Le théâtre de la boxe Genèse et développement de la boxe
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Le théâtre de la boxe Genèse et développement de la boxe
Le théâtre de la boxe Genèse et développement de la boxe professionnelle à Londres à la fin du XIX e siècle. Présenté et soutenu par Sylvain VILLE Sous la direction de Gildas LOIRAND (maître de conférences) Soutenu en septembre 2012 Master 2 de sociologie (mention recherche) « Les recompositions du monde contemporain» (Université de Nantes, UFR de sociologie) Année universitaire 2011-2012 « Je voudrais que les jeunes sociologues prennent, sur leurs années d’apprentissage, le temps nécessaire pour étudier, même dans le plus modeste des dépôts d’archives, la plus simple des questions d’histoire, qu’ils aient, une fois au moins, hors des manuels stérilisants, un contact avec un métier simple, mais que l’on ne comprend qu’à le pratiquer - comme tous les autres métiers sans doute. Il n’y aura de science sociale, à mon sens, que dans une réconciliation, une pratique simultanée de nos divers métiers. Les dresser l’un contre l’autre, chose facile, mais cette dispute se joue sur de bien vieux airs. C’est d’une musique nouvelle que nous avons besoin ». Fernand Braudel, Écrits sur l’histoire, Flammarion, Paris, 1969, p 120. Remerciements Je voudrais d'abord remercier Gildas Loirand pour avoir dirigé ce travail. Sa disponibilité et ses conseils m'ont beaucoup aidé pour réaliser ce mémoire, tout particulièrement pour sa relecture minutieuse avant la réécriture. Je voudrais également exprimer ma gratitude envers Manuel Schotté pour ses nombreux conseils ainsi que pour ses relectures. Enfin, je suis très reconnaissant envers l’université De Montford à Leicester et plus particulièrement envers Neil Carter, Richard Holt, James Panther et Matthew Taylor de m’avoir accueilli. L’arrivée en Angleterre et les premiers pas dans cette recherche ont été beaucoup facilités. Le suivi des enseignements, les discussions engagées et leurs conseils m’ont beaucoup aidé pour réaliser ce travail. Table des matières Introduction : .............................................................................................................................. 1 Partie 1 : L’organisation de l’espace pugilistique entre 1885 et 1889 ........................................ 8 a) Avant 1885 : la boxe une pratique sans unité ..................................................................... 8 b) Le tournant de 1885 : la création de la PBA. ................................................................... 18 c) La « société mutuelle » des boxeurs. ............................................................................... 21 d) Le développement de la PBA et son action sur l’organisation de la boxe. ...................... 29 1) Le nombre de membres de la PBA ............................................................................................. 29 2) Les élites de la boxe : le cumul du pouvoir symbolique et économique. ................................... 33 3) Une mission d’assistance pour les boxeurs dans le besoin ........................................................ 41 4) Une PBA autonome financièrement. ......................................................................................... 43 5) Le relais médiatique de la PBA .................................................................................................. 46 e) Les actions de la PBA pour structurer l’espace pugilistique. ........................................... 47 f) Des règles internes qui s’externalisent ............................................................................ 49 Partie 2 : Le professionnalisme pugilistique par la boxe spectacle en 1889 ............................ 55 a) Où combattre ? Les « salles » de boxe. ............................................................................ 56 1) Un problème de définition ......................................................................................................... 56 2) Salles « professionnelles » ou « amateurs » ? ........................................................................... 57 3) Esquisse d’une géographie sociale des salles ............................................................................ 59 4) Salle sportive ou salle spectacle ? Une différence faite par les organisateurs. ......................... 63 b) Pour quoi combattre ? L’enjeu des combats ou le brouillage des frontières amateurs / professionnels. ...................................................................................................................... 64 1) La question des enjeux .............................................................................................................. 64 2) La question des statuts : amateurs et professionnels. .............................................................. 69 c) De quel droit organiser des combats ? Légiférer une part du spectacle pugilistique. ...... 74 d) Comment combattre ? Des formes de pratiques particulières......................................... 83 e) Devant qui combattre ? Quelques données sur les spectateurs. ....................................... 89 Conclusion :.............................................................................................................................. 96 Bibliographie ............................................................................................................................ 99 Introduction : Les ouvrages généralistes français sur la boxe1, de même que les travaux spécialisés2, s’accordent à considérer la fin du XIXe siècle comme une période cruciale de la structuration de ce sport en Angleterre. De même, les études anglo-saxonnes, aussi bien celles portant sur cette période que celles portant sur l’apogée de la boxe en Angleterre (l’entre-deux-guerres)3, reconnaissent elles aussi que cette phase est déterminante. Il y a donc un consensus général sur l’importance des deux dernières décennies du XIXe siècle dans l’histoire de la boxe outreManche. Pourquoi cette période est-elle si importante ? A la lecture des travaux des historiens, il est clair qu’une évolution majeure a lieu à cette époque : le « prize-fighting » décline au profit de l’officialisation (et de l’ascension) de la « boxe »4. En résumé, le premier est un affrontement entre deux hommes à mains nus et qui prend fin lorsqu’un ou les deux hommes est/sont au sol ; les rounds pouvant durer de quelques secondes à plus de trente minutes, et le nombre de rounds pouvant excéder les 2005. Le « prize-fighting » est interdit par la loi et donc risque d’être arrêté par la police. De ce fait, les lieux de combat sont relativement secrets6, ce qui conduit cette pratique à perdre sa notoriété à la fin du XIXe siècle. Selon S. Shipley, à partir de 1880, « les prizefights avaient toujours lieu dans tout le pays, mais leur prestige avait disparu et la couverture de presse s'était arrêtée sur une nouvelle race de héros qui s’affrontaient dans des rounds de trois minutes et qui portaient des gants de six onces »7. Ces héros, ce sont les boxeurs. 1 Par exemple CANGIONI, Pierre, La fabuleuse histoire de la boxe, La Martinière, Paris, 1996. Par exemple LOUDCHER, Jean-François., « Le processus de sportivisation de la boxe anglaise : le cas de l’étude temporelle des combats à poings nus (1743- 1867) », Movement & Sport Sciences, n°65, p 93- 106, 2008. 3 Voir par exemple les deux articles de Matthew TAYLOR : « Round the London Ring: Boxing, Class and Community in Interwar London », London Journal, n° 34, p 139- 162, 2009 et « Boxers United: Trade Unionism in British Boxing in the 1930s », Sport in history, 29: 3, p 457- 478, 2009. 4 Sur ce sujet voir BRAILSFORD, Dennis, Bareknuckles. A social History of Prize-Fighting., Lutterworth Press Cambridge, 1988 et FORD, J., Prize-fighting: the age of regency boximania., David & Charles, 1971. 5 Chaque round prenant fin dès lorsqu’au moins un des deux combattants soit au sol. Pour une description complète des règles du prize-fighting, voir Ford, p 102 à 118. 6 Les quotidiens sportifs qui annoncent les rencontrent affirment que l’évènement a lieu « à proximité de Birmingham » par exemple. 7 SHIPLEY, S., « Boxing », in Tony Mason, (dir), Sport in Britain: A social history, Cambridge, 1989, p 79. Traduis par nos soins. Toutes les traductions réalisées au cours de ce mémoire ont été faites par nos soins, sauf en cas de mention contraire. 2 1 Pourtant, bien que les historiens reconnaissent la fin du XIXe siècle comme étant une période fondamentale, celle-ci est finalement assez peu étudiée ; le déclin du « prize-fighting » au profit de la boxe est en fait le seul phénomène commenté. Les auteurs s’accordent pour expliquer l’engouement pour la boxe par sa progressive légalisation. Selon eux, la boxe a été autorisée à la suite de transformations règlementaires : elle est légalisée par le port de gants et la standardisation de la durée des rounds et de leur nombre. La boxe (actuelle) serait donc devenue légale à la suite de l’adoption généralisée des règles du Marquis de Queensberry, qui édictent ces changements, en 1891. La fin du XIXe siècle est donc vue comme une période cruciale dans l’histoire de ce sport, en raison notamment de ces transformations règlementaires. Pourtant, sans nier l’importance de ces aspects, d’autres changements semblent tout aussi importants à cette époque et ne sont presque jamais mentionnés. Il s’agit du passage au professionnalisme en boxe8 et des prémisses de la boxe comme sport spectacle. Shippley souligne, à ce propos, que « dans les années 1890, la boxe professionnelle est montée en flèche (« boomed ») »9 et « qu’entre 1887 et 1900, la boxe a déserté les maisons publiques (« publics-houses ») au profit de petits « halls » dotée d’une plus grande capacité d’accueil »10. Néanmoins, si ces (rares) auteurs11 pointent ces évolutions majeures, aucun d’eux ne les prend pour objet d’étude. Dans deux articles différents, qui contiennent chacun une sous-partie intitulée « boxe professionnelle », Shipley commente les conséquences de l’arrivée du professionnalisme (l’augmentation des bourses notamment) sans pour autant en retracer sa genèse et les conséquences de son imposition. De ce fait, certaines particularités de la boxe anglaise ne sont jamais étudiées. La Professional Boxing Association (PBA), institution regroupant près de deux cents membres en 1889, dont les boxeurs et organisateurs de matches les plus connus de l’époque, n’est mentionnée dans aucun texte. De même, les « salles de boxe », qui regroupent parfois des clubs, parfois des théâtres, parfois des music-halls ne sont pas non plus analysées. Enfin, les enjeux des combats, prenant la forme tantôt d’objets (services à thé, nappe, médailles etc.) tantôt de sommes financières directes, ne sont à aucun moment questionnés. 8 On ne s’intéresse plus ici au prize-fighting. SHIPLEY, Stan: « Tom Causer of Bermondsey: A Boxer Hero of the 1890s », op. cit.. p 43. 10 SHIPLEY, Stan, « Boxing », op. cit., p 91. 11 Shipley était mentionné à titre d’exemple, BRAILSFORD, Dennis, Bareknuckles, op. cit., tient des propos similaires, notamment dans son dernier chapite intitulé « Les derniers jours du “bareknuckle ” ». Ce dernier mot n’est pas traduisible, il désigne un ensemble de pratiques comprenant la boxe et ses dérivés. 9 2 Finalement à la lecture de ces travaux, d’une part, tout se passe comme si, à cette époque, le secteur « professionnel » était parfaitement délimité et que les statuts « amateurs » et « professionnels » étaient bien distincts. Le professionnalisme aurait, lui, toujours plus ou moins existé, sous des formes variables. Shipley va même jusqu’à affirmer que la « popularité de la boxe professionnelle explose dans les années 1790 »12, soit à la fin du XVIIIe siècle, comme si elle existait déjà à ce moment, et même avant cela13. D’autre part, tout se passe comme si la mise en spectacle de la boxe s’était auto-réalisée, de manière « désincarnée » c’est-à-dire sans qu’aucun acteur n’intervienne, sans que cela résulte d’un processus échelonné dans le temps. En réalité, il s’avère que ces phénomènes sont bien plus complexes qu’ils n’y paraissent et qu’ils doivent être étudiés en profondeur si l’on veut comprendre la genèse de la boxe professionnelle en Angleterre14. En effet, le professionnalisme en boxe n’a pas toujours existé. Affirmer, comme le fait Shipley, qu’il y a, en boxe, des professionnels avant 1790, c’est céder à « l’illusion du “ toujours- pareil ” » 15 dénoncée par J-C Passeron. Selon nous, la boxe londonienne de la fin du XIXe siècle se caractérise par le détachement progressif des professionnels et de l’amateurisme. Plus précisément, nous faisons l’hypothèse que la structuration de la boxe londonienne à la fin du XIXe siècle ne peut être comprise qu’en tenant ensemble l’accès au professionnalisme et la mise en spectacle de l’activité. En effet, c’est la spectacularisation de ce sport qui a permis, progressivement, aux boxeurs de se défaire des amateurs. En sortant des lieux d’organisation proprement sportifs encodés par l’amateurisme, certains boxeurs ont finalement acquis la possibilité de devenir des professionnels. Cette orientation vers le secteur du « spectacle », et donc vers le professionnalisme, n’est pas planifié par les boxeurs eux-mêmes. Elle est rendue possible par l’intermédiaire des membres de la Professionnal Boxing Association (PBA) qui cherche en premier lieu à promouvoir la boxe professionnelle à grande échelle et à s’affranchir de l’amateurisme. Pourtant, il ne s’agit pas ici de faire la sociologie de la genèse d’un groupe professionnel, celui des boxeurs. Le recours à la sociologie des professions ou à la sociologie du travail n’est donc pas premier. La démarche comme celle proposée par Andrew Abbott16, de même que 12 Nos italiques. SHIPLEY, Stan, « Boxing », op. cit., p 78. Pourtant à cette époque, les pratiques restent peu codifiées, les « professionnels » comme les nomment Shipley sont en fait des « prize-fighters » qui perçoivent de l’argent pour quelques combats. Ils n’ont que peu de choses à voir avec les boxeurs de la fin du XIXe siècle, comme nous allons le voir. 14 Dans cette étude, nous nous sommes concentrés sur le cas londonien. 15 PASSERON, J-C., « Attention aux excès de vitesse. Le « nouveau » comme concept sociologique », Revue Esprit, spécial n°4, Paris, 1987, p 130. 16 ABBOTT, Andrew, The system of professions. An essay on the Division of Expert Labour, University of Chicago Press, Chicago-Londres, 1988. 13 3 celle de la « sociologie des professions »17 en général, consiste à partir d’une définition préétablie de ce qu’est le travail ou ici un « professionnel ». Dans le cadre de cette étude, cette posture est à la fois un obstacle empirique (comment différencier, dans les archives, un « boxeur professionnel » d’un « boxeur amateur » ?) et théorique puisque dans la « sociologie des professions », le qualificatif de « profession » est un enjeu de lutte18. Quoi qu’il en soit, l’analyse de nos différentes archives pointe la porosité des frontières et la complexité du « professionnalisme » existant en boxe : des « amateurs » et des « professionnels » qui combattent les uns contre les autres, des combats où les « professionnels » s’affrontent sans enjeu financier ou à l’inverse des « amateurs » qui prennent part à des événements en échange d’une rétribution financière. La diversité des situations rencontrées montre donc l’impossibilité de partir avec une définition préétablie sur un objet d’étude et la volonté assumée de ne pas partir de nos propres catégories de pensée, contrairement à la démarche employée par la « sociologie des professions ». Ainsi, comme le souligne Boltanski, « il faut commencer par renoncer à donner une “définition préalable” du groupe et prendre pour objet la conjoncture historique dans laquelle les cadres [ici les boxeurs professionnels] se sont formés en groupe explicite, doté d’un nom, d’organisations, de porte-parole, de systèmes de représentations et de valeurs »19. Ce travail de recherche vise donc à étudier cette conjoncture historique afin de comprendre comment l’émergence de la boxe professionnelle est devenue possible. Pour cela, nous nous sommes centrés sur le cas londonien et sur les deux dernières décennies du XIXe siècle. Une lecture de la presse sportive d’avant 1885 montre que, jusqu’à cette période, la boxe professionnelle demeure une pratique plus ou moins clandestine, relativement peu rémunératrice pour les boxeurs et surtout très faiblement institutionnalisée. Mais à partir de 1885, la création de la « Professionnal Boxing Association » va contribuer, sous l’action de ses membres, à organiser progressivement l’espace pugilistique londonien. La première partie de notre étude sera consacrée à la genèse de cette institution. Nous avons en effet retracé les transformations de ce groupement depuis 1885, date de sa création, jusqu’à 188920. La PBA est une institution dont les « missions » sont nombreuses et variées. Elle fait office de 17 Les présentes réflexions valent prioritairement pour la « sociologie des professions » au sens strict et des travaux qui en utilisent le « label ». 18 En effet, quels que soient les courants, le concept de profession est formalisée en mettant l’accent tantôt sur les savoirs professionnels, tantôt sur les contenus du travail ou encore les protections dont bénéficient les professions etc. L’opposition la plus célèbre concerne d’un côté les interactionnistes et de l’autre les fonctionnalistes, voir CHAMPY, Florent, La sociologie des professions, PUF, Paris, 2009. 19 BOLTANSKI, Luc, Les cadres. La formation d’un groupe social, Minuit, Paris, 1982, p 51. 20 Ce « choix » sera explicité plus loin. 4 syndicat, d’organe de gouvernance du sport ou encore de société amicale 21. Cette structure regroupe entre 60 et 200 membres de 1885 à 1889, parmi lesquelles les boxeurs et les organisateurs de combats les plus célèbres. Notamment grâce aux propriétés sociales de ses membres, cette institution va disposer des ressources nécessaires pour étendre son action et ainsi bouleverser la boxe professionnelle. En effet, la PBA va unifier les pratiques pugilistiques, promouvoir l’organisation de combats de boxe et restreindre l’intervention de la police, inciter les organisateurs de combats à augmenter les enjeux des matches etc. Toutes ces mesures vont contribuer à démarquer progressivement la boxe professionnelle de la boxe amateur qui est, elle, sous l’autorité de l’Amateur Boxing Association (ABA) créée en 1880. L’espace pugilistique « professionnel » ayant été organisé et « standardisé » par la PBA, la mise en spectacle de l’activité devient pensable et réalisable pour les organisateurs de combats, qui sont majoritairement membres de la PBA. En effet, ces derniers vont promouvoir la boxe à grande échelle et se défaire de l’amateurisme, de ce fait, c’est la naissance du professionnalisme pugilistique par la boxe-spectacle qui apparaît à ce moment. Ce dernier aspect est l’objet de notre deuxième partie. Avant toute chose, l’étude des relations entre la boxe et le monde du spectacle nécessite de préciser ce que recouvre cette dernière notion. Le terme spectacle, comme celui de spectacularisation ou de mise en spectacle, sont récurrents dans notre propos. Nous n’opterons pas pour une définition « engagée » qui viserait à dénoncer « une société du spectacle », comme peut le faire Guy Debord22 dans son célèbre ouvrage23. Nous n’opterons pas non plus une définition précise et limitative24. Tout au long de cette étude, le spectacle sera simplement envisagé comme un phénomène complexe et très large. La spectacularisation de la boxe, c’est-à-dire sa mise en spectacle, sera comprise à partir des actions des individus, des formes de pratique et des lieux dans lesquels elle se déroule (music-halls ou théâtres). Notre souci est moins de savoir si la boxe doit être rangée ou non avec les pratiques de spectacles traditionnels que d’étudier un processus mis en jeu qui rapproche la boxe du théâtre par exemple, en lui empruntant ses lieux, ses acteurs et en optant pour des formes de pratiques où le « show » cohabite, jusqu’à parfois l’emporter, sur la dimension purement sportive. 21 Nous paraphrasons BRAILSFORD, Dennis, Bareknuckles, op. cit., p. 98 lorsqu’il évoque la Pugilistic Benevolent Association, ancêtre de la PBA. 22 DEBORD, G. La société du spectacle, Gallimard, Paris, 1992. 23 CHARLE, Christophe, Théâtres en capitales. Naissance de la société du spectacle., Albin Michel, Paris, 2008, parle même d’un « ingénieux patchwork idéologique » (p. 8) à propos de ce livre. 24 Comme le souligne Boltanski, il faut mesurer les « difficultés quasi insurmontables auxquelles se heurte le travail de définition et l’établissement de critères “ objectifs” », BOLTANSKI, L., Les cadres, op.cit., p 49. 5 La démarche engagée ne vise donc pas à juger de la légitimité de la boxe comme pratique de spectacle mais à éclairer le processus historique de structuration d’une pratique, à l’aide de données empiriques systématisées. Pour cela, nous avons pris pour base l’année 1889, qui n’est pas marquée par un événement particulier, mais qui se situe au milieu d’une période importante du développement de la boxe en Angleterre25. Le processus de spectacularisation a alors pu être objectivé à plusieurs niveaux, parmi lesquels ont été retenus: l’organisation des « salles »26, les enjeux des combats, la législation de l’organisation des spectacles de boxe, les formes de pratiques proposées et enfin les spectateurs assistant aux évènements. Chacun de ces éléments va caractériser à sa manière la mise en spectacle de l’activité. La boxe est alors en pleine expansion, comme l’indique l’augmentation du nombre de « salles », de spectateurs et d’argent circulant dans l’activité. La logique même de l’activité va en être modifiée. En effet, les organisateurs ont pour souci premier de maximiser les profits économiques. Aussi, la logique économique (rendre l’évènement rentable par exemple) supplante-t-elle la logique sportive (gagner un combat par exemple). Cette démarche va avoir pour conséquence la mise en équivalence économique du travail des boxeurs. La valeur donnée à leur travail dépend de deux déterminants : vaincre leur adversaire et attirer le plus de spectateurs possibles. Ces critères servent à évaluer leurs « performances », aussi bien sportives que « spectaculaires ». C’est bien la combinaison de la logique du spectacle et de la logique sportive qui va déboucher sur le professionnalisme pugilistique et ainsi permettre aux boxeurs de vivre de leur pratique. De ce fait, les frontières entre amateurs et professionnels se dessinent-elles progressivement. En proposant des formes de pratiques particulières, dans des lieux spécifiques, organisées par des individus influents, la boxe « professionnelle », va accroître sa notoriété tout en s’écartant progressivement de la boxe amateur. On peut alors conclure qu’il n’existe de « marché » de la boxe qu’en raison de la mise en spectacle de ce sport par les organisateurs de matches, dont une part importante est membre de la PBA. Ces processus montrent bien que la boxe est une activité dont la genèse se situe littéralement à la croisée du sport et du spectacle. Par ailleurs, et pour conclure ce cadre introductif, précisons que l’étude de l’accès au professionnalisme et de la mise en spectacle de la boxe ne peut se faire qu’en modifiant la 25 Le choix de cette année en particulier est le résultat d’une erreur de compréhension d’un texte de Shipley. Ne maîtrisant pas encore l’anglais à notre arrivée en Angleterre, nous avons cru que l’auteur considérait l’année 1889 comme l’année de professionnalisation de la boxe. 26 Le mot « salle » nécessite des guillemets car il s’agit de toute évidence d’un terme générique qui regroupe des réalités très différentes. Nous reviendrons plus loin sur ces précisions. 6 démarche d’enquête employée par les auteurs cités précédemment. En effet, il s’agit de décentrer le regard de la boxe pour le porter sur des transformations sociales et institutionnelles annexes27. Cela implique donc de sortir des archives proprement sportives (Shipley s’appuie essentiellement sur des quotidiens sportifs) pour s’orienter vers des archives dites « périphériques ». Comprendre les rapports entre la boxe et le monde du spectacle, ce n’est pas seulement regarder les archives du sport, c’est également étudier les archives du monde du spectacle pour observer si la boxe y est présente ou non. Qu’elle soit présente ou absente est déjà un renseignement notable : présente, la boxe peut donc être considérée comme intégrée aux activités de spectacle, absente, la boxe peut être considérée comme exclue du monde du spectacle. La recherche envisagée est donc fortement empirique et repose aussi bien sur les archives « sportives » que sur les archives du « spectacle ». Elle mêle, outre la « littérature grise », les archives de presse (notamment du quotidien The Sporting Life), les archives « architecturales » (portant sur les établissements accueillant la boxe à Londres), les archives du monde du spectacle (notamment sur l’attribution des licences aux établissements), les archives « sportives » (par exemple le dossier consacré à l’Amateur Boxing Association) et les archives de la police (rapportant les évènements pugilistiques et les spectateurs). A l’appui de ces différentes sources, la boxe a pu être appréhendée différemment des précédents historiens de la boxe de cette période. Les transformations institutionnelles voire même sociales ont été privilégiées aux mutations techniques ou matérielles. C’est bien un changement de regard qui est proposé ici, à l’aide d’archives rarement mentionnées dans les travaux sociologiques ou historiques sur la boxe. 27 Ce genre d’affirmation s’écarte de celle de Shipley lorsqu’il évoque – sans preuve empirique - des transformations très générales (hausse du salaire des classes populaires par exemple) pour expliquer l’accroissement du nombre de spectateurs en boxe. 7 Partie 1 : L’organisation de l’espace pugilistique entre 1885 et 1889 a) Avant 1885 : la boxe, des pratiques sans unité Les origines de la boxe anglaise, telle qu’elle se présente aujourd’hui, sont très complexes à dater. Si certains auteurs, comme C. Pociello28, évoquent le XVIe siècle, il semble préférable de différencier les pratiques de cette époque qui relèvent de combats à mains nus, de la « boxe ». Cette dernière adopte ses premières règles au XVIIIe siècle. Ainsi, pour Shipley29, le XVIIe et le XVIIIe siècle en Angleterre ne sont pas les siècles de la boxe mais les siècles du « bare-knuckle » et du « prizefighting »30. Ces pratiques, illégales, sont particulièrement violentes (voir encadré) et existent surtout en raison des paris (encadré 2) qui sont organisés autour d’eux. Encadré Le déclin du « prize-fight » au profit de l’ascension de la boxe anglaise est un phénomène très commenté, notamment par les historiens britanniques. Les explications sont souvent d’ordre réglementaire (voir infra) et toute interprétation plus générale est le plus souvent exclue. Le cas échéant, c’est la théorie d’Elias et Dunning31 qui est alors convoquée. En effet, le déclin du « prize-fighting », activité violente et peu codifiée, s’inscrirait dans le processus de civilisation imposant une diminution de la violence autorisée et la standardisation des pratiques sportives. Ici, n’ayant pas spécialement étudié la question, nous pouvons mentionner qu’une simple piste de recherche à mener. Celle-ci consisterait à s’interroger sur la standardisation du « prize-fighting », au regard de la progressive mise en spectacle de l’activité. Il est en effet possible de voir le déclin du « prize-fighting » au profit de la boxe comme le résultat des exigences de la mise en spectacle de l’activité. La boxe, en tant 28 POCIELLO, Christian, (dir), Sport et société. Approche socio-culturelle des pratiques, Vigot, Paris, 1981. SHIPLEY, Stan, « Boxing », op. cit. 30 Sur ces pratiques, voir BRAILSFORD, Dennis, Bareknuckles, op. cit. et FORD, John, Prize-fighting: the age of regency boximania., David & Charles, 1971. 31 ELIAS, N. et DUNNING, E., Sport et civilisation. La violence maîtrisée, [1986], Paris, Fayard, 1994. 29 8 qu’activité de spectacle, doit répondre à certaines contraintes : minimiser « l’ennui » des spectateurs (par la durée d’un round ou la durée d’un match), établir un temps limite (le « prize-fighting » peut durer plusieurs jours), dans un lieu connu de tous (lors d’un « prizefight », les indications sont souvent très vagues) etc. Or, l’ascension de la boxe au XIXe siècle se fait de manière concomitante à l’accroissement des spectacles boxe et plus généralement des premiers spectacles sportifs anglais32. Par conséquent, à l’aide d’une étude précise sur le second XIXe siècle, où la boxe supplante le « prize-fighting », il serait intéressant de mettre en question la standardisation de l’activité comme réponse aux exigences de sa mise en spectacle plutôt que comme inscription du processus de civilisation. Cette hypothèse nécessiterait bien sûr d’être validée empiriquement. Encadré 2 : les paris Cette question des paris est un élément crucial dans l’histoire de la boxe. Tout au long de notre étude, et notamment dans la presse, nous avons décelé des bribes d’informations les concernant. Toutefois, et bien que tout porte à croire que les paris contribuent à encrer la boxe dans le monde du spectacle, il n’a pas été possible de les analyser. En effet, l’organisation autour des « bookmakers », véritables professionnels des paris, est très complexe. Une étude pleinement consacrée à leur organisation est a priori nécessairement pour comprendre leur importance dans le monde de la boxe. Contrairement à la France où le fonctionnement des paris est sous contrôle de l’Etat, à Londres, ils sont organisés par les bookmakers, qui semblent eux-mêmes très proches des organisateurs. Dans The Sporting Life, les détails donnés sur ce sujet sont relativement rares et ne sont pas intelligibles pour un profane. Malgré tout, afin de caractériser l’importance de ce phénomène, nous pouvons mentionner que, dans plusieurs articles de presse relatant des combats importants, la « bourse » du combat est parfois presque confondue avec les enjeux des paris. Tout se passe alors comme si la provenance des sommes d’argent engagées est secondaire. Qu’elles soient issues des paris ou des recettes du nombre et du prix de l’entrée, le montant remporté par le boxeur se caractérise plus par son montant que par sa provenance. En tous les cas, ce bref exemple rend compte du pouvoir des bookmakers, ceux-ci paraissent tenir un rôle clef dans la structuration de la boxe professionnelle du Londres de la fin du XIXe siècle. 32 MASON, (dir), Sport in Britain: a social history., Cambridge University Press, 1989. 9 La création de la boxe (dans sa codification actuelle) se fait donc plus tardivement, laissant le temps à une codification plus poussée et reposant sur une structure rappelant les autres sports : compétitions organisées, lieux de pratique définis, arbitre chargé de faire respecter les décisions etc. Le XIXe siècle est donc un moment central : les règles du Marquis de Queensberry sont édictées en 1865, et deviennent obligatoires pour tous les combats en 1891. Ce siècle peut ainsi être considéré comme une phase déterminante de la construction de l’espace pugilistique, dont les moments les plus importants ont lieu dans les quarante dernières années. D’un point de vue « fédératif »33, la Pugilistic Benevolent Association34 est créée en 1852 mais ne sera réellement active que dans les années 1860 ; la Amateur Boxing Association (ABA) est, elle, créée en 188035 et la Professional Boxing Association en 1885. Chacune de ces structures36 contribue à redessiner les modalités de pratique pugilistique et à clarifier progressivement ce qui relève de la boxe et ce qui relève du prize-fighting ou d’autres formes encore moins codifiées. Néanmoins, jusqu’à la Professionnal Boxing Association (et non la Pugilistic Benevolent Association), la dimension professionnelle est assez peu définie. Si le professionnalisme existe c’est en représentant ce que l’amateurisme n’est pas. En effet, en 1880, la ABA - qui semble avoir beaucoup de pouvoir et diriger le monde pugilistique de l’époque- fixe une définition de l’amateur : Définition d’un amateur37 1. Un amateur est quelqu’un qui n’a jamais pris part pour un prix en argent, pour un pari financé, ou un pari déclaré; qui n'a rivalisé avec ou contre un professionnel pour aucun prix (sauf avec la mention formelle de l'A. B. A.) et qui n'a jamais enseigné, poursuivi, ou aidé dans la pratique d'exercices sportifs dans le but d'obtenir un gagne-pain ou un gain pécuniaire. Toutes ces informations nous amènent donc à rejoindre Shipley pour convenir que la décennie de 1880 est une période cruciale dans l’histoire de la boxe en Angleterre. Or, au début des années 1880, il s’avère que le professionnalisme se fait de plus en plus visible, alors qu’il n’est pas représenté par une « association ». Tout se passe comme si jusqu’à l’année 1885, la 33 Nous avons choisi ici cet anachronisme volontairement car il nous semble le plus approprié pour décrire les principales fonctions des institutions qui suivent. Sur l’usage de l’anachronisme en histoire, voir LORAUX, Nicole, « Éloge de l’anachronisme en histoire », in Le Genre humain, « L’ancien et le nouveau », n° 27, Éditions du Seuil, Paris, p 23- 39, 1993. 34 Sur cette institution voir les rares passages dans BRAILSFORD, Dennis, Bareknuckles, op. cit. 35 Elle regroupe alors 45 clubs et dispose d’une balance financière de 2 000 £. Voir le dossier dans les archives municipales de Londres: “articles, bye-laws and rules of the Amateur Boxing Association”/ 1885/ NA/ MEPO 2. 36 Dans cette recherche, c’est la seconde PBA qui a été étudiée. 37 “Articles, bye-laws and rules of the Amateur Boxing Association”, op. cit. 10 boxe professionnelle demeure une pratique plus ou moins clandestine, peu rémunératrice pour les boxeurs et surtout très faiblement structurée et institutionnalisée. Pour objectiver cela, une lecture minutieuse du Sporting Life38 concernant le mois de janvier 1885 donne un indice de la moindre importance de la boxe par rapport à 1889. Il s’agit bien d’un indice puisque le peu de combats rapportés par le quotidien ne signifie pas que les combats n’avaient pas lieu. Pour certaines raisons (clandestinités, choix éditorial du journal etc.), les articles relatifs à la boxe ne reflètent pas l’exacte réalité de l’état de la boxe à cette époque. Néanmoins, l’analyse qui suit donne un ordre de grandeur, en l’absence d’autres sources existantes39. Ainsi, au cours du mois de janvier 1885, The Sporting Life a consacré 45 articles à la boxe (selon une définition large40). En se centrant sur l’espace londonien, le nombre d’articles s’élève à 3941. Le détail devient alors le suivant : Evénements pugilistiques à Londres répertoriés dans The Sporting Life du mois de janvier 1885 Types d’événements Arrestations « Benefit »42 Compétitions Funérailles Matches Résumé des combats de l’année Nombre total d’articles Nombre d’articles consacrés 3 (toutes concernant le même combat). 7 (dont 1 est reporté). 20 (+143) (dont 4 sont reportées). 3 (dont 2 articles sur le même décédé). 4 1 39 A ces éléments, il convient d’ajouter une analyse plus fine. En ce qui concerne les enjeux des combats, 17 prix ont pu être rapportés et détaillés dans le tableau suivant : 38 The Sporting Life est un quotidien qui parait du lundi au samedi. Il traite des sports essentiellement à Londres mais aussi, dans une moindre mesure, dans le reste de l’Angleterre. Il est le premier quotidien sportif à l’époque et ne se limite au commentaire de résultat sportif mais diffuse également des informations relatives à l’ « organisation » du sport. De ce point de vue, les éditions augmentées du mercredi et du samedi, ont été particulièrement utiles pour nous. 39 Une analyse plus fine serait toutefois réalisable en croisant différents quotidiens de l’époque. Ici, le temps disponible pour la recherche ne permettait malheureusement pas de mener une telle étude. 40 En effet, ont été inclus : le « prize-fight », la boxe « amateur » et « professionnelle » (dans un sens actuel), les matches, les compétitions, les « benefit » etc. 41 On retire alors du tableau précédent quatre « prize-fight » qui ont lieu dans la région de Birmingham et Nottingham, un match aux Etats-Unis et un match dans la banlieue lointaine de Londres. 42 Il s’agit d’un événement organisé dont les fonds récoltés sont reversés à une ou deux personnes, le plus souvent dans le besoin. 43 Cet ajout est présent car deux articles relatent la même compétition qui se déroule plusieurs jours. 11 Enjeux des compétitions Nombre de fois où cet enjeu est mentionné dans The Sporting Life (total = 17) Détail Coupes 9 1 Cup 3 Handsome cup 2 Silver cup 1 Silver Cup + 2 £44 pour le vainqueur et 10s pour le second. 1 Splendid cup 1 Very handsome cup Montres 3 1 Gold watch 1 Valuable gold watch 1 Silver watch Prix Bourse Bourse en livres 1 2 2 1 « Substantial prize » 2 (les deux cas concernent des « matches ») 1x 20 £ 1x 30 £ récolté pour un « benefit ». Comme le tableau l’indique, les coupes (« cup ») dans leur ensemble sont donc surreprésentées (neuf au total) alors que les sommes d’argent ne sont jamais données explicitement : une compétition de 20 £ au Blue Anchor45 et 2 £ et 10 s (en complément à une coupe en argent) au Rising Sun. Les deux cas de bourse (« purse ») ne concernent pas des compétitions mais bien des « matches ». Un modèle de pratique se dessine ainsi, peu à peu, où la compétition notamment est plus visible que les « prize-fight »: - Les compétitions affichent leurs prix (15 compétitions sur 20 le précisent), elles proposent le plus souvent des « cup ». La somme à gagner n’est explicitée qu’à deux reprises. - Les matches mettent des « purse » en jeu, 2 matches sur 4 proposent ce type de gain. - Les « prize-fights » se déroulent pour une somme d’argent secrète dans un lieu relativement précisé (par exemple, « près de Birmingham »). Une sorte de logique est donc perceptible dans le déroulement des combats où l’argent, bien que peu visible, semble jouer un rôle. Pour autant, si, dans l’ensemble, les sommes d’argent sont peu apparentes dans ces événements pugilistiques, il ne faut pas conclure à leur absence 44 Par comparaison, en 1896, le revenu annuel moyen par habitant est de 40 £ (ROBERT, Jean-Louis., (dir), Le XIXe siècle. Histoire contemporaine., Bréal, Rosny, 1995. , p 121). 45 Célèbre « salle » sur laquelle nous reviendrons plus loin. 12 totale. Le « résumé » des combats de l’année 188446 fournit des informations sur la présence d’enjeux économiques en boxe. Le journaliste dans une tribune militante explique que : « le spectateur est tout à fait satisfait de payer une part de la bourse du vainqueur » [par l’intermédiaire du prix d’entrée] ; que Bill Goode et Pat Perry se sont affrontés « pour une belle mise » ; que Bill England a battu Harry Goodson à Eltham pour 50 £ et enfin que Jem Mace a parié 1 000 £ qu’ « aucun homme ne pourrait le mettre K.O en moins de 4 rounds ». Ces données, bien qu’il s’agisse de bribes d’informations fournies par un journaliste militant pour la reconnaissance de la boxe, permettent de dire que l’argent n’est pas absent de la pratique. Sa place est réelle même si elle est moins visible à cette époque qu’elle ne le sera quelques années plus tard. Envisager que l’introduction de l’argent dans ce sport se fait après une « professionnalisation » établie47 est donc une erreur. Les enjeux financiers sont déjà là dès le XIXe siècle48. Toutefois, envisager, selon une considération de sens commun, que les amateurs se différencient des professionnels par la perception d’émoluments, c’est, d’une part, ignorer la difficulté à distinguer ce qui relève du professionnalisme ou de l’amateurisme, et d’autre part, succomber à la distinction classique dénoncée par Weber et Lamy. Cette dernière différencie le professionnel soit par une différence de « qualité » (l’amateur serait moins bon boxeur que le professionnel) soit (surtout) par une différence de « finalité » (l’amateur pratiquerait pour « la gloire » alors que le professionnel travaillerait pour vivre). Ici, l’étude des enjeux des combats montre à quel point cette définition est inapplicable. En effet, notons qu’une compétition mettant en jeu des prix et parfois même de l’argent se déroule « sous le règlement de l’Amateur Boxing Association »49, qu’une autre est organisée par le « Tottenham Amateur boxing and athletic club »50 et enfin qu’une compétition est dite « ouverte aux amateurs n’excédant pas 8st 6lb51, qui n'ont jamais gagné de prix »52 et dont l’enjeu est une montre en argent. Concernant ce dernier événement, et de manière ironique, la condition d’être amateur n’empêche pas la compétition d’être annulée et reportée en raison du nombre insuffisant d’entrées. L’imposition d’une condition amateur se fait donc d’abord pour le boxeur et non 46 Rapporté par The Sporting Life du 14 janvier 1885. Si avec Lamy et Weber (« Amateurs et professionnels », Genèses, n° 36, Belin, Paris, 1999) on considère la professionnalisation comme une « transformation positive d’une activité en profession avec garanties de qualification et rémunération » (p. 3) alors on peut supposer que la « professionnalisation » de la boxe a réellement lieu au XXe siècle, et dont l’apogée est l’entre-deux-guerres. 48 Voir FORD, John, Prize-fighting, op. cit. 49 The Sporting Life du 30 janvier 1885. 50 Ibidem. 51 Il s’agit d’une catégorie de poids. 52 The Sporting Life 12 janvier 1885. 47 13 pour les organisateurs qui visent à rentabiliser le divertissement53 qu’ils proposent. Comme c’est souvent le cas en boxe à cette époque, la « logique » économique prend le pas sur la « logique » sportive, même lorsqu’il s’agit d’évènements amateurs. Néanmoins, le mot « professionnel » est également utilisé à trois reprises par le quotidien sportif au cours du mois de janvier 1885. On apprend en effet qu’O. Hannen a déjà participé à un championnat professionnel54, que la « Pat Perry’s compétition » est promue par le professionnel du même nom55 et que des « professionnels bien-connus » prennent part à la compétition de J. Massey et T. Tully56. La définition du professionnalisme est d’autant plus floue que dans la dernière compétition mentionnée, le prix mis en jeu est une « très belle coupe ». L’analyse d’un mois de 1885 de ce quotidien soulève déjà ce qui sera analysé plus finement pour l’année 1889 : les professionnels ne combattent pas que pour de l’argent, et les rétributions monétaires ne peuvent en aucun cas être considérées comme le critère différenciant le professionnalisme de l’amateurisme. Ces affirmations seront détaillées plus loin où davantage de données ont été exploitées. En ce qui concerne les spectateurs, deux chiffres ont pu être appréhendés : environ 100 personnes étaient autour du ring lors du match arrêté par la police entre Goode et Barry, et 250 sièges étaient occupés lors de la compétition à Posh Price pour une silver cup (+ 2 £ pour le gagnant et 10 s pour le 2nd). Le quotidien rapporte aussi des qualificatifs (parfois très vagues) permettant d’apprécier le nombre de spectateurs à 11 reprises57. Parmi eux on trouve : « une immense assistance », «une large assistance », « un nombre respectable de spectateurs », « un faible nombre de spectateurs » etc. Sur ces 11 « expressions », 2 d’entre elles évoquent un faible nombre de spectateurs : « nombre insuffisant d’entrées » et « petit nombre de spectateurs présents ». Un qualificatif renvoie à la composition sociale de l’assistance et non à leur quantité (« une assistance très distinguée58»). Sur les 8 expressions restantes, 7 décrivent un grand ou un très grand nombre de spectateurs alors que la dernière fait écho à une assistance moyenne (« respectable »59). Ainsi, bien qu’il soit difficile de donner avec précision une idée du nombre de spectateurs, la lecture de The Sporting Life laisse croire que la boxe attire suffisamment de monde pour survivre. Il est d’ailleurs 53 Le mot divertissement n’est pas choisi de manière aléatoire, il s’agit d’un langage journalistique de l’époque où les matches, compétitions et autres sont régulièrement qualifiés d’ « entertainment ». 54 The Sporting Life, 7 janvier 1885. 55 The Sporting Life, 30 janvier 1885. 56 The Sporting Life, 8 janvier 1885. 57 On a exclu de ce compte les deux fois où le nombre de boxeurs est indiqué comme étant trop faible pour maintenir la compétition. 58 « A very select company ». 59 Le terme est ici à entendre en nombre et non en « qualité » sociale. 14 remarquable de noter que parmi les cinq événements annulés, un seul est dû à un manque de spectateurs alors que trois sont liés à un manque de boxeurs présents60. Au regard de ce seul mois de quotidien, tout se passe comme si « trouver » des boxeurs est plus problématique que de « trouver » des spectateurs. En termes économiques, cette affirmation revient à dire que la boxe connaît une forte demande pour une offre relativement faible. Cette particularité s’explique en partie par l’illégalité de l’activité. En effet, l’arrestation mentionnée dans le premier tableau permet d’objectiver le risque que représente la pratique de la boxe (voir encadré). L’arrestation de Goode. Le 1er janvier 1885, Jem Barry et William Goode s’affrontent près de Creshunt pour un trophée de valeur. Murphy et le frère ainé de Goode occupent, quant à eux, le rôle de seconds. Les deux boxeurs étaient déshabillés jusqu’à la taille et se sont battus deux rounds, quand Goode a atteint la tête de son adversaire et l'a renversé. Un agent de police s'est alors précipité vers le ring et tous les hommes ont « détalé ». Des cordes, des pieux, des bouteilles et des gants de boxe ont été laissés sur place quand l’assistance s’est dispersée, et ont été remis à la police. Il a été rapporté que Jem Goode senior, son fils William et d'autres ont été arrêtés. Le vieil homme a affirmé qu’il n'avait rien fait de mal et a refusé de quitter le ring, étant sûr de ses droits. W. Goode, Maurice Murphy, Allen, Lupton et James Goode ont été arrêtés et amenés le 2 janvier au Tribunal de police de Cheshunt. Ils ont été laissés en liberté provisoire sous caution, celle-ci s’élevant au total à 240 £, jusqu'au 14 du mois. Le 14 janvier, William Goode a été accusé par les magistrats de Cheshunt, le Capitaine Fort et le Capitaine Orr Webb, de s’être engagé dans un « prize-fight », avec un autre homme (qui lui n’est pas en détention préventive) dans un champ à proximité du Bois de St. Lawrence, sur le Manoir Beaumont, le 1er du mois. Maurice Murphy, William Allen, Richard Swift et James Goode ont été accusés de les aider et de les inciter. M. H. Avory a défendu Swift et Allen. La preuve pour l'accusation était relative au fait que le 1er du mois environ trente hommes sont arrivés à Cheshunt par le premier train du matin de Londres et ont traversé plusieurs domaines pour se rendre sur le lieu du combat : un endroit à proximité des bois, où un ring a été formé avec des 60 Le dernier est dû à un match nul. 15 cordes et des pieux. Le Sergent Mitchell et un certain nombre de policier de Londres ont suivi et ont trouvé plus haut 100 spectateurs autour du ring. Après l'audition de leurs témoignages, Allen et Swift ont été acquittés. Les autres ont été mis en accusation aux Assises d’Hereford, pour une caution de 50 £ et deux cautions de 25 £ chacun pour William Goode, et pour le cas de James Goode Senior et Maurice Murphy : la somme de 20 £ et deux cautions de 10 £ chacun". Récit composé à partir d’extraits d’articles des 2, 3 et 15 janvier 1885 du quotidien The Sporting Life. Le combat entre Bill England et Harry Goodson, pour 50 £, à Eltham, où les deux boxeurs ont aussi été arrêtés, peut également être évoqué. La police, à partir de divers témoignages, a « juré » qu'ils s’étaient battus à mains nus. « The Register » les a condamnés à deux mois d'emprisonnement, mais « il a été prouvé » qu’ils s’étaient en fait battus avec des « gants doux ». La sentence a été revue et ils ont été libérés le jour suivant61. Ces deux exemples permettent de montrer que le risque de se faire arrêter est réel et que la peine encourue peut être lourde, aussi bien financièrement qu’en termes d’emprisonnement. De plus, en creux, on comprend que la défense des boxeurs est presque absente. L’Amateur Boxing Association, seule institution à l’époque, ne semble pas se préoccuper de ces arrestations, et les boxeurs apparaissent comme livrés à eux-mêmes (et à leurs familles) pour faire face au juge. Quelques années plus tard, avec la création de la Professional Boxing Association (PBA), les boxeurs disposeront d’un moyen d’aide collectif pour ce genre de problème, étant donné qu’ils formeront un groupe autour de la PBA. Enfin, il convient de s’attarder quelques instants sur le cas précis d’un « benefit », celui à destination de la famille de George Russell. Ce dernier, âgé de 26 ans, est mort « des suites d’une querelle » (The Sporting Life, 5 janvier 1885) avec G. Witwell et W. Butler le 27 décembre 1884. Russell avait « pris part à plusieurs compétitions et avait été nommé instructeur à l'Est de Londres et au Towers Hamlet Boxing Club »62. Il « laisse une veuve et un enfant, pour qui aucune provision n'a été faite jusqu'à présent ». 61 62 The Sporting Life, 14 janvier 1885. Ibidem. 16 Ce décès fait beaucoup de bruit dans le monde pugilistique : « plusieurs milliers de personnes »63 dont de nombreux boxeurs sont présents à l’enterrement, trois articles du Sporting Life lui sont consacrés (le 5, 10 et 21 janvier 1885) etc. W. Verner, (« l'hôte de la Clyde Tavern ») va tenter d’apporter un soutien financier à la famille du défunt. « Une réunion du comité »64 a lieu le 9 janvier pour « lever des fonds pour payer les dépenses des obsèques. Nous pouvons mentionner qu'une réunion amicale a été décidée et qu’on a fidèlement promis assistance de la part des marchands du voisinage immédiat »65. The Sporting Life lance alors un appel pour aider la famille Russell qui « dépendait complètement et seulement du salaire du décédé »66. Le York Winter Music-hall (dont le propriétaire est M. Hannen), va donc être loué pour le lundi 19 Janvier afin de faire un « benefit »67 pour la famille. Ce jour-là, l’établissement est « bondé » et 30 £ vont être récoltées. Cette affaire marque donc les esprits dans le milieu pugilistique. Mais, pour l’historien, elle renseigne surtout sur la manière dont la famille d’un boxeur est prise en charge. Ici, c’est une initiative d’abord individuelle (W. Venner) puis relayée par un collectif (« le comité »), malheureusement impossible à identifier. Si dans l’ensemble, une aide est apportée à la famille du défunt, elle met un peu de temps à être réalisée (23 jours séparent le décès du « benefit ») et surtout, les organisateurs du soutien à Russell ne semblent pas organisés pour intervenir. L’hypothèse, difficilement vérifiable pour des raisons empiriques, émise est que cette affaire a joué un rôle décisif dans la future création de la Professional Boxing Association, trois semaines plus tard. Avec cette nouvelle institution, la prise en charge des boxeurs blessés, de la famille d’un boxeur décédé etc. sera assurée systématiquement par la PBA. En résumé, les différentes données issues du mois de Janvier 1885 du Sporting Life permettent d’affirmer trois choses. D’abord, l’argent mis en jeu est, dans la plupart des cas, soit caché soit absent. Deuxièmement, le nombre de spectateurs semble assez élevé, à l’inverse du nombre de boxeurs, en partie du fait de l’illégalité de l’activité. Enfin, en cas d’accident comme le décès d’un jeune boxeur, l’aide apportée par la corporation relève a priori d’initiative(s) individuelle(s) et non d’une institution qui en fait sa priorité, comme ce sera le cas plus tard. 63 Ibid. The Sporting Life, 10 janvier 1885. 65 Ibidem. 66 Ibid. 67 Forme de pratique qui consiste à organiser un évènement pour aider un individu dans le besoin en lui versant les bénéfices obtenus (prix et nombre d’entrée). 64 17 Ces trois éléments permettent d’objectiver le « désordre » (au sens de manque d’unité) existant dans « l’espace » de la boxe professionnelle à Londres à la fin du XIXe siècle. La pratique est réprimée par la police et la justice, les gains sont le plus souvent cachés, les événements sportifs relativement sont « peu » nombreux et les boxeurs sont livrés à euxmêmes dans la gestion de leur carrière avec le risque d’un accident. b) Le tournant de 1885 : la création de la PBA A partir de 1885, la boxe connaît d’importants changements structurels, et notamment la création de la Professionnal Boxing Association (PBA). Celle-ci joue un rôle majeur dans l’évolution de l’espace pugilistique londonien à la fin du XIXe siècle. En effet, elle contribue à faire des boxeurs professionnels un groupe reconnu comme tel et qui disposera d’une structure de regroupement qui leur est propre. Comme le souligne Boltanski pour les cadres : « première tâche : la représentation juridique. Elle est la condition de la délégation qui fait exister la personne collective par le mystère de son incarnation dans des personnes physiques autorisées à la personnifier. Elle contribue par-là à faire, comme disait Hobbes, d’une "multitude d’hommes", "une seule personne" et du groupe "un être personnifié" »68. Mais surtout, l’analyse de la PBA permet d’affirmer que la « spectacularisation » n’a bien été possible qu’à la suite d’une organisation générale de la boxe londonienne (par la PBA). Ce déroulement est bien constitué de deux étapes successives : une organisation de l’espace par la PBA puis une mise en spectacle de l’activité. Pour mieux comprendre et expliquer plus finement l’importance de la PBA dans la structuration de la boxe, une démarche régressive a été engagée. En effet, partant de l’année 1889, il a fallu réaliser la socio-genèse de plusieurs éléments « déjà là », dont celle de la PBA qui nécessitait le plus d’attention. Nous avons donc retracé l’évolution de cette « association » depuis 1885 (date de sa création) à 1889, à l’aide des nombreux articles du quotidien The Sporting Life. Les parties qui suivent ont donc été réalisées à partir des sources de ce journal, en recueillant tous les articles concernant cette organisation entre 1885 et 1889. Habituellement, le journal rapporte un compte rendu de la réunion mensuelle de l’association69. D’autres « meeting », plus ponctuels, servant le plus souvent à préparer un événement spécial, s’ajoutent à cela. Enfin, les publicités (annonçant un événement), les événements exceptionnels (le décès du président 68 69 Boltanski, Les cadres, op. cit. p 233-234. Ce meeting a lieu le premier samedi de chaque mois. 18 de la PBA), ainsi que les compétitions qu’elle a organisées ont également été pris en notes. Au total, nous avons obtenu un regroupement de 120 articles70. Le détail est le suivant : - 18 publicités/annonces - 73 comptes rendus de réunion - 10 articles difficiles à classer car liés à la constitution de la PBA (entre 20 février et 14 avril). - 16 événements particuliers : 5 tournois annuels (1885-1889) ; 2 liés décès de Richardson; 5 liés à l’appel de Knifton; 4 liés au PC et à la nouvelle PBA. - 3 liés à la ABA et à la PBA. La presse sportive constitue ici une ressource non négligeable puisqu’elle est en lien direct avec la PBA. En effet, loin de constituer une source de deuxième main, The Sporting Life fait office de véritable voie (et voix !) de diffusion de l’association. Dès la création de cette dernière, le quotidien sportif est associé à l’institution. Au point même que lors de l’édiction du règlement de la PBA le 14 avril 1885, la règle 6 stipule : « Que le secrétaire informe, par écrit dans The Sporting Life, de telles réunions [voir la règle 5 qui évoque les réunions du premier dimanche du mois, les trois ou quatre assemblées générales chaque année] à tous les membres ». [Nos italiques]. Le quotidien est même la seule source d’informations pour tous les membres de la PBA. Ce monopole est illustré dans l’article du 18 mars 1885 où, en l’absence d’indications dans The Sporting Life, le président lui-même est absent d’une réunion, comme s’il n’avait eu aucun autre moyen de connaître la date du meeting. Le président était absent ainsi que d'autres personnes dont la présence aurait été appréciable. Après avoir attendu quelque temps, Jem Goode senior s'est levé et a expliqué que l'absence du président était probablement due au fait que la réunion n'avait pas été mentionnée dans The Sporting Life comme il était convenu. Il affirma que c'était entièrement de sa faute, étant donné qu’il avait accidentellement remis un faux avis et avait découvert son erreur trop tardivement. Il serait, cependant, rectifié la semaine suivante et la réunion reportée jusqu'au 22 mars. [Nos italiques]. 70 Pour une quantité de signes légèrement supérieure à 225 000. 19 Enfin, pour achever de montrer l’importance du quotidien au sein de la PBA, il est à noter que chaque meeting de l’association débute par la lecture et surtout l’approbation du compterendu de la séance précédente paru dans The Sporting Life. Ce « procès-verbal » est parfois sujet à discussions de la part des membres, malheureusement les raisons des désaccords ne sont jamais évoquées. Ainsi, entre 1885 et 1887, 29 extraits du Sporting Life évoquent le compte rendu de la dernière réunion, et 27 ont été « lus et accepté »71 , « lu et confirmé »72, « unanimement confirmé »73, « confirmé sans opposition »74, « confirmé sans une voix dissidente »75 ou « admis sans commentaire ou voix dissidente »76. Seuls deux comptes-rendus ont été discutés, mais le journaliste est alors particulièrement laconique : - « Après que le secrétaire, J. M'Farlane, a lu le procès-verbal de la réunion précédente, une discussion s'est ensuivie à ce sujet, mais finalement le procès-verbal a été unanimement confirmé » (9 novembre 1887). - « Après que le secrétaire, J. M'Farlane, a lu le procès-verbal de la précédente réunion, une discussion s’est quelque peu prolongée sur le sujet, mais aucun amendement n’a été proposé et finalement le procès-verbal a été unanimement approuvé » (23 novembre 1887). Plus qu’une voie de diffusion, The Sporting Life est aussi un réel « partenaire » (au sens commercial) de la PBA. En acceptant de publier autant d’articles pour l’institution, le quotidien s’assure en retour un lectorat important au regard du nombre de « sympathisants » de la boxe à cette époque. Une dernière preuve de leur collaboration se situe au niveau des dons que la PBA fait aux boxeurs (voir infra). Il peut arriver, dans ce cas, que la PBA envoie l’argent au quotidien sportif pour que celui-ci la transmette au boxeur ou que ce dernier vienne le récupérer directement au bureau du journal, c’est le cas de Jem Mace recevant 5 £ 5 s, le 6 novembre 1888. C’est donc, d’une part, à l’appui de sources de première main que l’analyse révèle le rôle de la PBA dans l’institutionnalisation progressive de la boxe professionnelle à Londres à la fin du XIXe siècle. D’autre part, ces sources de première main n’en sont pourtant pas moins orientées et partiales. Ce sont les limites du recours à de telles données. Par sa proximité avec 71 23 septembre 1886. 8 avril 1885. 73 30 juin 1885. 74 6 octobre 1885. 75 5 janvier 1886. 76 4 mai 1886. 72 20 l’association, le quotidien sportif ne fournit qu’une part des informations. The Sporting Life est ainsi particulièrement laudatif à l’égard de l’institution, n’hésitant pas à évoquer le « génial Tom Symonds » 77 ou cette « institution [la PBA] digne d’éloges »78 par exemple. De même, aucune information critique n’est éditée. L’étude complète de la PBA nécessiterait ainsi, outre les archives fédérales ou « officielles » qui semblent introuvables, de croiser les informations fournies avec celles d’autres quotidiens tels que The National Police Gazette, The Sporting Chronicle ou The Licensed Victuallers’ Gazette, a priori plus éloignés de la fédération. En l’absence de ces éléments, il s’avère nécessaire d’être particulièrement prudent quant aux affirmations formulées sur cette institution. c) La « société mutuelle » des boxeurs La PBA a été créée le mercredi 18 février 1885. Comme le souligne The Sporting Life le 21 octobre 1885, il semble bien que cette institution est inspirée de son ancêtre la Pugilistic Benevolent Association (PBA également)79. Sur cette dernière, n’ayant pas été étudiée en tant que telle, il faut nous en remettre à D. Brailsford80, qui aborde brièvement la genèse de cette association, et explique très rapidement ses principales caractéristiques. Cette ancienne PBA dispose de particularités qui permettent de comprendre celles de son homonyme. La Pugilistic Benevolent Association est née en 1852. « C'était en partie une société amicale, en partie un "closed-shop trade union" (syndicat) et en partie un "organe de gouvernance sportif", bien que pour cette dernière capacité, elle s’est, dès l'origine, limitée elle-même au maintien du bon ordre sur le terrain. Elle a formalisé le vieux système d'assistance mutuelle, qui a toujours caractérisé la boxe, en reprenant l'organisation de « benefit » et en exigeant de ses membres d’y prendre part. EIle a limité l'adhésion aux boxeurs qui avaient combattu à Londres et pour des mises de plus de 40 £, et aux supporters qui sont devenus des membres honoraires en souscrivant 2 £ ou plus. Le comité nommait un membre pour s’occuper de la vente des billets pour n'importe quel combat et les revenus des billets vendus payaient les honoraires des "gardiens du ring" (« ring-keepers »), qui étaient choisis par un scrutin à la veille de la compétition »81. En résumé, les trois points fondamentaux de cette ancienne PBA, et qui se 77 23 mars 1886. Ce dernier est alors vice-président de l’association. 6 juin 1886 et 18 octobre 1888. 79 Nous n’avons pas trouvé (mais pas réellement cherché puisqu’il ne s’agissait pas de notre objet de recherche premier) de données de première main concernant cette institution. 80 BRAILSFORD, Dennis, Bareknuckles. A social History of Prize-Fighting., Lutterworth Press Cambridge, 1988. 81 Ibidem, p. 98. Dans la traduction, les verbes ont volontairement été employés à l’imparfait. 78 21 retrouveront dans la seconde PBA, sont : sa dimension « syndicale », sa dimension « dirigeante » ou « gouvernante » dans le monde de la boxe et la création des « benefits ». Ces trois aspects vont se retrouver de manière très prégnante quelques décennies plus tard lors de l’apogée de l’institution. Pour le moment, c’est sa genèse qu’il faut aborder. Comme dit précédemment, la Professional Boxing Association (PBA) a été créée en février 1885 au Blue Anchor, établissement alors détenu par William Richardson82. Selon The Sporting Life, plus de 63 boxeurs sont présents83, dont des boxeurs très connus (J. Knifton, Jem Mace etc.) et d’autres moins célèbres (Jack Munday, Johnny Quilan etc84.). La séance est présidée par Ned Donnelly et le vice-président est Tom Symonds. Afin de mieux comprendre le rôle de cet organisme, il est essentiel de s’attarder sur ses premières réunions et de donner des indications générales sur le fonctionnement des regroupements (voir encadré). Le contenu d’un article « moyen » La grande majorité des « meetings » est rapportée par The Sporting Life comme suivant un même fonctionnement d’une séance à l’autre. Voici le schéma le plus courant. Le quotidien débute chaque article en précisant la date, le lieu et l’affluence malheureusement par des adjectifs flous et non par des chiffres- de chaque réunion. Puis, le secrétaire lit le procès-verbal de la séance précédente paru dans The Sporting Life qui est soumis aux participants (accepté ou refusé85). Ensuite, les problèmes du moment sont soulevés : gestion financière, soutien financier ou non d’un boxeur malade etc. Des propositions sont avancées (le plus souvent par deux membres nommés dans le quotidien) afin de résoudre les difficultés rencontrées : soutien financier, organisation d’évènement pour soutenir un boxeur dans le besoin etc. Après chaque proposition, celle-ci est acceptée ou refusée86 par l’ensemble des personnes présentes. Les « problèmes » mentionnés peuvent être d’ordre divers : maladie/handicap d’un boxeur, organisation d’événement, édiction/ modification de règle pour l’association, gestion des fonds de l’association etc. La séance se 82 Nous reviendrons plus loin sur cet acteurs. Le journal fournit les noms des 63 boxeurs et ajoute « et d’autres » à la fin. 84 Nous déduisons leur faible célébrité du peu (voire de l’absence) de données trouvées, au contraire évidemment des boxeurs dits « très connus ». 85 Pour rappel, aucun refus n’a été rapporté par The Sporting Life entre 1885 et 1889. 86 On constate de nombreux cas de refus, sur divers sujets, suite à des propositions faites par des membres. Par exemple, le 3 novembre 1885 la proposition de M. Bee de faire une assemblée générale pour l’organisation d’une compétition de boxe est refusée. 83 22 clôt par les propositions de membres, l’annonce de la prochaine réunion et l’habituel vote de remerciement. La moyenne d’un article du Sporting Life concernant la PBA entre 1885 et 1889 avoisine les 1900 signes87. Dès la première séance, la P. B. A. affiche ses objectifs par la voix de John Knifton. Ceux-ci sont doubles : 1) La « protection mutuelle des boxeurs, l’assistance en cas de maladie ou d’un âge avancé » 2) La « défense en cas de "capture"88 lors d’un combat ». Les missions de l’organisation semblent claires : elle est d’abord conçue pour les boxeurs et non pour la boxe. La PBA tente de préserver ses boxeurs, de les « protéger » des risques encourus dans la profession. Ces derniers ne sont pas irréels, l’arrestation de W. Goode mentionnée précédemment en est un exemple ; il en est de même pour la mort de Russell qui laisse une famille sans revenus. Observé par un contemporain et au regard de ces deux objectifs, la PBA semble donc prendre le rôle d’un syndicat, puisqu’elle défend les membres d’une profession pour le bon exercice de leur activité. Ayant une mauvaise connaissance de la législation et du cadre juridique entourant le monde professionnel en Angleterre à la fin du XIXe siècle, nous avons mieux compris le fonctionnement d’un tel groupement à l’aide de l’ouvrage classique d’E.P Thompson sur la formation de la classe ouvrière anglaise89. L’auteur, au cours de nombreux chapitres, décrit la constitution et le rôle de différentes « sociétés de secours mutuel ». Celles-ci se mettent au service de professionnels tels que les tisserands, les drapiers etc. Si la PBA ne peut être pas considérée réellement comme « société mutuelle », certaines similitudes s’avèrent pourtant présentes. En témoignent les règles des merciers de 1750 rapportées par E.P Thompson et qui sont, selon lui, toujours d’actualité pour les sociétés de secours mutuel du XIXe siècle : 87 Cette donnée a été calculée en divisant le nombre de signes recopiés par le nombre d’article total. Le mot capture est ici à entendre comme synonyme d’arrestation. 89 THOMPSON, Edward Palmer., La formation de la classe ouvrière anglaise, Gallimard- Le Seuil, Paris, 1988. Tout au long du texte, les références à Thompson renvoient systématiquement à cet ouvrage. 88 23 « Si nous considérons que cette Société est non pas une Compagnie d’Hommes réunis pour se régaler de Bière et de Tabac, et pour parler indifféremment de Tout ; mais bien plutôt une Société siégeant pour Protéger les Droits et Privilèges d’un métier grâce auquel subsistent des centaines de Gens […] »90 (Nos italiques). « Protéger les droits et privilèges d’un métier », c’est justement ce que vise la PBA pour les boxeurs. Elle tente d’imposer un prix minimal pour boxer, organise des tournois pour assurer la pérennité de la boxe etc. Pour autant, la genèse de la PBA se caractérise en premier lieu par l’assistance des boxeurs (voire de sa famille) lorsqu’ils sont dans le besoin. Or, l’historien anglais affirme justement que les : « Petits commerçants, artisans, manœuvres, tous cherchaient à se garantir contre la maladie, le chômage ou les dépenses en cas de décès en adhérant à des clubs mutualistes [« box-clubs »], ou à des sociétés de secours mutuel » (p 377). Les similitudes sont donc réelles entre les missions que se fixe la PBA et celles que se fixent les sociétés décrites par Thompson en Angleterre entre 1815 et 1860 essentiellement. Cette ressemblance se retrouvera le 14 avril 1885 lors de l’édiction des règles de l’association et plus particulièrement dans la première règle fixée : Règle 1. L'association sera appelée "l'Association de Boxe Professionnelle" et ses objectifs seront de protéger les intérêts des boxeurs professionnels et d’aider ceux appartenant à l'association, qui peuvent, par accident, être privé de leur gagne-pain91. La P. B. A. a donc comme premier objectif de protéger les intérêts des boxeurs, comme le font les sociétés de secours mutuel dans leur corporation respective. Pour Thompson, ces sociétés de secours mutuel s’organisent comme des syndicats au cours du XIX e siècle en Angleterre. L’auteur utilise parfois indifféremment les deux notions92 (syndicats et société de secours mutuel) car selon lui, leurs fonctionnements et leurs missions sont identiques, à la seule différence que le mot « syndicat » sera une appellation plus tardive. « C’est de là [des sociétés de secours mutuel] que naquirent les syndicats, moins solides pourtant, et c’est là que 90 Ibidem, p 377. Cette première règle semble être édictée littéralement contre la définition de « l’amateur » fixée par l’Amateur Boxing Association (voir supra). Cette dernière définit l’amateur comme celui qui n’a jamais boxé « dans le but d'obtenir un gagne-pain ou un gain pécuniaire ». 92 Au point que l’index du livre place ensemble les deux notions. 91 24 se formèrent les dirigeants syndicalistes. Le règlement des syndicats, dans bien des cas ; fut une version plus élaborée du code de conduite du club mutualiste. »93. Ainsi, la comparaison, mentionnée précédemment, entre PBA et syndicat n’est pas tout à fait absurde puisque l’on trouve certaines similitudes entre la PBA et les sociétés de secours mutuel. Néanmoins, si des similitudes existent, aucun lien n’a pour le moment été établi entre la PBA et le syndicat des boxeurs professionnels qui sera créé dans l’entre-deux-guerres. En effet, M. Taylor94, dans son article sur le syndicat des boxeurs dans les années 20, n’évoque à aucun moment la PBA comme forme première de l’institution. Par ailleurs, comme dit précédemment, il ne s’agit pas de calquer la notion de « société mutuelle » pour comprendre la PBA. Les différences sont réelles et nombreuses. En effet, en premier lieu, la PBA est composée pour partie de boxeurs, de propriétaires et pour partie de managers. L’origine sociale est donc relativement diversifiée95. Or, pour Thompson : « Pratiquement aucun des membres des sociétés de secours mutuel n’avait un statut supérieur à celui d’employé de bureau ou de petit boutiquier ; la plupart étaient des artisans. Le fait que chaque confrère déposait des fonds dans la société assurait la stabilité des effectifs et une participation vigilante à sa gestion. Ces sociétés ne comptaient pratiquement aucun membre de la bourgeoisie et, si quelques employeurs les voyaient d’un œil favorable, la conduite de leurs affaires ne laissait guère de place à un contrôle de type paternaliste »96. De plus, la deuxième différence est que la P. B. A. n’est absolument pas secrète ; ses réunions sont connues et relayées par la presse. Thompson affirme lui que « le caractère secret de la société de secours mutuel et son impénétrabilité au regard scrutateur des classes supérieures sont autant de preuves du développement d’une culture et d’institutions ouvrières indépendantes » (p 380). Les boxeurs ne peuvent eux être assimilés à des « classes populaires » (comme le fait Thompson pour les tisserands ou les drapiers) puisque l’origine sociale des membres est très variable : on trouve des propriétaires de salles ou de « taverns », des boxeurs célèbres ou encore des « managers », la surveillance des classes supérieures ne s’opère donc pas réellement. Néanmoins, comme en témoigne l’analyse de la composition sociale du comité de 1885 réalisée plus bas, les individus les plus capitalisés « contrôlent » néanmoins l’institution. 93 Ibidem, p. 380 TAYLOR, Matthew., « Boxers United: Trade Unionism in British Boxing in the 1930s », op.cit. 95 Nous reviendrons plus loin sur la composition sociale des membres. 96 THOMPSON, Edward, Palmer, La formation de la classe ouvrière anglaise, op.cit., p. 380. 94 25 En définitive, si la notion de « société mutuelle » s’avère partiellement heuristique pour analyser la PBA, elle permet toutefois de nous renseigner sur le degré de professionnalisation de la boxe. Alors que certains indices laissent croire à une professionnalisation totale de ce sport où les boxeurs seraient des professionnels exerçant leur métier sans différences avec d’autres professions, la comparaison réalisée entre les sociétés mutuelles des ouvriers et la PBA des boxeurs nuancent cette affirmation. A la fin du XIXe siècle, la boxe professionnelle n’est pas un secteur aussi défini et organisé que celui de professions « établies », il ne s’agit pas encore d’un groupe qui a « réussi » pour parler comme Luc Boltanski97. Toutefois, l’existence même de la PBA est une preuve de la réalité de ce « professionnalisme ». Un organisme visant à défendre les intérêts des boxeurs permet d’objectiver la volonté des boxeurs de se regrouper autour de leur profession commune. La comparaison agencée précédemment, moins qu’une transposition de concept, offre plutôt des indices objectifs au chercheur pour caractériser le degré de professionnalisme de la boxe à la fin du XIXe siècle. Au-delà de ce degré de professionnalisme, il est manifeste que la PBA tente de renforcer la dimension professionnelle de l’activité et réalise un vrai travail d’objectivation de son existence. Ceci est confirmée par le compte rendu de la première réunion, particulièrement succinct. « Ned Donnelly [président] ne voit pas pourquoi il n’y aurait pas une « PBA ». Surtout qu’il existe une « ABA98 ». Il y a eu trop d’interférences avec la ABA et qui, en plus, a fait savoir qu’elle ne voulait pas de « concurrente ». Néanmoins, la PBA ne changera pas ses dispositions. Si les amateurs veulent de l’instruction, laissons-les aux professeurs, ils sont les plus appropriés. (…). Mr. Pinnock [inconnu] a affirmé qu’il était normal que les professionnels s’unissent. Jem Goode a rappelé qu’il y a eu un temps, dont il ne pouvait se souvenir, où les professionnels avaient leur propre « voie ». (…) Tout le monde sait que les théâtres ont été davantage remplis par la boxe que par des « pantomines » ou autre. Bill Goode a protesté contre la faiblesse des prix offerts pour le tournoi [illisible]. Ils devraient passer une résolution qui dirait qu’à moins que les sommes offertes soient substantielles, aucun bon boxeur ne participera ». La PBA, par l’intermédiaire de ses membres, a donc la volonté de devenir autonome et de séparer nettement le secteur professionnel et le secteur amateur. On comprend alors d’ores et déjà le processus historique de délimitation des juridictions pour parler comme Andrew 97 « Le groupe a réussi, au sens où il est parvenu à accumuler les preuves « objectives » de son existence. Il ne s’est pas morcelé et désagrégé » BOLTANSKI, L., Les cadres, op. cit., p 233. 98 Amateur Boxing Association. 26 Abbott99. La distinction entre la juridiction des amateurs100 et la juridiction professionnelle devient de plus en plus évidente puisque l’existence même de deux institutions distinctes (ABA et PBA) montrent bien les différences qui les séparent. Pour confirmer son autonomie, la PBA et notamment John Knifton vont devoir faire différentes propositions. La première est de réclamer une augmentation des prix offerts pour le prochain tournoi de boxe. La seconde est de « créer une série de compétitions et d’exhibitions. Les recettes permettront alors de compléter les fonds. Il propose alors qu’un comité, composé de ceux qui soutiennent la boxe et des boxeurs eux-mêmes, soit formé dès que possible et qu’il délivre un règlement auquel tout boxeur voulant s’inscrire devra se conformer »101. Concernant la première revendication de Knifton- augmenter les prix d’un tournoi prochain- il est nécessaire de revenir plus précisément sur cet épisode car il donne un indice de la force d’action de la PBA. En ce qui concerne le prochain tournoi, il a été décidé (comme l’avait suggéré Knifton et W. Goode) que « Nous, les signataires, protestons contre les prix offerts aux boxeurs à l’Aquarium, Westminster, et au-delà de ça, sommes d’accord pour boxer au tournoi si 15 £ sont données comme premier prix, 5 £ pour le second, 1 £ pour le gagnant des "heats"102, 10s pour les perdants, 10s pour les "sparring byes"103 et nous passerons des médailles, sans tenir compte du nombre d’entrée ». Nous pouvons mentionner qu’il a été d’abord démontré, qu’en tenant compte de la publicité, chaque compétition couterait 34 £, et étant donné qu’il y aura 4 compétitions, le total des dépenses sera près de 200 £. Il a été aussi souligné que le vainqueur de chaque "heat" (série/poule) recevrait 13 £104. Il s’agit là encore de la volonté de « protéger les droits et les privilèges d’un métier » mentionnée par Thompson chez les merciers. Ici, l’exigence de ne pas boxer à n’importe quel prix constitue un moyen de protéger les droits des boxeurs en refusant une rémunération minimum. Néanmoins, la revendication des boxeurs n’est pas prise en compte étant donné que l’on trouve l’annonce suivante le 29 février : 99 ABBOTT, Andrew, The system of professions, op. cit. Bien que chez Abbott les « juridictions » sont l’objet de luttes uniquement chez les groupes professionnels et ne concernent pas les « non professionnels », ici les boxeurs amateurs. 101 The Sporting Life, 3 mars 1885. 102 Premières séries. 103 Ce terme est particulièrement difficile à traduire. Il fait écho à la notion de « sparring-partner » et renvoie donc à des « faire-valoir » mais qui s’engagent dans des compétitions officielles et non en entraînement. 104 The Sporting Life, 24 février 1885. Rappelons que le salaire annuel moyen en Angleterre est alors de 40 £ (ROBERT, Jean-Louis, Le XIXe siècle, op. cit). 100 27 ROYAL AQUARIUM, WESTMINSTER GRAND TOURNOI DE BOXE, OUVERT Á TOUS LE MONDE VALEUR DES PRIX 100 £ LUNDI 2 MARS, ET LES CINQ JOURS QUI SUIVENT. Les [catégories] suivantes seront ouvertes aux professionnels:Poids lourds (11st 4lb et plus)- premier prix médaille d’or et 6 £, deuxième, 3 £, gagnant des « séries » 1 £, perdants, 10 s. Poids moyens (qui n’excèdent pas 11st 4lb)- premier prix médaille d’or et 6 £, deuxième, 3 £, gagnant des « séries » 1 £, perdants, 10 s. Poids légers (qui n’excèdent pas 8st 7 lb) - premier prix médaille d’or et 6 £, deuxième, 3 £, gagnant des « séries » 1 £, perdants, 10 s. The Sporting Life nommera les arbitres. Prix d’entrée pour chaque évènement, 5 s, qui sera retourné à tous les participants, et qui seront expédiés au plus tard vendredi prochain, le 20 Février au bureau du Sporting Life. [Nous nous gardons] le droit de refuser toute entrée, et dans le cas où les entrées seraient trop nombreuses, The Sporting Life est autorisée à choisir les participants. Tout homme [boxeur] en surpoids perdra ses droits de concourir et son prix d'entrée. - [Advt]”. Cet épisode confirme également l’idée que la PBA n’est pas légitime dès sa création. En effet, la revendication de la PBA n’aboutit pas et les prix ne sont pas augmentés. La PBA s’avère donc impuissante dans un premier temps, certainement en raison de sa récente création. Il semble difficile d’imaginer un tel « échec » quelques années plus tard, alors que l’association se sera développée. 28 d) Le développement de la PBA et son action sur l’organisation de la boxe. Pour comprendre comment la PBA et de ce fait « la catégorie des cadres [ici des boxeurs] a pu s’imposer, avec la force et la prégnance d’une chose, y compris à ceux, agents et institutions contre lesquels elle s’était à l’origine formée, il faut rappeler les propriétés du travail d’objectivation que le groupe a exercé sur lui-même »105. Si la PBA, par l’intermédiaire de ses membres, a pu contribuer à l’organisation de la boxe à Londres, c’est parce qu’elle dispose de plusieurs caractéristiques. D’abord, le nombre de membres lui offre une visibilité au sein du monde pugilistique. Puis, les propriétés sociales de ces membres, et notamment du comité directeur, offre une légitimité à l’institution. Enfin, les actions – votées par les membres - engagées au nom de la PBA lui apportent une reconnaissance de la part des acteurs du monde pugilistique. Ces caractéristiques vont maintenant être détaillées. 1) Le nombre de membres de la PBA Avant tout, l’association est composée de nombreux membres : entre 60 et 200 individus, entre 1885 et 1889. Ce taux d’adhésion lui offre, de fait, une visibilité au sein de l’espace pugilistique voire sportif. Il est malheureusement impossible d’estimer le nombre de boxeurs en activité à l’époque, cela supposerait de différencier, à l’aide de critères, qui est boxeur ou qui ne l’est pas. Néanmoins, de manière grossière, il semble que la PBA compte dans ses rangs un pourcentage important des boxeurs de l’époque. Comme les règles le soulignent, devenir membre de la PBA nécessite de suivre une certaine « procédure ». Lors des premiers mois, tout membre peut présenter sa candidature à l’élection. A partir du 5 mai 1885 (soit trois mois après la création de la PBA), la règle change : - « Ted Kelly, de Glasgow, a annoncé qu’(…) il proposerait "que chaque nouveau membre soit proposé et appuyé par les membres de l'association avant son élection" »106. - « La proposition d'E. Kelly, dont on avait donné l'avis à la dernière réunion, a alors été émise et admise après une simple discussion sans opposition »107. 105 Boltanski, Les Cadres, op. cit., p 233. The Sporting Life, 14 avril 1885. 107 The Sporting Life, 5 mai 1885. 106 29 De plus, comme il est indiqué dans les règles, chaque membre108 doit payer son inscription incluant le livre de règles qu’on lui fournit. Cette somme est initialement fixée à 1 s mais les membres de la PBA, jugeant que les fonds de l’association sont insuffisants, décident d’augmenter le tarif à 7 s à partir du 27 mai 1888. « Les membres sont informés qu’à l'avenir les inscriptions seront de 7 s par an, payables mensuellement. Tout membre ayant trois mois de retard sera exclu. Les nouveaux membres devront payer 2 s 6 d de droit d'entrée. Aucune lettre ne sera envoyée par le secrétaire »109. Le graphique ci-joint montre l’augmentation progressive du nombre de membres. Il esy complété par un tableau qui fournit des chiffres plus détaillés. Ceux-ci110s ont été obtenus en regroupant les articles de The Sporting Life. Le quotidien indique si les membres ont été proposés et/ou acceptés. Néanmoins, des incertitudes demeurent parfois: par exemple, il arrive que des membres soient proposés mais que le quotidien n’indique pas s’ils ont été ou non acceptés. Enfin, la procédure d’adhésion à la PBA n’a pas pu être tout à fait explicitée. Certaines données sont contradictoires. Elles laissent à penser que chaque membre doit renouveler son adhésion chaque année. Néanmoins le nombre de personnes voulant redevenir membre (après l’avoir été quelques années auparavant) est faible, comme si leur inscription était automatiquement reportée. Le manque de précision des journaux et de la littérature sur ce sujet ne permet malheureusement pas d’expliquer clairement la procédure d’adhésion à la PBA. Enfin, il convient de souligner que nos chiffres diffèrent de ceux annoncés (à une seule reprise) lors des meetings de la PBA. Cette différence n’est pas due au désir de la PBA de « gonfler » ses effectifs puisque notre chiffre est supérieur au leur. La seule explication possible est dans le flou existant sur le renouvellement des licences. Quoi qu’il en soit, pour donner le plus d’informations, les calculs réalisés sont, le cas échéant, suivis du chiffre donné par le secrétaire entre parenthèses. 108 On ne parle ici que des membres « normaux », les membres honoraires devant payer 1 £ 1 s. The Sporting Life, 27 mai 1888. 110 Bien qu’une partie des chiffres n’a pas été mentionnée pour plus de lisibilité. 109 30 Nombre de membres 250 200 150 100 50 0 3 mars 1885 7 juillet 8 9 mars 5 octobre 31 4 janvier 1885 décembre 1886 1886 décembre 1887 1885 1886 9 août 31 4 janvier 10 31 6 février 14 août 31 1887 décembre 1888 octobre décembre 1889 1889 décembre 1887 1888 1888 1889 Le nombre de membres à la PBA Membres « classiques » 1885 : 3 mars= 60 membres 22 mars= 70 membres 7 juillet= 80 membres 8 septembre= 89 membres 3 novembre= 104 membres 8 décembre= 106 membres 1886 : 9 mars= 109 membres. 5 août= 124 membres. 5 octobre= 137 membres 31 décembre= environ 150 membres. 31 1887 : 4 janvier : 152 membres. 9 août= 165 membres 10 novembre= 173 membres environ. 31 décembre= environ 176 membres 1888 : 4 janvier= 177 membres 10 mars= 179 membres. (Mais le même jour, le secrétaire affirme qu’il y a 159 membres enregistrés dans le « livre »). 10 octobre= 182 membres 31 décembre= 186 membres environ. 1889 : 6 février= 189 membres. 14 août= 196 membres 3 décembre= 200 membres environ. Création du statut de « membre honoraire » : 1885= 5 membres 1888= 7 membres Membre à vie 1888= 1 membre 1889= 3 membres. De toute évidence, le nombre de membres est conséquent dans l’association. Bien sûr, des erreurs ont pu être faites dans ces chiffres, vu le manque d’information sur la procédure d’adhésion et le fait que le quotidien a pu faire des omissions. Deux arguments peuvent toutefois être avancés pour objectiver l’importance du nombre de membres. Premièrement, il semble clair que ces chiffres sont importants au regard du nombre de boxeurs en activité à l’époque et au dynamisme du secteur pugilistique (encore illégal comme expliqué précédemment). En effet, qu’il s’agisse des 150 membres inscrits à la fin de l’année 32 1886 ou les 200 membres de la fin de l’année 1889, ces chiffres sont certainement élevés au regard du nombre de boxeurs en activité. Certes l’appréciation de ce nombre est approximative. Comme mentionné précédemment, le nombre de boxeurs en activité est inconnu, et le calculer consisterait à définir qui est boxeur et qui ne l’est pas et surtout qui est professionnel et qui ne l’est pas. Il serait toutefois possible de comptabiliser le nombre de boxeurs par l’intermédiaire de tous les combats rapportés par The Sporting Life mais il faudrait, encore une fois, distinguer le nombre des boxeurs amateurs de celui des boxeurs professionnels afin de pouvoir fournir le pourcentage de boxeurs professionnels adhérents à la PBA. Le rapport du nombre de membres de la PBA par rapport aux nombres de boxeurs total est donc impossible à donner, mais irait à l’encontre de la démarche adoptée puisqu’il supposerait de définir préalablement qui est professionnel et qui ne l’est pas. Quoi qu’il en soit, le chiffre apparaît de toute évidence comme étant élevée au regard de l’illégalité de l’activité et du faible dynamisme du secteur pugilistique, notamment pour l’année 1885. Le deuxième argument possible pour manifester l’importance du nombre de membre repose sur le fait que la croissance rapide du nombre de membres peut être vue comme un indicateur du succès de l’association. En six mois, elle compte déjà 100 membres. Cette expansion rapide de la PBA est alors révélatrice d’une adhésion à la création d’une structure officielle venant organiser et unifier la boxe. Tout se passe comme si les boxeurs et organisateurs de boxe étaient impatients de s’affranchir de la tutelle de la ABA. La représentativité de la PBA paraît donc réelle. Elle permet d’affirmer que le succès de la création de cette association va la légitimer et lui permettre de promouvoir sa « vision » de la boxe. 2) Les élites de la boxe : le cumul du pouvoir symbolique et économique. De plus, si le nombre (élevé) de membres est un atout pour la promotion et la pérennité de l’association, il n’empêche que les propriétés sociales de ces membres sont très importantes. Pour des difficultés temporelles et empiriques111, les trajectoires de chaque membre de l’association n’ont pas pu être reconstruites. Néanmoins, elles ont été retracées pour les vingt et une personnes membres du premier comité directeur du 22 mars 1885 (auquel William Richardson, qui est trésorier de l’association, a été ajouté). Ces esquisses biographiques ont été réalisées en regroupant les données issues du Sporting Life et de la littérature grise112. Etant tributaire des éléments empiriques, ces présentations ont parfois été 111 Nous ne disposons pas de beaucoup de données sur chaque membre Notamment les ouvrages et articles suivants : BETTINSON, Arthur Frederick., The National Sporting Club, past and present, [1901], Read Book, 2009. ; BRAILSFORD, Dennis, Bareknuckles, op. cit. ; SHIPLEY, Stan, « 112 33 limitées en taille devant l’étendue des données trouvées. A l’inverse quelques membres du comité sont totalement inconnus, n’ayant pas laissé de trace, n’ayant pas « pris la parole au nom de leurs semblables », tel un « Jean Valjean qui n’aurait pas volé de pain » pour reprendre la belle expression d’Alain Corbin113. Quoi qu’il en soit, ces esquisses biographiques sont nécessairement descriptives, puisqu’elles visent à présenter quelques caractéristiques générales pour chaque membre. Seul celle de Jem Mace est présentée ici à titre illustratif. Les informations regroupées pour le comité directeur sont, elles, dans le tableau qui suit. Jem Mace (1831-1910) 114 Mace est un boxeur « très célèbre »115, ancien champion d’Angleterre et « ancien champion du monde »116 dans les années 1870. Brailsford117 considère qu’il a participé à la construction de la boxe moderne. Il a longtemps pratiqué le « prize-fighting » avant de se tourner vers la boxe. A partir des années 1860, il voyage beaucoup entre Angleterre, Australie et Etats-Unis où il accompagnait une troupe de cirque. Son fils, Jem Mace junior est le promoteur de la salle The Waite’s School of Arms. En 1884, Mace boxe encore et est disposé à parier la somme de 1 000 £ qu’aucun boxeur ne pourrait le mettre K.O en quatre rounds. Bien que ces revenus soient inconnus, tout porte à croire qu’ils sont élevés. Il a un « agent », M. Ware. Boxing», op. cit., et surtout WATSON, Robert Patrick, Memoirs of Robert Patrick Watson. A journalist’s experience of mixed society., Smith, Ainslie & Co., Strand, 1899. 113 CORBIN, A., Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d’un inconnu (1798-1876), Flammarion, Paris, 1998, p. 9. 114 Les informations présentées ici ont été sélectionnées. Le boxeur étant très célèbre, beaucoup de données le concernant ont pu être recueillies. 115 The Sporting Life 25 septembre 1886. 116 The Sporting Life, 14 janvier 1885. 117 BRAILSFORD, Dennis, Bareknuckles, op. cit. 34 Année 1885 Boxeur ou ex boxeur. Boxeur. Champion d’Angleterre, ancien champion du monde. Rôle dans la PBA Jack Knifton Boxeur. Ancien champion d’Angleterre. Bob Habbijam Ancien boxeur. Président le 18 février, 24 mars 1885. Démission le 27 octobre 1885, sans se retirer de l’association. Viceprésident en 1885. Élu au comité en 1885, 86, 87, 88. Ned Donnelly Professeur/in structeur de boxe. C. Ford Boxeur amateur Jem Mace Élu au comité en 1885, 86, 87, 88. Premières séances de 1885 sont présidées par Donnelly. Responsabilités Initiatives personnelles Propriétaire de salle Propriétaire d’une salle à Oxfordstreet où il organise des compétitions . Autres A l’origine de l’appel pour le théâtre (voir infra). Co-manager du tournoi de la PBA en 1887, MC en 1888. Décrit comme promoteur de The West school of arms le 7 janvier 1885 Il doit trouver une salle pour le tournoi de la PBA en 1885, est co-manager de celui de 1886 et MC en 1887. Dick Edwards Élu au comité en 1885, 86. Nommé « dirigeant » la même année. Viceprésident du 7 septembre 1886 à mars 1888. Président de mars 1888 à au moins mars 1889. Propositions : sur les dons, pour réglementer les billets pour les tournois de la PBA, sur la modification des règles (exemple : la limite d’âge) etc. Frank Grimm Président le 8 décembre 1885 (il occupe déjà ce poste officieusemen t depuis le 8 octobre) et est Propositions : sur la salle à trouver pour le tournoi de la PBA, sur la gestion des fonds de Dons : 5 £, 5 s en 1885, deux fois 1 £, 1 s en 1888. Propose avec T. Symonds d’avancer l’argent suffisant pour l’organisatio n du tournoi de la PBA en septembre 1887. Il donne 5 £ 5 s le meeting du 3 mars 1885. Il est l’un des quatre « garants » pour la 35 Dick Roberts Tom Symonds Célèbre boxeur. Final iste au championnat d’Angleterre de 1882. Ex boxeur Barney Shepherd Ben Clark William Hundreds Jem Goode senior Jem Goode junior Bill Goode Nous ne disposons d’aucun élément sur ce membre. Boxeur Ancien boxeur (vétérinaire ? ) Boxeur célèbre - Il affronte réélu le 8 mars 1886 et le 10 mars 1887 l’association . Il gère souvent les aspects financiers. Il est élu au comité en 1885, 86. Propositions sur gestion financière de la PBA. Viceprésident dès la création et réélu le 23 mars 1886 (et comme membre du comité). Il devient trésorier le 17 août 1886. Il est réélu en mars 1887, 1888 et 1889 Élu au comité en 1885 et 86. Il organise beaucoup de compétitions . Il défend de manière permanente les intérêts de la PBA. Élu en mars 1885, 86, 87, 88 et en 1889. location de The St Jame’s Hall pour le tournoi de 1885. Propriétaire du Blue Anchor à partir de 1886. Dons : 5 £, 5 s en 1885, en janvier 1888. Il s’engage à avancer les fonds en 1887. Promoteur du Glengall Gymnasium. Parfois, indiqué comme promoter du « South London Gymnasium » avec A. Fleming. MC lors du tournoi de 1886, 1887, 1888 et de 1889. Beaucoup de problèmes de santé et beaucoup de « benefits ». Décède en 1889. Élu au comité en 1885, 86 et 87. Élu au comité en 1885 et 86. Élu viceprésident en 1885, 86. Il - Il écrit un article très critique sur 36 Slavin pour 400 £ en 1889. Bob Puryer Boxeur connu. Dan M’Gannon démissionne 9 mars 1886. Réélu membre du comité le 7 septembre 1886. Élu au comité en 1885, 86. Élu au comité en 1885, 86, 87, 88 et 89. la PBA en 1889 et appelle à en créer une nouvelle. Jack M’Farlane ? Peut-être. (voir après). Élu secrétaire de la création de la PBA au moins jusqu’en mars 1889. Secrétaire du tournoi en 1887. Idem lors du « First annual contest » en octobre 1889. Jack Hicks Boxeur célèbre. Élu au comité en 1885, 86, 87. MC des tournois en 1886 et 1888. George Langham Nous ne disposons d’aucun élément sur ce membre Il fait deux dons de 5 s pour deux boxeurs. En 1886, il reçoit un don des autres membres de la PBA comme récompense de sa compétence de secrétaire. Personne de référence de l’association : adhésion, aide pour un tournoi etc. Il présente le bilan financier etc. Élu au comité en mars 1886, 1887 et 1888. Robert Abel Jack Massey Boxeur célèbre. Jem Smith Boxeur très célèbre. Champion d’Angleterre. Il affonte P. Jackson pour 1 000 £. William Richardson Non (marchand de vin et de spiritueux) Don de 5 £ 5 s en mars 1885. Il organise beaucoup de compétitions . Il est réélu au comité le 23 mars 1886 et en mars 1889 (il est donc absent pendant 2 ans). Membre du comité en 1886. Trésorier de 1885 à 1886. Propriétaire et superintendant de « The Horse and groom » J. Fleming est son « agent ». Acteur important de la boxe londonienne. Propriétaire du Blue Anchor, siège social de la PBA. Don= 5 £ 5 s en 1885. 37 Ayant présenté succinctement ces membres, leurs différents profils sociaux peuvent maintenant être exposés. Avant tout, 24 personnes ont été mentionnées : 23 membres du comité (dont 2 ont démissionné118) et le trésorier119. Sur ces vingt-quatre personnes, nous connaissons la profession (en 1885) de quinze d’entre eux. Sur ces 15 derniers membres, 9 sont des boxeurs (et donc 6 non boxeurs), 2 sont professeurs, 4 sont propriétaires de salle (dont 1 cumul avec son activité de boxeur) et 1 est promoteur. Il est à noter que parmi les 6 membres qui sont non boxeurs, 3 sont des anciens boxeurs. Par conséquent, au moins 50 % 120 des membres du comité directeur sont des boxeurs ou anciens boxeurs. De plus, il convient de mentionner que parmi ces 12 boxeurs ou ex-boxeurs : 3 sont ou ont été champions d’Angleterre (voir champion du monde pour l’un d’entre eux) et que 6 sont décrits comme des boxeurs « connus » ou « célèbres ». Par ailleurs, si 50 % des membres sont des boxeurs ou anciens boxeurs, une appréciation autre que chiffrée peut être donnée. Comme dit précédemment, nous connaissons les professions de 15 personnes sur 24 (soit 62,5 %). Néanmoins, pour les 9 personnes restantes, le fait même qu’aucun passé relatif à la boxe ne soit mentionné est un indice (bien sûr grossier) du fait qu’ils ne sont certainement pas boxeurs. Les renseignements sont tirés de la littérature grise (traitant donc de boxe) ou du Sporting Life (quotidien sportif très porté sur la boxe). Dans les deux cas, le moindre passé de boxeur est relaté. L’absence de donnée pugilistique laisse donc entendre que les 9 membres dont la profession est inconnue ne sont sûrement ni des boxeurs ni des anciens boxeurs, auquel cas leur passé sportif aurait été évoqué. En effet, il est surprenant que des membres aussi éminents que D. Edwards (vice-président puis président), F. Grimm (président) ou M’Farlane (secrétaire), dont les actions sont largement relatées, ne présentent à aucun moment (excepté pour M’Farlane121) une quelconque trace d’activité pugilistique. Parmi ces membres, il convient de mentionner qu’Edwards comme Grimm font des dons importants à l’association. Le dernier fournit 5 £ 5 s lors de la création de l’association alors que le premier offre la même somme à la même époque, puis deux fois 1 £ 1 s lors de l’année 1888 et propose enfin (avec Tom Symonds) d’avancer les fonds nécessaires pour organiser le 118 L’un d’eux, Clark a démissionné après cinq mois d’activité au comité et aucun élément n’a pu être trouvé pour reconstruire sa trajectoire. 119 Mais qui n’est pas pourtant pas membre du comité. 120 Selon la formule suivante : 9 (boxeurs en activité) + 3 (anciens boxeurs) = 12. Le nombre total de membre est de 24 donc 12 / 24= 50 %. 121 Voir plus haut dans la courte biographie. 38 tournoi de la PBA en septembre 1887. Ces éléments permettent de supputer qu’ils disposent de revenus suffisamment élevés pour pouvoir faire ces dons. Ainsi, au regard de ces informations, il est certain que la majorité des boxeurs présents sont des boxeurs capitalisés - économiquement, symboliquement (les titres) et socialement qui ont peu de choses à voir avec un « boxeur » moyen de l’époque. En témoigne le fait que Jem Smith et Jem Mace, respectivement champion d’Angleterre et du monde, ont chacun un « agent »122. Cette précision dénote objectivement le prestige et les revenus dont jouissent ces boxeurs à cette époque. Si l’on retient que le comité directeur de la PBA est composé pour moitié de boxeurs ou d’anciens boxeurs et dont la majorité est capitalisée, alors on s’éloigne nécessairement des constats d’E. P Thompson123 concernant la société de concours mutuel des tisserands par exemple. Effectivement, l’historien anglais montre que celle-ci n’est composée que de tisserands124. De plus, il affirme que les membres de ces sociétés n’ont que peu de ressources, notamment économiques. Ici, le comité directeur de la PBA est composé de 12 boxeurs ou anciens boxeurs parmi lesquels on compte 3 « champions » (d’Angleterre ou du monde) et 5 qui sont présentés comme « connus », 1 est devenu propriétaire de salle, 1 cumule son activité pugilistique avec la direction d’une salle. Ainsi, parmi les 12 boxeurs ou ex-boxeurs, 9 sont soit « champions » ou « célèbres » ou « propriétaires ». Bien que les revenus de ces individus sont inconnus, on peut légitimement penser que ces membres disposent de ressources économiques relativement élevées, bien que diversifiés en leur sein125. Le parallèle établit avec Thompson est alors rompu puisqu’aucun des individus décrits par l’auteur ne perçoit de telles sommes126. De plus, il est indéniable que le fait même d’être « champion » ou « propriétaire d’une salle» constitue un capital symbolique élevé, dont Thompson ne rend aucune trace à propos des tisserands ou des drapiers par exemple127. 122 Une étude détaillée –particulièrement inédit- serait ici nécessaire mais nous n’avons malheureusement pas eu le temps de la mener. 123 THOMPSON, Edward, Palmer, La formation de la classe ouvrière anglaise, op. cit. 124 Cette différence est évidemment due aux particularités de deux secteurs d’activité : d’une part, les tisserands et les drapiers qui sont précisément délimités, et d’autre part, la boxe qui est en pleine structuration. 125 Les écarts extrêmes peuvent être incarnés par les différences entre R. Puryer et Jack Hicks. Le premier fait ainsi un match à pour une bourse de 1 000 £ le 26 septembre 1889 alors que R. Puryer est présenté comme un « boxeur connu » dont les gains pugilistiques sont inconnus, ce qui constitue un indicateur de leur relative « bassesse ». Cette diversité reste d’actualité dans le milieu sportif (FLEURIEL, Sébastien et SCHOTTÉ, Manuel, Sportifs en danger, op. cit.) et artistique (MENGER, Pierre-Michel., Portrait de l’artiste en travailleur. Métamorphoses du capitalisme, Seuil, Paris, 2002). 126 Ici, il conviendrait de réaliser un parallèle avec d’autres « institutions » sportives de la même époque, que ce soit le syndicat des joueurs professionnels de football ou tout simplement le comité directeur de la fédération, malheureusement notre connaissance limitée de la littérature anglophone sur ces sujets ne nous a pas permis de dresser ce parallèle. Il conviendra nécessairement d’être réalisé dans une étude ultérieure. 127 Même si nous ne nions pas l’existence d’une « hiérarchie » chez les tisserands. 39 Ensuite, sur les 9 personnes dont il est « sûr » qu’elles ne sont pas boxeurs ou anciens boxeurs, nous connaissons la profession de deux d’entre elles. L’une est propriétaire de salle et l’autre est à la fois propriétaire et promoteur (de 2 salles différentes). Le premier (Richardson) est un ancien vendeur de vin et spiritueux devenu propriétaire du Blue Anchor, salle de boxe pouvant accueillir 400 personnes, située à Shoreditch (quartier socialement favorisé qui est aussi « le lieu d’origine du théâtre »128 à londonien) et dont la presse sportive fait régulièrement écho. Le second (Shepherd) est promoteur du « Glengall Gymnasium » où la bourse la plus élevée mise en jeu est de 255 £129, ce qui garantit un certain succès de la salle. De plus, Shepherd deviendra le propriétaire (avec Albert Fleming, le fils de J. Fleming célèbre promoteur du Pelican Club130) du « South London Gymnasium », établissement créé en 1889 et dont les sommes offertes en boxe atteignent au maximum 200 £ pour l’année 1889, ce qui -encore une fois- est presque un indicateur du succès de la salle. Regroupant ces informations partielles, il apparaît légitime de penser que ces deux individus sont dotés de capitaux économiques élevés. Par conséquent, en regroupant toutes les données présentées, de toute évidence, parmi les 24 membres mentionnés, 14 ont des revenus largement supérieurs à un boxeur « moyen » (ou modal). En effet, 10 sont soit des boxeurs « champions » ou « célèbres » soit des (ex)boxeurs/propriétaires ; 2 font des dons suffisamment élevés pour soupçonner des capitaux économiques élevés ; et 2 occupent des professions (propriétaire du Blue Anchor et propriétaire/ promoteur) dont nos informations laissent à penser qu’elles rapportent un revenu élevé. Les dirigeants de la PBA (à travers le comité directeur) sont donc des individus fortement capitalisés n’ayant peu de choses à voir avec les boxeurs moyens. Il permet en revanche d’expliquer pourquoi la PBA (au-delà de ses « nombreux » membres) dispose d’une telle légitimité et d’une telle visibilité dans l’espace pugilistique de l’époque, et que sa manière de « concevoir » la boxe est largement diffusable au regard des membres qui la dirigent. La structuration de l’espace pugilistique « imposée » par la PBA ne se fait donc pas tant par le nombre que par l’intermédiaire du pouvoir symbolique et économique dont disposent ses membres dirigeants. Les ressources de ces membres expliquent également pourquoi la PBA dispose, elle-même, d’un pouvoir symbolique élevée. Le relatif « faible » nombre d’actions qu’elle mène (voir infra) est compensée par les pouvoirs de ses membres, 128 PORTER, Roy, London: A Social History., Penguin Books, London, 1994, p. 293. SHIPLEY, Stan, « Tom Causer of Bermondsey: A Boxer Hero of the 1890s », op. cit. 130 Sur cet établissement, voir le témoignage de l’époque de F. Bettinson (op. cit.) et d’un point de vue historique, l’étude détaillée de DEGHY, Guy, Noble and manly. The history of the national sporting club, Hutchinson, 1956. 129 40 comme par exemple T. Symonds- vice-président puis trésorier de l’association- qui organise une compétition tous les mercredis et samedis de l’année au Blue Anchor (siège social de la PBA) sans que le label de l’institution n’apparaisse formellement. Enfin, bien que toutes les trajectoires des membres du comité directeur n’aient pas été retracées, les conclusions tirées pour les trajectoires précédentes restent en partie valable pour la période. En effet, entre 1885 et 1889, 33,75 % des membres du comité directeur sont élus pour la première fois. A ce pourcentage, il faut en plus retirer les plus hauts responsables (président, vice-président, trésorier et secrétaire) puisque, excepté pour le cas du viceprésident, les autres fonctions sont occupées par les mêmes personnes entre 1885 et 1889 sans que celles-ci soient élues dans le comité. Pour la vice-présidence, Grimm occupe ce poste entre 1885 et 1887 (alors qu’il est au comité en 1885 et 1886), Green en 1888 alors qu’il n’est pas au comité et Oliver est élu en 1889 en complément à son élection au comité. Le turn-over des « dirigeants » est donc relativement faible : plus de deux tiers des membres restent au comité l’année suivante. Les affirmations avancées à partir du cas 1885 restent donc (dans l’ensemble) valables pour la période (jusque 1889). Elles contribuent donc à penser que la visibilité, la légitimité et la reconnaissance de l’association devient plus importante étant donné qu’elle se poursuit avec les années. La structuration de la boxe telle que les membres de la PBA la pense (et la « souhaite »), c’est-à-dire une boxe plus « professionnelle » (au sens où les boxeurs s’affrontent pour de l’argent), plus corporatiste et plus spectaculaire en organisant des événements de grande ampleur est rendue plus probable par la pérennité de l’association entre 1885 et 1889. 3) Une mission d’assistance pour les boxeurs dans le besoin La deuxième caractéristique contribuant à asseoir la légitimité et la visibilité de la PBA réside dans l’aide qu’elle apporte aux boxeurs dans le besoin. En se faisant la première structure d’assistance des boxeurs, la PBA s’offre la garantie d’avoir, en retour, leur reconnaissance. Comme souligné précédemment, l’aide aux boxeurs est la première règle de l’association. Les aides apportés par la PBA aux boxeurs de l’époque ont été répertoriées sous formes de tableau. Elles peuvent prendre différentes formes : dons bruts (remettre une certaine somme à un boxeur ou sa famille), organiser un « benefit » (un événement pugilistique ou « de spectacle » qui peuvent être « compétitifs » dont les recettes seront reversées à un boxeur), organiser une « exhibition » (c’est à dire une démonstration de boxe sans enjeu où les 41 bénéfices seront reversés au boxeur), prendre en charge les obsèques ou la pierre tombale d’un boxeur décédé (ou d’un proche). 1885 7 1886 3 1887 15 1888 7 1889 9 Total 41 5 2 13 6 7 29131 2 (montant inconnu) 2 (dont une de 2 £) 5 (valeur totale= 21 £ 2 s). Benefit 2 1 13 (valeur totale= 42 £). 1 7 aides (valeur totale= 37 £). 0 29 (valeur totale= 102 £ 2 s). 6 Exhibitions Obsèques Pierre tombale Refus (et motif) 1 1 1 0 0 0 0 1 0 0 0 0 1 2 1 1 (car non membre) 1 (non membre) 0 Nombre total d’actions Nombre de boxeurs concernés Dons (+ valeurs) 2 (dont un pourra être accompagné d’une aide de 5 £ en cas d’échec) 0 0 0 3 (deux ne sont pas 0 membres, un a déjà été aidé). 5 (dont 4 parce que non membres). Ainsi, au regard de ce tableau, quarante et une action ont été réalisées pour aider des boxeurs entre 1885 et 1889. Ces actions concernent vingt-neuf boxeurs différents. Parmi ces aides, les dons constituent le moyen d’action le plus usité : 31 dons ont été réalisés, pour une somme totale de 102 £ 2 s. Le comité directeur de la PBA traite donc de nombreux problèmes et dépense des sommes importantes pour venir en aide aux boxeurs. Ces actions participent à rendre la PBA visible et légitime au sein de l’espace pugilistique, et plus particulièrement aux yeux des boxeurs qui la voient comme une structure d’assistance. Néanmoins, d’un autre côté, ces aides peuvent être considérées comme « occasionnelles » si elles sont rapportées à la situation de monopole (comme institution en charge de la boxe professionnelle) dont bénéficie la PBA et au développement de ce secteur d’activité. Dans cette étude, nous postulons que le nombre d’actions menées par l’association compte finalement assez peu. En effet, au-delà des dons (et autres), le fait même que les membres 131 Ce chiffre ne correspond pas au total des cinq années car certains boxeurs sont aidés à deux années de décalage. 42 dirigeants de la PBA comptent parmi les organisateurs de boxe les plus importants (W. Richardson, T. Symonds, J. Fleming, B. Shepherd, J. Massey etc.) assurent une certaine notoriété à l’institution. Qu’elles soient faites directement par la PBA ou non, les actions sont d’abord menées par des hommes influents qui détiennent une part importante de l’offre de spectacle pugilistique londonien à cette époque. Le nombre d’actions menées par la PBA importe donc moins que le prestige dont jouissent les membres dirigeants de l’association. Cette dernière dispose d’un pouvoir symbolique effectivement élevé sans avoir besoin d’organiser de multiples actions directement parrainées par l’association. La légitimité de l’association provient donc pour partie de la prise en charge de boxeurs incapables d’exercer leur profession et pour partie du pouvoir symbolique dont disposent les dirigeants de la PBA qui sont également les plus éminents organisateurs de spectacle pugilistique. Néanmoins, dans tous les cas, il est évident que les sommes accordées aux boxeurs sont tributaires de l’état des fonds de l’association. En témoigne la déclaration du président (Edwards) le 6 septembre 1887 où ce dernier affirme qu’« à l’avenir, aucune demande ne sera considérée pour le compte des non-membres sauf s’il y a beaucoup d’argent dans les fonds de l’association ». Pis, il propose même le 4 octobre 1887 que « les noms [des présents] soient pris à chaque réunion et que ceux qui assistent le plus souvent devraient recevoir la plus grande considération ». De même, une série de mesures sont prises pour limiter les dons à certains cas : exiger un certificat médical du médecin comme preuve en cas de blessure (11 juillet 1889), un certificat de décès (8 janvier 1889), réserver les aides financières au cas de blessure ou décès et non en cas de maladie (7 août 1888) etc. Ces mesures soulignent implicitement le quatrième garant de la légitimité et visibilité de la PBA : l’autonomie financière. 4) Une PBA autonome financièrement. Au-delà de l’organisation fonctionnelle de l’institution, celle-ci nécessite évidemment une prise en charge financière. N’étant, a priori, soutenue par aucun organisme ou pouvoir public, la PBA va devoir vivre des cotisations et des dons de ses membres. Ces derniers sont régulièrement rapportés par The Sporting Life. Ils ont été regroupés selon un ordre chronologique au sein des deux tableaux suivants. Le premier est détaillé et rapporte les dépenses et recettes de l’association alors que le second résume l’état des fonds au début du mois de mars (lors de l’élection des membres) et en décembre pour la fin d’année: 43 Les fonds de l’association Les chiffres mis en gras (si l’on excepte les années) renvoient au bilan financier au cours du mois de mars de l’année (assemblée générale où ont lieu les élections et l’état des comptes) et en fin d’année quand celui-ci est connu ou peut être calculé. 1885 31 mars : 20 £, 1 s. 8 avril= 25 £, 1 s. 14 avril= Décision de placer les fonds en surplus (soit au-delà de 25 £) à la banque sur un compte de dépôt dont 3 personnes (nommées par le comité) auront accès. 27 octobre132= 52 £ 10 s. Sur cette somme : 25 £ sont conservés (cas d’urgence et dépenses actuelles) et le reste est placé à la banque. Donc solde 52 £ 10 s. 1886 Après le tournoi (fin octobre mais chiffre issu d’une période ultérieure)= 142 £ et 64 £ de dépenses donc 78 £ 9 mars 1886 : « Recettes= 88£ 13s, 8d et les dépenses totales= 21 £ 9 s, 10 d. Solde= 67 £ 3 s, 10 d (+8£ 8s dues mais non payées). 4 mai= Plus de 50 £ en main. Donc solde= supérieur à 50 £133 1887 4 janvier : Incluant les sommes dues à la PBA (mais pas encore remises) : 150 £ - 160 £. 8 février : Il est décidé "que les fonds de l’association supérieurs aux 25 £, consacrées aux dépenses actuelles, soient situés dans les mains du trésorier, à condition qu'il accorde 5 pour cent d'intérêt ». 10 mars : 61 £ 15 s, 9 d et 99 £ 4 s, 8 d prêté à 5 % donc un solde de 161 £ 5 d « pour l’année passée ». 132 Cette période (fin octobre) correspond, pour chaque année, à la réunion suivant le tournoi, l’état des comptes est alors fait. En 1885, le tournoi rapporte 57 £ 16 s et 8 d à la PBA. 133 Rappelons-le encore, le salaire moyen annuel en Angleterre est alors de 40 £ (ROBERT, Jean-Louis, Le XIXe siècle, op. cit). 44 6 septembre : Le trésorier dispose de 20 £ et quelques shillings en main. 1 novembre: Recettes tournoi= 67 £ et dépense environs 64 £. 10 novembre : Il est admis qu’ « une somme de 10 pour cent soit déduit des recettes bruts pour former un fonds de réserve, qui ne devra pas être utilisé sans le consentement de 90 % des membres à une assemblée générale spéciale appelée à ce but. De plus, il est admis qu’« une boîte pour les contributions volontaires sera placée devant le président à chaque réunion et dont les revenus seront comptés à la fin". Donc le solde est inconnu mais semble très faible, ayant subi une forte baisse en quelques mois. 1888 7 mars : "Les membres sont informés qu’à l'avenir les abonnements s’élèveront à 7 s par an, à payer chaque mois. (…) Les nouveaux membres devront payer 2 s, 6 d de droit d'entrée. (Advt). 10 mars : L’an passé (entre le 10 mars 1887 et le 10 mars 1888), un inhabituel recours aux fonds de l'association a été réalisé en raison de nombreux morts et sérieux accidents. Les recettes s’élèvent à 153 £ 15 s 4 d et les dépenses à 145 £ 3 s, 2 d. 1 £ avait été placé dans les fonds de réserve de l’association. Le solde est donc de 7 £ 12 s 2 d. 8 mai : Il est décidé qu’« un abonnement de 5 £ 5 s, ou sept dons séparés d’au moins 1 £ 1 s, doit à l'avenir constituer un membre à vie ». A cette date, lorsque le président consulte le montant de la caisse à subvention, il affirme « si cela continue comme cela la PBA fera faillite ». Le solde est inconnu mais est présenté comme faible. 1889 6 février: L’année passée, les dons ont été de 40 £ et aujourd’hui la PBA dispose d’un « bon équilibre en main ». 11 février : Les dépenses s’élèvent à 228 £ 1d alors que les recettes sont de 267 £ 1 s. 1, 5 d. Il y a donc un solde de 39 £ 1 s 0,5 d. Les dépenses des deux divertissements annuels sont de 111£ 1s 9d et les recettes de 123£ 9s et 11,5d. Le solde s’élève alors à 12 £ 10 s, 2,5 d. L’an passé, les dons échelonnaient entre un souverain et cinq guineas pour un total de 45 presque 100£. Le solde est ainsi de 39 £ 1s 0, 5 d. 6 mars : Les recettes de l'année sont les suivantes : 121£ 17s 11,5d, les dépenses de 83 £ (illisible) 11d. Le solde est donc de 26 £ 1 s 0,5 d, montrant ainsi un excédent total de 30 £ 1 s 0,5 d (en incluant les fonds de réserve). Donc solde= 26 £ 1 s et 0,5 d. Tableau récapitulatif Années Bilan financier en mars Bilan financier en décembre 1885 20 £ 1s 1886 67 £ 3 s 10 d 1887 161 £ 5 d 1888 7 £ 12 s 2 d 52 £ 10s Plus de 50 £ Inconnu Inconnu 1889 26 £ 1 s 0,5 d. Inconnu. Entre mars 1885 et mars 1889, la PBA a donc successivement présenté un solde de 20 £ 1 s (1885) ; 67 £ 3 s et 10 d (1886) ; 161 £ 5 d (1887) ; 7 £ 12 s 12 d (1888) ; 26 £ 1 s et 0,5 d (1889). Les variations de soldes sont flagrantes. La chute budgétaire qui s’est opérée entre 1887 et 1888 peut difficilement être expliquée. Elle relèverait a priori de trois raisons : le nombre de boxeurs à aider134, le faible succès du tournoi de la PBA et un « détournement de fonds » (mentionné mais non expliqué par The Sporting Life du 6 septembre 1887 : « La faiblesse de la balance est due à un sérieux détournement de fonds (« defalcation ») comme tous les membres le savent, et qu’ils ont tous regretté ». Quoi qu’il en soit, sur la période qui s’étale de 1885 à 1889, la PBA dispose le plus souvent de fonds suffisants pour pouvoir réaliser des actions et soutenir financièrement des membres. L’autonomie financière dont elle fait preuve est donc un garant de sa légitimité et de sa capacité à s’imposer dans l’espace pugilistique londonien. 5) Le relais médiatique de la PBA Enfin, la dernière cause de légitimation de la PBA réside dans son « contrôle » du quotidien The Sporting Life. Sur ce sujet, nous nous permettons de renvoyer au propos précédent qui présentait les liens de la PBA et du Sporting Life. Comme cela a été évoqué, ce quotidien est la voie et la voix de diffusion de la PBA à tous les niveaux. 134 La nouvelle règle du 4 décembre 1888, qui limite l’âge d’adhésion à l’association, peut donc être vue comme une réaction à ces nombreuses aides apportées. En vérifiant la santé de ces membres lors de leur entrée à la PBA, l’institution « protège » ses fonds en limitant les « risques » de venir en aide à un boxeur. 46 C’est donc à l’appui de cette visibilité/légitimité que la PBA va pouvoir mener ses actions. Celles-ci sont également variées et contribuent à instaurer un contrôle de la PBA au sein de l’espace pugilistique. e) Les actions de la PBA pour structurer l’espace pugilistique. Comme mentionné précédemment, avant 1885, il semble que l’espace de la boxe se caractérise par son caractère peu unifié. La PBA est l’un des déterminants de l’organisation de l’espace, notamment à travers les actions qu’elle met en œuvre. L’étude des données a permis de distinguer trois types d’actions menées par l’association. Chaque action est votée par les membres lors des réunions, afin de décider si l’on accorde ou non le « label » PBA. D’abord, l’institution peut « organiser des événements », notamment en créant des tournois afin de « réapprovisionner ses fonds ». Ceux-ci ont lieu en octobre chaque année et se déroulent dans des établissements prestigieux et à forte capacité : The St Jame’s Hall notamment. Bien que ces événements ne soient pas toujours rentables 135, ils contribuent à donner une visibilité à l’association. Le tournoi est fortement relayé par la presse et de nombreuses personnalités sont présentes. Lors de l’année, 1889, le « tournoi » est abandonné et on lui préfère un « concours annuel » auquel s’ajoutent un « smoking concert » et un « banquet annuel » (qui existait déjà en 1888). Le « concours annuel » se différencie des précédents tournois par le fait qu’il est réservé aux membres de la « PBA ». Tout se passe donc comme si l’« échec » financier de l’année 1888 amène la PBA à changer de formule pour privilégier ses membres et encourager des boxeurs à adhérer à l’association (et donc pouvoir assister au tournoi). Cet événement a toutefois une moindre importance que les tournois antérieurs, ne serait-ce qu’en termes d’échos médiatiques : l’article de The Sporting Life est ainsi nettement plus petit (une dizaine de lignes) que les articles consacrés aux tournois (environ une ou deux colonnes). En ce qui concerne le « smoking concert » et le « banquet annuel », il s’agit d’événements totalement nouveaux. Le « smoking concert » mériterait à lui seul une étude à part entière. Il s’agit d’un divertissement, une sorte de « show » (au sens actuel du terme), organisé autour de chansons, de danses, de numéros dits « exceptionnels », de billards etc. La boxe semble absente, mais les boxeurs sont particulièrement surreprésentés dans les « smoking concert ». C’est ainsi qu’en 1886, (plus particulièrement le 20, 22 et 29 décembre), trois « smokings concerts » ont lieu et parmi 135 Le tournoi est par exemple très rentable en 1887 (avec 142 £ de recettes pour 64 £ de dépenses) mais ne l’est pas du tout l’année suivante en 1888 (environ 67 £ de recettes et environ 62 £ de dépenses). 47 lesquels on retrouve « Ben Hyams, Harry Laburnum, Charley White (senior and junior), Jem Smith (champion of England), J. Davis, Joe Goode, George Hall, W. Grant (8st amateur champion), J. Ellis (ex amateur champion) » (20 décembre 1886), « Jack Baldock, D. M’Gannon » (22 décembre 1886). De plus, lors de ces trois événements, Jem Smith [champion d’Angleterre déjà évoqué] fait office de « vice-président » de séance. Il semble donc jouer un rôle majeur dans ces divertissements. Enfin, il est également remarquable que, le 20 décembre, seuls des boxeurs sont présents parmi les sportifs - ou du moins les sportifs mentionnés ne sont que des boxeurs - alors que cette soirée n’est pas indiquée comme étant réservée à la boxe. De même, le 22 décembre à The Market House, les boxeurs sont surreprésentés parmi les « sportsmen et gentlemen » nommés. Par ailleurs, lorsque les membres cités ne sont pas présentés comme boxeurs, ils sont au moins des « organisateurs de matches » ou des « sympathisants », c’est-àdire qu’ils assistent aux matche de boxe, font des dons à la PBA ou appartiennent à cette institution. C’est le cas par exemple de Richard (dit « Dick ») Edwards (présent le 22 décembre) qui est le vice-président, de Tom Symonds (qui est trésorier), de Ben Hyams qui a fait un don de 31 £ et devient « gouverneur à vie » de la PBA etc. Tout se passe donc comme si les « smoking concerts » étaient d’abord suivis par des boxeurs. Cette « piste » d’analyse mériterait une étude plus lourde empiriquement néanmoins, de prime abord, il semble qu’elle traduit une fois de plus la proximité particulière de la boxe avec le monde du spectacle traditionnel. Le deuxième type d’action menée par la PBA consiste à parrainer différents événements pugilistiques. Ce soutien peut-être « formel » à certains moments, en ne consistant qu’à mentionner (a priori) dans des annonces publicitaires le fait que la PBA parraine le combat ou le tournoi. Il peut également être « réel » en prenant en charge le coût de l’organisation, c’est le cas pour le benefit de Gregg le 3 mai 1887. Au total, la PBA soutient ou parraine treize événements entre 1885 et 1889. Le troisième type d’action de la PBA prend la forme de la nomination de juges. En effet, un promoteur souhaitant organiser une compétition peut s’adresser à la PBA pour que celle-ci lui fournisse des juges. Au total, la PBA fournit des juges à dix reprises entre 1885 et 1889. Le total de ces actions est résumé dans le tableau suivant : 48 Parrainage(s) Soutien(s) Nomination de juge(s) Tournoi de la PBA Témoignage(s)/benefit(s)/ cooperation Nombres d’actions de la PBA entre 1885 et 1889 1885 1886 1887 1 1 3 dont 1 avec prise en charge du coût de l’organisation (Gregg). 2 1 3 3 3 1 1 1 1 (témoignage pour M’Farlane). Banquet annuel Concours annuel de la PBA Smoking concert 1888 5 1889 1 1 - 1 « benefit » annulé pour les victimes de l’incendie. - 1 coopération des boxeurs le jour de fermeture de Green 1 1 1 1 f) Des règles internes qui s’externalisent Les actions engagées au nom de la PBA ne sont pas ses seuls moyens d’interventions. En effet, la PBA dispose de règles internes fixées, initialement à partir de mars 1885, puis modifiées ou complétées jusqu’en 1889. Ces règles internes s’appliquent toutefois (en théorie) à toutes les compétitions de boxe de l’époque. En s’externalisant, ces règles codifient l’espace pugilistique et rendent la boxe plus proche de celle qui existe à l’heure actuelle. Le 14 avril 1885, la PBA connaît une avancée importante dans son institutionnalisation : un corpus de règles est adopté. Chaque règle devra être respectée par tous les membres. Un livre qui les regroupe sera même édité et délivré à chaque membre lors de l’inscription. Ces règles seront parfois modifiées jusqu’en 1889, néanmoins l’immense majorité d’entre elles restent intactes. L’ensemble des règles en vigueur en 1889 (et non en 1885) est ici présenté. Les passages modifiés sont indiqués en note. D’une manière générale, il est indéniable que les modifications visent à apporter des nuances aux règles et à laisser de la liberté au comité pour différencier au cas par cas. 49 Règles de la PBA 1. L'association sera appelée "l'Association de Boxe Professionnelle" et ses objectifs seront de protéger les intérêts des boxeurs professionnels et d’aider ceux appartenant à l'association selon les circonstances jugées par le comité136., qui peuvent, par accident, être privés de leur gagne-pain. 2. Il y aura un comité constitué de vingt-deux personnes, incluant le président, le viceprésident, le secrétaire et le trésorier, tous offriront leurs services gratuitement. 3. L'association devra être soutenue par les bénéfices tirés des compétitions, des « assauts at arms »137 et des contributions volontaires, de telle sorte que le comité puisse décider. 4. Le comité mentionné aura les pleins pouvoirs de diriger l'association et de traiter ses affaires, il sera également autorisé à faire une assemblée générale des membres si les affaires l’exigent. 5. Le comité se réunira le premier dimanche du mois, mais aucune affaire ne sera traitée à moins que sept de ses membres ne soient présents, et, si nécessaire, trois ou quatre assemblées générales chaque année auront lieu, au cours de chacune d’elle, le rapport du secrétaire devra être lu. 6. Que le secrétaire informe, par écrit dans The Sporting Life, de telles réunions à tous les membres. 7. Le président, le vice-président, le comité, le secrétaire et le trésorier sont élus chaque année. 8. Un boxeur professionnel voulant devenir un membre, doit être proposé et secondé par les membres de l'association, puis élu lors du prochain meeting mensuel138. 9. Chaque membre devra recevoir le livre des règles de l'association en indiquant son nom et adresse au secrétaire contre le paiement de 1s, qui l'inscrira dûment comme membre. Modifié de manière suivante (le 6 juin 1888): 9 (bis). Chaque membre doit payer un droit d'entrée de 2s. 6d, pour lequel il lui sera fourni un livre de règles une fois élu et payera ensuite la somme de 6s par an, qui pourra être payée dans des versements mensuels. N'importe quel membre ayant trois mois de retard sera expulsé. 136 Dernière partie de la phrase ajoutée le 6 juin 1888. Forme de pratique pugilistique à première vue « moins compétitive » que les matches, compétitions. 138 Ajoutée le 5 mai 1885. 137 50 10. Que les livres, les comptes et tous les papiers concernant l'association devront être ouverts à l'inspection de n'importe quel membre sur approbation du comité en donnant l’avis au secrétaire sous sept jours139 clairs. 11. Que le trésorier paye toutes les demandes signées par le président et le secrétaire, mais en aucun cas en l’absence de leurs deux signatures. 12. Que dans le cas de la démission ou du décès d’un dirigeant ou d’un membre du comité, le comité organisera une réunion générale aussitôt que possible pour élire un autre en remplacement. 13. Que toutes les assemblées générales auront lieu chez M. W. Richardson, The Blue Anchor, qui devra être considérée comme le siège social de l'Association. 14. Que les membres honoraires seront admis à l'association pour le prix d’un guinea par an, ou à vie contre 5 guineas, ou contre 7 guineas donnés séparément140 sur approbation du comité. 15. Que tout avis sera donné à tous les membres du comité par le secrétaire et pour toutes les réunions, quiconque ne se soumettrait pas à l'avis donné sans fournir une excuse valable, sera condamné à une amende 1s; ou que n’importe quel membre du comité absent à trois réunions consécutives sera appelé à démissionner. 16. Que toutes les compétitions promues par l'association seront organisées selon ses lois; les juges, chronométreurs, etc. seront nommés par le comité. 17. Que n'importe quel membre ayant une conduite déplacée et allant au détriment de l'association, devra expliquer sa conduite devant le comité, et si cette explication s’avère insuffisante il sera expulsé de l'association. 18. Que dans le cas où un quelconque changement de règle devrait être nécessaire, il devra être porté devant le comité, dont la décision sera conclusive. 19. Qu’aucun boxeur âgé de plus de quarante-cinq ans ne pourra devenir membre de l'association et que chaque candidat doit être dans un assez bon état de santé lorsqu’il est proposé, ou il sera à l'avis du comité de décider s'il est rejeté141. 20. Que tout membre se conduisant mal et faisant quelque chose de nuisible à l'Association, devra expliquer sa conduite devant le comité et sera expulsé de l’Association, si ce n’est pas expliqué de manière satisfaisante. 139 Passé de 2 à 7 le 4 juillet 1888. Ajout le 4 juillet 1888. 141 Ajoutée le 4 décembre 1888. 140 51 La lecture de ces règles permet donc de mieux rendre compte de l’organisation de la PBA. Cette dernière adopte une position précise dans son fonctionnement et puni tout membre qui ne s’y conformerait pas (voir encadré). Les « sanctions » de la PBA : Entre 1885 et 1889, The Sporting Life a évoqué des cas de sanctions envers des membres dont la conduite était jugée inadéquate avec les règles de l’association. Ces sanctions sont rares, puisque qu’elles sont au nombre de six. Plus précisément, il s’agit de : - trois demandes de démission auprès des membres du comité qui ont été absents à trois reprises sans motif (7 juillet 1885). - l’exclusion d’un membre qui n’a pas assisté à plusieurs réunions et qui n’a pas répondu à plusieurs communications officielles de la PBA (11 août 1885). - l’exclusion d’un membre accusé d’avoir envoyé une lettre d’insulte à un organisateur de boxe. Lors de la réunion suivante, l’accusé s’est exprimé et a contesté avoir écrit la lettre. Finalement, il a été réhabilité (9 et 23 novembre 1886). - un rappel à l’ordre, incluant une menace dissimulée d’exclusion, pour un membre qui n’a pas payé sa cotisation (8 juin 1887). Ce système de sanction contribue évidemment à imposer les règles de la PBA comme étant indispensables à son bon fonctionnement. Bien que les sanctions soient rares, elles existent et dissuadent tout membre de ne pas respecter les règles. En veillant à cela, la PBA accentue son pouvoir sur la boxe professionnelle. Par ailleurs, ces sanctions rappellent les « amendes » décrites par Thompson dans les sociétés de secours mutuel. « La société des verriers (fondée dès 1755) infligeait des amendes pour absence aux réunions ou pour avoir refusé de prendre son tour dans la liste des administrateurs, pour ne pas s’être tu quand l’ordre en avait été donné»142 etc. Dans le cas de la PBA, les sanctions ou « amendes » pour parler comme l’historien anglais ne semblent pas 142 THOMPSON, Edward Palmer, La formation de la classe ouvrière anglaise, op. cit. , p. 378. 52 concerner des attitudes « morales » (ivresse, débauchage etc.) contrairement aux sociétés de secours mutuel. Si les amendes sont rares dans la PBA, la menace de la sanction est, elle, plus utilisée et rappelée régulièrement en mentionnant le règlement. Pour Thompson, ces amendes s’inscrivent dans « la discipline nécessaire à la sauvegarde des fonds, à la bonne tenue des réunions et au règlement des cas litigieux », une discipline qui « exige un effort sur soi aussi important que les nouvelles disciplines de travail »143. Ces propos peuvent être appliqués à la PBA qui attend une assiduité exemplaire aux réunions et la participation à des événements pugilistiques en soutien à un « frère boxeur » (comme le disent eux-mêmes les membres) ou à l’association. Tout membre ayant un comportement qui ne traduit pas un soutien indéfectible à l’association est alors soupçonné voire rappelé à l’ordre. Ce fonctionnement par règles et par sanction (ou menace de sanction) s’inscrit pleinement dans la préservation de la longévité de la PBA en montrant son action dans le monde pugilistique. L’adoption de règles précises à respecter lui permet également de préserver sa légitimité en se posant comme institution fonctionnelle et structurée et donc comme la seule entité existante dans la boxe professionnelle. De ce fait, le corpus de règle ne dispose pas d’une seule utilisé propre à la PBA, il contribue à façonner l’espace pugilistique selon le point de vue adoptée par l’association. En effet étant donné le pouvoir dont dispose cette institution, le règlement interne structure le monde de la boxe professionnelle. Il s’agit donc bien de règles qui s’externalisent en dehors de l’institution pour toucher la boxe professionnelle londonienne dans son ensemble. Par ailleurs, ces règles de la PBA offre également un rapprochement tangible avec la sociologie des professions. Dans ce sous-domaine, et par exemple dans les travaux de Goode144, l’adoption d’un noyau de règles à respecter est considérée comme une preuve de la professionnalisation d’un groupe. Ce critère n’est pas le seul fourni par l’auteur mais, plusieurs d’entre eux sont discernables pour le cas de la boxe londonienne des années 1890. En effet, les boxeurs sont liés par un sentiment d’identité, peu de membres quittent la profession et cette dernière leur donne donc un statut à vie, ses membres partagent des valeurs communes145 [et] un langage commun, imparfaitement compris par les non-membres etc. 143 Ibid, p 378. Goode, cité par CHAMPY, Florent, La sociologie des professions, op. cit. 145 Initiées en partie par la PBA et son règlement. 144 53 La présentation de ces règles serve donc moins à connaître le fonctionnement interne de la PBA, qu’un indice de la structuration du groupe social formé par les boxeurs et de leur façonnement de l’espace pugilistique dans son ensemble. 54 Partie 2 : Le professionnalisme pugilistique par la boxe spectacle en 1889 Il était trop lourd empiriquement d’étudier le processus de développement de l’espace pugilistique pour chaque année entre 1885 et 1889. Le choix de se focaliser sur une année, celle de 1889146, était en revanche possible. En concentrant l’analyse sur une année, la vue d’ensemble de l’espace pugilistique était plus nette puisque plusieurs dimensions très différentes pouvaient être observées : les « salles », les enjeux des combats, les spectateurs etc. De plus, le projet engagé est de comprendre l’espace pugilistique dans son ensemble ; son état général en 1889 en fait donc partie. En étudiant en détails l’année 1889, les tendances qui ont engagées depuis 1885 (année de création de la PBA) deviennent observables. Se centrer sur cette seule année permet donc de concilier une réalité empirique et la cohérence du projet global. Néanmoins, bien que l’année 1889 serve de base, quelques incursions dans des années postérieures seront engagées au cours du texte. Moins que de suivre précisément une année, il s’agit plus largement de clarifier l’espace pugilistique à une période donnée (la fin du XIXe siècle). Certaines archives plus récentes (1892 ou 1893 par exemple) sont donc mobilisées afin d’enrichir la réflexion. Toutefois, la base principale de l’argumentaire repose sur la seule année 1889. Une démarche plus « micro » encore aurait pu être adoptée, et permettre d’être plus précis, en se focalisant sur l’étude d’une salle en particulier par exemple. Mais le choix de plusieurs critères a été préféré, afin de disposer d’une photographie globale de l’espace pugilistique. Cette démarche [tout comme une focale plus « micro »] « ne jouit, à cet égard, d’aucun privilège particulier. C’est le principe de la variation qui compte, non le choix d’une échelle 146 Le choix de cette année particulièrement est le résultat d’une erreur de compréhension d’un article de SHIPLEY, Stan, « Tom Causer of Bermondsey: A Boxer Hero of the 1890s », op. cit. A notre arrivée en Angleterre, notre faible niveau linguistique nous a fait faire un contre-sens, nous faisant croire que c’était là, selon l’auteur, l’année de la « professionnalisation » de la boxe. Néanmoins, bien que non exceptionnelle, l’année 1889 s’inscrit dans la période de professionnalisation accrue de la boxe (selon nous de 1885 à 1900) et du modèle qui s’exportera en France. Il semble donc que cette erreur ne soit finalement pas si dommageable. 55 particulière »147. Certains critères ont donc été délimités pour mener à bien cette étude. Ceuxci sont de natures différentes, contribuant à leur manière à rendre compte du développement de la boxe à Londres et de sa spectacularisation : les salles, les enjeux des combats, la législation, les formes de combats et les spectateurs. Ces critères présentent une vertu certaine : une vue d’ensemble de l’espace pugilistique, mais aussi un manque : une carence de précision pour chacun des éléments évoqués. Enfin, un dernier préalable doit être donné. Si les parties qui suivent couvrent une part importante de l’espace pugilistique, pourtant aucune d’entre-elles n’est pleinement consacrée aux boxeurs. Ceux-ci sont abordés tout au long de chaque partie mais aucune partie ne leur est particulièrement consacrée. Ce découpage est un choix assumé. Ce travail ne cherche pas à étudier les conditions de travail des boxeurs mais bien les conditions institutionnelles et sociales qui ont permis de faire de la boxe un spectacle. La focale n’est pas portée sur les mêmes enjeux. Bien sûr, il est évident qu’une partie consacrée aux conditions d’exercice du métier de boxeur à Londres à la fin du XIXe siècle aurait été utile pour mieux comprendre le professionnalisme pugilistique de l’époque148. a) Où combattre ? Les « salles » de boxe. 1) Un problème de définition Avant tout, qu’est-ce qu’une « salle » de boxe ? Dans cette étude, en utilisant l’expression « salle » de boxe, nous entendons alors tout établissement ayant accueilli au moins une fois un combat de boxe lors de l’année 1889. Il est évident que ce terme générique renvoie à des réalités différentes. Un premier recensement des « salles » montre que les combats ne sont pas organisés dans des lieux spécialisés mais qu’en gros trois « types » de salles sont utilisées: les salles attachées aux clubs (accueillant le plus souvent des matches de moindre importance), les salles rattachées à des tavernes/ bars (accueillant le plus souvent des matches d’importance moyenne) et enfin les salles de spectacle traditionnelles (servant habituellement au théâtre, music-hall etc. mais qui accueillent des matches ou compétitions de boxe renommés). Au total, dans le « grand Londres »149, 178 salles ont organisé au moins un 147 REVEL, Jacques « Micro-analyse et construction du social », in Revel, J., (dir), Jeux d’échelles. La microanalyse à l’expérience, Gallimard- Le Seuil, Paris, 1996, p. 19. 148 L’étude des conditions d’exercice du métier de boxeur en France a été réalisée lors de notre premier master 2 portant sur la biographie de Georges Carpentier. 149 Le « Greater London » est une région découpée administrativement qui nous a permis de délimiter l’espace pugilistique londonien. Néanmoins, nous avons dû suivre les frontières du « grand Londres » actuels pour mieux 56 combat en 1889. Les lieux d’accueils de match sont nombreux et forment une offre importante de boxe150, confirmant les propos de R. Holt sur le fait que la boxe est alors l’un des premiers sports nationaux151. Pour préciser l’analyse, et pour ne pas regrouper des salles très différentes entre elles, nous les avons différenciées à partir des enjeux proposés lors des combats. Un autre critère aurait naturellement pu être adopté, par exemple : la localisation de la salle, son année de création etc. Mais les enjeux permettent, a priori, de s’approcher le plus possible de notre problématique du professionnalisme. En effet, l’hypothèse engagée ici est que la compréhension des enjeux est l’une des clefs de compréhension de la complexité du professionnalisme en boxe dans le Londres de la fin du XIXe siècle. Ces enjeux correspondent à la valeur que l’on accorde à la prestation, c’est-à-dire au travail, des boxeurs. Or, c’est cette mise en équivalence économique qui leur permettra de vivre de la pratique pugilistique. 2) Salles « professionnelles » ou « amateurs » ? D’abord, nous avons répertoriées les salles ayant accueilli un match de boxe où l’enjeu152 était l’un des éléments suivants : une somme d’argent précise, une bourse (« a purse »), une bourse d’or (« a purse of gold »), un objet ayant une certaine valeur (une médaille par exemple), un prix ayant une certaine valeur (« valuable prize »), une somme d’argent (« money prize »), un prix substantiel (« substantial prize ») ou un prix appréciable (« handsome prize »). Si l’on considère que la rémunération différencie la boxe professionnelle de la boxe amateur (ce qui pose de réels problèmes, voir infra153), alors 76 salles « professionnelles » peuvent être comptabilisées pour l’année 1889. Ces salles sont situées dans le « grand Londres » et ont organisé au moins une fois un combat pour l’un des enjeux mentionnés précédemment. Ce chiffre doit être pris avec précaution dans la mesure où dix adresses sont manquantes et où il est parfois difficile d’être sûr de l’emplacement des « salles » et donc que l’une d’elle se trouve bien dans le « grand Londres ». Bien qu’il soit approximatif, ce chiffre reste pourtant particulièrement élevé, même pour une capitale. Il est un indice objectif de la notoriété de la boxe à l’époque, et plus particulièrement repérer les salles, il était beaucoup plus complexe de se baser sur le grand Londres de l’époque. Ce choix importe car deux districts n’étaient alors pas situés dans le « Greater London » en 1889, mais le sont actuellement. 150 Il n’est malheureusement pas possible de donner une comparaison avec la période actuelle. En revanche, nous pouvons préciser que la population de Londres en 1890 s’élève à 5 638 000 habitants selon Roy Porter (London : A social history, op. cit. , p 306). 151 HOLT, Richard., Sport and the British. A modern history., Oxford University Press, Oxford, 1989. 152 Nous revenons plus précisément sur les enjeux dans la partie suivante. 153 Afin de marquer les problèmes que posent cette définition, nous avons systématiquement mis « professionnel » et « amateurs » entre guillemets dans cette partie. 57 d’une boxe que l’on pourrait qualifier de « professionnelle ». Enfin, il souligne que la présence d’argent dans le sport n’est pas un phénomène récent –datant des années 20 pour la boxe et des années 80 pour le sport en général- puisqu’il occupe déjà une place importante dans le monde de la boxe de la fin du XIXe siècle. Par ailleurs, et à titre de nuance, si le nombre de « salles » a pu être calculé, il n’en est pas de même pour le nombre de combats. Certaines salles organisent des événements pugilistiques très régulièrement, le cas le plus emblématique est « The Blue Anchor » qui organise des compétitions de boxe tous les mercredis et samedis de l’année, y compris durant la période de Noël. A l’inverse, pour prendre des cas « extrêmes », « The Star and Garter » ou « The Royal Exchange Hotel » n’ont organisé qu’un événement pugilistique chacun dans l’année. Le nombre de salle est donc un élément important pour la compréhension de l’espace pugilistique, néanmoins il ne renseigne pas sur le nombre de matches s’y étant déroulés. Ayant abordé les « salles professionnelles », il faut maintenant se tourner vers les « salles amateurs ». Comme pour le cas précédent, la définition de l’amateurisme n’est pas réellement fixée à l’époque, même si l’Amateur Boxing Association en fournit une en 1880. Les « salles amateurs » proposent des enjeux différents de ceux évoqués auparavant: il s’agit alors d’une « coupe », d’une médaille ou n’est simplement pas indiqué. 130 salles, situées dans le « grand Londres » et correspondant à ces critères, sont comptabilisées. Là encore, il convient d’être prudent puisqu’il manque 6 adresses. Comme pour les « salles professionnelles », le nombre de combats organisés par chaque « salle » est impossible à déterminer. Bien que le nombre de « salles professionnelles » et de « salles amateurs » soit élevé, le total des deux chiffres est bien de 178 et non de 206 (76 salles « professionnelles » et 130 « amateurs »). En effet, 28 salles sont comptabilisés deux fois (comme « amateur » et comme « professionnelle ») dès lors qu’elles organisent au moins une compétition avec ou sans enjeu monétaire. Au niveau des enjeux, l’offre pugilistique est donc multiple, variée et même fluctuante, puisque plusieurs salles n’hésitent pas à proposer tantôt des enjeux financiers tantôt à combattre « pour la gloire ». Ainsi, pour paraphraser J-M Faure et C. Suaud, la boxe « professionnelle » et la boxe « amateur » telles que nous les avons entendues ici « ne recouvrent pas des sphères d’activités exclusives, extérieures l’une à l’autre » mais regroupe 58 « une réalité mouvante »154, au point que les deux types de boxe peuvent être parfois littéralement confondues. Enfin, et au regard du seul critère des enjeux, il est évident que la boxe peut être considérée comme une activité prospère qui attire du monde et mobilise beaucoup d’argent. Le nombre de salle existante à Londres est une preuve indéniable de la notoriété de ce sport. 3) Esquisse d’une géographie sociale des salles Pour être plus précis sur ces « salles » et sur l’espace pugilistique en général, il faut maintenant les situer géographiquement ; en les reportant sur une carte de l’époque. Mais cette démarche n’a d’intérêt qu’à la condition de relier ces salles à l’histoire sociale des quartiers dans lesquels elles se trouvent. Nous souhaiterions réaliser ce type d’étude dans le cadre de notre thèse de doctorat, essentiellement sur Paris mais également sur Londres. Les présentations suivantes relèvent donc du statut d’esquisses inachevées et qui seront complétées ultérieurement. En premier lieu, la répartition géographique des salles de boxe à Londres à la fin du XIXe siècle fait écho à celle des théâtres au même lieu et à la même époque. On ne peut calquer l’une sur l’autre, mais elles semblent avoir une logique spatiale commune. Si l’on se centre sur l’année 1889 et plus particulièrement sur les salles qui ont organisé des combats de boxe où l’enjeu est fourni en livres155, on observe les détails suivants. Le total de salles s’élève à 42, et nous connaissons l’adresse de 32 d’entre elles. Sur ces 32 salles, 4 secteurs ont été distingué, ils regroupent une grande partie d’entre elles. Le premier secteur renvoie à la délimitation que fait Christophe Charle lorsqu’il aborde les « nouvelles salles » (de théâtre) du XIXe siècle dans son ouvrage intitulé Théâtres en capitales156. Il affirme que la majorité des nouveaux théâtres se situent aux endroits suivants : « Sur le Strand, qui relie la City et la gare de Charing Cross, (...). Un peu plus à l’Ouest, deux rues parallèles conduisant à Trafalgar Square et à la gare de Charing Cross attirent tout particulièrement les implantations théâtrales : dans Charing Cross Street (…), dans Cranbourn Street, (…), dans St Martin’s Lane (…). Enfin, au nord-ouest, l’ouverture de 154 J-M FAURE et C. SUAUD, « Privé/public : catégories pratiques ou catégories d’analyse ? Quelques interrogations autour d’une évidence politique appliquée à l’espace des sports », in GUIBERT C., LOIRAND G., SLIMANI H. (dir.), Le sport entre public et privé : frontières et porosités, Paris, Société de sociologie du sport de langue française - L'Harmattan, Paris, 2009, p 265- 266. 155 Le choix de ce critère est guidé par le fait que ces salles assument complètement le professionnalisme des boxeurs en mentionnant explicitement combien ils sont rémunérés. 156 CHARLE, Christophe, Théâtres en capitales, op. cit. 59 Shaftesnury Avenue en 1887, menant d’Oxford Street à Piccadilly Circus »157. Si l’on se tient à cette délimitation et que l’on substitue les salles accueillant la boxe aux théâtres, alors 6158 salles sur 32 se trouvent dans ce secteur. Parmi ces salles, plusieurs sont très prestigieuses : L’ancien et le nouveau « Pelican Club », « The Novelty Theatre », « The Waite’s school of Arms » etc159. Or, cette homologie entre le théâtre et la boxe devient encore plus prégnante au regard de la description du « quartier » que fait l’historien : « Par cette concentration privilégiée dans une zone restreinte, il s’agit pour les directeurs [de théâtre] de tirer le meilleur parti de la proximité des quartiers les plus bourgeois ou des gares et des grands hôtels fréquentés par la clientèle issue des classes moyennes ou des propriétaires fonciers venus de province à Londres pour affaires, ou pour la Season »160. Même si la clientèle des salles de boxe mériterait une étude fine pour pouvoir affirmer dans quelle mesure les organisateurs de boxe profitent de la venue des provinciaux, il n’en reste que cette description est valable. Le fait demeure qu’une part importante des salles de boxe mentionnées161, et notamment parmi les plus prestigieuses, se situe dans les quartiers bourgeois aux côtés des théâtres. Les plus hautes bourses offertes lors de l’année 1889 –cette fois-ci, toute salle confondue- s’élèvent à 1 000 £ et les combats ont justement lieu au « Novelty Theatre » (le 1er octobre) et au « nouveau Pelican Club » (le 11 novembre). Sur cette deuxième salle, bien que le nombre de spectateurs comme le prix des billets d’entrée soient inconnus, il est évident que soit l’affluence est énorme soit le prix d’entrée est très élevé162. Dans les deux cas, le fait que le match ait lieu dans ce quartier vise à lui donner une « visibilité » et à maximiser les profits escomptés, même dans le cas où le prix d’entrée est élevé163. En ce qui concerne le premier cas (The Novelty Theatre), il convient de souligner que ce lieu est avant tout un théâtre. La boxe y est présente en cas de combat médiatisé et attendu. Les « salles de boxe » peuvent donc également être des théâtres « détournés » de leur activité initiale. Les raisons sont complexes et multiples. Il est fort probable que la capacité d’accueil 157 Ibidem, p 47. Une septième salle, proche de la City, est à la frontière entre ce périmètre et le second que nous mentionnerons plus loin. Par ailleurs, on peut aussi comptabiliser une 8 ème salle si l’on inclut le Royal Aquarium situé à proximité de ce périmètre. Néanmoins, parmi ces 6 salles, l’une d’elle (The Pelican Club) est le même établissement reconstruit ailleurs (l’ancien et le nouveau Pelican Club). 159 Une fois de plus, The Royal Aquarium, établissement extrêmement prestigieux pour le monde pugilistique, peut être ajouté. 160 CHARLE, Christophe, Théâtres en capitales, op. cit. , p 47. 161 Celles qui correspondent au critère sélectionné. 162 Ces deux paramètres sont les seuls modulables afin d’augmenter le montant d’une bourse en boxe. 163 Néanmoins, Shipley (« Boxing », op. cit) estime que la spectacularisation de l’activité est rendu possible grâce à l’augmentation du pouvoir d’achat des classes populaires. Nous ne pouvons ici prendre position : l’auteur avance l’argument sans être étayé par une quelconque base empirique. 158 60 des théâtres est telle que la boxe les utilise pour maximiser les profits. En effet, The Novelty Theatre peut par exemple accueillir 650 personnes d’après Diana Howard164. Quoi qu’il en soit, au regard de ce premier secteur, la similitude spatiale devient un nouvel indice de la proximité entre la société du spectacle « traditionnel » et le monde du spectacle pugilistique. Ceux-ci se ressemblent dans leur fonctionnement mais aussi dans leur localisation géographique. Le deuxième secteur délimité correspond au regroupement de deux arrondissements : Islington et Hackney. Cette zone comprend 12 salles accueillant de la boxe, avec un centre plus précis autour de Shoreditch. Ici, si nous suivons Roy Porter et son histoire sociale de Londres, il décrit ces quartiers comme étant des « lieux d’origines du théâtre et du MusicHall »165. L’auteur les considère comme des quartiers historiquement culturels, datant du XVIe siècle. Comme pour le périmètre décrit par C. Charle, l’importance du théâtre et du monde du spectacle dans ce secteur conduisent à la même homologie. Il est remarquable et révélateur que la boxe se situe dans les mêmes lieux que le théâtre ou le music-hall. Là encore, une étude plus fine mériterait d’être réalisée afin de pouvoir établir les connexions existantes entre les organisateurs de boxe et les directeurs, promoteurs de théâtre et de musichall. Les deux autres secteurs sont celui de Lambeth (deux très grande salles) et Chelsea (trois salles). Ici, les connaissances nécessaires, pour pouvoir mentionner un quelconque parallèle entre l’histoire sociale du quartier et la présence de salles accueillant des spectacles de boxe, font défauts. Nous pouvons alors simplement indiquer que ce travail sera réalisé ultérieurement. Ces quatre périmètres ainsi que les salles évoquées ont été rapportés sur la carte suivante, construite par nos soins. 164 HOWARD, Diana, London Theatres and Music Halls, 1850-1950., ACLS History E-Book Project, 2008. Bien non-analytique, cet ouvrage se révèle particulièrement utile dans cette étude, il s’agit d’un annuaire des Théâtres et Music-halls indiquant divers renseignements sur chaque établissement dont la capacité d’accueil. 165 PORTER, Roy, London: A Social History, op. cit., p. 122. 61 62 Au regard de l’analyse de ces quatre secteurs, et en sachant que le propos est lacunaire, il est remarquable de voir les similitudes spatiales entre « les salles de boxe » (les plus) professionnelles166 et les salles de spectacle traditionnel. Les salles de boxe situées dans les quartiers du spectacle, qu’elles soient des théâtres ou des music-halls loués pour l’occasion ou qu’elles soient d’autres salles, sont celles qui offrent les enjeux les plus grands et les combats les plus prestigieux. La géographie sociale des salles de boxe londonienne ne relève donc pas de l’aléatoire mais semble suivre une logique impulsée par la localisation des salles de spectacle. Ainsi, tout se passe comme si le monde du spectacle et le monde de la boxe étaient deux univers presque confondus. 4) Salle sportive ou salle spectacle ? Une différence faite par les organisateurs. Si la géographie des salles montre les relations entre la boxe (surtout « professionnelle »167) et le monde du spectacle, il faut nuancer le lien mécanique établi entre location d’une salle de spectacle traditionnel et l’attribution d’une « bourse » élevée pour les boxeurs. En effet, à plusieurs reprises, des matches amateurs ont lieu dans des music-halls. Le choix de ces endroits s’explique d’abord par le point de vue (économique) des organisateurs : l’entrée pour les matches amateurs est payante ; il faut des salles à forte capacité d’accueil. Les boxeurs apparaissent comme secondaires dans ce processus économique, leurs enjeux importent moins que le nombre d’entrée. Les boxeurs amateurs combattent en effet pour des « silver cups » (le 18 décembre 1889 au Gloucester Music-hall) ou pour des prix inconnus (le 15 mai 1889 au Falstaff Music-hall). Dans le premier cas, The Sporting Life mentionne pourtant « un bon nombre de spectateurs ». Du côté des boxeurs, ces combats ne s’expliquent pas par une seule logique économique. Pour comprendre pourquoi les boxeurs prennent part à ce genre d’évènement il faut mettre fin à l’opposition (très courante, y compris dans les analyses sociologiques) entre « logique sportive » et « logique économique ». Ici, comme souvent, elles doivent être pensées ensembles, l’une n’annihilant pas l’autre. Ainsi, la participation des boxeurs amateurs pour un objet symbolique au sein d’un évènement « rentable » s’explique à la fois par une dimension sportive et économique. La nécessité d’accumuler du capital sportif dans une carrière de 166 Comme dit en note 4, ces salles mentionne explicitement le montant de la bourse en livres sterling. Ces salles sont donc particulièrement professionnelles si l’on différencie les amateurs et les professionnelles par la rémunération des boxes. Nous reviendrons plus loin sur les problèmes que pose cette « définition». 167 Puisque les salles retenues précédemment annoncent le montant de la bourse du match en livres sterling. 63 boxeur de « bon » niveau conduit ces amateurs à prendre part à ces évènements. En effet, les rencontres évoquées mettent en jeu des amateurs de « haut niveau » qui souhaitent améliorer leur valeur sur le marché pugilistique. L’enjeu du combat n’est donc pas directement financier mais le prestige de la rencontre apporte aux boxeurs un capital sportif qui leur permet de mieux « faire carrière » ce qui revient, à terme, à maximiser les chances de remporter d’importantes sommes d’argent. A une période transitoire comme la fin du XIXe siècle, où les amateurs peuvent affronter et gagner contre les professionnels, la « valeur » sportive d’un boxeur importe sûrement plus qu’à un moment de plus grande autonomie du secteur professionnel. Le professionnalisme est effectivement encore adopté tardivement, à la suite d’une « bonne » carrière amateur. Par ailleurs, ces évènements (mettant en jeu des amateurs pour un objet symbolique) ont aussi une dimension « spectaculaire », par leur forme. L’organisation des combats, notamment dans ces salles ou bien sous forme de tournois, rappelle fortement l’univers du théâtre ou du music-hall. En effet, chaque match est orchestré par un maître de cérémonie (« MC ») qui a pour charge de dynamiser la soirée. Celui-ci appartient dans la grande majorité des cas à la communauté des boxeurs. En revanche, les managers -tout comme les propriétaires de sallessont parfois originaires du monde du spectacle : c’est le cas pour John Fleming (manager du Pelican Club) ou Frank Hinde. Enfin, on l’a abordé, proposer une « sociologie différentielle des salles »168, c’est nécessairement évoquer une différenciation plus fine entre « salles de boxe professionnelle » et « salles de boxe amateur ». La distinction n’est toutefois pas aisée à faire. Il faut alors se centrer plus précisément sur l’enjeu des combats afin de comprendre la complexité de ces deux statuts. b) Pour quoi combattre ? L’enjeu des combats ou le brouillage des frontières amateurs / professionnels. 1) La question des enjeux Etudier les enjeux des combats de boxe à Londres à la fin du XIX e siècle revient à affronter une immense pluralité de situations. Ce faisant, il est impossible de distinguer rencontre amateur et rencontre professionnelle. En effet, il n’existe pas de définition indigène ou institutionnelle, voire même de définition scientifique construite par un historien de la 168 CHARLE, Christophe, Théâtres en capitales, op. cit. p 45. 64 boxe sur laquelle s’appuyer. Face à ce constat, nous avons décidé de répertorier les combats recensés par le journal The Sporting Life où l’enjeu était, au choix, l’un des aspects suivants : - une somme d’argent précise (par exemple 10 £) - une bourse (« a purse ») - une bourse d’or (“a purse of gold”) - un objet ayant une certaine valeur (une médaille par exemple mais aussi des services à thé, des horloges, des montres etc.) - un prix ayant une certaine valeur (« valuable prize ») - une somme d’argent (« money prize ») - un prix substantiel (« substantial prize ») - un prix appréciable (« handsome prize »). A partir de ces enjeux, un tableau a été réalisé. De plus, pour mieux faire apparaître le flou de la frontière entre amateurs et professionnels, ont été ajoutés, les cas où des amateurs prennent part à des combats professionnels en vue d’un gain. Tous ces éléments ont pu être répertoriés grâce aux comptes rendus des matches donnés dans le quotidien The Sporting Life. Ce type de choix de critères pose bien sûr un réel problème dans la mesure où il revient à postuler que la différence entre un professionnel et un amateur relève de la perception ou non d’une rémunération. Etre amateur signifierait pratiquer une activité sportive sans bénéficier d’une rétribution au contraire du professionnel. Cette différenciation relève d’une « définition indigène » (et parfois repris par les chercheurs) et souligné par Gildas Loirand169. Néanmoins, la définition journalistique ne peut pas non plus être reprise. The Sporting Life désigne nommément certains boxeurs comme étant « professionnels » et d’autres comme étant « amateurs ». Mais cette distinction n’est faite sans qu’aucune définition préalable ne soit donnée170. A l’instar de Boltanski dans son ouvrage sur les cadres 171, c’est la pluralité de situations possibles et même la porosité des frontières qui a été pris comme objet d’étude. Ceci étant et pour ce qui suit, nous avons, par convention, différencier amateurs et professionnels. Etre « professionnel » revient donc, ici, à combattre pour l’un des enjeux présentés précédemment ou à être présentés explicitement comme professionnel par le quotidien sportif. 169 LOIRAND, Gildas, « Professionnalisation de quoi parle-t-on ? », In coll., Société de Sociologie du Sport de Langue Française, Dispositions et pratiques sportives, Paris, L'harmattan, p 217- 227, 2005. 170 Les critères désignant un « professionnel » peuvent donc être très variés : boxer pour de l’argent, appartenir à la PBA etc. 171 L. BOLTANSKI, Les cadres, Op. cit. 65 Quoi qu’il en soit, ces enjeux sont très divers selon les « salles » et même au sein d’une même « salle ». En effet, ces dernières n’optent pas pour un « enjeu type » mais varient ses propositions. Afin de disposer d’une meilleure lecture des prix proposés par les salles, tous ces éléments ont été répertoriés dans un très grand tableau qui comprend également le nom de la salle, son adresse, le nom du propriétaire et du promoteur. Voici une ligne du tableau à titre d’exemple172. Nom Adresse Propriétaire Promoter Prix en livres Purse The Blue Anchor Churchstreet, Shoreditch Tom Symonds Phil Hymans X X Purse of gold Objets pour de l’argent « Valuable prize » Money prize « Handsome prize » X X X X Il va de soi que cet outil de travail contient certaines limites. Les catégories sélectionnées ici nécessitent certainement d’être repensées. En effet, celles-ci posent problème dans la mesure où elles se fondent sur les seuls écrits d’un (seul) quotidien sportif (The Sporting Life). Ainsi, l’étude d’un autre journal révélerait certainement d’autres catégories ou en ferait disparaître certaines173. Néanmoins, ce tableau fournit une première base de compréhension de la structuration de la boxe à la fin du XIXe siècle puisqu’il présente la diversité des situations couvertes par la boxe « professionnelle »174. Il répertorie également le (grand) nombre de salles existantes et montre la difficulté d’associer un enjeu précis à une salle précise. Ce tableau permet de calculer le nombre de salles175, de montrer les enjeux des affrontements et d’avoir des informations sur certains acteurs (qui est propriétaire ou qui est promoteur par exemple)176. Ce tableau a été complété par d’autres informations et a fait l’objet d’un second (tableau). Dans ce dernier, il s’agit d’ajouter un versant « quantitatif » afin de donner la tendance d’une salle dans l’enjeu proposé. Plus précisément, alors que le premier tableau ne 172 Le tableau étant un outil de travail particulièrement long (22 pages) et peu lisible, de même que les autres tableaux (celui des « salles amateurs » et celui présentant le nombre de fois où l’enjeu est proposé), nous avons décidé de ne pas les reproduire ici. Nous avons également (sur cet exemple de ligne) retiré les catégories « substantial prize » et « amateurs combattant pour de l’argent » afin de facilité la lisibilité. 173 La comparaison avec d’autres quotidiens n’a évidemment pas pu être faite par manque de temps. 174 L’adjectif est mis entre guillemets pour marquer la difficulté –voire l’impossibilité- qui existe à différencier les amateurs des professionnels. 175 Comme nous l’avons fait au début de cette partie. 176 Il a donc été utilisé jusque-là et sera encore utilisé dans les parties qui suivent. 66 comportait que des « X » visant à mentionner si un établissement avait ou non proposé tel type de gain, nous avons essayé de quantifier ce phénomène. Ce chiffre indique le nombre de fois au cours de l’année 1889 où la salle a proposé ce type de gain lors d’un combat par rapport au nombre total de combats enregistrés (et non le nombre total de combats organisés par la salle). Pour présenter une esquisse du tableau, seules les salles qui organisent le plus de combats ou celles où l’enjeu est particulièrement important ont été retenues177. Nom Nombre total d’évènement organisés par la salle. The Pelican Club 7 The New Pelican Club Permises (Changement le 10 juin). 2 Prix en livres Purse 6 (25 £) 1 Purse of gold The Blue Anchor 4 The Hop and Malt Exchange School of Arms 17 Imperial Theatre 2 Loyal United Working Men’s Club 3 Agricultural Hall 2 Lambeth School of Arms 10 Waite’s school of Arms 3 The Battersea Park Gymnasium (Gymnastic 177 « Valuable prize » Money prize « Handsome prize » 2+ monetary awards. (+ annual contest de la PBA) 3 5 1 Amateurs pour argent Competition avec argent 2 (1 000 £) 15 The South London Gymnasium Objets pour de l’argent 8 (50 £) 4 2= suit of clothes (2 fois). 1 1 1 1 (for a purse) 1 1 (10 £) 1 2 (1 for 30 £). 5 (200 £ si 7 juin sinon 50 £) 5 1 (70 £) 2 5 (200 £) 2 “wellfilled purse” 2 (for a stake of 50 £). 1 8 3 1 1 Nous avons retiré la colonne « substantial prize » qui était vide et qui nuisait à la lisibilité. 67 school). The Theatre the Novelty 1 Astley’s Royal Amphitheatre 2 2 (100 £ et 400 £) 6 6 (Jackson, Slavin et Smith= tenir 4 rounds pour 20 £ puis 30 £). Royal Aquarium 1 (1 000 £) Puis 2 défis le même soir pour 40 £. H. Mead’s saloon, The White swan 1 Sadler ‘s Wells Theatre 2 The Goodwin Club Falstaff Music-hall 1 (25 £) 1 (10 guineas silver cup) 3 2 2 (70 £) 1 (le même soir) 1 (30 £) 1 1 (each winner 25 £) A partir de ces quelques exemples, il est clair que les salles accueillant le plus de combats ne sont pas forcément celles qui offrent les plus gros prix. Même si les salles de « spectacle » telles que les music-halls ou les théâtres accueillent peu de combats de boxe, dans la plupart des cas, elles mettent en jeu des sommes très importantes : par exemple, le 1er octobre 1889, au Novelty Theatre établissement pouvant accueillir 650 places178, J. Smith et J. Wannop s’affronte pour un montant de 1 000 £. Le nombre de spectateurs est très certainement la variable qui permet l’offre de telles bourses pour les organisateurs de combats. Les professionnels ayant été présentés succinctement, intéressons-nous maintenant aux « amateurs ». Pour ce groupe social, le tableau prend la forme suivante179 : 178 179 Selon Diana Howard, London Theatres and Music Halls, op cit., p 133. La colonne « médailles » a été retirée ici, toujours pour des raisons de lisibilité. 68 Nom de la salle Adresse Propriétaire Promoter Prix non précisé Rivington boxing and amateur athletic club. Rivingtonstreet, Shoreditch Alex Parker (frère) - I.S. Parker - Bill Moore= Organiser of a competition. II Tottenham and Edmonton boxing and athletic club Snell’s Park, Edmonton. J. H. Saundercock. - Brummy Bill (= “Bill Taylor”) I Coupe /Trophy Watch Timepiece Benefit 1 “very handsome marble clock” (for amateurs). I L’analyse des prix mis en jeu dans ces combats (« professionnels » comme « amateurs ») montre les diverses possibilités existantes : l’enjeu d’un combat n’est absolument pas uniforme. Les formes qu’il prend sont multiples et variables. Elles peuvent même être particulièrement surprenantes au regard des « lots » habituels de l’univers sportif. Le paroxysme est atteint dans le cas des « objets » où l’on trouve des horloges, des montres, des médailles, un costume, des services à thé, des « nappes » etc. Ces objets ont parfois même une valeur importante d’après le journaliste. Leur dimension « symbolique » n’est donc plus suffisante (voir infra). De plus, ces objets se caractérisent parfois par une « fonctionnalité », par exemple le costume ou le service à thé. En ce sens, ils se distinguent des objets honorifiques comme les médailles ou les coupes dont la seule fonction est d’exposition, en raison de leur valeur symbolique. L’étude des enjeux des combats n’est pas du tout quelque chose de simple et de linéaire. Elle relève une multitude de situations complexes à restituer. Ce sont les catégories même d’amateurs et de professionnels qu’il faut alors interroger. 2) La question des statuts : amateurs et professionnels. Le cas étudié ici dépasse la distinction classique entre « amateurs » et « professionnels »180 et expose la porosité existante entre ces deux frontières. En effet, recourir à une définition traditionnelle, établissant que le premier gagne de l’argent 181 par sa pratique alors que l’amateur pratiquerait pour « l’amour » du jeu, ne peut se révéler féconde. Elle revient à poser d’emblée une définition dichotomique, simplificatrice, supposant que les deux statuts sont bien distincts, ou plus grave peut-être, elle encourage à regarder avec les lunettes du présent des situations passées, pour reprendre l’expression d’Alain Corbin. Ici, la rémunération financière ne peut donc pas constituer une preuve unique et suffisante de professionnalisme. Cette « définition » n’aurait d’ailleurs pas plus de légitimité qu’une autre 180 Voir les critères données par Y. Lamy et F. Weber (« finalité » et « qualité ») dans « Amateurs et professionnels », op. cit. 181 Directement comme par les bourses ou par un certain montant de livres sterling et indirectement en précisant la valeur de l’objet mis en jeu. 69 qui distinguerait le professionnalisme de l’amateurisme par l’adhésion à la Professional Boxing Association (PBA) ou à l’Amateur Boxing Association. Le choix opéré dans la construction des tableaux est évidemment dû à un souci de clarté, mais pose tout de même un vrai problème scientifique : celui de la construction d’une catégorie (sociale) comme celle d’amateur ou de professionnel182. Afin d’analyser sociologiquement les deux catégories, il a fallu prendre pour objet d’étude les situations bouleversant la distinction classique (amateur/professionnel) plutôt que de partir d’une définition donnée. Or, le traitement des données empiriques pointe une multiplicité de « dépassement de frontière » : des amateurs qui combattent pour de l’argent, des professionnels qui combattent sans enjeux financiers183, des amateurs et des professionnels qui combattent dans des compétitions différentes mais pour un même type d’enjeu (une coupe par exemple) voire même des amateurs et des professionnels qui s’affrontent entre eux. De plus, dans le cas des combats mettant en jeu des « coupes » ou des « médailles » (d’argent ou d’or dans les deux cas), la valeur marchande est souvent précisée par le journaliste, comme si le vainqueur envisagé de revendre ce trophée. En témoigne cet extrait choisi parmi beaucoup d’autres: Pour le concours du 2 mars à The Saint James Hall, Piccadilly, W., le prix est une « médaille d’or, valeur 5 £, 5 s »184. Dans ces conditions, le professionnel ne peut être pas distingué de l’amateur uniquement par la perception d’une bourse. Les matériaux mobilisés laissent donc percevoir un flou entre les deux statuts, une telle ressemblance que les deux groupes sociaux peuvent s’affronter sportivement. Toute la difficulté, et même l’impossibilité, de séparer les amateurs des professionnels apparait alors. En effet, on est « bien en peine de délimiter avec précision, à la centaine près, la dimension exacte de cette population, comme on peut le faire à partir de critères objectivés (légaux et statistiques) pour la profession médicale ou l’avocature »185. De plus, ce procédé n’est aucunement anodin et s’avère même central pour mieux caractériser le fonctionnement de l’espace pugilistique londonien à l’époque. En effet, la précision de la valeur d’un objet symbolise le passage d’une logique de la récompense à une logique de la 182 Sur ce problème en sociohistoire, voir par exemple NOIRIEL, Gérard, (dir), L'identification. Genèse d'un travail d'État, Belin, Paris, 2007. 183 Tout au moins enjeux financiers annoncés, des formes de rémunérations occultes sont bien sûr possibles. 184 The Sporting Life, 15 février 1889. 185 OFFERLÉ, M., La profession politique, XIXe-XXe siècles (dir.), Paris, Belin, 1999, p 16. 70 mise en prix en boxe. Jusque-là, les amateurs combattent pour un enjeu symbolique et honorifique, telle une coupe ou une médaille. Ces objets se suffisent à eux-mêmes dans la mesure où ils constituent un gage de bonne participation, de respect de « l’esprit sportif ». Ils constituent l’emblème même de l’amateurisme, de son désintéressement et de son fair-play. La mise en prix de ces objets bouleverse donc ce procédé en introduisant un calcul, celui de la valeur de l’objet. Ce dernier ajoute une fonction supplémentaire, d’ordre économique, à la seule récompense symbolique. L’estimation de l’objet est donc plus qu’une simple précision, il change la vision portée sur la performance sportive. Celle-ci peut maintenant être estimée économiquement par l’intermédiaire d’un objet symbolique. Il ne s’agit pas ici de juger si ce système est « perverti » ou non, par l’introduction de capitaux économiques. L’introduction de ces sommes d’argent est plutôt un moyen d’objectivation du passage d’une logique de la récompense à une logique économique, c’est-à-dire à un processus de mise en équivalence économique de la performance sportive. Ce passage est réalisé alors même que l’objet reste présent, c’est-à-dire sans passer directement de la médaille à la somme d’argent, comme s’il s’agissait d’une étape transitoire. Ce processus est donc une étape forte dans l’avènement du professionnalisme en boxe. Par ailleurs, l’attribution d’un prix à des objets symboliques ne peut être réalisée qu’à la condition que des individus estiment ces objets, c’est-à-dire activent la « mise en prix ». Dans le Londres de la fin du XIXe siècle, ce rôle est rempli par des journalistes. Ces derniers, tout au moins ceux de The Sporting Life186, vont permettre le processus de mise en équivalence économique de la performance sportive. Ces journalistes divulguent les enjeux des combats et les précisions sur la valeur des objets susceptibles d’être remportés. Ils permettent donc l’activation du passage d’une logique de la récompense à une logique d’équivalence économique des objets. Bien sûr, il est très probable que l’estimation même des objets est faite par les organisateurs de boxe. Néanmoins, ce sont les journalistes qui donnent une visibilité à cette estimation et rendent public le processus décrit. De ce fait, ils contribuent eux-aussi à professionnaliser l’univers pugilistique en intervenant dans l’estimation économique du travail du boxeur. Par ailleurs, et pour terminer sur la question des enjeux, l’organisation des combats est particulière non seulement du fait du statut des acteurs mais aussi par les règles de gestion financière des combats. Dans la plupart des cas (et systématiquement lors des tournois), les 186 Notre étude ayant traité ce seul quotidien. 71 compétitions de boxe annoncent les prix mis en jeu et ce pour chaque résultat obtenu (vainqueur, 2nd, éliminé lors de la 1ère phase, simple participant). Or, dans ce cas, même le boxeur ne gagnant aucun match est rémunéré économiquement. Ce fonctionnement est assez singulier, puisqu’il consiste à payer tous les participants, sur le simple fait de leur participation. Si cette affirmation semble évidente pour le travail «classique », elle l’est nettement moins dès qu’il s’agit du sport professionnel où seul le vainqueur (ou les trois premiers) perçoivent une gratification économique. En boxe, dans la plupart des cas, le participant sait, avant même de s’engager, le montant qu’il remportera s’il termine à telle ou telle place. De plus, le problème de la rémunération peut être sujet à controverse. L’argent mis en jeu pour organiser l’évènement peut être très important. En témoigne l’extrait suivant (issu de The Sporting Life) où le journaliste rencontre un célèbre organisateur de combats de boxe de l’époque. Organiser un tournoi de boxe Le 26 septembre 1888, au club d’Howard, le journaliste est allé demander à messieurs Morey et Janey (connu dans le milieu des courses hippiques), s’ils avaient bien l’intention d’organiser un tournoi. Ce qui suit est un extrait d’entretien avec Janey. - Comme vous l’avez déjà exposé, nous essayons d'obtenir Her Majesty’s Theatre. (…) - Vous êtes déterminés à le retenir ? - Oui, s'il ne me coûte pas une somme d'argent trop élevée [difficile à lire] (…) - Qu’avez-vous l’intention de donner comme prix ? - Nous donnerons plus d'argent (dans le prix) que l’on n’a jamais donné auparavant. - Combien ? - Eh bien, nous demanderons huit entrées pour chaque poids et donnerons 5 £ aux quatre premiers battus, 10 £ à chacun des deux battus dans les deuxièmes rounds, 25 £ au second et 50 £ au gagnant. - Cela vaudra la peine de gagner. (…) 72 - Cela vous coûtera quelque chose ? - Oui, 115 £ chaque compétition, en plus de la location du hall, de la publicité, etc. En tout, je m'attends à ce que les dépenses s’élèvent à environ 2 000 £. - Comment vous attendez-vous à être remboursés ? - Je suis confiant à l’idée que, quand le public verra que c'est une véritable compétition, soutenue par un véritable prix en argent, ils apprécieront et payeront pour y assister. L’organisation de combats tout comme la location de salle entraîne donc les managers à s’inscrire dans une logique de rentabilité, similaire à celle qu’on trouve dans le monde du spectacle. Un autre exemple confirme cette affirmation : le 21 août 1889, au Lambeth School of Arms (salle de boxe londonienne), le journal « The Sporting Life » rapporte qu’au regard du trop faible nombre de spectateurs, le match est reporté à la semaine suivante. L’organisateur du combat le reporte afin de ne pas être en déficit économique. Le nombre de spectateurs compte donc plus que le résultat du match. Dans ce cas, c’est bien la logique économique qui prend le pas sur la logique sportive. Néanmoins, cette prégnance économique est souvent dissimulée par les organisateurs de combat. Ainsi, M. Janey se défend d’être prioritairement intéressé par l’argent lorsque le journaliste lui pose la question: - Pourquoi vous vous intéressez tellement à la boxe; voulez-vous en tirer de l'argent ? - Non, pas du tout. J'aime l'art [de la boxe] et je veux encourager les meilleurs hommes dans le royaume à venir au front [c’est-à-dire sur le ring]. Ici, il est bien sûr impossible de connaître la réelle motivation première de l’organisateur. Mais il ne s’agit pas non plus de juger sa cupidité ou non. Le discours de Janey est intéressant dans la mesure où il témoigne des relations existantes entre « logique économique » et « logique sportive ». Tout se passe comme si Janey affichait une volonté de rentabiliser l’évènement sportif mais sans pour autant apparaître comme quelqu’un d’intéressé, puisqu’il légitime sa démarche par son « amour » pour le « noble art ». En résumé, concernant l’organisation de combats de boxe, la logique économique prend le pas sur la logique sportive, sous couvert de vouloir promouvoir son « amour » du sport. 73 c) De quel droit organiser des combats ? Légiférer une part du spectacle pugilistique. Organiser des combats dans des lieux spécifiques pour des enjeux spécifiques n’est pas suffisant pour faire un véritable spectacle pugilistique. Il faut tenir compte d’une dimension juridique portant sur l’organisation légale des spectacles si l’on veut véritablement comprendre la structuration de la boxe professionnelle de l’époque. Pour cela, il faut s’écarter des archives sportives et se tourner vers les archives du monde du spectacle187. A cette époque, les activités classiques du monde du spectacle sont soumises à une législation qui leur impose la possession d’une licence. Cette licence est nommée « Chamberlain » pour le théâtre. L’attribution de ces licences est faite par un comité représentant le « London County Council ». De nombreuses informations concernant ces attributions sont disponibles aux archives municipales de Londres, notamment au sein d’un document volumineux188. Plus particulièrement, mais sans être exhaustif, on trouve les données suivantes : des informations diverses sur la licence en elle-même, le récapitulatif des établissements possédant la licence, ceux qui ont été refusés et surtout l’audition des « candidats » souhaitant acquérir la licence. C’est donc à partir de ces éléments empiriques que les liens entre la boxe et le monde du spectacle ont pu être appréhendés. C’est, dans un premier temps, une démarche « quantitative » qui a été adoptée. Il s’agit ici de se centrer sur les occurrences de mots, c’est-à-dire compter le nombre de fois qu’apparaissaient certains termes jugés importants. Cette démarche n’est féconde qu’au regard de la multitude d’indices collectés (et rapidement présentés précédemment) dans d’autres archives existantes. Il ne s’agit pas de postuler qu’une étude sur la récurrence de certains mots dans un dossier, fut-il au sein d’un carton d’archives exceptionnel, ne saurait être suffisante pour analyser un processus aussi complexe que la mise en spectacle de la boxe. Le mot « boxe » est quasi-absent de cette archive. Au cours de ces quelques deux milles pages, le mot « boxe »189 n’apparait seulement que 18 fois190 et ce dans quatre « passages » : deux dialogues, et deux annonces qui introduisent ces derniers. Il peut alors paraître surprenant de s’attarder sur cette archive. En fait, c’est bien la relative absence de la boxe qui 187 Disponibles aux London Metropolitant Archives et constituées par tous les sous-dossiers du dossier suivant : « Public control department : entertainments licensing » / LMA/ LCC/ PC / ENT. Et surtout le premier sousdossier intitulé « Registers ». 188 Le fichier « Music, Dancing, Theatre and other licences » / 1889-1993 / LCC / PC / ENT / 01. Il s’agit d’un « livre » d’environ 2 000 pages. 189 Nous avons choisi de mélanger « boxing » et « pugilistic » car bien que ces activités soient différentes, l’usage qui en est fait dans ces archives est indifférent et désigne dans tous les cas la boxe. 190 On trouve également 3 fois le mot « athletic », nous reviendrons plus loin sur cette notion. 74 doit ici être pris pour objet. Elle fournit un moyen d’objectiver les relations de la boxe avec le monde traditionnel du spectacle (danse, théâtre, music-hall etc.). En effet, à l’exception des courses hippiques191, aucune activité sportive n’est présente dans ce dossier : ni le football, ni le cyclisme, ni l’athlétisme192 etc. Conclure à l’absence de la boxe dans ce dossier est donc une erreur, cette présence -bien que minime- est en réalité essentielle. Elle dénote la place de la boxe comme activité de spectacle puisqu’elle est la seule activité sportive présente. Néanmoins, l’argument est renversable : si la boxe était considérée comme une activité soumise au même régime que le théâtre par exemple, alors elle serait bien plus présente dans ce dossier. Le dossier regorge des mots « dancing », « theatre », « music-hall », « music » etc. Par conséquent, au regard de cette faible part consacrée à la boxe, celle-ci ne semble pas être érigée par les rédacteurs de ce dossier au rang de spectacle traditionnel, mais à celui d’une activité relevant de la seule logique sportive. Ainsi, à la fois prise en compte et écartée, la boxe est remarquable par sa quasi-absence. Elle est très peu présente par rapport aux autres activités de spectacle (théâtre, music-hall etc.) mais singulièrement présente par rapport aux autres sports totalement absents193. Cette faible présence dénote à quel point la période étudiée ici (1890-1900 environ) constitue une transition pour la boxe. Celle-ci n’est pas (encore) établie comme « spectacle » mais est malgré tout en relation avec le monde du spectacle traditionnel. Ayant abordé une seule occurrence de mot, il faut maintenant étoffer l’argumentation. Les « représentations » de la boxe, c’est-à-dire à la manière dont on parle d’elle dans ce dossier, sont intéressantes pour mieux comprendre comment celle-ci est perçue depuis le milieu du spectacle. Pour cela, il est nécessaire de déplacer le regard et d’étudier les (rares) passages où la boxe est abordée. Leur analyse permet de vérifier rapidement que la boxe y est décriée, voire malmenée. C’est le cas notamment dans deux dialogues engagés entre les membres du Council194 (chargés d’attribuer ou non une licence aux établissements de spectacle) et les représentants de ces établissements venant créer ou renouveler leur licence 191 Celles-ci peuvent prétendre, a priori, prétendre à une licence de spectacle. Les courses hippiques disposent d’une histoire particulière même si elles ont fourni le modèle d’organisation des courses cyclistes, athlétiques, voire des combats de boxe. Voir BRUANT, Gérard, Anthropologie du geste sportif, la construction sociale de la course à pied., PUF, Paris, 1992, et surtout HODAK, Caroline., « Créer du sensationnel. Spirale des effets et réalisme au sein du théâtre équestre vers 1800 », Terrain, n°46, p 49-67, 2006. 192 Quelques exceptions doivent être faites. Le mot « Tennis » et le mot « football » apparaissent dans le dossier à propos du « Bearle Restaurant » pour préciser que des terrains se trouvent à proximité de l’établissement. De même, le mot « athletic » apparaît deux fois mais il sert à désigner l’activité des boxeurs. Le mot athlétique est, dans ce cas, un synonyme de sportif. 193 Cette affirmation fait exception des courses hippiques qui semblent, elles, considérées comme activité de spectacle à part entière. 194 Parfois aussi appelé Committee. 75 auprès de ce Council. Ces dialogues prennent donc la forme d’auditions retranscrites où le « jury » interroge les « candidats »195 sur des sujets aussi différents que la sécurité de l’établissement196, le type d’événement organisé, la gêne du voisinage ou encore l’intérêt de créer un établissement de spectacle alors qu’il en existe un déjà dans une rue annexe. Dans le cas qui suit, c’est le type d’évènement organisé par The Imperial Theatre et The Raglan Music-Hall qui pose problème. Au cours de ces deux auditions, chacun des candidats doit longuement se justifier sur le fait que leur établissement ait accueilli un ou plusieurs combats de boxe. En effet, les candidats feignent une hostilité envers l’organisation de combats de boxe dans leurs établissements. Ils semblent faire semblant de s’opposer à ce type de pratique afin de ne pas être sanctionnés par le comité. Pour mieux discerner les rivalités et tensions existant entre les deux mondes, il faut revenir en détails sur chacun des cas. Ainsi, le premier candidat doit d’abord se justifier d’avoir accueilli un match de boxe mettant en jeu « two black women »197. Le début de la retranscription laisse donc croire que c’est la couleur de peau (noire) des femmes qui posent problème au jury et que ce soit des femmes qui s’affrontent: - Non, Je crois qu’il y avait deux hommes- un noir et un blanc- ce soir-là. Ils ont donné une « exhibition ». Ils étaient tous les deux de sexe masculin, il n’y avait pas de femme. - Aucune femme ? - Aucune femme absolument. - Alors s’il a été dit que deux femmes de couleur noire se sont affrontées (en boxe), ce n’est pas vrai ? - Autant que j’en sache, c’est inexact. - Etiez-vous présent personnellement ? - Oui. 195 Nous avons choisi ces termes génériques car la lecture des auditions fait clairement penser au fonctionnement d’un examen traditionnel. Toutefois, le dossier donne le nom des personnes concernées. 196 Les archives municipales de Londres (voir notamment la série LCC/AR/TH), et dans une moindre mesure les archives nationales, regorgent de dossiers relatifs à la sécurité des établissements du monde du spectacle. On trouve facilement des plans des salles, des rapports sur les conditions d’évacuation etc. 197 Dans l’extrait, le jury s’appuie sur un article du Star Newspaper du 11 décembre 1889. Nous avons pu consulter cet article de journal qui relate un combat entre deux femmes de couleur noire, néanmoins « The Sporting life » le quotidien sportif de référence de l’époque (où la moindre information pugilistique est relatée) ne rapporte pas ce combat. 76 En réalité les boxeuses vont vite devenir un problème secondaire. Le reste de l’audition va donc porter sur la réglementation de l’évènement. Un bref résumé est nécessaire afin de comprendre les débats qui ont lieu. Mr. Wilkinson [Le secrétaire de The Imperial Theatre], dès le début de la discussion estime n’avoir aucune responsabilité dans l’organisation de ce combat, celle-ci incombe à « Frank Hine » (sic) qui est à l’origine de l’événement. Le secrétaire de l’Imperial Theatre- c’est-à-dire le « candidat » selon notre terminologie- argumente en affirmant qu’une fusion entre le théâtre et le bâtiment (« building ») a été réalisée, or l’événement pugilistique n’a pas eu lieu dans le théâtre mais dans le bâtiment, presque dans une pièce privée. La licence Chamberlain (pour le théâtre) n’était donc pas nécessaire. De plus, l’événement organisé par « Frank Hine » n’incluait pas de « music », Mr. Wilkinson explique par conséquent qu’aucune licence n’était requise. Il se dédouane donc de la « responsabilité du théâtre à ce moment particulier ». Ces considérations vont être au cœur du reste de la discussion puisque le Council considère le secrétaire comme responsable, et comme coupable d’avoir organisé un événement sans licence. Il lui refuse donc le renouvèlement de sa licence, en argumentant que la partie « building » a été considéré par le Council-lors de l’année précédente comme une « annexe du théâtre ». La boxe apparaît bien comme étant au centre de ce litige concernant l’attribution des licences. Le cas de The Imperial Theatre est présenté précédemment dans le dossier comme un « cas avec un dossier spécial ». Il semble que l’établissement a tout de même obtenu un renouvellement de licence198. Tout se passe donc comme si l’organisation d’un événement de boxe dans un théâtre n’était pas une raison suffisante pour refuser de délivrer une licence. Néanmoins, avant de pouvoir tenir une telle affirmation, il faudrait pouvoir replacer l’Imperial Theatre dans l’espace des positions dans lesquelles il se situe : les théâtres londoniens de la fin du XIXe siècle. Bien que l’analyse ne puisse pas être approfondie, il est clair que l’Imperial Theatre - qui deviendra le Royal Aquarium- est un établissement très prestigieux accueillant des pièces célèbres1 mais également une grande part des plus grands combats de boxe de Londres dans les années 1890. En effet, c’est ici que Peter Jackson (champion d’Australie catégorie poids lourds), Frank Slavin (ex champion d’Australie en 198 Elle a de toute façon eu une licence en 1891. 77 poids lourds) et Jem Smith (champion d’Angleterre catégorie poids lourds) vont s’affronter au cours d’exhibition à tour de rôle du 7 octobre au 23 novembre. Les évènements sportifs suivants permettent d’affirmer que l’Imperial Theatre est un établissement important et prestigieux. Entre le 7 octobre et le 23 novembre 1889, Peter Jackson, Frank Slavin et Jem Smith s’affrontent en combat et effectuent des exhibitions. The Sporting Life explique que les boxeurs ont un engagement avec cet établissement pour que chacun d’entre eux se produise plusieurs fois devant des adversaires différents. Les trois boxeurs « défieront » même tout boxeur de tenir quatre rounds contre l’un d’eux en échange de 20 £ dans un premier temps et 30 £ dans un second temps. Ces événements sont toujours importants et se déroulent souvent devant beaucoup de spectateurs, au regard des qualifications du Sporting Life : « bondé » (« crowded to excess »)199, beaucoup de monde présent (« big company present »)200, la salle était simplement pleine à craquer (« the room was simply crammed full »)201 etc. Excepté le 7 novembre où il est dit que l’affluence est peu abondante, tous les soirs The Sporting Life rapporte qu’il y a au moins « un bon nombre de spectateurs » (« a good company »). Ces considérations doivent être rapportées au fait que Diana Howard estime la capacité d’accueil de cette salle à 1 290 personnes202. La série de combats au Royal Aquarium est donc certainement très suivie. Au regard de tous ces éléments, et en revenant sur la décision de renouveler ou non la licence Chamberlain, il paraît plausible qu’en organisant de tels événements (pugilistiques comme théâtrales), l’Imperial Theatre est un établissement relativement « protégé ». Il est donc difficile de croire que ce théâtre puisse être privé de licence pour avoir organisé un combat de boxe entre deux femmes noires, comme le « reproche » le comité. La discussion prend alors une autre signification : elle exprime la réticence à voir la boxe s’installer dans ce lieu et en même temps le caractère inévitable de ce phénomène. Les propos du comité peuvent être compris comme un « rappel » au candidat de quel spectacle est ou non digne d’être organisé et légitime à apparaître dans un théâtre. Par ailleurs, un autre élément a été volontairement ignoré lors du passage précédent. Celui-ci vaut qu’on s’y attarde. Lorsque le Council demande au secrétaire quel type 199 7 octobre 1889. 9 octobre 1889. 201 14 octobre 1889. 202 HOWARD, Diana, London Theatres and Music Halls, op. cit. 200 78 d’évènement il a organisé, ce dernier répond « un divertissement de boxe, organisé par Frank Hine avec des prix à gagner ». Tout au long du dialogue, « Frank Hine » est cité pour désigner l’organisateur de la compétition203. Or, si l’on observe les compétitions pugilistiques les plus importantes de l’époque, c’est-à-dire celles-ci qui attirent beaucoup de spectateurs, où des boxeurs réputés y sont présents et où les prix mis en jeux sont importants, le tournoi de Frank Hinde (et non « Frank Hine ») est l’un des plus visibles. Celui-ci se déroule parfois à The Imperial Theatre, c’est le cas notamment la semaine du 18 au 25 février 1889 au cours de laquelle au moins six combats sont organisés chaque nuit204. Il peut paraître surprenant que le nom de l’organisateur de l’une des plus grandes compétitions de boxe de Londres soit mal orthographié, et ce à au moins quatre reprises. Bien que le dossier ait pu être dactylographié par des personnes extérieures à la commission, il semble toutefois légitime de supposer que les compétitions de boxe de l’époque sont relativement étrangères aux membres du monde du spectacle traditionnel. Dès lors, pour paraphraser Michel Offerlé: qu’il s’agisse de textes suscités, suggérés, contraints ou volontaires, nous ferons l’hypothèse qu’on peut les considérer comme des indicateurs du rapport particulier qu’entretenait une partie des membres du monde du spectacle, qui ne sont eux-mêmes qu’une partie des membres du monde du spectacle anglais de l’époque, à l’univers de la boxe 205. En ce qui concerne le deuxième passage où la boxe est abordée, celui-ci porte sur The Raglan Music-Hall206 en 1893. Une incursion au-delà de 1889 est donc ici réalisée, en raison du peu de données empiriques disponibles. Les analyses tirées sont néanmoins valables mutatis mutandis pour 1889. Ici le Council reproche à Mr. Beasley (« applicant » du Raglan Music-Hall) d’avoir accueilli un match de boxe le soir du 25 septembre 1892. Ce dernier se défend en affirmant que l’établissement était louée pour des « athletic sports » mais « qu’ils » ont insisté pour inclure de la boxe. De plus, il affirme avoir tenté de mettre fin à l’événement mais en vain. Ce dernier point sera l’objet d’une discussion serrée entre Mr. Cohen (membre du Council) et Mr. Beasley. 203 L’organisateur de la compétition n’est pas forcément propriétaire de la salle où se déroule la compétition. On trouve également des rencontres le 11 mars, 11 avril, 9 octobre et une compétition du 3 au 9 décembre, pour l’année 1889. 205 OFFERLÉ, Michel, « “ A MONSIEUR SCHNEIDER ”. Quand des ouvriers demandent à leur patron de se présenter à la députation (janvier 1902) »., in FAVRE, P., FILLIEULE, O., JOBARD, F., L’atelier du politiste. Théories actions, représentations., La Découverte, Paris, 2007, p. 171. 206 Nous n’avons malheureusement aucun élément sur cet établissement si ce n’est qu’il peut accueillir 1293 personnes. 204 79 Q- Vous avez dit avoir eu des difficultés pour arrêter l’événement qui se déroulait? A- Oui, j’ai eu des difficultés. Q- Les spectateurs étaient-ils très grossiers? A- Non, ils ne l’étaient pas, mais je me fichais de leur événement. Q- Vous avez véritablement tenté de les arrêter, mais vous nous avez dit que vous avez eu de grandes difficultés à le faire? A- Ils ne voulaient pas m’entendre [« to be persuaded »]. J’ai fait tout ce que j’ai pu. Q- C’est plus qu’une habitude, ou non, de la part de ceux qui appartiennent à la fraternité de la boxe [« pugilistic fraternity »] de ne pas savoir écouter207 ? A- C’est le cas. Mr. Cohen va même soupçonner Mr. Wilkinson d’avoir un quelconque intérêt à organiser une telle manifestation : Q- Il n’y avait-il aucun avantage pour vous dans cet événement sportif, au-delà du fait que les gens payent pour l’utilisation de cet établissement ? A- Pas du tout. Q- Vous n’aviez pas d’intérêt du tout dans cette affaire? A- Pas le moindre. Q- Et dès que vous avez trouvé les gants de boxe en train d’être utilisés… A- J’ai tout fait pour les arrêter. Q- Vous n’avez été convoqué/ sollicité d’aucune façon? A- Non. Ces différents extraits donnent une idée de la manière dont les membres du Council se représentent la boxe : public bruyant (quelques phrases sont échangées à propos de la possibilité d’avoir gêné le voisinage208), composé de perturbateurs209, activité à la réglementation floue210 et qui globalement semble poser problème lorsqu’elle se déroule dans un théâtre ou un music-hall. 207 Phrase originale: “It is rather a habit, is it not, of those who belong to the pugilistic fraternity not to acknowledge any sort of argument ?”. 208 Le problème du voisinage, bien qu’ici peu abordé, est souvent source de conflits, le dossier mentionne des pétitions contre l’ouverture de tel ou tel établissements (pétitions que nous avons trouvé dans d’autres archives, série LCC/AR/TH). 209 Cette représentation va à l’encontre de la géographie sociale des salles qui montre que les salles de boxe importantes sont plutôt situées dans les quartiers huppés. 210 Aucune licence n’est nécessaire pour organiser des combats, à l’inverse des activités de spectacle. La boxe est parfois soumise à des arrestations même si au fur et à mesure des années, le phénomène tend à régresser. 80 Cette vision intervient certainement dans le jugement final du Council qui décide de ne pas attribuer de licence au Ragan Music-Hall. Cet exemple mériterait une étude plus fine car l’établissement est un music-hall de grande importance, d’un strict point de vue quantitatif, puisqu’il peut accueillir près de 1300 personnes. Il est donc particulièrement surprenant que le Council « sanctionne » l’établissement et refuse de lui accorder une licence. Néanmoins, face à cette dernière affirmation qui peut laisser croire à une généralisation de ce type de décision, une précision doit être donnée. Tous les établissements n’ayant pas obtenu de licence lors de l’année 1889 ont été comparé avec la liste de toutes les salles ayant accueilli au moins un match professionnel cette même année. Or, la comparaison révèle qu’un seul établissement (The New Saddler’s Wells Theatre) a organisé un match de boxe en 1889 et s’est vu refuser la licence en raison de problèmes architecturaux. Le fait d’organiser un combat de boxe dans un établissement de spectacle ne conduit donc pas nécessairement à une sanction du Council211. Par conséquent, le Council a très certainement dû adresser un autre reproche (qui nous est étranger) à The Ragan Music-Hall pour lui refuser sa licence. Tous ces arguments contribuent à justifie l’existence de liens entre la boxe et le monde du spectacle. En effet, le fait que la boxe représente, dans certains cas, la figure de repoussoir (comme l’attestent les extraits précédents) n’affaiblit pas cette thèse mais prouve au contraire que la boxe et le monde du spectacle entretiennent des liens. Ceux-ci sont parfois conflictuels, mais ils demeurent des connexions entre deux espaces en concurrence pour l’appropriation de la boxe. Bien que la boxe ne fasse pas l’unanimité chez les membres du monde du spectacle, tout comme chez les agents du « champ sportif »212, elle représente un spectacle rentable et apprécié, comme en témoignent le nombre de spectateurs qui remplit les salles. Par ailleurs, d’un point de vue plus « méthodologique », l’analyse de l’attribution de ces licences, rappelle avec force le choix (présenté en introduction) délibéré de ne pas se focaliser sur les archives portant directement la boxe. En effet, les sources indirectes (ou « périphériques »213) sont parfois largement aussi importantes dans la réalisation d’une 211 Cette tolérance irrégulière s’explique, en partie, par l’influence de la Professional Boxing Association (PBA) puisque celle-ci semble « soutenir » directement ou indirectement certaines salles, par exemple en organisant des événements importants, voir infra. 212 L’expression est mise ici entre guillemets car il semble délicat de parler de champ sportif à cette époque. Sur les usages routiniers de la notion de « champ » en sociologie, voir LAHIRE, Bernard, Monde pluriel. Penser l'unité des sciences sociales, Seuil, Paris, 2012. Sur le concept de champ sportif en particulier voir DEFRANCE, Jacques, L'autonomisation du champ sportif, 1890-1970, Sociologie et sociétés, vol. XXVII, n°1, printemps, p. 15-31, 1995.. 213 L’exploitation de sources périphériques est particulièrement utilisée dans le livre d’Alain CORBIN, Les cloches de la terre. Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au XIXe siècle., Flammarion, Paris, 2000. 81 recherche. S’écarter des archives proprement sportives permet de mener une analyse différente de la structuration de la boxe à cette époque. Si la socio-histoire relève de différentes caractéristiques214, celle qui a été retenue ici est la « pente inductive impliquant d’abord un certain penchant pour le(s) terrain(s), l’empirie »215. 1909 : débat sur la licence Chamberlain qui sert normalement aux théâtres. Sur les attributions des licences, d’autres données ont été découvertes dans les archives nationales et notamment dans le dossier « LAW OFFICER'S OPINIONS: Boxing Entertainments in Theatres » /NA/ HO 45/ 10396 / File 176 973. Bien que très riches, ces matériaux ne peuvent pas être intégrés au propos précédent puisqu’ils datent de 1909. Ne connaissant pas l’état de l’espace pugilistique à cette époque, ces archives ne peuvent pas être fondues telles quelles dans l’analyse. A partir du 10 avril 1909, un échange de lettres a lieu entre le « State Home Office » et the « Law Officer » à propos de matches de boxe. En effet, il s’avère que les « licences Chamberlain », normalement attribuées pour autoriser à gérer un « théâtre », sont utilisées pour organiser les matches de boxe. Le propos suivant résume assez clairement le problème : « Le Secrétaire d'État a été informé par le Lord Chamberlain que plusieurs cas ont été soulevés concernant certaines personnes, qui détiennent une licence accordée au titre du Theatre Act de 1843 pour jouer sur scène des pièces dans des certains locaux et qui ont commencé à donner régulièrement ou à intervalles fréquents des divertissements de boxe et d'autres divertissements d'une classe semblable au lieu des divertissements de la scène pour lesquels la licence du Lord Chamberlain est conçue et accordée. Lord Chamberlain souligne que sa licence comporte une autre licence pour l’usage de boissons alcoolisées dans les locaux en question et que les divertissements de boxe que l'on donne maintenant en nombre croissant garantissent la présence de très nombreux spectateurs et parfois occasionnent des événements surpeuplés incluant des personnes perturbatrices, il est prévisible donc qu’il y aura des troubles. Mais, du fait de ce danger, il n’est pas disposé à ce que ces divertissements soient donnés sous le couvert et la protection de la licence de théâtre qu’il 214 Sur la difficulté à définir la notion de socio-histoire, voir BUTON, François et MARIOT, Nicolas, (dir), Pratiques et méthodes de la socio-histoire, PUF, Amiens, 2009 ainsi que l’article de Michel OFFERLÉ, « Histoire et science politique », dans DELACROIX, Christian, DOSSE, François, OFFENSTADT, Nicolas et GARCIA, Patrick, Historiographies, I. Concept et débats, Paris, « Folio histoire » Gallimard, vol. 1, p. 342- 350. 215 BUTON, François et MARIOT, Nicolas, op. cit. p 11. 82 accorde lui-même. Il est conscient que, conformément au Theatre Act, il a le pouvoir de retirer la licence d'un théâtre dans lequel une émeute arrive, mais il serait préférable, si la loi le permet, qu'il puisse imposer une condition aux détenteurs de licences de théâtre : tant que ces licences sont utilisées pour des divertissements de boxe, on ne donnera pas de licence pour le débit de boissons ». Les « Law Officers of the Crown » sont sollicités pour autoriser ou non l’une des règles de la licence Chamberlain. Cette règle établit qu’une licence Chamberlain ne sera accordée qu’à la condition de ne pas organiser de combats de boxe dans son théâtre. Les « Law Officers of the Crown » accordent cette règle mais uniquement pour des « cas particuliers ». A la suite de cela, deux lettres suivent pour expliquer que deux théâtres « The Britannia Theatre » et « The Klephan Theatre » ont organisé des divertissements de boxe à l’aide de leur licence Chamberlain. Cette correspondance montre que les organisateurs de boxe vont se servir de la législation sur le théâtre (licence Chamberlain) afin d’organiser des combats. Cette pratique sera interdite en 1909. Néanmoins, la Licence Chamberlain date de 1843, tout se passe donc comme si l’utilisation de cette licence pour organiser des matches de boxe (avec vente d’alcool associée à cela) était possible de 1843 à 1909. Ainsi peut-on confirmer la proximité de la boxe et du monde du spectacle puisque pendant presque 70 ans, la licence destinée à autoriser les pièces de théâtre est « détournée » pour règlementer les combats de boxe. d) Comment combattre ? Des formes de pratiques particulières. La spectacularisation de la boxe est un processus complexe qui repose sur plusieurs déterminants. Pour le moment, les lieux de pratiques spécifiques accueillant la boxe ont été abordés. De même, la diversité des enjeux a été traitée afin de marquer la prégnance de la logique économique sur la logique sportive. L’analyse de la législation sur l’organisation des combats dans les établissements de spectacle a permis de montrer la complexité des relations entre le monde du sport et celui du spectacle. C’est maintenant les « formes de pratiques » proposées dans les combats de boxe qui doivent être étudiées. Celles-ci rendent visible et objectivent la spectacularisation de l’activité. Les formes de pratiques sont nombreuses, 83 variées et surprenantes216. Elles montrent d’abord la « faible » structuration de ce sport à l’époque. La législation est en effet insuffisante pour imposer quelques formes de pratique. De la même manière, les formes de pratique montrent l’ambigüité de ce sport : les défis, les « benefits » et autres rappellent fortement le monde du spectacle. Le premier exemple concerne les « benefits »217. La corporation des boxeurs professionnels cherchant à se soutenir, des « bénéfits » sont régulièrement organisés pour prendre en charge l’un d’entre eux. En effet, un tel événement vise à aider financièrement un boxeur particulier (souvent dans le besoin218) en organisant une soirée où l’on mêle boxe (en majorité), musique, acrobatie, chant etc. Les bénéfices récoltés à l’issue de la soirée, par l’intermédiaire du nombre d’entrée et du prix du billet, sont reversés au boxeur concerné afin de le soutenir. Ce type de pratique est très courant. Pour la seule année 1889 et au sein du grand Londres, 111 « benefits » déclarés219 ont été comptabilisés. Cela signifie qu’il y a donc en moyenne environ un « benefit » tous les trois jours à Londres en 1889. L’importance, à la fois, de ce type de pratique mais également du nombre de boxeurs à soutenir sont donc réelles. De plus, les « benefits » semblent attirer beaucoup de spectateurs. Pour les 111 « benefits » de 1889, le nombre de spectateurs est connu à quatre reprises. Il y a respectivement 300 ; 300 ; 400 et 200 personnes, soit une moyenne de 300 spectateurs. Néanmoins, il existe tout de même des cas où le « benefit » attire peu de spectateurs. Dans ce cas, le plus souvent, l’évènement est annulé et reporté à une date ultérieure. C’est le cas le 23 octobre 1889 pour deux « benefits » différents. Dans ce cas, c’est la logique marchande qui est prégnante dans l’organisation des combats, puisque c’est la seule « rentabilité » de l’évènement qui tantôt l’annule tantôt le maintient. Tout comme pour les enjeux, l’annulation d’un évènement pugilistique en raison d’un faible nombre de spectateurs objective la domination de la logique économique (l’évènement est-il rentable ?) sur le seul intérêt sportif (la « beauté » d’un combat). Bien sûr, il ne s’agit pas de juger ici si une logique doit être préférée à une autre, mais bien de constater la domination de la dimension marchande sur la dimension sportive. La boxe est alors d’abord, et avant tout, penser comme un spectacle destiné à attirer la foule. 216 On retrouve un constat similaire en France dans la trajectoire de G. Carpentier quand celui-ci affronte deux adversaires dans la même soirée, « combat » avec un chien etc. 217 Ne sachant pas comment traduire ces formes de pratique, le terme anglais a été conservé. 218 Mais pas toujours, on trouve des « bénéfits » au profit de champion connus et fortement rémunérés du fait de leur activité pugilistique. 219 Par « déclaré » nous sous-entendons qu’il y a certainement d’autres « benefits » qui ne sont pas présentés comme tels voire qui ne sont pas annoncés par The Sporting Life. 84 Le second exemple développé concerne les défis. Ces formes de pratiques sont assez différentes des manifestations sportives classiques. Ils traduisent bien l’importance des organisateurs de combats dans l’organisation de la boxe professionnelle. La longue série de « défis » entre Peter Jackson (champion d’Australie catégorie poids lourds), Jem Smith (champion d’Angleterre catégorie poids lourds) et Frank Slavin (ex champion d’Australie en poids lourds) est à analyser. Cet épisode mérite d’être détaillé, étant donné qu’il n’a été qu’ébauché lors de la partie sur l’attribution des licences. Si les trois boxeurs ont chacun un engagement avec le Royal Aquarium, leur apparition s’est faite successivement après un processus commun. Revenons sur ces trois cas. Le premier boxeur concerné est Peter Jackson. Le 26 septembre 1889, Jem Smith affronte Peter Jackson (Australie) au Pelican Club pour la somme de 1 000 £. L’australien va alors rester en France et réaliser une série d’exhibitions au Royal Aquarium. En effet, il va combattre à huit reprises entre le 7 octobre et le 17 octobre, et à chaque fois devant un grand nombre de spectateurs d’après The Sporting Life. De plus, à partir du 12 octobre, soit après quatre combats, il propose de rencontrer tout boxeur en quatre rounds. Si le boxeur n’abandonne pas avant le quatrième round, il reçoit 20 £. A. Ball, C. Meddings et J. Watson relèvent le défi mais échouent. « L’engagement de Jackson avec The Royal Aquarium prend fin » le 16 octobre au soir et va aller « chercher de nouveaux horizons »220. Le deuxième cas concerne F. Slavin. Le 18 octobre, F. Slavin et B. Goode s’affrontent au Astley’s Theatre pour la somme de 400 £221. Comme pour Jackson, Slavin va alors rester en France pour plusieurs combats au Royal Aquarium. Il va effectivement en réaliser dix entre le 30 octobre et le 11 novembre. The Sporting Life évoque également « l’engagement » de Slavin avec le Royal Aquarium222. Les évènements vont aussi attirer beaucoup de spectateurs, au point que le 29 octobre, le « 12 rounds contest » pour 200 £ au South London Gymnasium est fixé à 22 heures pour ne pas interférer avec la prestation de Slavin au Royal Aquarium. Enfin, le troisième cas implique Jem Smith et remet en jeu P. Jackson. Le 11 novembre 1889 Smith et Jackson s’affrontent pour la somme de 1 000 £ à The Pelican Club. Après ce combat, les deux boxeurs vont ensuite réaliser neuf exhibitions au Royal 220 The Sporting Life, 16 octobre 1889. Rappelons encore une fois que cette somme équivaut à 10 fois le salaire annuel moyen de 1890, ROBERT, JL., Le XIXe siècle, op. cit., p. 121. 222 The Sporting Life, 29 octobre 1889. 221 85 Aquarium entre le 15 et le 25 novembre 1889. Chacune de ces exhibitions est très suivie par les spectateurs selon The Sporting Life. Dans les trois cas le même mécanisme est mis en place. Tout se passe comme si, des organisateurs de combat mettaient sur pied un évènement important, un « grand combat » (Jem Smith contre Peter Jackson par exemple) puis que d’autres promoteurs profitaient de la notoriété d’un boxeur étranger (ici australien) pour organiser de nombreuses exhibitions et prolonger la rivalité créée par le premier évènement. La démarche employée parait efficacement construite d’un point de vue économique, puisque la plupart des exhibitions sont des succès en termes de nombre de spectateurs. La liaison entre la boxe et le monde du spectacle est ici explicite. Le boxeur est engagé par un établissement de spectacle pour se produire sportivement à plusieurs reprises. Ici, c’est le monde du spectacle qui fait appel à la boxe puisque les boxeurs sont présentés comme étant « engagés » par l’établissement. La mise en spectacle de l’activité se fait à l’initiative du monde du spectacle et non des organisateurs de boxe, comme l’attestent les matériaux recueillis223. Jusqu’à cette date, nous n’avions pas constaté une telle démarche224. Il est probable que la notoriété des boxeurs et la publicité des « grands combats » qui précèdent les exhibitions servent de garants (économiques) pour The Royal Aquarium en lui assurant des recettes futures importantes. Néanmoins, et pour finir sur ce cas, le fonctionnement par défi ne semble pas récent. En effet, dès le mois de janvier 1884, The Sporting Life rapporte que Jem Mace, ex-champion du monde, a appelé le journal et s’est déclaré enclin à parier 1 000 £ qu'aucun homme ne pourrait le mettre K. O en quatre rounds225. Le quotidien rapporte qu’il n’a eu aucune réponse, à la différence des trois boxeurs du Royal Aquarium. On peut légitimement supposer que la différence entre 1884 et 1889 est ici fondamentale. Cette période constitue un moment important de l’émergence du professionnalisme et de la création (et le développement) de la PBA. Il est donc probable que cinq années plus tard, le défi de Mace aurait eu beaucoup plus de chance d’être relevé par un autre boxeur. Quoi qu’il en soit, Mace est certainement un boxeur particulier. En effet, selon Brailsford: « Mace lui-même était en tournée avec un autre cirque [Mace participe à des troupes de cirque] ». Or, pour l’auteur cette particularité est 223 Nous écartons les quelques cas où les organisateurs de boxe sont également des organisateurs de spectacle. Toutefois, il est à noter que ce système va perdurer puisque Georges Carpentier, célèbre boxeur français, va réaliser ce type de démarche en 1913 au Middlesex theatre (voir HAY, Ginette « Georges Carpentier, sergentaviateur de la Grande Guerre ». Revue Gauheria, Lens, 2007, p 76). 225 The Sporting Life, 14 janvier 1885. 224 86 « encore un autre exemple de l’implication/engagement (« involvement ») croissante de la boxe avec l’industrie du spectacle »226. Il est seulement regrettable que l’auteur mentionne la proximité entre ces deux univers sans la prendre pour objet et comme si elle allait de soi. Bien que les liens existants entre le cirque et le monde de la boxe soient probables, un travail d’enquête est nécessaire pour éclaircir les relations entre ces deux univers. Par ailleurs, hormis les « benefits » et les défis, la boxe londonienne propose une multiplicité d’autres évènements à la fin du XIXe siècle. Il existe en effet des « matches », des « tournois », des « compétitions » etc. Chacun d’eux propose un fonctionnement particulier : nombre de rounds variable, nombre de boxeurs en lice différent etc. Vue d’un point de vue « commercial », la pluralité des formes de compétitions proposées peut faire office de stratégie publicitaire. En variant l’offre pugilistique, les organisateurs de combats tentent de nouvelles pratiques ou tentent de créer un effet de nouveauté afin d’attirer les spectateurs de boxe. Pour finir sur ces formes de pratiques spécifiques, le cas particulier de l’appel de J. Knifton en 1888 peut également être cité. Celui-ci est difficile à appréhender en raison du manque de matériaux empiriques disponibles, et de son caractère inclassable. J. Knifton (champion d’Angleterre) souhaite organiser une soirée de boxe où les bénéfices seraient versés aux victimes de l’incendie du « Grand Theatre » du 27 décembre 1887. Cet évènement mériterait une étude à lui seul, puisqu’il nous éclaire à la fois sur le fonctionnement de la PBA et sur les liens entre la boxe et le monde du spectacle. La PBA va prendre position contre Knifton dans cet évènement, jugeant que son action –aussi noble soit-elle- devrait passer par elle. Pourtant, l’action de Knifton est soutenue par d’autres boxeurs. A cause de cet évènement, il y a donc une opposition entre la PBA (par l’intermédiaire de ses dirigeants) et une partie au moins des boxeurs soutenant l’appel227. Par ailleurs, la démarche même de Knifton, venir en aide à des victimes de l’incendie d’un théâtre, dénote les multiples connexions entre ce sport et le monde du spectacle. Tout se passe comme si les boxeurs soutenant l’appel, c’est-à-dire plus de 50 personnes, se sentaient directement concernés par cette cause. Voir encadré. 226 BRAILSFORD, Dennis, Bareknuckles, op. cit., p. 149. Il est impossible de réduire le nombre de boxeurs soutenant l’appel de Knifton à des « opposants » à la PBA. Au regard des données recueillies, l’opposition concerne d’abord Tom Symonds pour la PBA (trésorier) d’une part et Knifton pour son appel d’autre part. 227 87 Au feu, les boxeurs, il y a le théâtre qui brûle. Le 21 janvier 1889, John Knifton (champion d’Angleterre poids lourds) lance un appel (dans les tribunes du Sporting Life) afin de venir en aide aux victimes de l’incendie du « Grand Theatre » de Londres en décembre 1887. L’introduction est particulièrement intéressante au regard de la manière dont Knifton conçoit son métier : « Monsieur –Devant les nombreuses faveurs, que moi-même et d'autres de la profession pugilistique (« Boxing profession »), avons reçu des mains du public et étant autorisé à utiliser la scène comme un moyen de gagner de l'argent, et également, pour rendre visible notre profession… ». Dans cet appel, sans le dire explicitement, Knifton envisage de faire un « benefit ». Il souhaite organiser un évènement pugilistique (il cite de célèbres boxeurs et répond –à l’avance- de leur présence) et reverser les recettes aux victimes directes comme indirectes (les employés qui ont perdu leur emploi) de l’incendie. Pour organiser cet évènement, il suggère la location de The Agricultural Hall228. Quoi qu’il en soit, l’appel de Knifton est un véritable succès puisque 52 boxeurs vont proposer leurs services, et « The Finsburry Polytechnic Club » propose aussi d’envoyer 20 membres. Parmi les 52 boxeurs, on compte des « amateurs » (3 sont désignés comme tels dans le journal), des professeurs (2 sont désignés comme tels) et des professionnels (où la mention n’est pas précisée mais dont les noms sont connus). Néanmoins, le 27 janvier 1888, le trésorier de la PBA, Tom Symonds, va répondre à l’appel de Knifton. Il va alors lui rappeler que la PBA a, à l’époque, des soucis financiers et que son but est justement de venir en aide aux boxeurs dont la « cause » est prioritaire (pour Symonds) à la différence des victimes de l’incendie. En résumé, Symonds reproche à Knifton d’organiser ce « benefit » alors que la boxe a suffisamment de problème pour ne s’occuper que d’elle-même. Un anonyme soutiendra Symonds dans une lettre parue le 3 février. Il explique que la PBA a des « motifs beaucoup plus hauts que la collecte de fonds pour soulager quelques malheureux ». Finalement, nous ne savons pas si le « benefit » a bien eu lieu. Aucune allusion n’est faite, aussi bien dans les comptes rendus de la PBA que dans les autres colonnes du Sporting Life. 228 Dans une lettre du 2 février, difficilement lisible, il semble que les gérants de cet établissement acceptent cette demande et mentionnent que plusieurs personnes veulent que les bénéfices obtenus après la soirée soient versés pour moitié à la PBA et pour moitié aux victimes de l’incendie du théâtre. 88 Cet épisode présente plusieurs intérêts pour cette étude. D’abord, la première phrase de Knifton, introduisant son propos est tout à fait remarquable. Le boxeur réunit ici les deux traits marquants de l’état de la boxe londonienne à la fin du XIXe siècle: envisager la boxe comme une activité de spectacle et faire reconnaître la profession de boxeur229. En présentant la boxe comme une profession qui se joue « sur scène », Knifton semble pointer les similitudes qui existent avec le monde du théâtre. De plus, même en l’absence d’épilogue, il n’en reste pas moins vrai que l’appel, et le fait qu’il soit soutenu par tant de boxeurs, montre que la boxe est toute disposée à prendre la défense des victimes d’un théâtre. Il est peu probable qu’un tel appel aurait été lancé si les victimes avaient appartenu à des professions éloignées de la boxe. De même, il semble également peu probable que dans un autre sport, un tel appel soit réalisé. Cet évènement marque une nouvelle fois la proximité qui existe entre le monde de la boxe et celui du spectacle. La « solidarité » que fait apparaître cet évènement donne l’impression que les boxeurs et les salariés (au sens large) du secteur théâtrale appartiennent à la même « communauté de métiers ». e) Devant qui combattre ? Quelques données sur les spectateurs. Comme ce fut le cas précédemment, il faut d’emblée affirmer que l’étude des spectateurs des matches de boxe à Londres à la fin du XIXe siècle mériterait une étude à part entière. Ce sujet ne sera ici abordé que partiellement. Il est pourtant l’une des dimensions fondamentales de la mise en spectacle, puisque la maximisation des spectateurs et leur satisfaction sont les deux principaux soucis des organisateurs. La boxe ne peut être mise en spectacle que dans la mesure où elle remplit les salles et où la location des établissements est rentabilisée. Par exemple, à cette époque, Roy Porter affirme que « le théâtre est énormément populaire. Le West End et la City sont parsemés de music-halls et de théâtres pouvant accueillir autour de 300 000 personnes – donnant une fréquentation de 100 millions de personnes à l’année »230. Il convient donc de comparer cet engouement avec celui connu pour la boxe. Malheureusement, enquêter sur le nombre de spectateurs d’évènements sportifs 229 Si ces éléments peuvent comprendre un aspect militant (notamment le deuxième trait) pour la corporation des boxeurs, nous traitons ici ces processus sans prendre position pour que la boxe soit reconnue ou non comme profession ou qu’elle soit assimilée ou non à une activité de spectacle. 230 PORTER, Roy, London: A Social History., op. cit., p 292. 89 conduit à rencontrer de grandes difficultés empiriques. Le choix opéré est donc de présenter trois sources différentes mais complémentaires -en ayant tout de même conscience d’être lacunaire- afin d’estimer approximativement le nombre de spectateurs assistant aux combats. Le premier élément est la capacité des salles. Pour cela, les sources suivantes ont été regroupées : les archives municipales de Londres où se trouvent des dossiers d’architecture des « grandes salles »231, les articles du Sporting Life et le livre de Diana Howard : London Theatres and Music Halls 1850-1950. A l’appui de ces différentes données, la capacité de 16232 salles et de la superficie de 3 autres établissements ont pu être regroupées. Parmi ces 16 établissements, 14 sont « professionnels » et deux sont « amateurs ». Ainsi, nous disposons de la capacité (ou superficie) d’environ 10 % des salles londoniennes et 18 % des salles « professionnelles ». Pour plus de clarté, les salles « amateurs » et les salles « professionnels » ont été séparées dans les deux tableaux suivants233 : « Handsome prize » Capacité (en nombre de personnes) ou superficie (en « feet »). 1 400p Nom de la salle (professionnelle) Adresse Prix en livres Purse Objets pour de l’argent The Blue Anchor Shoreditch 1 4 2 Milton Hall Hawley-crescent, Camden Town 1 (7 £) 350p The Baxendale Columbia-road, Hackney 1 150p Queen’s Arms Cheyne Walk, Chelsea. 1 (10 £) 1 Albany Club Holloway 1 (15 £) 1 Agricultural Hall Islington 1 (30 £). 1 The Sussex Arms Plumstead-road, Woolwich. The cape of good hope Commercial-road, Limeshouse. 1 1 (20 £) Money prize 5 « Substantial prize » 780 feet 1 500-600p Plus de 1200 feet de surface 1 324p (en 1911) 480 feet 231 « ARCHITECT'S DEPARTMENT: BUILDING REGULATIONS DIVISION» (et plus particulièrement les “Theatres cases”) / LMA/ GLC/ AR/ BR/ 52 et LMA/ GLC/ AR/ BR/ 07. 232 A ce chiffre s’ajoute une salle qui ne se trouve pas à Londres et que nous avons donc retirée du compte. 233 Certaines colonnes (dans les deux tableaux) ont été retirées car elles n’étaient pas pertinentes pour cette partie. De plus, certains chiffres ne datent pas de 1889 mais de 1890, 1891 ou 1892. Nous avons choisi de les conserver. 90 The South London Gymnasium Montford-place, Kennington-road. 5 (200 £) The Theatre the Novelty Great Queen-street, Long Acre 1 (1 000 £) 650p Astley’s Royal Amphitheatre Westminster Bridgeroad. 2 (100 £ et 400 £) 2 407p Royal Aquarium Westminster 8 1 290p The Goodwin Club Kingsland-road 2 (70 £) 600p Falstaff Music-hall Old street, St Luke’s. 1 (30 £) Nom de (amateur) la salle 2 1 300p 1 Adresse Prix précisé Lamb and Flag Rose-street, Garrickstreet, Covent Garden 1 Gloucester Music-Hall Greenwich. 250p non Médailles 2 silver cup Coupe /Trophy Capacité I (handsome cup) 150p 1 250p En prenant uniquement en compte les salles dont nous connaissons la capacité en personnes (et non en superficie), la capacité d’accueil moyenne d’une « salle professionnelle » est de 661 personnes234. Ce chiffre montre le succès de la boxe puisque ce sont des « salles » spacieuses qui accueillent donc les évènements pugilistiques. La boxe est alors matériellement prête à attirer de nombreux spectateurs, comme toute activité de spectacle. Puis, la seconde source disponible rapporte, pour dix-huit évènements de l’année 1889, le nombre de spectateurs qui étaient présents235. Toutefois, l’un des chiffres s’applique pour une salle située dans la banlieue lointaine de Londres et ne peut être comptabilisé pour caractériser les spectateurs de l’espace pugilistique londonien. De plus, ces chiffres mêlent différentes formes de pratiques : quatre « benefits », un « huit rounds contest », une « compétition » mais la majorité des cas236 fait écho à des « six rounds contest ». Cette dernière formule semble la plus courante à l’époque. A titre d’exemple, The Blue Anchor organise un « six rounds contest » tous les mercredis et samedis de la semaine. Ici, le peu de matériaux à disposition empêche d’associer un nombre de spectateurs à une forme de pratique 234 Calculé de la manière suivante : 6 190 (total des capacités en personnes) / 17 (nombre d’évènements). Ces informations ont été collectées dans le quotidien The Sporting Life. 236 C’est-à-dire à six reprises. 235 91 précise. Il est pourtant probable qu’un lien puisse être établit entre le type d’évènement proposé et la quantité de spectateurs présente. En tous les cas, si l’on retient uniquement les chiffres fournis, alors, en moyenne, un évènement pugilistique attire 364 personnes237. Comme pour la capacité d’accueil des salles, la faible base limite bien sûr la portée du chiffre. A cela un autre chiffre peut être ajouté, même s’il est en dehors de la période étudiée : le 23 juillet 1902, The Sporting Life238 évoque un violent match au Wonderland où 3000 spectateurs sont présents. Nonobstant cet ajout, les données relatives aux spectateurs sont plutôt rares. Néanmoins, celles-ci pourraient être complétées par de nombreuses estimations. Nous connaissons la capacité de dix-neuf salles et pouvons les mettre en rapport avec les qualificatifs donnés par The Sporting Life. Ainsi, les nombreuses fois où le journaliste affirme que la salle était « pleine à craquer » ou qu’on faisait « salle comble », qu’elle était « bien remplie », qu’elle était « à moitié remplie » etc. ces appréciations pourraient être rapportées aux capacités des salles. De cette façon, une estimation (certes grossière) du nombre de spectateurs lors de nombreux combats pourrait être réalisée. N’ayant pu approfondir ces différentes dimensions, nous devons ici seulement mentionner que cette méthode pourrait être menée pour renforcer nos informations sur les spectateurs. Quoi qu’il en soit, voici, à titre d’exemple, un évènement regroupant les informations détenues et mentionnées jusque-là : - Falstaff School of Arms: environ 400 personnes. Appréciation de The Sporting Life : salle « bondée ». Évènement : « Benefit » de Jack Smith. Enfin, quelques matériaux issus des archives nationales peuvent être ajoutés aux informations précédentes. En effet, le dossier « MEPO 2/555 » contient notamment un document du « Metropolitan Police Office »239. Il s’agit d’un tableau présentant quatre colonnes: le nom de l’établissement, le type de divertissement proposé ce jour-là, le nombre de spectateurs et les conditions d’évacuation de l’immeuble. Il fournit ainsi le nombre de spectateurs assistant aux matches, et dont le chiffrage a été réalisé par un autre groupe professionnel que celui des journalistes. De plus, « The Law Officers of the Crown » 237 6 890 (nombre total de spectateurs) / 18 (nombre total d’évènement). Coupure de presse présente dans les archives nationales et plus particulièrement le dossier : « Amusements: Boxing Competitions and other entertainments » / 1902-1907/ AN/ MEPO 2/555. 239 Ibidem. 238 92 rapportent240 que: « les divertissements de boxe, que l'on donne maintenant en nombre croissant, garantissent la présence de très nombreux spectateurs et parfois des événements surpeuplés incluant des personnes au comportement perturbateur ». Bien que non chiffrée, cette information sous-tend deux idées : la première est que les compétitions de boxe attirent beaucoup de spectateurs et la deuxième concerne l’attitude de certains d’entre eux241. Dans les deux cas évoqués, c’est la pluralité des sources qui est aussi très précieuse et qui permet d’être au plus près de la réalité sociale. Par ailleurs, le tableau regroupe au total 17 « divertissements ». Ceux-ci ne mettent pas toujours en jeu de la boxe, le rapport évoque des « concerts privés » ou des « bains/piscines privés ». Pourtant la boxe est surreprésentée dans ces activités puisqu’elle concerne 13 divertissements sur 17. Ce chiffre laisse donc entendre que la boxe compte parmi les divertissements les plus en vue. Elle fait même venir en moyenne 795242 spectateurs selon la police. Ce chiffre, bien qu’issu d’une faible base statistique, est particulièrement élevé. Enfin, la boxe apparaît l’activité qui attire le plus grand nombre de spectateurs : les trois événements les plus suivis sont des combats : 2 500, 1 000, 900 spectateurs. Le tableau fournit donc un indice du succès de la boxe, par le nombre d’événements et le nombre de spectateurs, et objective une fois de plus sa proximité avec le monde du spectacle. En effet, concernant ce dernier point, la boxe est même classée comme « divertissement » (« entertainment ») au même titre que les concerts privés, dans les rapports la police. Le monde du spectacle et le monde pugilistique sont ici littéralement confondus par la police. Néanmoins, si ce tableau permet de donner un ordre d’idées de l’affluence existante lors des compétitions de boxe, il n’en reste qu’il présente certaines limites. La première est que le document date de 1904. Cette période n’a, ici, pas été étudiée. De ce fait, beaucoup de salles nommées nous sont inconnues et ne peuvent être rapportées aux informations de 1889. Le tableau permet donc de donner un ordre de grandeur du nombre de spectateurs mais nécessiterait d’être complété par une lecture plus fine des salles de l’époque. 240 Voir la partie sur l’attribution des licences. Sur ce dernier point, il est ici difficile de mesurer ce qui relève d’un « mépris populaire » de la part des « Law Officers » et ce qui implique une réalité sociale liée certainement à l’autorisation de l’alcool lors des évènements pugilistiques. Néanmoins, il est frappant que de nombreux auteurs (dont Stan Shipley) considère la boxe comme « une culture ouvrière » (SHIPLEY, Stan. « Two Faces of Boxing »., Bulletin of the society for the study of Labour History, n° 50, p 6-7, 1985). Cette affirmation est courante, elle postule que les boxeurs seraient majoritairement issus des classes populaires. Si cette affirmation est bien sûr possible, il n’en reste que nous ne connaissons aucune étude empirique portant sur l’origine sociale des boxeurs professionnels. Les éléments sont donc manquants pour affirmer si majoritairement les boxeurs professionnels, qu’elles que soient les années et les lieux, sont d’origine ouvrière. Une ébauche d’étude est réalisée par Loïc WACQUANT pour le cas de Chicago (Corps et âme. Carnets ethnographiques d’un apprenti boxeur. Agone, Marseille, 2000). 242 Calculé de la manière suivante : nombre total de spectateurs (10335) / nombre d’évènements (13). 241 93 ? Name etc. of hall Class of entertainment D The International Athletic Club 211 Marylebone Road National Sporting Club. King – street, Covent Garden. [Nouveau nom du Pelican Club]. Drill Hall, 14th Midds Rifle Voluntteers, Adam and Eve Mems, Kensington High St. Kensigton School of Arms, Pembroke Walk. Public Swimming Baths, 83 Pentonville Road. Wonderland Whitechapel Road. Bow Baths Hall, Roman Road. Boxing Competitions. St Stephens Hall, Saxen road, Bow. Kings Dancing, A cabeny (?) collage grove, Mile End road. Corrugatedison (?) building, Jake (?) Road, Silvertown. Drill Hall, 3d Royal West King Volunteers, Berenfire (?) Street. Laschmest (?) Public Baths, Laschmest Road, E J J G H K K K K R V Approximative number of persons attending 400 Conditions etc. of exit. Boxing entertainment and concerts for charitable purpose. 150 to 200 Good Boxing competition. 900 Good Assault at arms. 100 to 140 Good Boxing competitions. 200 Bad Boxing entertainment. 2 500 Bad Private concerts. 500 Private concerts. Private baths and parties 400 Now under consideration of Bow-foncil. Good 200 Good Boxing exhibitions. 70 to 80 Only one exit Boxing competitions. 3 500 Unsatisfactory. Boxing contest and swimming entertainment. 1 000 10 exits. Bad 94 V X Y Y Y Battersea. St Johns Hill Baths Drill Hall 1et % (?) City of London Volunteer Artillery Wood Lane, Uxbridge road. Highgate Liberal and Radical Club, 22a Rescur Street, Highgate New Town. Drill Hall, 13th Middx Volunteers High street, Camden Town. Perman Gymnastic Societys Club, Pancras-Road. Boxing Contest 400 Only one exit. Boxing competition 200 to 300. Good. Boxing competition. 200 Totally insufficient and very dangerous. Boxing competitions and gym displays. 600 Fair Illisible 800 Fair 95 Conclusion : « Ces analyses ont pour objet de déjouer une illusion : celle de penser que l'histoire du sport est, d'abord, l'histoire du jeu sportif. Elle est aussi, et avant tout, celle des conditions dans lesquelles les matchs deviennent des événements »243. Cette citation d’André Rauch résume assez bien l’intention de cette recherche. Cette étude vise à esquisser la construction de l’espace de la boxe professionnelle à Londres à la fin du XIXe siècle. Et plus particulièrement, au cours de la décennie fondamentale qui s’étend du milieu des années 1880 au milieu des années 1890. Qu’apporte cette étude en comparaison avec celles déjà existantes ? Nous pensons avoir montré que la mise en spectacle de la boxe est la condition par laquelle les « matches deviennent des évènements ». Cette spectacularisation se répercute sur le statut des boxeurs leur permettant de s’affranchir de l’amateurisme et de pouvoir vivre de ce sport. La Professionnal Boxing Association joue un rôle essentiel dans ce processus. Jusque-là ignorée par les historiens, cette institution est ici analysée en profondeur. Elle se compose de membres influents disposant de pouvoirs économiques et symboliques qui lui permettent de façonner la boxe en l’orientant vers le secteur du spectacle. Notre étude montre donc que la lutte pour l’existence d’une boxe professionnelle, menée par la PBA, n’est donc pas un objectif corporatiste, par lequel les professionnels se seraient défaits de l’amateurisme en se construisant comme une association de professionnels défendant leurs intérêts, mais un travail de promotion sociale et politique de la boxe comme spectacle autorisé. En déplaçant l'éclairage du regard - habituellement centré sur des transformations règlementaires ou techniques - nous avons donc été amenés à nous intéresser à des archives peu exploitées dans l'étude de ce sport pour mieux comprendre les transformations sociales et institutionnelles qui ont permis de faire de la boxe professionnelle un spectacle autorisé. Cette initiation d'une histoire sociale de la structuration de l'espace pugilistique permet une meilleure compréhension de l’évolution de ce sport. La boxe professionnelle est aujourd’hui relativement autonome et le groupe des boxeurs est un groupe qui a plutôt 243 RAUCH, A. « L'oreille et l'œil sur le sport », Revue Communications, n°67, 1998, p 207. 96 « réussi »244. La boxe est pourtant issue d’une activité qui se trouvait au cœur d’espaces différents, voire concurrentiels : celui du sport et celui du spectacle notamment. Notre recherche montre qu’elle est « génétiquement » le produit d’une logique économique et d’une logique sportive. Or, c’est bien à partir de ce modèle initial (si particulier) que la boxe a été conçue comme profession, et s’est exportée en France. Ce processus de diffusion, d’un pays à l’autre, doit maintenant être analysé. Celui-ci s’est d’abord fait de manière clandestine jusqu’en 1903 avant de devenir légale au début du XXe siècle. Au regard de notre précédente étude (portant sur la biographie du boxeur français Georges Carpentier (1894-1975)), ce modèle pugilistique anglais, si proche des activités de spectacle et si « professionnel », s’est exporté vers l’hexagone où il a fait l’objet de réticences, manifestement plus fortes qu’en Angleterre. D’une part, les oppositions entre la boxe française et la boxe anglaise, abordées par Jean-François Loudcher depuis la boxe française245, sont nettes et « violentes ». D’autre part, les rivalités entre la boxe anglaise « de spectacle » et la boxe anglaise « fédérale », jusque-là non étudiées, sont toutes aussi virulentes. La première défend une boxe professionnelle, considérée par les amateurs comme plus violente mais moins « réelle »246. Elle prend la forme d’évènement et mobilise de nombreux spectateurs lors de combats très médiatisés. La boxe « fédérale » défend, elle, une boxe amateur, dite moins violente mais « authentique », et surtout « éducative » puisque non « corrompue » par l’argent. L’apogée de cette rivalité est atteint en 1923 lorsque le fascicule, édicté par la fédération et contenant les règles officielles, est introduit par le propos suivant : « Avis important : La Fédération Française de Boxe exerce exclusivement son contrôle sur les organisations sportives dignes de ce nom. Elle se désintéresse totalement des manifestations de boxe qui ne sont pas autre chose que des entreprises théâtrales ou foraines et des engagements de cirques ou de music-hall. Les « REPRESENTATIONS » de boxe, ne présentant aucun caractère sportif, la FFB n’a garde de s’en occuper. En cela, la fédération entend parler des rencontres 244 Selon le mot de L. BOLTANSKI (voir supra). LOUDCHER, J-F, Histoire de la savate, op. cit. 246 Les amateurs soupçonnent les professionnels de faire du « chiqué », c’est-à-dire de « tricher » ou de « simuler ». La figure repoussoir dans ce domaine est alors la lutte (voir CLEMENT, J-P. et LACAZE, L., « Contribution à l’histoire sociale de la lutte », Travaux et Recherches en EPS, n°8, Paris, INSEP, p 102- 115, 1985). 245 97 matches ou défis, qui constituent un numéro du programme des casinos, music-halls, théâtres ou cirques. Ces « productions » rabaissent le sport de la boxe à un rang que ses dirigeants ne sauraient envisager ». L’histoire de la diffusion et de l’institutionnalisation de la boxe en France doit maintenant être faite pour mieux comprendre les origines de ce sport et son modèle de structuration peu courant dans l’histoire du sport français. 98 Bibliographie - ABBOTT, A., The system of professions. An essay on the Division of Expert Labour, University of Chicago Press, Chicago-Londres, 1988. - ABBOTT, A., « Ecologies liées: à propos du système des professions », in Menger, P-M., (dir), Les professions et leurs sociologies. Modèles théoriques, catégorisations, évolutions., Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, p 29-50, 2003. - ACTES DE LA RECHERCHE EN SCIENCES SOCIALES, Sociétés du spectacle, n° 186187, Seuil, Paris, 2011 - AVRIL, C., CARTIER, M. et SERRE, D., Enquêter sur le travail. Concepts, méthodes, récits. La découverte, Paris, 2010. - BETTINSON, A. F., The National Sporting Club, past and present, [1901], Read Book, 2009. - BOLTANSKI, L., Les cadres. 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