les violences dans les stades : l`equipe, miroir de la - Humeur-2-Foot

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les violences dans les stades : l`equipe, miroir de la - Humeur-2-Foot
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UFR : GHSS, département d’histoire
Université Paris Diderot-Paris 7
Master 2 « Histoire et civilisations comparées », spécialité « Identités et altérités »
LES VIOLENCES DANS LES STADES :
L’EQUIPE, MIROIR DE LA SOCIETE ?
(1985- 1998)
L'Equipe, Une du 30 Mai 1985
L'Equipe, Une du 13 Juillet 1998
Présenté par :
Adrien LABORDE
Sous la direction de Gabrielle Houbre
Juin 2013
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Remerciements
Je tiens tout d’abord à remercier Madame Gabrielle Houbre qui a dirigé la rédaction de ce
mémoire pour sa disponibilité, ses orientations et ses conseils avisés qui m’ont beaucoup aidé
dans mon travail.
Je souhaite également exprimer ma gratitude envers Madame Anastassia Tsoukala qui a
accepté de réaliser un entretien au tout début de mon étude et m’a beaucoup éclairé sur le
sujet.
3
Sommaire
Remerciements…...…………………………………………………………………………… 2
Sommaire ……………………..........………………………………………………………… 3
Introduction ….……………………………………………………………………………….. 5
I. Apparition du phénomène hooligan dans L’Equipe : un danger censé venir tout droit
d’outre-manche……………………………………………………………………………….12
A. Émergence du Hooliganisme dans L’Equipe à Bruxelles au stade du Heysel ……12
a. Un coupable tout désigné : Les anglais ……………………………………14
b. Le football, érigé en victime ……………………………………………….17
c. Des forces de l’ordre aux instances du football : Un devoir de réserve ? ....20
B. Le drame de Hillsborough : Un amalgame qui relance la nécessité de prendre
des mesures …….………………………………………………………………………25
a. La recherche des coupables ……………………………………………….26
b. Une nécessité d’alimenter le sensationnel ………………………………..31
c. Des hooligans partout sauf en France ……………………………………..35
II. L’arrivée du hooliganisme en France : D’un problème spécifique au sport à un
problème de société …...……………………………………………………………………...40
A. Quand les supporters du PSG cristallisent l’attention du paysage footballistique
français …………………………………………………………………………...41
a. Le hooliganisme s’arrête à Paris ………………………………………...41
b. L’indulgence à l’égard des provinciaux…………………………………46
c. Une menace qui commence à prendre forme …………………………....48
d. Des propos de paire avec le discours politique …………………………56
B. Une gestion du risque appuyée par L’Equipe ……………………………………59
a. Apparition des matchs à risque …………………………………………..60
b. Un phénomène qui touche dorénavant tout le pays ……………………..64
c. Le paradoxe Cantona : quel discours pour le héros violent ? …………..68
4
III. La Coupe du Monde 1998, entre sentiment d’insécurité et promotion du
sport qui rassemble …………………………………………………………………………...72
A. « La France qui gagne » en trompe-l’œil ………………………………………...72
a. Le football, nouveau fournisseur de plaisir ……………………………..73
b. La France Black Blanc Beur, un faux semblant……………………….....76
c. Un impératif de vente …………………………………………………….80
B. Le foot-spectacle, symbole d’une nouvelle priorité accordée à la sécurité
intérieure et à la protection des biens et des personnes ..………………………..82
a. Du hooliganisme à la criminalité ………………………………………...82
b. Mise en valeur de la sécurité ……………………………………………..84
c. Evolution dans le domaine juridique……………………………………..89
d. Une menace pour la société entière ………………………………………92
Conclusion …………………………………………………………………………………...96
Annexes ……………………………………………………………………………………..102
Bibliographie ………………………………………………………………………………..106
5
Introduction
Contrairement à l’idée générale reçue, les débordements des publics sportifs ne sont
pas un phénomène récent. On en trouve trace dès le XIXe siècle en Angleterre et dès le début
du XXe un peu partout dans les stades d’Europe. Le premier tournant a lieu au milieu des
années 1960, au Royaume-Uni, quand les incidents deviennent le fait d’auteurs plus jeunes,
souvent adolescents ou jeunes adultes, qui accordent à ce comportement une place très
importante dans leur vie. En effet, il leur permet de se structurer dans un environnement réel
ou imaginaire, nécessaire à la formation de leur personnalité. Les incidents cessent également
d’être spontanés, c'est-à-dire qu’ils ne sont plus liés au déroulement du match, à telles ou
telles décisions ou émotions, dans un cadre spatio-temporel bien défini (le stade, le temps du
match). Ils deviennent de plus en plus organisés, rationnels et inscrits dans un cadre spatiotemporel indéfini, pouvant voir lieu n’importe où et n’importe quand. L’apparition de la
notion de hooliganisme semblerait donc mettre en exergue tout à la fois un changement de
comportement et de paradigme. Pour rendre compte de ces événements et voulant réaliser un
bon mot, un journaliste dénomme les spectateurs violents « hoolihan » – nom d’une famille
irlandaise, décapitée sous le règne de la reine Victoria pour ses comportements antisociaux
d’une extrême violence lors d’émeutes. Mais nul ne sait à quel moment, ni même pourquoi on
passe de « hoolihan » à « hooligan ».
La rapide expansion du hooliganisme sous sa forme moderne a rapidement attiré
l’attention des médias qui, dès le début des années 1970, se sont de plus en plus intéressés à
ce nouveau phénomène. Au fil des années, nous pouvons convenir que le nombre d’acteurs
dans l’espace du hooliganisme n’a cessé d’augmenter, allant des législateurs nationaux, aux
agents de sécurité publics ou privés, en passant par des élus locaux, des hommes politiques,
des sportifs, des associations de supporters, des magistrats et bien évidemment des
journalistes. Le hooliganisme, et surtout son contrôle, sont donc inévitablement devenus les
points de convergence d’un ensemble d’enjeux politiques, sociaux, économiques et culturels.
Il s’agit dans cette étude d’analyser l’adaptation à toutes ces évolutions du principal diffuseur
de sport dans la société française, L’Equipe.
6
Revenons d’abord sur l'apparition de la presse sportive en France, qui se situe à la fin
du XIXe siècle, et justement sur celle de L’Equipe en particulier. Si la création officielle de
L’Equipe date de 1946, mais il faut remonter à L'Auto-Vélo, créé en 1900 à l’occasion de
l'exposition universelle et des Jeux Olympiques qui ont tous les deux lieu à Paris, pour
comprendre la véritable origine du journal. Henri Desgrange est le directeur de journal
L'Auto-Vélo et Victor Goddet son administrateur. Fort de son expérience de publicitaire,
Desgrange sait faire de son journal un formidable support de la pratique sportive tout en
mettant bien en valeur l'apolitisme déclaré de L'Auto-Vélo afin d'attirer le plus grand nombre
de sponsors et d'annonceurs. Ainsi, après avoir dû changer le titre de son journal qui devient
L'Auto (1903), Desgrange a fortement concurrencé Le Vélo en organisant une grande course
cycliste en 1903 suite à une idée de Géo Lefèvre : Le Tour de France. L'Auto dope alors ses
ventes, se plaçant ainsi en tête des publications sportives bien devant ses journaux
concurrents. L'Auto continue à paraître sous l'Occupation mais sera frappé d'interdiction à la
Libération selon les règles édictées par l'ordonnance du 30 septembre 1944 interdisant les
organes de presse ayant paru sous contrôle allemand durant cette période. Jacques Goddet
évoque le 21 septembre auprès du ministère de l'information « la possibilité de créer une
nouvelle publication avec des valeurs favorables à l'éducation de la jeunesse, [qui] défendrait
les fédérations, et ce serait un journal n'ayant aucune tendance politique. »1 L'Auto devient
alors L’Équipe le 28 février 1946, et doit faire face à l'apparition de deux journaux
concurrents : Sports qui était financé par le parti communiste français, et Élans alimenté par
des personnalités socialistes. L’Équipe quant à lui mettait en avant son apolitisme et son
attitude résistante durant la dernière guerre mondiale. Le choix du titre du journal est bien
pensé, dans un souci de mise en avant des valeurs du sport et de la philosophie professionnelle
voulue par les dirigeants. L’Équipe ne paraîtra au début que trois fois par semaine pour
ensuite devenir un quotidien en 1948. Puis L’Équipe fusionne avec Élans, pour atteindre une
situation de monopole avec la disparition du quotidien Sports. Pendant près de 40 ans,
L’Équipe n'a plus aucun concurrent sérieux venant contrarier son monopole sur la presse
sportive française. L’Équipe profite même de cette période pour asseoir sa situation en
achetant le journal France Football appartenant à la Fédération Française de Football pour le
transformer en hebdomadaire et varier son offre sur le marché. En 1964, L’Équipe continue
son ascension en fusionnant avec les éditions Emilien Amaury (éditrices du Parisien Libéré).
En 1987, c’est Le Sport qui veut venir s'implanter sur le marché de L’Équipe. Mais cette
1
Michael Attali, Sports et médias du XIXe siècle à nos jours, Atlantica, 2010
7
initiative se solde par un échec puisque neuf mois plus tard Le Sport met la clé sous la porte.
Plus récemment, L’Équipe a dû affronter la concurrence du 10 Sport créé par Michel Moulin
en novembre 2008. Le 10 Sport aura comme angle d'attaque principal son prix attractif (50
centimes d'euro) et son partenariat avec la radio RMC Sport. Afin de contrer cette nouvelle
apparition, le groupe Amaury (qui détient L’Équipe) avait lancé le même jour Aujourd'hui
Sport sous le même format et vendu au même tarif que Le 10 Sport. Suite à de mauvaises
ventes, Le 10 Sport devient un hebdomadaire en mars 2009, imité alors par Aujourd'hui Sport,
qui par la suite se saborde en juin 2009, sa mission de déstabilisation du 10 Sport étant déjà
remplie. En définitive, l'histoire de la presse sportive quotidienne se résume à quatre périodes
de monopole : L'Auto de 1905 à 1944, L’Équipe de 1948 à 1987 puis de 1989 à 2008 et depuis
2009. Tant et si bien qu'à l'heure actuelle le contraste est saisissant : quand de grands pays
européens comme l'Espagne (El Mundo Deportivo, As, Marca, Sport) ou l'Italie (La Gazetta
dello Sport, Corriere dello Sport, Tuttosport) disposent de plusieurs quotidiens sportifs, la
presse française se cantonne à un unique journal d'envergure qu'est L’Équipe. Depuis sa
création, la presse sportive se porte en défenseur du sport de haut-niveau et du sport-spectacle
car ils sont synonymes de rentabilité pour elle, et L’Équipe a particulièrement bien su saisir
cette dimension du sport-spectacle pour en faire son cheval de bataille.
La logique de L’Équipe, depuis ses origines, n'est pas uniquement de suivre et de
décrire des évènements sportifs, c'est surtout de créer ses propres épreuves ou tournois afin
d'accroître toujours un peu plus son audience et de se démarquer de ses concurrents. Plus tard,
de par sa situation de monopole, L’Équipe ne pourra pas se contenter de simplement attendre
la tenue des évènements sportifs, mais devra au contraire les créer pour faire l'actualité
sportive. Ce sont en effet les manifestations sportives d'ampleur qui entretiennent et confèrent
à L’Équipe son monopole. Dans le souci de régulariser ses ventes, L’Équipe a tout intérêt à
créer des évènements sportifs qui lui permettront de gonfler un peu plus son calendrier afin
d'avoir une actualité sportive en milieu de semaine et durant l'hiver par exemple. Cela permet
au journal de bénéficier de retombées financières régulières, assurant ainsi sa rentabilité. On
peut par exemple citer la Coupe d’Europe des Clubs Champions, l’Euroligue de basketball, la
Coupe du Monde de ski, la Route du Rhum ou bien encore le Paris Dakar.
Les médias, et dans le cas présent la presse écrite, ont participé à la construction de la
perception contemporaine du sport et du sportif. En effet, un quotidien comme L’Équipe a
instauré une certaine mythification du sport et du sportif, et porté ce dernier au rang de héros
ou bien celui de paria en créant de véritables feuilletons sportifs avec une dramaturgie
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exacerbée. Cela a contribué à fidéliser le lecteur. Ainsi, le fait que le sport soit à ce point
porteur pour un média va attirer les convoitises, mais également développer l'envie de régner
seul sur cette formidable manne en écartant la concurrence pour dominer le marché. Par ce
biais, le support médiatique pourra être le seul à relater le sport à l’échelon national,
s'appropriant une hégémonie sur l'opinion concernant les valeurs du sport et bénéficiant de sa
popularité croissante, ainsi que de son grand succès.. L’Équipe a en effet bien su saisir cette
dimension du sport, et a cherché au fil de son histoire a toujours asseoir un peu plus sa
domination dans la presse sportive française. Ce quotidien a alors pu exercer son influence le
mieux possible dans ce milieu, et devenir la référence connue de tous.
Cependant, il doit faire face aux nombreuses évolutions qui touchent aujourd’hui la
presse écrite et notamment le métier de journaliste et qui sont des entraves à sa réflexion.
L’arrivée des médias d’information continue (radio et télévision) puis de la presse en ligne a
considérablement accru la rapidité de la production de l’information en même temps qu’elle a
uniformisé les contenus, ce qui est fatal. Le spectateur peut désormais accéder aux
compétitions en direct et L’Equipe ne peut plus se suffire de simplement narrer l’évènement
suivi. L’information ne réside donc plus dans le déroulement de l’évènement puisque le
spectateur peut y assister en même temps que le journaliste. De plus, le manque de temps
devient la première caractéristique de cette profession, et il la dégrade au point que, comme le
souligne Laurent Mucchielli « le réflexe a remplacé la réflexion »2. Une autre évolution
importante réside dans la place qu’a prise la communication dans le fonctionnement des
organisations structurant la vie sociale depuis les années 1990. Les journalistes sont
maintenant confrontés à des grandes entreprises, des organisations politiques ou des dirigeants
de clubs de football qui cherchent dorénavant à faire passer des messages, à raconter les belles
histoires de leurs choix. Enfin, une autre évolution est la disparition du débat contradictoire.
Comment demander aux journalistes d’organiser un débat lorsque tous les participants disent
tous plus ou moins la même chose ? Le métier de journaliste est donc beaucoup plus
compliqué que des années auparavant.
Les médias sont des acteurs de la vie en démocratie qui prennent part aux discussions
au sein de l’espace public. Ils sont des acteurs de la société civile. Le premier rôle attribué aux
médias, particulièrement aux journaux de presse écrite, est l’information. En informant, les
médias alimentent et relaient les discussions qui traversent la société civile. Sont-ils, en tant
2
Laurent Mucchielli, L’invention de la violence, Fayard, p.32
9
qu’informateurs, de simples relais transmetteurs livrant une information neutre ? Il nous
semble que non et, depuis la théorie de McLuhan notamment, beaucoup d’analyses ont
montré qu’en informant, les médias produisent des constructions humaines collectives et
qu’en ce sens, ils ne sont pas de simples relais dans la démocratie. Comment les médias
peuvent-ils parler de violence ? Nous nous centrons ici sur un journal, dont la problématique
d’action face aux violences est complexe, précisément parce qu’il va la mettre en discours. Le
journal, parce qu’il participe à la construction des représentations sociales de la violence,
devient ainsi lui aussi un acteur important du conflit qui se joue.
En rendant compte et en analysant de tels évènements, L’Equipe et plus largement les
médias ont participé à la disponibilité publique du thème de la violence dans le sport. Le
traitement médiatique a consisté avant tout à rapporter et à commenter de tels évènements
violents en leur donnant une définition très précise. Les médias n’apparaissent donc pas
comme de simples transmetteurs de l’information, mais bien comme des constructeurs des
représentations sociales. Ce qui est montré et écrit dans les médias n’est pas la réalité, mais
quelque chose de symbolique, une sorte de représentation de la réalité. En effet, le réel est ce
qui appartient au champ de l’expérience, il suppose qu’un évènement se produise et qu’un
individu en soit acteur ou témoin. Et lorsque les médias veulent en rendre compte, ils doivent
le mettre en discours, autrement dit, ils doivent lui donner du sens. Bernard Lamizet écrit à ce
sujet : « Les médias font apparaître l’événement dans un environnement langagier, et, par
conséquent, lui donnent du sens : ils représentent l’événement, en donnant un statut
sémiotique à son déroulement, à ses acteurs, à ses enjeux, à ses circonstances »3. Il semble
qu’il y a, en effet, des enjeux forts derrière la question des médias et de leur traitement de la
violence. Les discours médiatiques sont porteurs d’enjeux et de symboles très importants dans
l’espace public ; ils participent à la construction du lien social. Selon Paul Beaud, ils sont «
l’un des lieux essentiels où le pouvoir social concrétise, par la parole, par le symbole, sa
propre définition du social, qu’il l’explicite : par leur intermédiaire, la connaissance que la
société se donne d’elle-même lui est retournée, la représentation lui revient et devient partie
de sa réalité, elle contribue à la transformer. »4
La période étudiée s’étend de l’année 1985 à l’année 1998. L’année 1985 marque un
véritable tournant dans l’analyse du traitement médiatique du hooliganisme puisque c’est à
partir du drame du Heysel que celui-ci commence vraiment en France. Dans l’urgence
3
4
Bernard Lamizet, Sémiotique de l’événement, Paris, Lavoisier - Hermès Science, 2006, p.95
Paul Beaud, La société de connivence, Paris, Aubier-Montaigne, 1984, p.333
10
médiatique des événements qui s’y sont joués, les journalistes, en répétant en boucle les
interprétations concernant le hooliganisme anglo-saxon, ont contribué très largement à la
fabrication des représentations collectives en la matière : le hooligan est devenu
définitivement un Anglais, jeune, mal inséré socialement, délinquant dans la vie ordinaire et
imbibé d’alcool. On peut alors se demander si L’Equipe reflète bien la réalité ou si, devenue
une marchandise, l’information se soucie vraiment de la vérité : l’essentiel est peut-être tout
simplement de vendre. Le hooliganisme perd en tout cas définitivement son insularité car en
commentant, en reformulant, en repassant incessamment les mêmes images, L’Equipe a
donné une visibilité sans précédent aux supporters et hooligans. Auparavant ils soutenaient
leur équipe, le hooliganisme étant la forme ultime, dérive extrême du supportérisme jusqu’auboutiste, dorénavant ils seront de plus connus et reconnus, leurs actes seront authentifiés. La
médiatisation du Heysel accélère donc l’extension du phénomène au niveau européen. Quant
à l’année 1998, elle est représentative du nouveau discours face aux violences, à travers
notamment la très médiatisée agression du gendarme Nivel. En corrélation avec la victoire
finale de l’équipe de France de football, l’analyse de cet évènement offre d’autres
perspectives et place L’Equipe dans un rôle très ambigu.
L’étude proposée ici vise à décrypter le traitement médiatique des violences dans les
stades et à analyser l’évolution du discours de L’Equipe en fonction des évènements ou des
incidents les plus importants sur la période donnée. En émettant l’hypothèse que ce discours
est la base de la construction d’un nouvel acteur social, qui naît d’abord dans le monde du
sport pour ensuite s’étendre à la société entière, nous pouvons nous demander dans quelles
mesures le discours de L’Equipe préfigure la manière dont les médias généralistes vont
s’emparer du problème des incivilités au début des années 2000. De telle sorte qu’il
représenterait alors un nouveau type de journalisme qui vise moins à informer qu’à produire
des sentiments, c'est-à-dire qui privilégierait l’émotion à la réflexion.
En l’englobant dans un contexte plus large que celui du seul monde médiatique et en
le replaçant en tant qu’un des acteurs jouant un rôle prépondérant dans la construction de
l’opinion publique, cette étude se consacre dans un premier temps à l’apparition du
phénomène hooligan dans la presse française à travers deux exemples bien précis que sont la
tragédie de Bruxelles au Stade du Heysel et celle de Sheffield au stade d’Hillsborough. Il
s’agirait avant tout d’une nouvelle mission pour L’Equipe d’éclairer le peuple français sur un
phénomène de violences qui trouverait son point de chute seulement en Angleterre, mais aussi
et surtout de rendre compte du risque possible que celui-ci s’exporte au-delà des îles
11
britanniques, justifiant ainsi l’adoption de mesures spécifiques à la lutte contre le
hooliganisme. Dans un second temps, il est question de l’apparition du phénomène en France,
qui toucherait d’abord uniquement le Paris Saint Germain et ses supporters, puis de son
expansion sur tout le territoire français, qui vient ainsi alimenter la construction du sentiment
d’insécurité. Enfin, dans un troisième temps, il est proposé à partir de l’étude de la Coupe du
Monde 1998, de s’interroger sur l’évolution du rôle de L’Equipe, qui, en tant que relais
numéro un de l’information sportive, contribue à modifier en profondeur le rôle du sport et en
particulier du football, qui tend de plus en plus à devenir un spectacle, celui-ci se retrouvant
lié à tout un ensemble d’enjeux économiques et sociaux pour les pouvoirs publics.
12
I.
APPARITION DU PHENOMENE HOOLIGAN DANS L’EQUIPE : UN
DANGER CENSE VENIR TOUT DROIT D’OUTRE-MANCHE
A. Émergence du Hooliganisme dans L’Equipe à Bruxelles au stade du
Heysel
29 Mai 1985. A l’occasion de la finale de la Coupe d’Europe des clubs champions
opposant le club de Liverpool à celui de la Juventus de Turin, un drame se joue entre les
supporters des deux équipes et aboutit à la mort de plusieurs dizaines de personnes. Le choc
produit par les images retranscrites en direct à la télévision devant des millions de
téléspectateurs change totalement la perception des débordements des supporters.
Les circonstances de cette tragédie sont désormais bien connues. Les supporters
italiens occupaient l’un des virages derrière les buts. L’autre était réservé aux Anglais, à
l’exception de la tribune Z dont les billets, étaient censés être destinés à des spectateurs
neutres, mais avaient en réalité été majoritairement achetés par des partisans de la Juventus.
Une heure avant l’horaire prévu du début du match, suite à diverses provocations, des fans
anglais des blocs X et Y s’en sont pris aux occupants du bloc voisin Z. Après avoir lancé des
projectiles, ils ont escaladé puis arraché le léger grillage séparant les deux tribunes et ont
chargé les supporters de la Juventus, une première puis une deuxième fois. Peu habitués de
ces tentatives de prise de tribune, qui avaient souvent lieu avec les plus extrémistes des
supporters anglais, les policiers belges ont été désemparés et les spectateurs du bloc Z gagnés
par la panique. Ils ont tenté de fuir la tribune mais se sont trouvés bloqués par le mur
d’enceinte (dont un pan finit par s’effondrer) et par les grilles séparant les tribunes du terrain
que les policiers tardèrent à ouvrir. Ecrasées et étouffées contre le mur ou les grilles, piétinées
par la foule fuyant les projectiles ou les coups des Anglais, 39 personnes trouvèrent la mort.
Ici, l’évènement a été traité comme une catastrophe collective (on peut d’ailleurs
remarquer que le champ sémantique de la catastrophe est très largement utilisé dans les
différents articles). Mais, et c’est là que la volonté des journalistes de marquer le coup se fait
ressentir, l’évènement a aussi été raconté en désignant avant tout les responsables du drame,
certains supporters anglais – nous verrons que, très vite, l’amalgame sera fait entre certains
13
supporters anglais et les anglais - . Ici, à travers l’exemple de la tragédie du Heysel, L’Equipe
donne une compréhension du monde partagée par ses lecteurs. Le journal participe à créer une
certaine idéologie collective de l’espace public, en en définissant de nouvelles frontières et en
faisant surgir une nouvelle catégorie de « déviants » : les hooligans. Mais nous allons voir
qu’il ne s’agit pas encore de décrire et d’analyser un phénomène de société, mais plutôt de
rendre compte d’un accident certes dramatique, mais qui n’est le fait que de quelques
supporters identifiés (les anglais). Et puisque les lecteurs ne veulent pas que LEUR football
soit entaché, il faut alors trouver un coupable extérieur, et celui-ci est tout désigné, il est
anglais.
Le 30 Mai 1985, il fait de sa Une le tragique évènement de Bruxelles en titrant « LE
FOOTBALL ASSASSINE ». Comme elle l’indique clairement, c’est le football qui est
assassiné, c’est le football qui pâtit de cette tragédie. Il faut trouver un moyen de le
dédouaner, de le faire passer pour une victime, et de faire ressentir aux amoureux du sport que
cet évènement n’est le fait que de la « folie des hommes »5. Comme un symbole, les photos
choisies : D’un côté, les méfaits d’une « horde sauvage de hooligans », de l’autre, un sportif
français au sommet de son art, qui domine son sport, comme en témoigne les commentaires
des photos, qui rappelle que Platini devient le deuxième français de l’histoire après Raymond
Kopa, à marquer lors d’une finale de coupe d’Europe...
Robert Parienté, auteur de l’éditorial en question, est alors directeur de la rédaction :
« Révoltant », voici le titre de son article. A sa lecture, plusieurs sentiments se dégagent :
Honte, colère, alarmisme, nécessité d’agir. Honte, car L’Equipe a créé de toute pièce la Coupe
d’Europe des Clubs Champions, en 1955, « épreuve dont on pouvait se demander si elle
pouvait encore avoir une justification ». Colère, à l’encontre des responsables les plus mis en
avant, les « énergumènes masqués, armés de gourdins ou d’armes contondantes […] les
violeurs du stade […] des sauvages privés de raison ». Alarmisme, avec la description des
faits et les images relatives à la guerre « si l’on doit admettre dans un stade le règne de la
terreur » ou encore le seul témoignage de Michel Hidalgo, ancien sélectionneur de l’équipe de
France et directeur technique national au moment des faits, qui assimile le stade a un « camp
retranché ou l’on comptait les morts ». Enfin, une nécessité d’agir, « il nous faut condamner
de tels agissements », l’« obligation de régler le problème qui a éclaté à la face du monde », le
« devoir qui incombe aux dirigeants du football européen et mondial de frapper ces
5
L’Equipe, 30 Mai 1985, en Une
14
sauvages ». Le ton est donné, le football, s’il est assassiné, c’est par les hooligans. Et
l’impression générale laisse à penser que, pour le ressusciter, il faut les « écarter à tout jamais
des tribunes ».
Comment interpréter ce discours très engagé, impliqué et revendicatif? Il parle d’un
accident donc le hooliganisme n’est pas encore un enjeu dans le monde footballistique mais
un épiphénomène en un lieu et un temps donné. Pour vérifier cette hypothèse, nous tenterons
d’analyser dans quelles mesures le drame du Heysel est décrit et analysé par L’Equipe en
1985 seulement comment un acte criminel et non comme l’émergence d’un nouveau groupe
social redessinant la cartographie du monde du football et de ses supporters, et plus
largement, de la société.
Nous verrons donc tout d’abord la nécessité de désigner un coupable précisément
défini et identifié : les anglais. Dans le même mouvement, nous verrons comment le football,
en tant que sport et monde social, est présenté comme la victime principale. Pour finir, à
l’image d’un acte criminel qui implique une intervention de la justice, nous analyserons le
discours tenu sur le rôle de l’UEFA, instance européenne du football à même de sanctionner
les coupables.
a. Un coupable tout désigné : Les anglais
Le football est le sport numéro un en France, les derniers exploits de l’AS Saint
Etienne et de Michel Platini avec L’Equipe de France ont été très largement suivi. Comment
le football allait-il pouvoir se remettre des évènements survenus en Belgique ? Personnifier à
l’extrême, le football est alors considéré comme un individu et, comme tel, il s’inscrit dans
cette tension moderne qui place la victime – et non le crime – au cœur du processus
judiciaire : La justice est ce qui permet de passer à autre chose, de tourner la page, de trouver
réparation. Dès lors, il faut trouver un coupable et le pointer du doigt. Alors si tant est que
celui-ci soit l’éternel rival anglais, autant ne pas y aller de main morte. Et c’est exactement ce
qui s’est passé. Nous allons ici détailler et analyser le discours tenu à leur encontre.
15
« Si le peuple anglais accepte qu’une horde de dégénérés salissent son nom, son
drapeau et sa tradition, honte à lui ! »6. Jacques Thibert doit trouver les responsables. Pour
appuyer ses dires, il fait appel aux démons du passé, aux 56 morts de l’incendie de Bradford
et à « tous les désastres qui jalonnent le parcours des hordes britanniques ». Incendie qui,
après enquête, trouverait son origine dans un malheureux mégot de cigarette mal éteint, et une
très mauvaise organisation des forces de police, coupable d’avoir fermé les issues. Alors oui,
c’était en Angleterre, oui il y eut un nombre très importants de morts. Mais cet incident
n’avait strictement rien à voir avec le fait de hooligans ou de quelconques violences. Cette
comparaison hasardeuse n’a qu’un objectif, celui d’accréditer la thèse du journaliste.
Quelques lignes plus tard, il n’hésite pas à exprimer ces sentiments aux moments des
faits : « Hier soir, nous avions envie de vomir et peu le goût à écrire. Nous eussions aimé nous
trouver ailleurs ou alors en tenue de combat avec un lance-flammes à la main pour exterminer
cette ambiance, ces pourritures d'êtres humains qui sèment la mort en jouant aux faux durs. »
N’hésitant pas non plus à user de termes très grossier, rappelant les dires d’un supporter qui
s’adresse à un journaliste anglais « Vous êtes de la merde, un peuple de merde… », il parle
des supporters présents « dans la tribune des salopards ». Un vocabulaire et des expressions
que l’on n’oserait qualifier étant donné leur niveau de violence.
Un encadré vient ajouter du poids à cette description du climat de terreur que l’envoyé
spécial veut nous faire partager intitulé « Déjà l’après-midi », qui retrace le comportement des
supporters britanniques dans la ville de Bruxelles quelques heures auparavant. On y apprend
que la vitrine d’une bijouterie a été brisée à l’aide d’une table de café par un groupe de
hooligans, qu’un britannique a été grièvement blessé d’un coup de couteau lors d’une bagarre
entre supporters de Liverpool et que des incidents ont éclaté autour du stade avec la police
faisant 2 blessés. Toutes les violences constatées semblent être le fait des hooligans anglais,
même celle ayant lieu dans les ports d’Ostende et de Zeebrugge.
Un autre encadré en plein milieu de la page, intitulé « Une trop longue série », dresse
un historique peu glorieux des déplacements anglais. Le journaliste joue beaucoup sur le
sentiment d’insécurité, il fait ressentir au lecteur que la vraie menace n’est pas celle des stades
de football, non, la vraie menace est anglaise. La première phrase le prouve aussitôt : « le
monde entier a eu sous les yeux le spectacle de la violence dans le football britannique,
connue depuis des années sous le nom d’origine irlandaise de hooliganisme ». L’amalgame
6
L’Equipe du 30 Mai 1985, p.6
16
est fait, le hooliganisme est anglais. Un bref rappel des divers incidents ayant émaillé le
football anglais depuis le début de l’année 1985, avec des matchs où l’on a pu comptabiliser
quelques blessés, ou quelques arrestations. Les mots employés contribuent à créer un climat
d’insécurité autour du football et encore plus particulièrement autour du stade, l’auteur
rappelant que « les voyous n’hésitent pas à exporter leur folie à l’étranger » et donnant des
exemples précis lors de rencontre entre le Bayern Munich et Leeds, au parc des Princes, ou
encore lors de Saint Etienne contre Manchester United ou bien France Angleterre de 1984.
Pour finir sur une note, toujours plus inquiétante : « Quand s’arrêteront-ils ? Qui les
arrêtera ? »
Le lendemain, dans un article intitulé « Et Grobbelar errait… »7, la parole est donnée
aux acteurs du terrain, les joueurs de Liverpool. Les réactions se prennent à chaud et l’heure
n’est ni à la compassion, ni à la compréhension. La première réaction est celle du gardien de
but, Bruce Grobbelar : « Tout ce qui est arrivé est de leur faute ». Les autres réactions laissent
place à la honte et à l’indignation pendant que le journaliste Patrick Urbini se plait à
commenter l’évocation des sanctions possibles : « Liverpool paiera. Pour tous les précédents.
Pour la boucherie de Bruxelles. Pour une centaine de désaxés. Pour le peuple anglais que
l’Europe du foot n’en finit plus de vomir. » Les mots sont une nouvelle fois très lourds de
sens, très violents et attisent encore un peu plus la haine de l’anglais.
La parole est ensuite donné aux joueurs et dirigeants italiens, dans un autre article, et
notamment à Umberto Agnelli, président de Fiat, principal soutien financier de la Juventus
Turin qui par le biais d’un communiqué donne son ressenti : « La tragédie du Heysel a
démontré qu’il existe en Angleterre une race de hooligans qu’on ne peut plus supporter. Il
demandait qu’il ne soit plus permis de les laisser sortir de leur pays ». Distinction de race,
enfermement, telles sont les solutions envisagées… Et leur retranscription dans L’Equipe sont
brutes et ne laissent la place à aucun commentaire du journaliste.
L’article qui vient ensuite concerne les supporters. A la gare de Bruxelles ou de
Londres, l’envoyé spécial de L’Equipe retranscrit quelques témoignages : « « On nous accuse
toujours » lance méchamment un jeune Londonien. » En caractérisant le ton utilisé par le
jeune londonien, l’auteur n’hésite pas ici à donner son avis : c’est un anglais, c’est un
méchant, évidemment. Les autres réactions sont celles des dirigeants, qui insistent, soit sur la
non-conformité du stade et des mesures de sécurité, soit sur le fait que les vrais supporters de
7
L’Equipe du 31 Mars 1985, p.2
17
son club ne sont en rien responsable et qu’il s’agit surtout d’autres supporters, « des éléments
néo-fascistes venus de Londres. » Vient alors le temps des mesures prises pour « remettre de
l’ordre dans la maison », qui, si elles sont saluées par Jean-Jacques Vierne, rappelle surtout
leur nécessité : « On ne peut pas jouer la Coupe d’Europe avec une telle menace à chaque
match où les anglais seront présents. Sans compter qu’on ne voit pas pourquoi la note ne
serait pas encore plus lourde la prochaines fois »8
Nous avons donc pu nos rendre compte que, d’après L’Equipe, la menace qui plane sur
le football vient d’outre-manche. Les articles du lendemain de la tragédie sont très violents,
remplis de haine et d’accusation envers les anglais. Et si 39 personnes trouvèrent la mort ce
soir-là, L’Equipe décide alors que c’est bien le football qui en sortirait victime.
b. Le football, érigé en victime
Le football assassiné… Le titre de la Une suffit pour comprendre quel rôle a le football
dans ce compte rendu des évènements. Ni plus ni moins que celui de la victime. Si la prise de
position peut paraître délicate au vu des 39 personnes tuées dans le stade, elle apparait
néanmoins clairement à la lecture des articles. Cette personnification a un rôle bien précis,
émouvoir les amoureux du sport et particulièrement du football. Comparer les hooligans de
Liverpool à des « violeurs de stade » revient à rendre le football humain, comme s’il avait été
touché en plein dans son intimité, chez lui, au stade. Place à la page dédiée à la tragédie.
Notons que celle-ci n’apparaît qu’en page 6, les premières pages traitant de l’actualité
française, le suivi de Roland Garros. Dès le titre du premier article, on sait où le journal
souhaite aller « La horde de la mort », les mots de l’éditorial de Robert Parienté sont repris.
Puis vient l’attaque, la première phrase d’un article. Dans sa définition, elle doit être
suffisamment incitative pour donner au lecteur l’envie de poursuivre la lecture du texte : « Si
le football devient cela, qu’il crève !9 », écrit Jacques Thibert, qui suit la ligne de conduite de
son directeur en personnifiant à son tour le football. Si le ton paraît accusateur, l’utilisation de
8
9
L’Equipe du 1 Juin 1985, p.9
L’Equipe du 30 Mai 1985, p.6
18
la conjonction de subordination n’est pas anodine, elle laisse la place à la rédemption du
football, qui n’est pas le coupable, mais bien la victime.
La description qui est faite du sport et du football en particulier est aussi très
intéressante. Et un terme revient très souvent, une figure de style simple et efficace, le
football, c’est « un évènement que l’on qualifie de fête »10. Jacques Ferran à son tour, autre
envoyé spécial sur place, parle des dirigeants qui « achètent à prix d’or le droit d’associer
leurs noms à la fête ». Le seul intervenant du jour, Michel Hidalgo, dans une très courte
interview va dans le même sens : « Ce match entre la Juventus et Liverpool devait être une
fête ». Le lendemain, même refrain avec l’interview de Bruce Grobbelar, alors joueur de
Liverpool « Ce qui aurait dû être une fête s’est terminé de manière terrible »11, même constat
avec le directeur sportif de la Juventus, Frederico Morini « Ce qui aurait pu être une fête s’est
transformé en tragédie ».12
La palme revient encore à Monsieur Parienté, dans son éditorial du surlendemain du
drame, intitulé « Les ennemis du Sport »13. Celui-là même qui criait à la mort du sport, qui ne
s’en remettrait jamais, qui mettait en doute le fait de continuer à disputer des compétitions
européennes et qui savait à coup sûr, « qu’une catastrophe est au coin de n’importe quel grand
rassemblement de football ». Le 31 Mai donc, en page 2, le directeur de la rédaction
s’insurge : « Il a suffi en effet qu’un drame affreux éclate, mercredi soir au stade du Heysel à
Bruxelles, pour que l’on assiste à un déferlement d’invectives, à un amalgame d’arguments de
mauvais goût, comme si tous ceux qui pratiquent la compétition, à quelque niveau que ce soit,
étaient des débiles mentaux profonds, des dégénérés, des bandits de grand chemin ou des
violents incontrôlés, style Orange mécanique. ». Dans les colonnes de L’Equipe, on ne touche
pas au sport, on le porte en haute estime et on le dit : « cette activité qui peut être la plus noble
de l’homme ». Dès le lendemain de ces terribles descriptions qu’il faisait des anglais, il
rappelle qu’ « à Bruxelles, il s’agissait d’un phénomène circonscrit à quelques milliers
d’individus […] A-t-on pour autant le droit de jeter l’opprobre sur le sport dans son
ensemble ? Cette manière de procéder nous rappelle certaines solutions radicales… ».
Rappelons que la veille, on pouvait lire dans son journal qu’un journaliste aurait aimé se saisir
d’un lance-flamme pour exterminer ces pourritures d’êtres humains ! Il finit son article pour
rappeler tous les bienfaits du sport et combattre « ceux qui ne savent rien de ce que le sport
10
Ibid
L’Equipe du 31 Mai 1985
12
Ibid.
13
L’Equipe du 31 Mai 1985, p.2
11
19
peut et doit apporter à une nation ». Le football était assassiné la veille, aujourd’hui, à
L’Equipe, il semble ressuscité.
Cette résurrection passe forcément par des actes, tel est le message renvoyé par le
journal. Il permet de laisser en suspens cet état de « mort du football », en admettant que des
mesures peuvent et doivent être prises par les instances que sont l’UEFA et la FIFA. Les deux
premiers jours, on assiste à un véritable appel à l’action de la part des journalistes. Robert
Parienté, dans son éditorial du 30 Mai, leur impose d’agir : « L’UEFA et la FIFA ont
désormais l’obligation de régler le problème […] et d’affronter courageusement les
conséquences des actes inadmissibles qui se sont déroulés en terre belge. […] Tel est le devoir
qui incombe désormais aux dirigeants du football européen et mondial. » Jacques Ferrand
abonde dans ce sens « Il n’est désormais plus possible de continuer à croire qu’on arrangera
les choses en prenant quelques vagues dispositions de police […] On ne supportera pus de
demi-mesures dont on s’est contenté jusqu’ici […] Ou l’on prendra les mesures nationales
draconiennes qui s’imposent »14. Les jours qui suivront laisseront souvent la place à diverses
réactions ou à des articles ayant pour mission de montrer que les choses sont en train de
changer et que tout est fait pour résoudre le problème. Pour preuve, Alain Calmat, alors
ministre de la jeunesse et des sports, tient à préciser « qu’il s’est entretenu avec un
représentant de l’ambassade de Grande-Bretagne auquel il a indiqué que toutes les mesures
devraient être prises pour éviter le renouvellement d’une telle tragédie […] que des mesures
ont déjà été prises par l’Etat et les collectivités territoriales […] que ces mesures feront l’objet
de nouvelles instructions. » . Jacques Ferran, le surlendemain en venait à se demander si « les
hommes qui organisent le football à ce niveau sont capables d’en maîtriser les conséquences
désastreuses ? ». Il assure, en se plaçant dans la peau d’un amoureux du football avec l’usage
du pronom « on » qu’ « on ne leur fera pas crédit une seconde fois ». On trouve ensuite une
interview de Jacques Georges, président de l’UEFA, évidemment sur les lieux au moment du
drame. L’accroche, qui doit mettre en exergue les phrases fortes ou significatives d’un article
a pour fonction d’inviter le lecteur à lire l’article dans son intégralité. Ici, elle est on ne peut
plus claire : « Jacques Georges : On ira très loin ou je partirai ». Puis vient le chapeau, dont la
fonction est de dire l’essentiel et de donner l’information importante de l’article, qui précise
que « Le président de l’UEFA est décidé à sévir ». Toutes les parties concernées sont donc
entendues, ne manque plus que du côté des anglais. Ce sera fait à partir du 1er Juin, histoire de
montrer que le football va encore un peu plus pouvoir s’en sortir. A travers un communiqué
14
Ibid.
20
que relaie L’Equipe, la FA (Football Association) décide « de ne proposer aucun nom de club
anglais pour l’admission dans les diverses compétitions de l’UEFA pour la saison suivante
[…] Il appartient désormais au football anglais de remettre de l’ordre dans sa maison […] afin
que la conduite absolument inacceptable des supporters anglais, ici et à l’étranger, devienne
une chose du passé. »15. Dans cet article, Jean Jacques Vierne s’efforce de rendre raison aux
décisionnaires en saluant « le sens des responsabilités dont ils ont fait preuve », et rappelle
que ce forfait « décapite la Coupe d’Europe », l’Angleterre étant « indiscutablement le pays
des représentants les plus compétitifs ». Enfin, il termine sur une note positive, affirmant que
« la décision prise montre que le football anglais n’est pas complètement pourri », tout en
rappelant que « faire prendre conscience de leur folie à ceux qui le déshonorent, c’est
malheureusement une autre paire de manches… ». L’heure du rachat a sonné pour les anglais,
et dès le 3 Juin, le même auteur, dans une courte brève nommée « La parole aux Anglais »16,
rappelle que c’est « A eux de montrer qu’ils sont capables de vaincre les hooligans » et que la
balle est renvoyée dans leur camp : « Ou le pays tout entier mobilisé est capable de venir à
bout de cette vermine et il sera réintégré ; ou la gangrène a pris le dessus ». Dernier article du
corpus intitulé « Le plan de Mme Thatcher »17, afin de « redorer le blason des équipes et des
supporters du football anglais ». Simplement un condensé des mesures prises par le
gouvernement anglais, qui a au moins l’utilité de montrer que les choses avancent, et que,
comme L’Equipe l’avait souhaité dans ses éditions précédentes, des décisions sont prises.
Voilà, le football devrait finir par s’en remettre, contrairement à ce qui avait été dit les
premiers jours. Et il est même laissé aux anglais, jugé si sévèrement au lendemain de la
tragédie, le moyen de montrer qu’ils ne sont pas « si pourris ». Reste maintenant à voir
comment la bible du sport s’attache à traiter le rôle des forces de l’ordre dans ce qui est
aujourd’hui connu comme l’une des plus grosses fautes dans un stade européen.
c. Des forces de l’ordre aux instances du football : Un devoir de réserve ?
Comme nous l’avons montré précédemment, L’Equipe met avant tout le doigt sur la
terreur engendrée par la folie des supporters anglais et sur les conséquences sur le football.
Or, un troisième acteur occupe une place des plus importantes lors des évènements. Les forces
15
L’Equipe du 1 Juin 1985, p.9
L’Equipe du 3 Juin 1985, p.13
17
L’Equipe du 4 Juin 1985, p.7
16
21
de police présentes au stade et les organisateurs de cette finale. Leur responsabilité est
clairement engagée dans le déroulé du drame. Avec les images télévisées et les témoignages,
il est aujourd’hui difficile de passer entre les mailles du filet, et pourtant, la police est loin
d’être accablée, L’Equipe préférant comme on l’a vu, désigner les anglais comme principaux
coupables. Et pourtant. En tant que quotidien sportif, L’Equipe se concentre exclusivement
sur le sport. Aucune esclandres, mais une volonté de rendre public les faits tels qu’ils se sont
déroulés, avec plus ou moins de mansuétude.
Robert Parienté, dans son éditorial en Une du 30 Mai, dresse ce même constat mais
atténue les fautes de la police, en la faisant passer au second plan : « Au-delà des lourdes
responsabilités que portent, sur la foi des images télévisées, les forces de police belge, au-delà
de l’impéritie démontrée par ceux qui auraient dû faire respecter l’ordre autour du terrain,
c’est l’intolérable attentat contre le football qui restera dans les esprits ». A l’instar de Jacques
Thibert, qui commence par la situation du football, enchaine sur les anglais, et finit par la
police : « Honte aussi à la police belge et honte à l’Union belge, incapables l’une et l’autre,
malgré les exemples et les avertissements, de prévoir et de contrôler un évènement que l’on
qualifie de fête du football ». C’est bien là le problème. Les mesures prises n’étaient pas en
adéquation avec un aussi grand rassemblement : « La police n’était nulle part hormis
quelques fonctionnaires tranquilles en chemisettes. Elle n’avait pas prévu la police. Elle ne
savait pas, la police. » La description des évènements est très sobre, loin des invectives contre
les anglais quelques lignes plus tôt et que l’on a détaillé en première partie : « suppliant un
préposé de leur ouvrir le portillon […] L’homme refusa. » Enfin, une certaine remise en
question, plus sous le ton désabusé du chagrin que celui de la colère contre les
anglais : « Pourquoi, grands Dieux, ne pas les avoir séparés des autres par un cordon
policier ? ». Hidalgo en va aussi de son petit reproche : « A mon avis, la police belge n’a pas
semblé
prendre
au
sérieux
les
différentes
mises
en
garde ».
Jacques Ferran évoque lui aussi le drame, et pointe du doigt l’incapacité, l’effroyable
« imprévoyance » des responsables de la sécurité, face à une menace connue et reconnue. La
parole est aussi donnée aux organisateurs, et au Bourgmestre (le détenteur du pouvoir
exécutif) de Bruxelles, afin qu’ils justifient leurs erreurs : « la plupart des supporters italiens
étaient des belges, habitant notre pays. On ne pouvait pas supposer… » Voilà qui est censé
expliquer pourquoi les supporters italiens belges se trouvaient collés aux supporters anglais.
Puis la question toute naturelle de se demander si le match devait se jouer ? La réponse de
Jacques Georges, président de l’UEFA et alors sur place, choisit de faire débuter le match,
22
par mesure de sécurité, car « lâcher 50 000 supporters furieux et ennemis dans Bruxelles, c’est
faire courir à la ville entière un risque mortel ». On ne pourrait que le comprendre. Sauf que le
mal est déjà fait, la tragédie a déjà eu lieu, il faut maintenant sauver les pots cassés. « On finit
par le suivre […] Ils se laissèrent convaincre ».
Face aux différents articles, l’impression générale laissée ait qu’il faut avoir peur de
ces hooligans anglais, que même la police n’est pas préparée à ce genre de terreur. Les
mesures doivent être prises. Elles doivent être fortes et nombreuses. Utiliser le sentiment
d’insécurité à travers les médias peut permettre de justifier certaines décisions. Dans le cas
précis du Heysel et de la description qui est faite des supporters anglais, il sera très important
dans mon mémoire de les mettre en relation avec les évènements liés à des violences dans les
stades en France, à partir de 1993. La comparaison avec les hooligans anglais sera très
présente, et la peur suscitée par ce comportement anormal laissera apparaître l’idée que ce
n’est qu’une question de temps avant que le phénomène ne frappe de plein fouet la France. Et
face à cette menace imminente, les appels au renforcement du dispositif du contrôle du
hooliganisme se feront forcément de plus en plus pressants.
Les réactions en chaîne des principaux acteurs du gouvernement en Angleterre vont
dans ce sens. Au-delà de leur simple capacité de réaction, L’Equipe retranscrit plusieurs
interviews, de l’arbitre du match Monsieur Daina, d’Alain Calmat alors ministre de la
Jeunesse et des Sports, de Nelson Paillou, président du CNOSF ou encore de Jacques George,
président de l’UEFA, rappelant tous à quel point les anglais ont besoin de faire le ménage, et
s’accordant à dire qu’ils seraient très attentifs quant à la teneur des mesures prises. Les jours
passent, et le discours change. Les témoignages qui accablent les forces de l’ordre affluent, un
supporter belge de Liverpool, présent dans la tribune Z raconte : « Contrairement à ce qu’on a
prétendu, nous n’avons pas été fouillés, aucun gendarme ne stationnaient à cet endroit. […]
Les pavés ont commencé à tomber dès que nous avons pris place au stade […] J’ai dévalé les
gradins en implorant la permission de changer de place. Un délégué italien refusa de
m’accorder cette faveur. Heureusement pour moi, deux policiers surveillaient une porte
grillagée. Devant mes supplications, ils l’ont ouverte. »18 Puis vient une description très
précise de ces hooligans tant au niveau physique que dans leur attitude, en passant par leur
style vestimentaire et les armes qu’ils avaient à disposition. Face à toutes ces preuves
accablantes pour la police sur place, le journaliste Michel Dubois a choisi sa chute. Quand les
18
L’Equipe du 3 Juin 1985
23
autres s’invectivent sur la nature animale et terroriste des hooligans anglais, lui s’interroge :
« Comment de tels fauteurs de troubles, qui ne dissimulaient aucunement leurs intentions de
semer le désordre ont-ils pu se mouvoir en toute liberté et répandre aussi aisément la mort
autour d’eux ? ».
L‘article de Jacques Ferran intitulé « Mort de la coupe d’Europe ? » dont nous avons
déjà parlé avant résume à lui seul cette sorte de hiérarchisation des responsabilités. Le
journaliste à l’aide d’un intertitre très évocateur dresse une sorte de liste numérotée des 3
« causes principales ». En premier lieu, « l’excitation des supporters anglais », due à leur état
second « atteint par l’absorption d’une quantité invraisemblable de boites de bière ». En
second lieu, c’est « la juxtaposition de deux tribunes ennemies » qui est en cause, sauf que
l’auteur raconte que les Belges chargés de l’organisation du match avaient bien prévu de
rassembler les partisans de la Juventus et ceux de Liverpool aux deux extrémités du stade,
ceux de la tribune Z étant des spectateurs ayant achetés leur billets en Belgique, reprenant les
mots de Jacques George. Enfin, troisième cause, « des barrières trop fragiles ou trop dures »,
principalement en raison de la vétusté du stade. Le journaliste précise bien que « ce problème
des clôtures dans les stades où se produisent des désordres est très difficile à résoudre ». Audelà de cette hiérarchisation, ce qui est intéressant dans cet article est l’analyse de l’editing de
l’article, l’écriture, l’habillage ou encore les polices de caractères utilisées pour mettre en
forme l’article. Effectivement, plusieurs phrases sont en police gras. Le premier intertitre déjà,
« Une grande innocence » évoque le rôle et l’implication de l’UEFA ce soir-là. Puis une
phrase en gras : « ces hommes n’étaient pas armés pour assumer une mission de cet ordre ».
Deuxième paragraphe ou « l’excitation des supporters anglais » est aussi en gras. Pareil pour
l’occupation « par des supporters belges ayant acheté leurs billets en Belgique » et pour finir
avec la dernière phrase en gras de l’article : « La soudaineté du carnage atténue sans doute la
culpabilité du service d’ordre. » L’acte hooligan est explicitement plus grave que les
errements de la police.
Comme nous avons pu le voir, si les faits sont largement énoncés par les différents
journalistes de L’Equipe les jours qui suivirent le drame, c’est un climat d’incrédulité qui
règne face aux errements de la police, quand les actes des hooligans sont retranscris de
manière virulente et agressive.
24
Si les hooligans sont une des figures les plus méprisées des sociétés occidentales, c’est
fondamentalement à cause d’événements traumatiques, comme celui du Heysel. C’est aussi
parce que la violence est particulièrement visible autour des matches de football puisque ce
sport est hyper médiatisé et que toutes les couches sociales fréquentent les stades et se sentent
donc concernées par le problème. C’est également parce que cette violence s’exprime dans un
monde, le sport, qui se voudrait épargné par la violence et formant un rempart contre elle.
C’est enfin parce que cette violence paraît incompréhensible. Elle ne paraît motivée par rien,
contrairement aux violences urbaines ou aux débordements de fin de manifestations vus
comme le fruit d’un malaise social, voire comme l’éruption de revendications politiques. Pour
reprendre une expression extrêmement répandue : « On ne se bat pas pour un match de
football ».
Le hooliganisme n’émerge en France qu’au début des années 1980, au cours de cette
période la question est habituellement abordée par la presse à l’occasion d’incidents
déclenchés à l’étranger. Considérés comme la manifestation d’un problème distant, sévissant
au sein des jeunes supporters étrangers, les incidents ne sont relatés que s’ils dépassent un
certain seuil de gravité. Le Heysel en est la preuve. Mais ce qui change avec le drame du 29
Mai, c’est le mode de présentation de cette information. Ainsi, avec l’usage des termes et des
expressions que l’on a détaillé dans cette partie, L’Equipe produit un cadre dans lequel
s’intègreront par la suite tous les incidents futurs pour qu’ils y prennent tout leur sens. Le
climat d’insécurité générale finira par amplifier l’impact de ces incidents, ce qui permettra
dans le futur de justifier ce mode de présentation, même quand celui-ci ne s’y prête pas. Ainsi,
des incidents déclenchés à l’étranger sont attribués aux supporters anglais, même quand il
s’avère que ceux-ci ont été des victimes plutôt que des agresseurs. On pense par exemple au
drame de Sheffield en 1989 dont on aura l’occasion de reparler dans la suite du mémoire.
Viendra ensuite la hausse de la couverture du hooliganisme, qui impliquera la mise en place
d’un processus de construction de la menace. Ainsi, tous les journalistes vont se mettre à
relater tous les incidents de violence même mineurs, créant de la sorte l’impression d’une
expansion croissante du désordre, susceptible à son tour, d’alimenter un sentiment
d’insécurité.
25
B. Le drame de Hillsborough : Un amalgame qui relance la nécessité de
prendre des mesures
Ce 15 avril 1989, la demi-finale entre Liverpool et Nottingham Forest est programmée
à 15 heures, dans le vieux stade où joue habituellement Sheffield Wednesday. A cette époque,
soit quatre ans après les incidents du Heysel, des mesures ont été prises afin d’éviter de
nouveaux débordements, et notamment l’installation de grillages tout autour du terrain, hauts
de 2.5m, ainsi qu’à l’intérieur même des tribunes pour compartimenter la foule. Le stade de
Sheffield possède une capacité de 54000 personnes, et à 14h55, soit cinq minutes avant le
coup d’envoi, il est déjà plein. Les grilles du stade sont refermées et l’accès aux tribunes est
impossible. En raison d’embouteillages entre Liverpool et Sheffield, dus à des travaux sur
l’autoroute, plusieurs milliers de supporters arrivent aux abords du stade quelques minutes
avant le coup d’envoi et s’agglutinent devant l’enceinte. Peter Wright, chef de la police décide
d’ouvrir les grilles et de les laisser entrer, jugeant « que des vies étaient en danger à
l’extérieur » et tentant ainsi « de soulager la pression sur les grilles »19. Le drame a lieu dans
la tribune Ouest, située derrière les buts et dévolue aux supporters de Liverpool. Tout le
monde force pour rentrer, et les spectateurs des premiers rangs se retrouvent coincés et
asphyxiés contre le grillage séparant la tribune de la pelouse, tandis que d’autres essaient de
s’échapper, soit en étant hissé par des gens de la tribune située au-dessus d’eux, soit en
escaladant le grillage. Une porte qui donne accès à la pelouse reste de longues minutes
fermées, sur ordre des forces de l’ordre. Le mal était fait. Un supporter témoigne « Il y avait
tellement de monde là-dedans qu’on ne pouvait même plus bouger du tout ». La rencontre
avait déjà commencé depuis quelques minutes, quand un policier se dirige vers l’arbitre pour
arrêter le match. 2000 personnes se retrouvent alors sur le terrain et les premiers secours
s’organisent en attendant l’arrivée des ambulances et des renforts de la police. Bilan de la
bousculade, 96 morts et 766 blessés. Le lord juge Taylor est désigné pour conduire l'enquête
sur ce drame, deux rapports sont publiés, un pré-rapport décrivant les événements, et un
rapport final émettant soixante-seize recommandations afin d'améliorer la sécurité dans les
stades. Les règlements de la fédération anglaise et de la fédération écossaise de football ont
été modifiés en conséquence. Les grillages ont donc été progressivement démontés dans les
19
L’Equipe du 17 Avril 1989, p.3
26
principaux stades britanniques, leurs tribunes ont été rénovées ou reconstruites et comportent
dorénavant uniquement des places assises.
a. La recherche des coupables
L’Equipe revient bien évidemment sur ces incidents. Au total, dix-neuf articles prenant
des formes plus ou moins différentes traitent de la tragédie. Il faut ici établir un parallèle avec
le traitement du drame du Heysel, puisqu’ici, les données sont complètement différentes mais
on retrouve certaines similitudes. Par exemple, pour le Heysel, nous avons pu voir dans la
première sous partie que les coupables étaient les supporters anglais. Dans ce cas bien précis
de Sheffield, L’Equipe ne sait pas encore qui sont les responsables. Et le principal enjeu est
évidemment de répondre à cette interrogation. Ce que le journal sait, en revanche, c’est que ce
drame a une nouvelle fois lieu en Angleterre, les supporters de Liverpool sont une nouvelle
fois concernés et, plus important encore, que c’est le football qui pâtira le plus de cette
catastrophe. Une seule évidence saute aux yeux : « il y avait trop de monde à Hillsborough
Samedi après-midi »20. Force est de constater que les journalistes dont la principale mission
était alors d’informer ou de commenter, comme on l’avait vu pour le Heysel, cherchent
dorénavant à trouver des réponses aux questions que soulève cette tragédie. S’il n’est pas
encore question de journalisme d’investigation, il est intéressant de voir se dessiner les
prémices d’une évolution du rôle du journaliste que nous mettrons en évidence un peu plus
loin dans le mémoire.
Patrick Urbini, journaliste qui se charge de rappeler les faits, finit son exposé avec
l’attente suscitée par l’absence de réponse sur la question des responsables. Quatre questions
sont ensuite posées, questions auxquelles l’enquête devra répondre :
20

Le Stade de Sheffield est-il en cause et inadapté ?

Les billets ont-ils été répartis convenablement ?

Le service d’ordre a-t-il correctement maîtrisé la situation ?

Les secours ont-ils été efficaces ?
L’Equipe du 17 Avril 1989
27
Le plus important se trouve dans l’introduction : nous sommes donc le 17 Avril, c’est le
premier jour où L’Equipe rend compte de la catastrophe de Sheffield qui eut lieu le 15 et la
première phrase est éloquente : « Le drame de Sheffield, qui, par sa nature, n’a strictement
rien à voir avec celui du Heysel puisqu’il n’y a pas eu d’affrontement entre supporters des
deux équipes ».21 La suite de l’article relance le débat sur la sécurité dans les stades, sur les
mesures de sécurité à prendre et notamment le projet de loi de Margareth Thatcher concernant
les cartes d’identités pour les supporters. Sachant qu’il est dit quelques toutes petites lignes
auparavant que le drame de Sheffield n’a strictement rien à voir avec le fait de hooligans.
Un impact européen
Pour comprendre cette certitude émise par L’Equipe, il est important de resituer le
contexte juridique européen. Après les évènements de Bruxelles, le Conseil de l’Europe
adopte la Convention européenne sur les débordements des spectateurs lors des manifestations
sportives et notamment lors des matchs de football. Si aucune mesure bien spécifique n’y est
énoncée, il est intéressant de remarquer qu’elle accorde une place très importante à la
coopération entre tous les pays concernés et met en place une politique de prévention. Là se
trouve la réelle différence. Effectivement, les mesures s’étendent maintenant à l’avant-match
et à l’après-match, ainsi qu’aux abords du stade. Les fauteurs de trouble potentiels deviennent
les cibles. C’est donc le risque potentiel que représentent les comportements déviants qui sont
contrôlés. Les agents de sécurité peuvent ainsi considérer n’importe quel individu turbulent
qui fait partie d’un groupe, qui boit de l’alcool, lance des propos agressifs, fait des gestes
obscènes comme étant des suspects. La dangerosité potentielle d’un supporter est donc laissée
à la seule appréciation des agents de sécurité publics, ou privés. Celle-ci peut donc varier
selon l’humeur d’un agent, selon la dangerosité du match, ou selon les consignes données à la
gestion policière des foules. Cette absence de « définition juridique » étend considérablement
le contrôle social et laisse l’individu vulnérable car lui-même ne sait plus ce qu’il a le droit ou
pas de faire.
Cette mise en avant de la sécurité comme véritable valeur à protéger n’est pas
étonnante. Les années 80 sont le théâtre de plusieurs inquiétudes face à l’européanisation
grandissante, face aux mouvements migratoires de plus en plus importants, face au début de la
21
Idem
28
mondialisation mais aussi face à des progrès technologiques énormes et qui arrivent très vite.
On assiste alors à une sorte de crise identitaire et face à ces changements, censés fragiliser
l’ordre et la sécurité des pays, la classe politique a accordé une réelle importance aux
questions sécuritaires. Effectivement, plus on avance dans le temps, plus l’Etat se retire et il
ne lui reste « plus » que le domaine du contrôle social pour assurer sa légitimité, en tant que
garant de la sécurité à l’intérieur de son territoire. Le hooliganisme revêt donc un intérêt
majoritaire puisque le football fait partie à part entière de la culture du pays. Au lendemain du
drame, l’Angleterre est dirigée par la première femme Premier Ministre Margaret Thatcher,
qui a fait de la sécurité dans les stades une véritable préoccupation. Dès lors, il est urgent de
trouver les responsables des évènements de Sheffield.
L’Equipe essaie de répondre à ces quatre interrogations, une par une. Pour la première,
l’article suivant est une interview de Bobby Brown, alors adjoint de Robert Nouzaret au Stade
Malherbe de Caen mais qui a été étudiant et joueur à Sheffield, dans le stade d’Hillsborough.
La réponse est claire : « Pas la faute du stade »22 voit on en titre. Et une conclusion toute aussi
claire : « Combien de drames faudra-t-il pour que le gouvernement britannique prenne enfin
ses responsabilités ? ». Comme si les demandes de L’Equipe n’avaient pas été entendues
quatre années auparavant. Les mises en garde pour le football, l’appel à des mesures pour
« éradiquer ces fous du stade » que nous avions détaillées dans la première sous-partie, dans
le cadre du drame du Heysel, ce sentiment évoqué, est censé retranscrire la pensée populaire.
Elle en a assez que le football soit « souillé par ces anglais ». Hillsborough, c’est la preuve
que le gouvernement anglais n’a pas choisi les bonnes mesures, et c’est la preuve qu’il faut en
prendre des nouvelles.
Nous avons donc pu voir que L’Equipe, sur cette première page autour du drame,
rappelle les faits, pose quatre questions et apporte une réponse. Le dernier article de cette page
spéciale Hillsborough a un en-tête révélateur : « Enjeu ». Puis l’article, « Bataille autour d’une
carte » avec son sous-titre « Le drame de Hillsborough relance le projet de Mme Thatcher,
que combattent les dirigeants du football ». Ce projet, c’est la mise en place de cartes
d’identités obligatoires, délivrées par le club, pour toutes les personnes souhaitant entrer dans
un stade de la Ligue de football (hormis les handicapés, les enfants et les étrangers) en
Angleterre et au Pays de Galles. L’article mentionne le club de Luton Town, simplement en
tant qu’utilisateur de ce système depuis maintenant trois ans, mais sans pour autant délivrer
22
L’Equipe du 17 Avril 1989
29
une quelconque forme de résultat. Le projet de loi de Mme Thatcher interdit également « aux
hooligans notoires de se rendre à l’étranger pour assister à des matchs ». Les dirigeants du
football semblent avoir leur mot à dire puisque leur avis est retranscris : Très couteux, mise à
mort des clubs les moins fortunés, risques accrus du fait de la création de files d’attentes à
l’entrée des stades. Le journaliste finit son article en utilisant un procédé bien connu d’une
certaine construction de la menace en rappelant d’autres évènements : « Mais ce nouveau
drame remet en question la sécurité dans les stades britanniques, après les incidents quasi
similaires à Glasgow en janvier 1966 (66 morts) et l’incendie de Bradford, en mai 1985 (53
morts). Ces évènements sont glissés dans un article visant explicitement à combattre le
hooliganisme alors qu’ils ne sont en aucun cas des faits de violence : un mouvement de foule
à Glasgow après un but marqué, une cigarette mal éteinte pour Bradforfd.
Un encadré suit et fait écho de diverses réactions en Europe. Le drame de
Hillsborough a lieu seulement quelques jours après l’annonce du retour des clubs anglais en
compétition européennes à la suite de leurs expulsions à cause du Heysel, et du côté de
Liverpool, on distingue l’importance de dissocier les deux problèmes. Alors que les médias
anglais, le Sunday Times par exemple, n’hésite pas à parler de « troubles » d’avant-match, et
évoque la tentative d’un groupe de supporters bien connu, de traverser le terrain pour en
découdre avec les supporters de Nottingham Forrest. On remarque donc que dans les médias
anglais, si certains s’en prennent aux organisateurs, d’autres parlent une nouvelle fois des
problèmes de hooliganisme. Notons par contre que les seuls commentaires de la presse
anglaise repris sont ceux qui prennent position et commencent déjà à poser la question du
rapport avec les hooligans.
Vient ensuite un article de Patrick Lemoine, envoyé spécial à Sheffield qui rend
compte de la situation au lendemain du drame. Il y décrit une ville ravagée par le chagrin et
qui ne connaît son moment de gloire qu’à travers un triste évènement. On peut noter
l’importance des témoignages des riverains, qui dédouanent complètement les supporters
présents. La parole est ainsi donnée à Patty Gregory, patronne de l’épicerie d’en face du Stade
: « J’ai vendu je ne sais combien de Fanta à l’orange et au citron, les gens qui attendaient pour
pénétrer dans le stade étaient certes énervés mais je n’ai vu personne qui était agressif »23.
L’image du supporter hooligan qui se noie dans l’alcool ne trouve donc pas écho dans la
déclaration de cette citoyenne, et nous allons voir plus tard que quand la police est interrogée,
23
Idem
30
les propos sont tout autres. La suite, c’est la venue de Mme Thatcher sur les lieux du drame et
sa conférence de presse. Si elle parle avant tout des victimes et de la nécessité de leur «
donner des réponses le plus rapidement possible », elle assure qu’ « il faut que cela cesse.
C’est une tragédie de plus. Tous les gens du football et toutes les personnes de ce pays
doivent en être persuadés ; nous allons tout faire pour qu’un drame semblable ne se reproduise
plus ». Patrick Lemoine conclut en rapportant la parole de ses confrères, qui lui ont affirmé
qu’ « elle en avait par- dessus la tête de ce football qui noircit de plus en plus les pages des
faits divers des journaux. La preuve ? Elle fut la seule durant le week-end à faire l’amalgame
entre la tragédie de Sheffield et le hooliganisme. Pas de doute. Mme Thatcher est décidée à
venger ses morts ». Les mots sont lourds de sens et l’amalgame de Mme Thatcher, bien
qu’elle soit la seule à l’avoir dit, est pourtant repris par L’Equipe. N’ayant aucune preuve de
ce qui s’est réellement passé, L’Equipe se doit d’établir des faits pour ses lecteurs, de se poser
les bonnes questions mais surtout de rendre compte de la vérité. C’est le rôle d’un journal et la
tâche principale du métier de journaliste. Et la reprise de l’amalgame de Mme Thatcher
revient à donner le début d’une réponse, puisqu’il place le drame de Sheffield dans la lignée
de celui du Heysel. Si même le Prime Minister anglais le dit alors... L’Equipe, à travers
l’article de Stefan L’Hermitte, propose aussi un compte-rendu de l’ambiance dans la ville de
Liverpool. Il y est décrit une ville ouvrière par excellence, qui puise ses ressources à travers
l’attractivité de son grand port et que la crise et le chômage a touché de plein fouet, répandant
misère et détresse à chaque coin de rue : « Avant de compter ses 94 morts, Liverpool ne savait
déjà pas si elle vivait ». Les différentes déclarations des habitants vont dans ce sens « Nous
vivons pour ça uniquement. Il y a deux choses dans cette ville : le chômage et le football ».
En conclusion pour ce premier jour de compte rendu, l’impression générale est
paradoxale. D’un côté, on est amené à se demander qui sont les responsables ou bien encore
comment cela a-t-il pu arriver ; et de l’autre côté, cela s’est encore passé en Angleterre, et
encore une fois avec les supporters de Liverpool. La coïncidence semble troublante et
L’Equipe joue dessus pour appuyer une thèse qui replace forcément les supporters de
Liverpool comme les principaux coupables.
31
b. Une nécessité d’alimenter le sensationnel
Dès l’édition du lendemain, dans un autre article au sous-titre convaincant et assuré : «
Ils étaient au Heysel, ils étaient à Hillsborough »24 Le mécanisme paraît simple. Et quand il
raconte à nouveau la vie à Liverpool depuis un certain nombre d’années, il n’hésite pas à
assimiler d’autres drames : « Hillsborough, le Heysel, le Free Entreprise, King cross, Clapham
Jonction… Football, bateau, métro, train… Tous en sang ». L’image est violente et efficace.
Plutôt que de mettre en lumière ces problèmes graves et importants qui pourraient être eux
aussi un début de réponse, il n’est simplement question que de la vie à Liverpool. Ou plutôt,
la mort à Liverpool. Associer le football, les Anglais et la mort, voilà qui répond plus au
besoin de sensationnel recherché par le journal : Hillsborough s’inscrit dans la lignée du
drame de Bruxelles survenu quatre années auparavant pour le simple fait que ce sont les
supporters de Liverpool qui sont en cause.
L’édition du lendemain apporte déjà quelques réponses. C’est Jacques George,
président de l’UEFA qui relance la polémique autour des hooligans. Le titre choisi à cet effet
reprend ces mots : « A la case départ » avec comme sous-titre « le président de l’UEFA
croyait pouvoir ranger la tragédie du Heysel au placard », comme si le Heysel avait encore un
quelconque rapport avec ce qui avait pu se passer quelques jours plutôt à Sheffield. Dans une
interview qu’il accorde à la presse internationale, le journaliste de L’Equipe Michel NaïtChallal relaie les réponses du président. Alors que le début de l’interview se résume au
sentiment éprouvé par Jacques Georges lorsqu’il apprit le drame, sa réponse à la septième
question laisse croire qu’il a déjà sa petite idée sur les responsables : «- Le football tue :
Comment empêcher qu’il en soit autrement ? - Je n’ai pas de réponses […] Comment faire
face à ces gens qui viennent au stade sans billet comme ce fut le cas à Sheffield ? »25 Un avis
assez tranché, qui laisse de côté les organisations ou les forces de police, jusqu’alors remises
en question. La réponse suivante corrobore cette idée : Jacques Georges : « Quel barrage
résisterait à ces 500 excités ? Avez-vous vu le visage de ceux qui voulaient pénétrer dans
l’enceinte de Sheffield ? J’ai été frappé par leur attitude bestiale. Je croyais voir des fauves
dans l’arène. L’attitude du public anglais est, à mon avis, un phénomène totalement
sociologique. » Des propos lourds de sens qui font resurgir l’idée du supporter anglais que
l’on avait développé dans la première sous partie qui tend vers un individu complètement
24
25
Idem
L’Equipe du 18 Avril 1989, p. 6
32
exclu du corps social et dénué de raison. Enfin, quand on lui demande ce qu’il en est de la
décision prise de réintégrer les clubs anglais dans les compétitions européennes, il n’hésite
encore pas à poser des mots précis sur la crainte que l’on peut avoir des supporters anglais : «
Si j’étais le président d’un club devant affronter un club anglais, je déclarerais forfait plutôt
que de prendre le risque de mettre des vies humaines en danger ». Les réactions anglaises sont
vives et les violents propos de Jacques Georges font réagir : Le conseiller municipal de
Liverpool, Kevan Combes qualifie de « méprisable l’ignorance et la volonté de nuire de ce
français riche et puissant […] S’il avait la moindre parcelle d’humanité, il démissionnerait
demain et vivrait ensuite dans la honte »26. Même le ministre de l’intérieur britannique,
Douglas Hurd, se joint à ces protestations : les propos tenus par le président de l’UEFA «
prouvent manifestement qu’il ne connaissait rien de l’évènement dont il avait parlé ».
Dominique Courdier, auteur de l’article, joint à ces paroles des extraits d’une lettre de Jacques
Georges adressé à la fédération anglaise, où il admet avoir « réagi peut-être trop violemment.
Si les grandes douleurs sont muettes, j’ai peut-être un peu trop crié la mienne ». Mais la fin de
cette lettre rappelle que « les causes et les responsabilités de cette tragédie ne sont pas aussi
évidents qu’elles avaient été présentées ». La situation paraît donc tendue entre les dirigeants
du foot européen et les dirigeants du foot anglais. A un moment où, comme nous l’avons vu
avec la nouvelle Convention du Conseil Européen, les dirigeants de chaque pays doivent
s’entraider pour combattre ensemble ces violences, il apparaît clairement que les tensions sont
vives, le Star, journal anglais, n’hésitant pas à qualifier Jacques Georges de « sale petit
franchouillard qui doit être flanqué à la porte » pendant que le Daily Mirror le qualifie de «
petit crétin ».
Le même jour, un article de Michel Bonnot, envoyé spécial à Londres, donne le ton
pour les jours à venir. Il décrit une séance à la Chambre des Communes, sorte d’Assemblée
Nationale où la question est de savoir si la Coupe durant laquelle eu lieu ce drame mérite ou
pas de continuer. Mais l’important se situe à la fin de l’article. Le journaliste, avec désormais
l’appui non négligeable de la version du président de la Fifa, accuse. Si l’évènement a
maintenant eu lieu il y a trois jours, et que L’Equipe s’est toujours refusé à comparer le
Heysel à Hillsborough. Michel Bonnot prend là un virage à 180° : « A force de vouloir éviter
l’amalgame avec le Heysel, à force de vouloir mettre les hooligans hors du coup, on se rend
compte qu’ils sont avec quatre ans de délai responsables de tout ».27 La suite de l’article est
26
27
Idem
Idem
33
une somme de questions-réponses, toute aussi accusatrice les unes que les autres : « Pourquoi
avoir attribué à Liverpool cette tribune ? Parce que Leppings Lane est le chemin le plus direct
et que la police voulait éviter que les supporters se croisent. […] pourquoi avoir attendu
jusqu’au dernier moment pour permettre aux cars de supporters de s’approcher du stade ?
Pour éviter que les fans de Liverpool ne traînent dans les rues de Sheffield. […] pourquoi
avoir ouvert cette fameuse porte ? Par peur des affrontements […] Pourquoi hésiter à
transformer les zones debout en places assises ? Parce que les sièges peuvent servir d’armes
aux hooligans ». Il conclut simplement en disant que « Samedi, à Hillsborough, c’est le
fantôme du hooliganisme qui a frappé ». L’amalgame est dorénavant explicite. Cette
multitude de réponses montre comment L’Equipe relaie cette nouvelle nécessité de prendre
des mesures sécuritaires. Il n’est plus temps de « seulement » punir ceux qui ont fauté, il faut
surtout que cela ne se reproduise plus. C’est un discours qui va de pair avec le nouveau
traitement des violences dans les stades : il s’agit maintenant d’empêcher ce qui peut se passer
et qui donc, n’est pas encore arrivé. C’est cette idée qui est développée et que l’on retrouvera
plus tard en France. L’acceptation de l’idée qu’il faut toujours plus de dispositifs de contrôle
pour faire face à cette menace hooligan.
Le lendemain, ce même Michel Bonnot, fait état de la situation telle qu’elle est vécue
depuis la capitale londonienne ou siège la Football Association. L’actualité du jour est la
décision de finir la compétition dans laquelle étaient engagées les deux équipes. Seulement la
fin de son article fait état de certaines réactions de policiers, qui assurent que « des supporters
sont arrivés plein comme des fûts et la situation des policiers était tout simplement terrifiantes
[…] Ces gens plongeaient sous le ventre des chevaux, et seul un cinglé ou un type saoul peut
faire une chose pareille ». Des propos confirmés par le député de Sheffield, selon lequel des
policiers « ont été harcelés, attaqués et frappés par des supporters de Liverpool, qui ont uriné
sur eux ».28 Il fait la lumière sur le véritable accusé dont « Maggie et son gouvernement
veulent la peau », ce sont ceux que l’on appelle les terraces, les supporters des tribunes de
derrière le but qui se tiennent debout et chantent en coeur tout le long du match, endroit que le
journaliste n’hésite pas à qualifier de « parcs à bestiaux de derrière les cages ». La veille, le
Premier Ministre Mme Thatcher était la seule à oser l’amalgame avec le Heysel. Deux jours
plus tard, Maggie veut la « peau des bestiaux ». Et rien n’y personne ne pourra l’arrêter.
28
L’Equipe du 19 Avril 1989, p. 7
34
Le 20 avril 1989, L’Equipe prend officiellement position, et dans son édito en Une
désigne les responsables : « C’est en contemplant la vérité en face, en situant le Heysel et
Sheffield dans notre environnement immédiat, qu’on incitera les voyageurs du football et
ceux qui sont chargés de les convoyer à prendre sérieusement conscience des périls dont
s’accompagnent les divertissements de masse lorsqu’ils empruntent des chemins d’évasion
sportive qui virent au goulot d’étranglement ou au traquenard ». Plus de place pour le champ
sémantique de la catastrophe, le hooliganisme n’est plus seulement au Heysel, il a survécu
aux mesures prises par les anglais et il continue à sévir. Pire il voyage, et il faut absolument
s’en occuper. Cet éditorial s’accompagne, plus loin, d’un article qui s’intitule « Les Anglais
changent de ton » et qui commence en reprenant la Une du Times du 19 Avril : «
Hooliganisme à Hillsborough ». Si les anglais eux même le dise, alors L’Equipe peut en
rendre compte et verser dans le sensationnel. Autre exemple avec The Sun, sous le titre « La
vérité » qui étale les accusations au même titre que les autres journaux anglais. On y apprend
que la police a enfin décidé de faire la lumière sur les évènements « lassées des attaques
portées contre elle ». Des infirmiers agressés, des policiers frappés à coups de poing et à
coups de pied lorsqu’ils tentent de réanimer des victimes, on parle évidemment d’ébriété
aussi, pendant qu’un officier de police déclare : « Ils se sont comportés comme des animaux
». Des témoignages qui vont dans le sens des mots de Jacques Georges, qui, accusé la veille
de « sale franchouillard » ou de « petit crétin », se voit dorénavant comme l’homme qui
n’avait pas complètement tort : « Quand je parlais de hooliganisme à Sheffield, je savais ce
que je disais »29.
Une vérité rétablie vingt ans plus tard
Une commission indépendante mise en place pour le 20e anniversaire du drame, a
publié le 12 Septembre 2012 un rapport de presque 500 000 pages de documents inédits qui a
accablé la police et entraîné des excuses publiques du Premier Ministre David Cameron, ainsi
que plusieurs demandes de réouverture de l’enquête. On y apprend, d’une part, une multitude
de fautes ayant conduit au décès des victimes et d’autre part, la tentative des policiers de faire
croire à la responsabilité des supporters. Dans ce même rapport, on apprend que 41 personnes
étaient peut-être encore en vie après 15h51, heure à laquelle les autorités avaient déterminé
qu’il n’y avait plus rien à faire pour les victimes. Tourniquets "inadaptés", capacité de la zone
29
L’Equipe du 20 Avril 1989, p. 5
35
de Leppings Lane "surestimée", M. Cameron a relevé des erreurs d'autant plus inexcusables
qu'il y avait eu une bousculade exactement au même endroit l'année précédente. La suite est
du même ordre : plan catastrophe "pas entièrement mis en place", tentatives des secours
"retardées par des erreurs de direction et de coordination". Ainsi la police n'avait laissé passer
qu'une seule ambulance sur les quarante-quatre qui s'étaient rapidement présentées sur les
lieux. Circonstance aggravante, la police a ensuite décrit les spectateurs comme "violents" ou
"ivres", parvenant à faire accréditer cette thèse par certains organes de presse, comme on l’a
vu avec le tabloïd The Sun (qui avait répété cette version sous le titre "La Vérité"). En réalité,
rien ne démontre "d'exceptionnels niveaux d'ivresse, d'absence de billet d'entrée ou de
violence" parmi ces supporters, ou qu'ils aient pillé les morts et les mourants. Les policiers, de
surcroît, ont ensuite amendé 164 procès-verbaux pour se donner un meilleur rôle. Pour
l’anecdote, en marge des articles sur le drame d’Hillsborough, L’Equipe publie un encadré
sous l’onglet « Révélation », qui fait état d’un drame s’étant produit à Moscou en 1982 : au
Stade de Loujniki, à la fin d’un match qui oppose le Spartak Moscou et le Vitess Arnheim,
20.000 spectateurs veulent sortir mais les organisateurs n’ont ouvert que deux portes. S’en
suit une bousculade faisant une centaine de morts. Des incidents ont ensuite éclaté avec la
police, certains voulant sortir de force et de nombreux supporters se seraient alors fait
piétiner. Le journaliste l’a révélé dans le Sovietski Sport dans un article consacré à la tragédie
de Sheffield. A cette époque, sous Leonid Brejnev, la presse soviétique ne parlait jamais de
fais divers se déroulant en URSS. La coïncidence semblerait presque trop énorme. Il est
intéressant de noter que la fin de l’article rappelle que les supporters du Spartak Moscou
avaient « provoqué des incidents, samedi dernier, en se rendant à Kiev pour y assister à un
match ».
c. Des hooligans partout sauf en France
Nous venons de rendre compte du traitement de L’Equipe concernant la tragédie
d’Hillsborough. Tragédie sur laquelle la lumière a donc été faite plus de vingt années plus
tard. Force est de constater que ces présumés actes de violence de la part d’hooligans ont servi
d’alibi et ont apporté une certaine légitimité à Mme Thatcher pour imposer de nouvelles
mesures de sécurité et de surveillance. L’Equipe, quant à elle, laisse le premier jour un doute
s’installer. Elle n’apporte aucun élément de réponse, pose des interrogations et laisse supposer
36
une quelconque ressemblance avec le Heysel. Comme si le football devait se guérir d’un mal
qui le ronge depuis quatre ans. Comme s’il était temps d’enfin s’en rendre compte. Le drame
du Heysel de 1985 a informé le monde de l’existence du hooliganisme. A l’inverse, celui
d’Hillsborough peut être présenté comme la première étape de la construction de la menace
hooligan. Et ce n’est qu’à partir de cette tragédie que certains actes de violence ayant lieu un
peu partout ailleurs ne seront relatés.
La preuve une semaine plus tard, à l’occasion du match entre les Pays-Bas et la RFA.
« Méfiez-vous de la Hollande qui dort. Les hooligans se sont encore réveillés »3013. Stefan
L’Hermitte, envoyé spécial à Rotterdam commence à dresser un portrait quelque peu ironique
de la Hollande : « C’est comme si Dieu avait créé un Pays ici Bas où tout serait quiétude. Il y
aurait juste le vent du nord à endurer parce que tout ne peut pas être que bien. […] Ce serait
un royaume orange et rangé de tous les maux […] La Hollande est aussi appelée Provinces
Unies, avec ses navires armés jusqu’à la proue, la Hollande a aussi enfanté les Boers, ces
colons belliqueux, partis à la conquête de l’Afrique. » Puis vient la description des fans
hollandais « Un nazillon, crâne désertique, boucle à l’oreille, parka vert militaire, pack de
bière en mains ». Des vitrines d’un magasin volent en éclat, « deux apprentis pillards
s’approchent d’une veste beige à 385 florins, sans oser tout à fait » La situation s’envenime,
un supporter allemand est roué de coups et « la police n’a plus qu’à nettoyer le front.
Matraque pour dégager les oranges mécaniques » Après les colons, voilà maintenant que le
journaliste compare les hollandais aux héros terrifiants du célèbre film de Stanley Kubrick.
Rappelons que le réalisateur lui-même décrit son film comme « une satire sociale traitant de la
question de savoir si la psychologie comportementale et le conditionnement psychologique
sont de nouvelles armes dangereuses pouvant être utilisées par un gouvernement totalitaire
qui chercherait à imposer un vaste contrôle sur ses citoyens et en faire à peine plus que des
robots ». La métaphore apparaît donc assez osée, et les émotions auxquels renvoie cette
référence n’est pas des plus agréables. Pour finir, voilà le tour des « durs des durs, ceux de La
Haye, de l’Ajax, de Feyenord ou d’Utrecht, ceux qui se nourrissent aux amphétamines, à
l’herbe et à la haine ». Quelques jours plus tard, ce sont des mesures historiques qui sont
décrites à Alger, avec une suspension de toutes les compétitions de football pendant une
semaine pour enrayer la violence de « pseudos supporters, jeunes, très jeunes, qui n’ont même
pas l’excuse d’être sous l’effet de l’alcool lors d’un envahissement de terrain, à sortir les
30
L’Equipe du 27 Avril 1989, p. 9
37
armes blanches avec comme principales victimes les Sétifiens Osmani et Boutahdjiled »31. Un
mois après, c’est à Glasgow que de nouvelles violences sont relayées dans la presse française
avec l’arrestation de 250 personnes à la suite de bagarres de rues, article concluant que « les
rencontres entre l’Angleterre et l’Ecosse donnent lieu régulièrement à des incidents ». 32 Cette
récurrence si détaillée est nouvelle dans L’Equipe. Preuve est faite que le hooliganisme
voyage et existe partout.
En France, si les incidents sont dorénavant aussi retranscris, ils ne sont qu’à chaque
fois le résultat d’une trop grande passion du supporter, ou d’un sentiment d’injustice lié à une
mauvaise décision arbitrale, à un enjeu sportif trop important. Le 5 Mars à Furiani, Bastia
reçoit Dijon et la fin du match laisse place à des évènements de violence. Un penalty est sifflé
en faveur des visiteurs à deux minutes du terme de la rencontre, qui permet à Dijon d’égaliser.
S’en suit une pluie d’objet divers, dont des dossiers de sièges en plastique jusqu’à ce que le
match se termine. C’est l’entraîneur de Dijon qui raconte : « Dès le coup de sifflet final, la
pelouse a été littéralement envahie. Et c’est au sprint, en slalomant, que l’arbitre et tous les
Dijonnais ont regagné comme des fous, les vestiaires. Franchement, voir un arbitre se faire
courser de la sorte ça fait peur. Un de mes joueurs a été frappé au visage. Ce n’est qu’à minuit
moins le quart, et encore sous escorte, que nous avons pu sortir des vestiaires. Pour terminer
je voudrais préciser que l’attitude des dirigeants bastiais a été exemplaire, notamment Michel
Fantoni qui est venu s’excuser. »33 Vient ensuite la réaction du président du club corse, qui
n’hésite pas à dire que l’arbitrage de M. Nouet a contribué à tendre l’atmosphère : « Je suis le
premier à déplorer ces incidents. De tels agissements ne correspondent pas à l’éthique du
sport. Maintenant, M. Nouet a pris des décisions à contre-sens et je regrette qu’un match de
cette importance puisse être attribué à un arbitre aussi inexpérimenté. » La suite relève des
conséquences et des mesures prises pour « éviter que ce genre de débordements se
reproduisent ». Le lendemain, pour Michel de Gentile, correspondant à Bastia « le sentiment
général de l’homme de la rue est que tout cela n’est jamais que le résultat des erreurs de
jugement de M. Nouet. […] Plus grave encore, il note que ces évènements se sont produits au
cours d’une rencontre capitale pour la suite de la saison du club corse, engagé dans une course
31
L’Equipe du 2 Mai 1989, p. 8
L’Equipe du 29 Mai 1989, p. 9
33
L’Equipe du 6 Mars 1989, p. 7
32
38
poursuite pour l’attribution de la troisième place du classement […] On aurait peut-être
souhaité que l’homme en noir fasse preuve d’un peu plus de discernement. »34
Il est intéressant de voir que ces trois articles rendent compte du même évènement,
selon trois acteurs bien différents. Le président « victime » d’abord, qui salue le
comportement exemplaire des dirigeants adverses, le président « coupable » qui se justifie en
commençant par la prestation de l’arbitre et enfin le journaliste qui, pas une seule fois, ne cite
ni ne qualifie les supporters de Bastia précisément, préférant utiliser l’image de « l’homme de
la rue » et lui attribuant le déferlement de violence auquel ils ont assisté. Aucune trace du mot
hooligan par exemple, ou aucune assimilation à un comportement récurrent.
Le même jour, un encadré souligne la prise de mesures de sécurité importantes à
Marseille, avec le nombre de policiers mobilisés, un hôpital en alerte et une fouille
systématique. Le journaliste ajoute : « Même si la tragédie de Sheffield reste présente dans les
esprits, les policiers marseillais soulignent en effet que le stade Vélodrome n’a jamais été le
théâtre d’incidents graves, et que ses places assises et ses larges travées séparant les gradins
présentent toutes les garanties pour la sécurité ». Il n’y aurait donc pas de place pour les
violences à Marseille, ville de football aux supporters seulement passionnés. Pour preuve,
après la rencontre, dans l’édition du lendemain, l’envoyé spécial Rémy Lacombe, sous
l’onglet « Paix » raconte le comportement des supporters, et s’arrête sur un ultra marseillais
avec un bandeau marqué « les briseurs » sur le front, qui « ne laisse rien présager de bon et
évoque plutôt des clubs d’outre-manche au passé chargé ». Quand il demande au supporter en
question ce qu’il a l’intention de briser ce soir : « Oh rien du tout, les Briseurs c’est un groupe
de la Ciotat dont je ne fais même pas partie ». Alors que ce même supporter était inquiétant
avec son bandeau qui « rappelle » les britanniques, le portrait dressé plus tard est beaucoup
plus reluisant : le garçon, une vingtaine d’années, parle d’une voix douce et fort poliment. Son
discours est rassurant ». Plus tard dans la journée, il décrit « des CRS souriants », « le car
parisien fend un groupe de supporters de l’OM sans qu’aucune insulte ni aucun crachat ne
s’échappent ».
Un encadré juste à côté de l’article sur le bon déroulement du match entre l’OM et le
PSG, ou on peut lire « Violences : la F.A. demande une enquête » Encore ces violences
anglaises. Une invasion de terrain à Londres pendant un match opposant Crystal Palace et
Birmingham. « Une débauche de violence » condamnée par le ministre des sports. Une
34
L’Equipe du 7 Mars 1989
39
invasion de terrain qui fait une vingtaine de blessés. Nous avons vu que c’est ce qui s’était
passé deux mois avant en France sans pour autant que la Fédération Française de Football, ou
le gouvernement ou le ministre des sports n’ait à intervenir. En 1989, en France, les actes de
violence sont le plus souvent le résultat d’une mauvaise décision arbitrale, de fautes de
dirigeants ou simplement d’une pression du résultat tant l’enjeu de la rencontre semble
important.
Autre exemple, le 1er Juin 1989, ou Yves Scheer titre : « Brest a connu l’enfer ». Dès
le début, le processus de justification de la violence est enclenché et « Une partie du public,
chauffée par l’attitude belliqueuse de son équipe (4 cartons jaunes et une expulsion)
n’entendait pas en rester là. »35 Vient la description des évènements, qui, s’ils avaient eu lieu
en Angleterre, auraient sûrement bénéficié d’un autre traitement : « Une pluie de projectiles
(dont des bouteilles en verre) accueillait les acteurs à leur retour aux vestiaires. 45 minutes
plus tard, un cordon de CRS protégeait la sortie du car des brestois du stade. 200 mètres plus
loin, des pierres de la taille d’un poing faisaient voler en éclat les vitres du car. Un véritable
rodéo pour rejoindre l’aéroport. Le kiné n’eut que quelques petits saignements, tandis que le
président ramassait quelques-unes des pierres reçues en souvenir ». Notons toujours que, pas
une seule fois le public n’est mis en cause, aucun adjectif dégradant et aucune allusion aux
hooligans. Non, l’incident était tout simplement clos, il était maintenant temps de passer à
autre chose : « A Brest mercredi matin, tout le monde souhaitait oublier cet épisode pour se
concentrer pleinement sur la suite des barrages. On peut quand même s’interroger sur les
responsabilités d’un club dont le capitaine n’a fait qu’exciter la foule et dont le président,
d’ailleurs maire de la ville et donc patron de la police municipale n’avait pas été en mesure
d’assurer la sécurité de l’équipe visiteuse ».
Quatre ans plus tôt, le hooliganisme n’existe selon L’Equipe, qu’en Angleterre. En
1989, il apparaît aussi au Pays Bas, en Allemagne ou bien encore en Algérie. Et c’est,
toujours à la lecture de L’Equipe, quatre ans plus tard, en 1993, que le phénomène arrive en
France. Ou en tout cas, qu’il mérite, selon L’Equipe, d’être pointé du doigt.
35
er
L’Equipe du 1 Juin 1989, p. 8
40
II.
L’ARRIVEE DU HOOLIGANISME EN FRANCE : D’UN PROBLEME
SPECIFIQUE A UN PROBLEME DE SOCIETE
Le début des années 1990 marque un véritable tournant au niveau de l’importance faite
aux questions relatives à la sécurité dans le débat politique. Le monde change, l’Europe se
construit, les mouvements migratoires deviennent plus importants suite à la suppression des
contrôles aux frontières des Etats membres de l’espace Schengen, l’abolition des monnaies
nationales des Etats membres de la zone euro est décidée. On assiste aussi à l’émergence
d’une certaine insécurité liée aux questions environnementales, les progrès technologiques et
scientifiques sont fulgurants. Tous ces profonds changements ont pour conséquence
d’accorder aux questions de sécurité intérieure une place prioritaire à l’ordre ordre du jour des
préoccupations de la classe politique. Une analyse de Philippe Mary consiste à dire que cette
politisation de la sécurité est le résultat d’un certain affaiblissement de la souveraineté, en
partie à cause de ce que nous venons d’énumérer. D’après lui, l’Etat manifeste dorénavant sa
légitimité en tant que garant de la sécurité intérieure à l’intérieur de ses frontières. En ce sens,
la question prioritaire doit désormais être focalisée sur l’élargissement du contrôle social.
Relevant d’un des rares champs d’action politique dont les effets n’étaient pas affaiblis par le
processus d’européanisation, la protection de la sécurité des biens et des personnes se serait
alors transformée en enjeu politique majeur et traduirait ainsi un mode de gouvernance qui,
faute de pouvoir accompagner de manière rassurante les populations à travers cette période de
transition, se baserait sur la gestion de la peur et de l’insécurité. D’où l’importance de
redéfinir les menaces à la sécurité qui se focaliseront sur la figure du délinquant menaçant la
sécurité intérieure36.
36
Philippe Mary, Insécurité et pénalisation du social, Bruxelles, Labor, 2003
41
A. Quand les supporters du PSG cristallisent l’attention du paysage
footballistique français
a. Le hooliganisme s’arrête à Paris
C’est à cette période que l’image du hooligan menaçant le bien être de la communauté
commence à se diffuser dans la presse française. Les modes de représentation du
hooliganisme tendent à reproduire l’image du hooligan anglais, en marge de la société. Le
tournant devient manifeste par l’usage de plus en plus fréquent de termes stigmatisant le
comportement antisocial des hooligans, qui sont alors qualifiés de « voyous » et de
« loubards ». Reprise par des représentants des autorités sportives, cette stigmatisation va de
paire avec les premiers éléments suggérant la nature irrationnelle, voire pathologique, de cette
violence. Les hooligans sont alors qualifiés d’ « enragés » ou de « crétins » alors que le
hooliganisme est comparable à un « fléau ». Les premières victimes de ce changement de ton
sont les supporters du Paris Saint Germain. Intéressons nous donc maintenant plus
précisément au traitement réservé par les journalistes de L’Equipe aux scènes de violences qui
ne semblent être le fait que des seuls supporters parisiens et comparons-le avec celui réservé
aux supporters des autres équipes.
Le 7 Février 1993, le PSG doit jouer un match à Valenciennes. Le déplacement est
organisé par le club, mais comme à chaque match à l’extérieur, d’autres supporters se
déplacent par leurs propres moyens. Ces hommes, qui ne dépendent donc en aucun cas du
Paris Saint Germain se retrouvent l’après midi dans les rues de Valenciennes. A travers le
résumé du lendemain, on se rend compte de l’appréhension naissante autour des supporters du
Paris Saint Germain, le journaliste titrant son article : « Une fois de plus, un centre ville a eu
peur ». La première partie rend compte de la situation à Valenciennes tandis que la deuxième
donne la parole au président du PSG Michel Denisot. Pour la description de la situation, les
propos tenus sont connus : les hooligans sont venus « s’amuser entre mecs et donc tout casser
[…] ils ont pété quelques vitrines, après avoir éclusés X bières »37. La deuxième partie
revient sur la nécessité de prendre des mesures judiciaires et c’est Michel Denisot en personne
qui le réclame : « Pour l’instant les gens pris en flagrant délit ne sont pas interdits de stade
[…] Tant que la loi n’aura pas évolué, la marge de manœuvre des casseurs sera plus grande
37
L’Equipe du 8 Février 1993, p.6
42
que celle de ceux qui luttent contre eux ». Mais il est intéressant de se pencher sur les
commentaires du journaliste. L’entrée en matière porte à confusion : « Pauvre PSG qui,
malgré ses efforts, ne peut contenir quelques hooligans venus ». Constatation ou ironie ?
Toujours est-il que le club parisien est clairement mis en avant. Le résultat est le même, c’est
le PSG qui possède des supporters hooligans, et c’est le PSG, qui ne peut les contenir dans les
rues de Valenciennes. La phrase d’après est lourde de sens. Elle s’inscrit dans la continuité de
l’idée énoncée auparavant. Si « une fois de plus, un centre ville a eu peur », c’est de la faute
du PSG. Alors pourquoi porter la faute sur un club de football quand des troubles sont
occasionnés par des supporters totalement indépendants du club ? Club de la capitale, qui n’a
pas une longue histoire dans le paysage footballistique français, car il n’a que 23 ans
d’existence lors des incidents quand l’Olympique de Marseille a déjà 94 ans d’ancienneté par
exemple. Par essence, le club de la capitale est celui qui s’oppose à la province. Et L’Equipe
est un journal vendu sur tout le territoire français. Alors commencer à dénoncer des actes liés
au Paris Saint Germain peut sembler plus « acceptable ».
Dans ce même article, la parole est donnée à Pierre Jozroland, alors en charge des
relations entre associations de supporters et aussi des organisations de déplacement. Il
explique que « cent types arriveraient par leur moyen et, de toute façon, ne voudraient pas être
encadrés par notre groupe ou par la police. La police les a suivis dans le centre-ville et a
attendu qu’ils soient bien « mûrs » pour les prendre en flagrant délit. C’est ça le
hooliganisme. ». Nous sommes en 1993, et déjà, le nombre de ces supporters indésirables est
connu. Au fil des années, nous verrons qu’il n’évoluera presque pas, malgré une législation de
plus en plus fournie et une politique au club de plus en plus répressive.
Continuons dans ce sens et intéressons nous maintenant à un article du 31 Mai, qui fait
état de violences durant un match OM-PSG. L’en-tête est particulièrement représentatif du
discours de cette époque : « Des « supporters » du PSG ont pris pour cible les tribunes
marseillaises. Leur arme : des fusées traçantes. Il y a quatorze blessés »38. On peut noter le
mot supporter entre guillemet. Des supporters aiment le sport, les valeurs du sport vont à
l’encontre de la violence, un syllogisme simple constituerait à dire que des vrais supporters ne
peuvent pas être auteurs de violences. Cette distinction est très importante car elle commence
doucement à s’installer dans le discours de L’Equipe. A la lecture de ce sous titre, on suppose
naturellement que les quatorze blessés se trouvent dans les tribunes marseillaises. Or on
38
L’Equipe du 31 Mai 1993, p.6
43
apprend que 10 blessés sont des CRS pour cause d’affrontements en dehors du stade.
Effectivement, une fois le match terminé, environ 500 personnes se sont rendues sur le VieuxPort ou elles ont fait face aux forces de l’ordre, sur lesquelles elles ont « sporadiquement
lancé des bouteilles […] le calme n’est revenu que vers 1h30 du matin. Six individus ont été
appréhendés, dont un en possession d’un couteau ». Plus loin, on apprend que « le millier de
« supporters » parisiens parqués dans un endroit du stade a été raccompagné sous haute
protection vers la gare d’Aubagne ». Aucun des supporters parisiens présent au stade ne
pouvaient dont être présent sur les lieux, et la scène décrite n’est pas à forcément lier avec le
football et encore moins avec les supporters du Paris Saint Germain. C’est pourtant un
encadré titré « Hooligans – Le PSG va frapper fort » qui accompagne l’article que nous
venons de traiter. Les raccourcis sont vite faits, l’impression générale laissée accuse les
parisiens et le PSG. Et les jours qui suivent montrent la « prise de conscience soudaine » des
médias et du monde politique.
Suite aux incidents que nous venons de détailler, L’Equipe dans son édition du
lendemain, commence sa section football par les problèmes des supporters parisiens. Un titre
évocateur « Le PSG met ses supporters hors jeu »39. Nous sommes en Juin 1993. Les
premières mesures de sécurité importantes sont prises. Ces décisions se déroulent lors d’une
séance extraordinaire où on retrouve l’ensemble des dirigeants du club, Jean Tibéri, adjoint de
Jacques Chirac alors maire de Paris, Pierre Lescure, directeur général de canal plus, et enfin
deux juristes consultés en permanence au téléphone pendant la réunion. La décision est prise
de porter plainte contre X et d’annuler tous les déplacements des supporters parisiens jusqu’au
moins la fin de l’année en cours. Patrick Glanz, journaliste à L’Equipe, rend compte des
déclarations faites à la suite de cette réunion et on entend notamment Pierre Lescure dire « on
va essayer d’obtenir un texte juridique et réglementaire qui nous permettra de pouvoir exclure
les quelques deux cents indésirables qui n’ont rien à voir avec les supporters du PSG et qui
viennent pour tout casser ». Il est intéressant de souligner que celui qui montre du doigt les
casseurs, celui qui en définit le nombre n’est autre que le directeur de la chaîne qui,
premièrement est le seul diffuseur du championnat de France au moment des faits et
deuxièmement, est en plus l’actionnaire majoritaire du Paris Saint Germain. Autrement dit,
c’est l’image de la chaîne et du club qui est salie et il est important pour Pierre Lescure de
marquer la différence entre les « indésirables casseurs » et les « vrais supporters ». La parole
39
L’Equipe du 1 Juin 1993, p.3
44
est ensuite donnée à Jean Tibéri, qui met le doigt sur un problème qui touche avant tout la
société et la population globale (pas seulement celle des stades) et qui réapparaît semble-t-il
au Parc des princes : « Il y a les incidents, mais aussi ces gestes de bras qui rappellent trop de
mauvais souvenirs et qui sont intolérables dans un stade où on vient chercher le plaisir et la
passion. Pas la haine ». L’Equipe n’en dit pas plus sur ces accusations et revient
immédiatement sur le problème des supporters. Le racisme ne serait pas encore un problème
suffisamment visible pour en parler, mais le maire de Paris pose les prémices d’un discours
pour les années à venir. Et il peut paraître « logique » qu’à l’intérieur d’une enceinte pouvant
contenir 45.000 personnes, issue de toutes les couches populaires, on retrouve des personnes
de droite comme de gauche, d’un extrême à un autre, des jeunes et des plus vieux, des
travailleurs et des chômeurs, des patrons et des syndicalistes. En 1993, en France, un stade de
football est accessible à tous et la différenciation par l’argent n’est pas encore effective. Enfin,
c’est au tour du président du PSG Bernard Brochand de s’expliquer et celui-ci essaie de
comprendre le problème, tout en essayant évidemment, de dédouaner le plus possible « ses »
supporters, sans pour autant pointer du doigt clairement la sécurité du Vélodrome : « Le
problème est que les lances fusées qu’ils ont employés ne sont pas plus gros que des stylos, en
plastique non détectables et qu’ils sont en vente libre par correspondance, dans les armureries
ou les magasins de marine. » On remarque donc que les trois interrogés s’attachent chacun à
expliciter, et exploiter trois thèmes différents : Les incidents, la haine et la sécurité. La chaîne
défend son produit, le politique défend le peuple et le président défend ses supporters.
Une colonne à côté de l’article retranscrit le communiqué du PSG, dans son
intégralité, ou il est question des décisions prises à la réunion dont parlait le journaliste dans
l’article que nous venons de décrire. On peut par exemple citer le deuxième point, celui qui
consiste à suspendre tous les déplacements de supporters pour un match à l’extérieur : « le
PSG est conscient en prenant cette mesure qu’il pénalise la majorité des supporteurs qui
soutiennent honnêtement et chaleureusement leur club. Ces derniers savent parfaitement le
degré de gravité atteint par l’action d’une minorité irresponsable. »40. Il faut évidemment
mettre en relation ce passage avec l’article d’à côté, une interview d’un supporter parisien,
membre du Kop de Boulogne depuis plus de dix ans qui raconte sa soirée au Vélodrome au
moment des faits, mais qui surtout anticipe déjà les décisions prises par les dirigeants de son
club de cœur : « Peut-être que, bientôt, on interdira aux supporters parisiens de se déplacer. Et
bien, tant pis, moi je continuerai. J’ai toujours accompagné mon équipe. S’il y a eu le bordel,
40
Idem.
45
il ne faut pas généraliser, mais choper tous les coupables. Ils ne sont pas si nombreux que
cela. ». Arrêtons-nous maintenant sur les titres de cet article : « Ne jamais revivre ça ». Le
même qui disait quelques lignes plus tard, que justement, même en cas d’interdiction de
déplacement, il continuerait à suivre et supporter son équipe. C’est pourtant le titre choisi, qui
semble plus légitimer le communiqué parisien que réellement retranscrire l’entretien avec le
supporter.
Un autre encadré nous dresse une description de l’engin utilisé en tribune, sous un
onglet titré « L’Arme – Des petits stylos-fusées ». On y apprend, grâce au chargé de sécurité
de l’OM, qu’il s’agit de petites fusées de détresse, très facilement dissimulable, impossible à
détecter et le commissaire, patron de la sécurité générale autour du Vélodrome n’écarte pas
l’hypothèse de complicités extérieures. Ce même commissaire estime à « 120 ou 150 le
nombre des excités, dont des femmes et des adolescents ». De plus, et comme les autres
intervenants dans cette histoire, il n’échappe pas à la volonté de se dédouaner. En effet, il
n’écarte pas « l’hypothèse de complicités extérieures » et met aussi en cause l’attitude du
service d’ordre du PSG « qui n’aurait pas fait grand-chose pour faciliter le travail des
policiers ». Revenons à l’interview du supporter parisien, qui explique comment il est entré
dans le stade, au moment de la fouille : « Le gars devant moi, ils lui ont fait enlever ses
chaussures, ils ont regardé partout. Moi on m’a juste palpé sous les aisselles, j’aurais pu faire
rentrer n’importe quoi […] on a pris des pierres, des gros boulons sur la gueule. Ils ont même
balancé une bouteille de Pastis […] ils avaient même lancé un fumigène qui a brûlé le bout du
filet au dessus de nos têtes ». Pas une seule fois un journaliste n’a relayé des mouvements de
la part des supporters marseillais et le crédit apporté aux paroles du supporter parisien reste
très limité.
Le processus d’isolement est désormais bien effectif et les violences parisiennes
deviennent un vrai sujet polémique : C’est simple, tout le monde en parle. Du maire de Paris
au commissaire en charge de la sécurité, en passant par le directeur d’une entreprise privée
(canal plus) ou bien un abonné au Kop de Boulogne. Le PSG cristallise l’attention et pas
moins de cinq articles le même jour traitent de ce problème. Le football n’est plus simplement
un sport, les enjeux économiques sont devenus énormes et sa visibilité ne cesse d’augmenter.
Quand auparavant, seule la voix des salariés du football était retranscrite dans le journal, du
président de la Fifa au joueur professionnel, on s’aperçoit maintenant que la parole est aussi
donnée au directeur de la chaîne de télé qui retransmet les matchs mais aussi et surtout à un
homme politique, qui plus est maire de sa ville. Et il faut souligner que les propos de M.
46
Tibéri ne servent qu’à pointer du doigt un nouveau problème, qui existe pourtant déjà partout
dans la société, et depuis toujours. Il convient de penser qu’il est effectivement plus simple de
parler de racisme dans un stade que sur un territoire national.
b. L’indulgence à l’égard des provinciaux
Intéressons nous maintenant au traitement réservé aux autres supporters durant cette
période. Deux mois plus tôt, dans un petit encadré d’un envoyé spécial à Nîmes, à l’occasion
du match opposant Nîmes au Paris Saint Germain au stade des Costières, remarquons la
différence de ton lorsqu’un autre public que celui du Parc des Princes est lui aussi coupable de
débordements. Un match ou l’arbitre, M. Remy Harrel sort deux cartons rouges à l’encontre
des nîmois pour deux gestes très dangereux mettant en danger l’intégrité physique des joueurs
parisiens. Analysons la description des supporters à la suite de l’expulsion de Michel Mezy,
entraineur nîmois et personnage important du football français : « emporté par son
tempérament, il est lui aussi prié de regagner les vestiaires, et c’est la goutte d’eau pour les
supporters niçois : « grêle d’objets divers sur la pelouse, gesticulations, palabres, cris […] Il
est sorti du terrain protégé par les boucliers des CRS. Massés à la sortie du stade, des
irréductibles attendent la sortie de l’arbitre, sous l’œil sévère des CRS, boucliers et matraques
en mains. »41 Le journaliste, qui justifie les décisions de l’arbitre, se montre compréhensif
avec les supporters car « on ne touche pas à Mezy sans déclencher l’orage ». Pour conclure, il
assimile les supporters de Nîmes à « la colère populaire ». La référence au peuple est
importante, c’est une image forte, qui représente plus la majorité. Ainsi les réactions ne
seraient dues qu’à un enchaînement de décisions, certes justifié, mais difficile à accepter. A
l’inverse, le processus d’isolement subit par les supporters parisiens les met au banc des autres
supporters de football et justifie, de ce fait, leur autre « nature ».
Regardons par exemple de plus près le traitement réservé aux supporters marseillais à
la suite du match Marseille Metz du 24 Septembre de la même année, soit approximativement
un mois après les incidents du Parc des Princes. En continuant à partir du postulat que le club
de la capitale est le plus détesté de France, représentant par exemple, et simplement la ville
contre la campagne, le club de l’Olympique de Marseille, en 1993, est évidemment le préféré
des français : c’est le club qui glane tous les titres nationaux et qui installe le football français
sur le haut de la scène européenne. Première indication, l’article central rédigé par Jean-Paul
Oudot se « contente » de raconter ce qu’il s’est passé sur le terrain, des expulsions, des
41
L’Equipe du 12 Avril 1993, p.9
47
pénaltys, etc. Un article en dessous, sous l’onglet « Série noire » s’intitule « Des incidents qui
coûteront cher »42. Et on y apprend que le terrain a été envahit, provoquant le repli des joueurs
et l’arrêt du match. Je cite : « L’ambiance devient particulièrement électrique vers la fin de la
première mi-temps, à la suite des expulsions de Barthez et Boli puis de Kubic […] Des objets
divers, de plus en plus nombreux, commençaient alors à s’abattre sur la pelouse des quatre
coins du terrain […] Une centaine de supporters enjambèrent les grilles de protection avant de
pénétrer sur la pelouse et de contraindre très vite l’arbitre à interrompre les débat […] Une
grande partie du stade s’enflamma et exprima sa colère. » Aucune trace de description des
objets par exemple comme on avait pu le voir auparavant, le ton n’est pas accusateur, il est
même plutôt conciliant puisque, du fait des décisions de l’arbitre, « le stade exprima sa
colère ». Comme à Reims quelques mois plus tôt, la violence des supporters est une nouvelle
fois assimilée à de la colère, à un sentiment d’injustice. Plus loin, la description faite de
Bernard Tapie, alors à la tête du plus grand club français de l’époque, laisse songeur. Quand
Michel Denisot est taxé de laxisme à l’encontre de ses supporters, Bernard Tapis est lui décrit
« faisant les cent pas, avec le regard noir. Partagé entre écœurement et suspicion, il se disait
« révolté » par les décisions « iniques » de l’arbitre central et de ses assesseurs »43, n’hésitant
pas à remettre en doute l’impartialité de l’arbitre qui « comme par hasard est de la Ligue
Rhône-Alpes, celle de M. Fournet-Fayard ». Le journaliste va dans le sens du président
marseillais : « le délégué du match, M. Georget, se bornait à déclarer ». Se borner, autrement
dit se limiter à ne pas dépasser sa fonction et implicitement ne pas reconnaître ses erreurs
commises durant le match. Quant à la fin de l’article, dix petites lignes ou le journaliste nous
apprend « qu’une poignée de supporters incontrôlables s’en prenaient ensuite aux forces de
l’ordre et à des véhicules. Une dizaine de personnes ont été blessés dont deux policiers qui ont
été admis à l’hôpital. Plus tard encore des casseurs se sont dirigés vers le centre ville, brisant
au passage des abris de bus. » Dix petites lignes et des « casseurs » dans la ville, pas des
supporters. Alors que des scènes pareilles, quand elles ont lieu autour du Paris Saint Germain
s’étalent sur plusieurs pages, pendant plusieurs jours, avec une place importante pour relayer
l’indignation du monde politique, médiatique et policier.
42
43
L’Equipe du 26 Septembre 1993, p. 9
L’Equipe du 26 Septembre 1993, p. 10
48
c. Une menace qui commence à prendre forme
Deux jours après les incidents, un encadré « Hooligans » apparaît dans la première
page « football » de L’Equipe de ce 2 Juin sous le titre « Le gouvernement bouge enfin ».
Michelle Alliot Marie, alors ministre de la Jeunesse et des Sports décide de prendre les
dispositions qu’elle juge nécessaire afin de garantir la sécurité dans les stades. L’Equipe nous
apprend qu’elle décide de recevoir les dirigeants du Paris Saint germain, seulement, serait-on
tenté de rajouter. Par ailleurs, le soir même a lieu un match du PSG contre Saint Etienne et le
dispositif de sécurité est déjà connu et détaillé : « 4 compagnies de CRS et un escadron de
gendarmerie ». M. Roland Chatard, commissaire divisionnaire mais surtout employé par la
Fédération de Football Française pour gérer la sécurité estime que les meneurs des groupes
qui posent problème devraient être assignés à résidence les jours de match, comme en
Angleterre, puisque « de source policières concordantes, tous ou presque sont identifiés »44.
Tous les coupables sont donc connus et il ne s’agirait simplement que d’un retard législatif
pour obtenir des mesures nécessaires pour « prévenir les délits et assurer la sécurité des
joueurs et des spectateurs. ». Toujours dans la même lignée, on apprend plus loin que « la
police connaît bien les hooligans du PSG, qui ne sont plus que les seuls « skinheads » », mais
qu’ils ont trouvé de nouveaux rivaux avec les « casuals », une nouvelle branche de supporters.
Alors que le commissaire Chatard vient de dire que tous les supporters en cause sont connus
et identifiés, le journaliste dresse une description de ces casuals qui montre qu’ils sont
justement difficiles à connaître. On apprend qu’ils sont âgés de quinze à vingt-cinq ans, de
tendance également néo-nazie, mais plus difficilement identifiable « car ils ressemblent aux
autres supporters, sans signes distinctifs. Ce sont eux qui nous donnent plus de fil à retordre et
leur technique pour dissimuler tout ce qui leur permet de provoquer des désordres est très
subtil ». Autrement dit, le football aurait affaire à de nouveaux supporters, qui « ressemblent
aux autres », qui sont jeunes, qui cassent et qui semblent en plus être bien organisés et font
preuve de beaucoup de subtilité. C’est ici que commence véritablement la construction du
sentiment d’insécurité. Pour preuve, le seul intertitre, en gras et italique, pose les bases d’un
danger potentiel : « Une menace qui se diversifie ». Les jours d’après, L’Equipe aura un
nouvel onglet titré « Paris-SG et ses supporters », rappelant la volonté politique d’appeler
toujours à une législation plus forte. Le débat politique sur la sécurité s’installe
progressivement en France et c’est en partie une raison du virage pris par les médias. Mais ces
44
L’Equipe du 2 Juin 1993, p. 8
49
nouveaux phénomènes de violence sont en plus déformés par une dramatisation, c'est-à-dire
qu’ils sont présentés plus en détail, comme exceptionnellement graves, plus nombreux ou plus
violents qu’ils ne le sont en réalité. On assiste donc à une véritable mise en scène médiatique
qui passe par la transformation soudaine de faits divers en faits de société, et donc en
évènements nationaux.
Par exemple, en marge du premier match de championnat opposant Bordeaux au PSG,
le 25 Juillet 1993, des incidents éclatent le soir dans la ville de Bordeaux où sont dénombrés
plusieurs actes de vandalisme. Dans L’Equipe du Lundi, à la suite du résumé du match, on
peut lire, du correspondant à Bordeaux Christophe Hutteau, un article intitulé « Les voyous
sont toujours là »45. Première phrase de l’article : « 36 supporters parisiens ont été interpellés
Samedi en fin de soirée et placés en garde à vue après avoir saccagé des bars et un
restaurant ». Plus de place pour les guillemets autour du mot supporter ou plus de marque de
distinction des « vrais supporters » comme ce put être le cas dans les articles que nous avons
traité précédemment. Comme à Marseille deux mois auparavant, il n’est pas question de ce
qui se passe dans le stade, il est question de ce qui s’est passé dehors et une source policière
indique que « la plupart avait le crâne rasé et ont été formellement identifiés comme étant de
la région parisienne et toulousaine ». La référence au crâne rasé rappelle la description des
nouveaux supporters parisiens, les casuals « de tendance néo-nazis ». De plus, quand on
connaît les rivalités entre toulousains et bordelais, qui luttent pour le titre honorifique de
capitale du sud ouest, on peut légitimement se demander si ces supporters originaires de la
région toulousaine sont de fervents supporters du Paris Saint Germain. Si la rencontre n’est
pas le théâtre d’incidents, une demi-heure après la fin du match, on apprend que les supporters
parisiens « étaient autorisés à quitter le stade sous bonne escorte. Bon nombre d’entre eux
s’en prenaient alors aux vitrines des commerces situés sur leur passage. » Effectivement, 90
CRS supplémentaires avaient été réquisitionné, nous apprend le journaliste, mais « cela n’a
malheureusement pas suffi ». Ce qui choque à la lecture de cet article, c’est la précision avec
laquelle sont décrits les faits. Christophe Hutteau insiste d’ailleurs sur un incident en
particulier, l’agression d’une équipe de France 3 : « Le pare-brise de leur véhicule volait en
éclats alors que le chauffeur était à l’intérieur. Il parvenait momentanément à prendre la fuite
en enclenchant la marche arrière mais plusieurs individus réussissaient à le rattraper et
frappaient violemment son véhicule à l’aide d’une batte de base-ball renforcés de clous. Les
45
L’Equipe du 26 Juillet 1993, p.5
50
CRS intervenaient sans ménagement, mais le mal était fait. » La violence de la scène est
énorme, et la précision des détails permet au lecteur de visualiser, de ressentir la peur qu’ont
éprouvé ces journalistes de France 3. L’information est brutale et ne laisse place à aucune
interprétation possible. Il faut remarquer que les coupables sont, à l’intérieur du même article,
les seuls et uniques supporters parisiens. Comme l’indique le journaliste, « ces nouveaux
incidents remettent en lumière le comportement irresponsable et violent de certains supporters
parisiens. […] le contrôle de ces irréductibles qui voyagent individuellement échappe toujours
à la direction du PSG. » Alors que quelques lignes plus tôt, une source policière indiquait que
les identifiés étaient aussi de la région toulousaine. L’amalgame du journaliste est frappant, et
le seul coupable est une nouvelle fois le supporter parisien. La fin de l’article se questionne
sur les mesures à prendre à l’avenir, et le journaliste en vient même à se demander s’il ne
faudrait pas « empêcher la présence de tout supporter parisien dans un stade de D1 ? Il faut
réagir très vite ». Une proposition qui occulte totalement les libertés individuelles et le
supporter parisien continue à être le centre de toutes les attentions, et le centre de tous les
maux du football français.
Quelques jours plus tard, c’est la première fois qu’on retrouve en page 2, en dessous
de la présentation d’un match qui n’a donc pas encore eu lieu, un onglet sécurité qui est
consacré aux mesures prises pour éviter tous débordements de supporters. C’est l’Olympique
de Marseille qui reçoit le Paris Saint Germain et le titre donne le ton : « C’est la guerre à la
guerre ». Qualifié de « match de tous les dangers »46, l’accent est mis sur le caractère
exceptionnel du système qui sera mis en place. On retrouve une description détaillée des
fouilles à l’entrée du public, qui se veulent « minutieuses », avec un encadré qui nous donne
une liste très précise de tous les objets prohibés. On retrouve tout un panel d’armes, allant du
poing américain à la pièce de monnaie biseautée, en passant par les pétards, les barres de bois,
les fruits, « ainsi que tout ce qui est susceptible d’être lancé ». Et pourtant, le journaliste
rappelle que « le PSG n’organise pas de déplacement de ses supporters », donc encore une
fois, ce serait des supporters indépendants qui seraient peut-être des fauteurs de trouble. C’est
sur ce possible danger des supporters du PSG que le discours des médias se concentre
dorénavant. Même quand ceux-ci ne peuvent faire le déplacement. Tout ce qui compte, c’est
en quelque sorte, qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver. L’insécurité qui se dégage des
supporters du PSG est à craindre, et le responsable de la billetterie de l’OM ajoute : « Le
46
L’Equipe du 15 Août 1993, p.5
51
problème c’est que s’ils ne portent pas d’écharpes et s’ils se tiennent calme, rien ne distingue
les supporters parisiens des autres. ». Le journaliste pose une question qui va dans le sens de
la construction d’un danger potentiel : « Dans le lot, il y aura des vacanciers. Mais peut-être y
aura-t-il aussi de dangereux fanatiques animés de noires intentions ? Des clubs de supporters
marseillais ont en effet reçus de sympathiques lettres anonymes les menaçant d’un deuxième
Heysel. » Un deuxième Heysel. Le rappel de ce drame alors vieux de 8 ans est très significatif
et renvoie les lecteurs à des images d’horreurs. Tout le monde se souvient des images des
corps, des images de violence atroces que nous avons pu détailler plus tôt, et cette
assimilation ne sert qu’à une chose, provoquer chez le lecteur la peur, le sentiment d’être en
danger. Un danger qui existe ? Tout peut arriver. Mais en France, il n’y a aucune trace de
pareil évènement à l’intérieur d’un stade de football. Quoiqu’il en soit, les mesures prises se
doivent d’être justifiées, et c’est pourquoi l’auteur de cet article, Jean Philippe Bouchard, nous
précise qu’il « n’y a rien à faire s’ils ne sont pas identifiés à l’entrée du stade. Ou encore au
départ de Paris, puisque des inspecteurs des RG seront présents dans les gares et les aéroports
pour exercer un premier filtrage ». Une atteinte à la libre circulation, par prévention. Reste à
parler de ceux qui résisteraient à toutes ces mesures, que le journaliste définit comme des
« extrémistes qui réussiraient à se faufiler entre les mailles du filet ». Mieux vaut pour eux
qu’ils se fassent discrets, « au risque de se faire écharper par le kop marseillais. ». Echarper,
c’est blesser, mettre en pièce. Voilà la sanction qui s’abattrait sur les supporters parisiens qui
tenteraient d’échapper aux contrôles de police, ou qui tenteraient eux-mêmes d’être violent.
Comme si la violence parisienne pouvait justifier une autre violence. Voilà l’idée qui se
construit dans L’Equipe au milieu des années 1993, avant le scandale VA-OM, qui occupera
une place très importante au sein du journal, et on peut noter qu’on ne trouve plus, pendant les
quelques semaines d’agitation liées à cette affaire, de trace des violences des supporters du
Paris Saint Germain. Le scandale est devenu le sujet le plus attrayant pour L’Equipe.
L’article étudié montre bien le virage pris par la politique en matière de sécurité. Alors
que seul l’acte de violence en lui-même était retranscrit dans les journaux du lendemain, on
trouve désormais dans L’Equipe un discours qui va de paire avec les évolutions de la loi,
c'est-à-dire qu’il insiste sur le risque potentiel d’assister à des scènes de violences et non plus
sur le fait d’avoir causé ces violences. Nous sommes ici à une date clé de la judiciarisation
grandissante de la société française qui sera plus détaillé dans la troisième partie de ce
mémoire.
52
Autre exemple de construction de la menace, pour la première fois dans L’Equipe, la
description des violences apparaît avant même le résumé de la rencontre. Nous sommes le 28
Août 1993, au Parc des Princes lors du match PSG Caen, quand de violents incidents éclatent
en tribune, entre des supporters du PSG et des CRS. A l’origine de ces incidents, un supporter
qui descend sur la pelouse (hors du terrain) chercher sa chaussure malencontreusement
tombée, quand les CRS interviennent avec du gaz lacrymogène qui oblige l’arbitre à arrêter le
match. S’en suit des violentes bagarres entre une vingtaine de CRS parqués à une entrée de
tribune face à quelques centaines de supporters présents dans le stade. Assaillis sous les
coups, les forces de l’ordre battent en retraite et toute cette scène est filmée en direct à la
télévision. Bilan, dix CRS blessés, dont quatre hospitalisés. Le lundi suivant ce match du
samedi soir, L’Equipe commence sa rubrique football par un article de Jean-Michel Brochen.
Les images en direct à la télé choquent, et les politiques s’empressent de prendre le problème
à bras le corps, les textes de lois ne suffisant plus désormais. Et c’est Charles Pasqua, alors
ministre de l’intérieur qui décide de prendre de nouvelles mesures contre les supporters du
PSG. Si le premier article décrit un « super-flic anti-hooligans »47, il est intéressant que cette
disposition arrive au moment où la France obtient l’organisation de la Coupe du Monde de
1998. Nous verrons dans la troisième partie que cette Coupe du Monde sert de justification à
l’application de nouvelles mesures de sécurités beaucoup plus importantes qui couvrent tout
le territoire national et pas seulement le PSG. Le discours des autorités du football français
continue d’ailleurs dans ce sens. Noël Le Graët, alors président de la Ligue Nationale de
Football, s’indigne de ce nouveau fléau et responsabilise les autorités nationales et pas les
présidents de clubs : « Ce n’est pas en prenant des sanctions contre le Paris-SG que l’on
changera la mentalité de cinquante voyous qui viennent pour casser. Non c’est un problème
national qui doit être pris en charge par ceux qui ont la responsabilité de faire respecter
l’ordre. ». Même son de cloche chez le président de la FFF, Jean Fournet-Fayard, qui appelle
les pouvoirs publics, et les instances nationales à trouver une solution pour « endiguer ce
fléau. C’est tout de même intolérable qu’une cinquantaine de voyous provoquent la panique
comme cela. Ou alors c’est grave pour le pays… ». Il semble intéressant de resituer le
contexte footballistique de l’époque. C’est en effet au milieu d’une période noire pour le
football français que ces incidents ont lieu. Un an plus tôt, c’est d’abord le drame de Furiani
qui vient salir l’image du football mais surtout de ses dirigeants, coupable d’avoir accepté
qu’une tribune soit installée à la hâte pour le compte de la demi finale de Coupe de France
47
L’Equipe du 30 Août 1993, p.5
53
opposant l’OM et le SC Bastia avec les conséquences dramatiques que l’on connaît
(effondrement de la tribune, 18 morts). Drame qui provoquait des réactions toute autre de la
part des dirigeants interrogés. Fournet-Fayard déclarait à propos du drame à l’époque, que
« La Fédération avait pris toutes les précautions nécessaires pour s’assurer la solidité des
installations à Bastia. Tout devait bien se passer. »48 Tandis que Noel le Graët parlait lui
« d’un malheureux accident ». Vient ensuite le scandale des matchs truqués avec l’affaire
« VA-OM », qui a secoué la France pendant l’été 1993 et ou toutes les instances nationales du
football se sont retrouvées fragilisées. Ce même président de la FFF, qui décrivait les
violences du Parc comme un « fléau » ou bien listait une somme de « comportements
inadmissible » « intolérables », étaient à cette même période soupçonné d’avoir promis des
sanctions sportives allégées à certains joueurs valenciennois en échange de témoignages à
charge qui précipiteraient l’expulsion de Bernard Tapie du milieu du football. De plus, d’un
point de vue strictement sportif, la situation de l’équipe de France est désastreuse, elle n’a pas
su se qualifier, ni pour l’euro 88 ni pour la Coupe du Monde 90. L’euro 92 est un échec, la
France ne remportant aucun match et le sélectionneur Michel Platini est remplacé par Gérard
Houiller. L’attention portée autour des problèmes de sécurité du PSG, qui certes sont réels,
permet en tout les cas de concentrer l’attention du public sur un autre problème. L’Equipe, par
le biais d’un éditorial placé en bord de page à côté de l’article dont nous venons de parler, suit
la même ligne de conduite. Pour preuve, il est titré « Une affaire d’Etat » et décrit cet
affrontement avec les forces de l’ordre comme celui « en trop, car tout le monde l’a vu ». Les
différents évènements sont rappelés les uns à la suite des autres, les fusées de Marseille PSG,
les vitrines à Bordeaux, et donc ces affrontements avec les CRS et l’image devient accessible
à tous : « le cauchemar EST réalité » écrit le journaliste. Les majuscules sont faites pour
accentuer la prise de conscience nationale et collective du problème. A ce titre, on retrouve à
chaque paragraphe une description de l’urgence dans la quelle se trouve l’Etat français face à
ces violences qui semblent s’accumuler : « Il faut vider les ordures », « On a enfin pris la
mesure de l’urgence », « rétablir l’ordre dans les tribunes », « les hooligans sont parmi nous ».
Et pour clôturer cet éditorial, c’est en quelque sorte une évolution du rôle, de la mission de
L’Equipe qui est mise en avant « A ceux qui seraient tentés de reprocher à la presse d’en faire
une affaire d’Etat, on répondra qu’il était temps que l’Etat en fasse son affaire ».
48
L’Equipe du 7 Mai 1992, p.11
54
Une jeunesse pointée du doigt
Le 31 Août, trois jours après les violences au Parc des Princes à l’encontre des CRS,
une page entière est consacrée à l’interview du nouveau préfet de police Philippe Massoni,
qui, Jean Michel Brochan le rappelle en titre, « a tout de suite été confronté au problème des
hooligans du PSG ». Mettant en avant les chiffres des dirigeants parisiens il évoque
notamment le nombre des fauteurs de trouble, qu’ils estiment à cinquante ou soixante
personnes. Le préfet rétorque qu’ils sont « à peu près 200 à 300 hooligans, marginaux,
casuals, des personnages très violents qui sont parfaitement identifiés […] on connait leur
nom, nous avons leur photographie, leur adresse et leur identité totale »49. Quand deux
questions plus tard, il précise que « ce sont des gens d’origines diverses, des lycéens, des
étudiants, des gens sans profession, certains domiciliés, d’autres sans domiciles fixes, il y a un
peu de tout là dedans. C’est extrêmement variés, confus. ». D’après cette description, la
principale information à retenir est donc que, ce que nous savons des fautifs, c’est qu’ils sont
jeunes. Vient ensuite le moment ou M. Massoni nous explique que « le Paris Saint Germain
peut écrire ce qu’il veut mais si la loi ne nous donne pas l’autorisation nous ne pouvons agir.
[…] Nous n’avons pas la possibilité juridique d’interdire l’accès au terrain à des supporters
dont on sait qu’ils sont potentiellement violents. Il faudrait à ce moment là une évolution
législative. » Selon le nouveau préfet de police, il existe donc aussi un certain laxisme de la
justice. Nous voilà donc face à une nouvelle forme de délinquance, des « casseurs de plus en
plus jeunes » et qui bénéficient d’un certain laxisme de la part de la justice. Ce n’est ni la
première, ni la dernière fois que ce procédé est employé. Ainsi, le 5 Octobre 1995, un
document de quinze pages venant du Syndicat des commissaires de police et hauts
fonctionnaires de la police nationale (SCHFPN) et intitulé « La violence des mineurs » fut
diffusé dans la presse. Selon le sociologue et directeur de recherche au CNRS Laurent
Mucchielli, « il dénonçait la « très forte augmentation » de la violence des mineurs,
notamment dans les écoles, en liaison avec le racket et le trafic de drogue, mais aussi le fait
que « des mineurs réitérant bénéficient de l’impunité judiciaire » et que cela « porte à un
niveau insupportable le niveau de la violence ». Peu étayé, fondé sur des données à l’origine
méconnue et émanant d’un syndicat de police, ce document connu pourtant un grand succès
médiatique (il fut sans doute conçu pour cela). »50 On peut remarquer que, durant les années
qui suivent, le schéma politique reste le même. En effet, la loi Perben de 2002 crée les
49
50
L’Equipe du 31 Août 1993, p.5
Laurent Mucchielli, L’invention…, op. cit., p.41
55
établissements pénitentiaires pour mineurs. La loi Perben 2 de 2004 est une loi française
essentiellement destinée à lutter contre la « délinquance » et la criminalité organisée. Le 29
Mai 2006, c’est Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, dans un discours à Beauvau,
qui dit : « Notre société évolue, certaines pratiques criminelles, les agressions gratuites et
l’ultraviolence sont des phénomènes nouveaux, qu’on ne peut plus traiter avec les outils du
passé. Il nous faut une méthode nouvelle et de nouvelles armes ». Encore en 2008, c’est
Rachida Dati qui souhaite établir un véritable « code pénal des mineurs » car selon elle « la
délinquance des mineurs ne cesseraient de s’accroître et de se durcir, preuve que le droit pénal
les concernant était inadapté ». Pour finir, citons la proposition de loi initié par Christian
Estrosi (député UMP et maire de Nice) en 2011 « visant à mieux responsabiliser les
délinquants mineurs de plus de 16 ans ». Il dit lui-même : « je peux vous dire qu’un barbare
de 16 ou 17 ans n’a plus rien à voir avec le petit sauvageon de 1945. Il est temps de mettre un
terme à la culture de l’excuse. » A chaque fois, le discours est le même, et le résultat est le
même : le vote de loi durcissant toujours plus la justice des mineurs. Or ce phénomène que
l’on nous décrit comme nouveau, existe depuis de nombreuses années. Depuis la fin du XIXe
siècle, on peut distinguer plusieurs « modèles de dangerosité ». Par exemple, dans les années
1900-1910, on entend parler des Apaches. Citons un extrait du Petit journal du 20 Octobre
1907 : « Plus de 70 000 rôdeurs contre 8 000 sergents de ville : L'apache est la plaie de Paris.
Nous démontrons que depuis quelques années, les crimes de sang ont augmenté dans
d'invraisemblables proportions. On évalue aujourd'hui à au moins 70 000 le nombre de
rôdeurs — presque tous des jeunes gens de quinze à vingt ans — qui terrorisent la capitale. ».
Vient ensuite le tour des « blousons noirs ». C'est durant l'été 1959 que l'appellation
« blousons noirs » apparaît pour la première fois dans la presse, avec un article de FranceSoir du 27 juillet 1959 relatant un affrontement entre bandes survenu au Square SaintLambert, dans le XVe arrondissement de Paris. Cette désignation s'impose soudain comme
synonyme de « jeunes voyous ». Les journaux se mettent alors à surenchérir en évoquant des
bandes caractérisées par leur taille importante (il est question de groupes comptant jusqu'à une
centaine de jeunes) et par leur violence. Les « blousons noirs » sont décrits comme des
asociaux qui se battent à coups de chaînes de vélo (ou de moto), de coups de poing américains
voire de couteaux à cran d'arrêt, qui cherchent la bagarre pour défendre leurs territoires
urbains, particulièrement autour des portes de Paris, ou en faisant des descentes dans des bals
ou des fêtes.
56
Les similitudes que l’on trouve entre cette délinquance juvénile qu’on décrit comme
toujours plus dangereuses et les « délinquants des stades » sont frappantes. Le stratagème est
le même, le discours est le même, et la récupération politique est la même. L’Equipe, en plus
d’être le seul média sportif français devient désormais un véritable acteur de la vie de la
société. Le rôle strictement informationnel qu’il tenait a laissé sa place à un discours de plus
en plus en adéquation avec la politisation de la sécurité à laquelle on assiste à partir de la fin
des années 1980’s.
d. Des propos de pair avec le discours politique
On peut remarquer que c’est ce qui se passe en dehors du terrain qui désormais est en
première page du lendemain. Et c’est en quelque sorte un nouveau rôle, une nouvelle mission
pour L’Equipe. L’information est maintenant obtenue en temps réel. Et le lecteur d’hier est
devenu un spectateur d’aujourd’hui. Il faut lui apprendre quelque chose qu’il ne sait pas. Plus
qu’un journal d’investigation, L’Equipe devient peu à peu un journal qui veut « insérer » dans
l’esprit de ceux qui aiment le sport, la nécessité de prendre conscience des dangers qui
guettent le football, et la société. Nous ne pouvons occulter le simple fait que, dans le débat
politique, le thème de l’insécurité revient avec insistance au début des années 1990’s. A
chaque incident relayé dans les médias, on trouve maintenant à chaque fois des réactions
d’hommes politiques, qui peuvent alors se servir du football pour appuyer leurs discours.
Répondant aux inquiétudes de la population, L’Equipe retranscrit ces réactions et
implicitement, participe à l’élaboration d’un argumentaire qui ne peut plus être critiqué. De
plus, c’est l’alliance avec l’autorité policière qui est aussi nouvelle. Pour preuve, c’est la
première fois, ce 30 Août 1993 qu’on trouve au milieu des articles que nous venons de décrire
un encadré « La police lance un appel à témoin ». Dans le simple but d’identifier les
responsables des incidents de la tribune Boulogne. Cela n’avait jamais été le cas auparavant,
et il a fallu que le symbole de l’autorité de l’Etat se fasse blesser en direct à la télévision pour
le voir apparaître dans l’unique quotidien sportif français. Le football a déjà commencé sa
mutation et devient un phénomène très important dans la société avec de nouveaux enjeux,
tant politiques qu’économiques que sociaux.
57
Déjà depuis les années 1960, ce qui préoccupe l’Etat en matière de sécurité intérieure,
c’est le maintien de l’ordre face aux grèves et aux manifestations, qui dégénèrent parfois. Dès
cette époque, on dénonce les « casseurs ». On peut dire que, à chacun de ces moments, le
débat sur l’insécurité s’est installé du fait de la réunion de trois éléments51. D’abord,
l’existence de ces phénomènes de délinquance, qui se doivent d’être suffisamment nombreux
pour alimenter la chronique quotidienne des faits divers. Il faut aussi que ces phénomènes
soient déformés par, comme on l’a souligné tout à l’heure, une « dramatisation », présentés
comme exceptionnellement graves, plus nombreux, plus violents qu’ils ne le sont en réalité.
Le deuxième élément est l’instrumentalisation des phénomènes délinquants dans le débat
politique. Le débat est toujours porté par des acteurs qui pensent y trouver un intérêt électoral,
au plan national comme au plan local. Enfin, le troisième élément est l’existence d’une mise
en scène médiatique quasi quotidienne de cette délinquance, qui passe par la transformation
soudaine de fais divers en faits de société et donc en évènements nationaux, ou par la pratique
consistant à relayer sans distance d’analyse les effets d’annonce politiques, leur offrant ainsi
une caisse de résonance permanente.
Nous avions vu quelques jours plus tôt que M. Tibéri avait dénoncé, pour la première
fois, des gestes de la main qu’il n’est jamais agréable de revoir. Quelques semaines plus tard,
après l’interview du nouveau préfet de police, on trouve un article au titre très évocateur :
« Des saluts maladroits ? »52. A la première lecture, c’est comme si on savait de quoi il en
retournait : des nazis en tribune. Sauf qu’à la lecture de l’article, c’est l’attitude des joueurs
parisiens qui est en cause : « David Ginola, au moment de son but, ou certains de ses
partenaires à la fin du match, devaient-ils se donner la peine de saluer d’un geste amical de la
main le kop de Boulogne, théâtre quelques minutes plus tôt d’une véritable bataille
rangée ? […] ces gestes pourraient laissés penser que les joueurs cautionnent, même
inconsciemment, par leur attitude, les exactions des casseurs de la tribune Boulogne. » Voilà
de quoi il est question dans cet article. On peut raisonnablement penser qu’un lecteur qui
survolerait le journal imaginerait plutôt ces nouveaux hooligans à la tendance néo-nazie, le
journaliste alimentant ainsi une certaine idée du supportérisme parisien.
Le reste des articles de cette journée continue avec la même intention d’imposer la
nouvelle politique de sécurité dans l’esprit des lecteurs. On trouve une courte biographie du
« Monsieur Sécurité » nommé par Charles Pasqua pour trouver des solutions au problème de
51
52
Laurent Mucchielli, L’invention…, op. cit ., p. 40
L’Equipe du 31 Août 1993, p. 5
58
la violence dans les stades, rappelant tous les postes qu’il a pu occuper jusqu’à maintenant.
Une interview du directeur du cabinet du maire d’Angers, prochaine ville à recevoir les
supporters du PSG qui s’empresse, dès ses premiers mots de rappeler qu’ils « craignent des
débordements » et que ce qui s’est passé ce weekend n’est pas fait pour les rassurer. Viennent
ensuite quelques petites brèves faisant état d’une rencontre entre Philippe Massoni et les
dirigeants du PSG, puis sur l’ouverture d’une information judicaire du parquet du tribunal de
Paris contre X après les échauffourées contre les CRS. Enfin, il est précisé que la FNAP
(Fédération nationale autonome de la police) demande que tout soit mis en œuvre pour
identifier et remettre à la justice les agresseurs des policiers. A en juger les dernières éditions,
L’Equipe serait presque devenu un « porte parole » de la police, puisqu’on retrouve en
l’espace de deux jours :

la description du « super-flic anti-hooligans »

la parole est donnée à Charles Pasqua alors ministre de l’intérieur

un appel à témoin de la police

une interview du nouveau préfet de police, Philippe Massoni

la biographie du nouveau M.Sécurité, ancien directeur des RG, commissaire principal
puis divisionnaire

le détail de l’ouverture d’une information judiciaire

une demande de la FNAP
Les articles ou déclarations de ce genre révèlent la place de plus en plus importante
qu’occupe désormais la police dans la couverture médiatique du phénomène. Cette
importance est manifestée, comme on l’a vu, aussi bien par les premières descriptions
journalistiques des dispositifs de sécurité que par des appels au renforcement du dispositif
législatif, faits par des représentants de police. Cette importance se manifeste aussi
indirectement par la quasi-absence de critiques vis-à-vis du dispositif de contrôle en vigueur
et des demandes de son renforcement. Intéressons-nous maintenant plus particulièrement à la
politique sécuritaire prônée par le gouvernement.
59
B. Une nouvelle politique de gestion du risque soutenue par L’Equipe
La tragédie du Heysel a profondément marqué les esprits et modifié la manière dont
les autorités publiques des pays européens percevaient jusqu’alors le hooliganisme. Les
images des victimes agonisantes, en une de tous les journaux le lendemain rendaient si
évidente la dangerosité du phénomène que l’idée de lui conférer un statut spécifique s’est
imposé sans contestation. Comme nous l’avons vu dans la première partie, c’est au niveau
européen que cette idée voit le jour le 19 Août 1985 à Strasbourg avec la Convention
européenne sur la violence et les débordements de spectateur lors de manifestations sportives
et notamment de matches de football. Elle accorde une place prépondérante à la coopération
entre tous les acteurs concernés, aussi bien au niveau national qu’international, et à la mise en
place d’une politique de prévention situationnelle. En effet, celle-ci s’étend dans le temps,
pour couvrir les périodes d’avant et d’après match, dans l’espace aussi, pour couvrir le dehors
du stade, ainsi que dans les populations à contrôler, les fauteurs de troubles potentiels et les
personnes sous l’influence d’alcool ou de stupéfiants. Désormais, on ne se limite plus à
apporter des réponses au préjudice réel causé par les actes délinquants, mais on couvre aussi
le risque potentiel que représentent les comportements déviants. La spécificité est donc bien
spatiale et temporelle, mais elle n’est pas établie juridiquement. Ainsi, si certains
comportements tombent évidemment sous les dispositions de la loi (par exemple pour coups
et blessures ; atteintes aux biens) d’autres sont à mettre au crédit de l’appréciation des agents
de sécurité. Ils peuvent ainsi considérer comme suspect tout individu qui fait partie d’un
groupe turbulent, qui consomme des boissons alcoolisés, qui profère des propos agressifs, qui
fait des gestes obscènes, qui se lève trop souvent de son siège dans les tribunes, etc. Et ce
« flou » peut varier, que ce soit en fonction de l’agent en question, de son humeur, de la
dangerosité du match en question. Le phénomène n’est donc pas clairement délimité par la
loi, et les libertés individuelles peuvent se trouver menacées : le cadre réglementaire du
contrôle du hooliganisme est délimité par l’exécutif plus que par le législatif, laissant les
supporters exposés à l’arbitraire des agents de sécurité. La protection de la communauté de
tout risques efface donc la distinction qu’il existait entre déviance et délinquance. Il ne s’agit
plus de se défendre face au danger émanant d’un acte délinquant, mais de se protéger face à
ce qu’un comportement peut avoir de risqué. A partir du moment où les autorités se
mobilisent contre le risque plus que contre le danger, leur champ d’action peut couvrir des
60
comportements aussi bien déviants que délinquants. Par ailleurs, comme l’explique Anastacia
Tsoukala, « ce nouveau modèle de contrôle rompt avec la notion de culpabilité. Il ne s’agit
plus d’intervenir sur les individus ni sur les facteurs sociaux déterminant leur comportement,
mais plutôt de se concentrer sur l’anticipation et la maîtrise des effets des comportements
indésirables. La croyance en la capacité réformatrice de la société a laissé la place à une quête
de confort social, désormais garanti grâce à des politiques de traitement des symptômes
plutôt que des causes du fait criminel »53. Tout ce nouveau modèle a aussi modifié la nature
de la sanction. Ainsi, on peut par exemple parler de la prison, qui perd son caractère propre de
punition et d’outil de réinsertion pour se transformer en un simple outil de neutralisation des
individus jugés potentiellement nuisibles au reste de la société.
a. Apparition des matchs à risques. *
Cette nouvelle gestion du risque est mise en place en France après les incidents du
parc des princes. Par exemple, le 1er Octobre 1993, on retrouve un article titré « Drôles de
drames »54. Cet article concerne deux matchs qui vont se jouer le soir même, Lille-Marseille
et Martigues-PSG. Un sous-titre qui nous éclaire sur le nouveau procédé qui consiste à mettre
la lumière sur le risque encouru possible. Ainsi, on voit apparaître pour la première fois la
désignation de « match à haut risque » ou de « match à risque ». La première phrase choisie
par le journaliste indique vers quelle direction tend le quotidien sportif : « De pourri le climat
serait-il en train de devenir explosif ? On peut légitimement se poser la question ». Selon lui,
le football serait devenu « incontrôlable », « irresponsable », devant une « situation
alarmiste », « inconcevable ». Le dispositif en place est détaillé dans le moindre détail, on
apprend que le stade sera « truffé de policiers en civil et en tenue », que « les cars de
supporters seront pris en charge par des motards de la police », il existe aussi un « plan de
circulation pour l’accès au stade », enfin on dénombre « quatre compagnies de CRS, soit au
total plus de six cents personnes affectées à la sécurité ». Cela met en lumière ce que nous
disions plus tôt. Quelques jours plus tard un petit encadré après les résumés de tous les matchs
ayant eu lieu ce jour là, on apprend en une quinzaine de lignes qu’il ne s’est strictement rien
passé à Lille : « La guerre ? Quelle guerre ? Redoutée, annoncée, elle n’a pas eu lieu […] il
53
54
Anastassia Tsoukala, Hooliganisme en Europe, Outremont, Athéna, 2010, p.145
er
L’Equipe du 1 Octobre 1993, p. 4
61
n’y a eu qu’une seule petite échauffourée en milieu d’après midi qui a tout de même fait un
blessé »55. Pourtant, dans l’édition du Mardi 5 Octobre, soit le lendemain, on retrouve en une
deux images fortes : Une de Bernard Lama dans ses cages, recevant tout un tas de projectiles
divers à Martigues, l’autre est l’interpellation d’un jeune homme par les policiers, à Lille à
l’occasion du match où, le jour précédent, le journaliste nous apprenait que tout s’était déroulé
convenablement à l’exception d’une échauffourée dans l’après midi. Sous cette deuxième
image, une légende qui indique « des supporters du PSG ont agressé un groupe de marseillais
dans le centre-ville. La police a dû intervenir énergiquement ». Le même évènement, dans le
même journal, a deux jours d’intervalle, traité de manière diamétralement opposée. Quand la
veille, il suffisait de quelques lignes en page 8 pour retrouver une trace des
supposés débordements, on les retrouve en une le lendemain sous un titre on ne peut plus
évocateur : « RAS LE BOL ! ». Jérôme Bureau, alors directeur de la rédaction, publie,
toujours en une un papier intitulé « tous ensemble » ou il nous livre ses impressions sur ce
qu’est en train de devenir le football, usant de termes tous autant alarmant : « les maux qui
menacent ce sport », « sale ambiance », « slogans indignes », « insultes », « agressions »,
« comportement de voyous », « la haine », « la barbarie ». Derrière le titre se cache une
volonté de rassemblement évidente, pour laisser l’impression que si chacun des acteurs se
penchaient sur le problème, et balayaient devant leur porte, on pourrait de nouveau « avoir
envie d’emmener son fils par la main au match ». Les amateurs de foot ne doivent pas « être
aveuglés par leur passion », les joueurs devraient « montrer l’exemple », les dirigeants « se
défaussent si facilement de leur responsabilité et attisent le feu au lieu de l’éteindre ». Et pour
les médias, les premiers cités, ils ont « mission d’information, mais aussi mission
d’éducation ». Autrement dit, le rôle de L’Equipe est profondément modifié puisqu’il prône
dorénavant un football de paire avec une notion de spectacle qui n’existait pas encore jusqu’à
là. En revendiquant explicitement l’envie d’aller voir un match en famille, avec son fils, il
participe à l’envie de voir un nouveau public au stade et ipso facto, à l’idée que le public alors
présent n’est pas le bon.
Il y a plusieurs indications importantes dans cet éditorial. Premièrement, il est donc
explicitement dit qu’il faut aller au stade en famille, et implicitement qu’il faut assainir les
tribunes pour avoir un public moins virulent, et donc plus facile à contrôler. Comme nous
l’avons vu précédemment, l’Etat s’intéresse de plus en plus aux groupements de personnes.
Des familles ne sont pas des supporters abonnés, ultras pour la plupart, organisés grâce à leurs
55
L’Equipe du 4 Octobre 1993, p. 8
62
associations, plus nombreux et donc beaucoup plus difficile à contrôler. C’est le début d’une
tendance qui va s’imposer au XXIe siècle, la naissance du « foot-spectacle ».
En page 2, la relève du discours alarmiste est prise par le journaliste Rémi Lacombe
qui continue à aller dans le même sens, parlant de « chienlit », de « désordre », ou de « foyers
de violence ». Aujourd’hui, L’Equipe se révolte d’incidents qui lui semblait totalement
anodins il y a quelques années, voire même quelques mois. En ce 5 Octobre 1993, le
journaliste écrit : « bagarres, insultes, fumigènes, piles électriques. Si certains pourraient être
tentés de passer l’éponge sur ces incidents sous prétexte que cela aurait pu être pire, il nous
semble au contraire, qu’ils sont révélateurs d’un climat délétère et malsain. On n’en viendrait
même à ne plus les remarquer tellement ils font partie du décor. » Il dresse un tas d’exemples
de tous ces incidents, qui rappelons-le existent depuis très longtemps dans le championnat de
France de Division 1. Le journaliste s’insurge par exemple pour des insultes à l’encontre de
David Ginola, pour les mots de Jean Pierre Papin « traitant carrément l’arbitre de
malhonnête » ou encore pour la situation de Jacques Glassmann, qui se fait huer sur tous les
terrains de l’époque pour avoir révéler que des dirigeants de l'Olympique de Marseille lui ont
proposé, ainsi qu'à dix de ses coéquipiers, une somme d'argent pour « lever le pied » lors d'un
match de championnat. Enfin, une conclusion pour corroborer l’idée entrevue dans l’éditorial,
et continuer à placer L’Equipe dans un rôle éducatif : « Il importe de s’attaquer au mal avant
qu’il ne se propage. Et ça, c’est l’affaire de tous. Dirigeants, joueurs, supporters,
journalistes… C’est aussi et surtout l’affaire de la Fédération et de la Ligue […] Plus que
jamais, c’est le moment d’ouvrir l’œil, et le bon ».
On retrouve sur la même page un encadré qui précise quels sont les points chauds en
France : Lille, Montpellier et Paris, semble-t-il. A Lille, c’est les Dogues qui sont mis en
avant, coupables de « slogans agressifs ». Mais le phénomène est récent d’après le journaliste
et encore « bien moins violent que son voisin belge ». A Montpellier ensuite, les incidents
démarrent toujours de la tribune de la Butte, « où se tiennent ses sympathisants », terme non
diffamatoire pour des supporters violents. Pour finir par Paris. Si nous avions vu dans la
première sous-partie que les supporters parisiens cristallisaient l’attention des médias français,
on remarque que s’ils ne sont dorénavant plus les seuls, ils restent de très loin les plus
dangereux. Contrairement aux deux autres précédents, un rappel des incidents est énoncé avec
le vocabulaire toujours connu de la dramatisation, on retrouve la formule « personne n’a
oublié les terribles incidents », « les effroyables images », « une horde déchaînée contre une
poignée de CRS » et le kop de Boulogne décrit comme « violents, fascisants, masqués,
63
souvent armés, organisés, ces « supporters » d’un genre spécial ne sont là que pour rechercher
l’affrontement et provoquer la bagarre ».
La volonté de rassemblement lue un mois auparavant dans le journal se traduit ce 22
Octobre 1993, avec en deuxième page du journal, un relai des nouvelles dispositions
gouvernementales dans un encadré qui précise que le projet de loi sur la sécurité dans les
stades est adopté au Sénat. On peut y découvrir les nouvelles mesures prises, les amendes
encourues et une nouvelle disposition visant à anticiper les violences, et qui réprime « la
provocation ou l’incitation des spectateurs à la haine ou à la violence à l’égard de l’arbitre,
d’un juge sportif, d’un joueur ou de toute autre personne »56. L’importance de la gestion du
risque fait maintenant partie de la loi, et il est important de souligner l’introduction de
l’expression « ou la tentative » avant chaque article. Première innovation par rapport à la
convention européenne de 1985, « l’introduction ou la tentative d’introduction, le port ou
l’exhibition d’insignes, signes ou symboles faisant référence ou rappelant une idéologie
raciste ou xénophobe »57 sont dorénavant punis. Le racisme est introduit juridiquement dans
le football, toujours de manière aussi floue puisque c’est encore à l’appréciation de l’autorité
en place de décider si oui ou non il y a infraction. Deuxième innovation qui a son importance,
les mesures sont désormais étendues à toutes les enceintes sportives, alors que le texte
précédent se limitait aux enceintes sportives soumises à homologation, c'est-à-dire les stades
de plus de 3000 personnes et les salles de plus de 700 spectateurs. N’importe quel stade ou
même un gymnase par exemple est désormais soumis à cette loi, ce qui va largement dans le
sens d’un désir du gouvernement de contrôler de plus en plus les groupes d’individus plutôt
que les individus. Le champ d’action est maintenant plus élargi et les cibles potentielles qui
tomberaient sous le coup de la loi beaucoup plus nombreuses. Le suivi de ces mesures est en
tout cas très détaillé puisque pas moins de deux semaines plus tard, dans l’édition du 7
novembre, on apprend que c’est l’Assemblée Nationale qui adopte le projet de loi du ministre
de la Jeunesse et des Sports, Michelle Alliot-Marie. Si on trouve pour une fois une critique de
cette utilisation de la loi, avec la remarque de Pierre Mazeaud qui souligne qu’en France,
« nous légiférons trop et donc mal. Il faut se garder de créer des délits, des peines ou des
procédures particuliers en fonction de telle ou telle activité spécifique », le journaliste de
manque pas de rappeler à quel point il était urgent d’agir et qu’« on ne saurait reprocher au
56
57
L’Equipe du 22 Octobre 1993, p. 4
http://www.legifrance.gouv.fr
64
ministre de la Jeunesse et des Sports d’avoir voulu prendre des mesures urgentes pour lutter
contre la violence dans les stades. »
Venons en maintenant à l’édition du 10 Novembre 1993 avec un article qui concerne
le parc des Princes. On y apprend que le règlement intérieur du stade entre en vigueur le soir
même. S’il a plusieurs fois été évoqué dans le journal, aucun éclaircissement particulier. Et
pourtant, on apprend que c’est ce règlement intérieur qui a servi de base au texte de loi antihooligans dont nous venons de parler. Mais une disposition supplémentaire apparaît, et non
des moindres, elle est même capitale dans la nouvelle gestion de la sécurité dans un stade,
c’est l’introduction d’un système de vidéo surveillance qui filme les tribunes, placé sous le
contrôle de la police et susceptible d’être utilisé en cas de poursuites pénales. Cette mesure
rejoint cette volonté de gestion du risque, qui a naturellement impliqué le développement et
l’introduction de nombreux dispositifs de sécurité qui englobent des individus délinquants,
potentiellement délinquants et (a priori) étrangers au comportement contrôlé. Les caméras de
surveillance par exemple, installées dans les stades couvrent les comportements aussi bien des
fauteurs de troubles et des supporters turbulents que des spectateurs ordinaires, alors que
l’échange d’information va au-delà des fauteurs de troubles connus et potentiels pour inclure
même les supporters ordinaires. Ces systèmes ne sont l’objet d’aucune critiques valables
puisqu’ils ne sont pas « conçus pour expliquer et modifier les causes de la violence et de la
récidive mais, au contraire, pour identifier les signes de risque les plus appropriés pour
prévoir la manifestation de celles-ci »58. L’appareil de contrôle est donc totalement dépolitisé.
On peut aussi noter que, si les supporters du PSG cristallisaient l’attention des médias, on se
rend compte que le Parc des Princes devient vite une sorte de laboratoire du football français,
où sont testés tous les nouveaux outils de sécurité.
b. Un phénomène qui touche dorénavant tout le pays
La nouvelle mission de L’Equipe prend vite une autre dimension. Le 2 Juillet 1992 a
lieu au siège de la Fifa à Zurich l’attribution de l’organisation de la Coupe du Monde 1998 et
c’est la France qui arrive en tête des votes. Et c’est à partir de là que les incidents en France à
l’intérieur des stades commencent à être de plus en plus développé dans la presse. Comme
58
Anastassia Tsoukala, Hooliganisme…, op. cit., p. 98
65
nous venons de le voir, tout commence avec le PSG, première victime de cette nouvelle
politique sécuritaire. Puis, à l’approche de l’évènement, ce sont les incidents de tous les stades
qui sont mis en lumière. Dès le début de l’année 1995, ce virage est pris puisque pour la
première fois, et ce sont les supporters marseillais qui se voient assimiler au phénomène
hooligan. Ainsi, on peut décrire, à travers un encadré du 9 Janvier qui fait suite à de violents
incidents lors d’un match Marseille-Nancy disputé au Vélodrome, le contexte dans lequel le
football doit dorénavant se tenir. Pierre-Marie Descamps, journaliste à L’Equipe écrit :
« Quand des hooligans marseillais créent un climat d’insécurité […] il ne faut pas croire que
c’est un phénomène normal. » Le hooliganisme est devenu un phénomène national et qui plus
est, source d’insécurité. Les deux mots sont bien choisis, et à sa lecture, le lecteur sait de quoi
le journal parle puisque ces deux expressions sont employées dans la plupart des campagnes
politiques, encore aujourd’hui. La sécurité est devenue le fond de commerce de L’Equipe et le
sujet favori des politiciens. La suite tire définitivement un trait sur le passé, et surtout sur la
manière dont on traitait l’information avant. En effet le journaliste se pose la
question : « quelle aurait-été la décision de l’arbitre à Londres, Paris ou Trifouillis-les-bainsde-pieds ? »59. L’arbitre n’est plus la cible de tous les reproches, il n’est plus la raison des
débordements. Dans ce cas précis, c’est l’attitude des dirigeants qui est clairement remise en
cause. Cette volonté de trouver un coupable est toujours présente, et la mission d’éducation de
L’Equipe est de nouveau mise sur la table : « Ce sont eux, en criant à l’injustice, en attisant un
sentiment de persécution latent, en cautionnant la violence et en exerçant une pression
intolérable sur les instances, qui déclenchent le processus d’assassinat et qu’ils prétendent
dénoncer. » Si ce sont eux, ce ne sont pas les médias.
Alimentation de la peur
Mais le plus important se trouve dans le lien établi entre hooliganisme et insécurité. Ce
climat dans lequel on semble baigner alimente la peur. Seulement l’ampleur du phénomène en
France n’est pas suffisant, et on recommence à trouver des descriptions de tous les incidents
qui peuvent avoir lieu à l’étranger. Par exemple le 30 Janvier un petit encadré nous apprend
qu’un supporter a été tué à Gênes, victime d’un coup de cutter de la part d’un supporter du
Milan AC. Et le lendemain, c’est une page entière que l’on retrouve dans le journal consacrée
à cet évènement. L’alimentation de cette insécurité est très explicite, dès le début de l’article,
59
L’Equipe du 9 Janvier 1995, p.3
66
les mots du coupable de ces coups de couteau sont repris. Pour une fois ou les paroles d’un
supporter sont retranscrites, c’est pour aller dans le sens de l’opinion générale : « Je n’ai pas
fait une folie mais j’ai simplement suivi la logique. Il y a deux ans dans les stades, on se
battait à coups de poings, maintenant c’est avec des couteaux et dans les dix prochaines
années ce sera les bombes »60. La rhétorique est simple, l’image est forte et il n’en fallait pas
plus pour en quelque sorte justifier le discours mis en place depuis quelques temps.
Autre exemple avec « Le retour des hooligans »61 suite à des incidents provoqués par
des hooligans anglais lors d’un match Eire-Angleterre qui se jouait à Dublin, « qui n’ont fait,
par miracle, que des blessés légers ». Les supporters irlandais sont décrits comme « les plus
pacifistes au monde » face au « démon anglais » et l’heure est à l’inquiétude pour le
journaliste, puisqu’à « seize mois de l’Euro 96 qui doit se dérouler là-bas, le problème des
hooligans resurgit avec une acuité désespérante ». Quand on sait qu’une grande compétition
aura lieu en France deux ans plus tard, il paraît clair que cette grande manifestation sportive
sera l’objet dans les médias de fortes craintes. Quelques deux mois plus tard, dans l’édition du
8 Avril, on trouve un onglet violences, qui détaille des incidents qui ont eu lieu à Saragosse ou
« plus d’une centaine de supporters anglais ont descellé des sièges en plastique et à les jeter
sur les spectateurs espagnols. » Seulement quatre jours plus tard, et alors qu’aucun incident
n’a lieu en France depuis plusieurs mois maintenant, sous le titre « histoire d’une mort
absurde », il est décrit de violentes bagarres entre des supporters de Manchester United et
Crystal Palace. On apprend qu’un supporter a été écrasé par un bus, et non poignardé par des
fans, mais « il n’en reste pas moins que la violence est de retour dans le football anglais ». La
description est très détaillée et les affrontements sont décortiqués. Mais c’est le rappel du
contexte en quelques lignes à la fin de l’article qui nous interpelle : « des bagarres violentes
ont éclaté à Stamford Bridge en FA Cup […] A Dublin, des supporters anglais s’en sont pris à
des supporters irlandais […] Lors des déplacements de Chelsea, des éléments incontrôlés ont
semé le trouble en ville. Après avoir cru éradiqué le phénomène du hooliganisme, voilà
l’Angleterre confrontée à nouveau au fléau. » Encore une fois, on ne parle plus de
hooliganisme, mais de phénomène, au même titre que la délinquance par exemple. Un
phénomène est quelque chose de visible, perçu par les sens ou la conscience. Et c’est
justement au nom de cette conscience que L’Equipe écrit.
60
61
L’Equipe du 31 Janvier 1995, p.8
L’Equipe du 16 Février 1995, p.10
67
Une nouvelle gangrène : le racisme.
Nous venons de détailler les bases de la construction du sentiment d’insécurité, qui
montre à quel point la protection des personnes et des biens devient la première préoccupation
de l’Etat. Si l’insécurité reste un thème récurrent tout au long des années 1990 (et encore plus
au XXIe siècle), en 1995 apparaît un nouvel objectif tout aussi manifeste, celui de la
protection de l’ordre démocratique. La lumière est posée sur le racisme, qui fait son apparition
dans le football et plus particulièrement dans les stades. Les hooligans français sont nés dans
le paysage médiatique français un soir de PSG-Caen en 1993 au Parc des Princes. Le
racisme ? Deux années plus tard, le 30 Mai, PSG-Le Havre, toujours au Parc des Princes.
Dernier match de la saison, et Georges Weah, attaquant vedette du PSG, libérien, joue pour la
dernière fois sous le maillot parisien avant de signer au Milan AC. Une banderole est
déployée dans le Kop de Boulogne où il y est inscrit « Weah, on n’a pas besoin de toi » avec
des croix celtiques à la place des « o » et des sigles des SS pour les « s ». Une chronique parue
le lendemain des faits s’intitule « Les naïfs et les salauds »62. Vulgariser pour toucher un plus
large public, voilà la recherche du journaliste quand il choisit ses mots. Toucher le plus de
monde possible. Il faut trouver les mots justes, qui font référence à des savoirs, ou des
émotions partagées par tous. L’Equipe pointe du doigt ces supporters du PSG en cultivant la
nouvelle mission éducatrice du journal : « Ce qui s’est passé mercredi soir au Par des Princes
mêle l’acceptable à l’inacceptable. ». Les termes employés sont exactement les mêmes que
ceux employés deux années auparavant : « intolérable », « insupportable », « écœurante »,
« gangrène qu’il faut traiter sans pitié ». Et pour finir, réclamer plus à la justice « … ils
devraient être en prison. Ils n’y sont pas. Pourquoi ? Le Parc des Princes est-il un espace hors
la loi ? ». Le lendemain, un article entier sous l’onglet « scandale du parc » où on apprend que
le PSG porte plainte mais ou surtout, bon nombre d’hommes politiques commentent les faits
qui se sont déroulés : Le député de Seine Saint Denis Jean Claude Gayssot, le communiste
Henri Malberg et le vice président de l’UNFP Jean-Jacques Amorfini. Et le journaliste qui
finit « la mobilisation générale n’est pas loin… » Une ligne de conduite qui avait été
expressément demandée par les journalistes de L’Equipe après les incidents de 1993 et qu’il
fait bon mettre en avant.
La définition de la violence dans L’Equipe s’étend donc maintenant aussi à la morale
avec le racisme. Mais revenons-en aux violences physiques et intéressons nous plus
62
L’Equipe du 1 Juin 1995 p. 2
68
particulièrement au cas d’Eric Cantona, ancien joueur de l’équipe de France et véritable icône
national.
c. Le paradoxe Cantona : quel discours pour le héros violent ?
Le 25 Janvier 1995 lors d’un match oppose Manchester United et Crystal Palace, club
de Londres. A la soixantième minute, il doit sortir du terrain après avoir été expulsé par
l’arbitre. En Angleterre, il n’y a pas de grillage ou de fosse qui sépare le terrain des
spectateurs, seulement des panneaux publicitaires. Alors qu’un supporter adverse l’invective,
Eric Cantona se jette sur lui les pieds en avant et lui assène plusieurs coups de poing avant
d’être rattrapé par d’autres joueurs et par la sécurité. Il regagne les vestiaires sous les sifflets
du public. Comment cet épisode, rarissime dans un stade de football est-il traité dans
L’Equipe ?
63
Un premier indice dans l’édition du 27 Janvier, ou une double page lui est
entièrement consacré. « Inéluctable » est le titre de l’éditorial, « le geste de trop » celui du
principal article. Voyons comment est décrit cet incident mettant donc aux prises un
personnage public français face à un supporter, qui plus est anglais : « il est allé essuyer ses
crampons sur la gueule d’un crétin qui l’avait sans doute méchamment asticoté ». Même
principe de vulgarisation qu’employé précédemment avec l’assimilation du supporter à un
animal, idiot et méchant. Cette référence à la condition animale se retrouve plusieurs fois, Eric
Cantona « savatant l’anglais bestialement » par exemple. Pour ce qui est du portrait dressé
d’Eric Cantona, c’est un véritable éloge qui est dressé : « Comment ne pas aimer Cantona ?
Comment ne pas aimer sa différence, sa capacité à surprendre. On le croit footballeur et hop,
le voilà karatéka »64. Le caractère violent du joueur est mis en avant mais pas sans l’appui
d’autres adjectifs toujours plus reluisants :
« révolté »,
« héroïque », « naufragé »,
« indécrottable », « admirable ». De plus, il est assimilé à deux personnages dont le simple
nom évoque la bravoure et le courage : Don Quichotte, rêveur idéaliste et justicier
autoproclamé du début du XVIIe siècle et le chevalier Bayard, symbole de la bravoure,
« chevalier sans peur et sans reproche ». Comme eux, le journaliste écrit qu’ « Eric a traqué
l’injustice et l’inaccessible étoile avec la même fougue et du coup la même intolérance ».
63
nous n’avons trouvé qu’un seul autre exemple de violence d’un joueur à l’encontre d’un spectateur, le 21
Décembre 2011, le gardien de but du club hollandais de l’AZ Alkmaar, Esteban, pendant le match est approché
par-derrière par un spectateur souhaitant lui adresser un coup de pied, mais le gardien anticipe et le fait tomber.
S’en suit deux autres coups de pied beaucoup moins « dangereux » que celui d’Eric Cantona
64
L’Equipe du 27 Janvier 1995, p. 7
69
Cette proximité liée à l’usage de son seul prénom tend à personnifier et à humaniser encore
plus le personnage de Cantona. En résumé, le supporter anglais insulte parce qu’il est un
animal, tandis qu’Eric Cantona est violent parce qu’il est Eric. Quand il s’agit de parler de
sanction, c’est l’instance décisionnaire qui est jugée, puisque « Puni, il va l’être avec la
férocité dont sont capables les Britanniques ». Comme pour le supporter anglais coupable
d’avoir insulté le héros Cantona, cette référence à la condition animale est aussi valable pour
les Britanniques. La fin de l’éditorial est toute aussi importante puisque « Cette fois-ci, il est
vraiment allé trop loin ». Rappelons cependant plusieurs faits d’armes :
-
Insultes au sélectionneur Henri Michel le 20 Août 1988
-
Agression dans les vestiaires contre son con équipier à Montpellier Jean Claude
Lemoult
-
Coup de poing à Sylvain Kastendeuch, capitaine du FC Metz dans les couloirs du
stade
-
Crachat sur un supporter de Leeds.
-
En Coupe d’Europe, lors d’un match contre Galatasaray, à Istanbul, expulsion, puis
insultes à l’arbitre et bagarre avec des policiers turcs
Il aura donc fallu qu’il s’en prenne physiquement à un supporter pour qu’il soit déclaré
que « Cette fois, il est vraiment allé trop loin ». Les réactions qui suivent abondent pourtant
toutes dans le même sens. Didier Sénac, joueur de Bordeaux, et lui-même coupable d’un très
vilain geste quelques semaines auparavant sur un joueur de foot précise : « je comprends
qu’un joueur puisse disjoncter et n’exagérons pas, il n’a tué personne. ». Zinédine Zidane,
alors joueur de Bordeaux trouve quant à lui que « son geste est excusable. Il ne fait pas ça
tous les jours tout de même, il faut remettre les choses dans leur contexte et savoir comment
tout cela est arrivé ». Du côté des instances du football français, le président de la ligue Noël
Le Graët ne s’étonne pas : « Vous savez comment il est Eric hein ? A la fois talentueux et
imprévisible, dangereux. Il semble toujours regretter ses débordements et je le crois sincère ».
Trois jours plus tard, dans les pages football européen, un article est titré « Manchester l’aime
encore plus »65. Ces mêmes supporters anglais tant décriés pour leur caractère violent sont
maintenant les auteurs d’un vibrant hommage au héros Cantona, « la cote du rebelle a encore
grimpé », le public « écoute religieusement les « Ooh, aah, Eric Cantona ! » et se lève pour
applaudir ». On apprend que les supporters distribuent un tract anti raciste « qui dénonce
65
L’Equipe du 30 Janvier 1995 p. 8
70
l’insulte dont Canto fut la victime ». La victime, Cantona serait presque devenu un martyr. Il
est constamment appelé Canto dans l’article, même procédé que pour le prénom dans
l’éditorial trois jours avant, il a désormais un diminutif qui le rend toujours plus humain.
Alors, pourquoi tant de mansuétude pour un homme ? C’est le symbole même de la
masculinité et de la virilité qui sont ici mis en avant. Un symbole qui s’étiole depuis le
traumatisme de la première guerre mondiale et depuis la séparation de plus en plus floue entre
les rôles féminins et masculins. Pour répondre à cette crise de la masculinité, la deuxième
moitié du XXe siècle voit émerger la naissance des héros sportifs dans la presse, et plus
particulièrement dans L’Equipe. Un héros, dans la mythologie grecque, est le résultat d’une
union entre un être humain et une divinité. S’il reste un mortel, il dispose néanmoins de
capacités surhumaines. Au sens moderne, l’héroïsme consiste à accomplir un exploit en
repoussant ses limites. Les coureurs du tour de France ont d’ailleurs été les pionniers de cette
nouvelle quête d’héroïsme et de masculinité mais les années 1990 marquent un autre tournant
avec l’avènement du sport spectacle et l’importance énorme prise par les enjeux financiers.
Principale conséquence, L’Equipe se retrouve confrontée à ses propres contradictions :
dénoncer toutes formes de violences dans un stade et pardonner le geste de Cantona en est une
grossière. Le journal choisit délibérément de préserver le statut d’icône français en dépit
d’une éthique sportive dont il se veut le garant. Comme le souligne une étudiante dans son
mémoire sur la place des femmes et des héros dans L’Equipe, « le propre de l’héroïsation des
champions sportifs par la presse est de projeter sur eux un idéal humain qui comprend un
certain nombre de caractère et de vertus, supposés déterminer leur comportement, forcément
exemplaire. En faisant porter à des hommes, par définition faillibles, une image construite et
idéalisée, le journal s’expose aussi à l’éventualité de leur échec et de la sorte à la mise en
évidence du caractère éminemment artificiel d’une telle construction. »
Pascal Duret, dans son livre Héroïsme sportif, explique lui la construction de cette figure,
à travers plusieurs étapes bien distinctes, que l’on appliquera dans le cas de Cantona. La
présomption d’innocence est impossible dans ce cas là, les images étant accablantes.
Commence tout de suite la deuxième étape qui consiste à décharger le coupable de ses
responsabilités. Pour se faire, remettre en cause les autres parties, en l’occurrence le supporter
coupable d’avoir insulté le champion, mais aussi le supporter anglais en général qui n’en est
pas à son premier fait d’arme. Si les faits sont reconnus comme étant ce qu’ils sont, c’est aussi
une manière de dédouaner le sportif. L’étape suivante consiste à relayer les évènements qui
suivent les jours d’après, pour montrer que le coupable fait preuve de repentance. En
71
l’occurrence, l’acclamation du joueur par les supporters du de Manchester mais aussi par les
supporters adverses. Ce processus permet d’alimenter le mythe du héros tout en rendant
l’auteur de la transgression moins coupable66.
L’affaire Cantona fait partie de ces nombreux scandales ou L’Equipe se retrouve prise au
dépourvue et son prétendu rôle éducatif se voit mis de côté pour défendre les héros qu’elle a
elle-même construit. Le traitement de la Coupe du Monde de 1998 représente un autre
paradoxe. La récupération politique de l’évènement et les nouveaux enjeux en matière de
politique sécuritaire rend tangible la réelle position de L’Equipe. Bible du sport ou véritable
acteur de la société ? La montée du foot-business de paire avec le sport spectacle contribuent
à rendre de plus en plus insupportable la moindre violence. Le rôle du journal n’est désormais
plus le même et témoigne des modifications du rôle même du sport. Comment L’Equipe
s’acclimate à ce nouveau changement ? C’est ce que nous allons maintenant essayer de
déterminer dans la troisième partie.
66
Pascal Duret, Héroïsme sportif, Paris, PUF, 1993
72
III.
LA COUPE DU MONDE 1998, ENTRE SENTIMENT D’INSECURITE ET
PROMOTION DU SPORT QUI RASSEMBLE
Nous venons de voir que les violences dans les stades français apparaissent dans
L’Equipe au milieu des années 1990. La fin du siècle est marquée par un évènement d’une
ampleur considérable, la tenue de la Coupe du Monde en France. Si la ferveur populaire liée à
la victoire finale est l’occasion rêvée pour les politiques de faire du football un exemple,
L’Equipe répond au besoin du lecteur de sentir que le football peut lui amener une bonne dose
de bonheur. Il n’est d’ailleurs guère étonnant que sur un numéro, le record de vente contrôlé
par l'OJD67 a été enregistré le 13 juillet 1998, au lendemain de la victoire des Bleus lors de la
Coupe du monde de football avec 1 645 907 exemplaires vendus. Un chiffre qui va de paire
avec les chiffres du journal Le Monde du 24 Février 1996 qui montre que, à L'Équipe, le
football occupait, en 1995, 25 à 27 % de la surface rédactionnelle et, selon les enquêtes, que
88 % des lecteurs déclaraient lire cette rubrique. Cependant, On peut se demander s’il n’existe
pas des discours que l’on peut qualifier de dominants en ce sens qu’ils masquent les autres et
qui expliqueraient l’absence de critiques de la nouvelle politique sécuritaire? Ces discours ne
proviennent-ils pas des sphères politiques et économiques pouvant avoir une emprise sur les
médias? Ces réflexions nous conduisent à des interrogations quant à une possible autonomie
des discours des journaux de presse écrite dans un contexte de crise, dans une démocratie
censée être perturbée par l’irruption de la violence.
A. « La France qui gagne » en trompe l’œil
Histoire des Coupes du Monde
La Coupe du monde de football est aujourd’hui la deuxième compétition sportive du
monde, en seuls termes de spectateurs, d’audience télévisée et de bénéfices financiers réalisés.
Et, ainsi, elle est désormais non seulement une véritable affaire économique mais aussi
l’événement sportif le plus populaire mondialement après (voire avant, même…) les jeux
67
L'association OJD (marque déposée, à laquelle ne correspond plus aucune appellation officielle développée),
anciennement Diffusion Contrôle, est une association professionnelle française dont le rôle est de certifier la
diffusion, la distribution et le dénombrement des journaux, périodiques et de tout autre support de publicité.
73
olympiques d’été. Mais la pratique du football à ce niveau international est aujourd’hui bien
plus qu’un spectacle sportif de haut niveau. La Coupe du monde de football est ainsi devenue
le lieu de l’expression des identités nationales retrouvées, voire un prétexte à des mises en
scène de « suprématies » nationales et idéologiques. Et avec l’avènement de nos sociétés de
consommation de masse, avec l’évolution des mentalités politiques et avec l’évolution
géopolitique de notre siècle, toute participation à la Coupe du monde football est devenu en
quelque sorte un enjeu de politique nationale et internationale, voire un instrument ponctuel
des diplomaties. Entre l’omniprésence de Bénito Mussolini pendant « la Coppa del Duce » (en
1934) et le baiser de Jacques Chirac sur le crâne de Fabien Barthez (en 1998), l’organisation
de la Coupe du monde de football a toujours été une occasion de laisser transparaître l’image
d’une nation forte. C’est ainsi que le football italien des années 1930 est devenu la « vitrine »
du régime fasciste mussolinien alors triomphant. Mussolini et les idéologues fascistes, à
mesure qu'ils renforcent leur emprise sur l'Italie, dans les années 1920, comprennent l'intérêt
qu'ils peuvent retirer du football. Celui-ci alliant modernité et force physique, travail
individuel et sens aigu de l'intérêt collectif. En 1998 en France, la situation économique et les
fortes revendications sociales de la population sont alors passées sous silence pour justement
favoriser cette Coupe du Monde, qui se veut être un nouveau symbole de la fête et de la
solidarité. Il est donc impossible de dissocier l’organisation d’une telle compétition
internationale de l’image qui en est renvoyée.
En 1998 en France, 2,5 millions de personnes ont assisté aux matchs du Mondial.
Nous allons tenter de comprendre les raisons dans le revirement éditorialiste de L’Equipe, qui
quelques années auparavant déclarait le football assassiné, n’ayant plus sa place dans le
paysage sportif et coupable des pires atrocités, et qui, à l’occasion de la Coupe du monde,
semble se laisser submerger d’un optimisme sans faille.
a. Le football, fournisseur de plaisir ?
La première étape de cette nouvelle volonté de L’Equipe se traduit par une récurrence
de l’emploi du champ lexical de la fête. Ainsi, on retrouve l’assimilation de la France a « une
grande salle des fêtes », de la Coupe du Monde à une « gigantesque fête qui enchante les
stades et les rues », à une « vivante fête païenne », ou encore qu’elle laisse aller à de
« superbes scènes de fraternisation entre les supporters dans une ambiance de fête », et ce,
74
tout au long de l’épreuve. Au-delà des réjouissances qu’elle amène, les journalistes de
L’Equipe insistent sur le bien être qu’il en découle. Le football est désormais tributaire de
vraies valeurs morales. Et quand surviennent des éléments contraires à cette nouvelle
étiquette, on retrouve le lendemain des titres comme « La fête est gâchée », ou bien « Ailleurs
la fête » ou encore une interview du ministre des sports Marie Georges Buffet qui valorise « la
tranquillité et la convivialité du sport ».
Dans l’édition du 2 Juillet, une page entière est consacrée à toutes les villes, et donc tous
les stades qui ne recevront plus de matchs de la Coupe du Monde. Toutes garderont « le
souvenir d’une fête continue seulement gâchée par endroits par des gens qui ne méritent pas le
nom de supporters »68 :
-
« Montpellier, sans fausses notes » L’article est accompagné d’une photo d’une
mexicaine qui danse dans le stade, preuve de la bonne humeur.
-
« Saint-Etienne, chaleur et nostalgie », avec une photo d’un joueur argentin tout
sourire après avoir marqué un but.
-
« Bordeaux, une parfaite communion » L’article est accompagné d’une photo d’un
écossais et d’une norvégienne, adversaire sur le terrain mais apparemment pas en
tribune, preuve qu’il n’y a pas que des antagonismes dans le football
-
-« Toulouse, le cœur tout en fête » avec l’image du gardien hollandais, à terre, les bras
vers le ciel.
Ces quatre lieux étudiés peuvent être analysés ensemble puisque leur construction est la
même. Avec l’appui d’une image qui symbolise la joie, ce bilan rappelle le nombre de
personnes ayant pu profiter des installations prévues, des concerts qui suivaient les matchs, et
à chaque fois de la bonne tenue des supporters, notamment grâce aux bonnes dispositions de
la police. L’Equipe met en avant les images positives liées au football, les scènes de joie, la
bonne humeur, le spectacle, l’émotion partagée, le respect de l’autre, etc. Le temps du football
en tant que véritable compétition, où il faisait bon quelques années plus tôt réprimander
l’arbitre et légitimer les débordements est désormais terminé. Si le football doit être à l’image
de la nation, alors la France sortira avec le sourire de cet évènement.
Les jours qui suivent, qui plus est avec l’épopée de l’équipe de France, permettent
d’appuyer cette impression, comme pour rappeler que rien d’autre que la Coupe du Monde ne
68
L’Equipe du 2 Juillet 1998 p. 13
75
compte. Dans un éditorial du 11 Juillet 1998 intitulé « c’est déjà demain », Gérard Ejnès par
exemple, écrivait : « Aux yeux de l’humanité, rien n’est donc plus important que le football ».
On lit aussi au lendemain de la qualification pour les demi finale après le match contre
l’Italie : « Embrassons nous Folleville, sautons, dansons, trépignons, consolons tous Lizarazu
qui n’a plus besoin de l’être, préparons nous à entonner une nouvelle Marseillaise à pleins
poumons mercredi prochain. » La référence à la comédie d’Eugène Labiche et Auguste
Lefranc est étonnante d’éloquence puisqu’elle est devenue une expression qui désigne les
démonstrations d’amitié ou de joie qui permettent d’oublier ou qui occultent les problèmes.
Si la volonté première de L’Equipe est bien évidemment de vendre le plus possible son
quotidien, notons tout de même que le discours tenu rejoint celui des hommes politiques du
moment. Sans pour autant les associer, il existe comme on l’a souvent vu d’ailleurs, un lien
important entre les médias et le pouvoir, mis en lumière par Louis Quéré qui dresse un
constat : « Dans la société moderne, le Pouvoir a “besoin” d’être représenté, et plus
précisément raconté. Le système d’action journalistique en découle »69. Les médias
deviennent en quelque sorte des narrateurs du pouvoir dans l’espace social. Dans cette
logique, les médias doivent se tenir aux côtés du Pouvoir de l’État, mais rester également
proches du public qui est le destinataire des discours et des représentations sociales construits
par les médias, mais qui est surtout le premier consommateur du média en question. Mais, au
final, les médias incarnent une symbolique sociale qui est celle du pouvoir. Cette conception
de production et de déploiement des discours, qui refuse toute marge d’autonomie aux
médias, est renforcée par Paul Beaud dans La Société de connivence. L’auteur identifie les
médias à des intermédiaires permettant à l’État de gérer l’opinion publique. Ces derniers sont
des « outils d’organisation de la société, d’élaboration et de diffusion des concepts et des
structures légitimes de l’entendement, les media sont donc aussi inévitablement, à certaines
périodes historiques de rupture des équilibres, l’un des lieux où s’expriment les antagonismes
sociaux, l’un des enjeux d’un accès au partage de la gestion du social. »70 Les médias
participent à la construction des représentations et deviennent un enjeu pour la maîtrise des
discours en circulation. Ce qui apparaît aux individus comme devant être pris en compte,
apparaît d’abord dans les médias.
69
70
Louis Quéré, Aux origines de la communication moderne. Des miroirs équivoques, Paris, Aubier, 1982
Paul Beaud, La société de connivence, Aubier, 1984
76
Ici, c’est le football qui doit explicitement passer avant tout. Implicitement, y toucher
serait donc devenu un crime majeur, et pour reprendre Jacques Chirac, au sujet de violences à
Marseille : « elles sont inacceptables et si contraire à l’esprit sportif »71.
b. La France Black Blanc Beur, un faux semblant
Les valeurs attachées au sport et à la pratique sportive sont depuis longtemps les
mêmes associées à celles énoncées par le baron Pierre de Coubertin, pédagogue et historien
français de la fin du XIXe siècle. Dépassement, respect de soi, de l'adversaire, des règles du
jeu, solidarité, esprit d'équipe, goût de l'effort... Fortement influencé par la culture anglosaxonne, il a particulièrement milité pour l'insertion du sport dans les établissements scolaires
français. Dans ce cadre, il a pris part à l'éclosion et au développement du sport en France
avant d'être le rénovateur des Jeux olympiques de l'ère moderne en 1894. L'Olympisme est
pour lui une véritable philosophie de vie, exaltant et combinant en un ensemble équilibré les
qualités du corps, de la volonté et de l'esprit. Alliant le sport à la culture et à l'éducation,
l'Olympisme se veut créateur d'un style de vie fondé sur la joie dans l'effort et la valeur
éducative du bon exemple.
Avec la victoire finale du 12 Juillet au Stade de France, les joueurs de l’équipe de
France deviennent des instruments présupposés à symboliser ce bon exemple. Reste
simplement à les définir, à les distinguer aux yeux du grands publics, et c’est ainsi que
l’équipe nationale devient l’équipe « Blacks-Blancs-Beurs », l’équipe qui représente la France
qui gagne. Jouant sur la symétrie avec le « bleu blanc rouge » du drapeau français, cette
expression souligne le métissage et le multiculturalisme de la France nés de l’immigration. Le
succès de l’équipe de France qui comportait des joueurs de diverses origines l’a faite passer
dans le langage courant. Et pourtant, l'équipe des années 1978-1986, notamment demi
finaliste de la Coupe du Monde et vainqueur de l’Euro en 1984 comprenait notamment
Platini, Battiston, Ferreri et Bellone (Italie), Giresse, Fernandez, Amoros et l'entraîneur
Michel Hidalgo (Espagne), Tigana et Touré (Mali), Stopyra (Pologne par son grand-père, et
un père qui fut déjà international français), auxquels on ajoutera Ayache (pied-noir d'Algérie),
sans compter les joueurs des DOM-TOM comme Trésor et Janvion. Le "carré magique" du
milieu de terrain symbole du "beau jeu à la française" se composait de Platini, Giresse,
Fernandez et Tigana. L'équipe de 1984 avec était donc tout aussi métissée. L'équipe de 1958
71
L’Equipe du 9 Juin 1998, p. 11
77
avec Piantoni, Kopa, Ujlaki, Fontaine, pareil. On peut souligner qu’à l'époque, il n’était même
pas pensable de relever cette diversité.
Pour comprendre l’illusion de la France Black Blanc Beur, resituons le contexte
français au niveau de sa politique en matière d’immigration. Par rapport à la législation en
place, c’est la loi Pasqua du 24 Août 199372 qui détermine les modalités de l’obtention de la
nationalité française et qui permet donc de réguler l’immigration. Elle réside notamment dans
le fait de devoir « manifester sa volonté » d’être naturalisé à sa majorité pour un enfant
étranger né en France. Les années qui précèdent la Coupe du Monde sont le théâtre de tout un
tas de polémiques et de débats autour de l’idée de régularisation. C’est ainsi que plusieurs
manifestations éclatent en France pour régulariser les sans papiers. On peut par exemple
parler de l’investissement, le 28 Juin 1996, de 200 sans-papiers dans l’église Saint-bernard de
la Chapelle dans le 18ème arrondissement de Paris jusqu’au 23 Août de la même année. Les
forces de l’ordre évacuent alors de force les occupants après avoir « défoncé » la porte à la
hache et 228 Africains sont interpellés, et une soixantaine se voient confirmer leur arrêté de
reconduite à la frontière. Notons que même pendant la Coupe du Monde, de multiples actions
et témoignages en faveur de la régularisation ont lieu, allant de parrainages civils à des
personnalités plus connues. Ce à quoi Lionel Jospin déclare que la politique du gouvernement
« n’est pas de régulariser tous les sans papiers » et les critique : « ils utilisent l’émotion avec
l’arme de la grève contre la faim ». Cette déclaration a lieu le 5 Juillet, et quelques cinq jours
plus tard, dans L’Equipe au lendemain de la victoire contre la Croatie en demi de finale, on
trouve un article de Gérard Ejnès qui souligne les valeurs de la France : « Félicitations enfin à
la France. Elle a découvert, au cours de ces derniers semaines, que le football pouvait être une
occasion unique de tous se retrouver, où que l’on soit né, quelle que soit la couleur de sa peau
et quoiqu’on pense par ailleurs, pour faire la fête. » 73
De même, les déclarations des hommes politiques retranscrites dans L’Equipe,
notamment après la victoire finale de l’équipe de France, sont totalement à contre courant de
ce qui se passe dans la société française. Jacques Chirac déclare par exemple que « la France a
une origine plurielle historiquement. Il y a un ensemble partagé qui fait que la France est un
pays qui a le mieux ressenti la nécessité de l’intégration. »74. Pour ce qui est des réactions
étrangères, on retrouve une revue de presse internationale. Pour Tutto Sport, quotidien sportif
72
www.legifrance.gouv.fr
L’Equipe du 10 Juillet 1998, p.3
74
L’Equipe du 13 Juillet 1998, p. 3
73
78
italien et selon Lucio Pastorin, cette victoire est « une gifle à Le Pen avec tous ces immigrés
qui jouaient » alors que moins de deux ans plus tôt, Bruno Mégret, alors délégué général du
Front National se déclarait satisfait de la fermeté du gouvernement en matière d’immigration.
On retrouve les mêmes déclarations en provenance d’Angleterre ou le Daily Mail salue cette
« équipe multiethnique » tandis que le Times consacre la prétendue nouvelle identité de la
nation française en assimilant l’équipe de France à « une coalition en forme d’arc-en-ciel de
races et de couleurs ». Les émiriens suivent la tendance : « L’équipe de France unit Blancs et
Noirs et se félicite du soutien sans précédent des Français qui ont dépassé les divisions
ethniques».
Enfin, citons simplement un extrait de l’allocution du 1er Septembre 1998 du Président
de la République, qui déclarait aux français : « Je voudrais qu’en cette rentrée, ou les français
retrouvent les contraintes du quotidien et les préoccupations de chaque jour, le souffle de la
Coupe du monde soit toujours dans les cœurs. Non pour évoquer seulement un grand exploit
sportif, mais pour aborder les semaines et les mois qui viennent avec un regard différent, avec
un moral de vainqueur. Quand la France veut, elle peut. Quand la France prend confiance, elle
marque des ponts, elle gagne. Quand la France s’aime, elle est aimée et admirée du
monde »75.
Autrement dit, laissons nos soucis derrière nous, serrons nous les coudes, soyons
ensemble et avançons pour sortir le pays de la crise. Une manière de répondre aux
revendications, en leur signifiant simplement que c’est grâces à ces valeurs là, ces valeurs
mises en avant par les joueurs de l’équipe de France, que les lendemains peuvent sourire. Ca
serait donc à force de volonté personnelle et collective que l’on combattrait la misère, le
chômage ou d’autres inégalités, et le gouvernement en place n’aurait pas à se justifier de telles
ou telles décisions. On peut alors estimer que l’allocution de Jacques Chirac justifie les
différents propos pendant la Coupe du Monde. Par exemple, pour ce qui est des transports,
Jean Claude Gayssot avaient appelé les cheminots à retirer un préavis de grève qui tombait
justement pendant la Coupe du Monde. Pour les pilotes d’Air France ou encore les salariés de
la SNCF, les principaux syndicats (CFDT, CGT) appelaient de leur côté à la renonciation.
Michel Platini, dans L’Equipe du 3 Juin 1998, s’était « ému » du fait qu’un certain nombre de
salariés puissent penser faire grève durant la compétition et déclara alors qu’il « était
impossible de prendre un pays en otage » et que « tous les français devaient être solidaires
75
http://lesdiscours.vie-publique.fr/pdf/987000262.pdf
79
durant le mondial ». Bernard Kouchner, alors secrétaire d’Etat à la santé déclarait dans
L’Equipe le 9 juin, au sujet des internes d’hôpitaux voulant faire grève : « ils se servent du
Mondial comme d’autres mal inspirés d’ailleurs s’en sont servis ».
Football et intégration.
Comme nous venons de le voir, il a suffi que L’Equipe de France remporte la Coupe
du monde en 1998 pour que la perception du football par une partie de la société soit
bouleversée à l’écoute et à la lecture de certains acteurs. Du jour au lendemain, ce sport est
devenu un exemple de réussite de l’intégration à la française. Consciemment et
inconsciemment s’est diffusé le message que le football est un moyen efficace de promotion
sociale et d’intégration. Une partie des intellectuels français a voulu y voir un symbole de la
France qui intègre et qui gagne. Le capitaine de L’Equipe de France victorieuse, Didier
Deschamps, déclara à ce propos : « cette victoire a dépassé le cadre du sport. » Cependant, il
faut quand même noter que le football est le contraire d’un facteur d’ascension social.
Le football illustre l’un des maux français dans la mesure où il est entendu qu’à force
d’abnégation et de travail, tout jeune pourrait avec un peu de chance et beaucoup de travail
devenir footballeur professionnel. Mais la réalité est bien différente : il est virtuellement
impossible de devenir footballeur professionnel étant donné la férocité de la sélection. Il n’est
probablement aucun emploi où la sélection soit si forte. Aussi, c’est une erreur de louer la
réussite de tel ou tel joueur pour en faire un exemple pour la jeunesse. Car, à l’heure où
l’école perpétue les inégalités, le football ne peut pas devenir l’une des planches de salut pour
les jeunes exclus du système scolaire, mais il peut au contraire contribuer à renforcer la
cohorte de jeunes désabusés et frustrés s’il est considéré comme un moyen d’ascenseur social.
Or, dans les banlieues, les études sociologiques confirment qu’une majorité de jeunes issus
des quartiers défavorisés rêvent de devenir footballeur professionnel. Le sport est perçu
comme un moyen, voire le moyen de promotion sociale. D’après une étude menée parmi des
jeunes de quartiers défavorisés, au début des années 1990, plus des 2/3 des élèves souhaitaient
devenir champions.76 En réalité, le footballeur professionnel est antinomique avec
l’intégration car, par définition, le monde professionnel est élitiste et n’a pas besoin de plus de
100 nouveaux joueurs par an alors que, dans le même temps, ce sont plus de 150 000 jeunes
76
Catherine Vulbeau, L’Equipe Sportive Espace de Socialisation, in Du Stade au Quartier, Syros, 1993, p. 81-89
80
qui sortent du système éducatif français sans diplôme.77 Le parcours qui permet de devenir
footballeur professionnel est une machine génératrice de frustration et non une échappatoire
crédible.
c. Un impératif de vente.
Malgré cela, L’Equipe fut donc un grand partisan de la propagation de l’idée d’une
France qui gagne grâce à ses vertus d’intégration et ne remet jamais en question cette idée en
passant sous silence les luttes sociales entreprises en même temps. Mais pourquoi mettre en
avant le football en tant que facteur d’intégration ? En tant qu’unique quotidien sportif, il se
doit de répondre à l’envie de ses lecteurs, et chaque amoureux du foot a envie que son sport
soit mis en avant, soit mis en lumière comme principal vecteur d’émotions positives, de
partage, de respect et de solidarité. De plus, la nature même de L’Equipe, en tant que
quotidien national, se doit de ne pas oublier son impératif économique de vente. Ainsi, si
L’Equipe veut continuer à obtenir l’adhésion de ses lecteurs, elle doit être à l’écoute de la
société et répondre aux attentes et aux souhaits du lecteur. Ce rapport des lecteurs à leur
journal fait que l'information est aussi un marché régit par l'économie, par la loi de l'offre et
de la demande. Il est constitué de thèmes et de sujets ayant une valeur marchande, certains
thèmes « se vendant bien » (aujourd'hui, les incidents du Trocadéro par exemple.) tandis que
d'autres, à l'inverse sont moins « porteurs » en termes de diffusion. Si, par exemple, en
conférence de rédaction, tel rédacteur en chef explique à ses journalistes, qu'il faut couvrir et
mettre en une le « coup de boule de Zidane », ou « la banderole anti ch’ti », ce n'est pas (ou
pas seulement) parce qu'il serait convaincu de l'importance en soi de ces sujets mais plutôt
parce qu'il a constaté que ça faisait monter les ventes du journal. Et inversement, s'il décide de
ne faire qu’une brève sur tel conflit entre les instances, même s'il déplore cette décision en son
for intérieur, c'est parce que soit le sujet est déjà sorti de l'actualité et n'intéressera plus les
lecteurs, soit parce que l'expérience montre que titrer sur ce type d'événements fait
régulièrement chuter les ventes, soit parce que le journal en a déjà parlé et ne veut pas lasser
ses lecteurs ou encore parce qu’un autre événement, parfois plus insignifiant et dérisoire mais
beaucoup plus porteur en termes de ventes (par exemple la mort du supporter aux alentours du
Parc des Princes), fait la une de tous les autres médias et s'impose par là à tous les journalistes
77
Patrick Fauconnier, La Fabrique des « Meilleurs », Seuil, 2005
81
en raison des attentes d'informations ainsi suscitées auprès des publics. L'information est, en
effet, un bien culturel à forte composante économique. Elle est très périssable (la date de
validité ne dépasse pas quelques jours et même, notamment avec l’arrivée d’Internet, parfois
juste quelques heures) et doit être immédiatement vendable. C'est dire que ce qu'on appelle
événement est l'équivalent d'une sorte d'offre promotionnelle quasi quotidienne que les
différents médias proposent sur le marché de l'information pour attirer le client. Comme le
disent significativement certains journalistes, la première page d'un journal est sa « vitrine » ;
c'est là que l'on met « ce qu'on a de mieux » pour se vendre, n'hésitant pas à titrer de façon
hyperbolique pour susciter l'intérêt des passants et provoquer l'achat du journal. D’ailleurs, il
n’est pas étonnant de retrouver quelques jours seulement après la finale de la Coupe du
Monde, en Une de L’Equipe, les larmes de Richard Virenque, porté au rang d’icône national
selon les mêmes procédés que nous avons détaillé pour Eric Cantona. L’affaire Festina avait
pourtant éclaté le 8 Juillet, sois quatre jours avant la finale de la Coupe du Monde. Mais
surfant sur la victoire de l’équipe de France, il valait sûrement mieux attendre un peu avant de
se pencher de manière centrale sur le sujet.
Nous venons donc de voir comment L’Equipe répond au besoin du lecteur, qui est
avant tout amateur de football et, logiquement, supporter de l’équipe de France de football. La
Coupe du Monde 1998 semble alors être un évènement à courte portée, qui ne durera que le
temps de la compétition mais sur lequel le journal doit évidemment s’appuyer. Les violences
dans les stades étant depuis quelques années un des fonds de commerce des médias, nous
allons maintenant voir comment L’Equipe s’attache à coller au contexte sécuritaire de
l’époque.
82
B. Le foot-spectacle, symbole d’une nouvelle priorité accordée à la protection de
la sécurité intérieure
Nous venons de mettre en lumière la volonté médiatique et politique de faire de la
Coupe du Monde 1998 un évènement fédérateur. Le sport doit désormais retrouver des
valeurs plus en adéquation avec ce qu’il représente : de la joie, de la fête, du fairplay, du
respect. Et la violence, sous quelques formes que ce soit, devient elle totalement insupportable
et inimaginable. Utilisé à bon escient, ces deux contradictions permettent de créer un
sentiment d’insécurité et rapproche le seuil de tolérance face à la violence du zéro.
a. Du hooliganisme à la criminalité.
L’intolérance face à quelques formes de violences que ce soit est une idée largement
diffusé dans L’Equipe à l’occasion de la Coupe du Monde. Et c’est une nouvelle
représentation du hooligan qui alimente le mieux cette nouvelle intransigeance.
Effectivement, la présentation de leur profil et des causes de leur comportement se caractérise
par la coexistence de deux images contradictoires. La première est bien connue et nous
l’avons détaillée dans la première partie, c’est celle du hooligan différent, privé de toute
rationalité, qui, soit agit sous l’effet de l’alcool, sois est d’un niveau intellectuel inférieur. Ils
sont alors qualifiés à tour de rôle de « sauvages » ou des « sacs à bière écervelés ». Mais cette
représentation n’est plus la seule, puisque, pendant cette Coupe du Monde et notamment à
l’intérieur de L’Equipe, c’est la nature criminelle de l’individu qui est mis en avant et non pas
leur soi-disant altérité, ce qui les rendrait encore plus menaçant : ils agiraient simplement par
goût de la violence ou par provocation envers les autorités. Par exemple apprend-on au
lendemain des violences à Marseille que les prévenus étaient « d’une grande diversité d’âges
et de catégories sociales » et qu’ils « ne répondent pas à un stéréotype précis et sont souvent
bien intégrés à la société. Ainsi, parmi les condamnés figurent un ingénieur, un militaire, un
cheminot et un pompier de la Royal Air Force ! »78. Les violences à Lens s’inscrivent elles
aussi dans cette nouvelle représentation, les hooligans seraient devenus des professionnels du
78
L’Equipe du 15 Juin 198, p. 8
83
crime. Dans un article du 22 Juin, ils sont présentés comme « des groupuscules néo-nazis,
parfaitement organisés et entrainés pour la bataille de rues ». Un journaliste parle ensuite
d’ « organisation commando »79 et le Préfet du Pas de Calais Daniel Cadoux appuie cette
théorie : « Nous avons été impressionnés par l’organisation de ces gens, spécialistes de la
guérilla urbaine, qui disposaient entre eux de moyens de communications et qui pouvaient
ainsi se déplacer, s’éclater ou se regrouper selon les ordres qu’on leur donnait. J’ajoute que la
plupart étaient sobres. […] pour se battre dans un tel dispositif, il s’agit d’être extrêmement
lucide. Plusieurs portaient d’ailleurs des protège-dents pour aller à la bagarre. » Comme on le
voit ici, L’Equipe superpose un autre thème à cette représentation, celui de l’appartenance des
hooligans à des milieux extrémistes. Ainsi, le sous titre de la Une du 22 Juin est éloquent :
« Des hooligans allemands, issus de groupes organisés d’extrême droite, ont provoqué de
graves incidents… » On retrouve ces accusations dans tous les articles : « Ce sont des
groupuscules néo-nazis », « les extrémistes allemands », « en Allemagne de l’Est, où
l’extrême droite trouve un terreau fertile, et le hooliganisme avec ». Le 23 Juin, un journaliste
interroge un interpellé de la veille, qui attend à la gare de Lens et qui dresse une description
des coupables: « La police allemande les connait bien. Ils étaient tatoués de partout et avaient
pour la plupart le crâne rasé… » Des néo-nazis ? » A votre avis ? » répond Juergen ». Voilà
les hooligans devenus racistes, extrémistes, organisés et qui ressemblent à n’importe qui,
surtout pas à de vrais supporters comme aiment le rappeler tous les acteurs du football, de
Sepp Blatter, président de la FIFA, qui dit qu’ « il faut absolument éviter de faire l’amalgame
entre supporteurs anglais et hooligans. Notre public est composé à 99% par des gens
chaleureux et amicaux» à un journaliste qui rappelle que « l’immense majorité des Anglais
présent au stade n’ont rien en commun avec les hooligans »80.
Notons que la présentation de ces prétendus facteurs aggravants ne va jamais de paire
avec une analyse sociopolitique du phénomène. Ecartant le paramètre social, L’Equipe
présente le hooliganisme comme un phénomène particulièrement menaçant car provenant soit
d’individus irrationnels soit de personnes de nature criminelles qui, dans tous les cas ne sont
liés à leur contexte historique, seulement en tant qu’expression néfaste au spectacle ou en tant
que partisan d’idées politiques extrémistes. Et le problème qui en résulte est que cette
représentation devient de moins en moins contestable puisque les journalistes, les agents de
sécurité et les politiciens sont implicitement d’accord sur la compréhension des origines, de la
79
80
L’Equipe du 22 Juin, p. 2
L’Equipe du 21 Juin 1998, p. 9
84
nature et de l’impact social de cette forme de violence. Premièrement ce discours stéréotypé
procure au public le plaisir d’appartenir à une large communauté partageant la même vision
du monde quant à la question d’ordre social et deuxièmement il se légitime auprès de
l’opinion en raison d’absence de tout discours contraire.
La Une du 22 Juin, après les incidents de Lens, témoigne de ce nouveau tournant.
Trois photos, une qui montre des scènes de joie dans un stade, une autre d’une femme avec
une pancarte ou on distingue un cœur rempli aux couleurs de l’Iran et des Etats-Unis qui
doivent jouer un match et enfin une dernière, qui fait la taille des deux précédentes, ou on
aperçoit plusieurs personnes en train de jeter quelque chose. La fête d’un côté, les hooligans
de l’autre. Cette coexistence dénuée de conflit de ces deux représentations suggère que,
derrière les apparences, elles sont pourtant en totale rupture, comme le prouve le titre de la
Une « Le jour et la Nuit ». Les hooligans sont exclus du monde des individus normaux,
raisonnables mais qui savent faire la fête, respectueux de la loi, voir même du monde civilisé
tout court. Ils entrent dorénavant en rupture complète avec toutes les manières de procéder à
des actions collectives et ne sont donc plus acceptables au sein de notre société. C’est ce qui
les rend si menaçant puisque la diffusion de cette image consolide la peur de se retrouver face
à une violence si « insensée ».
b. Mise en valeur de la sécurité
Face à cette menace, les sociétés concernées ne peuvent qu’adopter des dispositifs de
sécurité appropriés, susceptibles de garantir leur protection. Les incidents que nous avons
développés dans la deuxième partie ont contribué à l’établissement et à l’acceptation de la
dangerosité du hooliganisme, et L’Equipe a ainsi largement couvert les dispositifs de sécurité
durant cette Coupe du Monde. Revenons quelques jours avant la cérémonie d’ouverture, Jean
Christophe Collin réalise un dossier complet sur la sécurité81. Les titres des articles indiquent
déjà clairement un changement de ton :
81
-
« Y aura-t-il une violence anglaise ? »
-
« La force tranquille »
L’Equipe du 9 Juin 1998, p. 7
85
La question n’est déjà plus la même que quelques années auparavant. Quand il fallait
« craindre une violence anglaise », L’Equipe se demande dorénavant s’il y en aura même une.
Bien que répondant par l’affirmative, il souligne que « Tout est en place pour les empêcher de
nuire ».
Ainsi, dès le 14 Février 1995, à l’occasion d’un article publié à la suite de la décision prise
d’installer le Stade de France à Saint Denis, on voit bien dans L’Equipe l’importance accordée
à la valeur de la sécurité. Elle se manifeste ici par la longueur de la description détaillée des
dispositifs de sécurité mis en place. Et l’accent est mis sur les progrès technologiques
effectués (« La sécurité dans les stades devrait être améliorée par la présence de systèmes
vidéos, de postes de commandement pour coordonner les actions de la police, des pompiers et
de la sécurité civile. Toutes les tribunes seront sectorisées et, conformément à la loi, toutes les
places seront assises afin de réduire les mouvements de foule. »), sur l’amélioration des
stratégies d’action policières (« Gendarmes et CRS recevront une formation particulière. Des
stages ont commencé pour une cinquantaine de commissaires appelés « correspondants
hooliganisme ». Des contacts ont été établis avec les polices allemande et anglaise ainsi
qu’avec des clubs étrangers confrontés à la violence des hooligans. ») et sur la rationalisation
de l’utilisation des ressources humaines (« Les contrôles aux frontières seront renforcés pour
empêcher les hooligans fichés dans leur pays de pénétrer la France »). Et dans l’article sur les
violences anglaises, cette mise en valeur de la sécurité trouve son prolongement, et vise, avant
tout, à rassurer la population en confirmant la capacité de l’Etat à assurer de manière efficace
la protection des personnes et des biens. Ainsi, le journaliste nous apprend que les hooligans
anglais, quelque puisse être leur look, leur manière de s’habiller, « les policiers les repèrent
immanquablement » car « ils ne les quittent jamais de l’année ». Plus loin, on apprend que les
policiers physionomistes anglais « connaissent tout d’eux, leurs habitudes, leurs marques de
bière. » Pour conclure sur le risque d’une violence anglaise, le journaliste prévient qu’ « au
moindre écart la police sera là […] un processus judiciaire très ferme se mettra en branle ».
L’autre article du dossier fonctionne selon un procédé de questions/réponses. Le
journaliste pose les questions qu’il estime être les plus importantes et y répond. Pourquoi il
pose ces questions ? Forcer le lecteur à considérer qu’il doit se poser ces questions. Il ne s’agit
pas de lui poser des éléments de réflexion mais de lui faire peur. On retrouve dans ce procédé
la distinction entre médias froids et médias chauds tels que définis par Marshall Macluhan ou
Régis Debray notamment. McLuhan classe les médias en deux grandes catégories. D'un côté,
les médias « chauds », qui ne demandent la participation que d'un seul de nos sens.
86
L'information reçue par ce sens étant d'entrée de jeu très riche, la participation du cerveau est
faible, c’est par exemple le cas de la télévision qui ne laisse pas au spectateur le temps de
prendre du recul face à ce qu’il entend et ce qu’il voit. De l'autre côté, les médias « froids »
qui s'adressent à plusieurs sens et demandent de la part du récepteur une participation très
importante pour compenser cette pauvreté, en prenant du recul82. Ici le fait de poser les
questions revient à annuler cette prise de recul face à l’information puisque le journaliste
s’emploie lui-même à guider le lecteur vers sa propre opinion. Ainsi, les questions tournent
toutes autour de la sécurité, et laisse supposer un sentiment d’insécurité, d’inquiétudes, voir
même de peur face à cette masse de population qui doit venir en France pour la Coupe du
Monde. Les réponses sont alors faîtes pour rassurer la population, seulement le simple fait de
poser ces questions tend à introduire ces paramètres sécuritaires dans l’esprit du lecteur. On
peut donc lire au sujet de la politique de sécurité mise en place, que « les mesures de sécurité
ne seront pas déployées avec ostentation. […]Pour autant, l’attention ne sera pas
relâchée : « On pourra à tout moment basculer dans une logique plus sécuritaire si la situation
l’exige», prévient René-Georges Querry, responsable de la sécurité de la délégation
internationale de la Coupe du Monde »83. A la question des moyens humains mis en œuvre, et
des effectifs alloués à la sécurité, Jean Christophe Collin indique que « 30000 personnes
veilleront à la sécurité du mondial, auxquels s’ajoutent 7 stadiers. Une fête donc, mais qui
nécessite le plus gros dispositif sécuritaire depuis Mai 68. » Etonnante comparaison puisqu’on
ne peut pas dire qu’en terme de fête et de réussite sécuritaire, Mai 68 fut une référence. Pareil
que pour l’article sur les violences anglaises, à la question de savoir « comment le
hooliganisme sera appréhendé ? », c’est les mérites des organisations sécuritaires qui sont mis
en avant, « toutes les polices européennes ont collaboré avec la police française […] ils
disposent d’une base de données très exhaustive, ce qui leur permet de prévenir leurs faits et
gestes ». Voilà en quelque sorte un état des lieux des dispositifs sécuritaires avant la Coupe du
Monde, construit d’après la seule volonté du journaliste. Il faut d’ailleurs souligner que tous
les jours de la compétition, on trouve désormais un encadré « sécurité », preuve que dans
L’Equipe, les questions sécuritaires sont celles qui doivent être posées chaque jour et sont
celles qui répondent le mieux aux exigences du lecteur, de plus en plus touché par l’insécurité
supposée liée au football.
82
83
Régis Debray, Cours de médiologie générale, Folio essais, Gallimard, 1991.
L’Equipe du 9 Juin 1998, p. 7
87
Le 14 Juin, des violences ont lieu à Marseille et on retrouve dans L’Equipe du lendemain,
une pleine page pour en rendre compte. Concentrons-nous sur le contenu de cette « page
sécurité » dans L’Equipe. Une version des faits du journaliste, une interview de René-Georges
Querry, un encadré qui dresse les conséquences judiciaires de ces évènements, un ensemble
de réactions vu de Marseille, et de Toulouse (prochaine ville à accueillir un match de l’équipe
d’Angleterre) ainsi que des réactions d’hommes politiques. Si le discours était assez
dithyrambique envers les mesures de sécurité avant la Coupe du Monde, on peut souligner
que suite à ces violences, il est avant tout question de rappeler que les autorités françaises ont
fait leur travail et n’ont à priori rien à se reprocher.
Par exemple, dans l’article principal qui retrace les faits, la gestion des forces de sécurité
n’est jamais remise en cause, et même plutôt soutenue : « Une bouteille lancée contre des
voitures, un coup de pied dans une portière. Jusqu’à ce qu’une bagarre éclate […] la police en
nombre alors limité intervenait […] Il y eut quatre interpellations dont un hooligan fiché par
la police britannique […] peu à peu le calme est revenu »84. La parole est ensuite donnée à
Daniel Herbst, alors directeur départemental de la sécurité civile qui déclare que « les
arrestations ont souvent un effet de dissuasion chez eux ». Plus loin, c’est la passivité
policière qui est expliquée par le journaliste : « Longtemps, les policiers ne répondirent pas.
On sait que l’attitude de la police italienne lors du Mondial de 90 avait contribué à envenimer
les choses mais déjà, les Anglais menés par les plus dangereux, avaient crée de nombreux
troubles ». Ainsi, la police semble en plus apprendre de ses erreurs passées et justifie son
laisser-faire. Pour finir cette sorte de plaidoyer, l’auteur finit en déclarant : « En France pour
voir des affrontements de cette ampleur, il faut remonter à la finale de la Coupe des
Champions entre Leeds et le Bayern de Munich le 28 Mai 1975 à Paris, mais c’était à
l’intérieur du stade. » Nous venons de voir tout au long de cette étude que les débordements
ou les affrontements avec les forces de police arrivent assez souvent, comme à l’occasion de
n’importe quelle manifestation, sportive ou pas. Alors à quoi bon comparer ces deux
évènements pour le journaliste, si ce n’est pour minimiser, ou même occulter des défaillances
possibles en matière de sécurité. Dans le cas des violences à Lens du 21 Juin où notamment le
gendarme Daniel Nivel est agressé et tombe dans le coma, on retrouve les mêmes procédés :
Par exemple, on peut lire au lendemain du drame « heureusement, les forces de l’ordre avaient
su s’interposer et repousser la horde avec une grande efficacité ». Ou encore le Préfet qui
84
L’Equipe du 15 Juin 1998, p. 13
88
souligne « à quel point les forces de police ou de gendarmerie surent parfaitement maîtriser la
situation ».
Appel au durcissement des dispositifs.
Derrière cette volonté d’éteindre toutes critiques possibles des actions de la police, on peut
lire dans L’Equipe diverses réactions, qui appellent encore et toujours à un renforcement des
dispositifs, pourtant déjà largement vanté quelques semaines auparavant. Ces appels au
durcissement des dispositifs de sécurité répondent au besoin de mieux contrôler cette menace.
Et comme en Angleterre plus tôt, ils sont prononcés par des journalistes et des représentants
des autorités publiques ou sportives.85 Ce n’est donc pas un hasard si, juste en dessous des
deux articles après les évènements de Marseille et de Lens, on retrouve une interview de
René-Georges Querry, le Monsieur Sécurité de la Coupe du Monde, qui justifie l’attitude des
forces de l’ordre. Après Marseille, on pouvait lire : « Nous avons été surpris par la soudaineté
du phénomène et par le nombre de types regroupés, et l’énergie qu’ils ont mis à commettre
ces violences […] Nous allons resserrer le dispositif de sécurité, c’est l’éternel problème entre
le souci de laisser la liberté à la fête et laisser la liberté aux fous furieux ». Après Lens, le
discours est exactement le même : « On avait mis des forces de l’ordre en conséquence à
Lens, mais ces gens étaient venus pour affronter la police […] Le dispositif sera renforcé […]
le public sera pénalisé, car avant le stade il verra des forces de l’ordre avec casques et
matraques, mais ce sera pour sa protection. Lorsqu’il rentrera dans le stade, il retrouvera les
chants et la fête »86.
L’impact de ces appels au durcissement des dispositifs de sécurité n’est pas seulement
l’acceptation générale du phénomène. Il décrédibilise en plus, complètement, toutes formes
de critiques. Si l’on peut penser que la
parole accordée aux agents de police et de
renseignements est là par souci du journaliste d’accréditer ses propos, cette parole offerte aux
agents de sécurité prend d’autres dimensions très importantes. En effet, considérés comme
experts, les officiers de police et de renseignements occupent maintenant une position très
puissante parmi les acteurs impliqués dans la représentation du hooliganisme. Forcément, non
85
Il est intéressant de noter que les discours publics, comme ici, attribue le « succès » du modèle britannique
en matière de contrôle du hooliganisme uniquement grâce aux mesures sécuritaires. Alors que la plupart des
études montrent que ce « déclin » du hooliganisme n’est en réalité du qu’à la forte hausse du prix des billets
des matchs, ce qui a simplement déplacer la violence dans les stades de division inférieure et d’autres sites non
liés au sport (Cf. Dunning)
86
L’Equipe du 22 Juin 1998, p. 7
89
seulement on retrouve beaucoup de leur déclarations dans la presse, mais le contenu n’est
jamais mis en cause. Ainsi le hooliganisme finit par n’être perçu qu’à travers leurs dires. Et
quand ce ne sont pas eux, ce sont les journalistes eux-mêmes qui usent de procédés qui vont
dans leur sens, et ainsi alimentent l’idée que le peuple a besoin d’être protégé par un dispositif
qui se doit d’être toujours plus important. Jean Michel Rouet, envoyé spécial de L’Equipe à
Lens, écrit le 24 Juin : « le danger ne guette pas seulement Lens, mais aussi Lille et Calais
[…] Or, jusqu’à hier, rien n’avait encore été semble-t-il prévu pour rapatrier immédiatement
la majorité des supporters anglais ».
c. Evolution dans le domaine juridique
Si la lutte contre le hooliganisme permet de prétendre avoir besoin de plus de dispositifs,
c’est avant tout parce que sa définition et sa règlementation a évolué. Nous avons vu dans la
deuxième partie que la Convention européenne sur la violence et les débordements de
spectateur lors de manifestations sportives politique de contrôle de l’ordre social imposait une
politique de sécurité basé sur le risque. Le 26 Mai 1997 lors d’un Conseil de l’Union
européenne, un autre changement majeur a lieu. Une action commune est adoptée et a une
portée encore plus large puisque ses dispositions se réfèrent à des problèmes d’ordre public en
général, ou sont inclus ceux qui sont liés à une manifestation sportive :
-
considérant que, pour donner suite à des initiatives antérieures, prises notamment dans
le domaine du «hooliganisme au football», il convient de s'attacher à étendre et à
renforcer la coopération dans le domaine de l'ordre et de la sécurité publics;
-
considérant qu'il est nécessaire de prendre des dispositions plus précises pour assurer
la coopération lors de rassemblements au sens large, c'est-à-dire lors d'événements où
se trouvent rassemblées un grand nombre de personnes provenant de plusieurs États
membres et où l'action policière vise avant tout à garantir l'ordre et la sécurité publics
et à prévenir les faits répréhensibles;
-
considérant que sont, entre autres, considérés comme des «rassemblements» les
compétitions sportives, les concerts de rock, les manifestations et les barrages routiers,
mais que des questions connexes telles que la surveillance et la protection de
personnes et de biens peuvent aussi faire l'objet de la coopération visée;87
87
http://eur-lex.europa.eu
90
La principale innovation de l’Action commune consiste en l’introduction du terme
« rassemblements ». Le hooliganisme se trouve désormais aussi inclus dans une sous
catégorie de menaces qui l’associe à de simples comportements collectifs potentiellement
dangereux. Nous avions vu que déjà, les comportements associés se situaient à la limite entre
la délinquance et la déviance. Dorénavant, elles se situent même entre déviance et ordinaire.
Leur point commun est leur potentiel à créer du danger, même si ils restent aux normes. La
définition des comportements à contrôler se trouve forcément encore élargi afin d’inclure
cette fois ci des comportements ordinaires. Avec la Coupe du Monde 98, il est maintenant
clair que le hooliganisme est en même temps inscrit dans une autre sous catégorie de
menaces, celles relatives à la sécurité urbaine, au même titre que les violences urbaines, la
délinquance, ou les manifestations politiques. La lutte contre le hooliganisme devient de ce
fait un laboratoire d’expérimentation de nouvelles méthodes de contrôle des foules, et aussi
d’exportation de nouvelles pratiques en matière de protection de la sécurité intérieure, rendue
possible par la récurrence des organisations de tournois internationaux. Ainsi, dans un article
du Figaro intitulé « Mondial : la justice-carton rouge » paru dans l’édition du 2 Juillet, des
experts ont estimé que « le dispositif répressif mis en place à l’encontre des hooligans devrait
être utilisés ultérieurement dans le cadre de la lutte contre les violences urbaines. »
Dans cette quête de mesures efficaces, on voit bien que le deuxième point important
concerne la coopération internationale qui se renforce. Il n’est pas étonnant de voir pendant la
Coupe du Monde, les autorités françaises avoir recours à une mesure jusqu’alors réservée à la
lutte contre le terrorisme, en prenant en urgence absolue des arrêtés d’expulsion à l’encontre
de certains supporters qui, à peine arrivés sur le territoire français, avaient été identifiés par
les policiers physionomistes comme potentiellement dangereux pour la sécurité du pays. On
peut ainsi lire dans L’Equipe que « Depuis mercredi, près d’un milliers de policiers allemands
contrôlent tous les véhicules et tous les trains à la frontière […] Deux jeunes ont été arrêtés et
six autres hooligans se rendant en France avaient été arrêtés auparavant »88. Des décisions
justifiées par des précédentes déclarations d’hommes politiques ou d’acteurs du football. Par
exemple, dans un encadré, Aimé Jacquet s’ose à dire : « Même si je n’ai pas trop suivi les
évènements de Marseille […] il faut les renvoyer chez eux »89. Jean Pierre Chevènement,
alors ministre de l’intérieur déclare lui que « si des incidents se reproduisent ce soir, je
n’hésiterai pas à utiliser des mesures d’expulsion en urgence absolue ». Marie Georges Buffet,
88
89
L’Equipe du 25 Juin 1998, p. 7
L’Equipe du 15 Juin 1998, p. 11
91
elle, commente : « il faut qu’ils passent au tribunal dans la journée et qu’on expulse ceux qui
ne respectent pas la tranquillité et la convivialité du sport ». Enfin, on peut aussi citer le
président de la FIFA, Sepp Blatter, qui déclare dans un entretien : « La liberté est une belle
chose quand elle s’accompagne de discipline et de respect. Expulser les fauteurs de troubles
est bien, sauf si, une fois rentrés chez eux, ces gens là revienne vingt quatre heures plus
tard »90. Et c’est d’ailleurs sur ce point que la collaboration entre les polices des différents
pays prend dorénavant une nouvelle tournure. Les sanctions qui prévalent dans des cas de
hooliganisme sont les interdictions de stade. Elles deviennent de véritables outils de contrôle
social. De plus, elles impliquent une série de mesures contraignantes. Quand un interdit de
stade est à l’intérieur du pays, il doit se présenter dans un commissariat pendant la durée des
matchs, et pendant une période déterminée, il ne doit pas utiliser les moyens de transport
publics, ne doit pas aller à certains endroits au centre-ville ou même se rendre dans des bars.
Quand il est à l’étranger, son passeport est temporairement confisqué pour interdire la sortie
du territoire. Désormais, une personne peut donc être privée de sa liberté de circulation et
faire l’objet d’autres mesures contraignantes sur de simples présomptions. De plus, à ces
sanctions initiales s’ajoute une sanction implicite puisqu’elle est désormais applicable plus
longtemps, et dans un espace plus grand. Avec la coopération des autorités, les données sont
conservées plus longtemps et c’est ainsi que des supporters belges ayant eu de courtes
interdictions de stade en 2000 se sont fait refoulés à la frontière allemande en 2006.
Anastassia Tsoukala soulève à ce sujet une question importante : « Si l’introduction de
ces sanctions soulève de nombreux problèmes politiques et juridiques à l’intérieur des pays
concernés, leur application systématique risque, en plus, de soulever une question
d’interprétation
du droit
communautaire puisqu’elle institutionnalise de facto
le
rétablissement des contrôles aux frontières internes à l’espace Schengen. […] L’application
efficace des interdictions de stade internationales requiert, par définition, le rétablissement des
contrôles frontaliers durant les tournois internationaux. »91
Les expulsions du territoire, les interdictions de fouler le sol français et toutes les
contraintes liées aux interdictions de stade remettent en principe des valeurs fondamentales de
l’ordre démocratique concernant les libertés publiques. Dans une société censée être menacée
par de plus en plus de dangers, elles deviennent un obstacle majeur à la protection de la
sécurité intérieure des pays européens et il n’est guère surprenant que les nombreux dispositifs
90
91
L’Equipe du 23 Juin 1998, p. 8
Anastassia Tsoukala, Hooliganisme…, op. cit., p. 90
92
de surveillance et de contrôle des supporters n’aient suscité aucune critique, au même titre que
l’expulsion et détention de fauteurs de troubles potentiels. Loin d’être neutre, cette absence de
critiques renforce davantage l’image de la menace, puisqu’il est implicitement admis que
celle-ci est si grave qu’elle justifie l’adoption de toute mesure présentée comme appropriée,
voir indispensable. L’Equipe ne constitue à aucun moment un contrepoids critique face au
durcissement croissant du dispositif de contrôle social et aux dangers que ça implique pour les
principes de l’Etat de droit et les libertés publiques. Au contraire, le journal est même
complice et acteur de la construction de cette menace.
d. Une menace pour la société entière
Ainsi, l’idée générée est que nous rentrons dans une période ou le hooliganisme n’est
plus un fléau seulement pour le football, mais c’est aussi une menace qui pèse sur la sécurité
de tous les citoyens. En effet, l’impact social de la menace du hooliganisme était jusque là
limité puisqu’elle ne dépassait pas le cadre sportif. Pour amplifier cette menace, elle doit être
présentée comme potentiellement illimitée, le hooliganisme se trouve alors associé à d’autres
phénomènes criminels, tels que les émeutes urbaines, le trafic de stupéfiants ou même le
terrorisme. Pour preuve, dans l’article du 9 Juin, à la question « Quels sont les problèmes
majeurs envisagés ? », la réponse du journaliste est très claire, « la délinquance d’abord […]
la vigilance sera donc accrue et les moyens judiciaires renforcés. Le terrorisme ensuite. Le
plan Vigipirate, toujours en vigueur, a été monté d’un cran […] Le hooliganisme enfin. C’est
le point le plus épineux car, il apparaît que certains hooligans vont faire le voyage en
France ».
Autre exemple, dans l’encadré « sécurité » de l’édition du 11 Juin, on apprend par
exemple que six personnes ont été interpellées dans le stade, deux pour stupéfiants (cannabis),
deux pour ports d’armes blanche, une pour vol et une en état d’ivresse. Puis il est question du
nombre d’interpellations à l’extérieur du stade, 18, dont 9 mineurs pour une rixe dans le RER,
deux gardes à vue pour outrages, une tentative de violence, un état d’ivresse, etc. Il est
légitime de se demander pourquoi, qui plus est en dessous du résumé de la rencontre qui s’est
tenue ce jour là, pourquoi L’Equipe donne-t-elle les détails des arrestations qui n’ont rien à
voir avec le football ? Plus étonnant encore, la suite de l’article ou nous apprenons que 66
personnes ont été accueillies à l’infirmerie et 7 d’entre elles ont été conduites à l’hôpital sans
93
pour autant y être admises. Ces plusieurs incidents, indépendamment de leur degré de gravité
ne servent qu’à amplifier la menace. Le fait de les relater de manière indistincte crée une
impression de désordre généralisé qui crée un sentiment d’insécurité. Même chose dans
l’article sur les violences à Marseille, la description d’incidents mineurs mis en relation avec
les affrontements entre des anglais et les forces de l’ordre est une nouvelle fois étonnante.
Ainsi, on apprend que la veille « Le concert des 2be3 avait été annulé […] ces derniers
avaient reçus des jets de cannettes de bières […] s’ensuivirent des dégradations à la station de
métro Castellane » ou encore qu’un « supporter anglais, ivre, fut renversé par une voiture.
Ses coreligionnaires s’en prirent aux passagers du véhicule. La police intervint. Les Anglais
répliquèrent, quatre personnes furent alors interpellées, deux français, deux anglais »92.
L’insécurité ainsi crée se renforce davantage puisqu’elle est désormais susceptible d’avoir lieu
n’importe où, n’importe quand et n’importe comment. De ce fait, des menaces potentielles
deviennent hautement probable, tandis que des comportements isolés, comme ceux que nous
venons de décrire, donnent l’impression d’être des comportements de masse. Ce qui permet
d’alimenter un sentiment d’insécurité de plus en plus ancré dans l’opinion publique.
Comme nous venons de le voir, L’Equipe se met à relater tous les incidents même
mineurs et bien que ceux-ci puissent être sans gravité, ils ne manquent pas d’inquiéter avant le
match. En effet, ce récit répétitif des incidents permet de produire un cadre dans lequel
s’intègreront ensuite tous les incidents futurs et le climat d’insécurité crée finit donc par
amplifier les dimensions et le réel impact de ces incidents. Seulement, pour que ce cadre là
fonctionne, il dépend de la fréquence des incidents. Et à défauts de faits, l’inquiétude est
alimentée par des prévisions des journalistes, et notamment avec la dénomination des matchs
à risques, à hauts risques ou de tous les risques. On peut par exemple lire à la suite des
violences à Marseille que Toulouse se retrouve « sous haute tension à une semaine du match
entre l’Angleterre et la Colombie»93. Une semaine plus tard, on peut encore lire que « Plus
que jamais, le match fait trembler tout le Pas de Calais »94. Enfin à la veille du match, l’article
est titré « Lens retient son souffle » et commence par des propos d’une patronne de bar au
sujet des anglais : « Ils se tenaient tranquilles […] mais ils n’arrêtaient pas d’aller et venir, de
se téléphoner entre eux, de faire des messes basses. Il continue de se passer des choses
bizarres »95. Il est intéressant de souligner que, pendant les incidents à Marseille, tous les
92
L’Equipe du 15 Juin 1998, p. 13
L’Equipe du 15 Juin 1998, p. 6
94
L’Equipe du 22 Juin 1998, p. 7
95
L’Equipe du 26 juin 1998, p. 11
93
94
titres des articles indiquent clairement que les hooligans anglais sont les principaux fautifs
alors qu’à l’intérieur même de ces articles, il est question de jeunes des cités marseillaises
étant aussi impliqués dans les incidents. Le discours est radicalement différent : « ils sont
descendus rendre des comptes. « On est à Marseille, dit l’un d’eux, et les Anglais n’ont pas
compris qu’ici cela ne se passait pas comme ailleurs ». Trois anglais inoffensifs arrivent affolé
à l’angle du Quai des Belges et du Quai Rive-Neuve. Les gendarmes en poste ne les laissent
pas passer. Les jeunes britanniques essayent bien d’expliquer que s’ils repartent dans l’autre
sens, ils vont se faire lyncher. Les gendarmes, en poste depuis des heures, ne veulent rien
entendre. « On en a marre des Anglais, explique l’un d’eux […] Un autre : « ils nous ont cassé
tout Marseille » […] Sur la Canebière, des jeunes descendus des cités se sont amassés. Il ne
fait pas bon être Anglais ». Le 18 Juin, c’est « les Anglais font peur » que l’on peut lire dans
L’Equipe avec comme sous titres principaux, « A Marseille, le préfet recule »96, « Toulouse
ferme ses bars » et « Lens annule ses concerts ». Le Monde, quelques jours plus tard
dénoncera « le décalage flagrant entre les faits et la manière dont ils sont rapportés », puisque
« les actes les plus graves ont été commis par des Marseillais » et finira par se demander
« pourquoi, dès lors, continuer à accuser uniquement les Britanniques si ce n’est pour attiser
la psychose ? »97
Une fois structurée et amplifiée comme ça, la menace du hooliganisme ne trouve
pleinement son sens que lorsque l’opposition entre la violence qu’elle véhicule et le caractère
calme et paisible de l’environnement dans lequel elle se situe atteint son sommet, à travers des
références à la guerre. Le 22 Juin après les incidents à Lens, L’Equipe indique « qu’il
s’agissait d’une véritable opération commando » par des « spécialistes de la guérilla
urbaine ». Le lendemain, que « Lens se prépare à un siège », le 24 c’est un sous titre en gras et
en italique qui indique que Lens est « Une ville en état de siège ». Après avoir passé deux
semaines à se soucier des possibles incidents des Anglais, il est intéressant de voir que
L’Equipe continue avec ces termes sensationnels. Ainsi, le 27 Juin, un article s’intitule « Une
journée électrique » et fait état de la « tension extrême soumise aux villes de Lens et de
Lille ». Jean Christophe Collin commence avec des propos d’une résidente qui « n’a jamais
vu cela. Une amie lui suggère « peut-être durant la guerre » […] En effet, quand vers 16h, elle
a vu voler des canettes de bière, puis se succéder des interpellations, Geneviève ne voulait pas
96
97
L’Equipe du 18 Juin 1998, p. 12
Le Monde du 19 Juin 1998
95
y croire ». Cette guerre non déclarée ne peut qu’augmenter l’inquiétude des citoyens
concernés car elle semble se perpétuer à l’infini.
L’attention accordée désormais aux questions de sécurité et de prévention du risque
apparaît également dans les modes de représentation du hooliganisme dans L’Equipe. Le
maintien de l’image stéréotypée du « hooligan menaçant » s’accompagne d’une présentation
implicitement positive des dispositifs de sécurité et de la quasi absence de toute critique sur
les violations des droits des supporters qui en résultent. Cette couverture médiatique du
hooliganisme rend évidente l’acceptation de l’opinion publique de protéger à tout prix la
sécurité intérieure des pays européens face à tout comportement considéré comme menaçant.
Les journalistes deviennent partie intégrante de cette construction de la menace et ne
constituent aucun contrepoids critique face au durcissement croissant du dispositif de contrôle
social et aux dangers que ça implique au niveau des libertés publiques.
96
Conclusion.
En étant de moins en moins confronté à la violence, chacun en a aujourd’hui de plus
en plus peur. Alors que les conflits se règlent à présent essentiellement d’une manière
consensuelle, notre seuil de tolérance à la violence a considérablement diminué. Toute idée de
violence semble aujourd’hui insoutenable. Les bagarres de supporters inquiètent car elles ne
sont plus en cette fin de XXème ou au début du XIème considérées comme normales. Elles
sont perçues comme un danger par la population qui voit dans ces comportements une montée
de l’insécurité. Mais est-ce réellement le cas ?
Qu’ils soient exclus du monde des individus raisonnables, à cause de leur déficiences,
du monde des individus à cause de leur nature criminelle, du monde des supporters
authentiques, à cause du rejet du fair-play et du recours à des modes d’action violents, voire
du monde civilisé tout court, à cause de leur comportement barbare, les hooligans entrent en
rupture avec tous les cadres et répertoires d’actions collective familiers et, par conséquent,
acceptables au sein de notre société. Ils sont alors considéré comme particulièrement
menaçants à cause justement de cette rupture avec tous les points de repère habituellement
utilisés afin de rendre intelligible toute action collective. Réduits à la seule expression de
« maux sociaux », ils sont tous naturellement considérés comme la manifestation d’un état
pathologique. Devenue désormais si courante qu’elle est reprise par beaucoup de monde, la
qualification de leur comportement par des termes médicaux prend même des formes
concrètes. Ainsi, après le Heysel, il est comparé à un « virus contagieux », est régulièrement
qualifié de « fléau comparable à la peste ». Comme ces épidémies qui se répandaient de
manière incontrôlable en Europe en ravageant les populations, sa menace pèse maintenant
lourd sur le bien-être des communautés concernées et ne peut être écartée que par des mesures
de contrôle très strictes, incluant nécessairement la mise en quarantaine des personnes
contaminées.
Le phénomène a ainsi eu tendance à se radicaliser, même à quelques fois couvrir
d’autres sports, mais aussi et surtout à s’exporter vers de nouveaux territoires au profit
d’autres espaces urbains ou des stades de division inférieure, voire même sous la forme
actuelle des « fights », des rixes organisées en dehors de tout évènement sportif sur simple
prise de rendez vous entre hooligans consentants.
97
Ces évolutions vont de paire avec une absence de définition juridique stricte du
phénomène. Et les mesures qui favorisent un contrôle plus important du phénomène évolue
dans un contexte marqué tant par la tragédie du Heysel que par l’essor d’un modèle de
contrôle du crime basé sur une politique de gestion du risque, sur l’européanisation
grandissante et sur un processus qui politise la sécurité. Le hooliganisme est désormais
considéré comme un problème d’ordre public particulièrement grave dont le contrôle
nécessite l’adoption de lois et de politiques policières spécifiques.
Dès lors, la construction de l’idée que le hooliganisme est dangereux pour la société
devient très importante à propager et L’Equipe devient indiscutablement un acteur social
majeur. Seul quotidien sportif, et de ce fait, libre de s’interroger sur les problèmes liés au
sport et plus précisément au football, il ne se pose jamais en tant que critique ou analyste des
sanctions infligées aux supporters ou des mesures prises par le gouvernement. Au contraire,
conjugué à cette absence de définition juridique, il laisse le pouvoir décisionnel entre les
mains des agents de contrôle. Pire, en leur donnant la parole et en les relayant, L’Equipe les a
laissé établir et diffuser dans l’espace public leurs propres perceptions de la nature dangereuse
des hooligans. En l’absence de toute argumentation contraire, ces perceptions ont fini par
s’imposer
comme
les
seules
compréhensions
possibles
du
phénomène.
L’image de la dangerosité des hooligans est donc maintenue et devient la norme de
représentation du phénomène un peu partout en Europe. Appuyés sur un ensemble de modes
de représentation du hooliganisme qui vont de paire avec la construction sociale de l’altérité,
L’Equipe érige les supporters violents au rang de véritables menaces sociales, en les
dissociant totalement de leur contexte historique et en privant leurs actions de tout support
rationnel, légitimant de la sorte toute mesure de contrôle adoptée à l’encontre du phénomène
pourvu qu’elle soit présentée comme efficace. Voilà le reflet d’une nouvelle idéologie et de
nouveaux enjeux politiques et sociaux.
C’est donc tout naturellement que très souvent sont amalgamés des faits qui n’ont rien
à voir avec le hooliganisme : le drame du Heysel est-il en définitive assimilable au sens strict
du terme à du hooliganisme ? Ne doit-il pas plutôt, pour une partie importante au moins, être
lu à travers le prisme de la négligence et de l’erreur humaine : défaut dans la sécurité passive
du stade qui conduira ultérieurement à la mise en place de directives européennes en la
matière ? Il faut ainsi souligner la manière par laquelle les médias, ne serait-ce que pour
répondre à l’urgence, faire du sensationnel et garantir une couverture événementielle qui
assure de l’audience, associent parfois au hooliganisme des faits qui, partiellement ou en
98
totalité, lui sont par nature étrangers. En témoigne la perception faussée des événements de
Sheffield en 1989 ou plus récemment de l’Élis Park de Johannesburg en 2001, où 43
personnes trouvèrent la mort dans une bousculade à l’entrée du stade. Ces incidents relèvent
en effet totalement de l’incompétence des services d’ordre ou du mercantilisme de certains
dirigeants qui n’hésitent pas à vendre plus de places que n’en contiennent réellement les
stades, comme ce fut le cas à Furiani le 5 mai 1992.
Le second tournant qui a lieu après le Heysel se caractérise par une évolution
structurelle du hooliganisme. Le contrôle social mis en place (conventions européennes, lois
et décrets nationaux, périmètre de sécurité autour des stades, mesures de palpation,
vidéosurveillance etc.) a provoqué l’émergence d’une nouvelle forme de hooligans qui
s’adaptent aux contraintes policières,
les hooligans deviennent invisibles ou peu
reconnaissables. Ces transformations récentes des stratégies des hooligans montrent ainsi de
quelle manière le hooliganisme ne saurait être considéré comme un élément figé dans le
paysage sportif. De nouvelles règles de sécurité provoquent l’émergence de nouveaux
comportements permettant de les contourner. Rien ne dit d’ailleurs que cette réglementation
plus contraignante, inspirant de nouvelles tactiques d’évitement, ne participe pas, en
renouvelant l’interdit, à renforcer le hooliganisme dans une partie de cache-cache sans fin
engagée avec les forces de l’ordre.
Pour les pouvoirs publics, il devient commode de rassembler des actes très différents
derrière le terme « hooliganisme », associé dans l’imaginaire collectif à des comportements
très graves et injustifiables, notamment avec le discours de L’Equipe. La figure du hooligan
perd alors une partie de sa spécificité et se rapproche de tout un éventail de figures
menaçantes, allant des jeunes impliqués dans des violences et des incivilités urbaines, aux
délinquants de droit commun, aux criminels appartenant à des réseaux de criminalité organisé
et, in fine, aux terroristes. Et la Coupe du Monde de 1998, évènement majeur de la fin du XXe
siècle, devient le point zéro de cette nouvelle intolérance à l’égard de toutes formes de
violences quelles qu’elles soient. Malgré la farouche volonté de L’Equipe, de l’ensemble des
médias et du monde politique de faire de cet évènement un acte fondateur, la cohésion sociale
et la communion du peuple engendrées par la victoire finale sont vite rattrapées par les soucis
du quotidien, l’illusion d’une France « Black Blanc Beur » ne dure pas et la domination de la
droite sur le plan national font de l’insécurité le thème principal du débat public. D’ailleurs,
dans un cadre plus général, si on pouvait penser que la gauche s’y opposerait, sa conversion à
la sécurité devient officielle quand en mars 2002, avant le premier tour de la présidentielle,
99
Lionel Jospin lui-même, admet ses erreurs sur le sujet : « Sur la question de l’insécurité, j’ai
pêché par naïveté, Je me disais pendant un certain temps que si on fait reculer le chômage, on
fera reculer l'insécurité. Or 928 000 personnes ont retrouvé un emploi et cela n'a pas d'effet
direct sur l'insécurité ». L’absence d’un réel débat contradictoire dispense de bâtir des
analyses, des explications ou même des propositions. Toute remise en question de la politique
sécuritaire de la droite devient donc impossible. Mais pour quel résultat ? La guerre contre la
délinquance a donné des résultats décevants. Les grands discours n’ont pas eu l’effet
escompté. En effet, ce sont toujours les « petits délinquants » qui sont les cibles préférentielles
des policiers et peu des criminalités dans le monde des affaires et de l’entreprise, ou même du
monde politique, les cols blancs, se trouvent sanctionnés. Plus que jamais, la justice s’abat sur
les plus faibles et sur les phénomènes les plus visibles comme le hooliganisme. L’action des
pouvoirs publics révèle une volonté de visibilité, mais pas de travail de fond. En témoigne
l’installation grandissante de la vidéosurveillance dans notre société à partir de 2002, qui avait
commencé dans les stades dès 1993.
C’est la même chose pour le hooliganisme. Nicolas Hourcade, sociologue spécialisé
dans les questions relatives aux supporters de football, explique : « En mettant en avant le
terme d’hooliganisme, qui est extrêmement stigmatisé, et la lutte contre le hooliganisme, sur
laquelle tout le monde est d’accord, on rend légitime et inattaquable l’action des pouvoirs
publics. Sauf que celle-ci porte effectivement en partie contre des supporters qui commettent
des actes graves mais aussi beaucoup contre d’autres supporters dont les actes sont d’une bien
plus grande banalité et qui ne collent assurément pas au stéréotype du hooligan. » Certains
supporters toulousains, montpelliérains, lillois ou bordelais, interdits de stade pour avoir filmé
une interpellation, avoir allumé un fumigène, bu un peu trop d’alcool ou tout simplement
foulé la pelouse à la fin d’un match historique pour une photo, peuvent en témoigner. A ce
jour, la plupart des 341 personnes interdites de stades le sont pour détention ou usage d’engins
pyrotechniques. Et la grande majorité des interpellations depuis le début de la saison l’ont été
pour cette raison. Les motifs suivants ? Ivresse et consommation de stupéfiants. Pas des actes
racistes ni violents. Autre exemple, celui de la banderole déployée par des supporters du PSG
à l’occasion de la finale de la Coupe de France 2008 face à Lens sur laquelle était inscrit
« Pédophiles, chômeurs, consanguins : bienvenue chez les Ch'tis ». Suite à cela, le tribunal
correctionnel de Bobigny a condamné trois supporters du PSG à un an d'interdiction de stade
et à des amendes de 300 à 600 euros pour simplement l’avoir déployée.
100
Le recours systématique aux interdictions administratives de stade ainsi que la
possibilité de restreindre la liberté d’aller et de venir, laissés à la seule discrétion des préfets,
posent un vrai problème de respect des libertés publiques.
Si le phénomène hooligan est si souvent mis en avant, ce n’est évidemment pas que
par souci politique. Le football est ainsi devenu un véritable vecteur de l’économie, et les
enjeux financiers qui en résultent sont énormes. Le stade est donc, quant à lui, devenu une
place forte de l’économie sauf que, depuis les années 1990, le rôle des stades est conflictuel.
Parce qu’il existe de la violence verbale et physique dans les stades et à leurs alentours. Aussi
parce que les associations de supporters les plus actives affirment leur « indépendance » par
rapport aux dirigeants, ne ménagent pas leurs critiques envers le « foot-business », défendent
leurs « droits » et n’hésitent pas à faire la « grève » des encouragements en cas de
mécontentement. Le statut des supporters s’avère dès lors ambigu. Les associations qui
prônent la proximité entre tous les acteurs doivent repenser leur rôle quand la distance ne
cesse de croître entre fans, joueurs et dirigeants. Et celles qui s’approprient les tribunes pour y
mettre de l’ambiance suscitent un regard ambivalent. Les dirigeants du football jugent
indispensable leur ferveur tout en goûtant peu leurs débordements mais aussi leur esprit
critique et leur revendication d’un rôle actif dans le football.
Pour résoudre ces tensions, les autorités sportives et publiques prônent un nouvel ordre
des stades en communiquant sur la nécessaire lutte contre le hooliganisme et sur le confort du
public. Mais, derrière ces mots d’ordre consensuels, se cachent une volonté de reprise en main
des supporters contestataires et/ou turbulents et une mise en avant de la figure du supporterclient qui consomme docilement le spectacle et ses produits dérivés, à une époque où la
commercialisation du football franchit un nouveau palier. Cette offre de spectacle, qui accroît
le nombre des places « business » et transforme le stade en centre commercial, rencontrera
sans doute un public. A condition cependant que la hausse des prix ne soit pas exagérée dans
un pays qui n’a ni le même réservoir d’amateurs ni la même qualité de jeu que l’Angleterre ou
l’Allemagne.
Quoi qu’il en soit, ce nouvel ordre pose questions. Faut-il tendre vers un spectacle
sportif à l’américaine où le prix des billets est élevé et le show formaté par les organisateurs
ou convient-il de préserver un spectacle populaire et des espaces d’expression autonome pour
les supporters ? Ce sport n’est-il qu’une activité économique, dirigée par les patrons des clubs
et des fédérations, et les supporters seulement des clients ?
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109
Annexes
Entretien réalisé le 22 Décembre 2011 avec Anastassia Tsoukala, maître de conférences à
Paris Sud XI et chercheuse à l’université Paris V-René Descartes (Sorbonne).
Moi : - Mes recherches sont basées surtout sur L’Equipe, c’est que son discours qui
m’intéresse
A.T. : - Déjà c’est beaucoup oui
- J’ai pensé que vous appelez au début de mes recherches serait plus intéressant et c’est très
gentil à vous d’accepter. On a commencé à parler des violences dans les stades à partir du
drame du Heysel, diriez vous que c’est un tournant ? On en parlait pas du tout avant en
France, par exemple des incidents en 1976 au Red Star ou des supporters mettent le feu au
stade ne sont pas du tout relayés.
- Il y a eu 39 morts, vous n’étiez sûrement pas né à l’époque, mais ça a eu l’effet du 11
Septembre, c'est-à-dire que l’évènement était retransmis en direct, c’était la finale, les
spectateurs étaient là et du coup on a tous assisté à cela. D’une part, la mort lente des
personnes, d’autre part, ca a été retransmis en boucle, c’est pour ça que je le compare avec le
11 Septembre. Ceux qui ne l’avait pas vu ne pouvaient que le voir et ceux qui l’avaient vu, ils
en avaient jusque là. Cela eu à l’époque un effet traumatisant semblable, toute proportion
gardée bien sûr. Les médias ont senti qu’il y avait là un vrai problème. Ceci dit, j’attire votre
attention sur le fait que L’Equipe, a fustigé, je présume, les méfaits des hooligans, mais est ce
qu’il s’est donné la peine, des années plus tard, de rétablir les faits et les vrais
responsabilités ?
- Les responsabilités des organisateurs et de la police? Ils ont retranscris les décisions des
procès oui.
- Oui parce que, quand les procès ont eu lieu, il y a eu beaucoup de responsables, donc, il
serait intéressant de voir si la vérité a été rétablie ou si on est resté avec l’impression que ceci
était essentiellement le fait de hooligans, ce qui est faux bien sur. Jusque là en Europe, on
n’avait jamais eu une mort aussi massive de supporters dans un stade. C’était des faits qui se
110
passaient sur un autre contient sinon, en Amérique Latine par exemple. Je compare le Heysel
à un fait divers en France. Trois adolescents qui avaient mis le feu dans une boite aux lettres,
ont fini involontairement par bruler tout l’immeuble provoquant beaucoup de décès. Quand
ces adolescents ont été jugé, il y avait des coresponsabilités puisque les normes de sécurité
n’étaient pas respectées au moment de la construction de l’HLM, au moment de l’entretien,
etc. C’est le même phénomène que le Heysel. Certes il y a quelqu’un qui déclenche mais le
fait déclencheur en principe n’aurait jamais dû, pu produire les effets produits, s’il n’y avait
pas eu une chaine de coresponsabilité qui font qu’on arrive à des décès. Les jeunes en
question qui ont écopé en France de peines de prison mineure, homicide involontaire sans
intention je crois, la sanction la plus « légère » qui soit.
- Pensez vous que la tolérance à l’égard des violences a évolué depuis ? Que ce soit dans les
médias ou la société ? Est-ce que le fait de parler des hooligans et de mettre autant en avant
d’autres violences peut avoir un lien ?
- Quand on parle des médias, ils ne veulent pas de la politique. Dans le sens ou, même s’ils
font promouvoir certaines lignes politiques qui sont les leurs, ils dépolitisent lourdement ce
qui nie à l’image du sport, le dopage par exemple. Il faut qu’à un endroit donné de votre
mémoire vous disiez que vous traitez un journal bien particulier. Sinon, oui depuis la fin des
années 1980 il y a une montée en puissance de la question de l’ordre, de la sécurité, on est
dans une société censée traverser un désordre croissant, ce qui n’est pas faux remarquez. On
est dans une phase transitoire inquiétante à plusieurs égards, mais là il y a plusieurs points de
vue. Disons que, plus les élites politiques ne perdent les bases, les assises de leur
souveraineté, dans la mesure ou l’acte légiféré est de plus en plus délocalisé vers Bruxelles
d’une part, d’autre part il y a affaiblissement ou disparition des symboles de la souveraineté.
Allant de l’abolition des frontières internes à l’abolition de la monnaie nationale. Vous avez
aussi la mondialisation, et en général le processus d’européanisation. En fin de compte, quand
ils doivent revendiquer le vote de leur base électorale, ils n’ont plus beaucoup d’arguments
pour convaincre leur électeur. La sécurité intérieure, soyons logique, c’est presque le seul
terrain resté intact, ou ils peuvent réellement intervenir. Donc s’ils ont quelque chose à
promettre, au nom de quoi les gens vont-ils voter pour eux ? Ils ne peuvent pas dire « vous
savez en réalité je ne peux pas faire grand-chose pour vous, mais votez pour moi quand
même ». Ils peuvent par contre intervenir dans un champ d’action qui provoque beaucoup
d’inquiétudes auprès de l’individu. Ces individus, fragilisés sur le plan social, économique,
vivent déjà leur déclin, leur perte de statut. De plus, ils craignent de ne pas pouvoir garantir a
111
leurs enfants leur statut social voir l’ascension sociale à laquelle ils aspiraient légitimement,
donc il y a un aveu de précarité réelle au sein des couches sociales inférieures, et croissant au
sein des couches moyennes. Cet électorat se sent très fragilisé. Soit ils doivent déménager
parce que leur quartier se dégrade, soit ils vivent dans une précarité continue. Mais qui en est
responsable ? Dans cette insécurité grandissante, face a la crise, les dirigeants ne peuvent, et
ne veulent je dirais même, pas faire grand-chose. Garantir l’ordre au quotidien devient une
tache prioritaire, parce que l’ordre au quotidien est visible. Si vous prenez le citoyen lambda,
et vous lui parlez du crime organisé, il vous regarde gentiment, mais il s’en moque. Vous lui
parlez de la délinquance au col blanc comme on dit, délinquance économique et financière,
pareil, ca ne le touche pas. Lui il vit le déclin de son quartier, la petite délinquance de son
quartier, le jeune qui ne se comporte pas comme il fallait, les fameuses « incivilités ». Alors il
demande qu’au moins, on corrige ça. Qu’on le rassure dans son cadre de vie quotidien. Il
comprend que le reste est désormais hors contrôle donc il ne se plaint même plus, il hurle a la
limite en disant « au moins ca ». Du coup un certain maintien d’un certain ordre au quotidien
prend des dimensions proportionnelles parce qu’il y a la demande de plus en plus de couche
sociale, en désespoir de cause et, d’en haut il y a la pression de l’élite politique qui s’accroche
à ca faute de mieux puisqu’ils sont en perte de pouvoir.
- Et de crédibilité.
Forcément. Voilà le contexte qui explique pourquoi les médias, tout naturellement reflète cet
état des choses. Et là les journaux sont sur la même longueur d’onde, puisque c’est toute la
classe politique qui a changé de stratégie d’action vis-à-vis de la population, et la population
qui modifie aussi ses attentes vis-à-vis de la classe politique. Donc les medias en l’occurrence
en prennent acte, et alimentent bien aussi la peur. A partir de la il y a une bifurcation, soit
vous avez les partis de gauche, pas tellement les socialistes, qui cherchent à trouver des
solutions innovantes sans tomber dans la répression, soit vous avez les deux grands partis qui
eux jouent avec la peur pour faire passer des politiques plus dures.
- A ce sujet, au niveau des hooligans, on associe souvent et politique radicale, extrémisme et
hooligan pourtant le hooligan n’est absolument pas défini politiquement.
- Les hooligans fascistes sont dérangeants à deux égards, et hooligans, et fascistes. Donc
vraiment dérangeant tout d’un coup. Les autres, il est vrai qu’on en parle très peu. Est-cequ’ils sont souvent intégrés dans les discours, stigmatisés, je ne sais pas. L’absence de
112
discours renvoie ou a une prise de position politique ou a une certaine absence de dangerosité
de leur part, je ne sais pas. Il faudrait mener une recherche qui n’a pas été fait.
- Vous savez s’il existe une littérature hooligan, ou des traces de support que juste le simple
fait de se revendiquer hooligan ?
Il y a des forums, mais pas de publication soutenue. La tradition britannique n’a pas été
reprise en France. A ma connaissance non. Sur le net il y a beaucoup de blogs.
- Par rapport à mes études sur le genre, est ce que vous auriez connaissance de femmes
hooligans ?
- Le cas le plus répandu c’est le cas italien qui se comprend historiquement. Le football italien
est indissociable de Mussolini, et de comment il s’en est servi à des fins de propagande dans
les années 1920. Quand le fascisme montait en Italie, Mussolini pensait à des éléments
fédérateurs, il a pensé que le football réunissait toutes les qualités requises pour remplir ce
rôle. Donc il a lourdement investi sur le sport en général et le foot en particulier. C’est lui qui
a fait construire beaucoup de grands stades un peu partout en Italie, c’est lui qui a crée au
niveau gouvernement le secrétariat des sports, toutes les infrastructures pour l’entrainement
des sportifs, c’est lui qui a amené les bases du foot moderne en Italie. Comme cela faisait parti
de la propagande, ils invitaient tous les italiens et les italiennes à se rendre au stade. Donc un
match de foot était vécu comme un événement national qui concernait tout le monde. Résultat
les femmes qui y allaient au même titre que les hommes et elles ont commencé tout
naturellement à s’intéresser, voir être passionnée par ce sport. Ca n’a pas trop changé depuis,
et à ma connaissance il n y a pas d autre pays en Europe comme ça, où la femme se sent dans
le stade comme chez elle, comme l’homme. A partir de là, je pense que se sentant tellement a
l’aise, elles peuvent virer vers la violence, pourquoi pas, au même titre que les hommes.
L’absence de femmes violentes dans les autres stades d’Europe est normal puisqu’elles sont
absentes des stades en général. Et quand elles y sont, c’est souvent plus parce qu’elles sont
invitées par leur jules que parce qu’elles se sentent concernés alors que les italiennes si. En
Italie, ca s’est transmis de mère en fille, de père en fils. Il y a donc des groupes de
« hooliganettes » comme je les appelle et qui ont été violente.
Je reste à votre disposition si vous avez besoin d’autres informations, n’hésitez pas a me
contacter de nouveau si vous en ressentez le besoin.
113
3. L'Equipe, Une du 17 Avril 1989 - Hillsborough
114
4. L'Equipe, Une du 5 Octobre 1993
5. L'Equipe, Une du 22 Juin 1998
115
6. Caricature du 12 Avril 1995 parue dans L'Equipe
7. Caricature du 16 Juin 1998 parue dans L'Equipe