Le théâtre de la boxe Genèse et développement de la boxe

Transcription

Le théâtre de la boxe Genèse et développement de la boxe
Le théâtre de la boxe
Genèse et développement de la boxe
professionnelle à Londres à la fin du
XIX e siècle.
Présenté et soutenu par
Sylvain VILLE
Sous la direction de
Gildas LOIRAND (maître de conférences)
Soutenu en septembre 2012
Master 2 de sociologie (mention recherche) « Les recompositions du monde contemporain»
(Université de Nantes, UFR de sociologie)
Année universitaire 2011-2012
« Je voudrais que les jeunes sociologues prennent, sur leurs années d’apprentissage, le temps
nécessaire pour étudier, même dans le plus modeste des dépôts d’archives, la plus simple des
questions d’histoire, qu’ils aient, une fois au moins, hors des manuels stérilisants, un contact
avec un métier simple, mais que l’on ne comprend qu’à le pratiquer - comme tous les autres
métiers sans doute. Il n’y aura de science sociale, à mon sens, que dans une réconciliation,
une pratique simultanée de nos divers métiers. Les dresser l’un contre l’autre, chose facile,
mais cette dispute se joue sur de bien vieux airs. C’est d’une musique nouvelle que nous
avons besoin ».
Fernand Braudel, Écrits sur l’histoire, Flammarion, Paris, 1969, p 120.
Remerciements
Je voudrais d'abord remercier Gildas Loirand pour avoir dirigé ce travail. Sa disponibilité et
ses conseils m'ont beaucoup aidé pour réaliser ce mémoire, tout particulièrement pour sa
relecture minutieuse avant la réécriture.
Je voudrais également exprimer ma gratitude envers Manuel Schotté pour ses nombreux
conseils ainsi que pour ses relectures.
Enfin, je suis très reconnaissant envers l’université De Montford à Leicester et plus
particulièrement envers Neil Carter, Richard Holt, James Panther et Matthew Taylor de
m’avoir accueilli. L’arrivée en Angleterre et les premiers pas dans cette recherche ont été
beaucoup facilités. Le suivi des enseignements, les discussions engagées et leurs conseils
m’ont beaucoup aidé pour réaliser ce travail.
Table des matières
Introduction : .............................................................................................................................. 1
Partie 1 : L’organisation de l’espace pugilistique entre 1885 et 1889 ........................................ 8
a) Avant 1885 : la boxe une pratique sans unité ..................................................................... 8
b) Le tournant de 1885 : la création de la PBA. ................................................................... 18
c) La « société mutuelle » des boxeurs. ............................................................................... 21
d) Le développement de la PBA et son action sur l’organisation de la boxe. ...................... 29
1) Le nombre de membres de la PBA ............................................................................................. 29
2) Les élites de la boxe : le cumul du pouvoir symbolique et économique. ................................... 33
3) Une mission d’assistance pour les boxeurs dans le besoin ........................................................ 41
4) Une PBA autonome financièrement. ......................................................................................... 43
5) Le relais médiatique de la PBA .................................................................................................. 46
e) Les actions de la PBA pour structurer l’espace pugilistique. ........................................... 47
f) Des règles internes qui s’externalisent ............................................................................ 49
Partie 2 : Le professionnalisme pugilistique par la boxe spectacle en 1889 ............................ 55
a) Où combattre ? Les « salles » de boxe. ............................................................................ 56
1) Un problème de définition ......................................................................................................... 56
2) Salles « professionnelles » ou « amateurs » ? ........................................................................... 57
3) Esquisse d’une géographie sociale des salles ............................................................................ 59
4) Salle sportive ou salle spectacle ? Une différence faite par les organisateurs. ......................... 63
b) Pour quoi combattre ? L’enjeu des combats ou le brouillage des frontières amateurs /
professionnels. ...................................................................................................................... 64
1) La question des enjeux .............................................................................................................. 64
2) La question des statuts : amateurs et professionnels. .............................................................. 69
c) De quel droit organiser des combats ? Légiférer une part du spectacle pugilistique. ...... 74
d) Comment combattre ? Des formes de pratiques particulières......................................... 83
e) Devant qui combattre ? Quelques données sur les spectateurs. ....................................... 89
Conclusion :.............................................................................................................................. 96
Bibliographie ............................................................................................................................ 99
Introduction :
Les ouvrages généralistes français sur la boxe1, de même que les travaux spécialisés2,
s’accordent à considérer la fin du XIXe siècle comme une période cruciale de la structuration
de ce sport en Angleterre. De même, les études anglo-saxonnes, aussi bien celles portant sur
cette période que celles portant sur l’apogée de la boxe en Angleterre (l’entre-deux-guerres)3,
reconnaissent elles aussi que cette phase est déterminante. Il y a donc un consensus général
sur l’importance des deux dernières décennies du XIXe siècle dans l’histoire de la boxe outreManche.
Pourquoi cette période est-elle si importante ? A la lecture des travaux des historiens,
il est clair qu’une évolution majeure a lieu à cette époque : le « prize-fighting » décline au
profit de l’officialisation (et de l’ascension) de la « boxe »4. En résumé, le premier est un
affrontement entre deux hommes à mains nus et qui prend fin lorsqu’un ou les deux hommes
est/sont au sol ; les rounds pouvant durer de quelques secondes à plus de trente minutes, et le
nombre de rounds pouvant excéder les 2005. Le « prize-fighting » est interdit par la loi et donc
risque d’être arrêté par la police. De ce fait, les lieux de combat sont relativement secrets6, ce
qui conduit cette pratique à perdre sa notoriété à la fin du XIXe siècle. Selon S. Shipley, à
partir de 1880, « les prizefights avaient toujours lieu dans tout le pays, mais leur prestige avait
disparu et la couverture de presse s'était arrêtée sur une nouvelle race de héros qui
s’affrontaient dans des rounds de trois minutes et qui portaient des gants de six onces »7. Ces
héros, ce sont les boxeurs.
1
Par exemple CANGIONI, Pierre, La fabuleuse histoire de la boxe, La Martinière, Paris, 1996.
Par exemple LOUDCHER, Jean-François., « Le processus de sportivisation de la boxe anglaise : le cas de
l’étude temporelle des combats à poings nus (1743- 1867) », Movement & Sport Sciences, n°65, p 93- 106, 2008.
3
Voir par exemple les deux articles de Matthew TAYLOR : « Round the London Ring: Boxing, Class and
Community in Interwar London », London Journal, n° 34, p 139- 162, 2009 et « Boxers United: Trade Unionism
in British Boxing in the 1930s », Sport in history, 29: 3, p 457- 478, 2009.
4
Sur ce sujet voir BRAILSFORD, Dennis, Bareknuckles. A social History of Prize-Fighting., Lutterworth Press
Cambridge, 1988 et FORD, J., Prize-fighting: the age of regency boximania., David & Charles, 1971.
5
Chaque round prenant fin dès lorsqu’au moins un des deux combattants soit au sol. Pour une description
complète des règles du prize-fighting, voir Ford, p 102 à 118.
6
Les quotidiens sportifs qui annoncent les rencontrent affirment que l’évènement a lieu « à proximité de
Birmingham » par exemple.
7
SHIPLEY, S., « Boxing », in Tony Mason, (dir), Sport in Britain: A social history, Cambridge, 1989, p 79.
Traduis par nos soins. Toutes les traductions réalisées au cours de ce mémoire ont été faites par nos soins, sauf
en cas de mention contraire.
2
1
Pourtant, bien que les historiens reconnaissent la fin du XIXe siècle comme étant une période
fondamentale, celle-ci est finalement assez peu étudiée ; le déclin du « prize-fighting » au
profit de la boxe est en fait le seul phénomène commenté. Les auteurs s’accordent pour
expliquer l’engouement pour la boxe par sa progressive légalisation. Selon eux, la boxe a été
autorisée à la suite de transformations règlementaires : elle est légalisée par le port de gants et
la standardisation de la durée des rounds et de leur nombre. La boxe (actuelle) serait donc
devenue légale à la suite de l’adoption généralisée des règles du Marquis de Queensberry, qui
édictent ces changements, en 1891. La fin du XIXe siècle est donc vue comme une période
cruciale dans l’histoire de ce sport, en raison notamment de ces transformations
règlementaires.
Pourtant, sans nier l’importance de ces aspects, d’autres changements semblent tout
aussi importants à cette époque et ne sont presque jamais mentionnés. Il s’agit du passage au
professionnalisme en boxe8 et des prémisses de la boxe comme sport spectacle. Shippley
souligne, à ce propos, que « dans les années 1890, la boxe professionnelle est montée en
flèche (« boomed ») »9 et « qu’entre 1887 et 1900, la boxe a déserté les maisons publiques
(« publics-houses ») au profit de petits « halls » dotée d’une plus grande capacité
d’accueil »10. Néanmoins, si ces (rares) auteurs11 pointent ces évolutions majeures, aucun
d’eux ne les prend pour objet d’étude. Dans deux articles différents, qui contiennent chacun
une sous-partie intitulée « boxe professionnelle », Shipley commente les conséquences de
l’arrivée du professionnalisme (l’augmentation des bourses notamment) sans pour autant en
retracer sa genèse et les conséquences de son imposition.
De ce fait, certaines particularités de la boxe anglaise ne sont jamais étudiées. La Professional
Boxing Association (PBA), institution regroupant près de deux cents membres en 1889, dont
les boxeurs et organisateurs de matches les plus connus de l’époque, n’est mentionnée dans
aucun texte. De même, les « salles de boxe », qui regroupent parfois des clubs, parfois des
théâtres, parfois des music-halls ne sont pas non plus analysées. Enfin, les enjeux des
combats, prenant la forme tantôt d’objets (services à thé, nappe, médailles etc.) tantôt de
sommes financières directes, ne sont à aucun moment questionnés.
8
On ne s’intéresse plus ici au prize-fighting.
SHIPLEY, Stan: « Tom Causer of Bermondsey: A Boxer Hero of the 1890s », op. cit.. p 43.
10
SHIPLEY, Stan, « Boxing », op. cit., p 91.
11
Shipley était mentionné à titre d’exemple, BRAILSFORD, Dennis, Bareknuckles, op. cit., tient des propos
similaires, notamment dans son dernier chapite intitulé « Les derniers jours du “bareknuckle ” ». Ce dernier mot
n’est pas traduisible, il désigne un ensemble de pratiques comprenant la boxe et ses dérivés.
9
2
Finalement à la lecture de ces travaux, d’une part, tout se passe comme si, à cette époque, le
secteur « professionnel » était parfaitement délimité et que les statuts « amateurs » et
« professionnels » étaient bien distincts. Le professionnalisme aurait, lui, toujours plus ou
moins existé, sous des formes variables. Shipley va même jusqu’à affirmer que la « popularité
de la boxe professionnelle explose dans les années 1790 »12, soit à la fin du XVIIIe siècle,
comme si elle existait déjà à ce moment, et même avant cela13.
D’autre part, tout se passe comme si la mise en spectacle de la boxe s’était auto-réalisée, de
manière « désincarnée » c’est-à-dire sans qu’aucun acteur n’intervienne, sans que cela résulte
d’un processus échelonné dans le temps.
En réalité, il s’avère que ces phénomènes sont bien plus complexes qu’ils n’y paraissent et
qu’ils doivent être étudiés en profondeur si l’on veut comprendre la genèse de la boxe
professionnelle en Angleterre14. En effet, le professionnalisme en boxe n’a pas toujours existé.
Affirmer, comme le fait Shipley, qu’il y a, en boxe, des professionnels avant 1790, c’est céder
à « l’illusion du “ toujours- pareil ” »
15
dénoncée par J-C Passeron. Selon nous, la boxe
londonienne de la fin du XIXe siècle se caractérise par le détachement progressif des
professionnels et de l’amateurisme. Plus précisément, nous faisons l’hypothèse que la
structuration de la boxe londonienne à la fin du XIXe siècle ne peut être comprise qu’en tenant
ensemble l’accès au professionnalisme et la mise en spectacle de l’activité. En effet, c’est la
spectacularisation de ce sport qui a permis, progressivement, aux boxeurs de se défaire des
amateurs. En sortant des lieux d’organisation proprement sportifs encodés par l’amateurisme,
certains boxeurs ont finalement acquis la possibilité de devenir des professionnels. Cette
orientation vers le secteur du « spectacle », et donc vers le professionnalisme, n’est pas
planifié par les boxeurs eux-mêmes. Elle est rendue possible par l’intermédiaire des membres
de la Professionnal Boxing Association (PBA) qui cherche en premier lieu à promouvoir la
boxe professionnelle à grande échelle et à s’affranchir de l’amateurisme.
Pourtant, il ne s’agit pas ici de faire la sociologie de la genèse d’un groupe professionnel,
celui des boxeurs. Le recours à la sociologie des professions ou à la sociologie du travail n’est
donc pas premier. La démarche comme celle proposée par Andrew Abbott16, de même que
12
Nos italiques. SHIPLEY, Stan, « Boxing », op. cit., p 78.
Pourtant à cette époque, les pratiques restent peu codifiées, les « professionnels » comme les nomment Shipley
sont en fait des « prize-fighters » qui perçoivent de l’argent pour quelques combats. Ils n’ont que peu de choses à
voir avec les boxeurs de la fin du XIXe siècle, comme nous allons le voir.
14
Dans cette étude, nous nous sommes concentrés sur le cas londonien.
15
PASSERON, J-C., « Attention aux excès de vitesse. Le « nouveau » comme concept sociologique », Revue
Esprit, spécial n°4, Paris, 1987, p 130.
16
ABBOTT, Andrew, The system of professions. An essay on the Division of Expert Labour, University of
Chicago Press, Chicago-Londres, 1988.
13
3
celle de la « sociologie des professions »17 en général, consiste à partir d’une définition
préétablie de ce qu’est le travail ou ici un « professionnel ». Dans le cadre de cette étude, cette
posture est à la fois un obstacle empirique (comment différencier, dans les archives, un
« boxeur professionnel » d’un « boxeur amateur » ?) et théorique puisque dans la « sociologie
des professions », le qualificatif de « profession » est un enjeu de lutte18. Quoi qu’il en soit,
l’analyse de nos différentes archives pointe la porosité des frontières et la complexité du
« professionnalisme » existant en boxe : des « amateurs » et des « professionnels » qui
combattent les uns contre les autres, des combats où les « professionnels » s’affrontent sans
enjeu financier ou à l’inverse des « amateurs » qui prennent part à des événements en échange
d’une rétribution financière. La diversité des situations rencontrées montre donc
l’impossibilité de partir avec une définition préétablie sur un objet d’étude et la volonté
assumée de ne pas partir de nos propres catégories de pensée, contrairement à la démarche
employée par la « sociologie des professions ». Ainsi, comme le souligne Boltanski, « il faut
commencer par renoncer à donner une “définition préalable” du groupe et prendre pour objet
la conjoncture historique dans laquelle les cadres [ici les boxeurs professionnels] se sont
formés en groupe explicite, doté d’un nom, d’organisations, de porte-parole, de systèmes de
représentations et de valeurs »19.
Ce travail de recherche vise donc à étudier cette conjoncture historique afin de comprendre
comment l’émergence de la boxe professionnelle est devenue possible. Pour cela, nous nous
sommes centrés sur le cas londonien et sur les deux dernières décennies du XIXe siècle.
Une lecture de la presse sportive d’avant 1885 montre que, jusqu’à cette période, la
boxe professionnelle demeure une pratique plus ou moins clandestine, relativement peu
rémunératrice pour les boxeurs et surtout très faiblement institutionnalisée. Mais à partir de
1885, la création de la « Professionnal Boxing Association » va contribuer, sous l’action de
ses membres, à organiser progressivement l’espace pugilistique londonien. La première partie
de notre étude sera consacrée à la genèse de cette institution. Nous avons en effet retracé les
transformations de ce groupement depuis 1885, date de sa création, jusqu’à 188920. La PBA
est une institution dont les « missions » sont nombreuses et variées. Elle fait office de
17
Les présentes réflexions valent prioritairement pour la « sociologie des professions » au sens strict et des
travaux qui en utilisent le « label ».
18
En effet, quels que soient les courants, le concept de profession est formalisée en mettant l’accent tantôt sur les
savoirs professionnels, tantôt sur les contenus du travail ou encore les protections dont bénéficient les
professions etc. L’opposition la plus célèbre concerne d’un côté les interactionnistes et de l’autre les
fonctionnalistes, voir CHAMPY, Florent, La sociologie des professions, PUF, Paris, 2009.
19
BOLTANSKI, Luc, Les cadres. La formation d’un groupe social, Minuit, Paris, 1982, p 51.
20
Ce « choix » sera explicité plus loin.
4
syndicat, d’organe de gouvernance du sport ou encore de société amicale 21. Cette structure
regroupe entre 60 et 200 membres de 1885 à 1889, parmi lesquelles les boxeurs et les
organisateurs de combats les plus célèbres. Notamment grâce aux propriétés sociales de ses
membres, cette institution va disposer des ressources nécessaires pour étendre son action et
ainsi bouleverser la boxe professionnelle. En effet, la PBA va unifier les pratiques
pugilistiques, promouvoir l’organisation de combats de boxe et restreindre l’intervention de la
police, inciter les organisateurs de combats à augmenter les enjeux des matches etc. Toutes
ces mesures vont contribuer à démarquer progressivement la boxe professionnelle de la boxe
amateur qui est, elle, sous l’autorité de l’Amateur Boxing Association (ABA) créée en 1880.
L’espace pugilistique « professionnel » ayant été organisé et « standardisé » par la PBA, la
mise en spectacle de l’activité devient pensable et réalisable pour les organisateurs de
combats, qui sont majoritairement membres de la PBA. En effet, ces derniers vont
promouvoir la boxe à grande échelle et se défaire de l’amateurisme, de ce fait, c’est la
naissance du professionnalisme pugilistique par la boxe-spectacle qui apparaît à ce moment.
Ce dernier aspect est l’objet de notre deuxième partie.
Avant toute chose, l’étude des relations entre la boxe et le monde du spectacle
nécessite de préciser ce que recouvre cette dernière notion. Le terme spectacle, comme celui
de spectacularisation ou de mise en spectacle, sont récurrents dans notre propos. Nous
n’opterons pas pour une définition « engagée » qui viserait à dénoncer « une société du
spectacle », comme peut le faire Guy Debord22 dans son célèbre ouvrage23. Nous n’opterons
pas non plus une définition précise et limitative24. Tout au long de cette étude, le spectacle
sera simplement envisagé comme un phénomène complexe et très large. La spectacularisation
de la boxe, c’est-à-dire sa mise en spectacle, sera comprise à partir des actions des individus,
des formes de pratique et des lieux dans lesquels elle se déroule (music-halls ou théâtres).
Notre souci est moins de savoir si la boxe doit être rangée ou non avec les pratiques de
spectacles traditionnels que d’étudier un processus mis en jeu qui rapproche la boxe du théâtre
par exemple, en lui empruntant ses lieux, ses acteurs et en optant pour des formes de pratiques
où le « show » cohabite, jusqu’à parfois l’emporter, sur la dimension purement sportive.
21
Nous paraphrasons BRAILSFORD, Dennis, Bareknuckles, op. cit., p. 98 lorsqu’il évoque la Pugilistic
Benevolent Association, ancêtre de la PBA.
22
DEBORD, G. La société du spectacle, Gallimard, Paris, 1992.
23
CHARLE, Christophe, Théâtres en capitales. Naissance de la société du spectacle., Albin Michel, Paris, 2008,
parle même d’un « ingénieux patchwork idéologique » (p. 8) à propos de ce livre.
24
Comme le souligne Boltanski, il faut mesurer les « difficultés quasi insurmontables auxquelles se heurte le
travail de définition et l’établissement de critères “ objectifs” », BOLTANSKI, L., Les cadres, op.cit., p 49.
5
La démarche engagée ne vise donc pas à juger de la légitimité de la boxe comme pratique de
spectacle mais à éclairer le processus historique de structuration d’une pratique, à l’aide de
données empiriques systématisées. Pour cela, nous avons pris pour base l’année 1889, qui
n’est pas marquée par un événement particulier, mais qui se situe au milieu d’une période
importante du développement de la boxe en Angleterre25. Le processus de spectacularisation a
alors pu être objectivé à plusieurs niveaux, parmi lesquels ont été retenus: l’organisation des
« salles »26, les enjeux des combats, la législation de l’organisation des spectacles de boxe, les
formes de pratiques proposées et enfin les spectateurs assistant aux évènements. Chacun de
ces éléments va caractériser à sa manière la mise en spectacle de l’activité. La boxe est alors
en pleine expansion, comme l’indique l’augmentation du nombre de « salles », de spectateurs
et d’argent circulant dans l’activité. La logique même de l’activité va en être modifiée. En
effet, les organisateurs ont pour souci premier de maximiser les profits économiques. Aussi,
la logique économique (rendre l’évènement rentable par exemple) supplante-t-elle la logique
sportive (gagner un combat par exemple). Cette démarche va avoir pour conséquence la mise
en équivalence économique du travail des boxeurs. La valeur donnée à leur travail dépend de
deux déterminants : vaincre leur adversaire et attirer le plus de spectateurs possibles. Ces
critères servent à évaluer leurs « performances », aussi bien sportives que « spectaculaires ».
C’est bien la combinaison de la logique du spectacle et de la logique sportive qui va
déboucher sur le professionnalisme pugilistique et ainsi permettre aux boxeurs de vivre de
leur pratique. De ce fait, les frontières entre amateurs et professionnels se dessinent-elles
progressivement. En proposant des formes de pratiques particulières, dans des lieux
spécifiques, organisées par des individus influents, la boxe « professionnelle », va accroître sa
notoriété tout en s’écartant progressivement de la boxe amateur. On peut alors conclure qu’il
n’existe de « marché » de la boxe qu’en raison de la mise en spectacle de ce sport par les
organisateurs de matches, dont une part importante est membre de la PBA. Ces processus
montrent bien que la boxe est une activité dont la genèse se situe littéralement à la croisée du
sport et du spectacle.
Par ailleurs, et pour conclure ce cadre introductif, précisons que l’étude de l’accès au
professionnalisme et de la mise en spectacle de la boxe ne peut se faire qu’en modifiant la
25
Le choix de cette année en particulier est le résultat d’une erreur de compréhension d’un texte de Shipley. Ne
maîtrisant pas encore l’anglais à notre arrivée en Angleterre, nous avons cru que l’auteur considérait l’année
1889 comme l’année de professionnalisation de la boxe.
26
Le mot « salle » nécessite des guillemets car il s’agit de toute évidence d’un terme générique qui regroupe des
réalités très différentes. Nous reviendrons plus loin sur ces précisions.
6
démarche d’enquête employée par les auteurs cités précédemment. En effet, il s’agit de
décentrer le regard de la boxe pour le porter sur des transformations sociales et
institutionnelles annexes27. Cela implique donc de sortir des archives proprement sportives
(Shipley s’appuie essentiellement sur des quotidiens sportifs) pour s’orienter vers des archives
dites « périphériques ». Comprendre les rapports entre la boxe et le monde du spectacle, ce
n’est pas seulement regarder les archives du sport, c’est également étudier les archives du
monde du spectacle pour observer si la boxe y est présente ou non. Qu’elle soit présente ou
absente est déjà un renseignement notable : présente, la boxe peut donc être considérée
comme intégrée aux activités de spectacle, absente, la boxe peut être considérée comme
exclue du monde du spectacle.
La recherche envisagée est donc fortement empirique et repose aussi bien sur les archives
« sportives » que sur les archives du « spectacle ». Elle mêle, outre la « littérature grise », les
archives de presse (notamment du quotidien The Sporting Life), les archives
« architecturales » (portant sur les établissements accueillant la boxe à Londres), les archives
du monde du spectacle (notamment sur l’attribution des licences aux établissements), les
archives « sportives » (par exemple le dossier consacré à l’Amateur Boxing Association) et
les archives de la police (rapportant les évènements pugilistiques et les spectateurs). A l’appui
de ces différentes sources, la boxe a pu être appréhendée différemment des précédents
historiens de la boxe de cette période. Les transformations institutionnelles voire même
sociales ont été privilégiées aux mutations techniques ou matérielles. C’est bien un
changement de regard qui est proposé ici, à l’aide d’archives rarement mentionnées dans les
travaux sociologiques ou historiques sur la boxe.
27
Ce genre d’affirmation s’écarte de celle de Shipley lorsqu’il évoque – sans preuve empirique - des
transformations très générales (hausse du salaire des classes populaires par exemple) pour expliquer
l’accroissement du nombre de spectateurs en boxe.
7
Partie 1 : L’organisation de l’espace
pugilistique entre 1885 et 1889
a) Avant 1885 : la boxe, des pratiques sans unité
Les origines de la boxe anglaise, telle qu’elle se présente aujourd’hui, sont très
complexes à dater. Si certains auteurs, comme C. Pociello28, évoquent le XVIe siècle, il
semble préférable de différencier les pratiques de cette époque qui relèvent de combats à
mains nus, de la « boxe ». Cette dernière adopte ses premières règles au XVIIIe siècle. Ainsi,
pour Shipley29, le XVIIe et le XVIIIe siècle en Angleterre ne sont pas les siècles de la boxe
mais les siècles du « bare-knuckle » et du « prizefighting »30. Ces pratiques, illégales, sont
particulièrement violentes (voir encadré) et existent surtout en raison des paris (encadré 2) qui
sont organisés autour d’eux.
Encadré
Le déclin du « prize-fight » au profit de l’ascension de la boxe anglaise est un phénomène
très commenté, notamment par les historiens britanniques. Les explications sont souvent
d’ordre réglementaire (voir infra) et toute interprétation plus générale est le plus souvent
exclue. Le cas échéant, c’est la théorie d’Elias et Dunning31 qui est alors convoquée. En effet,
le déclin du « prize-fighting », activité violente et peu codifiée, s’inscrirait dans le processus
de civilisation imposant une diminution de la violence autorisée et la standardisation des
pratiques sportives. Ici, n’ayant pas spécialement étudié la question, nous pouvons
mentionner qu’une simple piste de recherche à mener. Celle-ci consisterait à s’interroger sur
la standardisation du « prize-fighting », au regard de la progressive mise en spectacle de
l’activité. Il est en effet possible de voir le déclin du « prize-fighting » au profit de la boxe
comme le résultat des exigences de la mise en spectacle de l’activité. La boxe, en tant
28
POCIELLO, Christian, (dir), Sport et société. Approche socio-culturelle des pratiques, Vigot, Paris, 1981.
SHIPLEY, Stan, « Boxing », op. cit.
30
Sur ces pratiques, voir BRAILSFORD, Dennis, Bareknuckles, op. cit. et FORD, John, Prize-fighting: the age
of regency boximania., David & Charles, 1971.
31
ELIAS, N. et DUNNING, E., Sport et civilisation. La violence maîtrisée, [1986], Paris, Fayard, 1994.
29
8
qu’activité de spectacle, doit répondre à certaines contraintes : minimiser « l’ennui » des
spectateurs (par la durée d’un round ou la durée d’un match), établir un temps limite (le
« prize-fighting » peut durer plusieurs jours), dans un lieu connu de tous (lors d’un « prizefight », les indications sont souvent très vagues) etc. Or, l’ascension de la boxe au XIXe
siècle se fait de manière concomitante à l’accroissement des spectacles boxe et plus
généralement des premiers spectacles sportifs anglais32. Par conséquent, à l’aide d’une étude
précise sur le second XIXe siècle, où la boxe supplante le « prize-fighting », il serait
intéressant de mettre en question la standardisation de l’activité comme réponse aux
exigences de sa mise en spectacle plutôt que comme inscription du processus de civilisation.
Cette hypothèse nécessiterait bien sûr d’être validée empiriquement.
Encadré 2 : les paris
Cette question des paris est un élément crucial dans l’histoire de la boxe. Tout au long de
notre étude, et notamment dans la presse, nous avons décelé des bribes d’informations les
concernant. Toutefois, et bien que tout porte à croire que les paris contribuent à encrer la
boxe dans le monde du spectacle, il n’a pas été possible de les analyser. En effet,
l’organisation autour des « bookmakers », véritables professionnels des paris, est très
complexe. Une étude pleinement consacrée à leur organisation est a priori nécessairement
pour comprendre leur importance dans le monde de la boxe. Contrairement à la France où le
fonctionnement des paris est sous contrôle de l’Etat, à Londres, ils sont organisés par les
bookmakers, qui semblent eux-mêmes très proches des organisateurs. Dans The Sporting
Life, les détails donnés sur ce sujet sont relativement rares et ne sont pas intelligibles pour un
profane. Malgré tout, afin de caractériser l’importance de ce phénomène, nous pouvons
mentionner que, dans plusieurs articles de presse relatant des combats importants, la
« bourse » du combat est parfois presque confondue avec les enjeux des paris. Tout se passe
alors comme si la provenance des sommes d’argent engagées est secondaire. Qu’elles soient
issues des paris ou des recettes du nombre et du prix de l’entrée, le montant remporté par le
boxeur
se
caractérise
plus
par
son
montant
que
par
sa
provenance.
En tous les cas, ce bref exemple rend compte du pouvoir des bookmakers, ceux-ci paraissent
tenir un rôle clef dans la structuration de la boxe professionnelle du Londres de la fin du
XIXe siècle.
32
MASON, (dir), Sport in Britain: a social history., Cambridge University Press, 1989.
9
La création de la boxe (dans sa codification actuelle) se fait donc plus tardivement, laissant le
temps à une codification plus poussée et reposant sur une structure rappelant les autres sports :
compétitions organisées, lieux de pratique définis, arbitre chargé de faire respecter les
décisions etc. Le XIXe siècle est donc un moment central : les règles du Marquis de
Queensberry sont édictées en 1865, et deviennent obligatoires pour tous les combats en 1891.
Ce siècle peut ainsi être considéré comme une phase déterminante de la construction de
l’espace pugilistique, dont les moments les plus importants ont lieu dans les quarante
dernières années. D’un point de vue « fédératif »33, la Pugilistic Benevolent Association34 est
créée en 1852 mais ne sera réellement active que dans les années 1860 ; la Amateur Boxing
Association (ABA) est, elle, créée en 188035 et la Professional Boxing Association en 1885.
Chacune de ces structures36 contribue à redessiner les modalités de pratique pugilistique et à
clarifier progressivement ce qui relève de la boxe et ce qui relève du prize-fighting ou d’autres
formes encore moins codifiées. Néanmoins, jusqu’à la Professionnal Boxing Association (et
non la Pugilistic Benevolent Association), la dimension professionnelle est assez peu définie.
Si le professionnalisme existe c’est en représentant ce que l’amateurisme n’est pas. En effet,
en 1880, la ABA - qui semble avoir beaucoup de pouvoir et diriger le monde pugilistique de
l’époque- fixe une définition de l’amateur :
Définition d’un amateur37
1. Un amateur est quelqu’un qui n’a jamais pris part pour un prix en argent, pour un pari
financé, ou un pari déclaré; qui n'a rivalisé avec ou contre un professionnel pour aucun prix
(sauf avec la mention formelle de l'A. B. A.) et qui n'a jamais enseigné, poursuivi, ou aidé
dans la pratique d'exercices sportifs dans le but d'obtenir un gagne-pain ou un gain pécuniaire.
Toutes ces informations nous amènent donc à rejoindre Shipley pour convenir que la décennie
de 1880 est une période cruciale dans l’histoire de la boxe en Angleterre. Or, au début des
années 1880, il s’avère que le professionnalisme se fait de plus en plus visible, alors qu’il
n’est pas représenté par une « association ». Tout se passe comme si jusqu’à l’année 1885, la
33
Nous avons choisi ici cet anachronisme volontairement car il nous semble le plus approprié pour décrire les
principales fonctions des institutions qui suivent. Sur l’usage de l’anachronisme en histoire, voir LORAUX,
Nicole, « Éloge de l’anachronisme en histoire », in Le Genre humain, « L’ancien et le nouveau », n° 27, Éditions
du Seuil, Paris, p 23- 39, 1993.
34
Sur cette institution voir les rares passages dans BRAILSFORD, Dennis, Bareknuckles, op. cit.
35
Elle regroupe alors 45 clubs et dispose d’une balance financière de 2 000 £. Voir le dossier dans les archives
municipales de Londres: “articles, bye-laws and rules of the Amateur Boxing Association”/ 1885/ NA/ MEPO 2.
36
Dans cette recherche, c’est la seconde PBA qui a été étudiée.
37
“Articles, bye-laws and rules of the Amateur Boxing Association”, op. cit.
10
boxe professionnelle demeure une pratique plus ou moins clandestine, peu rémunératrice pour
les boxeurs et surtout très faiblement structurée et institutionnalisée.
Pour objectiver cela, une lecture minutieuse du Sporting Life38 concernant le mois de
janvier 1885 donne un indice de la moindre importance de la boxe par rapport à 1889. Il s’agit
bien d’un indice puisque le peu de combats rapportés par le quotidien ne signifie pas que les
combats n’avaient pas lieu. Pour certaines raisons (clandestinités, choix éditorial du journal
etc.), les articles relatifs à la boxe ne reflètent pas l’exacte réalité de l’état de la boxe à cette
époque. Néanmoins, l’analyse qui suit donne un ordre de grandeur, en l’absence d’autres
sources existantes39. Ainsi, au cours du mois de janvier 1885, The Sporting Life a consacré 45
articles à la boxe (selon une définition large40). En se centrant sur l’espace londonien, le
nombre d’articles s’élève à 3941. Le détail devient alors le suivant :
Evénements pugilistiques à Londres répertoriés dans The Sporting Life du
mois de janvier 1885
Types d’événements
Arrestations
« Benefit »42
Compétitions
Funérailles
Matches
Résumé des combats de l’année
Nombre total d’articles
Nombre d’articles consacrés
3 (toutes concernant le même combat).
7 (dont 1 est reporté).
20 (+143) (dont 4 sont reportées).
3 (dont 2 articles sur le même décédé).
4
1
39
A ces éléments, il convient d’ajouter une analyse plus fine. En ce qui concerne les enjeux des
combats, 17 prix ont pu être rapportés et détaillés dans le tableau suivant :
38
The Sporting Life est un quotidien qui parait du lundi au samedi. Il traite des sports essentiellement à Londres
mais aussi, dans une moindre mesure, dans le reste de l’Angleterre. Il est le premier quotidien sportif à l’époque
et ne se limite au commentaire de résultat sportif mais diffuse également des informations relatives à
l’ « organisation » du sport. De ce point de vue, les éditions augmentées du mercredi et du samedi, ont été
particulièrement utiles pour nous.
39
Une analyse plus fine serait toutefois réalisable en croisant différents quotidiens de l’époque. Ici, le temps
disponible pour la recherche ne permettait malheureusement pas de mener une telle étude.
40
En effet, ont été inclus : le « prize-fight », la boxe « amateur » et « professionnelle » (dans un sens actuel), les
matches, les compétitions, les « benefit » etc.
41
On retire alors du tableau précédent quatre « prize-fight » qui ont lieu dans la région de Birmingham et
Nottingham, un match aux Etats-Unis et un match dans la banlieue lointaine de Londres.
42
Il s’agit d’un événement organisé dont les fonds récoltés sont reversés à une ou deux personnes, le plus
souvent dans le besoin.
43
Cet ajout est présent car deux articles relatent la même compétition qui se déroule plusieurs jours.
11
Enjeux des
compétitions
Nombre de fois où cet enjeu
est mentionné dans The
Sporting Life (total = 17)
Détail
Coupes
9
1 Cup
3 Handsome cup
2 Silver cup
1 Silver Cup + 2 £44 pour le vainqueur et 10s
pour le second.
1 Splendid cup
1 Very handsome cup
Montres
3
1 Gold watch
1 Valuable gold watch
1 Silver watch
Prix
Bourse
Bourse en
livres
1
2
2
1 « Substantial prize »
2 (les deux cas concernent des « matches »)
1x 20 £
1x 30 £ récolté pour un « benefit ».
Comme le tableau l’indique, les coupes (« cup ») dans leur ensemble sont donc
surreprésentées (neuf au total) alors que les sommes d’argent ne sont jamais données
explicitement : une compétition de 20 £ au Blue Anchor45 et 2 £ et 10 s (en complément à une
coupe en argent) au Rising Sun. Les deux cas de bourse (« purse ») ne concernent pas des
compétitions mais bien des « matches ».
Un modèle de pratique se dessine ainsi, peu à peu, où la compétition notamment est plus
visible que les « prize-fight »:
- Les compétitions affichent leurs prix (15 compétitions sur 20 le précisent), elles proposent le
plus souvent des « cup ». La somme à gagner n’est explicitée qu’à deux reprises.
- Les matches mettent des « purse » en jeu, 2 matches sur 4 proposent ce type de gain.
- Les « prize-fights » se déroulent pour une somme d’argent secrète dans un lieu relativement
précisé (par exemple, « près de Birmingham »).
Une sorte de logique est donc perceptible dans le déroulement des combats où l’argent, bien
que peu visible, semble jouer un rôle. Pour autant, si, dans l’ensemble, les sommes d’argent
sont peu apparentes dans ces événements pugilistiques, il ne faut pas conclure à leur absence
44
Par comparaison, en 1896, le revenu annuel moyen par habitant est de 40 £ (ROBERT, Jean-Louis., (dir), Le
XIXe siècle. Histoire contemporaine., Bréal, Rosny, 1995. , p 121).
45
Célèbre « salle » sur laquelle nous reviendrons plus loin.
12
totale. Le « résumé » des combats de l’année 188446 fournit des informations sur la présence
d’enjeux économiques en boxe. Le journaliste dans une tribune militante explique que : «
le spectateur est tout à fait satisfait de payer une part de la bourse du vainqueur » [par
l’intermédiaire du prix d’entrée] ; que Bill Goode et Pat Perry se sont affrontés « pour une
belle mise » ; que Bill England a battu Harry Goodson à Eltham pour 50 £ et enfin que Jem
Mace a parié 1 000 £ qu’ « aucun homme ne pourrait le mettre K.O en moins de 4 rounds ».
Ces données, bien qu’il s’agisse de bribes d’informations fournies par un journaliste militant
pour la reconnaissance de la boxe, permettent de dire que l’argent n’est pas absent de la
pratique. Sa place est réelle même si elle est moins visible à cette époque qu’elle ne le sera
quelques années plus tard. Envisager que l’introduction de l’argent dans ce sport se fait après
une « professionnalisation » établie47 est donc une erreur. Les enjeux financiers sont déjà là
dès le XIXe siècle48.
Toutefois, envisager, selon une considération de sens commun, que les amateurs se
différencient des professionnels par la perception d’émoluments, c’est, d’une part, ignorer la
difficulté à distinguer ce qui relève du professionnalisme ou de l’amateurisme, et d’autre part,
succomber à la distinction classique dénoncée par Weber et Lamy. Cette dernière différencie
le professionnel soit par une différence de « qualité » (l’amateur serait moins bon boxeur que
le professionnel) soit (surtout) par une différence de « finalité » (l’amateur pratiquerait pour
« la gloire » alors que le professionnel travaillerait pour vivre). Ici, l’étude des enjeux des
combats montre à quel point cette définition est inapplicable. En effet, notons qu’une
compétition mettant en jeu des prix et parfois même de l’argent se déroule « sous le règlement
de l’Amateur Boxing Association »49, qu’une autre est organisée par le « Tottenham Amateur
boxing and athletic club »50 et enfin qu’une compétition est dite « ouverte aux amateurs
n’excédant pas 8st 6lb51, qui n'ont jamais gagné de prix »52 et dont l’enjeu est une montre en
argent. Concernant ce dernier événement, et de manière ironique, la condition d’être amateur
n’empêche pas la compétition d’être annulée et reportée en raison du nombre insuffisant
d’entrées. L’imposition d’une condition amateur se fait donc d’abord pour le boxeur et non
46
Rapporté par The Sporting Life du 14 janvier 1885.
Si avec Lamy et Weber (« Amateurs et professionnels », Genèses, n° 36, Belin, Paris, 1999) on considère la
professionnalisation comme une « transformation positive d’une activité en profession avec garanties de
qualification et rémunération » (p. 3) alors on peut supposer que la « professionnalisation » de la boxe a
réellement lieu au XXe siècle, et dont l’apogée est l’entre-deux-guerres.
48
Voir FORD, John, Prize-fighting, op. cit.
49
The Sporting Life du 30 janvier 1885.
50
Ibidem.
51
Il s’agit d’une catégorie de poids.
52
The Sporting Life 12 janvier 1885.
47
13
pour les organisateurs qui visent à rentabiliser le divertissement53 qu’ils proposent. Comme
c’est souvent le cas en boxe à cette époque, la « logique » économique prend le pas sur la
« logique » sportive, même lorsqu’il s’agit d’évènements amateurs.
Néanmoins, le mot « professionnel » est également utilisé à trois reprises par le quotidien
sportif au cours du mois de janvier 1885. On apprend en effet qu’O. Hannen a déjà participé à
un championnat professionnel54, que la « Pat Perry’s compétition » est promue par le
professionnel du même nom55 et que des « professionnels bien-connus » prennent part à la
compétition de J. Massey et T. Tully56. La définition du professionnalisme est d’autant plus
floue que dans la dernière compétition mentionnée, le prix mis en jeu est une « très belle
coupe ». L’analyse d’un mois de 1885 de ce quotidien soulève déjà ce qui sera analysé plus
finement pour l’année 1889 : les professionnels ne combattent pas que pour de l’argent, et les
rétributions monétaires ne peuvent en aucun cas être considérées comme le critère
différenciant le professionnalisme de l’amateurisme. Ces affirmations seront détaillées plus
loin où davantage de données ont été exploitées.
En ce qui concerne les spectateurs, deux chiffres ont pu être appréhendés : environ 100
personnes étaient autour du ring lors du match arrêté par la police entre Goode et Barry, et
250 sièges étaient occupés lors de la compétition à Posh Price pour une silver cup (+ 2 £ pour
le gagnant et 10 s pour le 2nd). Le quotidien rapporte aussi des qualificatifs (parfois très
vagues) permettant d’apprécier le nombre de spectateurs à 11 reprises57. Parmi eux on trouve :
« une immense assistance », «une large assistance », « un nombre respectable de
spectateurs », « un faible nombre de spectateurs » etc. Sur ces 11 « expressions », 2 d’entre
elles évoquent un faible nombre de spectateurs : « nombre insuffisant d’entrées » et « petit
nombre de spectateurs présents ». Un qualificatif renvoie à la composition sociale de
l’assistance et non à leur quantité (« une assistance très distinguée58»). Sur les 8 expressions
restantes, 7 décrivent un grand ou un très grand nombre de spectateurs alors que la dernière
fait écho à une assistance moyenne (« respectable »59). Ainsi, bien qu’il soit difficile de
donner avec précision une idée du nombre de spectateurs, la lecture de The Sporting Life
laisse croire que la boxe attire suffisamment de monde pour survivre. Il est d’ailleurs
53
Le mot divertissement n’est pas choisi de manière aléatoire, il s’agit d’un langage journalistique de l’époque
où les matches, compétitions et autres sont régulièrement qualifiés d’ « entertainment ».
54
The Sporting Life, 7 janvier 1885.
55
The Sporting Life, 30 janvier 1885.
56
The Sporting Life, 8 janvier 1885.
57
On a exclu de ce compte les deux fois où le nombre de boxeurs est indiqué comme étant trop faible pour
maintenir la compétition.
58
« A very select company ».
59
Le terme est ici à entendre en nombre et non en « qualité » sociale.
14
remarquable de noter que parmi les cinq événements annulés, un seul est dû à un manque de
spectateurs alors que trois sont liés à un manque de boxeurs présents60. Au regard de ce seul
mois de quotidien, tout se passe comme si « trouver » des boxeurs est plus problématique que
de « trouver » des spectateurs. En termes économiques, cette affirmation revient à dire que la
boxe connaît une forte demande pour une offre relativement faible. Cette particularité
s’explique en partie par l’illégalité de l’activité. En effet, l’arrestation mentionnée dans le
premier tableau permet d’objectiver le risque que représente la pratique de la boxe (voir
encadré).
L’arrestation de Goode.
Le 1er janvier 1885, Jem Barry et William Goode s’affrontent près de Creshunt pour un
trophée de valeur. Murphy et le frère ainé de Goode occupent, quant à eux, le rôle de
seconds. Les deux boxeurs étaient déshabillés jusqu’à la taille et se sont battus deux rounds,
quand Goode a atteint la tête de son adversaire et l'a renversé. Un agent de police s'est alors
précipité vers le ring et tous les hommes ont « détalé ». Des cordes, des pieux, des bouteilles
et des gants de boxe ont été laissés sur place quand l’assistance s’est dispersée, et ont été
remis à la police.
Il a été rapporté que Jem Goode senior, son fils William et d'autres ont été arrêtés. Le vieil
homme a affirmé qu’il n'avait rien fait de mal et a refusé de quitter le ring, étant sûr de ses
droits.
W. Goode, Maurice Murphy, Allen, Lupton et James Goode ont été arrêtés et amenés le 2
janvier au Tribunal de police de Cheshunt. Ils ont été laissés en liberté provisoire sous
caution, celle-ci s’élevant au total à 240 £, jusqu'au 14 du mois. Le 14 janvier, William
Goode a été accusé par les magistrats de Cheshunt, le Capitaine Fort et le Capitaine Orr
Webb, de s’être engagé dans un « prize-fight », avec un autre homme (qui lui n’est pas en
détention préventive) dans un champ à proximité du Bois de St. Lawrence, sur le Manoir
Beaumont, le 1er du mois. Maurice Murphy, William Allen, Richard Swift et James Goode
ont été accusés de les aider et de les inciter. M. H. Avory a défendu Swift et Allen. La preuve
pour l'accusation était relative au fait que le 1er du mois environ trente hommes sont arrivés à
Cheshunt par le premier train du matin de Londres et ont traversé plusieurs domaines pour se
rendre sur le lieu du combat : un endroit à proximité des bois, où un ring a été formé avec des
60
Le dernier est dû à un match nul.
15
cordes et des pieux. Le Sergent Mitchell et un certain nombre de policier de Londres ont
suivi et ont trouvé plus haut 100 spectateurs autour du ring.
Après l'audition de leurs témoignages, Allen et Swift ont été acquittés. Les autres ont été mis
en accusation aux Assises d’Hereford, pour une caution de 50 £ et deux cautions de 25 £
chacun pour William Goode, et pour le cas de James Goode Senior et Maurice Murphy : la
somme de 20 £ et deux cautions de 10 £ chacun".
Récit composé à partir d’extraits d’articles des 2, 3 et 15
janvier 1885 du quotidien The Sporting Life.
Le combat entre Bill England et Harry Goodson, pour 50 £, à Eltham, où les deux boxeurs ont
aussi été arrêtés, peut également être évoqué. La police, à partir de divers témoignages, a
« juré » qu'ils s’étaient battus à mains nus. « The Register » les a condamnés à deux mois
d'emprisonnement, mais « il a été prouvé » qu’ils s’étaient en fait battus avec des « gants
doux ». La sentence a été revue et ils ont été libérés le jour suivant61.
Ces deux exemples permettent de montrer que le risque de se faire arrêter est réel et que
la peine encourue peut être lourde, aussi bien financièrement qu’en termes d’emprisonnement.
De plus, en creux, on comprend que la défense des boxeurs est presque absente. L’Amateur
Boxing Association, seule institution à l’époque, ne semble pas se préoccuper de ces
arrestations, et les boxeurs apparaissent comme livrés à eux-mêmes (et à leurs familles) pour
faire face au juge. Quelques années plus tard, avec la création de la Professional Boxing
Association (PBA), les boxeurs disposeront d’un moyen d’aide collectif pour ce genre de
problème, étant donné qu’ils formeront un groupe autour de la PBA.
Enfin, il convient de s’attarder quelques instants sur le cas précis d’un « benefit »,
celui à destination de la famille de George Russell.
Ce dernier, âgé de 26 ans, est mort « des suites d’une querelle » (The Sporting Life, 5 janvier
1885) avec G. Witwell et W. Butler le 27 décembre 1884. Russell avait « pris part à plusieurs
compétitions et avait été nommé instructeur à l'Est de Londres et au Towers Hamlet Boxing
Club »62. Il « laisse une veuve et un enfant, pour qui aucune provision n'a été faite jusqu'à
présent ».
61
62
The Sporting Life, 14 janvier 1885.
Ibidem.
16
Ce décès fait beaucoup de bruit dans le monde pugilistique : « plusieurs milliers de
personnes »63 dont de nombreux boxeurs sont présents à l’enterrement, trois articles du
Sporting Life lui sont consacrés (le 5, 10 et 21 janvier 1885) etc. W. Verner, (« l'hôte de la
Clyde Tavern ») va tenter d’apporter un soutien financier à la famille du défunt. « Une
réunion du comité »64 a lieu le 9 janvier pour « lever des fonds pour payer les dépenses des
obsèques. Nous pouvons mentionner qu'une réunion amicale a été décidée et qu’on a
fidèlement promis assistance de la part des marchands du voisinage immédiat »65. The
Sporting Life lance alors un appel pour aider la famille Russell qui « dépendait complètement
et seulement du salaire du décédé »66. Le York Winter Music-hall (dont le propriétaire est M.
Hannen), va donc être loué pour le lundi 19 Janvier afin de faire un « benefit »67 pour la
famille. Ce jour-là, l’établissement est « bondé » et 30 £ vont être récoltées.
Cette affaire marque donc les esprits dans le milieu pugilistique. Mais, pour l’historien, elle
renseigne surtout sur la manière dont la famille d’un boxeur est prise en charge. Ici, c’est une
initiative d’abord individuelle (W. Venner) puis relayée par un collectif (« le comité »),
malheureusement impossible à identifier. Si dans l’ensemble, une aide est apportée à la
famille du défunt, elle met un peu de temps à être réalisée (23 jours séparent le décès du
« benefit ») et surtout, les organisateurs du soutien à Russell ne semblent pas organisés pour
intervenir. L’hypothèse, difficilement vérifiable pour des raisons empiriques, émise est que
cette affaire a joué un rôle décisif dans la future création de la Professional Boxing
Association, trois semaines plus tard. Avec cette nouvelle institution, la prise en charge des
boxeurs blessés, de la famille d’un boxeur décédé etc. sera assurée systématiquement par la
PBA.
En résumé, les différentes données issues du mois de Janvier 1885 du Sporting Life
permettent d’affirmer trois choses. D’abord, l’argent mis en jeu est, dans la plupart des cas,
soit caché soit absent. Deuxièmement, le nombre de spectateurs semble assez élevé, à
l’inverse du nombre de boxeurs, en partie du fait de l’illégalité de l’activité. Enfin, en cas
d’accident comme le décès d’un jeune boxeur, l’aide apportée par la corporation relève a
priori d’initiative(s) individuelle(s) et non d’une institution qui en fait sa priorité, comme ce
sera le cas plus tard.
63
Ibid.
The Sporting Life, 10 janvier 1885.
65
Ibidem.
66
Ibid.
67
Forme de pratique qui consiste à organiser un évènement pour aider un individu dans le besoin en lui versant
les bénéfices obtenus (prix et nombre d’entrée).
64
17
Ces trois éléments permettent d’objectiver le « désordre » (au sens de manque d’unité)
existant dans « l’espace » de la boxe professionnelle à Londres à la fin du XIXe siècle. La
pratique est réprimée par la police et la justice, les gains sont le plus souvent cachés, les
événements sportifs relativement sont « peu » nombreux et les boxeurs sont livrés à euxmêmes dans la gestion de leur carrière avec le risque d’un accident.
b) Le tournant de 1885 : la création de la PBA
A partir de 1885, la boxe connaît d’importants changements structurels, et notamment la
création de la Professionnal Boxing Association (PBA). Celle-ci joue un rôle majeur dans
l’évolution de l’espace pugilistique londonien à la fin du XIXe siècle. En effet, elle contribue à
faire des boxeurs professionnels un groupe reconnu comme tel et qui disposera d’une
structure de regroupement qui leur est propre. Comme le souligne Boltanski pour les cadres :
« première tâche : la représentation juridique. Elle est la condition de la délégation qui fait
exister la personne collective par le mystère de son incarnation dans des personnes physiques
autorisées à la personnifier. Elle contribue par-là à faire, comme disait Hobbes, d’une
"multitude d’hommes", "une seule personne" et du groupe "un être personnifié" »68.
Mais surtout, l’analyse de la PBA permet d’affirmer que la « spectacularisation » n’a
bien été possible qu’à la suite d’une organisation générale de la boxe londonienne (par la
PBA). Ce déroulement est bien constitué de deux étapes successives : une organisation de
l’espace par la PBA puis une mise en spectacle de l’activité. Pour mieux comprendre et
expliquer plus finement l’importance de la PBA dans la structuration de la boxe, une
démarche régressive a été engagée. En effet, partant de l’année 1889, il a fallu réaliser la
socio-genèse de plusieurs éléments « déjà là », dont celle de la PBA qui nécessitait le plus
d’attention. Nous avons donc retracé l’évolution de cette « association » depuis 1885 (date de
sa création) à 1889, à l’aide des nombreux articles du quotidien The Sporting Life. Les parties
qui suivent ont donc été réalisées à partir des sources de ce journal, en recueillant tous les
articles concernant cette organisation entre 1885 et 1889. Habituellement, le journal rapporte
un compte rendu de la réunion mensuelle de l’association69. D’autres « meeting », plus
ponctuels, servant le plus souvent à préparer un événement spécial, s’ajoutent à cela. Enfin,
les publicités (annonçant un événement), les événements exceptionnels (le décès du président
68
69
Boltanski, Les cadres, op. cit. p 233-234.
Ce meeting a lieu le premier samedi de chaque mois.
18
de la PBA), ainsi que les compétitions qu’elle a organisées ont également été pris en notes.
Au total, nous avons obtenu un regroupement de 120 articles70. Le détail est le suivant :
- 18 publicités/annonces
- 73 comptes rendus de réunion
- 10 articles difficiles à classer car liés à la constitution de la PBA (entre 20 février et 14 avril).
- 16 événements particuliers : 5 tournois annuels (1885-1889) ; 2 liés décès de Richardson; 5
liés à l’appel de Knifton; 4 liés au PC et à la nouvelle PBA.
- 3 liés à la ABA et à la PBA.
La presse sportive constitue ici une ressource non négligeable puisqu’elle est en lien direct
avec la PBA. En effet, loin de constituer une source de deuxième main, The Sporting Life fait
office de véritable voie (et voix !) de diffusion de l’association. Dès la création de cette
dernière, le quotidien sportif est associé à l’institution. Au point même que lors de l’édiction
du règlement de la PBA le 14 avril 1885, la règle 6 stipule :
« Que le secrétaire informe, par écrit dans The Sporting Life, de telles réunions [voir la règle 5
qui évoque les réunions du premier dimanche du mois, les trois ou quatre assemblées générales
chaque année] à tous les membres ». [Nos italiques].
Le quotidien est même la seule source d’informations pour tous les membres de la PBA. Ce
monopole est illustré dans l’article du 18 mars 1885 où, en l’absence d’indications dans The
Sporting Life, le président lui-même est absent d’une réunion, comme s’il n’avait eu aucun
autre moyen de connaître la date du meeting.
Le président était absent ainsi que d'autres personnes dont la présence aurait été appréciable.
Après avoir attendu quelque temps, Jem Goode senior s'est levé et a expliqué que l'absence du
président était probablement due au fait que la réunion n'avait pas été mentionnée dans The
Sporting Life comme il était convenu. Il affirma que c'était entièrement de sa faute, étant donné
qu’il avait accidentellement remis un faux avis et avait découvert son erreur trop tardivement. Il
serait, cependant, rectifié la semaine suivante et la réunion reportée jusqu'au 22 mars. [Nos
italiques].
70
Pour une quantité de signes légèrement supérieure à 225 000.
19
Enfin, pour achever de montrer l’importance du quotidien au sein de la PBA, il est à noter que
chaque meeting de l’association débute par la lecture et surtout l’approbation du compterendu de la séance précédente paru dans The Sporting Life. Ce « procès-verbal » est parfois
sujet à discussions de la part des membres, malheureusement les raisons des désaccords ne
sont jamais évoquées. Ainsi, entre 1885 et 1887, 29 extraits du Sporting Life évoquent le
compte rendu de la dernière réunion, et 27 ont été « lus et accepté »71 , « lu et confirmé »72,
« unanimement confirmé »73, « confirmé sans opposition »74, « confirmé sans une voix
dissidente »75 ou « admis sans commentaire ou voix dissidente »76.
Seuls deux comptes-rendus ont été discutés, mais le journaliste est alors particulièrement
laconique :
- « Après que le secrétaire, J. M'Farlane, a lu le procès-verbal de la réunion précédente, une
discussion s'est ensuivie à ce sujet, mais finalement le procès-verbal a été unanimement
confirmé » (9 novembre 1887).
- « Après que le secrétaire, J. M'Farlane, a lu le procès-verbal de la précédente réunion, une
discussion s’est quelque peu prolongée sur le sujet, mais aucun amendement n’a été proposé et
finalement le procès-verbal a été unanimement approuvé » (23 novembre 1887).
Plus qu’une voie de diffusion, The Sporting Life est aussi un réel « partenaire » (au sens
commercial) de la PBA. En acceptant de publier autant d’articles pour l’institution, le
quotidien s’assure en retour un lectorat important au regard du nombre de « sympathisants »
de la boxe à cette époque. Une dernière preuve de leur collaboration se situe au niveau des
dons que la PBA fait aux boxeurs (voir infra). Il peut arriver, dans ce cas, que la PBA envoie
l’argent au quotidien sportif pour que celui-ci la transmette au boxeur ou que ce dernier
vienne le récupérer directement au bureau du journal, c’est le cas de Jem Mace recevant 5 £ 5
s, le 6 novembre 1888.
C’est donc, d’une part, à l’appui de sources de première main que l’analyse révèle le
rôle de la PBA dans l’institutionnalisation progressive de la boxe professionnelle à Londres à
la fin du XIXe siècle. D’autre part, ces sources de première main n’en sont pourtant pas moins
orientées et partiales. Ce sont les limites du recours à de telles données. Par sa proximité avec
71
23 septembre 1886.
8 avril 1885.
73
30 juin 1885.
74
6 octobre 1885.
75
5 janvier 1886.
76
4 mai 1886.
72
20
l’association, le quotidien sportif ne fournit qu’une part des informations. The Sporting Life
est ainsi particulièrement laudatif à l’égard de l’institution, n’hésitant pas à évoquer le
« génial Tom Symonds » 77 ou cette « institution [la PBA] digne d’éloges »78 par exemple. De
même, aucune information critique n’est éditée. L’étude complète de la PBA nécessiterait
ainsi, outre les archives fédérales ou « officielles » qui semblent introuvables, de croiser les
informations fournies avec celles d’autres quotidiens tels que The National Police Gazette,
The Sporting Chronicle ou The Licensed Victuallers’ Gazette, a priori plus éloignés de la
fédération. En l’absence de ces éléments, il s’avère nécessaire d’être particulièrement prudent
quant aux affirmations formulées sur cette institution.
c) La « société mutuelle » des boxeurs
La PBA a été créée le mercredi 18 février 1885. Comme le souligne The Sporting Life le
21 octobre 1885, il semble bien que cette institution est inspirée de son ancêtre la Pugilistic
Benevolent Association (PBA également)79. Sur cette dernière, n’ayant pas été étudiée en tant
que telle, il faut nous en remettre à D. Brailsford80, qui aborde brièvement la genèse de cette
association, et explique très rapidement ses principales caractéristiques. Cette ancienne PBA
dispose de particularités qui permettent de comprendre celles de son homonyme. La Pugilistic
Benevolent Association est née en 1852. « C'était en partie une société amicale, en partie un
"closed-shop trade union" (syndicat) et en partie un "organe de gouvernance sportif", bien que
pour cette dernière capacité, elle s’est, dès l'origine, limitée elle-même au maintien du bon
ordre sur le terrain. Elle a formalisé le vieux système d'assistance mutuelle, qui a toujours
caractérisé la boxe, en reprenant l'organisation de « benefit » et en exigeant de ses membres
d’y prendre part. EIle a limité l'adhésion aux boxeurs qui avaient combattu à Londres et pour
des mises de plus de 40 £, et aux supporters qui sont devenus des membres honoraires en
souscrivant 2 £ ou plus. Le comité nommait un membre pour s’occuper de la vente des billets
pour n'importe quel combat et les revenus des billets vendus payaient les honoraires des
"gardiens du ring" (« ring-keepers »), qui étaient choisis par un scrutin à la veille de la
compétition »81. En résumé, les trois points fondamentaux de cette ancienne PBA, et qui se
77
23 mars 1886. Ce dernier est alors vice-président de l’association.
6 juin 1886 et 18 octobre 1888.
79
Nous n’avons pas trouvé (mais pas réellement cherché puisqu’il ne s’agissait pas de notre objet de recherche
premier) de données de première main concernant cette institution.
80
BRAILSFORD, Dennis, Bareknuckles. A social History of Prize-Fighting., Lutterworth Press Cambridge,
1988.
81
Ibidem, p. 98. Dans la traduction, les verbes ont volontairement été employés à l’imparfait.
78
21
retrouveront dans la seconde PBA, sont : sa dimension « syndicale », sa dimension
« dirigeante » ou « gouvernante » dans le monde de la boxe et la création des « benefits ». Ces
trois aspects vont se retrouver de manière très prégnante quelques décennies plus tard lors de
l’apogée de l’institution. Pour le moment, c’est sa genèse qu’il faut aborder.
Comme dit précédemment, la Professional Boxing Association (PBA) a été créée en février
1885 au Blue Anchor, établissement alors détenu par William Richardson82. Selon The
Sporting Life, plus de 63 boxeurs sont présents83, dont des boxeurs très connus (J. Knifton,
Jem Mace etc.) et d’autres moins célèbres (Jack Munday, Johnny Quilan etc84.). La séance est
présidée par Ned Donnelly et le vice-président est Tom Symonds. Afin de mieux comprendre
le rôle de cet organisme, il est essentiel de s’attarder sur ses premières réunions et de donner
des indications générales sur le fonctionnement des regroupements (voir encadré).
Le contenu d’un article « moyen »
La grande majorité des « meetings » est rapportée par The Sporting Life comme
suivant un même fonctionnement d’une séance à l’autre. Voici le schéma le plus courant.
Le quotidien débute chaque article en précisant la date, le lieu et l’affluence malheureusement par des adjectifs flous et non par des chiffres- de chaque réunion. Puis, le
secrétaire lit le procès-verbal de la séance précédente paru dans The Sporting Life qui est
soumis aux participants (accepté ou refusé85). Ensuite, les problèmes du moment sont
soulevés : gestion financière, soutien financier ou non d’un boxeur malade etc. Des
propositions sont avancées (le plus souvent par deux membres nommés dans le quotidien)
afin de résoudre les difficultés rencontrées : soutien financier, organisation d’évènement pour
soutenir un boxeur dans le besoin etc. Après chaque proposition, celle-ci est acceptée ou
refusée86 par l’ensemble des personnes présentes. Les « problèmes » mentionnés peuvent être
d’ordre divers : maladie/handicap d’un boxeur, organisation d’événement, édiction/
modification de règle pour l’association, gestion des fonds de l’association etc. La séance se
82
Nous reviendrons plus loin sur cet acteurs.
Le journal fournit les noms des 63 boxeurs et ajoute « et d’autres » à la fin.
84
Nous déduisons leur faible célébrité du peu (voire de l’absence) de données trouvées, au contraire évidemment
des boxeurs dits « très connus ».
85
Pour rappel, aucun refus n’a été rapporté par The Sporting Life entre 1885 et 1889.
86
On constate de nombreux cas de refus, sur divers sujets, suite à des propositions faites par des membres. Par
exemple, le 3 novembre 1885 la proposition de M. Bee de faire une assemblée générale pour l’organisation
d’une compétition de boxe est refusée.
83
22
clôt par les propositions de membres, l’annonce de la prochaine réunion et l’habituel vote de
remerciement.
La moyenne d’un article du Sporting Life concernant la PBA entre 1885 et 1889 avoisine les
1900 signes87.
Dès la première séance, la P. B. A. affiche ses objectifs par la voix de John Knifton.
Ceux-ci sont doubles :
1) La « protection mutuelle des boxeurs, l’assistance en cas de maladie ou d’un âge avancé »
2) La « défense en cas de "capture"88 lors d’un combat ».
Les missions de l’organisation semblent claires : elle est d’abord conçue pour les boxeurs et
non pour la boxe. La PBA tente de préserver ses boxeurs, de les « protéger » des risques
encourus dans la profession. Ces derniers ne sont pas irréels, l’arrestation de W. Goode
mentionnée précédemment en est un exemple ; il en est de même pour la mort de Russell qui
laisse une famille sans revenus. Observé par un contemporain et au regard de ces deux
objectifs, la PBA semble donc prendre le rôle d’un syndicat, puisqu’elle défend les membres
d’une profession pour le bon exercice de leur activité. Ayant une mauvaise connaissance de la
législation et du cadre juridique entourant le monde professionnel en Angleterre à la fin du
XIXe siècle, nous avons mieux compris le fonctionnement d’un tel groupement à l’aide de
l’ouvrage classique d’E.P Thompson sur la formation de la classe ouvrière anglaise89.
L’auteur, au cours de nombreux chapitres, décrit la constitution et le rôle de différentes
« sociétés de secours mutuel ». Celles-ci se mettent au service de professionnels tels que les
tisserands, les drapiers etc.
Si la PBA ne peut être pas considérée réellement comme « société mutuelle », certaines
similitudes s’avèrent pourtant présentes. En témoignent les règles des merciers de 1750
rapportées par E.P Thompson et qui sont, selon lui, toujours d’actualité pour les sociétés de
secours mutuel du XIXe siècle :
87
Cette donnée a été calculée en divisant le nombre de signes recopiés par le nombre d’article total.
Le mot capture est ici à entendre comme synonyme d’arrestation.
89
THOMPSON, Edward Palmer., La formation de la classe ouvrière anglaise, Gallimard- Le Seuil, Paris, 1988.
Tout au long du texte, les références à Thompson renvoient systématiquement à cet ouvrage.
88
23
« Si nous considérons que cette Société est non pas une Compagnie d’Hommes réunis pour se
régaler de Bière et de Tabac, et pour parler indifféremment de Tout ; mais bien plutôt une
Société siégeant pour Protéger les Droits et Privilèges d’un métier grâce auquel subsistent des
centaines de Gens […] »90 (Nos italiques).
« Protéger les droits et privilèges d’un métier », c’est justement ce que vise la PBA pour les
boxeurs. Elle tente d’imposer un prix minimal pour boxer, organise des tournois pour assurer
la pérennité de la boxe etc. Pour autant, la genèse de la PBA se caractérise en premier lieu par
l’assistance des boxeurs (voire de sa famille) lorsqu’ils sont dans le besoin. Or, l’historien
anglais affirme justement que les :
« Petits commerçants, artisans, manœuvres, tous cherchaient à se garantir contre la maladie, le
chômage ou les dépenses en cas de décès en adhérant à des clubs mutualistes [« box-clubs »], ou
à des sociétés de secours mutuel » (p 377).
Les similitudes sont donc réelles entre les missions que se fixe la PBA et celles que se fixent
les sociétés décrites par Thompson en Angleterre entre 1815 et 1860 essentiellement. Cette
ressemblance se retrouvera le 14 avril 1885 lors de l’édiction des règles de l’association et
plus particulièrement dans la première règle fixée :
Règle 1. L'association sera appelée "l'Association de Boxe Professionnelle" et ses objectifs
seront de protéger les intérêts des boxeurs professionnels et d’aider ceux appartenant à
l'association, qui peuvent, par accident, être privé de leur gagne-pain91.
La P. B. A. a donc comme premier objectif de protéger les intérêts des boxeurs, comme le
font les sociétés de secours mutuel dans leur corporation respective. Pour Thompson, ces
sociétés de secours mutuel s’organisent comme des syndicats au cours du XIX e siècle en
Angleterre. L’auteur utilise parfois indifféremment les deux notions92 (syndicats et société de
secours mutuel) car selon lui, leurs fonctionnements et leurs missions sont identiques, à la
seule différence que le mot « syndicat » sera une appellation plus tardive. « C’est de là [des
sociétés de secours mutuel] que naquirent les syndicats, moins solides pourtant, et c’est là que
90
Ibidem, p 377.
Cette première règle semble être édictée littéralement contre la définition de « l’amateur » fixée par l’Amateur
Boxing Association (voir supra). Cette dernière définit l’amateur comme celui qui n’a jamais boxé « dans le but
d'obtenir un gagne-pain ou un gain pécuniaire ».
92
Au point que l’index du livre place ensemble les deux notions.
91
24
se formèrent les dirigeants syndicalistes. Le règlement des syndicats, dans bien des cas ; fut
une version plus élaborée du code de conduite du club mutualiste. »93. Ainsi, la comparaison,
mentionnée précédemment, entre PBA et syndicat n’est pas tout à fait absurde puisque l’on
trouve certaines similitudes entre la PBA et les sociétés de secours mutuel. Néanmoins, si des
similitudes existent, aucun lien n’a pour le moment été établi entre la PBA et le syndicat des
boxeurs professionnels qui sera créé dans l’entre-deux-guerres. En effet, M. Taylor94, dans
son article sur le syndicat des boxeurs dans les années 20, n’évoque à aucun moment la PBA
comme forme première de l’institution.
Par ailleurs, comme dit précédemment, il ne s’agit pas de calquer la notion de « société
mutuelle » pour comprendre la PBA. Les différences sont réelles et nombreuses. En effet, en
premier lieu, la PBA est composée pour partie de boxeurs, de propriétaires et pour partie de
managers. L’origine sociale est donc relativement diversifiée95. Or, pour Thompson :
« Pratiquement aucun des membres des sociétés de secours mutuel n’avait un statut supérieur à
celui d’employé de bureau ou de petit boutiquier ; la plupart étaient des artisans. Le fait que
chaque confrère déposait des fonds dans la société assurait la stabilité des effectifs et une
participation vigilante à sa gestion. Ces sociétés ne comptaient pratiquement aucun membre de
la bourgeoisie et, si quelques employeurs les voyaient d’un œil favorable, la conduite de leurs
affaires ne laissait guère de place à un contrôle de type paternaliste »96.
De plus, la deuxième différence est que la P. B. A. n’est absolument pas secrète ; ses réunions
sont connues et relayées par la presse. Thompson affirme lui que « le caractère secret de la
société de secours mutuel et son impénétrabilité au regard scrutateur des classes supérieures
sont autant de preuves du développement d’une culture et d’institutions ouvrières
indépendantes » (p 380). Les boxeurs ne peuvent eux être assimilés à des « classes
populaires » (comme le fait Thompson pour les tisserands ou les drapiers) puisque l’origine
sociale des membres est très variable : on trouve des propriétaires de salles ou de « taverns »,
des boxeurs célèbres ou encore des « managers », la surveillance des classes supérieures ne
s’opère donc pas réellement. Néanmoins, comme en témoigne l’analyse de la composition
sociale du comité de 1885 réalisée plus bas, les individus les plus capitalisés « contrôlent »
néanmoins l’institution.
93
Ibidem, p. 380
TAYLOR, Matthew., « Boxers United: Trade Unionism in British Boxing in the 1930s », op.cit.
95
Nous reviendrons plus loin sur la composition sociale des membres.
96
THOMPSON, Edward, Palmer, La formation de la classe ouvrière anglaise, op.cit., p. 380.
94
25
En définitive, si la notion de « société mutuelle » s’avère partiellement heuristique pour
analyser la PBA, elle permet toutefois de nous renseigner sur le degré de professionnalisation
de la boxe. Alors que certains indices laissent croire à une professionnalisation totale de ce
sport où les boxeurs seraient des professionnels exerçant leur métier sans différences avec
d’autres professions, la comparaison réalisée entre les sociétés mutuelles des ouvriers et la
PBA des boxeurs nuancent cette affirmation. A la fin du XIXe siècle, la boxe professionnelle
n’est pas un secteur aussi défini et organisé que celui de professions « établies », il ne s’agit
pas encore d’un groupe qui a « réussi » pour parler comme Luc Boltanski97. Toutefois,
l’existence même de la PBA est une preuve de la réalité de ce « professionnalisme ». Un
organisme visant à défendre les intérêts des boxeurs permet d’objectiver la volonté des
boxeurs de se regrouper autour de leur profession commune. La comparaison agencée
précédemment, moins qu’une transposition de concept, offre plutôt des indices objectifs au
chercheur pour caractériser le degré de professionnalisme de la boxe à la fin du XIXe siècle.
Au-delà de ce degré de professionnalisme, il est manifeste que la PBA tente de renforcer la
dimension professionnelle de l’activité et réalise un vrai travail d’objectivation de son
existence. Ceci est confirmée par le compte rendu de la première réunion, particulièrement
succinct.
« Ned Donnelly [président] ne voit pas pourquoi il n’y aurait pas une « PBA ». Surtout qu’il
existe une « ABA98 ». Il y a eu trop d’interférences avec la ABA et qui, en plus, a fait savoir
qu’elle ne voulait pas de « concurrente ». Néanmoins, la PBA ne changera pas ses dispositions.
Si les amateurs veulent de l’instruction, laissons-les aux professeurs, ils sont les plus appropriés.
(…). Mr. Pinnock [inconnu] a affirmé qu’il était normal que les professionnels s’unissent. Jem
Goode a rappelé qu’il y a eu un temps, dont il ne pouvait se souvenir, où les professionnels
avaient leur propre « voie ». (…) Tout le monde sait que les théâtres ont été davantage remplis
par la boxe que par des « pantomines » ou autre. Bill Goode a protesté contre la faiblesse des
prix offerts pour le tournoi [illisible]. Ils devraient passer une résolution qui dirait qu’à moins
que les sommes offertes soient substantielles, aucun bon boxeur ne participera ».
La PBA, par l’intermédiaire de ses membres, a donc la volonté de devenir autonome et de
séparer nettement le secteur professionnel et le secteur amateur. On comprend alors d’ores et
déjà le processus historique de délimitation des juridictions pour parler comme Andrew
97
« Le groupe a réussi, au sens où il est parvenu à accumuler les preuves « objectives » de son existence. Il ne
s’est pas morcelé et désagrégé » BOLTANSKI, L., Les cadres, op. cit., p 233.
98
Amateur Boxing Association.
26
Abbott99. La distinction entre la juridiction des amateurs100 et la juridiction professionnelle
devient de plus en plus évidente puisque l’existence même de deux institutions distinctes
(ABA et PBA) montrent bien les différences qui les séparent. Pour confirmer son autonomie,
la PBA et notamment John Knifton vont devoir faire différentes propositions.
La première est de réclamer une augmentation des prix offerts pour le prochain tournoi de
boxe. La seconde est de « créer une série de compétitions et d’exhibitions. Les recettes
permettront alors de compléter les fonds. Il propose alors qu’un comité, composé de ceux qui
soutiennent la boxe et des boxeurs eux-mêmes, soit formé dès que possible et qu’il délivre un
règlement auquel tout boxeur voulant s’inscrire devra se conformer »101.
Concernant la première revendication de Knifton- augmenter les prix d’un tournoi prochain- il
est nécessaire de revenir plus précisément sur cet épisode car il donne un indice de la force
d’action de la PBA.
En ce qui concerne le prochain tournoi, il a été décidé (comme l’avait suggéré Knifton et W.
Goode) que « Nous, les signataires, protestons contre les prix offerts aux boxeurs à l’Aquarium,
Westminster, et au-delà de ça, sommes d’accord pour boxer au tournoi si 15 £ sont données
comme premier prix, 5 £ pour le second, 1 £ pour le gagnant des "heats"102, 10s pour les
perdants, 10s pour les "sparring byes"103 et nous passerons des médailles, sans tenir compte du
nombre d’entrée ». Nous pouvons mentionner qu’il a été d’abord démontré, qu’en tenant
compte de la publicité, chaque compétition couterait 34 £, et étant donné qu’il y aura 4
compétitions, le total des dépenses sera près de 200 £. Il a été aussi souligné que le vainqueur de
chaque "heat" (série/poule) recevrait 13 £104.
Il s’agit là encore de la volonté de « protéger les droits et les privilèges d’un métier »
mentionnée par Thompson chez les merciers. Ici, l’exigence de ne pas boxer à n’importe quel
prix constitue un moyen de protéger les droits des boxeurs en refusant une rémunération
minimum. Néanmoins, la revendication des boxeurs n’est pas prise en compte étant donné que
l’on trouve l’annonce suivante le 29 février :
99
ABBOTT, Andrew, The system of professions, op. cit.
Bien que chez Abbott les « juridictions » sont l’objet de luttes uniquement chez les groupes professionnels et
ne concernent pas les « non professionnels », ici les boxeurs amateurs.
101
The Sporting Life, 3 mars 1885.
102
Premières séries.
103
Ce terme est particulièrement difficile à traduire. Il fait écho à la notion de « sparring-partner » et renvoie
donc à des « faire-valoir » mais qui s’engagent dans des compétitions officielles et non en entraînement.
104
The Sporting Life, 24 février 1885. Rappelons que le salaire annuel moyen en Angleterre est alors de 40 £
(ROBERT, Jean-Louis, Le XIXe siècle, op. cit).
100
27
ROYAL AQUARIUM, WESTMINSTER
GRAND TOURNOI DE BOXE, OUVERT Á TOUS LE MONDE
VALEUR DES PRIX 100 £
LUNDI 2 MARS, ET LES CINQ JOURS QUI SUIVENT.
Les [catégories] suivantes seront ouvertes aux professionnels:Poids lourds (11st 4lb et plus)- premier prix médaille d’or et 6 £, deuxième, 3 £,
gagnant des « séries » 1 £, perdants, 10 s.
Poids moyens (qui n’excèdent pas 11st 4lb)- premier prix médaille d’or et 6 £,
deuxième, 3 £, gagnant des « séries » 1 £, perdants, 10 s.
Poids légers (qui n’excèdent pas 8st 7 lb) - premier prix médaille d’or et 6 £,
deuxième, 3 £, gagnant des « séries » 1 £, perdants, 10 s.
The Sporting Life nommera les arbitres.
Prix d’entrée pour chaque évènement, 5 s, qui sera retourné à tous les participants, et qui
seront expédiés au plus tard vendredi prochain, le 20 Février au bureau du Sporting Life.
[Nous nous gardons] le droit de refuser toute entrée, et dans le cas où les entrées seraient trop
nombreuses, The Sporting Life est autorisée à choisir les participants. Tout homme [boxeur]
en surpoids perdra ses droits de concourir et son prix d'entrée. - [Advt]”.
Cet épisode confirme également l’idée que la PBA n’est pas légitime dès sa création. En
effet, la revendication de la PBA n’aboutit pas et les prix ne sont pas augmentés. La PBA
s’avère donc impuissante dans un premier temps, certainement en raison de sa récente
création. Il semble difficile d’imaginer un tel « échec » quelques années plus tard, alors que
l’association se sera développée.
28
d) Le développement de la PBA et son action sur l’organisation de la
boxe.
Pour comprendre comment la PBA et de ce fait « la catégorie des cadres [ici des
boxeurs] a pu s’imposer, avec la force et la prégnance d’une chose, y compris à ceux, agents
et institutions contre lesquels elle s’était à l’origine formée, il faut rappeler les propriétés du
travail d’objectivation que le groupe a exercé sur lui-même »105.
Si la PBA, par l’intermédiaire de ses membres, a pu contribuer à l’organisation de la
boxe à Londres, c’est parce qu’elle dispose de plusieurs caractéristiques. D’abord, le nombre
de membres lui offre une visibilité au sein du monde pugilistique. Puis, les propriétés sociales
de ces membres, et notamment du comité directeur, offre une légitimité à l’institution. Enfin,
les actions – votées par les membres - engagées au nom de la PBA lui apportent une
reconnaissance de la part des acteurs du monde pugilistique. Ces caractéristiques vont
maintenant être détaillées.
1) Le nombre de membres de la PBA
Avant tout, l’association est composée de nombreux membres : entre 60 et 200
individus, entre 1885 et 1889. Ce taux d’adhésion lui offre, de fait, une visibilité au sein de
l’espace pugilistique voire sportif. Il est malheureusement impossible d’estimer le nombre de
boxeurs en activité à l’époque, cela supposerait de différencier, à l’aide de critères, qui est
boxeur ou qui ne l’est pas. Néanmoins, de manière grossière, il semble que la PBA compte
dans ses rangs un pourcentage important des boxeurs de l’époque.
Comme les règles le soulignent, devenir membre de la PBA nécessite de suivre une certaine
« procédure ». Lors des premiers mois, tout membre peut présenter sa candidature à l’élection.
A partir du 5 mai 1885 (soit trois mois après la création de la PBA), la règle change :
- « Ted Kelly, de Glasgow, a annoncé qu’(…) il proposerait "que chaque nouveau membre soit
proposé et appuyé par les membres de l'association avant son élection" »106.
- « La proposition d'E. Kelly, dont on avait donné l'avis à la dernière réunion, a alors été émise
et admise après une simple discussion sans opposition »107.
105
Boltanski, Les Cadres, op. cit., p 233.
The Sporting Life, 14 avril 1885.
107
The Sporting Life, 5 mai 1885.
106
29
De plus, comme il est indiqué dans les règles, chaque membre108 doit payer son inscription
incluant le livre de règles qu’on lui fournit. Cette somme est initialement fixée à 1 s mais les
membres de la PBA, jugeant que les fonds de l’association sont insuffisants, décident
d’augmenter le tarif à 7 s à partir du 27 mai 1888.
« Les membres sont informés qu’à l'avenir les inscriptions seront de 7 s par an, payables
mensuellement. Tout membre ayant trois mois de retard sera exclu. Les nouveaux membres
devront payer 2 s 6 d de droit d'entrée. Aucune lettre ne sera envoyée par le secrétaire »109.
Le graphique ci-joint montre l’augmentation progressive du nombre de membres. Il esy
complété par un tableau qui fournit des chiffres plus détaillés. Ceux-ci110s ont été obtenus en
regroupant les articles de The Sporting Life. Le quotidien indique si les membres ont été
proposés et/ou acceptés. Néanmoins, des incertitudes demeurent parfois: par exemple, il
arrive que des membres soient proposés mais que le quotidien n’indique pas s’ils ont été ou
non acceptés. Enfin, la procédure d’adhésion à la PBA n’a pas pu être tout à fait explicitée.
Certaines données sont contradictoires. Elles laissent à penser que chaque membre doit
renouveler son adhésion chaque année. Néanmoins le nombre de personnes voulant redevenir
membre (après l’avoir été quelques années auparavant) est faible, comme si leur inscription
était automatiquement reportée. Le manque de précision des journaux et de la littérature sur ce
sujet ne permet malheureusement pas d’expliquer clairement la procédure d’adhésion à la
PBA. Enfin, il convient de souligner que nos chiffres diffèrent de ceux annoncés (à une seule
reprise) lors des meetings de la PBA. Cette différence n’est pas due au désir de la PBA de
« gonfler » ses effectifs puisque notre chiffre est supérieur au leur. La seule explication
possible est dans le flou existant sur le renouvellement des licences. Quoi qu’il en soit, pour
donner le plus d’informations, les calculs réalisés sont, le cas échéant, suivis du chiffre donné
par le secrétaire entre parenthèses.
108
On ne parle ici que des membres « normaux », les membres honoraires devant payer 1 £ 1 s.
The Sporting Life, 27 mai 1888.
110
Bien qu’une partie des chiffres n’a pas été mentionnée pour plus de lisibilité.
109
30
Nombre de membres
250
200
150
100
50
0
3 mars
1885
7 juillet
8
9 mars 5 octobre
31
4 janvier
1885 décembre 1886
1886 décembre 1887
1885
1886
9 août
31
4 janvier
10
31
6 février 14 août
31
1887 décembre 1888
octobre décembre 1889
1889 décembre
1887
1888
1888
1889
Le nombre de membres à la PBA
Membres « classiques »
1885 :
3 mars= 60 membres
22 mars= 70 membres
7 juillet= 80 membres
8 septembre= 89 membres
3 novembre= 104 membres
8 décembre= 106 membres
1886 :
9 mars= 109 membres.
5 août= 124 membres.
5 octobre= 137 membres
31 décembre= environ 150 membres.
31
1887 :
4 janvier : 152 membres.
9 août= 165 membres
10 novembre= 173 membres environ.
31 décembre= environ 176 membres
1888 :
4 janvier= 177 membres
10 mars= 179 membres. (Mais le même jour, le secrétaire affirme qu’il y a 159 membres
enregistrés dans le « livre »).
10 octobre= 182 membres
31 décembre= 186 membres environ.
1889 :
6 février= 189 membres.
14 août= 196 membres
3 décembre= 200 membres environ.
Création du statut de « membre honoraire » :
1885= 5 membres
1888= 7 membres
Membre à vie
1888= 1 membre
1889= 3 membres.
De toute évidence, le nombre de membres est conséquent dans l’association. Bien sûr,
des erreurs ont pu être faites dans ces chiffres, vu le manque d’information sur la procédure
d’adhésion et le fait que le quotidien a pu faire des omissions. Deux arguments peuvent
toutefois être avancés pour objectiver l’importance du nombre de membres.
Premièrement, il semble clair que ces chiffres sont importants au regard du nombre de
boxeurs en activité à l’époque et au dynamisme du secteur pugilistique (encore illégal comme
expliqué précédemment). En effet, qu’il s’agisse des 150 membres inscrits à la fin de l’année
32
1886 ou les 200 membres de la fin de l’année 1889, ces chiffres sont certainement élevés au
regard du nombre de boxeurs en activité. Certes l’appréciation de ce nombre est
approximative. Comme mentionné précédemment, le nombre de boxeurs en activité est
inconnu, et le calculer consisterait à définir qui est boxeur et qui ne l’est pas et surtout qui est
professionnel et qui ne l’est pas. Il serait toutefois possible de comptabiliser le nombre de
boxeurs par l’intermédiaire de tous les combats rapportés par The Sporting Life mais il
faudrait, encore une fois, distinguer le nombre des boxeurs amateurs de celui des boxeurs
professionnels afin de pouvoir fournir le pourcentage de boxeurs professionnels adhérents à la
PBA. Le rapport du nombre de membres de la PBA par rapport aux nombres de boxeurs total
est donc impossible à donner, mais irait à l’encontre de la démarche adoptée puisqu’il
supposerait de définir préalablement qui est professionnel et qui ne l’est pas. Quoi qu’il en
soit, le chiffre apparaît de toute évidence comme étant élevée au regard de l’illégalité de
l’activité et du faible dynamisme du secteur pugilistique, notamment pour l’année 1885.
Le deuxième argument possible pour manifester l’importance du nombre de membre repose
sur le fait que la croissance rapide du nombre de membres peut être vue comme un indicateur
du succès de l’association. En six mois, elle compte déjà 100 membres. Cette expansion
rapide de la PBA est alors révélatrice d’une adhésion à la création d’une structure officielle
venant organiser et unifier la boxe. Tout se passe comme si les boxeurs et organisateurs de
boxe étaient impatients de s’affranchir de la tutelle de la ABA. La représentativité de la PBA
paraît donc réelle. Elle permet d’affirmer que le succès de la création de cette association va la
légitimer et lui permettre de promouvoir sa « vision » de la boxe.
2) Les élites de la boxe : le cumul du pouvoir symbolique et économique.
De plus, si le nombre (élevé) de membres est un atout pour la promotion et la pérennité
de l’association, il n’empêche que les propriétés sociales de ces membres sont très
importantes. Pour des difficultés temporelles et empiriques111, les trajectoires de chaque
membre de l’association n’ont pas pu être reconstruites. Néanmoins, elles ont été retracées
pour les vingt et une personnes membres du premier comité directeur du 22 mars 1885
(auquel William Richardson, qui est trésorier de l’association, a été ajouté). Ces esquisses
biographiques ont été réalisées en regroupant les données issues du Sporting Life et de la
littérature grise112. Etant tributaire des éléments empiriques, ces présentations ont parfois été
111
Nous ne disposons pas de beaucoup de données sur chaque membre
Notamment les ouvrages et articles suivants : BETTINSON, Arthur Frederick., The National Sporting Club,
past and present, [1901], Read Book, 2009. ; BRAILSFORD, Dennis, Bareknuckles, op. cit. ; SHIPLEY, Stan, «
112
33
limitées en taille devant l’étendue des données trouvées. A l’inverse quelques membres du
comité sont totalement inconnus, n’ayant pas laissé de trace, n’ayant pas « pris la parole au
nom de leurs semblables », tel un « Jean Valjean qui n’aurait pas volé de pain » pour
reprendre la belle expression d’Alain Corbin113.
Quoi qu’il en soit, ces esquisses biographiques sont nécessairement descriptives, puisqu’elles
visent à présenter quelques caractéristiques générales pour chaque membre. Seul celle de Jem
Mace est présentée ici à titre illustratif. Les informations regroupées pour le comité directeur
sont, elles, dans le tableau qui suit.
Jem Mace (1831-1910) 114
Mace est un boxeur « très célèbre »115, ancien champion d’Angleterre et « ancien champion
du monde »116 dans les années 1870. Brailsford117 considère qu’il a participé à la construction
de la boxe moderne. Il a longtemps pratiqué le « prize-fighting » avant de se tourner vers la
boxe. A partir des années 1860, il voyage beaucoup entre Angleterre, Australie et Etats-Unis
où il accompagnait une troupe de cirque. Son fils, Jem Mace junior est le promoteur de la
salle The Waite’s School of Arms. En 1884, Mace boxe encore et est disposé à parier la
somme de 1 000 £ qu’aucun boxeur ne pourrait le mettre K.O en quatre rounds. Bien que ces
revenus soient inconnus, tout porte à croire qu’ils sont élevés. Il a un « agent », M. Ware.
Boxing», op. cit., et surtout WATSON, Robert Patrick, Memoirs of Robert Patrick Watson. A journalist’s
experience of mixed society., Smith, Ainslie & Co., Strand, 1899.
113
CORBIN, A., Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d’un inconnu (1798-1876),
Flammarion, Paris, 1998, p. 9.
114
Les informations présentées ici ont été sélectionnées. Le boxeur étant très célèbre, beaucoup de données le
concernant ont pu être recueillies.
115
The Sporting Life 25 septembre 1886.
116
The Sporting Life, 14 janvier 1885.
117
BRAILSFORD, Dennis, Bareknuckles, op. cit.
34
Année 1885
Boxeur ou
ex boxeur.
Boxeur.
Champion
d’Angleterre,
ancien
champion du
monde.
Rôle dans la
PBA
Jack
Knifton
Boxeur.
Ancien
champion
d’Angleterre.
Bob
Habbijam
Ancien
boxeur.
Président le
18 février, 24
mars 1885.
Démission le
27 octobre
1885, sans se
retirer de
l’association.
Viceprésident en
1885. Élu au
comité en
1885, 86, 87,
88.
Ned
Donnelly
Professeur/in
structeur de
boxe.
C. Ford
Boxeur
amateur
Jem
Mace
Élu au comité
en 1885, 86,
87, 88.
Premières
séances de
1885 sont
présidées par
Donnelly.
Responsabilités
Initiatives
personnelles
Propriétaire
de salle
Propriétaire
d’une salle à
Oxfordstreet où il
organise des
compétitions
.
Autres
A l’origine
de l’appel
pour le
théâtre (voir
infra).
Co-manager du
tournoi de la
PBA en 1887,
MC en 1888.
Décrit
comme
promoteur
de The West
school of
arms le 7
janvier 1885
Il doit trouver
une salle pour le
tournoi de la
PBA en 1885,
est co-manager
de celui de 1886
et MC en 1887.
Dick
Edwards
Élu au comité
en 1885, 86.
Nommé
« dirigeant »
la même
année. Viceprésident du 7
septembre
1886 à mars
1888.
Président de
mars 1888 à
au moins
mars 1889.
Propositions
: sur les
dons, pour
réglementer
les billets
pour les
tournois de
la PBA, sur
la
modification
des règles
(exemple : la
limite d’âge)
etc.
Frank
Grimm
Président le 8
décembre
1885 (il
occupe déjà
ce poste
officieusemen
t depuis le 8
octobre) et est
Propositions
: sur la salle
à trouver
pour le
tournoi de la
PBA, sur la
gestion des
fonds de
Dons : 5 £, 5
s en 1885,
deux fois 1
£, 1 s en
1888.
Propose
avec T.
Symonds
d’avancer
l’argent
suffisant
pour
l’organisatio
n du tournoi
de la PBA
en
septembre
1887.
Il donne 5 £
5 s le
meeting du 3
mars 1885.
Il est l’un
des quatre
« garants »
pour la
35
Dick
Roberts
Tom
Symonds
Célèbre
boxeur. Final
iste au
championnat
d’Angleterre
de 1882.
Ex boxeur
Barney
Shepherd
Ben Clark
William
Hundreds
Jem Goode
senior
Jem Goode
junior
Bill
Goode
Nous ne
disposons
d’aucun
élément sur
ce membre.
Boxeur
Ancien
boxeur
(vétérinaire ?
)
Boxeur
célèbre
- Il affronte
réélu le 8
mars 1886 et
le 10 mars
1887
l’association
. Il gère
souvent les
aspects
financiers.
Il est élu au
comité en
1885, 86.
Propositions
sur gestion
financière de
la PBA.
Viceprésident dès
la création et
réélu le 23
mars 1886 (et
comme
membre du
comité). Il
devient
trésorier le 17
août 1886. Il
est réélu en
mars 1887,
1888 et 1889
Élu au comité
en 1885 et 86.
Il organise
beaucoup de
compétitions
. Il défend de
manière
permanente
les intérêts
de la PBA.
Élu en mars
1885, 86, 87,
88 et en 1889.
location de
The St
Jame’s Hall
pour le
tournoi de
1885.
Propriétaire
du Blue
Anchor à
partir de
1886.
Dons : 5 £, 5
s en 1885, en
janvier 1888.
Il s’engage à
avancer les
fonds en
1887.
Promoteur
du Glengall
Gymnasium.
Parfois,
indiqué
comme
promoter du
« South
London
Gymnasium
» avec A.
Fleming.
MC lors du
tournoi de 1886,
1887, 1888 et de
1889.
Beaucoup de
problèmes
de santé et
beaucoup de
« benefits ».
Décède en
1889.
Élu au comité
en 1885, 86 et
87.
Élu au comité
en 1885 et 86.
Élu viceprésident en
1885, 86. Il
- Il écrit un
article très
critique sur
36
Slavin pour
400 £ en
1889.
Bob Puryer
Boxeur
connu.
Dan
M’Gannon
démissionne
9 mars 1886.
Réélu
membre du
comité le 7
septembre
1886.
Élu au comité
en 1885, 86.
Élu au comité
en 1885, 86,
87, 88 et 89.
la PBA en
1889 et
appelle à en
créer une
nouvelle.
Jack
M’Farlane
?
Peut-être.
(voir après).
Élu secrétaire
de la création
de la PBA au
moins
jusqu’en mars
1889.
Secrétaire du
tournoi en 1887.
Idem lors du
« First annual
contest » en
octobre 1889.
Jack
Hicks
Boxeur
célèbre.
Élu au comité
en 1885, 86,
87.
MC des tournois
en 1886 et 1888.
George
Langham
Nous ne
disposons
d’aucun
élément sur
ce membre
Il fait deux
dons de 5 s
pour deux
boxeurs.
En 1886, il
reçoit un don
des autres
membres de
la PBA
comme
récompense
de sa
compétence
de secrétaire.
Personne de
référence de
l’association
: adhésion,
aide pour un
tournoi etc.
Il présente le
bilan
financier etc.
Élu au comité
en mars 1886,
1887 et 1888.
Robert
Abel
Jack
Massey
Boxeur
célèbre.
Jem
Smith
Boxeur très
célèbre.
Champion
d’Angleterre.
Il affonte P.
Jackson pour
1 000 £.
William
Richardson
Non
(marchand
de vin et de
spiritueux)
Don de 5 £ 5
s en mars
1885.
Il organise
beaucoup de
compétitions
.
Il est réélu au
comité le 23
mars 1886 et
en mars 1889
(il est donc
absent
pendant 2
ans).
Membre du
comité en
1886.
Trésorier de
1885 à 1886.
Propriétaire
et superintendant de
« The Horse
and groom »
J. Fleming
est son
« agent ».
Acteur
important de
la boxe
londonienne.
Propriétaire
du Blue
Anchor,
siège social
de la PBA.
Don= 5 £ 5 s
en 1885.
37
Ayant présenté succinctement ces membres, leurs différents profils sociaux peuvent
maintenant être exposés. Avant tout, 24 personnes ont été mentionnées : 23 membres du
comité (dont 2 ont démissionné118) et le trésorier119.
Sur ces vingt-quatre personnes, nous connaissons la profession (en 1885) de quinze
d’entre eux. Sur ces 15 derniers membres, 9 sont des boxeurs (et donc 6 non boxeurs), 2 sont
professeurs, 4 sont propriétaires de salle (dont 1 cumul avec son activité de boxeur) et 1 est
promoteur. Il est à noter que parmi les 6 membres qui sont non boxeurs, 3 sont des anciens
boxeurs. Par conséquent, au moins 50 %
120
des membres du comité directeur sont des
boxeurs ou anciens boxeurs.
De plus, il convient de mentionner que parmi ces 12 boxeurs ou ex-boxeurs : 3 sont ou ont été
champions d’Angleterre (voir champion du monde pour l’un d’entre eux) et que 6 sont décrits
comme des boxeurs « connus » ou « célèbres ».
Par ailleurs, si 50 % des membres sont des boxeurs ou anciens boxeurs, une appréciation autre
que chiffrée peut être donnée. Comme dit précédemment, nous connaissons les professions de
15 personnes sur 24 (soit 62,5 %). Néanmoins, pour les 9 personnes restantes, le fait même
qu’aucun passé relatif à la boxe ne soit mentionné est un indice (bien sûr grossier) du fait
qu’ils ne sont certainement pas boxeurs. Les renseignements sont tirés de la littérature grise
(traitant donc de boxe) ou du Sporting Life (quotidien sportif très porté sur la boxe). Dans les
deux cas, le moindre passé de boxeur est relaté. L’absence de donnée pugilistique laisse donc
entendre que les 9 membres dont la profession est inconnue ne sont sûrement ni des boxeurs
ni des anciens boxeurs, auquel cas leur passé sportif aurait été évoqué. En effet, il est
surprenant que des membres aussi éminents que D. Edwards (vice-président puis président),
F. Grimm (président) ou M’Farlane (secrétaire), dont les actions sont largement relatées, ne
présentent à aucun moment (excepté pour M’Farlane121) une quelconque trace d’activité
pugilistique.
Parmi ces membres, il convient de mentionner qu’Edwards comme Grimm font des dons
importants à l’association. Le dernier fournit 5 £ 5 s lors de la création de l’association alors
que le premier offre la même somme à la même époque, puis deux fois 1 £ 1 s lors de l’année
1888 et propose enfin (avec Tom Symonds) d’avancer les fonds nécessaires pour organiser le
118
L’un d’eux, Clark a démissionné après cinq mois d’activité au comité et aucun élément n’a pu être trouvé
pour reconstruire sa trajectoire.
119
Mais qui n’est pas pourtant pas membre du comité.
120
Selon la formule suivante : 9 (boxeurs en activité) + 3 (anciens boxeurs) = 12. Le nombre total de membre est
de 24 donc 12 / 24= 50 %.
121
Voir plus haut dans la courte biographie.
38
tournoi de la PBA en septembre 1887. Ces éléments permettent de supputer qu’ils disposent
de revenus suffisamment élevés pour pouvoir faire ces dons.
Ainsi, au regard de ces informations, il est certain que la majorité des boxeurs présents
sont des boxeurs capitalisés - économiquement, symboliquement (les titres) et socialement qui ont peu de choses à voir avec un « boxeur » moyen de l’époque. En témoigne le fait que
Jem Smith et Jem Mace, respectivement champion d’Angleterre et du monde, ont chacun un
« agent »122. Cette précision dénote objectivement le prestige et les revenus dont jouissent ces
boxeurs à cette époque.
Si l’on retient que le comité directeur de la PBA est composé pour moitié de boxeurs ou
d’anciens boxeurs et dont la majorité est capitalisée, alors on s’éloigne nécessairement des
constats d’E. P Thompson123 concernant la société de concours mutuel des tisserands par
exemple. Effectivement, l’historien anglais montre que celle-ci n’est composée que de
tisserands124. De plus, il affirme que les membres de ces sociétés n’ont que peu de ressources,
notamment économiques. Ici, le comité directeur de la PBA est composé de 12 boxeurs ou
anciens boxeurs parmi lesquels on compte 3 « champions » (d’Angleterre ou du monde) et 5
qui sont présentés comme « connus », 1 est devenu propriétaire de salle, 1 cumule son activité
pugilistique avec la direction d’une salle. Ainsi, parmi les 12 boxeurs ou ex-boxeurs, 9 sont
soit « champions » ou « célèbres » ou « propriétaires ». Bien que les revenus de ces individus
sont inconnus, on peut légitimement penser que ces membres disposent de ressources
économiques relativement élevées, bien que diversifiés en leur sein125. Le parallèle établit
avec Thompson est alors rompu puisqu’aucun des individus décrits par l’auteur ne perçoit de
telles sommes126. De plus, il est indéniable que le fait même d’être « champion » ou
« propriétaire d’une salle» constitue un capital symbolique élevé, dont Thompson ne rend
aucune trace à propos des tisserands ou des drapiers par exemple127.
122
Une étude détaillée –particulièrement inédit- serait ici nécessaire mais nous n’avons malheureusement pas eu
le temps de la mener.
123
THOMPSON, Edward, Palmer, La formation de la classe ouvrière anglaise, op. cit.
124
Cette différence est évidemment due aux particularités de deux secteurs d’activité : d’une part, les tisserands
et les drapiers qui sont précisément délimités, et d’autre part, la boxe qui est en pleine structuration.
125
Les écarts extrêmes peuvent être incarnés par les différences entre R. Puryer et Jack Hicks. Le premier fait
ainsi un match à pour une bourse de 1 000 £ le 26 septembre 1889 alors que R. Puryer est présenté comme un
« boxeur connu » dont les gains pugilistiques sont inconnus, ce qui constitue un indicateur de leur relative
« bassesse ». Cette diversité reste d’actualité dans le milieu sportif (FLEURIEL, Sébastien et SCHOTTÉ,
Manuel, Sportifs en danger, op. cit.) et artistique (MENGER, Pierre-Michel., Portrait de l’artiste en travailleur.
Métamorphoses du capitalisme, Seuil, Paris, 2002).
126
Ici, il conviendrait de réaliser un parallèle avec d’autres « institutions » sportives de la même époque, que ce
soit le syndicat des joueurs professionnels de football ou tout simplement le comité directeur de la fédération,
malheureusement notre connaissance limitée de la littérature anglophone sur ces sujets ne nous a pas permis de
dresser ce parallèle. Il conviendra nécessairement d’être réalisé dans une étude ultérieure.
127
Même si nous ne nions pas l’existence d’une « hiérarchie » chez les tisserands.
39
Ensuite, sur les 9 personnes dont il est « sûr » qu’elles ne sont pas boxeurs ou anciens
boxeurs, nous connaissons la profession de deux d’entre elles. L’une est propriétaire de salle
et l’autre est à la fois propriétaire et promoteur (de 2 salles différentes). Le premier
(Richardson) est un ancien vendeur de vin et spiritueux devenu propriétaire du Blue Anchor,
salle de boxe pouvant accueillir 400 personnes, située à Shoreditch (quartier socialement
favorisé qui est aussi « le lieu d’origine du théâtre »128 à londonien) et dont la presse sportive
fait régulièrement écho. Le second (Shepherd) est promoteur du « Glengall Gymnasium » où
la bourse la plus élevée mise en jeu est de 255 £129, ce qui garantit un certain succès de la
salle. De plus, Shepherd deviendra le propriétaire (avec Albert Fleming, le fils de J. Fleming
célèbre promoteur du Pelican Club130) du « South London Gymnasium », établissement créé
en 1889 et dont les sommes offertes en boxe atteignent au maximum 200 £ pour l’année 1889,
ce qui -encore une fois- est presque un indicateur du succès de la salle. Regroupant ces
informations partielles, il apparaît légitime de penser que ces deux individus sont dotés de
capitaux économiques élevés.
Par conséquent, en regroupant toutes les données présentées, de toute évidence, parmi
les 24 membres mentionnés, 14 ont des revenus largement supérieurs à un boxeur « moyen »
(ou modal). En effet, 10 sont soit des boxeurs « champions » ou « célèbres » soit des (ex)boxeurs/propriétaires ; 2 font des dons suffisamment élevés pour soupçonner des capitaux
économiques élevés ; et 2 occupent des professions (propriétaire du Blue Anchor et
propriétaire/ promoteur) dont nos informations laissent à penser qu’elles rapportent un revenu
élevé. Les dirigeants de la PBA (à travers le comité directeur) sont donc des individus
fortement capitalisés n’ayant peu de choses à voir avec les boxeurs moyens. Il permet en
revanche d’expliquer pourquoi la PBA (au-delà de ses « nombreux » membres) dispose d’une
telle légitimité et d’une telle visibilité dans l’espace pugilistique de l’époque, et que sa
manière de « concevoir » la boxe est largement diffusable au regard des membres qui la
dirigent. La structuration de l’espace pugilistique « imposée » par la PBA ne se fait donc pas
tant par le nombre que par l’intermédiaire du pouvoir symbolique et économique dont
disposent ses membres dirigeants. Les ressources de ces membres expliquent également
pourquoi la PBA dispose, elle-même, d’un pouvoir symbolique élevée. Le relatif « faible »
nombre d’actions qu’elle mène (voir infra) est compensée par les pouvoirs de ses membres,
128
PORTER, Roy, London: A Social History., Penguin Books, London, 1994, p. 293.
SHIPLEY, Stan, « Tom Causer of Bermondsey: A Boxer Hero of the 1890s », op. cit.
130
Sur cet établissement, voir le témoignage de l’époque de F. Bettinson (op. cit.) et d’un point de vue
historique, l’étude détaillée de DEGHY, Guy, Noble and manly. The history of the national sporting club,
Hutchinson, 1956.
129
40
comme par exemple T. Symonds- vice-président puis trésorier de l’association- qui organise
une compétition tous les mercredis et samedis de l’année au Blue Anchor (siège social de la
PBA) sans que le label de l’institution n’apparaisse formellement.
Enfin, bien que toutes les trajectoires des membres du comité directeur n’aient pas été
retracées, les conclusions tirées pour les trajectoires précédentes restent en partie valable pour
la période. En effet, entre 1885 et 1889, 33,75 % des membres du comité directeur sont élus
pour la première fois. A ce pourcentage, il faut en plus retirer les plus hauts responsables
(président, vice-président, trésorier et secrétaire) puisque, excepté pour le cas du viceprésident, les autres fonctions sont occupées par les mêmes personnes entre 1885 et 1889 sans
que celles-ci soient élues dans le comité. Pour la vice-présidence, Grimm occupe ce poste
entre 1885 et 1887 (alors qu’il est au comité en 1885 et 1886), Green en 1888 alors qu’il n’est
pas au comité et Oliver est élu en 1889 en complément à son élection au comité. Le turn-over
des « dirigeants » est donc relativement faible : plus de deux tiers des membres restent au
comité l’année suivante. Les affirmations avancées à partir du cas 1885 restent donc (dans
l’ensemble) valables pour la période (jusque 1889). Elles contribuent donc à penser que la
visibilité, la légitimité et la reconnaissance de l’association devient plus importante étant
donné qu’elle se poursuit avec les années. La structuration de la boxe telle que les membres
de la PBA la pense (et la « souhaite »), c’est-à-dire une boxe plus « professionnelle » (au sens
où les boxeurs s’affrontent pour de l’argent), plus corporatiste et plus spectaculaire en
organisant des événements de grande ampleur est rendue plus probable par la pérennité de
l’association entre 1885 et 1889.
3) Une mission d’assistance pour les boxeurs dans le besoin
La deuxième caractéristique contribuant à asseoir la légitimité et la visibilité de la PBA
réside dans l’aide qu’elle apporte aux boxeurs dans le besoin. En se faisant la première
structure d’assistance des boxeurs, la PBA s’offre la garantie d’avoir, en retour, leur
reconnaissance. Comme souligné précédemment, l’aide aux boxeurs est la première règle de
l’association.
Les aides apportés par la PBA aux boxeurs de l’époque ont été répertoriées sous formes de
tableau. Elles peuvent prendre différentes formes : dons bruts (remettre une certaine somme à
un boxeur ou sa famille), organiser un « benefit » (un événement pugilistique ou « de
spectacle » qui peuvent être « compétitifs » dont les recettes seront reversées à un boxeur),
organiser une « exhibition » (c’est à dire une démonstration de boxe sans enjeu où les
41
bénéfices seront reversés au boxeur), prendre en charge les obsèques ou la pierre tombale
d’un boxeur décédé (ou d’un proche).
1885
7
1886
3
1887
15
1888
7
1889
9
Total
41
5
2
13
6
7
29131
2
(montant
inconnu)
2 (dont
une de 2
£)
5 (valeur totale=
21 £ 2 s).
Benefit
2
1
13
(valeur
totale=
42 £).
1
7 aides
(valeur
totale=
37 £).
0
29
(valeur
totale=
102 £ 2 s).
6
Exhibitions
Obsèques
Pierre
tombale
Refus (et
motif)
1
1
1
0
0
0
0
1
0
0
0
0
1
2
1
1 (car non
membre)
1 (non
membre)
0
Nombre
total
d’actions
Nombre de
boxeurs
concernés
Dons (+
valeurs)
2 (dont un pourra
être accompagné
d’une aide de 5 £
en cas d’échec)
0
0
0
3 (deux ne sont pas 0
membres, un a
déjà été aidé).
5 (dont 4
parce que
non
membres).
Ainsi, au regard de ce tableau, quarante et une action ont été réalisées pour aider des
boxeurs entre 1885 et 1889. Ces actions concernent vingt-neuf boxeurs différents. Parmi ces
aides, les dons constituent le moyen d’action le plus usité : 31 dons ont été réalisés, pour une
somme totale de 102 £ 2 s. Le comité directeur de la PBA traite donc de nombreux problèmes
et dépense des sommes importantes pour venir en aide aux boxeurs. Ces actions participent à
rendre la PBA visible et légitime au sein de l’espace pugilistique, et plus particulièrement aux
yeux des boxeurs qui la voient comme une structure d’assistance.
Néanmoins, d’un autre côté, ces aides peuvent être considérées comme « occasionnelles » si
elles sont rapportées à la situation de monopole (comme institution en charge de la boxe
professionnelle) dont bénéficie la PBA et au développement de ce secteur d’activité. Dans
cette étude, nous postulons que le nombre d’actions menées par l’association compte
finalement assez peu. En effet, au-delà des dons (et autres), le fait même que les membres
131
Ce chiffre ne correspond pas au total des cinq années car certains boxeurs sont aidés à deux années de
décalage.
42
dirigeants de la PBA comptent parmi les organisateurs de boxe les plus importants (W.
Richardson, T. Symonds, J. Fleming, B. Shepherd, J. Massey etc.) assurent une certaine
notoriété à l’institution. Qu’elles soient faites directement par la PBA ou non, les actions sont
d’abord menées par des hommes influents qui détiennent une part importante de l’offre de
spectacle pugilistique londonien à cette époque. Le nombre d’actions menées par la PBA
importe donc moins que le prestige dont jouissent les membres dirigeants de l’association.
Cette dernière dispose d’un pouvoir symbolique effectivement élevé sans avoir besoin
d’organiser de multiples actions directement parrainées par l’association. La légitimité de
l’association provient donc pour partie de la prise en charge de boxeurs incapables d’exercer
leur profession et pour partie du pouvoir symbolique dont disposent les dirigeants de la PBA
qui sont également les plus éminents organisateurs de spectacle pugilistique.
Néanmoins, dans tous les cas, il est évident que les sommes accordées aux boxeurs sont
tributaires de l’état des fonds de l’association. En témoigne la déclaration du président
(Edwards) le 6 septembre 1887 où ce dernier affirme qu’« à l’avenir, aucune demande ne sera
considérée pour le compte des non-membres sauf s’il y a beaucoup d’argent dans les fonds de
l’association ». Pis, il propose même le 4 octobre 1887 que « les noms [des présents] soient
pris à chaque réunion et que ceux qui assistent le plus souvent devraient recevoir la plus
grande considération ».
De même, une série de mesures sont prises pour limiter les dons à certains cas : exiger un
certificat médical du médecin comme preuve en cas de blessure (11 juillet 1889), un certificat
de décès (8 janvier 1889), réserver les aides financières au cas de blessure ou décès et non en
cas de maladie (7 août 1888) etc.
Ces mesures soulignent implicitement le quatrième garant de la légitimité et visibilité de la
PBA : l’autonomie financière.
4) Une PBA autonome financièrement.
Au-delà de l’organisation fonctionnelle de l’institution, celle-ci nécessite évidemment une
prise en charge financière. N’étant, a priori, soutenue par aucun organisme ou pouvoir public,
la PBA va devoir vivre des cotisations et des dons de ses membres. Ces derniers sont
régulièrement rapportés par The Sporting Life. Ils ont été regroupés selon un ordre
chronologique au sein des deux tableaux suivants. Le premier est détaillé et rapporte les
dépenses et recettes de l’association alors que le second résume l’état des fonds au début du
mois de mars (lors de l’élection des membres) et en décembre pour la fin d’année:
43
Les fonds de l’association
Les chiffres mis en gras (si l’on excepte les années) renvoient au bilan financier au cours du
mois de mars de l’année (assemblée générale où ont lieu les élections et l’état des comptes)
et en fin d’année quand celui-ci est connu ou peut être calculé.
1885
31 mars : 20 £, 1 s.
8 avril= 25 £, 1 s.
14 avril= Décision de placer les fonds en surplus (soit au-delà de 25 £) à la banque sur un
compte de dépôt dont 3 personnes (nommées par le comité) auront accès.
27 octobre132= 52 £ 10 s. Sur cette somme : 25 £ sont conservés (cas d’urgence et dépenses
actuelles) et le reste est placé à la banque.
Donc solde 52 £ 10 s.
1886
Après le tournoi (fin octobre mais chiffre issu d’une période ultérieure)= 142 £ et 64 £ de
dépenses donc 78 £
9 mars 1886 : « Recettes= 88£ 13s, 8d et les dépenses totales= 21 £ 9 s, 10 d.
Solde= 67 £ 3 s, 10 d (+8£ 8s dues mais non payées).
4 mai= Plus de 50 £ en main.
Donc solde= supérieur à 50 £133
1887
4 janvier : Incluant les sommes dues à la PBA (mais pas encore remises) : 150 £ - 160 £.
8 février : Il est décidé "que les fonds de l’association supérieurs aux 25 £, consacrées aux
dépenses actuelles, soient situés dans les mains du trésorier, à condition qu'il accorde 5 pour
cent d'intérêt ».
10 mars : 61 £ 15 s, 9 d et 99 £ 4 s, 8 d prêté à 5 % donc un solde de 161 £ 5 d « pour l’année
passée ».
132
Cette période (fin octobre) correspond, pour chaque année, à la réunion suivant le tournoi, l’état des comptes
est alors fait. En 1885, le tournoi rapporte 57 £ 16 s et 8 d à la PBA.
133
Rappelons-le encore, le salaire moyen annuel en Angleterre est alors de 40 £ (ROBERT, Jean-Louis, Le XIXe
siècle, op. cit).
44
6 septembre : Le trésorier dispose de 20 £ et quelques shillings en main.
1 novembre: Recettes tournoi= 67 £ et dépense environs 64 £.
10 novembre : Il est admis qu’ « une somme de 10 pour cent soit déduit des recettes bruts
pour former un fonds de réserve, qui ne devra pas être utilisé sans le consentement de 90 %
des membres à une assemblée générale spéciale appelée à ce but. De plus, il est admis
qu’« une boîte pour les contributions volontaires sera placée devant le président à chaque
réunion et dont les revenus seront comptés à la fin".
Donc le solde est inconnu mais semble très faible, ayant subi une forte baisse en
quelques mois.
1888
7 mars : "Les membres sont informés qu’à l'avenir les abonnements s’élèveront à 7 s par an,
à payer chaque mois. (…) Les nouveaux membres devront payer 2 s, 6 d de droit d'entrée.
(Advt).
10 mars : L’an passé (entre le 10 mars 1887 et le 10 mars 1888), un inhabituel recours aux
fonds de l'association a été réalisé en raison de nombreux morts et sérieux accidents. Les
recettes s’élèvent à 153 £ 15 s 4 d et les dépenses à 145 £ 3 s, 2 d. 1 £ avait été placé dans
les fonds de réserve de l’association. Le solde est donc de 7 £ 12 s 2 d.
8 mai : Il est décidé qu’« un abonnement de 5 £ 5 s, ou sept dons séparés d’au moins 1 £ 1 s,
doit à l'avenir constituer un membre à vie ».
A cette date, lorsque le président consulte le montant de la caisse à subvention, il affirme « si
cela continue comme cela la PBA fera faillite ».
Le solde est inconnu mais est présenté comme faible.
1889
6 février: L’année passée, les dons ont été de 40 £ et aujourd’hui la PBA dispose d’un « bon
équilibre en main ».
11 février : Les dépenses s’élèvent à 228 £ 1d alors que les recettes sont de 267 £ 1 s. 1, 5 d.
Il y a donc un solde de 39 £ 1 s 0,5 d.
Les dépenses des deux divertissements annuels sont de 111£ 1s 9d et les recettes de 123£ 9s
et 11,5d. Le solde s’élève alors à 12 £ 10 s, 2,5 d.
L’an passé, les dons échelonnaient entre un souverain et cinq guineas pour un total de
45
presque 100£. Le solde est ainsi de 39 £ 1s 0, 5 d.
6 mars : Les recettes de l'année sont les suivantes : 121£ 17s 11,5d, les dépenses de 83 £
(illisible) 11d. Le solde est donc de 26 £ 1 s 0,5 d, montrant ainsi un excédent total de 30 £ 1
s 0,5 d (en incluant les fonds de réserve).
Donc solde= 26 £ 1 s et 0,5 d.
Tableau récapitulatif
Années
Bilan financier
en mars
Bilan financier
en décembre
1885
20 £ 1s
1886
67 £ 3 s 10 d
1887
161 £ 5 d
1888
7 £ 12 s 2 d
52 £ 10s
Plus de 50 £
Inconnu
Inconnu
1889
26 £ 1 s 0,5
d.
Inconnu.
Entre mars 1885 et mars 1889, la PBA a donc successivement présenté un solde de 20
£ 1 s (1885) ; 67 £ 3 s et 10 d (1886) ; 161 £ 5 d (1887) ; 7 £ 12 s 12 d (1888) ; 26 £ 1 s et 0,5
d (1889). Les variations de soldes sont flagrantes. La chute budgétaire qui s’est opérée entre
1887 et 1888 peut difficilement être expliquée. Elle relèverait a priori de trois raisons : le
nombre de boxeurs à aider134, le faible succès du tournoi de la PBA et un « détournement de
fonds » (mentionné mais non expliqué par The Sporting Life du 6 septembre 1887 : « La
faiblesse de la balance est due à un sérieux détournement de fonds (« defalcation ») comme
tous les membres le savent, et qu’ils ont tous regretté ».
Quoi qu’il en soit, sur la période qui s’étale de 1885 à 1889, la PBA dispose le plus
souvent de fonds suffisants pour pouvoir réaliser des actions et soutenir financièrement des
membres. L’autonomie financière dont elle fait preuve est donc un garant de sa légitimité et
de sa capacité à s’imposer dans l’espace pugilistique londonien.
5) Le relais médiatique de la PBA
Enfin, la dernière cause de légitimation de la PBA réside dans son « contrôle » du
quotidien The Sporting Life. Sur ce sujet, nous nous permettons de renvoyer au propos
précédent qui présentait les liens de la PBA et du Sporting Life. Comme cela a été évoqué, ce
quotidien est la voie et la voix de diffusion de la PBA à tous les niveaux.
134
La nouvelle règle du 4 décembre 1888, qui limite l’âge d’adhésion à l’association, peut donc être vue comme
une réaction à ces nombreuses aides apportées. En vérifiant la santé de ces membres lors de leur entrée à la PBA,
l’institution « protège » ses fonds en limitant les « risques » de venir en aide à un boxeur.
46
C’est donc à l’appui de cette visibilité/légitimité que la PBA va pouvoir mener ses
actions. Celles-ci sont également variées et contribuent à instaurer un contrôle de la PBA au
sein de l’espace pugilistique.
e) Les actions de la PBA pour structurer l’espace pugilistique.
Comme mentionné précédemment, avant 1885, il semble que l’espace de la boxe se
caractérise par son caractère peu unifié. La PBA est l’un des déterminants de l’organisation de
l’espace, notamment à travers les actions qu’elle met en œuvre. L’étude des données a permis
de distinguer trois types d’actions menées par l’association. Chaque action est votée par les
membres lors des réunions, afin de décider si l’on accorde ou non le « label » PBA.
D’abord, l’institution peut « organiser des événements », notamment en créant des
tournois afin de « réapprovisionner ses fonds ». Ceux-ci ont lieu en octobre chaque année et
se déroulent dans des établissements prestigieux et à forte capacité : The St Jame’s Hall
notamment. Bien que ces événements ne soient pas toujours rentables 135, ils contribuent à
donner une visibilité à l’association. Le tournoi est fortement relayé par la presse et de
nombreuses personnalités sont présentes. Lors de l’année, 1889, le « tournoi » est abandonné
et on lui préfère un « concours annuel » auquel s’ajoutent un « smoking concert » et un
« banquet annuel » (qui existait déjà en 1888). Le « concours annuel » se différencie des
précédents tournois par le fait qu’il est réservé aux membres de la « PBA ». Tout se passe
donc comme si l’« échec » financier de l’année 1888 amène la PBA à changer de formule
pour privilégier ses membres et encourager des boxeurs à adhérer à l’association (et donc
pouvoir assister au tournoi). Cet événement a toutefois une moindre importance que les
tournois antérieurs, ne serait-ce qu’en termes d’échos médiatiques : l’article de The Sporting
Life est ainsi nettement plus petit (une dizaine de lignes) que les articles consacrés aux
tournois (environ une ou deux colonnes). En ce qui concerne le « smoking concert » et le
« banquet annuel », il s’agit d’événements totalement nouveaux. Le « smoking concert »
mériterait à lui seul une étude à part entière. Il s’agit d’un divertissement, une sorte de
« show » (au sens actuel du terme), organisé autour de chansons, de danses, de numéros dits
« exceptionnels », de billards etc. La boxe semble absente, mais les boxeurs sont
particulièrement surreprésentés dans les « smoking concert ». C’est ainsi qu’en 1886, (plus
particulièrement le 20, 22 et 29 décembre), trois « smokings concerts » ont lieu et parmi
135
Le tournoi est par exemple très rentable en 1887 (avec 142 £ de recettes pour 64 £ de dépenses) mais ne l’est
pas du tout l’année suivante en 1888 (environ 67 £ de recettes et environ 62 £ de dépenses).
47
lesquels on retrouve « Ben Hyams, Harry Laburnum, Charley White (senior and junior), Jem
Smith (champion of England), J. Davis, Joe Goode, George Hall, W. Grant (8st amateur
champion), J. Ellis (ex amateur champion) » (20 décembre 1886), « Jack Baldock, D.
M’Gannon » (22 décembre 1886).
De plus, lors de ces trois événements, Jem Smith [champion d’Angleterre déjà évoqué] fait
office de « vice-président » de séance. Il semble donc jouer un rôle majeur dans ces
divertissements. Enfin, il est également remarquable que, le 20 décembre, seuls des boxeurs
sont présents parmi les sportifs - ou du moins les sportifs mentionnés ne sont que des boxeurs
- alors que cette soirée n’est pas indiquée comme étant réservée à la boxe. De même, le 22
décembre à The Market House, les boxeurs sont surreprésentés parmi les « sportsmen et
gentlemen » nommés. Par ailleurs, lorsque les membres cités ne sont pas présentés comme
boxeurs, ils sont au moins des « organisateurs de matches » ou des « sympathisants », c’est-àdire qu’ils assistent aux matche de boxe, font des dons à la PBA ou appartiennent à cette
institution. C’est le cas par exemple de Richard (dit « Dick ») Edwards (présent le 22
décembre) qui est le vice-président, de Tom Symonds (qui est trésorier), de Ben Hyams qui a
fait un don de 31 £ et devient « gouverneur à vie » de la PBA etc. Tout se passe donc comme
si les « smoking concerts » étaient d’abord suivis par des boxeurs. Cette « piste » d’analyse
mériterait une étude plus lourde empiriquement néanmoins, de prime abord, il semble qu’elle
traduit une fois de plus la proximité particulière de la boxe avec le monde du spectacle
traditionnel.
Le deuxième type d’action menée par la PBA consiste à parrainer différents événements
pugilistiques. Ce soutien peut-être « formel » à certains moments, en ne consistant qu’à
mentionner (a priori) dans des annonces publicitaires le fait que la PBA parraine le combat ou
le tournoi. Il peut également être « réel » en prenant en charge le coût de l’organisation, c’est
le cas pour le benefit de Gregg le 3 mai 1887. Au total, la PBA soutient ou parraine treize
événements entre 1885 et 1889.
Le troisième type d’action de la PBA prend la forme de la nomination de juges. En
effet, un promoteur souhaitant organiser une compétition peut s’adresser à la PBA pour que
celle-ci lui fournisse des juges. Au total, la PBA fournit des juges à dix reprises entre 1885 et
1889.
Le total de ces actions est résumé dans le tableau suivant :
48
Parrainage(s)
Soutien(s)
Nomination de juge(s)
Tournoi de la PBA
Témoignage(s)/benefit(s)/
cooperation
Nombres d’actions de la PBA entre 1885 et 1889
1885
1886
1887
1
1
3 dont 1 avec prise
en charge du coût
de l’organisation
(Gregg).
2
1
3
3
3
1
1
1
1
(témoignage
pour
M’Farlane).
Banquet annuel
Concours annuel de la PBA
Smoking concert
1888
5
1889
1
1
- 1 « benefit » annulé
pour les victimes de
l’incendie.
- 1 coopération des
boxeurs le jour de
fermeture de Green
1
1
1
1
f) Des règles internes qui s’externalisent
Les actions engagées au nom de la PBA ne sont pas ses seuls moyens d’interventions.
En effet, la PBA dispose de règles internes fixées, initialement à partir de mars 1885, puis
modifiées ou complétées jusqu’en 1889. Ces règles internes s’appliquent toutefois (en théorie)
à toutes les compétitions de boxe de l’époque. En s’externalisant, ces règles codifient l’espace
pugilistique et rendent la boxe plus proche de celle qui existe à l’heure actuelle.
Le 14 avril 1885, la PBA connaît une avancée importante dans son institutionnalisation :
un corpus de règles est adopté. Chaque règle devra être respectée par tous les membres.
Un livre qui les regroupe sera même édité et délivré à chaque membre lors de l’inscription.
Ces règles seront parfois modifiées jusqu’en 1889, néanmoins l’immense majorité d’entre
elles restent intactes. L’ensemble des règles en vigueur en 1889 (et non en 1885) est ici
présenté. Les passages modifiés sont indiqués en note. D’une manière générale, il est
indéniable que les modifications visent à apporter des nuances aux règles et à laisser de la
liberté au comité pour différencier au cas par cas.
49
Règles de la PBA
1. L'association sera appelée "l'Association de Boxe Professionnelle" et ses objectifs
seront de protéger les intérêts des boxeurs professionnels et d’aider ceux appartenant à
l'association selon les circonstances jugées par le comité136., qui peuvent, par accident,
être privés de leur gagne-pain.
2. Il y aura un comité constitué de vingt-deux personnes, incluant le président, le viceprésident, le secrétaire et le trésorier, tous offriront leurs services gratuitement.
3. L'association devra être soutenue par les bénéfices tirés des compétitions, des
« assauts at arms »137 et des contributions volontaires, de telle sorte que le comité
puisse décider.
4. Le comité mentionné aura les pleins pouvoirs de diriger l'association et de traiter
ses affaires, il sera également autorisé à faire une assemblée générale des membres si
les affaires l’exigent.
5. Le comité se réunira le premier dimanche du mois, mais aucune affaire ne sera
traitée à moins que sept de ses membres ne soient présents, et, si nécessaire, trois ou
quatre assemblées générales chaque année auront lieu, au cours de chacune d’elle, le
rapport du secrétaire devra être lu.
6. Que le secrétaire informe, par écrit dans The Sporting Life, de telles réunions à tous
les membres.
7. Le président, le vice-président, le comité, le secrétaire et le trésorier sont élus
chaque année.
8. Un boxeur professionnel voulant devenir un membre, doit être proposé et secondé
par les membres de l'association, puis élu lors du prochain meeting mensuel138.
9. Chaque membre devra recevoir le livre des règles de l'association en indiquant son
nom et adresse au secrétaire contre le paiement de 1s, qui l'inscrira dûment comme
membre. Modifié de manière suivante (le 6 juin 1888):
9 (bis). Chaque membre doit payer un droit d'entrée de 2s. 6d, pour lequel il lui sera
fourni un livre de règles une fois élu et payera ensuite la somme de 6s par an, qui
pourra être payée dans des versements mensuels. N'importe quel membre ayant trois
mois de retard sera expulsé.
136
Dernière partie de la phrase ajoutée le 6 juin 1888.
Forme de pratique pugilistique à première vue « moins compétitive » que les matches, compétitions.
138
Ajoutée le 5 mai 1885.
137
50
10. Que les livres, les comptes et tous les papiers concernant l'association devront être
ouverts à l'inspection de n'importe quel membre sur approbation du comité en donnant
l’avis au secrétaire sous sept jours139 clairs.
11. Que le trésorier paye toutes les demandes signées par le président et le secrétaire,
mais en aucun cas en l’absence de leurs deux signatures.
12. Que dans le cas de la démission ou du décès d’un dirigeant ou d’un membre du
comité, le comité organisera une réunion générale aussitôt que possible pour élire un
autre en remplacement.
13. Que toutes les assemblées générales auront lieu chez M. W. Richardson, The Blue
Anchor, qui devra être considérée comme le siège social de l'Association.
14. Que les membres honoraires seront admis à l'association pour le prix d’un guinea
par an, ou à vie contre 5 guineas, ou contre 7 guineas donnés séparément140 sur
approbation du comité.
15. Que tout avis sera donné à tous les membres du comité par le secrétaire et pour
toutes les réunions, quiconque ne se soumettrait pas à l'avis donné sans fournir une
excuse valable, sera condamné à une amende 1s; ou que n’importe quel membre du
comité absent à trois réunions consécutives sera appelé à démissionner.
16. Que toutes les compétitions promues par l'association seront organisées selon ses
lois; les juges, chronométreurs, etc. seront nommés par le comité.
17. Que n'importe quel membre ayant une conduite déplacée et allant au détriment de
l'association, devra expliquer sa conduite devant le comité, et si cette explication
s’avère insuffisante il sera expulsé de l'association.
18. Que dans le cas où un quelconque changement de règle devrait être nécessaire, il
devra être porté devant le comité, dont la décision sera conclusive.
19. Qu’aucun boxeur âgé de plus de quarante-cinq ans ne pourra devenir membre de
l'association et que chaque candidat doit être dans un assez bon état de santé lorsqu’il
est proposé, ou il sera à l'avis du comité de décider s'il est rejeté141.
20. Que tout membre se conduisant mal et faisant quelque chose de nuisible à
l'Association, devra expliquer sa conduite devant le comité et sera expulsé de
l’Association, si ce n’est pas expliqué de manière satisfaisante.
139
Passé de 2 à 7 le 4 juillet 1888.
Ajout le 4 juillet 1888.
141
Ajoutée le 4 décembre 1888.
140
51
La lecture de ces règles permet donc de mieux rendre compte de l’organisation de la PBA.
Cette dernière adopte une position précise dans son fonctionnement et puni tout membre qui
ne s’y conformerait pas (voir encadré).
Les « sanctions » de la PBA :
Entre 1885 et 1889, The Sporting Life a évoqué des cas de sanctions envers des membres
dont la conduite était jugée inadéquate avec les règles de l’association.
Ces sanctions sont rares, puisque qu’elles sont au nombre de six. Plus précisément, il s’agit
de :
- trois demandes de démission auprès des membres du comité qui ont été absents à trois
reprises sans motif (7 juillet 1885).
- l’exclusion d’un membre qui n’a pas assisté à plusieurs réunions et qui n’a pas répondu à
plusieurs communications officielles de la PBA (11 août 1885).
- l’exclusion d’un membre accusé d’avoir envoyé une lettre d’insulte à un organisateur de
boxe. Lors de la réunion suivante, l’accusé s’est exprimé et a contesté avoir écrit la lettre.
Finalement, il a été réhabilité (9 et 23 novembre 1886).
- un rappel à l’ordre, incluant une menace dissimulée d’exclusion, pour un membre qui n’a
pas payé sa cotisation (8 juin 1887).
Ce système de sanction contribue évidemment à imposer les règles de la PBA comme étant
indispensables à son bon fonctionnement. Bien que les sanctions soient rares, elles existent et
dissuadent tout membre de ne pas respecter les règles. En veillant à cela, la PBA accentue
son pouvoir sur la boxe professionnelle.
Par ailleurs, ces sanctions rappellent
les « amendes » décrites par Thompson dans les
sociétés de secours mutuel. « La société des verriers (fondée dès 1755) infligeait des
amendes pour absence aux réunions ou pour avoir refusé de prendre son tour dans la liste des
administrateurs, pour ne pas s’être tu quand l’ordre en avait été donné»142 etc. Dans le cas de
la PBA, les sanctions ou « amendes » pour parler comme l’historien anglais ne semblent pas
142
THOMPSON, Edward Palmer, La formation de la classe ouvrière anglaise, op. cit. , p. 378.
52
concerner des attitudes « morales » (ivresse, débauchage etc.) contrairement aux sociétés de
secours mutuel. Si les amendes sont rares dans la PBA, la menace de la sanction est, elle,
plus utilisée et rappelée régulièrement en mentionnant le règlement. Pour Thompson, ces
amendes s’inscrivent dans « la discipline nécessaire à la sauvegarde des fonds, à la bonne
tenue des réunions et au règlement des cas litigieux », une discipline qui « exige un effort sur
soi aussi important que les nouvelles disciplines de travail »143. Ces propos peuvent être
appliqués à la PBA qui attend une assiduité exemplaire aux réunions et la participation à des
événements pugilistiques en soutien à un « frère boxeur » (comme le disent eux-mêmes les
membres) ou à l’association. Tout membre ayant un comportement qui ne traduit pas un
soutien indéfectible à l’association est alors soupçonné voire rappelé à l’ordre.
Ce fonctionnement par règles et par sanction (ou menace de sanction) s’inscrit pleinement
dans la préservation de la longévité de la PBA en montrant son action dans le monde
pugilistique. L’adoption de règles précises à respecter lui permet également de préserver sa
légitimité en se posant comme institution fonctionnelle et structurée et donc comme la seule
entité existante dans la boxe professionnelle. De ce fait, le corpus de règle ne dispose pas
d’une seule utilisé propre à la PBA, il contribue à façonner l’espace pugilistique selon le point
de vue adoptée par l’association. En effet étant donné le pouvoir dont dispose cette institution,
le règlement interne structure le monde de la boxe professionnelle. Il s’agit donc bien de
règles qui s’externalisent en dehors de l’institution pour toucher la boxe professionnelle
londonienne dans son ensemble.
Par ailleurs, ces règles de la PBA offre également un rapprochement tangible avec la
sociologie des professions. Dans ce sous-domaine, et par exemple dans les travaux de
Goode144, l’adoption d’un noyau de règles à respecter est considérée comme une preuve de la
professionnalisation d’un groupe. Ce critère n’est pas le seul fourni par l’auteur mais,
plusieurs d’entre eux sont discernables pour le cas de la boxe londonienne des années 1890.
En effet, les boxeurs sont liés par un sentiment d’identité, peu de membres quittent la
profession et cette dernière leur donne donc un statut à vie, ses membres partagent des valeurs
communes145 [et] un langage commun, imparfaitement compris par les non-membres etc.
143
Ibid, p 378.
Goode, cité par CHAMPY, Florent, La sociologie des professions, op. cit.
145
Initiées en partie par la PBA et son règlement.
144
53
La présentation de ces règles serve donc moins à connaître le fonctionnement interne de la
PBA, qu’un indice de la structuration du groupe social formé par les boxeurs et de leur
façonnement de l’espace pugilistique dans son ensemble.
54
Partie 2 : Le professionnalisme
pugilistique par la boxe spectacle en
1889
Il était trop lourd empiriquement d’étudier le processus de développement de l’espace
pugilistique pour chaque année entre 1885 et 1889. Le choix de se focaliser sur une année,
celle de 1889146, était en revanche possible. En concentrant l’analyse sur une année, la vue
d’ensemble de l’espace pugilistique était plus nette puisque plusieurs dimensions très
différentes pouvaient être observées : les « salles », les enjeux des combats, les spectateurs
etc. De plus, le projet engagé est de comprendre l’espace pugilistique dans son ensemble ; son
état général en 1889 en fait donc partie. En étudiant en détails l’année 1889, les tendances qui
ont engagées depuis 1885 (année de création de la PBA) deviennent observables. Se centrer
sur cette seule année permet donc de concilier une réalité empirique et la cohérence du projet
global.
Néanmoins, bien que l’année 1889 serve de base, quelques incursions dans des années
postérieures seront engagées au cours du texte. Moins que de suivre précisément une année, il
s’agit plus largement de clarifier l’espace pugilistique à une période donnée (la fin du XIXe
siècle). Certaines archives plus récentes (1892 ou 1893 par exemple) sont donc mobilisées
afin d’enrichir la réflexion. Toutefois, la base principale de l’argumentaire repose sur la seule
année 1889.
Une démarche plus « micro » encore aurait pu être adoptée, et permettre d’être plus précis, en
se focalisant sur l’étude d’une salle en particulier par exemple. Mais le choix de plusieurs
critères a été préféré, afin de disposer d’une photographie globale de l’espace pugilistique.
Cette démarche [tout comme une focale plus « micro »] « ne jouit, à cet égard, d’aucun
privilège particulier. C’est le principe de la variation qui compte, non le choix d’une échelle
146
Le choix de cette année particulièrement est le résultat d’une erreur de compréhension d’un article de
SHIPLEY, Stan, « Tom Causer of Bermondsey: A Boxer Hero of the 1890s », op. cit. A notre arrivée en
Angleterre, notre faible niveau linguistique nous a fait faire un contre-sens, nous faisant croire que c’était là,
selon l’auteur, l’année de la « professionnalisation » de la boxe. Néanmoins, bien que non exceptionnelle,
l’année 1889 s’inscrit dans la période de professionnalisation accrue de la boxe (selon nous de 1885 à 1900) et
du modèle qui s’exportera en France. Il semble donc que cette erreur ne soit finalement pas si dommageable.
55
particulière »147. Certains critères ont donc été délimités pour mener à bien cette étude. Ceuxci sont de natures différentes, contribuant à leur manière à rendre compte du développement
de la boxe à Londres et de sa spectacularisation : les salles, les enjeux des combats, la
législation, les formes de combats et les spectateurs. Ces critères présentent une vertu
certaine : une vue d’ensemble de l’espace pugilistique, mais aussi un manque : une carence de
précision pour chacun des éléments évoqués.
Enfin, un dernier préalable doit être donné. Si les parties qui suivent couvrent une part
importante de l’espace pugilistique, pourtant aucune d’entre-elles n’est pleinement consacrée
aux boxeurs. Ceux-ci sont abordés tout au long de chaque partie mais aucune partie ne leur est
particulièrement consacrée. Ce découpage est un choix assumé. Ce travail ne cherche pas à
étudier les conditions de travail des boxeurs mais bien les conditions institutionnelles et
sociales qui ont permis de faire de la boxe un spectacle. La focale n’est pas portée sur les
mêmes enjeux. Bien sûr, il est évident qu’une partie consacrée aux conditions d’exercice du
métier de boxeur à Londres à la fin du XIXe siècle aurait été utile pour mieux comprendre le
professionnalisme pugilistique de l’époque148.
a) Où combattre ? Les « salles » de boxe.
1) Un problème de définition
Avant tout, qu’est-ce qu’une « salle » de boxe ? Dans cette étude, en utilisant
l’expression « salle » de boxe, nous entendons alors tout établissement ayant accueilli au
moins une fois un combat de boxe lors de l’année 1889. Il est évident que ce terme générique
renvoie à des réalités différentes. Un premier recensement des « salles » montre que les
combats ne sont pas organisés dans des lieux spécialisés mais qu’en gros trois « types » de
salles sont utilisées: les salles attachées aux clubs (accueillant le plus souvent des matches de
moindre importance), les salles rattachées à des tavernes/ bars (accueillant le plus souvent des
matches d’importance moyenne) et enfin les salles de spectacle traditionnelles (servant
habituellement au théâtre, music-hall etc. mais qui accueillent des matches ou compétitions de
boxe renommés). Au total, dans le « grand Londres »149, 178 salles ont organisé au moins un
147
REVEL, Jacques « Micro-analyse et construction du social », in Revel, J., (dir), Jeux d’échelles. La microanalyse à l’expérience, Gallimard- Le Seuil, Paris, 1996, p. 19.
148
L’étude des conditions d’exercice du métier de boxeur en France a été réalisée lors de notre premier master 2
portant sur la biographie de Georges Carpentier.
149
Le « Greater London » est une région découpée administrativement qui nous a permis de délimiter l’espace
pugilistique londonien. Néanmoins, nous avons dû suivre les frontières du « grand Londres » actuels pour mieux
56
combat en 1889. Les lieux d’accueils de match sont nombreux et forment une offre
importante de boxe150, confirmant les propos de R. Holt sur le fait que la boxe est alors l’un
des premiers sports nationaux151.
Pour préciser l’analyse, et pour ne pas regrouper des salles très différentes entre elles, nous les
avons différenciées à partir des enjeux proposés lors des combats. Un autre critère aurait
naturellement pu être adopté, par exemple : la localisation de la salle, son année de création
etc. Mais les enjeux permettent, a priori, de s’approcher le plus possible de notre
problématique du professionnalisme. En effet, l’hypothèse engagée ici est que la
compréhension des enjeux est l’une des clefs de compréhension de la complexité du
professionnalisme en boxe dans le Londres de la fin du XIXe siècle. Ces enjeux correspondent
à la valeur que l’on accorde à la prestation, c’est-à-dire au travail, des boxeurs. Or, c’est cette
mise en équivalence économique qui leur permettra de vivre de la pratique pugilistique.
2) Salles « professionnelles » ou « amateurs » ?
D’abord, nous avons répertoriées les salles ayant accueilli un match de boxe où
l’enjeu152 était l’un des éléments suivants : une somme d’argent précise, une bourse (« a
purse »), une bourse d’or (« a purse of gold »), un objet ayant une certaine valeur (une
médaille par exemple), un prix ayant une certaine valeur (« valuable prize »), une somme
d’argent (« money prize »), un prix substantiel (« substantial prize ») ou un prix appréciable
(« handsome prize »). Si l’on considère que la rémunération différencie la boxe
professionnelle de la boxe amateur (ce qui pose de réels problèmes, voir infra153), alors 76
salles « professionnelles » peuvent être comptabilisées pour l’année 1889. Ces salles sont
situées dans le « grand Londres » et ont organisé au moins une fois un combat pour l’un des
enjeux mentionnés précédemment. Ce chiffre doit être pris avec précaution dans la mesure où
dix adresses sont manquantes et où il est parfois difficile d’être sûr de l’emplacement des
« salles » et donc que l’une d’elle se trouve bien dans le « grand Londres ».
Bien qu’il soit approximatif, ce chiffre reste pourtant particulièrement élevé, même pour une
capitale. Il est un indice objectif de la notoriété de la boxe à l’époque, et plus particulièrement
repérer les salles, il était beaucoup plus complexe de se baser sur le grand Londres de l’époque. Ce choix importe
car deux districts n’étaient alors pas situés dans le « Greater London » en 1889, mais le sont actuellement.
150
Il n’est malheureusement pas possible de donner une comparaison avec la période actuelle. En revanche, nous
pouvons préciser que la population de Londres en 1890 s’élève à 5 638 000 habitants selon Roy Porter
(London : A social history, op. cit. , p 306).
151
HOLT, Richard., Sport and the British. A modern history., Oxford University Press, Oxford, 1989.
152
Nous revenons plus précisément sur les enjeux dans la partie suivante.
153
Afin de marquer les problèmes que posent cette définition, nous avons systématiquement mis
« professionnel » et « amateurs » entre guillemets dans cette partie.
57
d’une boxe que l’on pourrait qualifier de « professionnelle ». Enfin, il souligne que la
présence d’argent dans le sport n’est pas un phénomène récent –datant des années 20 pour la
boxe et des années 80 pour le sport en général- puisqu’il occupe déjà une place importante
dans le monde de la boxe de la fin du XIXe siècle.
Par ailleurs, et à titre de nuance, si le nombre de « salles » a pu être calculé, il n’en est pas de
même pour le nombre de combats. Certaines salles organisent des événements pugilistiques
très régulièrement, le cas le plus emblématique est « The Blue Anchor » qui organise des
compétitions de boxe tous les mercredis et samedis de l’année, y compris durant la période de
Noël. A l’inverse, pour prendre des cas « extrêmes », « The Star and Garter » ou « The Royal
Exchange Hotel » n’ont organisé qu’un événement pugilistique chacun dans l’année. Le
nombre de salle est donc un élément important pour la compréhension de l’espace
pugilistique, néanmoins il ne renseigne pas sur le nombre de matches s’y étant déroulés.
Ayant abordé les « salles professionnelles », il faut maintenant se tourner vers les
« salles amateurs ». Comme pour le cas précédent, la définition de l’amateurisme n’est pas
réellement fixée à l’époque, même si l’Amateur Boxing Association en fournit une en 1880.
Les « salles amateurs » proposent des enjeux différents de ceux évoqués auparavant: il s’agit
alors d’une « coupe », d’une médaille ou n’est simplement pas indiqué. 130 salles, situées
dans le « grand Londres » et correspondant à ces critères, sont comptabilisées. Là encore, il
convient d’être prudent puisqu’il manque 6 adresses. Comme pour les « salles
professionnelles », le nombre de combats organisés par chaque « salle » est impossible à
déterminer.
Bien que le nombre de « salles professionnelles » et de « salles amateurs » soit élevé, le
total des deux chiffres est bien de 178 et non de 206 (76 salles « professionnelles » et 130
« amateurs »). En effet, 28 salles sont comptabilisés deux fois (comme « amateur » et comme
« professionnelle ») dès lors qu’elles organisent au moins une compétition avec ou sans enjeu
monétaire. Au niveau des enjeux, l’offre pugilistique est donc multiple, variée et même
fluctuante, puisque plusieurs salles n’hésitent pas à proposer tantôt des enjeux financiers
tantôt à combattre « pour la gloire ». Ainsi, pour paraphraser J-M Faure et C. Suaud, la boxe
« professionnelle » et la boxe « amateur » telles que nous les avons entendues ici « ne
recouvrent pas des sphères d’activités exclusives, extérieures l’une à l’autre » mais regroupe
58
« une réalité mouvante »154, au point que les deux types de boxe peuvent être parfois
littéralement confondues.
Enfin, et au regard du seul critère des enjeux, il est évident que la boxe peut être considérée
comme une activité prospère qui attire du monde et mobilise beaucoup d’argent. Le nombre
de salle existante à Londres est une preuve indéniable de la notoriété de ce sport.
3) Esquisse d’une géographie sociale des salles
Pour être plus précis sur ces « salles » et sur l’espace pugilistique en général, il faut
maintenant les situer géographiquement ; en les reportant sur une carte de l’époque. Mais
cette démarche n’a d’intérêt qu’à la condition de relier ces salles à l’histoire sociale des
quartiers dans lesquels elles se trouvent. Nous souhaiterions réaliser ce type d’étude dans le
cadre de notre thèse de doctorat, essentiellement sur Paris mais également sur Londres. Les
présentations suivantes relèvent donc du statut d’esquisses inachevées et qui seront
complétées ultérieurement.
En premier lieu, la répartition géographique des salles de boxe à Londres à la fin du XIXe
siècle fait écho à celle des théâtres au même lieu et à la même époque. On ne peut calquer
l’une sur l’autre, mais elles semblent avoir une logique spatiale commune.
Si l’on se centre sur l’année 1889 et plus particulièrement sur les salles qui ont organisé des
combats de boxe où l’enjeu est fourni en livres155, on observe les détails suivants. Le total de
salles s’élève à 42, et nous connaissons l’adresse de 32 d’entre elles. Sur ces 32 salles, 4
secteurs ont été distingué, ils regroupent une grande partie d’entre elles.
Le premier secteur renvoie à la délimitation que fait Christophe Charle lorsqu’il
aborde les « nouvelles salles » (de théâtre) du XIXe siècle dans son ouvrage intitulé Théâtres
en capitales156. Il affirme que la majorité des nouveaux théâtres se situent aux endroits
suivants : « Sur le Strand, qui relie la City et la gare de Charing Cross, (...). Un peu plus à
l’Ouest, deux rues parallèles conduisant à Trafalgar Square et à la gare de Charing Cross
attirent tout particulièrement les implantations théâtrales : dans Charing Cross Street (…),
dans Cranbourn Street, (…), dans St Martin’s Lane (…). Enfin, au nord-ouest, l’ouverture de
154
J-M FAURE et C. SUAUD, « Privé/public : catégories pratiques ou catégories d’analyse ? Quelques
interrogations autour d’une évidence politique appliquée à l’espace des sports », in GUIBERT C., LOIRAND G.,
SLIMANI H. (dir.), Le sport entre public et privé : frontières et porosités, Paris, Société de sociologie du sport
de langue française - L'Harmattan, Paris, 2009, p 265- 266.
155
Le choix de ce critère est guidé par le fait que ces salles assument complètement le professionnalisme des
boxeurs en mentionnant explicitement combien ils sont rémunérés.
156
CHARLE, Christophe, Théâtres en capitales, op. cit.
59
Shaftesnury Avenue en 1887, menant d’Oxford Street à Piccadilly Circus »157. Si l’on se tient
à cette délimitation et que l’on substitue les salles accueillant la boxe aux théâtres, alors 6158
salles sur 32 se trouvent dans ce secteur. Parmi ces salles, plusieurs sont très prestigieuses :
L’ancien et le nouveau « Pelican Club », « The Novelty Theatre », « The Waite’s school of
Arms » etc159. Or, cette homologie entre le théâtre et la boxe devient encore plus prégnante au
regard de la description du « quartier » que fait l’historien : « Par cette concentration
privilégiée dans une zone restreinte, il s’agit pour les directeurs [de théâtre] de tirer le
meilleur parti de la proximité des quartiers les plus bourgeois ou des gares et des grands
hôtels fréquentés par la clientèle issue des classes moyennes ou des propriétaires fonciers
venus de province à Londres pour affaires, ou pour la Season »160. Même si la clientèle des
salles de boxe mériterait une étude fine pour pouvoir affirmer dans quelle mesure les
organisateurs de boxe profitent de la venue des provinciaux, il n’en reste que cette description
est valable. Le fait demeure qu’une part importante des salles de boxe mentionnées161, et
notamment parmi les plus prestigieuses, se situe dans les quartiers bourgeois aux côtés des
théâtres. Les plus hautes bourses offertes lors de l’année 1889 –cette fois-ci, toute salle
confondue- s’élèvent à 1 000 £ et les combats ont justement lieu au « Novelty Theatre » (le 1er
octobre) et au « nouveau Pelican Club » (le 11 novembre). Sur cette deuxième salle, bien que
le nombre de spectateurs comme le prix des billets d’entrée soient inconnus, il est évident que
soit l’affluence est énorme soit le prix d’entrée est très élevé162. Dans les deux cas, le fait que
le match ait lieu dans ce quartier vise à lui donner une « visibilité » et à maximiser les profits
escomptés, même dans le cas où le prix d’entrée est élevé163.
En ce qui concerne le premier cas (The Novelty Theatre), il convient de souligner que ce lieu
est avant tout un théâtre. La boxe y est présente en cas de combat médiatisé et attendu. Les
« salles de boxe » peuvent donc également être des théâtres « détournés » de leur activité
initiale. Les raisons sont complexes et multiples. Il est fort probable que la capacité d’accueil
157
Ibidem, p 47.
Une septième salle, proche de la City, est à la frontière entre ce périmètre et le second que nous
mentionnerons plus loin. Par ailleurs, on peut aussi comptabiliser une 8 ème salle si l’on inclut le Royal Aquarium
situé à proximité de ce périmètre. Néanmoins, parmi ces 6 salles, l’une d’elle (The Pelican Club) est le même
établissement reconstruit ailleurs (l’ancien et le nouveau Pelican Club).
159
Une fois de plus, The Royal Aquarium, établissement extrêmement prestigieux pour le monde pugilistique,
peut être ajouté.
160
CHARLE, Christophe, Théâtres en capitales, op. cit. , p 47.
161
Celles qui correspondent au critère sélectionné.
162
Ces deux paramètres sont les seuls modulables afin d’augmenter le montant d’une bourse en boxe.
163
Néanmoins, Shipley (« Boxing », op. cit) estime que la spectacularisation de l’activité est rendu possible
grâce à l’augmentation du pouvoir d’achat des classes populaires. Nous ne pouvons ici prendre position : l’auteur
avance l’argument sans être étayé par une quelconque base empirique.
158
60
des théâtres est telle que la boxe les utilise pour maximiser les profits. En effet, The Novelty
Theatre peut par exemple accueillir 650 personnes d’après Diana Howard164.
Quoi qu’il en soit, au regard de ce premier secteur, la similitude spatiale devient un nouvel
indice de la proximité entre la société du spectacle « traditionnel » et le monde du spectacle
pugilistique. Ceux-ci se ressemblent dans leur fonctionnement mais aussi dans leur
localisation géographique.
Le deuxième secteur délimité correspond au regroupement de deux arrondissements :
Islington et Hackney. Cette zone comprend 12 salles accueillant de la boxe, avec un centre
plus précis autour de Shoreditch. Ici, si nous suivons Roy Porter et son histoire sociale de
Londres, il décrit ces quartiers comme étant des « lieux d’origines du théâtre et du MusicHall »165. L’auteur les considère comme des quartiers historiquement culturels, datant du
XVIe siècle. Comme pour le périmètre décrit par C. Charle, l’importance du théâtre et du
monde du spectacle dans ce secteur conduisent à la même homologie. Il est remarquable et
révélateur que la boxe se situe dans les mêmes lieux que le théâtre ou le music-hall. Là
encore, une étude plus fine mériterait d’être réalisée afin de pouvoir établir les connexions
existantes entre les organisateurs de boxe et les directeurs, promoteurs de théâtre et de musichall.
Les deux autres secteurs sont celui de Lambeth (deux très grande salles) et Chelsea
(trois salles). Ici, les connaissances nécessaires, pour pouvoir mentionner un quelconque
parallèle entre l’histoire sociale du quartier et la présence de salles accueillant des spectacles
de boxe, font défauts. Nous pouvons alors simplement indiquer que ce travail sera réalisé
ultérieurement.
Ces quatre périmètres ainsi que les salles évoquées ont été rapportés sur la carte suivante,
construite par nos soins.
164
HOWARD, Diana, London Theatres and Music Halls, 1850-1950., ACLS History E-Book Project, 2008.
Bien non-analytique, cet ouvrage se révèle particulièrement utile dans cette étude, il s’agit d’un annuaire des
Théâtres et Music-halls indiquant divers renseignements sur chaque établissement dont la capacité d’accueil.
165
PORTER, Roy, London: A Social History, op. cit., p. 122.
61
62
Au regard de l’analyse de ces quatre secteurs, et en sachant que le propos est lacunaire,
il est remarquable de voir les similitudes spatiales entre « les salles de boxe » (les plus)
professionnelles166 et les salles de spectacle traditionnel. Les salles de boxe situées dans les
quartiers du spectacle, qu’elles soient des théâtres ou des music-halls loués pour l’occasion ou
qu’elles soient d’autres salles, sont celles qui offrent les enjeux les plus grands et les combats
les plus prestigieux. La géographie sociale des salles de boxe londonienne ne relève donc pas
de l’aléatoire mais semble suivre une logique impulsée par la localisation des salles de
spectacle. Ainsi, tout se passe comme si le monde du spectacle et le monde de la boxe étaient
deux univers presque confondus.
4) Salle sportive ou salle spectacle ? Une différence faite par les organisateurs.
Si la géographie des salles montre les relations entre la boxe (surtout
« professionnelle »167) et le monde du spectacle, il faut nuancer le lien mécanique établi entre
location d’une salle de spectacle traditionnel et l’attribution d’une « bourse » élevée pour les
boxeurs. En effet, à plusieurs reprises, des matches amateurs ont lieu dans des music-halls. Le
choix de ces endroits s’explique d’abord par le point de vue (économique) des organisateurs :
l’entrée pour les matches amateurs est payante ; il faut des salles à forte capacité d’accueil.
Les boxeurs apparaissent comme secondaires dans ce processus économique, leurs enjeux
importent moins que le nombre d’entrée. Les boxeurs amateurs combattent en effet pour des
« silver cups » (le 18 décembre 1889 au Gloucester Music-hall) ou pour des prix inconnus (le
15 mai 1889 au Falstaff Music-hall). Dans le premier cas, The Sporting Life mentionne
pourtant « un bon nombre de spectateurs ».
Du côté des boxeurs, ces combats ne s’expliquent pas par une seule logique économique. Pour
comprendre pourquoi les boxeurs prennent part à ce genre d’évènement il faut mettre fin à
l’opposition (très courante, y compris dans les analyses sociologiques) entre « logique
sportive » et « logique économique ». Ici, comme souvent, elles doivent être pensées
ensembles, l’une n’annihilant pas l’autre. Ainsi, la participation des boxeurs amateurs pour un
objet symbolique au sein d’un évènement « rentable » s’explique à la fois par une dimension
sportive et économique. La nécessité d’accumuler du capital sportif dans une carrière de
166
Comme dit en note 4, ces salles mentionne explicitement le montant de la bourse en livres sterling. Ces salles
sont donc particulièrement professionnelles si l’on différencie les amateurs et les professionnelles par la
rémunération des boxes. Nous reviendrons plus loin sur les problèmes que pose cette « définition».
167
Puisque les salles retenues précédemment annoncent le montant de la bourse du match en livres sterling.
63
boxeur de « bon » niveau conduit ces amateurs à prendre part à ces évènements. En effet, les
rencontres évoquées mettent en jeu des amateurs de « haut niveau » qui souhaitent améliorer
leur valeur sur le marché pugilistique. L’enjeu du combat n’est donc pas directement financier
mais le prestige de la rencontre apporte aux boxeurs un capital sportif qui leur permet de
mieux « faire carrière » ce qui revient, à terme, à maximiser les chances de remporter
d’importantes sommes d’argent. A une période transitoire comme la fin du XIXe siècle, où les
amateurs peuvent affronter et gagner contre les professionnels, la « valeur » sportive d’un
boxeur importe sûrement plus qu’à un moment de plus grande autonomie du secteur
professionnel. Le professionnalisme est effectivement encore adopté tardivement, à la suite
d’une « bonne » carrière amateur.
Par ailleurs, ces évènements (mettant en jeu des amateurs pour un objet symbolique) ont aussi
une dimension « spectaculaire », par leur forme. L’organisation des combats, notamment dans
ces salles ou bien sous forme de tournois, rappelle fortement l’univers du théâtre ou du
music-hall. En effet, chaque match est orchestré par un maître de cérémonie (« MC ») qui a
pour charge de dynamiser la soirée. Celui-ci appartient dans la grande majorité des cas à la
communauté des boxeurs. En revanche, les managers -tout comme les propriétaires de sallessont parfois originaires du monde du spectacle : c’est le cas pour John Fleming (manager du
Pelican Club) ou Frank Hinde.
Enfin, on l’a abordé, proposer une « sociologie différentielle des salles »168, c’est
nécessairement évoquer une différenciation plus fine entre « salles de boxe professionnelle »
et « salles de boxe amateur ». La distinction n’est toutefois pas aisée à faire. Il faut alors se
centrer plus précisément sur l’enjeu des combats afin de comprendre la complexité de ces
deux statuts.
b) Pour quoi combattre ? L’enjeu des combats ou le brouillage des
frontières amateurs / professionnels.
1) La question des enjeux
Etudier les enjeux des combats de boxe à Londres à la fin du XIX e siècle revient à
affronter une immense pluralité de situations. Ce faisant, il est impossible de distinguer
rencontre amateur et rencontre professionnelle. En effet, il n’existe pas de définition indigène
ou institutionnelle, voire même de définition scientifique construite par un historien de la
168
CHARLE, Christophe, Théâtres en capitales, op. cit. p 45.
64
boxe sur laquelle s’appuyer. Face à ce constat, nous avons décidé de répertorier les combats
recensés par le journal The Sporting Life où l’enjeu était, au choix, l’un des aspects suivants :
- une somme d’argent précise (par exemple 10 £)
- une bourse (« a purse »)
- une bourse d’or (“a purse of gold”)
- un objet ayant une certaine valeur (une médaille par exemple mais aussi des services à thé,
des horloges, des montres etc.)
- un prix ayant une certaine valeur (« valuable prize »)
- une somme d’argent (« money prize »)
- un prix substantiel (« substantial prize »)
- un prix appréciable (« handsome prize »).
A partir de ces enjeux, un tableau a été réalisé. De plus, pour mieux faire apparaître le flou de
la frontière entre amateurs et professionnels, ont été ajoutés, les cas où des amateurs prennent
part à des combats professionnels en vue d’un gain. Tous ces éléments ont pu être répertoriés
grâce aux comptes rendus des matches donnés dans le quotidien The Sporting Life.
Ce type de choix de critères pose bien sûr un réel problème dans la mesure où il revient à
postuler que la différence entre un professionnel et un amateur relève de la perception ou non
d’une rémunération. Etre amateur signifierait pratiquer une activité sportive sans bénéficier
d’une rétribution au contraire du professionnel. Cette différenciation relève d’une « définition
indigène » (et parfois repris par les chercheurs) et souligné par Gildas Loirand169. Néanmoins,
la définition journalistique ne peut pas non plus être reprise. The Sporting Life désigne
nommément certains boxeurs comme étant « professionnels » et d’autres comme étant
« amateurs ». Mais cette distinction n’est faite sans qu’aucune définition préalable ne soit
donnée170. A l’instar de Boltanski dans son ouvrage sur les cadres 171, c’est la pluralité de
situations possibles et même la porosité des frontières qui a été pris comme objet d’étude.
Ceci étant et pour ce qui suit, nous avons, par convention, différencier amateurs et
professionnels. Etre « professionnel » revient donc, ici, à combattre pour l’un des enjeux
présentés précédemment ou à être présentés explicitement comme professionnel par le
quotidien sportif.
169
LOIRAND, Gildas, « Professionnalisation de quoi parle-t-on ? », In coll., Société de Sociologie du Sport de
Langue Française, Dispositions et pratiques sportives, Paris, L'harmattan, p 217- 227, 2005.
170
Les critères désignant un « professionnel » peuvent donc être très variés : boxer pour de l’argent, appartenir à
la PBA etc.
171
L. BOLTANSKI, Les cadres, Op. cit.
65
Quoi qu’il en soit, ces enjeux sont très divers selon les « salles » et même au sein d’une
même « salle ». En effet, ces dernières n’optent pas pour un « enjeu type » mais varient ses
propositions. Afin de disposer d’une meilleure lecture des prix proposés par les salles, tous
ces éléments ont été répertoriés dans un très grand tableau qui comprend également le nom de
la salle, son adresse, le nom du propriétaire et du promoteur. Voici une ligne du tableau à titre
d’exemple172.
Nom
Adresse
Propriétaire
Promoter
Prix en
livres
Purse
The
Blue
Anchor
Churchstreet,
Shoreditch
Tom Symonds
Phil
Hymans
X
X
Purse of
gold
Objets pour
de l’argent
« Valuable
prize »
Money
prize
« Handsome
prize »
X
X
X
X
Il va de soi que cet outil de travail contient certaines limites. Les catégories sélectionnées ici
nécessitent certainement d’être repensées. En effet, celles-ci posent problème dans la mesure
où elles se fondent sur les seuls écrits d’un (seul) quotidien sportif (The Sporting Life). Ainsi,
l’étude d’un autre journal révélerait certainement d’autres catégories ou en ferait disparaître
certaines173. Néanmoins, ce tableau fournit une première base de compréhension de la
structuration de la boxe à la fin du XIXe siècle puisqu’il présente la diversité des situations
couvertes par la boxe « professionnelle »174. Il répertorie également le (grand) nombre de
salles existantes et montre la difficulté d’associer un enjeu précis à une salle précise. Ce
tableau permet de calculer le nombre de salles175, de montrer les enjeux des affrontements et
d’avoir des informations sur certains acteurs (qui est propriétaire ou qui est promoteur par
exemple)176.
Ce tableau a été complété par d’autres informations et a fait l’objet d’un second
(tableau). Dans ce dernier, il s’agit d’ajouter un versant « quantitatif » afin de donner la
tendance d’une salle dans l’enjeu proposé. Plus précisément, alors que le premier tableau ne
172
Le tableau étant un outil de travail particulièrement long (22 pages) et peu lisible, de même que les autres
tableaux (celui des « salles amateurs » et celui présentant le nombre de fois où l’enjeu est proposé), nous avons
décidé de ne pas les reproduire ici. Nous avons également (sur cet exemple de ligne) retiré les catégories
« substantial prize » et « amateurs combattant pour de l’argent » afin de facilité la lisibilité.
173
La comparaison avec d’autres quotidiens n’a évidemment pas pu être faite par manque de temps.
174
L’adjectif est mis entre guillemets pour marquer la difficulté –voire l’impossibilité- qui existe à différencier
les amateurs des professionnels.
175
Comme nous l’avons fait au début de cette partie.
176
Il a donc été utilisé jusque-là et sera encore utilisé dans les parties qui suivent.
66
comportait que des « X » visant à mentionner si un établissement avait ou non proposé tel
type de gain, nous avons essayé de quantifier ce phénomène. Ce chiffre indique le nombre de
fois au cours de l’année 1889 où la salle a proposé ce type de gain lors d’un combat par
rapport au nombre total de combats enregistrés (et non le nombre total de combats organisés
par la salle). Pour présenter une esquisse du tableau, seules les salles qui organisent le plus de
combats ou celles où l’enjeu est particulièrement important ont été retenues177.
Nom
Nombre
total
d’évènement
organisés
par la salle.
The Pelican
Club
7
The New
Pelican Club
Permises
(Changement
le 10 juin).
2
Prix en
livres
Purse
6 (25 £)
1
Purse
of
gold
The Blue
Anchor
4
The Hop and
Malt
Exchange
School of
Arms
17
Imperial
Theatre
2
Loyal United
Working
Men’s Club
3
Agricultural
Hall
2
Lambeth
School of
Arms
10
Waite’s
school of
Arms
3
The Battersea
Park
Gymnasium
(Gymnastic
177
« Valuable
prize »
Money
prize
« Handsome
prize »
2+
monetary
awards. (+
annual
contest de
la PBA)
3
5
1
Amateurs
pour
argent
Competition
avec argent
2 (1 000 £)
15
The South
London
Gymnasium
Objets
pour de
l’argent
8 (50 £)
4
2= suit of
clothes (2
fois).
1
1
1
1 (for a
purse)
1
1 (10 £)
1
2 (1 for 30
£).
5 (200 £ si 7
juin sinon 50
£)
5
1 (70 £)
2
5 (200 £)
2
“wellfilled
purse”
2 (for a stake
of 50 £).
1
8
3
1
1
Nous avons retiré la colonne « substantial prize » qui était vide et qui nuisait à la lisibilité.
67
school).
The Theatre
the Novelty
1
Astley’s Royal
Amphitheatre
2
2 (100 £ et
400 £)
6
6 (Jackson,
Slavin et
Smith= tenir
4 rounds pour
20 £ puis 30
£).
Royal
Aquarium
1 (1 000 £)
Puis 2 défis
le même soir
pour 40 £.
H. Mead’s
saloon, The
White swan
1
Sadler ‘s
Wells Theatre
2
The Goodwin
Club
Falstaff
Music-hall
1 (25 £)
1 (10
guineas
silver cup)
3
2
2 (70 £)
1 (le
même
soir)
1 (30 £)
1
1 (each
winner 25 £)
A partir de ces quelques exemples, il est clair que les salles accueillant le plus de combats ne
sont pas forcément celles qui offrent les plus gros prix. Même si les salles de « spectacle »
telles que les music-halls ou les théâtres accueillent peu de combats de boxe, dans la plupart
des cas, elles mettent en jeu des sommes très importantes : par exemple, le 1er octobre 1889,
au Novelty Theatre établissement pouvant accueillir 650 places178, J. Smith et J. Wannop
s’affronte pour un montant de 1 000 £. Le nombre de spectateurs est très certainement la variable
qui permet l’offre de telles bourses pour les organisateurs de combats.
Les professionnels ayant été présentés succinctement, intéressons-nous maintenant aux
« amateurs ». Pour ce groupe social, le tableau prend la forme suivante179 :
178
179
Selon Diana Howard, London Theatres and Music Halls, op cit., p 133.
La colonne « médailles » a été retirée ici, toujours pour des raisons de lisibilité.
68
Nom de la salle
Adresse
Propriétaire
Promoter
Prix non
précisé
Rivington
boxing and
amateur athletic
club.
Rivingtonstreet,
Shoreditch
Alex Parker
(frère)
- I.S. Parker
- Bill Moore=
Organiser of a
competition.
II
Tottenham and
Edmonton
boxing and
athletic club
Snell’s
Park,
Edmonton.
J. H.
Saundercock.
- Brummy Bill (=
“Bill Taylor”)
I
Coupe
/Trophy
Watch
Timepiece
Benefit
1
“very
handsome
marble clock”
(for
amateurs).
I
L’analyse des prix mis en jeu dans ces combats (« professionnels » comme « amateurs »)
montre les diverses possibilités existantes : l’enjeu d’un combat n’est absolument pas
uniforme. Les formes qu’il prend sont multiples et variables. Elles peuvent même être
particulièrement surprenantes au regard des « lots » habituels de l’univers sportif. Le
paroxysme est atteint dans le cas des « objets » où l’on trouve des horloges, des montres, des
médailles, un costume, des services à thé, des « nappes » etc. Ces objets ont parfois même une
valeur importante d’après le journaliste. Leur dimension « symbolique » n’est donc plus
suffisante (voir infra). De plus, ces objets se caractérisent parfois par une « fonctionnalité »,
par exemple le costume ou le service à thé. En ce sens, ils se distinguent des objets
honorifiques comme les médailles ou les coupes dont la seule fonction est d’exposition, en
raison de leur valeur symbolique. L’étude des enjeux des combats n’est pas du tout quelque
chose de simple et de linéaire. Elle relève une multitude de situations complexes à restituer.
Ce sont les catégories même d’amateurs et de professionnels qu’il faut alors interroger.
2) La question des statuts : amateurs et professionnels.
Le
cas
étudié
ici
dépasse
la
distinction
classique
entre
« amateurs » et
« professionnels »180 et expose la porosité existante entre ces deux frontières. En effet,
recourir à une définition traditionnelle, établissant que le premier gagne de l’argent 181 par sa
pratique alors que l’amateur pratiquerait pour « l’amour » du jeu, ne peut se révéler féconde.
Elle revient à poser d’emblée une définition dichotomique, simplificatrice, supposant que les
deux statuts sont bien distincts, ou plus grave peut-être, elle encourage à regarder avec les
lunettes du présent des situations passées, pour reprendre l’expression d’Alain Corbin. Ici, la
rémunération financière ne peut donc pas constituer une preuve unique et suffisante de
professionnalisme. Cette « définition » n’aurait d’ailleurs pas plus de légitimité qu’une autre
180
Voir les critères données par Y. Lamy et F. Weber (« finalité » et « qualité ») dans « Amateurs et
professionnels », op. cit.
181
Directement comme par les bourses ou par un certain montant de livres sterling et indirectement en précisant
la valeur de l’objet mis en jeu.
69
qui distinguerait le professionnalisme de l’amateurisme par l’adhésion à la Professional
Boxing Association (PBA) ou à l’Amateur Boxing Association. Le choix opéré dans la
construction des tableaux est évidemment dû à un souci de clarté, mais pose tout de même un
vrai problème scientifique : celui de la construction d’une catégorie (sociale) comme celle
d’amateur ou de professionnel182.
Afin d’analyser sociologiquement les deux catégories, il a fallu prendre pour objet
d’étude les situations bouleversant la distinction classique (amateur/professionnel) plutôt que
de partir d’une définition donnée. Or, le traitement des données empiriques pointe une
multiplicité de « dépassement de frontière » : des amateurs qui combattent pour de l’argent,
des professionnels qui combattent sans enjeux financiers183, des amateurs et des
professionnels qui combattent dans des compétitions différentes mais pour un même type
d’enjeu (une coupe par exemple) voire même des amateurs et des professionnels qui
s’affrontent entre eux. De plus, dans le cas des combats mettant en jeu des « coupes » ou des
« médailles » (d’argent ou d’or dans les deux cas), la valeur marchande est souvent précisée
par le journaliste, comme si le vainqueur envisagé de revendre ce trophée. En témoigne cet
extrait choisi parmi beaucoup d’autres:
Pour le concours du 2 mars à The Saint James Hall, Piccadilly, W., le prix est une « médaille
d’or, valeur 5 £, 5 s »184.
Dans ces conditions, le professionnel ne peut être pas distingué de l’amateur uniquement par
la perception d’une bourse. Les matériaux mobilisés laissent donc percevoir un flou entre les
deux statuts, une telle ressemblance que les deux groupes sociaux peuvent s’affronter
sportivement. Toute la difficulté, et même l’impossibilité, de séparer les amateurs des
professionnels apparait alors. En effet, on est « bien en peine de délimiter avec précision, à la
centaine près, la dimension exacte de cette population, comme on peut le faire à partir de
critères objectivés (légaux et statistiques) pour la profession médicale ou l’avocature »185.
De plus, ce procédé n’est aucunement anodin et s’avère même central pour mieux caractériser
le fonctionnement de l’espace pugilistique londonien à l’époque. En effet, la précision de la
valeur d’un objet symbolise le passage d’une logique de la récompense à une logique de la
182
Sur ce problème en sociohistoire, voir par exemple NOIRIEL, Gérard, (dir), L'identification. Genèse d'un
travail d'État, Belin, Paris, 2007.
183
Tout au moins enjeux financiers annoncés, des formes de rémunérations occultes sont bien sûr possibles.
184
The Sporting Life, 15 février 1889.
185
OFFERLÉ, M., La profession politique, XIXe-XXe siècles (dir.), Paris, Belin, 1999, p 16.
70
mise en prix en boxe. Jusque-là, les amateurs combattent pour un enjeu symbolique et
honorifique, telle une coupe ou une médaille. Ces objets se suffisent à eux-mêmes dans la
mesure où ils constituent un gage de bonne participation, de respect de « l’esprit sportif ». Ils
constituent l’emblème même de l’amateurisme, de son désintéressement et de son fair-play.
La mise en prix de ces objets bouleverse donc ce procédé en introduisant un calcul, celui de la
valeur de l’objet. Ce dernier ajoute une fonction supplémentaire, d’ordre économique, à la
seule récompense symbolique. L’estimation de l’objet est donc plus qu’une simple précision,
il change la vision portée sur la performance sportive. Celle-ci peut maintenant être estimée
économiquement par l’intermédiaire d’un objet symbolique. Il ne s’agit pas ici de juger si ce
système est « perverti » ou non, par l’introduction de capitaux économiques. L’introduction
de ces sommes d’argent est plutôt un moyen d’objectivation du passage d’une logique de la
récompense à une logique économique, c’est-à-dire à un processus de mise en équivalence
économique de la performance sportive. Ce passage est réalisé alors même que l’objet reste
présent, c’est-à-dire sans passer directement de la médaille à la somme d’argent, comme s’il
s’agissait d’une étape transitoire. Ce processus est donc une étape forte dans l’avènement du
professionnalisme en boxe.
Par ailleurs, l’attribution d’un prix à des objets symboliques ne peut être réalisée qu’à la
condition que des individus estiment ces objets, c’est-à-dire activent la « mise en prix ». Dans
le Londres de la fin du XIXe siècle, ce rôle est rempli par des journalistes. Ces derniers, tout
au moins ceux de The Sporting Life186, vont permettre le processus de mise en équivalence
économique de la performance sportive. Ces journalistes divulguent les enjeux des combats et
les précisions sur la valeur des objets susceptibles d’être remportés. Ils permettent donc
l’activation du passage d’une logique de la récompense à une logique d’équivalence
économique des objets. Bien sûr, il est très probable que l’estimation même des objets est
faite par les organisateurs de boxe. Néanmoins, ce sont les journalistes qui donnent une
visibilité à cette estimation et rendent public le processus décrit. De ce fait, ils contribuent
eux-aussi à professionnaliser l’univers pugilistique en intervenant dans l’estimation
économique du travail du boxeur.
Par ailleurs, et pour terminer sur la question des enjeux, l’organisation des combats est
particulière non seulement du fait du statut des acteurs mais aussi par les règles de gestion
financière des combats. Dans la plupart des cas (et systématiquement lors des tournois), les
186
Notre étude ayant traité ce seul quotidien.
71
compétitions de boxe annoncent les prix mis en jeu et ce pour chaque résultat obtenu
(vainqueur, 2nd, éliminé lors de la 1ère phase, simple participant). Or, dans ce cas, même le
boxeur ne gagnant aucun match est rémunéré économiquement. Ce fonctionnement est assez
singulier, puisqu’il consiste à payer tous les participants, sur le simple fait de leur
participation. Si cette affirmation semble évidente pour le travail «classique », elle l’est
nettement moins dès qu’il s’agit du sport professionnel où seul le vainqueur (ou les trois
premiers) perçoivent une gratification économique. En boxe, dans la plupart des cas, le
participant sait, avant même de s’engager, le montant qu’il remportera s’il termine à telle ou
telle place.
De plus, le problème de la rémunération peut être sujet à controverse. L’argent mis en
jeu pour organiser l’évènement peut être très important. En témoigne l’extrait suivant (issu de
The Sporting Life) où le journaliste rencontre un célèbre organisateur de combats de boxe de
l’époque.
Organiser un tournoi de boxe
Le 26 septembre 1888, au club d’Howard, le journaliste est allé demander à messieurs Morey
et Janey (connu dans le milieu des courses hippiques), s’ils avaient bien l’intention
d’organiser un tournoi. Ce qui suit est un extrait d’entretien avec Janey.
- Comme vous l’avez déjà exposé, nous essayons d'obtenir Her Majesty’s Theatre.
(…)
- Vous êtes déterminés à le retenir ?
- Oui, s'il ne me coûte pas une somme d'argent trop élevée [difficile à lire]
(…)
- Qu’avez-vous l’intention de donner comme prix ?
- Nous donnerons plus d'argent (dans le prix) que l’on n’a jamais donné auparavant.
- Combien ?
- Eh bien, nous demanderons huit entrées pour chaque poids et donnerons 5 £ aux quatre
premiers battus, 10 £ à chacun des deux battus dans les deuxièmes rounds, 25 £ au second et
50 £ au gagnant.
- Cela vaudra la peine de gagner.
(…)
72
- Cela vous coûtera quelque chose ?
- Oui, 115 £ chaque compétition, en plus de la location du hall, de la publicité, etc. En tout, je
m'attends à ce que les dépenses s’élèvent à environ 2 000 £.
- Comment vous attendez-vous à être remboursés ?
- Je suis confiant à l’idée que, quand le public verra que c'est une véritable compétition,
soutenue par un véritable prix en argent, ils apprécieront et payeront pour y assister.
L’organisation de combats tout comme la location de salle entraîne donc les managers à
s’inscrire dans une logique de rentabilité, similaire à celle qu’on trouve dans le monde du
spectacle. Un autre exemple confirme cette affirmation : le 21 août 1889, au Lambeth School
of Arms (salle de boxe londonienne), le journal « The Sporting Life » rapporte qu’au regard
du trop faible nombre de spectateurs, le match est reporté à la semaine suivante.
L’organisateur du combat le reporte afin de ne pas être en déficit économique. Le nombre de
spectateurs compte donc plus que le résultat du match. Dans ce cas, c’est bien la logique
économique qui prend le pas sur la logique sportive. Néanmoins, cette prégnance économique
est souvent dissimulée par les organisateurs de combat. Ainsi, M. Janey se défend d’être
prioritairement intéressé par l’argent lorsque le journaliste lui pose la question:
- Pourquoi vous vous intéressez tellement à la boxe; voulez-vous en tirer de l'argent ?
- Non, pas du tout. J'aime l'art [de la boxe] et je veux encourager les meilleurs hommes dans le
royaume à venir au front [c’est-à-dire sur le ring].
Ici, il est bien sûr impossible de connaître la réelle motivation première de l’organisateur.
Mais il ne s’agit pas non plus de juger sa cupidité ou non. Le discours de Janey est intéressant
dans la mesure où il témoigne des relations existantes entre « logique économique » et
« logique sportive ». Tout se passe comme si Janey affichait une volonté de rentabiliser
l’évènement sportif mais sans pour autant apparaître comme quelqu’un d’intéressé, puisqu’il
légitime sa démarche par son « amour » pour le « noble art ». En résumé, concernant
l’organisation de combats de boxe, la logique économique prend le pas sur la logique
sportive, sous couvert de vouloir promouvoir son « amour » du sport.
73
c) De quel droit organiser des combats ? Légiférer une part du
spectacle pugilistique.
Organiser des combats dans des lieux spécifiques pour des enjeux spécifiques n’est pas
suffisant pour faire un véritable spectacle pugilistique. Il faut tenir compte d’une dimension
juridique portant sur l’organisation légale des spectacles si l’on veut véritablement
comprendre la structuration de la boxe professionnelle de l’époque. Pour cela, il faut s’écarter
des archives sportives et se tourner vers les archives du monde du spectacle187.
A cette époque, les activités classiques du monde du spectacle sont soumises à une
législation qui leur impose la possession d’une licence. Cette licence est nommée
« Chamberlain » pour le théâtre. L’attribution de ces licences est faite par un comité
représentant le « London County Council ». De nombreuses informations concernant ces
attributions sont disponibles aux archives municipales de Londres, notamment au sein d’un
document volumineux188. Plus particulièrement, mais sans être exhaustif, on trouve les
données suivantes : des informations diverses sur la licence en elle-même, le récapitulatif des
établissements possédant la licence, ceux qui ont été refusés et surtout l’audition des
« candidats » souhaitant acquérir la licence. C’est donc à partir de ces éléments empiriques
que les liens entre la boxe et le monde du spectacle ont pu être appréhendés.
C’est, dans un premier temps, une démarche « quantitative » qui a été adoptée. Il s’agit
ici de se centrer sur les occurrences de mots, c’est-à-dire compter le nombre de fois
qu’apparaissaient certains termes jugés importants. Cette démarche n’est féconde qu’au
regard de la multitude d’indices collectés (et rapidement présentés précédemment) dans
d’autres archives existantes. Il ne s’agit pas de postuler qu’une étude sur la récurrence de
certains mots dans un dossier, fut-il au sein d’un carton d’archives exceptionnel, ne saurait
être suffisante pour analyser un processus aussi complexe que la mise en spectacle de la boxe.
Le mot « boxe » est quasi-absent de cette archive. Au cours de ces quelques deux milles
pages, le mot « boxe »189 n’apparait seulement que 18 fois190 et ce dans quatre « passages » :
deux dialogues, et deux annonces qui introduisent ces derniers. Il peut alors paraître
surprenant de s’attarder sur cette archive. En fait, c’est bien la relative absence de la boxe qui
187
Disponibles aux London Metropolitant Archives et constituées par tous les sous-dossiers du dossier suivant :
« Public control department : entertainments licensing » / LMA/ LCC/ PC / ENT. Et surtout le premier sousdossier intitulé « Registers ».
188
Le fichier « Music, Dancing, Theatre and other licences » / 1889-1993 / LCC / PC / ENT / 01. Il s’agit d’un «
livre » d’environ 2 000 pages.
189
Nous avons choisi de mélanger « boxing » et « pugilistic » car bien que ces activités soient différentes,
l’usage qui en est fait dans ces archives est indifférent et désigne dans tous les cas la boxe.
190
On trouve également 3 fois le mot « athletic », nous reviendrons plus loin sur cette notion.
74
doit ici être pris pour objet. Elle fournit un moyen d’objectiver les relations de la boxe avec le
monde traditionnel du spectacle (danse, théâtre, music-hall etc.). En effet, à l’exception des
courses hippiques191, aucune activité sportive n’est présente dans ce dossier : ni le football, ni
le cyclisme, ni l’athlétisme192 etc. Conclure à l’absence de la boxe dans ce dossier est donc
une erreur, cette présence -bien que minime- est en réalité essentielle. Elle dénote la place de
la boxe comme activité de spectacle puisqu’elle est la seule activité sportive présente.
Néanmoins, l’argument est renversable : si la boxe était considérée comme une activité
soumise au même régime que le théâtre par exemple, alors elle serait bien plus présente dans
ce dossier. Le dossier regorge des mots « dancing », « theatre », « music-hall », « music » etc.
Par conséquent, au regard de cette faible part consacrée à la boxe, celle-ci ne semble pas être
érigée par les rédacteurs de ce dossier au rang de spectacle traditionnel, mais à celui d’une
activité relevant de la seule logique sportive.
Ainsi, à la fois prise en compte et écartée, la boxe est remarquable par sa quasi-absence. Elle
est très peu présente par rapport aux autres activités de spectacle (théâtre, music-hall etc.)
mais singulièrement présente par rapport aux autres sports totalement absents193. Cette faible
présence dénote à quel point la période étudiée ici (1890-1900 environ) constitue une
transition pour la boxe. Celle-ci n’est pas (encore) établie comme « spectacle » mais est
malgré tout en relation avec le monde du spectacle traditionnel.
Ayant abordé une seule occurrence de mot, il faut maintenant étoffer l’argumentation.
Les « représentations » de la boxe, c’est-à-dire à la manière dont on parle d’elle dans ce
dossier, sont intéressantes pour mieux comprendre comment celle-ci est perçue depuis le
milieu du spectacle. Pour cela, il est nécessaire de déplacer le regard et d’étudier les
(rares) passages où la boxe est abordée. Leur analyse permet de vérifier rapidement que la
boxe y est décriée, voire malmenée. C’est le cas notamment dans deux dialogues engagés
entre les membres du Council194 (chargés d’attribuer ou non une licence aux établissements de
spectacle) et les représentants de ces établissements venant créer ou renouveler leur licence
191
Celles-ci peuvent prétendre, a priori, prétendre à une licence de spectacle. Les courses hippiques disposent
d’une histoire particulière même si elles ont fourni le modèle d’organisation des courses cyclistes, athlétiques,
voire des combats de boxe. Voir BRUANT, Gérard, Anthropologie du geste sportif, la construction sociale de la
course à pied., PUF, Paris, 1992, et surtout HODAK, Caroline., « Créer du sensationnel. Spirale des effets et
réalisme au sein du théâtre équestre vers 1800 », Terrain, n°46, p 49-67, 2006.
192
Quelques exceptions doivent être faites. Le mot « Tennis » et le mot « football » apparaissent dans le dossier
à propos du « Bearle Restaurant » pour préciser que des terrains se trouvent à proximité de l’établissement. De
même, le mot « athletic » apparaît deux fois mais il sert à désigner l’activité des boxeurs. Le mot athlétique est,
dans ce cas, un synonyme de sportif.
193
Cette affirmation fait exception des courses hippiques qui semblent, elles, considérées comme activité de
spectacle à part entière.
194
Parfois aussi appelé Committee.
75
auprès de ce Council. Ces dialogues prennent donc la forme d’auditions retranscrites où le
« jury » interroge les « candidats »195 sur des sujets aussi différents que la sécurité de
l’établissement196, le type d’événement organisé, la gêne du voisinage ou encore l’intérêt de
créer un établissement de spectacle alors qu’il en existe un déjà dans une rue annexe. Dans le
cas qui suit, c’est le type d’évènement organisé par The Imperial Theatre et The Raglan
Music-Hall qui pose problème. Au cours de ces deux auditions, chacun des candidats doit
longuement se justifier sur le fait que leur établissement ait accueilli un ou plusieurs combats
de boxe. En effet, les candidats feignent une hostilité envers l’organisation de combats de
boxe dans leurs établissements. Ils semblent faire semblant de s’opposer à ce type de pratique
afin de ne pas être sanctionnés par le comité.
Pour mieux discerner les rivalités et tensions existant entre les deux mondes, il faut revenir en
détails sur chacun des cas.
Ainsi, le premier candidat doit d’abord se justifier d’avoir accueilli un match de boxe mettant
en jeu « two black women »197. Le début de la retranscription laisse donc croire que c’est la
couleur de peau (noire) des femmes qui posent problème au jury et que ce soit des femmes qui
s’affrontent:
- Non, Je crois qu’il y avait deux hommes- un noir et un blanc- ce soir-là. Ils ont donné une
« exhibition ». Ils étaient tous les deux de sexe masculin, il n’y avait pas de femme.
- Aucune femme ?
- Aucune femme absolument.
- Alors s’il a été dit que deux femmes de couleur noire se sont affrontées (en boxe), ce n’est pas
vrai ?
- Autant que j’en sache, c’est inexact.
- Etiez-vous présent personnellement ?
- Oui.
195
Nous avons choisi ces termes génériques car la lecture des auditions fait clairement penser au fonctionnement
d’un examen traditionnel. Toutefois, le dossier donne le nom des personnes concernées.
196
Les archives municipales de Londres (voir notamment la série LCC/AR/TH), et dans une moindre mesure les
archives nationales, regorgent de dossiers relatifs à la sécurité des établissements du monde du spectacle. On
trouve facilement des plans des salles, des rapports sur les conditions d’évacuation etc.
197
Dans l’extrait, le jury s’appuie sur un article du Star Newspaper du 11 décembre 1889. Nous avons pu
consulter cet article de journal qui relate un combat entre deux femmes de couleur noire, néanmoins « The
Sporting life » le quotidien sportif de référence de l’époque (où la moindre information pugilistique est relatée)
ne rapporte pas ce combat.
76
En réalité les boxeuses vont vite devenir un problème secondaire. Le reste de l’audition va
donc porter sur la réglementation de l’évènement. Un bref résumé est nécessaire afin de
comprendre les débats qui ont lieu.
Mr. Wilkinson [Le secrétaire de The Imperial Theatre], dès le début de la discussion
estime n’avoir aucune responsabilité dans l’organisation de ce combat, celle-ci incombe
à « Frank Hine » (sic) qui est à l’origine de l’événement. Le secrétaire de l’Imperial
Theatre- c’est-à-dire le « candidat » selon notre terminologie- argumente en affirmant
qu’une fusion entre le théâtre et le bâtiment (« building ») a été réalisée, or l’événement
pugilistique n’a pas eu lieu dans le théâtre mais dans le bâtiment, presque dans une
pièce privée. La licence Chamberlain (pour le théâtre) n’était donc pas nécessaire. De
plus, l’événement organisé par « Frank Hine » n’incluait pas de « music », Mr.
Wilkinson explique par conséquent qu’aucune licence n’était requise. Il se dédouane
donc de la « responsabilité du théâtre à ce moment particulier ». Ces considérations vont
être au cœur du reste de la discussion puisque le Council considère le secrétaire comme
responsable, et comme coupable d’avoir organisé un événement sans licence. Il lui
refuse donc le renouvèlement de sa licence, en argumentant que la partie « building » a
été considéré par le Council-lors de l’année précédente comme une « annexe du
théâtre ».
La boxe apparaît bien comme étant au centre de ce litige concernant l’attribution des licences.
Le cas de The Imperial Theatre est présenté précédemment dans le dossier comme un « cas
avec un dossier spécial ». Il semble que l’établissement a tout de même obtenu un
renouvellement de licence198. Tout se passe donc comme si l’organisation d’un événement de
boxe dans un théâtre n’était pas une raison suffisante pour refuser de délivrer une licence.
Néanmoins, avant de pouvoir tenir une telle affirmation, il faudrait pouvoir replacer
l’Imperial Theatre dans l’espace des positions dans lesquelles il se situe : les théâtres
londoniens de la fin du XIXe siècle. Bien que l’analyse ne puisse pas être approfondie, il est
clair que l’Imperial Theatre - qui deviendra le Royal Aquarium- est un établissement très
prestigieux accueillant des pièces célèbres1 mais également une grande part des plus grands
combats de boxe de Londres dans les années 1890. En effet, c’est ici que Peter Jackson
(champion d’Australie catégorie poids lourds), Frank Slavin (ex champion d’Australie en
198
Elle a de toute façon eu une licence en 1891.
77
poids lourds) et Jem Smith (champion d’Angleterre catégorie poids lourds) vont s’affronter au
cours d’exhibition à tour de rôle du 7 octobre au 23 novembre. Les évènements sportifs
suivants permettent d’affirmer que l’Imperial Theatre est un établissement important et
prestigieux.
Entre le 7 octobre et le 23 novembre 1889, Peter Jackson, Frank Slavin et Jem Smith
s’affrontent en combat et effectuent des exhibitions. The Sporting Life explique que les
boxeurs ont un engagement avec cet établissement pour que chacun d’entre eux se
produise plusieurs fois devant des adversaires différents. Les trois boxeurs « défieront »
même tout boxeur de tenir quatre rounds contre l’un d’eux en échange de 20 £ dans un
premier temps et 30 £ dans un second temps. Ces événements sont toujours importants
et se déroulent souvent devant beaucoup de spectateurs, au regard des qualifications du
Sporting Life : « bondé » (« crowded to excess »)199, beaucoup de monde présent (« big
company present »)200, la salle était simplement pleine à craquer (« the room was simply
crammed full »)201 etc. Excepté le 7 novembre où il est dit que l’affluence est peu
abondante, tous les soirs The Sporting Life rapporte qu’il y a au moins « un bon nombre
de spectateurs » (« a good company »). Ces considérations doivent être rapportées au
fait que Diana Howard estime la capacité d’accueil de cette salle à 1 290 personnes202.
La série de combats au Royal Aquarium est donc certainement très suivie.
Au regard de tous ces éléments, et en revenant sur la décision de renouveler ou non la
licence Chamberlain, il paraît plausible qu’en organisant de tels événements (pugilistiques
comme théâtrales), l’Imperial Theatre est un établissement relativement « protégé ». Il est
donc difficile de croire que ce théâtre puisse être privé de licence pour avoir organisé un
combat de boxe entre deux femmes noires, comme le « reproche » le comité. La discussion
prend alors une autre signification : elle exprime la réticence à voir la boxe s’installer dans ce
lieu et en même temps le caractère inévitable de ce phénomène. Les propos du comité peuvent
être compris comme un « rappel » au candidat de quel spectacle est ou non digne d’être
organisé et légitime à apparaître dans un théâtre.
Par ailleurs, un autre élément a été volontairement ignoré lors du passage précédent.
Celui-ci vaut qu’on s’y attarde. Lorsque le Council demande au secrétaire quel type
199
7 octobre 1889.
9 octobre 1889.
201
14 octobre 1889.
202
HOWARD, Diana, London Theatres and Music Halls, op. cit.
200
78
d’évènement il a organisé, ce dernier répond « un divertissement de boxe, organisé par Frank
Hine avec des prix à gagner ». Tout au long du dialogue, « Frank Hine » est cité pour désigner
l’organisateur de la compétition203. Or, si l’on observe les compétitions pugilistiques les plus
importantes de l’époque, c’est-à-dire celles-ci qui attirent beaucoup de spectateurs, où des
boxeurs réputés y sont présents et où les prix mis en jeux sont importants, le tournoi de Frank
Hinde (et non « Frank Hine ») est l’un des plus visibles. Celui-ci se déroule parfois à The
Imperial Theatre, c’est le cas notamment la semaine du 18 au 25 février 1889 au cours de
laquelle au moins six combats sont organisés chaque nuit204. Il peut paraître surprenant que le
nom de l’organisateur de l’une des plus grandes compétitions de boxe de Londres soit mal
orthographié, et ce à au moins quatre reprises. Bien que le dossier ait pu être dactylographié
par des personnes extérieures à la commission, il semble toutefois légitime de supposer que
les compétitions de boxe de l’époque sont relativement étrangères aux membres du monde du
spectacle traditionnel. Dès lors, pour paraphraser Michel Offerlé: qu’il s’agisse de textes
suscités, suggérés, contraints ou volontaires, nous ferons l’hypothèse qu’on peut les
considérer comme des indicateurs du rapport particulier qu’entretenait une partie des
membres du monde du spectacle, qui ne sont eux-mêmes qu’une partie des membres du
monde du spectacle anglais de l’époque, à l’univers de la boxe 205.
En ce qui concerne le deuxième passage où la boxe est abordée, celui-ci porte sur The
Raglan Music-Hall206 en 1893. Une incursion au-delà de 1889 est donc ici réalisée, en raison
du peu de données empiriques disponibles. Les analyses tirées sont néanmoins valables
mutatis mutandis pour 1889.
Ici le Council reproche à Mr. Beasley (« applicant » du Raglan Music-Hall) d’avoir accueilli
un match de boxe le soir du 25 septembre 1892. Ce dernier se défend en affirmant que
l’établissement était louée pour des « athletic sports » mais « qu’ils » ont insisté pour inclure
de la boxe. De plus, il affirme avoir tenté de mettre fin à l’événement mais en vain. Ce dernier
point sera l’objet d’une discussion serrée entre Mr. Cohen (membre du Council) et Mr.
Beasley.
203
L’organisateur de la compétition n’est pas forcément propriétaire de la salle où se déroule la compétition.
On trouve également des rencontres le 11 mars, 11 avril, 9 octobre et une compétition du 3 au 9 décembre,
pour l’année 1889.
205
OFFERLÉ, Michel, « “ A MONSIEUR SCHNEIDER ”. Quand des ouvriers demandent à leur patron de se
présenter à la députation (janvier 1902) »., in FAVRE, P., FILLIEULE, O., JOBARD, F., L’atelier du politiste.
Théories actions, représentations., La Découverte, Paris, 2007, p. 171.
206
Nous n’avons malheureusement aucun élément sur cet établissement si ce n’est qu’il peut accueillir 1293
personnes.
204
79
Q- Vous avez dit avoir eu des difficultés pour arrêter l’événement qui se déroulait?
A- Oui, j’ai eu des difficultés.
Q- Les spectateurs étaient-ils très grossiers?
A- Non, ils ne l’étaient pas, mais je me fichais de leur événement.
Q- Vous avez véritablement tenté de les arrêter, mais vous nous avez dit que vous avez eu de
grandes difficultés à le faire?
A- Ils ne voulaient pas m’entendre [« to be persuaded »]. J’ai fait tout ce que j’ai pu.
Q- C’est plus qu’une habitude, ou non, de la part de ceux qui appartiennent à la fraternité de la
boxe [« pugilistic fraternity »] de ne pas savoir écouter207 ?
A- C’est le cas.
Mr. Cohen va même soupçonner Mr. Wilkinson d’avoir un quelconque intérêt à organiser une
telle manifestation :
Q- Il n’y avait-il aucun avantage pour vous dans cet événement sportif, au-delà du fait que les
gens payent pour l’utilisation de cet établissement ?
A- Pas du tout.
Q- Vous n’aviez pas d’intérêt du tout dans cette affaire?
A- Pas le moindre.
Q- Et dès que vous avez trouvé les gants de boxe en train d’être utilisés…
A- J’ai tout fait pour les arrêter.
Q- Vous n’avez été convoqué/ sollicité d’aucune façon?
A- Non.
Ces différents extraits donnent une idée de la manière dont les membres du Council se
représentent la boxe : public bruyant (quelques phrases sont échangées à propos de la
possibilité d’avoir gêné le voisinage208), composé de perturbateurs209, activité à la
réglementation floue210 et qui globalement semble poser problème lorsqu’elle se déroule dans
un théâtre ou un music-hall.
207
Phrase originale: “It is rather a habit, is it not, of those who belong to the pugilistic fraternity not to
acknowledge any sort of argument ?”.
208
Le problème du voisinage, bien qu’ici peu abordé, est souvent source de conflits, le dossier mentionne des
pétitions contre l’ouverture de tel ou tel établissements (pétitions que nous avons trouvé dans d’autres archives,
série LCC/AR/TH).
209
Cette représentation va à l’encontre de la géographie sociale des salles qui montre que les salles de boxe
importantes sont plutôt situées dans les quartiers huppés.
210
Aucune licence n’est nécessaire pour organiser des combats, à l’inverse des activités de spectacle. La boxe est
parfois soumise à des arrestations même si au fur et à mesure des années, le phénomène tend à régresser.
80
Cette vision intervient certainement dans le jugement final du Council qui décide de ne pas
attribuer de licence au Ragan Music-Hall. Cet exemple mériterait une étude plus fine car
l’établissement est un music-hall de grande importance, d’un strict point de vue quantitatif,
puisqu’il peut accueillir près de 1300 personnes. Il est donc particulièrement surprenant que le
Council « sanctionne » l’établissement et refuse de lui accorder une licence.
Néanmoins, face à cette dernière affirmation qui peut laisser croire à une généralisation de ce
type de décision, une précision doit être donnée. Tous les établissements n’ayant pas obtenu
de licence lors de l’année 1889 ont été comparé avec la liste de toutes les salles ayant accueilli
au moins un match professionnel cette même année. Or, la comparaison révèle qu’un seul
établissement (The New Saddler’s Wells Theatre) a organisé un match de boxe en 1889 et
s’est vu refuser la licence en raison de problèmes architecturaux. Le fait d’organiser un
combat de boxe dans un établissement de spectacle ne conduit donc pas nécessairement à une
sanction du Council211. Par conséquent, le Council a très certainement dû adresser un autre
reproche (qui nous est étranger) à The Ragan Music-Hall pour lui refuser sa licence.
Tous ces arguments contribuent à justifie l’existence de liens entre la boxe et le monde
du spectacle. En effet, le fait que la boxe représente, dans certains cas, la figure de repoussoir
(comme l’attestent les extraits précédents) n’affaiblit pas cette thèse mais prouve au contraire
que la boxe et le monde du spectacle entretiennent des liens. Ceux-ci sont parfois conflictuels,
mais ils demeurent des connexions entre deux espaces en concurrence pour l’appropriation de
la boxe. Bien que la boxe ne fasse pas l’unanimité chez les membres du monde du spectacle,
tout comme chez les agents du « champ sportif »212, elle représente un spectacle rentable et
apprécié, comme en témoignent le nombre de spectateurs qui remplit les salles.
Par ailleurs, d’un point de vue plus « méthodologique », l’analyse de l’attribution de ces
licences, rappelle avec force le choix (présenté en introduction) délibéré de ne pas se focaliser
sur les archives portant directement la boxe. En effet, les sources indirectes (ou
« périphériques »213) sont parfois largement aussi importantes dans la réalisation d’une
211
Cette tolérance irrégulière s’explique, en partie, par l’influence de la Professional Boxing Association (PBA)
puisque celle-ci semble « soutenir » directement ou indirectement certaines salles, par exemple en organisant des
événements importants, voir infra.
212
L’expression est mise ici entre guillemets car il semble délicat de parler de champ sportif à cette époque. Sur
les usages routiniers de la notion de « champ » en sociologie, voir LAHIRE, Bernard, Monde pluriel. Penser
l'unité des sciences sociales, Seuil, Paris, 2012. Sur le concept de champ sportif en particulier voir DEFRANCE,
Jacques, L'autonomisation du champ sportif, 1890-1970, Sociologie et sociétés, vol. XXVII, n°1, printemps, p.
15-31, 1995..
213
L’exploitation de sources périphériques est particulièrement utilisée dans le livre d’Alain CORBIN, Les
cloches de la terre. Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au XIXe siècle., Flammarion, Paris,
2000.
81
recherche. S’écarter des archives proprement sportives permet de mener une analyse
différente de la structuration de la boxe à cette époque. Si la socio-histoire relève de
différentes caractéristiques214, celle qui a été retenue ici est la « pente inductive impliquant
d’abord un certain penchant pour le(s) terrain(s), l’empirie »215.
1909 : débat sur la licence Chamberlain qui sert normalement aux théâtres.
Sur les attributions des licences, d’autres données ont été découvertes dans les archives
nationales et notamment dans le dossier « LAW OFFICER'S OPINIONS: Boxing
Entertainments in Theatres » /NA/ HO 45/ 10396 / File 176 973. Bien que très riches, ces
matériaux ne peuvent pas être intégrés au propos précédent puisqu’ils datent de 1909. Ne
connaissant pas l’état de l’espace pugilistique à cette époque, ces archives ne peuvent pas
être fondues telles quelles dans l’analyse.
A partir du 10 avril 1909, un échange de lettres a lieu entre le « State Home Office » et the
« Law Officer » à propos de matches de boxe. En effet, il s’avère que les « licences
Chamberlain », normalement attribuées pour autoriser à gérer un « théâtre », sont utilisées
pour organiser les matches de boxe. Le propos suivant résume assez clairement le problème :
« Le Secrétaire d'État a été informé par le Lord Chamberlain que plusieurs cas ont été
soulevés concernant certaines personnes, qui détiennent une licence accordée au titre du
Theatre Act de 1843 pour jouer sur scène des pièces dans des certains locaux et qui ont
commencé à donner régulièrement ou à intervalles fréquents des divertissements de boxe et
d'autres divertissements d'une classe semblable au lieu des divertissements de la scène pour
lesquels la licence du Lord Chamberlain est conçue et accordée. Lord Chamberlain souligne
que sa licence comporte une autre licence pour l’usage de boissons alcoolisées dans les
locaux en question et que les divertissements de boxe que l'on donne maintenant en nombre
croissant garantissent la présence de très nombreux spectateurs et parfois occasionnent des
événements surpeuplés incluant des personnes perturbatrices, il est prévisible donc qu’il y
aura des troubles. Mais, du fait de ce danger, il n’est pas disposé à ce que ces
divertissements soient donnés sous le couvert et la protection de la licence de théâtre qu’il
214
Sur la difficulté à définir la notion de socio-histoire, voir BUTON, François et MARIOT, Nicolas, (dir),
Pratiques et méthodes de la socio-histoire, PUF, Amiens, 2009 ainsi que l’article de Michel OFFERLÉ,
« Histoire et science politique », dans DELACROIX, Christian, DOSSE, François, OFFENSTADT, Nicolas et
GARCIA, Patrick, Historiographies, I. Concept et débats, Paris, « Folio histoire » Gallimard, vol. 1, p. 342- 350.
215
BUTON, François et MARIOT, Nicolas, op. cit. p 11.
82
accorde lui-même. Il est conscient que, conformément au Theatre Act, il a le pouvoir de
retirer la licence d'un théâtre dans lequel une émeute arrive, mais il serait préférable, si la
loi le permet, qu'il puisse imposer une condition aux détenteurs de licences de théâtre : tant
que ces licences sont utilisées pour des divertissements de boxe, on ne donnera pas de
licence pour le débit de boissons ».
Les « Law Officers of the Crown » sont sollicités pour autoriser ou non l’une des règles de la
licence Chamberlain. Cette règle établit qu’une licence Chamberlain ne sera accordée qu’à la
condition de ne pas organiser de combats de boxe dans son théâtre. Les « Law Officers of the
Crown » accordent cette règle mais uniquement pour des « cas particuliers ». A la suite de
cela, deux lettres suivent pour expliquer que deux théâtres « The Britannia Theatre » et « The
Klephan Theatre » ont organisé des divertissements de boxe à l’aide de leur licence
Chamberlain.
Cette correspondance montre que les organisateurs de boxe vont se servir de la législation sur
le théâtre (licence Chamberlain) afin d’organiser des combats. Cette pratique sera interdite en
1909. Néanmoins, la Licence Chamberlain date de 1843, tout se passe donc comme si
l’utilisation de cette licence pour organiser des matches de boxe (avec vente d’alcool
associée à cela) était possible de 1843 à 1909. Ainsi peut-on confirmer la proximité de la
boxe et du monde du spectacle puisque pendant presque 70 ans, la licence destinée à
autoriser les pièces de théâtre est « détournée » pour règlementer les combats de boxe.
d) Comment combattre ? Des formes de pratiques particulières.
La spectacularisation de la boxe est un processus complexe qui repose sur plusieurs
déterminants. Pour le moment, les lieux de pratiques spécifiques accueillant la boxe ont été
abordés. De même, la diversité des enjeux a été traitée afin de marquer la prégnance de la
logique économique sur la logique sportive. L’analyse de la législation sur l’organisation des
combats dans les établissements de spectacle a permis de montrer la complexité des relations
entre le monde du sport et celui du spectacle. C’est maintenant les « formes de pratiques »
proposées dans les combats de boxe qui doivent être étudiées. Celles-ci rendent visible et
objectivent la spectacularisation de l’activité. Les formes de pratiques sont nombreuses,
83
variées et surprenantes216. Elles montrent d’abord la « faible » structuration de ce sport à
l’époque. La législation est en effet insuffisante pour imposer quelques formes de pratique. De
la même manière, les formes de pratique montrent l’ambigüité de ce sport : les défis, les
« benefits » et autres rappellent fortement le monde du spectacle.
Le premier exemple concerne les « benefits »217. La corporation des boxeurs
professionnels cherchant à se soutenir, des « bénéfits » sont régulièrement organisés pour
prendre en charge l’un d’entre eux. En effet, un tel événement vise à aider financièrement un
boxeur particulier (souvent dans le besoin218) en organisant une soirée où l’on mêle boxe (en
majorité), musique, acrobatie, chant etc. Les bénéfices récoltés à l’issue de la soirée, par
l’intermédiaire du nombre d’entrée et du prix du billet, sont reversés au boxeur concerné afin
de le soutenir. Ce type de pratique est très courant. Pour la seule année 1889 et au sein du
grand Londres, 111 « benefits » déclarés219 ont été comptabilisés. Cela signifie qu’il y a donc
en moyenne environ un « benefit » tous les trois jours à Londres en 1889. L’importance, à la
fois, de ce type de pratique mais également du nombre de boxeurs à soutenir sont donc
réelles. De plus, les « benefits » semblent attirer beaucoup de spectateurs. Pour les 111
« benefits » de 1889, le nombre de spectateurs est connu à quatre reprises. Il y a
respectivement 300 ; 300 ; 400 et 200 personnes, soit une moyenne de 300 spectateurs.
Néanmoins, il existe tout de même des cas où le « benefit » attire peu de spectateurs. Dans ce
cas, le plus souvent, l’évènement est annulé et reporté à une date ultérieure. C’est le cas le 23
octobre 1889 pour deux « benefits » différents. Dans ce cas, c’est la logique marchande qui
est prégnante dans l’organisation des combats, puisque c’est la seule « rentabilité » de
l’évènement qui tantôt l’annule tantôt le maintient. Tout comme pour les enjeux, l’annulation
d’un évènement pugilistique en raison d’un faible nombre de spectateurs objective la
domination de la logique économique (l’évènement est-il rentable ?) sur le seul intérêt sportif
(la « beauté » d’un combat). Bien sûr, il ne s’agit pas de juger ici si une logique doit être
préférée à une autre, mais bien de constater la domination de la dimension marchande sur la
dimension sportive. La boxe est alors d’abord, et avant tout, penser comme un spectacle
destiné à attirer la foule.
216
On retrouve un constat similaire en France dans la trajectoire de G. Carpentier quand celui-ci affronte deux
adversaires dans la même soirée, « combat » avec un chien etc.
217
Ne sachant pas comment traduire ces formes de pratique, le terme anglais a été conservé.
218
Mais pas toujours, on trouve des « bénéfits » au profit de champion connus et fortement rémunérés du fait de
leur activité pugilistique.
219
Par « déclaré » nous sous-entendons qu’il y a certainement d’autres « benefits » qui ne sont pas présentés
comme tels voire qui ne sont pas annoncés par The Sporting Life.
84
Le second exemple développé concerne les défis. Ces formes de pratiques sont assez
différentes des manifestations sportives classiques. Ils traduisent bien l’importance des
organisateurs de combats dans l’organisation de la boxe professionnelle.
La longue série de « défis » entre Peter Jackson (champion d’Australie catégorie poids
lourds), Jem Smith (champion d’Angleterre catégorie poids lourds) et Frank Slavin (ex
champion d’Australie en poids lourds) est à analyser. Cet épisode mérite d’être détaillé, étant
donné qu’il n’a été qu’ébauché lors de la partie sur l’attribution des licences.
Si les trois boxeurs ont chacun un engagement avec le Royal Aquarium, leur apparition s’est
faite successivement après un processus commun. Revenons sur ces trois cas.
Le premier boxeur concerné est Peter Jackson. Le 26 septembre 1889, Jem Smith
affronte Peter Jackson (Australie) au Pelican Club pour la somme de 1 000 £.
L’australien va alors rester en France et réaliser une série d’exhibitions au Royal
Aquarium. En effet, il va combattre à huit reprises entre le 7 octobre et le 17 octobre, et
à chaque fois devant un grand nombre de spectateurs d’après The Sporting Life. De plus,
à partir du 12 octobre, soit après quatre combats, il propose de rencontrer tout boxeur en
quatre rounds. Si le boxeur n’abandonne pas avant le quatrième round, il reçoit 20 £. A.
Ball, C. Meddings et J. Watson relèvent le défi mais échouent. « L’engagement de
Jackson avec The Royal Aquarium prend fin » le 16 octobre au soir et va aller
« chercher de nouveaux horizons »220.
Le deuxième cas concerne F. Slavin. Le 18 octobre, F. Slavin et B. Goode
s’affrontent au Astley’s Theatre pour la somme de 400 £221. Comme pour Jackson,
Slavin va alors rester en France pour plusieurs combats au Royal Aquarium. Il va
effectivement en réaliser dix entre le 30 octobre et le 11 novembre. The Sporting Life
évoque également « l’engagement » de Slavin avec le Royal Aquarium222. Les
évènements vont aussi attirer beaucoup de spectateurs, au point que le 29 octobre, le
« 12 rounds contest » pour 200 £ au South London Gymnasium est fixé à 22 heures pour
ne pas interférer avec la prestation de Slavin au Royal Aquarium.
Enfin, le troisième cas implique Jem Smith et remet en jeu P. Jackson. Le 11
novembre 1889 Smith et Jackson s’affrontent pour la somme de 1 000 £ à The Pelican
Club. Après ce combat, les deux boxeurs vont ensuite réaliser neuf exhibitions au Royal
220
The Sporting Life, 16 octobre 1889.
Rappelons encore une fois que cette somme équivaut à 10 fois le salaire annuel moyen de 1890, ROBERT, JL., Le XIXe siècle, op. cit., p. 121.
222
The Sporting Life, 29 octobre 1889.
221
85
Aquarium entre le 15 et le 25 novembre 1889. Chacune de ces exhibitions est très suivie
par les spectateurs selon The Sporting Life.
Dans les trois cas le même mécanisme est mis en place. Tout se passe comme si, des
organisateurs de combat mettaient sur pied un évènement important, un « grand combat »
(Jem Smith contre Peter Jackson par exemple) puis que d’autres promoteurs profitaient de la
notoriété d’un boxeur étranger (ici australien) pour organiser de nombreuses exhibitions et
prolonger la rivalité créée par le premier évènement. La démarche employée parait
efficacement construite d’un point de vue économique, puisque la plupart des exhibitions sont
des succès en termes de nombre de spectateurs.
La liaison entre la boxe et le monde du spectacle est ici explicite. Le boxeur est engagé par un
établissement de spectacle pour se produire sportivement à plusieurs reprises. Ici, c’est le
monde du spectacle qui fait appel à la boxe puisque les boxeurs sont présentés comme étant
« engagés » par l’établissement. La mise en spectacle de l’activité se fait à l’initiative du
monde du spectacle et non des organisateurs de boxe, comme l’attestent les matériaux
recueillis223. Jusqu’à cette date, nous n’avions pas constaté une telle démarche224. Il est
probable que la notoriété des boxeurs et la publicité des « grands combats » qui précèdent les
exhibitions servent de garants (économiques) pour The Royal Aquarium en lui assurant des
recettes futures importantes.
Néanmoins, et pour finir sur ce cas, le fonctionnement par défi ne semble pas récent. En effet,
dès le mois de janvier 1884, The Sporting Life rapporte que Jem Mace, ex-champion du
monde, a appelé le journal et s’est déclaré enclin à parier 1 000 £ qu'aucun homme ne pourrait
le mettre K. O en quatre rounds225. Le quotidien rapporte qu’il n’a eu aucune réponse, à la
différence des trois boxeurs du Royal Aquarium. On peut légitimement supposer que la
différence entre 1884 et 1889 est ici fondamentale. Cette période constitue un moment
important de l’émergence du professionnalisme et de la création (et le développement) de la
PBA. Il est donc probable que cinq années plus tard, le défi de Mace aurait eu beaucoup plus
de chance d’être relevé par un autre boxeur. Quoi qu’il en soit, Mace est certainement un
boxeur particulier. En effet, selon Brailsford: « Mace lui-même était en tournée avec un autre
cirque [Mace participe à des troupes de cirque] ». Or, pour l’auteur cette particularité est
223
Nous écartons les quelques cas où les organisateurs de boxe sont également des organisateurs de spectacle.
Toutefois, il est à noter que ce système va perdurer puisque Georges Carpentier, célèbre boxeur français, va
réaliser ce type de démarche en 1913 au Middlesex theatre (voir HAY, Ginette « Georges Carpentier, sergentaviateur de la Grande Guerre ». Revue Gauheria, Lens, 2007, p 76).
225
The Sporting Life, 14 janvier 1885.
224
86
« encore un autre exemple de l’implication/engagement (« involvement ») croissante de la
boxe avec l’industrie du spectacle »226. Il est seulement regrettable que l’auteur mentionne la
proximité entre ces deux univers sans la prendre pour objet et comme si elle allait de soi. Bien
que les liens existants entre le cirque et le monde de la boxe soient probables, un travail
d’enquête est nécessaire pour éclaircir les relations entre ces deux univers.
Par ailleurs, hormis les « benefits » et les défis, la boxe londonienne propose une
multiplicité d’autres évènements à la fin du XIXe siècle. Il existe en effet des « matches »,
des « tournois », des « compétitions » etc. Chacun d’eux propose un fonctionnement
particulier : nombre de rounds variable, nombre de boxeurs en lice différent etc. Vue d’un
point de vue « commercial », la pluralité des formes de compétitions proposées peut faire
office de stratégie publicitaire. En variant l’offre pugilistique, les organisateurs de combats
tentent de nouvelles pratiques ou tentent de créer un effet de nouveauté afin d’attirer les
spectateurs de boxe.
Pour finir sur ces formes de pratiques spécifiques, le cas particulier de l’appel de J.
Knifton en 1888 peut également être cité. Celui-ci est difficile à appréhender en raison du
manque de matériaux empiriques disponibles, et de son caractère inclassable. J. Knifton
(champion d’Angleterre) souhaite organiser une soirée de boxe où les bénéfices seraient
versés aux victimes de l’incendie du « Grand Theatre » du 27 décembre 1887. Cet évènement
mériterait une étude à lui seul, puisqu’il nous éclaire à la fois sur le fonctionnement de la PBA
et sur les liens entre la boxe et le monde du spectacle. La PBA va prendre position contre
Knifton dans cet évènement, jugeant que son action –aussi noble soit-elle- devrait passer par
elle. Pourtant, l’action de Knifton est soutenue par d’autres boxeurs. A cause de cet
évènement, il y a donc une opposition entre la PBA (par l’intermédiaire de ses dirigeants) et
une partie au moins des boxeurs soutenant l’appel227. Par ailleurs, la démarche même de
Knifton, venir en aide à des victimes de l’incendie d’un théâtre, dénote les multiples
connexions entre ce sport et le monde du spectacle. Tout se passe comme si les boxeurs
soutenant l’appel, c’est-à-dire plus de 50 personnes, se sentaient directement concernés par
cette cause. Voir encadré.
226
BRAILSFORD, Dennis, Bareknuckles, op. cit., p. 149.
Il est impossible de réduire le nombre de boxeurs soutenant l’appel de Knifton à des « opposants » à la PBA.
Au regard des données recueillies, l’opposition concerne d’abord Tom Symonds pour la PBA (trésorier) d’une
part et Knifton pour son appel d’autre part.
227
87
Au feu, les boxeurs, il y a le théâtre qui brûle.
Le 21 janvier 1889, John Knifton (champion d’Angleterre poids lourds) lance un appel
(dans les tribunes du Sporting Life) afin de venir en aide aux victimes de l’incendie du
« Grand Theatre » de Londres en décembre 1887. L’introduction est particulièrement
intéressante au regard de la manière dont Knifton conçoit son métier :
« Monsieur –Devant les nombreuses faveurs, que moi-même et d'autres de la profession
pugilistique (« Boxing profession »), avons reçu des mains du public et étant autorisé à
utiliser la scène comme un moyen de gagner de l'argent, et également, pour rendre visible
notre profession… ».
Dans cet appel, sans le dire explicitement, Knifton envisage de faire un « benefit ». Il
souhaite organiser un évènement pugilistique (il cite de célèbres boxeurs et répond –à
l’avance- de leur présence) et reverser les recettes aux victimes directes comme indirectes
(les employés qui ont perdu leur emploi) de l’incendie. Pour organiser cet évènement, il
suggère la location de The Agricultural Hall228.
Quoi qu’il en soit, l’appel de Knifton est un véritable succès puisque 52 boxeurs vont
proposer leurs services, et « The Finsburry Polytechnic Club » propose aussi d’envoyer 20
membres. Parmi les 52 boxeurs, on compte des « amateurs » (3 sont désignés comme tels
dans le journal), des professeurs (2 sont désignés comme tels) et des professionnels (où la
mention n’est pas précisée mais dont les noms sont connus).
Néanmoins, le 27 janvier 1888, le trésorier de la PBA, Tom Symonds, va répondre à l’appel
de Knifton. Il va alors lui rappeler que la PBA a, à l’époque, des soucis financiers et que son
but est justement de venir en aide aux boxeurs dont la « cause » est prioritaire (pour
Symonds) à la différence des victimes de l’incendie. En résumé, Symonds reproche à Knifton
d’organiser ce « benefit » alors que la boxe a suffisamment de problème pour ne s’occuper
que d’elle-même. Un anonyme soutiendra Symonds dans une lettre parue le 3 février. Il
explique que la PBA a des « motifs beaucoup plus hauts que la collecte de fonds pour
soulager quelques malheureux ».
Finalement, nous ne savons pas si le « benefit » a bien eu lieu. Aucune allusion n’est faite,
aussi bien dans les comptes rendus de la PBA que dans les autres colonnes du Sporting Life.
228
Dans une lettre du 2 février, difficilement lisible, il semble que les gérants de cet établissement acceptent cette
demande et mentionnent que plusieurs personnes veulent que les bénéfices obtenus après la soirée soient versés
pour moitié à la PBA et pour moitié aux victimes de l’incendie du théâtre.
88
Cet épisode présente plusieurs intérêts pour cette étude. D’abord, la première phrase
de Knifton, introduisant son propos est tout à fait remarquable. Le boxeur réunit ici les deux
traits marquants de l’état de la boxe londonienne à la fin du XIXe siècle: envisager la boxe
comme une activité de spectacle et faire reconnaître la profession de boxeur229. En présentant
la boxe comme une profession qui se joue « sur scène », Knifton semble pointer les
similitudes qui existent avec le monde du théâtre.
De plus, même en l’absence d’épilogue, il n’en reste pas moins vrai que l’appel, et le fait
qu’il soit soutenu par tant de boxeurs, montre que la boxe est toute disposée à prendre la
défense des victimes d’un théâtre. Il est peu probable qu’un tel appel aurait été lancé si les
victimes avaient appartenu à des professions éloignées de la boxe. De même, il semble
également peu probable que dans un autre sport, un tel appel soit réalisé.
Cet évènement marque une nouvelle fois la proximité qui existe entre le monde de la boxe et
celui du spectacle. La « solidarité » que fait apparaître cet évènement donne l’impression que
les boxeurs et les salariés (au sens large) du secteur théâtrale appartiennent à la même
« communauté de métiers ».
e) Devant qui combattre ? Quelques données sur les spectateurs.
Comme ce fut le cas précédemment, il faut d’emblée affirmer que l’étude des
spectateurs des matches de boxe à Londres à la fin du XIXe siècle mériterait une étude à part
entière. Ce sujet ne sera ici abordé que partiellement. Il est pourtant l’une des dimensions
fondamentales de la mise en spectacle, puisque la maximisation des spectateurs et leur
satisfaction sont les deux principaux soucis des organisateurs. La boxe ne peut être mise en
spectacle que dans la mesure où elle remplit les salles et où la location des établissements est
rentabilisée. Par exemple, à cette époque, Roy Porter affirme que « le théâtre est énormément
populaire. Le West End et la City sont parsemés de music-halls et de théâtres pouvant
accueillir autour de 300 000 personnes – donnant une fréquentation de 100 millions de
personnes à l’année »230. Il convient donc de comparer cet engouement avec celui connu pour
la boxe. Malheureusement, enquêter sur le nombre de spectateurs d’évènements sportifs
229
Si ces éléments peuvent comprendre un aspect militant (notamment le deuxième trait) pour la corporation des
boxeurs, nous traitons ici ces processus sans prendre position pour que la boxe soit reconnue ou non comme
profession ou qu’elle soit assimilée ou non à une activité de spectacle.
230
PORTER, Roy, London: A Social History., op. cit., p 292.
89
conduit à rencontrer de grandes difficultés empiriques. Le choix opéré est donc de présenter
trois sources différentes mais complémentaires -en ayant tout de même conscience d’être
lacunaire- afin d’estimer approximativement le nombre de spectateurs assistant aux combats.
Le premier élément est la capacité des salles. Pour cela, les sources suivantes ont été
regroupées : les archives municipales de Londres où se trouvent des dossiers d’architecture
des « grandes salles »231, les articles du Sporting Life et le livre de Diana Howard : London
Theatres and Music Halls 1850-1950.
A l’appui de ces différentes données, la capacité de 16232 salles et de la superficie de 3 autres
établissements ont pu être regroupées. Parmi ces 16 établissements, 14 sont « professionnels »
et deux sont « amateurs ». Ainsi, nous disposons de la capacité (ou superficie) d’environ 10 %
des salles londoniennes et 18 % des salles « professionnelles ».
Pour plus de clarté, les salles « amateurs » et les salles « professionnels » ont été séparées
dans les deux tableaux suivants233 :
« Handsome
prize »
Capacité (en
nombre de
personnes)
ou superficie
(en « feet »).
1
400p
Nom de la salle
(professionnelle)
Adresse
Prix en
livres
Purse
Objets
pour de
l’argent
The Blue Anchor
Shoreditch
1
4
2
Milton Hall
Hawley-crescent,
Camden Town
1 (7 £)
350p
The Baxendale
Columbia-road,
Hackney
1
150p
Queen’s Arms
Cheyne Walk,
Chelsea.
1 (10 £)
1
Albany Club
Holloway
1 (15 £)
1
Agricultural Hall
Islington
1 (30 £).
1
The Sussex Arms
Plumstead-road,
Woolwich.
The cape of good
hope
Commercial-road,
Limeshouse.
1
1 (20 £)
Money
prize
5
« Substantial
prize »
780 feet
1
500-600p
Plus de 1200
feet de
surface
1
324p (en
1911)
480 feet
231
« ARCHITECT'S DEPARTMENT: BUILDING REGULATIONS DIVISION» (et plus particulièrement les
“Theatres cases”) / LMA/ GLC/ AR/ BR/ 52 et LMA/ GLC/ AR/ BR/ 07.
232
A ce chiffre s’ajoute une salle qui ne se trouve pas à Londres et que nous avons donc retirée du compte.
233
Certaines colonnes (dans les deux tableaux) ont été retirées car elles n’étaient pas pertinentes pour cette
partie. De plus, certains chiffres ne datent pas de 1889 mais de 1890, 1891 ou 1892. Nous avons choisi de les
conserver.
90
The South London
Gymnasium
Montford-place,
Kennington-road.
5
(200 £)
The Theatre the
Novelty
Great Queen-street,
Long Acre
1 (1 000
£)
650p
Astley’s Royal
Amphitheatre
Westminster Bridgeroad.
2 (100 £
et 400
£)
2 407p
Royal Aquarium
Westminster
8
1 290p
The Goodwin Club
Kingsland-road
2 (70 £)
600p
Falstaff Music-hall
Old street, St Luke’s.
1 (30 £)
Nom de
(amateur)
la
salle
2
1
300p
1
Adresse
Prix
précisé
Lamb and Flag
Rose-street,
Garrickstreet, Covent Garden
1
Gloucester Music-Hall
Greenwich.
250p
non
Médailles
2 silver cup
Coupe /Trophy
Capacité
I (handsome cup)
150p
1
250p
En prenant uniquement en compte les salles dont nous connaissons la capacité en personnes
(et non en superficie), la capacité d’accueil moyenne d’une « salle professionnelle » est de
661 personnes234. Ce chiffre montre le succès de la boxe puisque ce sont des « salles »
spacieuses qui accueillent donc les évènements pugilistiques. La boxe est alors matériellement
prête à attirer de nombreux spectateurs, comme toute activité de spectacle.
Puis, la seconde source disponible rapporte, pour dix-huit évènements de l’année 1889,
le nombre de spectateurs qui étaient présents235. Toutefois, l’un des chiffres s’applique pour
une salle située dans la banlieue lointaine de Londres et ne peut être comptabilisé pour
caractériser les spectateurs de l’espace pugilistique londonien. De plus, ces chiffres mêlent
différentes formes de pratiques : quatre « benefits », un « huit rounds contest », une
« compétition » mais la majorité des cas236 fait écho à des « six rounds contest ». Cette
dernière formule semble la plus courante à l’époque. A titre d’exemple, The Blue Anchor
organise un « six rounds contest » tous les mercredis et samedis de la semaine. Ici, le peu de
matériaux à disposition empêche d’associer un nombre de spectateurs à une forme de pratique
234
Calculé de la manière suivante : 6 190 (total des capacités en personnes) / 17 (nombre d’évènements).
Ces informations ont été collectées dans le quotidien The Sporting Life.
236
C’est-à-dire à six reprises.
235
91
précise. Il est pourtant probable qu’un lien puisse être établit entre le type d’évènement
proposé et la quantité de spectateurs présente.
En tous les cas, si l’on retient uniquement les chiffres fournis, alors, en moyenne, un
évènement pugilistique attire 364 personnes237. Comme pour la capacité d’accueil des salles,
la faible base limite bien sûr la portée du chiffre.
A cela un autre chiffre peut être ajouté, même s’il est en dehors de la période étudiée : le
23 juillet 1902, The Sporting Life238 évoque un violent match au Wonderland où 3000
spectateurs sont présents. Nonobstant cet ajout, les données relatives aux spectateurs sont
plutôt rares. Néanmoins, celles-ci pourraient être complétées par de nombreuses estimations.
Nous connaissons la capacité de dix-neuf salles et pouvons les mettre en rapport avec les
qualificatifs donnés par The Sporting Life. Ainsi, les nombreuses fois où le journaliste affirme
que la salle était « pleine à craquer » ou qu’on faisait « salle comble », qu’elle était « bien
remplie », qu’elle était « à moitié remplie » etc. ces appréciations pourraient être rapportées
aux capacités des salles. De cette façon, une estimation (certes grossière) du nombre de
spectateurs lors de nombreux combats pourrait être réalisée. N’ayant pu approfondir ces
différentes dimensions, nous devons ici seulement mentionner que cette méthode pourrait être
menée pour renforcer nos informations sur les spectateurs.
Quoi qu’il en soit, voici, à titre d’exemple, un évènement regroupant les informations
détenues et mentionnées jusque-là :
- Falstaff School of Arms: environ 400 personnes. Appréciation de The Sporting Life : salle
« bondée ». Évènement : « Benefit » de Jack Smith.
Enfin, quelques matériaux issus des archives nationales peuvent être ajoutés aux
informations précédentes. En effet, le dossier « MEPO 2/555 » contient notamment un
document du « Metropolitan Police Office »239. Il s’agit d’un tableau présentant quatre
colonnes: le nom de l’établissement, le type de divertissement proposé ce jour-là, le nombre
de spectateurs et les conditions d’évacuation de l’immeuble. Il fournit ainsi le nombre de
spectateurs assistant aux matches, et dont le chiffrage a été réalisé par un autre groupe
professionnel que celui des journalistes. De plus, « The Law Officers of the Crown »
237
6 890 (nombre total de spectateurs) / 18 (nombre total d’évènement).
Coupure de presse présente dans les archives nationales et plus particulièrement le dossier : « Amusements:
Boxing Competitions and other entertainments » / 1902-1907/ AN/ MEPO 2/555.
239
Ibidem.
238
92
rapportent240 que: « les divertissements de boxe, que l'on donne maintenant en nombre
croissant, garantissent la présence de très nombreux spectateurs et parfois des événements
surpeuplés incluant des personnes au comportement perturbateur ». Bien que non chiffrée,
cette information sous-tend deux idées : la première est que les compétitions de boxe attirent
beaucoup de spectateurs et la deuxième concerne l’attitude de certains d’entre eux241. Dans les
deux cas évoqués, c’est la pluralité des sources qui est aussi très précieuse et qui permet d’être
au plus près de la réalité sociale.
Par ailleurs, le tableau regroupe au total 17 « divertissements ». Ceux-ci ne mettent pas
toujours en jeu de la boxe, le rapport évoque des « concerts privés » ou des « bains/piscines
privés ». Pourtant la boxe est surreprésentée dans ces activités puisqu’elle concerne 13
divertissements sur 17. Ce chiffre laisse donc entendre que la boxe compte parmi les
divertissements les plus en vue. Elle fait même venir en moyenne 795242 spectateurs selon la
police. Ce chiffre, bien qu’issu d’une faible base statistique, est particulièrement élevé. Enfin,
la boxe apparaît l’activité qui attire le plus grand nombre de spectateurs : les trois événements
les plus suivis sont des combats : 2 500, 1 000, 900 spectateurs. Le tableau fournit donc un
indice du succès de la boxe, par le nombre d’événements et le nombre de spectateurs, et
objective une fois de plus sa proximité avec le monde du spectacle. En effet, concernant ce
dernier point, la boxe est même classée comme « divertissement » (« entertainment ») au
même titre que les concerts privés, dans les rapports la police. Le monde du spectacle et le
monde pugilistique sont ici littéralement confondus par la police.
Néanmoins, si ce tableau permet de donner un ordre d’idées de l’affluence existante lors des
compétitions de boxe, il n’en reste qu’il présente certaines limites. La première est que le
document date de 1904. Cette période n’a, ici, pas été étudiée. De ce fait, beaucoup de salles
nommées nous sont inconnues et ne peuvent être rapportées aux informations de 1889. Le
tableau permet donc de donner un ordre de grandeur du nombre de spectateurs mais
nécessiterait d’être complété par une lecture plus fine des salles de l’époque.
240
Voir la partie sur l’attribution des licences.
Sur ce dernier point, il est ici difficile de mesurer ce qui relève d’un « mépris populaire » de la part des « Law
Officers » et ce qui implique une réalité sociale liée certainement à l’autorisation de l’alcool lors des évènements
pugilistiques. Néanmoins, il est frappant que de nombreux auteurs (dont Stan Shipley) considère la boxe comme
« une culture ouvrière » (SHIPLEY, Stan. « Two Faces of Boxing »., Bulletin of the society for the study of
Labour History, n° 50, p 6-7, 1985). Cette affirmation est courante, elle postule que les boxeurs seraient
majoritairement issus des classes populaires. Si cette affirmation est bien sûr possible, il n’en reste que nous ne
connaissons aucune étude empirique portant sur l’origine sociale des boxeurs professionnels. Les éléments sont
donc manquants pour affirmer si majoritairement les boxeurs professionnels, qu’elles que soient les années et les
lieux, sont d’origine ouvrière. Une ébauche d’étude est réalisée par Loïc WACQUANT pour le cas de Chicago
(Corps et âme. Carnets ethnographiques d’un apprenti boxeur. Agone, Marseille, 2000).
242
Calculé de la manière suivante : nombre total de spectateurs (10335) / nombre d’évènements (13).
241
93
?
Name etc. of hall Class of
entertainment
D
The International
Athletic Club 211
Marylebone Road
National Sporting
Club. King –
street, Covent
Garden.
[Nouveau nom du
Pelican Club].
Drill Hall, 14th
Midds Rifle
Voluntteers,
Adam and Eve
Mems,
Kensington High
St.
Kensigton School
of Arms,
Pembroke Walk.
Public Swimming
Baths, 83
Pentonville Road.
Wonderland
Whitechapel
Road.
Bow Baths Hall,
Roman Road.
Boxing
Competitions.
St Stephens Hall,
Saxen road, Bow.
Kings Dancing,
A cabeny (?)
collage grove,
Mile End road.
Corrugatedison
(?) building, Jake
(?) Road,
Silvertown.
Drill Hall, 3d
Royal West King
Volunteers,
Berenfire (?)
Street.
Laschmest (?)
Public Baths,
Laschmest Road,
E
J
J
G
H
K
K
K
K
R
V
Approximative
number of
persons
attending
400
Conditions etc.
of exit.
Boxing
entertainment
and concerts
for charitable
purpose.
150 to 200
Good
Boxing
competition.
900
Good
Assault at
arms.
100 to 140
Good
Boxing
competitions.
200
Bad
Boxing
entertainment.
2 500
Bad
Private
concerts.
500
Private
concerts.
Private baths
and parties
400
Now under
consideration of
Bow-foncil.
Good
200
Good
Boxing
exhibitions.
70 to 80
Only one exit
Boxing
competitions.
3 500
Unsatisfactory.
Boxing contest
and swimming
entertainment.
1 000
10 exits.
Bad
94
V
X
Y
Y
Y
Battersea.
St Johns Hill
Baths
Drill Hall 1et %
(?) City of
London
Volunteer
Artillery Wood
Lane, Uxbridge
road.
Highgate Liberal
and Radical Club,
22a Rescur
Street, Highgate
New Town.
Drill Hall, 13th
Middx
Volunteers High
street, Camden
Town.
Perman
Gymnastic
Societys Club,
Pancras-Road.
Boxing Contest 400
Only one exit.
Boxing
competition
200 to 300.
Good.
Boxing
competition.
200
Totally
insufficient and
very dangerous.
Boxing
competitions
and gym
displays.
600
Fair
Illisible
800
Fair
95
Conclusion :
« Ces analyses ont pour objet de déjouer une illusion : celle de penser que l'histoire du sport
est, d'abord, l'histoire du jeu sportif. Elle est aussi, et avant tout, celle des conditions dans
lesquelles les matchs deviennent des événements »243. Cette citation d’André Rauch résume
assez bien l’intention de cette recherche. Cette étude vise à esquisser la construction de
l’espace de la boxe professionnelle à Londres à la fin du XIXe siècle. Et plus particulièrement,
au cours de la décennie fondamentale qui s’étend du milieu des années 1880 au milieu des
années 1890.
Qu’apporte cette étude en comparaison avec celles déjà existantes ? Nous pensons avoir
montré que la mise en spectacle de la boxe est la condition par laquelle les « matches
deviennent des évènements ». Cette spectacularisation se répercute sur le statut des boxeurs
leur permettant de s’affranchir de l’amateurisme et de pouvoir vivre de ce sport. La
Professionnal Boxing Association joue un rôle essentiel dans ce processus. Jusque-là ignorée
par les historiens, cette institution est ici analysée en profondeur. Elle se compose de membres
influents disposant de pouvoirs économiques et symboliques qui lui permettent de façonner la
boxe en l’orientant vers le secteur du spectacle. Notre étude montre donc que la lutte pour
l’existence d’une boxe professionnelle, menée par la PBA, n’est donc pas un objectif
corporatiste, par lequel les professionnels se seraient défaits de l’amateurisme en se
construisant comme une association de professionnels défendant leurs intérêts, mais un travail
de promotion sociale et politique de la boxe comme spectacle autorisé. En déplaçant
l'éclairage du regard - habituellement centré sur des transformations règlementaires ou
techniques - nous avons donc été amenés à nous intéresser à des archives peu exploitées dans
l'étude de ce sport pour mieux comprendre les transformations sociales et institutionnelles qui
ont permis de faire de la boxe professionnelle un spectacle autorisé.
Cette initiation d'une histoire sociale de la structuration de l'espace pugilistique permet
une meilleure compréhension de l’évolution de ce sport. La boxe professionnelle est
aujourd’hui relativement autonome et le groupe des boxeurs est un groupe qui a plutôt
243
RAUCH, A. « L'oreille et l'œil sur le sport », Revue Communications, n°67, 1998, p 207.
96
« réussi »244. La boxe est pourtant issue d’une activité qui se trouvait au cœur d’espaces
différents, voire concurrentiels : celui du sport et celui du spectacle notamment. Notre
recherche montre qu’elle est « génétiquement » le produit d’une logique économique et d’une
logique sportive. Or, c’est bien à partir de ce modèle initial (si particulier) que la boxe a été
conçue comme profession, et s’est exportée en France. Ce processus de diffusion, d’un pays à
l’autre, doit maintenant être analysé. Celui-ci s’est d’abord fait de manière clandestine
jusqu’en 1903 avant de devenir légale au début du XXe siècle. Au regard de notre précédente
étude (portant sur la biographie du boxeur français Georges Carpentier (1894-1975)), ce
modèle pugilistique anglais, si proche des activités de spectacle et si « professionnel », s’est
exporté vers l’hexagone où il a fait l’objet de réticences, manifestement plus fortes qu’en
Angleterre. D’une part, les oppositions entre la boxe française et la boxe anglaise, abordées
par Jean-François Loudcher depuis la boxe française245, sont nettes et « violentes ». D’autre
part, les rivalités entre la boxe anglaise « de spectacle » et la boxe anglaise « fédérale »,
jusque-là non étudiées, sont toutes aussi virulentes. La première défend une boxe
professionnelle, considérée par les amateurs comme plus violente mais moins « réelle »246.
Elle prend la forme d’évènement et mobilise de nombreux spectateurs lors de combats très
médiatisés. La boxe « fédérale » défend, elle, une boxe amateur, dite moins violente mais
« authentique », et surtout « éducative » puisque non « corrompue » par l’argent. L’apogée de
cette rivalité est atteint en 1923 lorsque le fascicule, édicté par la fédération et contenant les
règles officielles, est introduit par le propos suivant :
« Avis important :
La Fédération Française de Boxe exerce exclusivement son contrôle sur les
organisations sportives dignes de ce nom. Elle se désintéresse totalement des
manifestations de boxe qui ne sont pas autre chose que des entreprises théâtrales ou
foraines et des engagements de cirques ou de music-hall.
Les « REPRESENTATIONS » de boxe, ne présentant aucun caractère sportif, la
FFB n’a garde de s’en occuper. En cela, la fédération entend parler des rencontres
244
Selon le mot de L. BOLTANSKI (voir supra).
LOUDCHER, J-F, Histoire de la savate, op. cit.
246
Les amateurs soupçonnent les professionnels de faire du « chiqué », c’est-à-dire de « tricher » ou de
« simuler ». La figure repoussoir dans ce domaine est alors la lutte (voir CLEMENT, J-P. et LACAZE, L., «
Contribution à l’histoire sociale de la lutte », Travaux et Recherches en EPS, n°8, Paris, INSEP, p 102- 115,
1985).
245
97
matches ou défis, qui constituent un numéro du programme des casinos, music-halls,
théâtres ou cirques. Ces « productions » rabaissent le sport de la boxe à un rang que ses
dirigeants ne sauraient envisager ».
L’histoire de la diffusion et de l’institutionnalisation de la boxe en France doit
maintenant être faite pour mieux comprendre les origines de ce sport et son modèle de
structuration peu courant dans l’histoire du sport français.
98
Bibliographie
- ABBOTT, A., The system of professions. An essay on the Division of Expert Labour,
University of Chicago Press, Chicago-Londres, 1988.
- ABBOTT, A., « Ecologies liées: à propos du système des professions », in Menger, P-M.,
(dir), Les professions et leurs sociologies. Modèles théoriques, catégorisations, évolutions.,
Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, p 29-50, 2003.
- ACTES DE LA RECHERCHE EN SCIENCES SOCIALES, Sociétés du spectacle, n° 186187, Seuil, Paris, 2011
- AVRIL, C., CARTIER, M. et SERRE, D., Enquêter sur le travail. Concepts, méthodes,
récits. La découverte, Paris, 2010.
- BETTINSON, A. F., The National Sporting Club, past and present, [1901], Read Book,
2009.
- BOLTANSKI, L., Les cadres. La formation d’un groupe social, Minuit, Paris, 1982.
- BODDY, K., Boxing: a cultural history., Reaktion Books, 2008.
- BRAILSFORD, D., Bareknuckles. A social History of Prize-Fighting., Lutterworth Press
Cambridge, 1988.
- BRAUDEL, F., Écrits sur l’histoire, Flammarion, Paris, 1969.
- BRUANT, G., Anthropologie du geste sportif, la construction sociale de la course à pied.,
PUF, Paris, 1992.
- BUTON, F. et MARIOT, N., (dir), Pratiques et méthodes de la socio-histoire, PUF,
Amiens, 2009.
- CANGIONI, P., La fabuleuse histoire de la boxe, La Martinière, Paris, 1996.
- CHAMPY, F., La sociologie des professions, PUF, Paris, 2009.
- CHAMPY, F., Nouvelle théorie sociologique des professions, PUF, Paris, 2011.
- CHARLE, C., Naissance des « intellectuels » (1880-1900), Minuit, Paris, 1990.
- CHARLE, C., Théâtres en capitales. Naissance de la société du spectacle., Albin Michel,
Paris, 2008.
- CLEMENT, J-P. et LACAZE, L., « Contribution à l’histoire sociale de la lutte », Travaux et
Recherches en EPS, n°8, Paris, INSEP, p 102- 115, 1985.
99
- CORBIN, A., Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d’un inconnu
(1798-1876), Flammarion, Paris, 1998.
- CORBIN, A. Les cloches de la terre. Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes
au XIXe siècle., Flammarion, Paris, 2000.
- DEBORD, G. La société du spectacle, [1967], Gallimard, Paris, 1992.
- DEFRANCE, J., L'autonomisation du champ sportif, 1890-1970, Sociologie et sociétés, vol.
XXVII, n°1, printemps, p. 15-31, 1995.
- DEGHY, G. Cafe Royal. Ninety years of bohemia, Hutchinson, 1955.
- DEGHY, G., Noble and manly. The history of the national sporting club, Hutchinson, 1956.
- ELIAS, N. et DUNNING, E., Sport et civilisation. La violence maîtrisée, [1986], Paris,
Fayard, 1994.
- J-M FAURE et C. SUAUD, « Privé/public : catégories pratiques ou catégories d’analyse ?
Quelques interrogations autour d’une évidence politique appliquée à l’espace des sports », in
GUIBERT C., LOIRAND G., SLIMANI H. (dir.), Le sport entre public et privé : frontières et
porosités, Paris, Société de sociologie du sport de langue française - L'Harmattan, Paris, 2009,
- FLEURIEL, S. et SCHOTTÉ, M., Sportifs en danger. La condition des travailleurs sportifs,
Le Croquant, Paris, 2008.
- FORD, J., Prize-fighting: the age of regency boximania., David & Charles, 1971.
- GENESES, Amateurs et professionnels, n° 36, Belin, Paris, 1999.
- HAY, G. « Georges Carpentier, sergent-aviateur de la Grande Guerre ». Revue Gauheria,
Lens, 2007.
- HODAK, C., « Créer du sensationnel. Spirale des effets et réalisme au sein du théâtre
équestre vers 1800 », Terrain, n°46, p 49-67, 2006.
- HOLT, R., Sport and the British. A modern history., Oxford University Press, Oxford, 1989.
- HOWARD, D., London Theatres and Music Halls, 1850-1950., ACLS History E-Book
Project, 2008.
- LAHIRE, B., Monde pluriel. Penser l'unité des sciences sociales, Seuil, Paris, 2012.
- LAMY,Y. et WEBER, F., « Amateurs et professionnels », Genèses, n°36, Belin, Paris, p 25, 1999.
- LEFEVRE, N. Le cyclisme d’élite français : un modèle singulier de formation et d’emploi.
Thèse de doctorat de Sociologie, Nantes, 2007.
100
- LEPETIT, B., « De l’échelle en histoire », in Revel, J., (dir), Jeux d’échelles. La microanalyse à l’expérience, Gallimard- Le Seuil, Paris, p 71-95, 1996.
- LOIRAND, G., « Professionnalisation de quoi parle-t-on ? », In coll., Société de Sociologie
du Sport de Langue Française, Dispositions et pratiques sportives, Paris, L'harmattan, p 217227, 2005.
- LORAUX, N., « Éloge de l’anachronisme en histoire », in Le Genre humain, « L’ancien et
le nouveau », n° 27, Éditions du Seuil, Paris, p 23- 39, 1993.
- LOUDCHER, J-F., Histoire de la savate, du chausson et de la boxe française (1797-1978).
D'une pratique populaire à un sport de compétition, l’Harmattan, 2000.
- LOUDCHER, J-F., « Le processus de sportivisation de la boxe anglaise : le cas de l’étude
temporelle des combats à poings nus (1743- 1867) », Movement & Sport Sciences, n°65, p 93106, 2008.
- MASON, T., (dir), Sport in Britain: a social history., Cambridge University Press, 1989.
- MENGER, P-M., Portrait de l’artiste en travailleur. Métamorphoses du capitalisme, Seuil,
Paris, 2002.
- NOIRIEL, G., (dir), L'identification. Genèse d'un travail d'État, Belin, Paris, 2007.
- OFFERLÉ, M., La profession politique, XIXe-XXe siècles (dir.), Paris, Belin, 1999.
- OFFERLÉ, M., « “ A MONSIEUR SCHNEIDER ”. Quand des ouvriers demandent à leur
patron de se présenter à la députation (janvier 1902) »., in Favre, P., Fillieule, O., Jobard, F.,
L’atelier du politiste. Théories actions, représentations., La Découverte, Paris, p 163-188
2007.
- OFFERLÉ, M., « Histoire et science politique », dans DELACROIX, Christian, Dosse,
François, Offenstadt, Nicolas et Garcia, Patrick, Historiographies, I. Concept et débats, Paris,
Gallimard, vol. 1, p. 342- 350, 2010.
- PASSERON, J-C ., « Attention aux excès de vitesse. Le “ nouveau ” comme concept
sociologique »., Revue Esprit n°125, Le nouvel âge du sport, Paris, p 129- 134, 1987.
- PASSEVANT, R., Boxing business, Editeurs Français réunis, Paris, 1973.
- PASSEVANT, R., Le dossier noir de la boxe, Miroir spécial, n°1, 1968.
- PEETERS. G., Les monstres sacrés du ring, La Table Ronde, Paris, 1959.
- POCIELLO, C., (dir), Sport et société. Approche socio-culturelle des pratiques, Vigot,
Paris, 1981.
- PORTER, R., London: A Social History., Penguin Books, London, 1994.
- RAUCH, A., Boxe, violence du XXème siècle, Aubier, Paris, 1992.
101
- RAUCH, A., « L'oreille et l'œil sur le sport », Revue Communications, n°67, 1998.
- REVEL, J. « Micro-analyse et construction du social », in Revel, J., (dir), Jeux d’échelles.
La micro-analyse à l’expérience, Gallimard- Le Seuil, Paris, p. 15-36, 1996.
- ROBERT, J-L., (dir), Le XIXe siècle. Histoire contemporaine., Bréal, Rosny, 1995.
- ROBERT, S., « Amateurs et professionnels dans le basket français (1944-1975) : querelles
de définition », Genèses, n°36, 1, p 69-91, 1999.
-SHIPLEY, S., « Tom Causer of Bermondsey: A Boxer Hero of the 1890s », History
Workshop Journal, 15, p 28-58, 1983.
- SHIPLEY, S. « Two Faces of Boxing » ., Bulletin of the society for the study of Labour
History, n° 50, p 6-7, 1985.
- SHIPLEY, S., « Boxing », in Tony Mason, (dir), Sport in Britain: A social history,
Cambridge, p 78- 115, 1989.
- SUGDEN, J. Boxing and society. An international analysis. Manchester University Press,
Manchester, 1996.
- SUMMERSKILL, E., The ignoble art, Heinemann, Londres, 1957.
- TAYLOR, M., « Round the London Ring: Boxing, Class and Community in Interwar
London », London Journal, n° 34, p 139- 162, 2009.
- TAYLOR, M., « Boxers United: Trade Unionism in British Boxing in the 1930s », Sport in
history, 29: 3, p 457- 478, 2009.
- THOMPSON, E.P., La formation de la classe ouvrière anglaise, Gallimard- Le Seuil, Paris,
1988.
- TOPALOV, C., Naissance du chômeur, 1880-1900, Albin Michel, Paris, 1993.
- WACQUANT, L. Corps et âme. Carnet ethnographique d’un apprenti boxeur, Agone,
Marseille, 2000.
- WATSON, R. P., Memoirs of Robert Patrick Watson. A journalist’s experience of mixed
society., Smith, Ainslie & Co., Strand, 1899.
- WIGGLESWORTH, N., The Evolution of English Sport, Frank Cass Publishers, 2002.
102