper l’espace performatif, symbolique et « réputationnel » : persister à défaut de résister – « Quand tout le monde «résiste», comme aujourd’hui, peut-être que le premier pas c’est de refuser ce jeu, et de voir qu’il y a une certaine façon de s’opposer qui fait partie de la machine existante », affirme Slavoj Zizek4. Le devenir design de l’œuvre d’art a pour effet de créer des « objets d’art » parfaits, inoxydables – au rapport fond/ forme imparable ; des objets autonomes et sans prise, qui formulent le plus souvent une question unique à travers une forme plastique simple et instantanée ; des objets totalement identifiés et logotypés qu’il suffit de placer au bon endroit pour servir un discours, irradier un espace, marquer un territoire. Nous préférons que cela dysfonctionne et pose problème sans forcément apporter de réponse – quitte à ce que cela se retourne contre nous. Produire de l’art, c’est produire du risque. On perd / on gagne. La partie est longue, nous sommes tenaces. Persistence is all. Pierre Beloüin & P. Nicolas Ledoux Nous étions déjà morts dans les années 80 | 2010 Pochoir 500 x 42 cm Phrase extraite de l’interview donnée par P. Nicolas Ledoux à la revue Abus Dangereux en 2009. Il se fait passer pour Christophe Demarthe, chanteur et compositeur de Clair Obscur pour tous les entretiens. Il écrit ainsi depuis quelques années, avec l’accord des musiciens, mais à l’insu des médias et du public, une histoire fictive du groupe. |31 there’s a certain way of putting up opposition which is part of the existing machine”, to borrow the words of Slavoj Zizek4. The design-in-the-making of the artwork has the effect of creating perfect, stainless objects – with an irrefutable content/style relationship; autonomous objects with no axe to grind, which usually formulate a single question through a simple and instant visual form; totally identified and logotyped objects which it suffices to put in the right place to serve a discourse, irradiate a space, mark a territory. We prefer this to dysfunction, and we pose problems without necessarily making any reply – even if it turns against us. Producing art is producing risk. You win/you lose. The game is long, and we have staying power. Persistence is all. What are your feelings about the way references to music are used by quite a lot of contemporary artists? Generally speaking, we are upset by the superficial recycling of illustrative rock material in contemporary art… No matter how subtle, honest and impartial it may be (sic). It weakens, wears out, and snuffs out all the glow of what makes the rock culture: that desperate “(no) future”, that sublime present of live music and the first time you listen to a new disk, and that past which never catches up with the present moment. Unlike art, underground music can neither reproduce itself, nor become frozen in the neutralized space of a setting, a gallery, or a museum. In the end of the day it is mainly just a matter of attitude, gesture, and noise, harder to record, in our view, than performance art which, with time, has found a language and venues for being stored and reproduced. Here there’s not much: a guitar riff or kicking a mike on the stage of a dreary auditorium in the suburbs of Manchester. Today, yesterday, ten, fifty years ago… The rest is fetish, knick-knack, merchandising. Music is being twisted to the limit to dodge its own retrieval (today, Sun O))) in abrasion, Cannibal Corps in gore, minimal techno in anonymity…). Art, at the very worst, markets its by-products and makes its mummies pay, offering itself a thrill or two; at best, it gives a bit of room to musicians – but at the price of the transformation of their instruments into one-off or limited edition art objects, which vanish in the hush of museum stacks and living rooms. Collective energy, be it in the intimacy of the recording studio or on a concert stage, cannot provide form in the neon-lit white cube. Too much light, too many clean walls. Far better to listen to Station, one of Alan Vega’s latest disks, than visit his show at the Museum of Contemporary Art in Lyon5… Le Monde, 7 4 April 2006. “Alan Vega, Infi- 5 nite Mercy”, Musée d’art contemporain de Lyon, from 15 May to 2 August Despite this critical stance, your shared and respective projects, both as artists and, as far as you, Pierre [Beloüin, ed.], are concerned, as producer with the Optical Sound label, attest to your interest in the “musical thing”… Spare the rod and spoil the child… We’re coming from music – be it as fans since our discovery, as teenagers, of the post-punk scene/new & cold wave/ industrial & experimental (which has almost always been associated with the visual arts), or as people nowadays involved with the Optical Sound label6 and the magazine Out of Nowhere, in the 1990s. It’s this “transdisciplinarity” that interests us. A culture that goes beyond the media – disks, videos, installations, drawings, live music – and the divisions between the different artistic and musical territories. I [Pierre Beloüin, ed.] am at once an artist and an artistic director. I [P. Nicolas Ledoux, ed.] handle sound, images, instruments, drawings in the same way… We’re more interested in the range of a gesture in a given context – be it made by a musician or a visual artist: the works of Robert Malaval and Steven Parrino seem to us to reveal less of their talent and their influence than their attitude and the relationship they have with the art world. Lastly, there’s punk, but that was back in ’76. Nowadays, it’s a bit pathetic… Our sources often come from hybrid artists like Mike Kelley, Claude Lévêque, and so on. We work like musicians, solo, as a duo, or as a group, and everyone can have a different place based on their skills and affinities. We are attuned to this way of working, often experimental and generous. We like this culture of energy and spontaneity. translated by Simon Pleasance & Fronza Woods 2009. http://www. 6 optical-sound. com/ 32| « Alan Vega, 5 Infinite Mercy », Musée d’art contemporain de Lyon, du 15 mai au 2 août 2009. http://www. 6 optical-sound. com/ Quel est votre sentiment sur la manière dont les références à la musique sont utilisées par nombre d’artistes contemporains ? D’un point de vue général, nous nous désolons du recyclage superficiel de l’iconographie rock dans l’art contemporain… Aussi subtil, honnête et désintéressé soit-il (sic). Il affaiblit, use, éteint toute l’incandescence de ce qui fait la culture rock : ce (no) futur désespéré, ce présent sublime du live ou de la première écoute d’un nouveau disque, et ce passé qui ne rattrape jamais l’instant présent. La musique underground, contrairement à l’art, ne peut ni se reproduire, ni se figer dans l’espace neutralisé d’un cadre, d’une galerie, d’un musée. Il n’est finalement et principalement question que d’attitude, de geste, de bruit, plus difficiles à enregistrer selon nous que l’art de la performance qui, avec le temps, a trouvé un langage et des espaces destinés à être archivés et reproduits. Ici, peu de choses : un riff de guitare ou un coup de pied dans un micro sur la scène d’une salle glauque de la banlieue de Manchester. Aujourd’hui, hier, il y a dix ans, cinquante ans… Le reste, c’est du fétiche, de la babiole, du merchandising. La musique se tord jusqu’à l’extrême pour échapper à sa propre récupération (aujourd’hui Sun O))) dans l’abrasion, Cannibal Corps dans le gore, la techno minimale dans l’anonymat…). L’art, au pire, commercialise ses produits dérivés et rentabilise ses momies pour se donner quelques frissons ; au mieux, donne un peu d’espace à des musiciens – mais au prix de la transformation de leurs instruments en objets d’art à tirage unique ou limité qui disparaissent dans le silence des réserves des musées ou des salons. L’énergie collective, que ce soit dans l’intimité du studio d’enregistrement ou sur la scène de concert, ne peuvent donner forme dans le white cube éclairé au néon. Trop de lumière, trop de murs propres. Mieux vaut écouter Station, l’un des derniers disques d’Alan Vega, que de visiter son exposition au Musée d’art contemporain de Lyon5… Malgré cette posture critique, vos projets communs et respectifs, à la fois en tant qu’artistes et, en ce qui te concerne Pierre [Beloüin ndlr], comme producteur au sein du label Optical Sound, témoignent de votre intérêt pour la « chose musicale »… Qui aime bien châtie bien… Nous venons de la musique – que ce soit comme fans depuis notre découverte à l’adolescence de la scène post-punk / new & cold wave / industrielle & expérimentale (qui a quasiment toujours été liée aux arts plastiques), ou comme acteur aujourd’hui du label Optical Sound6� et de la revue Out of Nowhere, dans les années 90. C’est cette « transversalité » qui nous intéresse. Une culture qui dépasse les supports – disques, vidéos, installations, dessins, live – et les clivages entre les différents territoires artistiques et musicaux. Je [Pierre Beloüin ndlr] suis à la fois artiste et directeur artistique. Je [P. Nicolas Ledoux ndlr] manipule de la même façon son, images, instruments, dessins… Nous nous intéressons plus à la portée d’un geste dans un contexte donné – qu’il soit effectué par un musicien ou un plasticien : les œuvres de Robert Malaval ou de Steven Parrino nous semblent moins révélatrices de leur talent ou de leur influence que de leur attitude et du rapport qu’ils entretenaient avec le monde de l’art. Finalement, le punk, c’était bien en 76. Aujourd’hui, c’est assez pathétique… Nos sources proviennent souvent d’artistes hybrides comme Mike Kelley, Claude Lévêque, etc. Nous travaillons comme des musiciens, en solo, en duo ou en groupe, chacun pouvant occuper une place différente en fonction de ses compétences et affinités. Nous sommes sensibles à cette manière de travailler, souvent expérimentale et généreuse. Nous aimons cette culture de l’énergie et de la spontanéité. |33
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